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Revue d'histoire de la pharmacie

Nicolas Lémery et ses fils Louis et Jacques à l’Académie royale


des sciences (2e partie)
Patrizia Catellani, Renzo Console, Bruno Bonnemain

Abstract
The first part of our study of the activities of Nicolas Lémery and his sons Louis and Jacques at the Académie royale des
sciences began with a description of the structure of the Académie as a result of its reformation in 1699. Then we
explained how Nicolas Lémery performed his duties at the Académie beginning from 1699 until his death in 1715. In this
second part we are concentrating in a similar way on the activities of Nicolas’s son Louis for the Académie, where he was
a member from 1700 to 1743.

Résumé
La première partie de notre étude sur les activités de Nicolas Lémery et de ses fils Louis et Jacques à l’Académie des
sciences a commencé par une description de la structure de l’Académie après la réforme de son organisation en 1699.
Nous avons ensuite expliqué comment Nicolas Lémery a répondu à ses obligations à l’Académie de 1699 à sa mort en
1715. Dans cette deuxième partie, l’étude a porté sur les activités de Louis Lémery pour cette Académie dont il fut
membre de 1700 à 1743.

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Catellani Patrizia, Console Renzo, Bonnemain Bruno. Nicolas Lémery et ses fils Louis et Jacques à l’Académie royale
des sciences (2e partie). In: Revue d'histoire de la pharmacie, 98e année, N. 371, 2011. pp. 351-370;

doi : 10.3406/pharm.2011.22344

http://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_2011_num_98_371_22344

Document généré le 28/08/2017


351

Nicolas Lémery et ses fils


Louis et Jacques à l’Académie royale
des sciences (2e partie) É
T
par Patrizia Catellani*, Renzo Console** U
(traduit en français par Bruno Bonnemain) D
E

Les activités de Louis Lémery le Fils à l’Académie royale des sciences

Louis Lémery, le premier fils de Nicolas, fut invité à rejoindre l’Académie


royale, alors qu’il n’avait que 23 ans, comme élève botaniste de Joseph Pitton de
Tournefort. Son rôle n’était donc pas spécifiquement dans le domaine de la
chimie, qui fut par la suite reconnue comme son domaine de prédilection. Louis
n’était pas aussi connu que son père mais sa carrière a été décrite dans plusieurs
biographies et encyclopédies médicales. Pratiquement toutes les informations
biographiques concernant Louis Lémery, dénommé Le Fils ou L’Aîné (1677-
1743), ont pour origine son Éloge écrit et lu quelques mois après sa mort par
Jean-Jacques Dortous de Mairan, secrétaire perpétuel de l’Académie royale des
sciences1. Louis est né en 1677 à Paris où il reçut son éducation et débuta son
activité professionnelle. Il fut excellent dans les domaines académiques et
professionnels très tôt sous la houlette de son père et avec son aide. Il fut reçu
comme médecin en 1698 (à l’âge de 21 ans seulement) et fut nommé élève
botaniste à l’Académie royale des sciences deux ans plus tard. En 1702, il publia
son premier ouvrage, le Traité des Aliments ; et en 1704, c’était la parution de la
Dissertation sur la Nourriture des Os. Louis écrivit également plusieurs
mémoires pour l’Académie et fut nommé en 1708 professeur de chimie au Jardin
Royal des Plantes. Puis, en 1710, il devint médecin à l’Hôtel-Dieu. En 1712, il
fut promu comme chimiste associé à l’Académie et succéda à son père en 1715
comme chimiste pensionnaire. En 1716 et 1717, il fut nommé sous-directeur de
l’Académie. En 1722, il acheta une charge de médecin royal et devint le médecin
personnel du Prince de Conti. Il mourut en 1743 d’anasarque ou de gangrène.

* Via Mavora 106, Gaggio di Piano, 41010 Modena, Italie.


** Tillington, Ridgway Road, Pyrford, Woking, Surrey GU22 8PR, Grande Bretagne.

Revue d’histoire de la pharmacie, LIX, N° 371, 3e trim. 2011, 351-370.


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Louis avait de nombreux centres d’intérêt, dont l’un des premiers fut la
nutrition. Dans ce domaine, il écrivit très tôt, en 1702, un traité qui fait encore
référence, le Traité des Aliments (qui fut traduit en anglais et en italien) et un
autre ouvrage, la Dissertation sur la Nourriture des Os qui fut présenté à
l’Académie en 1704 et publié comme un traité à part la même année. La carrière
de Louis comme médecin fut brillante  : il eut une longue carrière au célèbre
Hôtel-Dieu et pour la famille royale. Il eut aussi finalement le poste prestigieux
de professeur de chimie au Jardin Royal des Plantes, que son père Nicolas n’avait
pas pu obtenir. Louis était très assidu aux séances de l’Académie et prit la parole
à de nombreuses reprises. Après s’être concentré sur la chimie, il s’intéressa plus
tardivement à l’anatomie, et plus spécialement aux causes de la naissance de
monstres, c’est-à-dire de fœtus présentant de graves malformations. Louis présenta
aussi des études nouvelles concernant des sujets déjà travaillés par son père.
La proposition pour la candidature de Louis à l’Académie fut discutée le
3  février 1700. Comme on peut le voir dans le compte rendu de cette séance,
l’assemblée décida de présenter sa candidature au roi, mais sans que son père,
bien que présent, ne participe à la discussion. Ceci n’aurait pas été considéré
comme légitime. On peut lire dans le compte rendu du 6 mars 17002 : « M.r le President
m’a donné a lire a la Compagnie une lettre de Mgr. le Comte de Pontchartrain
qui luy est addressée et dattée de Versailles du 3. Mars 1700. Par laquelle il luy
mande que le Roy a agréé M.r Lemery le Fils pour eleve de M.r Tournefort. »
L’admission de Louis à l’Académie fut facilitée par toute une série d’événements.
Comme nous l’avons vu, le pensionnaire chimiste Bourdelin était mort et Nicolas
Lémery avait été promu pour le remplacer ; Geoffroy, l’élève de Homberg, avait
été nommé associé pour remplacer Nicolas ; on donna Berger, un élève de Joseph
Pitton de Tournefort, à Homberg comme élève  ; et Louis entra à l’Académie
comme élève de Tournefort. Celui qui lut la lettre à l’assemblée fut (bien sûr) le
secrétaire Fontenelle, qui rédigeait aussi le compte rendu. À l’époque, le président
était Jean-Paul Bignon, membre honoraire, le neveu du comte Louis de Pontchartrain
(1643-1727), l’auteur de la lettre en tant que chancelier de Louis XIV. Le célèbre
botaniste pensionnaire Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708) et Nicolas, le père
de Louis Lémery, étaient présents, mais Louis n’était pas encore là. Il vint pour la
première fois à l’Académie à la session du 10 mars suivant.
La première communication à l’Académie de Louis Lémery que nous avons pu
retrouver date du 29 mai 1700 et concernait quelques éléments extraordinaires observés
au cours d’une autopsie à laquelle Louis avait assisté. Bien qu’il soit officiellement
présent comme botaniste, il intervint pour sa première communication sur un sujet
d’anatomie. Cependant, moins de trois mois plus tard, le 18 août, il intervint sur un sujet
de botanique3 : « M.r Lemery le Fils a l’occasion du scorbut qui devient plus commun
en France qu’il n’etoit a donné une description et differentes distillations du Cochlearia,
qui en est un tres bon remede. » Un résumé donne ensuite quelques explications.
Nicolas Lémery et ses fils à l’Académie royale des sciences 353

