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L’objet sonore : une abstraction pour la composition,

un défi pour l’analyse


Didier Guigue

Universidade Federal da Paraíba, Brésil


Chercheur au CNPQ (Conseil National pour la Recherche, Brésil)
dguigue@cchla.ufpb.br

Résumé

e
À l’aube du XX siècle, s’instaure le concept compositionnel d’objet sonore, structure
musicale complexe produite par la combinaison d’un nombre varié de composants de
l’écriture. Parmi ceux-ci, les composants dits secondaires (les densités, les intensités,
les ressources instrumentales, etc) en viennent souvent à passer au premier plan de
l’articulation formelle. La mise en évidence des conditions d’absorption, par le langage
musical, de cette articulation de la forme à partir de ces niveaux secondaires devient du
même coup un des principaux enjeux de l’analyse. Un examen de la littérature de
référence induit qu’une définition fonctionnelle, plutôt que concrète, de la notion
d’objet sonore, est susceptible de permettre une analyse pertinente de son rôle dans la
structuration de la forme. Deux exemples d’analyses illustrent notre approche
personnelle de ce problème.

Abstract

The Sonic Object: an abstraction for composition, a challenge for analysis.

The compositional concept of Sonic Object, a key topic since the beginning of the 20th
Century, can be defined as a complex musical structure, produced by the combination
of a number of components. Among them, the so-called secundary ones (densities,
instrumental resources, e.g.) frequently assume a top hierarchical level in the structure.
It turns a crucial goal to account for this way of structuring in 20th Century Music. A
survey of reference works induce that a functional, not a concrete, definition of the
notion of sonic object, may allow a pertinent analysis of its role in the form building.
Two analytic examples show the author’s own approach of the problem.
L’objet sonore : une abstraction pour la
composition, un défi pour l’analyse
Didier GUIGUE

« Quels que soient les détours par lesquels on essaie d’aborder la création
musicale, c’est toujours à la sonorité que finalement on aboutit […]. La
matière sonore […] n’est pas seulement une réponse au désir du musicien,
mais elle est en même temps la cause de ce désir » [Souris 1976 : 96].

1. Les sons (des compositeurs) contre les notes (des analystes)

Debussy est communément considéré comme l’un des premiers compositeurs


pour lequel la mise en place sonore devient une dimension à part entière du processus
compositionnel, « le premier à proposer l’idée d’objet musical, soit l’idée d’une entité
musicale modulable par les catégories de l’écriture » [Bonnet 1991 : 336]. On peut
porter à son crédit d’avoir fondé les bases d’une nouvelle esthétique musicale où l’image
sonore devient concept, matériau intégralement incorporable au projet compositionnel à
toutes les étapes de son élaboration.

Comme le relève Halbreich [1980 : 543], son écriture, définissant plutôt des «
champs » sonores qu’une discursivité mélodico-harmonique, annonce « les “groupes” de
Stockhausen et les “constellations” de Boulez ». Une des constantes de l’expression
musicale française, cette esthétique constitue également un des engagements de la
deuxième École de Vienne, et il n’est pas de courant musical ultérieur qui ne se soit
confronté à la question de la formalisation de la dimension “sonorité” comme élément de
1
structuration .

Dans cette optique, on peut introduire le terme objet sonore pour désigner, non
plus une entité relevant des stratégies de la perception des sons [Schaeffer 1966], mais
une structure conceptuelle complexe, produit de la combinaison et interaction d’un
nombre varié de composants secondaires de l’écriture musicale. Nous les qualifions de
secondaires parce que composites, résultant en partie de la combinaison et de
2
l’interaction de composants primaires (chromes , durées) et de dimensions plus
globales ou statistiques, lesquelles font appel, pour leur représentation abstraite, à une
combinaison de catégories hétérogènes de l’écriture (valeurs absolues, relatives,
notations symboliques, textuelles, graphiques…). Nous identifions comme composants
secondaires des éléments de la configuration des structures tels que les densités, les
modalités de distribution des sons dans l’ “espace” (domaine achronique des hauteurs
absolues) et le “temps” (domaine diachronique des durées), les intensités, les ressources
3
instrumentales…

Ces composants secondaires en viennent souvent à passer, à partir de Debussy, au


premier plan de l’articulation formelle [Schnebel 1964]. La mise en évidence des
conditions d’absorption, par le langage musical, de cette articulation de la forme à partir
de ces niveaux secondaires devient du même coup un des principaux enjeux de l’analyse.

