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Armand Colin

RHÉTORIQUE ET PRAGMATIQUE : LES FIGURES REVISITÉES


Author(s): Catherine Kerbrat-Orecchioni
Reviewed work(s):
Source: Langue Française, No. 101, les figures de rhétorique et leur actualité en linguistique
(février 1994), pp. 57-71
Published by: Armand Colin
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41559271 .
Accessed: 28/01/2013 13:47

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CatherineKERBRAT-ORECCHIONI
UniversitéLumière- Lyon2

RHÉTORIQUE ET PRAGMATIQUE :
LES FIGURES REVISITÉES

Puisque l'occasion m'estici donnéede réfléchir à la notionde « figure» , j'en


profiteraipour tenterune sorte de bilan personnel,en me posant la question
suivante: dans quelle mesure les récents développementsde la pragmatique
linguistiqueont-ilsmodifiéet enrichima propreconceptionde la figure,et plus
particulièrement du trope?
Je répondrai à cettequestion en deux points- ordonnéschronologique-
ment,puisqu'ils correspondenten grosà deux formessuccessivesde la recherche
pragmatique: la théoriedes actes de langage,et l'analyse conversationnelle.

1. Élargissement de la notion de trope

« Le trope : pour une théoriestandard étendue» : c'est ainsi que j'avais


intituléle chapitre 3 de L'implicite(1986), car il m'était alors apparu qu'un
certainnombredes phénomèneslinguistiquessur lesquels se focalisela pragma-
tique contemporainepouvaientavantageusement êtretraitésdans le cadre beau-
coup plus ancien de la rhétoriqueclassique. C'est ainsi que j'avais étofféla
familledéjà nombreusedes tropes en adjoignant aux anciens quelques petits
nouveauxcommele « tropeillocutoire», le « tropeimplicatif», le « tropefiction-
nel », ou le « tropecommunicationnel » : je vais ici revenir'surles argumentsqui
justifientune telle extensionde la notion,en me limitantau seul cas du trope
illocutoire, lequel n'est rien d'autre que le phénomèneplus communément
désignésous l'étiquetted'« acte de langageindirect».
Qu'est-cedonc qu'un trope? Si l'on admetcommenégligeablele critèrede la
dimensiondu signifiant (c'est le tropecomme« figurede mot »), et si l'on cherche
ce qu'ont de communla métaphore,l'antiphrase, l'hyperbole, la litote, ou
-
l'euphémisme à partird'exemplesaussi bateaux que :
« Regarde cettefaucilled'or » (dit par métaphore),ou
« Quel joli temps! » (énoncéironiquement)- ,
on est amené à conclurequ'un tropese caractérisepar la substitution,dans une
séquence signifiantequelconque, d'un sens dérivé au sens littéral: sous la
pression de certaine facteursco(n)textuels,un contenu secondaire se trouve

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promu au statutde sens véritablement dénoté,cependantque le sens littéralse
trouvecorrélativement dégradéen contenuconnoté1.Ce qui ne veutévidemment
pas dire que les deux sens soienttoujourshiérarchisables,et de cettemanière;
mais simplementqu'on ne parle de métaphoreet d'ironie à propos de « faucille
d'or » ou de « Quel joli temps» qu'à partir du momentoù l'on interprète
l'énoncé commevoulanten faitdésignerla lune, et disqualifierle temps.
Dans le « trope illocutoire», les contenusengagésdans ce mécanismede
renversementhiérarchiquesont de nature pragmatique(ce sont des « valeurs
illocutoires»), et non sémantique- mais cettedifférence miseà part, le phéno-
mène est à bien des égards similaireà celui qui caractérisela métaphoreou
l'antiphrase. En effet:
(1) La notion de trope est absolument indissociable de celle de sens
« littéral» 2 : on ne peut parler de métaphoreà propos de « faucilled'or », ou
d'antiphrase à propos de « joli temps», que si l'on admet au préalable que
« normalement», faucille désigneun instrument agricole,etjoli , une évaluation
de typepositif.
Sans croyanceà la littéralité3, ilne peut existerde trope.Semblablement:
« Tu peux me passer le sel ? » n'est à considérercommeune requête« indirecte»
qu'à la conditiond'admettreque « normalement» toujours,une tellestructure
(de par en l'occurrenceson schémaprosodique) sertà réaliserun autre acte de
langage (demande d'information),et que plus généralement, certaines« formes
de phrase » ontpour vocationd'exprimertellevaleur illocutoireplutôtque telle
autre - idée d'ailleurs inscrite dans la terminologiegrammaticalela plus
ancienneet la mieuxadmise : de mêmeque l'on parle communément de « forme
de présent», admettantpar là que cetteformeestd'abord faitepour exprimerle
temps présent, de même il est usuel de parler de « phrase interrogative »,
« impérative», ou « assertive», pour désignercertainesstructuressyntaxiques
dont on postule qu'elles ont pour finalitépremièrede véhiculer une valeur
illocutoirede question, d'ordre, ou de constat. Cf. Goffman(1983 : 105), qui
signaleque :
« in a particularcontext,a speechformhavinga standard significanceas a
speech act can be employed (...) to convey somethingnot ordinarily
conveyedbyit »,