Louis poursuivit l’étude des plantes contre le scorbut, comme nous le verrons,
mais on trouve d’abord une intervention de sa part le 16 février 1701 sur un sujet
de chimie. Le secrétaire nota4 : « M.r Lémery le Fils a lu un Discours sur les Eaux
minerales de Passy dont il a fait des Experiences tres exactes, sur lesquelles il
fonde differentes reflexions.  » C’est la première intervention de Louis sur la
chimie qui sera son sujet de prédilection.
En 1702, Louis devint l’élève de son père. Nous allons montrer ici comment cela
s’est produit. Comme nous l’avons indiqué dans la première partie de cette étude,
à l’été 1702, Nicolas Lémery perdit son élève Adrien Thuillier qui mourut. Pour le
remplacer, il fut décidé que le meilleur candidat serait Louis, l’élève de Tournefort.
Cela signifiait qu’il fallait trouver un nouvel élève à Tournefort et l’assemblée
recommanda Pierre-Jean-Baptiste Chomel (qui fut par la suite associé botaniste).
Ces changements furent annoncés par le secrétaire au début de la session du
26 juillet 17025 : « J’ay lû à la Compagnie une lettre de M.r de Pontchartrain par
laquelle il mande à M.r l’abbé Bignon que le Roy a agréé M.r Chomel pour eleve
de M.r de Tournefort, et M.r Lémery Fils pour eleve de M.r Lémery. »
L’étape suivante pour Louis à l’Académie fut sa nomination comme associé
chimiste dix ans plus tard, et voici ce qui lui en donna l’opportunité : dans les
comptes rendus de la séance du 9 juillet 1712, on s’aperçoit que l’associé
chimiste de Langlade avait demandé à devenir associé chimiste vétéran car il ne
pouvait plus être un membre actif de l’Académie ; le roi accepta sa requête et
l’Académie chercha donc un successeur  ; le 20 juillet, l’assemblée décida de
proposer au roi un successeur pour de Langlade ; le choix de la majorité, comme
le voulait la procédure du règlement, se porta sur Lémery le Fils et l’Apothicaire
Rivière. Dans le compte rendu du 3 août, on peut lire6 : « J’ay lû à la Compagnie
une lettre de M.r de Pontchartrain du 1.er Aoust, par laquelle il me fait l’honneur
de me mander que le Roy a choisi M.r Lémery le Fils pour la place d’associé
Chimiste […]. M.r Lémery qui manquoit d’eléve pour la promotion de M.r son
Fils a nommé à sa place M.r Lémery le Cadet. »7
La promotion de Louis signifiait qu’il n’était plus considéré comme botaniste
mais comme chimiste. Dès lors, Louis prépara et lut un grand nombre de
communications et mémoires pour l’Académie. Nous en verrons quelques-uns en
détail. Certains thèmes reviennent régulièrement, aboutissant à des séries de
mémoires. La plupart concernait la chimie, mais certains portaient sur l’anatomie
ou la physiologie. Trois ans plus tard, Louis atteignit le plus haut grade de
l’Académie en devenant pensionnaire chimiste à la place de son père. Comme
nous l’avons vu précédemment, début 1715, Nicolas avait demandé à se retirer
de la participation aux activités de l’Académie pour raisons de santé. Il fallait
donc le remplacer comme le prévoyait le règlement. On peut lire dans le compte
rendu du 13 mars 17158  :  « On a procedé selon la forme ordinaire à la
nommination de trois sujects pour la place de Pensionnaire Chimiste vacante par
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la démission de M.r Lémery, et la pluralité des suffrages est tombée sur


M.rs Lémery l’aisné, Geoffroy l’aisné, et Poli. »
Le 23 mars de la même année, le secrétaire annonça9 : « J’ay lû à la Compagnie
une lettre de M.r de Pontchartrain à M.r Renau du 18 Mars, par laquelle il luy
mande que sur la nomination du 13, le Roy a nommé M.r Lémery l’aisné pour la
place de Chimiste Pensionnaire. » Le 8 juin 1715, l’assemblée nomma M. Poli
comme élève de Louis car il n’en avait plus depuis que son frère Jacques avait
été nommé associé. Le 22 juin, l’assemblée approuva le choix de M. Poli comme
élève de Louis. Mais le 4 juillet, on annonça que Poli venait de mourir deux jours
plus tôt, alors que le roi venait d’accepter sa candidature le 26 juin. Poli fut donc
académicien pour huit jours et ne vint à aucune séance. Nous n’avons pas pu
trouver de traces d’un successeur de Poli. Il ne fut sans doute jamais remplacé et
Louis Lémery n’eut plus jamais d’élève au sein de l’Académie.
On peut lire dans le compte rendu du 19 juin 1717 que le tsar de Russie (le fameux
Pierre Le Grand) visita l’Académie et que Louis lui fit une démonstration de
chimie10 : « Le Czar a fait l’honneur à l’Académie d’y venir, et on luy a fait voir la
Machine à élever des eaux de M.r La Fraye, l’Arbre de Mars de M.r Lémery, le Cric
de M.r Dalesme, et le Carosse de M.r de Camus. » En lisant l’Éloge de Louis Lémery
écrit par Jean-Jacques Dortous de Mairan, nous avons mis en évidence ce
commentaire qui peut sembler curieux11 : « Il sembloit que M. Lémery fût destiné à
briller dans ces fêtes de l’Académie, où les plus grands Monarques sont venus
illustrer nos travaux par leur présence. Ce fut lui encore qui fournit, ou qui exécuta
les Détonations chymiques & quelques-unes des autres expériences de cette espèce
qui furent faites devant le roi dans l’Assemblée du 22 Juillet 1719. » Le chimiste qui
fit des démonstrations devant le roi Louis XV (qui n’avait que neuf ans) n’était pas
identifié clairement en 1719, mais seulement vingt-quatre ans plus tard Mairan était
certain qu’il s’agissait de Louis Lémery. Louis Lémery continua à participer aux
séances de l’Académie très régulièrement jusqu’au 24 mars 1725, puis fut absent du
11 avril au 4 juillet et revint le 7 juillet 1725. Ceci était lié au fait que la princesse
Marie-Anne Victoire de Bourbon (fille du roi Philippe V d’Espagne), connue comme
l’Infante d’Espagne et âgée alors de trois ans, avait été envoyée en 1721 d’Espagne
à la Cour royale de France à Paris pour y devenir la fiancée de son cousin le roi
Louis  XV. Ce dernier décida quatre ans plus tard qu’il ne voulait pas attendre
d’avantage pour se marier et il rompit les fiançailles. C’était évidemment désolant
pour Marie-Anne, qui avait réalisé entre-temps qu’elle devait devenir reine de
France. Elle revint donc en Espagne et Louis Lémery, médecin royal, fut chargé de
la raccompagner. Ceci lui prit environ trois mois12. Le 5 février 1729, Louis Lémery
fut nommé comme l’un des commissaires du Trésor pour cette année-là.
Comme son père Nicolas, on confia à Louis différentes tâches avec ses
collègues de l’Académie. La plus importante fut sans doute, en 1740, de
réaliser une analyse comparative d’échantillons de sels de mer produits dans le
Nicolas Lémery et ses fils à l’Académie royale des sciences 355

Languedoc avec ses collègues Claude-Joseph Geoffroy et Jean Hellot, travail


qui fut imprimé sous le titre Examen du sel de Pécais, pour le bénéfice futur de
chimistes qui feraient des recherches semblables pour l’Académie. Louis Lémery
fut présent pour la dernière fois le 22 décembre 1742. C’est la dernière date où
un membre de la famille Lémery fut présent à une séance de l’Académie, car
Jacques mourut en 1721. On peut lire dans le compte rendu de la séance du
13  juin 174313  :  « Mr Hellot passe aujourd’hui de la place de Pensionnaire
surnuméraire Chymiste à celle de Pensionnaire Chymiste ordinaire, vacante
par la mort de Mr Lemery décédé le 9 de ce mois. » Jean-Jacques Dortous de
Mairan, secrétaire perpétuel de l’Académie, lut l’Éloge de Louis Lémery lors
de séance publique du 13 novembre 1743. À la fin de cet Éloge, le secrétaire
nota14: « Il étoit doux & poli dans le commerce, capable d’amitié, généreux &
libéral. Tout ce qui souffroit avoit droit sur son cœur & sur ses biens, & il a
quelquefois donné aux pauvres des sommes exorbitantes pour un particulier
d’une fortune si modique. » Cependant, malgré ces formules de politesse et ces
compliments, Louis fut au centre de nombreuses polémiques et controverses
scientifiques, comme nous allons le voir. Il eut en particulier une dispute très
âpre avec Nicolas Andry et une plus modérée avec son collègue de l’Académie
Jacques-Bénigne Winslow.

