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Revue Judiciaire de l'Ouest

COMITES D'ENTREPRISE / Attributions / Oeuvres sociales /


Définition / Décisions / Annulation
Joseph Le Calonnec

Citer ce document / Cite this document :

Le Calonnec Joseph. COMITES D'ENTREPRISE / Attributions / Oeuvres sociales / Définition / Décisions / Annulation. In:
Revue Judiciaire de l'Ouest, 1980-2. pp. 78-91;

doi : https://doi.org/10.3406/juro.1980.3710

https://www.persee.fr/doc/juro_0243-9069_1980_num_4_2_3710

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- 78 -

OROIT SOCIAL

COMITES D'ENTREPRISE / Attributions / Oeuvres sociales /


Définition / Décisions / Annulation /
C.A. Rennes, 21 Novembre 1979 Ch. 1 n° 479 - LE HOUEDEC C/ SOCIETE NATIONALE
INDUSTRIELLE AEROSPATIALE et Autres

LA COUR,

Statuant sur l'appel en la forme régulièrement interjeté par


Jacques LE HOUEDEC, agissant en qualité de secrétaire du comité
d'établissement de l'usine de la S.A. "Société Nationale Industrielle Aero~-Spatiale"
de NANTES-BOUGUENAIS (dite S.N.I. A. S.) contre un jugement du 14 Novembre 1978
par lequel le Tribunal de Grande Instance de NANTES 3

d' établissement,
saisi
de laparS.N.I.
Gilbert
A. S. COLAS,
NANTES,en puis
sa qualité
par Louis
de FACEE,
Président
intervenant
du comité
volontairement aux lieu et place de Gilbert COLAS auquel il a succédé dans
ses fonctions, en outre par la S.A. S.N.I. A. S. d'une demande dirigée contre
lui-même - LE 30UEDEC , s-qualité - et tendant d faire :
- prononcer l'annulation d'une décision prise le 20 Avril 1977
par le comité d' établissement affectant un crédit de 10 000 F à la subvention
"des frais de transport du personnel de 30UGUENAIS participant d la
manifestation du 22 Avril 19~77 d PARIS,
- donner acte d la S.N.I. A. S. de ce qu'elle se réserve,
l'annulation prononcée, de demander répétition de sommes détournées de leur affectation
légale,
- condamner le défendeur aux dépens,
saisi en outre d'une demande reconventionnelle tendant d obtenir
condamnation de la S.N.I. A. S. et de FACHE, 4s-qualité d .payer au comité
d'établissement la somme de 2 000 F par application de l'article 700 du
nouveau code de procédure civile,
a prononcé l 'annulation de la décision attaquée, rejeté la
demande reconventionnelle formée par LE HOUEDEC et condamnée celui-ci au
paiement des frais de procédure ;
Considérant que pour un plus ample exposé des faits et de la
procédure , ainsi que des arguments et moyens mis en oeuvre par les parties,
la Cour se réfère au jugement critiqué qui en fournit une complète et exacte
relation j qu'il sera ici uniquement rappelé que pour justifier leur décision,
les premiers juges ont énoncé :
- qu'd la demande des organisations syndicales s'est tenue le
20 Avril 1977, une réunion extraordinaire du comité d'établissement de la
S.N.I. A. S. NANTES ayant pour ordre du jour "subvention peur manifestation
- 79 -

à PARIS" ; qu'au cours de cette réunion t à l'unanimité des votants, le


comité d'établissement a inscrit â son budget une prévision de 10 000 F
au titre de "l'action sociale destinée à la défense de l'emploi, afin
de subventionner les frais de transport du personnel participant à la
manifestation du 22 avril 1977 à PARIS, dont l 'objet était la défense de
l 'emploi et la sauvegarde de l 'industrie aéronautique française ;
- que, cependant, l'analyse de la situation économique dans
l'industrie aéronautique telle qu'elle est faite par le défendeur n'est
pas, à la supposer exacte, de nature à justifier à elle seule la décision
attaquée, la question à résoudre étant celle de la notion "d'oeuvre sociale"
entrant dans les attributions du comité d'établissement ;
- que, par ailleurs, ne peut être pris en considération l
'argument de fait invoqué par le défendeur aux termes duquel le comité
d'établissement de l'usine de la S.N.I. A. S. de SAINT NAZAIRE fait figurer depuis de
nombreuses années dans son budget à la rubrique "activités sociales", l
''allocation de sommes destinées à "la défense de l'emploi" ;

