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P I A I !

CRIS PROPHETIQUES DES CORBEAUX D'APOLLON

CATALOGUE ALEXANDRE / 007

L'ENFANT ET LA RIVIERE
HENRI BOSCO – XAVIER COSTE
( Editions Sarbacane / Avril 2018 )

Nous aimons trop Bosco pour ne pas avoir tremblé de peur lorsque nous avons
appris l'imminente parution de L'Enfant et la Rivière en bande dessinée. Audacieux
pari pensions-nous, mais toutes nos préventions sont tombées ( à l'eau ) dès la première
lecture. Xavier Coste ne s'est pas borné à raconter l'histoire, l'a transcrite. L'a fait
sienne cette intuition poétique de Mallarmé, qu'il ne s'agit pas de décrire ce qui est
mais de donner une transposition de l'effet que produit tout objet sur cet outil de
perception mentale que tout au long de ses livres Henri Bosco nomme l'âme. Entendez
ce mot au sens aristotélicien d'une poussée intérieure à appréhender l'univers selon sa
propre exigence.
De Xavier Coste nous ne connaissions que son album, paru en 2012, consacré à
Egon Schiele. Nous avions été surpris par ce parti-pris d'un tracé rectiligne pour
rendre compte de la vie d'un des peintres qui nous a laissé une des visions les plus
torturées du corps humain, de l'éros conçu en tant qu'écartèlement protéiforme et
supplicié du désir. Il ne serait pas inutile de réfléchir quelque peu par quelles
complicités intimes notre auteur peut se sentir proche de postulations du monde si
dissemblables que celles de Schiele et Bosco. Sans doute faudrait-il s'appesantir sur
l'hiératisme des figures féminines de Klimt – prédécesseur de Schiele – pour
comprendre la jointure invisible de ces deux représentations en apparence si éloignées.
Rappelons que si L'Enfant et la Rivière peut être lu comme un récit d'aube
radieuse, le livre n'en recèle pas moins sous l'éclat scintillant et miroitant de la surface
de ses eaux exotériques des gouffres amers et profonds qui communiquent avec le
royaume de la mort. Encore faut-il avoir le courage d'y plonger. Mais tout le monde
n'est pas Gatzo...
Malin Xavier Coste, n'a pas récrit le texte, l'en extrait de-ci de-là quelques
courtes citations, d'ailleurs il n'oublie pas qu'il est un dessinateur, de nombreuses
pages sont muettes, le dessin vous guide, comme l'on suit des traces de pas sur le sable
humide, l'aventure vous happe. Réussit à recréer le mystère bosquien pétri d'attente,
de contemplation, de songe et de sommeil. Il n'y a pas à proprement parler d'intrigues
et d'anecdotes, plutôt des révélations qui ne sont que les évidences des fissures du réel.
Etrange histoire que celle de ce roman avec son récit en abyme, mais les lecteurs des
mystiques savent parfaitement que ce qui se déroule en haut agit sur ce qui rampe en
bas, et vice-versa.
Un récit tout simple, d'une clarté absolue mais d'une extraordinaire densité.
Evidemment il manque des éléments essentiels, la menée de lune paradisiaque toute
nervalienne qui est une des clefs les plus opératives du récit, le glapissement triste du
renard... mais cela ne se voit pas. Quelques resserrements de situations, quelques
ajouts, le cheval du rêve, mais rien qui ne nuit à la fidélité ombreuse.
Si Xavier Coste réussit ce miracle d'équilibre entre le modèle scriptural –
entrevoyez celui-ci comme une forme idéenne platonicienne - et la transposition
picturale, c'est grâce à la couleur. Je ne parle pas de son talent de coloriste mais de
cette succession de moments séparés – qui ne sont pas sans évoquer les immobiles
stratégies d'approches amoureuses chères André Dhôtel – surtout pas un pointillisme,
mais une inondation de lavis, d'aquarelles et d'à-plats évanescents. Rien de plus clair
que ces jaunes et de plus sombre que ces mauves. Entre ces deux marqueurs de sable et
de nuit, toute la palette verdoyante des oranges somptuaires et des bleu d'outre-rêve.
A tel point que le texte de Bosco en deviendrait superfétatoire – méfiez-vous
toutefois des rivières souterraines, ce sont-elles qui transportent les courants
telluriques les plus puissants, les plus retors – mais ne vous privez pas de cette grâce,
de cette éblouissance que vous procure la plénitude colorée de chaque planche. Xavier
Coste a su traduire la naïve nouveauté d'un regard d'enfant qui erre et glisse sans fin
sur la beauté multicolore du monde pour mieux se fixer sur le mystère de la
transparence de la mort. Les scènes nocturnes sont les plus belles, la fantomale
apparition de Hyacinthe auréolée de pourpre et de flammes est une merveilleuse
surprise, Xavier Coste nous livre en cet instant fatidique de l'action un diptyque digne
d'un ymagier apollinarien, arcanien et arcadien, qui souligne le sens orphique de ces
étroits bandeaux animaliers qui émaillent l'ensemble de l'album.
Hyacinthe est autant un fantôme de fille, irisé de rêve et de peur, qu'une couleur
tombée de la terre qui s'en vient des ultimes profondeurs hanter le monde instable des
hommes. Nous sommes ici au cœur de la méditation picturale, en cet instant précis de
d'interversion où l'œil limpide de l'artiste se laisse envahir par la métamorphose de la
chair en pigment du rêve.
Xavier Coste nous livre une œuvre magnifique. Il peut désormais se prévaloir du
titre fastueux d'enchanteur pourrissant de Notre-Dame des Eaux-Dormantes. L'a su
opérée une transpicturation alchimique d'un des textes les plus secrets de la littérature
française.
André Murcie.
CATALOGUE ALEXANDRE entend s'intéresser aux livres et autres objets littéraires récemment
parus. Certains parce qu'ils croisent notre route un peu par hasard et d'autres parce qu'ils
proviennent de lieux privilégiés. Tours d'attaque ou de défense que certains s'acharnent à édifier
afin de résister à un arasement culturel prémédité.

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