– Le Traité des Aliments et la Dissertation sur la Nourriture des Os (1702-


1704)
Louis Lémery termina son Traité des Aliments en 1702, deux ans après avoir
rejoint l’Académie des sciences ; mais ce traité n’avait pas été fait pour l’Académie
ni lu dans cette enceinte15. Cette publication fut cependant annoncée dans Histoire de
l’Académie royale des sciences cette année-là avec ces quelques mots qui complètent
le titre de l’ouvrage16 : « Cette année M. Lemery le fils a donné au Public son Traité
des Alimens, où l’on trouve par ordre & séparément la différence & le choix qu’on
doit faire de chacun d’eux en particulier, les bons & les mauvais effets qu’ils peuvent
produire, les principes en quoi ils abondent, le tems, l’âge & le tempérament où ils
conviennent. Le desseign est si clair de lui-même, & toutes les circonstances en sont
si bien expliquées dans le titre, qu’il seroit inutile entrer dans une plus grande
discussion. Ce Livre manquoit dans la Médecine, depuis qu’elle a été éclairée d’une
nouvelle Physique, & rien ne peut être plus utile à ceux qui veulent prévenir les
maladies, ou qu’une santé délicate réduit à un grand choix d’Alimens, que de
connoître exactement ce qui doit être changé en leur propre substance. »
Louis avait un réel intérêt pour la nutrition et cet ouvrage17 peut être considéré
comme un traité de diététique. Les aliments décrits sont uniquement des produits
sains à usage alimentaire, mais ne sont pas mélangés avec des médicaments.
Un chapitre est consacré à chaque aliment et tous les chapitres sont divisés en
deux  : description de l’aliment (son type, sa sélection, ses effets positifs et
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nuisibles, les principes actifs qui y sont contenus en abondance, et le moment,


l’âge et le tempérament pour lesquels cet aliment est recommandé), suivie par
une série de remarques. On peut trouver quelques curiosités  : un chapitre est
consacré à la vipère parmi les aliments d’origine animale ; par ailleurs, l’opium,
la coca et le tabac font partie des boissons dans le chapitre sur le vin. Le traité de
Louis fut très vite populaire. Stimulé par son intérêt pour la nutrition, Louis décida
d’écrire et de publier en 1704 un essai, plus court que le Traité des Aliments, sur
un sujet plus précis, sous le titre de Dissertation sur la Nourriture des Os : ou
l’on Explique la Nature & l’Usage de la Moelle.
Pendant plusieurs siècles avant Lémery, la séparation entre aliments et
médicaments n’était pas totale. En réalité, tous les bons aliments étaient considérés
comme moyens de traitement d’affection, pour prévenir la maladie et préserver la
santé. L’auteur voulait indiquer aux lecteurs, médecins pour la plupart, les bénéfices
et les dangers de certains aliments pour les recommander ou les contre-indiquer à
leurs patients selon les cas. Tout ceci apparaît clairement dans la synthèse de
l’ouvrage de Louis publiée à l’époque par l’Académie. Encore aujourd’hui, on
parle d’interaction entre aliments et constitution physique ou groupes sanguins.
Louis avait déjà ce type d’idées, car il écrivit à plusieurs reprises sur la relation
entre tempérament des personnes et alimentation la plus adaptée.

– Fer (1706-1713)
Le premier sujet que Louis Lémery traite dans ses Mémoires concerne de nombreux
aspects de la chimie du fer : ses caractéristiques, sa présence dans la nature, là où on
ne l’a pas encore cherché, ses réactions chimiques, les prétendues productions
artificielles du fer, et comment il agit dans l’organisme en tant que médicament. Louis
était convaincu que le fer était un très bon remède contre plusieurs maladies. Il pensait
par conséquent nécessaire de clarifier autant que possible la nature du fer par des
expériences de chimie, qui auraient amené à des médicaments plus efficaces (bien que
Louis lui-même ne pensât pas créer de nouveaux médicaments).
Le premier et le second Mémoires furent présentés en 1706. Le premier était
intitulé Diverses Experiences et Observations Chymiques et Physiques Sur le Fer
& sur l’Aimant. Il fut lu au début de cette année-là et débute par ces mots18 : « Le Fer
est de toux les metaux le plus commun, & cependant celui qui merite d’avantage
l’attention des Physiciens & des Medecins. Les Physiciens trouvent dequoi se
occuper en considerant avec quelle facilité la matiere magnetique passe au travers
de ses pores, & les effets surprenans qu’elle produit sur ce metal; & les Medecins
ne peuvent assez l’étudier, puisqu’il est souvent un excellent specifique dans
plusiers maladies. […] Il est donc important de s’instruire le plus qu’il est possible
de la nature particuliere de ce metal, des differentes metamorphoses dont il est
susceptible, & de celles qui peuvent le rendre plus ou moins propre à produire de
bons effets dans nos corps. C’es dans cette vûë que j’ai fait un assez grand nombre
Nicolas Lémery et ses fils à l’Académie royale des sciences 357

d’expériences, dont je ne rapporterai presentement que quelques-unes, par


l’esquelles j’espere faire voir, 1º. Que le Fer se décompose assez facilement.
2º.  Quels sont les principes dont il est composé. 3º. Que le Fer n’est soûmis à
l’action de la matiere magnetique que par une partie de lui-même, qui étant separée
des autres n’en reçoit ensuite que mieux cette maitiere dans ses pores; et enfin
comment on peut conjecturer que le Fer se prepare, & s’altere dans les entrailles
de la terre pour devenir ensuite la matiere la plus propre à faire de bon Aimant. »
Ayant réalisé de nombreuses expériences sur le fer et l’acier, Louis conclut :
« De toutes les experiences que j’ai faites sur le fer, je croi pouvoir conclure qu’il
est composé d’une matiere terreuse, uni intimement à une matiere huileuse.
Comme il se décompose aisément par le secours des moindres acides, il ne paroît
pas vrai-semblable qu’un principe aussi propre à détruire ce metal, soit entré en
grande quantité dans sa composition. »
Plus tard, à la séance d’automne de la même année 1706, Louis Lémery présenta
son second Mémoire : Que les Plantes contiennent réellement du fer, & que ce métal
entre necessairement dans leur composition naturelle. Louis y fait référence à la
théorie de Étienne-François Geoffroy sur le fer, impliciment et plus tard explicitement.
Selon Geoffroy, le fer qui se trouvait présent dans les plantes selon certaines études
aurait été lié à la calcination des plantes, mais pas à la plante elle-même. Il n’avait pas
connaissance du fait que les organismes vivants pouvaient absorber des sels solubles
de fer. Louis, au contraire, était fortement opposé à cette théorie et écrivit qu’il y avait
du fer partout dans la nature, à commencer dans la terre où poussaient les plantes qui
absorbent sous forme dissoute le fer présent. Selon Lémery, la théorie de la création
artificielle du fer dans les plantes était inutile et impossible à démontrer. Louis annonça
qu’il lui serait facile de prouver par quelques expériences que le matériau trouvé dans
les cendres était bien du fer ou un aimant. Il présenta ensuite ses conclusions, à savoir
que le fer, malgré son poids naturel, pouvait se diviser en fines particules qui étaient
capables d’entrer dans les plantes par des petits tubes. Il cite, à partir du résumé publié
dans l’Histoire de l’Académie19 : « Ces grains tirés des Plantes, & sur lesquels l’Aiman
agit, se fondent au Miroir ardent précisément de la même manière, & avec les mêmes
circonstances que de la limaille de fer. Pourquoi donc ne seroient-ils pas de veritable
fer ? On doit présumer qu’ils en sont, si rien n’empêche de le croire, & c’est en suivant
ce raisonnement que M. Lemery le fils répond à toutes les difficultés qu’on pourroit
opposer. Quelques étroits que soient les tuyaux des Plantes, il prouve que le fer se peut
diviser en assés petites parties pour y passer aisément. Quelque pesant qu’il soit, il peut
s’y élever, étant dissous dans une liqueur. »
Au début de 1707, Louis Lémery présente son Mémoire sur le fer sous le titre
Experiences Nouvelles sur les Huiles, Et sur quelques autres matieres où l’on ne
s’étoit point encore avisé de chercher du fer. L’objet de ce mémoire était de
répondre aux objections de Geoffroy concernant le Mémoire de Louis déjà
publié. En résumé, Geoffroy insistait sur le fait qu’il n’y avait pas de fer, ou très
358 Revue d’Histoire de la pharmacie

