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Romantisme

Silence, on fantasme. Lecture de « Pierrot sceptique », pantomime


de L. Hennique et J.-K. Huysmans
Jean-Marie Seillan

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Seillan Jean-Marie. Silence, on fantasme. Lecture de « Pierrot sceptique », pantomime de L. Hennique et J.-K. Huysmans. In:
Romantisme, 1992, n°75. Les petits maîtres du rire. pp. 71-82;

doi : https://doi.org/10.3406/roman.1992.6003

https://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1992_num_22_75_6003

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Jean-Marie SEILLAN

Silence, on fantasme
Lecture de Pierrot sceptique,
Pantomime de L. Hennique et J.-K. Huysmans

Huysmans et les critiques après lui l'ont répété bien souvent : il détestait
Г« ignoble industrie du théâtre » \ faisait preuve d'un mépris hargneux pour les
dramaturges, enrichis selon lui par d'indignes moyens, pour les comédiens - son
affection pour son vieil ami Girard se teinte d'un apitoiement condescendant pour
son métier de comédien - et plus encore, une fois qu'il fut devenu l'apologiste de
la souffrance, pour la comédie, pour le rire partagé avec ce public détesté qui
l'écartait également des salles de concert.
Peu de romans, au surplus, qui soient aussi peu scéniques que les siens ou qui
aient moins tenté, comme le voulait pourtant l'usage de l'époque, un adaptateur 2:
dans les premiers, l'événement, se dissolvant dans l'itération, ne laisse jamais
espérer le moindre renversement dramatique de situation, l'ébauche d'un coup de
théâtre ; plus tard, les ruminations solitaires de des Esseintes, pas plus que les
luttes spirituelles de Durtal, ne se prêtent aisément à la mise en scène, à une
époque surtout où va s'imposer Antoine avec son théâtre libre ; quant au
didactisme massif des dernières œuvres, quel acteur pourrait donc endosser - et quel
spectateur supporter - le rôle d'un abbé Plomb ? Le discours des personnages,
davantage soucieux de transmettre un savoir que de faire évoluer d'immuables
situations, ne se distingue pas, sous le rapport stylistique, de la narration elle-
même 3 ; il n'a d'oral que quelques exclamations ou tournures familières et
présente des caractères syntaxiques et lexicaux sans relation avec la langue
parlée 4.
La seule pièce qu'il ait jamais écrite, la pantomime intitulée Pierrot
sceptique 5, constitue donc un hapax dans cette œuvre. Publiée en 1881 chez Rouveyre,
sous la double signature de Joris-Karl Huysmans et de Léon Hennique, elle ne fut,
semble-il, jamais représentée, ni suivie, d'ailleurs, des six autres pantomimes б
dont les deux auteurs annonçaient la publication commune. La situation de ce
texte marginal a dû sembler à plus d'un embarrassante : si Lucien Descaves l'a
republié dans l'édition Crès des Œuvres Complètes de Huysmans, le texte n'a attiré
depuis aucun éditeur et Michael Issacharoff, par exemple, dans son Huysmans
devant la critique 7, ne l'a pas retenu dans la liste des publications étudiées 8.
Pierrot sceptique offre de surcroît le cas, unique chez Huysmans, d'un texte
écrit en collaboration et pose le problème délicat de la participation respective des
deux auteurs. Huysmans, à notre connaissance, ne s'est jamais expliqué sur ce
point, même dans la monographie qu'il consacra à Hennique dans la série Les
Hommes d'aujourd'hui en 1887 9 : il ne cite pas la pantomime au nombre des
œuvres de son ami, sans qu'on puisse expliquer ce silence autrement que par des

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conjectures. Hennique, lui, a raconté beaucoup plus tard l'origine et la nature de


leur collaboration, provoquée par une admiration commune pour les acteurs
acrobates anglais qui se produisaient à Paris en 1879, les Hanlon-Lees :

Huysmans me dit un soir, après les avoir vus : « Tiens, ce serait amusant de
faire quelque chose dans ce goût-là». Nous avons arrêté le scénario ensemble.
J'ai écrit la pantomime, je la lui ai passée et il a fait les changements qu'il a
voulus 10.

