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COMMERCE INTERNATIONAL : PRÉSENTATION GÉNÉRALE

Hélène Erkel-Rousse, Lionel Fontagné

La Documentation française | « Économie & prévision »

2002/1 n° 152-153 | pages I à VIII


ISSN 0249-4744
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-economie-et-prevision-1-2002-1-page-I.htm
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Commerce international :
présentation générale

L’intégration économique au niveau mondial a pris une place importante


dans les débats de société : l’activisme des mouvements anti-globalisation,
les critiques émises par une partie de l’opinion publique à l’encontre de la
jeune Organisation Mondiale du Commerce, la mise en doute des bénéfices
de l’ouverture pour les pays en développement, les craintes quant aux
conséquences sociales des décisions prises dans des quartiers généraux
apatrides, les interrogations sur les conséquences de l’ouverture dans un
contexte de marchés très imparfaits, contrasteraient avec un enfermement des
économistes dans une rhétorique libre-échangiste réductrice.

Ce questionnement est utile, pour peu qu’il évite l’écueil de l’obscurantisme :


il invite en tout cas à mieux diffuser les conclusions des travaux récents sur le
commerce international, s’appuyant sur des approches renouvelées.

Une nouvelle approche des conséquences de l’ouverture

Si l’apport essentiel des théories classiques du commerce international est la


mise en évidence des effets distributifs internes et externes de l’échange
international, comme l’avait souligné Roger Guesnerie dans une
communication remarquée à l’Association Française de Science
Economique, ces effets dépendent en large partie des structures de marché
(biens et facteurs), des institutions et des politiques d’accompagnement. On
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comprend que le champ d’investigation théorique et empirique est immense
et ne se limite pas à comprendre quelle dotation en ressources a conduit
l’Auvergne à produire des pneumatiques : on est bien loin de la logique
d’avantage comparatif souvent stigmatisée.

Le fonctionnement même du marché du travail a pu être profondément affecté


par les échanges internationaux. Mathias Thoenig et Thierry Verdier, tout
comme Peter Neary, soulignent que le progrès technique, biaisé en faveur des
travailleurs les plus qualifiés, peut résulter d’une intensification de la
concurrence. Parallèlement, la sensibilité de la demande de facteurs,
indépendamment même de tout élément d’imperfection de la concurrence, a
pu être renforcée par l’intégration internationale : selon Dani Rodrik, c’est le
pouvoir de négociation des syndicats qui serait affecté. Il est probable que la
globalisation a eu aussi un impact sur la volatilité macro-économique. Ainsi,
un recul du pouvoir syndical serait susceptible d’entraîner une plus grande
variabilité des salaires ; cette explication est complémentaire de celle,
traditionnelle, de l’augmentation de la dispersion des salaires moyens
consécutive au processus de spécialisation.

Plus généralement, la dimension Nord-Sud de la globalisation, c’est-à-dire


l’élargissement permanent de l’éventail des pays à bas salaires s’ouvrant au
marché international, s’accompagne d’une spécialisation des économies
devenant par conséquent plus sensibles à des chocs sectoriels. Enfin, et ce

I
point est le plus souvent négligé dans les analyses, l’ouverture aux échanges
entre économies très différentes est loin de se limiter à une confrontation à des
structures de prix relatifs différents des biens et services : l’ouverture se
traduit aussi par un choc de variété. L’approche en concurrence
monopolistique développée en particulier par Paul Krugman à la fin des
années soixante-dix, érigée au rang de nouveau paradigme des
internationalistes, se concentre sur les bénéfices qu’en tirent les
consommateurs. Pourtant, dès lors que les pays partenaires commerciaux
sont très différents, les conséquences en termes de déstructuration de l’offre
peuvent être importantes.

C’est à ce champ d’investigation renouvelé que s’intéresse la première partie


de ce numéro spécial : l’objectif est d’illustrer les directions prises par les
nouvelles analyses économiques de la mondialisation.

