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S’approprier le français
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Champs linguistiques Collection dirigée par Marc Wilmet (Université libre de Bruxelles) et
Dominique Willems (Universiteit Gent)

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Recherches
Corminboeuf G., L’expression de l’hypothèse en français. Entre hypotaxe et parataxe
Demol A., Les pronoms anaphoriques il et celui-ci
Heyna F., Étude morpho-syntaxique des parasynthétiques. Les dérivés en dé– et en anti–
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Horlacher A.-S., La dislocation à droite revisitée. Une approche interactionniste


Huyghe R., Les noms généraux d’espace en français. Enquête linguistique sur la notion de lieu
Jacquin J., Débattre. L’argumentation et l’identité au cœur d’une pratique verbale
Marchello-Nizia Ch., Grammaticalisation et changement linguistique.
Marengo S., Les adjectifs jamais attributs. Syntaxe et sémantique des adjectifs constructeurs de la référence
Martin F., Les prédicats statifs. Étude sémantique et pragmatique
Micheli R., Les émotions dans les discours. Modèle d’analyse, perspectives empiriques
Rézeau P., (études rassemblées par), Richesses du français et géographie linguistique. Volume 1
de Saussure L., Temps et pertinence. Éléments de pragmatique cognitive du temps
Schnedecker C., De l’un à l’autre et réciproquement…Aspects sémantiques, discursifs et cognitifs des pronoms anaphoriques corrélés
Thibault A. (sous la coordination de), Richesses du français et géographie linguistique, Volume 2
Van Goethem K., L’emploi préverbal des prépositions en français. Typologie et grammaticalisation

Manuels
Bal W., Germain J., Klein J., Swiggers P., Bibliographie sélective de linguistique française et romane. 2e édition
Bracops M., Introduction à la pragmatique. Les théories fondatrices : actes de langage, pragmatique cognitive, pragmatique intégrée. 2e édition
Chiss J.-L., Puech C., Le langage et ses disciplines. XIXe -XXe siècles
Delbecque N. (Éd.), Linguistique cognitive. Comprendre comment fonctionne le langage
Englebert A., Introduction à la phonétique historique du français
Gaudin Fr., Socioterminologie. Une approche sociolinguistique de la terminologie
Gross G., Prandi M., La finalité. Fondements conceptuels et genèse linguistique
Klinkenberg J.-M., Des langues romanes. Introduction aux études de linguistique romane. 2e édition
Kupferman L., Le mot «de». Domaines prépositionnels et domaines quantificationnels
Leeman D., La phrase complexe. Les subordinations
Mel’čuk I. A., Clas A., Polguère A., Introduction à la lexicologie explicative et combinatoire.
Coédition AUPELF-UREF. Collection Universités francophones
Mel’čuk I., Polguère A., Lexique actif du français. L’apprentissage du vocabulaire fondé sur 20 000 dérivations
sémantiques et collocations du français
Revaz Fr., Introduction à la narratologie. Action et narration

Recueils
Albert L., Nicolas L. (sous la direction de), Polémique et rhétorique de l’Antiquité à nos jours
Bavoux C. (dir.), Le français des dictionnaires. L’autre versant de la lexicographie française
Bavoux C., Le français de Madagascar. Contribution à un inventaire des particularités lexicales.
Coédition AUF. Série Actualités linguistiques francophones
Berthoud A.-Cl., Burger M., Repenser le rôle des pratiques langagières dans la constitution des espaces sociaux contemporains
Bouchard D., Evrard I., Vocaj E., Représentation du sens linguistique. Actes du colloque international de Montréal
Conseil supérieur de la langue française et Service de la langue française de la Communauté française de Belgique (Eds), Langue française
et diversité linguistique. Actes du Séminaire de Bruxelles (2005)
Corminboeuf G., Béguelin M.-J. (sous la direction de), Du système linguistique aux actions langagières. Mélanges en l’honneur d’Alain
Berrendonner
Dendale P., Coltier D. (sous la direction de), La prise en charge énonciative. Études théoriques et empiriques
Evrard I., Pierrard M., Rosier L., Van Raemdonck D. (dir.), Représentations du sens linguistique III. Actes du colloque international de
Bruxelles (2005)
Englebert A., Pierrard M., Rosier L., Van Raemdonck D. (Éds), La ligne claire. De la linguistique à la grammaire.
Mélanges offerts à Marc Wilmet à l’occasion de son 60e anniversaire
Hadermann P., Van Slijcke A., Berré M. (Éds), La syntaxe raisonnée. Mélanges de linguistique générale et française offerts à Annie Boone
à l'occasion de son 60e anniversaire. Préface de Marc Wilmet
Rézeau P. (sous la direction de), Variétés géographiques du français de France aujourd’hui. Approche lexicographique
Service de la langue française et Conseil de la langue française et de la politique linguistique (Eds), La communication avec le citoyen :
efficace et accessible ? Actes du colloque de Liège, Belgique, 27 et 28 novembre 2009
Service de la langue française et Conseil de la langue française et de la politique linguistique (éds), S’approprier le français. Pour une langue
conviviale. Actes du colloque de Bruxelles, Belgique, 21 et 22 novembre 2013
Simon A. C. (sous la direction de), La variation prosodique régionale en français
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Service de la langue française et Conseil de la langue


française et de la politique linguistique (éds)

S’approprier le français
Pour une langue conviviale
Actes du colloque de Bruxelles (2013)

C h a m p s l i n g u i s t i q u e s
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Organisé par l’OPALE, Organismes francophones de Politique et d’Aménagement


Linguistiques :

• L’Office québécois de la langue française, le Conseil supérieur de la langue


française du Québec
• La Délégation générale à la langue française et aux langues de France
• La Délégation à la langue française de Suisse romande
• L’Organisation Internationale de la Francophonie
• Le Service de la langue française et le Conseil de la langue française et de la
politique linguistique de la Fédération Wallonie-Bruxelles

Textes réunis par Françoise HEKKERS, Monique HEPNER et Nathalie MARCHAL,


Service de la langue française de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Conformément à l’esprit de liberté qui a guidé la réforme, les responsables du volume


ont laissé les auteurs opter tantôt pour l’orthographe modernisée tantôt pour l’ortho-
graphe traditionnelle.

Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine
de spécialisation, consultez notre site web : www.deboecksuperieur.com

© De Boeck Supérieur s.a., 2015 1re édition


Fond Jean Pâques, 4 – B-1348 Louvain-la-Neuve

Tous droits réservés pour tous pays.


Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photoco-
pie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données
ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

Imprimé en Belgique

Dépôt légal :
Bibliothèque nationale, Paris : octobre 2015 ISSN 1374-089X
Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles : 2015/13647/102 ISBN 978-2-8011-1751-4
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SOMMAIRE

INTRODUCTION GÉNÉRALE 7
Robert BERNARD, Anne DISTER, Jean-Marie KLINKENBERG,
Marie-Louise MOREAU et Dan VAN RAEMDONCK

OUVERTURE 13
Martine GARSOU

CONFÉRENCES INAUGURALES
Éloge du politiquement correct 15
Édouard DELRUELLE
La réforme de l’écriture de l’allemand : des enseignements
pour la politique linguistique francophone ? 25
Heinz BOUILLON

Partie I
APPROPRIATION : DEMANDE ET EXIGENCES SOCIALES 33

Le français en Afrique : un continent entre rêve et nostalgie 35


Jean-Benoît ALOKPON

En Belgique le français, combien ça coûte ? 47


Robert BERNARD

Nos ancêtres, les p(articipes) p(assés) : déférence et lustration


de la langue française 59
Dan VAN RAEMDONCK

5
S’approprier le français

Partie II

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DIDACTIQUE ET APPROPRIATION 83

L’évolution des contacts du français avec les langues en présence :


quelles implications dans une approche didactique contextualisée,
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à partir d’exemples du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne ? 85


Mohamed MILED

La difficile appropriation de la langue française par les francophones :


un point de vue didactique 95
Suzanne-G. CHARTRAND

Un meilleur enseignement lexical pour une plus grande appropriation


de la langue 101
Dominic ANCTIL

Partie III
EXPÉRIENCE D’APPROPRIATION 119

Expression radiophonique et apprentissage ludique de la langue :


radio cactus, le pouvoir du micro au service des femmes qui apprennent
le français (Cactus & Gsara asbl – Anderlecht – Bruxelles) 121
Guillaume ABGRALL

Partie IV
APPROPRIATION ET REPRÉSENTATIONS 127

Appropriation de l’écrit par des adultes faibles lecteurs et faibles scripteurs :


rôle des conceptions de la langue et de son apprentissage 129
Véronique LECLERCQ et Katell BELLEGARDE

Le français est une langue difficile 145


Jean-Marc LUSCHER et Marinette MATTHEY

CONCLUSIONS
Pour une politisation des débats de politique linguistique 157
Philippe HAMBYE

ANNEXE 1 : Les auteurs 169

ANNEXE 2 : Les organismes linguistiques à l’origine du séminaire 177

TABLE DES MATIÈRES 195

6
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INTRODUCTION GÉNÉRALE1
Le Comité scientifique du colloque
« Pour un français convivial. S’approprier la langue » :
Robert BERNARD, Anne DISTER, Jean-Marie KLINKENBERG,
Marie-Louise MOREAU et Dan VAN RAEMDONCK

Comment consolider l’usage d’une langue là où elle est déjà pratiquée et com-
ment lui conquérir de nouveaux espaces, si l’on ne s’assure pas de son appro-
priation par ses locuteurs actuels et potentiels ? Quelle prétention peut-on avoir
à gagner des parts dans le marché des langues, si les locuteurs, natifs ou
d’adoption, semblent éprouver du mal à maitriser un corpus difficile à intégrer
comme leur ? Comment accepter que des usagers se sentent exclus de leur
propre langue ou de celle de leur cité ?
Sans doute ne faut-il pas sous-estimer le poids des représentations que les locu-
teurs francophones se forgent ainsi de leur propre langue, et qui déterminent
largement celles des apprenants du français. En particulier, la langue française
passe pour une langue difficile, souvent vue, à tort ou à raison, comme exi-
geante et trop dépendante d’une tradition normative et élitiste.
En tout état de cause, il existe bien un cout – qu’il importe de mesurer – de la
non-maitrise de la langue. Un handicap social auquel il importe de remédier à
tout prix, sous peine d’exclusion du vivre ensemble. La chose est bien connue.
Or la question de ce déficit est souvent abordée du côté de l’usager, sur qui on
fait reposer la responsabilité de son empire sur la langue  : ce que l’on envi-
sage alors, ce sont les pratiques pédagogiques, les méthodologies, le niveau de
motivations. Au nom d’une conception essentialiste de la langue continuant à
peser sur les  esprits, on met plus rarement en question la langue elle-même,
ses normes et les difficultés inhérentes à son système.

1. Le présent texte fait usage des rectifications de l’orthographe de 1990, proposée par tous
les organismes francophones compétents, dont l’Académie française.

7
S’approprier le français

À côté de la problématique de l’appropriation de la langue, il faut donc aussi

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envisager l’appropriabilité de celle-ci.
C’est cet ensemble de questions que s’est posé le colloque international « Pour
un français convivial. S’approprier la langue », qui s’est tenu à Bruxelles les 21
et 22 novembre 2013 à l’initiative de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Service
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de la langue française et Conseil de la langue française et de la politique lin-


guistique) et dont la visée globale était une meilleure appropriation du français
par les francophones et les non-francophones, ainsi qu’une réduction du cout
social de la non-maitrise de la langue. L’objectif final étant l’intégration à la
vie de la cité, laquelle doit être le socle des actions visant à une expansion et
à un développement internationaux du français.
Ce colloque prenait place dans le cadre de la réunion annuelle des organes de
gestion linguistique de la francophonie septentrionale, fédérés dans l’OPALE
(Organes de politique et d’aménagement linguistiques) : la Délégation générale à
la langue française et aux langues de France, le Conseil supérieur de la langue
française et l’Office québécois de la langue française au Québec, la Délégation à
la langue française en Suisse romande, le Conseil de la langue française et de la
politique linguistique et le Service de la langue française en Belgique francophone.
En pratique, il s’est agi d’étudier les représentations qui bloquent l’appropriation de
la langue et les moyens d’agir sur elles ; d’explorer les pistes diagnostiques (iden-
tifier les variables qui rendent la langue malaisément appropriable,  en matière
d’intégration à la vie publique, mais aussi en matière de communication interper-
sonnelle dans le monde du travail ou en matière pédagogique ; prendre la mesure
du cout que représentent ces poches d’inappropriabilité, et pour cela mettre au
point les outils adéquats ou adapter les outils existants) ; de définir de nouvelles
politiques d’intégration par la langue en tant qu’elles mobilisent une réflexion sur
les méthodes d’appropriation, sur le corps de la langue et son image ; d’explorer les
pistes de solutions allant dans le sens d’une réforme du corpus (et ici s’ouvre un
large champ d’action : stimuler la créativité lexicale, travailler à l’accessibilité et à
la lisibilité des textes – thème qui a déjà retenu l’attention de l’Opale –, mais aussi
œuvrer à une réforme de l’orthographe d’usage et de l’orthographe grammaticale) ;
d’encourager les pratiques didactiques favorisant l’appropriation de la langue…
Les textes ici rassemblés portent la trace de ces ambitions.

La première partie a consisté à examiner la demande et les exigences sociales en


matière d’appropriation. Ce thème a été développé dans deux premiers exposés
consacrés à l’appropriation du français dans un contexte multilingue. Le premier
décrit la situation linguistique du français en Afrique à partir de l’exemple du
Bénin, le second expose les réalités vécues par les migrants et leurs familles en
Belgique francophone, et plus particulièrement en Région bruxelloise.

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Introduction générale

« Le français en Afrique : un continent entre rêve et nostalgie » : le titre choisi

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par Jean-Benoît Alokpon pour son exposé campe parfaitement celui-ci. L’auteur
connait bien le sujet : enseignant chevronné, il préside depuis 2012 l’Associa-
tion des professeurs de français de l’Afrique et de l’océan Indien. Après avoir
rappelé comment le français imposé de la période coloniale avait fait de ce
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qui s’appelait alors le Dahomey le « quartier latin de l’Afrique », il décrit les


évolutions institutionnelles et sociétales qui font qu’il y a aujourd’hui plusieurs
français d’Afrique. La langue des lettrés, aux normes exogènes inspirées de
l’écrit, cède la place à une langue largement métissée, fluctuante et obéissant
à des règles largement endogènes. On ressent, à travers cet exposé parfois
déconcertant (et malheureusement dépourvu de références bibliographiques),
la passion de M. Alokpon pour la langue française et pour son enseignement.
Lui aussi enseignant de formation (il a notamment été inspecteur général de
l’Enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles), Robert Bernard donne
dans « En Belgique, le français, combien ça coute ? » un état assez précis et bien
documenté des réalités linguistiques parfois contrastées de la Belgique franco-
phone. Il montre combien la maitrise du français y est un adjuvant considérable
au vivre ensemble. La cohésion sociale suppose la réduction des inégalités et
donc l’identification des obstacles à l’inclusion. Divers dispositifs sont mis en
œuvre pour permettre aux nouveaux arrivants non francophones de dévelop-
per une pratique suffisante du français pour réaliser leurs objectifs d’insertion
sociale, en matière de travail, d’accès à l’éducation et à la culture, d’autonomie,
de citoyenneté. L’auteur s’interroge sur l’efficacité de ces stratégies, qu’elles
relèvent de l’enseignement obligatoire, de l’alphabétisation des adultes ou des
parcours d’insertion. Et relève le caractère souvent paradoxal des injonctions
adressées aux migrants par la société d’accueil.
Dan van Raemdonck a intitulé malicieusement le dernier exposé de la thé-
matique Appropriation et besoins sociétaux « Nos ancêtres, les p(articipes)
p(assés)  : déférence et lustration de la langue française ». Il considère que la
qualité d’appropriation d’une langue est en rapport direct avec son appropria-
bilité ; et inversement.
S’appuyant sur diverses études universitaires, évoquant aussi un discours média-
tique récurrent, il montre l’impact négatif considérable d’une maitrise insuf-
fisante de la langue, qui entraine des répercussions sociales qui interpelleront
tôt ou tard le politique.
Et si les dispositifs classiques d’apprentissage restent désespérément peu effi-
caces (l’auteur pense particulièrement à l’accord du participe passé), pourquoi
renoncer à agir sur le corpus de la langue ?

Les trois contributions groupées dans la seconde partie de ces actes sont consa-
crées au lien entre appropriation d’une langue et didactique. Ouvrant des pistes

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S’approprier le français

de réflexion sur ce versant de la question, c’est l’appropriabilité de la langue

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qu’elles questionnent.
Mohamed Miled propose une réflexion sur la place du français et sur son
enseignement dans les pays du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne, là où
les contacts sont évolutifs et où la question de l’identité peut parfois rendre
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ces contacts problématiques. Il propose une approche intéressante qui allie une
didactique dite « convergente » (qui revisite et dépasse la linguistique contras-
tive, et favorise les transferts positifs) à une collaboration entre les enseignants
de français et d’arabe (ou d’autres langues nationales).
Suzanne-G. Chartrand se propose d’étudier les représentations sclérosantes
que l’on trouve chez les élèves et les enseignants de français langue mater-
nelle (l’expérience québécoise étant aisément généralisable aux autres pays
de la francophonie du Nord), représentations qui bloquent l’appropriation de
la langue et empêchent donc d’atteindre les niveaux requis de compétences
langagières. Elle ouvre des perspectives sur les moyens d’agir à l’école sur
ces représentations en même temps qu’elle brise une lance en faveur d’un
travail sur le corpus.
Dominic Anctil propose, quant à lui, d’explorer des pistes de solutions allant
dans le sens de ce travail sur le corpus. Il se focalise sur l’aspect de l’appren-
tissage du lexique comme facteur d’acquisition de meilleures compétences
langagières.

La troisième partie de la rencontre était consacrée à la présentation d’une série


d’expériences d’appropriation, dont une seule présentait le caractère exemplaire
et transposable qui la recommandait pour la présente publication.
Guillaume Abgrall relate ainsi l’expérience qu’il mène depuis trois ans dans un
centre d’éducation permanente bruxellois. Auprès de femmes issues de l’immi-
gration, apprenantes du français, il anime un atelier d’expression radiophonique,
Radio Cactus.
Les femmes qui participent à l’atelier choisissent elles-mêmes les thèmes
qu’elles souhaitent aborder lors des différentes émissions, et ces thèmes les
touchent particulièrement : éducation des enfants, augmentation du cout de la
vie, égalité des chances, divorce, etc.
Si l’éducation permanente et le travail mené au sein de l’association n’ont pas
pour but premier l’apprentissage du français, il apparait clairement que le tra-
vail réalisé autour de l’expérience radiophonique est propice à l’appropriation
de la langue. La radio n’est finalement qu’un prétexte qui fait naitre la parole,
dans des situations de communication diversifiées : lors du choix des thèmes
à traiter, lors de la préparation des questions ou encore, par exemple, lors de

10
Introduction générale

débats autour du thème choisi. Les femmes s’écoutent, trouvent, avec l’aide

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de l’animateur, des reformulations plus adéquates, sont amenées, à travers les
mots, à préciser leur pensée.
Souvent, les participantes à l’atelier n’ont pas l’occasion de parler français
dans leur famille. C’est donc pour elles un moyen de pratiquer la langue,
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dans un esprit ludique. Les micro-trottoirs qu’elles réalisent sont également


l’occasion de s’ouvrir sur le monde, en interrogeant des passants. La radio
devient alors pour elles un moyen de s’intégrer dans l’espace public, grâce
au français.

La quatrième partie de la rencontre était consacrée au thème important des


représentations.
Deux communications, chacune à quatre mains, ont été attentives à la manière
dont les personnes se représentent certains aspects de la langue. Véronique
Leclercq et Katell Bellegarde travaillent avec des adultes dotés d’une faible
maitrise de l’écrit, et intégrés dans un programme destiné à augmenter leurs
capacités d’insertion sociale et professionnelle. Elles dressent d’abord un
cadre théorique à propos du rapport à l’écrit. Pour elles, cinq dimensions
opérationnalisent ce rapport : les pratiques concrètes de lecture-écriture, les
performances langagières effectives, les stratégies et fonctionnements dans
les activités langagières, les conceptions de la langue et de son apprentissage,
les interactions sociales qui provoquent soit blocage, soit engagement et désir
de communication.
De leurs observations et des entretiens avec les personnes concernées, il res-
sort que le secteur d’activité professionnelle de celles-ci se caractérise par une
quasi-absence voire une absence de pratiques de l’écrit ; le métier s’apprend sur
le tas, les explications sont fournies oralement ou par démonstration praxique ;
les quelques activités écrites sont minimales et peu valorisantes. Ces adultes
n’écrivent que s’ils y sont obligés et se pensent incompétents en la matière. Ils
associent l’écrit aux pratiques et aux normes scolaires, et la seule dimension
dont ils le pourvoient est strictement utilitariste.
Souvent, l’intégration des personnes dans le programme en cause ne résulte pas
de leur choix personnel. Elles attachent peu de valeur à la formation dispensée,
ne voient pas en quoi leur réinsertion professionnelle est subordonnée à l’acqui-
sition de savoirs de base, comme « pour des gamins », et elles n’identifient
pas toujours les capacités cognitives sollicitées. De manière plus générale, ces
adultes abordent le programme avec le sentiment qu’ils ne parviendront pas à
réussir maintenant là où ils ont échoué enfants.
Les auteures concluent par des recommandations aux équipes qui encadrent
de telles formations.

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S’approprier le français

La contribution de Jean-Marc Luscher et Marinette Matthey s’articule en

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trois parties. Dans la première, les auteurs s’interrogent sur les notions de
complexité, de difficulté et de convivialité : la complexité est liée au système
linguistique ; la difficulté renvoie à la perception de l’apprenant, influencée
par ses représentations et ses motivations ; la convivialité est du ressort de la
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didactique, qui peut rendre les contenus plus ou moins accessibles.


Une deuxième partie du travail pose que la difficulté du français, telle que le
public se la représente, s’enracine pour partie dans le discours normatif qui
s’est tenu des siècles durant sur cette langue. Bien des unités et des règles de
la langue y sont en effet présentées comme autant de pièges potentiels, qu’on
déjoue cependant si l’on suit les préceptes des bons grammairiens. Ceux-ci ne
réservent qu’une maigre place à la variation régionale, sociale, alors même que
leur référence normative est flottante (l’usage, l’Académie, les bons auteurs…).
Leur visée, en fait, est d’imposer une hiérarchie des normes linguistiques qui
reflète la hiérarchie sociale : rien qui ressemble à une présentation conviviale
de la langue.
Les auteurs présentent ensuite les résultats d’une enquête menée auprès de
500  étudiants des Cours d’été de l’Université de Genève. On leur demandait
d’abord d’estimer la difficulté du français, puis celle de l’anglais. Seuls 9  %
des répondants cochent la case « assez facile » s’agissant du français, contre
61  % pour l’anglais. Un contraste analogue est relevé à un autre endroit du
questionnaire : lorsqu’on les interroge sur la principale difficulté pour eux des
deux langues, pas un seul étudiant ne coche la case « aucune » pour le français,
mais 23 % choisissent cette réponse pour l’anglais. Grammaire et orthographe
ne différencient guère les réponses pour les deux langues, mais le français
est estimé plus facile à comprendre que l’anglais, celui-ci prenant toutefois
l’avantage pour ce qui est de la facilité de la prononciation.
Les auteurs concluent qu’on ne peut estimer la difficulté objective des langues,
si on évacue du champ la subjectivité des apprenants.
La langue, on le sait, joue le rôle d’une révélatrice. Elle exprime, rend sensible
ou cristallise un grand nombre de problèmes sociaux. Et sur ce terrain, elle
est la pire et la meilleure des choses. Elle peut contribuer tant à aggraver qu’à
réduire la fracture sociale ; elle peut susciter cette méfiance entre citoyen et
monde politique qui fait le lit de l’extrême droite, comme elle peut aussi en
préserver ; elle peut condamner des collectivités entières à l’arriération ou, au
contraire, les faire participer à la culture vivante d’aujourd’hui.
Puissent les présents textes contribuer, si peu que ce soit, à restituer à chacun
le pouvoir sur lui-même et sur les évènements, et faire advenir la citoyenneté,
ce précieux rapport de l’individu à ses projets et aux collectivités susceptibles
de porter ces derniers.

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OUVERTURE
Allocution de Madame Martine Garsou, Directrice générale adjointe du Service
des lettres et du livre, Fédération Wallonie-Bruxelles :
Je suis très heureuse de vous accueillir ici aujourd’hui pour ce colloque orga-
nisé par le Service de la langue française et le Conseil de la langue française
et de la politique linguistique en collaboration avec le réseau Opale, un réseau
constitué des différents organismes linguistiques de la francophonie du Nord
(France, Québec, Suisse romande, Fédération Wallonie-Bruxelles). Les objectifs
de ce réseau visent à permettre à ces organismes linguistiques de coordonner
leurs actions pour répondre plus efficacement à des enjeux qui, en matière
de langue, dépassent souvent les logiques territoriales et d’affirmer ainsi la
légitimité d’une politique linguistique à l’attention des responsables politiques,
sociaux, économiques, ainsi que des citoyens.
Les questions évoquées depuis les années 1990 (1993 plus précisément)
au sein de ce réseau concernent aussi bien celles liées à la position du
français c.-à- d. son statut (quelles actions et stratégies mener pour ren-
forcer la position du français là où il est menacé  : dans les sciences, les
nouvelles technologies… ?) que celles concernant la langue elle-même (le
corpus), son usage et son évolution. Une réunion annuelle est ainsi organisée
depuis 1993, réunion accompagnée depuis plusieurs années d’un colloque
ou d’un séminaire de réflexion, permettant de faire avancer l’analyse et
la comparaison des situations ainsi que d’adresser des recommandations
communes aux gouvernements concernés.
Diverses thématiques ont été abordées ces vingt dernières années. J’évoquerai
à titre d’exemple la question du plurilinguisme dans un contexte de mondialisa-
tion, la rédaction technique, l’intégration linguistique des migrants, l’évolution
du français contemporain, la place du français dans l’espace public.
Le colloque d’aujourd’hui traite de la question de l’appropriation du français.
Question centrale et complexe pour nos politiques éducatives, culturelles et
linguistiques dans nos sociétés où les compétences langagières, y compris les

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S’approprier le français

compétences en lecture, sont indispensables pour l’accès à la connaissance, au

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savoir, à l’emploi, à la culture…
Or force est de constater que ces compétences ne sont pas acquises de manière
égale par tous. Les études PISA montrent par exemple des écarts très impor-
tants en Fédération Wallonie-Bruxelles en ce qui concerne les compétences en
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lecture des jeunes de 15 ans.


Il existe bien un cout de la non-maitrise de la langue, un handicap social
auquel il convient de remédier à tout prix sous peine de renforcer l’exclusion
et les inégalités.
Les intervenants du colloque émanant du Québec, de France, de Suisse, de la
Fédération Wallonie-Bruxelles, de Tunisie, du Bénin traiteront des conditions
de l’appropriation du français et des dispositifs mis en place en particulier des
pistes didactiques, des moyens à mobiliser, ainsi que des représentations du
français qui peuvent freiner son appropriation.
Des expériences d’appropriation centrées sur l’action culturelle permettront
également d’élargir la réflexion.
Dan Van Raemdonck évoquera plus largement le contenu de ce colloque dans
un instant.
Je ne voudrais pas conclure sans remercier la Maison de la Francité qui nous
accueille aujourd’hui. La Maison de la Francité est une asbl bruxelloise qui
a pour mission de promouvoir la langue française et la francophonie inter-
nationale. Elle vient d’ouvrir d’ailleurs il y a à peine un mois, le Centre de
documentation Aimé Césaire que je vous invite à découvrir, et qui contient des
ouvrages sur la langue française, la francophonie ainsi qu’un fonds important
d’auteurs haïtiens.
Je souhaite remercier également les membres du Service de la langue pour
l’organisation du colloque et en particulier la directrice Nathalie Marchal ainsi
que Marie Belina, Delphine Close et Monique Hepner.
Je vous souhaite à tous un colloque passionnant et fructueux.

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CONFÉRENCES INAUGURALES

ÉLOGE DU POLITIQUEMENT CORRECT 

Édouard DELRUELLE

Mon exposé ne s’inscrit pas précisément dans le thème que vous avez choisi
d’explorer durant ce colloque : l’exclusion socioculturelle qui découle des dif-
ficultés inhérentes à la langue française et de sa tradition normative et élitiste.
C’est d’un autre sujet que je voudrais vous parler : l’exclusion qui découle de
l’usage de la langue à des fins de stigmatisation et de discrimination. Il y a
néanmoins une proximité thématique évidente, me semble-t-il, entre la convi-
vialité (concept qui préside à vos travaux) et la civilité (un concept qui oriente
mes réflexions sur le politique en général, et sur la liberté d’expression et les
discours de haine en particulier).
Mon itinéraire professionnel m’a permis de croiser sur cette question un point
de vue « théorique » – celui du philosophe politique – et un point de vue « pra-
tique » – à la direction du Centre pour l’égalité des chances, institution publique
belge indépendante de lutte contre les discriminations et de défense des droits
fondamentaux des étrangers. Je voudrais vous livrer quelques réflexions tirées
de cette expérience croisée.
Un point d’abord sur le cadre législatif. En Belgique comme dans la plupart des
pays européens, la loi interdit (1) les discriminations proprement dites (refuser
un emploi, un logement, l’accès à une école, un restaurant, etc., à une personne
ou un groupe de personnes en raison de sa prétendue race, son origine, son

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S’approprier le français

ascendance, sa nationalité ; (2) les délits de haine (dont le harcèlement est la

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forme la plus courante) et (3) les discours de haine, soit les incitations à la
haine, à la violence ou à la discrimination (en augmentation exponentielle avec
Internet et les médias sociaux).
Il faut d’abord bien comprendre que, sur le plan juridique, on ne combat pas
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les discours de haine avec les mêmes outils que les discriminations :
– dans le cas des discriminations, l’outil juridique se base sur un principe
général qui est l’égalité de traitement. En principe, on ne peut jamais traiter
de façon différente deux catégories de personnes, sauf s’il y a « justification
objective et raisonnable ». Dans le cas du racisme, de telles justifications sont
rarissimes (la couleur de peau d’un acteur devant jouer le rôle de Nelson
Mandela). Sur cette base, il est possible de sanctionner les inégalités de
traitement de manière très large et très complète, qu’elles soient directes ou
indirectes, intentionnelles ou non intentionnelles (c’est pourquoi ces lois, en
Belgique, ont un volet civil). Une telle base juridique permet donc au Centre
pour l’égalité des chances, quand il est confronté à des cas de discrimina-
tion dans l’emploi, le logement, les biens et services, etc., d’intervenir assez
rapidement et dans un assez grand nombre de cas, sous forme d’une action
judiciaire s’il le faut (même si le Centre privilégie toujours la conciliation et
la négociation) ;
– dans le cas des propos qui incitent à la haine, à la discrimination ou à la
violence (ou qui nient, banalisent ou minimisent grossièrement les crimes
nazis), par contre, le principe général est la liberté d’expression. En principe,
on peut tout dire, sauf si l’on profère des propos qui incitent à la haine, à la
discrimination ou à la violence. Ici, la logique s’inverse : ce sont les limita-
tions à la liberté qui doivent être dument justifiées et proportionnées. Nous
sommes dans le champ pénal : pour attaquer quelqu’un en justice au motif
de l’incitation à la haine, à la discrimination ou à la violence, il faut donc
pouvoir prouver une intention de nuire. Contrairement aux discriminations,
les situations où une institution comme le Centre peut intervenir sont donc
beaucoup plus rares. Du point de vue de la démocratie, cette inversion de
la charge de la preuve est évidemment une garantie pour chacun de pouvoir
exprimer ses opinions et ses convictions –  d’autant que la jurisprudence
belge, on va le voir, protège jalousement, à juste titre, la liberté d’expression.
Cette différence entre les outils de lutte contre les discriminations et les dis-
cours de haine suscite l’incompréhension de certains, qui ont l’impression fausse
d’un « deux poids deux mesures », comme si le Centre était intransigeant face
à la moindre discrimination à l’embauche, par exemple, mais indifférent face
à des propos nauséabonds et insupportables. L’explication est pourtant tout
autre. Comme on vient de le voir, les deux phénomènes s’inscrivent dans des
logiques juridiques « inverses » : dans un cas, l’égalité de traitement prime, et

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Conférences inaugurales

c’est la différence de traitement qui est l’exception ; dans l’autre cas, c’est la

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liberté d’expression qui prime, et c’est l’incitation à la haine qui est l’exception.
La législation sur les discours de haine suscite des controverses sans fin, et
même une réprobation de plus en plus forte, en ce qu’elle porterait atteinte à la
liberté d’expression. Pourtant, six années de lutte anti-discrimination au Centre
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pour l’égalité des chances m’ont convaincu que la lutte contre les discours de
haine ne fait peser aucun risque sur la liberté d’expression, qu’il n’y a aucun
conflit entre la pénalisation des discours de haine et la liberté d’opinion.
Un arrêt célèbre de la Cour européenne des droits de l’Homme énonce que la
liberté d’expression est une liberté fondamentale qui s’étend jusqu’aux « propos
qui blessent, qui choquent ou qui inquiètent autrui ou l’État ». Autrement dit,
la blessure psychique que peut provoquer un message dénigrant ou insultant
chez le récepteur (tel membre de telle communauté) n’est aucunement un
critère de sanction. Cela signifie-t-il que l’on peut tout dire ? Certes non, la
même Convention autorisant les pays membres à sanctionner des propos à
trois conditions :
– il faut un « but légitime », à savoir la défense impérieuse de la démocratie,
c’est-à-dire des libertés fondamentales elles-mêmes ;
– cette interdiction doit faire l’objet d’une loi ;
– elle doit être proportionnée à l’objectif poursuivi.
L’erreur fondamentale, dans les débats qui portent sur cette question, c’est
de voir ce type de législation comme une manière de  limiter  l’expression
d’idées ou d’opinions qui seraient vraiment « trop » dérangeantes, comme s’il
s’agissait d’une question de « contenu ». Comme si la question était  : quels
contenus de discours est-il légitime ou non d’exclure de l’espace public (par
exemple l’idéologie de l’extrême droite, ou d’une certaine extrême gauche,
le discours islamiste, ou au contraire islamophobe, ou les deux, etc.) ? Le
résultat, c’est que les citoyens et les groupes ont alors tendance à interpréter
la « limite » à l’aune de leurs propres convictions ou intérêts. Chacun voit
midi à sa porte, car le critère spontané  est  : « ils » (les adversaires) « exa-
gèrent ». Dans une telle perspective, on comprend que les professionnels de
l’expression (les journalistes, les caricaturistes, les historiens travaillant sur
l’histoire de l’esclavage ou la Seconde Guerre mondiale) soient généralement
hostiles à toute législation visant à lutter contre les discours de haine, comme
si cette législation risquait de s’appliquer à leur travail.
Or, c’est faux, tout simplement parce que telle n’est pas la logique de la loi, ni
la pratique des tribunaux. En réalité, ce qui peut faire l’objet de sanctions, ce
n’est jamais une idée ou une opinion, mais toujours un acte, un comportement.
Ce que le juge saisi d’une plainte pour incitation à la haine va examiner, ce
n’est pas l’opinion en tant que telle (aussi choquante, blessante ou inquiétante

17
S’approprier le français

soit-elle), mais le comportement que constitue la parole proférée. En d’autres

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termes, une incitation à la haine est un performatif par lequel le locuteur
accomplit un certain acte de langage dont l’intention et l’effet sont la haine, la
violence ou la discrimination.
Quand vous lisez la jurisprudence sur les discours de haine2, vous pourriez croire
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que les juges sont des adeptes zélés des théoriciens des actes de langage (Austin
ou Searle) : ils identifient assez naturellement ce qui, dans un énoncé, relève de
sa dimension représentative (qui ne doit faire l’objet d’aucune considération de la
part du juge) et ce qui relève de sa dimension performative (à laquelle le même
juge doit par contre être très attentif). En effet, aucun énoncé n’est, en soi, un
discours de haine ; ce qui lui confère cette « qualité », c’est, d’une part, l’intention
du locuteur ; d’autre part, le contexte dans lequel il l’a prononcé (devant quel
public, à quelle occasion, etc.). Ces deux éléments sont précisément constitutifs de
ce que l’on appelle en linguistique un énoncé performatif, c’est-à-dire un acte de
langage mis en œuvre par le locuteur non pour décrire son environnement, mais
pour agir sur lui à l’aide de signes3. Un propos qui incite à la haine, c’est donc
un acte de langage qui est accompli dans cette intention, et dans un contexte qui
lui donne une efficacité potentielle sur le public auquel il s’adresse.
Si je dis « mort aux Juifs » lors d’une manifestation houleuse, ou que j’ordonne
« pas d’Arabes dans mon entreprise » à mon directeur des ressources humaines,
je n’énonce aucune opinion à propos des Juifs ou des Arabes, je fais bel et bien
quelque chose, ou je fais faire quelque chose à un tiers (ce qui est la définition
même de l’incitation).
Bien sûr, cette caractérisation de l’incitation à la haine comme acte de langage
n’épuise pas le débat :
– certains voudront interpréter la pragmatique de la haine de façon très restrictive,
en disant qu’on ne peut interdire un propos qu’à la condition que les victimes
potentielles soient physiquement présentes au moment de l’énonciation d’un
discours de haine (c’est la position dominante dans les pays anglo-saxons)
– selon l’exemple classique : lancer « mort aux Juifs » à une foule furieuse
en présence de Juifs ;

2. Je parle ici de la jurisprudence belge ; mais je gage qu’il en est de même en France, en
Suisse, au Québec, etc.
3. Le performatif fait donc quelque chose en même temps qu’il énonce  : informer, inciter,
demander, convaincre, promettre, etc. Par exemple, l’énoncé « je vous déclare mari et femme »
prononcé par un officier d’état civil fait ce qu’il énonce, de même que l’énoncé la « séance
est ouverte » prononcé par une personne institutionnellement habilitée à le dire/faire. Un
énoncé devient un performatif en vertu (1) de l’intention de son locuteur, (2) de la manière
dont le destinataire la reçoit, et (3) du contexte dans lequel ils se trouvent. Cette théorie a
été développée par John Austin, How to do things with Words (1962), trad. Quand dire c’est
faire, Seuil, 1970 ; John Searle, Les Actes de langage (1969), Hermann 1972 (rééd. 2009).