Qu'en effet on ne p'eut induire de cette circonstance, et de


l 'absence d 'action judiciaire en vue de l 'annulation des décisions prises
à ce sujet, qu'elles ne sont pas irrégulières ;
- que de la comparaison des termes de l'article L. 432-2 du
Code du Travail (et de l'article R. 432-2 pris pour son application) d'une
part, et des termes de l'article L. 432-4 du mène code d'autre part, il
résulte qu'il faut faire une distinction entre les attributions "sociales"
du comité d'entreprise, et ses attributions économiques ; que les "oeuvres
sociales" dont la gestion lui est confiée sont celles qui peuvent être
organisées à l 'intérieur de l 'établissement pour améliorer le bien être
de ceux qui y sont effectivement employés ; que par contre la défense de
l'emploi, mène lorsqu'il ne s'agit, comme le fait valoir le défendeur, que
d'une catégorie particulière d'industrie, n'entre pas dans le cadre des
oeuvres sociales, mais dans celui du domaine économique dans lequel le
comité n'a que des pouvoirs consultatifs ; qu'en conséquence le comité
d'établissement ne peut utiliser les fonds qui lui sont alloués pour
subventionner une manifestation en vue de la défense de l 'emploi, qui relève de
l 'action syndicale ; qu 'il convient, dès lors, de faire droit à la demande
d 'annulation /
SUR LA PROCEDURE
Considérant que l'appel a été dénoncé à COLAS ; que celui-ci
a d' ailleurs conclu aux côtés de FACHE et de la S.N.I. A. S. ; que cependant
FACHE est intervenu volontairement à la procédure de première instance aux
lieu et place de COLAS comme nouveau .président du oomité d'établissement j
qu'il convient en conséquence, ajoutant au jugement entrepris, de mettre
COLAS hors de cause, et de dire qu'il est étranger à la procédure suivie
devant la Cour ;
SUR LE FOND
Considérant que n'est pas contestée la qualité de la S.A.
"S.N.I.A.S.", employeur, et du directeur d'établissement FACHE, membre
du comité d'établissement, pour agir en nullité de la délibération du
20 avril 1977 ; qu'en effet l'un et l'autre ont l'obligation de veiller à
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ce que l'emploi des fonds dont dispose le ajmitê soit conforme aux
dispositions légales et réglementaires (Cf. article 2 de l 'ordonnance du 22 février
194S, devenu article L 432-2 du Code du Travail) ;
Considérant que vainement l'appelant fait valoir que tout salarié
de l' 'entreprise , syndiqué ou non, avait la possibilité de bénéficier de la
subvention litigieuse pour se rendre à la manifestation qui devait se dérouler
à PARIS ; qu'il est, par surcroît, sans intérêt au débat de rechercher si le
vote de la subvention a mis en évidence l'opposition de certains membres du
comité, approuvés par certains syndicats, ou si les participants à la réunion
du 3'omité ont pris leur décision à l 'unanimité, avec l 'appui de la totalité
des organisations syndicales ; qu'en l'espèce le seul problème à résoudre
est celui de savoir si la subvention de 10 000 F était destinée à financer
une "oeuvre sociale" ;

Considérant, il est vrai, que la loi n 'a pas défini l 'oeuvre


sociale ; qu'il est vrai, également que ï' enumeration du décret du 2 novembre
194S (article R. 432-2 du Code du Travail) n'est pas limitative ;
Considérant par contre, que sont limitatives les six rubriques
classant les catégories d'oeuvres, institutions, services de caractère "social"
que force est de constater :
1° - que les termes "oeuvres sociales", "institutions", "services",
■impliquent une organisation dotée d'une certaine permanence et d'une certaine
stabilité ; que tel n'est pas le cas d'une dépense occationnelle couvrant les
frais d'un déplacement à PARIS pour participer à une manifestation isolée,
de caractère exceptionnel ;
2° - qu'une neutralité absolue s'impose au comité dans l'exercice
de ses attributions "sociales" ; que cette neutralité est violée lorsque,
comme en l'espèce, la manifestation projetée avait pour objet, ainsi qu'il
résulte des pièces du dossier, de protester contre les décisions prises par
le gouvernement français sn matière de politique économique s 'agissant,
notamment de l'attitude de "capitulation", d''abandon"\ (imputée au gouvernement)
d l 'égard de3 Etats-Unis et des trusts américains dans le domaine des
constructions aéronautiques j
3° - que l'article L 432-4 du Code du Travail, complété par la
loi n° 75-5 du 3 Janvier 1975, traite des. attributions du comité d'entreprise
"dans l'ordre économique", s 'agissant notamment de la gestion et de la marche
générale de l'entreprise, de la structure et du volume des effectifs, de
l'évolution et des prévisions d'emploi, des projets de compression d'effectifs,
étant précisé par le texte que le comité exerce ces attributions à titre
consultatif j qu'il en résulte ainsi que l'a relevé à juste titre le Tribunal,
que même si elle figure habituellement au budget du comité, la "défense de
l'emploi" invoquée par l'appelant n'entre pas dans le cadre des "oeuvres
sociales" dont la gestion est confiée au comité d'entreprise ;

