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Textes spirituels d’Ibn Taymiyya.

Nouvelle série
XXXV. Assimilationnisme (tashbīh) et idolâtrie
Fakhr al-Dīn al-Rāzī1 fut un uléma paradoxal : auteur d’un volumi- théologiques (Bayān talbīs al-Jahmiyya fī ta’sīs bida‘i-him al-kalā-
neux tafsīr du Coran2, il commenta aussi des ouvrages philosophiques miyya)7. Les pages traduites ci-dessous sont tirées de cet ouvrage et
d’Avicenne3 ; théologien ash‘arite majeur, il composa par ailleurs un concernent le lien établi par Abū Ma‘shar entre l’anthropomorphisme
important traité alliant astrologie, magie et pratique des talismans : Le et l’idolâtrie ainsi que l’usage qu’al-Rāzī en fait pour justifier son
secret celé sur la magie et [comment] s’adresser aux étoiles (al-Sirr rationalisme anti-assimilationniste.
al-maktūm fī l-siḥr wa mukhāṭabat al-nujūm)4. Consacré à la trans- L’anti-assimilationnisme d’al-Rāzī est en fait, selon Ibn Taymiyya,
cendance, son traité intitulé Ta’sīs al-taqdīs (La fondation de la sanc- du Jahmisme, c’est-à-dire un rejet des attributs divins. Or aucun des
tification [de Dieu]) cherche à démontrer par des preuves tirées de la Messagers n’a interdit de décrire Dieu par des attributs informant sur
raison et de la tradition que Dieu est exempt de toute forme de corpo- Son être et Son action ; ils approuvèrent au contraire la théologie des
réité, localisation et direction, les expressions anthropomorphiques des attributs qu’al-Rāzī taxe d’assimilationnisme. Cette théologie étant
textes canoniques ayant à être interprétées en ce sens. L’intérêt d’al- donc la véritable théologie de l’Islam, il est inconcevable qu’elle soit à
Rāzī pour l’astrologie transparaît aussi dans cet ouvrage de Kalām : l’origine de l’idolâtrie. Plusieurs autres arguments sont avancés par le
dans la dernière des trois brèves introductions selon lui indispensables théologien damascain contre la thèse d’Abū Ma‘shar reprise par al-
avant de passer à l’examen des preuves de sa thèse, l’autorité à Rāzī. Ils vont de la dénonciation de l’apostasie temporaire de l’auteur
laquelle il réfère n’est nul autre qu’Abū Ma‘shar al-Balkhī5, un des d’al-Sirr al-maktūm, de l’inacceptabilité d’Abū Ma‘shar comme
plus fameux, sinon le plus fameux, des astrologues du monde musul- source en matière de religion et de la confusion entre une condition et
man classique. Et, en l’occurrence, qu’a dit Abū Ma‘shar ? Il a affirmé une cause à un rappel du monothéisme de l’humanité première jusqu’à
que l’assimilationnisme, en d’autres termes l’anthropomorphisme Noé et à une exploration historique de l’origine syrienne de l’idolâtrie
qu’al-Rāzī attaque dans le Ta’sīs, avait mené à l’idolâtrie. Comment arabe antique.
l’assimilationnisme ou, tout simplement, une lecture non interprétative Ces pages taymiyyennes plongent le lecteur dans un univers souvent
des textes révélés et prophétiques, pourraient-ils par conséquent être oublié aujourd’hui, celui de la complexité interdisciplinaire de certains
de quelque valeur en théologie ? débats théologiques sous les Mamlūks.
Selon Ibn Taymiyya, « quiconque explique (fassara) le Coran ou le
ḥadīth et en donne une autre interprétation (ta’awwala) que l’expli- TRADUCTION 8
cation (tafsīr) bien connue venant des Companions et des Suivants « Abū Ma‘shar l’astrologue, » dit al-Rāzī9, « a mentionné que
forge un mensonge à l’encontre de Dieu, hérétise à propos des signes la raison pour laquelle les gens s’étaient engagés dans l’adop-
de Dieu et distord (muḥarrif) le sens des mots. Cela ouvre la porte de tion de l’adoration des idoles comme religion pour eux-mêmes
la libre-pensée (zandaqa) et de l’hérésie (ilḥād)6. » Le rationalisme
était que les gens, à l’époque la plus ancienne, partageaient la
anti-assimilationniste du Ta’sīs d’al-Rāzī ne put donc manquer de
retenir l’attention du théologien damascain et il en entreprit la réfu- doctrine des assimilationnistes10 (mushabbih) et croyaient que
tation systématique dans un ouvrage qu’il intitula Exposé du traves- la Divinité du monde était une énorme lumière11. Étant donné
tissement [de la vérité] par les Jahmites pour fonder leurs innovations qu’ils croyaient cela, ils adoptèrent une idole – qui était12 la
plus grande des idoles – de la forme de la Divinité, et d’autres
1. Sur F. D. AL-RĀZĪ (Rayy, 543/1149 - Herāt, 606/1210), voir G. C. idoles, plus petites que cette [447] idole-là, de la forme des
ANAWATI, EI2, art. Fakhr al-Dīn al-Rāzī; Tamhīd ; F. GRIFFEL, Life ;
A. SHIHADEH, Ethics, Commentary ; le texte taymiyyen traduit in Y. anges, et ils s’occupèrent d’adorer ces idoles en croyant qu’ils
MICHOT, Textes spirituels, N.S. XI, p. 2-3. adoraient la Divinité et les anges. » Il est donc établi que la
2. Voir F. D. AL-RĀZĪ, Tafsīr. religion de l’adoration des idoles était comme une branche de la
3. Voir F. D. AL-RĀZĪ, Lubāb, Sharḥ al-Ishārāt, Sharḥ ‘Uyūn. Un doctrine des assimilationnistes.
commentaire du poème Saqṭ al-zand du fameux poète agnostique Parler contre cela se fera de [plusieurs] points de vue.
syrien Abū l-‘Alā’ al-Ma‘arrī (m. 449/1058) est aussi attribué à al-Rāzī
dans certaines sources mais n’est pas de lui ; voir C. RIEU, Supple- [I.] L’un d’eux est qu’il est étonnant qu’[al-Rāzī] cite d’Abū
ment, p. 664-665, n° 1051. Ma‘shar des [paroles] par lesquelles il blâme l’adoration des
4. Voir F. D. AL-RĀZĪ, Sirr. L’attribution de cet ouvrage à al-Rāzī est idoles alors que lui est celui qui adopta Abū Ma‘shar comme un
parfois mise en doute mais est correcte ; voir F. GRIFFEL, Life, p. 332, des imāms qu’il prit comme modèles pour commander d’adorer
n. 71. Pour Ibn Taymiyya, il s’agit bien d’un écrit d’al-Rāzī : « Al-
Rāzī composa un livre sur l’adoration des astres et des idoles ainsi que
sur la pratique de la magie qu’il intitula Le secret celé concernant la 7. Voir IBN TAYMIYYA, Bayān.
magie et la manière de s’adresser aux astres » (IBN TAYMIYYA, MF, 8. IBN TAYMIYYA, Bayān, t. I, p. 446, l. 14 - p. 459, l. 12 (sigle B).
t. XIII, p. 180, trad. MICHOT, Textes spirituels, N.S. XIII, p. 7). « Al- 9. Ceux qui assimilent Dieu au créé.