1. Pourplusdeprecisione surcette voirKerbrat-Orecchioni


définition, (1986: 95sqq.).
2. Oudesens« propre »,encaedetrope lexicalisé
: voiribid.,97-9.
3. Quelquesoitaudemeurant lecaractèreproblématique, decette
etcontroversé, notion - voir
parexempleDucrot (1977),Searle(1982)ouWilensky (1989).
QueTondoiveêtreenmesure d'accéder d'unmotpourcomprendre
au senslittéral sesemploie
métaphoriques,l'anecdote
suivante lemontrea contrario(rapportéeparunsociologueafghan, « Océa-
niques»,FR3,22oct.1990):
« Quandonluidemande ce quec'estquela révolution, unpetitAfghan aussitôt
répond : "c'estla
locomotive
del'histoire",
maisiln'aaucune idéedecequepeutêtreunelocomotive (iln'yena pasen
».
Afghanistan)

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et Page (1986 : 71), qui définitun acte indirectcommeun
« acte illocutoireposé par un énoncé dont la significationlocutoire sert
habituellement , en vertu de conventionspragmatiques, à poser un autre
acte » [soulignements ajoutée par nous].
(2) La notionde tropeprésupposeencorequ'en discourss'actualise un sens
différent de celui que possèdeen languela séquencesignifiante (senslunairepour
« faucille», sens négatifpour « joli ») ; sens que l'on dira dérivé,mais dénoté,
dans la mesureoù c'est lui qui constitue,en contexte,le « vrai » sens de l'énoncé
- c'est lui qui assure la cohérenceinterneet l'adéquation externede l'énoncé,
puisque c'est précisémentle désirde restaurerune adéquation et une cohérence
perturbées par le sens littéral qui vont déclencherla quête d'un sens plus
acceptable.
Semblablement,« Tu peux mepasserle sel ? » peutêtreconsidérécommeun
tropedans la mesureoù l'énoncé signifiebelet bien« Passe-moile sel » , commeen
témoignent l'enchaînement,et le faitque les conditionsde réussiteauxquelles est
soumisun tel énoncé sontpour l'essentielcelles qui caractérisentla requête, et
non celles qui sontpropresà la question(en tantque question,l'énoncé est non
« relevant», donc susceptibled'« échouer ») : de même que dans une méta-
phore, ses conditionsde véritéconcernentavant toutle sens dérivé,de mêmeen
cas de tropeillocutoire,ses conditionsde réussitesontliées à la valeur dérivéeet
non pointlittérale.
L ^identification d9untropeimpliquedonc toujoursla reconnaissanced9un
décalage entresens littéralet sens actuaUsé9donc l'identificationconjointede
ces deux niveauxde contenu,ainsique la possibilitéde les hiérarchiserà l'inverse
de la normale.
Or ces différentes opérationsne sontpas toujoursaisées à réaliser,etil en est
des actes indirectscommedes métaphoresetdes antiphrases: leur décodagepeut
prêterà « contresens», et à bien des controversesinterprétatives 4.
Il n'est en effetpas rare,ni étonnant,que les tropesprêtentà quiproquo, soit
que L2 prenneau pied de la lettreune expressionà entendreau seconddegré,soit
qu'à l'inverseil interprètecommeun tropece qui doiten faitêtreprieà la lettre
- exempledu second cas de figure:
« Après quelque tempsje m'apercevaisque 4'est-ceque tu pars pour Noël"
n'étaitqu'une questionbanale ou pratique,pour prévoirou non un rendez-
vous, nullementune manière détournéede savoir si j'allais au ski avec
quelqu'un » (A. Ernaux, Passion simple, Gallimard1991 : 35) ;
ou bien encorecette« histoiredrôle » (elles fontleurs chouxgras des ambiguïtés
virtuellesdontles tropessontporteurs):