Considérant, ainsi, que le déplacement envisagé pour participer


à une manifestation épisodique de protestation contre la politique économique
du gouvernement ne constituant pas une oeuvre sociale, c'est â bon droit que
le t-Hbunal a prononcé l'annulation critiquée par l'appelant ;
- 81 -

PAR CES MOTIFS


Déclare LE HOUEDEC, es-qualité, mal fondé en son appel, et
l 'en déboute ;
Confirme en conséquence le jugement attaqué en toutes ses
dispositions j
ï ajoutant met Gilbert COLAS hors de cause, et le déclare
étranger à la procédure d'appel ;
Condamne LE BOUEDEC, ès-qualité, au paiement des entiers frais
de procédure de première instance et d'appel ;
Observations
II a déjà été tant et si bien écrit sur la notion d'oeuvre
sociale qu'on hésite â ajouter quelques remarques, nécessairement rapides
dans le cadre de cette chronique, aux réflexions approfondies déjà publiées
sur le sujet (1). Mais le présent arrêt adopte à l'appui de sa décision des
motifs si percutants qu'il ne peut laisser le lecteur indifférent et muet.

L'affaire soumise â la Cour de Rennes était en liaison assez


étroite avec la situation difficile que connaît depuis une demi douzaine
d'années l'économie des pays occidentaux. Au cours de l'année 1976, le
personnel de la Société Nationale .Industrielle Aérospatiale (S.N.I. A. S.)
avait connu un certain nombre d'inquiétudes alimentées par l'annonce d'un
important déficit d'exploitation et par des projets de restructuration de
l'entreprise. La crainte de se retrouver sans travail avait amené certains
travailleurs des différentes usines de cette firme à organiser à Paris, le
22 avril 1977, une manifestation patronnée par des organisations syndicales.
Ils se proposaient d'attirer l'attention des pouvoirs publics autant que de
leurs dirigeants sur les conséquences humaines de toute décision patronale
de compression de personnel et sur certains moyens qui, â leur avis, pouvaient
éviter d'en arriver â cette pénible extrémité. Le coût d'un voyage dans la
capitale apparaissait trop élevé pour leur budget â bon nombre de travailleurs
de l'usine de Bouguenais située dans la banlieue de Nantes. Aussi les
syndicalistes élus au comité de cet établissement, avaient-ils provoqué la réunion

(1) On nous permettra pour ne pas alourdir exagérément ce texte, de ne citer


que les études les plus récentes. Elles renvoient aux plus anciennes : CHALASON,
La notion d'oeuvre sociale, Dr. Soc. n° spécial, Mars 1979 p. 63 et S. ;
J. SAVATIER, première partie d'une note sous le jugement du TGI de NANTES,
rendu dans la présente espèce, D. 1979S38 ; LAVAGNE, Oeuvres sociales des
comités d'entreprise, Rev. Trim. Dr. Sanit. et soc. 1978 p. 408
- 32 -

extraordinaire de celui-ci pour que soit affecté un crédit de 10 000 F


à la subvention des frais de transport du personnel qui se rendrait â
P.aris. Cet ordre du jour avait été voté par tous les élus ; seul, le
directeur de l'établissement, président du comité, s'opposait à cette
décision.

Il ne devait d'ailleurs pas en rester là. Et quelque temps


plus tard, il intentait devant le Tribunal de Grande Instance de Nantes,
une action en annulation de la délibération du comité. La société anonyme
S.N.I. A. S., employeur, se joignait à sa demande ; ce qui apparaît inutile (12).
Ils triomphaient dans cette première instance. Le secrétaire du comité qui
avait été assigné es -qualité interjetait appel devant la Cour de Rennes.
Ainsi que le note très justement celle-ci, le seul problème à résoudre
était celui de savoir si la subvention votée était effectivement destinée
I financer une oeuvre sociale au sens des articles L. 432-2 et R. 432-2 du
Code du Travail, issus, le premier de l'ordonnance du 22 février 1945 créant
les comités d'entreprise, l'autre du décret du 2 novembre 1945 pris pour
son application. Dans l'affirmative, la délibération ne pouvait être annulée.
Dans le cas contraire, elle devait l'être.