18
Conférences inaugurales

– dans les pays européens qui ont vécu la montée puis les horreurs du fas-

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cisme, cette condition est considérée comme beaucoup trop restrictive,
puisqu’elle ne permet pas de pénaliser les propos d’un apprenti dictateur
comme Hitler4.
Entre les partisans d’une interprétation restrictive ou élargie de la pragmatique
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de haine, le débat est ouvert ; mais au moins les termes du débat sont-ils cor-
rectement posés, non plus en termes de représentations ou d’opinions, mais en
termes d’actes de langage.
Je voudrais donner un exemple concret, d’autant plus intéressant que depuis
lors, il a suscité un énorme débat. Mon dernier acte de directeur du Centre
pour l’égalité des chances, en juin 2013, a été de déposer plainte pour incita-
tion à la haine à l’encontre de « l’humoriste » français Dieudonné, suite à un
spectacle à Liège en 2012. Tout d’abord, je n’ai pas cherché à faire interdire
le spectacle : pas de censure a priori5. Mais pas question non plus de rester
inerte. Le Centre a dès lors collaboré avec la police locale qui a dressé un
procès-verbal détaillé du déroulement du spectacle. J’ai ainsi pu entendre la
totalité de ce spectacle. Que ce show soit une logorrhée antisémite et homo-
phobe de plus d’une heure, c’est incontestable. Mais s’agit-il d’incitation à la
haine ? Ici, la perspective pragmatique prend tout son sens. On peut discuter
à l’infini pour savoir si telle phrase ou telle autre, chacune prise isolément,
est antisémite ou homophobe ; ce qui m’est apparu certain, par contre, c’est
le dispositif pragmatique global de ce « show » dont les spectateurs étaient,
dans leur immense majorité, des jeunes de banlieues issus de l’immigra-
tion marocaine (c’est-à-dire un public particulièrement vulnérable, lui-même
victime de discriminations structurelles). Parmi les éléments pragmatiques,
relevons  : le fait que Dieudonné provoque, non seulement des rires, mais
aussi des huées ; qu’il accompagne ses propos d’une gestuelle particulière
(la fameuse « quenelle », sorte de salut nazi inversé) ; le caractère répétitif
et systématique des propos négatifs envers les Juifs, qui atteste que l’intention
est bel et bien d’inciter à la haine contre eux.
Il n’est pas du tout sûr, au final, que l’actuelle direction du Centre ou la justice
belge aillent jusqu’au procès. Personnellement, j’ai regretté qu’on ne poursuive

4. À ceux qui ne comprennent pas la nécessité de législation contre les discours de haine,
je rappelle toujours qu’Hitler n’a tué personne  : il n’a fait que prononcer des discours
et donner des ordres. Il est un criminel, non du fait d’avoir du sang sur les mains, mais
d’avoir manié la parole avec une efficacité et une perversité redoutables.
5. Certes, en Belgique comme en France, il existe toujours la possibilité d’interdire quelque
manifestation ou spectacle au titre du « trouble à l’ordre public ». Mais outre que cette
exception aux libertés publiques doit être maniée avec la plus grande circonspection, dans
le cas de Dieudonné en Belgique, il n’était pas possible de l’activer, en raison d’un arrêt du
Conseil d’État de 2011 qui avait cassé une décision d’interdiction d’un précédent spectacle
de Dieudonné, prise par le Bourgmestre de Saint Josse (Bruxelles).

19
S’approprier le français

pas Dieudonné en Belgique6. Mais cela prouve qu’il est extrêmement rare de

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pouvoir sanctionner des propos au titre de l’incitation à la haine. Entre 2007
et 2013, le Centre n’a entamé que cinq procédures judiciaires pour incitation à
la haine (dont trois contre le seul groupe islamiste Sharia4Belgium). Or, mal-
gré cette politique de non-intervention, le Centre a la réputation d’exercer une
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insupportable police de la pensée et de mettre en péril la liberté d’expression.


Dans une tribune publiée en mars, un député de droite dénonce ainsi le « politi-
quement correct » de l’antiracisme officiel qui ne « cesse de censurer tout débat
sur des sujets de société pourtant fondamentaux : la neutralité, l’immigration,
l’intégration, la sécurité »7.
Nous sommes ici dans le registre de la mauvaise foi crasse. Car aujourd’hui, en
Belgique comme partout en Europe, on ne cesse pas de parler, à longueur de jour-
née, sur les plateaux de télévision, dans les journaux, sur Internet ou les médias
sociaux, d’immigration, d’intégration et d’insécurité. Ce qui est plus intéressant,
c’est cette expression toujours utilisée de manière négative et péjorative : « poli-
tiquement correct ». Nombre d’intellectuels dits « de gauche » (je pense qu’on
peut me définir comme tel) se trouvent aujourd’hui intimidés par ce soupçon, et
s’efforcent de donner mille gages qu’ils ne font pas du « politiquement correct ».
Je crois que c’est une erreur d’être intimidés. Il vaut bien mieux, je crois, assumer
que défendre la démocratie et l’égalité entre les humains, c’est être « politiquement
correct ». Ou plus exactement, à la fois respecter intégralement la liberté d’expres-
sion et s’efforcer d’être politiquement correct. Car répétons-le, nous ne sommes pas
sur le même plan : l’incitation à la haine se situe sur le plan légal, elle concerne
notre comportement à l’égard de tiers susceptibles de haine à l’égard de groupes
minoritaires, tandis que le politiquement correct se situe sur le plan  moral, et
concerne notre attitude envers les membres des groupes minoritaires eux-mêmes.
L’expression « politiquement correct », on le sait, est un anglicisme (politically cor-
rect ; political correctness). Elle a été forgée par la droite et l’extrême droite amé-
ricaines, dans les années quatre-vingt, pour dénigrer la lutte anti-discrimination
et les mouvements féministe, antiraciste et post-colonialiste, et pour légitimer,
a contrario, la parole la plus réactionnaire, présentée comme celle qui dit tout
haut ce que tout le monde penserait tout bas, et que la gauche s’efforce de cen-
surer : « il y a trop d’étrangers », « les immigrés augmentent la délinquance »,
« l’Europe est menacée d’islamisation », etc. Le moins qu’on puisse dire, c’est que
cette opération idéologique a réussi. L’expression s’est répandue hors du champ
anglo-saxon, puis s’est généralisée à l’ensemble du spectre politique, même à
gauche, pour désigner toute forme de bien-pensance et de conformisme.

6. « Ne pas interdire ses spectacles, mais agir fermement a posteriori », interview dans Le Soir,
8 janvier 2014. (Depuis lors, il a été annoncé dans la presse que le Parquet de Liège avait
diligenté une enquête et que des poursuites seraient engagées – ce dont je me réjouis...).
7. Alain Destexhe, « Islamophobes ? », La Libre Belgique, 27 mars 2013.

20
Conférences inaugurales

Le succès de l’expression est un beau symptôme de la victoire idéologique du

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néoconservatisme en Occident, qui a réussi à se faire passer pour le parti de la
transgression et de la critique, et le discours libertaire et progressiste, pour celui
de l’ordre établi et du dogmatisme. Alors que hier, les conservateurs tenaient
le discours du « sacré » (« il y a des choses auxquelles on ne touche pas ») et
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les progressistes, le discours de l’historicité (« il n’y a rien d’immuable, il est


interdit d’interdire »), aujourd’hui le discours de la nouveauté et de la subversion
est tenu par la droite (« il faut parler vrai, provoquer le débat »), tandis que le
discours du sacré et des valeurs est devenu l’apanage des partisans historiques
de l’émancipation (défense de l’humain, de la dignité, de la décence).
Fini le temps de l’extrême droite de rupture, héritière assumée du fascisme (et,
de ce fait, tenante d’un discours classiquement antisémite, homophobe, antima-
çonnique, anticommuniste). Le bon vieux « facho » que nous aimions détester
n’existe plus. Les lignes se sont brouillées. Résultat  : Marine Le Pen ou des
groupes comme « Bloc Identitaire » ou « Riposte laïque » prétendent aujourd’hui
faire rempart à une prétendue islamisation de l’Europe, non plus au nom des
racines chrétiennes ou aryennes de l’Occident, mais au nom de l’égalité femme/
homme, de la laïcité, des droits des homosexuels, de la liberté d’expression. C’est la
défense de l’émancipation qui justifie aujourd’hui la chasse aux arabo-musulmans.
On ne renversera cette dynamique qu’en assumant que le langage est un enjeu
politique, et que les dénotations et connotations à l’aide desquelles nous nous
adressons à telle ou telle catégorie de personnes font partie intégrante du rapport
social et politique que nous instituons avec elles.
Il y a un an ou deux, un quotidien néerlandophone de centre gauche, le Morgen, a
annoncé qu’il n’utiliserait plus le terme « allochtones » pour désigner les popula-
tions issues de l’immigration. Bel exemple d’attitude « politiquement correcte ».
Ce cas est intéressant car, à l’origine, le terme avait été introduit dans le débat
public justement dans le souci d’être politiquement correct, pour éviter le terme
« immigrés », connoté négativement. Puis c’est la catégorie « allochtones » qui est
elle-même devenue péjorative et dénigrante, imposant un nouveau réajustement.
La même évolution a marqué jadis, en français l’usage des termes « Nègres »
et « Noirs ». Pourquoi changer de dénomination, objectera-t-on, si tout nouveau
terme est condamné à hériter des connotations négatives du précédent ? Parce
que le travail sur la convivialité et la civilité du langage est indéfini, à réévaluer
sans cesse, au gré de l’évolution politique.
Je conclus au sujet de la civilité. Car en définitive, ce qu’on appelle le « politique-
ment correct », ce n’est rien d’autre que la civilité. Je suis de plus en plus convaincu
qu’une politique de la civilité est le corrélat indispensable de toute politique de la
liberté. Je m’appuie ici sans réserve sur les travaux d’Étienne Balibar8.

8. Étienne Balibar, Violence et civilité, Paris, Galilée, 2010.

21
S’approprier le français

Civilité vient du latin civitas, qui renvoie à deux choses  : à l’exercice de la

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citoyenneté, c’est-à-dire à la constitution d’une sphère de socialité indépen-
dante des attachements familiaux et des intérêts économiques, d’une part ; à un
comportement moral au quotidien – politesse, courtoisie, attention aux autres –
qui révèle une capacité de respecter autrui dans sa singularité, d’autre part.
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Historiquement, les règles de la civilité apparaissent avec la civilisation urbaine


(xive-xvie siècles), au moment où les individus s’émancipent de leurs « encas-
trements » dans des statuts et des communautés. Dans la société médiévale,
le serviteur et son maitre n’appartenaient pas au même « monde », et au sein
de chaque monde, la codification des comportements était très précise (amour
courtois, allégeance, code d’honneur, etc.). Avec la modernité, on assiste à la
disparition des castes et à l’égalisation des conditions. Or, à partir du moment
où vous vous trouvez face à un individu dont vous ignorez le « rang » ou
même l’identité, il faut d’autres modes de socialisation, basés sur l’attention
envers toute personne, indépendamment de son statut social ou de sa position
de pouvoir. La civilité est donc la capacité de se lier avec des individus qui ne
font pas partie de mon cercle « naturel » de socialisation ; c’est aussi la capacité
de sortir de celui-ci, de s’extraire des rapports familiaux ou marchands pour
se reconnaitre mutuellement comme concitoyens.
Sur le plan philosophique, la civilité évoque la Sittlichkeit de Hegel où le sujet
se construit en s’arrachant progressivement à ses dépendances communautaires
(famille) et économiques (« société civile ») pour devenir citoyen et accéder
à l’universel concret de l’État9. On pourrait également convoquer Kant et la
maxime de la « mentalité élargie » : « penser en se mettant à la place de tout
autre ». La civilité, c’est élargir son point de vue, être capable de communica-
tion sentimentale avec autrui. Transposée dans le contexte historique qui est
le nôtre, je définirais la civilité comme l’attitude qui vise à ne jamais traiter
aucun être humain comme un surnuméraire, et à ne pas rester soi-même encollé
à sa communauté, à son identité.
Que notre époque manque de « civilité », c’est incontestable. Nous voyons d’un
côté l’incivilité liée à l’argent et au profit : cupidité, corruption, fraude, cynisme
–  qui va de la petite élision d’impôt aux salaires indécents, de la fermeture
d’entreprises rentables au maintien sur le marché de médicaments mortels. De
l’autre, l’incivilité liée aux identités : racisme et sexisme – qui peuvent aller du
propos « pour rire » à l’incitation à la haine, jusqu’aux pogroms et aux géno-
cides. On voit bien qu’aujourd’hui, la violence est moins la conséquence d’une
situation conflictuelle entre deux pays ou deux classes cherchant à défendre
leurs intérêts, qu’un climat général d’hostilité qui échappe à toute conflictualité
réglée, stratégique.

9. « Civilité » est d’ailleurs une traduction possible du terme « Sittlichkeit » tel qu’il est
employé par Hegel.

22
Conférences inaugurales

Le chantier le plus énorme en matière de civilité aujourd’hui, c’est Internet

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– qu’il s’agisse des forums de discussion, des blogs et sites, des médias sociaux
(Facebook et Twitter), des mails « en chaine », etc. Internet est aujourd’hui une
véritable jungle sans règles de civilité, et où les lois anti-discrimination, du
reste, ne sont pas appliquées. Avec Internet, on assiste en quelque sorte à un
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retour, au sein même de l’espace public, et de la logique marchande et de la


sociabilité primaire (esprit de clan, de communauté). Nombre d’individus ont
si peu le sentiment d’être sur Internet dans l’espace public qu’ils osent y tenir
des propos qu’ils ne se permettraient pas sur leur lieu de travail, voire même
dans leur propre famille. Internet ressemble à une sorte d’immense inconscient
collectif à ciel ouvert. Le civiliser est un enjeu démocratique majeur.
En effet, il n’y a ni liberté ni égalité possibles sans civilité. Quant à savoir
comment la question de la civilité rejoint celle de la convivialité, je vous en
laisse juge…

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LA RÉFORME DE L’ÉCRITURE DE L’ALLEMAND :


DES ENSEIGNEMENTS POUR LA POLITIQUE
LINGUISTIQUE FRANCOPHONE ?

Heinz BOUILLON

Chers Collègues,
Je tiens à remercier les organisateurs de m’avoir donné la chance de vous par-
ler des problèmes d’écriture en allemand, mais surtout parce que je le fais en
tant que membre du Conseil de l’orthographe allemande. Le monde allemand
est assez méconnu dans les pays francophones, pour des raisons historiques et
autres, mais il recèle parfois des solutions ou des pistes de solutions qui pour-
raient être pratiquées mutatis mutandis par d’autres. Je vous remercie dès lors
de votre demande et j’espère que notre façon de travailler au Conseil de l’ortho-
graphe allemande pourra être propice à l’avancement de vos travaux et renforcera
la conviction séculaire que le choc des idées peut faire jaillir la lumière.
Permettez-moi de circonscrire d’abord le problème posé par l’écriture de l’alle-
mand, les solutions trouvées par la création du Conseil de l’orthographe suite à
une profonde discorde dans le monde germanophone, puis enfin de vous faire
quelques suggestions qui émanent de mes expériences lors de ces sept dernières
années au sein de ce Conseil.
Tout d’abord, il faut partir du constat qu’en allemand il n’existe pas de vision
d’inclusion ou d’exclusion d’un mot par rapport à un vocabulaire officiel ger-
manophone. Il existe bien sûr une chasse aux anglicismes comme partout,
mais lorsqu’un mot est utilisé par l’une ou l’autre communauté, il est considéré
comme faisant partie du lexique. Il y a toujours eu une très grande variété de

25
S’approprier le français

mots pour désigner les choses en allemand, le mot « tomate » que vous com-

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prenez aisément devient « Paradaiser » en Autriche et pour un grand nombre
de mots, même de souche germanique, on constate une distribution complé-
mentaire  : « Speicher » désignant le grenier au Nord et « Dachboden » au
Sud ; chaque groupe ou sous-groupe régional comprend généralement le mot
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de l’autre, mais ne l’utilise pas activement.


Cette tolérance pour les mots de l’autre fait en sorte que l’on n’aura pas l’équi-
valent de l’Académie française en Allemagne pour décider de ce qui est « alle-
mand » ou pas. L’étendue du lexique n’est pas négociable, elle est un état de
fait que le linguiste constate. Mais que reste-t-il donc à régler en commun dans
les pays germanophones puisque la syntaxe et la morphologie bougent très peu
et que chacun fait le ménage dans son propre lexique ?
La prononciation n’est par exemple pas uniforme non plus. Ceux d’entre vous qui
sont allés en Bavière après avoir suivi six ans de cours d’allemand en France,
en Belgique ou en Suisse auront pu le constater : tous les Bavarois prononcent
un certain allemand standard à leur façon et ce sera pareil pour les Autrichiens
et les Suisses. La prononciation est volontairement teintée d’une couleur régio-
nale, nul n’a honte de sa région. « Alle – tous » s’écrira « alle » en Bavière mais
se prononcera « olle », ce qui a dérouté plus d’un étudiant étranger, le faisant
même parfois douter de la qualité des cours reçus en Belgique ou en France…
Ce qui est commun en revanche à tous, c’est l’écriture de cet allemand. Et
miracle, si j’ose dire, allez relire un texte de Luther du xvie siècle, vous pourrez
le comprendre aisément si vous comprenez l’allemand actuel. L’orthographe n’a
guère changé jusqu’à ce jour.
C’est Luther en effet qui a été, à son insu, le grand unificateur de la langue
allemande. C’est sa traduction de la Bible qui, grâce aux progrès de l’impri-
merie, a atteint les derniers recoins des pays germanophones et qui a établi, si
j’ose dire, la lingua franca allemande. Son écriture a eu une forte influence sur
l’écriture de l’allemand et il a par exemple généralisé, mais d’autres l’avaient
déjà fait avant lui, l’utilisation des majuscules pour tous les substantifs.
Rassurez-vous, je ne vais pas vous retracer ici l’histoire de l’orthographe alle-
mande depuis Luther, j’essaie de remonter aux sources des problèmes qui ont
dû être résolus récemment.

1. Les réformes récentes


L’État prussien qui avait unifié l’Allemagne à la fin du xixe siècle a voulu égale-
ment mettre en œuvre une orthographe commune à l’usage des administrations
et des écoles. Un certain Konrad Duden fut chargé de ce travail et en 1906, le
premier système de règles orthographiques commun fut adopté. Duden en fit

26
Conférences inaugurales

un dictionnaire et par la suite, ce fut la maison d’édition appelée « Duden »

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qui en assura le suivi. Le monde germanophone adopta cette direction des
opérations par une maison d’édition et lorsqu’il y avait un doute sur l’écriture
du mot, il fallait se référer au Duden, aussi bien en Allemagne que dans les
pays voisins. Ce Duden connut de nombreuses éditions adaptées à l’introduction
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de mots nouveaux au cours des décennies suivantes.


Fin des années 1980, il y eut un mouvement pour dépoussiérer le système
d’écriture en allemand. Fallait-il garder les majuscules des substantifs ? Fallait-
il garder la lettre spéciale de l’allemand le « ß » ? Quand fallait-il écrire les
particules ensemble avec le mot ? Fallait-il encore garder le « ph » alors que
l’on prononçait « f » comme dans « Philosophie » ?
Sachant qu’en République fédérale allemande, l’orthographe est un domaine
réservé aux Länder – oui, vous avez bien entendu, c’est une matière régionale,
montrant bien que les mots n’appartiennent pas à l’État central  – il fallait
s’attendre à de sérieux débats d’autant plus qu’il fallait aussi s’accorder avec les
Autrichiens et les Suisses principalement. On créa une commission composée
de ces trois États, plus des observateurs de pays concernés limitrophes et cette
commission fit des propositions en 1996. Le résultat fut un embrouillamini
total, je vous passe les détails. Oui, l’orthographe fit les gros titres des jour-
naux certains jours. Certains journaux prestigieux appliquèrent la nouvelle
orthographe, puis au bout de deux ans repassèrent à l’ancienne. On reprocha
au nouveau système des inconséquences. Pour certains la réforme allait trop
loin, les conservateurs d’une unicité morphémique entre autres, pour d’autres
qui voulaient une écriture quasi phonétique sans majuscules, elle avait apporté
beaucoup trop peu. L’hallali de la réforme fut sonné par le refus de deux Länder
de l’adopter. On était dans l’impasse.
En 2004 fut alors créé le Conseil de l’orthographe allemande, conseil de sages
pour apaiser les discussions acerbes. Il fit ses propositions en 2006, moment
où j’ai été sollicité pour en devenir membre et ces propositions passèrent le cap
de tous les parlements ou autorités concernés en Allemagne, Autriche, Suisse,
Liechtenstein, Tyrol italien et Communauté germanophone de Belgique pour
être officiellement d’application en 2007.
Je vais détailler maintenant quelque peu la composition du Conseil, l’objet de
son travail et enfin commenter la méthode de travail.

2. La composition
D’entrée de jeu, la composition du Conseil a reflété davantage la volonté
d’aboutir à un résultat plutôt qu’un subtil dosage de taille ou d’influence. Le
Conseil se compose de dix-huit Allemands, neuf Autrichiens, neuf Suisses,

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S’approprier le français

un représentant du Liechtenstein, un du Tyrol italien et un de la Communauté

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germanophone de Belgique, plus le Président. Depuis la réunion du Conseil
d’octobre 2013, il y a également un observateur luxembourgeois et il faut noter
que le Luxembourg ne veut à aucun prix en être membre effectif, il souhaite
juste envoyer un observateur. Selon le seul critère de taille, un Allemand est
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des centaines de fois plus représentatif que l’un des quatre petits que je viens de
citer. Peut-être cette dernière réflexion pourrait-elle déjà vous inspirer lorsqu’il
s’agit de pondérer des représentations dans d’éventuels conseils à créer.
Chacun prend la parole à son gré, soit qu’il s’exprime sur la logique d’une règle
d’écriture à modifier éventuellement, soit qu’il fasse appel à une sensibilité plus
locale concernant cette règle. Un grand mérite dans la réussite de la réforme
revient en fait au Président Hans Zehetmair. Monsieur Zehetmair, à l’origine pro-
fesseur d’université, a été pendant une dizaine d’années ministre de l’Éducation
en Bavière. Il connait le sujet sur le plan linguistique, mais utilise aussi sa fibre
politique pour faire avancer les débats. Au niveau de la composition, les grandes
maisons d’édition de dictionnaires sont représentées. Ainsi le Conseil dispose au
travers de ces maisons d’édition et de l’IDS de quatre grands corpus qu’il peut
interroger  : celui du Duden, du Wahrig-Brockhaus, celui de  l’Institut central
pour la langue allemande (Institut für deutsche Sprache) de Mannheim et celui
du dictionnaire autrichien, j’expliquerai plus tard pourquoi c’est si important.

3. Les points abordés


Les principaux points abordés concernent la concordance entre lettres et sons,
l’emploi de la majuscule et l’écriture de certains éléments en mots composés
ou disjoints.
Les règles que le Conseil a finalement élaborées se basent sur deux principes.
Le premier principe est que dans la mesure du possible, un même son soit
retranscrit par la ou les mêmes lettres.
Le deuxième principe est le principe de la reconnaissance morphologique qui
permet de garder les traces étymologiques. Ainsi le mot « Bus –  le bus » et
« Kuss – le baiser » retranscrivent-ils différemment le son « us » parce que le
mot « Kuss » est apparenté à son verbe « küssen – embrasser », ce qui justifie
le double « s ». Cette pratique, qui avait cours avant la réforme, ne posait pas
de gros problèmes si ce n’est pour les mots récemment intégrés dans la langue
allemande. On peut constater que ces deux logiques peuvent s’entrechoquer.
Ainsi distinguera-t-on « man – on » de « Mann – homme », le premier suivant
le principe des règles de prononciation, le deuxième reprenant le double « n »
que l’on trouve dans le pluriel « Männer ». Le Conseil a d’ailleurs évité beau-
coup de problèmes en admettant un grand nombre de variantes, pas toujours
heureuses (« Mayonnaise » à côté de « Majonäse »).

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Conférences inaugurales

L’utilisation des majuscules demande quant à elle un effort d’analyse grammati-

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cale. Un mot est écrit avec une majuscule lorsqu’il est perçu comme substantivé.
Un adjectif qui suit une préposition par exemple (en général – im Allgemeinen)
suit souvent cette règle. Inutile de dire que de nombreuses hésitations subsistent
chez l’utilisateur moyen ou chez l’élève et dans ce cas, la liste de référence ou
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d’exemples publiée par le Conseil tranche.


Enfin, deux mots peuvent être soudés dans l’écriture lorsqu’un sens nouveau
apparait par la collocation. Ainsi le terme « rester assis : sitzen bleiben » sera
écrit en un mot lorsqu’un élève redouble « redoubler  : sitzenbleiben » qui a
pris une signification nouvelle.
Ces quelques exemples très limités ont comme seul but d’illustrer le type de
travail effectué et non évidemment d’aller au fond de l’explication de la réforme.
Dès l’adoption officielle de la réforme, le deuxième mandat du Conseil de
l’orthographe a été d’observer, avec un recul critique de plusieurs années, l’écri-
ture pratiquée par la communauté germanophone internationale. Et cela afin
d’adopter, peut-être, encore de légères modifications au système de règles et
ce pour 2016.

4. Observation
C’est ainsi que les quatre grands corpus sont sollicités pour observer la pratique
quotidienne des scribes germanophones. Les plus grands corpus ont chacun
plus de deux milliards de signes et il est possible d’établir l’historique d’une
graphie sur une vingtaine d’années.
On a pu observer un phénomène étrange : lorsqu’une nouvelle règle décrit très
clairement un type de graphie, il ne faut que quatre ans pour que la nouvelle
utilisation prescrite soit adoptée par 95 % des utilisateurs. Lorsqu’une règle
laisse subsister des hésitations ou des choix, les chiffres recueillis indiquent
clairement une adaptation plus lente. Dans certains cas examinés l’ancienne
règle devenue incorrecte et la nouvelle règle se partagent le terrain à 50 %,
la communauté hésite, signe que dans les années à venir, il faudra peut-être
clarifier la règle.
Un moment très attendu sera aussi celui où les enfants qui ont débuté avec la
nouvelle orthographe pourront être valablement testés.
Pour l’instant le Conseil observe les habitudes d’écriture sur les gigantesques
corpus à sa disposition. Certes, la représentativité de ceux-ci peut être remise en
cause mais au départ, il s’agit tout de même d’un magnifique instrument et dès
lors pourquoi pas s’en servir ? Par ailleurs, il ne s’agit pas non plus d’observer
la fréquence des fautes de tout genre. L’objet des observations se situe dans les

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S’approprier le français

zones d’ombres des règles actuelles, des hésitations possibles, de l’utilisation des

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variantes. Il ne s’agit pas d’ériger en règle une faute observée avec constance, il
s’agit d’affiner les règles pour qu’elles produisent un maximum de graphies justes.
La pomme de discorde reste les variantes. Un exemple typique : Creme, Crème,
Krem sont trois variantes du même mot. Beaucoup moins que 1 % des occur-
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rences sont occupées par le mot « Krem ». Vouloir l’éliminer de la liste des
variantes pourrait toutefois froisser des sensibilités…
Il faut observer à ce stade-ci, que les lignes de partage dans ce domaine peuvent
traverser des régions, le Nord et le Sud, les nationalités, les Autrichiens versus les
Allemands versus les Suisses, des sous-groupes d’utilisateurs, comme des jour-
naux, des écrivains qui souhaitent se démarquer. Alors le Conseil est le lieu où
ces différences sont exprimées. Cela se fait dans une sorte de convivialité où les
représentants font tout de même un maximum pour ne pas vexer le voisin et tenir
compte de sa différence. Je suis d’ailleurs frappé par le fait qu’en représentant
moins d’un millième de la communauté germanophone mais représentant une
communauté autonome, mon avis soit sollicité par exemple sur notre particularité
scolaire dans l’enseignement de l’orthographe au même titre que l’Allemagne.
Par son existence même, le Conseil de l’orthographe est une réussite parce qu’il
propose des solutions non nationales à des problèmes qui pourraient mener
facilement à des raidissements identitaires.
Enfin, je ne peux éviter de parler d’un débat plus fondamental qui n’est pas défi-
nitivement tranché. À certains moments, des membres ont proposé de réécrire
complètement tout le système de règles afin qu’il soit plus lisible, plus facile
d’accès au moins aux professeurs de l’enseignement fondamental ou secondaire.
Le contrargument retenu a été de dire qu’il faut considérer le système de règles
comme un ensemble de textes législatifs qui n’aurait pas pour objectif premier
l’élégance de la formulation, mais bien la pertinence nécessaire pour prévoir le
plus grand nombre d’applications correctes possibles. Réécrire dans son ensemble
ce système de règles mènerait à des graphies inattendues, non prévues, probable-
ment source de nouvelles hésitations. L’attitude générale à ce stade des délibéra-
tions est de se contenter d’éventuellement adapter l’existant aux réalités observées
et non un soi-disant « nettoyage » du premier texte. La prudence prévaut.

