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Valéry, Proust et la vérité de l’écriture littéraire

En lisant les notes et les résumés des cours de Merleau-Ponty au Collège de France, on peut
remarquer qu’il a tendance à différer à l’année suivante ce qui était annoncé par le cours en
question. Par exemple, dans le cours, intitulé « Monde sensible et monde de l’expression », il
écrit dans les notes préparatoires qu’il s’agit de « préparer l’analyse de cette fonction par
laquelle le monde perçu est sublimé, faire une théorie concrète de l’esprit » (MSME, p. 17).
Cette théorie de l’esprit est finalement renvoyée à l’année suivante ; pour l’avant-dernière
leçon, Merleau-Ponty note que la question de la « conversion du mouvement en expression »
requiert une enquête sur le langage parce que ce dernier « sublime davantage le mouvement
humain » (MSME, p. 131). Puis, dans le Résumé du cours de l’année suivante consacré au
« Problème de la parole », on peut lire que la « nature de l’institution comme acte de
naissance de toutes les paroles possibles » fera l’objet d’un autre cours (RC, p. 41s). On
pourrait continuer à énumérer ces moments où se manifeste chez le philosophe à la fois
l’embarras face à la question de la naissance des significations conceptuelles, mais aussi la
ferme volonté de l’affronter. Le but de la présente étude est d’examiner les amorces de
solutions que trouve Merleau-Ponty au problème de l’émergence des significations idéales
dans ses cours consacrés au langage et à la littérature, et en particulier dans sa lecture de Paul
Valéry et de Marcel Proust.
On lit à la première page des notes du cours sur la parole que la langue est une « institution »
et que le problème de la parole est une variante de la question du « rapport de l’individu et de
l’institution » (PrPa, p. 6r). En effet, l’étude du langage littéraire et du mode spécifique de la
vérité en littérature lui sert de fil conducteur. Il s’en explique d’ailleurs dans les notes du
cours sur la littérature1 en parlant de Valéry :
Il nous est utile qu’il ait fait théorie du langage littéraire. Mais notre but est de connaître
le langage littéraire lui-même, donc ne pas s’en tenir à sa théorie, la confronter avec sa
pratique. Essayer, par delà ses théories, à travers ses œuvres, de définir le sens littéraire,
l’expression littéraire, en quoi ils consistent. Pourquoi ? pour théorie du langage et en
général du symbolisme. RULL, p. 29
Pourquoi Valéry. En lisant de près les notes qu’il consacre à la littérature au cours de cette
période, je poursuis deux objectifs : 1. à travers l’œuvre de P. Valéry, approfondir et préciser
le lien unissant parole et affectivité, 2. à travers les réflexions de Proust, introduire à la théorie
de l’universel sans concept, et enfin, 3. envisager la question des significations logiques, du
symbolisme, à partir de la réflexion sur le langage littéraire. Merleau-Ponty consacre à l’étude
de la littérature une part substantielle de ses premiers cours au Collège de France : outre le
cours sur la littérature, on trouve dans les notes du cours sur la parole quarante feuillets recto-
verso consacrés à Proust. Ce qui motive son intérêt pour la littérature, c’est de comprendre
comment une œuvre se rapporte à la vie qui la voit naître. Il constate que la littérature
moderne a depuis longtemps contesté la frontière entre la vie et le langage : au moins depuis
Rimbaud et Mallarmé, l’expression littéraire ne peut plus se concevoir comme l’exposition de
contenus de pensée déjà formés. Cette mise en crise de la conscience linguistique naïve par la

