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Faculté des lettres Chouaib Doukkali

Département de langue et littérature


françaises Filière : Etudes Françaises
Module
lexicographie S2
Gr 1 et 3 Prof.
ZAID Zahra

Suite cours de lexicographie


Le passage du sens propre au sens figuré ou comment une unité
lexicale devient polysémique ?

1. Définition de quelques notions.


● Le sens est l’ensemble des traits qui permettent de définir les entités
référentielles concrètes qui ont un référent ou les entités lexicales abstraites. Il
comprend deux aspects : le sens dénotatif et le sens connotatif.
● Le sens dénoté correspond au sens objectif tel que le livre le dictionnaire.
● Le sens connoté correspond au sens subjectif, il peut être lié à
l’expérience personnelle, au contexte, mais aussi au milieu social, à une époque
ou à une culture donnée.
Ex. Chien : dénote un mammifère issu du loup, dont l’homme a
domestiqué et sélectionné de nombreuses races. Il peut connoter la fidélité, la
patience, la méchanceté, la bestialité, etc.
● Le sens propre est le sens fondamental du mot ou le premier sens,
celui qui parait de façon saillante par rapport aux autres sens. C’est
aussi le sens d’un mot considéré comme antérieur aux autres du point
de vue logique.
● Le sens figuré est défini par rapport au sens propre considéré comme
fondamental. Il est conçu comme le deuxième sens qui est dérivé du sens
propre.
Ex. 1. Un vaisseau comprend une coque et des voiles.
2. Je vois cent voiles à l’horizon.
D’après ces deux exemples, le mot voile a deux sens :
Dans (1) : il signifie partie du bateau
Dans (2) : il signifie bateau /vaisseau
Donc, on dérive le deuxième sens de « voiles : vaisseau » du premier sens
(partie du bateau).

Cette dérivation se fait par le procédé de la synecdoque qui désigne la


partie (voile) pour le tout (vaisseau).
Remarque : avec l’évolution du sens d’un mot, son premier sens attesté, c’est-à-
dire, son sens propre, peut disparaitre et se faire remplacer par le deuxième sens,
le sens figuré. Ceci signifie qu’à l’état actuel de la langue, le sens propre attesté
peut être, dans un état antérieur de la langue, un sens figuré.
Exemple du mot énerver dont le sens a évolué à travers le temps.
1690 : ENERVER v.act. Faire perdre aux nerfs leur
force, leur usage, leur fonction, soit en les coupant, ou en les
affaiblissant par les débauches, ou par quelque autre violence.
Quand on veut rendre des chevaux inutiles, on les énerve, on
leur coupe les nerfs. La jeunesse s’énerve par les débauches des
femmes. Le vin énerve, affaibli les nerfs (Dictionnaire
universel, Furetière.)
1905 : ENERVER v.a ( de é et priv. Et du lat, nervus,
nerf). Brûler les tendons des muscles, des jarrets et des genoux :
énerver un criminel, détruire l’énergie physique ou morale.
Abusiv. Agacer en irritant le système nerveux. (Petit Larousse
illustré)
2005 : ENERVER v.t (lat. enervare, couper les nerfs).
Susciter le nervosité, l’irritation de, agacer, exciter. Absol. Un
bruit qui énerve. S’énerver v.tr. perdre le contrôle de ses nerfs ;
s’impatienter, restons calmes, ne nous énervons pas (Petit
Larousse illustré.)
Dans cet exemple, le premier sens du verbe « énerver » a disparu et il s’est
fait remplacer par le sens figuré, le seul attesté dans le Larousse 2005.
On conclut que les mots ont une histoire dont le traitement révèle que la
plupart d’entre eux ne restent pas identiques à ce qu’ils étaient auparavant. En
effet, des mots et des sens disparaissent et d’autres apparaissent et le dictionnaire
reste le témoin de cette évolution.
La mise en relation des différentes significations d’un mot dans
le
dictionnaire

Le choix du regroupement polysémique se base sur l’existence d’une


relation de sens entre les signifiés d’un même signifiant. Dans ce cas, le
lexicographe doit justifier ce choix en signalant les marques sémantiques qui
permettent le passage d’une acception à l’autre. Ces marques se rapportent aux
tropes ou aux procédés sémantiques. On note notamment : fig, (figuré), par anal
(par analogie), par comp (par comparaison), par métaph (par métaphore), par
métony (par métonymie), par synec (par synecdoque), par ext (par extension),
par restric (par restriction) ou spécialt (spécialement).