Un renouvellement récent des outils

La deuxième partie de ce numéro est de nature plus méthodologique : elle


illustre comment le renouvellement des approches théoriques du commerce
international – par l’introduction de la concurrence imparfaite – a fait
progresser les approches empiriques. Tout d’abord, contrairement à une
opinion assez répandue, la globalisation est largement inachevée : sans même
parler des mouvements migratoires, qui restent très limités, les échanges de
biens sont loin d’être libéralisés. L’OMC attestait récemment d’un
« Unfinished business ». Parallèlement aux progrès rapides de la mesure
directe des barrières aux échanges, permettant de dresser une cartographie
plus précise des protections commerciales, les travaux récents ont porté sur
une mesure indirecte des barrières subsistantes. À partir d’une intuition de
départ très simple de John McCallum –il existe un biais domestique si ces
régions échangent plus entre elles qu’avec les régions étrangères toutes
choses égales par ailleurs – les travaux sur les « effets frontière » ont constitué
l’un des domaines d’application les plus féconds du commerce international
en concurrence monopolistique. Le deuxième aspect méthodologique sur
lequel la littérature a été récemment à la fois abondante et très innovante
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concerne les élasticités prix dans les échanges. Faut-il rappeler qu’en
concurrence monopolistique, ces élasticités prix peuvent être approchées par
les élasticités de substitution entre variétés ? D’où un « puzzle » dont les
travaux empiriques peinent à assembler les pièces : mark ups des firmes,
économies d’échelle, nombre de firmes sur le marché, élasticités prix dans les
échanges. L’illustration que nous donnons ici de ces difficultés concerne
cette dernière pièce du puzzle : les élasticités sont notoirement trop faibles
dans les estimations macro-économiques. Est-ce un problème d’agrégation
ou un biais d’estimation lié à la non prise en compte des effets qualité ? Le
choix a été fait ici de privilégier la dimension qualité, dans une perspective
ouverte notamment par les travaux de Karl Aiginger. Un dernier aspect
méthodologique concerne le calcul des potentiels d’échange à partir du
modèle de gravité, dont l’utilisation s’est généralisée depuis que l’on a pu
donner à l’équation utilisée des fondements en concurrence monopolistique
comme en concurrence parfaite. La question est d’importance pour les pays
faisant le choix de l’ouverture, qu’il s’agisse de pays en transition ou en
développement : pour autant, l’abondante littérature sur ce sujet a négligé
plusieurs difficultés méthodologiques soulevées ici.

II
Quelle marge de manœuvre pour les politiques publiques ?

La troisième partie de ce numéro spécial s’intéresse aux politiques publiques.


On doit tout d’abord se demander si les États peuvent influencer leur
spécialisation ou s’ils n’ont d’autre choix que de s’en remettre aux seules
forces de la globalisation. L’un des derniers domaines où une grande latitude
leur est laissée est celui des marchés publics. La deuxième conséquence
d’une économie globalisée concerne la mobilité des facteurs, essentiellement
le capital et les travailleurs les plus qualifiés. Se pose alors pour les États la
question de l’attractivité : les gouvernements peuvent-ils influer sur le choix
de localisation des filiales étrangères ? En particulier, les aides à
l’implantation, les infrastructures et les niveaux de fiscalité jouent-ils un rôle
déterminant ? Pour peu que l’on puisse influencer ce choix de localisation,
est-on pour autant assuré de l’impact sur l’emploi dans le pays d’accueil ? Des
effets indirects doivent être pris en compte, passant par la substitution ou la
complémentarité entre investissement domestique et étranger d’une part,
entre commerce et investissements directs d’autre part. Enfin, les effets
mêmes des échanges sur l’emploi sont difficiles à mesurer. La thèse selon
laquelle les importations détruisent des emplois et les exportations en créent
est solidement ancrée dans l’imaginaire collectif, largement nourrie par les
fermetures spectaculaires de sites de production dans certaines activités de
main-d’œuvre. Les avertissements répétés des économistes relatifs à la
nécessaire prise en compte des mécanismes d’équilibre général, des
imperfections de marché, des institutions,…, n’y changent rien. Il n’est donc
pas inutile de clore cette partie relative aux politiques économiques en
regardant une dernière fois le diable en face : sans surprise, il n’est pas très
effrayant. L’effet, orienté contre les non qualifiés, est très modeste. L’intérêt
étant avant tout ici d’alerter sur les limites de la méthode. Ceci ne signifie pas
que l’échange soit sans conséquences sociales. Simplement l’instrument de
mesure doit être adapté à la question posée. Les questions distributives
doivent être étudiées comme telles et nous renvoyons ici au premier ensemble
d’articles.