André Souris nous avait déjà alerté : « Si le mouvement en soi constitue bien le
thème fondamental de la musique de Debussy, il faut en déduire que tous les autres
éléments n’en sont que les supports. Et plus spécialement l’appareil mélodico-
harmonique, dont les éléments ne peuvent être séparés de leur contexte sans perdre leur
véritable propriété. C’est pourquoi l’analyse traditionnelle, consistant à valoriser de soi-
disant “thèmes” ou de soi-disant schémas tonaux n’aboutit ici qu’à de médiocres
résultats » [1965 : 137]. D’autres auteurs reprendront à leur compte ce concept
4
dynamique de “mouvement” pour approcher la forme . Parmi eux, Charru situe le
problème de manière très juste : « La révolution debussyste [entraîne] un déplacement
de point de vue […] qui suggère un mode de questionnement nouveau et pose l’exigence
de techniques d’analyse musicale nouvelles. Il s’agit moins en effet de reconnaître et
d’étiqueter les divers éléments qui composent une œuvre, au risque de ne récolter qu’une
collection d’objets inertes, que d’aller jusqu’à rendre compte de la qualité du mouvement
5
qui la fonde » [1988 : 64-65] .

Cependant, on constate que la production théorique de notre siècle éprouve une


grande difficulté à proposer, pour l’étude de ces niveaux secondaires d’articulation, des
méthodologies d’appréhension et d’abstraction aussi rigoureuses que celles dont font
l’objet les lois et systèmes d’organisation du niveau primaire — les chromes. Son ample
connaissance de la pratique musicologique de ce siècle a permis à Stefan Jarocinski de
cerner de manière précise les raisons de l’impuissance des musicologues à déchiffrer les
moyens de la structure de la musique de Debussy :

« Obstinément attachée aux méthodes traditionnelles, la musicologie était en


mesure d’expliquer la décomposition du système de l’harmonie fonctionnelle dans
l’œuvre de Debussy, c’est-à-dire son action destructive, mais ne pouvait qu’échouer à
décrire l’action d’un mécanisme nouveau des correspondances et le rôle primordial, et
créateur de la forme, que les valeurs sonores jouaient dans ce mécanisme. En leur
attribuant des caractères “coloristes”, donc les mêmes que ceux qu’ils attribuaient aux
éléments harmoniques, et en élargissant encore cette métaphore par des références à la
peinture impressionniste, les musicologues, bien qu’ils aient disposé des armes de la
phénoménologie, suivaient des ornières qui ne pouvaient conduire qu’à une impasse. En
effet, ces valeurs sonores “irrationnelles” dont ils méconnaissaient la portée, les seules à
échapper au système conceptuel existant et libres de toute fonction imitative ou
représentative, étaient un outil admirable — et la musique de Debussy le prouve —
permettant non seulement de rompre la structure de l’œuvre musicale et son
symbolisme, mais aussi de construire des structures nouvelles, sur des principes
différents » [1970 : 68].

Dufourt [1988] suggère que les origines de cette impuissance à renoncer, au moins
partiellement, au postulat d’une prédominance du chrome, remontent aux fondements
même de « la théorie musicale antique, qui est exclusivement une théorie des hauteurs »
6
. Il est légitime d’avancer l’hypothèse d’une relation de cause à effet avec l’histoire
organologique : « Qu’il s’agisse de cordes, de membranes, de lames, de tuyaux […], il est
[…] évident que c’est la variation des hauteurs qui a occupé presque exclusivement
l’expérimentation instrumentale » [Schaeffer 1966 : 48]. Effectivement, si elle domine
comme relation ordinale, par sa capacité privilégiée de pouvoir être mise en échelles
organisées selon une relation d’ordre, la hauteur possède en outre une particularité
qu’elle ne partage avec aucun des autres attributs du son : celle de pouvoir être appréciée
en valeur absolue. Enfin, l’hétérogénéité de la codification écrite des dimensions
secondaires, que nous avons évoquée plus haut, peut être vue également comme un
obstacle à une synthèse analytique [Mesnage 1991 : 37].

Ces caractéristiques peuvent expliquer, mais ne justifient pas, l’hégémonie de la


7
hauteur dans les démarches analytiques contemporaines . En effet, la prise en
considération exclusive de l’élément chromatique suppose un postulat en général non
formulé, et a fortiori non démontré, selon lequel toutes les dimensions de l’écriture qui
contribuent précisément à matérialiser l’identité sonore de l’œuvre, à configurer ses
sonorités, seraient assujetties à l’articulation des seuls punctum et contrapunctum,
considérée pratiquement comme l’élément générateur sinon unique, du moins
prépondérant et surtout suffisant, des structures musicales.