Remarques : Les lexicographes ne mentionnent pas toujours ces différents


procédés pour expliciter le transfert de sens. Ce qui fait que la représentation de
la polysémie diffère d’un dictionnaire à l’autre.
Exemple de l’entrée « Guérir » dans le PR (1993) et le Lexis
(1979)

PR LEXIS
I. V.tr I. V.tr
1- délivrer (qqn, un animal) 1- Guérir quelqu’un, le
d’un mal : rendre la santé à (qqn) délivrer d’une maladie, d’un
Par ext. Guérir une maladie. mal, d’un défaut.
- 2- Fig. Délivrer(qqn) d’un 2- guérir une maladie,
mal moral. un mal, un défaut, les faire
- Par ext. Faire disparaître les passer. Y trouver un
effets de (un moral, un défaut, etc.) remède…
3- être guéri de quelque
chose, en avoir perdu le goût.
II.V.intr. II.V. intr.
Recouvrer la santé : aller mieux et sortir de maladie. (sujet nom d’être animé)
Par ext. Plaie qui guérit vite. Etre délivré d’une maladie ou d’
Fig. Etre débarrassé, soulagé (d’un mal moral, d’un défaut,
(sujet
de qqc
nomdede
pénible.)
maladie, de mal)
Disparaître par le retour à la san

Le PR relie les différents sens les uns aux autres par des indications comme
par extension ou figuré, alors que le Lexis ne mentionne aucune marque pour
passer d’un sens à l’autre.
Les différentes significations peuvent être reliées soit par des procédés
sémantiques, soit par des procédés rhétoriques, qui sont les figures de sens ou les
tropes.
I. Les procédés rhétoriques, les tropes

Il convient d’abord d’établir la distinction entre la conception de la


rhétorique des tropes et la démarche du lexicographe qui retrace le parcours
sémantique du mot en présentant le sens figuré (sens obtenu par figure) par
rapport au sens propre dont il dérive. Le lexicographe fait appel aux tropes pour
ordonner les différentes acceptions de l’entrée. Dans ce cas, il s’agit de tropes
lexicalisés qui sont enregistrés dans le dictionnaire. Quant aux tropes d’invention
que le sujet parlant produit librement, c’est-à-dire ceux qui sont occasionnels, ils
sont non lexicalisés, ils relèvent de la stylistique.
Parmi les tropes qui servent à ordonner les acceptions du mot dans le
dictionnaire, on note :
1. L’analogie indiquée dans le dictionnaire par la marque sémantique par
anal./ analog
Définition : « On dénomme les objets et les notions en les comparants à
d’autres objets, à d’autres notions. Ainsi, le terme qui désigne initialement
la réalité première est utilisé pour désigner une autre qui présente
quelques propriétés saillantes semblables à celles qui définissent la
première. Ainsi,
le mot acquière un nouveau sens par analogie et il devient polysémique
parce qu’il désigne deux réalités analogues.
Ex. cœur dans le PRE 2014.

1. Organe central de l'appareil circulatoire, son cœur bat trop vite.


Sens 2. Ce qui a ou évoque la forme du cœur, cœur suspendu à un
collier. Cœur à la crème
3. centre, milieu, la partie centrale ou active de qqch. ➙ centre,
milieu. Le cœur d'une ville. Pénétrer au cœur de la forêt. Un cœur de
laitue. Cœur d'artichaut*, de palmier*
Le mot cœur est polysémique. Les deux sens, 2 et 3 qui sont enregistrés
dans Le Petit Robert sont obtenus à partir du premier, qui est le sens propre, par
le procédé de l’analogie.
Remarque : le transfert de sens à partir des organes humains est fondé sur
l’analogie constatée entre les aspects morphologiques ou fonctionnels de
l’organe et l’entité nommée au moyen du même terme.
Exemples
La forme :
Les dents d’une scie, les dents de la bouche
La fonction :
Une machine marche, une personne marche.
La situation :
Les pieds d’une table, les pieds d’une personne debout
1. La comparaison est indiquée dans le dictionnaire par la marque par comp.
Cette figure n’est possible que si l’esprit conçoit des propriétés communes aux
choses comparées ; elle est généralement explicitée par l’emploi de « comme ».
Exemple du PR à propos de l’entrée aigle.
Aigle : 1. Grand rapace diurne (falconiformes) au bec crochu, aux serres
puissantes, qui construit son nid (aire) sur les hautes montagnes. Aigle royal,
impérial.
2. Par compar. Des yeux d'aigle, particulièrement perçants.
Dans cet exemple, on compare les yeux d’une personne à ceux de l’aigle ; tous
les deux ont une propriété commune qui est donnée par le dictionnaire : l’aigle a
des yeux perçants et la personne a les yeux perçants comme l’aigle.