Le pouvoir de décision des comités d'entreprise et d'établissement


est, an effet, enserré dans d'étroites limites. Leur budget est soumis par la
loi à une stricte affectation : ils ne sauraient l'utiliser au gré de leurs
convenances. Leurs délibérations ne peuvent sortir du cadre légal sans encourir
la nullité. Pour apprécier l'arrêt de la Cour de Rennes qui estime réunies
les conditions d'une telle annulation, il s'agit de voir, tout d'abord, si
le voyage du personnel de la S.N.I. A. S. de Bouguenais à Paris constituait
une oeuvre. (I), puis s'il s'agissait d'une oeuvre sociale au sens général
du terme (II) et, de plus, si cette oeuvre sociale entrait bien dans les
limites tracées par le Code du Travail (III).

I - LA NOTION D'OEUVRE

Selon la Cour, une oeuvre implique "une organisation dotée d'une


certaine permanence et d'une certaine stabilité". Elle en déduit que la

(1) J. SAVATIER, op. cit., p. 340, col. 1


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décision du comité d'établissement ne pouvait être légale puisqu'elle visait


I rembourser les frais de déplacement à Paris pour participer à une
manifestation isolée de caractère exceptionnel.

Si Ton s'en tenait â la lettre du code, on ne pourrait


qu'approuver ce point de vue. Les articles L. 432-2 et R. 432-2 parlent des
oeuvres sociales établies dans l'entreprise. Les sections II et III du
chapitre II au titre troisième de la partie réglementaire du même code
s'intitulent respectivement : "Institutions sociales d'entreprises" et
"Gestion des oeuvres sociales". Tous ces termes supposent dans l'oeuvre
durée plus ou moins prolongée, permanence et continuité. D'ailleurs» tous
les exemples cités par l'article R. 432-2 vont en ce sens. Aucun ne se
rapportes une intervention passagère du comité.

Mais ainsi qu'on l'a fait récemment remarquer, l'examen


de la jurisprudence relative à la notion d'oeuvres sociales conduit à
penser que "la lettre de la loi sur ce point n'est qu'indicative et non
pas normative" (1). Il semble bien, en effet, que telle ait été la volonté
du législateur. Il n'a pas entendu lier par des mots les organismes qu'il
mettait en place. L'ordonnance du 22 février 1945 et son décret d'application
opéraient â leur profit une transmission de droits et de pouvoirs qui
appartenaient jusque là â l'employeur. Ces textes ênuméraient ce qu'ils
transféraient : il ne pouvait s'agir que des "oeuvres-institutions" qui se trouvaient
à ce moment-ll dans le patrimoine patronal. Il va de soi qu'ils n'interdisent
pas aux comités d'en créer de nouvelles ni de procéder comme le faisait
parfois jusque là l'employeur à l'accomplissement d '"oeuvres-opérations
ponctuelles".

Ce droit leur a été reconnu â diverses reprises tout aussi bien


par la Cour de cassation que par de nombreuses, autres juridictions. La décision
la plus remarquable en ce sens émane des chambres réunies, en date du 20 mai
1965. Elle approuve la création par le comité d'entreprise des Etablissements
J.J. CARNAUD et des FORGES DE BASSE INDRE, d'une allocation de bourses au
profit des salariés ayant bénéficié d'un congé d'éducation et de formation
syndicale dans le cadre de la loi du 23 Juillet 1957 (2). Or l'instauration

(1) CHALARON, op. ait., p. 64 n° 4


(2) Ch. réun. 20 »kzi 1965, Bull. civ. n° 4, p. S j J.C.P. 1965. 14358, Obs.
E.R:.,Dr. Soc. 1965 558, Obs. J. SAVATIER; BRUN, La Jurisprudence en droit
du travail, p. 540 n° 136 ; LîON-CAEN et FELJSSIER, les grands arrêts en
droit du travail, p. 192, n° 78
- 34 -

de ces indemnités ne nécessitait pas la mise sur pied d'une institution.


Elle réclamait simplement l'inscription d'une ligne budgétaire nouvelle
dans les autorisations de dépense du comité. On peut aussi noter que la
chambre sociale a reconnu de son côté la légalité des délibérations accordant
le versement de secours exceptionnels aux travailleurs de l'entreprise (1) ;
également quelques juridictions du fond (2).

Dans ces conditions, on comprend mal. la position de la Cour


de Rennes. A contre-courant, elle restreint au maximum, non les pouvoirs
des comités, mais les modalités de leurs interventions. Elle ne leur permet
que de créer des oeuvres-institutions souvent aussi lourdes â gérer que
difficiles I faire disparaître lorsque rien ne les justifie plus. Elle les
prive, par contre, de la possibilité d'actions ponctuelles fort utiles, en
diverses circonstances, pour les travailleurs et leurs familles et qui ont
l'avantage de ne pas se pérenniser alors qu'elles sont devenues sans utilité.
Sans doute a-t-elle craint les excès. Mais c'est en se plaçant sur un autre
terrain qu'il faut lutter contre eux. Si la Cour voulait déclarer illégale
la subvention votée par le comité de la S.N.I.A.S.-Bouguenais, ce n'est pas
en lui déniant la qualification d'oeuvre qu'il fallait le faire. Il suffisait
de porter l'analyse ailleurs, en se demandant si cette oeuvre - car c'an
était bien une - était effectivement sociale et, 3 supposer qu'elle le fût,
si elle entrait dans les prévisions de la loi.