2. Les niveaux secondaires dans la théorie analytique


contemporaine
8
À l’exception de quelques remarquables articles sur des corpus restreints , rares
9
sont les travaux qui contribuent substantiellement à corriger ce tropisme . Il n’est pas
étonnant que l’un deux soit justement consacré à l’œuvre de Debussy : il s’agit de
l’ouvrage de Richard D. Parks [1989].

Bien qu’il se prévale de la Set-Theory [Forte 1973] pour rendre apparentes les
quatre espèces d’organisation des classes de hauteurs qui semblent fonder le matériau
scalaire de Debussy — organisations diatonique, chromatique, hexa- et octatoniques —,
Parks consacre l’essentiel de son ouvrage à la formalisation des niveaux secondaires, au
moyen de méthodes originales : il analyse en particulier la cinétique debussyste et ses
rapports à la morphologie, par l’étude du comportement de certaines variables de
l’écriture ; il explicite les fonctions formelles de l’orchestration et du mètre, en les
nourrissant de relevés statistiques et les illustrant par des représentations spatiales, et
modélise les registrations. Il établit enfin une liste des paramètres morphophoriques
(form-defining parameters) qu’il tient pour essentiels chez Debussy, et l’on est presque
étonné de constater que ce disciple et admirateur assumé de Forte en exclue les pitch-
classes [op. cit. : 205 et sq].

L’approche analytique de Parks est une des rares à formaliser rigoureusement les
niveaux secondaires d’organisation chez Debussy, mais n’est pas la première dans
l’histoire de la musicologie moderne. Lui-même assume pleinement sa dette envers le
travail fondamental de Wallace Berry.

Dans Structural functions in music [1987], Berry entreprend « l’exploration


systématique des éléments de la structure et de leur interrelations importantes,
10
proposant, pour l’analyse de séquences d’événements, un éventail d’approches »
dont les plus intéressantes et originales s’appliquent à la texture et au rythme [p. 1]. En
ce qui concerne la texture, s’il rappelle que certaines de ses qualités et classifications ont
été abondamment traitées, il souligne cependant l’absence « d’une formulation adéquate
pour le traitement analytique des processus impliquant les textures et leurs
changements, et de leur signification dans la structure de la musique » [p. 184]. À partir
de la thèse selon laquelle « la structure musicale peut être envisagée comme la
formatation discrète du temps et de l’espace », au moyen d’une articulation des
événements « conçue et contrôlée de manière à ce qu’ils fonctionnent, à différents
niveaux hiérarchiques ordonnés, au sein de processus par lesquels les intensités » [i.e. les
tensions provoquées par la complexité relative de l’écriture] suivent « des profils de
croissance, de décroissance, ou de stases » [pp. 4-5], Berry développe des concepts et
des représentations permettant de formaliser le rôle fonctionnel de ces éléments. On
regrette cependant, outre le fait que certains d’entre eux semblent insuffisamment
justifiés ou quantifiés, que l’hétérogénéité des approches et représentations analytiques
obscurcisse une vision synthétique de la fonction formelle de ces dimensions, et, en
premier lieu, de leurs interrelations dialectiques. Mais on est surtout surpris de l’absence
d’une analyse de la sonorité comme dimension de l’écriture, absence curieusement
11
justifiée par le fait que « sa fonction est évidente » [p. 20] . Si « plus rien ne va sans
12
dire » , il aurait été intéressant de montrer in situ les formes que prenaient cette «
évidence ».

En France, Michelle Biget [1986], a thématisé la corrélation entre l’évolution du


langage musical au XIXe siècle et la consolidation d’une idiomatique spécifiquement
pianistique. Au début du siècle suivant, cette attitude sédimentera un modèle de
composition dans lequel l’abstraction conceptuelle associe et incorpore au plus haut
niveau formel les moyens concrets de production, imposant une « subversion de la
puissance harmonique par le timbre ». Une analyse de l’op. 11 de Schœnberg (Drei
Klavierstücke) démontre par de nombreux exemples que c’est uniquement « le médium
instrumental qui autorise la compréhension des mouvements dynamiques, agogiques et
métriques », et que l’on peut expliquer la totalité de la troisième pièce « par ces effets
d’envolée et de dépression conçus en termes de fluctuation des masses pianistiques : la
qualité du son y prime tout le reste. Toute analyse paramétrique ne peut que conclure à
la disparition de l’absolutisme thématique et de la conduite tonale au profit du timbre
érigé en valeur formelle » [Ibid. : 150 et sq.].