5. Suggestions
Après ce tour d’horizon, rapide à cause du temps imparti, je pourrais dégager
trois suggestions pour les travaux du groupe qui me fait le plaisir de m’accueillir
aujourd’hui.
La première est de cibler les dosages représentatifs plutôt en fonction des
objectifs à atteindre que par souci politico-linguistico-national. Dans le Conseil

30
Conférences inaugurales

de l’orthographe allemande, il y a représentation des pays, certes, mais il y

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a aussi trois groupes de travail  : linguistes, lexicologues et didacticiens où
tout le monde se mélange. Sont représentés dans le Conseil, les grands dic-
tionnaires, les académies allemandes, les ministères de l’Éducation autrichien
et suisse, les sociétés d’auteurs et j’en passe. Bref, pour ce petit monde ainsi
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constitué, l’objectif essentiel reste la présentation d’un produit fini et en cela il


a réussi. Les politiques ont accepté que les problèmes soient tranchés par ces
quarante personnes et ont adopté les solutions proposées, trop contents d’acter
un consensus international.
La deuxième suggestion est de procéder par une segmentation des buts pour-
suivis en étapes réalistes. Les très grandes réformes, les réformes radicales
scinderont très rapidement le groupe en deux parties de force égale qui vont
se bloquer mutuellement. C’était le cas dans les discussions avant la constitu-
tion du Conseil de l’orthographe allemande. Celui-ci a présenté en réalité une
réforme de la réforme, une solution à mi-chemin qui a rétabli le calme dans
la discussion. Il faut donc une vision consensuelle, au moins sur une première
partie du chemin à parcourir.
Enfin, la troisième suggestion, la plus importante à mes yeux est la nécessité
d’établir un climat de travail convivial. À ce titre, le Conseil de l’orthographe
allemande, un peu à l’instar de la Cour de Charlemagne qui était itinérante,
se déplace de temps en temps à l’invitation d’un des pays membres. Le siège
se trouve à Mannheim, à l’IDS, pour les réunions bisannuelles normales, mais
l’année passée, nous nous sommes réunis à Vienne. Et j’ai le plaisir de vous
annoncer aujourd’hui que la prochaine réunion du Conseil se fera à Eupen en
mai 2014. Les membres y viennent la veille et le bon climat entre participants
déteint sur les travaux. La prise de connaissance des sensibilités différentes,
le respect des différences, la permission de faire admettre et d’utiliser ses
propres variantes, le souci de ne pas alerter continuellement l’opinion publique
en annonçant des réformes radicales de l’orthographe, cet état d’esprit a gran-
dement contribué –  jusqu’à présent  – à maintenir la pax orthographica dans
les pays germanophones. Oui, il est possible de réformer le système d’écriture
d’une langue à condition que le produit proposé par une commission ou un
conseil ad hoc soit représentatif et consensuel. Pour y parvenir, une importante
recette : la convivialité.

Références
Bouillon,  H., Allemand –  Grammaire pratique de l’étudiant, Bruxelles, De
Boeck, 2008, 3e édition, pp. 237-242.
Bouillon,  H.,  « Les turbulences apaisées de l’orthographe allemande », in La
Revue générale, no 3, 2011, pp. 47-51.

31
S’approprier le français

Krome  S., « Variantenschreibungen bei Fremdwörtern  : Darstellung und

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Begründung. Empirische Schreibeobachtung auf der Grundlage korpusba-
sierter Lexikographie», in Mitteilungen des Deutschen Germmanistenver-
bandes 58, V&R, unipress GmbH, 2011, pp. 36-50.
Ossner  J., Orthographie –  System und Didaktik, UTB 3329, Ferdinand
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Schöningh Verlag, 289 p.


Rat für deutsche Rechtschreibung, Deutsche Rechtschreibung –  Regeln und
Wörterverzeichnis  – Amtliche Regelung, Tübingen, Gunter Narr Verlag,
2006.

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LE FRANÇAIS EN AFRIQUE :
UN CONTINENT ENTRE RÊVE ET NOSTALGIE

Jean-Benoît ALOKPON

Pour des raisons pratiques, je me suis penché sur le cas d’un seul pays, le Bénin,
pour aboutir à une conclusion sur l’enseignement du français qui impliquera
l’Afrique et l’océan Indien. Pourquoi privilégier le Bénin ? Les réponses sont
évidentes : c’est le pays dont je connais le mieux les problèmes ; il fait depuis
des années une expérience démocratique qui lui donne une stabilité politique ;
comme beaucoup de pays d’Afrique, il a engagé des réformes dans le système
éducatif.
Au Bénin, le français est non seulement la langue officielle, mais aussi et sur-
tout la langue privilégiée de communication, d’échange et de culture au service
du développement économique. Il est au service du rayonnement culturel du
Bénin sur la scène africaine et internationale.

1. Les grandes mutations

1.1. Le temps colonial


De la période coloniale aux années  1960, le Dahomey était connu pour l’ex-
traordinaire intelligence de son élite et la grande maitrise du français par
cette dernière, ce qui avait poussé Emmanuel Mounier à désigner ce pays
comme étant le « Quartier Latin de l’Afrique ». Les premiers écrits littéraires
l’attestent  : il n’y a qu’à lire Félix Couchoro, Paul Hazoumé, Olympe Bêlly
Quenum, pour s’en rendre compte. C’est Georges Hardy, le préfacier français

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Appropriation : demande et exigences sociales

du livre Doguicimi, qui, qualifiant l’œuvre maitresse de Hazoumé, a fait le

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témoignage le plus émouvant et le plus élogieux, mais aussi le plus tendancieux
sur l’élite dahoméenne de l’époque coloniale :
C’est pour la France bien entendu, un singulier mérite d’avoir, au lendemain même
de l’installation coloniale, opéré de telles conquêtes intellectuelles et morales.
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Le cas de Paul Hazoumé n’est pas isolé en Afrique Occidentale Française ; il


est seulement le plus brillant de toute une série.
Si son teint ne trahissait son origine, vous le prendriez pour un Français de
France ; tout dans sa façon libre et gaie de s’exprimer, dans son allure courtoise,
dans ses gestes aisés et mesurés, dans l’aimable ardeur qui émane de sa personne,
est d’un homme de chez nous. Tout dans sa tenue, dans sa conduite, est d’une
conscience scrupuleuse, attentive à ses devoirs, soucieuse des responsabilités
spéciales qui s’imposent à l’élite, tout entière pénétrée d’une moralité tel qu’on
ne songe pas un instant à le traiter en étranger.
On trouvait partout à cette époque en Afrique ce type d’écrivains ayant porté le
français à un haut degré de perfection. Léopold Sédar Senghor, homme d’État,
académicien et l’un des pères fondateurs de la Francophonie, en est l’illustra-
tion patente. Ces propos de Hardy en disent long sur le statut que conférait le
français en Afrique francophone : prestige, élégance, responsabilité.

1.2. Après les indépendances


De 1960 à 1972, la langue se tient à un niveau moins élevé. Les cadres et
les écrivains de cette époque, quoique considérés et produisant des œuvres
majeures, n’avaient déjà plus la trempe de leurs ainés. L’école, haut lieu d’acqui-
sition du français, n’était plus tellement reluisante, faute d’infrastructures adé-
quates. La longue période d’instabilité politique, rythmée par des coups d’État,
n’était pas de nature à lui faire jouer son rôle de gardien de la langue française.
Le marasme (politique et économique) était tel que le Bénin est passé du statut
de « Quartier latin » à celui peu élogieux d’« enfant malade de l’Afrique ».

1.2.1. Les années révolutionnaires


C’est surtout de 1972 à 1989 que l’école privilégiera un autre type d’homme.
Un programme d’alphabétisation donnait désormais la priorité aux langues
nationales, et l’école ouvrait ses portes à toutes sortes de formateurs, avec le
fameux slogan « tout cadre est enseignant ». Ce fut la période des jeunes ins-
tituteurs révolutionnaires (JIR), avec le BEPC comme référence intellectuelle,
et des jeunes professeurs révolutionnaires (JPR), n’ayant plus que le BAC ou,
au mieux, le BAC+2. Le fameux « signal » (punissant les apprenants surpris
en flagrant délit d’utilisation de leur langue), symbole fort de l’assujettissement
à la langue française dans l’espace de l’école, avait pratiquement disparu.

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Le français en Afrique : un continent entre rêve et nostalgie

1.2.2. Le renouveau démocratique

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En 1990, à la faveur de la Conférence nationale de février, le français revêt son
statut de langue officielle (article 1er de la constitution du 11 décembre). Cette
même année ont lieu les États généraux de l’éducation, à la suite de la crise que
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traversait le système éducatif. Ils proposent une réforme, engagée quatre ans plus
tard : elle privilégie l’acquisition du savoir dans une approche par compétences,
et non plus par objectifs. Le but est de former un citoyen capable d’analyse et
d’adaptation à son milieu de vie et de travail.
Le français est le vecteur linguistique transversal du système éducatif. En
tant que langue officielle d’enseignement, de travail et de communication
internationale, sa maitrise par l’apprenant facilite l’apprentissage dans les
autres disciplines, notamment scientifiques. Tant et si bien que lorsqu’au
Bénin on dit de quelqu’un qu’il est un grand intellectuel – en une traduction
à peine voilée de l’expression Fon, la langue nationale la plus parlée, « essé
wéma » (« il connait papier »,  « il maitrise le savoir »), ce n’est presque
jamais par rapport à sa capacité de résoudre des problèmes mathématiques,
physiques ou de dessiner et sculpter : c’est toujours par rapport à sa maitrise
de la langue française, à son don pour exprimer des pensées fleuries où les
images et les citations de grands auteurs se bousculent. L’exemple le plus
vivant est le Rapport Général de la Conférence Nationale des Forces Vives de
1990, présenté par une légende vivante, Albert Tévoédjrè. Les conférenciers
de l’époque, ainsi que tout le peuple béninois, furent enthousiasmés, non
pas parce que le rapport comportait l’ensemble de ce qui avait été dit, mais
parce que son auteur trouvait le mot juste en français. De plus, il montrait
sa capacité d’approche d’autres langues étrangères, s’exprimant tour à tour en
anglais, en allemand, en latin et en faisant recours à des pensées d’auteurs et
à des passages de la Bible, subjuguant ainsi une salle et un peuple emportés
par ses envolées. La maitrise du français est donc au Bénin un puissant
marqueur du rang et de la classe sociale.

2. Le français aujourd’hui
Mais comment y parle-t-on le français aujourd’hui ?
On ne peut répondre valablement à cette question sans un bref état des lieux
du système éducatif.
Le système éducatif béninois est, comme dans la plupart des pays de
l’Afrique et de l’océan Indien, composé de l’enseignement maternel, du pri-
maire, du secondaire (technique et professionnel) et du supérieur. Dans ce
système, des difficultés sont présentes à tous les paliers, avec un bémol pour

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Appropriation : demande et exigences sociales

l’enseignement maternel (où français et langue du milieu sont simultanément

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utilisés). Parmi ces difficultés transversales, on peut retenir les suivantes :

• Au plan didactique
– effectif largement insuffisant du corps d’encadrement en français : le recru-
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tement et la formation des inspecteurs sont encore loin de suivre la croissance


démographique. Restés longtemps presque inexistants, le recrutement et la
formation refont surface mais restent largement insuffisants. Par exemple en
français, quatre inspecteurs de l’enseignement secondaire ont géré le contrôle
du système pendant près de vingt ans, période au cours de laquelle il n’y a
pas eu de recrutements. Après eux, le programme de recrutement a été très
loin de satisfaire la demande  (1986  : 2 recrutements ; 1988  : 2 ; 2003  : 4 ;
2005 : 6 ; 2007 : 4 ; 2009 : 4 ; 2011 : 4 ; 2013 : 3). Ce relevé montre combien
les professeurs travaillent sans contrôle pédagogique rigoureux. On imagine
les dérives que peut se permettre un enseignant qui n’est pas sous ce contrôle.
–  niveau d’appropriation du français relativement faible  : d’une manière
générale, la qualité de l’enseignement est critique parce qu’il y a pénurie
d’enseignants qualifiés. Un nombre préoccupant d’enseignants, aussi bien
du primaire que du secondaire, n’ont pas reçu de formation pédagogique de
base du fait du gel du recrutement et de la fermeture des écoles normales. À
un moment donné, devant la distorsion entre le nombre d’apprenants et celui
des enseignants, les parents d’élèves puis l’État lui-même, ont eu recours
au corps des « enseignants communautaires », ce qui a ouvert de sérieuses
brèches dans le système. Par exemple, au cours d’une de ses enquêtes sur
le terrain, l’Association des Professeurs de Français du Bénin est tombée,
en 2002, sur une classe de CE1 confiée à un enseignant communautaire
qui, lui-même, n’avait que le niveau du CE2 !
Tout récemment, mis au pied du mur (pression des parents d’élèves, forte
demande en ressources humaines d’encadrement, chômage grandissant des
jeunes…), le Gouvernement a procédé au recrutement systématique des
enseignants communautaires dont la plupart sont sans qualification, quitte
à procéder à leur formation progressive (c’est le « reversement »). C’est la
première fois qu’un recrutement aussi massif se fait, en violation des textes
réglementant la fonction publique.
Naturellement, cette massification n’a pas réglé le problème de qualité de
l’apprentissage du français. En effet, d’après les statistiques du ministère
de  l’Enseignement secondaire en 2013, sur les 1  518 professeurs en situation
de classe, seulement 335 ont une Maitrise en Lettres modernes, soit 22 %. Les
autres ont fait, dans le meilleur des cas, des études de sociologie, de sciences
juridiques, de linguistique, et se sont infiltrés dans le corps pour être à l’abri
du chômage, en attendant de trouver mieux. Devant cette situation, l’État a,

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Le français en Afrique : un continent entre rêve et nostalgie

dans un ultime sursaut, envisagé de faire appel aux professeurs à la retraite,

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et a par ailleurs envisagé de porter l’âge de la retraite à 60 ans au lieu de 55.

• Au plan pédagogique
– désintérêt pour la lecture et l’autoformation : le coût de la vie, contrastant
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avec les salaires, pousse les enseignants à consacrer leur temps libre à d’autres
activités lucratives, au détriment d’une constante mise à niveau ;
– absence quasi totale d’une politique dynamique du livre ;
–  absence, pendant longtemps, de politique incitative en faveur des élèves
méritants (état de choses heureusement en train d’être corrigé) ;
– absence d’information sur les possibilités de bourses d’études (nationales ou
étrangères), ce qui entraine la confiscation de ces bourses par les décideurs ;
– absence de coordination des actions de promotion de la langue française.
Il y a toutefois des initiatives louables, dont celles de la Commission nationale
permanente de la Francophonie qui, dans le cadre de la quinzaine de la Franco-
phonie, exécute un programme mettant en lumière ce qui se fait pendant cette
période pour la promotion du français, du livre, de la lecture et de l’écriture.
Le système éducatif béninois bénéficie largement de cette initiative, notamment
à travers le concours de Promotion de la langue française (PROLAF).

• Au plan culturel
– insuffisance de productions littéraires en français, faute de maison d’édition
et de politique incitative. Si ces cinq dernières années ont vu la création de
maisons d’édition, souvent tenues par des groupes d’écrivains ou de chercheurs,
leur développement reste timide ;
– absence de canaux de distribution du livre en milieu scolaire. L’Association
des Professeurs de Français du Bénin, en liaison avec la Commission susdite
et l’ambassade de France, a mis en œuvre un projet intitulé « Le livre frappe
à votre porte ». Ce projet consiste à mettre la lecture à la portée des établisse-
ments scolaires particulièrement déshérités sur le plan documentaire. D’autres
initiatives existent et méritent d’être encouragées ;
– insuffisance de médiation dans la vie culturelle scolaire : des traditions qui
ont fait leurs preuves sont malheureusement en voie de disparition : journaux
scolaires, clubs de lecture, ateliers d’écriture, groupes de théâtre et d’action
culturelle, etc. La seule survivance sont les journées culturelles, qui ne s’orga-
nisent qu’une fois l’an, souvent pour clôturer les activités académiques ;
–  absence de dynamisme dans le renouvellement des ouvrages littéraires et
didactiques au programme. Des livres comme  Les bouts de bois de Dieu,
L’arbre fétiche, L’esclave, Les rayons et les ombres, sont au programme depuis

39
Appropriation : demande et exigences sociales

longtemps. Quand ces œuvres ont été remplacées en 2012, sans une large consul-

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tation de tous les acteurs et sans ateliers pédagogiques préparatoires, certaines
des œuvres programmées n’ont pas rencontré l’adhésion des professeurs et ont
dû être remplacées, à peine introduites, ce qui a entrainé de grandes perturba-
tions dans les études littéraires pendant l’année scolaire 2012-2013.
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3. Le français dans l’enseignement supérieur


Ces problèmes touchent également l’enseignement supérieur et la recherche scien-
tifique. Face aux exigences de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines,
des étudiants de faible niveau en français évitent les lettres modernes pures pour
s’orienter vers des filières connexes (anglais, sciences de l’environnement, linguis-
tique, sociologie…). Par exemple, pour 2005-2006, 5 000 étudiants se sont inscrits
en anglais contre 559 seulement pour les Lettres modernes. En cours de formation,
ils seront peu nombreux à terminer leurs études et à devenir professeurs de français.
À la Faculté des Lettres, deux grandes anomalies sont à souligner. C’est tout d’abord
l’absence de bibliothèques. La bibliothèque centrale de l’Université d’Abomey
Calavi, le plus grand campus universitaire, ne compte que 18 000 titres dont seu-
lement 148 de littérature française, 42 de littérature africaine et 18 de littérature
béninoise ! À l’École normale supérieure de Porto-Novo, les rayons de la biblio-
thèque ploient sous le poids de vieux livres et de travaux de mémoire poudreux et
mal conservés. C’est ensuite l’absence de politique de recrutement : une guerre des
écoles se mène, qui pénalise les étudiants. Des enseignants formés et disponibles ne
sont pas recrutés, pour des raisons qui ne sont pas fondées. Par exemple, la Faculté
des Lettres ne dispose que d’un professeur de grammaire et de stylistique. En litté-
rature française pour le LMD, ils ne sont que deux pour couvrir tous les besoins.
Le français se porterait-il mieux dans les autres domaines où il a une forte
charge de communication ?

4. Le français dans les autres domaines


Je parlerai tour à tour du volet culture et média, puis enfin, du français de la
rue et de celui des GSM.

4.1. Domaine Culture et Médias


4.1.1. Culture
Le souci de servir le monde sans se déconnecter du terroir, amène beaucoup
d’artistes à utiliser un mélange de français et de fon, de mina ou de goun ;
bref, de français et d’une ou plusieurs langues nationales. Là où le sujet gagne

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Le français en Afrique : un continent entre rêve et nostalgie

en intérêt, c’est quand des rythmes purement traditionnels se plient à cette

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nouvelle vogue communicationnelle.
Voici quelques exemples : l’Ivoirien Meiway écrit ces vers :
Ma tête est gnanganni,
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tout est mélangé.


Je suis kpayoééé »
Si « gnanganni » (« mélangé ») est ivoirien, « kpayo » (« faux ») est béninois,
l’artiste visant à être adopté aussi bien en Côte d’Ivoire qu’au Bénin. Les
vedettes de la chanson qui excellent en la matière sont Sagbohan Danialou (qui
fait du Kaka en français), Tohon Stanislas (qui fait du Tchinkoumè en fran-
çais), Ricos Campos et les nouveaux « héros » du Hi-pop, du RNB, ou même
des rythmes tradi-modernes émergents comme Vi-Phint, et tout récemment,
Ignace Don Metok. À titre illustratif, parlant du mérite incomparable mais de
la paradoxale pauvreté des enseignants, Vi-Phint écrit :
Eninlèbiwèzon bo ils souffrent de maux de ventre atroces,
diarrhées chroniques.
Constipations régulières.
Midon houn mibokpon
Yékounnon yi clinique o CNHU jin yénon yi.10
Il y a là une profonde convivialité entre mots français et fon. Cette proximité
circonstancielle permet au non-locuteur fon d’imaginer le sens des mots en fon
et au non-locuteur français d’imaginer le sens des mots en français. Le théâtre
utilise aussi cette « greffe linguistique », pas exclusivement sur les planches
mais sur les DVD et VCD.
La publicité associe aussi parfois français et langues nationales. Il lui arrive
également de s’écarter sciemment de la norme, pour prêter à sourire, comme
dans cet exemple, qui n’hésite pas à fabriquer deux mots de toutes pièces  :
« Yaourt hollandais, c’est nonostant, c’est gégestieux ».

4.1.2. Médias
L’extraordinaire effloraison de divers titres dans la presse béninoise vient de
trois sources  : la liberté d’expression régnant depuis la Conférence dite des
Forces Vives du Bénin (1989), la voie que la presse offre pour résorber le

10. Traduction : C’est pour cela qu’ils (les enseignants) souffrent de maux de ventre atroces,/
de diarrhées chroniques./Et quand ils sont malades/, ils ne vont pas se faire soigner dans
une clinique mais plutôt au CNHU.

41
Appropriation : demande et exigences sociales

taux de chômage des jeunes (du fait du gel du recrutement dans la fonction

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publique depuis 1986 : de nombreux jeunes se sont rués vers le journalisme) ;
le quatrième pouvoir représente une source importante d’enrichissement.
À cause de cette efflorescence, les fautes de toutes sortes envahissent la rue,
perturbant les élèves qui rencontrent un français qui n’a rien à voir avec les
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règles assimilées à l’école. Il est fréquent de lire des passages signifiant le


contraire de ce que pensent écrire leurs auteurs. Exemples :
– « le Rotary-Club offre une grande paillote au CNHU, au grand dam des
usagers » (pour « au grand bonheur ») ;
– après une catastrophe aérienne survenue à Cotonou, un journal titre : « Les
images choques du drame ».
Il importe de souligner que c’est toute la presse, et non seulement la presse
écrite, qui est concernée par l’usage souvent erroné du français. Luc Fernand
Kpély a consacré un livre au phénomène  : Fautes et incorrections dans la
presse béninoise.

4.2. Le français dans la rue

4.2.1. Les enseignes publicitaires


Le français est partout : au marché, aux carrefours, sur les motocyclettes et
surtout sur les enseignes publicitaires anarchiquement placées à des endroits
stratégiques. Sur ces « ardoises », le français est soumis à toutes sortes de
tortures lexicales : le souci de communiquer l’emporte sur le respect de l’or-
thographe et de la grammaire, comme les SMS en donnent l’illustration. Je
me suis intéressé à la question et en 2000, lors du 10e  Congrès mondial de
la Fédération Internationale des Professeurs de Français, j’ai présenté une
communication intitulée « Le français routier du Bénin : Pièges et Richesses
des tortures lexicales ».
L’une de ces tortures est poétiquement contenue dans l’inscription suivante,
sur la plaque minéralogique d’une moto : « Dieu, que ta volonté soit fête. »
Il y en a qui traduisent mieux la couleur locale comme : « Dis pour toi » ou
même « Dit pour toi », pour inviter le pauvre lecteur à ne point se mêler de
ce qui ne le regarde pas.
Le français de la rue montre qu’il y a des français d’Afrique dont doit tenir
compte le professeur de français pour asseoir son enseignement.

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Le français en Afrique : un continent entre rêve et nostalgie

4.2.2. Les NTIC

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Les nouvelles techniques de l’information et de la communication imposent un
autre phénomène du français dans la rue qu’il me plait d’appeler « le français dans
la main ». Il s’agit des SMS. Ces SMS donnent le coup de grâce à la grammaire, à
l’orthographe, au vocabulaire, à la conjugaison : on n’a pas le temps et on n’a que
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le petit espace qu’offre l’écran du portable. Alors, cadeau Kdo, Merci M6, je suis
j s8. Ma propre fille qui se plaignait un jour de ce que je ne me suis pas assez
reposé m’a donné ce conseil par SMS : « Pap mangé vit é rposé vs 1pe avn 15 h sa
vs fra du b1 ». Et pourtant, elle sait qu’elle est la fille d’un professeur de français !
Il faut le dire sans ambages  : les NTIC contribuent fortement à l’appauvris-
sement du français. Il s’agit, hélas, d’un dynamisme inouï contre lequel tout
combat est d’avance voué à l’échec. Mais le professeur doit en tenir compte
dans ses stratégies d’enseignement/apprentissage.
Des rencontres internationales se sont déjà penchées sur ces questions, comme
les « États généraux de l’enseignement du français en Afrique sub-saharienne »
tenus du 17 au 20 mars 2003 à Libreville.

5. Les États généraux de Libreville


Ces États généraux, à travers divers communications et échanges d’expériences
en matière d’enseignement du français, ont abouti à des conclusions qui ont
poussé les ministres de l’Éducation à la rédaction d’un Mémorandum, avec des
recommandations à la fois précises et pertinentes. Il est important aujourd’hui
de faire le bilan de ces assises. C’est pourquoi, en guise de conclusion, je
voudrais simplement revenir sur ce Mémorandum.

5.1. Les problèmes


Les ministres et chefs de délégations, analysant la situation des systèmes édu-
catifs, ont mis en exergue les déficits principaux que connaissent ces systèmes
dans le domaine de l’enseignement du français et des langues nationales. Il
s’agit notamment de :
– l’insuffisance des financements consacrés à l’éducation ;
– la formation insuffisante des maitres et des professeurs aussi bien en didac-
tique du français que des langues nationales ;
– l’inadaptation des programmes au contexte et aux réalités spécifiques de
chaque pays ;
– l’inadaptation des méthodes d’enseignement au niveau réel des élèves ;
– l’absence ou l’insuffisance d’outils pédagogiques.

43
Appropriation : demande et exigences sociales

5.2. Les solutions

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Ils ont adopté les recommandations suivantes :

• Au plan institutionnel
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– formuler et mettre en œuvre, dans chaque pays, une politique linguistique


cohérente, prenant en compte l’ensemble des langues enseignées ;
– créer, réactiver ou soutenir des commissions nationales chargées d’évaluer
la situation de l’enseignement du français et des langues nationales où tous
les cycles et tous les intervenants et acteurs intéressés par cet enseignement
seraient représentés et de faire des propositions pour dynamiser cet enseigne-
ment (programmes, formation des enseignants, outils pédagogiques, méthodes
d’enseignement, recherche didactique) ;
– veiller à l’harmonisation des programmes des pays d’Afrique subsaharienne
francophone ;
– mettre en œuvre une politique éditoriale incluant la conception, l’édition et
la distribution de manuels scolaires. À cet effet, il est demandé à l’AIF de
renforcer l’appui qu’elle apporte aux États dans ce domaine et aux autres
partenaires de soutenir cet effort qui doit également concerner les langues
nationales ;
– mettre en place un réseau régional en recherche didactique des langues en
contact ;
– valoriser la fonction enseignante à travers un certain nombre de mécanismes
et/ou de dispositions propres à chaque État ;
– créer un groupe d’experts africains pour appuyer les programmes de coopéra-
tion dans le domaine de l’enseignement du français et des langues nationales,
notamment par la rédaction de référentiels communs modulables selon le
contexte ;
– créer un comité de suivi de ces États généraux où serait représentée, outre
la CONFEMEN, l’AIF, l’AUF et la FIPF, la coopération bilatérale – comité
qui étudierait la mise en œuvre des recommandations de ces États généraux
et qui s’appuierait sur les expertises reconnues dans ce domaine, notamment
celles de l’Académie africaine des langues ;
– impliquer les partenaires sociaux (parents d’élèves, associations profession-
nelles, syndicats d’enseignants…) dans la réalisation des recommandations
des États généraux de l’éducation en Afrique subsaharienne ;
– faire examiner le présent mémorandum par la prochaine Conférence des
ministres de l’Éducation des pays ayant le français en partage afin qu’il soit
traduit en orientations politiques en vue de faciliter sa mise en œuvre.

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Le français en Afrique : un continent entre rêve et nostalgie

• Au plan pédagogique 

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– mettre l’accent sur l’objectif du développement, et ce à travers un enseigne-
ment fonctionnel sans exclure les autres objectifs assignés à l’enseignement ;
– mettre en place un programme de soutien à la formation initiale et continue
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des enseignants et encadreurs pédagogiques ;


– consolider et diversifier le programme de soutien à la conception d’outils
pédagogiques (manuels et autres) ;
– systématiser le recours à l’évaluation des acquis des apprentissages, notam-
ment avec l’appui du PASEC ;
– favoriser un environnement susceptible de soutenir l’enseignement du français
et des langues nationales par la création et le développement de bibliothèques
scolaires et universitaires ;
– tenir compte de la formation insuffisante des maitres et des professeurs
aussi bien en didactique du français qu’en didactique des langues nationales,
considérer la formation à distance comme une modalité envisageable à côté
de la formation présentielle ;
– retenir des formules alternatives mettant à contribution les ressources de la
radio, de la télévision ainsi que des NTIC pour la formation du personnel de
l’éducation ;
– ouvrir de manière plus accrue les établissements d’enseignement supérieur
du Nord francophone aux étudiants et aux chercheurs africains, de manière
à permettre aux pays francophones du Sud de mieux se développer dans le
contexte de la mondialisation.

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EN BELGIQUE LE FRANÇAIS,
COMBIEN ÇA COÛTE ?

Robert BERNARD

Depuis mai 2012, l’appellation Communauté française de Belgique a été modi-


fiée en Fédération Wallonie-Bruxelles, qui traduit mieux la réalité de la fran-
cophonie belge. Apparaissent ainsi 2 entités :
– la Région wallonne, 17 000 km2 et 3 millions et demi d’habitants, tous offi-
ciellement de langue française, à l’exception des 75 000 personnes résidant
en Communauté germanophone, dont la plupart sont de langue allemande ;
– la Région de Bruxelles-Capitale, 161 km2 et 1 160 478 habitants. La Région
bruxelloise est officiellement bilingue, français/néerlandais ; la réalité est
beaucoup plus complexe.
Pour ce qui concerne la cohésion sociale, ces 2 régions présentent des pro-
blématiques assez contrastées, quoique certains traits de la réalité bruxelloise
se retrouvent dans des métropoles wallonnes. Et les situations linguistiques
sont également assez différentes, même si les phénomènes apparentés liés aux
migrations et au multiculturalisme sont présents dans les deux régions, comme
un peu partout en Europe.
Une société démocratique se doit d’assurer le bien-être de tous ses membres.
C’est d’ailleurs ainsi que le Conseil de l’Europe définit la cohésion sociale.
Cela suppose la réduction des inégalités et donc l’identification des obstacles
à l’inclusion.
La connaissance de la langue régionale est un adjuvant considérable au
vivre ensemble et à la citoyenneté. Sa méconnaissance peut freiner l’accès

47
Appropriation : demande et exigences sociales

au marché  du travail, dont on connait l’importance pour le statut socio-

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économique11.
Nous examinerons les stratégies mises en œuvre pour permettre aux nouveaux
arrivants non francophones de développer une pratique suffisante du français
pour réaliser leurs objectifs d’insertion sociale, en matière de travail, d’accès
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à l’éducation, à la culture, d’autonomie, de citoyenneté.


Nous nous interrogerons sur l’efficacité de ces stratégies, notamment pour les
primo-arrivants, qu’elles relèvent de l’enseignement obligatoire, de l’alphabéti-
sation des adultes ou des parcours d’insertion.
En l’absence de données statistiques fiables en matière migratoire12, on ne
dispose que de chiffres contestables (et contestés). La Belgique compte-t-elle
2,6 millions de citoyens « issus de l’immigration », soit 1 citoyen sur 4 comme
le reprenait le journal Le Soir récemment13 sur base d’une étude assez « bri-
colée » du sociologue Jan Hertogen ? Rien n’est moins sûr. Ce qui l’est, c’est
que « la Belgique est une terre d’immigration qui refuse de s’assumer », selon
la formule d’Édouard Delruelle. Même si les chiffres avancés varient forte-
ment, il est certain que plus de la moitié de la population bruxelloise est issue
de l’immigration et que plus de 380 000 Bruxellois, soit 30 %, n’ont pas la
nationalité belge. Parmi ceux-ci, 51 000 Français, groupe le plus important,
devant les résidents marocains (40 000). Par comparaison, la Wallonie compte
10 % d’étrangers et la Flandre 7 %.
Si l’on considère les résidents nés à l’étranger (dont beaucoup sont naturalisés),
ce pourcentage atteint 13,8 % en Wallonie (et 10 % en Flandre). Selon ce critère,
plus de 8 % de la population bruxelloise est née au Maroc, soit quasiment deux
fois plus que celle issue de France (4,3  %). Et les groupes originaires de la
RDC, de Pologne et de Turquie représentent chacun plus de 2 % des résidents
bruxellois. À comparer avec la Wallonie, dont les personnes nées en France

11. Des études ont montré que le niveau d’utilisation des langues de la société d’accueil est
un élément non négligeable de la réussite scolaire et plus tard, de l’insertion profession-
nelle. Voir Ouali N. et Rea A., Insertion, discrimination et exclusion. Cursus scolaires et
trajectoires d’insertion professionnelle de jeunes bruxellois, ULB, 1995.
12. L’étude officielle la plus récente publiée par Statbel (Direction générale Statistique et
Information économique, ministère fédéral de l’Économie) sur le sujet (La population
allochtone en Belgique) date de 2002 et repose sur des chiffres de 1991. Si, dans son
Rapport statistique et démographique 2008, le Centre pour l’égalité des chances écrit
que « La Belgique est souvent présentée comme un bon élève en termes de statistiques
migratoires en Europe », il ajoute aussitôt que « les fichiers administratifs belges […] ne
sont que rarement accessibles en dehors du cercle assez restreint des spécialistes » et que
« Finalement, un doute permanent entache la fiabilité des informations et l’objectivité de
données produites sur un sujet aussi sensible ».
13. Le Soir daté du 5 novembre 2013.