Sans doute cette confidence, en dépit de son caractère un peu désinvolte, offre-
t-elle des informations précieuses. Il n'est pas sans intérêt de savoir que l'initiative
de la pièce est revenue à Huysmans u et qu'il a porté la dernière main à l'écriture,
effectué librement les derniers réaménagements stylistiques (mais de quel ordre, de
quelle ampleur ?). Cependant, elle demeure fort imprécise sur des aspects à nos
yeux essentiels (le « scénario » inclut-il les qualifications des personnages ou
seulement la distribution des principaux rôles actantiels ? Га-t-on dit « arrêté »
avant ou après le découpage scénique ?) et ne permet guère d'attribuer à chacun,
dans la production commune, la part exacte qui lui revient.
En revanche, le texte de la pantomime lui-même, par certains traits
stylistiques, désigne souvent à l'intuition l'intervention probable de Huysmans : telle
métaphore (« des mendiants fleuris d'ulcères et damassés de croûtes » n, p. 100),
des antépositions d'adjectifs caractéristiques (« une chérissable et silencieuse sido-
nie », ibid.), tel rythme (une cadence ternaire mineure : « Le cassis l'a retenu /
chez un concierge / dans une loge / au loin », p. 125), telle description (« La
nuit descend. Elle enténèbre les encoignures des portes, emplit le renfoncement
des fenêtres, creuse encore le porche de l'église ; elle coule sur les pavés, monte
sur les façades des maisons... », p. 111), qui annonce celle de la fin du chapitre
IV d'En Rade 13, constituent autant de signatures stylistiques reconnaissables.
Surtout, de nombreux motifs mis en scène dans la pièce se retrouvent dans les
œuvres contemporaines publiées par Huysmans. Le choix du personnage de
Pierrot, qu'on y rencontre fréquemment 14, ne saurait certes tenu pour significatif à
lui seul : Jean de Palacio vient de montrer, en étudiant, dans son Pierrot fin de
siècle, les très nombreuses pantomimes composées à cette époque, comment et
pourquoi la face enfarinée de Pierrot hante l'imaginaire décadent et en condense les
angoisses 15. Mais le personnage du coiffeur de la scène II, avec sa pommade, ses
brosses et sa vigueur de forcené, rappelle de fort près celui des Croquis parisiens 1б
publié pour la première fois en février 1881 ; la sidonie et la thérèse, les deux
femmes-mannequins de la pièce, se voient, dès le salon de 1879 17, associées l'une
à l'autre et se retrouveront sous une forme voisine dans « l'Etiage » 18, de
publication un peu plus tardive, il est vrai. La facticité qui les définit annonce, en
suggérant que « la nature a fait son temps » 19, la thématique centrale d'A
Rebours. Les décors de la pièce (des vitrines de magasins remplies d'objets
factices ^ et les seuls meubles de la chambre de Pierrot (la table et le lit) rappellent,
pour les premiers, les « montres » exposées dans les Sœurs Vatard et En
Ménage, pour les autres une équivalence métaphorique particulièrement fréquente
et féconde dans l'imaginaire de Huysmans.
De plus, si ce dernier n'a publié, sous sa seule signature, aucune autre
pantomime qui permettrait peut-être de mesurer plus exactement son apport propre dans
Pierrot sceptique, il n'en va pas de même pour Hennique qui fit paraître, vingt-
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deux ans plus tard, deux autres Pierrots : Le songe d'une nuit d'hiver et La
Rédemption de Pierrot 21. La lecture comparée des trois textes révèle, nous
semble-t-il, que la participation de Huysmans dans le premier dut être
considérable : ni les linéaments principaux du scénario, ni le choix des figures
secondaires, singulièrement révélateur, ni le détail stylistique ne rappellent comme
Pierrot sceptique des textes de Huysmans. A part O. R. Morgan qui sent, mais
sans s'expliquer davantage, une continuité d'inspiration entre les trois
pantomimes 22, les critiques y trouvent, à juste titre nous semble-t-il, la preuve de
l'importante collaboration de Huysmans dans la création de la première 23.
Huysmans lui-même, en dépit de son dédain pour « la sordide chimère du
théâtre » 24, nous invite d'ailleurs à ne pas voir, dans le genre prétendu mineur de
la pantomime, les seuls coups de pieds au cul, galopades, grimaces et culbutes
généreusement dispensés dans Pierrot sceptique. A propos des Hanlon-Lees, qu'il
admire et imite, il écrit dans les Croquis parisiens :

De l'examen attentif de ces rires, il est résulté pour moi que le public ne voyait
dans cette admirable pantomime qu'une parade de funambules [...] Pour les
esprits plus réfléchis et plus actifs, la question est tout autre 2S.

S'il voit, dans Le Duel joué par les mimes anglais, une « cruelle étude [...]
si vraie dans sa froide folie », s'il y reconnaît « la vie seule se dress[ant] devant
nous, pantelante et superbe » M, comment ne pas accorder une égale ambition et
le même sérieux à la tentative de Huysmans qu'ils ont directement inspirée ? Lui-
même nous met ainsi en garde : il ne faut pas s'en tenir à l'apparente
insignifiance ou incohérence de cette pièce, ni se résigner à croire, avec Morgan, que « a
description of the action of Pierrot sceptique renders further comment
superfluous » 27.
Une autre raison nous invite à une écoute attentive. Plusieurs traits formels
rapprochent le texte de la pantomime d'une autre forme d'écriture, le récit de rêve,
qui attirera Huysmans moins de deux ans plus tard. Comme le récit de rêve, en
effet, la pantomime, forme muette, ignore le dialogue, toute forme d'expression
verbale : « le contenu représentatif n'est pas pensé, mais transformé en images
sensibles » M. Le texte intégral de la pièce, même quand il offre le récit des
paroles ou des pensées de Pierrot, qui sont écrites pour n'être pas dites, vaut comme
une longue didascalie : celle-ci doit se transformer sur scène, ou du moins dans
l'imagination du lecteur, en purs signes visuels et sonores. Comme le récit de
rêve encore, et comme les didascalies, la pantomime ne connaît qu'un temps et
qu'un mode, le présent de l'indicatif, sans qu'aucun saut temporel, analeptique ou
proleptique, sans qu'aucun énoncé autre que singulatif ne soient possibles. Tout,
pensées, souvenirs, projets, est également et uniformément actualisé. Les désirs,
comme les faits à part entière, sont condamnés à s'accomplir gestuellement рощ-
accéder à l'expression : un désir de mort deviendra meurtre accompli, sous le
projecteur et la loupe fortement grossissante du comique gestuel. La figuration
symbolique s'apparentera donc à celle qui prévaut dans le rêve. Les mots seront pris
comme des choses, les métaphores, comme dans les récits de rêve ou de rêveries
d'En Rade par exemple 29, entendues à la lettre : comment, s'interroge le séducteur
Pierrot, allumer une femme froide, sinon en Y enflammant ? et Pierrot de mettre le
feu à la sidonie, qui va bien sûr, mannequin de cire, se mettre à fondre pour lui.
C'est que la pantomime - qui n'est pas pour autant une forme libre - libère
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l'invention des contraintes du vraisemblable et de la motivation réaliste 30,


autorise, dans les enchaînements événementiels, un très haut degré d'arbitraire
apparent, que met largement à profit le fantasme pour y substituer sa logique
propre. De là l'impression d'« absurdité fantastique » 31 commune à cette pièce et
au récit d'un rêve. Sans doute, pour en rendre compte, faudra-t-il parfois céder à
« cette mauvaise habitude de la psychanalyse qui consiste à appeler en
témoignage des minuties » 32. Mais elles offriront au moins dans ce texte une
incongruité parfois réjouissante.

