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"Egypte secrète" de Paul Brunton

Le chapitre suivant est extrait du livre de


paul Brunton, "L'Egypte secrète", publié
en 1939. Pour tous ceux qui s'intéressent au
savoir caché de la pyramide de Khéops, qui
serait un être vivant, selon les "contacts" de
cet explorateur connu.
Au lecteur de se faire une opinion ! 
 

Une nuit dans la grande pyramide

Les chats du Caire, jusqu'alors assoupis, baillèrent


prodigieusement, puis détendirent à l'extrême les souples
ressorts de leurs pattes de velours. Le crépuscule arrivait,
heure où commence la véritable existence de la gent féline:
conciliabules amicaux, chasse aux souris, combats
singuliers, tendresses conjugales. Et moi aussi, cest au
crépuscule que j'allais me livrer à l'une des activités les
plus étranges de ma vie, étrange, dis-je, encore que
silencieuse.
J'avais formé le projet de passer une nuit entière à
l'intérieur de la grande pyramide, de veiller, douze heures
durant, assis dans la chambre du roi, cependant que les
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lentes ténèbres passeraient sur le monde africain. C'était
fait. J'ocupais l'abri le plus inimaginable qu'on ait jusqu'à
ce jour édifié sur notre planète.
Certes, je n'y étais pas arrivé sans peine. Bien que chacun
pût librement approcher la grande pyramide, elle n'était
pas la propriété du public. Elle appartenait, je m'en
aperçus, au gouvernement égyptien. Il n'est pas plus
possible au premier venu de circuler à l'intérieur et de
passer dans l'une des chambres une nuit non
réglementaire, que de pénétrer dans la maison d'autrui et
de dormir dans sa meilleure chambre à coucher.
Chaque fois qu'un visiteur veut pénétrer dans la pyramide,
il lui faut, moyennant cinq piastres, acheter un ticket au
département des antiquités. C'est donc là que je me rendis,
et qu'avec optimisme je demandai la permission de passer
une nuit à l'intérieur de la grande pyramide. Eussé-je
sollicité l'autorisation de m'envoler à destination de la
lune, le visage du fonctionnaire qui m'écoutait n'aurait pu
exprimer plus intense stupéfaction.
Je formulai un bref exposé justifiant et appuyant ma
requête. De la surprise, le préposé passa à l'amusement; il
se mit à sourire. Il me tenait, je le compris, pour un
candidat très qualifié à l'entrée dans certaine institution
dont peu d'entre nous se soucieraient de devenir les
habitants. Finalement, voici ce qu'il me dit: "Je n'ai jamais
été saisi de semblable demande. Je ne crois pas avoir
qualité pour l'accorder."

Il m'envoya à l'un de ses supérieurs hiérarchiques du


même département. La scène comique de son bureau se
reproduisit. Mon optimisme commençait à m'abandonner.
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"Impossible!" déclara le second fonctionnaire, avec autant
de fermeté que de bienveillance, convaincu qu'il était de se
trouver en présence d'un doux lunatique. " C'est chose
inouïe. je regrette." La voix trainait, et il haussait les
épaules.
Il se leva pour m'accompagner à la porte de son bureau.
Ce fout alors que ma faculté de persévérance entra
hardiment en scène: je sus résister.

Je me mis à discuter, persistant à renouveler ma requête


par d'autres méthodes, et me refusant à quitter la place.
Mon interlocuteur finit par se débarrasser de moi, en
déclarant que le cas n'appartenait pas à la juridiction du
département des antiquités. A laquelle donc? demandai-je.
Il ne pouvait me le dire en toute certitude mais pensait que
le mieux était de m'adresser à la police.

Je compris combien ma requête était excentrique et


suffisait à me caractériser comme déséquilibré à l'extrême.
Néanmoins, je ne pouvais l'abandonner. Ma décision de la
faire aboutir était devenue une obsession.

Au quartier général de la police, je découvris une section


des permis. Pour la troisième fois, je sollicitai humblement
à passer une nuit dans la pyramide. Le policier, ne sachant
que faire de moi m'envoya à son chef. Celui-ci demanda u
petit délai pou examiner l'affaire. Quand je revins, le
lendemain, il m'invita à me rendre au département des
antiquités !

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Je rentrai chez moi; à ce moment, je désespérais de
parvenir à mes fins.

Mais "les difficultés sont souvent faites pour qu'on les


surmonte". La banalité de ce proverbe anglais rebattu n'a
d'égale que son impérissable vérité. A la réflexion, je
m'avisai d'obtenir une entrevue avec le généreux
commandant de la police municipale du Caire, El Lewa
Russell Pacha. Je sortis de son cabinet muni d'un ordre
écrit, qui prescrivait au chef de police du district
comprenant la pyramide de me donner toute l'assistance
nécessaire pour réaliser mon entreprise.
Je me rendis donc, à la tombée du soir, au bureau du
major Mackersey, chef local de la police, station de Mena.
J'eus à signer sur un registre qu'on me présenta; cela fait,
la police répondait de ma sécurité jusqu'au lendemain. Un
agent de la station fut détaché, pour m'accompagner
jusqu'à la pyramide et donner des instructions au
policeman armé qui monte la garde à l'extérieur du
monument pendant la nuit.

Comme nous nous serrions la main en nous quittant, le


major Mackersey me dit plaisamment: "Nous assumons
un risque en vous laissant là-dedans tout seul une nuit
entière. vous ne voulez pas faire sauter la pyramide, je
suppose ?

- Je ne vous promets pas seulement cela, mais aussi de ne


pas prendre la fuite en l'emportant.
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- Je crains ajouta-t-il, que nous n'ayons à vous y enfermer.
Chaque soir, on cadenasse l'entrée avec une grille de fer.
Vous serez donc prisonnier pour douze heures.
- C'est parfait! Aujourd'hui, nulle résidence ne me plairait
mieux que ce genre de prison..."

On atteint la pyramide par une route ombragée bordée


d'arbres appelés "labbek". Des maisons ne bordent cette
route qu'à de rares intervalles. Finalement, elle gravit peu
à peu le côté du plateau où s'élèvent les pyramides, et s'y
achève en pente rapide. En parcourant l'avenue, je pensais
que tous les voyageurs ayant suivi cette direction au cours
des plusieurs siècles passés, rares avaient ceux qui venaient
remplir une mission aussi curieuse que la mienne. Y en
avait-il eu même un seul?

Je gravis l'étroite colline de la rive occidentale du Nil où la


grande pyramide et son bon compagnon, le sphinx, veillent
en silence sur l'Afrique du nord.

Le gigantesque monument me faisait face, tandis que je


m'avançais sur un sol de sable et de pierres confondus.
Une fois de plus, je considérais l'inclinaison de ces faces
triangulaires qui délimitent la plus ancienne architecture
actuellement connue en ce monde; je suivais des yeux la
perspective des énormes blocs sur leur largeur
décroissante de la base à la pointe. La parfaite simplicité
de l'ensemble, dépourvue de toute trace d'ornementation,
l'absence de la moindre courbe parmi ces lignes droites,
n'enlèvent absolument rien à l'imposante splendeur qui s'y
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exprime.
Je pénétrai dans le muette pyramide par la brèche que
creusa jadis sur son côté le calife Al Mamoun, et je
commençai mon exploration du gigantesque édifice. J'y
étais déjà venu, il est vrai, mais c'était maintenant la
première fois que m'y amenait une recherche aussi étrange
que celle à laquelle était dû mon retour en Egypte. Après
avoir parcouru une certaine distance, j'atteignis
l'extrémité de cet accès horizontal, et mon chemin fut
remplacé par le passage même qui ouvrait à l'origine
l'entrée de la pyramide.