Bien qu’il ne soit pas explicitement destiné à la musique du XXe siècle, il faut faire
mention de l’appareil conceptuel et terminologique développé par Boucourechliev pour
l’analyse de l’œuvre de Beethoven, au moyen duquel il a pu mettre en évidence cette
conscience qu’a eu le compositeur des capacités fonctionnelles que pouvaient absorber
les dimensions secondaires de l’écriture, en particulier les timbres et les textures, au
13
piano. Dans l’Essai publié en 1991 , Boucourechliev introduit les notions de masse,
en montrant comment le compositeur en fait un paramètre actif, et de synergie comme
technique beethovenienne de combinatoire des paramètres. Surtout, son étude de
l’écriture des sonorités au piano constitue une contribution capitale. On se contentera de
rappeler ici son analyse de l’op. 53 [1991 : 39 et sq.] dans laquelle il démontre comment
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la sonorité est passée au sommet de la hiérarchie des éléments du langage .

Une grande partie des théories de la sonorité comme élément de la structuration


formelle est l’œuvre de compositeurs qui abordent la problématique du point de vue
poïétique, élaborant ou explicitant des modèles d’écriture : Stockhausen 1960, Boulez
1963, Ligeti 1966, Slawson 1985, Stroppa 1989, Murail 1989, Lachenmann 1991…
D’autres recherches visent à appréhender l’œuvre à partir du produit acoustique [Cogan
1984], ou encore les stratégies de perception des différentiels sonores [Ehresman &
Wessel 1978, McAdams 1994…]. Le classique Traité des Objets Musicaux de Schaeffer
[1966] peut être regroupé dans la même catégorie. Un dernier groupe de travaux
concerne exclusivement la musique électroacoustique ; on mentionnera Smalley 1981, qui
propose une formalisation catégorielle des structures dynamiques, ou Besson 1991, qui
décrit un processus de transcription graphique pouvant ouvrir la voie à une étude de
l’immanence formelle de l’œuvre électroacoustique.

3. L’objet sonore, une “forme en mouvement”

Il est possible que la difficulté d’une approche “au niveau neutre” de l’objet
sonore, soit due à un malentendu quant à sa nature. Si l’on se penche sur les
formalisations auxquelles nous venons de nous référer, on s’aperçoit que sa définition
comme concept abstrait pour la composition s’avère indissociablement liée à la forme
par laquelle il participe du processus constructurel de l’œuvre. En effet, ce ne sont pas
les objets isolés, mais le « dynamisme et l’évolution de leurs rapports » dans le temps
[Boulez 1989 : 411] qui intéressent ce processus et qui sont susceptibles de générer des
structures formelles.

Aristotélicien, Boris de Schloezer [1947 : 75] avait déjà défini l’œuvre musicale «
comme une hiérarchie de systèmes (organiques et aussi composés) imbriqués les uns
dans les autres, chacun d’eux étant forme à l’égard de ceux qu’il étreint et matière à
l’égard de ceux qui l’étreignent [souligné par nous] », ce que Ballif appellerait plus tard «
forme formée » et « forme formante » [1968].
Cette définition trouve résonance dans nombre de conceptions théoriques. La
Momentform de Stockhausen est générée par l’imbrication dynamique de Momente de
différentes durées. Un Momente est une « unité de forme possédant […] une
caractéristique personnelle et strictement assignable » [1960 (1988 : 111-112)].
Stockhausen visait par ce moyen à l’unification entre matériau et forme : « Je voulais
alors introduire la structure à développer […] déjà dans les micro-dimensions d’un son
isolé, afin qu’à chaque instant, si infime qu’il fût, le principe global de mon idée fût
présent » [lettre à Karel Goeyvaerts citée in Wilson 1989 : 69].

La Strukturklang (“son-structure”) de Lachenmann, concept élaboré à peu près à


la même époque, est un « ordre formé de composantes sonores hétérogènes » [1991 :
265]. Toute œuvre musicale « formant un tout cohérent » est une Strukturklang. La
typologie des composantes que Lachenmann propose est le fruit d’une démarche
compositionnelle qui souhaite dépasser la « pensée en paramètres des compositeurs
sériels » pour considérer le son à la fois comme « état » et « processus ». Les
constructions sonores sont ainsi classées en fonction de l’expérience perceptive qu’elles
sont susceptibles de provoquer par leur profil morphologique, leur comportement
dynamique et leur durée. Les caractéristiques des différents types de structures sonores
qu’il décrit admettent une organisation hiérarchique basée sur les durées relatives, où les
plus brèves structures, statiques ou dynamiques, se regroupent pour en configurer de
plus longues, formellement plus importantes.