1
Le cours de Merleau-Ponty de 1952-1953 sur la littérature s’intitule « Recherches sur l’usage littéraire du
langage ». Cette expression fait référence au psychologue A. Ombredane qui distingue cinq usages
fondamentaux du langage : affectif, ludique, pratique, représentatif et dialectique (Cf. Ombredane 1951, pp.
264ss). Il s’agit d’une théorie pragmatique du langage performatif où le terme « usage » est équivalent à celui
de « fonction ». La notion d’« usage littéraire » que veut mettre en lumière Merleau-Ponty est donc une
manière d’introduire une forme de performativité plus fondamentale que les autres, celle de la parole
créatrice, parlante. Le cours sur « Le problème de la parole » est le seul des deux cours de l’année 1953-1954
dont on ait conservé les notes.
littérature moderne a eu pour résultat soit d’introduire à un culte du langage, soit de décréter
la littérature impossible sinon comme pur exercice gratuit. C’est là précisément la situation de
Valéry et c’est ce qui fait l’objet des leçons que Merleau-Ponty lui consacre. On peut lire une
synthèse de ce cours dans le texte de la conférence des Rencontres internationales de Genève
de 1951, « L’homme et l’adversité » (S, pp. 379-383). Dans ce passage, Merleau-Ponty
explique que la pensée contemporaine tient pour « inséparables la conscience des valeurs
humaines et celle des infrastructures qui les portent dans l’existence » (S, p. 369).
Or si l’expression est nécessairement dotée d’une certaine épaisseur, aucune œuvre ne peut
prétendre à un achèvement total ; la tâche d’exprimer le monde de la vie est toujours à
recommencer. C’est ce que Merleau-Ponty appelle également le « pathos du langage ». Pour
illustrer cette idée, il évoque un texte méconnu d’André Breton de 1926, intitulé Légitime
défense, dans lequel il répond à la question « pourquoi écrivez-vous ? » posée par Maurice
Blanchot. Le texte de Breton est cité en introduction du cours sur la littérature2 : la thèse
centrale, selon l’interprétation de Merleau-Ponty est que le langage littéraire doit se situer en
un point où « la littérature, la vie, la morale et la politique sont équivalentes et se substituent »
(S, p. 381). Le sens de l’écriture littéraire était de trouver cette source de la parole littéraire
comme expression pure et simple de la vie de la personne – le surréalisme peut donc être
compris comme « l’un des rappels à la parole spontanée que notre siècle prononce de
décennie en décennie » (ibidem). Valéry aussi rejoint cette tâche de faire coïncider l’écriture
avec la vie et c’est cette ambition qui constitue le problème d’où émerge son œuvre. Il
constate que « le langage poétique […] ne s’efface pas devant ce qu’il nous communique »
(S, p. 382) ; il bute sur la duplicité du langage, sur le fait qu’il masque autant qu’il offre ce
qu’il exprime. Dans le cours sur la littérature, postérieur d’une année environ à la conférence
de Genève, après l’introduction aux divers paradoxes entraînés par la question de l’expression
(Cf. supra, pp. 183ss), Merleau-Ponty consacre six leçons à une lecture approfondie de
l’ensemble de l’œuvre de Valéry. Ces leçons sont divisées en trois parties : 1. « Silence et
pouvoir » sur l’impossibilité d’écrire ; 2. « La littérature cynique » à propos de l’écriture
malgré l’impossibilité ; 3. « Réalité de la poésie » sur la pratique du langage comme
dépassement de cette impossibilité.
Les motivations du silence. Dans la première partie, Merleau-Ponty relève les arguments de
Valéry en faveur de l’épaisseur du langage et l’impossibilité corrélative de l’expression à
coïncider avec le vécu. En premier lieu, il évoque la question du corps : pour Valéry, nous
avons en quelque sorte deux corps. L’un est simplement une masse, ce par quoi nous sommes
situés dans l’espace alors que l’autre est le corps éveillé, connaissant. Nous sommes les deux
à la fois3, et par conséquent, nous ne saurions, en tant que sujets, nous connaître nous-mêmes
totalement. Il y a une « impuissance des yeux à voir le dos de leur homme » (RULL, p. 37 ;
citation de Mauvaises pensées, p. 29). C’est donc la structure phénoménale du corps qui
commande l’opacité de tout rapport à soi. En second lieu, Merleau-Ponty évoque la notion
2
Voici la citation dans les notes du cours : « Encore une fois, tout ce que nous savons est que nous sommes
doués à un certain degré de la parole, et que, par elle, quelque chose de grand et d’obscur tend
impérieusement à s’exprimer à travers nous, que chacun de nous a été choisi et désigné à lui-même entre
mille pour formuler ce qui, de notre vivant, doit être formulé. C’est un ordre que nous avons reçu une fois
pour toutes et que nous n’avons jamais eu loisir de discuter. Il peut nous apparaître, et c’est même assez
paradoxal, que ce que nous disons n’est pas ce qu’il y a de plus nécessaire à dire et qu’il y aurait manière de
le mieux dire. Mais c’est comme si nous y avions été condamnés de toute éternité. Ecrire, je veux dire écrire
si difficilement, et non pour séduire, et non au sens où on l’entend d’ordinaire, pour vivre, mais, semble-t-il,
tout au plus pour se suffire moralement et faute de pouvoir rester sourd à un appel singulier et inlassable,
écrire ainsi n’est jouer ni tricher, que je sache. » (RULL, p. 21 ; la citation est tirée de Breton 1926, p. 34)
3
« Comment veux-tu que je me dresse, que je soulève à la fois tout l’être et tout le non-être qui sont
intimement confondus en moi ? » (RULL, p. 35 ; citation de Mélange, pp. 137-138) On retrouve chez Valéry
la distinction husserlienne de la chair (Leib) et du corps (Körper).
d’esprit : malgré l’entrelacement de la conscience et du corps, Valéry affirme l’esprit comme
instance fondamentale capable de thématiser le rapport même de la conscience et du corps. Or
il serait absurde selon Valéry de chercher à thématiser l’esprit lui-même, ce qui constitue
précisément l’erreur des philosophes (en particulier de Descartes). On voit ici à l’œuvre un
Valéry très proche des thèses phénoménologiques : il appelle l’esprit « l’incessible et
l’insaisissable » (Tel quel, p. 489), en tant que pure ouverture, en tant que vide qui fait qu’elle
« se donne à tout » : « Être étrange de cette conscience toute en acte, à la fois condition pour
qu’il y ait des choses et cependant ouverte sur un monde de choses qui lui paraissent
indépendantes d’elle » (RULL, p. 42). Cette contradiction de la conscience à la fois dans le
monde et hors du monde produit chez Valéry son « fiel », i.e. son impossibilité d’être. En
troisième lieu, Merleau-Ponty montre que ce « porte à faux vide-plein dans [le] rapport
conscience-monde » (RULL, p. 43) est lié à la question du rapport à autrui. Valéry en effet
insiste dans plusieurs textes, notamment dans Tel quel, sur la structure paradoxale de mon
rapport à autrui.
Valéry interprète ce rapport en termes d’introjection-projection : si la phase narcissique n’est
jamais entièrement dépassée, ce n’est pas simplement parce que la régression est toujours
possible, mais bien parce que notre Moi ne saurait se constituer sans l’autre, qu’il ne saurait se
suffire à lui-même. Autrui me co-constitue et, de ce fait, je ne m’affranchis jamais
entièrement de la couche affecive de mon vécu. Je ne trouve jamais le repos en moi-même
parce que j’ai besoin de l’autre pour me rapporter au monde et à moi-même. Il y a « toujours
discordance » entre moi et autrui en ce sens que mon attirance vers lui est l’envers de ma
faiblesse constitutive d’en avoir besoin pour exister en tant que sujet. L’amour est vu par
Valéry comme impossible du fait de ce chiasme originaire : aimer, c’est vouloir que l’autre
soit, et en même temps vouloir le posséder, l’assimiler à soi ; on voit bien le paradoxe.
Imposture de la littérature. Or le rapport à autrui passe par le medium de la parole, ou plutôt,
se passe dans le milieu de la parole. Le rapport par exemple de l’écrivain à son lecteur est
affecté des mêmes tensions et paradoxes : la parole littéraire est une
parole Janus, à soi et à autrui, et donc source de tous les malentendus, questions,
sorcelleries, ambiguïtés du rapport moi-autrui, et pourtant ramené par une nécessité
profonde de mon être puisqu’il est indivis. RULL, p. 45
Le terrain propre de la poésie est précisément ce « domaine des non-choses » (RULL, p. 46),
le corps, l’esprit, moi-autrui, qui ne se laisse pas saisir ni figer dans un savoir durable en
raison de sa nature paradoxale. L’expression littéraire est de l’ordre de l’étincelle :
Il lui est essentiel […] de n’être saisissable que dans l’instant. Toute lumière prolongée,
toute attention durable le fait connaître non pas mieux mais moins bien. Ibidem
Pour Valéry, les phénomènes sont à ce point liés à leur expression que celle-ci devrait épouser
exactement leur mode d’être temporel. Or elle tend à installer dans le temps des significations
qui ne changent pas aussi vite que le domaine des vécus. C’est ce décalage temporel qui fait
que le langage, qui paraît aller de soi dans l’usage quotidien, devient obscur :
la vie en tant qu’humaine n’a pas pour but ceux de la vie historique, elle est désir fou,
négation-position, distinction-construction – à même le langage. RULL, p. 48
Voilà donc pour Merleau-Ponty la raison du silence prolongé de Valéry qui ne publie rien
entre 1894 et 1917, entre La jeune Parque et Introduction à la méthode de Léonard de Vinci.
Une fois sortie de la conscience linguistique naïve et du « malentendu fondamental » du
langage, la littérature apparaît comme une absurdité, ou du moins comme un paradoxe, au
même titre que l’existence d’autrui n’est pas pensable sans ma projection en lui. De plus, en
tant qu’elle s’adresse à un lecteur, elle est prise dans la contradiction entre le fait que la
communication se déroule au moyen de significations partagées, disponibles, mais que son
pouvoir expressif dépend de cette instantanéité qui atteste qu’elle puise à la source de
l’expérience intime. Ainsi, l’idée que la littérature doive se réduire à un « pur exercice de
l’intelligence » est un effet d’optique ; elle est le fruit du constat de ce paradoxe de
l’expression. Or, comme le dit Valéry dans un texte tardif, « il n’est pas de théorie qui ne soit
un fragment, soigneusement préparé, de quelque autobiographie » (Variété V, éd. Folio, p.
666 ; cité in RULL, p. 50). C’est dans la lucidité à l’égard de ce rapport que réside la
possibilité de la littérature et les « impostures » de l’écrivain sont dues à la dissimulation de
ce rapport. Il y a une imposture du langage qui fait croire au lecteur que l’écrivain a voulu
tout ce qu’il a écrit et qui méconnaît donc la puissance propre au langage, qui nous fait croire
que ce qu’il nous communique est le fruit d’un esprit singulier et original alors que la
communication, en réalité n’est que la correspondance entre un vide chez l’un et un plein chez
l’autre. Le lecteur est tenté de croire que l’auteur est la seule source de son œuvre alors celle-
ci ne pourrait voir le jour si l’auteur n’avait un manque, un vide qui enclenche l’activité de
l’expression. Ces impostures se résument finalement dans la conviction que l’auteur maîtrise
ce qu’il dit :
la communication de soi [est] contrefaçon puisque jamais dans le vécu de l’écrivain il
n’y a ce qui est dans l’œuvre et ce qu’il y aura dans le lecteur. RULL, p. 52
L’implexe. Merleau-Ponty n’aurait pas consacré un cours à Valéry si tel était son dernier mot.
Or il découvre à travers l’exercice de la « littérature cynique », à travers l’explicitation des
paradoxes et des impostures, un maniement du langage susceptible de donner un sens
nouveau à la littérature comme passage à l’expression. Ce « miracle de l’expression », qui
constitue le secret de l’usage littéraire du langage, Valéry l’appelle « implexe »4 :
Qu’est-ce qui fait que la pensée, qui se fait dans le langage comme dans tous les gestes,
en lui se récupère ? C’est cette fonction-là, à travers tous les malentendus signalés, qui
porte la littérature. Ibidem
Si Valéry affirme la possibilité de la littérature, c’est d’abord comme union du son et du sens
en poésie, une « union mystique », une « intimité profonde » qu’il n’explique pas à
proprement parler. Merleau-Ponty s’appuie alors sur la doctrine saussurienne du rapport entre
signe et signifié pour montrer que, malgré tout, Valéry esquisse une théorie de l’expressivité
(RULL, pp. 67-72). L’union du son et du sens définit tout exercice de la parole en tant qu’il
modifie l’équilibre global du système pour augmenter ses possibilités d’expression. Il suffit
de lire la préface de sa leçon inaugurale au Collège de France pour constater chez Valéry
l’équivalence entre l’usage littéraire du langage et le secret de son évolution5. Merleau-Ponty
conclut à ce propos :
Valéry ne s’en tient pas à [une] particularité indéfinissable de la poésie, et l’intimité du
son et du sens est là chaque fois qu’il y a vive expressivité. RULL, p. 67
L’implexe est précisément cette faculté du langage de passer « de l’arbitraire au nécessaire »
(ibidem) qui est analogue à l’opération de la vision qui corrige spontanément la diplopie. On
rencontre dans les tentatives d’explicitation de cette notion les expressions de « machine à
voir », « machine à dire », « machine à penser » qui indiquent que le passage à l’expression
est sous-tendu par une structure qui fait apparaître l’expression comme indépendante du sujet