48
En Belgique le français, combien ça coûte ?

et en Italie constituent les groupes les plus importants de l’immigration avec

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respectivement 2,8 % et 2,4 %14.
Bruxelles comporte donc une population de migrants particulièrement impor-
tante, phénomène que l’on peut attribuer à deux facteurs déterminants  : la
concentration dans la capitale belge de sièges de grandes entreprises et d’insti-
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tutions européennes et internationales, qui entrainent dans leur sillage nombre


de représentations étrangères, d’ONG, de fédérations, de bureaux de consul-
tance, de presse ; et la présence de populations importantes issues des multiples
immigrations intra ou extracommunautaires bien établies.
Les populations attirées par ces deux facteurs sont évidemment fortement
contrastées  : le quartier européen n’est pas la zone du canal. Et au total,
Bruxelles vit des moments difficiles, liés notamment à une forte poussée
démographique et à la diversité croissante d’une population la plus jeune
de Belgique, mais aussi parmi les plus pauvres. L’analyse des certificats
de naissance démontre qu’en Région de Bruxelles- Capitale environ 28  %
des enfants sont nés dans des foyers dont les parents ne disposent d’aucun
revenu professionnel.
Ces différents paramètres sont déterminants pour notre thématique, et d’abord
pour la réalité de la pratique linguistique.
Selon le baromètre 2012 des langues parlées à Bruxelles15, le français arrive
en tête (88,5 %), devant l’anglais (29,7 %) et le néerlandais (23,1 %). L’arabe
apparait en 4e position avec 17,9 %. Par rapport à 2006, cette étude montre
un recul du trio de tête (français, anglais, néerlandais) et une très forte crois-
sance de l’arabe, que 6,6  % des Bruxellois déclaraient parler il y a 6  ans
contre quasi 18 % aujourd’hui.
Ces langues n’ont évidemment pas des statuts identiques  : le français et le
néerlandais sont les deux langues officielles d’une région constitutionnelle-
ment bilingue, l’anglais est une langue internationale acquise le plus souvent
dans un contexte scolaire, l’arabe, langue de migrants, se transmet dans les
familles ou dans les associations qui les prolongent. Ces différences de milieux
d’apprentissage influent évidemment sur le degré de maitrise. La connaissance
approfondie d’au moins une des deux langues officielles, qui sont aussi les
langues de l’enseignement, est nécessaire pour décrocher un diplôme et plus

14. Source : Direction générale Statistique et Information économique (DGSIE). En Flandre,


les 2 groupes les plus importants d’immigrés proviennent des Pays-Bas (1,8 % de la popu-
lation totale) et du Maroc (1 %).
15. Comme les précédents (2001 et 2006) le 3e Baromètre linguistique est basé sur une
recherche universitaire menée par la VUB auprès de 2  500  adultes bruxellois. Voir
Janssens  R., Meertaligheid als cement van de stedelijke samenleving. Een analyse van
de Brusselse taalsituatie op basis van Taalbarometer 3, Brussel, VUBPRESS, 2013.

49
Appropriation : demande et exigences sociales

qu’utile pour obtenir un emploi. Bruxelles est donc véritablement une ville-

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région multilingue16, où le français continue de jouer le rôle de lingua franca.
Une dernière observation, souvent passée inaperçue : 8 % des Bruxellois inter-
rogés disent ne bien parler, ni le français, ni le néerlandais ni l’anglais, ils
étaient seulement 2,5 % cinq ans plus tôt. Il s’agit là d’une observation capitale
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pour notre propos.


Diversité sociétale, diversité scolaire : tous les niveaux de l’enseignement obliga-
toire francophone sont fréquentés par des élèves pour lesquels la langue de l’ensei-
gnement n’est pas la langue maternelle17. Chacun voit le problème pédagogique
consécutif pour des enseignants de français, tenus d’appliquer un programme
de langue maternelle à des apprenants pour lesquels c’est en réalité une langue
partiellement (voire totalement) étrangère. Et il ne suffit pas de l’appeler désor-
mais dans les programmes « langue d’enseignement » pour résoudre la difficulté.
Il existe depuis 2009 des dispositifs d’encadrement différencié18 qui permettent
aux écoles au niveau socioéconomique moins favorisé19 de disposer de moyens
supplémentaires. Le premier objectif est de « renforcer la maitrise des appren-
tissages de base, et de la langue française en particulier, par tous les élèves20 ».
À côté de ces dispositifs, assez larges car ils s’appliquent à près de 40  %
des écoles, deux mesures plus spécifiques tentent de répondre aux difficultés
évoquées plus haut.
1. Le programme d’ouverture aux langues et aux cultures d’origine (OLC21),
qui se décline sous 2 formes : un cours de langue assuré par un enseignant du
pays d’origine et un cours d’ouverture aux langues et aux cultures assuré par
un enseignant belge ; le premier est facultatif, le second fait partie intégrante
des apprentissages et s’adresse à tous les élèves.

16. Aux quatre langues précitées s’ajoutent notamment l’allemand, l’espagnol, l’italien, le turc,
parlées selon l’enquête par de 4,5 % (pour le turc) à 8,9 % (l’allemand) de la population
bruxelloise. En 2000, 72 langues étaient dites bien ou très bien maitrisées par les personnes
interrogées ; on en compte 104 aujourd’hui.
17. Il en est de même dans l’enseignement néerlandophone ; ainsi « dans l’enseignement fon-
damental, les enfants qui parlent le néerlandais chez eux ne représentent qu’un tiers du
nombre des élèves. Et […] le groupe des élèves dont la langue maternelle n’est ni le néer-
landais ni le français est dominant ». Wayens B., Janssens R., Vaesen J., L’enseignement
à Bruxelles : une gestion de crise complexe, Brussels Studies, no 70, aout 2013.
18. Ils se substituent alors aux dispositifs dits « de discrimination positive ».
19. Les indices sont basés sur divers critères : revenu par habitant, niveau des diplômes, taux
de chômage, activités professionnelles, confort des logements …
20. Décret du 30 avril 2009 tel que modifié.
21. C’est en 1996 que la première charte de partenariat pour le programme qui s’appelait
alors Langue et Culture d’origine (LCO) est signée avec la Grèce, l’Italie, le Maroc, le
Portugal et la Turquie. En 2012 le programme prend officiellement le nom de programme
d’Ouverture aux Langues et aux Cultures (OLC).

50
En Belgique le français, combien ça coûte ?

Le programme OLC est organisé sur demande des établissements et en par-

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tenariat avec actuellement huit pays : la Chine, l’Espagne, la Grèce, l’Italie,
le Maroc, le Portugal, la Roumanie et la Turquie. L’efficacité de ces cours
a été régulièrement mise en doute, les langues « standard » enseignées étant
éloignées des pratiques langagières familiales, souvent orales et dialectales.
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Il reste que, même limité, le nombre d’élèves demandant à bénéficier de ces


cours reste constant.
2. La deuxième mesure est plus structurelle et déterminante. Elle cible les élèves
dits « primo-arrivants » relevant de l’obligation scolaire à qui les écoles
fondamentales ou secondaires qui les accueillent peuvent offrir de passer
par un sas provisoire, une classe-passerelle, avant d’intégrer, dans le même
établissement, l’enseignement ordinaire. Les premières classes-passerelles
ont été mises en place par un décret de 2001, qui a été revu en 2012 par un
nouveau décret dit DAPSA (pour dispositif d’accueil et de scolarisation des
élèves primo-arrivants).
Sont désormais considérés comme primo-arrivants les enfants âgés de 2 ans et
demi à 18 ans, arrivés sur le territoire national depuis moins d’un an en accom-
pagnant un candidat réfugié ou reconnu comme tel (ou candidats réfugiés eux-
mêmes), ou encore en étant ressortissant d’un pays en voie de développement22.
Ces élèves vont alors bénéficier du dispositif DASPA pendant une période allant
d’une semaine à un an (qui peut être prolongée jusqu’à 18 mois maximum), le
temps qu’ils soient jugés aptes à rejoindre l’enseignement classique.
La grille-horaire typique est d’une trentaine d’heures par semaine, dont la moitié
est consacrée à la formation humaine, qui intègre le français et l’exploration des
réalités sociales, civiques et historiques, activités qui exploitent la communica-
tion et les visites. S’y ajoutent notamment huit heures de formation scientifique
(mathématiques et exploration des réalités scientifiques et géographiques)23.
Il y a actuellement 74  classes-passerelles en Fédération Wallonie-Bruxelles,
38 dans l’enseignement fondamental et 36 dans le secondaire. La moitié d’entre
elles sont situées à Bruxelles, qui concentre 60 % des primo-arrivants en Fédé-
ration Wallonie-Bruxelles. En Wallonie la plupart des dispositifs DASPA ont
été mis en place par des écoles situées à proximité des centres d’accueil pour
demandeurs d’asile24.

22. Sont aussi concernés les apatrides ou les demandeurs de reconnaissance de cette qualité.
23. La grille-horaire est complétée par des cours de morale/religion, éducation physique, tra-
vaux manuels/technologie, activités de remédiation. À Bruxelles, 2 heures de néerlandais
sont prévues.
24. La Belgique compte  54 centres d’accueil pour demandeurs d’asile. Ce sont des centres
ouverts, la plupart gérés par l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile (Feda-
sil) ou par la Croix-Rouge de Belgique.

51
Appropriation : demande et exigences sociales

Rappelons qu’il ne s’agit pas de ghettos, ces classes transitoires étant créées

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au sein d’établissements ordinaires. Au contraire, il arrive que dans certains
établissements la création d’une classe-passerelle transforme heureusement une
population jusque-là mono-culturelle. Ainsi telle école bruxelloise qui accueil-
lait quasi uniquement des élèves issus de l’immigration maghrébine est devenue
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en quelques années véritablement multiculturelle.


L’inspection de l’enseignement a consacré un chapitre de son rapport général
201125 à l’observation du fonctionnement du dispositif DASPA.
Elle relève que l’appellation « élèves primo-arrivants » recouvre une grande diver-
sité de situations, tant pour le parcours scolaire de ces enfants que pour leur mobi-
lité, en lien avec l’évolution de la situation administrative et sociale des familles.
Elle constate que « la définition décrétale de ce qu’est un élève primo-arrivant
ne correspond pas toujours à la réalité du terrain. Certains élèves ont légalement
ce profil, mais ont vécu des parcours scolaires qui ne les différencient que dans
une mesure assez limitée. D’autres, au contraire, ne sont pas reconnus comme
primo-arrivants mais pourtant ne maitrisent ni la langue de notre enseigne-
ment, ni ses règles et peuvent en outre avoir vécu des situations traumatisantes
nécessitant un accueil spécifique ».
À cette diversité, parfois problématique, s’ajoute la complexité inhérente à la
tâche d’instruire des élèves dans une langue qui n’est pas la leur. Ici comme
ailleurs, mais sans aucun doute davantage, la qualité des relations établies avec
les familles est essentielle, même si ce suivi extrascolaire est parfois difficile à
établir : obstacles linguistiques, incompréhensions nées de la méconnaissance
des codes et repères culturels mutuels26. Aussi, pour favoriser les échanges
école/famille, les équipes pédagogiques développent des activités concrètes
avec les quartiers, soutenues efficacement par des associations (qui fournissent
souvent des interprètes). Nous y reviendrons.
Sur ce plan pédagogique, plus précisément au niveau du secondaire, l’inspection
a identifié deux problématiques prioritaires :
– définir plus clairement les compétences à développer au sein des classes-
passerelles dans le cadre du passage des élèves concernés vers la classe dite
« registre », correspondant à leur groupe d’âge ;
– mieux prendre en compte l’accompagnement des élèves une fois que ceux-ci
sont intégrés dans une classe « registre » notamment pour ce qui concerne
l’évaluation. Ignorer cette problématique conduit à orienter par l’échec bon
nombre d’élèves primo-arrivants.

25. Les Rapports du Service général de l’inspection sont disponibles sur le site www.
enseignement.be.
26. Le statut souvent précaire des parents (papiers, domicile, revenus…) ne facilite pas leur
implication.

52
En Belgique le français, combien ça coûte ?

Enfin, l’inspection relève que la préoccupation visant à familiariser les élèves

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primo-arrivants aux activités langagières spécifiques à la vie scolaire est bien
prise en considération par les professeurs exerçant en classe-passerelle. Ce point
est primordial  : il faut passer de l’apprentissage d’une langue contextualisée
dans le temps et l’espace (langue de survie quotidienne dans la ville, les com-
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merces, les administrations, le métro…) à un langage décontextualisé favorable


au développement des capacités cognitives, appelé parfois langue scolaire, où
l’écrit est essentiel.
C’est sans doute ce qui explique que l’intégration dans une classe-registre est
souvent plus difficile pour les primo-arrivants plus âgés, d’où des phénomènes
de décrochage scolaire plus marqués.
En Fédération Wallonie-Bruxelles comme ailleurs, l’école entend contribuer
au renforcement de la cohésion sociale, notamment par les apprentissages lin-
guistiques. L’importance de la maitrise de la langue véhiculaire a cependant
été contestée et la question suivante a été posée lors du Colloque OPALE de
Neuchâtel en octobre 2010 : « Dans quelle mesure la langue et les normes qu’elle
véhicule sont-elles une condition de la cohésion sociale et de l’intégration, ou
au contraire un instrument d’exclusion ?27 »
Je pense que si la connaissance de la langue véhiculaire n’est pas une condition
suffisante, elle est primordiale pour l’accès à la société d’accueil et au vivre
ensemble. Lors d’une journée de réflexion organisée en 2004 sur le thème des
classes-passerelles, Dan Van Raemdonck, alors Président de la Ligue des Droits
de l’Homme, disait : « Ce point commun, la diversité des langues, fait de l’appren-
tissage du français un atout majeur, le facteur de la solidarité qui les anime et
les soutient. Cette solidarité autour de la langue les vaccine contre l’exclusion,
exclusion qu’ils risquent de rencontrer si, réintégrant leur classe-registre, ils sont
confrontés au rejet du reste des élèves. Ces enfants sont en fait une chance à saisir
pour apprendre à tous, aux enfants des classes-registres y compris, la nécessaire
solidarité qui cimente notre vivre ensemble28 ».
Et on se rappellera que ce même Colloque de Neuchâtel avait approuvé la
résolution suivante : « Si la maitrise de la langue de la société d’accueil facilite
à l’évidence l’intégration à ladite société, c’est de cette intégration que dépend
le développement de compétences langagières ».
Je partage totalement cette position, et je considère que l’apprentissage et l’ap-
propriation progressive de la langue française par tous ceux qui vivent sur ce

27. Lucchini S., « De la langue à la cohésion sociale ou de la cohésion sociale aux langues ? »,
in Conti, V., De Pietro, J.-F. & Matthey, M. (dir.), Langue et cohésion sociale. Enjeux
politiques et réponses de terrain. Actes du colloque OPALE, Neuchâtel, 19-20 octobre
2010, Neuchâtel, Délégation à la langue française, 2012.
28. Les Nouvelles de l’Observatoire, 4/2004, no 49, Dossier spécial Primo-arrivants.

53
Appropriation : demande et exigences sociales

territoire, de longue date ou depuis peu, sont d’abord un droit. Ce droit doit-il

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être aussi un devoir ? Je n’ai pas de position arrêtée à ce sujet. J’observe cepen-
dant le paradoxe suivant : le droit de vote en Belgique est obligatoire. Ceux qui
veulent le maintien de ce caractère obligatoire sont généralement partisans de la
non-imposition de l’apprentissage du français par les migrants souhaitant s’ins-
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taller dans le pays ; à l’inverse, les partisans de l’obligation de cet apprentissage


linguistique réclament souvent l’abolition du vote obligatoire. Nous y reviendrons
à propos du nouveau code de la nationalité.
Il reste que les conditions socioéconomiques dans lesquelles vivent (ou survivent)
bon nombre de migrants ne sont pas de nature à favoriser leur insertion dans une
société que la crise (en particulier du marché du travail) apeure, ce qui conduit sou-
vent à des replis identitaires (de part et d’autre) voire à des phénomènes d’exclusion.
Une voie intéressante, qui a été bien documentée par Altay Manço29, consiste
à relier pratique linguistique et action culturelle, synergie donnant du sens à
l’utilisation du français, langue médiatrice, et valorisant les identités dans leur
diversité. Le sentiment d’appartenance participe ainsi à la cohésion sociale
et développe la perception d’appropriation du français. Selon des opérateurs
culturels interrogés dans le cadre d’une recherche réalisée à la demande du
Service de la langue française, leurs projets destinés aux publics migrants sont
plus aboutis quand ils sont articulés avec de cours de français langue étrangère
(FLE) ou d’alphabétisation  : « L’idée est de dire que la culture n’est pas un
luxe, elle soutient la formation et permet de souder le groupe, elle donne une
identité, elle constitue, par ailleurs, un instrument de lecture de la société et
un levier d’action sur elle. De la coopération naissent des avantages tant pour
les structures Alpha/FLE que pour les structures culturelles, ainsi que, bien
entendu, pour les participants et les professionnels »30. Cette approche favorise
le passage du champ de l’assimilation à celui de l’appropriation, comme l’ont
aussi expérimenté les équipes scolaires travaillant en collaboration avec les
associations ou les institutions culturelles des quartiers.
Un important changement de paradigme vient d’avoir lieu  : un nouveau
code31 fixe des règles plus restrictives pour l’accès à la nationalité belge32.

29. Voir notamment Manço A. et Alen P., Appropriation du français par les migrants. Rôles des
actions culturelles, Paris, L’Harmattan, IRFAM, 2012, coll. « Compétences interculturelles ».
30. Alen P.  et Manço A., Rapports à la langue française et plurilinguisme des populations
issues des migrations en Wallonie et à Bruxelles  : renforcement des pratiques d’appro-
priation à travers l’application de résultats des recherches, IRFAM/SLF, décembre 2010.
31. Loi du 4 décembre 2012 modifiant le Code de la nationalité belge afin de rendre l’acqui-
sition de la nationalité belge neutre du point de vue de l’immigration, Moniteur belge du
14 décembre 2012.
32. En 2011, le nombre de naturalisations était de 29 800, en baisse de 14 % par rapport
à 2010. Le Maroc, suivi de l’Italie, de la Turquie, de la République démocratique du
Congo et de la Fédération de Russie sont les principaux pays d’où sont originaires les

54
En Belgique le français, combien ça coûte ?

La philosophie est inversée  : l’acquisition de la nationalité belge est désor-

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mais considérée comme l’aboutissement du processus d’intégration et non plus
comme une étape y conduisant. C’est ainsi que les demandeurs de naturalisation
doivent dorénavant prouver la connaissance d’une des trois langues nationales,
et ce à un niveau correspondant au niveau A2 du Cadre européen commun de
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référence pour les langues (CECRL). Ce niveau englobe des exigences linguis-
tiques (expression et compréhension) à l’oral comme à l’écrit.
Ceci nous amène à examiner l’état des lieux des formations linguistiques à
destination des adultes. Il y a peu, le Conseil de la langue française et de la
politique linguistique a rendu un avis33 observant notamment « que plusieurs
études ont conclu que, dans la FWB, l’offre d’apprentissage du français pour les
immigrants est inférieure à la demande, et qu’en particulier, le rôle des pouvoirs
publics y est moins systématique qu’en Flandre, la formation linguistique étant
en partie organisée par des associations locales ».
L’offre d’apprentissage du français est en effet insuffisante par rapport aux
besoins. En l’absence de statistiques spécifiques, on peut se référer aux chiffres
des spécialistes de l’alphabétisation. Une étude récente34 met en regard deux
nombres :
– 16  000  personnes en formation d’alphabétisation en Fédération Wallonie
Bruxelles pour 16 000 places disponibles ; d’où des refus d’inscription chaque
année et des délais d’attente de plusieurs mois ;
– 262 500 personnes potentiellement concernées (âgées de 15 ans et plus et
ayant quitté l’école sans avoir le CEB), voire davantage.
Offre insuffisante (et besoins croissants), réponse jugée qualitativement peu
adaptée : si les pouvoirs publics (FWB, Région wallonne, Région bruxelloise,
etc.) soutiennent des programmes de formation des associations locales, « le
nombre de niveaux institutionnels impliqués et les financements morcelés qui
en résultent traduisent une absence de politiques cohérentes et transversales35 ».
Ainsi, à Bruxelles, la Commission communautaire française (Cocof) soutient,
dans le cadre du décret de Cohésion sociale, plus de 230 associations œuvrant

Belges naturalisés. Les ressortissants de ces cinq pays représentent 51 % des naturalisa-
tions de l’année considérée (source OCDE, Perspectives des migrations internationales
2013).
33. Avis sur l’appropriation du français par les immigrants dans la Fédération Wallonie-
Bruxelles (FWB) adopté en séance plénière du 29 septembre 2011.
34. Mainguet C., Qui sont les personnes en difficulté avec l’écrit en Fédération Wallonie-
Bruxelles ? Aperçu à partir des statistiques disponibles, Institut Wallon de l’Évaluation,
de la Prospective et de la Statistique, Journal de l’alpha no 185, octobre 2012.
35. Alen P., Appropriation du français par les migrants, La lettre de l’IRFAM, no  31,
2012, p. 4.

55
Appropriation : demande et exigences sociales

dans les domaines du soutien scolaire, de l’alphabétisation, de l’apprentissage

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du français ou de l’accueil des primo-arrivants36.
Cependant le contexte évolue. Depuis 2012, les entités fédérées francophones
se sont concertées pour élaborer une politique cohérente et active dans l’inté-
gration des nouveaux arrivants. Les projets de décrets définissent un parcours
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d’accueil des personnes étrangères primo-arrivantes hors Union Européenne.


Ils comprennent un volet « premier accueil » et un volet « formation », qui
inclurait l’apprentissage du français en tant que langue étrangère, mais aussi
les modules de citoyenneté et l’insertion socioprofessionnelle.
On sait que la Flandre a mis en place depuis 2004 un dispositif d’« inburgering37 »
(intégration civique) obligatoire pour les immigrés récents (hors UE) en Région
flamande, sur base volontaire à Bruxelles (liberté de choix linguistique oblige).
Début juillet 2013, le Parlement francophone bruxellois a adopté le décret orga-
nisant un parcours d’accueil des primo-arrivants, ceux-ci étant définis comme
des personnes de nationalité étrangère installées de manière légale depuis moins
de trois ans à Bruxelles. Un volet primaire prévoit notamment l’établissement
d’un bilan social et linguistique, qui orientera vers les aides et formations utiles
(formation à la langue française, à la citoyenneté, au marché du travail…).
Le caractère obligatoire ou facultatif de l’étape d’accueil et de la formation
linguistique qui serait jugée nécessaire est prévu, mais n’est pas encore à ce
jour clairement formalisé. Quant au Parlement wallon, il attend encore que le
Gouvernement dépose le décret homologue, alors qu’il devrait entrer en vigueur
en janvier 2014.
Ces deux décrets devraient donner plus de cohérence aux dispositifs existants,
à condition toutefois que les moyens suivent. Ainsi que le note un bon observa-
teur, « À part l’ancienneté du dispositif flamand, une différence entre le Nord
du pays et la Wallonie et Bruxelles est à noter : la Flandre, grâce à ses caisses
régionales bien remplies, a pu dégager des moyens pour mettre sur pied un
parcours d’intégration souvent cité en exemple. En sera-t-il de même en Région
wallonne et à Bruxelles alors que les budgets sont sous pression et les poli-
tiques guidées partiellement par la recherche d’économies à réaliser ? Pour être
efficaces, les parcours d’intégration devront pourtant disposer d’une offre de
cours suffisante, sans quoi ils risquent de se réduire rapidement à l’inscription
sur une liste d’attente38 ».

36. On peut en trouver le répertoire sur le site http://atlas.cbai.be/.


37. Le niveau linguistique du primo-arrivant est évalué par un expert de la Huis van het Neder-
lands (Maison du Néerlandais) qui l’orientera vers un cours de 240 heures (600 heures pour
les très peu qualifiés) ou de 120 heures si certaines bases de néerlandais sont déjà présentes.
38. De Gendt, P., « Parcours d’intégration  : un pas en avant, mais pas suffisant », Analyses
& Études, Migrations, Siréas, 2013.

56
En Belgique le français, combien ça coûte ?

À titre indicatif, les budgets attribués actuellement doivent s’élever à quelque

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21 millions d’euros39, auxquels s’ajoutent diverses subventions, notamment euro-
péennes, d’au moins 7 millions d’euros. Le budget cumulé doit donc représenter
28 millions d’euros pour les pouvoirs régionaux et communautaire francophones.
Reste le problème crucial des discriminations. Un parcours d’intégration,
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même s’il est appelé d’accueil, demande à l’arrivant de faire preuve de sa


volonté de s’intégrer. Encore faut-il qu’il y ait par ailleurs volonté d’intégrer.
Sans quoi le dispositif ne fonctionne pas. La Suède et la Norvège connaissent
de longue date des parcours d’insertion ; mais la réalité est cruelle. L’OCDE
a analysé pour une trentaine de pays membres le rapport entre le taux de
chômage des personnes nées à l’étranger et celui des personnes nées dans le
pays même. Le rapport le plus mauvais est celui de la Norvège  : 2,8 (cela
signifie qu’une personne d’origine étrangère à 2,8 fois plus de « chances » de
ne pas trouver de travail). En seconde position la Suède (2,65), suivie de…
la Belgique (2,6)40.
Ce phénomène est renforcé par l’impuissance de l’institution scolaire à réduire
les inégalités, que le système semble même renforcer à l’image de la dualisation
de l’offre scolaire, marquée par la ségrégation entre écoles élitistes et écoles
poubelles, particulièrement sensible à Bruxelles. Le marché de l’emploi et le
quasi-marché scolaire se ressemblent, et pénalisent les jeunes issus de l’immi-
gration, ce qui constitue un véritable Gaspillage de talents, pour reprendre le
titre fort d’une étude de la Fondation Roi Baudouin41.
Ascenseur social en panne, climat de méfiance, sentiment d’exclusion, immi-
gration traitée comme un problème, messages politiques troublés (et parfois
troubles), écoles et quartiers ghettos : comment s’étonner que de jeunes Bruxel-
lois se sentent mal dans leur peau lorsque la société leur adresse des injonctions
aussi paradoxales. Comment s’étonner lorsqu’ils parlent d’injustice et crient
leur colère, comme dans les témoignages recueillis dans l’intéressante enquête
anthropologique Sentiments d’injustice et de théorie du complot 42 ?

39. Ventilation entre différents niveaux de pouvoirs  : Cocof  : 5  M€ ; FWB  : 7,7  M€ ; RW  :
8,3 M€.
40. Source : statistiques de l’OCDE, janvier 2013. L’OCDE souligne que « le taux de chômage
des personnes nées à l’étranger est plus de deux fois plus élevé que celui de la population
autochtone en Norvège, en Suède, en Belgique, en Autriche, aux Pays-Bas, en Suisse et
au Danemark ».
41. Jacobs D. et Rea A., Gaspillage de talents. Les écarts de performances dans l’enseignement
secondaire entre élèves issus de l’immigration et les autres, d’après l’étude PISA 2009,
Fondation Roi Baudouin, Aout 2011.
42. Mazzocchetti J., « Sentiments d’injustice et théorie du complot. Représentations d’adoles-
cents migrants et issus des migrations africaines (Maroc et Afrique subsaharienne) dans
des quartiers précaires de Bruxelles », in Brussels Studies, no 63, Novembre 2012.

57
Appropriation : demande et exigences sociales

Dans son dernier appel à projets pour l’apprentissage de la langue française,

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une institution régionale exprimait ainsi ses objectifs :
« L’apprentissage de la langue du pays d’accueil est indispensable si l’on veut
devenir citoyen à part entière dans notre cité. La maitrise de la langue per-
met en outre d’améliorer l’insertion sociale et l’implication de tous dans notre
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société, elle est un levier évident pour s’insérer dans le monde du travail, faci-
liter l’apprentissage et le suivi scolaire des enfants, s’approprier les clefs pour
mieux investir la ville, atteindre plus facilement une égalité entre hommes et
femmes… Une meilleure connaissance de la langue permet de contribuer à
un mieux-vivre ensemble en encourageant une cohabitation harmonieuse des
différentes communautés locales et en évitant une “ghettoïsation” »43.
On ne saurait mieux dire. Et faire.

43. Décret Cohésion sociale, Appel à projets du quinquennat 2011-2015, Commission com-
munautaire française (Région de Bruxelles-Capitale).

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NOS ANCÊTRES, LES P(ARTICIPES) P(ASSÉS) :


DÉFÉRENCE ET LUSTRATION
DE LA LANGUE FRANÇAISE

Dan VAN RAEMDONCK

1. Introduction
La volonté de promouvoir une langue conviviale, accueillante, rencontre certains
obstacles qu’il convient de décrire pour mieux s’en affranchir. Cela concerne
notamment le corpus de la langue, constitué tant des pratiques langagières que
de leurs descriptions. Une appréhension différente du corpus pourra permettre
d’envisager une meilleure appropriabilité de la langue et, par voie de conséquence,
une meilleure appropriation.
Cette contribution visera à discuter du cout, social et économique, de la non-maitrise
du français, à partir d’expériences et résultats de recherches menées dans différentes
universités en FWB et d’articles de presse, qui représentent l’écume du discours
socialisé sur la question et dont la fréquence témoigne, si cela était nécessaire et
quoi que certains en disent, de la permanence de la question dans le champ social.
Seront évoqués l’impact de cette non-maitrise sur les études scientifiques à l’univer-
sité, le cout du redoublement scolaire, l’impact sur les entreprises, l’illettrisme, …

2. Le français et les sciences


Notre première expérience d’interrogation de la maitrise du français par des
non-spécialistes de la langue date de la fin des années 1980. En 1990, nous
écrivions déjà :

59
Appropriation : demande et exigences sociales

« Depuis de longues années déjà, en de nombreuses universités, les professeurs

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des facultés scientifiques se plaignent : leurs étudiants ne maitrisent pas leur
langue maternelle. Et sans doute se trouve-t-il nombre d’enseignants qui, lassés,
ont même cessé de corriger les fautes dans une copie de chimie ou de biologie.
On le sait, la transdisciplinarité reste souvent un vœu pieux, le problème n’est
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pas neuf. Mais il reprend toute son ampleur lorsque l’on prend soin de poser
la question, quelque peu abrupte, de savoir si cette non-maitrise, dépassant de
loin les questions de simple orthographe, ne s’avérerait pas l’une des principales
causes d’échec aux examens, toutes branches confondues. » (Uyttebrouck, Van
Raemdonck, 1990 : 65)
Pour vérifier cette hypothèse, une recherche subsidiée par le ministère de l’Édu-
cation Nationale avait été entreprise à l’ULB44. Pendant trois ans, de 1985 à
1988, deux chimistes (B. Wilmet, chargée de cours et promotrice du projet
et A. Said) et deux romanistes (A.-E. Dalcq et D. Van Raemdonck) ont mené
une enquête afin de déterminer si les échecs aux écrits pouvaient résulter, non
seulement de l’ignorance de la matière, mais aussi d’une mauvaise interprétation
lexicale, syntaxique ou logique des énoncés.
Dans un premier temps, les interrogations proposées aux étudiants de 1re année
de baccalauréat de médecine furent soumises à une analyse croisée. Ceci per-
mit, après avoir écarté les problèmes dus à la matière elle-même, de mettre
en évidence toute une série de sources d’erreurs possibles, à la fois lexicales,
syntaxiques et logiques.
Ensuite, des tests furent élaborés, afin de découvrir si les difficultés poten-
tielles relevées provoquaient réellement, dans la pratique, les erreurs prévues.
Deux séries de tests furent proposées à des étudiants de 1re année de bacca-
lauréat ainsi qu’à des élèves des deux dernières années du secondaire. Dans
la première série, des questions portant sur un point de matière identique
étaient formulées tantôt d’une manière jugée facile, tantôt d’une manière
jugée difficile (ex.  : forme affirmative vs double négation). Cela permit de
déceler un certain nombre de difficultés dues essentiellement à la formula-
tion. La seconde série visait à déterminer si celles-ci posaient déjà problème
dans un contexte non scientifique. À cette fin, on proposait aux étudiants
la même question, mais placée tantôt dans un contexte scientifique, tantôt
dans un contexte de vie courante. Il s’est avéré que le contexte scientifique
ne constituait qu’un faible facteur d’aggravation et que les erreurs apparais-
saient déjà en contexte courant.

44. Inventaire des sources possibles d’erreurs d’origine lexicale ou syntaxique dans les pro-
blèmes de chimie ; élaboration et évaluation d’exercices de langue destinés à pallier les
faiblesses observées.

60
Nos ancêtres, les p(articipes) p(assés) : déférence et lustration de la langue française

Les résultats de ces tests ont donc confirmé l’hypothèse de départ  : la non-

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maitrise de la langue maternelle en science a un impact direct et réel sur les
échecs aux examens45.
À partir des lacunes observées, des exercices ont alors été créés. Ils ont
été expérimentés deux années consécutives, avec succès, lors des cours de
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propédeutique sciences qui sont organisés à l’université avant la rentrée


académique. La méthode suivie a été conçue pour être progressive et dyna-
mique. Les difficultés ont été échelonnées : une première partie aborde le
vocabulaire, une seconde les articulations logiques. Enfin, des exercices
récapitulatifs permettent l’intégration du tout. On passe ainsi de la phrase
simple au texte long. Les textes proposés, rigoureusement authentiques,
n’ont en aucun cas été fabriqués46.
La recherche terminée, on pouvait s’interroger sur les applications pratiques à
tirer de cette expérience pluridisciplinaire.
Le premier constat à tirer était clair : au sortir des humanités, l’élève n’a pas
atteint la maitrise de sa langue maternelle. En particulier, on déplore des pro-
blèmes :
1. dans la maitrise du langage abstrait, de la pensée conceptuelle ;
2. dans l’emploi (en contexte scientifique par exemple) d’un vocabulaire précis,
rigoureux, univoque ;
3. dans l’utilisation de l’appareil argumentatif ;
4. en général, dans la compréhension des structures qui régissent la langue, des
relations qui l’articulent.
Cependant la méthode préconisée à la suite de la recherche ne peut intervenir
que comme remédiation, ponctuellement, pour rendre les apprenants conscients
de la nécessité d’accorder de l’attention à l’utilisation qu’ils font de l’outil langue.
Elle ne saurait restaurer à elle seule une maitrise parfaite du français et donc
pallier les carences que l’on observe où que l’on se trouve – y compris en Lan-
gues et Littératures romanes – en première année de baccalauréat universitaire.
C’était il y a vingt-cinq ans. Mais peu de choses ont changé : vingt ans plus
tard, à l’Université de Liège, l’équipe de l’EFES, sous la direction de Jean-Marc
DEFAYS, aboutit aux mêmes résultats.

45. Pour plus de renseignements sur les premières phases de la recherche, voir : DALCQ A.-E.,
« Questions mal comprises ou mal posées ? Un test de compétence linguistique » in Langue
française, 75, sept. 1987, pp. 36-50.
46. Ces exercices ont été rassemblés dans DALCQ A.-E., VAN RAEMDONCK  D.,
WILMET B., Le Français et les Sciences. Méthode de français scientifique avec lexique,
index, exercices et corrigés, Paris – Louvain-la-Neuve, Duculot, 1989.