peu, dans les plantes et que le fer trouvé par Louis venait des produits utilisés au
cours de son expérience par l’apport accidentel de fer dans ces processus. Louis
commence son Mémoire par un résumé de ce qu’il pensait avoir démontré dans
sa publication précédente. Il répond ensuite à une objection de Geoffroy à la
théorie de Louis Lémery. Geoffroy avait en effet déclaré qu’il avait créé du fer
artificiel à partir de plusieurs produits sans la présence de plantes, et que le fer
apparaissant par calcination des plantes avait été créé pendant le processus de
calcination. La réponse de Louis avait été que toutes les subtances utilisées par
Geoffroy pour son expérience étaient connues comme contenant déjà du fer.
Par conséquent Geoffroy n’avait pas créé du fer mais l’avait simplement extrait
des subtances mises en œuvre. «  Je réponds donc que les matieres dont
M.  Geoffroy se sert, & qu’il mêle ensemble pour la production de son fer
artificiel, sont toutes soupçonnées, & à juste titre, de contenir réellement du fer. »
Durant l’été 1707, Louis Lémery s’intéresse à une découverte qu’il avait faite
récemment sur le fer. Il publia un mémoire sous le titre Reflexions et Observations
Diverses Sur une vegetation Chimique du Fer, & sur quelques experiences faites à
cette occasion avec differentes liqueurs acides & alkalines, & avec differens métaux
substituez au Fer. Comme Louis l’explique lui-même, cette végétation chimique du
fer n’était pas une plante, bien qu’il parle d’arbre, mais un produit chimique créé pour
la première fois. Lisant les différentes façons de produire cet arbre, on peut
comprendre qu’il s’agit d’une cristallisation par évaporation d’une solution
concentrée de sel de fer, qui se développe dans un récipient, un verre conique. Après
une introduction dans laquelle Louis explique pourquoi les chimistes utilisent le
terme « arbre » pour des substances qui n’étaient pas des plantes, il décrit en détail
ce qu’il a fait pour obtenir plusieurs sortes d’arbre de Mars, et explique pourquoi
certaines expériences ont fourni de plus beaux arbres. Il explique également qu’il a
essayé d’autres métaux que le fer et d’autres solvants mais qu’aucun n’a donné ce
résultat à l’exception de l’argent avec le fameux arbre de Diane.
À la fin de 1708, Louis Lémery présenta un nouveau mémoire contre la théorie
de Geoffroy, sous le titre de Nouvel Eclaircissement sur la prétenduë production
artificielle du Fer, publiée par Becher, & soûtenuë par M. Geoffroy. Geoffroy avait
déclaré qu’en mélangeant l’argile à l’huile de lin, ou à l’huile de vitriol, ou à l’huile
de térébenthine, il avait obtenu beaucoup plus de fer que venant de l’argile seul, et
que par conséquent, ce fer a été créé en mélangeant l’argile et les autres substances.
Louis Lémery lui répondit qu’en plus du fer qu’on obtient facilement de l’argile,
qu’on pouvait en extraire plus grâce à l’action de ces huiles sur l’argile  ; selon
Louis, cette explication était beaucoup plus simple que la théorie de Geoffroy qui
était inutile et douteuse. Nous pensons que Louis avait raison, car nous savons que
produire des éléments à partir d’autres n’a pas été possible avant le XXe siècle.
Au  début de 1713, Louis Lémery présenta son dernier Mémoire sur le fer.
Ce dernier ne poursuit pas la discussion avec Geoffroy et se focalise sur l’usage
Nicolas Lémery et ses fils à l’Académie royale des sciences 359

médical du fer. Il s’intitule Examen De la maniére dont le Fer opere sur les
liqueurs de notre Corps, & dont il doit étre préparé pour servir utilement dans la
Pratique de la Médecine. L’objectif de l’auteur est surtout de démontrer les bons
et mauvais procédés de préparation des médicaments, qui peuvent permettre ou
empêcher au fer d’avoir ses propriétés thérapeutiques. À plusieurs reprises au cours
de ce mémoire, Louis considère que les eaux minérales ferrugineuses sont
d’excellents remèdes. Dans son mémoire, Louis indique que le fer est un excellent
remède pour plusieurs maladies, et en particulier pour les problèmes circulatoires.
Selon lui, le fer est un mélange d’une substance huileuse et d’un métal, et il est
facile à dissoudre. Cependant, il considérait que de nombreux remèdes à base de
fer étaient préparés de façon inadaptée par calcination, car cette opération détruit
la partie huileuse et ne laisse qu’un résidue insoluble inutile. À l’inverse, la limaille
de fer très fine est très intéressante car toutes les composantes du métal sont encore
présentes. Pour Louis Lémery, le fer est utile pour l’organisme de deux façons :
il donne de l’huile au sang et retire les sels de ce dernier.

– Vitriols naturels (1707-1736)


Aujourd’hui, le terme vitriol désigne l’acide sulfurique, qui n’existe pas dans
la nature, mais aux XVIIe et XVIIIe  siècles, le vitriol désignait les sulfates
naturels de divers métaux. Louis Lémery s’intéressa à ces vitriols naturels en
écrivant quatre Mémoires que nous allons présenter. Ces vitriols étaient appelés
d’après leur couleur qui était associée à la présence de tel ou tel métal. Louis met
en garde à plusieurs reprises contre l’usage interne de vitriols contenant du
cuivre. Louis Lémery s’intéressa aux vitriols naturels pendant longtemps et
réalisa un grand nombre d’expériences pour découvrir leur nature précise.
Certains vitriols avaient une utilisation pratique pour la fabrication d’encre de
bonne qualité. Les résultats de Louis furent présentés aux membres de l’Académie
royale des sciences, puis publiés en tant que Mémoires complets sous les titres
suivants : Eclaircissement Sur la composition des differentes especes de Vitriols
naturels, & explication Physique & sensible de la maniere dont se forment les
Ancres vitrioliques (1707), Nouvel Éclaircissement sur l’Alun, sur les Vitriols,
Et particuliérement sur la Composition naturelle, & jusqu’à présent ignorée, du
Vitriol Blanc Ordinaire, Premier Mémoire (1735), Second Mémoire sur les
Vitriols, Et particuliérement sur le Vitriol blanc ordinaire (1736), Supplément
aux Deux Mémoires Que j’ai donnés en 1735, sur l’Alun et sur les Vitriols (1736).
Une des premières choses mentionnées par Louis fut la façon dont il réussit
à obtenir une très bonne encre noire en mélangeant vitriol et teinture de noix
de galle. Il indiqua que seules quatre des cinq types de vitriols étaient capables
de produire cette encre de qualité. Le vitriol appelé de Cypre ou de Hongrie
n’avait pas produit d’encre ; et la raison est que ce vitriol contient du cuivre et
non du fer.  
360 Revue d’Histoire de la pharmacie

Louis, qui n’oublia jamais qu’il était médecin, mentionna également l’usage
médical du vitriol, mais insista sur le fait que seul le vitriol à base de fer pouvait servir
à cet usage, car celui à base de cuivre pouvait être très dangereux. Son commentaire
(dans le résumé paru dans Histoire de l’Académie) est le suivant20 : « Le Vitriol pris
interieurement est d’un grand usage dans la Medecine, mais c’est celui dont la base
est le fer, car si le Cuivre y dominoit, il pourroit être tres dangereux. La noirceur
qu’une solution de Vitriol prendra par la Noix de Galle, & les differens degrés de cette
noirceur, feront reconnoître, s’il contient di fer, & s’il y a quelque mêlange de cuivre. »
Dans le second et le troisième Mémoires (1735-1736), Louis est spécialement
intéressé par l’analyse chimique de plusieurs vitriols naturels et plus encore par
celle du simple vitriol blanc et celle de deux vitriols appelés respectivement
Vitriol d’Angleterre et Vitriol d’Allemagne, afin de voir les différences entre eux.
Il expliqua que ces différences provenaient du fait que tous les vitriols contiennent
un alun mais en proportion variable, ce qui détermine leur couleur. Parmi les trois
vitriols, le vitriol blanc contient plus d’alun que celui d’Allemagne, qui lui-même
en contient plus que le vitriol d’Angleterre. Dans le plus tardif de ces Mémoires
(intitulé Second Mémoire sur les Vitriols, car Louis n’avais pas pris en compte
son premier Mémoire de 1707), on peut constater que l’auteur revient deux fois
sur sa recommandation de ne pas utiliser les vitriols à base de cuivre « dont on
doit toûjours redouter l’usage intérieur » et « où le Cuivre sur-tout est toûjours
suspect & à redouter ». Le principal objectif de son quatrième et dernier Mémoire
sur les vitriols et l’alun (1736) avait pour objet de répondre aux objections faites
à ses théories, mais ne présente que peu de nouvelles idées ou expériences.