4
Le terme apparaît dans L’idée fixe, un texte publié en 1932. Il s’agit d’un dialogue entre l’auteur et un ami
médecin au bord de la mer à propos de la création et du savoir.
5
« La littérature est, et ne peut être autre chose qu’une sorte d’extension et d’application de certaines
propriétés du Langage » (Variété III, IV et V, op. cit., p. 817) ; un peu plus loin, il précise le sens qu’il
convient de donner au Langage avec un « L » majuscule : « La formation de figures est indivisible de celle
du langage lui-même, dont tous les mots ‘abstraits’ sont obtenus par quelque abus ou quelque transport de
signification, suivi d’un oubli du sens primitif. Le poète qui multiplie les figures ne fait donc que retrouver en
lui-même le langage à l’état naissant. » (p. 818)
parlant. C’est bien moi qui parle, mais quand je fais l’expérience d’une expression où son et
sens sont unis, je ne possède pas le sens de l’expression avant de l’avoir dite. La parole en
acte m’apprend en quelque sorte le sens de ce que je voulais dire. Ou comme le résume
Merleau-Ponty,
Le langage et le sens ne font qu’un parce que c’est seulement en « mettant au point » la
machine à parler sur l’intention muette (comme en mettant au point les yeux sur les
images) qu’on en vient à penser ce qu’on pense. RULL, p. 69
L’implexe, en d’autres termes, est ce qui nous donne les mots pour le dire sans les avoir
prémédités. C’est ainsi qu’il faut entendre la formule selon laquelle l’écrivain est « un
professionnel de l’insécurité » (S, p. 379), à savoir que son travail consiste à apprivoiser
l’implexe, à en suivre l’impulsion et construire une œuvre de proche en proche, « par
bourgeonnement et croissance latérale » (RULL, p. 70). Ainsi, l’implexe est de l’ordre du
préréflexif et constitue à ce titre la condition de possibilité de l’apparition de significations
d’ordre conceptuel :
l’implexe est l’opération d’un sens qui n’est pas encore thématisé, libéré, posé pour soi
et qui cependant sélectionne toutes les sollicitations, répond aux hasards à raison de ce
qu’ils disent d’implicite, comprend toutes les allusions- agit comme s’il savait ce qu’il
ne saura pourtant qu’en conséquence de toutes ces opérations, comme les yeux dans la
vision. RULL, pp. 70s, souligné par Merleau-Ponty
La frontière stricte que voulait d’abord préserver Valéry entre prose et poésie est ainsi
effacée. Ce qui caractérise la poésie, c’est l’activité des implexes, i.e. l’expérience de l’unité
de tous les éléments d’un monde par « liaison totale et latérale » (RULL, p. 72). Cela est par
excellence le propre de toute expression réussie, et la poésie n’est que l’instrument le plus
aigu de cette expérience qui est au fond celle du « monde dans son unité prélogique »
(ibidem). En lisant le poème Palme, Merleau-Ponty montre que Valéry met en œuvre le
langage poétique pour faire voir l’apparaître de la chose comme une essence, comme un
représentant emblématique d’une certaine manière d’être. Cela s’opère par une
correspondance entre la configuration de la chose en tant que perçue et les moyens
d’expression du poème : « La voix de Valéry, c’est ici cette manière de déchiffrer l’objet,
l’être avec lui » (RULL, p. 76).
Faust ou la rationalité rétroactive. Sur cette base, la question de la rationalité devient plus
complexe. Si une œuvre est la « trace de l’opération d’un implexe » (RULL, p. 74), si sa
faculté à dire vrai dépend d’une opération spontanée résidant à la source même du faire de la
parole, sa teneur de vérité ne peut être due à la présence en elle de contenus de pensée. Celle-
ci repose dès lors sur le nouvel arrangement signifiant opéré par le style de l’auteur comme
« écart uniforme dont sont affectés tous les éléments » (ibidem). On observe ici l’amorce
d’une théorie littéraire de la vérité qui ne pourra pas s’appuyer uniquement sur Valéry, dans la
mesure où, Merleau-Ponty le reconnaît, sa lecture le force un peu6. Les derniers
développements de cette lecture sont basés sur l’un des derniers ouvrages de Valéry, « Mon
Faust », une œuvre qualifiée par Blanchot d’« absolument parfaite et complète dans son
inachèvement même »7. Merleau-Ponty ne prétend pas que Valéry aurait trouvé une solution
au problème de l’expression et qu’il livrerait en Faust une théorie justifiant ultimement
l’expression littéraire. Au contraire, il radicalise le paradoxe en mettant en scène le
personnage de Faust chez qui la vie et l’expression ne font qu’un et chez qui cette conjonction
tend à inspirer un souverain détachement à l’égard du monde. Au bout de ce conflit, lorsqu’il