Pierrot sceptique se compose de treize scènes. Celles-ci se rangent en deux


séquences successives et peu ou prou symétriques autour de la scène VI, la charnière
de la pièce. Les cinq premières scènes se déroulent le soir et réalisent un
programme narratif de la disjonction : Pierrot vient de perdre sa femme et se retrouve
seul. Dans les sept dernières, une fois la nuit tombée, il cherche et croit trouver,
non sans déconvenues, une remplaçante, dans un programme opposée de
conjonction. Au centre, partageant la pièce en ces deux « actes » implicites qui se
terminent ^identiquement par les mouvements d'une foule en désordre, prend place la
seule scène d'où Pierrot soit absent. Cette scène centrale, qui marque une forte
rupture temporelle et actantielle, présente autant d'importance au plan sémantique
que sous le rapport structurel.
Elle nous fait assister, avec une lenteur qui rompt le rythme frénétique et
tapageur de la pantomime, à une apparition silencieuse, solennelle : de nuit, dans
un lieu public déserté par les hommes, derrière une vitrine éclairée 33, va s'éveiller
une figure féminine (le mannequin d'un coiffeur, alors communément surnommé
Sidonie) dont la dualité, repérable jusque dans la disjonction des alinéas, suffirait à
persuader que cet épisode de la pièce appartient en propre à Huysmans :

Elle étincelle. De la lumière l'encadre d'une auréole et elle apparaît,


immobile, la physionomie placide, divine en son costume de mariée, pareille à
ces madones qui, dominant les tabernacles dans le jour assombri des voûtes, se
détachent radieuses sur un fond d'or.
Elle frissonne.
Lentement ses yeux s'animent, sa poitrine vibre. Un sourire lui met de la
clarté aux dents. Elle étire avec volupté ses bras, élevant ainsi une ombre sur
son visage et à sa céleste quiétude succède un pâmoison avachie, une torpeur
éreintée de fille (p. 112).

C'est évidemment cette figure féminine aux composantes antithétiques (la


divine épouse, radieuse, pure, irréelle, se métamorphose, quand l'ombre et les
signes de la volupté viennent à glisser sur son visage, en une prostituée obscène,
ayant appartenu à tous) que Pierrot va désirer, tenter vainement de séduire et
finalement assassiner. La dualité est si consubstantielle à ce personnage qu'elle
reparaît, par alternance, deux fois encore dans les scènes suivant son apparition :
tandis que la sidonie idéale se manifeste de nouveau « rigide, sans regard, comme
une statue » dans la scène IX (p. 1 19), d'un coup elle « se dresse avec une geste
de poissarde » (p. 120) devant le marbrier effaré ; après quoi, elle reprend avec
Pierrot un frigidité (scène X) qu'elle s'empresse d'abandonner dans la scène
suivante, vite « allumée » par un gommeux à qui elle donnera les « baisers
bruyants » refusés au pauvre Pierrot. Ce personnage, bâti sur le principe d'une
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oscillation rapide entre deux pôles opposés (chasteté / luxure, innocence /


duplicité) aide à rendre compte des deux « actes » de la pantomime.
La sidonie apparaît en effet comme l'image et le substitut de la femme morte
de Pierrot, figure dominante des cinq premières scènes. Sa robe de mariée, les
fleurs d'oranger virginales de sa coiffure, son idéalisation en madone d'église
rappellent la défunte, dont Pierrot, ému pour un instant, songe qu'« elle est au ciel
peut-être » (p. 104). En même temps, la sensualité de cette dernière (« elle était
si joyeuse à table !... Si polissonne !... (Il montre le lit.) » (ibid.), le fait que
Pierrot chasse les « véritables amis de sa femme » (p. 111) et les laisse
l'accompagner seuls au cimetière, font assez entendre que le veuf, cocu maintenant
vengé par son veuvage 34, a rencontré pendant son mariage ces déboires conjugaux
qui font de lui à la fois un Pierrot fatalement trahi par la volage Colombine et un
pitoyable héros huysmansien de plus, plein d'expérience désabusée. Le veuf, au
reste, adopte dans le deuil une attitude pour le moins ambivalente, passant sans
transition du rire aux larmes et faisant servir à la séduction sa toilette
d'enterrement. « Dame Pierrot » demeure dans l'infidélité fidèle à Colombine :
derrière la promesse, la tromperie ; derrière la pureté, la souillure : « les femmes
sont corruptibles, il ne le sait que trop. » (p. 113). Sous ce rapport, la sidonie
joue un rôle démystificateur : sa « pâmoison avachie » succède à sa « céleste
quiétude », comme la vérité met fin à l'illusion, et vient dénoncer, même si elle
ne sort pas, comme la Vérité prostituée, du puits onirique d'En Rade, l'apparence
mystificatrice.
Dans la deuxième moitié de la pièce, la sidonie poursuit le même jeu avec
Pierrot : elle demeure froide et, malgré les offres et les menaces, malgré les
supplications et les coups d'un amant inventif et cynique (« Pas d'amour, pas de
nourriture ! », p. 118), se refuse à lui, cependant qu'elle se montre, selon la
tradition, accueillante pour les autres séducteurs. Sous ce rapport, Pierrot
sceptique confirme la misogynie d'En Ménage, paru la même année. Mais là où
Pierrot n'hésite pas, comme l'autorise allègrement le genre, à exécuter la traîtresse
d'un coup de sabre et, après qu'elle a ressuscité, à la faire brûler, puisque « rien ne
peut échauffer ce corps glacial » (p. 125) 35, le vraisemblable naturaliste,
dédramatisant la scène, avait arrêté le velléitaire André Jayant, placé en situation
semblable, au deuil de la tentation meurtrière et provoqué en lui, moins
glorieusement, une « colique bourgeoise » 36. Mais ces deux « sceptiques »
partagent une incrédulité identique sur la vertu féminine, déjà longuement
exprimée chez Huysmans dès Le Drageoir aux épices.

