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P I A I !

CRIS PROPHETIQUES DES CORBEAUX D'APOLLON

LECTURES MURCIENNES
# 069 / 07 – 06 - 2019

LE PARNASSE PLUS DU TOUT CONTEMPORAIN

HISTOIRE DU PARNASSE.
YANN MORTELETTE.
570 pp. FAYARD 2005.

Il serait beau que l'on ne chroniquât point une Histoire du Parnasse quand nous
avons hommagialement emprunté le titre de notre opérazine à l'un des membres les
mieux avérés de ladite école ! Il est sûr que nous aurions pu nous revendiquer de la
symbolique protection d'un écrivain moins pitoyable que le pauvre Albert Glatigny, et
éviter par là-même de nous placer sous l'égide tutélaire du mouvement poétique
français le plus honni de nos contemporains qui ne cessent depuis un demi-siècle d'y
penser en des termes peu flatteurs.
Mais - qu'y pouvons-nous ? - il devient de jour en jour de plus en plus difficile
de marcher de concert avec ces ombres pâles et grises en qui nous nous devrions de
reconnaître nos semblables. A l'impossible nul n'est tenu, aussi préférons-nous avouer
que nous fûmes de toujours parnassien, depuis l'exacte matinée où notre instituteur de
CM 1 glissa sous nos yeux émerveillés les six dernières strophes de La panthère noire
de Leconte de Lisle. Il est des vocations qui viennent de loin.
Autant dire que le Parnasse n'a pas de secret pour nous et que attendions Yann
Mortelette au coin du bois. Réglons le problème sur l'instant, afin de ne pas se laisser
installer un suspense insoutenable. Cette Histoire du Parnasse ne vaut pas celle de La
génération poétique de 1860 de Luc Badesco. Elle n'est toutefois pas sans mérite, surtout
quand elle aborde des rivages que Badesco ignore.
Les cent cinquante premières pages sont particulièrement indigestes. Certes
Yann Mortelettre décline les faits et les gestes de tout un chacun de nos parnassiens
avec une maniaque précision d'universitaire en quête de scientifique exactitude mais
les marionnettes qu'il agite sous nos prunelles fatiguées ne sont pas les êtres de chair et
de sang qu'ils furent. Yann Mortelette répugne à l'anecdote, les lieux sont sans décor,
les visages sans portrait, et les destins sans dessein.
L'histoire littéraire se doit être écrite en une écriture littéraire, sans quoi elle
n'est qu'un précis d'histoire aussi froide que le cadavre congelé d'un hareng saur. La
bête récapitulation des évènements possède toutefois une qualité, le texte réduit à la
propre énonciation de ce qu'il veut dire n'est pas des plus diserts, les pages se tournent
toutes seules, l'on ne s'attarde guère sur les détails suggestifs, puisqu'il n'y en a pas.
L'on n'a pas fait le tour d'une question, que déjà l'on passe à la suivante. Le lecteur est
à chaque fois déçu et dépité. Il a l'impression que l'assiette lui est retirée avant qu'il ait
eu le temps de l'achever, mais non elle était bien vide. Ne parlons pas des notes qui sont
d'une indigence rare.
N'en jetons plus. La composition des trois recueils du Parnasse contemporain est
par contre assez bien suivie de même que les ouvrages collectifs qu'ils suscitèrent. Il
aurait tout de même fallu pour chacun des participants dresser comme une fiche
signalétique. Nous employons cette expression pour ne pas affoler Yann Mortelette,
exiger une rapide évocation biographique de la personnalité de l'individu qu'il nomme
risquerait de lui occasionner une surcharge de travail.
Pour les personnages de premier plan Yann se la joue mortadelle, une tranche à
chaque nouvel épisode, ce qui fait que l'on n'a jamais droit à une vue d'ensemble. Un