6
« Nous prolongeons ici Valéry au-delà de lui-même [...]. Il n’a qu’entrevu la terre promise » (RULL, p. 82).
7
L’ouvrage, écrit en 1940, est paru peu avant sa mort en 1946. Cf. M. Blanchot, « Valéry et Faust », in La part
du feu, p. 276.
est confronté au personnage du Solitaire, qui incarne l’exigence immédiate de vérité sans
reste, Faust comprend qu’il faut passer « de la vérité à la réalité » (« Mon Faust », p. 237) et
que seule l’acceptation du caractère paradoxal de la réalité permet de fonder une sagesse. « Le
diable est de l’être. Le solitaire est le refus d’être. Faust est la conscience de l’équivalence de
l’être et du néant et la sagesse fondée sur elle » (RULL, p. 81). Ainsi, pour Merleau-Ponty,
Valéry pointe en direction d’une « ligne générale de solution » (ibidem) qui consiste
essentiellement à accepter 1. que l’écriture a pour thème « un état d’indivision des choses
sensibilisées l’une à l’autre, musicalisées » (ibidem), 2. que l’écriture a pour fin la
manifestation de cet état d’indivision, 3. que le mouvement de l’expression littéraire n’est pas
distinct de celui de la vie, qu’elle est un « mouvement qui se fait à l’intérieur même de ce que
l’on vit » (ibidem) et 4. que le travail de l’auteur consiste dans la mise en place d’un appareil
expressif, son style, qui se nourrit de sa vie et qui se laisse guider par la singularité de sa voix,
singularité qu’il ne peut que constater après coup.
Pourquoi Proust. S’il est vrai que, selon Merleau-Ponty, Valéry n’a qu’entrevu la terre
promise, Proust, lui, semble l’avoir suffisamment approchée pour avoir développé une théorie
presque philosophique de la nature de l’expression littéraire en tant que capacité à dire vrai.
On cite souvent cette phrase du Visible et l’invisible selon laquelle « personne n’a été plus
loin que Proust [...] dans la description d’une idée qui n’est pas le contraire du sensible » (VI,
p. 193) ; c’est dans le cours sur la parole de 1953-1954 que se précise cette lecture de Proust
comme théoricien de la vérité du sensible. Mon commentaire de la partie du cours sur la
parole consacrée à Proust est ciblé particulièrement sur cette question de l’« essence
alogique », i.e. de la teneur de vérité propre à l’expression littéraire. Il s’agit de justifier l’idée
d’une vérité qui n’est pas la correspondance entre deux faits isolés, entre un énoncé et un état
de faits, mais qui consiste en la transposition de structures globales, par exemple la
conversion de la structure perceptive par le style de l’écrivain. Dans « Le langage indirect et
les voix du silence », Merleau-Ponty formule la tâche : il s’agit de justifier une « vérité qui ne
ressemble pas aux choses, qui soit sans modèle extérieur, sans instruments d’expression
prédestinés, et qui soit cependant vérité » (S, p. 92). Ailleurs, il précise cette notion de vérité
comme correspondance de structures plutôt que comme correspondance de faits isolés : « La
vérité est un autre nom de la sédimentation, qui elle-même est la présence de tous les présents
dans le nôtre » (S, p. 156). La sédimentation est le processus historique par lequel les
systèmes signifiants se restructurent et donnent lieu à des configurations nouvelles. Merleau-
Ponty cherche à mon sens à formuler une théorie de la vérité logique, des « significations
disponibles » guidé par les notions de « vérité structurale » et de « pensée productive » de
Max Wertheimer, en prenant appui sur le fonctionnement de la parole littéraire.
Proust vivant, écrivant, pensant. Il consacre les six dernières séances de son cours sur la
parole à Proust, de la fin février au début avril 1954. Il s’agit autant d’une interrogation sur les
théories explicites de l’écrivain que sur sa personnalité et sur l’émergence de son œuvre sur le
fond de sa vie. Dans un premier temps, il relève la propre volonté du jeune Proust de faire de
la philosophie à travers l’activité littéraire : « Il pense que la littérature donne la vérité
absolue » (PrPa, p. 93r), mais l’accès y est indirect : « s’il va droit aux idées, il ne trouve
rien » (ibidem). C’est par une dialectique du retour aux choses mêmes qu’il gagne une
approche philosophique du monde, par une « réflexion qui entre dans la chose, qui l’ouvre et
y trouve [des] richesses » (PrPa, p. 94v). Proust ne tombe pas dans le piège de Valéry qui
consiste à prendre la philosophie comme une activité purement contemplative, une
manipulation des « idées de l’intelligence ». Merleau-Ponty insiste d’ailleurs sur la précocité
de cette ambition de Proust de « conquérir par les mots le contact muet » avec les choses, ce
qui explique son intérêt pour le roman de jeunesse inachevé Jean Santeuil, paru en 1952.
Proust est un écrivain dont le travail d’explicitation de l’expérience devient sa philosophie, ce
qui permet à Merleau-Ponty de le traiter comme un phénoménologue. A travers l’analyse de
plusieurs passages de Jean Santeuil et de la Recherche du temps perdu8, il commente la
description proustienne de l’expérience de la transcendance des choses. L’épisode des
clochers montre que l’espace vécu est un espace où les choses ne révèlent leur être qu’au bout
de mes mouvements et qu’ainsi l’en-soi des choses est en même temps « absolue
indifférence » et corrélation avec mes possibilités motrices. Si donc les fleurs perçues ne sont
pas les vraies9, cela ne signifie pas que ma mémoire contient les vraies comme la conscience
cartésienne contient les idées, mais bien plutôt que le perçu n’est présent qu’allusivement et
que la vérité de expérience perceptive ne peut être captée que par une expression indirecte,
latérale. C’est la chose elle-même qui, du fond de son silence, requiert l’intervention de la
parole pour pérenniser sa présence, et lui donner une forme stable : « Leur silence appelle
notre parole pour qu’elles ne se perdent pas elles-mêmes » (PrPa, p. 96v). Ainsi, l’expression
est une reconquête autant de l’espace que du temps perdu et la littérature cherche à opérer
« ce que la mémoire elle-même ne réussit qu’un instant : réunion, communication des choses
à travers moi, sur place, par métaphore, non par subsomption » (PrPa, p. 98v).
Elstir, Vinteuil et Proust. La spécificité de la littérature est dès lors en question puisque
l’opération de la parole littéraire est conçue en analogie complète avec celle des moyens
expressifs de la musique et de la peinture. La parole littéraire est cependant ambiguë : d’un
côté, elle est comme la musique ou la peinture « parole de la vie » en ce sens que l’écrivain ne
l’adopte pas consciemment ; Bergotte ne cherche pas à « faire du Bergotte » lorsqu’il produit
son propre style10. L’écriture littéraire est une parole exprimant le « rapport préobjectif au
monde et à autrui » (PrPa, p. 101r), comme les arts muets. Merleau-Ponty reconnaît là une
continuité. De l’autre côté, il y a cependant quelque chose de plus par rapport à la musique et
à la peinture qui caractérise la littérature comme articulation langagière : elle est relativement
détachée du contexte et, par conséquent, elle peut « faire exister un univers pour le lecteur » et
donc être une « parole originaire réveillée et créant une intersubjectivité à la 2e puissance »
(PrPa, p. 102v). Or ce pouvoir de camper un monde repose pour Proust sur les pouvoirs
expressifs de la musique et de la peinture. En effet, ces formes d’art « qui ne disent rien »
fournissent à la littérature ses idées, des idées sensibles et attachées à leur contexte « qu’elle
rend communicables » (ibidem). C’est pourquoi, explique Merleau-Ponty, « il nous faut faire
un détour par [la] peinture et [la] musique avant de définir pleinement [la] littérature »
(ibidem). On trouve ici la structure dialectique paradoxale de la parole où sa spécificité ne
peut se définir que par ce qu’elle conserve des modes d’expression qui la précèdent. Avant de
discuter la célèbre phrase de Vinteuil, il commente un passage des Jeunes filles en fleurs (JF,
pp. 399-411) où le narrateur rencontre le peintre Elstir à Balbec et décrit certains de ses
tableaux. Le monde de la peinture est
vu non comme participant à des catégories, mais comme fondant lui-même son unité
par la métamorphose des apparences. La peinture refait un langage, ou fait que les
apparences mêmes parlent les unes aux autres, c’est un langage des choses. PrPa, p.
105v