La mondialisation renforce l’impact des institutions sur le


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marché du travail

La littérature tant théorique qu’empirique indique que les échanges


internationaux ont des effets globalement positifs pour les économies. La
non-convergence économique d’une partie des pays en voie de
développement ayant fait le choix de l’ouverture pose naturellement
problème : on peut penser que ces pays ne disposent pas des structures,
institutions,…, permettant de tirer parti de l’ouverture ; on peut stigmatiser
les problèmes d’accès de ces pays aux marchés industrialisés ; on peut enfin
remettre en question le sens de la causalité entre échanges et croissance. Ces
aspects ont été suffisamment débattus par ailleurs pour que le présent numéro
spécial n’y revienne pas. Plus fondamentalement, la littérature souligne
également que les gains aux échanges et, plus généralement, à l’intégration
économique, sont inégalement répartis entre les agents économiques. En
d’autres termes, selon le facteur de production qu’ils détiennent et selon leurs
structures de consommation, les agents sont plus ou moins gagnants à
l’échange, certains pouvant même y perdre.

Jean-François Fagnart et Marc Fleurbaey cherchent à répondre à deux


interrogations essentielles. Une économie caractérisée par une rigidité à la
baisse de certains salaires réels est-elle plus vulnérable à la mondialisation
concernant les évolutions du revenu national, du revenu réel et de l’emploi

III
des travailleurs protégés a priori par ces rigidités ? Dans quelle mesure la
mobilité internationale des capitaux modifie-t-elle la réponse à la question
précédente ? L’analyse s’appuie sur un modèle d’équilibre général à deux
pays (le Nord et le Sud), trois facteurs de production (le travail qualifié, le
travail non qualifié et le capital) et trois secteurs (dont un abrité). La présence
de rigidités salariales, même si ce n’est pas systématique, aggrave l’impact de
l’intégration économique avec des pays à bas salaires pour les salariés non
qualifiés du Nord, menacés de chômage. Toutefois, l’existence de rigidités au
Nord préserve une majorité de travailleurs non qualifiés de la pauvreté, ce que
ne garantit pas une économie flexible. En tout état de cause se pose la question
des politiques de transferts à envisager pour compenser les coûts de
l’intégration économique avec le Sud supportés généralement par les
travailleurs non qualifiés du Nord…. sans oublier toutefois que de telles
politiques risquent d’être néfastes aux travailleurs non qualifiés du Sud.

Le commerce international ne se traduit pas seulement par de simples effets


sur les niveaux des emplois et des salaires pour les économies du Nord,
comme le montre Sébastien Jean. L’ouverture aux échanges se traduit par une
augmentation de l’élasticité de la demande de travail, qui renforcerait les
effets sur l’emploi de telle catégorie de main-d’œuvre d’une variation du coût
de cette dernière. En raisonnant sur un modèle théorique simple fondé sur
l’hypothèse de substituabilité imparfaite entre biens nationaux et importés,
Sébastien Jean montre qu’une augmentation du coût du travail non qualifié
dans une économie du Nord influerait sur la spécialisation commerciale de
cette économie au détriment des secteurs utilisant intensivement ce type de
main-d’œuvre, et ce d’autant plus notablement qu’elle serait plus ouverte sur
l’extérieur. Dans ce contexte, le coût en termes de chômage d’une contrainte
sur le salaire des travailleurs non qualifiés pourrait être élevé,
particulièrement dans une économie ouverte présentant un avantage
comparatif dans les secteurs intensifs en main-d’œuvre qualifiée. Un
chiffrage simple suggérerait que cet effet pourrait n’être pas négligeable dans
le cas de la France.

La mondialisation a un impact sur la volatilité


macro-économique des économies industrialisées
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Pour évaluer cet impact, Frédérique Bec se place dans le cadre d’un modèle
stochastique d’équilibre général dynamique à deux biens et deux zones (le
Nord et le Sud), dont les paramètres sont calibrés par des valeurs couramment
retenues dans la littérature. La mondialisation est appréhendée comme un
surcroît d’échanges induisant une spécialisation accrue des économies. Dans
ce cadre, Frédérique Bec étudie la manière dont l’économie du Nord réagit,
selon l’amplitude de son ouverture au Sud et son degré de spécialisation, à
deux types de perturbations : des chocs sectoriels communs aux deux zones
d’une part, des chocs régionaux communs aux secteurs d’autre part. Face à
ces deux types de chocs, la mondialisation tend à accentuer la volatilité des
grands agrégats macro-économiques du Nord (production, revenus salariaux,
consommation, prix relatifs). L’intégration économique avec le Sud accroît
en particulier le coût supporté par les ménages non qualifiés du Nord des
fluctuations induites par un choc sectoriel. Plus généralement, l’ampleur des
fluctuations dépend du degré d’intégration économique entre le Nord et le
Sud, mais aussi des différences structurelles entre les deux zones, de leur
degré de spécialisation et de la plus ou moins grande mobilité des capitaux.