– La matière du feu ou de la lumière (1709)


À la fin de 1709, Louis Lémery présenta un long Mémoire ayant pour but de
montrer la nature du feu et de la lumière. Il lui donna pour titre Conjectures et
Reflections sur la matiere du Feu ou de la Lumiere, et il paraît significatif que
l’auteur n’essaie pas dans ce titre d’annoncer des expériences ou des résultats.
L’auteur était plutôt perplexe sur le sujet proposé ; il préféra donc présenter des
hypothèses sur la base d’observations en vue de les confirmer.
Un lecteur moderne aurait sans doute du mal à suivre le cheminement de Louis.
Il ne connaissait pas, semble-t-il, certains concepts comme l’énergie calorifique
(ce qu’on appelle aujourd’hui l’agitation thermique), la température, la pression,
les radiations lumineuses, etc., qui sont aujourd’hui indispensables. Il  faut
reconnaître qu’il avait compris que pratiquement tous les phénomènes lumineux
produisent de la chaleur ; mais il pensait que ceci n’était faisable que par le transfert
de matière très ténue (la matière du feu). Comme nous l’avons déjà dit, Nicolas
Lémery avait eu du mal à unifier les tempêtes, les ouragans, les tremblements de
terre et les phénomènes volcaniques autour d’un unique événement chimique.
Si bien que sa théorie fut abandonnée. De la même façon, son fils eut du mal et ne
Nicolas Lémery et ses fils à l’Académie royale des sciences 361

réussit pas à expliquer la nature du feu et de la lumière à partir de ses connaissances


de chimie. Louis commença son Mémoire par une introduction insistant sur
l’importance du sujet. Selon lui, la matière du feu est ce qu’il y a de plus puissant
dans tous les phénomènes terrestres, car rien d’autre ne pénètre aussi profondément
et ne dissout aussi bien les autres substances essentielles. C’est donc la
responsabilité des chimistes de découvrir son secret, c’est-à-dire de décrire les
principes du feu et de la lumière, et leurs comportements et effets qui peuvent
paraitre surprenant. Il écrivit à propos de la matière du feu21 : 

« On ne peut disconvenir qu’elle ne soit le principe veritable de la chaleur, de la


lumiere, & même de la fluidité ou de la fusion de plusieurs corps terrestres, qui sans
le mélange & l’action de cette matiere, conserveroient toûjours une forme solide.
Mais elle n’est pas toûjours assez abondante, ou elle ne trouve pas toûjours des
corps qui lui résistent assez peu pour le mettre si facilement en fusion; on remarque
même souvent qu’a lieu de les fondre, ou de les entretenir dans la fluidité qu’elle
leur avoit d’abord communiquée, elle s’y engage & s’y envelope de maniere
qu’elle y demeure emprisonnée, & qu’elle n’en sort que quand une cause étrangere
vient à son secours, & ouvre exterieurement les cellules qui la retenoient. »

À ce stade, Louis admet que tout le monde n’est pas d’accord avec son avis
concernant la matière du feu, car c’est en opposition avec des opinions répandues
sur la nature du feu. Louis continue ensuite en formulant des objections possibles
à sa théorie et les réfutant alors longuement une à une. Ce processus dialectique,
trop complexe à résumer, continue sur 15 pages jusqu’à la fin du Mémoire.
Un  sujet important discuté en détail dans ce dernier est de savoir comment la
matière de feu émise par le soleil atteint la terre.

– Précipitations chimiques (1711-1727)


À partir de 1711, Louis Lémery s’était intéressé à une série d’opérations chimiques
qu’il appela précipitations chimiques. À partir de cette année-là, il présenta et publia
une série de mémoires sur le sujet. Le premier d’entre eux est intitulé Memoire sur les
Précipitations Chimiques, Où l’on examine par occasion la dissolution de l’Or & de
l’Argent, la nature particuliére des esprits acides, & la maniere dont l’esprit de Nitre
agit sur celuy de Sel dans la formation de l’Eau régale ordinaire. Il commence par
donner ses définitions chimiques de base22 : « Le mot Précipitation est employé parmi
les Chimistes pour exprimer la chûte d’un corps qui avoit été suspendu & dissout dans
un liquide, dont il a été ensuite desuni. Les précipitez différent suivant la nature des
matieres qu’on fait précipiter, suivant celles des liqueurs qui ont servi à leur dissolution,
& enfin suivant le procedé dont on se sert pour operer la précipitation. »
Puis, Louis explique que certains appellent aussi précipités certaines substances
qui ne sont pas produites selon ses définitions et qu’il faut dès lors considérer
362 Revue d’Histoire de la pharmacie

comme des faux précipités. La dernière partie de son Mémoire s’intéresse à


d’autres sujets mentionnés dans le titre, à savoir la dissolution de l’or et de
l’argent, la nature des acides comme solvants, et comment l’eau régale ordinaire
est produite. L’année suivante (1712), Louis Lémery présenta un second
Mémoire plus précis sur Conjectures sur les Couleurs Différentes des Précipités
de Mercure. Louis avait en effet observé que quand le mercure a été entièrement
dissous dans l’esprit de nitre et est devenu invisible, l’addition d’un alcali amène
le liquide à devenir blanc ou coloré selon les agents de précipitation utilisés.
Selon Louis, quand la précipitation était induite par des alcali volatiles, on voyait
apparaître des couleurs blanche ou grise ; les alcalis fixes produisaient quant à
eux des couleurs jaune à rouge en fonction de leur force. Louis donnait enfin
quelques détails chimiques pour expliquer ces résultats.
En 1714 Louis présenta un Second Mémoire Sur les Couleurs differentes des
Précipités du Mercure, ajoutant de nouvelles observations et considérations
associées sur le même thème, qui confirmaient ses premiers résultats et conclusions.
En 1716, Louis Lémery étendit ses recherches sur la précipitation des sels
dissous dans l’eau et présenta un nouveau Mémoire intitulé Explication Mecanique
De quelques differences assés curieuses qui resultent de la dissolution de differents
Sels dans l’Eau commune. Ce Mémoire comprend deux parties qui traitent de deux
phénomènes différents qui peuvent être expliqués mécaniquement. Louis explique
ainsi tout d’abord que certains sels demandent plus de temps que d’autres pour se
dissoudre. Ceci est lié au fait qu’ils sont plus ou moins solides. D’un autre côté, il
n’est pas clair de comprendre pourquoi l’eau peut contenir plus de certains sels que
d’autres. La raison a besoin d’être connue, et Louis a fait l’expérience avec deux
sels différents : le sel de tartre et le salpêtre, pour trouver la réponse, car il était
connu que le premier se dissolvait plus facilement que le second. Louis pense avoir
trouvé l’explication  : la forme des particules du sel de tartre est telle qu’elle ne
permet pas aux particules de rester associées les unes aux autres, et par conséquent,
elles sont facilement dissoutes ; ceci ne se produit pas avec le salpêtre où l’aspect
des particules est tel qu’il n’y a pas de larges espaces entre elles.
Un second point étudié par Louis dans le même document est de savoir ce qui se
passe quand certains sels sont mis successivement dans un liquide et sont entièrement
dissous. Si l’eau est alors évaporée lentement par la chaleur, les sels deviennent
solides et précipitent. Pour voir ce qui arrivait réellement, Louis choisit deux sels
qu’on peut facilement distinguer sur le plan de l’aspect cristallin et du goût, c’est-à-
dire le salpêtre et le sel commun, qu’il a dissout complètement dans l’eau l’un après
l’autre. Il évapore ensuite l’eau par la chaleur et voit les sels précipiter l’un après
l’autre ; ils sont facilement distinguables l’un de l’autre. Sa conclusion sur le fait est
que la forme des cristaux est telle qu’elle ne permet pas une précipitation des deux
sels en même temps. Le moins soluble précipite en premier et les autres précipités
forment une couche sur le premier. Après 1716, Louis pensa qu’il devait examiner de
Nicolas Lémery et ses fils à l’Académie royale des sciences 363

plus près la dissolution de différents sels dans l’eau et présenta trois nouveaux
mémoires sur ce sujet entre 1724 et 1727. Leurs titres sont Observation Nouvelle et
Singuliére Sur la Dissolution successive de plusieurs Sels dans l’Eau commune
(fin 1724), Second Memoire, ou Reflexions Nouvelles sur une Précipitation Singuliere
de Plusieurs Sels par un Autre Sel (printemps 1727) et Troisiéme Memoire ou
Réflexions Nouvelles Sur une Précipitation singuliére de plusieurs Sels par un autre
Sel (printemps 1727 également).
Tous ces mémoires reprennent le sujet de 1716 et ajoutent des observations,
expériences, remarques et conclusions avec force détails. Tout ceci ne contredit
pas les travaux précédents de Louis, et malheureusement nous n’avons pas ici la
place de résumer tous ces résultats de Louis.