Alors, une torche à la main, courbant la tête presque


jusqu'aux genoux, je descendis le prolongement du
corridor. Longue pente, voie étroite, basse, abrupte, et
glissante. Ma position était on ne peut plus gênante et
inconfortable, à mesure que la déclivité du sol me
contraignait à descendre plus vite que je ne l'eusse voulu.
Je désirais, avant mon séjour dans la chambre du roi,
examiner la partie souterraine de la pyramide; on en a,
aux temps modernes, barré l'accès par une herse de fer qui
empêche le grand public d'entrer dans ce domaine lugubre
et d'y être à demi-suffoqué. Inopinément, je me remémorai
le vieux dicton latin: facilis descensus averni, mais ces mots
prenaient alors une allure de sombre ironie. A la lueur
jaunâtre de ma torche, je ne voyais rien que le roc équarri
dans lequel avait été taillé le sol que foulaient mes pieds.
Quand enfin je trouvai un petit réduit sur la droite, je
saisis l'occasion de m'y glisser et de me redresser pendant
quelques minutes.

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Je reconnus que cet emplacement marquait l'extrémité de
la cavité presque perpendiculaire dite "le puits", qui part
en descendant depuis la jonction du passage montant et de
la grande galerie. Ce nom, le puits, est toujours resté en
usage parce que, il y a environ deux mille ans, on le
destinait à amener de l'eau. Le sol ne fut trouvé
absolument sec que lorsque Caviglia eut déblayé la masse
de débris qui l'obstruait.

Plus étroite encore que le passage que je venais de quitter


était cette ouverture, grossièrement creusée et rébarbative
qui se présentait ainsi, béante, dans le dur rocher. J'y
découvris de petites niches taillées dans les côtés,
parallèllèles entre elles et qui, pour y poser les pieds et les
mains, s'offraient à ceux qui tenteraient l'ascension non
dépourvue de danger.

Cette voie conduisait en haut, irrégulière et parfois


tortueuse, durant une distance considérable avant
d'atteindre une grande chambre, taillée grossièrement,
dont la forme rappelait celle d'un vase. C'est ce qu'on
appelle maintenant la grotte. Elle marquait le niveau du
plateau rocheux sur lequel fut élevé la pyramide. On la
construisit en partie dans une fissure naturelle du roc, qui
fut agrandie. Au delà, le puits fut évidemment taillé dans
la maçonnerie, et non pas édifié avec des blocs comme tous
les autres passages situés au-dessus du sol. Le diamètres de
cette partie du puits s'élargissait, ce qui rendait l'ascension
plus difficile que dans la section plus étroite située sous la
grotte.
Je finis par émerger de la cavité en atteignant l'ouverture
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qui en formait la bouche, et je me trouvais à l'angle nord-
ouest de la grande galerie.

Comment et quand fut-elle taillée au sein de la pyramide?


D'elle même, cette question s'imposa à moi. Comme j'y
réfléchissais, la réponse me frappa soudain. Les anciens
Egyptiens qui, marquant la fin d'une époque dans
l'histoire de la pyramide, avaient bouché 'accès aux
chambres supérieures et à la grande galerie, au moyen de
trois monstrueux tampons de granit, avaient bien été
obligés de se ménager eux-mêmes une issue; sinon, ils
fussent restés ensevelis vivants dans la pyramide.
Je savais, d'après mes propres recherches, que le puits et
la grotte avaient été construits à la même époque que la
pyramide elle-même, mais qu'alors le puits ne descendait
pas plus bas que la grotte. Durant des milliers d'années, il
n'y eut aucune jonction entre le passage supérieur et le
passage souterrain. Lorsque la grande pyramide eut
rempli le but mystérieux qui lui était assigné, les
responsables la scellèrent. Scellement qu'avaient prévu les
constructeurs à l'origine; ils avaient laisse en place le
matériel nécessaire à cet effet, et même resserré l'extrémité
inférieure du passage montant, pour qu'on y enserrât les
trois tampons de granit. Ceux qui accomplirent ce dernier
travail taillèrent la partie inférieure du puits dans le roc
massif, pour se procurer une issue. Quand ils eurent
achevé et se furent retirés, il suffit de condamner
hermétiquement l'orifice de ce nouveau passage, au point
où il joignait le passage descendant, puis de remonter la
pente longue de trois cent pieds jusqu'à l'entrée primitive.
Voilà comment le puits, créé d'abord pour atteindre la
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grotte, servit en dernier lieu à quitter la pyramide murée.
Je rejoignis par la voie la plus aisée le long tunnel incliné
qui fait communiquer l'intérieur avec le monde extérieur,
afin de reprendre mon voyage descendant vers le plateau
rocheux de Gizéh. Soudain, dans un tournant, une ombre
agrandie se projeta au travers de mon chemin; je reculai,
tout saisi, avant de comprendre que c'était mon ombre
même. Dans une atmosphère aussi fantastique, on s'attend
à tout; les choses les plus étranges pourraient survenir.
Glissant, rampant, je vins à bout de la distance
relativement petite qui restait à parcourir, et j'éprouvai un
sensible soulagement quand j'eus ainsi fini de descendre,
pour me trouver sur un sol horizontal; il est vrai que
c'était dans un tunnel encore plus étroit. J'y parcourus
environ dix mètres en rampant, puis j'arrivai à l'entrée
ouverte de la chambre la plus bizarre que j'eusse jamais
vue. On l'appelle la fosse. Dans sa plus grande dimension,
elle avait un peu moins de cinquante pieds d'un mur à
l'autre.