IV
L’ouverture peut induire un choc de variétés

Tito Boeri et Joaquim Oliveira-Martins proposent une interprétation


originale de phénomènes observés au début de la transition des pays d’Europe
centrale et orientale (PECO), lors de leur ouverture au commerce avec les
États d’Europe de l’Ouest. Leur hypothèse centrale est que l’accès soudain
aux produits fortement différenciés originaires d’Europe de l’Ouest a permis
aux consommateurs des PECO de satisfaire instantanément leur goût pour la
variété des produits alors que les entrepreneurs domestiques,
traditionnellement positionnés sur la production de biens homogènes,
avaient besoin d’un temps d’adaptation pour répondre à cette demande de
variétés. Cette hypothèse, étayée par l’analyse d’un modèle théorique de
concurrence monopolistique prévoyant le goût des consommateurs pour la
variété, apparaît parfaitement cohérente avec les phénomènes observés dans
les PECO au moment de la transition, à savoir : un déclin de la production
domestique non accompagné d’un effondrement des importations ; des
exportations domestiques en majorité constituées de produits issus de
l’industrie lourde et, enfin, une réorientation massive des importations au
profit des entrées de produits originaires de l’Ouest.

L’apport de la concurrence imparfaite aux travaux


empiriques

Les trois contributions suivantes apparaissent bien représentatives des


potentialités générées par l’enrichissement théorique en termes d’analyses
empiriques du commerce international que permet le cadre de la concurrence
imparfaite. Les produits échangés par les économies sont différenciés, ce qui
permet d’expliquer l’augmentation notable du commerce intra-branche entre
les pays industrialisés depuis les années soixante. Le goût des
consommateurs pour la variété ou la qualité des produits est un puissant
moteur de l’échange international et la capacité des entrepreneurs des pays
développés à répondre à cette demande de produits différenciés constitue un
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déterminant majeur de la compétitivité et des performances commerciales
nationales.

L’article de Keith Head et Thierry Mayer s’intéresse à la méthode dite des


effets frontière. Ce développement récent des analyses du commerce
international en concurrence imparfaite consiste à comparer le niveau des
flux commerciaux à l’intérieur d’un pays ou d’une zone intégrée à celui des
flux commerciaux avec des pays tiers toutes choses égales par ailleurs par le
biais d’une modélisation visant à isoler le plus précisément possible les
différents types d’effets frontières (intra-européens, extra-européens) des
autres sources objectives de divergence sur les niveaux des flux (prix relatifs,
tailles des économies, distance entre partenaires commerciaux, etc.). Keith
Head et Thierry Mayer tirent cette modélisation d’un cadre de concurrence
monopolistique prévoyant des phénomènes de préférence des
consommateurs pour les produits domestiques et, au delà, pour les biens
originaires de pays partageant la même langue ou appartenant à la même zone
économique intégrée. Leurs résultats suggèrent que les effets frontière
intra-européens auraient diminué graduellement durant la phase
d’approfondissement de l’intégration européenne des années quatre-vingt,
tandis que les exportateurs des pays tiers rencontraient effectivement des
difficultés croissantes à pénétrer le marché européen. En revanche, dans les
années qui ont suivi, les exportateurs des pays tiers (Américains surtout, à
l’inverse des Japonais) auraient à leur tour bénéficié d’un meilleur accès aux
marchés européens, sans doute en raison des facilités induites par la plus

V
grande harmonisation des standards européens. En tout état de cause, les
différentiels d’effets frontière intra et extra européens seraient extrêmement
variables selon les secteurs d’activité.