– Nitre (1717)
En 1717, un débat eut lieu à l’Académie à propos de la nature du nitre. Selon les
dictionnaires modernes, le nitre est synonyme de salpêtre brut, c’est-à-dire
principalement du nitrate de potassium avec un peu de nitrate de sodium. Une des
questions que Louis Lémery et ses collègues cherchaient à résoudre était l’origine
du nitre présent en abondance sur terre, mais pas dans les mines. Le résultat de ses
études, au début de l’été 1717, fut présenté par Louis sous la forme de deux
mémoires, Premier Memoire sur le Nitre et Second Memoire sur le Nitre. Nous
avons ici repris quelques remarques qui apparaissent dans le résumé imprimé dans
l’Histoire de l’Académie. Les mines de salpêtre ou nitre n’existent pas, alors qu’il
en existe pour le sel gemme, l’alun, le vitriol et le soufre. On avait noté qu’après
l’avoir collecté, le nitre réapparaissait dans le même sol si on l’exposait pendant un
certain temps à un air froid et humide, comme cela peut se produire dans une cave.
On en avait conclu que la source de nitre était l’air chargé de petites particules
nitriques. Louis rejeta cette hypothèse en déclarant que ni l’air ni la terre n’étaient
la source de nitre, ce qui peut paraître paradoxal. Louis explique donc sa théorie :
il existe des plantes dont on extrait facilement du bon salpêtre. Les plantes
contiennent beaucoup de sel fixe et peu de sel volatil. Le principe du nitre, en
s’unissant au sel fixe, forme du salpêtre. Nous avons donc une source de salpêtre
naturel d’origine végétale. Le nitre a également une origine animale.
Contrairement aux plantes, les animaux ont très peu de sel fixe et beaucoup de
sel volatil. Quand le principe du nitre s’associe aux sels volatils, il se transforme
en sel ammoniacal nitreux, qui est extrait de la terre quand les animaux déposent
leurs excréments ou là où leurs carcasses se putréfient. Louis considère que tout
le salpêtre artificiel provient de cette source.

– Volatilisation des sels fixes (1717)


Peu après avoir présenté les deux Mémoires sur le nitre, à l’été 1717, Louis
Lémery publie un nouveau Mémoire : Sur la Volatilisation vraie ou apparente
364 Revue d’Histoire de la pharmacie

des Sels fixes. C’est une synthèse générale de ce que les auteurs, dont Louis lui-
même, ont publié à propos de la possibilité pour les sels fixes de devenir volatils
par un processus chimique. Dans certains cas, le sel volatil résultant n’avait
jamais été vu et c’était donc une découverte.
Dans son Mémoire, Louis décrit une expérimentation longue et complexe,
avec des résultats surprenants, déjà obtenus auparavant et reconfirmés plus
récemment, à base d’huile de tartre, le fer dissous et le sublimé corrosif. Pendant
cette étude, Louis fut étonné de l’odeur très acre d’un sel volatil d’ammoniac très
fort. Ceci le confirma dans l’idée qu’il avait créé un nouveau sel alcalin volatil.
À la fin de son Mémoire, Louis indique qu’il doit compléter son expérience et
qu’il le fera dans un avenir proche. Mais nous n’avons trouvé aucune trace d’un
mémoire ultérieur sur ce sujet à l’Académie.

– Analyses chimiques des plantes et des animaux (1719-1721)


En 1719, l’Académie royale des sciences avait créé un ensemble de plus
de 1 400 analyses documentées sur des plantes, obtenues les années précédentes
afin de définir leurs compositions. Ces analyses étaient conservées pour les
membres intéressés par ce domaine. Cependant, on en vint à se poser des questions
quant à la validité et l’utilité de ces analyses, réalisées selon les méthodes
traditionnelles utilisées pour les minéraux. De la même façon, on se posait des
questions sur la validité des analyses réalisées sur des échantillons d’origine
animale. Louis Lémery décida d’appliquer ses connaissances de chimie
expérimentale pour explorer cette question et les doutes avancés en préparant et
présentant quatre longs Mémoires sur une période de trois ans. Il examine en détail
une longue série d’analyses et montre que la méthode classique d’analyse était
totalement inadaptée aux matières organiques, car il n’est pas possible ensuite de
reconstituer les substances d’origine et de montrer ce qui était différent. Louis
propose également de nombreuses méthodes alternatives différentes qui évitent ce
problème rencontré avec les méthodes traditionnelles. Les Mémoires de Louis ont
pour titre Reflexions Physiques Sur le défaut & le peu d’utilité des Analises
ordinaires des Plantes & des Animaux (1719), Second Memoire sur les Analises
Ordinaires de Chimie, Dans lequel on continuë d’examiner ce qui se passe dans
ces Analises, l’alteration qu’elles apportent aux substances des Mixtes, & les
erreurs où elles peuvent jetter, quand on ne sçait pas en faire usage (1720),
Troisiéme Mémoire sur les Analises de Chimie, Et particulierement sur celles des
Vegetaux, Où l’on examine ce qui s’éleve de leur partie saline par la distillation
(1720) et Quatrieme Memoire sur les Analises Ordinaires des Plantes et des
Animaux, Où l’on continüe d’examiner ce que deviennent & l’alteration que
reçoivent les acides de ces Mixtes pendant & aprés la distillation (1721).
Les titres parlent d’eux-mêmes des points qui posaient question et devaient être
abordés. Nous allons voir comment Louis clarifie la question au début de son
Nicolas Lémery et ses fils à l’Académie royale des sciences 365

premier Mémoire à l’aide d’une analogie23 : « Je suppose deux Edifices, qui ayent
à peu-prés la même forme exterieure, quoi-que construits avec des materiaux
differents & differemment arrangés les uns par rapport aux autres. Si pour découvrir
cette difference de materiaux, & leur arrangement different dans l’un & dans
l’autre Edifice, on s’avisoit de détruire chacun de ces Edifices, & d’en faire […]
une espece de décomposition ou d’Analise par le secours d’un agent actif &
violent, […] ne seroit propre […] par la force & la vivacité naturelle de son
mouvement qu’à les réduire […] en poussiere; dans cette espece de chaos […]
seroit-il bien possible de distinguer & de reconnoître la nature & la difference des
materiaux qui seroient entrés dans la composition de chaque Edifice ? Ne pouroit-
il pas même arriver que la poussiere resultante de la démolition d’un Edifice
paroîtroit semblable à celle de l’autre Edifice ? D’où l’on ne manqueroit pas de
conclure que les deux Edifices auroient été bâtis avec les mêmes materiaux, quoi-
qu’ils l’eussent réellement été avec des materiaux differents. »

– Poudre des Chartreux ou Kermès Minéral (1721)


À l’automne 1721, Louis Lémery lut devant l’Académie un long Mémoire sur
un médicament à base d’antimoine qu’on appelait la Poudre des Chartreux ou le
Kermès Minéral, qui était à la mode depuis six ou sept ans. Le jeune roi Louis XV
avait été convaincu par son premier médecin Dodart que ses propriétés justifiaient
une large diffusion de ce produit sous le patronage de la monarchie. Le roi décida
donc d’en acheter les droits au chirurgien M. de la Ligerie et demanda à ce
dernier de publier sa méthode de préparation dans un document également
approuvé par le Dr Dodart. Le titre de ce document était Alkermes ou Aurifique
Minéral, à la Manière de Glauber.
Louis a commencé à écrire son mémoire en 1720, juste après avoir connu du
document de La Ligerie, et il le présenta en novembre 1721. Ce document reste encore
aujourd’hui le point le plus complet sur l’histoire initiale de ce remède. Louis y
indiquait que l’objectif principal du Mémoire, dont le titre était Observation Historique
et Medicinale Sur une Préparation d’Antimoine, appellée communément Poudre des
Chartreux, ou Kermes Mineral, était de montrer que son père Nicolas était le réel
inventeur de la meilleure Poudre des Chartreux. Il fit également remarquer que
Nicolas avait été le premier à recommander ce médicament pour traiter spécifiquement
les maladies pulmonaires, la gale et la lèpre, et à ne pas la considérer comme une
panacée. Le Mémoire de Louis est long et n’est pas divisé en chapitres. Mais il est
cependant possible de voir les principaux points abordés, c’est-à-dire comment la
paternité d’une invention n’est pas toujours reconnue à l’inventeur ; le premier succès
de la Poudre et l’origine de son nom ; pourquoi et comment le vrai remède a été rendu
public ; la préparation de Nicolas Lémery ; l’évaluation de Glauber par Louis Lémery ;
où M. de la Ligerie avait trouvé sa formule ; comment Nicolas Lémery découvrit la
future Poudre des Chartreux ; et finalement les conclusions de Louis.
366 Revue d’Histoire de la pharmacie