Ce caveau obscur, situé exactement au-dessous du centre


de la pyramide, produisait l'impression d'un ouvrage
ayant été précipitamment abandonné; il semblait qu'on en
eût interrompu l'achèvement, en cessant brusquement de
tailler cette chambre dans le roc massif. Le plafond, pour
sa part, était achevé, mais le sol présentait autant
d'inégalités qu'une tranchée bombardée. Les anciens
maçons égyptiens avaient coutume de procéder de haut en
bas pour établir des voûtes dans le roc; la base était donc
façonnée la dernière. Pourquoi celle d'ici n'aura-t-elle
jamais été menée à bonne fin, tandis que, plus tard, il fallut
au moins le travail de toute une vie pour construire la
superstructure qui domine le niveau du roc ? Il y a là une
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énigme archéologique peut personne n'a jamais pu
résoudre. Mais n'en doit-on pas dire autant de la pyramide
entière ?Je dirigeai la lueur de ma torche sur les épaisseurs
obscures et j'en concentrai un faisceau sur le milieu du sol.
Je me rapprochai de ce point et j'y examinai curieusement
le bord béant d'un trou profond, témoin muet jadis laissé
là par les chasseurs de trésor; c'est en vain qu'ils avaient
peiné à creuser une fosse dans la fosse. Les ailes d'une
chauve-souris me frôlèrent désagréablement, comme elle
parcourait cet espace pauvre en air. Dans le trou lui-
même, je constatai que ma lumière troublait le sommeil de
trois autres représentants de cette espèce, qui se tenaient
accrochés sur les côtés rugueux de la pierres. En me
déplaçant, j'en réveillai deux autres encore, suspendues au
plafond. Alarmées, bouleversées, par la lumière que, sans
pitié, je projetai sur elles, les chauve-souris voletaient en
désordre et criaient; enfin, elles disparurent dans le noir
du passage d'entrée. J'escaladai les bosses du sol accidenté
et parvins à l'autre extrémité du caveau, où un petit tunnel
se montrait dans le mur. Il était juste assez large pour
donner passage à un homme, mais e, hauteur, il ne
permettait que d'y ramper difficilement sur le ventre, dans
une poussière déposée là depuis des milliers d'années.
Excursion dépourvue d'agrément. Je m'y soumis, afin de
pouvoir examiner l'extrémité du tunnel. Après avoir
pénétré dans le roc sur une longueur d'environ vingt
mètres, il s'achevait brusquement; apparemment, comme
la fosse, ce tunnel était resté inachevé. Presque suffoqué, je
revins sur mes pas et regagnai la fosse sans air; j'en
considérai une dernière fois l'ensemble, puis je pris la
route du retour vers les régions supérieures de la
pyramide. Quand j'atteignis le commencement du passage
peu élevé de plafond qui montait suivant une ligne
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parfaitement droite de trois cent cinquante pieds de roc,
avant de continuer en un corridor traversant la
maçonnerie, je m'étendis sur le sol et , par l'ouverture que
je comparais à la lentille d'un immense télescope, je levai
mes yeux vers le ciel enténébré. Un point d'argent,
scintillant, facile à apercevoir sur le vaste fond bleu indigo,
m'y apparut; c'était l'étoile polaire. La boussole attachée à
mon poignet me permit de repérer la direction: tout juste
le nord. L'ouvrage des premiers constructeurs avait su
joindre à la grandeur la précision. Je repris ma marche
rampante pour gravir le chemin escarpé et parvins enfin
au corridor horizontal qui mène à la chambre de la reine.
Une vingtaine de grands pas et j'y étais, considérant le
plafond voûté et sa ligne droite médiane. Deux conduits de
ventilation s'inclinaient vers le haut, partant des murs
nord et sud. Ceci démontrait clairement que la chambre
n'avait jamais été une tombe, mais que les vivants
entendaient s'en servir. Lorsqu'on découvrit ces conduits
en 1872, ils posèrent à beaucoup d'esprits une énigme, car
ils s'arrêtaient à cinq pouces au-dessous de la chambre.
Dans cet état, ils n'auraient donc pas pu y amener de l'air.
Avaient-ils eu quelque autre destination inconnue? La
meilleure explication, la voici: le temps sera venu où ils
eurent rempli l'objet qu'on leur avait assigné; alors,
comme pour tout le reste des accès supérieurs dans la
pyramide, on en scella complètement les orifices, par de
nouveaux blocs de pierre. C'est Waynman-Dixon, un
ingénieur civil alors employé à certains travaux dans le
voisinage de la pyramide, qui découvrit par hasard ces
tubes d'air, un jour qu'en simple curieux il examinait les
murs de la chambre de la reine. Il remarqua que l'un des
murs, qui sonnait creux en un endroit déterminé,
paraissait aussi légèrement lézardé. Il fit percer cette place
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et, à cinq pouces de la surface, il trouva un mince tube. Le
même procédé lui en fit découvrir le pendant sur le mur
opposé. Les deux conduits se dirigeaient tout droit à
travers le gros œuvre de la pyramide. Ceci fut démontré
plus tard, au moyen de baguettes métalliques témoins
qu'on y inséra sur une longueur d'environ 200 pieds.
Je repris le corridor horizontal et me dirigeai vers
l'endroit où il rencontre la grande galerie. Ensuite je
parcourus lentement 150 pieds jusqu'au sommet de cette
pente raide. Chemin faisant, une petite impression de
faiblesse, causée par trois jours de jeûne, commença à me
troubler. Enfin, je m'arrêtai quelques secondes sur le
degré terminal, haut de 3 pieds, qui coupe exactement l'axe
vertical de la pyramide. Quelques pas encore à travers
l'antichambre, je me baissai forcément sous le bloc de
granit qui descend des murs latéraux à rainures, fermant
l'issue du corridor horizontal, et j'avais atteint la chambre
principale de la pyramide, la fameuse chambre du roi.