Rāzī composa son livre sur l’adoration des astres et des idoles ; il 10. Le passage cité correspond à AL-RĀZĪ, Ta’sīs, p. 57, l. 7-12 (sigle
érigea les preuves de la bonté de cela et son utilité, et il en donna T). Il y est précédé de ces lignes : « Sache-le, ceux qui disent que le
l’envie. C’est une apostasie de l’Islam, selon l’accord des Musulmans, Très-Haut est un corps ont divergé. Il en est parmi eux qui disent qu’Il
même s’il s’en est peut-être repenti et est retourné vers l’Islam » (IBN a –Très-Haut est-Il ! – la forme de l’homme. Ce qui est ensuite trans-
TAYMIYYA, MF, t. IV, p. 55). Al-Rāzī renvoit lui-même à al-Sirr al- mis des assimilationnistes de cette communauté est qu’Il a la forme
maktūm dans al-Mulakhkhaṣ fī l-ḥikma wa l-manṭiq, un ouvrage com- d’un homme jeune et, des assimilationnistes des Juifs, qu’Il a la forme
posé en 579/1184 (voir H. RITTER, Philologika IX, p. 285, n. 2 ; d’un homme vieux. Et, d’après ce qu’ils disent, eux ne permettent au
F. GRIFFEL, Life, p. 323). Al-Sirr al-maktūm doit donc avoir été écrit Dieu Très-Haut ni de Se déplacer, ni de venir et d’aller. Quant aux
avant cette date. réalisateurs [de la vérité] (muḥaqqiq) d’entre les assimilationnistes, ce
5. Abū Ma‘shar Ja‘far b. Muḥammad b. ‘Umar al-Balkhī (m. 272/ qui est transmis d’eux est que le Très-Haut a la forme d’une lumière
886), l’Albumasar des latins médiévaux, contemporain du philosophe d’entre les lumières. »
al-Kindī ; voir J. M. MILLÁS, EI2, art. Abū Ma‘shar al-Balkhī ; R. 11. ‘aẓīm B : wa anna l-malā’ika anwār ṣaghīra bi-l-nisbat ilā dhālika
LEMAY, Abū Ma‘shar, t. I, p. 1-49. Al-Rāzī le cite de manière répétée l-nūr al-‘aẓīm + T lumière et que les anges étaient de petites lumières
in Sirr, notamment p. 3, 30, 42, 45, 87, 114, 116. par rapport à cette énorme lumière. Étant
6. IBN TAYMIYYA, ‘Ilm, trad. MICHOT, Exegesis, p. 586, n. 15. 12. wathanan B : wa + T idole – à savoir la plus

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les idoles quand il apostasia la religion de l’Islam et commanda qui Il est en colère, de qui Il a fait les singes et les porcs et qui
de donner des associés au Dieu Très-haut et d’adorer le soleil, ont adoré le démon (ṭāghūt), ceux-là sont dans le pire endroit et
la lune, les astres et les idoles dans son livre qu’il intitula Le plus égarés du droit chemin4. » Parmi ces négateurs jahmites5-
secret celé sur la magie et [comment] s’adresser aux étoiles. Il là il en est en effet qui adorent le démon (ṭāghūt) et comman-
a été dit qu’il l’avait composé pour la mère du roi ‘Alā’ al-Dīn dent de l’adorer. Puis ceux-là font des reproches à quiconque
b. Muḥammad Abī Bakr b. Jalāl al-Dīn1 et2 qu’elle lui en avait croit en Dieu et en Son Messager !
donné mille dīnārs3, son objectif étant [d’apprendre] ce qui s’y
trouvait en matière de magie et de merveilles (‘ajā’ib), et d’ar-
river par là à l’autorité (ri’āsa) et à d’autres fins. À propos
d’Abū Ma‘shar [al-Rāzī] a aussi mentionné dans [ce livre] qu’il
adorait la lune et que dans l’adoration de celle-ci et le fait de
converser intimement avec elle il y a, en matière de secrets et
de bénéfices, des choses qu’il mentionna. Comment dès lors
serait-il approprié que quelqu’un dont ceci est la situation,
s’agissant de l’associationnisme et de l’adoration des idoles,
blâme les adeptes du monothéisme (tawḥīd) qui adorent le Dieu
Très-Haut et ne Lui associent rien, n’ont adoré ni soleil, ni lune, Dīnār du Khwārazm-Shāh ‘Alā’ al-Dīn Muḥammad b. Tekish6
ni astre, ni idole, mais sont bien plutôt d’avis de mener le jihād
Cela rend manifeste que cet al-Rāzī s’appuya, pour donner
contre ces associateurs-là auxquels Abū Ma‘shar, al-Rāzī et
des associés [à Dieu] et adorer les idoles, sur des pareils de
d’autres qu’eux deux se joignirent un [certain] temps en aposta-
Tankalū Shāh7 le babylonien8, des pareils de Ṭumṭum l’indien9
siant ? Même s’ils revinrent de cette apostasie vers l’Islam,
et des pareils d’Ibn Waḥshiyya10, un des rebelles des théolo-
leurs êtres intimes sont auprès de Dieu. Entre les Musulmans il
giens du Kalām en arabe. On le sait, les Chaldéens et les
n’y a cependant pas de controverse sur le fait que commander
Kasdéens11 d’entre les gens de Babylone et d’autres qu’eux
l’associationnisme est mécréance et apostasie quand cela vient
étaient les suivants de Namrūd b. Kana‘ān12 le babylonien et
d’un Musulman et que louer cela, l’apprécier et en donner le
d’autres que lui tandis que les habitants de l’Inde sont celle des
désir est mécréance et apostasie quand cela vient d’un Musul-
nations dont l’associationnisme est le plus grave. Eux sont les
man. Comment serait-il donc approprié qu’un des apostats
ayant rejoint les associateurs fasse aux adeptes du monothéisme
(tawḥīd) et de la consécration de la religion au Dieu Très-Haut 4. Coran, al-Mā’ida - V, 59-60. Ibn Taymiyya ne cite en fait que le
début et la fin de ce passage.
seul, qui voient le jihād contre ces associateurs-là et quiconque
5. Ceux qui partagent les idées de Jahm b. Ṣafwān (m. 128/746) ; voir
les rejoint en apostasiant comme étant d’entre les obligations W. MONTGOMERY WATT, EI2, art. Djahm b. Ṣafwān et Djahmiyya.
[448] les plus importantes et les moyens majeurs de se rappro- 6. Monnaie d’or de 3,71 gr. sans date ni lieu de frappe (Coll. part.).
cher [de Dieu], le reproche d’être d’accord avec les associateurs 7. Tankalū Shāh ou Tinkalūshā, ou Tinkalūs, ou Tinkarūs, trans-
concernant l’origine de l’associationnisme ? Ceux-là ne croient cription arabe, via le moyen-persan Tēwkrōs, du grec Teukros, nom
pas en Dieu et en ce qu’Il a fait descendre vers Ses Prophètes. d’un astrologue antique supposé avoir vécu entre – 100 et 100. Le
Kitāb Tinkalūshā al-Bābilī al-Qūfānī fī ṣuwar daraj al-falak wa mā
Que la situation de ceux-là est semblable à ce que le Très-Haut
tadullu ‘alay-hi min aḥwāl al-mawlūdīn bi-hā sur l’influence de cha-
dit : « Dis : « Ô les gens du Livre, nous reprochez-vous autre cun des 360 degrés de l’écliptique sur les natifs de ces degrés n’est pas
chose que le fait que nous croyons en Dieu, à ce qu’on a fait issu d’une œuvre authentique de Teukros. Il circula cependant large-
descendre vers nous et à ce qu’on a fait descendre auparavant, ment en Islam et est cité par F. D. al-Rāzī (voir notamment Sirr, p. 13,
et que la plupart d’entre vous sont des pervers ? » Dis : « Vous 17, 81, 103, 142-144, 154-155) ; voir M. ULLMAN, Natur, p. 278-279,
329-330.
informerai-je de quelque chose de pire que cela en matière de
8. Il s’agit ici de la Babylone d’Égypte, c’est-à-dire l’ancienne Mem-
rétribution auprès de Dieu ? Ceux que Dieu a maudits, contre phis, au sud du Caire.