Comme nous l’avons mentionné, ce Mémoire est très important pour ceux qui
s’intéressent à l’origine de la Poudre des Chartreux, mais nous n’avons malheu-
reusement pas la place ici pour le décrire en détail. Ceux qui peuvent lire l’an-
glais peuvent en trouver une présentation exhaustive dans le journal anglais
Pharmaceutical Historian en 200924.
– L’origine des monstres et la controverse avec Winslow (1724-1741)
Dès 1724, Louis Lémery montra son intérêt pour ce qu’on appelait des
monstres en présentant un Mémoire intitulé Sur un Fœtus Monstrueux.
Un monstre était un fœtus avec des anomalies anatomiques, allant de problèmes
mineurs n’affectant pas la santé des enfants qui survivaient, jusqu’à des
anomalies susceptibles d’engager le pronostic vital. Habituellement, les
chercheurs s’intéressaient aux fœtus humains mais la notion de monstres
s’appliquait aussi aux animaux et aux plantes.
En 1738, c’est-à-dire quatorze ans plus tard, Louis s’intéressa à nouveau aux
monstres comme l’indique la publication de deux Mémoires ayant pour titre
Sur  les Monstres; Premier Mémoire, Dans lequel on examine quelle est la cause
immédiate des Monstres et Second Mémoire sur les Monstres, où il essaya
d’expliquer l’origine de ces monstres. À l’époque, les anatomistes savaient que
les animaux, y compris l’homme, provenaient d’œufs produits par les femelles et
fécondés par le sperme mâle. Mais il ne savait pas pourquoi les fœtus qui en
résultaient pouvaient présenter des malformations. Il en résulta un débat sur les
origines possibles de telles anomalies. Deux théories dominaient  : ou bien on
considérait que ces anomalies étaient purement accidentelles, ou bien que les
œufs étaient anormaux dès l’origine et par nature. Louis Lémery était un ardent
défenseur de la première hypothèse, et son collègue Jacques-Benigne Winslow,
un anatomiste suédois actif à Paris et à l’Académie, était le plus ardent défenseur
de la deuxième thèse. Louis présenta six nouveaux Mémoires sur le sujet
en  174125, ces cinq premiers ayant pour titres Troisiéme Mémoire sur les
Monstres a Deux Testes, Dans lequel […] j’examine de plus près que je ne l’ai
fait jusqu’ici, la formation de ces Monstres par les causes accidentelles, Seconde
Partie du Troisiéme Mémoire sur les Monstres a Deux Testes, Dans laquelle on
examine les parties de la Poitrine & de la Région Épigastrique du Monstre dont
il s’agit particuliérement dans ce Mémoire, Derniére Partie du Troisiéme
Mémoire sur les Monstres a Deux Testes, Dans laquelle on examine les parties
ombilicales & hypogastriques du Monstre […], Quatriéme Mémoire sur les
Monstres, et Seconde Partie du Quatriéme Mémoire sur les Monstres. À la même
époque, Winslow, qui avait continué à écrire sur ce sujet, présenta un important
nouveau Mémoire intitulé Observations Anatomiques Sur un Enfant né sans
Tête, sans Col, sans Poitrine, sans Cœur, sans Poulmons, sans Estomac, sans
Foye, sans Ratte, sans Pancreas, sans une partie des premiers Intestins, &c.
Nicolas Lémery et ses fils à l’Académie royale des sciences 367

Louis répondit immédiatement en critiquant les arguments avancés par Winslow,


dans son dernier Mémoire sur les monstres intitulé Remarques sur un Nouveau
Monstre, Dont M. Winslow a donné depuis peu la description à l’Académie.
Peu après, Bernard Le Bovier de Fontenelle, qui avait été secrétaire perpétuel
de l’Académie de 1699 à 1740 et qui resta membre de l’Académie jusqu’en 1757,
date de sa mort centenaire, décida d’écrire un résumé de cette controverse,
résumé qui fut inclus dans l’introduction du même volume de l’Histoire de
l’Académie où les Mémoires cités avaient été imprimés. Le résumé de Fontenelle
était intitulé tout simplement : Sur les Monstres26 : « Avant que l’on eût découvert
que toutes les générations se font par des Œufs, les Phisiciens […] ne les ont
traités que comme des erreurs & des méprises de la Nature […]. Dans la suite, le
Sisteme des Œufs étant connu, on a vû que la formation générale des Monstres
doubles pouvoit s’expliquer par deux Œufs que quelqu’accident auroit unis ou
confondus dans la Matrice d’une Fémelle […]. Mais il arrive souvent que cette
formation ne soit pas si sensible. […] De grands anatomistes, […] ne croyant pas
y pouvoir appliquer tous les faits qu’ils avoient sous les yeux, ont supposé des
Œufs originairement monstreux, dont le développement aussi régulier que celui
de tous les autres, donneroit ce que nous appellons des Monstres. »
Winslow répondit aux critiques de Louis. Il le fit à la fin d’un nouveau Mémoire
publié en 1742 en même temps qu’il commentait d’autres publications sur les
monstres. Le titre de son Mémoire est Remarques sur Deux Dissertations touchant
les Monstres […] Et Éclaircissements sur le Mémoire […] à l’occasion du Monstre
de Cambray. Ce fut le dernier acte de la controverse sur les monstres entre Winslow
et Louis Lémery, controverse qui ne fut jamais résolue et qui s’arrêta lorsque Louis
ne vint plus aux séances de l’Académie pour raisons de santé en 1742.

– Borax (1728-1729)
En 1728, Louis Lémery sentit que parmi les sels minéraux, le borax était l’un
des produits insuffisamment connus en raison de la difficulté des chimistes pour
l’analyser. Louis réalisa par conséquent un grand nombre d’expériences et, en
1728-1729, décrivit ses méthodes et ses résultats dans deux longs Mémoires
intitulés Experiences et Reflexions sur le Borax ; D’où l’on pourra tirer quelques
lumieres sur la nature & les propriétés de ce sel, & sur la maniere dont il agit,
non soulement sur nos liqueurs, mais encore sur les métaux dans la fusion
desquels on l’employe ; Premier Mémoire, et Second Mémoire sur le Borax.
On peut donner un résumé des conclusions qualitatives de Louis à partir de ses
Mémoires. Dans son premier Mémoire, et au début du second, il indique que le
borax absorbe les acides minéraux et végétaux et forme avec eux des sels ; qu’il
s’agit de vrais sels alcalins naturels, qui existent sans être synthétisés,
contrairement aux sels alcalins ordinaires obtenus chimiquement ; que l’action
du borax sur les acides est différente de celle des sels alcalins ordinaires sur les
368 Revue d’Histoire de la pharmacie

mêmes acides, et que le borax n’est pas naturellement volatil et résiste à un feu
intense qui serait suffisant pour évaporer les sels les moins volatils ; et que le
borax contient une substance grasse que l’on ne trouve pas uniquement dans les
sels impurs extraits de la terre, mais aussi dans les sels purs obtenus par procédé
chimique. La partie finale du second Mémoire contient de nombreux autres
détails résultant des observations de Louis au cours de ses expériences, avec
également de nombreuses considérations qui pouvaient les expliquer.