Ici également, la présence de 2 tubes à airs, chacun


d'environ 9 pouces carrés, ruinait la théorie de la tombe. Si
l'orifice des conduits de la chambre n'avait jamais été
scellé comme dans le cas précédent, du moins les avait-on
complètement comblés de pierres détachées, que le colonel
Vyse eut à extraire lorsqu'il voulut déterminer la nature de
ces conduits. Il est extrêmement probable que cette
obstruction fut réalisée à la même époque que toutes les
autres mesures prises pour boucher les aménagements
intérieurs, dans la partie du monument située au-dessus du
niveau du sol. Je projetai ma lumière sur les murs nus et le
plafond uni, admirant une fois de plus l'ajustement parfait
de ces énormes blocs de granit poli; puis je me mis à
tourner lentement tout autour, pour examiner chacune des
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pierres l'une après l'autre. Pour façonner ces blocs, l'on
avait fendu en deux les rochers de nuance ocre extraits de
la lointaine Syène. Cà et là, sur le sol comme sur les murs
restaient les cicatrices laissées par les vaines investigations
des chercheurs de trésor. Les dalles, sur le côté est du
pavage, avaient en partie disparu, remplacées par de la
terre battue, tandis qu'au nord-ouest, un profond trou
rectangulaire restait béant. Appuyé contre l'un de ces
murs, se dressait un long bloc de pierre rugueuse, ayant
jadis fait partie du pavage et abandonné là fortuitement
par les mains de quelque vieil Arabe. Quelques pouces à
peine plus loin, parallèle à ce bloc, se trouvait le
sarcophage aux côtés unis, bien comparable à un cercueil.
Dépourvu de couvercle, isolé, c'était l'unique objet
rompant le vide le la vaste chambre. Il occupait
exactement la direction nord-sud. Le bloc arraché au sol
pouvait servir de siège. Je m'y installai donc, assis en
tailleur, les jambes repliées, et je me disposai à passer là le
reste de la nuit. A ma droite, j'avais posé mon chapeau, ma
jaquette et mes souliers; à ma gauche, la torche toujours
allumée, une bouteille thermos contenant du thé chaud,
deux flacons d'eau frappée, mon carnet de notes et mon
stylographe. Un dernier regard autour de la chambre, puis
sur le coffre vide, mon voisin, et alors j'éteignis mon
flambeau.
Je gardais à côté de moi une puissante lampe électrique
prête à être utilisée. En tombant soudain dans la nuit
noire, je ne pouvais que me demander intensément: que
va-t-il l m'arriver jusqu'au matin? Une seule chose me
restait possible en ces étranges conjonctures: attendre,
attendre, attendre... Les minutes s'écoulaient lentement,
tandis que, tout aussi lentement, je "sentais" que cette
chambre du roi était douée d'une puissante atmosphère
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pour laquelle je ne trouve qu'une épithète: "psychique".
Car, délibérément, j'avais rendu mon esprit réceptif, ma
sensibilité passive, mon attitude négative, de manière à
pouvoir enregistrer à la perfection toute éventualité
dépassant le domaine de la réalité physique. J'en voulais
que nul préjugé personnel, nul parti pris ne m'empêchât
d'accueilli ce qui pourrait m'arriver de quelque source
fermée à nos cinq sens. De proche en proche j'amenuisai le
cours de mes pensées jusqu'à ce qu'ne mon esprit le vide se
fût à demi établi. Le silence qui descendait ainsi sur mon
cerveau m'apportait avec acuité la connaissance d'un autre
silences, celui qui descendait sur ma vie. Le monde, avec
son tumulte et son agitation, m'était devenu aussi lointain
que s'il n'eût jamais existé. Pas un son, pas un souffle n e
m'arrivait des ténèbres. En vérité, l'empire des pyramides
a pour souverain le silence, un silence qui date de
l'antiquité préhistorique et qu'aucun babil des touristes ne
saurai à proprement parler interrompre, puisque chaque
nuit le ramène, intégral, inspirant la crainte la plus
respectueuse.
Je ma mis à observer l'imposante atmosphère de la
chambre. Les personnes sensibles réalisent couramment
cette expérience, parfaitement normale, dans les demeures
anciennes. Ma propre expérience débuta par quelque
chose d'analogue. Plus le temps passait, plus
s'approfondissait, plus 'intensifiait en moi l'antiquité
démesurée qui m'enveloppait, plus le je sentais que le
20ième siècle allait se dérobant, s'évanouissant sous mes
pieds. Docile à la résolution que je m'étais imposée, je
n'opposai à ce sentiment aucune résistance: loin de là, je la
laissai redoubler de force. En moi commença à s'insinuer
le soupçon étrange d'une présence rompant ma solitude.
Sous le voile de la totale obscurité, je sentais que quelque
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chose d'animé, de vivant, se mettait à palpiter, prenait
naissance. Sensation vague, mais réelle. Unie au sens
croissant du retour du paddé, elle me donnait précisément
conscience de ce je ne sais quoi que j'appelle "psychique".
Toutefois, rien de défini, de clairement délimité, ne se
dégageait de ce sentiment vague et général d'un présence
étrange, respirant à travers les ténèbres. Les heures
glissaient l'un après l'autre, amenant, contrairement à
mon attente, un refroidissement croissant. L'effet du jeûne
de 3 jours, auquel je m'étais soumis pour intensifier ma
sensibilité, se manifestait maintenant par des frissons de
plus en plus marqués. Par des étroits conduits de
ventilation, l'air froid, pénétrant dans la chambre du roi,
s'insinuait sous la mince protection de mes vêtements
légers. Je me mis à grelotter. Me levant; je passai ma
jaquette, déposée peu d'heures auparavant dans l'attente
d'une chaleur des plus fortes Mais voilà ce que nous
réserve l'Orient en certaines stations. Température torride
pendant le jour, lourde chute du thermomètre pendant la
nuit.
Jusqu'à ce jour, l'orifice des conduits d'aération n'a été
découvert nulle part à la surface extérieure de la
pyramide, bien qu'on en connaisse l'aire approximative.
Certains égyptologues que la canalisation ait été poussée
jusqu'au dehors. Mais le total refroidissement de l'air
intérieur durant ma veille tranche cette question.
Je repris ma place sur mon siège de pierre et
m'abandonnai derechef à l'accablant, au mortel silence,
ainsi qu'à l'inexprimable obscurité. L'âme docile, je
veillais. Sans aucun motif je vins à ma rappeler que là-bas,
quelque part à l'est, le canal de Suez persistait à tracer sa
ligne droite au milieu des sables et des marais, et puis je
pensai au Nil, majestueuse épine dorsale du pays.
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Le silence, sépulcral, le cercueil de pierre vide à mes côtés
n'étaient pas faits pour tranquilliser mes nerfs, alors que
l'interruption de ma veille semblait avoir rompu autre
chose aussi; en effet, je m'aperçus très vite que le soupçon
d'une vie invisible présente autour de moi passait à l'état
de la pleine certitude. Oui, il y avait tout près de moi
quelque chose de palpitant, de vivant, encore que je ne
puisse voir quoi que ce soit. Je me sentis alors
soudainement accablé en me représentant ma solitude et
ses dangers. Ainsi je me trouvais là, assis tout seul dans
une chambre indéfinissable mais perchée à plus de 200
pieds au-dessus du sol, considérablement plus haut que le
million d'habitants du Caire, au milieu d'impénétrables
ténèbres, sous clef, incarcéré en cet étrange monument, au
seuil d'un désert qui s'en va couvrir des centaines de miles,
ce pendant qu'auprès de ma prison - le plus vieil édifice du
monde, probablement, s'étendaient, pêle-mêle, tant de
tombes farouches, nécropole d'une ancienne capitale.
Sous mes yeux qui avaient scruté à fond le monde
psychique, mystères occultes, sorcelleries et magies de
l'Orient, la vaste chambre du roi se peupla d'êtres
invisibles, d'esprits préposés à la garde du vénérable
monument.

A chaque instant, il semblait qu'une voix spectrale allait


s'élever du sein de l'immense silence. Maintenant je
rendais grâce aux constructeurs des étroits conduits d'air,
versant dans l'antique salle leur faible mais constante
ventilation rafraichissante. Qu'importe que l'air ait à
traverser près de trois cents pieds avant d'y parvenir, il
était toujours le bienvenu. Je suis accoutumé à la solitude,
elle me plaît, j'aime en jouir; mais celle de cette chambre
avait quelque chose de périlleux, de terrifiant.
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L'obscurité, où tout s'absorbait, commençait à peser sur
ma tête comme une masse de fer. En moi tremblait l'ombre
d'une crainte inutile. Je la balayait instantanément. Ce
n'est pas le courage physique dont il est besoin pour
séjourner au coeur de la déserte pyramide, c'est quelque
fortitude morale. Selon toute vraisemblance, aucun
serpent ne sortirait d'un trou ou d'une crevasse; nul
trimardeur ne s'y réfugie à la tombée de la nuit. En fait,
voici les seules manifestations de la vie animale qui s'offre
à ma vue: une souris effarouchée, rencontrée au
commencement de la soirée dans le passage horizontal, se
précipita de tous les côtés entre les murs dépourvus de
fente où disparaître; à toute force, il lui fallait échapper,
hors de la portée de la terrible lueur de ma torche; ensuite,
j'avais découvert deux lézards, dont la teinte jaunâtre
trahissait leur âge incroyablement avancé; ils rampaient
au plafond de l'étroite saillie qui sort de la niche dans la
chambre de la reine;, en dernier lieu, ce furent les chauves-
souris du caveau souterrain. Je dois ajouter, il est vrai, que
quelques criquets avaient émis leur chant non sans force
lorsque j'entrai dans la grande galerie, mais ceci s'arrêta
promptement. Et maintenant, le silence inviolé tenait la
pyramide entière comme captive? Rien de ce qui ressortit
du monde physique ne pouvait me causer aucun mal. Mais
malgré tout, un vague sentiment de malaise, comme si des
yeux invisibles me guettaient là, quelque part, m'envahit
pour la seconde fois. Quel mystère de rêve, quelle irréalité
fantomatique possédait donc ce séjour!... Certaines
vibrations de l'énergie, du son, de la lumière, échappent à
l'ordre normal de nos capacités réceptives. Chansons
amusantes et graves discours parviennent, à travers le
monde, aux auditeurs de la T.S.F., mais ceux-ci n'en
percevaient rien si leur appareil enregistreur n'était pas
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convenablement branché. De ma veille purement réceptive
je m'étais libéré, pour y substituer toute la force d'une
concentration d'esprit imposant à ma pleine attention un
effort destiné à percer le noir silence qui m'entourait.