Remarque : l’outil de comparaison « comme » peut être absent :


« Des yeux d'aigle ». Mais, il faudrait noter que la comparaison se fait entre
deux entités concrètes sur la base d’une propriété qui leur ai commune,
notamment le regard perçant.
3. La métaphore est fondée sur la comparaison et la transposition du sens
du concret à l’abstrait. Dans le Petit Robert (2001), certains emplois
métaphoriques sont signalés ainsi : Par métaph.
Ex. Perle : 1. petite bille de nacre
2. par métaph. Personne remarquable dans un domaine. (Le
point commun la rareté et l’excellence)
Cœur : 1. Organe central de l'appareil circulatoire, son cœur bat trop
vite.
2. Par métaph. Le siège des sensations et émotions : avoir la
rage au cœur, il a un cœur sensible.
4. La métonymie consiste à désigner un objet par le nom d’un autre objet en
raison d’un rapport qui lie les référents dans la réalité. Elle s’explique par un
déplacement, une ellipse de la référence d’un objet à un autre.
Ex. Un tableau de Picasso : un Picasso
Vivre du produit de son travail : vivre de son travail
Il a mangé tout le contenu de la boite : il a mangé la boite.
Dans le Petit Robert, les emplois métonymiques sont signalés
occasionnellement par Par méton.
Ex. Verre : 1- substance dure transparente et cassante
2. Par métonymie : Récipient à boire en verre. J’ai
acheté un verre.
3. Par métonymie : contenu de 2 : j’ai bu un verre
Le mot verre présente une double métonymie : la dénomination de l’objet
par sa matière : acheter un verre (sens 2) et le contenant pour le contenu dans
boire un verre (sens 3).
Liste de quelques relations métonymiques entretenues entre deux
référents :
L’instrument et l’agent ou celui qui en fait usage.
- Mon père est une sacrée fourchette ! (Sens 1 : ustensile), (sens 2 : un
mangeur)
Contenant- contenu
Toute la maison pleurait de chagrin (maison : contenant ; contenu : la
famille)
Matière - objet fabriqué
Je ne vois plus clair, il faut que je change mes verres : (Sens 1- la matière)
(sens 2- lunettes).
Nom de lieu- matière ou produit fait dans ce lieu.
Il a acheté du cantal (Sens 1 : région) ; (sens 2 : Le fromage fabriqué dans
la région du cantal)
La substitution d’un terme abstrait par un terme concret : la qualité
morale désignée par la partie du corps censée en être le siège.
Un cœur de pierre, pour une personne insensible
La substitution d’un terme concret par un terme abstrait :
Ex. chasse : (sens 1 : action de chasser) ; (sens 2 : résultat de l’action de
chasser : le gibier pris ou abattu, la chasse est bonne.)
5. La synecdoque.
« Figure de rhétorique qui consiste à prendre le plus pour le moins, la
matière pour l'objet, l'espèce pour le genre, la partie pour le tout, le singulier
pour le pluriel ou inversement (ex. Les mortels pour les hommes ; un fer pour
une épée ; une voile pour un navire). »
Les deux objets, à la différence de la métonymie, ne sont pas indépendants l’un
de l’autre, mais ils sont liés par un lien de type définitionnel, c’est-à-dire, il y a
un rapport d’inclusion entre les deux référents :
La synecdoque de la partie pour le tout
Toit : Sens 1 : partie supérieure d’un édifice
Sens 2 : La maison elle-même (la partie pour le tout), ex. Il vit
encore sous le toit de ses parents.
Cœur : Sens 1 : partie d’un tout
Sens 2 : le tout (la personne) ex. un cœur noble. Une personne