61
Appropriation : demande et exigences sociales

Nul ne songerait à nier ces problèmes. Leur mise en évidence a pour inévitable

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corollaire la question : « À qui la faute ? » D’emblée, évitons un débat stérile.
Rien ne sert de rejeter systématiquement et exclusivement la faute sur le niveau
d’enseignement précédent. Si responsable il y a, il faut sans doute le chercher
dans le contexte social au sens large. Cependant, peut-être faudrait-il également
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porter ailleurs le questionnement sur l’origine du mal.


S’interroger sur la supposée non-maitrise de leur langue par les étudiants qui
sortent de l’enseignement secondaire impose en fait également le questionnement
sur le type de grammaire à enseigner comme celui de la valeur des outils mis à
disposition pour l’apprentissage de la langue maternelle. Les programmes sont-ils
adaptés ? Les codes de terminologie sont-ils pertinents ? Nos manuels, nos gram-
maires, nos discours sur la grammaire sont-ils cohérents ? Permettent-ils, l’un et
l’autre, une appropriation par l’élève de sa langue aux différents niveaux d’études ?
Si le monde de l’enseignement supérieur s’est ému et emparé de la question de la
non-maitrise de la langue (encore faudrait-il savoir de quelle maitrise de la langue
on parle et laquelle est attendue…), le monde extérieur à l’enseignement n’est pas
en reste. La société, et en particulier le monde économique, monte au créneau.

3. Le français et le monde économique


La presse s’est fait l’écho, ces dernières années, des récriminations du monde
économique à l’égard des faibles performances en orthographe de certains de
leurs employés et cadres, et du cout susceptible d’être engendré pour leurs
entreprises. Citons quelques exemples par le biais d’extraits de presse :

La Croix, 02/07/2010 :
« La faute d’orthographe, une faute professionnelle.
De plus en plus de salariés utilisent leur droit à la formation pour se remettre
à niveau en orthographe et contribuer ainsi à donner, dans les lettres et les
courriels, une meilleure image de leur entreprise (…) Eric, par exemple, a lui-
même sollicité son employeur, l’office HLM de Seine-et-Marne, pour bénéficier
de cette formation, “Je suis de temps à autre amené à rédiger des courriers et
des fax, explique ce quadragénaire, J’ai beau me relire pour essayer d’éliminer
les fautes, il en reste toujours. Les collègues me font parfois des remarques,
sur le ton de la plaisanterie. Mais je sais que les destinataires de mes cour-
riers doivent bien se marrer aussi”, dit-il dans un sourire qui cache mal un
sentiment de gêne, si ce n’est de honte. (…)
Nombre d’entreprises, voulant préserver leur image, optent pour le “zéro
tolérance” à l’égard des fautes d’orthographe.

62
Nos ancêtres, les p(articipes) p(assés) : déférence et lustration de la langue française

(…) [Micael, comptable au sein d’une banque] : “Je ne voudrais pas donner

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de moi-même une mauvaise image, en particulier vis-à-vis de ma hiérarchie”,
confie-t-il.
“Dans mon domaine, l’événementiel, nous travaillons souvent dans l’urgence,
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témoigne Ut, 22 ans. Un jour, j’ai adressé sans le relire un mail à un de nos bons
clients qui m’a répondu avec bienveillance que je devrais soigner mon ortho-
graphe. J’étais très mal à l’aise”, se souvient-elle. (…) “Candidats à l’embauche
dans des entreprises, plusieurs de mes amis ont dû passer des tests d’ortho-
graphe. En cas d’échec, ils n’auraient pas pu signer de contrat”, souligne Ut.
(…) Bruno adressait discrètement ses courriers professionnels à sa femme pour
qu’elle les corrige avant l’envoi. “Mais un jour, j’ai dû produire sur-le-champ, en
présence de mon supérieur, un rapport destiné à l’Autorité de sûreté nucléaire,
qui a renvoyé le document en émettant des interrogations sur les compétences de
l’auteur”, raconte cet inspecteur en soudage, alors employé dans une centrale.
“Cet épisode m a coûté mon CDD, qui n’a pas été  renouvelé”, assure-t-il. »

Le Point, 27/05/2010 :
« Orthographe : montrez-moi votre certificat !
Une start-up lyonnaise a mis au point un test d’évaluation du niveau de
connaissance de la langue française. (…)
Trente centres d’examen au test Voltaire ont déjà été créés en France. Niveau
moyen des 300 premiers à s’y être essayés ? 430 sur 1 000. Les plus de 40 ans
ont obtenu en moyenne 480 points. Les moins de 25 ans, 390… (…)
Une orthographe correcte est garante de l’image d’une société vis-à-vis des
fournisseurs et des clients. (…)
“Ce n’est pas à l’entreprise de remplacer un système éducatif en perte de
vitesse”, tempête une DRH. »

RTL info.be (site) 08/09/2011 :


« Les fautes d’orthographe font perdre de l’argent aux entreprises.
Savoir bien écrire pose de plus en plus de problèmes. C’est en tous cas le
constat dressé par des entrepreneurs britanniques et français qui tirent la
sonnette d’alarme. Les fautes dans les courriers ou sur les sites leur feraient
perdre des millions d’euros.
Jean Lemaître, directeur d’une agence d’intérim, témoigne à ce propos  : “le
coût est justement dans des documents qui rebutent le lecteur. Si vous réalisez

63
Appropriation : demande et exigences sociales

une publicité avec une faute d’orthographe, les lecteurs n’achèteront pas votre

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produit.”
Selon Jacques Heremans, porte-parole de Randstad, entreprise spécialisée dans
le travail intérim, les candidats qui font des fautes d’orthographe sont de plus
en plus nombreux, ce qui nuit à leur crédibilité. “On a malheureusement une
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tendance à voir beaucoup de fautes d’orthographe et ça fait partie de la présen-


tation générale du candidat. S’il donne une mauvaise impression, il est évident
que le candidat a beaucoup moins de chances de se faire engager. Et nous en
tant qu’intermédiaire, on a moins de chance de mettre cette personne à l’emploi.”
Delphine Suttor, chargée de recrutement, indique à ce propos : “c’est le pro-
fessionnalisme qui est mis enjeu.”L’avancée technologique a également changé
la donne. Il y a 20  ans, les personnes se téléphonaient alors qu’aujourd’hui
la tendance penche davantage pour les courriers électroniques. “Les patrons
de demain auront peut-être une moins bonne orthographe. Ce qui risque de
diminuer le niveau d’exigence des deux côtés, c’est-à-dire aussi au niveau du
recrutement.”, conclut Jean Lemaître. »

Vers l’Avenir 29/09/2011 :


« Orthographe : de pire en pire, déplorent les recruteurs.
Zéro sur dix en orthographe ! La note délivrée par les recruteurs aux
demandeurs d’emploi.
Les recruteurs belges sont unanimes : le niveau d’orthographe est de plus en
plus médiocre dans les CV et lettres de motivation envoyés par les candidats.
(…)
“Ce laisser-aller orthographique est de plus en plus problématique, constate
Ann Van den Begin (Monster). Ce n’était pas comme cela, il y a 10-15 ans.” (…)
Pour Marc Vandeleene (Manpower), le constat est transversal : “Ce virus de
la faute touche même les candidats issus de l’université, quel que soit leur
niveau”. (…)
Ne pas s’exprimer correctement et rédiger avec des fautes limite les possibilités
professionnelles. (…)
“Un candidat au profil très intéressant mais dont la lettre regorge de fautes
ne sera même pas retenu”, assure Ann Van den Begin. (…)
Selon Jacques Hermans (Randstad), la situation est très sérieuse  : “Par ces
temps de crise, il y a plus de candidats et moins de postes. Résultat  : la
mauvaise orthographe joue comme premier filtre de sélection. Donc oui, bien
écrire, c’est augmenter ses chances sur le marché de l’emploi.” (…)

64
Nos ancêtres, les p(articipes) p(assés) : déférence et lustration de la langue française

“Nous savons que certaines candidatures reçues sont écrites par une autre

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personne, observe Angela Leone (Sales Consuit). Nous organisons donc des
tests écrits pour s’assurer de la qualité orthographe du candidat.” »
Devant de tels problèmes, considérés comme importants pour le monde de
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l’entreprise, certains éditeurs proposent un programme de remédiation. Ainsi


le groupe Larcier-De Boeck, dans sa division Larcier Business, propose-t-il, sur
la base d’une enquête universitaire, le programme Défi 9, à partir des travaux
d’Anne-Marie Gaignard, autodidacte spécialiste.
Présenté comme une méthode inédite pour assurer « la maîtrise du français
en entreprise », Défi 9 justifie son intervention comme suit :
« Aujourd’hui, l’orthographe pose de plus en plus de problèmes dans les
entreprises qui constatent, chez leurs employés, une moindre maîtrise du
français. Ce qui peut nuire à l’image de l’entreprise et donc lui faire perdre
de l’argent. (…)
Il s’agit donc d’une problématique qui touche directement les professionnels
des ressources humaines, et ce dès le recrutement. En effet, les CV et lettres
de motivation truffés d’erreur ne sont pas rares. »
Larcier invite des experts à témoigner :
« La généralisation des messageries électroniques, traitements de texte,
logiciels de présentation et autres blogs, wikis et Intranets, a renforcé la
part de la communication écrite dans les entreprises et les administra-
tions. Celle- ci est de plus en plus assumée directement par les salariés
et les cadres puisque les intermédiaires telles que les secrétaires ne sont
plus forcément présentes pour prendre en charge ce travail. De plus, le
temps entre la conception et la diffusion du message se réduit comme peau
de chagrin, tandis que la rédaction s’effectue directement via l’écran de
l’ordinateur, rendant l’exercice plus difficile encore. Autant de facteurs
qui font de l’écriture une activité en flux tendu, pratiquée sans filet, alors
que cet élément participe de l’image de marque personnelle comme de
celle de l’employeur
Isabelle Oggero, http://www.indicerh.net, 12 avril 2011 »
« L’insécurité linguistique, qui manifeste un déficit de légitimité par rapport
à la variété considérée comme “modèle” (le français “de France”, parfois
le français “de Paris”), engendre des représentations et des attitudes parfois
très contradictoires au sein d’une même communauté. Pour certains, cette
insécurité linguistique se traduit par un respect scrupuleux de la norme qui
peut devenir un purisme outrancier – songeons par exemple aux chasses aux
belgicismes…. Pour d’autres, à l’inverse, elle entraîne un rejet des contraintes

65
Appropriation : demande et exigences sociales

normatives, jugées excessives dans le cas du français (“tant qu’on me com-

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prend…”), prélude à un autre rejet plus radical, au profit d’une langue jugée
plus facile d’accès et plus rentable : l’anglais.
Michel Francard, 2011 »
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Larcier dévoile les résultats d’une étude menée par le centre Valibel de l’UCL 47.
Nous reproduisons les résultats frappants dans le tableau ci-dessous :

47. « Les éditions Larcier- De Boeck, en partenariat avec l’association des Professionnels
en Ressources humaines Bruxelles- Brabant (ADP), interpellés par le problème, ont
commandé une étude visant à quantifier la perception de la maîtrise du français dans
les entreprises. Cette étude a été menée par le centre Valibel et Michel Francard,
professeur ordinaire à l’Université catholique de Louvain et fondateur du centre de
recherche Valibel.
! 43 responsables RH ont répondu.
! Les 43 entreprises représentées constituent un échantillon représentatif :
• Elles totalisent environ 27 000 employés
• Elles sont issues de secteurs très variés : pharmaceutique, banque, assurance, grande
distribution, industrie chimique, édition, service public, médias, professionnels du
chiffre, transport, hospitalier... »

66
Nos ancêtres, les p(articipes) p(assés) : déférence et lustration de la langue française

Et promet une remédiation rapide en un jour de formation sur des questions

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particulières (voir ci-dessous) :
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On remarquera aisément que sur les neuf points soulevés, pas moins de cinq
concernent l’accord du participe passé…
Quoi qu’il en soit, on assiste au scénario connu : on a socialisé les pertes ; on va
privatiser les bénéfices. Après avoir mis un terme aux contrats des secrétaires
ou des intermédiaires susceptibles de vérifier le français des discours produits,
après donc avoir licencié les personnes en charge de ces compétences, les
entreprises vont donc former tous leurs employés à des règles absconses… au
bénéfice des entreprises de formation. Car ce qui importe, c’est moins l’image
de l’employé que celle, entachée, de l’entreprise ou du produit.
La poussée d’urticaire du monde de l’entreprise a au moins ceci de bon : mettre
en évidence ce que beaucoup savent déjà, à savoir l’inadéquation entre les besoins
en expression des usagers et leurs connaissances. Cela étant, la raison de l’hiatus
n’est pas forcément à chercher dans l’absence de connaissances et donc l’échec
d’un enseignement de transmission, mais dans la question de savoir si ce que l’on
transmet est bien ce qui doit l’être, et si la forme utilisée est bien la plus idoine.
La remise à l’agenda médiatique via le monde de l’entreprise montre bien
également comment il est possible d’avancer dans un débat qui concerne un
sujet de société. La question du cout social d’une non-maitrise de la langue
intéresse visiblement peu si elle n’a pas de répercussions directes sur l’écono-
mie. Peu importe, semble-t-il, que la privation de compétences en matière de
langue ait un impact sur la vie sociale et sur le respect des droits fondamentaux
des individus. Seul l’impact économique semble être digne d’attirer l’attention.

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Appropriation : demande et exigences sociales

4. Le français et l’échec scolaire

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De nombreux articles de presse traitent de l’échec scolaire et de son cout. Si le
lien entre non-maitrise de la langue et échec scolaire n’est pas direct, on peut
sans trop risquer de se tromper considérer qu’un élève qui ne maitrise pas sa
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langue fera plus facilement face à une situation d’échec (comme nous l’avions
déjà remarqué avec les étudiants en chimie).
Ainsi c’est également du monde de l’entreprise, sensible au cout économique,
que la charge est la plus forte. BECI (Brussels Enterprises Commerce &
Industry), repris par Trends 01/09/2011, dénonce le cout sociétal (enten-
dez évalué essentiellement économiquement) énorme du redoublement en
Communauté française.

« Coûts de l’échec scolaire : 2,4 milliards d’euros par an


Une étude de la KUL démontre l’inefficacité du redoublement.
Entre 2000 et 2009, le redoublement dans l’enseignement secondaire fran-
cophone est passé de 10,4  % à 13,7  %. En comparaison, seuls 5,8  % des
élèves du secondaire de la Communauté flamande ont échoué en 2009-2010.
Pourtant, c’est la KUL qui dénonce les pseudos vertus pédagogiques dans une
étude récente. Pour BECI, le redoublement est aussi excessivement coûteux sur
le plan sociétal. En effet, chaque échec coûte 52.500 euros à la collectivité !
Après avoir trouvé plus de 12 milliards en décembre et encore deux de plus en
mars, chacun fait ses comptes. Et les chiffres de la Communauté française en
matière d’enseignement sont particulièrement alarmants : près d’un élève sur
quatre en Communauté française présente déjà un retard scolaire à la fin du
primaire, dans le degré supérieur de l’enseignement secondaire, la proportion
de doubleurs s’établit à 55 % (en 5e) et à 60 % (en 6e).
La Flandre fait mieux, mais pas nettement avec 27  % des jeunes ayant
une à plusieurs années de retard dès la 2e  année du secondaire. Le pire
score revient à la Région bruxelloise où la proportion de doubleurs dans le
secondaire atteint respectivement 65 % (en 5e) et à 70 % (en 6e). Autrement
dit, deux élèves bruxellois sur trois auront perdu au moins une année avant
la fin de leurs humanités.
Confirmée par l’étude de la KUL, BECI considère le redoublement comme une
pratique pédagogique inefficace pour l’enfant. Plutôt que l’électrochoc attendu,
il provoque régulièrement démotivation, aliénation, manque de confiance en
soi. À Bruxelles, 1 jeune homme sur 3 entre 18 et 24 ans a quitté l’école sans
diplôme. 65 % des demandeurs d’emploi n’ont pas de qualification. Il s’agit
dès lors de diviser par deux ou même de supprimer le redoublement.

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Nos ancêtres, les p(articipes) p(assés) : déférence et lustration de la langue française

D’autant qu’il a aussi un coût financier non négligeable. Un parcours sans

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embûche d’un élève de la maternelle au secondaire supérieur coûte en moyenne
à la Communauté française 71.200  EUR. Chaque année perdue représente
entre 2.900  euros en maternel, 6.750  euros en secondaire, 8.200  euros en
supérieur et jusqu’à 13.600  euros dans l’enseignement spécial. Soit au total
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366,5 millions EUR (plus de 6 % du budget total de la Communauté française).


En ramenant par étapes le taux de redoublement en Communauté française à
un niveau équivalent à celui de l’enseignement flamand, l’économie annuelle
se chiffrerait à près de 200  millions EUR. Plus encore, une entrée tardive
dans la vie active est un manque à gagner de 52.500 euros pour la collectivité
par élève et par an. Avec 46.184  élèves qui ont doublé en 2008-2009 pour
les seuls francophones, on compte ainsi une perte de 2,4 milliards par an. »
(site consulté le 13/11/2013)
Point d’évaluation des couts personnels, civils, sociaux et culturels du redou-
blement scolaire. Seul le cout pour la Communauté est susceptible d’attirer
l’attention. Le cout social, pour être totalement comptabilisé, devra donc
également tenir compte de l’addition de toutes les situations et conséquences
particulières qu’engendre ce phénomène pour chaque redoublant, ce qui aug-
mente considérablement la note.
Pour l’année 2011-2012, si la situation apparait s’améliorer par rapport à l’année
précédente, d’après la Ministre Schyns, ce sont quand même 416,7  millions
d’euros (au lieu de 366,5  millions d’euros en 2009-2010) et tout autant 6  %
du budget total de l’enseignement. Le passage à l’abstraction est mis en cause,
qui passe également par la capacité à l’exprimer… Ainsi, trouve-t-on dans La
Libre Belgique :
« Cette année, la ministre Schyns (CDH) a ainsi pu se réjouir de la baisse
de six millions d’euros du coût du redoublement, qui n’est “plus que” de
416,7  millions d’euros en 2011-2012, soit tout de même 6  % du budget
total de l’enseignement (7,1 milliards). Elle a également insisté sur la légère
diminution de l’échec scolaire, hormis dans le 1er  degré de l’enseignement
secondaire, où le taux de redoublement augmente depuis 2008, surtout en
1re année. Pourquoi cette exception ? Faut-il y voir un lien avec l’introduc-
tion de nouvelles règles d’inscription à l’école secondaire ? “Non, assure
le cabinet de la ministre de l’Enseignement. C’est dû à la difficulté de la
transition entre le primaire et le secondaire, au passage à l’abstraction, qui
reste un problème.” » (La Libre Belgique, 13/11/2013)
Selon l’opposition politique, les meilleurs résultats seraient consécutifs à une
baisse de niveau d’exigence et donc à un nivellement par le bas. Elle tire
argument du cout du redoublement scolaire pour demander de renforcer les
apprentissages de base  : la rédaction, la lecture, la dictée, les tables de mul-
tiplication, la grammaire, l’orthographe… Ce qui ne nous laisse rien augurer

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Appropriation : demande et exigences sociales

de bon en matière de réelle appropriation de la langue. Voilà néanmoins qui

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tisse un lien, au moins rhétorique, entre l’échec scolaire et la non-maitrise des
compétences susceptibles d’entrainer la réussite des exercices cités comme
apprentissages de base :
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« Des apprentissages de base renforcés


“C’est un message crucial qui fait l’unanimité auprès de tous les acteurs de
l’école que nous avons rencontrés”, assure le président du MR Charles Michel.
En ligne de mire : le niveau du CEB (N.D.L.R. : Certificat d’études de base
en fin de 6eannée primaire) “n’est pas un niveau vérité”. “Entre un élève qui
réussit son CEB à 50  % et un autre qui le réussit à 85  %, ils ne sont pas
du tout armés de la même manière pour poursuivre leur parcours scolaire”,
estime le bourgmestre de Wavre.
Et de vilipender : “On a un peu le sentiment que les autorités politiques ont
baissé le niveau moyen du CEB pour donner l’illusion qu’on luttait contre
l’échec scolaire. C’est choquant parce que c’est le nivellement par le bas”. Or,
le MR “ne veut pas de nivellement par le bas ; nous, nous voulons l’excellence”.
Comment ? En renforçant la rédaction, la lecture, la dictée, les tables de
multiplication, la grammaire, l’orthographe, etc.
“Ce sont des apprentissages fondamentaux pour nous, reprend Charles Michel.
Et c’est d’autant plus fondamental de lutter contre l’échec scolaire en relevant
la qualité des apprentissages de base que le coût de l’échec scolaire est très
cher pour la société –  le coût de l’échec scolaire représente 6  % du budget
total de l’Enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles”. » (La Libre Bel-
gique, 19/10/2013)
Lorsque l’on ajoute à ces considérations, les résultats des enquêtes PISA, quelque
discutables qu’ils soient, s’invite souvent la mise en relation entre investissement
(très important proportionnellement) dans l’enseignement et résultats (« retour
sur investissement », oserions-nous dire) trop faibles en terme de lecture. Ainsi
dans La libre Belgique du 21/11/2013, peut-on lire :
« “Nous devons améliorer la performance de notre enseignement obligatoire
(…] : 23 % des jeunes de 15 ans ne savent pas lire !”
Nous sommes dans le top trois international au niveau des dépenses par élève.
Mais nous avons des résultats inférieurs à la moyenne de l’OCDE et une très
grande disparité de qualité. Bref, on dépense beaucoup pour une performance
assez médiocre. »
Le débat sur les faibles performances en lecture n’est pas belgo-belge. On
trouve les mêmes considérations outre Quiévrain. Nous reproduisons ici l’un

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Nos ancêtres, les p(articipes) p(assés) : déférence et lustration de la langue française

des nombreux articles de presse consacrés au déclin de la maitrise du français

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(Le point.fr 15/03/2013) ; il est en tous points conforme aux autres articles
trouvés dans la presse française :
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« Lecture, écriture, calcul : pourquoi le niveau baisse


Lecture hésitante, orthographe malmenée, calcul approximatif  : le niveau
baisse du fait de la diminution du temps scolaire et des horaires alloués à ces
matières, de nouvelles disciplines, la transformation des pédagogies et une
formation des enseignants pas toujours adaptée, selon des experts interrogés
par l’AFP.
La maîtrise de ces matières est fondamentale pour la réussite des élèves dans
la poursuite de leurs études, et au-delà pour leur insertion professionnelle.
C’est ainsi que le ministre Vincent Peillon explique la priorité accordée au
primaire dans la “refondation” de l’école, portée dans le projet de loi actuel-
lement en débat à l’Assemblée nationale.
Il s’agit de développer l’accueil des tout-petits, recréer des postes d’ensei-
gnants, rétablir une formation initiale et spécifique, réformer les rythmes
scolaires pour alléger des journées de classe surchargées. Les villes doivent
décider avant le 31 mars si elles adoptent le retour à la semaine de 4,5 jours
dès 2013 ou si elles attendent 2014.
Selon le bilan 2007 du Haut conseil à l’éducation, à l’entrée au collège, 15 %
des élèves connaissent déjà des difficultés sévères ou très sévères et 25 % ont
des acquis fragiles.
Les fameuses enquêtes Pisa de l’OCDE, qui évaluent les jeunes de 15  ans,
c’est-à-dire quasiment à la fin de la scolarité obligatoire, enfoncent le clou :
la France recule. Et les inégalités se sont accrues entre 2000 –  première
édition de l’enquête  – et 2009, avec davantage d’élèves faibles en lecture et
mathématiques.
En revanche, le système français fonctionne pour l’élite puisque le pourcentage
des plus performants a augmenté en lecture, et qu’il est resté sensiblement
identique en mathématiques.
Pour l’historien Antoine Prost, “il faut non seulement travailler davantage
mais mieux”, précisant que “cinq journées de cinq heures de cours seraient
le plus efficace”.
“Entre 1960 et aujourd’hui, on a perdu une heure de travail d’élève sur
cinq. C’est comme si on avait obligé tous les élèves à sauter une classe”,
note-t-il.

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Appropriation : demande et exigences sociales

L’orthographe, un totem français

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Le temps alloué à l’enseignement du français a aussi fortement baissé, relève
l’historien Claude Lelièvre : “Les élèves font plus de fautes de grammaire ou
de lexique parce qu’on passe moins de temps à faire de la grammaire explicite
et encore moins à faire des répétitions”.
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En revanche, “si vous mettez entre parenthèses la question de l’orthographe,


on a des élèves qui font des rédactions supérieures par rapport à des copies
du certificat d’études de 1923”, souligne-t-il.
“L’orthographe est un totem français ! Vous pouvez vous vanter d’être nul en
maths, mais pas d’être nul en orthographe. C’est l’apitoiement généralisé !”,
relève avec amusement M. Lelièvre.
Et il relativise  : “Il n’y a pas un effondrement du niveau en rapport avec
l’effondrement des horaires consacrés. Ça pourrait être nettement pire”.
Parmi les autres pistes, M. Prost note que l’on est passé des exercices (lecture,
rédaction…) à des disciplines (français, maths…) : “Chaque discipline a ses
objectifs propres tandis qu’avec les exercices, l’objectif était transversal : on
faisait aussi du français, de l’orthographe et de la lecture quand on recopiait
l’exercice de calcul que le maître écrivait au tableau”.
“La ‘disciplinarisation’ de l’enseignement primaire et l’élévation considérable
du niveau de formation disciplinaire des maîtres du premier degré modifient les
objectifs et si on va jusqu’au bout de cette évolution, eh bien il faut des agrégés
pour apprendre à lire et la France devient analphabète en une génération”,
ironise-t-il.
Viviane Buhler, inspectrice de l’Éducation nationale honoraire, formule
d’autres “hypothèses”  : “la dégradation sociale et la transformation de la
population », citant “le chômage, la perte de repères dans les milieux popu-
laires, des familles issues de cultures très éloignées de celle de l’école…”
Elle accuse aussi la multiplication des réformes qui ont introduit de nouvelles
matières (langue vivante, sécurité routière…), “les enseignants ne savent plus
trop quelles sont leurs priorités”. Et la formation continue “qui n’a pas eu
suffisamment d’impact sur les pratiques pédagogiques” ».
Voilà donc pointée du doigt la responsable « disciplinaire » : l’absence de mai-
trise de la sacro-sainte orthographe et des bases élémentaires de la grammaire,
du fait sans doute de l’absence de temps consacré à des apprentissages expli-
cites. Antienne connue.

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Nos ancêtres, les p(articipes) p(assés) : déférence et lustration de la langue française

5. Le Français, ses difficultés orthographiques

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et sa grammaire
Il a déjà beaucoup été disserté sur la valeur de l’orthographe et la nécessité
de sa réforme régulière. Nous ne souhaitons pas y revenir. D’autant que, à la
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demande du Service de la langue française de la Fédération Wallonie-Bruxelles,


Georges Legros et Marie-Louise Moreau y ont consacré un opuscule roboratif.
Nous ne saurions trop conseiller au lecteur de s’y plonger. La non-maitrise de
l’orthographe a donc bien un cout économiquement évalué. Mais, vu les diffi-
cultés qu’elle renferme, son enseignement également. Les auteurs de l’opuscule
nous rappellent que, dans l’état actuel des choses, les structures étatiques paient
les enseignants pour toutes les heures qu’ils consacrent à enseigner une matière
aux retombées fonctionnelles douteuses, avec un succès plus que relatif. Or, ne
faut-il pas envisager l’impact budgétaire de l’orthographe du français, quand
on compare les compétences d’enfants exposés à des systèmes différemment
complexes pour ce qui est des correspondances graphie-phonie ? Ces mêmes
auteurs, reprennent les résultats d’une recherche de Seymour et al. (2003, 2005),
qui donnent à lire des mots – de leur niveau scolaire – à des enfants allemands,
espagnols, finlandais, grecs, et italiens, en fin de première année primaire : les
bonnes réponses atteignent un taux de 95 % au moins. Le pourcentage n’est plus
que de 79 % pour les francophones, il chute à 34 % pour les anglophones (leur
pourcentage atteindra 76 % en deuxième), dont le système orthographique est,
pour ce qui est du lexique, encore plus complexe que le français. À la fin de la
2e année de leur scolarité primaire, les élèves italiens, espagnols, néerlandais
maitrisent l’orthographe de leur langue, en écriture et en lecture, et plus aucun
enseignement n’y est consacré. Voilà donc pour le cout de l’enseignement d’une
orthographe parfois absconse. Un tel argument devrait porter…
À la lumière des enquêtes Pisa48 sur les performances en matière de lec-
ture, resurgit également la grammaire ; et elle s’invite comme une question
fondamentale –  sinon la question fondamentale  – posée à l’enseignement-
apprentissage des langues. Le discours grammatical explicite, la manière de
rendre compte du code qu’est la grammaire, ainsi que la terminologie sont ainsi
aujourd’hui reconnus comme des outils essentiels à l’appropriation réflexive
d’une langue. Mais de quelle grammaire parle-t-on ? Quels outils convoque-
t-on ? Qu’ils ne soient pas adaptés à leur objet, et c’est tout le processus qui
est hypothéqué. Or force est de constater que la rigueur scientifique n’a pas
toujours présidé à leur élaboration. L’élaboration du discours sur la langue est
née de l’observation de l’écrit et d’une visée essentiellement orthographique de
la pédagogie du français. Le poids de cet écrit se fait encore sentir aujourd’hui.

48. Quelles que soient les réserves émises à l’égard de la méthodologie de ce type d’enquêtes,
les résultats ne peuvent nous laisser indifférents et appellent une réaction.

73
Appropriation : demande et exigences sociales

Il nous faut dès lors totalement réinvestir le champ de la description gram-

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maticale pour la rendre plus adaptée à son objet, la rendre plus pédagogique
que prescriptive, deux termes trop souvent associés. Il est vrai que la tradition
française est très normative. Il importe donc que les linguistes et grammairiens
de langue première revisitent la grammaire pour la rendre plus appropriable
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et pour permettre une meilleure maitrise de la langue. De tels exemples de


réécriture nécessaire de la grammaire sont légion. Ils permettent également
de rendre compte qu’une grammaire sans trop de terminologie est possible.
En effet, la terminologie interfère entre le fond et la forme, elle est un filtre
qui, s’il opacifie les liens, risque de les briser. S’efforcer de la réduire au strict
minimum est une tâche qui incombe aux grammairiens. Il importe donc de
se mettre au travail.
En français langue maternelle, l’enseignement de la langue procède par explici-
tation d’un système que l’apprenant possède pour une grande part à son entrée
dans le parcours scolaire. Il s’agit donc du plaquage d’un discours censé décrire
et expliquer ce qui se fait par ailleurs naturellement. La grammaire convoquée,
reposant sur une tradition volontiers normative et morpho-syntaxique, n’a pas
pour but d’apprendre à parler. Elle est centrée sur l’écrit, plus particulièrement
l’orthographe, et sur la description-prescription des parties du discours et des
fonctions syntaxiques au sein de l’unité phrase, la progression n’étant pas
guidée par les besoins de l’apprenant, mais par la nécessité de proposer un
pseudo-système dans son intégralité, partie par partie et fonction par fonc-
tion, selon un programme étalé sur les années d’études successives. Le tout,
avec comme horizon le style des bons auteurs (c’est-à-dire, ceux qui écrivent
en respectant les règles du Bon Usage…). Cette grammaire formelle appa-
raitra, plus souvent qu’à son tour, éloignée du système pratiqué par l’appre-
nant  : n’oublions pas que le recopiage n’est pas la moindre des recettes des
manuels, surtout quand le savoir a atteint le statut de dogme depuis la moitié
du xixe siècle. Soyons de bon compte : on observe çà et là quelques concessions
à la modernité linguistique. Cependant, le recours, souvent essentiellement
cosmétique, à l’innovation théorique (les arbres de Chomsky, par exemple) se
fait sans vérification ni souci de compatibilité. Les errements du discours pro-
posé n’ont cependant que peu d’impact sur un apprenant de langue première :
il connait son système et celui-ci est apte à se construire indépendamment
des élucubrations grammaticales des manuels. Cependant, ce discours erroné
pourra donner le sentiment d’étudier une langue seconde, voire, pire encore,
une langue morte, coupée de ses racines et de toute possibilité d’évolution.
Ce discours est non seulement stérilisant, mais est responsable des attitudes
de rejet décrites plus haut. Ce qui s’impose d’urgence –  à  côté de certaines
préoccupations de transcription, mais remises à une plus juste proportion – est
un retour du discours réflexif sur les pratiques langagières ainsi que le déve-
loppement des compétences d’écoute et de parole, trop négligées par rapport

74
Nos ancêtres, les p(articipes) p(assés) : déférence et lustration de la langue française

à celles de lecture et d’écriture. Apprendre effectivement à encoder et pro-

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duire un discours, ainsi qu’à en décoder, voire décrypter, un autre, requiert
des compétences qui ne se construisent pas par la seule pratique scolaire du
discours grammatical traditionnel.
En FLE ou FLS, l’enseignement-apprentissage doit aboutir à l’appropriation
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d’un système de langue que l’on ne connait pas à la base. Il agit dès lors plutôt
par procéduralisation, description et application des procédures et mécanismes
du système de langue étrangère. Le risque est grand de voir atomisé le système
en micro-procédures, alors qu’il faut rechercher le maximum de cohérence et
aider à construire un cadre auquel l’apprenant puisse se rattacher. Contrairement
à ce qui se passe en FLM, si le discours grammatical est erroné, l’apprenant
ne peut se reposer sur ses propres connaissances préalables du système pour
s’en sortir. Les dégâts collatéraux sont donc plus importants en cas d’inadé-
quation du discours à la matière. En outre, il apparait assez rapidement que
l’enseignement-apprentissage du FLE est plutôt d’abord tourné vers l’oral, sur-
tout avec la généralisation des méthodes communicatives. L’écrit, quant à lui,
pourrait parfois plutôt être cantonné dans l’enseignement à objectif spécifique,
même s’il a tendance à revenir sur le devant de l’estrade. Cela impose une
prise en considération particulière du discours grammatical, tourné vers l’oral
plus que vers l’écrit. Or la plupart des discours grammaticaux se révèlent la
fidèle retranscription des grammaires de FLM dont la préoccupation essentielle
reste l’écrit.
On ne peut ignorer par ailleurs la question de la représentation du savoir
grammatical que se font, se sont coconstruite, les différents intervenants du
processus d’enseignement. Tant l’enseignant que l’apprenant ont une image
de la grammaire –  généralement réduite à sa composante orthographique et
morpho-syntaxique  – qui conditionne leur attitude ou leur intérêt à l’égard
de ce savoir (Ah, le sacro-saint accord du participe passé, enseigné à des
générations d’élèves comme l’on enseignait naguère encore « Nos ancêtres, les
Gaulois » !). Or le moins que l’on puisse dire est que cette attitude ne se carac-
térise généralement pas par un amour immodéré pour la chose grammaticale.
En cause sans doute une vision, traditionnelle, normative, de cette matière, un
discours inappropriable sur la langue, des options de formation plutôt littéraires,
pour ne pas dire « artistiques ». De ce fait, les leçons de grammaire française
demeurent pour les enseignants autant que pour leurs élèves un mal nécessaire,
une étude plate et ennuyeuse, en somme la rigoureuse affaire des plus doués
et des trop dociles. Car ces leçons que nous connaissons tous entremêlent
tableaux à mémoriser, terminologie multiple et sibylline, règles nombreuses
et sans explication, exceptions variables, … Les acteurs du processus d’ensei-
gnement ne se sentent pas habilités par l’« Institution Langue » –  on ne leur
a jamais fait savoir ou sentir qu’ils l’étaient – à remettre en question le savoir
ou même le discours sur le savoir. Résultat de cette attitude, il faut bien le

75
Appropriation : demande et exigences sociales

dire, des stratégies d’évitement ou souvent de transposition fidèle du discours

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dominant – sans parler des réponses meurtrières du style : « C’est comme ça »,
aux questions naïves, mais pertinentes, des élèves. Alors, quand les méthodes
communicatives ont prôné un temps l’éviction du discours grammatical expli-
cite, il était aisé de se ruer sur l’aubaine.
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Il s’agirait de rendre enfin les usagers conscients de leur responsabilité de


producteurs-récepteurs de langage. La grammaire normative et scolaire a beau
prescrire et proscrire, ce n’est ni une grammaire de production ni une gram-
maire explicative. C’est tout au plus une grammaire de reproduction, de recon-
naissance et de réécriture. Elle omet de dire à l’usager qu’il est responsable de
ce qu’il veut exprimer et qu’il dispose pour ce faire de différents moyens dont
il peut user librement. Un des objectifs de l’enseignant sera donc de faciliter
la réappropriation par les usagers de leur langue, de leur droit de parole, via la
réappropriation du discours fait sur la langue. La langue ne saurait être étudiée
comme une langue seconde ou une langue morte.
L’appropriabilité du discours grammatical dépendra de la réinstauration du
sens. En effet, si le savoir a du sens pour l’apprenant, si le système présenté
est organisé de manière cohérente et ne se réduit pas à une classification ou
un étiquetage décalés de l’usage et de la construction ou de l’interprétation
de la signification, la grammaire apparaitra plus en phase avec la langue telle
que l’exploitent les divers usagers, et ne sera plus vue comme un discours
abstrait inappropriable car inadapté. Ce que nous remarquons trop souvent,
c’est l’illustration de l’adage « Quand le poète montre une étoile du doigt,
l’imbécile regarde le doigt ». De fait, il semble que l’on attache plus d’impor-
tance au doigt-règle qu’à l’étoile-signification.
On sait qu’il a fallu des décennies et des décennies pour insuffler dans
le chef des francophones la potentialité d’un esprit de réforme en matière
d’orthographe. Les Rectifications orthographiques de 1990 n’en sont qu’une
très timide illustration et avancée. Pour ce qui est d’une réforme du discours
grammatical, on ne peut pas dire que cela soit à l’ordre du jour. Et ce, mal-
gré les recherches menées en Francophonie du Nord (voir notamment Van
Raemdonck depuis 2004, et Chartrand depuis des années et encore dans
ce volume), qui montrent l’inadéquation du discours grammatical scolaire,
devenu, revenons-y, paradigme culturel élitiste, et la nécessité d’une (r)évo-
lution dans la mesure où les classes de français langue première ne sont
plus aujourd’hui, loin s’en faut, composées de seuls francophones natifs. Si
certains décideurs, notamment en FWB, en deviennent conscients, d’autres,
dans d’autres pays de la Francophonie du Nord, semblent préférer feindre ne
rien voir et pratiquer la politique de l’autruche. Dans les contextes sociaux
que sont les écoles, cet abandon de poste pourra se révéler à terme lourd de
conséquences.