Si, de cette intense concentration intérieure, il résulta que


ma faculté d'observation fut portée à une extension
anormale, m'était-il dès lors impossible de surprendre la
présence de forces invisibles? Qui le prétendrait?
Tout ce que je sais, c'est que lorsque je "me branchai", par
une méthode d'attention intériorisée à laquelle je m'étais
initié longtemps avant ce second voyage en Egypte, je me
rendis compte que des forces hostiles avaient envahi la
chambre. Il y avait, s'approchant, quelque chose que je
ressentais comme néfaste, dangereux. Une peur sans nom
s'agitait en mon coeur; chassée, elle revenait à de brefs
intervalles. Je persistais à appliquer ma méthode de
concentration intense, à direction unique et intérieure, la
sensibilité suivant sa pente accoutumée et se transformant
en vision. Des ombres se mirent à voltiger ça et là dans la
salle où ne pouvait s'en tracer aucune. peu à peu, elles
prirent une forme plus définie; il apparut soudain des
figures malveillantes, tout près de on propre visage.
Devant les yeux de mon esprit s'élevaient directement des
images sinistres. Puis ce fut une apparition noire qui
s'avança, fixant sur moi un regard méchant et dressant les
mains en geste de menace, comme pour m'inspirer un
respect mêlé de terreur. Des esprits d'un âge incalculable
semblaient s'être glissés jusque là depuis la nécropole
voisine, une nécropole si vieille que des momies y tombent
en poussière dans leurs sarcophages de pierre; c'étaient les
ombres accrochées à ces antiques défunts qui faisaient leur
fâcheuse apparition sur le théâtre de ma veille. Toutes les
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légendes des spectres néfastes qui hantent les parages des
pyramides me revenaient à la mémoire, avec les mêmes
détails déplaisants qui les caractérisent quand elles vous
sont racontées pr les Arabes d'un village peu éloigné.
Quand j'avais dit à un jeune ami arabe que j'avais
l'intention de passer une nuit dans la pyramide, il s'était
efforcé de m'en dissuader. "Chaque pouce est hanté,
m'assura-t-il pour me mettre en garde. Ce territoire
compte toute une armée de fantômes et de génies."
L'avertissement n'était pas superflu, je pouvais
maintenant le constater. Des figures spectrales s'étaient
mises à ramper dans mon noir séjour, elles y tournaient
partout; l'indéfinissable sentiment de malaise qui m'avait
précédemment saisis recevait pleine et entière justification.
Sous une pareille tension, vers le milieu de cette chose
inerte qu'était mon corps, je m'aperçus que mon coeur
battait comme un marteau. La crainte su surnaturel, qui
nous guette tous tant que nous sommes, mordait sur moi
une fois encore. Crainte, peur, horreur me présentaient
tour à tour leur méchante face. Involontairement, mes
mains se serraient avec l'étreinte d'un étau. Mais j'étais
décidé à passer outre; quoique ces formes fantomatiques
aient d'abord ébranlé en moi une sensation de frayeur,
elles finirent par m'amener à mobiliser toutes les réserves
de courage et de combativité que je pusse réunir.
Mes yeux restaient clos, cependant que toutes ces formes
grises, glissantes, vaporeuses s'imposaient à ma vision. Et
toujours leur implacable hostilité, leur atroce acharnement
à m'empêcher de suivre ma résolution. Un cercle entier
d'adversaires m'entourait. Il eût été facile d'en venir à
bout en allumant la lumière, ou en me dressant debout
pour sortir en hâte de la chambre et courir durant
quelques centaines de pieds jusqu'à la grille d'entrée, où le
19
gardien armé m'eût assuré un vivant réconfort. L'épreuve
subie m'imposait une forme subtile de torture, elle
harcelait mon âme, tandis que mon corps restait intact.
Mais également implacable était en moi je ne sais quel
commandement, m'imposant de traverser cette étape
jusqu'au bout. Le paroxysme arriva enfin. Des espèces
monstrueuses, indéfinissables, de sinistres, d'infernales
horreurs, des formes à l'aspect baroque, grotesque, fou,
démoniaque fourmillaient autour de moi; la répulsion
qu'elles m'inspiraient m'infligeait une inimaginable
souffrance. En quelques minutes, j'ai vécu là des émotions
dont le souvenir ne m'abandonnera en aucun temps. Cette
scène incroyable demeure photographiée en haut relief
dans ma mémoire Pour rien au monde je ne tenterais de
renouveler pareille expérience; jamais plus je n'établirai
ma demeure nocturne au sein de la grande pyramide.
La fin surgit ave une brusquerie saisissante. Les
détestables envahisseurs fantomatiques disparurent dans
l'obscurité d'où ils avaient émergé. Ils s'évanouirent dans
le sombre royaume des trépassés, entraînant avec eux tout
le cortège de leurs pernicieuses horreurs. Mes nerfs, à
demi brisés, éprouvèrent un soulagement aussi immense
que ceux d'un soldat quand s'arrête tout-à-coup un
formidable bombardement. je ne sais combien de temps
s'écoula alors, jusqu'à ce que je prisse conscience d'une
présence nouvelle dans ma chambre. C'était quelqu'un de
bienveillant, une figure amicale, qui se tenait à l'entrée et
posait sur moi des regards plein de bonté. Son arrivée
marqua un changement total de l'atmosphère.
Changement en mieux. Avec lui arrivait quelque chose de
net et de sain. Un nouvel élément commença à influencer
mon être sensible, qui restait accablé. Ce fut l'apaisement,
le retour au calme. L'apparition s'approcha de mon siège
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de pierre; je vis qu'une autre la suivait. Toutes deux se
tinrent à mes côtés et me considérèrent avec gravité; leurs
regards étaient lourds de signification prophétique; je
sentis qu'une heure importante de ma vie approchait.
Ces deux êtres revêtaient dans ma vision un aspect
inoubliable. Leurs robes blanches, leurs sandales, la
sagesse emprunte sur leurs traits, leur haute stature, tout
cela me revint instantanément à l'esprit. En outre, ils
portaient les insignes indiscutables de leur charge; on
reconnaissait donc en eux des grands prêtres de l'ancien
culte égyptien. Une clarté légère qui les entourait se
répandait fort étrangement sur une partie de la salle. En
vérité, ils semblaient être plus que des hommes; ils avaient
la splendeur des demi-dieux; leur face respirait un calme
sans égal, le calme du cloître. Ils se tenaient immobiles
comme des statues; ils me considéraient , les mains jointes
sur la poitrine; ils gardaient un silence absolu. Etais-je en
activité dans une quatrième dimension de l'espace, réveillé
pour observer un passé immémorial? mon sens du temps
avait-il reculé jusqu'aux jours de la primitive Egypte?
Non, impossible, car je percevais nettement que ces deux
êtres pouvaient me voir; ils étaient même sur le point de
m'adresser la parole. Leurs hautes figures se penchèrent
en avant, les lèvres de l'un d'eux parurent bouger, son
visage tout près du mien; ses yeux brillaient d'un flamme
immatérielle. Sa voix résonna à mon oreille. "Pourquoi es-
tu venu en ce lieu, cherchant à évoquer les puissances
secrètes? Les voies des mortels ne te suffisent-elles pas?"
me demanda-t-il. Ce n'est pas le sens physique de l'ouïe qui
m'apporta ces paroles; il est certain qu'aucune vibration
sonore n'avait troublé le silence ambiant. Mais il me
semblait les entendre de la même manière qu'un sourd,
muni d'un appareil électrique, peut percevoir les mots
21
résonnant contre son tympan, toutefois avec cette
différence qu'il les entend à l'intérieur de cet organe. La
voix qui me parvenait, on pourrait vraiment l'appeler voix
mentale, car, entendue évidemment dans mon oreille, elle
n'était pas moins susceptible de produire l'impression
d'une simple pensée. Or rien ne serait plus erroné. C'était
une voix. Je répondis: "Non!" Il me dit: "Le mouvement
de maintes multitudes rassure, dans les villes, le coeur de
l'homme qui tremble. Pars, retourne te mêler à tes amis, et
tu auras vite oublié l'insignifiant caprice qui t'amena ici."
"Je ne le puis", répétai-je. Il fit un nouvel effort. "Le
sentier du rêve te dérobera au bercail de la raison.
Certains s'y sont aventurés, qui revinrent insensés.
Retourne, pendant qu'il est encore temps, retourne suivre
le chemin assigné aux pas des mortels." Mais je hochai la
tête et murmurai:" Il me faut suivre ce chemin-ci; il n'en
est pas d'autres pour moi." Le prêtre se rapprocha encore
et pencha de nouveau sa face vers mon siège. Je vis son
visage de vieillard se profilant sur l'entourage ténébreux. Il
chuchota contre mon oreille: "Quiconque entre en contact
avec nous perd toute parenté avec le monde. Es-tu capable
de marcher seul ?" "Je ne sais", répondis-je. Il murmura
de nouveau: "Viens avec moi; puis, quand tu auras vu,
donne ta nouvelle réponse." Alors je vis, comme dans une
vision lointaine, le dédale des rues d'une grande ville. Ce
spectacle se rapprocha avec rapidité, jusqu'à ce que j'aie
remarqué, au tout premier plan, une vieille maison, proche
d'une place fermée avec une grille. J'y vis une obscure cage
d'escalier, qui menait à un galetas sous le toit. Mon
interlocuteur spectral m'apparut soudainement en cet
endroit, assis au chevet d'un vieillard dont la chevelure en
désordre et l'inculte barbe grise cadraient bien avec la
rudesse de ses traits.
22
Il avait certainement passé depuis longtemps le soir de sa
vie, car sa peau toute cendrée pendait, flasque, sur ses os.
Son visage décharné, où se lisait l'épuisement, m'émut de
pitié, mais en le regardant je me mis à frissonner, car je
voyais nettement comment son esprit luttait pour quitter
son corps, combat sinistre dont l'issue m'était aucunement
douteuse.
Mon guide considérait d'un regard compatissant le
moribond couché. Il leva la main et dit: "Encore quelques
minutes, mon frère, et tu auras la paix. Vois, je t'ai amené
quelqu'un qui cherche les puissances secrètes Pour legs
suprême, adresse-lui quelques mots." Je devenais soudain
non plus seulement témoin mais acteur de cette étrange
scène.
Avec un bruit haletant, terrible à entendre, le mourant
tourna la tête et me regarda en face. Irais-je jusqu'aux
extrémités du monde, jamais je n'oublierai la terreur
couvant dans ses yeux. "Vous êtes plus jeune que moi,
murmura-t-il. Mais j'ai parcouru l'univers une fois, deux
fois, trois fois. Moi aussi je cherchais ce que vous cherchez.
Oh! combien j'ai cherché!" Il s'arrêta une minute, sa tête
retombant sur l'oreiller; il s'efforçait de feuilleter ses
souvenirs. Puis il se redressa sur ses coudes et tendit un
bras long et maigre. Sa main, aux doigts osseux et à
l'étreinte toute raide, semblait celle d'un squelette. Il saisit
la mienne et serra mon poing, et comme dans un étau. Je
sentis que son regard perçant fixé sur mes propres yeux
cherchait mon âme."insensé, insensé! grogna-t-il; les seules
puissances que j'ai trouvées sont celles de la chair et du
diable. il n'y en a pas d'autres. Elles demeurent.
M'entendez-vous? (Il hurlait presque.) Elles demeurent!"
L'effort était au-dessus de ses forces. Il retomba sur
l'oreiller. Il était mort. Mon guide n'ajouta pas un mot. Il
23
demeura une minute entière, pensif, auprès du lit. Alors la
vision s'effaça. Je me retrouvai, une fois encore, dans la
pyramide. il me regardait en silence, et je lui rendais son
muet regard. Il lut ma pensée. De l'obscurité me
parvinrent ses dernières paroles: " Soit. Tu as choisi. Ton
choix est désormais sans appel. Adieu." Il avait disparu.
Je demeurais seul avec l'autre esprit, qui jusqu'alors,
n'avait joué d'autres rôles que celui d'un témoin silencieux.