9. Auteur supposément indien à l’identité imprécise sinon fictif. De
1. Il s’agit du Khwārazm-Shāh ‘Alā’ al-Dīn Muḥammad b. Tekish (r. petits traités de divination, de pratiques magiques, de talismans et
596/1200-617/1220 ; voir IBN TAYMIYYA, MF, t. XIII, p. 180, trad. d’astrologie ont contribué à sa notoriété en Islam et circulent encore de
MICHOT, Textes spirituels, N.S. XIII, p. 7-8 : « On dit qu’il composa nos jours ; voir M. ULLMAN, Natur, p. 298, 381 ; ṬUMṬUM AL-HINDĪ,
[Le secret celé concernant la magie et la manière de s’adresser aux Ṭalāsim. Al-Rāzī le cite in Sirr, notamment p. 16, 81.
astres] pour la mère du sultan ‘Alā’ al-Dīn Muḥammad b. Tekish* b. 10. Abū Bakr Aḥmad b. ‘Alī b. Qays, dit Ibn Waḥshiyya (IVe/Xe s.),
Jalāl al-Dīn Khwārizm-Shāh. Ce dernier était d’entre les plus grands personnage, peut-être légendaire, sous le nom de qui circulent divers
rois de la terre et al-Rāzī lui était si fortement lié qu’il lui confia la ouvrages issus de textes scientifiques et pseudo-scientifiques antiques ;
charge de ses enfants et composa pour lui un livre qu’il intitula Épître voir T. FAHD, EI2, art. Ibn Waḥshiyya. Al-Rāzī le cite de manière
pour ‘Alā’ concernant les electiones célestes » (* Tekish : Lekish M) ; répétée in Sirr, notamment p. 13, 136, 141, 146, 149, 151, 158.
C. E. BOSWORTH, Dynasties, p. 155-158 ; F. GRIFFEL, Life, p. 328-330. 11. Sur les Kasdéens, voir Y. MICHOT, Textes spirituels, N.S. XI, p. 2,
Selon F. GRIFFEL, Life, p. 332, n. 71, la mère de ‘Alā’ al-Dīn était une n. 5.
princesse Qipchaq-turque nommée Terken Khātūn (m. 630/1232-3) 12. Le Nemrod de la Bible, qui est sans doute évoqué in Coran, al-
« who held her own court ». Baqara - II, 258 et al-‘Ankabūt - XXIX, 24, à propos de l’histoire
2. wa : huwa B d’Abraham. Il représente le type même du tyran se voulant maître du
3. C’est-à-dire plus de trois kilos d’or ! F. Griffel doute cependant monde contre Dieu. Ibn Taymiyya considère Genghis Khān comme
que Terken Khātūn ait été la dédicataire du Secret caché d’al-Rāzī, une sorte de nouveau Nemrod. Voir B. HELLER, EI2, art. Namrūd ; les
l’ouvrage étant écrit en arabe et son nom n’y étant pas mentionné ; textes taymiyyens traduits in Y. MICHOT, Roi croisé, p. 128, 130 ; Tex-
voir F. GRIFFEL, Life, p. 332, n. 71. tes spirituels, XII, p. 26.

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ennemis d’Abraham, l’ami [de Dieu], l’imām des monothéistes la nuit de [son] ascension (mi‘rāj), au dessus de tous les Pro-
originels (ḥanīf). Comment dès lors les suivants de ces associa- phètes, dans les sixième et septième ciels : il vit l’un des deux
teurs-là, les ennemis d’Abraham, l’ami [de Dieu] – sur lui la dans le sixième et il vit l’autre dans le septième. Or les ḥadīths
paix ! – feront-ils le reproche de suivre les associateurs aux qui sont dans le Ṣaḥīḥ6 indiquent le caractère élevé de celui-ci
adeptes de la religion monothéiste originelle qui suivent Abra- et le caractère élevé de celui-là.
ham et la famille d’Abraham en affirmant les attributs de Dieu, Étant donné que les anciens (salaf) des Jahmites et de ceux
Ses noms et Son adoration ? Ces Jahmites-là nient en effet la qui s’adressent aux astres étaient d’entre les plus grands asso-
réalité de l’amitié (khulla) du Dieu Très-Haut et le fait qu’Il ciateurs, les ennemis des Messagers du Dieu Très-Haut com-
parle comme leurs anciens (salaf), les ennemis de l’ami [de mandant d’adorer le Dieu Très-Haut seul, Qui n’a pas d’asso-
Dieu] et les ennemis de celui à qui Il parla1, le nièrent. cié, comment serait-il approprié, pour eux, de faire des repro-
Le premier qui fit apparaître en Islam la jahmisation – à sa- ches aux adeptes de la foi en Dieu et en Son Messager qui con-
voir la doctrine à laquelle al-Rāzī, Abū Ma‘shar et leurs pareils fessent la célébration de l’unité (tawḥīd) de Dieu et l’adoration
ont apporté leur aide – fut al-Ja‘d b. Dirham2. Il prétendait que de Lui seul, Qui n’a pas d’associé, qui confessent la célébration
Dieu n’avait pas adopté Abraham comme ami, ni parlé à Moïse de l’unité (tawḥīd) de Dieu objet de savoir (‘ilmī) et de parole
– Très-Haut, d’une immense hauteur, Dieu est au dessus de ce (qawlī) à l’instar de la célébration de l’unité dont Il a fait men-
qu’al-Ja‘d dit ! – [ni], ensuite, [qu’un bélier] était descendu et tion dans la sourate : « Dis : « Lui est le Dieu un, le Dieu com-
qu’il l’avait égorgé. [449] pact. Il n’a pas engendré et Il n’a pas été engendré7. » « Dis :
« Ô les mécréants, je n’adore pas ce que vous adorez et vous,
vous n’adorez pas ce que j’adore. Moi, je ne suis pas un adora-
teur de ce que vous avez adoré et vous, vous n’êtes pas des ado-
rateurs de ce que j’adore. À vous votre religion et à moi ma
religion8 » ? Comment serait-il approprié, pour ceux-là qui ont
donné des associés [à Dieu], ont complété les associateurs dans
l’opposé du monothéisme (tawḥīd) de ces deux points de vue,
ont commandé d’adorer autre chose que Dieu et de l’invoquer,
ont donné le désir de cela, en ont magnifié la valeur, ont ignoré
quiconque nie cela et l’interdit et, des noms du Dieu Très-Haut,
de Ses attributs et de la réalité de Son adoration, ont nié ce par
quoi seulement la foi et le monothéisme se parachèvent ; com-
ment serait-il approprié, pour ceux-là, de faire à ceux-ci le
reproche de suivre les associateurs et de donner à ceux qui sont
d’accord avec eux en cette mécréance plus de valeur qu’à ces
croyants-ci qui ne sont pas l’objet de Ses dires : « N’as-tu pas
vu ceux à qui une part du Livre a été donnée ? Ils croient à la
sorcellerie (jibt) et au démon (ṭāghūt) et ils disent à ceux qui
Le Prophète arrivant chez Abraham3 mécroient : « Ceux-là sont mieux guidés, pour ce qui est du
Celui-ci fut le premier des Jahmites négateurs des attributs chemin, que ceux qui ont cru. Voilà ceux que Dieu a maudits
[divins] dans cette communauté. Il traitait de mensonge la réa- et, quiconque Dieu maudit, tu ne lui trouveras personne qui
lité de ce par quoi Dieu a spécialement distingué l’imām des l’aide9. » La raison de la descente de ce verset fut ce que Ka‘b
monothéistes originels, [à Lui] consacrés, qui adorent Dieu sans b. al-Ashraf10, le chef des Juifs, faisait : donner à la religion des
rien Lui associer et l’interlocuteur (kalīm) de Dieu, qu’Il a élu associateurs la priorité sur la religion [450] des croyants du fait
en [lui donnant] Ses messages et en lui parlant, alors que le de ce qu’il y avait comme hostilité entre lui et les croyants.