néophyte qui n'aurait jamais entendu parler de Leconte de Lisle ou de Heredia devra
se livrer au difficile exercice de collectage des informations distribuées un peu partout
avant d'entrevoir une idéelle représentation de leur personne. A cet éparpillement
pseudo-chronologique certains poëtes, la majorité, y perdent toute visibilité. Nombreux
seront les lecteurs qui leurs cinq cents pages refermées auront du mal à entrevoir une
image idiosyncratique d'un Georges Lafenestre, d'un Léon Dierx, d'un Villiers de l'Isle
Adam. Ce qui est pour le moins un comble de malchance !
L'ouvrage a tout de même le mérite de redonner au Parnasse son importance
historiale. Le Parnasse fut avant tout une attitude littéraire. Alors que le règne de
l'utilitarisme bourgeois devient indiscutable, une poignée de jeunes gens se regroupent
autour d'un programme poétique de survie minimale. Haine de la modernité et
repliement défensif sur l'art des vers. Le programme des parnassiens tient en peu de
mots. Un siècle plus tard les punks résumeront la situation en criant no future !
Le miracle c'est que nos héros démunis finiront par triompher. Trente ans plus
tard ils font parti des assis. Leur révolte est devenu le lieu commun de l'idéologie
dominante. La même aventure est arrivée à la révolution surréaliste. A la fin du siècle
dernier le premier imbécile venu était surréaliste en poésie ( et impressionniste en
peinture ). Dans les deux cas la nature de l'oppression sociale par contre n'a pas
changé d'un iota. Ce qui est plus dommageable pour les surréalistes que pour les
parnassiens qui ne croyaient point aux revendications socialistes. Remarquons que
comme par hasard ce sont ceux, qui d'entre eux, Mallarmé, Verlaine, Villiers,
sympathisèrent avec la Commune, qui jetèrent les bases du symbolisme, le nouveau
mouvement poétique ruptural... L'on est toujours trahi par les siens qui de fait ne nous
appartenaient point !
Ce Parnasse que les français brocardent si souvent fit des émules à l'étranger.
Dans beaucoup de nations les mouvements poétiques dits modernistes se sont
revendiqués du Parnasse. Pas uniquement de lui, mais de lui tout de même, et peut-
être d'un de ces aspects les plus déplaisants pour la nation françoise qui aiment tant les
coteaux modérés... Le Parnasse avait la rime tonitruante, et cette façon de marteler sa
présence haut et fort suscita des émules. Non pas la métrique tatillonne en soi, mais
l'affirmation sonore du geste poétique.
Ironie du sort ! Dans les années soixante alors qu'il devenait difficile de se
procurer en France un exemplaire des Trophées, José-Maria de Heredia était
désormais plus célèbre en Amérique du Sud et régulièrement réédité. Rappelons qu'au
début des années 70, ce fut le chanteur de variété Claude François que Poésie 1 dut
aller chercher pour préfacer son numéro consacré à Leconte de Lisle !
Cette Histoire du Parnasse de Yann Mortelette, malgré tous ses irritants défauts,
participe d'une réévaluation de l'histoire poétique du dix-neuvième siècle de notre
pays, et de par la prépondérance littéraire de son aura culturelle qui rayonnait sur le
monde entier, d'une meilleure approche de la diffusion et de la construction des idées à
un niveau international.
C'est chez nous une idée force : la lyrique française du dix-neuvième siècle
exerça sur la marche du monde une influence bien plus importante que celle des plus
minimes qu'on lui prête depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
André Murcie ( in Les Flèches d'or. )