Pierrot sceptique, cependant, va plus loin dans l'analyse des raisons profondes
de cette misogynie. Pierrot est le sujet et la victime de passions malheureuses. Le
premier objet de son désir venant à lui manquer (sa femme vient de mourir), le
second, substitut factice du premier (le mannequin porte une robe de mariée), se
refuse à lui ; un troisième, nouveau simulacre d'une égale facticité (Thérèse, le
mannequin du mercier), poursuit la série et révèle un amant toujours aussi
passionné, malgré ses déceptions antérieures. C'est que toutes se valent, au fond :
« Celle-là ou une autre, qu'importe », la garde-malade n'a point tort (p. 125). Et
le sceptique séducteur de retomber cependant aussitôt dans les rets de son désir
répétitif. Les personnages masculins de l'histoire permettent de comprendre
pourquoi.
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Chéret l'a bien vu, dans le frontispice de l'édition Rouveyre : Pierrot est
environné d'hommes à ciseaux. Le tailleur, le coiffeur et le marbrier sont hommes qui
taillent, qui coupent, aussi bien le costume du héros (voire son corps, comme le
suggère la formulation ambiguë de la scène I : « coups de ciseaux dans le devant,
dans le derrière, dans le flanc... », p. 101-101) que sa chevelure - que le coiffeur
découvre, « pour la première fois peut-être », absente (p. 106). Or la calvitie se
charge aussitôt de sous-entendus erotiques :
Pierrot sourit, doucement flatté :
- Que de gens voudraient être à ma place !... Car enfin à quoi servent les
cheveux quand l'heure du déduit sonne ?... Les baisers ne courent-ils pas mieux sur
l'ivoire des crânes ?
confirmés par la friction administrée par le coiffeur :
satisfait par le chatouillement, (Pierrot) a manifesté son plaisir par des
grimaces presque lascives 37