C’est une interrelation semblable qui relie les objets et les structures tels que
définis dans le Traité des Objets Musicaux : en effet, tout objet « est en même temps, un
objet en tant qu’il est perçu comme unité repérable dans un contexte, et une structure en
tant qu’il est lui-même composé de plusieurs objets » [Chion 1983 : 56]. Il n’y a, entre
les deux, « qu’une différence de complexité » [Schaeffer 1966 : 275-276].

La notion de processus, que nous avons évoquée à propos de Lachenmann, a


connu, surtout en France, une certaine fortune. Elle s’inscrit dans la prolongation de
cette « esthétique de l’intégration » [Wilson op. cit. : 75] formulée par Schloezer. Le
“cahier des charges” des compositeurs constituant l’ “École spectrale” [cf par exemple
Murail op. cit.], pourrait d’ailleurs se résumer lapidairement dans la célèbre définition de
la musique que fit Hanslick en 1854 : « des formes sonores en mouvement » [Hanslick
1986 : Ch. III]. Les sons étant définis comme « des champs de forces orientées dans le
temps », l’objet sonore, ensemble corrélé d’énergies, « n’est qu’un processus contracté,
[et] le processus n’est qu’un objet sonore dilaté » [Grisey 1989 : 103] : forme et matière
unifiées dans un même concept compositionnel.

Le problème, souvent évoqué, de la perception, tant de ces matériaux que de leur


interrelation au sein des structures qu’ils contribuent à former, a amené à un
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développement des recherches scientifiques sur la cognition musicale . Par la notion d’
« image auditive », « représentation psychologique d’une entité sonore révélant une
cohérence dans son comportement acoustique », McAdams a proposé une métaphore
que l’on peut mettre en parallèle avec celle d’ « image sonore » introduite par Jarocinski
pour exprimer l’univers de Debussy. Elle a l’avantage de se prêter à l’abstraction
conceptuelle, en ce qu’elle « permet de mettre au point et d’appliquer un vaste ensemble
de critères de cohérence musicale à la musique en tant que groupement et séparation
d’événements sonores en images musicales à plusieurs niveaux » [McAdams 1985 : 8].

Une intéressante extension de cette métaphore vers l’abstraction, comme modèle


compositionnel, a été décrite par Marco Stroppa en 1989 : un « Organisme
d’information musicale » (OIM) est une « entité dynamique et complexe, formée de
composants et propriétés, qui entretiennent certaines relations et donnent lieu à une
forme spécifique ». Il est possible d’organiser « une hiérarchie d’OIMs de manière à
créer l’état de méta-OIM, une structure de plus haut niveau constituée d’OIMs de
niveau moins élevé. [Ainsi,] une pièce entière résultera du comportement d’un seul
méta-OIM » [1989 : 208, 231].

La convergence de ces formulations depuis un demi-siècle indique clairement que


les compositeurs conçoivent un espace sonore « où les solidarités fonctionnelles priment
sur les structures isolées » [Dufourt 1991 : 188]. Dans un tel contexte, l’objet sonore se
définit moins par ses composants intrinsèques, isolément, que par les particularités
différentielles qu’il entretient avec l’environnement, par ses propriétés dynamiques —
sa dunamis —, ses capacités de porter le devenir de l’œuvre : « le matériau musical n’est
plus l’objet de départ, mais le mouvement que l’on imprime à l’objet » [Dalbavie 1991 :
333].

4. L’analyse des objets et les objets de l’analyse

Par conséquent, une approche analytique “par le haut”, que l’on pourrait, pour
emprunter au langage informatique, définir comme étant orientée objets [Guigue 1997a,
b], ne semble pouvoir être conçue sans ambiguïté qu’à partir d’une appréhension
exclusivement fonctionnelle. « Plus que de donner une carte de visite aux éléments du
discours, il importe de saisir leur situation relative dans le trajet instrumental » [Biget
1989 : 86]. Ne pas essayer de décrire ou définir intrinsèquement des objets, mais tenter
de mettre à jour une stratégie d’évaluation de leurs qualités structurelles relatives,
dynamiques.