Dieu Très-Haut préfère ces deux Messagers et les distingue En quiconque croit à la sorcellerie – à savoir la magie – et au
spécialement en disant par exemple – Très-Haut est-Il ! : « Ceci démon – à savoir ce qui est vainement magnifié en deçà du
se trouve assurément dans les premiers Feuillets, les Feuillets Dieu Très-Haut, tel les chefs des associateurs – et qui, des
d’Abraham et de Moïse4 » et en disant : « Ou n’a-t-il pas été sciences des Musulmans, possède ce qu’il possède, il y a une
informé de ce qu’il y a dans les Feuillets de Moïse et d’Abra- ressemblance à « ceux à qui une part du Livre a été donnée »
ham, lequel remplit [sa mission]5. » Eux deux sont ceux que le qui « croient à la sorcellerie et au démon ». Lorsque ceux-là
Messager de Dieu – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – vit, sont fanatiquement en faveur de ces associateurs, les aident, et
1. C’est-à-dire Moïse.
2. Sur l’hérétique et précurseur des Mu‘tazilites Ja‘d b. Dirham et 6. Voir AL-BUKHĀRĪ Ṣaḥīḥ, Tawḥīd (Būlāq, t. IX, p. 149-151) ; MUS-
son exécution en 124/742 ou 125/743, voir G. VAJDA, EI2, art. Ibn LIM, Ṣaḥīḥ, Īmān (Constantinople, t. I, p. 102-105). Voir aussi le texte
Dirham ; Y. MICHOT, Textes spirituels, XV, p. 26-27. taymiyyen traduit in Y. MICHOT, Textes spirituels, N.S. XXXI, p. 2-3.
3. Miniature du folio 28 v. du Mi‘rāj Nāmeh de Mīr ḤAYDAR et 7. Coran, al-Ikhlāṣ - CXII, 1-3.
Mālik BAKHSHĪ, Herāt (Afghanistan, IXe/XVe s.), conservé à Paris, 8. Coran, al-Kāfirūn - CIX.
Bibliothèque Nationale, MS Supplément Turc 190 ; voir M.-R. SÉGUY, 9. Coran, al-Nisā’ - IV, 51-52.
Journey, p. 7-9 & pl. 26. 10. Poète juif de Khaybar, favorable aux Quraysh, finalement tué par
4. Coran, al-A‘lā - LXXXVII, 18-19. un Musulman ; voir IBN ISḤĀQ, Sīra, trad. GUILLAUME, Life, p. 364-
5. Coran, al-Najm - LIII, 36-37. 369 ; M. GAUDEFROY-DEMOMBYNES, Mahomet, p. 128, 143.

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blâment les croyants et leur font des reproches, ne font-ils pas effet ils vous parleront de quelque chose de vrai et vous juge-
l’objet de ces dires du Très-Haut : « Ils disent à ceux qui mé- riez qu’ils mentent ; tantôt ils vous parleront de quelque chose
croient : « Ceux-là sont mieux guidés, pour ce qui est du che- de vain et vous les jugeriez véridiques3. » Comment [en ira-t-il
min, que ceux qui ont cru » ? Ils font donc l’objet de Ses dires – donc, a fortiori], alors qu’Abū Ma‘shar en est le transmetteur ?
Très-Haut est-Il ! : « Voilà ceux que Dieu a maudits et, quicon- L’expertise de [cet] homme porte seulement sur les propos des
que Dieu maudit, tu ne lui trouveras personne qui l’aide », et ce Ṣabéens4 associateurs, adorateurs des astres et de leurs sembla-
qu’il y aurait à dire est complètement [exprimé] dans ces dires bles, or ils sont d’entre les gens qui ont le moins d’expertise et
du Très-Haut : « N’as-tu pas vu ceux qui prétendent qu’ils de connaissance sur le monothéisme avec lequel Dieu a envoyé
croient en ce qu’on a fait descendre vers toi et en ce qu’on a fait Ses Messagers et sur la situation de ses adeptes, les croyants,
descendre avant toi. Ils veulent prendre pour juge le démon avec les mécréants associateurs.
alors qu’il leur a été commandé de mécroire en lui. Mais Satan [III.] Le troisième point de vue est que cette histoire implique
veut les égarer en un lointain égarement. Quand il leur est dit : que les hommes, avant l’introduction de l’associationnisme,
« Venez vers ce que Dieu a fait descendre et vers le Mes- partageaient la doctrine qu’il a nommée « la doctrine des assi-
sager », tu vois les hypocrites se détourner totalement de toi1 ». milationnistes » et qu’ils croyaient alors que la divinité du mon-
Ce verset correspond à l’état de ceux-là ainsi que nous l’avons de était une énorme lumière ; étant donné qu’ils croyaient cela,
rendu clair ailleurs. ils adoptèrent une idole ainsi qu’il l’a mentionné. Une telle
croyance – à savoir la doctrine des gens à l’époque la plus an-
cienne – aurait donc été antérieure à l’adoration des idoles.
Ensuite, en raison de cette croyance, ils auraient trouvé bien
d’adorer les idoles. Or on le sait, avant l’associationnisme les
hommes observaient la religion de Dieu et Sa nature originelle
(fiṭra) selon laquelle Il a façonné les hommes – à savoir la reli-
gion de l’Islam commun, [tel que] Dieu n’accepte rien d’autre
que lui de personne ainsi que le Très-Haut l’a dit : « Les hom-
mes n’étaient qu’une seule communauté et ils divergèrent. S’il
n’y avait pas eu une parole antérieure de la part de ton Sei-
gneur, il aurait été tranché entre eux concernant ce à propos de
quoi ils divergeaient5. » Le Très-Haut a aussi dit : « Les hom-
mes étaient une seule communauté. Dieu envoya les Prophètes
en annonciateurs et avertisseurs. Il fit descendre avec eux le
Livre contenant la vérité afin de juger entre les hommes con-
cernant ce à propos de quoi ils divergeaient6. » Il est établi au
sujet d’Ibn ‘Abbās7 – Dieu soit satisfait d’eux deux ! – qu’il a
dit : « Entre Adam et Noé il y eut dix générations qui pratiquè-
Abū Ma‘shar2
rent toutes l’Islam. » Dans le Ṣaḥīḥ il est établi au sujet du
[II.] Le deuxième point de vue est que, s’agissant de la célé- Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – qu’il a
bration de l’unité (tawḥīd) du Dieu Très-Haut avec laquelle Il a mentionné dans le ḥadīth de l’intercession, au sujet de Noé, ce
envoyé ses Messagers et fait descendre Ses Livres, avancer que les gens du lieu lui avaient dit : « Toi, tu es le premier Pro-
comme preuve quelque chose de pareil aux propos d’Abū phète que Dieu a envoyé aux gens de la terre8. » Et le Très-
Ma‘shar l’astrologue et à ce qu’il a transmis au sujet des com-
munautés antérieures convient à quelqu’un de pareil à al-Rāzī
et aux siens. Quel est ton avis ? Si Abū Ma‘shar était d’entre les 3. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Tafsīr (Būlāq, t. VI, p. 20-21) ; I‘tiṣām
(Būlāq, t. IX, p. 111) ; Tawḥīd (Būlāq, t. IX, p. 158) ; IBN ḤANBAL,
ulémas des gens du Livre musulmans – à l’instar de ceux des
Musnad, t. IV, p. 136.