RÊVERIES D’UN PAÏEN MYSTIQUE.


LOUIS MENARD.
Introduction de Gilbert Romeyer Dherbey.
171 p. Guy Trédaniel Editeur. 1990.

A peine si l’on cite, dans les histoires littéraires contemporaines, le nom de


Louis Ménard, parmi les influences de Leconte de Lisle. Il fut pourtant une
figure marquante de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, mais la postérité
est souvent injuste et cruelle. L’on a sans doute jugé que son évocation faisait
double emploi avec celle d’Ernest Renan. Au pays de Descartes l’on prise
davantage la prudente pondération des démarches positivistes de l’auteur de La
Vie de Jésus que les rêveries exaltées et communardes d’un Louis Ménard.
Né en 1822, mort en 1901, l’existence de Louis de Ménard épouse
parfaitement la vie de son siècle qui débute par Les Méditations Poétiques de
Lamartine, pour culminer dans l’effondrement de Nietzsche. Parues en 1876
chez Lemerre Les Rêveries d’un Païen Mystique connurent leur heure de gloire.
Augmentées d’une trentaine de pièces en 1890, republiées en orthographe
simplifiée, une des marottes de Ménard, elles furent une dernière fois offertes au
public en 1909. Ensuite ce fut le trou noir, et il fallut attendre la fin du deuxième
millénaire pour que le public ait enfin accès à un des recueils les plus mythiques
de la lyrique française. Soyons franc, la déception fut amère. Louis Ménard n’est
ni un magicien du vers, ni un maître de la prose, et si dans les années soixante-
dix la réédition de L’Album d’un Pessimiste d’Alphonse Rabbe, avait procuré un
fort plaisir esthétique aux curieux, et orienté les esprits les plus entreprenants à
emprunter les sentes quasi-clandestines d’une relecture grécisante et
paganisante de la poésie du dix-neuvième siècle, la publication de ces Rêveries
d’un Païen Mystique n’aidèrent en rien à l’efflorescence d’une renaissance
polythéiste.
C’est que paradoxalement le recueil de Louis Ménard qui causa, en son
époque, quelque scandale par son parti pris idéologique pro-païen, apparaît de
nos jours baigné d’un syncrétisme christianophilosofiaque insupportable. A lire
les Rêveries d’un Païen Mystique l’on comprend pourquoi Nietzsche s’est lancé
dans la rédaction de sa Généalogie de la Morale, sitôt après Ainsi Parlait
Zarathoustra. Homme de gauche, Louis Ménard ne s’est jamais départi des
impératifs catégoriques de la morale kantienne qui se peut définir comme un
effort obstinément raisonnable de laïcisation des commandements décalogiques
du christianisme. En cela Louis Ménard est un fidèle représentant de ce
socialisme à la Française qui depuis deux siècles corrompt insidieusement, en en
sapant la base conceptuelle, toutes les avancées révolutionnaires de la
réédification de l’Europe impériale. Nous en connaissons les multiples avatars
qui vont de la théorisante adoration de l’Être Suprême durant les temps
tumultueux de Robespierre, à cette déification stérilisante du concept intangible
de démocratie en notre époque actuelle.
Bref Louis Ménard ne dépasse jamais l’insipide niveau de ces insupportables
globalisations hugoliennes qui s’acharnent à nous démontrer par l’absurde de A et de
B qu’un jeune homme athée qui se jette à l’eau, en pleine tempête, pour sauver de la
noyade une gente dame et son enfant malencontreusement emportés par une vague
criminelle, est, en son âme de superbe héros désintéressé, inconsciemment habité par
l’idée de Dieu. Le jeune homme est mort, mais Dieu est sauvé. Ouf ! Ou plouf ?
Les Rêveries d’un Païen Mystique ont beau se terminer par La Dernière Nuit
de Julien, un Julien bien découragé qui admet et reconnaît un peu trop vite à
notre gré la victoire du christianisme, Louis Ménard participe davantage
d’Alexandre Sévère que de l’Apostat. Beaucoup des admirateurs de Julien lui
dénient ce titre d’Apostat que l’Eglise accola à son nom. Certes Julien
n’apostasia point puisqu’il ne fut jamais chrétien de cœur. Mais l’épithète
infamante que l’Eglise s’est complu à accrocher à son nom n’est point sans
signifiance. L’Eglise admet que l’on puisse se tromper et que l’on tente de se
soustraire à son enseignement, mais jamais elle n’a accepté que l’on pût lui
dénier la nécessité de sa présence. En se revendiquant des anciens dieux, Julien
commettait le plus horrible des péchés : il refusait à l’Eglise tout espace
fondationnel métaphysique. Comme l’on était loin d’un Alexandre Sévère qui
dans son laraire particulier honorait aussi bien une représentation de Socrate ou
d’Apollon qu’une statuette du Christ !
De nos jours les chrétiens intégristes ne manquent pas de fustiger Vatican
2 et la modernisation forcenée de l’Eglise. Il s’agit pourtant-là d’une des