II - LA NOTION D'OEUVRE SOCIALE EN GENERAL

Pour la Cour de Rennes, le voyage subventionné ne constituait


pas une activité sociale (3). Pour l'affirmer, elle s'appuie à nouveau sur

(1) Soc. 8 Juin 1977, Bull. civ. n° 380 p. 301 ; J.C.P. 1979 19089,
Obs. D. LE GRAND
(2) TGI Villefranche s/ Saône, 7 Janvier 1972, JCP 1973 17536, Obs. anonyme ;
TGI Albertville, 27 Juin 1972, Rev. Prat. Dr. Soc. 1972. Sorm. 307 n° 331 ;
TGI Dnkerque, S Juillet 1978, D. 1979 1.8. 21, note Ph. LANGLOIS ; TGI Paris,
22 Mars 1978, Dr. ouvr. 1978 176, note HENRÏ ; TGI Chaumont, 8 Octobre 1970,
Dr. Soc. 1971 4S7
(3) LORY, Définition de l'aation sociale, Rev. Trim. Dr. Sanit. et Soc. 1965. 15
"Tl faut admettre l'identité de nature entre oeuvre 3odale et action sociale"
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un argument de texte. L'article L 432-4 du Code du Travail considère comme


économiques les problèmes de gestion du personnel. La manifestation prévue
ayant pour objectif de peser sur les décisions de la direction relatives â
des compressions d'effectif ne pouvait, â son avis, qu'être de même nature.
Le soutien que lui apportait le comité se situait donc hors de ses attributions
légales. Il pouvait en ce domaine, exprimer un avis, noter une motion, etc..
mais non décider de consacrer une certaine somme d'argent pour tenter
d'infléchir la politique de la direction et, dans le même temps, celle du
gouvernement : "La défense de l'emploi, dit l'arrêt, n'entre pas dans le cadre des
oeuvres sociales".

L'affirmation de prime abord surprend. Elle découle d'une


conception traditionnelle de l'action sociale (1). On peut se demander si cette
vision des choses mérite encore d'être retenue aujourd'hui.

Au 19e et au début du 20e siècle, on considérait que l'activité


sociale consistait uniquement à remédier aux injustices et aux inégalités
engendrées par le système économique au moyen d'interventions désintéressées
au profit de ses victimes (2). L'oeuvre sociale était une catégorie d'oeuvres
caritatives : elle allait au secours des handicapés, des sans-travail, des
personnes âgées que le labeur avait usées sans les enrichir, etc. En un mot,
elle apportait son soutien I tous ceux que le capitalisme sauvage plongeait
dans le besoin et dans la misère. Le domaine du social se situait exclusivement
en aval de la décision économique puisqu'il avait pour rôle d'en réparer les
conséquences. Dans cette optique, il est indiscutable que la manifestation
organisée à Paris par les travailleurs de la S.N.I. A. S. n'entrait pas dans
les limites du social. Ils agissaient avant d'être chômeurs pour tenter
d'éviter de le devenir. Ils n'avaient pas encore à se plaindre du fonctionnement
de la machine économique. Ils en redoutaient seulement les effets.

Mais cette délimitation de l'action sociale ne paraît plus pouvoir


être seule retenue de nos jours : sans perdre cette dimension qu'elle conserve
encore actuellement, elle en a acquis une nouvelle. Dès l'époque précédente,
dans les faits sinon dans la théorie, elle commençait â déborder les étroites
frontières qui viennent d'être décrites. L'idée qu'il vaut mieux prévenir que