Compagnons et des Suivants qui devinrent musulmans – et 4. Le mot « Ṣabéen », qui apparaît trois fois dans le Coran (II, 62 ; V,
nous transmettait quelque chose des Prophètes antérieurs, nous 69 ; XXII, 17), a été adopté comme appellation par divers groupes
serait-il permis, dans la Loi (sharī‘a), de juger véridique une religieux, le plus important étant une secte de païens hellénisants qui
telle information alors que nous n’en connaîtrions pas la véra- survécut à Ḥarrān jusqu’au Ve/XIe siècle. Connaissant une véritable
cité à partir d’une autre source (jiha) étant donné que celui qui « inflation » (G. Monnot), le « label » a par ailleurs été étendu aux
astrolâtres, idolâtres et tutti quanti de toute confession ; voir
nous la transmettrait [nous] en informerait seulement à partir G. MONNOT, introduction d’AL-SHAHRASTÂNÎ, Religions II, p. 3-13.
des gens du Livre ? Dans le Ṣaḥīḥ, il est rapporté de notre Pro- Outre les idolâtres et les astrolâtres, Ibn Taymiyya range sous ce terme
phète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – [451] qu’il a dit : les penseurs grecs anciens, dont les philosophes arabo-musulmans se
« Lorsque les gens du Livre vous parlent de quelque chose, ne réclament. Voir Y. MICHOT, Musique, p. 76 ; Roi croisé, p. 130, n. 22.
les jugez pas véridiques et ne les jugez pas menteurs. Tantôt en 5. Coran, Yūnus - X, 19.
6. Coran, al-Baqara - II, 213.
7. ‘Abd Allāh b. al-‘Abbās (m. 68/686-8), grand savant de la pre-
1. Coran, al-Nisā’ - IV, 60-61. mière génération ; voir L. VECCIA VAGLIERI, EI2, art. ‘Abd Allāh b. al-
2. Peinture acrylique de Maqbool Fida Husain (Inde, 1915 - Grande- ‘Abbās.
Bretagne, 2011), 2008, s’inspirant de la gravure de la page de titre 8. Voir AL-BUKHĀRĪ Ṣaḥīḥ, Tafsīr (Būlāq, t. VI, p. 84) ; IBN MĀJA,
d’ALBUMASAR, Introductorium (Venise, 1506). Doha (Qatar), Mu- Sunan, Zuhd (éd. ‘ABD AL-BĀQĪ, t. II, p. 1442, n° 4312) ; AL-TIRMIDHĪ,
seum of Modern Arab Art. Photo : Y. Michot, novembre 2008. Sunan, Qiyāma (éd. ‘UTHMĀN, t. IV, p. 43, n° 2551).

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Haut de dire : « Nous avons suscité, dans chaque communauté, ‘ān et son peuple, les ennemis de l’ami [de Dieu] – sur lui la
un Messager [leur disant] : « Adorez Dieu et détournez-vous du prière et la paix ! – et de ses suivants, les amis de la bande
démon1. » d’Abū Ma‘shar, les pareils de Pharaon l’ennemi de Moïse l’in-
Étant donné que Dieu suscita dans chaque communauté un terlocuteur du Miséricordieux – Puissant et Majestueux est-
Messager les invitant à adorer Dieu seul, Qui n’a pas d’associé, Il ! – et ses suivants, les amis des Jahmites négateurs des attri-
et à se détourner du démon, et que Noé fut le premier que le buts [divins] et quiconque est inclu parmi eux d’entre les unio-
Dieu Très-Haut envoya aux gens de la terre, on sait qu’avant le nistes et les Qarmaṭes6. Ainsi certains d’entre eux rendirent-ils
peuple de Noé il n’y avait pas eu [452] d’associateurs ainsi publiques leur amitié pour Pharaon et la révérence qu’ils
qu’Ibn ‘Abbās l’a dit. S’il en est ainsi, que ceux-là pratiquèrent avaient pour lui comme le fit l’auteur de L’atteignement majeur
l’Islam et que leur doctrine fut la doctrine qu’[al-Rāzī] a nom- et le nomos suprême (al-Balāgh al-akbar wa l-nāmūs al-
mée « la doctrine des assimilationnistes », il est établi, en vertu a‘ẓam)7, [453] qui le composa pour les Qarmaṭes8, et comme le
de ce que cette histoire implique obligatoirement, que cette firent l’auteur des Chatons9 et les siens. Et celui qui ne rend pas
[doctrine] est la doctrine des Prophètes, des Envoyés et des Mu- publique son amitié pour Pharaon et ne croit pas en sa qualité
sulmans de toute communauté. d’ami [de Dieu] est d’accord avec lui concernant ce à propos de
quoi il traita Moïse de menteur quand il dit : « Ô Hāmān, cons-
truis-moi une tour : peut-être atteindrai-je les cordes10 – les
cordes des cieux – de manière à apercevoir le Dieu de Moïse,
bien que j’aie pour opinion qu’il est un menteur11. » Des créa-
tures d’entre les ulémas ont dit (et parmi ceux qui dirent cela il
y a Abū l-Ḥasan al-Ash‘arī12, l’imām du groupement d’al-
Rāzī) : « Pharaon traita Moïse de menteur concernant son affir-
mation que Dieu est au dessus du ciel ». Or ces négateurs sont
d’accord avec Pharaon pour ce qui est d’ainsi traiter Moïse de
menteur.
[VII.]13 Le septième point de vue est que les dires qu’ils nom-
ment « la doctrine des assimilationnistes » ou, plutôt même,
l’assimilationnisme pur, ne se trouvent que chez les gens des
Livres divins tels les Juifs et les Musulmans. Ainsi al-Rāzī
mentionne-t-il cela des assimilationnistes des Juifs et des assi-
milationnistes des Musulmans. Quant à ceux qui n’ont pas de
L’arche de Noé2 Livre, d’eux on ne connaît rien relevant de l’assimilationnisme
[IV.] Le quatrième point de vue est [qu’on lit] dans cette his- dont les adeptes se voient reprocher que c’est de l’assimilation-
toire qu’ils s’occupèrent d’adorer ces idoles en croyant adorer nisme ou dont ceux qui disputent avec eux disent que c’est de
la Divinité et les anges. Or le Dieu Très-Haut a mentionné dans l’assimilationnisme. Or on le sait, l’origine de l’associationnis-
Son Livre les dires des associateurs qui plaçaient une autre me ne provint pas des gens des Livres mais seulement d’autres
divinité avec Lui et Il n’a pas mentionné qu’ils croyaient adorer qu’eux. Dieu en effet ne suscita de Messager et ne fit descendre
Dieu quand ils adoraient les idoles ; Il a par contre mentionné de Livre qu’avec le monothéisme ainsi que le Très-Haut l’a dit :
qu’ils avaient adopté ces idoles comme intercesseurs et Il a « Nous avons suscité, dans chaque communauté, un Messager
mentionné qu’ils disaient : « Nous les adorons seulement pour [leur disant] : « Adorez Dieu et détournez-vous du démon. Il en
qu’elles nous rapprochent davantage de Dieu3. » Parmi ces Jah-
mites unionistes4 il en est cependant qui disent que les adora- 6. Une des branches de l’Ismā‘īlisme ; voir W. MADELUNG, EI2, art.
teurs des idoles n’adorent que le Dieu Très-Haut et que l’adora- Karmaṭī.
teur d’une idole est un adorateur de Dieu ainsi que nous l’avons 7. Sur cet important ouvrage pseudo-ismā‘īlien déjà connu au IVe/
mentionné précédemment au sujet de l’auteur des Chatons5 et Xe siècle, voir Y. MICHOT, Vizir, p. 211 (texte taymiyyen traduit et
des siens, qui est d’entre les chefs de ces Jahmites et de leurs références bibliographiques).