On l’a dit, la concurrence imparfaite pose des problèmes récurrents aux


modélisateurs, notamment à ceux qui s’intéressent à la mesure de la
compétitivité dans les échanges. Le point de départ d’Hélène Erkel-Rousse et
Françoise Le Gallo est l’incapacité à rendre compte de l’évolution des parts
de marché en se limitant au seul suivi de prix relatifs. En effet, ceux-ci
englobent des effets de coûts, marges et changes, qui influent négativement
sur les parts de marché, mais aussi des effets qualité, qui jouent en sens
inverse. Ainsi, l’augmentation du commerce de qualités pourrait constituer
une explication parmi d’autres à la faiblesse croissante des élasticités prix des
échanges estimées à partir de modèles ignorant la différenciation des
produits. Les résultats des prévisions et variantes des modèles
économétriques étant extrêmement sensibles aux valeurs des élasticités prix
des échanges, il apparaît nécessaire de limiter cette source de biais par défaut
sur les estimations des élasticités prix. Pour ce faire, les auteurs proposent une
méthode visant à contrôler les effets qualité dans les équations d’échanges
entre pays européens. Tout d’abord, elles cherchent à quantifier les rôles
respectifs des prix et de la qualité des produits dans les performances
commerciales de douze pays (dont une majorité d’États européens) à un
niveau de produits fin. Elles tirent de cette analyse une mesure approchée de
la compétitivité qualité sectorielle, qu’elles injectent dans une équation
d’échanges tirée d’un modèle de concurrence imparfaite intégrant la qualité
et la variété des produits. La prise en compte de cette mesure (pourtant très
approximative) de la qualité induit une hausse significative des élasticités
prix estimées des échanges. Celles-ci deviennent supérieures à l’unité,
c’est-à-dire conformes au modèle théorique sous-jacent.

La contribution méthodologique de Lionel Fontagné, Michaël Pajot et


Jean-Michel Pasteels qui clôt cet ensemble d’articles illustre les nouvelles
approches empiriques du commerce international en s’intéressant non plus
aux échanges entre pays industrialisés mais aux difficultés posées par la
modélisation des échanges entre économies très différentes. Si les modèles de
gravité dont traitent les auteurs remontent, sous leurs formes les plus simples,
à une époque antérieure à la nouvelle théorie du commerce international, si
ces modèles peuvent aussi s’appuyer sur la théorie classique du commerce
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international, on considère que les nouvelles théories en ont apporté les
fondements les plus convaincants. L’article présenté ici s’inscrit très
explicitement dans cette logique. Après en avoir rappelé les grands principes,
Lionel Fontagné, Michaël Pajot et Jean-Michel Pasteels se focalisent sur
l’application la plus courante des modèles de gravité : le calcul des potentiels
d’échanges entre pays de niveaux de développement ou d’intégration
différents. Ces estimations, rapportées aux niveaux effectivement observés
des échanges entre ces pays, aboutissent à la mesure d’un potentiel
d’échanges bilatéraux. Cette approche a été largement utilisée au moment de
l’ouverture des PECO pour évaluer les potentiels d’échanges de ces pays avec
les États d’Europe de l’Ouest. Les auteurs montrent toutefois que les calculs
de potentiels d’échanges sont très sensibles à certaines spécifications des
modèles de gravité (parmi lesquelles le choix du taux de change, courant ou en
parités de pouvoirs d’achat, utilisé pour évaluer certaines variables
explicatives clef), ainsi qu’à l’échantillon de pays sur la base duquel sont
estimés les modèles de gravité (échantillon dit de référence) avant d’être
utilisés en simulation lors du calcul des potentiels d’échanges.

VI
Marchés publics, investissement direct et emploi

Les achats publics, représentant en moyenne un peu plus de 10% du PIB des
pays industrialisés, constitueraient potentiellement un levier puissant
d’intervention publique s’il s’avérait qu’ils favorisent les producteurs
nationaux. Une comparaison du partage entre offre domestique et étrangère
des marchés publics et privés de plusieurs pays de l’OCDE suggère que la
dépense publique serait effectivement biaisée en faveur des producteurs
nationaux. Federico Trionfetti montre que l’impact de ce biais sur les
volumes de commerce international et les spécialisations dépend étroitement
des structures de marchés. Ainsi, une demande publique biaisée en faveur des
producteurs domestiques affecterait notablement les échanges et les
spécialisations internationales dans les secteurs à structure de concurrence
monopolistique, où les entreprises bénéficient de rendements croissants. Au
contraire, elle serait neutre dans les secteurs parfaitement concurrentiels.
Concernant les effets de ces politiques sur le bien-être, la réponse est
ambiguë : sous certaines conditions, une politique d’achats publics
discriminatoire peut s’opposer efficacement aux forces centripètes
susceptibles d’aboutir à l’agglomération spatiale des secteurs à rendements
croissants.