S'il prétend renverser ce manque en un avantage erotique, il faut cependant


reconnaître que Pierrot, trompé une première fois par sa femme, ne sait guère en
profiter : ses tête-à-tête amoureux avec la sidonie se trouvent sans cesse
interrompus par ces mêmes personnages masculins (le tailleur dans le placard, le marbrier,
le gommeux) qui lui interdisent de facto de consommer son amour : refoulé dans
l'armoire, le tailleur, envers qui Pierrot a une dette de mille francs qu'il refuse
d'acquitter, fait plusieurs fois retour au moment de l'« enfin seuls ! », obligeant
Pierrot à le tuer et le re-tuer. Plus précisément, Pierrot, se pose en rival auprès
d'eux. Le marbrier, venu soumettre au veuf l'esquisse du monument funéraire de la
défunte, découvre en Pierrot, qui dénigre son projet, un concurrent inattendu. Plein
de fausse modestie, Pierrot a fait mieux que lui :
- Vous êtes donc sculpteur, monsieur Pierrot ?
- Pouh !... pouh!..., répond Pierrot, quelquefois..., à mes moments perdus » (p.
120).
(En fait, le marbrier a pris la sidonie temporairement statufiée pour la statue
de Mme Pierrot, nouvelle preuve de leur ressemblance.) Il n'est pas jusqu'au
coiffeur qui, un peu comme le marbrier, ne se trouve supplanté par Pierrot auprès de
sa propre sidonie et dans sa profession même, puisque Pierrot, dans la scène VIII,
la coiffe comme devrait le faire précisément le merlan. Dans tous les cas, une
rivalité oppose donc Pierrot, à ces hommes de métier : arrogant, il prétend les
surpasser et enlève, s'il le peut, leur « femme » (la sidonie du coiffeur, la thérèse
du mercier). Pourtant, Pierrot ne tire jamais avantage de son audace. Si l'on veut
voir dans le sabre dont il se munit une arme phallique, servant à riposter aux
ciseaux multiples qui le menacent, cette arme rate ce qu'elle vise et ne tue personne.
C'est sans doute que cette arme-là ne revient pas vraiment à Pierrot. La scène
VIII, la plus incongrue et la plus riche en matériel symbolique de la pièce, nous
en persuadera. La nuit de noces manquée met en effet en scène, non sans rappeler
encore la « femme-au-cric » d'En Rade, une sorte de quête-découverte de la
différence des sexes. Pierrot, infidèle en cela à la tradition lunaire et platonique de son
personnage d'amoureux, prétend froidement violer la sidonie. Mais c'est trop pré-
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sumer de ses forces, car la virilité, en l'occurrence les biceps, n'appartient pas à
qui il croit :
Les mains en avant, sans plus long préambule, furieusement il marche sur la
sidonie. Elle étend son bras de cire ; un bruit sec retentit et Pierrot s'étale, les
quatre fers en l'air. Ses manières redeviennent plus douces [...] l'attaque est
périlleuse, les biceps de la sidonie très durs» (p. 116-117).
Cette femme phallique respectable, Pierrot va alors entreprendre de « la
déshabiller, le reste deviendrait facile » (ibid.). Curieuse logique, pensera-t-on,
puisque l'obstacle rencontré tenait au corps (le bras, les biceps) et non pas à la
toilette de la mariée. Mais logique profonde, car le déshabillage inattendu qui s'ensuit
se présente comme une exploration, non du vêtement, mais du corps féminin,
comme une succession de découvertes et de mutations incongrues, d'ouvertures et
d'extractions, auxquelles le projet erotique se charge de conférer une résonance
symbolique peu discutable :
Pierrot commence par lui cueillir les fleurs d'oranger de sa coiffure et va les
piquer sur un pot de fleurs, sur la cheminée. Mécaniquement, elles
s'épanouissent sous ses doigts ; les fleurs se transforment en oranges. Il les arrache, les
dépose au fond d'un tiroir, puis revient à la sidonie. Sa belle coiffure lui reste
dans les mains, et son crâne bombe, dénudé, pareil à un dôme de sucre rose.
Pierrot l'époussète, y découvre une boîte, en soulève le couvercle, y prend une
écrevisse, l'épluche et la gobe. Il s'assure que la boîte est vide et, mécontent,
rajuste la perruque (p. 117).
Dans ce texte, comparable en bien des points à un récit de rêve, à quoi font
donc songer ces fleurs que Pierrot sent « mécaniquement [...] s'épanoui(r) sous
ses doigts », et devenir ces « oranges » - anagramme exacte d'organes - qu'il
semble s'ingénier sans fin et sans succès à arracher et à faire disparaître ? Le
lecteur songe bien sûr à d'autres objets-organes oniriques, eux aussi détachables et
renaissants : aux yeux de la femme-au-cric, qui tombent et reprennent sans cesse
leur place, ou aux dents de la femme-bouledogue, qui tombent et qu'elle remet
machinalement en place sous la forme de tuyaux de pipes 38. « II faudrait la
déshabiller, avait cru Pierrot, le reste deviendrait facile ». Mais il se trompe : le
« reste » n'est pas acquis pour autant. En effet, si le crâne dénudé se charge d'une
signification phallique (comme l'a suggéré la scène III chez le coiffeur et les sous-
entendus égrillards de Pierrot), le « dôme de sucre rose » qu'il découvre sous la
« belle coiffure » de la sidonie - laideur sous la beauté - ressortit au même sexe
que le sien, de même que la boîte (crânienne) finale contient encore, contre
l'attente d'un Pierrot « mécontent », un animal-organe vivant et détachable 39 qui
diffère à nouveau la possession du « reste », décidément inaccessible. Ainsi la
sidonie n'en finira-t-elle jamais d'être mise organiquement nue, de devenir enfin
femme, puisque le désir-angoisse de Pierrot prête sans cesse à son corps des
substituts symboliques du phallus. Aussi bien redevient-elle, dans les scènes
suivantes, alternativement dure et molle, pierre et cire 40, marbre et chair, mâle et
femelle, et Pierrot, se heurtant toujours à cette (f)rigidité phallique, devra pour
triompher d'elle la faire fondre, s'étaler en une flaque, selon une rigoureuse logique
élémentaire. Sans vouloir convoquer des Esseintes et Miss Urania intervertissant
leurs sexes, il faut reconnaître que, dans cette superbe scène d'amour, la « mariée
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mise à nu par le célibataire même » a fait découvrir à Pierrot que l'autorité virile
et les attributs sexuels ne résident pas là où sa candeur les plaçait.
Un épisode antérieur de la scène IV l'avait déjà signifié. Pour disperser les
invités venus comme une marée assister à l'enterrement de sa femme, le veuf avait
usé d'une arme ubuesque avant la lettre :
Alors il brandit sa seringue, la braque contre les invités. Ceux-ci d'abord
prennent la chose en plaisanterie, mais lui voyant tirer le piston, ils s'effacent.
L'eau jaillit et frappe au visage le premier rang. Le jet tournant d'une
mitrailleuse 1 ne les faucherait pas moins. On roule, on se relève, on fuit vers
l'escalier ; la seringue crache, inépuisable.
Si cette emphatique virilité permet au mari cocu de tirer publiquement sa
revanche sur « les véritables amis de sa femme », pourquoi la seringue ne lui
appartient-elle pas, pourquoi est-elle explicitement donnée pour la « seringue de la
défunte » (p. 109) ? Non seulement l'attribut phallique n'appartient pas à Pierrot,
mais son gigantisme « la seringue crache, inépuisable », p. 1 10), qu'on croirait
inspiré de la vengeance de Gargantua contre les Parisiens, semble bien figurer, le
plus désignant communément le moins dans le rêve, l'image inversée de la
castration. La toute dernière scène de la pantomime invite à le penser, qui reprend, avec
un effet de foule et un agrandissement épique accrus, le même motif sous la forme
des lances de pompiers.
La riposte de Pierrot sur le front féminin menaçant ne nous semble donc
guère faire de lui ce héros agressif, victorieux et impuni, « parfaitement intégré à
un jeu dont il connaît toutes les règles », que Brunella Eruli se plaît à voir en
lui 42. Il est bien davantage conforme à l'image du Pierrot décadent, « atteint dans
toutes les prérogatives de sa virilité » décrit par J. de Palacio 43. Sans doute as-
sassine-t-il la sidonie qui « s'étale » dans l'incendie final. Mais il ne l'a pas
possédée et il a tué, non sans peine, le tailleur pour rien : désir barré par un interdit
et parricide inutile. « II y a, suggère avec raison J.-F. Desjardins 44, de l'Hamlet
contre-lyrique dans la scène du tailleur sabré ». Le bilan de l'aventure œdipienne 45
semble désastreux et sans issue prévisible, même dans le dernier rebondissement
de la pièce, au demeurant fort ambigu.
Dans le pandemonium final, Pierrot semble vouloir sauver la victime des
flammes qu'il a lui-même allumées, obéissant vis-à-vis de celle qu'il aime à une
motion ambivalente, exprimée par un passage à l'acte immédiat. A la volonté de
meurtre, accompli avec la franchise que le genre autorise, succède le mouvement
contraire de sauvetage, exécuté avec tout autant d'irréflexion et d'audace. Mais
Pierrot, qui n'a d'un héros que l'apparence, se « trompe » de victime à sauver :
Pierrot, le sceptique Pierrot, sur la place, se rue dans la boutique de la
mercière et victorieusement il en sort, tenant entre ses bras la femme de carton,
Thérèse ! et l'embrassant éperdument, il fuit avec elle loin du sinistre.
Erreur cocasse ou réel cynisme, il n'est pas aisé de répondre et le texte,
apparemment désireux de préserver l'équivoque, ne demande d'ailleurs pas de choisir.
Ce qui semble sûr, c'est que Pierrot, Rengageant dans une aventure nouvelle avec
une passion inchangée, n'a rien appris et rien oublié : il s'empare de la femme
d'un autre, d'un autre mannequin, sorti d'une autre vitrine. Ses amours à venir
répètent une situation déjà vécue, comme le confirme le caractère postiche de ses
conquêtes erotiques : mannequins, de cire ou de carton, c'est-à-dire reproductions,
Silence, on fantasme 79