Le tout pour désigner la partie


Tête : Sens 1 : partie supérieure du coup de l’homme
Sens 2 : Partie de la tête où poussent les cheveux : se laver la tête.
La synecdoque de l’espèce pour le genre (le nom de l’espèce est pris
pour celui du genre : La saison des lilas pour la saison des fleurs.
Lilas : Sens 1 : espèce de fleur.
Sens 2 : le genre : la fleur
Ou du genre pour l’espèce : le nom du genre est pris pour celui de
l’espèce.
Homme : Sens 1 : être humain (genre)
Sens 2 : être de sexe masculin (espèce)
Remarque : Dans le Petit Robert, les passages d’un sens propre au sens
figuré par synecdoque sont parfois mêlés aux passages métonymiques.
Exemples (de la partie pour le tout) :

Toit. 1. Partie supérieure d’une maison, d’un édifice, qui sert


de couverture au bâtiment
2. Par méton. Maison, abri où l'on peut vivre.

Ce traitement montre la difficulté de dégager parfois ces rapports. Une difficulté


qui se manifeste dans la variété du traitement réservé au rapport entre sens
propre et sens figuré dans le dictionnaire.
II. Les procédés sémantiques
Les procédés sémantiques qui mettent en relation les différentes
significations d’un mot sont la spécialisation de sens (ou restriction de sens) et
l’extension de sens. Ces deux procédés peuvent être interprétés comme des
variations d’une même signification de base par addition, par suppression ou
par différenciation d’un trait de sens.
1. Extension de sens
Le passage d’une signification à l’autre d’un mot peut avoir pour résultat un
élargissement de son sens, le mot s’applique alors à de nombreux objets.
Ex. curé.
1. prêtre catholique placé à la tête d’une paroisse.
2. Par ext. prêtre catholique.
Il y a extension de sens puisque les prêtres catholiques sont plus nombreux
que les prêtres catholiques placés à la tête d’une paroisse.
Ex. Aborder.
1. Accoster ; toucher en approchant. Aborder un rivage.
2. par ext. Aborder quelqu’un, l’approcher pour lui parler.

2. Restriction (ou spécialisation) de sens

Le passage d’une signification à l’autre résultera en une signification plus


étroite, ou un emploi moins étendu du mot.
Ex. Aborder.
1. Accoster ; toucher en approchant. Aborder un rivage.
2. Spécialement. Aborder un vaisseau ennemi, autrefois, se placer
bord à bord avec lui et lui donner l’assaut.
Restriction de sens par addition du trait « un vaisseau »
Ex. Plaque n. f.
a. Objet rigide, plat, peu épais, généralement rectangulaire.
b. Spécialt Plaque portant une inscription.
Il y a restriction de sens par addition d’un trait spécifique : portant une
inscription.
Ex. Couturière n. f.
1- Celle qui coud, qui exécute, à son propre compte, des travaux de couture.
2- Spécialt. Ouvrière d'une maison de couture.
Dans cet exemple, la restriction de sens se fait par différenciation du trait
spécifique : à son propre compte vs ouvrière.

Exercices.
Dégagez les procédés qui permettent de passer du sens propre au
sens figuré.

Exercice1.

1. Cet homme manipule le fer avec une grande dextérité


2. Il y a de nouveaux visages ici.
3. Par ce temps-là, il vaut mieux mettre une petite laine.
4. Une fille de quinze printemps.
5. Un grain de blé/ un grain d’esprit.
6. Le fil à coudre/ le fil du discours.
7. Une boisson amère.
8. Son vélo a crevé.
9. Refuser du pain à quelqu’un.

Exercice 2.
CERVEAU.
1-Masse nerveuse contenue dans le crâne de l'homme, comprenant le cerveau :
encéphale
2- Partie antérieure et supérieure de l'encéphale des vertébrés formée de deux
hémisphères cérébraux et de leurs annexes (méninges). Le cerveau est l'organe
essentiel du système nerveux central.
3-Le siège de la vie psychique et des facultés intellectuelles. ➙ esprit, tête.
Cerveau puissant, bien organisé.
4 - Personne quant à l'esprit. ➙ esprit. C'est un grand cerveau, un cerveau : une
intelligence, un penseur, un découvreur.
5-Organe central de direction. ➙ centre. Cet homme est le cerveau de
l'organisation. Le cerveau présumé des attentats.
6- Cerveau électronique : appareil qui effectue des opérations complexes portant
sur de l'information (➙ ordinateur, cybernétique)

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