8
Il s’agit en particulier de l’épisode des aubépines (Swann, p. 111), celui des Clochers de Martinville (Swann,
pp. 177-180), ainsi que de celui de la bille d’agate (Jean Santeuil, éd. Quarto, pp. 744s).
9
Merleau-Ponty cite un passage de Swann, p. 182 : « Soit que la foi qui crée soit tarie en moi, soit que la
réalité ne se forme que dans la mémoire, les fleurs qu’on me montre aujourd’hui pour la première fois ne me
paraissent pas de vraies fleurs » (PrPa, p. 97r). Sur les « aubépines du passé » comme seules vraies fleurs, cf.
aussi la note de travail d’avril 1960, (VI, pp. 291-3).
10
Merleau-Ponty commente le passage des Jeunes filles en fleurs où Proust discute la question du style
littéraire de Bergotte (JF, p. 121) : « La différence entre Bergotte parlant et Bergotte écrit « venait de ce que
‘le Bergotte’ était avant tout quelque élément précieux et vrai, caché au cœur de chaque chose, puis extrait
d’elle par le grand écrivain grâce à son génie » (PrPa, p. 101r).
Après ces feuillets sur la peinture, sur lesquels on pourrait s’attarder plus longuement,
Merleau-Ponty cite de très larges extraits du passage où Swann écoute pour la seconde fois la
sonate de Vinteuil11. Si la peinture est un art des configurations spatiales, le milieu privilégié
de la musique est la subjectivité en ce sens qu’elle exprime les sentiments en leur donnant une
configuration temporelle qui permet ainsi de communiquer ce qui semble au premier abord le
plus intime. Les essences exprimées par la musique sont toutefois différentes des essences
logiques en ce sens qu’elles ne forment que des contours, et que leur liaison avec le contexte
est déterminante pour qu’on les reconnaisse12. Merleau-Ponty cite un passage où Proust fait
l’hypothèse d’une humanité qui n’aurait pas inventé le langage et dont le mode de
communication serait la musique13. Cela conduit à la « nécessité de réexaminer le langage
comme s’il était musique » (PrPa, p. 111r) pour faire ressortir sa spécificité. Cela n’implique
pas pour Merleau-Ponty que le langage ne soit qu’une modulation de l’expression musicale,
mais c’est sur le fond des idées temporelles de la musique et les idées spatiales de la peinture
que le langage installe son décor. C’est ainsi que la parole littéraire englobe ces deux
universels et ouvre à une autre dimension : elle est la
parole fondamentale i.e. qui reprend non seulement la tâche de communiquer non
seulement l’impersonnel, mais le plus individuel, comme réalisme fondé sur l’analyse
quasi scientifique et exhaustive de l’« impression » i.e. du monde en tant que vécu, -
comme phénoménologie. PrPa, p. 111v
Ce que font la musique et la peinture, c’est par l’arrangement intrinsèque des formes de faire
« transparaître dans le sensible des sortes d’idées, d’essences alogiques non traduisibles dans
les termes des idées de l’intelligences » (PrPa, p. 113r). Merleau-Ponty insiste beaucoup dans
ces pages sur la « parenté de l’essence alogique et de la perception » (PrPa, p. 113v) et leur
commune différence à l’égard de la pensée. Il y a là une contradiction dont il n’est pas sans
être conscient : d’une part l’objectif du cours est de formuler une théorie de la parole telle que
l’on puisse rendre compte aussi de la genèse des essences logiques (en d’autres termes, baser
la vérité algorithmique sur la vérité littéraire) ; dans son commentaire de Proust, d’autre part,
les idées sensibles sont posées par opposition aux idées proprement dites. La réflexion sur
l’« expression pure » de la littérature impose aux idées de l’intelligence une « sorte de
réduction » (PrPa, p. 114r), puis dans la conclusion du cours, il cherche à lever cette
réduction en posant la question de savoir si le sémantique peut vraiment se réduire au
diacritique, i.e. si les essences logiques ne forment pas un ordre distinct de celui des essences
alogiques.
Littérature et connaissance. Une expression singulière peut nous permettre de mieux préciser
les termes de ce problème dans le cours : l’idée que la littérature offre une forme de
connaissance, une connaissance sur le mode du quasi : elle est définie à deux reprises comme
une « quasi-science du monde vécu » (PrPa, pp. 94v, 119v). Ce que le philosophe appelle le
« mode du quasi », c’est le mode de présence d’une chose en tant qu’elle dépasse le niveau du
simple vécu et se place au plan de l’expression ; l’expérience de la parole est définie p. ex.
comme une « restructuration de l’existence », un « passage au quasi-, passage qui est, non pas

11
Swann, pp. 342-347.
12
Merleau-Ponty relève que les pièces de Vinteuil sont apparentées non pas en vertu de ressemblances
externes, mais en vertu du fait que ces deux œuvres sont issues du même monde habité par les mêmes
questions (cf. Prisonnière, pp. 243s) : « c’est que rapports de l’un et du multiple dans cet univers ne sont pas
ceux de l’univers des idées de l’intelligence : l’unité n’est pas fondée sur un invariant reconnaissable, mais
sur l’accent de quelqu’un : sur son ‘interrogation’, son ‘investigation’, sa ‘spéculation’ » (PrPa, p. 109v).
13
Prisonnière, p. 246s : « Je me demandais si la musique n’était pas l’exemple unique de ce qu’aurait pu être –
s’il n’y avait pas eu l’invention du langage, la formation des mots, l’analyse des idées – la communication
des âmes. Elle est comme une possibilité qui n’a pas eu de suites : l’humanité s’est engagée dans d’autres
voies, celle du langage parlé et écrit » (PrPa, pp. 109v-111r).
un simple dépassement, mais dépassement qui conserve » (PrPa, p. 64). Plus loin, en parlant
de la parole comme dépassement du narcissisme, il écrit qu’il n’y a que des solutions en
« quasi », ce qui signifie que le narcissisme primordial n’est jamais entièrement révolu. Enfin,
en parlant de Proust, il dit que l’idée musicale ou picturale est un « quasi-objet » (PrPa,
p.109r) et que la phénoménologie est une étude quasi-scientifique de l’impression, i.e. du
monde comme vécu (cf. PrPa, p. 111v). Ainsi, ce qui pose encore problème en conclusion du
cours, c’est précisément l’expérience d’une « possession intellectuelle » du contenu de la
parole en tant qu’elle permet de fonder un niveau de sens suffisamment stable pour « rendre
possibles d’autres démarches » (PrPa, p. 137v). Deux types de significations partagées
semblent échapper pour Merleau-Ponty au cas du langage littéraire ou du moins ne pas
pouvoir être expliquées par son exercice : d’abord ce qu’il appelle ici « les significations
prosaïques, atteintes sans effort » (ibidem), puis les essences logiques. Il pose la question de
savoir si le sémantique peut vraiment être réduit au diacritique. Cette question est également
celle de la spécificité du langage par rapport à la musique et à la peinture. Voici la
formulation de ces questions dans les notes :
Comment, à partir de ces descriptions, peut-il y avoir
1) un ordre des significations prosaïques, atteintes sans effort, atteintes par tous –
Résultent-elles d’une opération expressive comme celle de l’art ? (Proust – cf. Valéry :
poésie à l’œuvre dans la langue). Alors pourquoi tout le monde ne peut-il pas obtenir la
même compréhension facile de l’art ? Pourquoi y a-t-il une [généralité ?] de ces
significations, si elle sont, elles aussi, idées au sens de Proust, comme de la géométrie
euclidienne et de l’espace de la Renaissance ? Ces significations prosaïques ou quasi
naturelles sont-elles d’anciennes significations poétiques ou obliques ? Et inversement
les poétiques seront-elles aussi accessibles ? La langue, l’institution.
2) plus généralement : des essences logiques ? Certes, elles n’existent peut-être que
dans les objets de la science : la science plus mûre use de concepts opérationnels qui
sont plutôt des essences alogiques- Mais enfin il y a un degré moyen de la science qui
use de concepts apparemment possédés par l’intelligence : ici les opérations expressives
finalement veulent dire quelque chose et le disent. Apparitions de l’ordre du
sémantique, de l’acquis intellectuel- le sémantique est-il du même ordre que le
diacritique ? PrPa, p. 137v
La question posée par Merleau-Ponty à la fin de ce cours est au fond celle de savoir si l’on
peut effectivement réduire le sémantique au diacritique et donc construire une théorie du
langage scientifique et logique qui repose uniquement sur la base des analyses affectives et
littéraires de la naissance du rapport à la vérité. Comme il l’écrit lui-même, il « reste à étudier
comment la parole se fait institution […] cela n’étant pas opération seconde, mais la vertu
même de l’expression » (PrPa, p. 138r). Ainsi il repose la tâche d’une théorie génétique de la
signification conceptuelle à un niveau plus profond qu’avant ; c’est ce qu’il appelle le
« problème de l’esprit » dont il proclame dans les notes de travail du Visible et l’invisible que
seule la Gestalt en détient la clef14.
« La Gestalt tient la clef du problème de l’esprit ». Tentons donc de suivre Merleau-Ponty
dans sa lecture des gestaltistes et de la thèse de la pensée productive, qui revient fréquemment
dans ses travaux, de La prose du monde et le texte sur l’algorithme à cette note inédite du
Visible et l’invisible intitulée « Passage de perception à intelligence selon Gestalt ». Nous
avons vu que la suspension de la conscience linguistique naïve entraînait inévitablement la
thèse d’une « épaisseur irréductible » des mots15. Or le projet du langage algorithmique est

