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SPÉCIALRENTRÉE LITTÉRAIRE

Il y a cent ans, la polémique


« Batouala »
En 1921, l’Antillais René
­Maran remporte le Gon-
court : tollé hallucinant.
PAR VALÉRIE MARIN LA MESLÉE

E
n décembre 1921, le prix Goncourt fut pour la
première fois attribué à un écrivain français
noir : l’Antillais René Maran (1887-1960). Voici
ce qu’Aimé Césaire écrivait alors de l’auteur :« Il est
le premier homme de culture noire à avoir révélé l’Afrique.
Mieux, le premier homme de culture à avoir emmené le
Noir à la dignité littéraire. » De nos jours, alors que
la notion de race et de couleur de peau, tout comme
les questions coloniales, rouvrent les débats, re-
plonger dans cet épisode de l’histoire littéraire
donne à réfléchir sur ce qui a vraiment changé de-
puis… Batouala, véritable roman nègre, paru chez Al-
bin Michel (qui le réédite aujourd’hui avec une
préface d’Amin Maalouf), marque une première
dans l’histoire du roman colonial : les « nègres »,
ainsi nommés par l’auteur, ont voix au chapitre :
autour des préparatifs d’une fête et sur fond de ri-
valités amoureuses se révèle le quotidien d’une
tribu dont le chef est Batouala. Mais aussi les pen-
sées et ressentis d’une population gouvernée par la rédaction de son roman indigène. Quand Ba-
les Blancs, dont la brutalité qu’augmente l’alcoo- touala remporte le prix Goncourt, on lit dans Le Gau-
lisme révolte, même si l’écriture de Maran mêle lois : « L’Oncle Tom est heureux », parmi d’autres perles
l’humour au réalisme. Traité de « nègre antifran- racistes (1). L’intense polémique de son Goncourt
çais » et de « traître à la patrie », Maran demeurera poussera ce fonctionnaire du ministère des Colo-
déchiré entre la défense de sa couleur et celle de la nies à la démission, en 1925. Son livre est retiré de
France civilisatrice, cette dernière fidélité lui va- la vente dans les colonies françaises en Afrique.
lant de séjourner au purgatoire jusqu’à aujourd’hui. De retour en France à la fin des années 1920, Ma-
René Trautmann, médecin colonial, publie dès 1922 ran se consacre à son œuvre, romans inspirés de sa
Au pays de Batouala, réponse au livre de Maran qu’il vie africaine, dont reparaît le plus autobiographique,
juge partial, alors que ce dernier, dans sa préface Un homme pareil aux autres. Il y pose la question du
DR (X2) – ALBERT HARLINGUE / ROGER-VIOLLET

qui mit le feu aux poudres, appelait au secours la « Roman nègre ». mariage interracial, et plus encore celle du « racisme
France et ses écrivains « frères en esprit » face à ce Le prix Goncourt de introjecté », le héros noir se refusant à celle qui l’aime,
que l’administration nommait ses « errements ». René Maran fut accueilli blanche. L’œuvre poétique de Maran sera récom-
Fils d’un fonctionnaire colonial guyanais avec force propos pensée par le Grand Prix de la Société des gens de
nommé au Gabon, René Maran grandit loin des ­racistes. Ainsi, dans lettres (1949) et celui de poésie de l’Académie fran-
siens à Bordeaux pour raisons de santé, se découvre « Le Petit Parisien » çaise (1959). Il s’éteint en 1960, l’année des indé-
une passion pour les lettres grâce à son professeur (en haut) du 15 dé- pendances africaines §
de latin, écrit très tôt, puis embrasse la carrière pa- cembre 1921, lit-on :
Batouala, de René Maran (Albin Michel, 272 p., 17,90 €).
ternelle. En 1909, il part pour l’Afrique équatoriale, « C’est la première fois Un homme pareil aux autres (Les Éditions du Typhon, 184 p., 17€).
où il occupe divers postes au plus près de la vie en que les noirs “jouent et 1. Lire « René Maran : une conscience intranquille » (revue Inter-
brousse. C’est en Oubangui-Chari qu’il entreprend gagnent”. » culturel Francophonies, n°33, 2018).

80 | 10 septembre 2021 | Le Point 2561

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