76
Nos ancêtres, les p(articipes) p(assés) : déférence et lustration de la langue française

6. Français et illettrisme

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Les difficultés en matière de lecture relevées par les enquêtes Pisa renvoient
également à la question de l’illettrisme. Dans l’opuscule précité, Legros et
Moreau rappellent l’enquête menée en 2004-2005 par l’Agence de lutte contre
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l’illettrisme sur un échantillon de 10.000 personnes dans la population française


âgée de 18 à 65 ans, résidant en France métropolitaine, et ayant été scolarisée
en France. L’Agence y évalue les compétences en lecture, écriture, et calcul
des personnes interrogées, « en s’appuyant sur des situations rencontrées dans
la vie de tous les jours (lire un programme de télévision, comprendre un bul-
letin météo, écrire une liste de courses, chercher une rue sur un plan, etc.) »49.
Il y apparait que 9,5  % de la population française se trouvent en situation
d’illettrisme, avec une proportion particulièrement élevée chez les personnes
âgées de 56 à 65 ans, celles-là mêmes qui ont été scolarisées durant les années
fastes de la maitrise orthographique. Pour d’autres pays, les enquêtes OCDE
en matière de littéracie estiment à environ 10  % la proportion de personnes
qui, bien qu’ayant été scolarisées, éprouvent, dans nos sociétés, des difficultés
pour l’écriture, la lecture, ou l’utilisation des informations.
Le cout social de l’illettrisme pour la société se double pour l’individu de la
perte de la jouissance de ses droits fondamentaux et la difficulté d’agir sa
propre citoyenneté. C’est bien de difficulté d’accès à l’espace public (et privé),
à la justice, à la vie politique et sociale, à la santé, à l’information, à la com-
préhension et au décodage du monde… qu’il faut parler quand on est confronté
à l’illettrisme. La formation est là encore nécessaire. Les couts se multiplient.
Cela étant, pour ceux qui savent lire et écrire, ces compétences ne sont pas
toujours aisément applicables dans la mesure où les impératifs de lisibilité
des textes ne sont pas toujours rencontrés, tant dans l’espace public que dans
l’espace privé. En effet, la complexité ou la complication, volontaires ou non,
du langage utilisé vis-à-vis des usagers de services publics (administrations…)
ou de clients d’entreprises privées (banques, assurances…) ne sont elles-mêmes
pas sans cout économique et social pour la communauté. À ce stade cepen-
dant, la prise de conscience ainsi que le travail de changement de mentalités
et de pratiques semblent plus avancés. Sans doute a-t-on moins l’impression de
toucher à l’identité culturelle des francophones dans ces matières.

7. Français et plurilinguisme
La maitrise de la langue première n’est pas encore assurée que déjà le monde
économique requiert la connaissance et la maitrise d’autres langues. Le

49. http://www.anlci.gouv.fr/fileadmin/Medias/PDF/EDITIONS/ivq_4pages.pdf

77
Appropriation : demande et exigences sociales

plurilinguisme prend la place aujourd’hui de l’orthographe hier en tant que

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critère de sélection à l’embauche :

La Libre Belgique 15/11/2013
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« Pas de langues, pas d’emploi !


Connaître au moins deux langues est indispensable. Des progrès sont à faire. 
Les chiffres sont étonnants. Seuls 22,7 % des demandeurs d’emploi bruxellois
déclarent maitriser au moins une seconde langue nationale, selon l’Obser-
vatoire bruxellois de l’Emploi, or plus de 90  % des offres d’emploi dans la
capitale exigent la connaissance de nos deux langues nationales. Dans de
nombreux cas, la connaissance de l’anglais est aussi nécessaire.
Une étude menée par le Tibem (Tweetaligheid in Beweging- Bilinguisme en
mouvement) montre que la pénurie de bilingues est telle que les employeurs
privilégient, pour des fonctions critiques nécessitant de fréquents contacts
avec la clientèle, la connaissance des deux langues nationales sur la for-
mation professionnelle. »
Si l’on peut comprendre que le plurilinguisme est un atout, il faudra encore
prouver la nécessité de cette qualité dans tous les emplois où il est aujourd’hui
requis. Cela semble bien important dans les emplois de services à contacts
fréquents avec les usagers, mais, partout ailleurs, le lien de nécessité mérite
d’être interrogé.
En attendant, les pouvoirs publics ont décidé de déployer des moyens pour
aider les citoyens à maitriser les langues :

La Libre Belgique, 21/11/2013


« Bruxelles lance une plate-forme interactive d’apprentissage des langues
Bruxelles propose désormais aux demandeurs d’emploi de la capitale une
plate-forme interactive d’apprentissage des langues via le web. Basée sur des
tests de niveau de compétence, elle permet à chacun d’évoluer à son rythme
et bénéficiera de mises à jour régulières. À Bruxelles, 90  % des chômeurs
sont unilingues.
Actiris et Bruxelles formation se sont associés pour le coup à Altissia pour
faire de “Brulingua” un nouvel outil de référence aux côtés d’autres initiatives
existantes en matière de formation en langue (chèques langues, tests langues,
formation en langues orientées métier, etc.), pierre angulaire de la remise au
travail de milliers de chômeurs bruxellois.

78
Nos ancêtres, les p(articipes) p(assés) : déférence et lustration de la langue française

En 2012, 3.000  chercheurs d’emploi ont bénéficié d’un module de langue

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orienté métier via Bruxelles formation.
La mise en ligne de Brulingua a été annoncée mercredi par les ministres de
l’Emploi, Céline Fremault, et de la Formation professionnelle, Rachid Madrane.
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Le gouvernement régional bruxellois a dégagé pour ce faire un subside de


300.000 euros.
La plate-forme d’auto-apprentissages offre le choix de quatre langues  : le
néerlandais, l’anglais, l’allemand et le français.
Au menu : compréhension à l’audition, compréhension à la lecture, expression
écrite et expression orale. Les cours proposés sont multimédias, interactifs,
et basés sur des situations authentiques de la vie quotidienne et profession-
nelle. On y accède à des tests récapitulatifs réalisés par des linguistes, à du
vocabulaire, à des vidéos d’actualité modifiées chaque jour.
Conditions de base  : être inscrit comme chercheur d’emploi, que l’on soit
sans emploi ou non, chez Actiris, une inscription via le portail mon Actiris,
ou l’antenne Actiris la plus proche, disposer d’un ordinateur avec un accès à
internet et d’une adresse e-mail.
Selon Rachid Madrane, la plate-forme est testée dans un premier temps auprès
des demandeurs d’emploi, mais le gouvernement bruxellois souhaite la rendre
accessible dès l’an prochain à d’autres publics, à commencer par les élèves
et les enseignants des écoles bruxelloises. »
De la même manière, les pouvoirs publics interviennent pour imposer des
parcours d’intégration aux primo-arrivants. La question de l’apprentissage de
la langue fait l’objet de débats  : à imposer ou à fortement conseiller ? Les
avis sont divisés :

La Libre Belgique, 21/11/2013


« Pour rappel, le parcours d’intégration souhaité par le Gouvernement wallon
impose au primo-arrivant présent depuis au moins trois ans en Belgique et
disposant d’un titre de séjour de plus de trois mois de participer à une infor-
mation de premier accueil. Durant cette séance, il sera informé sur les droits
et devoirs de chaque personne résidant en Belgique. Il devra également se
soumettre à un bilan social (connaissance des langues, diplômes, formations
professionnelles, etc.). Il devra ensuite faire part de ses attentes et se verra
proposer un accompagnement pour ses démarches administratives (accès au
logement, soins de santé, etc.). Une amende administrative allant de 50 à
2 500 € est prévue en cas de non-respect de cette mesure. L’apprentissage de
la langue et un contrat d’accompagnement de deux ans sont facultatifs.

79
Appropriation : demande et exigences sociales

Le MR veut aller plus loin : “Il est nécessaire que l’ensemble des démarches

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soient obligatoires pour permettre à chaque bénéficiaire d’acquérir l’autono-
mie qui émancipe. En Flandre, où le parcours est obligatoire, une première
évaluation a révélé qu’environ 50  % des primo- arrivants qui ont signé un
contrat d’accueil n’avaient pas été assidus et n’étaient dès lors pas parvenus
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à acquérir l’attestation finale… Qu’en sera-t-il en Wallonie si seul l’accueil


est obligatoire ?” conclut Willy Borsus. »
L’instrumentalisation des langues dans les politiques (économiques, sociales, d’in-
tégration…) conduit à une appréhension parfois schizophrénique : de l’outil d’inté-
gration à la cause d’exclusion. Là encore les couts restent à mesurer exactement.
Ce qui est mesuré en revanche, depuis notamment les travaux récents de
Deborah Meunier, c’est, pour le français, l’appréhension très largement puriste
de cette langue. En matière de plurilinguisme, une certaine tolérance est de
mise à l’égard des erreurs commises par les non-natifs. Il semble que cela ne
soit guère le cas pour le français. Il apparait, du travail sur les représenta-
tions qui a été effectué par la chercheuse, que les francophones n’admettent
guère de marges de correction. C’est tout le français et rien que le français.
Un travail sur ces représentations, héritées d’une tradition particulièrement
normative et élitiste, de la langue doit absolument être fait, si on veut éviter
que notre langue recule sur le « marché » linguistique. Il n’en va pas seule-
ment de couts économiques ici encore, mais également de couts sociaux et
symboliques, qui à nos yeux sont plus importants.

8. Conclusion
On entend souvent dire que pour réformer, il faut une demande sociale
ou une appétence institutionnelle. En matière de réforme du corpus de la
langue, on nous oppose souvent que les deux font défaut. C’est une gros-
sière erreur, voire une faute (et pas d’orthographe, celle-là). C’est en tout
cas une lâche démission.
On l’a vu, au cours de notre promenade à travers l’univers médiatique récent,
la demande sociale existe. Et s’il veut ne pas la voir (après tout, on ne veut
bien voir que ce que l’on veut bien voir, et qu’on appellera… demande sociale),
l’inappétent institutionnel ne restera pas aveugle à la demande économique. Et
si l’appétence devait ne guère venir à nos politiques, nous nous retrouverions
en situation de non-assistance à personnes en danger d’exclusion sociale, ce
qui ne va pas sans un cout.
La question de l’acquisition et de l’apprentissage des langues est assurément
polyfactorielle. L’appropriation d’une langue dépend d’un certain nombre de
conditions et de circonstances. L’une d’entre elles est l’appropriabilité : toutes

80
Nos ancêtres, les p(articipes) p(assés) : déférence et lustration de la langue française

les représentations, tous les outils descriptifs, tous les discours, sont-ils les plus

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affutés pour permettre une appropriation maximale. Au vu de ce qui précède,
il est permis d’en douter. Il nous faudra agir sur tous les plans, tant du statut
de la langue que du corpus d’icelle. C’est dès lors à l’articulation de toutes les
actions qu’il convient de s’atteler. C’est ce à quoi nous vous invitons,… pour
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préserver un futur à notre langue, la rendre plus accueillante et conviviale…


même si cela doit passer par une réforme de l’accord du participe passé.

Références
Chartrand S.-G., « La difficile appropriation de la langue française par les
francophones : un point de vue didactique », in ce volume, 2014.
Legros, G. et Moreau, M.-L., Orthographe : qui a peur de la réforme ?, Bruxelles,
Fédération Wallonie-Bruxelles, Service de la langue française, 2012.

81
Appropriation : demande et exigences sociales

Meunier  D., Les représentations linguistiques des étudiants Erasmus et la

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vision plurilingue européenne  : normes, discours, apprentissages, Thèse
de doctorat, Université de Liège, 2013.
Seymour P. H. K., « Early reading development in European Orthographies », in
Snowling M. J. et Hulme C. J. (dir.), The science of reading : a handbook,
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Oxford, Blackwell, pp. 296-315, 2005.


Seymour P. H. K., Aro M. et Erskine J. M., « Foundation literacy acquisition in
European orthographies », in British journal of psychology, 94, pp. 143-174,
2003.
Uyttebrouck E. et Van Raemdonck D., « Transdisciplinarité français-sciences :
pour une meilleure compétence en français dans un contexte scientifique »,
dans Enjeux, 20, pp. 65-73, 1990.
Van Raemdonck,  D., avec Dehon, C. & Van Gorp,  D., GRAMM-R Fonda.
Recherche sur les outils pédagogiques de soutien pour une meilleure maî-
trise du fonctionnement de la langue, en vue d’accéder à la maîtrise des
compétences Lire-Écrire-Écouter-Parler, Bruxelles, ULB-HEB, 2004.
Van Raemdonck, D. et al., Gramm-R-Scola. Transposition didactique, évalua-
tion et adaptation d’un référentiel de grammaire destiné aux enseignants,
Différents rapports remis à la FWB, Bruxelles, ULB, 2009-2014.

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L’ÉVOLUTION DES CONTACTS DU FRANÇAIS


AVEC LES LANGUES EN PRÉSENCE :
QUELLES IMPLICATIONS DANS UNE APPROCHE
DIDACTIQUE CONTEXTUALISÉE,
À PARTIR D’EXEMPLES DU MAGHREB
ET DE L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE ?

Mohamed MILED

1. Introduction
Il est de plus en plus opportun d’approcher l’observation du français dans la
logique de ses contacts évolutifs plus ou moins problématiques avec la ou
les autres langues en présence ; il nous semble que la convivialité peut être
cernée sous cet angle de la cohabitation linguistique. Il s’agit d’une évolution
dictée par la mondialisation, par la tendance à un bi ou plurilinguisme, par le
changement de statut affectant l’autre langue et par l’introduction des langues
nationales à l’école, autant de facteurs qui incitent à situer le français dans le
paysage linguistique environnant et corrélativement à articuler sa didactique à
celle de la langue première, en particulier.
Ces contacts ne peuvent être réfléchis et abordés ni en termes de domination,
ni d’exclusion, ni de hiérarchisation des langues, mais en termes de partena-
riat, comme l’ont préconisé différents organismes internationaux (l’UNESCO,
l’OIF), partenariat déjà affirmé lors des États généraux du français de Libreville
en 2003 : « La coexistence entre le français et les langues nationales africaines,
née de l’Histoire, ne doit pas se vivre en termes de conflit, ou de “guerres des
langues”, mais bien en termes de solidarité et de complémentarité ».

85
Didactique et appropriation 

Cette prise en compte d’ordre sociolinguistique et pédagogique constitue un pré-

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alable à une contextualisation de l’enseignement du et en français, si l’approche
est suffisamment déployée au niveau curriculaire et correctement assimilée
par les enseignants.
Notre réflexion sera illustrée par des exemples empruntés au Maghreb arabe
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et à l’Afrique subsaharienne francophone où le français est totalement ou par-


tiellement une langue véhiculaire des savoirs non linguistiques et où il contri-
bue à l’efficacité des acquis de ces disciplines. Dans ces deux contextes, des
expérimentations d’enseignement bilingue ont été initiées dans la perspective
d’une didactique convergente ou intégrée au Maghreb et dans le cadre du
programme ELAN (école et langues nationales), engagé par l’OIF dans huit
pays de l’Afrique subsaharienne.
Un simple constat dans les systèmes éducatifs de ces pays révèle que cette
évolution des contacts du français avec les langues en présence (dans la société
et dans le système éducatif) n’est pas toujours accompagnée d’effets didactiques
conséquents, puisqu’on continue à séparer les enseignements linguistiques et
à cloisonner les dispositifs d’enseignement des langues prévues dans le cursus
scolaire. La question qui se pose est dès lors de savoir comment exploiter
cette opportunité de liens (une forme de convivialité) pour améliorer la qualité
des apprentissages du et en français, en passant d’enseignements cloisonnés et
juxtaposés des langues à une conception de l’enseignement/apprentissage d’une
langue tenant compte du système linguistique, de la culture et de l’enseignement
de l’autre langue.
Notre analyse s’effectuera en deux temps : l’évolution sociolinguistique de ces
rapports et les perspectives d’une didactique contextualisée du bilinguisme.

2. L’évolution sociolinguistique de ces contacts


Une action didactique dans ce sens doit être précédée d’un éclairage sociolin-
guistique et socioscolaire dévolu soit aux responsables de la politique linguistique
soit aux élaborateurs des curriculums. Ce préalable à une approche convergente
(français/langue première) permet de délimiter de façon dépassionnée leurs
statuts respectifs à travers les aspects suivants, certainement non exclusifs :
– leurs fonctions institutionnelles et leurs usages socio-éducatifs effectifs dans
différents contextes ;
– le type de contact entre elles ;
– l’année d’introduction du français à l’école et la répartition de leurs rôles scolaires
(selon une argumentation loin des débats passionnés et idéologiques), avec une
mention particulière pour la ou les langue(s) de scolarisation/enseignement.

86
L’évolution des contacts du français avec les langues en présence

3. Le cas du Maghreb arabe

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Au Maghreb arabe, et à la différence de l’Afrique subsaharienne, cette évolution
est relativement plus rapide en raison des spécificités du statut de l’arabe qui
est la langue officielle, la langue première de la scolarisation et le vecteur des
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principaux échanges socioculturels, et en raison des mutations sociopolitiques


survenues récemment.
Dans cette zone, le champ des usages institutionnels et administratifs du fran-
çais a tendance à se rétrécir, suite à des choix d’une politique linguistique
ayant opté, à des degrés variés, pour l’arabisation des sociétés et des systèmes
éducatifs.
Ainsi, l’évolution du statut du français se dessine à partir :
– des régulations engagées dans les politiques linguistiques (des fonctions ins-
titutionnelles qui étaient l’apanage du français sont léguées progressivement
à l’arabe) ;
– des besoins professionnels et technologiques, ne pouvant être satisfaits que
par le biais du français ou l’anglais qui entre en concurrence ;
– mais aussi des exigences, parfois aveugles, à une demande idéologique en
faveur du rejet des langues étrangères (en particulier le français, pour des rai-
sons historiques mais surtout liées à son caractère jugé subversif et menaçant
de la langue/culture nationales).
De ce point de vue, les projets et actions linguistiques liés au français
ont varié selon ses fonctionnalités politiques  : il était tantôt marginalisé,
entrainant une valorisation concomitante de l’arabe, afin de satisfaire aux
avancées nationalistes ; et tantôt, il était valorisé pour réduire les effets
négatifs d’un extrémisme religieux ou pour développer des valeurs proches
de la laïcité dont on pensait qu’elles pouvaient être véhiculées davantage
par une langue occidentale.
Néanmoins, cette évolution se traduit aussi par des liens au sein du système
éducatif qui a un rôle important dans cette dynamique du statut ; ce sont donc
les usages scolaires et universitaires autant que les usages sociaux qui influent
sur ces contacts du français et de l’arabe.
Le bilinguisme social a plutôt une orientation essentiellement professionnelle,
surtout dans les domaines scientifiques et techniques. L’acheminement vers une
complémentarité et un partage sous-jacent des rôles de l’arabe et du français
constitue actuellement un trait distinctif du bilinguisme maghrébin : les usages
socioculturels du français s’estompent, sa présence dans les sphères profes-
sionnelles se spécialise et sa « véhicularité » dans l’enseignement concerne les
disciplines scientifiques et techniques.

87
Didactique et appropriation 

4. L’éclairage psycholinguistique

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Un autre éclairage complémentaire, mais d’ordre psycholinguistique, concerne
l’analyse des données les plus significatives relatives aux représentations des
langues surtout chez les enseignants et les élèves  : l’utilité du français, son
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prestige, la perception de ses liens avec l’arabe et l’anglais (rapports de com-


plémentarité ou de conflit), sa valorisation ou dévalorisation… cette analyse
est d’autant plus opportune qu’elle doit intervenir après ce qui a été appelé
« les printemps arabes » qui ont créé un nouvel état de repli, de pseudo
querelles théologiques et de clivages entre islamisme et laïcité, autant de
facteurs pouvant avoir un impact sur la place du français et sur l’opportu-
nité d’un aménagement didactique soucieux des susceptibilités idéologiques.
Dès lors, il s’agit de répondre aux détracteurs de cette diversité linguistique
par un argumentaire adapté à la nouvelle situation. De ce point de vue,
nous estimons qu’une vraie didactique du bilinguisme (dont la didactique
convergente est une illustration) est bien appropriée à ce nouveau contexte
particulièrement sensible.

5. Le cas de l’Afrique subsaharienne


En Afrique subsaharienne, caractérisée par un net multilinguisme social, le
français, jusqu’à ces dernières années, a eu le monopole de la scolarisation
dans les systèmes éducatifs, même s’il y est en contact avec une pluralité des
langues : des langues premières différentes dans la même classe. Cette situa-
tion a favorisé l’émergence d’une élite linguistique au détriment d’une pléthore
d’élèves ayant un déficit en français et par là même des résultats peu perfor-
mants dans disciplines non linguistiques. Des efforts doivent être renforcés
pour concevoir des démarches didactiques adaptées à l’évolution de ce statut
réel du français (des contenus, des supports plus conformes à une langue de
scolarisation et développant davantage les compétences de lecture-écriture et
non uniquement des savoirs grammaticaux ou métalinguistiques).
De même, le paysage linguistique scolaire connait progressivement un chan-
gement dans certains pays dont les plans stratégiques pour l’éducation (PSE)
préconisent l’intégration à l’école d’un nombre défini de langues nationales ;
cette cohabitation linguistique est variable d’un pays à un autre  : le français
côtoie la langue nationale comme langue enseignée, ou comme langue d’ensei-
gnement, à différents niveaux du cursus et pour les premiers apprentissages. Il
intervient à un niveau scolaire donné comme langue enseignée (en première
ou deuxième années), puis devient plus tard une langue unique de scolarisation
(le bilinguisme transitionnel).
Or, des situations sociolinguistiques et socioscolaires émergentes au Maghreb
et en Afrique subsaharienne interpellent une gestion didactique appropriée

88
L’évolution des contacts du français avec les langues en présence

du bilinguisme, selon des approches diversifiées et contextualisées, mais qui

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prennent toutes en compte un processus commun  : le transfert d’une langue
première à une langue seconde ou étrangère.
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6. Des implications didactiques :


l’exemple de la didactique convergente
Des recherches actuelles (notamment en didactique convergente) ont alimenté à
la fois le champ de cette problématique et des pratiques correspondantes, selon
lesquelles l’enseignement/apprentissage du français en tant que L2 devrait prendre
en compte le système linguistique, la culture et l’enseignement/apprentissage
propres à L1, et réciproquement. Certes, chaque langue a son système linguis-
tique spécifique, sa propre culture et ses traditions didactiques et pédagogiques
(selon des niveaux de proximité ou de xénité variables au Maghreb et en Afrique
subsaharienne), mais, du côté de l’apprenant bilingue, les connaissances et les
pratiques grammaticales, discursives et culturelles déjà intériorisées (son réper-
toire en L1) peuvent orienter la conception du curriculum et éclairer les pratiques
pédagogiques en français. Ainsi, les contacts des langues au sein de l’école
rendent nécessaire un renouvellement méthodologique à travers une mise en
cohérence méthodologique des didactiques en contact.
Cette approche convergente peut être traitée au niveau linguistique à travers
une comparaison ciblée des systèmes linguistiques, pour mieux expliquer les
erreurs et y remédier ; dans cette perspective, la didactique convergente tente de
revisiter la linguistique contrastive. En Afrique subsaharienne, cette orientation
didactique prend appui sur des descriptions bilingues du français et de huit lan-
gues nationales et sur la comparaison de leurs structures (voir les bi-grammaires
produites par l’OIF, et qui toutefois doivent faire l’objet d’une didactisation).
Selon les systèmes éducatifs, cette approche peut être étendue à d’autres niveaux
d’intervention :
– un minimum d’harmonisation des contenus langagiers et culturels du français et
de L1, de leur progression d’apprentissage et de leurs démarches pédagogiques ;
ce travail renforce une articulation nécessaire des compétences en L1 et L2 ; il
peut reposer sur des éléments d’un profil de sortie commun à faire acquérir au
terme de la formation : un profil communicatif, discursif et interculturel et d’un
profil langagier spécifique à chaque langue en fonction de la différence de statut ;
– la préparation de séquences didactiques par l’enseignant, appelé à tenir compte
du système linguistique de L1 et, si possible, de son enseignement/apprentissage ;
– l’évaluation formative axée davantage sur des activités de remédiation asso-
ciées aux difficultés constatées en L1 et L2.

89
Didactique et appropriation 

7. Le transfert linguistique

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Dans la lignée de cette approche psycholinguistique, des recherches et des
expérimentations de terrain ont permis d’approcher le phénomène du transfert
linguistique lors du passage de la langue première à la langue seconde, et de
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réfléchir sur le processus à mettre en œuvre pour faciliter un transfert positif


des acquis langagiers et culturels, et agir sur les transferts négatifs, surtout si
les systèmes linguistiques sont très éloignés.
Comment développer une compétence plurilingue et interculturelle en tenant
compte d’un répertoire langagier, et comment articuler les compétences des
langues à partir d’éléments communs ?

8. L’exemple de la lecture-écriture
Par exemple, pour développer la compétence de lecture-écriture en français
langue seconde, il est opportun de tenir compte des convergences (aspects
communs en L1 et en français et déjà acquis au moment de l’accès au français)
et des spécificités propres à chaque idiome.
En abordant l’apprentissage de la lecture en FLS, l’élève a déjà pratiqué la lec-
ture et l’écriture en L1. Il ne va pas apprendre à lire de nouveau. J. Duverger
(2004) estime qu’on n’apprend à lire et écrire qu’une seule fois, même si on
apprend d’autres langues ultérieurement ; Rosekrans (2010) va dans le même
sens, en affirmant que « les habiletés développées durant l’apprentissage de
la lecture et de l’écriture, telles que le décodage et les connaissances phono-
logiques, peuvent être transférées à une seconde langue ».
Néanmoins, l’apprenant découvre :
– un autre système phonologique et graphique : la relation son/graphie en arabe
s’organise selon un système d’écriture différent ;
– une nouvelle relation phonie/graphie ;
– des connotations et des présupposés culturels différents.
Aussi, un élève ayant une variété dialectale et l’arabe standard de l’école, et
avant d’accéder au français, aura-t-il appris à manipuler :
– le principe alphabétique (association graphème/phonème) ;
– des écrits porteurs de sens ;
– l’écriture de haut en bas ;
– des conventions élémentaires d’un texte (un poème, une affiche, …) ;
– les mécanismes de base de la compréhension ;

90
L’évolution des contacts du français avec les langues en présence

– des catégories grammaticales communes aux deux langues et éventuellement

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le métalangage correspondant.
Il convient aussi de mentionner un autre niveau de convergence, celui des stra-
tégies de lecture, susceptibles de développer des capacités méthodologiques et
procédurales d’accès à l’écrit. La stratégie est une activité mentale (un ensemble
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de mécanismes) que le lecteur déploie consciemment ou inconsciemment, lui


permettant d’activer ses connaissances contextuelles, d’utiliser sa connaissance
du type de texte pour le comprendre et l’interpréter aisément.
En accédant à l’apprentissage du FLS/FLE, l’élève aura acquis en L1 des rudi-
ments de ces stratégies (un répertoire), objet de transfert. Citons des exemples
de stratégies communes en L1/L2 :
– faire une déduction (on parle d’inférence) ou anticiper en lecture ;
– mettre en relation des idées ;
– effectuer des retours en arrière pour se rappeler des informations ;
– balayer le texte du regard avant la lecture ;
– ralentir la vitesse de lecture pour s’imprégner d’un objet lu…
L’enseignant de français prendra appui sur ces stratégies, même élémentaires,
disponibles en L1 pour développer en langue seconde ces capacités transversales.
Cependant, il n’y pas que des ressemblances linguistiques, le français présente
aussi des aspects particuliers, si bien que l’élève est exposé à des formes nou-
velles ou irrégulières : 
– des sons qui n’existent pas en L1 (« u » en arabe et en Zarma, « ch » en wolof) ;
– une graphie totalement différente en arabe ;
– une non-conformité graphie-son ; 
– des conventions typographiques spécifiques à des genres de texte (l’écriture
d’une lettre, par exemple) ;
– une prosodie propre au français ;
– des connotations ;
– parfois des structures discursives nuancées (dans certains cas de l’argumen-
tation)…

9. D’une langue d’enseignement à une autre


De même, la didactique convergente devrait prendre en compte la répartition
des fonctions d’enseignement entre les deux langues. Si le français et la langue
première sont des langues d’enseignement, successivement ou simultanément,

91
Didactique et appropriation 

il est important de réfléchir aux modalités les plus appropriées pour favoriser

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cette transition  (par la traduction du lexique scientifique, la comparaison des
structures linguistiques fonctionnelles, par exemple).
Au Maghreb, c’est l’arabe qui est la langue d’enseignement au primaire, au
collège (en Tunisie) et au lycée (en Algérie et au Maroc), alors qu’au lycée
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(en Tunisie) et à l’université, c’est le français qui se substitue à la langue


nationale, comme véhicule des apprentissages scientifiques et technologiques.
Les évaluations ont montré que cette transition linguistique, non suffisamment
préparée, constitue un facteur d’échec pour un nombre important d’élèves
ayant un déficit en français.

10. Un dispositif d’accompagnement


Un autre volet indispensable à la mise en place d’une telle didactique est
l’accompagnement par la formation. Celle-ci peut concerner la consolidation
des capacités des élaborateurs des curriculums et des formateurs de formateurs
dans une prise en compte, par le biais de cette méthodologie convergente,
des statuts sociolinguistique et scolaire du français et des autres langues en
présence, moyennant une contextualisation de cette approche.
La seconde démarche va dans le sens de la préparation d’outils de formation
appropriés, à mettre à la disposition des formateurs et des enseignants et ser-
vant à promouvoir cette didactique du bi- plurilinguisme. L’OIF, à travers son
programme « le français et les langues partenaires » s’est déjà engagée dans
cette voie par la production des guides du formateur en didactique convergente/
adaptée en français/arabe, et en français/créole, des bi-grammaires du français
et de dix langues nationales africaines et récemment pour le projet ELAN, des
guides d’orientation en lecture-écriture bilingue, ainsi que des livrets pour les
élèves.