Cette conception admet certains points de contact avec un aspect important de la


pensée structuraliste. Rappelons qu’en linguistique structurale, « on concevait moins le
signe comme l’union d’un signifiant et d’un signifié, que comme un élément intégré à un
système, entretenant avec ses voisins des rapports “oppositifs et négatifs” » [Nattiez
1986 : 23]. La théorie de l’information, de son côté, préconise « que le meilleur moyen
de réduire l’information brute est de grouper les signes dans une forme, et d’analyser
cette agglomération de signes non tant par rapport à sa nature intrinsèque, que par
rapport aux relations structurelles qu’elle entretient avec d’autres unités » [Guertin
1981 : 71, souligné par nous].
Ces méthodologies se sont avéré fonctionner particulièrement bien dans tous les
cas où l’on pouvait dégager des unités et les placer « dans des rapports d’opposition, de
préférence d’opposition binaire, […] et établir une algèbre ou une combinatoire de ces
éléments et de ces couples d’opposition » [Nattiez op. cit., apud Ricœur].

Les deux principes conjugués d’immanence — l’objet d’étude est abstrait du


16
monde extérieur — et d’opposition structurelle séquentielle, ont donc attiré
l’attention de nombreux chercheurs, en particulier les ethnomusicologues, qui devaient se
forger des outils pour appréhender des structures en l’absence de connaissances sur les
circonstances de leur production, et les musicologues qui souhaitaient appréhender
certaines modalités de production d’œuvres de compositeurs du XXe siècle, dont la
superficie n’offrait aucun repère permettant d’appliquer avec succès les méthodologies
17
analytiques conventionnelles .

Si l’on oublie pas de bien cerner les limites de son champ de pertinence, une
approche analytique “de niveau neutre” fondée sur la notion d’objet sonore semble en
mesure de produire des réponses aux questions méthodologiques que nous nous posons.
Parce que l’ « abstraction constructive » que représente la configuration écrite des objets
reste absolument liée aux conditions concrètes de leur production [Duchez 1989 : 286],
l’ancrage d’une telle démarche analytique à ce niveau doit être vu comme une possibilité
privilégiée de documenter les modalités d’articulation formelle d’une dimension de la
structuration musicale, dont l’importance déclarée s’accommode mal d’une approche
jusqu’à présent plutôt informelle.

Quant au concept d’opposition structurelle relative comme critère pour


l’identification séquentielle des objets unitaires, il a retenu notre attention, car, comme
nous l’avons souligné, ces objets sont synthétiques, produits de la combinaison
d’éléments primaires et/ou de composants hétérogènes de niveau secondaire. Ceci
interdit, sauf dans certaines situations exceptionnelles, une appréciation absolue,
autonome, de leurs différences ou similarités.

Il faut donc établir des modalités de resegmentation du continu musical en une


séquence d’objets, qui soient indépendantes de l’articulation syntaxique et périodique de
18
l’œuvre , puis d’évaluation des similarités ou différences structurelles adjacentes
relatives. Cette évaluation a pour but de profiler une structuration formelle basée
exclusivement sur les niveaux secondaires, et de documenter une analyse des relations
instaurées dans chaque œuvre entre ces niveaux d’articulation de la forme, et le niveau
infrastructurel (matériau chromatique) d’une part, et le niveau macro-structurel d’autre
part. Nous avons communiqué ailleurs les bases d’une proposition méthodologique
19
allant dans ce sens [Guigue 1996, 1997a, b] .
Deux exemples devraient permettre d’illustrer les modalités et les champs
possibles d’application de cette approche.
5. Deux exemples

Exemple 1 [fig. 1] : Boulez [1961] : Troisième Sonate (Texte, séquences 4 et 10).

L’analyse infra-structurelle conventionnelle de ces deux séquences, qui ne sont


autre que deux objets sonores, est impuissante à nous dire autre chose que leur point
commun, à savoir la même matrice chromatique (en l’occurrence, un segment de trois
notes de la série génératrice, Ré-Do#-Mib dans la première, Lab -Sol-La dans la seconde,
notes cerclées dans la figure) [vide Stoïanowa 1974, et al.]. Un simple coup d’œil sur la
partition nous permet de constater que l’identité cellulaire de ces deux séquences est
sans aucun doute l’information la moins intéressante que l’on puisse souhaiter, car ce
sont leurs différences qui indubitablement les justifient dans la structure et qui la
mouvementent, chacune en son temps.
La mise en relation des oppositions structurelles de certains vecteurs concrétisant
les dimensions secondaires que nous avons évoquées dans cet article va nous donner les
moyens d’apprécier, autrement que par des observations intuitives imprécises, les
différences entre ces deux unités et donc leur fonction dans la structure globale. Nous
avons regroupé dans la [fig. 1] quelques-uns de ces vecteurs.