Les pouvoirs publics peuvent également tenter d’influencer les choix


d’implantation des investisseurs étrangers à travers des mesures d’incitation
à l’investissement. Florence Hubert et Nigel Pain étudient l’incidence de
telles mesures sur l’ampleur et les choix d’implantation géographique de
l’investissement direct allemand en Europe. Ils soulignent le rôle notable
exercé par les économies d’agglomération dans les choix d’implantation
géographique des investissements directs nouveaux. En comparaison, les
variables d’incitation à l’investissement s’avèrent avoir des effets beaucoup
plus mitigés, voire peu significatifs. Toutefois, la conjugaison de certaines
mesures d’incitation à la localisation et du jeu des effets d’agglomération
pourrait déboucher sur des phénomènes cumulatifs susceptibles de générer
des effets permanents de certaines politiques fiscales sur les choix
d’implantation des activités. Enfin, les résultats obtenus suggèrent que les
coûts relatifs du travail auraient une influence significative sur les choix de
localisation des investisseurs allemands.
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Cette dernière conclusion diffère de celle à laquelle parviennent Vincent
Aussilloux et Marie-Laure Cheval, dans leur article consacré aux
conséquences des investissements directs à l’étranger (IDE) sur l’emploi : la
dimension du coût salarial ne paraît intervenir qu’une fois prise la décision
d’investir dans un pays étranger donné (plutôt que comme élément de
sélection du pays de destination de l’IDE), au moment du choix d’une
localisation au sein de ce pays. Leurs conclusions vont à l’encontre d’une
autre opinion souvent évoquée lors des débats portant sur les risques de
délocalisations des activités. La recherche de bas salaires ne paraît pas
représenter un motif majeur de délocalisation pour les entrepreneurs français.
La majorité des investissements directs sortant de France sont en effet
effectués à destination d’autres pays développés dans le but de soutenir les
exportations de produits manufacturés dans des secteurs créateurs nets
d’emplois en France.

Si l’investissement à l’étranger n’apparaît pas comme un risque majeur pour


l’emploi, qu’en est-il des échanges, en particulier dans le commerce avec les
pays en développement ? Stéphane Guimbert et François Lévy-Bruhl font le
point sur la méthode des balances en emplois, qui a donné lieu à des
évaluations de l’effet du commerce sur l’emploi en France largement relayées
dans la presse économique. Les auteurs expliquent pourquoi cette méthode
n’est simple qu’en apparence et suscite des réserves de la part de nombreux

VII
économistes. Ils montrent néanmoins que, si l’on a bien conscience des
limites et des difficultés posées par cette méthode, les balances en emplois
présentent un intérêt empirique certain, notamment celui de prendre au mot
les tenants de la thèse des destructions d’emploi par les importations, en leur
montrant que les effets du commerce sur l’emploi sont d’ampleur limitée,
mais sans doute défavorables à l’emploi de la main-d’œuvre non qualifiée.
Nous retrouvons ici ce qui a constitué le point de départ de ce numéro spécial :
ce sont avant tout les effets distributifs qui sont en cause et ces effets ne
peuvent être véritablement appréciés qu’en tenant compte des institutions
encadrant le marché du travail, d’une part, et de l’impact du choc
concurrentiel sur les pouvoirs de négociation et l’élasticité de la demande de
travail d’autre part.

Un guide de lecture des données commerciales

Le foisonnement des sources et des concepts utilisés multiplie les risques de


mauvais usage des données commerciales et peut conduire à des erreurs
d’analyse notables.

On sait que l’on dispose de trois principales sources françaises de données


commerciales, entre lesquelles existent des différences conceptuelles : les
données douanières, la balance des paiements de la Banque de France et les
chiffres de commerce extérieur des comptes nationaux de l’Insee. Matthieu
Darracq-Paries et Jean-Hugues Pierson proposent une grille de passage
précise entre les chiffres issus de ces différentes sources.

Matthieu Darracq-Paries et Hélène Erkel-Rousse complètent cette


exploration des données commerciales en s’intéressant à la comparaison de
sources de différents pays et organismes internationaux, plus
particulièrement européens. Ils détaillent tout d’abord les différences
conceptuelles entre les sources nationales des États-membres et les bases de
données communautaires. Puis ils analysent les principales causes des écarts
entre « flux miroirs » (à savoir les déclarations de flux d’échanges bilatéraux
données par chacun des deux partenaires commerciaux impliqués dans un
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échange). Les auteurs expliquent les conséquences à en tirer pour mener des
analyses économiques sur la base de chiffrages correctement constitués.
Enfin, ils soulignent les difficultés posées par l’imparfaite mesure de certains
agrégats commerciaux sensibles, tant pour la conduite de la politique
économique en zone euro que lors des négociations commerciales entre
grands pays industriels.

Hélène Erkel-Rousse Lionel Fontagné

Direction de la Prévision CEPII, Paris

VIII

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