pratiques les plus anciennes de l’Eglise qui a pour principe de déploiement
ontologique et géographique, de phagocyter les consciences et les institutions.
Ainsi des milliers d’athées, de néo-païens, voire de catholiques, pratiquent de
subtils distinguos entre la personne du Christ et le christianisme. Le doux berger
serait un homme de bonne volonté, ou un sage supérieurement initié, qui aurait
été le premier horrifié de voir les crimes et les abominations que ses disciples ont
perpétré, en son nom, sans défaillir, depuis sa mort. A les en croire si Jésus avait
ressuscité, il ne serait jamais devenu chrétien.
Si le dogme affirme que le Christ s’est fait homme, les hommes l’ont
transformé en doctrine humaniste. Exit le faiseur de miracles : aux réjouissances
nuptiales de Cana notre thaumaturge n’a qu’à apporter sa bouteille de
Bordeaux comme tout un chacun. Les mariés eux en ont assez de faire la noce,
ils n’attendent de sa part que son supplément d’épithalame. Quelques mots bien
sentis sur les petits enfants qui crèvent de faim, une condamnation sans
équivoque de toutes les violences, et la répétition insensée que si tout le monde y
met un peu du sien, tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes...
Etrange que dans ses écrits théoriques, Ménard qui avant Nietzsche, a
fustigé le christianisme et, selon sa propre expression, sa morale d’esclaves, se
soit dans la partie lyrique de son œuvre abandonné à tous les poncifs pro et post
chrétiens des hommes de bonne volonté. Ménard qui connut Proudhon, Blanqui,
Marx, et prit fait et cause pour la Commune, n’a pas réussi à s’extraire de la
gangue moralisatrice du christianisme. Lui qui se pencha sur l’étude de la Grèce
et en arriva à la conclusion que le monothéisme était à la racine de nos
errements philosophiques, lui qui fut un des tout premiers à prôner le retour au
polythéisme pour s’opposer à la destruction écologique de la terre, et nous
sommes en cette problématique bien plus près de Heidegger qu’il n’y paraîtrait
à courte vue, lui qui fonde les formes sociales de l’appropriation collective et
sociétaire sur des affects implantatoires du religieux, que nous préfèrerions
qualifier de métaphysique, et non pas sur des pratiques économiques, est tombé
à pieds joints dans le panneau christologique des patenôtres démagogiques.
Louis Ménard fut vraisemblablement un penseur en avance sur son
époque. Par bien des côtés ses analyses éclairent notre situation présente d’une
manière assez extraordinaire. Mais si sa pensée s’est avérée si peu opérative
nous devons en chercher la raison en les manquements de son étude. Ménard fut
un passionné de l’Antiquité et surtout de la Grèce. L’on aurait envie de dire que
son antiquité finit là où commence la nôtre. Après Alexandre, d’après Louis
Ménard, le monde entre en décadence. Avec la disparition de la Grèce classique,
la mort de la cité démocratique signe l’arrêt du progrès humain. L’Imperium et
le christianisme sont des catastrophes qui s’abattent sur l’humanité. Il faudra
des siècles pour s’en relever. La révolution française est le premier acte de la
renaissance démocratique.
Mais à faire l’impasse sur le concept d’Imperium Louis Ménard se lie les
mains. Son itinéraire est symbolique de toute cette gauche française et
européenne qui ne jure que par le concept éculé de démocratie. La résurgence
incessante et sempiternelle des idéologies de nos sociaux-démocrates ou de nos
chrétiens-démocrates qui depuis deux siècles entravent tout effort
révolutionnaire européen s’explique magnifiquement par la lecture de Ménard.
Tant que l’on n’aura pas extirpé de nos doctrines politiques les fondements
ou les pré-supposés monothéistes, plus ou moins consciemment admis par la
majorité de nos concitoyens, la confusion gouvernera les esprits. Au fur et à
mesure que l’on s’éloigne des volitions révolutionnaires des générations
précédentes, s’enflent et gonflent d’une manière des plus inquiétantes, les signes
de plus en plus évidents du déploiement totalitaire des idéologies monothéistes. A
tel point qu’aujourd’hui le débat ne consiste pas à traquer les fermentations
philosophiques de celles-ci dans le non-dit des intentions encore inavouables,
mais à s’opposer fermement à toutes les dérives religieuses du politique. Si
l’Europe pense faire barrage au front islamo-américain qui la menace en
intégrant en sa future Constitution le rappel de son origine chrétienne, elle se
trompe lourdement quant au sens de son combat ! Sans doute vaudrait-il mieux
réactiver en les esprits de sa population les ferments révolutionnaires de
l’Imperium !
André Murcie. ( 19 / 04 / 03 ).