L’observation des graphes montre que plusieurs vecteurs de l’écriture tendent vers
une simplification structurelle entre les deux objets/séquences, sensible en particulier
dans les densités et les modalités d’occupation du temps (durée relative, enveloppes
temporelles des intensités et autres). Cette tendance est toutefois contrebalancée par une
augmentation de l’espace utilisé (ambitus) et surtout un grand contraste sonore
provoqué par l’échange entre une ambiance una corda dans l’objet 4 et Pédale dans
20
l’objet 10 . Nous considérons ce facteur instrumental comme dominant, car il agit au
plus haut niveau de globalité sonore. Du point de vue de la dynamique formelle de cette
section, ces qualités structurelles combinées confèrent en synthèse un poids plus
important à la deuxième séquence qu’à la première, ce que l’étude de la seule infra-
structure sérielle ne pouvait expliciter.

Exemple 2 [fig. 2] : Debussy [1909/1912] : Prélude II, 1 (Brouillards, deux


21
séquences de trois “objets”, mm. 5 sq. et 18 sq., respectivement)

Ici, ce n’est pas la constatation de l’identité absolue des deux objets sonores a2 et
b2 qui nous aidera à évaluer leur rôle respectif dans la dynamique de chacune des deux
séquences, mais l’analyse des oppositions structurelles adjacentes. Dans cet exemple, il
est intéressant d’évaluer, entre autres, l’évolution des densités relatives d’occupation du
temps (T) et de l’espace (S), de l’occupation de la tessiture instrumentale (ambitus), de
la directionnalité statistique de la suite des hauteurs. La lecture comparée du profil des
courbes entre la séquence a et b permet de mesurer, simultanément, les similarités et
différences contextuelles dans lesquelles s’insère l’objet 2, et, par conséquent, la façon
dont il suscite une énergie formelle différente dans les deux cas.
6. Conclusion

Nous venons de brosser à grands traits les principes d’une approche


méthodologique qui, régulant et pondérant les observations obtenues par une série de
comparaisons croisées des caractéristiques “secondaires” d’objets adjacents, est
susceptible d’apporter des informations pertinentes sur certaines modalités
d’articulation de la forme qui occupent une place fondamentale dans la pensée
compositionnelle du XXe siècle, mais qui sont très peu formalisées dans la théorie
analytique.

De plus, un tel outil méthodologique peut donner aux acousticiens et


psychoacousticiens les moyens d’établir les corrélations entre le “son écrit”, le “son
physique” et le “son perçu”. De ces trois aspects en effet, seul le premier ne dispose
pas d’appareil analytique spécifique. Une démarche telle que celle que nous ébauchons
22
dans ce texte est susceptible d’offrir quelques pistes pouvant réduire ce déficit .
Bibliographie