4. Nousendonnons
daneL'implicite
(326eqq.)uncertain
nombre
d'exemples.

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« Le médecin(au malade alcoolique) - Qu'est-ceque vous buvez, du blanc
ou du rouge ?
Le malade - Oh ça n'a pas d'importance,donnezce que vous avez... »,
la principale différenceentreces deux exemplesétantque dans le second, et le
second seulement,l'erreurinterprétative est impardonnable(l'effetcomique se
nourrissantde cetteinvraisemblance),car le contexteesttotalementdésambiguï-
sant.
Un tropepeut en effetêtreplus ou moinsclair, et son degréde solidification
variable, selon :
- la nature des marqueurs du trope, qui lorsqu'ils existent,peuvent
solliciterplus ou moinsfortement le mécanismedérivationnel5,
- et la nature des données contextuelles,qui peuvent plus ou moins
bloquer le senslittéral,et imposerle sens dérivé(ainsi : selonque le destinataire
d'un énoncé comme« j'ai soif» a à la main une bouteilled'eau, ou qu'il est au
contrairedans l'impossibilitétotale de remédierà cet état de choses, l'énoncé
sera à interprétercommeune requêteindirecte,ou commela simpledescription
d'une réalitédésagréable ; maison peutconcevoirbien des situationsoù les deux
valeurs,de constatet de requête,coexistentdans l'énoncé,sans qu'il soitpossible
de déterminerlaquelle prendle pas sur l'autre).
Entre les deux cas limites:
- de l'acte direct, où l'énoncé peut comporteren sus certainesvaleurs
dérivées,mais qui restentclairementmarginales- toutcommeune expression
peut se chargerde diverses« connotations» métaphoriquesou ironiques,
- et du véritabletrope, où la valeurdérivéedevientmanifestement prédo-
minante, comme en témoignel'enchaînement- on a souvent mentionnéle
caractèreprovocateurde réactionstellesque :
« Vous avez l'heure ? - Oui » (sans passage à l'acte).
(Au téléphone)« Est-ce que MonsieurX est là ? - Oui » (raccroche)(in Le
Paltoquet, de MichelDeville),
on rencontresouvent:
- le cas de la coexistencesans hiérarchie, ou du moins sans hiérarchie
évidenteentreles deux sensrivaux6(tousles tropesn'étantpas de ce pointde vue
logés à la mêmeenseigne: dans le cas d'une métaphore,on peut difficilement
concevoirque les deux sens s'actualisenten mêmetemps,alors que la chose est
parfois possible en cas de métonymie- exemple: « manifestercontre Deva-
quet »).

5. Voirparexemple eur« Leconditionnel,


A.-M.Diller marqueurdedérivation », in
illocutoire
Semantikos 2-1,1977: 1-17.
6. Oubienencore, lecasoùl'énoncé
possèdeuneseulevaleur maisdestatut
illocutoire, intermé-
diaireentredeuxactesreconnue comme
officiellement, la question - carilnoussemble
etГassertion
qu'ilexiste
entrecesdeuxactesuncontinuum,etnonuneoppositiondiscrète
(с/.Kerbrat-Orecchioni
1991).