SALAMINE.
SEBASTIEN CHARLES LECONTE.
1897. MERCURE DE FRANCE.

Il fut surnommé le dernier des parnassiens. Né en 1865, mort en 1932, il


clôt la série des grands comites du Parnasse, Leconte de Lisle, une oreille tant
soit peu avertie reconnaîtra une frappe du vers similaire, le Vicomte de Guerne
auteur des prestigieux Siècles Morts, ( auxquels nous consacrerons une prochaine
livraison de Littera-Incitatus ) et enfin Sébastien Charles Leconte dont Le
bouclier d'Arès, son recueil le plus connu, serait un peu comme une épique
réduction des susdits Siècles Morts. Mais attention, il est davantage un
continuateur qu'un suiveur, un créateur qu'un imitateur.
La postérité poétique ne lui aura pas rendu raison. La petite anthologie
Seghers de La Poésie Parnassienne de Luc Decaunes parue en 1977 ne le cite
même pas. Pourtant répétons-le le dernier de la liste n'est pas obligatoirement le
dernier de la classe. Le fait en est d'autant plus ironique qu'un des thèmes
constants de la poésie de notre auteur réside en la suprématie mémorielle du rôle
du poëte. Vous le retrouverez dans le Tome III de l'Anthologie des Poètes Français
Contemporains de George Walcht et sur Wikipedia qui offre l'entière lecture du
Bouclier d'Arès.
Mais restons-en à ce Salamine. Qui aurait pu s'intituler Après la bataille.
Le recueil ne conte pas en effet le récit de l'affrontement des flottes grecque et
perse, plus subtilement il essaie de répondre à une interrogation essentielle,
quels sont les Dieux qui ont aidé les Grecs à remporter la victoire ? La question
est beaucoup moins naïve qu'on ne pourrait l'accroire.
Les fiers à bras, qui n'ont pas toujours le muscle du cerveau aussi
développé que leurs biceps, se hâtent de répondre. Qui l'eût cru ? Arès dieu de la
guerre pour les guerriers, Poseidon dieu de la mer pour les marins ! Au moins
c'est clair, net et précis. Nous pouvons leur prêter quelque créance, ils furent les
premiers témoins et les premiers acteurs. Mais même chez les Dieux antiques,
chacun prêche pour sa paroisse.
Les Chefs du peuple ont une vue plus large de la problématique. Ce ne
sont pas seulement les Olympiens qui se rangèrent aux côtés de leurs adorateurs
mais les Héros, que l'on imagine délaissant l'île des Bienheureux, et les Ancêtres,
revenus des cercles infernaux. C'est un peu l'invocation eschyléenne inversée en
elle-même, il ne s'agit plus de défendre les tombeaux des anciens, ce sont les
pères qui sortent des tombes pour se porter au secours des fils. Ce n'est plus ad
patres, mais ad filia !
Très belle métaphore du passé s'extirpant des limbes de l'oubli pour s'en
venir assurer la présence grecque du monde au monde, redoublée en quelque
sorte par la déclaration finale du poëte, qui impose au premier plan, non plus la
victoire aléatoire d'un rencontre navale, mais la plectrique survie fondatrice
d'une culture à qui nous devons l'essentiel de nos assises civilisationnelles.
Ce genre de discours est difficilement recevable par nos contemporains et
nous serions prêt à parier que plus que l'excellente facture des vers de Sébastien
Charles Leconte, c'est le contenu idéologique du poème qui les gêne. Nous vivons
une époque fabuleuse où l'Europe a peur d'affronter et de revendiquer son
propre passé. Nous savons toutefois que des peuples sans Histoire ne durent
jamais bien longtemps.
Cette déshérence littéraire qui nous stigmatise n'est pas due comme on le
prétend très souvent à une coupure générationnelle. Ce ne sont pas les « jeunes »
qui ne liraient plus parce que de multiples nouvelles activités plus ludiques, et
d'un abord moins rébarbatif, les tiendraient éloignés des vieux livres
poussiéreux, mais nos élites qui ont sciemment scié la planche de la culture sur
laquelle les nations européennes étaient assises depuis Homère.
Les attraits de la globale marchandisation libérale ne peuvent être
contrecarrés que par une réflexion ancrée sur notre devenir le plus profond, en
d'autres termes sur cette spécificité impérieuse qui s'oppose du tout au tout aux
valeurs comptables de la société moderne. La lecture de Sébastien Charles
Leconte est peut-être symboliquement plus importante qu'il n'y paraîtrait !
André Murcie.

# 070 / 14 – 06 – 2019 : ANTIQUITE

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