simulacres attestant l'absence de l'original imité et désiré. Sans doute ne faut-il


pas faire un des Esseintes de ce Pierrot épris de femmes artificielles : sa
protestation n'a rien d'universel et il n'érige pas encore la facticité au rang d'une
anti-nature. Toutefois, il a lui aussi un contentieux mal apuré avec les origines : il
remplace la féminité authentique qui l'a trompé par des êtres factices, par des copies,
des objets fétichistes de substitution, qu'il a l'innocence et le tort d'espérer moins
rebelles et indociles ; il s'efforce, démiurge tâtonnant, de se faire le maître, sinon
le créateur, d'un monde obéissant à ses désirs.
Une telle revendication ne peut guère aller sans révolte, même ludique, même
inopérante. De fait, ce Pierrot au costume noir **, malgré son cynisme, risque
encore de passer pour un bon petit diable. Toutefois, dans les didascalies de la
scène XII, la description du feu qu'il allume en « éclat(ant) de rire », et où
devraient enfin disparaître la fausse madone condamnée et ce fantôme de père
accusateur qui n'en finit pas, même mort, de faire retour, confère à son action un
caractère infernal certain :
Le lit flambe ; des jets de feu montent et crépitent ; l'incendie ronfle,
augmente avec rage.
La sidonie se dresse au milieu du brasier, dans sa robe blanche. Pierrot
recule.
Des coups frappent dans le placard, de plus en plus lamentables. La porte
cède, un squelette, celui du tailleur, s'abat.
Les murailles rougeoient comme des gueules de fournaises (p. 125-126).
Sans doute serait-il là encore imprudent de confondre, par une autre
anticipation hasardeuse, Pierrot et Gilles de Rais. Aucun des savoirs que la création de ce
dernier a exigés n'est évidemment en place à cette date et la pantomime ne se prête
nullement à l'érection d'une figure de cette ampleur. Néanmoins, le processus
d'invention n'est pas totalement incomparable : dans un monde où les madones
réputées chastes se transforment en filles avachies, où le désir ne réussit jamais à
se délier d'une angoisse de mutilation, où l'amour se définit en termes de pouvoir
- agressif ou défensif - toujours menacé, et sur tous les fronts, où les fantômes
paternels remisés dans les placards de l'oubli reviennent éternellement présenter la
facture impayée, dans un monde qui n'est, en un mot, rien moins que comique, la
tentation apparaît d'en changer les règles, de lui substituer un contre-monde
factice, quitte à se placer avec cynisme, s'il le faut, sous l'égide du Rebelle, là-bas,
hors de la loi des hommes 47. A plusieurs titres, on le voit, la pantomime de
1881, qui réintroduit des images paternelles généralement absentes des œuvres
antérieures de Huysmans, anticipe sur l'œuvre ultérieure dont elle place la
thématique, pourrait-on dire, au banc d'essai.
Au total, ce Pierrot sceptique, apparente exception dans l'œuvre de Huysmans,
s'intègre étroitement aux multiples réseaux imaginaires qui la composent. Il n'en
aura coûté au héros q'une sensible subversion de sa signification traditionnelle,
prix modique puisque la plasticité sémantique de Pierrot égale, à l'époque
décadente, sa légendaire agilité physique.
Les plus constantes des obsessions huysmansiennes se retrouvent en effet
dans cette pièce : misogynie hargneuse, représentation angoissée de la féminité,
distendue entre les deux pôles extrêmes de la virginité et de la vénalité, fantasmes
de mutilation et d'interversion des sexes, etc. Par son scénario - un désir répétitif,
prisonnier des mêmes schemes, fait se succéder des tentatives de séduction à
80 Jean-Marie Seillan

l'issue incertaine -, la pantomime se rattache, en dépit de son habillage


événementiel et de ses contraintes génériques propres, aux déconvenues amoureuses ou
conjugales narrées dans Marthe, Les Sœurs Vatard ou En Ménage. Le célibataire
huysmansien, ce « gnian-gnian » 48 à la virilité problématique, qui se heurte à
tous les angles vifs de la vie et porte avec morosité, comme M. Folantin, l'ironie
triste de son nom d'amuseur, se devait de reconnaître en Pierrot un lointain
ancêtre. Sans doute l'esprit de rébellion qui anime la gesticulation de Pierrot té-
moigne-t-il d'une pugnacité plus teigneuse, d'une résignation moins morne que
n'en montrent Léo, André ou le solitaire d'A vau-l'eau. Mais il n'apparaît pas que
la vision du monde soit, dans la pantomime, plus optimiste que dans les fictions
naturalistes contemporaines : ce Pierrot-là a dû lire Schopenhauer, tant il est noir,
dedans comme dehors, de ce noir de révolte qui se retrouvera, mutatis mutandis, en
des Esseintes et en Gilles de Rais. Ainsi la pantomime jette-t-elle une passerelle -
trop peu fréquentée - entre la thématique d'inspiration naturaliste en voie
d'épuisement et le cycle romanesque nouveau sur le point de s'ouvrir avec A Rebours.
Sous le rapport de l'écriture d'autre part, cette tentative théâtrale, pour avoir
été unique, n'isole pas davantage Pierrot sceptique du reste de l'œuvre de Huys-
mans. Bien au contraire, elle inaugure une série d'explorations littéraires, atteste
un effort tâtonnant de libération de l'écriture vis-à-vis des obligations vérisi-
milistes et des contraintes référentielles inévitables, mais particulièrement
pesantes, de la « formule » zolienne. Soustraite au quadrillage temporel et causal du
roman, la pantomime peut jouer plus librement avec les mots, et donc plus
sérieusement avec les fantasmes ; par son statut paradoxal d'écriture muette, de
discours du silence, elle restitue au corps la plénitude de son rôle symboliseur ;
fondée sur l'outrance dérisoire, elle brave sans péril les convenances et les interdits,
met en œuvre une symbolique difficilement acceptable dans des formes littéraires
réputées plus sérieuses, qui oriente l'écriture vers le récit de rêve, avant même les
premières ébauches d'évocations oniriques inspirées par les gravures de Redon 49.
Ubuesque ou surréaliste avant la lettre, elle autorise, par la vertu de sa brièveté,
une cruauté et une insolence proches des féroces fantaisies d'A Rebours ou de la
rêverie des Ptomaines. Pierrot sceptique a ainsi le mérite de commencer à ouvrir,
au fond du « cul-de-sac » naturaliste, une voie vers le renouvellement formel.