Il se déplaça et vint en face du coffre de marbre. Son


visage était celui d'un homme extrêmement âgé. Je n'osai
me risquer à conjecturer le nombre de ses années.
"Mon fils, déclara-t-il avec calme, les puissants seigneurs
des pouvoirs secrets t'ont pris entre leurs mains. Tu dois
être conduit cette nuit dans la salle d'instruction. Etends-
toi sur cette pierre. Aux temps anciens, c'eût été dans cette
autre, sur un lit de roseaux de papyrus." Il désignait le
sarcophage.
Je n'avais d'autre chose à faire qu'obéir à mon mystérieux
visiteur. Je me couchai, allongé sur mon dos.
Ce qui arriva immédiatement après n'est pas encore très
clair pour moi. Ce fut comme s'il m'avait inopinément
donné une dose de quelque anesthésique spécial, lent à
produire son effet. Car tous mes muscles se raidirent,
après quoi une léthargie paralysante commença à envahir
mes membres. Mon corps entier s'alourdit et s'engourdit.
En premier lieu, mes pieds subirent un refroidissement
progressif. Par degrés imperceptibles, je sentis mes jambes
se glacer, et cette impression gagnait toujours du terrain,
de bas en haut. C'était comme si je fusse tombé, enseveli
jusqu'à la ceinture, dans une masse de neige sur la pente
d'une montagne. Mes membres inférieurs s'étaient
maintenant entièrement insensibilisés. Il m'apparaissait
24
que j'allais subir un état de demi-somnolence; en moi se
faisait jour un mystérieux pressentiment de l'approche de
la mort. Toutefois, cela ne me troublait pas, car depuis
longtemps je m'étais affranchi de l'antique peur de mourir
et j'acceptais philosophiquement l'inévitable. Comme
l'étrange sensation continuait à m'étreindre, à gravir mon
épine dorsale, à subjuguer mon corps entier, je me sentis
enfonçant consciemment vers je ne sais quel point central
de mon cerveau, tandis que ma respiration ne cessait de
s'affaiblir.
Lorsque le froid atteignit ma poitrine, le reste de mon
corps était entièrement paralysé. Alors survint quelque
chose comme une attaque au coeur, mais cela passa
aussitôt et je compris que la crise suprême n'était pas très
éloignée.
Eussé-je été capable de desserrer mes mâchoires raidies,
j'aurais pu rire de la première pensée qui me vint alors. La
voici: "Demain, on trouvera mon cadavre dans la grande
pyramide, et tout sera fini pour moi." J'étais assuré que
toutes mes sensations avaient pour cause le passage
qu'effectuait mon esprit entre la vie physique et les régions
d'outre-tombe.