(1) y> note (3) page précédente

(2) ALFANDARI, Aide sociale et action sociale, Paris, Dalloz, 19743n° 65 p. 35.
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guérir s'imposait aussi dans les relations professionnelles de manière


assez large. C'est ainsi qu'à côté de la législation sur la réparation
des accidents du travail et des maladies professionnelles s'inscrivait,
à partir du décret du 10 juillet 1913, toute une réglementation des normes
d'hygiène et de sécurité imposées aux entrepreneurs pour éviter que ne
se produisent ces risques sociaux. Par la suite, â côté des allocations et
assurance chômage qui n'avaient qu'une fonction compensatrice s'élabora
une législation tendant à favoriser le plein emploi. Sur ces points et sur
bien d'autres., des lois qualifiées, à juste titre,. de sociales, des clauses
de conventions collectives apparaissaient comme un contrepoids au pouvoir
économique de l'employeur pour éviter que l'activité indispensable de
l'entreprise ne provoque des situations préjudiciables à la personne et aux
intérêts des travailleurs. Désormais, il est largement sinon unanimement
admis que le social peut se situer aussi bien en amont qu'en aval de la
décision économique de manière à l'influencer (1). Il n'est plus seulement
le brancardier du capitalisme libéral ; il est devenu à la fois le modérateur
et le secouriste de l'économie néo-libérale.

Prenant acte de cette extension du champ de l'activité sociale,


on est tenté, dans un premier mouvement, de considérer que la manifestation
pour l'emploi organisée, par les salariés de la S.N.I. A. S. en fait partie. Dès
lors, le comité d'établissement se serait trouvé autorisé à subventionner les
participants sans que quiconque puisse s'y opposer. Mais il est indispensable
avant de se prononcer définitivement là-dessus, de se demander si l'ordonnance
du 22 février'1945 se réfère I l'une ou à l'autre des deux conceptions que l'on
peut se faire aujourd'hui du social.

III - LA NOTION D'OEUVRE SOCIALE ETABLIE DANS L'ENTREPRISE (ART L .432-2 CODE
DU TRAVAIL)

En élaborant ce texte, le Gouvernement provisoire de la Rëoublique


Française se proposait une nouvelle distribution des pouvoirs dans l'entreprise

(1) ALFANDARI, op. ait. n° 67 p. 98 ; FOURNIZR et QUESTIAUX, Traité du social


p. 2 ; des mêmes auteurs. Le pouvoir du 3ooial p. 9
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"Qu'ils (les travailleurs) soient associés à la marche des entreprises,


écrit son président ; que leur travail ait les mêmes droits que détient
le capital... c'est ce à quoi je projette d'aboutir" (1). C'est pourquoi,
d'une part, le gouvernement déposséda totalement le chef d'entreprise de
ce qui n'était pas sa fonction essentielle de direction économique : partout
où l'employeur avait créé des oeuvres au profit de son personnel pour lui
attribuer divers avantages destinés à lui faire prendre en patience
l'infériorité de sa condition, ces institutions furent entièrement confiées à la
gestion des comités ; c'étaient indiscutablement des oeuvres sociales au
sens le plus restrictif et le plus ancien du terme. Par contre en ce qui
concerne le pouvoir économique du chef d'entreprise, le législateur se
livre â une intervention d'essence toute différente. Il le limite en confiant
au comité un droit de critique et de suggestions. Ce pouvoir se trouve ainsi
démembré. La liberté absolue qui le caractérisait jusque 14 était, en partie,
Ôtée â l'employeur et cette parcelle de pouvoir dont il se trouvait dépouillé
était octroyée aux organismes nouvellement créés. A la prérogative qui leur
était ainsi accordée, les commentateurs de l'ordonnance donnèrent unanimement
le nom d'attributions économiques. Telle était, en effet, leur nature originelle
elles provenaient d'un amoindrissement du pouvoir économique patronal. Mais
il est bien évident que les comités allaient les exercer dans un tout autre
esprit, avec un souci social. Ils allaient s'en servir pour tenter de faire
prendre en compte, dans la mesure limitée permise par la loi, la dimension
humaine de l'entreprise., en faisant valoir les conséquences que ne manqueraient
pas d'avoir sur les travailleurs les décisions économiques prises par le
capital. Selon la volonté du Général de Gaulle, c'était l'amorce d'une
association du capital et du travail qui se dessinait. Si bien que la
dénomination courante donnée aux prérogatives des comités énoncées dans
l'article 3 de l'ordonnance, devenue l'article L 432-4 du Code, ne rend que
partiellement compte de la réalité. Elles devraient être qualifiées de
socio-économiques, car elles ont une double nature qu'elles tiennent pour
partie de leur source et pour partie de leur finalité (2). Le texte de
l'ordonnance n'est d'ailleurs pas aussi net qu'on Ta prétendu et il justifie
parfaitement notre interprétation : "dans Tordre économique dit-il, le
comité d'entreprise exerce, â titre consultatif, les attributions suivantes..."