(Ecole Normale Supérieure d'Abidjan)

NOTES
1. C'est ici l'opinion de des Esseintes (A Rebours, chapitre XIV, éd. «Folio», p. 319).
En 1893, interrogé par Jules Huret sur ce dédain persistant, Huysmans répond : « Pouah !
Quel besoin d'entendre un acteur quelconque claironner des mots sur des planches ? Le théâtre,
c'est pour moi le plus inférieur de tous les arts ». (dans Jules Huret, Interviews de littérature et
d'art, éd. Thot, 1984, p. 65). On lira sur cette question l'article de Paul-Courant: « J.-K.
Huysmans, le théâtre et Henri Girard », Bul. de la Soc. J.-K. Huysmans, n°59, 1972, p. 39-
48.
2. Il en va de même au cinéma, pourtant friand de scénarios puisés dans le corpus ro-
mesque naturaliste, comme l'atteste l'abondante filmographie zolienne. La seule tentative, à
notre connaissance, est l'adaptation inaboutie de Là-Bas par Luis Bunuel.
3. Voir Marcel Cressot, La Phrase et le Vocabulaire de J.-K. Huysmans, Genève, Slatkine,
1975 : « A partir de Là-Bas et réserve faite pour En Rade, tous les personnages s'expriment
comme l'auteur, avec sa langue, ses rythmes ».
Silence, on fantasme 81

4. Malgré l'avis de Paul-Courant (art. cité), qui croit qu'« en maints endroits sa langue
nerveuse, ses dialogues caustiques eussent convenu à un dramaturge ».
5. Pierrot sceptique, Pantomime par L. Hennique et J. K. Huysmans, illustrations de G.
Chéret, Paris, Edouard Rouveyre, éditeur, 1881. Nous citerons le texte de l'édition Crès,
Œuvres complètes de Huysmans, 1928, tome V, p. 97-127.
6. L'Enfant prodige, La Maison enchantée, Le Siège de Paris, Le Songe d'une nuit d'hiver,
La Tentation de saint Pierrot, La Mort. Sur ces six projets, le quatrième a été mené à terme
mais par le seul Hennique. Peut-être le cinquième titre constitue-t-il la version première de la
troisième pantomime publiée par Hennique, La Rédemption de Pierrot.
7. Michael Issacharoff, Huysmans devant la critique en France, Klincksieck, 1970.
8. Il est vrai, comme l'explique Huysmans à Théo Harmon (lettre du 22 mars 1882), que
l'éditeur Rouveyre, «ce dégoûtant pingre», ayant refusé tout service de presse, « 1° aucun
journal n'a pu parler de la pantomime, et 2° nous n'avons pu en donner aucun exemplaire, à qui
que ce soit». Dans Lettres à Théodore Hannon, Christian Pirot éd., 1985, p. 565.
9. J.-H. Huysmans, « Léon Hennique », Bul. de la SocJ.-K. H., nc31, 1956, p. 323.
10. « Une heure avec Léon Hennique », Les Nouvelles littéraires, 10 mai 1930 ; cité par
O. R. Morgan, « Hennique, Huysmans et Pierrot sceptique », Bul. n°46, 1963, p. 102-104.
11. On sait qu'il avait déjà décrit avec émerveillement une pantomime des Hanlon-Lees,
Le Duel dans ses Croquis parisiens, « Les Folies-Bergères en 1879 », éd. «10-18 », p. 343.
12. C'est nous qui soulignons. Cf. dans A Rebours les fleurs « damassées de dartres »
(éd. «Folio», p. 192).
13. En Rade, éd. « 10-18», p. 104-105.
14. Voir, entre autres textes, Sac au dos, p. 164-165, « Le Geindre » des Croquis
parisiens, p. 377-379 et le rêve de la Grande Vérole d'A Rebours, p. 201.
15. J. de Palacio, Pierrot fin de siècle ou Les métamorphoses d'un masque, Librairie
Séguier, 1990. voir aussi l'inventaire dressé par R. Storey, Pierrots on the stage of desire :
nineteenth-century french literary artists and the comic pantomime, Princeton U. Press, 1985.
16. «Le Coiffeur», p. 382-386.
17. L'Art moderne, « Le Salon de 1879 » : « Après Sydonie, nous passons maintenant
à Thérèse, la tête de carton qui sert à essayer des bonnets dans les vieilles merceries », p. 39.
Huysmans ajoute, comme s'il annonçait le scénario de la future pantomime : « Laquelle vaut
plus ? Laquelle vaut moins ? - je ne sais pas - Entre les deux mon cœur ne balance pas. -
C'est bon à jeter dans le même sac ». C'est en effet ce que pensera la garde-malade de la scène
douzième : « Celle-là ou une autre, qu'importe ! »
18. Croquis parisiens, « L'Etiage », p. 417-419.
19. A Rebours, p. 107.
20. «Pampres en tôle [...], mains dé plâtre [...], feuillages de taffetas» (p. 99-100)
soulignent ostensiblement la théâtralité de la pièce et la facticité de ses figures féminines.
21. Publiées l'une et l'autre chez A. Ferroud, Paris, 1903.
22. « Although they appeared more than twenty years later, the two pantomimes of
1903 are clearly marked by the same mood as that of Pierrot sceptique ». O. R. Morgan,
« The plays of Léon Hennique, part II », Nottingham french studies, May 1967, p. 25.
23. Voir Brunella Eruli, « Huysmans al circo : Pierrot sceptique », Paragone, ottobre
1974, p. 66, qui pense que les autres pantomimes de Léon Hennique sont « abbastanza diverse
da questo Pierrot » et surtout Robert Storey qui affirme : « The pantomimes he [Hennique]
published under his name alone [...] are the fruits of a rather banal inspiration, merely vulgar
in conception, precious in language, conventional in sentiments and dramatic effect. Pierrot
sceptique breathes out a different kind of spirit. », ouvr. cit., p. 218.
24. Croquis parisiens, « Les Folies-Bergères en 1879 », p. 343.
25. Ibid., p. 345.
26. Ibid., p. 343-345.
27. O. R. Morgan, « The Plays of Léon Hennique, part I », rev. cit., studies, May 1966,
p. 92.
28. S. Freud, L'Interprétation des rêves, Paris, P.U.F., 1971, p. 454.
29. Le cul-de-jatte du troisième rêve, par exemple, sera « assis dans une écuelle de
bois », c'est-à-dire littéralement, le cul dans une jatte ; pendant le dîner mortuaire des
ptomaines, on mange les morts, en devenant, à la lettre, croque-mort, etc.
30. Notons pourtant ou'en publiant en commun une pantomime, Hennique et Huysmans
suivaient le conseil donné par Zola lui-même aux romanciers de sa bande, dans un article paru
82 Jean-Marie Seillan