14
Cf. la note de travail de mai 1959 intitulée « ‘Pensée’, ‘conscience’ et être à… » (VI, p. 243).
15
L’expression est de F. Ponge – Merleau-Ponty la cite au moins à deux reprises (PM, p. 123 ; S, p. 382)
couplée à l’expression sartrienne de l’« humus signifiant » du langage.
celui d’un mode d’expression qui renoue avec la transparence des significations, qui n’a pas
d’équivoque ni d’implicite, qui dit totalement ce qu’il veut dire dans l’acte même de le dire. Il
s’agit de restaurer une situation de « communication sans mystère », comme il le dit encore au
début de La prose du monde (PM, p. 12). Le fait est pourtant que cette restauration ne semble
fonctionner, que « dans le moment même où le langage est ainsi obsédé de lui-même, il lui est
donné, comme par surcroît, de nous ouvrir à une signification », que c’est précisément en tant
que système diacritique que le langage nous livre aux choses et nous ouvre à l’expérience de
la vérité. Merleau-Ponty appelle ce paradoxe le « mystère du langage » ; c’est ce qui distingue
fondamentalement la parole de la perception dans la mesure où la parole est « le véhicule de
notre mouvement vers la vérité » (PM, p. 181). La tension résulte de la reprise de la
conception structurale de Wertheimer et du maintien par ailleurs de la perspective du sujet.
Dans Le visible et l’invisible, on retrouve la référence à Wertheimer, en lien avec la notion de
pensée productive. Il y a une reprise de la question de l’émergence des idéalités qui s’appuie
sur le langage de Wertheimer, comme on peut le voir en lisant ce passage qui intervient au
milieu de la discussion sur l’essence dans le chapitre intitulé « Interrogation et intuition » :
Réservons-nous de montrer plus tard que la psychanalyse de la connaissance objective
est interminable, ou plutôt que, comme toute psychanalyse, elle est destinée, non à
supprimer le passé, les fantasmes, mais à les transformer de puissances de mort en
productivité poétique, et que l’idée même de la connaissance objective et celle de
l’algorithme comme automate spirituel est […] appuyée à nos rêveries. VI, p. 153
Il s’agit de donner un autre fondement à la pensée scientifique, une autre conception de la
généralité puisque la notion même de champ implique celle de généralité comme il le
remarque dans une note de travail de novembre 195916. Dans cette même note, il donne la
dialectique du visible et de l’invisible comme alternative à la seule conception de la pensée
comme opération logique ; c’est cette dialectique qui lui permet de « retrouver dans la pensée
productive toutes les structures de la vision » (VI, p. 269). La notion de pensée productive est,
chez Wertheimer, un essai de répondre à la question de savoir ce qui se passe lorsque
l’activité de la pensée se déroule de manière créative, lorsqu’un contenu nouveau apparaît, en
général lorsqu’un progrès est accompli. L’idée de productivité est liée à la structure d’un tout
et à la possibilité de modifier cette structure pour rendre possible une nouvelle configuration.
Le champ d’un problème intellectuel est vu en analogie avec le champ perceptif, comme un
« horizon ouvert de relations qui peuvent être construites » (PM, p. 175) et la question de
Merleau-Ponty est de situer la portée de cette analogie.
En premier lieu, cette analogie correspond à l’idée que la parole a le pouvoir de produire de
nouveaux contenus, de modifier la structure du champ pour rendre visibles de nouvelles
configurations. Dans La prose du monde, il relève la difficulté d’en prendre conscience en
disant que la parole entraîne ma pensée au-delà de ce que je possède consciemment, et
« quand j’ai le sentiment de n’avoir à faire qu’à des mots » (PM, p. 164), c’est alors que
l’expression échoue. L’expression ne réussit que lorsque la puissance de la parole me fait
oublier que j’ai à faire avec des mots et lorsque je me meus dans la structure globale du
parler. Merleau-Ponty dit de cette expérience de l’expression réussie que « rien n’est plus
convaincant » (PM, p. 164) et que la tâche de l’interrogation philosophique est de conquérir le
sens originaire de cette évidence. Cependant, le texte sur l’algorithme, bien qu’antérieur au
cours sur la parole, entreprend un questionnement plus global en posant le problème de la
puissance de la parole dans tous les champs possibles y compris celui où « le langage
s’astreint à ne plus rien dire qui n’ai été volontairement et exactement défini » (PM, p. 166),
c’est-à-dire l’expression mathématique. Cette question est reprise précisément dans le cours
de 1954-1955 sous le titre « Institution d’un savoir » (NC 54-55, pp. 89-97). Ce qui est en
16
Cf. VI, p. 269. Voir Carbone 2004, pp. 25-47 sur ce point.
question est l’application de la notion de parole productive au domaine du langage
mathématique, et de ce passage de la « quasi-science » de la littérature à la science
proprement dite dépend une épistémologie véritablement phénoménologique.
Parole et algorithme. En 1951, Merleau-Ponty s’appuie sur le récit de la découverte par
Gauss de la formule de la somme des N premiers nombres entiers, un événement décrit
comme l’un des exemples de la pensée productive par Wertheimer17. Pour le sens commun,
lorsque je restructure la série de N premiers nombres entiers et que je l’exprime par la formule
(n + 1) multiplié par n/2, les changements par lesquels j’aboutis à cette formule paraissent
« d’avance contenus dans les nombres eux-mêmes », il semble que « je me borne à les
prélever sur une réserve de vérités qui est le monde intelligible des nombres » (PM, p. 167).
Nous formons ainsi la croyance naïve en la préexistence des vérités que nous découvrons, une
croyance fondée sur la croyance perceptive en la préexistence du monde dans lequel nous
vivons. Mais l’analogie ne fonctionne pas dans ce sens : l’expression mathématique n’est rien
d’autre que « l’ensemble des relations qui ont été établies à son sujet plus un horizon ouvert
de relations à construire » (PM, p. 175, Merleau-Ponty souligne). L’analogie ne fonctionne
que dans le sens où la transcendance de la vérité pour la parole est comme la transcendance
du monde pour notre corps18. La restructuration en question n’est pourtant pas prédéterminée
et les transformations « n’apparaissent que devant une certaine interrogation que j’adresse à la
structure de la série des nombres » (PM, p. 176). Le fait que la conclusion dérive
rigoureusement des prémisses n’implique pas une identité absolue des deux ; dans le cas
présent, la signification de la variable ‘n’ dans l’hypothèse diffère de sa signification dans la
conclusion. Au départ, ‘n’ est seulement un nombre cardinal alors qu’il est à la fois un
cardinal et un numéral à la fin19. Ainsi, chaque fois que nous exprimons quelque chose de
nouveau, c’est en modifiant un élément dans la structure globale du système expressif, et c’est
ainsi que Merleau-Ponty justifie en 1951 qu’il y a un « devenir du sens » même dans
l’expression mathématique et que la solution d’un problème est « contenu » dans l’hypothèse
de la même façon que les œuvres de la littérature française sont « contenues » dans la langue
française.
Le cours de 1953-1954 est l’occasion de revenir sur cette thèse selon laquelle « l’expression
algorithmique […] est un cas particulier de la parole » (PM, p. 180). Il faut dire que, même en
1951, il reconnaît que la parole ne permet pas véritablement de rendre compte de l’expérience
singulière de la vérité d’un énoncé scientifique, d’une structure qui « perd son opacité, révèle
une transparence et se fait sens pour toujours » (PM, p. 170). Dans le cours de 1954-1955 sur
l’institution, il pose la question frontalement : « Ne faut-il pas reconnaître deux ordres, l’ordre