imāms. 8. li-l-qarāmiṭa : li-l-qarāmṭa B
9. Voir IBN ‘ARABĪ, Fuṣūṣ, trad. GILIS, Chatons, t. II, p. 640-641 :
[V.] Le cinquième point de vue est que l’adoration des idoles
« Allāh fit mourir [Pharaon] dans un état de pureté (parfaite), purifié
est seulement célèbre et bien connue des négateurs des attributs (de corps et d’esprit), exempt de tout mal car Il le fit mourir au mo-
[divins] d’entre les philosophes ṣabéens – les anciens (salaf) ment de sa (profession de) Foi, avant qu’il ait pu commettre le moin-
d’Abū Ma‘shar, d’al-Rāzī et des leurs tels al-Namrūd b. Kana- dre péché ; or “l’(acte d’entrer en) Islam retranche ce qu’il y avait
avant”. Il a fait de lui un signe montrant le secours providentiel qu’Il
1. Coran, al-Naḥl - XVI, 36. accorde – gloire à Sa transcendance ! – à qui Il veut, afin que personne
2. Peinture sous verre, Tunisie, XIVe/XXe s. Musée Dār al-‘Annābī, ne désespère de la miséricorde d’Allāh. »
Sidi BouSaid. Photo : Y. Michot, septembre 2012. 10. C’est-à-dire les degrés grâce auxquels on pense monter dans les
3. Voir Coran, al-Zumar - XXXIX, 3. cieux comme on se hisse en haut d’un palmier à l’aide d’une corde.
4. C’est-à-dire les partisans de la doctrine de l’unicité de l’existence 11. Coran, Ghāfir - XL, 36-37.
(waḥdat al-wujūd). 12. Abū l-Ḥasan al-Ash‘arī (Baṣra, 260/873 - Baghdād, 324/935),
5. Voir IBN ‘ARABĪ, Fuṣūṣ, trad. GILIS, Chatons, t. I, p. 124-126 ; les théologien éponyme d’une des principales écoles du Kalām ; voir
textes taymiyyens VI, XIV et XXII traduits in Y. MICHOT, Sang, W. MONTGOMERY WATT, EI2, art. al-Ash‘arī.
p. 127-128, 160-161, 179-180. 13. Le texte de Bayān ne comporte pas de sixième point de vue.

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est parmi eux que Dieu guida et il en est parmi eux pour qui ṣabéens associateurs, les ancêtres (salaf) d’Abū Ma‘shar et des
l’égarement fut réel1. » Le Très-Haut a aussi dit : « Nous siens. Étant donné donc que l’origine de la doctrine qu’ils nom-
n’avons pas envoyé de Messager avant toi sans lui révéler qu’il ment « doctrine de l’assimilationnisme » n’est connue qu’à pro-
n’y a pas de Dieu excepté Moi. Adorez-Moi donc2. » Le Très- pos de gens qui sont d’entre les gens d’un Livre descendu du
Haut a par ailleurs dit : « Demande à ceux de Nos Messagers ciel et que les gens des Livres ne furent pas, eux, ceux qui
que Nous avons envoyés avant toi : « Avons-Nous institué, en introduisirent premièrement l’associationnisme, on sait que
deçà du Miséricordieux, des divinités à adorer3 ? » Et le Très- l’associationnisme ne fut pas introduit, premièrement, par les
Haut de dire aussi : « S’agissant de la religion, Il vous a prescrit gens qu’ils nomment « les adeptes de l’assimilationnisme ».
ce qu’Il avait enjoint à Noé, ce que Nous t’avons révélé et ce [VIII.] Le huitième point de vue est [ceci] : puisque donner
que Nous avons enjoint à Abraham, à Moïse et à Jésus : des associés [à Dieu] implique ce qu’[al-Rāzī] a nommé « assi-
« Établissez la religion et ne vous divisez pas à son propos ! » milationnisme », on le sait, il n’est personne, parmi tous les
Énorme pour les associateurs est ce à quoi tu les invites. Dieu Envoyés, qui ait parlé du contraire de cette doctrine, ni interdit
élit pour Lui qui Il veut et guide vers Lui qui se repent4. » Le aux gens cette [chose] qu’il a nommée « assimilationnisme ». Il
Très-Haut a aussi dit : « Ou ont-ils des associés qui, s’agissant n’est pas [rapporté] dans le Coran au sujet de Muḥammad –
de la religion, leur ont prescrit quelque chose que Dieu n’a pas Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! –, ni au sujet des En-
autorisé5 ? » Il a aussi dit : [454] « Ô les Messagers, mangez de voyés antérieurs, ni dans la Tora, l’Évangile et d’autres Livres
bonnes choses et agissez vertueusement ! Moi, de ce que vous qu’eux, ni dans les ḥadīths relatés au sujet d’un des Envoyés,
faites Je suis savant. Cette communauté vôtre est une seule qu’ils auraient interdit aux associateurs ou à d’autres qu’eux de
communauté et Moi, Je suis votre Seigneur. Craignez-Moi dire que le Dieu Très-Haut est au dessus des cieux, dessus le
donc6 ! » Trône ou au dessus du monde, ou de Le décrire par les attributs
informatifs que ceux-là nomment « assimilationnisme ». Bien
plutôt même, il n’y a pas une seule lettre (ḥarf) provenant d’eux
[affirmant] que Dieu n’est ni [455] intérieur au monde ni exté-
rieur à lui, qu’Il n’est pas indiquable, qu’Il n’est ni corps ni
substance, qu’Il n’est pas localisé (mutaḥayyiz), etc.
Si l’associationnisme implique ce qu’ils ont nommé « assimi-
lationnisme » et que les Messagers n’ont pas interdit ce qu’ils
ont nommé « assimilationnisme », ni ne l’ont blâmé, ni ne l’ont
rejeté, ni n’ont fondamentalement parlé de ce qui, selon ceux-
là, est un monothéisme et un transcendentalisme (tanzīh) s’op-
posant selon eux à cet assimilationnisme, il est établi que les
Envoyés – sur eux les prières de Dieu et sa paix ! – affirmèrent
Idoles arabes préislamiques7 tous ce qu’il nomment « assimilationnisme » et cela implique
De l’associationnisme n’est pas advenu chez les gens des qu’il est vrai. Si cette [histoire] qu’Abū Ma‘shar a transmise et
Livres et les suivants des Messagers – les Arabes, les fils qu’al-Rāzī a avancée comme argument est vraie, elle est d’entre
d’Israël et d’autres qu’eux – si ce n’est tiré d’autres que les les preuves majeures de la validité de la doctrine de leurs adver-
gens des Livres. Ainsi ‘Amr b. Luḥayy b. Qama‘a8, le maître saires qu’ils nommèrent « assimilationnistes ». Et si elle n’est
des Khuzā‘a9, introduisit-il l’associationnisme parmi les Arabes pas vraie, elle est du mensonge et eux sont donc, soit des men-
qui pratiquaient la religion (milla) d’Abraham, l’imām des mo- teurs, des forgeurs [de contrevérités], soit objets d’opposition,
nothéistes originels. Il l’introduisit pour eux par des idoles qu’il vaincus, menteurs forgeant [des contrevérités] au sujet de la
transféra de Syrie, d’al-Balqā’10 qui était alors la demeure des doctrine même à laquelle ils apportent leur aide.