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(3) En toutétat de cause, et mêmesi le tropepossède un degrémaximalde
« solidification», il est nécessaireque le sens littéral,dont nous avons dit qu'il
était dépossédé de son rôle dénotatif,se maintiennetout de même « quelque
part » dans lefiligranede Vénoncé(et dans la têtedes interlocuteurs), pour que
le tropepuisse continuerà existeren tantque tel,et conserverquelque efficacité
pragmatique(si le trope était l'exact équivalent de sa traductionen langage
littéral,on ne voit pas bien quel en seraitl'intérêt: autant s'exprimerdirecte-
ment).
Dans la métaphore,le sens littéralse maintientsous formede trace conno-
tative,c'est-à-direque l'imagede la faucillevient« s'associer » à celle de la lune
pour en enrichirla représentation.
Semblablement,il fautadmettreque dans « Tu peux me passer le sel ? », la
valeur de questionn'est pas totalement oblitéréepar la valeurde requête,car on
ne voitpas sinoncommentcettetournurepourraitêtredotéede certainesvertus
adoucissantes(voir la deuxièmepartiede l'exposé).

N.B. - Lee avissontpartagée surla questionde savoircomment estcalculéle sens


d'un acteindirectconventionnel : dans« Tu peuxmepasserle eel? », la valeurde
requêteest-elleextraite
secondairement (aprèsidentification de la valeurde ques-
tion),ou au contrairedirectement (ClarketSchunkparlantà ce propos,respecti-
vement, d'hypothèse « multiple meaning » vs « idiomatic
») ?
- D'aprèsFranck(1979: 465) :
« In the analysisof indirectspeechacte we mustnot leave thelevelof literal
expression too quickly(...). The conversational propertiesofthequestionform
remainvalidevenifthequestionmeaning is nottheprimary illocutionaryforce» .
MêmeidéechezClark& Lucy(1975),ou Clark& Schunk(1980) : en cas de
requêteindirecte, le senslittéralestd'abordprisen compte- cetteaffirmation
reposant à la foissur desconsidérations d'ordreexpérimental (la duréedu décoda-
ge),sur l'observation du fonctionnement des enchaînements, et surle faitque les
requêtesindirectes sonttrèsgénéralement perçuescomme pluepoliesque lesordres
directe.
- Maie d'autreeexpériences aboutieeent à dee résultatsinverses: lorsque
l'énoncéeetinsérédaneun contexte approprié, apparaît,d'aprèeGibbs(1979),
il
que le eene dérivé eet, au contraire,comprie pluerapidement que le eenelittéral.
D'aprèeBlum-Kulka (1987: 143-4),le proceeeue inférentiel
permettant le calculdu
eenedérivéà partirdu eenelittéraleerait« court-circuité » en cae d'indirection
conventionnelle, et cetteopinioneetpartagéepar Labov & Fanehel(1977: 79),
Morgan(1978), Diller(1980: 72-3):
ou
« Si l'ondevaitdécoderla forceillocutoire d'uneénonciation enfaieant appel,
consciemment , à dee déductionsbaeéeeeur dee maximeeconversationnelles, la
communication humainedeviendrait biencompliquée eteonefficacité quotidienne
pourraitêtremieeen doute.Il fautdoncqu'il exiete,pourleeactesindirecte, dee
formes etandardieéee pouraccomplir certainee Le
fonctions. faitque la convention
d'ueagequi leeautorisecorreeponde à certainee neveutрае direque cee
inférencee

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soientnécessairement
inférences entrela forme
calculées.La relation et
linguistique
sa fonctiondiscursiveest devenueconventionnelle, et l'implicatureest, pour
employerle termede Morgan,court-circuitée».
Jeremarquerai simplement pourmapartquela priseencompte dusenslittéral
n'a pas besoind'être« consciente », nide précéderl'identification du sensdérivé,
commele voudraituneconception strictement linéairedu processusd'interpréta-
tiondesénoncés.Il suffit que cette en
prise compte se fassed'unemanière ou d'une
autre,à un moment ou à un autredu calculinterprétatif - condition suffisante,
maisaussi nécessaire,pourque le tropepuisse« opérer» (il faut,commele dit
Franck,que la requêteindirecte conserve certaines« propriétés conversationnel-
les » de la questionpourpouvoirse mettre Etj'ajouterai
au servicede la politesse).
est et
que plusun trope lexicalisé, plus il devient« »
transparent(le sens dérivése
« naturalisant » au furet à mesuredu processusde lexicalisation), maiscela vaut
pour les tropes« classiques» aussi bien que pour les tropesillocutoires (voir
Kerbrat-Orecchioni 1986: 108-9).