17
Cf. Wertheimer 1925, p. 178 ainsi que Wertheimer 1959, pp. 108-142. Il faut remarquer que l’exemple de la
formule de la somme des N premiers nombres entiers n’est pas l’exemple le plus central pour Wertheimer.
La pensée productive se base surtout sur des exemples géométriques et on observe un privilège de la
dimension spatiale au détriment de la dimension proprement temporelle de la voix. Cf. là-dessus Cassou-
Noguès 1999 : si la pensée mathématique est essentiellement spatiale, il faut néanmoins tenir compte du fait
qu’elle est, « en tant qu’expression, analogue à la pensée langagière » (p. 293) et qu’elle dépend donc aussi
de la voix et pas seulement de la spatialisation géométrique.
18
Cf. PM, pp. 180s.
19
Cf. PM, p. 176 : « L’opération par laquelle j’exprime Sn dans les termes n/2(n + 1) n’est possible que si dans
la formule finale j’aperçois la double fonction de n, d’abord comme nombre cardinal, ensuite, comme
nombre ordinal ». L’argument provient directement de Wertheimer : « If one gets the general formula Sn = (n
+ 1)n/2 in some such way, then one understands its terms in the light of this structure : (n + 1) represents the
value of a pair, n/2 the number of pairs. But many know only the formula in a completely blind way. [...] The
two n’s seem to stand for them for the same item. They do not realize that, in the first formula, n in the
expression n + 1 is one member of a pair, while n in n/2 stands for the number of terms in the series,
determining the number of pairs. Of course the four formulas give the same end-result and are in a way
equivalent, but not psychologically » (Wertheimer 1959, p. 111).
de l’événement et l’ordre de l’essence ? » (NC 54-55, p. 89) Pour distinguer la vérité de la
peinture de celle de la parole, il faudrait alors accepter l’idée d’une « pure signification de
l’ordre de la valeur ou du subsistant » qui à ce titre « résume et dépasse l’histoire » (ibidem).
Or Merleau-Ponty tranche et précise la position défendue en 1951 : Le passage aux « vérités
au sens plein » n’est ni dérivé ni opposé aux vérités du monde perceptif. « Il y a sublimation,
non dépassement vers un autre ordre » (NC 54-55, p. 90) écrit-il. L’usage du terme de
‘sublimation’ est certes un signe d’embarras ; il faut toutefois observer de près l’enjeu dans la
perspective de la théorie de l’institution. Merleau-Ponty cherche à expliciter la notion de
« vérité structurale » de Wertheimer20. Ce qui distingue le plan intellectuel, ce n’est pas la
pleine possession du sens, mais simplement que l’acte de conférer un sens en restructurant
une configuration « fait oublier la structure initiale » (NC 54-55, p. 93) tandis que sur le plan
perceptif-pratique, l’usage d’une branche comme bâton ne masque pas son état initial de
branche. Comme en 1951, Merleau-Ponty insiste sur le fait que cette impression de
préexistence de la vérité logique à sa découverte est une illusion, qu’elle est synonyme
d’oubli de l’origine qui caractérise la notion de tradition. Ainsi, « la sédimentation est cause,
non effet de l’ordre ‘en soi’ » (ibidem). C’est cet effet d’oubli de la sédimentation
spécifiquement langagière qui instaure la culture comme seconde nature. La sédimentation
culturelle humaine configure un monde alors que celle de l’animal, celle de l’attitude concrète
se contente de s’y adapter. Mais elle n’est pas d’un autre ordre que le milieu naturel, elle n’est
rien d’autre que l’élargissement de ce dernier, le creusement en son sein d’une spatialité et
d’une temporalité à l’échelle du monde lui-même.
La vérité structurale. Ainsi, tout progrès scientifique, toute solution aux problèmes logiques
ou mathématiques, peut et doit être reconduite aux premières idéalisations qui ont ouvert le
champ21 et permis les décrochages successifs de l’histoire. Une telle reconduction, de cette
archéo-géologie, trouve sa contrepartie dans la notion de sublimation telle que l’emploie
Merleau-Ponty. La généralité à laquelle donnent accès les idéalisations premières n’est pas un
milieu autre que le milieu perceptif ; c’est la mise en contexte de ce milieu dans un champ
plus global et ultimement dans celui du monde. Cela est possible à partir du moment où
l’essence exprime la structure porteuse du monde sensible lui-même. C’est ce que veut dire
Merleau-Ponty lorsqu’il compare l’essence à la nervure de la feuille :
Comme la nervure porte la feuille du dedans, du fond de sa chair, les idées sont la
texture de l’expérience; son style, muet d’abord, proféré ensuite. Comme tout style,
elles s’élaborent dans l’épaisseur de l’être et, non seulement en fait, mais en droit, n’en
sauraient être détachées pour être étalées sous le regard. VI, p. 157
En d’autres termes, la sublimation est le mouvement par lequel apparaît la structure
essentielle du sensible ; cette apparition se produit dans le medium de la parole parce que la
parole est de l’ordre du pli, de l’ordre de ce qui fait frémir la chair. L’attitude catégoriale ne se
distingue donc de l’attitude concrète que par le changement d’échelle qu’elle entraîne. Les
catégories sont simplement des figures apparaissant sur le fond du monde lui-même tandis
que le perçu apparaît dans des champs locaux. C’est ce geste de nouvelle contextualisation
qui produit l’idéalité. La notion de vérité qui résulte de ces considérations est la vérité au sens
structural ; elle admet que l’expression ne « ressemble » pas forcément à ce qu’elle exprime,
mais qu’elle en constitue une déformation cohérente selon la formule de Malraux que reprend