Ṣabéens associateurs, les ancêtres (salaf) d’Abū Ma‘shar et des [IX.] Le neuvième point de vue est que l’associationnisme
siens. Ainsi aussi parmi les fils d’Israël adorèrent les idoles était répandu parmi les Arabes et qu’on ne connaît aucun d’en-
ceux qui les adorèrent, comme Dieu le mentionne dans Son tre eux qui ait cru que [son] idole était [façonnée] selon l’image
Livre – Très-Haut et Saint est-Il ! – et cet [associationnisme] de Dieu. Avant eux, [l’associationnisme] existait dans de mul-
advint seulement parmi eux en provenance de leurs voisins tiples communautés et avait des causes bien connues comme,
par exemple, le fait de faire des idoles des images de ceux
qu’ils révéraient – les Prophètes et les vertueux – et des talis-
1. Coran, al-Naḥl - XVI, 36.
mans de ce qu’ils adoraient – les anges, les astres, etc. Or, d’au-
2. Coran, al-Anbiyā’ - XXI, 25.
cun de ces associateurs-là on ne sait qu’il ait cru qu’une telle
3. Coran, al-Zukhruf - XLIII, 45.
4. Coran, al-Shūrā - XLII, 13.
idole était l’image de Dieu. [Par ailleurs], à l’époque de l’Islam
5. Coran, al-Shūrā - XLII, 21. l’associationnisme n’a pas cessé d’être répandu dans les terri-
6. Coran, al-Mu’minūn - XXIII, 51-52. toires des Indiens et des Turcs11. Or les Indiens sont des philo-
7. Istanbul, Musée Archéologique. Photo : Y. Michot, juin 2011. sophes et eux sont d’entre les ancêtres majeurs d’Abū Ma’shar.
8. qama‘a : qumaytha ? B. Voir J. W. FÜCK, EI2, art. ‘Amr b. Lu- Malgré cela, il n’y a personne qui dise cela chez les Indiens et
ḥayy. les Turcs. On le sait donc, celui-ci fut le premier forgeur [de
9. Ancienne tribu arabe. Voir M. J. KISTER, EI2, art. Khuzā‘a. contrevérités].
10. Localité des environs de Damas. Voir YĀQŪT, Mu‘jam, t. I,
p. 579-580, n° 2119. 11. C’est-à-dire les Mongols.

— 6 —
[X.] Le dixième point de vue. Si ceci1 était d’entre les causes sont la science des genres des preuves de la jurisprudence, du
de l’associationnisme, parmi les choses qu’on sait il y a le fait type (ṣifa) de la démonstration, etc. : ces principes ne deman-
que, pour ce qui est des causes de l’associationnisme, autre dent pas nécessairement l’existence des branches et, quand une
chose que cela est plus important et plus fréquent, et que l’asso- branche est corrompue, cela ne rend pas obligatoire la corrup-
ciationnisme est plus fréquent chez d’autres que ceux qu’[al- tion de son principe étant donné que sa corruption peut provenir
Rāzī] a nommés « assimilationnistes ». Si donc l’association- d’un autre côté, différent du côté du principe. Ceci est pareil à
nisme chez certains de ceux qui affirment ces attributs [divins] l’engendrement des vivants l’un à partir de l’autre : les deux en-
est à reprocher et que l’associationnisme est beaucoup plus fré- gendreurs [457] sont le principe de l’enfant et Dieu – Très-Haut
quent chez d’autres qu’eux, attaquer les négateurs des attributs et Saint est-Il ! – fait sortir le vivant du mort et fait sortir le
et leur reprocher ce qui existe chez eux comme association- mort du vivant. Le mécréant engendre donc le croyant et le
nisme sera [encore] plus important et plus capital. [456] croyant engendre le mécréant.
[XI.] Le onzième point de vue. Les paroles d’[al-Rāzī] : « Il Puisqu’il en est ainsi, on le sait, croire en l’affirmation des
est donc établi que la religion de l’adoration des idoles était attributs [divins] ou, même, croire en l’assimilationnisme pur
comme une branche de la doctrine des assimilationnistes2 » ne rend pas obligatoire l’adoration les idoles, ni n’y invite, ni
sont des propos ambigus (mujmal). En matière de branche, il y n’y incite. Tout au plus sera-t-il dit sur le sujet qu’avec la
a ce qui s’ensuit nécessairement de son principe (aṣl). Quand croyance que Dieu – Très-Haut et Saint est-Il ! – est pareil à
donc le principe demande nécessairement l’existence d’une l’humain il est possible qu’une idole soit façonnée à l’image de
branche corrompue, le caractère corrompu de la branche et son Dieu, à la différence de quelqu’un qui n’a pas cette croyance et
inexistence sont une preuve du caractère corrompu du principe ne façonne donc pas l’idole à l’image du Dieu Très-Haut. Cette
et de son inexistence. Parmi les branches il y a [par ailleurs] ce croyance est donc une condition pour considérer l’idole de cette
qui est nécessairement demandé par le principe [mais] ne s’en- manière et, s’il est vrai [qu’elle est considérée en] cette mesure,
suit pas nécessairement de lui, et c’est le plus fréquent. De son cela ne rend pas obligatoire, inévitablement, le caractère cor-
caractère corrompu et de son inexistence ne s’ensuivent donc rompu de cette croyance. Dans le monde en effet, toutes les
pas nécessairement le caractère corrompu du principe et son affaires vaines, s’agissant des croyances, des volitions et de
inexistence ; mais de son caractère corrompu et de son inexis- leurs suites, sont conditionnées par des affaires vraies et des
tence s’ensuivent nécessairement le caractère corrompu de cette croyances vraies ; or le caractère corrompu de ces branches
branche et son inexistence. conditionnées ne prouve pas le caractère corrompu de ces prin-
Le premier [cas], c’est comme le Dieu Très-Haut a dit : cipes qui sont pour elles une condition. De l’homme en effet,
« Dieu propose en parabole une parole excellente comme un une action n’émane qu’à la condition qu’il soit vivant, capable,
arbre excellent dont le tronc (aṣl) est ferme et la branche dans conscient, et le caractère corrompu de ce qu’il fait, s’agissant
le ciel. Il donne ses fruits en tout moment avec l’autorisation de des croyances et des volitions, ne prouve pas le caractère cor-
son Seigneur. Dieu propose des paraboles aux hommes et sans rompu de ces attributs.
doute se souviendront-ils. La parabole d’une mauvaise parole, Ceux qui donnaient des associés à Dieu – Très-Haut et Saint
c’est comme un mauvais arbre : déraciné de la surface de la est-Il ! – et adoraient avec Lui une autre divinité disaient :
terre, il n’a pas de stabilité3. » Les deux paroles sont la parole « Nous les adorons seulement pour qu’ils nous rapprochent da-
de la foi et la croyance du monothéisme et, [par ailleurs], la vantage de Dieu ». Ils disaient aussi : « Eux sont nos interces-
parole de la mécréance et la croyance de l’associationnisme. seurs auprès de Dieu » et ils croyaient que Dieu les dominait.