(4) Le trope illocutoirepossède en effetune autre propriétéencore, qu'il


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partage avec certains des tropes classiques : il peut existersous une forme
conventionnalisèe(«Tu peux fermerla fenêtre?» : le tropeestcodé en langue-
on parle alors d'acte « indirectconventionnel», commeon parle de métaphore
« lexicalisée »), ou sous uneforme« vive » («Y a des courantsd'air », employé
avec la mêmevaleur que l'énoncé précédent- ce cas de figurecorrespondant
aux tropes« d'invention» de la rhétoriqueclassique).

N.B. - L'axe de la lexicalisation estenréalitégraduel: certains tropesillocutoires


sont,selonl'expression de Diller,« standardisés », voirecarrément réduitsà l'état
d'expressions idiomatiques (ainsicertainesquestionsrhétoriques comme« est-ce
queje sais ? »,« comment veux-tu queje lesache? »,etc.) ; d'autressontà l'opposé
entièrement livrésaux capricesdu contexte, cependantque la plupartse situent
quelquepart sur cetaxe que bien despragmaticiens décrivent comme uncontinuum
(cf.Strawson 1971, Searle 1975,Wright 1975, Morgan1978). Mais il en estde même
desmétaphores : onpasseinsensiblement descatachrèses - véritablement « conge-
lées » (frozen), commeon le dit (métaphoriquement...) en anglais- aux méta-
phoreslexicalisées noncatachrétiques, puisaux métaphores « clichés», etenfinà
cellesqui sonttotalement « vives», c'est-à-direinédites: rienn'estplueflouque la
frontière qui sépare,pourtouteunitélexicale,ses valeursinscrites en langue,de
cellesqui surgissent endiscours.
- L'existenced'un tropepeutêtremenacéepar un excès,commepar un
défautde lexicalisation :
• en cas de lexicalisation totale,c'est le maintiendu senslittéralqui fait
problème (problème qui a été évoqué plushaut),et les catachrèses (« piedde la

7. Maiepaetous: certaines n'existent


desynecdoques
variétés quelexicalisées,
guère cependant
quel'ironie, oul'hyperbole
la litote quecomme
nesontattestées tropes (outoutau plus
d'invention
comme « clichés»).

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chaise», « ailesdu moulin») ne sonten faitque des « semi-tropee », puisqu'elles
constituent des dénominations « normales» de l'objet,touten actualisant un sens
dérivédu mot(ce sontdes tropesd'un pointde vue sémasiologique, maisdes
non-tropes d'un pointde vueonomasiologique) ;
• encasdenon-lexicalisation, le problèmeestinverse, affectantlesensdérivé:
comment s'assurerde sa conversion en sensdominant ? C'estalorsle contexte qui
portetoutle poidsde la constitution du trope,contexte qui nepermet pas toujours
de déterminer aveccertitude la hiérarchie desvaleursillocutoiree.Maisentoutétat
de cause,le tropeillocutoire d'invention ne peutêtreidentifié à ce qu'on appelle
parfoisla « dérivation allusive» (« hint» en anglais),car ainsique l'indiquent ces
expressions, la valeurdérivéerestesous-entendue dans de telscas, alorsqu'elle
s'imposecommevaleurdominante en cas de tropeillocutoire d'invention (deux
exemples : « La porte estlà !» [- « tu peux/doissortir »] - on voitque c'estla
non-pertinence du senslittéral qui fondeessentiellement le trope; « Vousen avez
pourlongtemps ? » , adresséà unlivreur quiobstruela ruequel'onvientd'emprun-
ter: une tellequestionvautsystématiquement pourune requête[« Dégagez! »]
doubléed'unreproche - c'estbienuntrope,maistroptributaire ducontexte pour
pouvoirêtreconsidéré commeuntropelexicalisé).