(1) CE. de GAULLEy Mémoire de guerre, t. 3 Le Salut, p. 97


(2) Que l'activité sociale puisse être parfois purement sociale et parfois
partiellement sociale seulement semble avoir été perçu par M. SAVATIER
dans sa note sous TGI fiantes, 14 Novembre 1970, préc. p. 638, col. 2.
De même GRAND-JOIE, Attributions socio-économiques des comités* dans
"Liaisons sociales" n° spécial 4807* Sept. 1979
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Autrement dit, en marge des décisions économiques, il remplit une fonction


sociale. Mais Tes limites de celle-ci sont nettement indiquées. Alors que
dans le domaine purement social, il a pouvoir de décision pour l'utilisation
des fonds qui lui sont propres, dans ce domaine mixte, social autant
qu'économique, le législateur lui a seulement permis d'émettre des avis, des opinions,
des critiques, voire des suggestions construct! ves. Il ne dispose d'aucun
moyen financier pour soutenir son activité en ce domaine, ni pour appuyer
une opération du personnel qui s'exercerait dans le même sens, car elle
non plus n'est pas purement sociale, mais également socio-économique. Or,
lorsque le comité inscrivait I son budget une provision au titre d1 "action
sociale destinée â la défense de l'emploi", afin de subventionner une
manifestation, bien qu'adoptant assurément une attitude i finalité sociale, il
empiétait largement sur le terrain de la contestation économique.

Cette constatation, clairement faite par la Cour, suffirait


à elle seule à justifier l'annulation de la décision contestée. Cependant,
elle ne s'en contente pas. Sans doute a-t-elle pressenti que le comité
d'établissement en subventionnant la manifestation du 22 avril 1977 avait,
en partie, fait oeuvre sociale et a-t-elle voulu démontrer pourquoi, malgré
cet aspect social, il ne pouvait disposer de son budget. Elle insiste sur
le fait que sa décision n'était pas neutre, que son aide était discriminatoire,
car elle ne pouvait profiter à tous les salariés de l'établissement.

Il est, en effet, de jurisprudence constante depuis l'arrêt


des chambres réunies du 20 mai 1965 que les oeuvres sociales établies par
le comité d'entreprise doivent être instituées en faveur des seuls salariés
de celle-ci sans aucune discrimination entre eux (1). Cette stricte neutralité
imposée au comité est finalement assez peu discutée en doctrine (2).

(1) Arrêt précédent. . Dans le même 3ensy Soc. 3 Juin 1977 préc.

TGI Pau 18 Mai 1971, Dr. Soc. 1972 p. 118, Obs. J. SAVATIERjTGI Chcaanont
8 Octobre 1970 préc.
(2) BRUN et GALLAND, Droit du Travail, t. 2, p. 2S4 n° 939 ; CAMERLYNCK et
LYON-CAEN, Droit du Travail, p. 388 et 3. j COUTURIER, Rep. Dr. du Trav. Dalloz
V° Comité d'entreprise (Rôle, attributions, financement) n° 158 ; GROUTEL,
Droit du Travail p. 236 n° 638 ; JAVILLIER Droit du Travail p. 388 et s. ;
d noter apt une réserve implicite de cet auteur dans son complément avec mise
à jour du 1er Juin 1979 ; OLLIER, le droit du travail p. 473-474 ; RI7ER0 et
SAVATIER, Droit du Travail, p. 195 ; BRUN op. cit. ibid ; LION-CAEN et PELISSIER:
op. cit. ibid ; DESPAX et PELISSIER, la gestion du personnel, t. 3 p. 191 et s.
.

SAVATIER, Obs. sous TGI CBAUMONT, 8 Octobre 1970, Dr. Soc. 1971. 460 : COHEN,
Le Droit des comités d'entreprise p. 579
- 89 -

II paraît indéniable que le comité ne l'avait pas respectée en l'espèce.


On eût aimé savoir à quelles organisations syndicales appartenaient les
travailleurs à qui revenait l'initiative de la manifestation. Ni en première
instance, ni en appel, les demandeurs en nullité ne l'ont fait savoir et
Ton peut s'interroger sur les motifs de leur silence. Etaient-ce toutes
les organisations représentatives dans l'entreprise ? On a tout lieu d'en
douter. Certaines d'entre elles s'étaient probablement montré hostiles à
l'égard d'une "célébration liturgique" (1) qu'elles condamnent de façon
régulière, ne croyant pas â l'efficacité de ces déploiements de banderoles
- bannières, ni de ces défilés- processions. D'autres avaient probablement dû
reprocher î ce mouvement de protestations le contenu politique de sa plateforme
revendicative. Et de toutes façons, môme si les organisations syndicales avaient
été unanimes pour une fois, nombreux auraient été parmi les non-syndiqués,
ceux qui se seraient trouvés empêchés de prendre part au voyage en raison
de l'orientation partisane donnée à la manifestation. Ils auraient été par
là même écartés du bénéfice des subsides accordés aux participants. Ce qui
entraînait la condamnation de la subvention.