20
Cf. Wertheimer 1934. L’expression apparaît à la p. 91 des NC 55-54. Il est difficile de savoir, sur la base des
textes écrits par Merleau-Ponty, s’il avait connaissance de l’article de Wertheimer sur la vérité où le
psychologue présente la notion de vérité structurale et l’oppose à la notion traditionnelle de vérité comme
correspondance de deux éléments isolés, un énoncé et un état de faits. Retenons simplement pour le moment
que la sublimation est le processus qui caractérise l’expression d’une vérité structurale.
21
Cf. NC Husserl, pp. 19s.
Merleau-Ponty. À ce propos Cassou-Noguès distingue deux notions de vérité (cf. Cassou-
Noguès 2001, pp. 329s) : la vérité expressive, qui fonctionne par déformation cohérente et
consiste donc en une correspondance de structures, et la vérité empirique, qui suppose une
relation directe entre le signe et ce qu’il indique. Or dans une perspective merleau-pontienne,
ces deux notions ne sauraient simplement cohabiter en parallèle ; il y a un primat du rapport
dynamique de structures, et la vérité « empirique » ne peut s’établir que sur la base et dans le
contexte d’un tel rapport. Merleau-Ponty est fidèle, ainsi, à la primauté de la totalité
mouvante. Comme le dit Wertheimer, « C’est dans le comportement total des hommes plutôt
que dans leurs affirmations que vivent la vérité et la fausseté » (Wertheimer 1934, p. 145).
En ce sens, et compte tenu de cette primauté du mouvement dans le dispositif de pensée
merleau-pontien, on comprend mieux la difficulté qu’il éprouve à rendre compte du mode
d’existence des idéalités logiques et mathématiques. La vérité au sens de Merleau-Ponty ne
saurait être un rapport statique ; elle se situe toujours au plan de la création d’un système
diacritique à partir d’un autre système lui servant d’origine. Une parole vraie est une parle qui
porte encore la trace de l’humus qui lui a permis de s’épanouir, précisément dans la mesure
où elle est essentiellement un mouvement de sublimation, et non pas un signe statique. La
tension semble donc bien irréductible entre la volonté sans cesse affirmée et ajournée de
répondre à la question des significations logiques et la thèse que la sublimation qui donne
naissance à ces dernières est un mouvement qui conserve le sens de son origine affective ou
perceptive. L’ajournement chronique de la question est donc plutôt dû à la rigueur de
Merleau-Ponty qui maintient jusqu’au bout le principe du primat de la perception. En d’autres
termes, le problème du symbolisme, envisagé comme mouvement, assigne le langage à un
pathos irréductible.

Références
1. Textes source
M. Merleau-Ponty
Signes, Paris, Gallimard, 1960, rééd. Folio 2001 (S).
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Notes de cours sur L’origine de la géométrie de Husserl, suivi de Recherches sur la
phénoménologie de Merleau-Ponty, sous la dir. de R. Barbaras, Paris, PUF, 1998 (NC
Husserl).
L’institution, la passivité. Notes de cours au Collège de France (1954-1955). Textes
établis par D. Darmaillacq, C. Lefort et S. Ménasé, éd. Belin, Paris, 2003 (NC 1954-1955).
Cours au Collège de France 1952-1953. Cours du jeudi : Le monde sensible et le monde de
l’expression (MSME).
Cours au Collège de France 1952-1953. Cours du lundi : Recherches sur l’usage littéraire
du langage (RULL).
Cours au Collège de France 1953-1954. Cours du jeudi : Le problème de la parole (PrPa).
Cf. Annexe 3.
2. Textes commentaires

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1934 : « On Truth », Social Research, 1, pp. 135-146.
1959 : Productive Thinking, New York, Harper & Brothers Publishers (1re édition : 1945).

3. Cités dans les cours du Collège de France sur la littérature (non exhaustif)

A. Breton, « Légitime défense », in La Révolution surréaliste, n° 8, décembre 1926, pp. 30-


36. Reproduit in La Révolution surréaliste, New York, Arno Press, 1968, puis Paris,
éditions J.-M. Place, 1975.
M. Blanchot, La part du feu, Paris, Gallimard, 1949 (2e édition, coll. « Folio » : 1987).
A. Ombredane, L’aphasie et l’élaboration de la pensée explicite, Paris, PUF, 1951.
M. Proust, Jean Santeuil, Paris, Gallimard, 1952 (3 vol.). Nouvelle édition « Bibliothèque de
la Pléiade », Gallimard, 1971, reprise dans la collection « Quarto », 2001.
A la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, coll. NRF, 1918-1941. Rééd. dans la
collection « Folio » en 7 volumes, sous la dir. de J.-Y. Tadié, 1987.
F. Rostand, Grammaire et affectivité, Paris, Vrin, 1951.
P. Valéry, Tel quel, Paris, Gallimard, 1941/1943, deux tomes réunis en coll. Folio, 1996
Variété I et II, Paris, Gallimard, 1924/1929, réunis en coll. Folio, 2002.
Variété III, IV et V, Paris, Gallimard, 1936/1938/1944, réunis en coll. Folio, 2002.
L’idée fixe, Paris, Gallimard, 1932.
Monsieur Teste, Paris, Gallimard, 1946.
Mélange, Paris, Gallimard, 1941.
Mauvaises pensées et Autres, Paris, Gallimard, 1942.
« Mon Faust ». Ébauches, Paris, Gallimard, 1946.
Histoires brisées, Paris, Gallimard, 1950.

Résumé
Merleau-Ponty écrit dans La prose du monde que l’expression mathématique « est un cas
particulier de la parole » (p. 180). Cela indique l’intention chez lui de fonder les idéalités sur
l’usage vivant de la parole en tant qu’elle s’articule au contact avec la vie perceptive. La
présente étude cherche à répondre à la question de savoir comment Merleau-Ponty aborde ce
problème à travers une interprétation des notes de cours inédites des années 1952 à 1954.
Dans ces deux premières années au Collège de France, Merleau-Ponty consacre deux cours à
la question du langage, dans lesquels la littérature joue un rôle important : les « Recherches
sur l’usage littéraire du langage » (1952-1953) comprennent env. 50 feuillets sur Paul Valéry
et « Le problème de la parole » (1953-1954) se termine avec une longue étude sur Proust. En
prenant comme fil conducteur la lecture merleau-pontienne de ces deux auteurs, on parvient à
saisir la manière singulière dont le pose la question de la vérité. En particulier, la notion de
vérité comme correspondance statique d’un signe à un état de faits est remplacée par une
conception non seulement structurale inspirée par la notion de vérité structurale de
Wertheimer, mais encore par une philosophie de la parole naissante, de l’écriture littéraire en
procès. La vérité d’une parole réside dans la manière dont elle restructure un milieu affectif et
perceptif pour en faire partager la singularité. L’aporie du dernier Merleau-Ponty revient dès
lors à l’embarras qu’il éprouve à maintenir la tâche d’une fondation des idéalités malgré cette
conception dynamique et processuelle de la vérité.

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