(5) L'existencedes catachrèseeprouvela nécessitéde distinguer,dès qu'on


parle de trope,perspectiveonomasiologiqueetperspectivesémasiologique:
- dans une perspectiveonomasiologique(d'encodage), le trope peut se
définirpar la formule: « un motpour un autre » ; c'est une déviancedénomina-
tive, qui se caractérise par la substitutiond'un signifiantà un autre, plus
attendu;
- dans une perspectivesémasiologique(de décodage), le trope peut se
définirpar la formule: « un senspour un autre » ; c'est une déviancesémantico-
pragmatique, qui se caractérisepar la substitutiond'un contenuà un autre,plus
« normal».
Tous les tropessontsusceptiblesd'êtreenvisagésdans ces deux perspectives
(mêmesi curieusement,la traditionveutque la métaphoresoitdécriteen termes
sémasiologiques,et la métonymie-synecdoque en termesonomaeiologiques),et en
les
particulier tropes ce
illocutoiree, qui crée d'ailleurs bien des confusions-
Searle appelant ainsi force « primaire» la valeur directivede « Tu peux me
passer le sel ? » (sans doute parce que du point de vue de la chronologiede
l'encodage, c'est cette valeur qui, étant pour le locuteur fondamentale,est
envisagéed'abord), et secondairela valeur de questionde ce mêmeénoncé,alors
que dans la perspectivesémasiologiquequi est la nôtre, c'est exactementle
contraire.

(6) On pourraitenfinsoulignerles analogies qui existententreles tropes


classiques et les tropesillocutoiree,en ce qui concernela façon dont s'effectue
leur calcul interprétatif(double opération- d'identification du sens littéral,et

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de calcul du sens dérivé - , qui se fait sur la base de l'existencede certains
indices, de l'observation du contexte, et de Taction des maximes
conversationnelles)8. Nous nous contenterons ici de soulignerqu'un telcalcul est
toujours plus ou moins aléatoire, et laborieux : le trope est d'un maniement
« difficile» (c'est pourla rhétoriquemédiévaleune difficultas ornata), posantdu
mêmecoup le problèmedes raisonsqui peuventprésiderà son utilisation.

2. Figures et « figuration »

Pourquoi le trope? Cettequestion,qui hantedéjà les coulissesde la rhéto-


rique classique, se pose et s'imposecar le trope,conformément à l'étymologiede
son nom, a quelque chose de « retors» : il détournedu droitcheminl'énoncé
qu'il investit,imposantà l'émetteurcommeau récepteurun surplusde travail
cognitif- maispour quoifaire ?
C'est bien en effeten terrepragmatiqueque nous entraînecettequestion : si
les rhétoricienementionnentl'enrichissementsémantiqueque la langue et le
discoursdoiventaux tropes,ils insistentsurtoutsur les effetsque permettent de
produireles figures,tropeset non-tropes- par exemplepour Fontanier,dans le
chapitreintituléprécisément« Des effetsdes tropee» :
« Ils donnentau langage,outrecetterichesseet cetteabondance si merveil-
leuse, plus de noblesseet plus de dignité,plus de concisionet plus d'énergie,
plus de clartéet plus de force,et enfinplus d'intérêtet plus d'agrément» ;
et à propos des figuresnon-tropes:
« Leurs causes occasionnelles,ce sont,d'abord l'envieou le besoinde plaire,
d'intéresserou de persuaderpar des moyensplus fortset plus efficacesque
ceux du discoursordinaire.Ce sontensuitel'agrément,le charmeou la force
que le goût,la raison ou le sentiment nous ontfaitdécouvriren elles » 9.
C'est généralementsur les fonctionsesthétiquesou argumentatives des figures
(envisagées comme « parures du discours », ou comme les instruments efficaces
d'une intentionpersuasive) que les rhétoricienemettentl'accent. Mais si les
tropes peuventêtre mis au servicedu Beau et du Vrai, ils peuventaussi dans
certaines circonstancesservir d'autres intérêts: ceux de la Politesse, conçue
commeun ensemblede procédés de « ménagementdes faces » {face work, ou
« figuration») - et c'est sur cet aspect du fonctionnement des tropesque nous
allons maintenantnous attarderun peu, en insistantune fois encore sur les
analogies que les tropes illocutoiresprésententà cet égard avec certains des
tropesclassiques.

8. Pourpluede précisions
eurlesmécanismes
d'interprétation voirSearle(1982:
du trope,
151sqq.- ilcomparedecepoint etlesactesdelangage
devuelamétaphore, ainsiquenotre
indirect),
(138sqq.).
Implicite
9. Pages167et461desFigures
dudiscours
, édition
Flammarion 1968.