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1
On peut situer chez Beethoven l’origine de la prise de conscience de la nécessité
historique de dé-réaliser la sonorité pour l’incorporer aux problématiques abstraites de
la composition [Scherchen 1950, Boucourechliev 1991], et la rattacher à la mutation du
concept d’écriture qu’a provoqué l’avènement du pianoforte [Biget 1986, Guigue 1994].
2
À la suite de Mesnage [1994], nous utilisons le terme chrome comme équivalent de
l’anglais pitch-class (classe de hauteurs, ou hauteur nominale, par opposition à hauteur
absolue).
3
Sur la métaphore spatio-temporelle en musique, vide Duchez 1979 ; sur le concept de
domaine, vide Mesnage 1991 et passim.
4
cf ici-même Dalbavie, cité plus loin.
5
Malgré ce positionnement perspicace, Charru ne parvient pas à déplacer le focus de
ses investigations personnelles hors du champ du traitement tonal de l’harmonie
debussyste : la mise en évidence promise de la dynamique formelle des « plans sonores
» se trouve malheureusement réduite à la description des régions tonales et des pôles
mélodiques. Cette étude constitue une bonne illustration de la dichotomie historique que
nous relevons entre méthode et objet analytiques et éléments réellement générateurs de
forme.
6
Pour les Pythagoriciens, « l’ordre musical s’articule désormais en une série de hauteurs
distinctes dont les intervalles se divisent selon des proportions […] [Ils] associent donc
le son au nombre et à la proportion au point de voir dans les conditions logiques de la
combinaison les conditions causales de la détermination des hauteurs. Le son musical est
considéré comme un produit de la mesure […] [Ce faisant,] la pensée grecque fondait la
science musicale comme une arithmétique » [op. cit. : 46 et sq. ; voir aussi Duchez
1989].
7
Au cours du Premier Congrès Européen d’Analyse Musicale, dont une partie des
travaux portait sur le Prélude La Terrasse des audiences au clair de lune de Debussy,
plusieurs participants ont pu déplorer que les analyses de niveau neutre proposées aient
porté exclusivement sur les hauteurs, alors que, dans cette œuvre et chez Debussy d’une
manière générale, d’autres dimensions (registrations, articulations, intensités…), étaient,
à leur sens, au moins aussi importantes [cf les interventions de Rosen, Mesnage, Riotte,
Delalande, rapportées par Nattiez 1991 : 8 et sq.]. La musicographie boulézienne, pour
sa part, est également paradigmatique de cette hégémonie du chrome comme objet
exclusif de l’attention des analystes.
8
Mâche 1959, Schnebel 1964, Tremblay 1985, Bonnet 1988 sont des exemples. Riotte
1989 ébauche les principes d’une étude formalisée du style de Debussy qui
incorporerait « les attaques, les timbres et la dynamique ».
9
Dans un texte déjà ancien, Jarocinski fait allusion aux recherches d’un groupe de
musicologues polonais, en tête desquels Józef M. Chominsky, sur une « nouvelle
discipline » appelée « sonoristique », laquelle examinerait les œuvres du point de vue de
ses « valeurs sonores qui, étant indépendantes de la mélodie et de l’harmonie au sens
traditionnel, sont le résultat d’un choix des moyens d’exécution et d’une certaine façon
de traiter les sons à l’aide du rythme, de la dynamique, de l’agogique et de l’articulation
», en abordant des questions comme « la technologie du timbre, la rationalisation du
temps, la formation des structures horizontales et verticales, la transmutation des
éléments, les problèmes de formes » [1965 : 169]. Il ne semble pas que ces recherches
aient fait l’objet d’une diffusion en Europe Occidentale.
10
Nous sommes responsables de cette traduction et des suivantes.
11
cf aussi la note, plus nuancée, de la p. 294.
12
Une juste remarque de Dalhaus [1985].
13
Version remaniée et développée d’une première édition de 1963.
14
Dans le même domaine musicologique, on peut citer également les travaux de Robert
S. Hatten [par ex. 1993 sur Schubert].
15
Les ouvrages collectifs édités par McAdams & Deliege 1989 et McAdams & Bigand
1994, constituent à notre connaissance la documentation la plus complète sur le sujet,
en français.
16
Cette “neutralité” par rapport à l’histoire a constitué le point central des critiques à
la méthode.
17
voir par exemple l’analyse de Densité 21.5 de Varese, par Nattiez [1975]. Chiarucci
1973, puis Cogan 1984, ont développé des théories analytiques esthésiques basées sur
le paradigme d’opposition binaire.
18
Ce qui n’empêche pas la coïncidence des segmentations, surtout aux niveaux
supérieurs de la structure. Sur la segmentation, voir récemment Mesnage 1994, Meeùs
1994.
19
Elles ont fait l’objet d’une thèse de Doctorat [Guigue 1997a]. Nous ne pourrions en
reprendre ici la description sans grossir démesurément cet article. Pour plus
d’informations on peut consulter un dossier complet sur Internet, à l’adresse suivante:
http://terra.npd.ufpb.br/~guigue.
20
Une autre information d’intérêt pour la comparaison des deux séquences est la
directionnalité statistique des hauteurs (courbe “directionnalité” dans le graphique) :
globalement ascendante pour 4, descendante pour 10.
21
Nous demandons au lecteur d’accepter, par hypothèse et le temps de cette
démonstration, la segmentation que nous proposons. On observera que dans la deuxième
séquence, l’écriture des durées indique clairement que la résonance de l’objet b1 se
prolonge sur b2, suggérant ainsi l’utilisation de la pédale sostenuto.
22
Cet article s’insère dans le cadre de la thèse de Doctorat déjà mentionnée [Guigue
1997a], et d'un programme de recherche subséquent, lesquels bénéficient du soutien de
deux institutions brésiliennes, le CNPQ e l’UFPB, et de l’appui logistique de l’Ircam,
que nous remercions.

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