Cela ne fait pas de doute, les croyances rendent obligatoirement Ainsi disaient-ils dans leur talbiya4 : « Me voici à Ton service.
les actions pareilles à elles. Quand donc la croyance est corrom- Tu n’as pas d’associé, excepté un associé qui est à Toi. Tu le
pue, elle produit (awratha) une action corrompue et le caractère domines et il ne domine pas5. » Le Très-Haut a dit : « Il vous a
corrompu de l’action – c’est-à-dire la branche – prouve le proposé une parabole à partir de vous-mêmes : avez-vous, s’a-
caractère corrompu de son principe – c’est-à-dire la croyance. gissant de ce que vos dextres dominent, des associés en ce dont
Ainsi aussi [en va-t-il] des actions prohibées qui produisent des Nous vous avons pourvus, vous étant donc en cela [leurs] égaux
affaires corrompues comme boire du vin – ce qui détourne du [et] ayant peur d’eux comme vous avez peur de vous-mê-
souvenir du Dieu Très-Haut et de la prière et fait advenir l’hos- mes6 ? » Il [nous] a aussi informés à leur sujet – Glorifié et
tilité et la haine : ces affaires corrompues naissant de cette ac- Très-Haut est-Il ! – en disant – Très-Haut est-Il ! : « Si tu leur
tion sont la branche s’ensuivant nécessairement du principe et demandes qui a créé les cieux et la terre, ils diront très certai-
leur caractère corrompu prouve donc le caractère corrompu du nement : « Dieu7 ». Il a aussi dit : « Dis : « À qui la terre appar-
principe. Ainsi donc tout principe est-il une cause de sa branche
et la rend-il obligatoire. 4. Invocation que le Musulman répète lors de son entrée dans l’état
Quant à la deuxième division, [c’est quand] le principe qui est de sacralisation (iḥrām) puis durant le pèlerinage, pour exprimer qu’il
se met totalement au service de Dieu ; voir T. FAHD, EI2, art. Talbiya.
une condition (sharṭ) n’est pas une cause (‘illa), à l’instar de la
5. Diverses listes de nombreuses formules préislamiques de talbiya
vie qui permet (muṣaḥḥiḥ) les mouvements et les perceptions, existent dans les sources musulmanes classiques. La formule citée ici
et [à l’instar] des principes de la jurisprudence (uṣūl al-fiqh) qui par Ibn Taymiyya correspond à une des talbiyas de l’association inter-
tribale des Ḥums ; voir T. FAHD, EI2, art. Talbiya, p. 172, col. 2 ; M. J.
1. C’est-à-dire partager la doctrine des assimilationnistes, ainsi KISTER, Aspect, I, p. 50, n° 1 ; p. 53, n° 32 ; S. M. ḤUSAIN, Talbiyāt,
qu’expliqué dans le premier paragraphe de cette traduction. p. 367, n° 15, Talbiya Quraysh.
2. Voir la fin du premier paragraphe de cette traduction. 6. Coran, al-Rūm - XXX, 28.
3. Coran, Ibrāhīm - XIV, 24-26. 7. Coran, Luqmān - XXXI, 25.

— 7 —
tient-elle, et ceux qui s’y trouvent, si vous savez ? » Ils diront : mentionné comme preuve est vain.
« À Dieu ! » Dis : « Ne vous rappellerez-vous donc pas ? » [XIII.] Le treizième point de vue. [Al-Rāzī] dit : « Il est donc
Dis : « Qui est le Seigneur des sept cieux et le Seigneur du établi que la religion de l’adoration des idoles était comme une
Trône immense ? » Ils diront : « C’est Dieu ! » Dis : « Ne le branche de la doctrine des assimilationnistes5. » Il lui sera dit
craindrez-vous donc pas ? » Dis : « Qui a en main la royauté [ceci] : Le caractère établi [de quelque chose] s’obtient seule-
sur toute chose, [458] lui qui donne asile et contre qui il n’est pas ment par la mention d’une preuve rationnelle ou traditionnelle
donné asile, si vous savez ? » Ils diront : « Dieu ! » Dis : (sam‘ī). À supposer que ce qu’Abū Ma‘shar a mentionné est
« Comment donc se fait-il que vous soyez ensorcelés1 ? » Le seulement une information concernant des communautés anté-
Très-Haut de dire aussi : « La plupart d’eux ne croient pas en rieures, il ne les a pas identifiées et il n’a pas mentionné la
Dieu excepté en étant des associateurs2. » ‘Ikrima3 a dit : « Ils chaîne de transmetteurs (isnād) qu’il [utilise] pour connaître
croient qu’Il est le Seigneur de toute chose en Lui donnant des cela. [En outre], selon le consensus des imāms de la religion,
associés. » S’ils Lui ont seulement donné des associés du fait Abū Ma‘shar n’est pas quelqu’un de qui un rapport (naql) est
de leur croyance qu’Il est le Seigneur de toute chose et son pro- avançable comme preuve concernant la religion. S’il [459] ne fut
priétaire et que ces intercesseurs et associés sont Sa propriété, pas un mécréant, un hypocrite, il fut en effet un débauché, un
qu’ils croient qu’Il est le Seigneur de toute chose puis croient, pervers. Or Dieu a dit – Très-Haut et Saint est-il ! : « Ô ceux
avec cela, qu’adorer ces idoles leur est utile auprès de Lui, ce qui croient, si un pervers vous apporte [quelque] nouvelle, cher-
qu’ils ont introduit comme associationnisme qui est une bran- chez à [la] confirmer6. » Si on faisait l’hypothèse qu’un tel
che conditionnée par ce principe portera-t-il atteinte à la vérité rapport est transmis par un des imāms des Suivants d’après le
de cette foi et à la confession de la vérité qu’ils ont exprimée ? Messager de Dieu – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! –, il
s’agirait chez lui d’une information des transmetteurs de
laquelle la chaîne est discontinue (mursal) [et] par laquelle on
n’établit de jugement en aucune des branches [de la jurispru-
dence]. Comment donc, [a fortiori, en ira-t-il] alors que le trans-
metteur de ce [rapport] est quelqu’un de pareil à Abū Ma‘shar,
concernant des communautés antérieures ? Ceci sera une infor-
mation [transmise] d’une manière on ne peut plus entrecoupée
par quelqu’un de qui une narration est inacceptable ! Sera-t-il
donc bon, pour qui a de la raison ou de la religion, d’établir par
là quoi que ce soit concernant les principes de la religion ?
Il est étonnant que cet homme7 opposé à Dieu et à Son Mes-
sager se soit tourné vers les informations provenant comme un
flux du Messager de Dieu – Dieu prie sur lui et lui donne la
paix ! –, que les imāms de la religion, les héritiers des Pro-
phètes et des Envoyés ont mutuellement héritées de lui, et sur
l’authenticité desquelles il y a accord de l’ensemble des con-
La Mecque et talbiya4
naisseurs, les ait attaquées d’une manière ressemblant aux atta-
[XII.] Le douzième point de vue est que ceux d’entre les ado-
ques des libre-penseurs hypocrites, puis ait avancé comme
rateurs du soleil, de la lune et des astres, des anges, des Pro-
preuve, concernant les principes de la religion, quelque chose
phètes et des vertueux qui donnent en réalité des associés au
de transmis (naql) par Abū Ma‘shar, un de ceux qui croient en
Dieu Très-Haut et qui adoptent des idoles de ces choses adorées
la sorcellerie et au démon, les imāms de l’associationnisme et
[d’eux], font seulement cela du fait de leur croyance en l’exis-
de l’égarement. Nous nous réfugions en Dieu de leurs maux et
tence du soleil, de la lune et des astres, des anges et des Pro-
de leurs dires, et Dieu est Celui de Qui l’aide est demandée
phètes, et du fait de leur croyance, par assimilationnisme, en ce
contre ce qu’ils décrivent. Et Dieu, Glorifié et Très-Haut est-
qu’ils font comme bien. Leur association d’eux [à Dieu]
Il ! – est plus savant.
portera-t-elle donc, ou non, atteinte à leur existence et à la
BIBLIOGRAPHIE
croyance en ce qu’ils ont comme attributs ? S’il en est ainsi, il ABŪ MA‘SHAR AL-BALKHĪ (m. 272/886), voir ALBUMASAR, Introduc-
faut par conséquence qu’Abū Ma‘shar et al-Rāzī s’en prennent torium ; R. LEMAY, Abū Ma‘shar.
aux sciences naturelles et mathématiques et qu’ils s’en prennent ALBUMASAR, Introductorium in astronomiam Albumasaris abalachi
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