Quoique sachant parfaitement que je traversais toutes les


impressions d'un mourant, aucune trace d'opposition ne
subsistait en moi. A la fin, toute conscience de moi-même
se trouva concentrée en ma tête; un dernier tourbillon
insensé se déchaîna à l'intérieur de mon cerveau. Il me
semblait être emporté dans un cyclone des tropiques, et
que je passais à travers un trou étroit. Puis, un instant,
étreignit la peur d'être lancé dans l'espace infini; je sautais
dans l'inconnu...et j'étais libre ! Aucune parole ne saurait
rendre les délices de cette libération qui fut alors mon sort.
25
J'étais transformé en un être spirituel, créature de pensée
et de sentiment, débarrassée de toutes les entraves du
lourd corps de chair qui jadis m'emprisonnait. Nettoyé de
ce fardeau terrestre, j'étais devenu semblable à un esprit,
tel u mort qui sortirait de sa tombe, mais certainement
sans avoir perdu toute espèce de conscience. En fait, mon
sentiment de l'existence était autrement plus intense
qu'auparavant. Par dessus tout, cette sortie vers une
sphère plus haute e procurait le sentiment d'être libre;
bienheureuse, exquise liberté, dans la quatrième dimension
qui me recevait. D'abord je me trouvai couché sur le dos,
horizontal, à l'image du corps que je venais de quitter,
flottant au-dessus du sol de pierre. Puis j'éprouvai comme
le contact d'une main qui me dressait debout sur mes
talons après m'avoir poussé un peu an avant. En dernier
lieu, il me sembla curieusement être à la fois debout et
flottant.
Je considérai, le corps de chair et d'os abandonné, gisant,
immobile sur le bloc pierreux. La face, sans expression,
était tournée vers le plafond; les yeux, à peine ouverts;
pourtant, les pupilles brillaient assez pour indiquer que les
paupières n'étaient pas vraiment closes. Les bras se
croisaient sur la poitrine, attitude que je ne pouvais me
rappeler avoir prise. Quelqu'un me les aurait-il ainsi
croisés sans que je m'en fusse aperçu? Les jambes et les
pieds, étendus, se touchaient tout du long. Ainsi s'étalait
ma propre forme, apparemment morte, celle dont je
m'étais retiré. Je remarquais qu'un faible trait de lumière
argentée se projetait de moi, mon nouveau moi, vers la
créature en sommeil cataleptique couchée sur le bloc. Il y a
là de quoi s'étonner, mais, découverte plus étonnante
encore, je constatai que ce mystérieux cordon ombilical
psychique participait à éclairer l'angle de la chambre du
26
roi où je voltigeais; cela faisait revêtir aux pierres des
murs l'aspect que produit un suave clair de lune.

Je n'étais plus qu'un fantôme, créature sans corps


séjournant dans l'espace. Je compris enfin, pourquoi les
sages Egyptiens d'autrefois avaient choisi l'oiseau comme
symbole hiéroglyphique de l'âme humaine. Le sentiment
que j'éprouvais d'un accroissement en hauteur et en
largeur, d'une étendue aérienne, était le même que si
j'avais possédé deux ailes. Ne m'étais-je pas élevé dans
l'air, n'étais-je pas resté flottant au-dessus de mon corps
congédié?
Tel un oiseau s'envole dans le ciel et plane en tournant
autour d'un certain point. N'avais-je pas la sensation
d'être entouré d'un grand vide? Oui, décidément, le
symbole ailé avait été bien choisi. J'étais donc dans
l'espace, j'avais dégagé mon âme de son écheveau mortel,
je m'étais divisé en deux parties jumelles, j'avais quitté le
monde si longtemps connu; j'avais le sentiment d'être
devenu un être éthérisé, d'une légèreté extrême, dans le
corps nouveau, le double, que j'occupais désormais. En
regardant vers le bloc de pierre froide où gisait mon corps
primitif, une simple idée s'empara de mon esprit. Elle
s'exprimait, tout bas, en ces mots concis: "C'est l'état de la
mort. Je sais maintenant que je suis une âme, que je puis
vivre séparé du corps. Je le croirai toujours, puisque j'en
ai fait l'expérience." Cette pensée m'étreignit, impérieuse,
comme avec un crampon de fer, tandis que j'étais
légèrement balancé au-dessus de mon habitacle charnel
resté vide. De la survivance j'avais fait l'expérience par la
méthode à mon avis la plus satisfaisante: en mourant
réellement, puis en revivant! Je continuais à regarder mes
restes abandonnés. Ils me fascinaient en quelque sorte
27
.Etait-ce là ce que, durant tant d'années, j'avais appelé
mon moi? Un amas de matière charnelle, inconsciente,
sans intelligence; rien de plus, voilà ce que j'y découvrais
maintenant, de toute évidence. A considérer ces yeux
aveugles,, incapables de répondre, l'ironie de toute la
situation me frappa irrésistiblement. Mon corps terrestre
m'avait réellement tenu en prison, moi, mon "moi" réel,
mais maintenant j'avais acquis la liberté. Auparavant,
j'étais porté ça et là sur cette planète, par un organisme
que j'avais longtemps confondu avec mon être réel,
central. Il semblait que le sens de gravitation eût disparu;
littéralement, je flottais dans l'air, me sentant étrangement
demi-suspendu, demi-droit. Soudain parut à côté de moi le
vieux prêtre, grave, imperturbable. Les yeux levés, le
visage encore anoblit, l'air recueilli, i priait: "O amen, ô
amen, qui es aux cieux, tourne ta face vers le cadavre de
ton fils, et fais-lui du bien dans le monde de l'esprit. C'est
fini." Puis il s'adressa à moi: "Tu as maintenant appris la
grande leçon. L'homme, dont l'âme naquit de l'Immortel,
ne peut jamais réellement mourir. note cette vérité en
paroles connues des hommes. Voilà!" Là-dessus,
apparurent successivement: le visage, que je ne me
rappelais qu'à demi, d'une femme aux obsèques de qui
j'avais assisté plus de vingt auparavant, puis les traits
familiers d'un homme qui fut pour moi plus qu'un ami et
que j'avais vu reposer dans son cercueil il y avait de cela
douze années, enfin le doux sourire d'un enfant que je
savais être mort d'une chute accidentelle. Tous trois me
regardaient, l'air paisible; leurs voix amicales se
remettaient à se faire entendre autour de moi. J'eux
l'entretien le plus bref possible avec ces êtres réputés
morts; rapidement ils s'effacèrent et disparurent.
" Ils vivent, eux aussi, dit le grand prêtre, comme toi,
28
comme cette pyramide elle-même, qui vit mourir la moitié
d'un monde et qui survit. Sache-le, mon fils, dans cet
antique sanctuaire repose le témoignage perdu des
premières races humaines et de l'alliance qu'elles
conclurent avec leur créateur, par l'entremise du premier
de ses grands prophètes. " Sache aussi que des hommes
choisis furent anciennement amenés ici, pour que cette
alliance leur fût présentée et qu'ils pussent retourner
auprès des leurs et maintenir vivant le grand secret.
Emporte avec toi cet avertissement: lorsque les hommes
abandonnent leur créateur et regardent leurs semblables
avec de la haine, il en est d'eux comme des princes de
l'Atlantide au temps desquels fut bâtie cette pyramide; ils
sont détruits, écrasés par leur propre iniquité, comme fut
détruit le peuple de l'Atlantide. " Ce n'est pas le créateur
qui engloutit l'Atlantide; c'est l'égoïsme, la cruauté,
l'aveuglement spirituel du peuple qui habitait ces îles
condamnées. Le créateur aime tous les hommes, mais leur
existence est soumise aux lois qu'il leur assigna. Emporte
donc cet avertissement. " Alors m'envahit un ardent désir
de connaître la mystérieuse alliance. Il faut que l'esprit ait
lu dans ma pensée, car il dit vivement: " A chaque chose
est réservée son heure. Pas encore, mon fils, pas encore. "
J'éprouvai une vive déception. Il me regarda durant
quelques secondes. " Il n'a pas encore été permis à un seul
homme de ton peuple d'apercevoir pareille chose. Mais,
puisque tu es versé en ces matières, puisque tu es venu
parmi nous ayant au coeur bonne volonté et
compréhension, tu peux obtenir quelque contentement.
Viens avec moi. " Alors se produisit une chose étrange. Il
me sembla choir dans une sorte de coma partiel; je perdis
momentanément conscience, puis ce que je compris en
premier lieu c'est que j'avais été transporté ailleurs. Je me
29
trouvai dans un long corridor où régnait une douce
lumière, encore qu'on n'y vit ni lampe ni fenêtre.
Je m'imaginai que la source lumineuse n'était autre que
l'émanation, semblable à un halo, qui se répandait autour
de mon compagnon, combinée au rayonnement d'une
corde vibrante brillant dans l'éther derrière moi. Mais je
dus reconnaître que l'explication était insuffisante. Les
murs étaient de pierre colorée en chaudes teintes de terre
cuite, et entre les dalles régnaient des joints d'une extrême
finesse. Le son s'inclinait, descendant, suivant un angle
tout juste égal à celui de l'entrée même de la pyramide. La
maçonnerie était parfaitement achevée.
L'emplacement était carré et franchement bas, mais sans
que cela me gênât. Je restai impuissant à découvrir d'où
provenait le mystérieux éclairage: l'intérieur ne brillait pas
moins, comme si une lampe y déversait sa pleine clarté.