Dans les affaires similaires jugées antérieurement, l'absence


de neutralité était beaucoup Plus évidente. Car il s'agissait de déplacements
pour se rendre à des congrès organisés soit par un parti politique (2), soit
par un syndicat (3). Ici, le demandeur n'ayant pas apporté la preuve que la
manifestation était due à l'initiative d'un groupe déterminé, le doute serait
permis sur ce point, si l'annonce du voyage et sa finalité n'avait été faite
en des termes qui excluaient d'y participer, une fraction non négligeable
du personnel qui pouvait légitimement penser que la stratégie adoptée n'était
pas de nature à protéger l'emploi.

On est aussi conduit à se demander si un libellé plus astucieux


de la ligne budgétaire consacrée â l'attribution de la subvention eût pu
éviter cette cause de censure. Ainsi aurait-on pu prévoir, par exemple, une
"subvention destinée à couvrir les dépenses engagées par les membres du

(1) L'expression est attribuée à des dirigeants de la CFDT pour qualifier la


journée nationale d'action du 21 Décembre 1978, à laquelle ils refusèrent de
participer.
(2) Trib. Civ. Seine» 3 Juillet 1963, J.C.P. 1963 13448* aoncl. SOULEAV
(3) TGI Pau, 18 Mai 1971, préo. ; TGI Pantoise 18 Mai 1977, Jur. Soc. 1977 247
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personnel pour participer à toutes actions de défense de l'emploi". Une


telle présentation eût sans doute pu éviter à la décision d'être annulée
pour discrimination, mais elle, n'aurait pas pour autant transformé sa
nature. Elle serait demeurée une délibération socio-économique et, pour
ce motif, n'aurait pu trouver grâce aux yeux de la cour (1).

Au surplus, il convient, de signaler que la doctrine la plus


récente pense â juste titre que l'ordonnance du 22 février 1945 cache une
exigence qui n'est guère apparue jusqu'à présent dans la motivation des
arrêts, mais qui pourrait bien y prendre une place importante dans les
années à venir. L'occasion eût d'ailleurs été bonne d'y faire allusion
dans la présente espèce. Tout donne à penser que l'article R. 432-2 du
Code du Travail impose au comité de rechercher dans l'utilisation de ses
ressources un résultat immédiat - matériel ou moral, il importe peu - et
nettement dëterminable (2). Une oeuvre sociale doit donner des résultats
tangibles contrairement à une action collective ouvrière dirigée le plus
souvent par un syndicat qui peut ne viser que des objectifs plus lointains,
plus imprécis, moins facilement identifiables. Il en résulte qu'un voyage,
une manifestation qui sont indiscutablement une forme d'action collective
légale ne méritent pas la qualification d'oeuvre sociale au sens de
l'ordonnance, car ils n'entraînent pas pour les salariés un résultat suffisamment
direct et palpable.

Ce point de vue ne peut que se trouver conforté par la position


du ministère du travail pour qui l'oeuvre sociale se caractérise d'abord
par son but : "l'influence directe qu'elle exerce sur les conditions d'emploi
et de vie des travailleurs de l'entreprise at de leur famille" (3).

*
*

En prenant un peu de recul par rapport au texte de l'arrêt,


on constate que la Cour refuse au comité le droit de se livrer directement

(1) CMLAROti, Op. Cit. p. 85 n° 8 et p. 66 n° 9


(2) La aour d'appel de Rouen, le 14 Juin 1979 a condamné une subvention
de ae genre (Gaz. Pal. 21-22 Mars 1980 p. 4)
(3) Rep. Minist. J.O. Débats Ass. Nat. 3 Avril 1969 p. 335
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ou indirectement à un acte de contestation du pouvoir économique gouverne- .


mental aussi bien que patronal. Ce faisant, elle se situe dans la ligne
voulue par le législateur. Celui-ci souhaitait faire de cet organisme un
instrument de paix sociale, de proposition, de suggestion à l'intérieur
de l'entreprise, non un lieu d'affrontements et d'oppositions stériles (1).
Cet objectif peut paraître utopique, surtout lorsqu'on sait par ailleurs le
rôle privilégié qui y était confié aux syndicats. La philosophie qui anime
les deux plus importantes organisations de salariés ne les aide guère â se
conformer aux voeux de la loi. Ce n'est pas au juge, en tous cas, de les
approuver lorsqu'ils y manquent.

Joseph LE CALONNEC
Chargé de conférences
â la Faculté de Droit, d'Economie
et des Sciences sociales d1 ANGERS

(1) L'article L 432-1 dit textuellement : "le comité d'entreprise coopère


avec la direction. . . "

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