11. Conclusion
Par rapport aux valeurs visées par un bilinguisme scolaire équilibré, il
convient de préciser que ce type de didactique est susceptible de répondre à
une motivation éthique, surtout dans des situations évoquées plus haut, où la
langue seconde, en l’occurrence le français, bute sur des réticences identitaires
plus ou moins injustifiées vis-à-vis de son apprentissage. Aussi, en préconi-
sant ce type d’approche, ne contribue-t-on pas à faire passer l’apprenant et
l’enseignant d’un bilinguisme conflictuel et tendu à un bilinguisme, complé-
mentaire, fonctionnel, mais à caractère humaniste. Favoriser une convergence
didactique aiderait ainsi à créer des liens dépassionnés entre les langues, en
particulier dans des contextes de contacts problématiques entre une langue de

92
L’évolution des contacts du français avec les langues en présence

l’ex-colonisateur et une langue nationale. De même, une collaboration entre

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les enseignants de français et d’arabe ou d’autres langues nationales, suscitée
par la logique de cette approche, placerait les enseignants et les élèves dans
un rapport non conflictuel entre ces langues.
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Références
Blanchet, Ph., Rispail, M., « Principes transversaux pour une sociodidactique
dite  “de terrain” », in Blanchet Ph.et Chardenet P.  (dir.), Guide pour la
recherche en didactique des langues et des cultures. Approches contextua-
lisées, Paris, Éditions des archives contemporaines, AUF, 2011.
Duveger, J., « Lire, écrire, apprendre en deux langues », in Les Actes de Lec-
ture, no 85, mars 2004.
Maurer  B., De la pédagogie convergente à la didactique intégrée langues
africaines/langue française, Paris, L’Harmattan-OIF, 2007.
Miled M., « La didactique intégrée de l’arabe et du français », in Le Français
dans le monde ; Recherches et applications, janvier 2005.
Miled, M., « Identité linguistique et didactique convergente dans un contexte
bilingue : l’exemple du français et de l’arabe », in Martinez P., Moore D. et
Spaëth  V., in Plurilinguismes et enseignement, Paris, Riveneuve Éditions,
2008.
Moore, D., Plurilinguisme et école, Paris, Hatier, 2006.
Rosekrans, K., « Voies nouvelles vers l’écrit : former des enseignants pour un
programme de lecture au Ghana », in Professionnaliser les enseignants de
classes multilingues en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2010.
Conseil de l’Europe, Guide pour le développement et la mise en œuvre de
curriculums pour une éducation plurilingue et interculturelle, Strasbourg,
Division des politiques linguistiques, 2010.

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LA DIFFICILE APPROPRIATION DE LA LANGUE


FRANÇAISE PAR LES FRANCOPHONES :
UN POINT DE VUE DIDACTIQUE

Suzanne- Geneviève CHARTRAND

1. Des représentations handicapantes…


Pour permettre aux francophones de s’approprier leur langue, il faut changer les
représentations qu’ils s’en font, spécialement celles des élèves et des maitres.
En effet, ces représentations renvoient à une conception sclérosante de la langue,
ce qui handicape lourdement les usagers. Parmi ces idées, relevons celles qui
veulent que le français soit une langue immuable, à la logique rigoureuse et
intrinsèquement supérieure ; une langue certes fort belle, mais se distinguant
par sa difficulté et ses complications, bourrée d’exceptions qu’elle est ; ce serait
donc une langue sur laquelle l’usager a peu de prise.
Le français apparait comme une langue qui ne peut être maitrisée : son usager est
donc condamné à commettre des « fautes » (Yaguello, 1998, Chartrand, 2005).
Un autre obstacle vient du fait que, dans ces représentations, la langue se réduit
fréquemment à ses conventions orthographiques : « être bon en français », c’est
au premier chef ne pas faire de « fautes » d’orthographe ; un « bon texte » est
un texte sans erreurs d’orthographe…
Et c’est sans doute sur cette orthographe que se cristallise le plus nettement la
représentation du français comme langue difficile : l’orthographe française est
compliquée et c’est précisément ce qui lui confèrerait sa haute valeur culturelle,
selon les élites francophones. Avec temps et efforts, on peut certes arriver à

95
Didactique et appropriation 

la maitriser, et cette maitrise est d’ailleurs, selon Chervel (1977), la finalité

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première de l’enseignement du français depuis 150 ans. Il est bien vrai qu’en
classe, l’orthographe règne encore en maitre ! (Chartrand et Lord, 2013)
Mais loin d’atteindre ses objectifs, l’enseignement de l’orthographe est chro-
nophage et nuit à l’enseignement de l’écrit (recherche ÉLEF, voir textes sur le
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Portail pour l’enseignement du français, en ligne). Loin d’atteindre ses objectifs,


disons-nous, car l’enseignement de l’orthographe reste spectaculairement inef-
ficace : il est établi que les francophones maitrisent très mal l’écriture de leur
langue (Maurais, 2003). Or, la non-maitrise de l’orthographe demeure un puis-
sant facteur de discrimination sociale sur le marché linguistique (CSÉ, 2013).
L’expression prise par ce sentiment d’impuissance a récemment reçu le renfort
des pratiques scripturales en lien avec les nouvelles technologies : tout le monde
fait des erreurs, donc il est inutile de tenter de maitriser l’orthographe, car de
toute façon, les correcteurs informatiques vont corriger nos textes…
Tous ces échecs montrent qu’aucune solution ne pourra être trouvée en dehors
d’une simplification de l’orthographe.

2. Conséquences de ces représentations


Les conséquences de ces représentations culturellement partagées de la langue
française sont nombreuses. Elles sont de nature tantôt psychologique, tantôt
sociale, tantôt politique : aliénation, gêne, mépris de soi, honte, peur ou refus
d’écrire ; stigmatisation et exclusion sociales.
Des corolaires de ces conséquences sont la baisse du niveau de littéracie et,
dans certaines situations, le choix de passer à l’anglais, langue réputée telle-
ment plus facile !

3. Réorienter l’enseignement dans la classe de français


Les disciplines à la base de l’enseignement du français, plus particulièrement
la sous-discipline que constitue la grammaire, accréditent, entretiennent et ren-
forcent ces représentations sclérosantes.
Pour changer ces dernières, il importe donc de transformer profondément l’en-
seignement grammatical. Autrement dit, il faut tout revoir  : les finalités, les
démarches d’enseignement, les contenus à enseigner et les outils d’analyse de la
langue (et non la seule la métalangue), et le moment propice à l’enseignement
de tel ou tel contenu (on commence trop tôt et termine trop tôt l’enseignement
de la grammaire). C’est à ce travail que se consacre une équipe d’une trentaine
de didacticiens du français de la francophonie dont l’aboutissement prendra la
forme d’un ouvrage qui sera publié en 2016 (Chartrand, dir. 2016).

96
La difficile appropriation de la langue française par les francophones

3.1. Les finalités

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Deux objectifs interreliés : soutenir le développement des compétences langa-
gières écrites et doter les élèves d’une représentation opératoire de la langue
comme système (Chartrand, 2013a). Pour cela, il convient d’articuler l’ensei-
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gnement grammatical aux pratiques discursives (Chartrand, 2005 ; Dumortier,


1998, 2012 ; Legrand, 2001).

3.2. Les démarches d’enseignement


Les pistes prometteuses sont nombreuses : partir des textes et y revenir ; amener
les élèves à s’interroger sur les phénomènes grammaticaux et leurs effets sur
le destinataire ; explorer les phénomènes grammaticaux de façon à en dégager
une compréhension, même minimale ; faire réfléchir les élèves sur la langue
et leur faire verbaliser leurs observations et raisonnements grammaticaux ; et,
surtout, recourir à des exercices d’automatisation après l’étude du phénomène,
plutôt qu’avant ou au lieu de son enseignement.

3.3. Les contenus à enseigner


Des choix s’imposent, afin de dégager du temps pour les pratiques discursives
(lire, écrire, parler), de diminuer les contenus à enseigner, d’en finir avec le
rabâchage (car manuels et leçons traitent inlassablement les mêmes contenus
durant six années ; Élalouf, 1998) et d’adapter les démarches et les objectifs
aux capacités des élèves.
Pour cela, il faudra ne travailler explicitement que sur les concepts-clés du
système de la langue, afin d’amener les élèves à se les approprier et à les
maitriser. Plus précisément, il s’imposera de faire des liens entre les dif-
férents sous-systèmes de la langue vus sous l’angle de leurs régularités (et
donc en finir avec la quadripartition traditionnelle orthographe-grammaire-
conjugaison-vocabulaire).

3.4. Les outils d’analyse de la langue


Il convient enfin d’enseigner pourquoi et comment utiliser les outils d’analyse,
dont un modèle de la phrase et des manipulations syntaxiques (Chartrand, 2013b).
Tout cela doit se présenter dans un certain ordre  : il s’agira d’établir une pro-
gression spiralaire pour l’enseignement explicite et systématique de la grammaire
de la fin du primaire jusqu’à la fin du secondaire supérieur (élèves de 18 ans).
Autrement dit, on suivra une progression en x spirales, correspondant chacune à
un degré scolaire, où les contenus d’apprentissage, les dispositifs d’enseignement

97
Didactique et appropriation 

et d’apprentissage (démarches, outils), les supports (genres de discours), chaque

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fois précisément délimités, diffèrent et se complexifient par approfondissements,
visant une maitrise assurée à un moment déterminé (Chartrand, 2009).
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4. Conclusion : agir
Tout ceci ne se produira pas sans d’énergiques interventions dans les politiques
pédagogiques et linguistiques, car le problème est d’abord politique. On pointera
au moins quatre pistes d’action :

4.1. Exiger un changement dans le curriculum


de l’école obligatoire, pour faire du développement
des compétences langagières une priorité
de l’école. Cet objectif sera notamment atteint
à travers trois types de réforme
– stopper la diminution des heures consacrées au français, de façon à disposer
du temps nécessaire pour faire comprendre l’essentiel du système ;
– commencer plus tard les apprentissages formels sur la langue, mais en contrepartie
les poursuivre plus longtemps, en fonction des capacités langagières des élèves ;
– établir des ponts entre le français et les autres langues enseignées.

4.2. Exiger une amélioration substantielle de la formation


initiale et continue des maitres. Ceux-ci devraient recevoir
– une formation plus solide sur la langue, partant des connaissances et des
compétences des étudiants actuels ;
– une formation sur l’histoire des idées linguistiques, de la grammaire, dont
celle de la grammaire scolaire pour déconstruire bon nombre de ces repré-
sentations fausses.

4.3. Développer un discours critique fort


sur ces représentations de la langue des francophones,
ce qui permettra de les mettre à distance au lieu
de les renforcer (en prenant exemple sur l’excellent
ouvrage collectif : Tu parles!?, 2001)

4.4. Et, bien sûr, simplifier l’orthographe !


(voir Legros et Moreau, 2012)
98
La difficile appropriation de la langue française par les francophones

Références

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Chartrand, S.-G., « L’apport de la didactique du français langue première au
développement des capacités d’écriture des élèves et des étudiants », in
Lafont-Terranova J. et Colin D. (éd.), Didactique de l’écrit. La construction
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des savoirs et le sujet écrivant (pp.  11-31), Namur, Presses universitaires


de Namur, 2005.
Chartrand, S.-G., « Proposition didactique d’une progression. Des objets à
enseigner en français langue première au secondaire québécois », in Dolz
J. & Simard Cl. (dir.), Pratiques d’enseignement grammatical (pp. 257-288),
Québec, Presses de l’Université Laval, 2009.
Chartrand, S.- G., « Quelles finalités pour l’enseignement grammatical à
l’école ? Une analyse des points de vue des didacticiens du français depuis
25 ans », in Formation et profession, vol. 30, no 3 ; en ligne : http://formation-
profession.org/, 2013a.
Chartrand, S.-G., Les manipulations syntaxiques : de précieux outils pour étu-
dier la langue et corriger ses textes, Montréal, CCDMD, 2013b, 2e édition.
Chartrand, S.-G. et Lord, M.-A., « L’enseignement du français a peu changé
depuis 25 ans », in Québec français, no 168, 86-89, 2013.
Chartrand, S.-G. (dir.), Pistes didactiques et activités, Montréal, ERPI, 2016.
Chervel, A., Histoire de la grammaire scolaire… et il fallut apprendre à écrire
à tous les petits Français, Paris, Payot, 1977.
Cerquiglini, B., Corbeil, J.-C., Klinkenberg, J.-M., Peeters, B. et al., Tu parles !?
Le français dans tous ses états, Paris, Flammarion, 2000.
CSÉ-Conseil supérieur de l’éducation, Un engagement collectif pour maintenir
et rehausser les compétences en littératie des adultes, Québec, 2013.
Dumortier, J.-L., « Pour une grammaire du troisième type », in Enjeux, no 41-42,
1998.
Dumortier, J.-L., « Mettre les savoirs relatifs à la langue et à ses usages au
service des pratiques de communication », in Enjeux, no 83, 2012.
Élalouf, M.-L., « Une réflexion sur la langue au service de la maitrise des
discours » in M.-L. Élalouf (coord.), Pour enseigner le français, pp. 29-46,
Paris : Delagrave, 1998.
Legrand, G., « L’articulation grammaire/activité rédactionnelle dans les textes
officiels pour le primaire depuis deux siècles », in L. Collès, J.-L. Dufays,
G. Fabry et C. Maeder (dir), Didactique des langues romanes, pp. 99-104,
Bruxelles : De Boeck/Duculot, 2001.
Legros, G. et Moreau, M.-L., Orthographe : qui a peur de la réforme ?, Bruxelles,
Fédération Wallonie-Bruxelles, Service de la langue française, 2012.

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Didactique et appropriation 

Maurais, J., Analyse linguistique de 4 000 courriels, Québec, Conseil supérieur

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de la langue française (CSLF), 2003.
Portail enseignement du français  : http://www.enseignementdufrancais.fse.
ulaval.ca
Yaguello, Marina, Catalogue des idées reçues sur la langue, Paris, Seuil, 1988.
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UN MEILLEUR ENSEIGNEMENT LEXICAL


POUR UNE PLUS GRANDE APPROPRIATION
DE LA LANGUE

Dominic ANCTIL

1. Introduction
Un colloque traitant de l’appropriation de la langue ne peut faire l’économie
d’une réflexion sur un élément central de la maitrise linguistique : le vocabu-
laire. La maitrise du code écrit, notamment de l’orthographe grammaticale et
lexicale, constitue bien sûr une immense préoccupation des milieux scolaires,
et il y a là un travail énorme à accomplir pour aider les apprenants du fran-
çais, natifs et autres, à l’atteindre. Mais le lexique, grand oublié des classes de
français, joue aussi un rôle crucial dans la connaissance linguistique, puisque
« la langue est un système sémiotique complexe constitué de signes qui sont,
dans leur immense majorité, de nature lexicale » (Polguère, 2008). En effet, un
manque de vocabulaire, lacune qui transparait aussi bien à l’oral qu’à l’écrit, et
dans toutes les situations de la vie courante, a tôt fait de devenir ce handicap
social auquel on faisait référence dans l’appel de communications du colloque
de l’OPALE  2013. Un tel handicap peut avoir des incidences énormes sur la
réussite scolaire autant que sociale et touche en priorité certaines populations,
notamment les enfants issus de milieux défavorisés et les immigrants.
Notre réflexion se centrera ici sur l’enseignement du vocabulaire en milieu
scolaire. Nous dresserons un portrait de l’enseignement du lexique dans les
classes du primaire. Les principaux résultats de notre travail de thèse sur
l’erreur lexicale en production écrite au secondaire seront ensuite présentés
pour offrir un portrait des difficultés lexicales des élèves et mieux cibler leurs

101
Didactique et appropriation 

besoins, comme ceux des enseignants, en cette matière. Nous argumenterons

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ensuite qu’une meilleure maitrise lexicale peut aussi conduire à une meilleure
maitrise du code avant de proposer quelques pistes pour un enseignement
lexical plus efficace.
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2. Le vocabulaire : clé de voute de la réussite scolaire


Il est bien connu qu’il existe de très fortes corrélations entre le vocabulaire
d’un individu et son niveau de compréhension en lecture (Stahl et Nagy, 2006).
D’ailleurs, le vocabulaire d’un élève en début de scolarité constitue un des
meilleurs prédicteurs de son niveau de compréhension en lecture à la fin du
secondaire (Cunningham et Stanovich, 1997), et plus globalement de la réus-
site scolaire (Duncan, Dowsett, Claessens et al., 2007). Comme le rapportent
Beck, McKeown et Kucan (2013), des disparités énormes existent chez les
élèves au niveau lexical dès l’entrée à l’école. Pourtant, les répercussions d’un
manque de vocabulaire se font rarement sentir au cours des premières années
du primaire, lorsque les textes proposés aux élèves présentent principalement
un vocabulaire de base qui favorise le décodage. Par contre, elles apparaissent
clairement dès la 4e année, alors que l’accent est mis sur la compréhension et
que les textes contiennent un vocabulaire moins courant (Cèbe et Goigoux,
2012). On assiste alors, chez les élèves ayant un faible niveau de vocabulaire,
à un effondrement des résultats en lecture. En outre, la relative pauvreté du
vocabulaire chez plusieurs commence à avoir des incidences sur les appren-
tissages dans d’autres matières (Chall, Jacobs et Baldwin, 1990), qui iront en
s’accroissant si rien n’est entrepris pour remédier au problème. L’importance du
travail sur le vocabulaire dès le début du primaire n’est donc plus à démontrer.
À cet effet, Biemiller (2004) mentionne que 90 % des élèves peuvent atteindre
avant la 3e  année (8-9  ans) un niveau de maitrise lexicale satisfaisant s’ils
baignent, dès leurs premières années de scolarisation, dans un environnement
linguistique riche et qu’on leur offre un enseignement direct pour soutenir leur
acquisition du vocabulaire courant. Ceci permettrait de contrer dans une cer-
taine mesure ce que Stanovich (1986) nomme l’« effet Mathieu », qui creuse le
fossé entre les élèves ayant un bon vocabulaire et ceux présentant des lacunes.
Les premiers, parce qu’ils connaissent une très forte proportion du vocabulaire
présent dans les textes qu’ils lisent, les comprennent, et de cette compréhension
découle l’acquisition de mots nouveaux. Les seconds, qui dès le départ com-
prennent mal les textes lus parce qu’ils contiennent une trop forte proportion
de mots qu’ils ignorent, sont doublement perdants, parce qu’ils n’arrivent pas
à acquérir du nouveau vocabulaire de ces lectures.
Malgré cela, il semble que les enseignants travaillent somme toute assez
peu le lexique en classe, ou du moins pas de façon systématique. En Europe

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Un meilleur enseignement lexical pour une plus grande appropriation de la langue

francophone, Reboul-Touré (2002), Vancomelbeke (2004) et Cellier (2008)

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affirment que les enseignants travaillent essentiellement la grammaire, la
lecture et l’écriture, mais qu’ils délaissent le lexique. Il ressort aussi d’une
recherche menée par Dreyfus (2004) que les enseignants du primaire en France
disent accorder peu de temps à l’enseignement du lexique. Pour le Québec, nous
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disposons de peu d’études à ce propos, mais des chercheurs appellent depuis


longtemps à un enseignement lexical plus soutenu et mieux structuré (Simard,
1994 ; Préfontaine, 1998).

3. La place du lexique en classe de français


La didactique du lexique a connu un essor important au cours des quinze der-
nières années. Les travaux se sont multipliés, et il semble y avoir aujourd’hui
un certain consensus chez les chercheurs pour un enseignement lexical qui
laisserait à la fois la place à un apprentissage « incident » du vocabulaire,
c’est-à-dire un accroissement du stock lexical des élèves à travers des tâches
de lecture et d’écriture, et un enseignement « explicite » reposant sur une pro-
gression structurée des notions de base nécessaires à la compréhension du
système lexical de la langue (Grossmann, 2011). L’enseignement direct d’une
portion du vocabulaire est aussi considéré comme une composante essentielle
d’un enseignement lexical efficace (Stahl et Nagy, 2006 ; Beck et coll., 2013).
Au Québec, les prescriptions ministérielles semblent traduire dans une certaine
mesure cet intérêt pour le lexique, puisqu’on y a vu apparaitre davantage de
contenus lexicaux50, ce qui semble être aussi le cas en France, où l’on propose
un programme encore plus étoffé en termes de lexique (Tremblay, 2009).
Pourtant, la place réelle de l’enseignement du lexique en classe de français
ne semble pas beaucoup plus importante qu’elle ne l’était alors que Bastuji
(1978) et Simard (1994) considéraient le vocabulaire comme le parent pauvre
de l’enseignement du français. Les enseignants admettent ne consacrer que
peu de temps à l’enseignement du lexique (Dreyfus, 2004 ; Cellier, 2008 ;
Anctil, 2011), et celui-ci fait rarement l’objet d’un enseignement systématique et
organisé. Le vocabulaire est généralement abordé en classe de façon incidente
(Vancomelbeke, 2004), c’est-à-dire lorsqu’un besoin lexical se fait sentir lors
de la réalisation d’une autre tâche, ce qui donne souvent lieu à des discussions
spontanées menées à l’oral et laissant peu de traces qui permettraient d’assurer
un suivi pour la rétention des mots abordés. Le travail sur le vocabulaire est
presque toujours subordonné à d’autres apprentissages (Reboul-Touré, 2002 ;
Dreyfus, 2004), principalement en lecture ; Boch (2004) déplore d’ailleurs
un manque de synergie entre apprentissage du lexique et production d’écrits.

50. Voir par exemple la Progression des apprentissages, français langue d’enseignement du
ministère de l’Éducation (MELS, 2009).

103
Didactique et appropriation 

Lorsque l’on travaille plus spécifiquement le vocabulaire, cela demeure souvent

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dans une perspective orthographique, et en s’appuyant largement sur l’utilisation
de listes de mots décontextualisées. En ce qui concerne un volet « explicite »
de l’enseignement du lexique visant la compréhension des notions de base de
l’étude du lexique, comme le suggèrent par exemple Picoche (1992), Tremblay
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(2003, 2009), Vancomelbeke (2004), Polguère (2004 ; 2008) et Cellier (2008),


il semble qu’il soit presque complètement absent des salles de classe. Bien sûr,
quelques notions comme la polysémie et la synonymie sont abordées, mais de
façon morcelée et peu productive (Calaque, 2004), sans permettre une meil-
leure compréhension du système lexical de la langue. La formation même des
maitres en matière de lexicologie, du moins au Québec, les laisse bien peu
outillés pour enseigner le lexique (Tremblay, 2009) et peu « entrainés à décrire
les phénomènes lexicaux et à les comprendre » (Polguère, 2008).
Une représentation tenace des enseignants n’est sans doute pas étrangère au
peu d’évolution dans les méthodes d’enseignement du vocabulaire51 : celle selon
laquelle le vocabulaire s’apprend tout seul, par simple imprégnation. L’appren-
tissage accidentel, surtout par la lecture, est bien sûr une source indéniable
d’acquisition de vocabulaire (Nagy, Anderson et Herman, 1987 ; Swanborn
et de Glopper, 1999) ; dès l’âge 8 ou 9  ans, il devient d’ailleurs la principale
source d’accroissement du stock lexical (Paribakht et Wesche, 1996). Il s’agit
cependant d’un processus lent, cumulatif et peu efficace. Lent et cumulatif
parce qu’une seule rencontre avec un mot n’est bien sûr pas suffisante pour le
faire entrer dans son vocabulaire, et que les occasions de revoir un mot inconnu
plusieurs fois en une courte période reposent sur le hasard des lectures ; peu
efficace, parce que les études démontrent que seule une faible proportion des
mots nouveaux rencontrés, environ 15 % selon Swanborn et de Glopper (1999),
retiendront l’attention du lecteur et seront « appris » dans une certaine mesure.
L’enseignement direct du vocabulaire demeure donc nécessaire pour encadrer
les apprentissages lexicaux des élèves, particulièrement au primaire, et ainsi
s’assurer qu’ils possèdent le vocabulaire de base nécessaire à la compréhension
en lecture (Biemiller, 2004 ; Stahl et Nagy, 2006 ; Beck et coll., 2013).
Enseigner davantage le vocabulaire de façon directe pose bien sûr la question
du choix des mots à enseigner. Les enseignants s’avouent en effet dépourvus
pour effectuer une sélection de mots à enseigner en priorité et établir une
progression pour en organiser l’enseignement ; les listes qu’on leur propose

51. On parle plus volontiers aujourd’hui d’enseignement du lexique, pour rendre compte du
fait que cet enseignement va au-delà de la simple acquisition de mots nouveaux, mais
s’intéresse aussi à une meilleure compréhension du système lexical de la langue et de
son fonctionnement. Si nous utilisons ici « enseignement du vocabulaire », c’est que ce
que nous observons dans les classes reste résolument une approche quantitative visant
l’accroissement du stock lexical des élèves.

104
Un meilleur enseignement lexical pour une plus grande appropriation de la langue

ont par ailleurs souvent été développées dans une perspective orthographique

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et ne correspondent bien sûr pas à l’acquisition naturelle du vocabulaire d’une
langue. Grossmann  (2011) mentionne d’ailleurs à cet effet que la didactique
du lexique gagnerait à travailler à la construction de répertoires – un peu dans
l’esprit du « français fondamental » de Gougenheim (1964)  – qui pourraient
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servir de référence aux enseignants pour l’enseignement du lexique.


Au-delà du choix des mots à enseigner, soulignons aussi le manque de res-
sources didactiques pour soutenir l’enseignement lexical. Les manuels de fran-
çais accordent peu de place à l’enseignement du lexique. Dans une recherche
en cours portant sur l’analyse de trois collections utilisées fréquemment dans
les classes de primaire au Québec, nous constatons que le lexique y est abordé
de façon très morcelée, que les notions abordées sont présentées de façon sim-
pliste (voire erronée) et que très peu de liens sont tissés entre le vocabulaire
et la lecture ou l’écriture. Il ne semble pas exister du côté francophone de réel
programme d’enseignement du vocabulaire en lien avec le développement de
la littéracie, comme on peut trouver du côté anglophone52. Voilà sans doute un
autre travail prioritaire pour les didacticiens du lexique.

4. L’erreur lexicale en production écrite au secondaire


La présente section rapporte une partie des résultats de notre travail de thèse
de doctorat (Anctil, 2011), qui portait sur l’erreur lexicale en production écrite
chez les élèves québécois du secondaire. Le premier volet de l’étude consis-
tait à fournir un portrait des emplois lexicaux problématiques des élèves par
l’analyse d’un corpus de 300 rédactions d’élèves de 3e secondaire (14-15 ans)
réalisées en classe dans le cadre d’une évaluation sommative, et pour laquelle
le recours au dictionnaire et à la grammaire était permis. Il est à souligner
que toutes les rédactions ont été écrites en français par des élèves parlant le
français à la maison et ayant toujours été scolarisés en français ; il s’agit donc
d’une description des erreurs de vocabulaire en contexte de L1.
Le second volet reposait sur une série d’entrevues avec des enseignants de
français du secondaire et visait à décrire leur façon de traiter l’erreur lexicale
dans la correction des productions écrites, mais aussi plus largement à mettre
au jour leurs pratiques et leurs représentations en lien avec l’enseignement du
lexique.
Il nous semblait pertinent de nous intéresser à l’erreur lexicale en production
écrite au secondaire pour différentes raisons. Tout d’abord, si le lexique est peu
enseigné au primaire, il semble l’être encore moins au secondaire ; le seul lieu
d’évaluation du vocabulaire devient alors la production écrite. Cette évaluation

52. Voir notamment Beck et coll. (2013).

105
Didactique et appropriation 

y est par contre toujours faite de façon qualitative et sur la base de critères

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plutôt subjectifs comme la richesse, la variété et « le caractère évocateur » du
vocabulaire utilisé. Travailler sur l’erreur lexicale nous évitait non seulement la
difficile tâche d’opérationnalisation de ces critères, mais nous permettait aussi
de jeter un regard un peu moins holistique sur la dimension lexicale des textes
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des élèves en focalisant notre attention sur un aspect  : les emplois lexicaux
problématiques. Soulignons par ailleurs que le concept même d’erreur lexicale
est rarement défini dans les travaux s’y intéressant (Agustín Llach, 2005), et que
les quelques définitions proposées reposent sur des critères très variés, souvent
propres à l’apprentissage d’une L2 ; la clarification de ce concept constituait donc
un apport théorique intéressant. Mentionnons finalement que peu de travaux se
sont intéressés à l’erreur lexicale dans un contexte de L1 et que de dresser un
portrait des difficultés lexicales des élèves visait aussi à fournir certaines pistes
à la didactique du lexique pour penser un enseignement lexical plus efficace.

4.1. Caractérisation de la notion d’erreur lexicale


La connaissance d’une unité lexicale comporte plusieurs facettes, au-delà de sa
forme (orale ou écrite) et de son sens (Nation, 2001). Pour maitriser un mot, on
doit en effet savoir à quelle partie du discours il appartient, connaitre son genre
s’il s’agit d’un nom, connaitre les structures syntaxiques dans lesquelles il est
susceptible d’apparaitre, les mots avec lesquels il entre en cooccurrence, savoir
à quel registre de langue il appartient, etc. En nous appuyant sur la Lexicologie
explicative et combinatoire (Mel’čuk, Clas et Polguère, 1995), branche lexico-
logique de la Théorie Sens-Texte (Mel’čuk, 1997), qui propose une description
fine de l’ensemble des propriétés des unités lexicales, nous avons proposé la
définition suivante de l’erreur lexicale : erreur linguistique53 qui concerne une
propriété inhérente à l’unité lexicale, que cette propriété soit d’ordre formel,
sémantique, lexicogrammatical, collocationnel ou pragmatique. Cette concep-
tion large de l’erreur lexicale englobe notamment certaines erreurs généralement
considérées comme grammaticales par les enseignants ; pour nous, toute erreur
dont l’explication implique de faire référence à une caractéristique propre à un
mot est de nature lexicale. En d’autres mots, si l’explication de l’erreur exige
le recours au dictionnaire plutôt qu’à des règles de grammaire générales, c’est
qu’il s’agit d’une erreur lexicale.

53. Erreur linguistique est ici entendue au sens de « forme linguistique ou combinaison de
formes linguistiques qui diffère de ce qu’un locuteur expert aurait selon toute probabilité
produit dans un même contexte de production » (Anctil, 2011:70). Ainsi, notre corpus
d’erreurs contient à la fois des usages qui seraient unanimement considérés comme erronés
(*une avion) ainsi que des maladresses lexicales, moins facilement condamnables, mais
clairement marquées par rapport à l’usage (La publicité ?porte une mauvaise influence sur
la société).

106
Un meilleur enseignement lexical pour une plus grande appropriation de la langue

4.2. Un portrait des erreurs lexicales d’élèves du secondaire

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L’analyse de notre corpus a révélé mille-cent-quarante-quatre (1 144)  pro-
blèmes lexicaux, que nous avons classés à l’aide d’une typologie descriptive
développée à partir de la définition d’erreur lexicale proposée plus haut.
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Cette analyse nous a permis d’observer que les erreurs lexicales les plus
fréquentes sont les problèmes sémantiques, dans une proportion de 30  % ;
la plupart de ces erreurs correspondent à des cas où le mot utilisé présente
un lien de sens avec celui visé (ex. « Il voulut y rentrer, mais il n’y avait pas
*d’issus [accès/ouverture] pour rentrer à l’intérieur. », « Tout d’un coup, les
fous fût *stabilisé [immobilisé] et Bobby traversa la forêt sans danger. »).54
Les problèmes d’ordre formel, particulièrement les barbarismes (ex. *désam-
buler pour déambuler, *incomprenable pour incompréhensible), constituent
la deuxième famille d’erreurs lexicales observée (21 %)55.
Si la moitié des erreurs relevées concernent la forme et le sens des mots,
l’autre moitié des erreurs (49 %) sont en lien avec des propriétés autres, pro-
priétés rarement travaillées en classe. En effet, une erreur sur cinq (21 %) est
en lien avec une propriété morphosyntaxique du mot erroné, principalement
le genre nominal (ex. *une immeuble très luxueuse), l’invariabilité (ex. des
scènes *d’actions) et le régime (ex. « Le jour vint succéder *la nuit. », « Elle
désirait […] *d’aller à Londres. »). Dix-sept pour cent (17 %) des problèmes
découlent de l’inadéquation pragmatique du mot utilisé et du contexte dans
lequel il apparait, essentiellement par l’emploi d’un vocabulaire familier
(ex. « après quelques heures de *poireautage [attente] ; d’autres femmes du
voisinage sont venue *zyeuter [voir] ma collection. »). Un peu plus d’une
erreur sur dix (11 %) a trait à la cooccurrence et consiste la plupart du temps
en une collocation douteuse (ex. « Les publicités *portent [ont] une très
mauvaise influence pour toutes les sociétés. », « … pour voir quel emploi
je pourrais *faire [exercer ; obtenir] »).
Lorsqu’on s’intéresse aux sources possibles des erreurs lexicales observées, l’in-
tégration de l’erreur à l’usage est souvent évoquée ; les élèves commettent donc
très souvent des erreurs lexicales parce qu’ils reproduisent ce qu’ils entendent
dans la langue de tous les jours et font mal la distinction entre la langue
familière et le français standard. La proximité formelle et sémantique entre le
mot erroné et celui visé permettent aussi d’expliquer bon nombre d’erreurs et
agissent très souvent en synergie (ex. « Cette pub vise à nous *insister [inciter]

54. Le mot erroné est précédé d’un astérisque et les corrections proposées figurent entre
crochets. Les erreurs d’orthographe ont été laissées telles qu’elles apparaissaient dans les
copies des élèves.
55. À noter que nous avons exclu du corpus les erreurs purement orthographiques, générale-
ment traitées à part par les enseignants, pour ne conserver que les barbarismes ayant un
impact sur la prononciation du mot.