– Sublimé corrosif (1734)


Dans la première partie de notre étude, nous avons décrit un Mémoire sur le
sublimé corrosif (qui est du chlorure mercuriel) écrit par Nicolas Lémery en 1709
pour l’Académie. Vingt-quatre ans plus tard, en 1734, Louis se décida à préparer et
à présenter son propre Mémoire sur le même sujet, sans faire référence au Mémoire
précédent de son père et remontant plus loin à un travail publié dans l’Histoire de
l’Académie en 1699. Le titre de ce Mémoire de Louis est Sur le Sublimé Corrosif;
Et à Cette Occasion, Sur un article de l’Histoire de l’Académie royale des sciences
de l’année 1699. En réalité, dans ce numéro de l’Histoire, on peut trouver un article
du secrétaire intitulé Sur la maniere de reconnoistre le Sublimé Corrosif sophistiqué.
Il fait référence à la revue d’un livre de 1698 publié par Johann Conrad Barchusen
qui était d’origine allemande et devint un auteur à succès et professeur d’université
en Hollande. Son livre était intitulé Pyrosophia. La préoccupation de Louis Lémery
qui l’amena à rédiger son Mémoire était le fait, dénoncé par Barchusen, que le
sublimé corrosif avait été modifié frauduleusement, alors qu’il aurait été simple
d’identifier cette fraude par une simple analyse chimique. La principale préoccupation
de Louis était que ce produit frauduleux pouvait être dangereux lors d’utilisations
médicales, car il contenait de l’arsenic qui est un poison violent. Le sublimé corrosif,
s’il est correctement adouci, refréné et transformé en remède interne appelé mercure
doux ou panacée mercurielle, est le seul produit qui peut soigner les chairs baveuses,
les vieux ulcères et les escarres provoqués par les maladies vénériennes. Bien que
l’analyse de Barchusen, selon Louis Lémery, puisse ne pas être totalement exacte,
elle était globalement vraie en mettant en exergue l’existence de fraudes dangereuses.
Dans le reste de son Mémoire, Louis donne sa propre méthode pour détecter les
fraudes et un nouveau procédé simple pour produire du sublimé corrosif de base et
pas cher, rendant ainsi inutile les fraudes et importations coûteuses.

– Le trou ovale (1739)


En 1739, Louis Lémery pensa nécessaire de publier ce qui était connu et ce qui
était encore mal connu à propos du trou ovale, qui est aujourd’hui connu (en latin)
comme étant le foramen ovale. Il présenta donc deux Mémoires intitulés Sur le
Trou Ovale. Premier Mémoire Dans lequel on examine les differents Systemes
imaginés pour expliquer la Circulation du Sang dans le Fœtus, et Sur le Trou
Nicolas Lémery et ses fils à l’Académie royale des sciences 369

Ovale. Second Mémoire Dans lequel on fait voir qu’on ignore le premier & le
principal usage du Trou ovale, & de quelques autres parties qui ne se trouvent, ou
qui n’ont de function indispensablement nécessaire que dans le Fœtus; Que si ce
premier usage du Trou ovale n’eût pas tant tardé à se faire connoître, il eût prévenu
& empêché toutes les contestations qui se sont élevées à la fin du dernier Siécle, &
dans celui-ci entre de célébres Anatomistes de cette Académie & de l’Europe, sur
la Circulation du Sang dans le Fœtus  : Qu’enfin il y a lieu de croire que la
découverte de ce premier usage, dont on va faire part à l’Académie, terminera
toutes ces contestations, & décidera la question qui y a donné lieu.
Le long titre du second Mémoire explique bien pourquoi Louis était convaincu
du fait que l’Académie devait divulguer les informations connues sur ce sujet.
Aujourd’hui, nous savons que le trou ovale est une ouverture du septum entre
l’oreillette droite et l’oreillette gauche du cœur fœtal, présente chez le fœtus, mais
normalement fermée peu après la naissance. La fonction de cette ouverture est de
permettre un passage du sang qui, autrement, irait aux poumons du fœtus. La plus
grande partie du sang de l’oreillette droite du fœtus va dans l’oreillette gauche à
travers le foramen ovale. Après la naissance, l’ouverture se ferme quand le
nouveau-né respire pour la première fois et que la circulation pulmonaire se met en
route. La compréhension qu’en avait Louis Lémery était la même que ce que nous
connaissons aujourd’hui.

[À suivre : les activités de Jacques Lémery à l’Académie royale des sciences.]

Notes et références

1. Transcrits dans les Procès-Verbaux, puis publiés dans L’Histoire de l’Académie royale des
sciences. Les éloges des académiciens morts récemment, en accord avec l’idée du président
Bignon, étaient lus par le président au cours de la première des deux séances publiques après leur
mort (c’est-à-dire immédiatement après Pâques ou le jour de la Saint Martin).
2. Procès-Verbaux - Académie royale des sciences, tome XIX, 1700, f 101r.
3. Note 2, f 340r.
4. Procès-Verbaux - Académie royale des sciences, tome XX, 1701, ff 61v-69v.
5. Procès-Verbaux - Académie royale des sciences, tome XXI, 1702, f 295r.
6. Procès-Verbaux - Académie royale des sciences, tome XXXI, 1712, ff 301rv.
7. M. Lémery le Cadet était bien sûr Jacques, le deuxième fils de Nicolas. À propos de
Jacques, nous verrons que la proposition de Nicolas fut ensuite recommandée par ses collègues au
roi, et que Jacques devint ainsi également membre de l’Académie.
8. Procès-Verbaux - Académie royale des sciences, tome XXXIV, 1715, f 51r.
9. Note 8, f 63r.
10. Procès-Verbaux - Académie royale des sciences, tome XXXVI, 1717, ff 139rv.
11. Histoire de l’Académie royale des sciences - Année M.DCCXLIII, Paris, Imprimerie
Royale, 1746.
370 Revue d’Histoire de la pharmacie

12. Marie-Anne devint cependant reine plus tard, en se mariant au roi Joseph I de Portugal.
Ils eurent trois enfants.
13. Procès-Verbaux - Académie royale des sciences, tome LXII, 1743, p. 259.
14. Note 11.
15. Contrairement, par exemple, au Traité de l’Antimoine de son père Nicolas.
16. Histoire de l’Académie royale des sciences - Année MDCCII, Paris, Gabriel Martin, Jean-
Baptiste Coignard, & les Frères Guérin, 1743.
17. De laquelle nous disposons de l’édition suivante  : L. Lémery, Traité des Aliments,
2e édition, Paris, Pierre Witte, 1705.
18. Histoire de l’Académie royale des sciences - Année MDCCVI, Paris, Jean Boudot, 1707.
19. Note 18.
20. Histoire de l’Académie royale des sciences - Année MDCCVII, Paris, Gabriel Martin, Jean-
Baptiste Coignard fils, H. Louis Guérin, 1730.
21. Histoire de l’Académie royale des sciences - Année MDCCIX, Paris, Jean Boudot, 1711.
22. Histoire de l’Académie royale des sciences - Année M.DCCXI, Paris, Imprimerie Royale, 1730.
23. Histoire de l’Académie royale des sciences - Année MDCCXIX, Paris, Imprimerie Royale, 1730.
24. P. Catellani et R. Console, « A Chronological Outline of the History of the Poudre des
Chartreux, or Carthusian Powder, or Mineral Kermes - Part Two »; in Pharmaceutical Historian,
2009, 39 (4), p. 50-59.
25. Bien qu’imprimés dans le volume de l’Histoire de l’année 1740 (publié en 1742), ces
Mémoires furent présentés à partir d’août 1741.

Résumé

Nicolas Lémery et ses fils Louis et Jacques à l’Académie royale des sciences (2e partie) – La première
partie de notre étude sur les activités de Nicolas Lémery et de ses fils Louis et Jacques à l’Académie
des sciences a commencé par une description de la structure de l’Académie après la réforme de
son organisation en 1699. Nous avons ensuite expliqué comment Nicolas Lémery a répondu à ses
obligations à l’Académie de 1699 à sa mort en 1715. Dans cette deuxième partie, l’étude a porté sur
les activités de Louis Lémery pour cette Académie dont il fut membre de 1700 à 1743.

Summary

Nicolas Lémery and their sons Louis and  Jacques at the Académie royale des sciences (2e part) –
The first part of our study of the activities of Nicolas Lémery and his sons Louis and Jacques at
the Académie royale des sciences began with a description of the structure of the Académie as a
result of its reformation in 1699. Then we explained how Nicolas Lémery performed his duties at
the Académie beginning from 1699 until his death in 1715. In this second part we are concentrating
in a similar way on the activities of Nicolas’s son Louis for the Académie, where he was a member
from 1700 to 1743.

Mots-clés 

Académie royale des sciences, XVIIe siècle, XVIIIe siècle, Louis Lémery, Nicolas Lémery, chimie,
pharmacie, Louis XV.

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