dans le Voltaire du 9 septembre 1879 sur le spectacle des Hanlon-Lees. Après avoir comparé
l'humour anglais et la critique sociale des naturalistes français (« Certes, dans nos férocités
d'analyse, nous n'allons pas si loin que les Hanlon », il concluait par : « Faisons tous des
pantomimes ». Le manuscrit de Pierrot sceptique porte d'ailleurs, selon J. de Palacio (ouvr.
cit., p. 250), le sous-titre Pantomime naturaliste, le mot naturaliste étant biffé.
31. S. Freud, ouvr. cit., p. 292.
32. S. Freud, « Un événement de la vie religieuse », dans L'Avenir d'une illusion, Paris,
P.U.F., 1971, p. 99.
33. Ce décor ressemble par ces traits à la cour de la rue Honoré-Chevalier, où apparaît la
femme-au-cric d'En Rade.
34. Dans le même moment, Huysmans publie En Ménage, dont le héros André Jayant,
trompé par sa femme, songe un instant à se faire meurtrier, et donc veuf.
35. Le caractère répétitif du scénario laisse à penser sur les causes indéterminées de la
mort de la femme de Pierrot, les protestations d'innocence du veuf ayant tout l'air d'une
dénégation embarrassée et suspecte : « Si sa femme a commis la bêtise de mourir, il n'en est en
aucune façon responsable ».
36. Selon le mot d'un convive d'E. de Goncourt, rapporté dans son Journal à la date du 12
février 1881 (Laffont, coll. « Bouquins », 1989, tome П, p. 885).
37. Huysmans associe dans sa correspondance le personnage de Pierrot, emprunté cette
fois à la chanson populaire, à des plaisanteries de sens libre sur ses défaillances sexuelles,
comme «ma chandelle est morte», (lettre à Théo Harmon, 12 nov. 1877, éd. cit., p. 102).
38. Dans En Rade, éd. 10-18, p. 209 et A Rebours, éd. « Folio », p. 200.
39. L'écrevisse peut aussi s'interpréter par référence à la misogynie féroce de la pièce :
que trouve-t-on dans la tête d'une femme, suggère-t-elle ? une boîte vide, habitée seulement
d'une bête qui marche à reculons...
40. Le matériau choisi, à la fois solide et liquide, répond au mieux, par son ambivalence,
à l'oscillation sexuelle du personnage. On se rappellera, la même année, l'enthousiasme de
Huysmans pour la statuette en cire de Degas, en raison de sa matière même, « si expressive et
si obéissante » et l'apologie du bois « malléable et souple, docile et presque onctueux »
(L'Art moderne, «L'Exposition des Indépendants en 1881 », éd. « 10-18», p. 231).
41. Qu'on surnomme « seringue» dans l'argot militaire, selon le dictionnaire de Robert.
42. Article cité, p. 62.
43. Ouvr. cit., p. 81.
44. « Sur la recherche huysmansienne », dans J.-K. Huysmans, Les Cahiers de la Tour
Saint-Jacques, VIII, 1963, p. 22. Le jugement est pertinent, à condition, nous semble-t-il, de
voir dans le héros de Shakespeare cet Œdipe moderne qu'a révélé l'analyse de Freud.
45. Nous partageons le jugement de Storey : « Pierrot sceptique is an almost disturbing
portrait of the artist in grip with his passions [œdipiennes] », ouvr. cit., p. 221.
46. Il n'est cependant pas le premier Pierrot noir du répertoire, contrairement à ce que
pensent Charles Maingon (L'Univers artistique de J.-K. Huysmans, Paris, Nizet, 1977, p. 69)
et P. Cogny (Huysmans, de l'écriture à l'Ecriture, Paris, Téqui, 1987, p. 78), les Hanlon-Lees
ayant déjà mis en scène, dans Le Duel, « deux pierrots en habits noirs », comme le note
Huysmans dans le texte déjà cité qu'il leur consacre (Croquis parisiens, p. 343). Sur le sens de
ce renversement du blanc au noir, caractéristique de la lecture décadente de Pierrot, voir Jean de
Palacio, ouvr. cit., chapitre VII.
47. Sur les affinités des Pierrots décadents avec Satan, voir J. de Palacio, ouvr. cit., IX.
48. Le mot est appliqué aux personnages masculins des premiers romans de Huysmans
(Léo dans Marthe, Auguste dans Les Sœurs Vatard et André Jayant dans En Ménage, éd. « 10-
18 », p. 103, 203 et 142) et définit en particulier leur maladresse auprès des femmes.
49. Les premiers mots, une brève note, consacrés à l'œuvre de Redon par Huysmans
datent du « Salon officiel de 1 88 1 », le premier texte un peu étendu étant postérieur à février
1882, dans l'appendice de l'Art moderne, p. 274-276.

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