107
Didactique et appropriation 

à acheter le produit. ») ; c’est aussi souvent sur la base d’une proximité de sens

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ou de forme que les élèves transposent le régime d’un verbe à un autre (ex.
« Il *renonçait [refusait] de garder les bras croisés. »), ou lui accolent un col-
locatif erroné. Évidemment, un certain nombre d’erreurs peuvent simplement
être expliquées par une lacune dans le vocabulaire de l’élève ou une maitrise
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partielle du sens du mot utilisé.


Notre recherche n’a pas permis de mesurer la richesse lexicale des textes ana-
lysés à proprement parler, mais elle démontre tout de même que l’erreur lexi-
cale est bien présente dans les productions des élèves du secondaire, dans une
proportion d’environ une erreur lexicale par cent mots, et qu’elle contribue à
la « pauvreté d’expression » qu’on leur reproche souvent. Elle a aussi permis
de mettre de l’avant la variété des propriétés lexicales, au-delà du sens et de
la forme, qui peuvent être à l’origine d’erreurs, notamment les caractéristiques
morphosyntaxiques des mots, qui conduisent à des erreurs à mi-chemin entre
lexique et grammaire. Notons aussi que la grande majorité des erreurs relevées
auraient pu être évitées en consultant un dictionnaire, outil auquel les élèves
avaient droit lors de la rédaction ; nous pouvons donc supposer qu’ils n’y ont
pas eu recours, ou du moins qu’ils n’ont pas su y trouver les informations
pertinentes. Voyons maintenant ce que des entretiens avec des enseignants de
français du même niveau (3e secondaire) ont révélé quant à leur rapport à ce
type d’erreurs lorsqu’ils corrigent des productions écrites.

4.3. Du côté des enseignants


Comme nous l’avons mentionné plus haut, notre thèse visait dans un second
temps à décrire le rapport des enseignants de français à l’erreur lexicale, et
plus largement à l’enseignement du lexique. Pour ce faire, nous avons mené
une série de huit entretiens semi-dirigés avec des enseignants de français en
3e secondaire, dont certains avaient enseigné aux élèves dont nous avons ana-
lysé les rédactions. Nous disposions d’ailleurs, pour près des trois quarts des
productions du corpus (224/300), de la correction des enseignants, ce qui nous
a permis d’observer quelles erreurs lexicales avaient retenu leur attention.

4.3.1. Une conception étroite de l’erreur lexicale


Les enseignants rencontrés ont une vision très orthographique de la maitrise
de la langue, sans doute à cause de la place prédominante qu’occupe l’ensei-
gnement de la grammaire dans les cours de français. Moins de la moitié ont
pointé spontanément le vocabulaire comme une composante essentielle de la
maitrise de la langue. Nous avons aussi été étonné de constater qu’une majorité
d’enseignants jugent que leurs élèves ont un bon vocabulaire, du moins lorsqu’on
les place en position d’évaluation. Ces représentations expliquent peut-être en

108
Un meilleur enseignement lexical pour une plus grande appropriation de la langue

partie la place périphérique qu’occupe l’enseignement du lexique en classe de

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français.
Lorsqu’on leur demande d’expliquer ce qu’est une erreur de vocabulaire, les
enseignants font spontanément référence à deux types de problèmes : les erreurs
sémantiques et la répétition. Dans des proportions beaucoup plus faibles, ils
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mentionnent aussi l’emploi d’anglicismes, de termes familiers ainsi que le


recours à des périphrases plutôt qu’à des termes précis. Les erreurs lexico-
grammaticales et collocationnelles incluses dans notre propre conception de
l’erreur lexicale n’ont pas été mentionnées par les enseignants. Néanmoins, la
moitié des sujets ont souligné la relation entre certaines erreurs lexicales et des
problèmes syntaxiques, notamment l’emploi des prépositions et les anglicismes ;
ces problèmes à cheval entre lexique et grammaire rendent selon eux difficile
le classement des erreurs, ce que nous constatons d’ailleurs en analysant leur
correction des textes de notre corpus.

4.3.2. Le traitement de l’erreur lexicale par les enseignants


du secondaire
Les huit enseignants rencontrés disent prendre en considération la composante
lexicale lors de la correction des productions écrites et y accorder un certain
poids (souvent minime) dans la note finale, comme le suggèrent les grilles de
correction proposées par le ministère de l’Éducation. Contrairement aux autres
aspects linguistiques considérés dans la correction (orthographe lexicale, syn-
taxe, accords), pour lesquels on comptabilise le nombre d’erreurs commises,
le vocabulaire est généralement évalué par une appréciation qualitative globale
à l’aide d’une échelle descriptive (ex. « L’élève utilise des mots et des expres-
sions généralement précis, corrects et appartenant à un registre standard et
parfois familier = B »). Les critères flous sur lesquels repose cette appréciation
qualitative posent d’ailleurs problème à certains enseignants, qui disent s’être
sentis bien dépourvus pour évaluer le vocabulaire en début de carrière, mais
qui s’en remettent maintenant à leur expérience pour juger du niveau lexical
de chaque élève. D’autres attribuent plutôt une note par défaut pour ce critère
(par exemple B), note qui sera modulée à la hausse s’ils constatent l’emploi de
« beaux mots » et à la baisse dans le cas de nombreuses répétitions.
Cette évaluation globale du vocabulaire a pour conséquence que les erreurs
lexicales des élèves ne sont pas relevées systématiquement lors de la correction.
Une analyse des copies de notre corpus corrigées par les enseignants nous a en
effet permis de constater que bon nombre d’erreurs lexicales ne sont pas poin-
tées sur les rédactions des élèves. Comme dans bien des cas le message reste
compréhensible malgré l’emploi douteux d’un terme, l’enseignant choisit de
laisser passer l’erreur lors de la correction, peut-être en en tenant tout de même
compte dans son évaluation globale du vocabulaire, ou peut-être simplement

109
Didactique et appropriation 

parce qu’il se concentre sur les erreurs d’orthographe et de syntaxe qui, elles,

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doivent être comptabilisées… et sont plus faciles à classer dans les grilles
de correction ! Il est tout de même intéressant de constater que les erreurs
lexicales relevées dans les plus faibles proportions sont les erreurs de sens
(33,7 % d’erreurs relevées ou pénalisées), de collocation (38,2 %) et celles liées
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à l’emploi de termes familiers (32 %) ; or, ces classes d’erreurs sont pourtant
très fréquentes dans le corpus et les deux premières sont les plus susceptibles
d’entraver la compréhension du lecteur. Devant une absence d’indications en
lien avec ces erreurs, les élèves ne disposent d’aucune piste pour améliorer la
dimension lexicale de leurs écrits, et plus largement leur vocabulaire.
Les classes d’erreurs lexicales sur lesquelles semblent se concentrer les ensei-
gnants sont les erreurs formelles (76,2 % d’erreurs relevées ou pénalisées) et celles
liées aux propriétés morphosyntaxiques des mots (57,3 % d’erreurs relevées ou
pénalisées). Cela s’explique sans doute par une plus grande aisance à repérer et
à justifier ces types d’erreurs, ainsi qu’à les classer. Les erreurs formelles sont
en effet toujours classées dans une colonne « orthographe d’usage » permettant
de les comptabiliser dans les grilles de correction utilisées par les enseignants.
Les erreurs liées aux propriétés morphologiques des mots (principalement genre
nominal et invariabilité) ainsi qu’au régime sont quant à elles comptabilisées par
les enseignants parmi les erreurs de grammaire plus de neuf fois sur dix. On
peut aisément comprendre que les enseignants classent ainsi ces types d’erreurs,
puisqu’elles se manifestent dans les accords et la syntaxe ; pourtant, l’explication
de telles erreurs demande la consultation d’un dictionnaire plutôt que d’une gram-
maire, et elles découlent bien de méconnaissances lexicales. Un tel classement des
erreurs lexicales a un effet pernicieux : celui d’accorder un poids différent dans
la correction aux divers types d’erreurs lexicales. Des erreurs sémantiques ayant
potentiellement un effet important sur la compréhension du texte font l’objet d’un
jugement qualitatif n’ayant que peu d’impact sur le résultat global de la rédaction,
alors que des erreurs peut-être plus triviales, comme l’utilisation d’une mauvaise
préposition auprès d’un verbe, se voient comptabilisées parmi les erreurs syn-
taxiques et ont un impact plus grand sur la note de l’élève. Ce type de classement
d’erreurs a aussi l’effet néfaste d’entretenir le flou entre erreur de vocabulaire et
erreur de grammaire. Comment un élève ayant écrit « Le jour succéda *la nuit »
doit-il comprendre, devant le code « S » (pour « syntaxe ») que pour corriger sa
phrase, il doit se rendre dans le dictionnaire au verbe « succéder », et non pas
faire appel à une règle de grammaire du français ?
Par ailleurs, nous avons aussi constaté que lorsqu’elles sont relevées par les
enseignants, les erreurs lexicales font l’objet d’annotations vagues qui aident
bien peu les élèves : petite vague sous le mot problématique ou point d’inter-
rogation au-dessus, « V » dans la marge ou terme encerclé, voilà autant de
symboles utilisés pour pointer des problèmes lexicaux, mais qui ne fournissent
à l’élève aucune piste pour améliorer son texte.

110
Un meilleur enseignement lexical pour une plus grande appropriation de la langue

Nous constatons donc que la production écrite, lieu privilégié de l’évaluation

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du vocabulaire au secondaire, fait l’objet d’une correction qui traite de façon
très inégale les problèmes de nature lexicale et fournit peu d’outils pour aider
l’élève à améliorer son vocabulaire. Ceci est d’autant plus vrai que de l’aveu
même des enseignants, rares sont les occasions pour les élèves de retravailler
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un texte corrigé. Ainsi, les maladresses lexicales des élèves demeurent stériles,
alors qu’elles pourraient constituer un tremplin vers une meilleure maitrise
lexicale.

4.3.3. Le rapport des enseignants à l’enseignement du lexique


Les entretiens que nous avons menés auprès d’enseignants nous permettent de
constater que l’enseignement du lexique dans les classes du secondaire semble
présenter les mêmes caractéristiques que ce que les recherches présentées plus
haut ont révélé sur l’enseignement du lexique au primaire.
En effet, les enseignants rencontrés admettent eux aussi ne consacrer que
peu de temps à l’enseignement du vocabulaire. Ils expliquent cela par des
contraintes de temps, mais aussi par le manque de ressources didactiques
et la difficulté à choisir  les mots à travailler. On ne travaille que très peu
le vocabulaire en classe, et toujours par la bande, à travers autre chose,
ou alors de façon très isolée, par des exercices décrochés souvent perçus
comme des activités d’enrichissement plus ou moins essentielles. Le tra-
vail fait sur le vocabulaire est souvent subordonné à une tâche d’écriture et
consiste la plupart du temps en la construction d’une banque de mots autour
d’un thème comme le conte, le merveilleux ou la science-fiction, souvent
en se concentrant sur la recherche de synonymes pour éviter les répétitions.
En lecture, l’activité la plus fréquente demeure la recherche de mots incon-
nus dans le dictionnaire. Ces activités sont donc essentiellement centrées
sur l’accroissement du stock lexical des élèves et visent peu une meilleure
compréhension du système lexical de la langue (liens lexicaux, polysémie,
définition, registres de langue, phénomène de collocation) ou le développe-
ment de stratégies permettant à terme une acquisition plus efficace de voca-
bulaire (utilisation du contexte pour inférer le sens d’un mot inconnu, travail
sur la morphologie, utilisation des ressources lexicographiques). Les pistes
proposées par plusieurs didacticiens pour un enseignement plus explicite et
systématique du lexique semblent donc rester sans écho dans les classes de
français du secondaire au Québec, et l’on peut supposer que la situation est
semblable ailleurs dans la francophonie.
Quant au dictionnaire, outil de référence par excellence, il est bien présent
dans toutes les classes des enseignants rencontrés ; on souligne par contre le
caractère vétuste des ouvrages proposés, leur quantité parfois insuffisante pour
le nombre d’élèves, et le peu de variété des ressources, la sélection se limitant

111
Didactique et appropriation 

souvent au Petit Larousse illustré. Bien entendu, les enseignants mentionnent

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que la consultation du dictionnaire demeure très fastidieuse pour beaucoup
d’élèves, qui y ont recours principalement pour vérifier l’orthographe de mots
pendant une tâche d’écriture ou, de façon plus marginale, pour chercher des
synonymes afin de varier leur vocabulaire. Cet emploi limité d’un outil pourtant
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riche en informations découle sans doute du fait qu’aucun travail spécifique


sur le dictionnaire n’est réalisé en classe ; les enseignants eux-mêmes semblent
plus ou moins conscients des particularités des différents dictionnaires, et n’ont
pas de préférence marquée pour l’un ou l’autre ouvrage.

5. Pour un meilleur arrimage lexique-grammaire


La langue est un système sémiotique complexe dans lequel le lexique occupe
une place centrale. Nous avons d’ailleurs observé plus haut que nombre d’er-
reurs lexicales commises par les élèves ont des répercussions sur la syntaxe
et les accords grammaticaux. Or, lorsqu’on travaille la grammaire en classe,
le lexique est la plupart du temps complètement évacué. Il est évident que
d’avoir une vue d’ensemble d’un système permet de mieux en comprendre
le fonctionnement (Nadeau et Fisher, 2006), et il est impossible de mener de
bonnes analyses linguistiques en faisant abstraction du sens (Chartrand, 2012).
Nous sommes d’avis qu’une meilleure connaissance des phénomènes lexicaux
et de l’organisation du lexique aiderait les élèves à avoir plus de prise sur la
maitrise du code linguistique en général, par une meilleure compréhension des
interactions lexique-grammaire.
La grammaire moderne telle qu’on l’enseigne aujourd’hui, du moins au Québec,
place la syntaxe au centre de ses descriptions linguistiques. La syntaxe règne
donc aussi en roi et maitre dans la « nouvelle » grammaire scolaire, qui pro-
pose d’efficaces manipulations syntaxiques pour l’identification des groupes
et des fonctions qu’ils occupent. Nous avons cependant tendance à oublier que
les jugements de grammaticalité dont dépend l’efficacité de ces manipulations
reposent en fait sur des connaissances lexicales. Par exemple, lorsqu’un élève
tente d’effacer un constituant de la phrase pour vérifier s’il s’agit d’un complé-
ment de phrase (constituant effaçable), il vérifie en fait si ce constituant actualise
un actant sémantique du verbe, et si cet actant est syntaxiquement essentiel. Pour
pouvoir poser un jugement sur la correction de la phrase issue de la manipula-
tion, il doit en effet faire appel à des connaissances sur le régime du verbe de
la phrase analysée. Si l’élève ne possède pas ces connaissances implicites sur
le verbe en question, il n’arrivera pas à poser un jugement de grammaticalité
ferme, ce qui le laissera dans le flou quant à l’analyse de la fonction dudit
constituant. Or, il n’est jamais fait mention de l’importance du régime verbal
pour ce type d’analyse : « Le verbe est en quelque sorte tout proche, à portée
immédiate de vue, mais laissé hors-champ » (Meleuc, 2000 : 68).

112
Un meilleur enseignement lexical pour une plus grande appropriation de la langue

Un travail en classe sur la structure sémantico-syntaxique des verbes amènerait

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sans doute les élèves à mener des analyses syntaxiques avec plus d’assurance,
et à terme à réaliser plus facilement les accords ainsi qu’à mieux ponctuer.
Leurs intuitions sémantiques seraient ainsi au service du travail grammatical.
Pour ce qui est des élèves dont le français n’est pas la L1, et qui ne peuvent
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compter sur leurs connaissances implicites des structures verbales pour l’ana-
lyse syntaxique, un travail sur le dictionnaire et la façon dont y sont encodées
les informations sur le régime verbal s’avèrerait un atout précieux56.

6. Conclusion
Il ne fait aucun doute que le vocabulaire joue un rôle crucial dans la mai-
trise de la langue, et il est du ressort de l’école de contribuer à développer la
compétence lexicale des élèves et de leur fournir un vocabulaire de base. Or,
les différents travaux consultés semblent tous pointer vers un même constat :
« l’enseignement du vocabulaire dans les classes pose de nombreux problèmes
et les enseignants ne sont guère formés dans le domaine de la lexicologie »
(Lehmann, 2011 : 1). Comment alors redresser la situation ?
Une partie de la solution réside sans doute dans la formation des maitres,
souvent très minimaliste en matière de lexique. En ayant des savoirs lexico-
graphiques plus solides, les enseignants seront plus à même de comprendre
les interactions lexique-syntaxe et de mesurer l’importance des connaissances
lexicales dans la maitrise du code (Polguère, 2008). Bénéficier d’une formation
plus théorique sur le lexique leur fera aussi prendre conscience que la compé-
tence lexicale ne se limite pas au nombre de mots connus, mais implique aussi
une compréhension de l’organisation du système lexical de la langue et des
stratégies qui facilitent l’acquisition de mots nouveaux. Une formation complète
devrait aussi outiller les enseignants sur le volet didactique de l’enseignement
du lexique. Comment se développe le vocabulaire chez l’enfant ? Quels sont
les grands principes qui sous-tendent un enseignement lexical efficace ? Quels
types d’activités de vocabulaire mener en classe ? Comment favoriser l’acquisi-
tion accidentelle du vocabulaire et la rétention des mots nouveaux ? Comment
aider les élèves à tirer profit des dictionnaires ?
Une autre partie de la solution incombe aux didacticiens du lexique, qui doivent
selon nous proposer une progression des contenus à aborder en priorité pour
un enseignement lexical efficace. Le travail de création d’une ontologie des
savoirs lexicologiques entrepris par O. Tremblay (2009) constitue un premier

56. Il faut cependant souligner que le traitement du régime verbal dans les dictionnaires fran-
çais est très inégal et présente certaines incohérences (pour une discussion, voir Anctil,
2011). La production de dictionnaires pédagogiques plus explicites et systématiques en
cette matière constitue un travail important pour les lexicographes.

113
Didactique et appropriation 

pas en ce sens et pourrait servir de point de départ pour une réflexion en ce

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sens. Cette réflexion devrait aussi s’appuyer sur des recherches en acquisition
du vocabulaire et tirer parti de recherches descriptives comme notre travail
de thèse ou la recherche de Lefrançois et de Villers (2013), qui donnent des
indices sur les lacunes lexicales des élèves. Une telle progression orienterait
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les prescriptions ministérielles et conduirait à un enseignement moins morcelé


en matière de lexique.
Le manque d’outils pertinents pour enseigner le lexique étant souvent pointé
par les enseignants comme un des facteurs principaux expliquant le peu
d’attention qu’ils y accordent en classe, il serait important de leur propo-
ser des ressources pour étayer leur enseignement. Ces ressources pourront
prendre la forme de matériel didactique spécifiquement orienté vers le lexique,
mais aussi de propositions permettant d’appréhender l’enseignement lexical
en l’intégrant au travail en lecture et en écriture ; nous pensons notamment
que le recours à la littérature jeunesse serait particulièrement fécond. La
constitution de répertoires lexicaux constitue, comme nous l’avons mentionné
plus haut, un autre chantier important pour la didactique du lexique ; des
listes de mots réellement pensées pour un travail lexical (et non purement
orthographique) représenteraient des repères précieux pour les enseignants.
De telles listes devraient tenir compte de critères variés (fréquence, utilité,
appartenance à une famille de mots morphologique…) et être présentées sur
support informatique de façon à pouvoir être réorganisées rapidement par
les enseignants en fonctions des contenus travaillés (polysémie, synonymie,
champs sémantiques, collocation). En ce sens, le projet du laboratoire Atilf
sur le Réseau Lexical du Français (RLF) nous parait particulièrement porteur.
Sous la direction d’A. Polguère, l’équipe développe une ressource lexicale de
nouvelle génération (structurée en graphe)57 qui présente un potentiel didac-
tique certain, en ce qu’elle a pris comme point de départ différentes listes
de vocabulaire « fondamental » et qu’elle permet de mesurer le degré de
connectivité lexicale des différentes unités lexicales décrites et d’ainsi iden-
tifier facilement quelles zones du réseau sont les plus riches, et pourraient
donc s’avérer utiles à travailler en priorité.
Un immense travail demeure donc à accomplir pour voir s’opérer dans les
classes des changements en profondeur dans l’enseignement du lexique, tant
du côté de la formation des maitres que dans le développement de ressources
didactiques et lexicales. Mais c’est au prix de ces efforts que nous verrons
s’amenuiser des écarts préoccupants dans le niveau de vocabulaire des élèves
et que nous leur fournirons les outils nécessaires à une meilleure appropriation
de la langue.

57. Pour une présentation du projet, voir Polguère et Sikora (2013).

114
Un meilleur enseignement lexical pour une plus grande appropriation de la langue

Références

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used in the literature on lexical errors », in Miscelánea  : a Journal of
English and American studies, vol. 31, 2005, pp. 11-24.
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Anctil, D., L’erreur lexicale au secondaire : analyse d’erreurs lexicales d’élèves


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Montréal, 2011.
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Cèbe, S.  et Goigoux, R., Et si nous ne laissions à la charge de l’élève que
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AMCE-WAER, symposium « Supports didactiques, pratiques d’enseigne-
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Cellier,  M., Guide pour enseigner le vocabulaire à l’école primaire, Paris,
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primaire, Communication présentée au 9e  colloque de l’AIRDF, Québec,
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115
Didactique et appropriation 

Duncan, G. J., Dowsett, C. J., Claessens, A., Magnuson, K., Huston, A.  C.,

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Gougenheim, G., L’élaboration du français fondamental (1er degré) : étude sur
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l’établissement d’un vocabulaire et d’une grammaire de base, Philadelphia,


Chilton Books, 1964, Nouvelle édition refondue et augmentée.
Grossmann, F., « Didactique du lexique. États des lieux et nouvelles orienta-
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C. Masseron & C. Ronveaux (Éds.), Enseigner le lexique, Namur, Presses
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Mel’čuk, I., Vers une linguistique sens-texte : leçon inaugurale faite le vendredi
10 janvier 1997, Paris, Collège de France : Chaire internationale, 1997.
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vol. 131, « Construire les compétences lexicales », 2000, pp. 63-75.
Nadeau, M. et Fisher, C., La grammaire nouvelle : la comprendre et l’enseigner,
Montréal, Gaëtan Morin, 2006, Coll. « Chenelière éducation ».
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Reading  : A Hierarchy of Text-Related Exercise Types », The Canadian
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Picoche, J., Précis de lexicologie française : l’étude et l’enseignement du voca-
bulaire, Paris, Nathan, 1992.
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116
Un meilleur enseignement lexical pour une plus grande appropriation de la langue

Polguère, A., Pour un transfert des savoirs lexicographiques. Communication

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présentée au Congrès mondial de linguistique française – CMLF’08, Paris,
2008.
Polguère, A. et Sikora, D., « Modèle lexicographique de croissance du vocabu-
laire fondé sur un processus aléatoire, mais systématique », in C.  Garcia-
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Debanc, C. Masseron & C. Ronveaux (Éds.), Enseigner le lexique, Namur,


Presses universitaires de Namur, 2013, pp. 35-60.
Préfontaine, C., Écrire et enseigner à écrire, Montréal, Les Éditions Logiques,
1998.
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Aujourd’hui, vol. 141, 2002, pp. 123-128.
Simard, C., « Pour un enseignement plus systématique du lexique », in Québec
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dual differences in the acquisition of literacy », in Reading Research Quar-
terly, vol. XXI, no 4, 1986, pp. 360-407.
Swanborn, M. S. L. et De Glopper, K., « Incidental Word Learning While
Reading: A Meta-Analysis», in Review of Educational Research, vol.  69,
no 3, 1999, pp. 261-285.
Tremblay, O., Une approche structurée de l’enseignement/apprentissage du
lexique en français langue maternelle basée sur la lexicologie explicative et
combinatoire, « Mémoire de maitrise non publié », Université de Montréal,
Montréal, 2003.
Tremblay, O., Création d’une ontologie des connaissances métalexicales pour
l’élaboration d’un module de cours en didactique du lexique destiné aux
futurs maitres au primaire en français langue maternelle, « Thèse de doc-
torat non publiée », Université de Montréal, Montréal, 2009.
Vancomelbeke, P., Enseigner le vocabulaire, Paris, Nathan, 2004, coll. « Les
repères pédagogiques », Série « Formation ».
MELS, Progression des apprentissages au primaire, Québec, Gouvernement
du Québec, 2009.

117
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EXPRESSION RADIOPHONIQUE
ET APPRENTISSAGE LUDIQUE DE LA LANGUE :
RADIO CACTUS, LE POUVOIR DU MICRO
AU SERVICE DES FEMMES QUI APPRENNENT
LE FRANÇAIS (CACTUS & GSARA ASBL
– ANDERLECHT – BRUXELLES)

Guillaume ABGRALL

L’Atelier Radio Cactus est un atelier d’éducation permanente58 à destination de


femmes qui apprennent le français. L’Atelier vise à l’émancipation, la conscienti-
sation politique, la participation sociale et l’augmentation de la capacité d’action
des participantes. La question de la langue y est donc seconde, tout en étant
centrale puisque les femmes sont en apprentissage du français langue étrangère.
Dès lors, quels enseignements sur l’enseignement de la langue ressortent de
l’analyse des ateliers radios donnés au Cactus asbl depuis 2011 ?

58. Selon l’article 1er du décret du 17 juillet 2003, une organisation d’éducation permanente a
pour objectif de favoriser et de développer, principalement chez les adultes :
– une prise de conscience et une connaissance critique des réalités de la société ;
– des capacités d’analyse, de choix, d’action et d’évaluation ;
–  des attitudes de responsabilité et de participation active à la vie sociale, économique,
culturelle et politique.
Ainsi, les associations d’éducation permanente des adultes travaillent à développer les
capacités de citoyenneté active et la pratique de la vie associative. Nombre d’entre elles
consacrent une attention particulière aux publics socioculturellement défavorisés. Actuel-
lement, quelque 250 asbl sont reconnues dans le cadre du décret de 2003, et occupent
environ 2 300 travailleurs équivalent temps plein.

121
Expérience d’appropriation

Dans cet article, nous décrivons le contexte particulier qui a vu naitre et croitre

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Radio Cactus et nous exposons les différentes situations de communication
créées par l’instrument radio.
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1. Naissance et croissance de Radio Cactus


Radio Cactus est un atelier d’expression radiophonique auquel participent des
apprenantes de l’asbl Le Cactus depuis octobre 2011. Chaque semaine, en plus
d’apprendre le français, la cuisine, la couture, le théâtre, elles tissent petit à
petit des sons. Parties de l’intime, elles ont progressivement choisi de tendre
le micro aux autres et accepté de faire entendre leurs voix et réflexions jusque
sur les ondes.
La première rencontre a lieu en 2011 lors de la Journée des femmes. Fabrice
Renais met alors en scène des femmes du Cactus dans « Toute ma vie j’ai
été une femme », et sur scène, Anita, Zargouné, Oyun, Shoré. Le Burundi, la
Mongolie, l’Afghanistan. Suite à la pièce, elles se prêtent au jeu de l’interview
et y prennent gout.
En octobre  2011, nous décidons de mettre en place un atelier hebdomadaire.
L’idée : envoyer un cadeau radiophonique à un être cher. Par ce chemin, nous
partageons l’intime, apprivoisons le micro. Se soutenir, s’entraider, apprendre
à écouter, choisir ce qui va être monté, donner à entendre, et surtout adresser
une parole à quelqu’un qui n’est pas là. C’est la découverte du principe même
de la radio.
Après cette étape, nous décidons de passer au mode collectif et de construire des
objets radiophoniques destinés à voyager et à susciter des réactions. Construire
une parole et l’enregistrer, comme nous adresserions une lettre. Les femmes
expriment collectivement une pensée. Et choisissent les thèmes qu’elles sou-
haitent aborder. Le premier fut le mariage forcé. Puis vint le travail. Les papiers.
Au départ les discussions sur une éventuelle diffusion du travail sont délicates et
parfois difficiles. Faut-il que ce que nous faisons reste entre nos murs ? Faut-il
l’adresser seulement à quelques personnes ? Finalement les femmes décident de
ne pas limiter la diffusion de leur parole. Grâce au soutien de Fouzia Aarab,
leur enseignante de français qui anime l’émission « Parole de femmes » sur
Radio Al Manar, l’Atelier Radio Cactus est invité dans cette station de radio.
C’est ainsi qu’en juin 2012 nous diffusons les montages de nos correspondances
radiophoniques. Les femmes présentent leur travail et répondent aux questions
de l’animatrice.
La même année, en décembre, à Paris, Radio Cactus reçoit le prix du partena-
riat remarquable, décerné par Paroles Partagées. Chaque année, Paroles Parta-
gées, plateforme française d’éducation populaire, met en valeur des initiatives

122
Expression radiophonique et apprentissage ludique de la langue

qui mêlent radio et éducation populaire. Nous avons participé en leur envoyant

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un montage audio autour de la question de la difficulté d’apprendre la langue
française pour les femmes qui migrent. Quelle langue on parle, bénéficiant
du soutien de Paroles Partagées, est édité sous la forme d’un CD à destination
des lieux d’apprentissage du français à Bruxelles. Ce travail donne également
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lieu à une nouvelle émission en direct sur Radio AL Manar en décembre 2012.


En 2013, fort de ce succès, l’accent est mis sur la réalisation d’émissions en
direct. Trois émissions sont réalisées et deux CD sont édités. Les thèmes retenus
sont l’éducation des enfants, l’usage d’Internet, l’alimentation durable, l’augmen-
tation des prix. Un intérêt tout particulier est porté à la question de l’Égalité des
chances et des discriminations, raison pour laquelle Radio Cactus a reçu le sou-
tien de la Cellule « Égalité des Chances » de la Région de Bruxelles-Capitale.
En 2014, Radio Cactus travaille sur le divorce, la migration et la tolérance
vis-à-vis de l’homosexualité (projet « un pas vers l’autre »).
L’ensemble de cette initiative est rendu possible depuis 2011 grâce au soutien du
Service de la cohésion sociale de la commune d’Anderlecht et de la Fédération
Wallonie-Bruxelles, qui reconnait et finance le Gsara asbl et le Cactus asbl en
tant qu’associations d’éducation permanente.
L’éducation permanente n’a pas pour but premier l’enseignement des langues.
Pour autant, comme nous le décrivons dans le point suivant, le prétexte radio-
phonique entraine des situations de communication qui favorisent une maitrise
accrue de la langue.

2. Le prétexte radiophonique, moteur de rencontres


et de situations de communication
La radio est un prétexte qui permet de faire naitre la parole. Une parole qui
a du sens. Une parole avec laquelle nous jouons. Le micro donne une forme
particulière à la parole au sein du groupe des apprenants. Il crée également la
parole vers l’extérieur.
a) Les différentes situations de communication au sein du groupe sont : les choix
de thématiques, l’échange autour du bâton de parole (le micro), l’entrevue
entre soi, les entrainements à la parole en direct ou à l’entrevue des personnes
extérieures, le travail de reformulation et la négociation du sens, la fiction,
les retours après écoute.
Le choix des thématiques : avant que les micros ne soient mis en marche, il
s’agit de choisir de quoi nous voulons parler. Chaque femme peut proposer un
thème, le défendre, convaincre les autres. Les choix finaux se font toujours
par vote.

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Expérience d’appropriation

Le bâton de parole : le micro permet de cadrer la discussion. La femme qui

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parle est celle qui a le micro. L’enregistrement nécessitant le silence, le micro
déclenche aussi une situation favorable à l’écoute.
L’entrevue entre soi : nous préparons ensemble une liste de questions sur le
thème retenu. Ensuite, par couple, les femmes s’interrogent l’une l’autre.
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Le débat  : nous créons deux équipes qui s’opposent sur le thème retenu. Elles
développent des arguments antagonistes. Une fois le micro allumé, l’enjeu est que
chaque groupe décide rapidement qui va répondre avec l’argument le plus adéquat.
Les entrainements : avant de passer à d’autres modes de parole, ouverts sur
l’extérieur (rencontres, micros-trottoirs, radio en direct), l’Atelier Radio est le
lieu pour s’essayer, se réécouter, valider ensemble si nous sommes prêts.
Le travail de reformulation  : après chaque tentative, les femmes entre elles,
aidées par les animateurs, peuvent conseiller d’autres formulations, manières de
dire, suggérer du vocabulaire, signifier tout simplement qu’elles n’ont pas compris.
La fiction  : parfois nous décidons de nous écarter du réel pour mieux en
parler. Pour éviter d’être toujours dans le témoignage. Pour rire aussi de choses
parfois délicates. La distance de la fiction permet parfois de se rapprocher de
l’expression la plus juste sur le sujet. Elle fait sauter des verrous de timidité.
Elle permet aussi de s’amuser avec la langue, tout en restant dans quelque
chose qui fait sens car elle s’ajoute à l’ensemble du processus de création sur
le thème établi ensemble et visant à une diffusion.
Les retours après réécoute : lors de la séance même, nous réécoutons souvent
ce qui vient d’être enregistré. Nous écoutons également chaque semaine la parole
montée, avec de la musique, avec des choix de réalisation. Et nous en discutons.
Quel est l’effet de cette musique ajoutée ? Comprenons-nous le message ou non ?
Sommes-nous d’accord avec les choix réalisés ?
b) Au-delà d’être un instrument créateur de parole, la radio est également un
prétexte à la rencontre et à l’ouverture sur l’extérieur.
Le vox pop ou micro-trottoir : les femmes nous confient parfois avoir peu
d’occasions de parler en français hors des cours de langues, car leur famille,
amis s’expriment dans une autre langue. Parler avec des inconnues serait une
bonne injonction. Cependant, qui, hors du prétexte de demander son chemin
ou l’heure, arrive, avec une maitrise trébuchante de la langue, à arrêter des
gens dans la rue et à leur adresser la parole ? La radio permet de parler à
des inconnus. Nous partons dans la rue avec un groupe de quatre femmes. Elles
arrêtent les passants, leur demandent l’autorisation de les interroger sur notre
thème de travail et lancent l’entrevue. Moments étonnants où elles prennent une
autre place dans l’espace public, dépassant d’invisibles barrières, celles d’être
femme, celles d’apprendre à s’exprimer dans une autre langue.

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Expression radiophonique et apprentissage ludique de la langue

La rencontre : nous invitons dans l’Atelier des personnes qui peuvent nous

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éclairer sur notre thème de travail. Nous avon