Le grand prêtre m'invita à le suivre un peu en descendant


le passage. " Ne regarde pas en arrière, ne détourne pas la
tête, " me prescrivit-il. Nous parcourûmes ainsi une
certaine distance toujours en pente, puis je vis une grande
chambre, semblable à un temple, ouverte à l'extrémité du
passage. Je savais parfaitement que j'étais dans ou sous la
pyramide, mais jamais auparavant je n'avais vu ce passage
ni cette chambre. Evidemment, ils étaient secrets et avaient
jusqu'à ce jour défié toute découverte. Je ne pus me
soustraire à un sentiment de terreur, excité par cette
soudaine révélation, tandis qu'une curiosité également
violente me portait à me demander où donc était l'entrée et
en quoi elle consistait. A la fin il me FALLUT tourner la
tête et jeter un rapide coup d'oeil en arrière, où j'espérais
découvrir la porte secrète. J'étais entré sans que rien
30
laissât voir un accès quelconque, mais à l'extrémité,
j'aperçus que ce qui aurait été une ouverture était fermé
par des blocs carrés et apparemment cimenté. Je me pris à
considérer un mur blanc, puis je fus comme précipité
vertigineusement par quelque irrésistible force, jusqu'à ce
que toute la scène s'évanouît, et que je me fusse remis à
flotter dans l'espace. " J'entendis les mots: " pas encore,
pas encore ", répétés comme un écho, et quelques instants
après je revis mon corps inerte et sans vie qui gisait sur la
pierre.
Un murmure m'arriva du grand prêtre: " Mon fils, il
n'importe que tu découvris ou non l'ouverture. Trouve
seulement dans ton esprit le passage secret qui t'amènera à
la chambre cachée au sein de ton âme, et tu auras trouvé
chose précieuse. Le mystère de la grande pyramide, c'est le
mystère de ton être même. Les chambres secrètes, les
anciens témoignages, c'est en toi qu'ils se trouvent tous
contenus. L'enseignement de la pyramide, le voici:
l'homme doit se tourner vers l'intérieur, se risquer vers le
centre inconnu de son être, pour y trouver son âme, tout
comme il faut s'aventurer jusqu'aux profondeurs
inconnues de ce temple pour découvrir son suprême secret.
Adieu! "
Mon esprit tournoya dans je ne sais quel tourbillon qui
m'emportait; je glissais plous bas, toujours plus bas; une
lourde torpeur m'envahit; il me semblait que j'allais
retourner me dissoudre dans mon corps physique. Je
tendais mon énergie, essayant d'en mouvoir les muscles
raides, mais ce fut en vain; finalement, je m'évanouis...
J'ouvris les yeux en sursaut, dans d'épaisses ténèbres.
Quand mon engourdissement se fut dissipé, je cherchais à
tâtons ma torche et je l'allumai. Je me retrouvais dans la
chambre du roi, encore en proie à une violente excitation,
31
au point de sauter et de crier; l'écho de ma voix me
revenait assourdi.
Mais au lieu de sentir le sol sous mes pieds, je crus que je
tombais dans le vide. Ce ne fut qu'en lançant mes mains
sur le bord du bloc de pierre et en m'accrochant aux côtés,
que j'évitai cette chute. Je compris alors ce qui s'était
passé. En me levant, je m'étais à mon insu déplacé jusqu'à
l'extrémité du bloc et mes pieds se trouvaient suspendus
au-dessus du trou creusé à l'angle nord-ouest du sol de la
chambre.
Je me ressaisis et me tirai d'affaire, sain et sauf. Je mis la
lampe à l'abri; j'en fis porter la lumière sur ma montre-
bracelet. Le verre de celle-ci s'était cassé en deux endroits,
résultat de mon saut, quand ma main et mon poignet
avaient heurté le mur. Mais le tic-tac des aiguilles
persistait allègrement. Quand je regardai l'heure, je me
mis presque à éclater de rire, quelle que fut la solennité du
lieu.
Car il était exactement minuit, l'heure classique des
mélodrames. Les deux aiguilles superposées marquaient le
chiffre douze, pas une minute de plus ou de moins!

Lorsque le policier de service ouvrit la grille de fer, peu


après le lever du soleil, un individu poussiéreux,
visiblement fatigué, aux yeux tirés, franchit en trébuchant
la sombre issue de la grande pyramide. Il s'achemina,
descendant à travers les grands cubes de pierre, aux
premières clartés du matin. Tout clignotants, ses regards
se portaient sur le paysage familier, sur la plaine. Avant
tout, il aspira profondément, à plusieurs reprises, le grand
air libre. Puis, instinctivement, il se tourna vers Ra, l'astre

32
du jour; en silence, il lui rendait grâces d'avoir accordé au
genre humain, bénédiction inestimable, la lumière!
 

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