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2.1. La notionde figuration
Cettenotion,proposéepar Goffmanpour rendrecomptedu fonctionnement
«
des ritesd'interaction», puis adoptée par un certainnombrede chercheursen
pragmatiqueet en analyse des conversations,a permisl'élaborationde diverses
théoriesde la politesselinguistique- la plus consistanteet célèbreétantaujour-
d'hui celle de Brownet Levinson(1978, 1987), dontje résumeraiici trèsrapide-
mentle principe10:
- Tout êtresocial possède deux « faces » :
1) la « facenégative», qui correspondà ce que Goffman(1973 : 2, chap. 2) décrit
comme« le territoiredu moi » - territoire corporel,spatial,ou temporel; biens
et réserves,matériellesou cognitives ;
2) la « facepositive», qui corresponden grosau narcissisme,et à l'ensembledes
images valorisantes que les interlocuteursconstruisentet tententd'imposer
d'eux-mêmesdans l'interaction.
- Dans touteinteractionduelle, ce sontdonc quatre faces qui se trouvent
misesen présence. D'autre part : toutau longdu déroulementde l'interaction,
les participantssontamenésà accomplirun certainnombred'actes, verbauxou
non verbaux. Or la plupart - voire la totalité- de ces actes constituentdes
menacespotentiellespour l'une et/oul'autre de ces quatre faces : d'où l'expres-
sion proposéepar Brownet Levinsonde Face ThreateningAct(s), et popularisée
sous la formeFTA( s), ce siglefaisantmaintenantpartiedu vocabulairede base de
tout spécialiste ès interactions.C'est ainsi par exemple qu'une offreou une
promesseviennentmenacerla face négativede celui qui les accomplit,et qu'une
excuseou une auto-critiquemenacentsa facepositive; cependantqu'à l'inverse,
on peut considérercommedes FTAs pour le territoired'autrui les questions
indiscrètes,ou bien encore les ordres, conseils, interdictions,et autres actes
« directifs» ou incursife; et pour sa face positive: les critiques,réfutations,
reproches,insultes,et autres actes susceptiblesd'attenterau narcissismed'au-
trui.
Ajoutonspour en finiravec cettenotionde FTA :
• qu'un grand nombred'actes de langagerelèventsimultanément de plusieurs
catégories, dans la mesure où ils sont susceptiblesd'endommagerà la fois
plusieursdes quatrefacesen présence(ainsi touterequêtemenaceen mêmetemps
la face négativede celui auquel elle s'adresse, et la face positivede celui qui la
produit - cependant que l'ordre menace pour sa part les deux faces de son
destinataire);
• qu'en facede la notionde FTAs, il convientd'admettrecelleA^anti-FTAs(actes
« anti-menaçants»), qui ontau contrairepour les facesun effetpositif: augmen-
tationdu territoired'autruidans le cas du cadeau, valorisationde sa facepositive
dans l'accord ou le compliment...

10. Voirpourpluededétails II (deuxième


letome partie) verbales.
denosInteractions

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- D'un côté donc, les actes effectuésde part et d'autre tout au long de
l'interactionpossèdentun caractèreintrinsèquement menaçantpour les interac-
tants.Mais d'un autrecôté,nous ditGoffman, ceux-cidoiventobéir au comman-
dementsuprême:
Ménagez-vousles uns les autres,
car la pertede face estune défaitesymbolique,que l'on essaie dans la mesuredu
possible d'éviter à soi-même,et d'épargner à autrui. Sur la notion de face
viennentse greffer non seulementcelle de FTA, mais aussi celle deface want, ou
désir de préservationdes faces- les facesétantà la fois,et contradictoirement,
la cible de menacespermanentes,et l'objet d'un désirde préservation.
- Commentles participantsparviennent-ilsà résoudre cette contradic-
tion ?
Pour Goffman: en accomplissantun travailde « figuration» (face work),
ce termedésignant
« toutce qu'entreprendune personnepour que ses actionsne fassentperdre
la face à personne(y compriselle-même)» (1974 : 15).
Pour Brownet Levinson : en mettanten œuvrediversesstratégiesde politesse, la
politesseapparaissantcommeun moyende concilierle désirmutuelde préserva-
tiondes faces,avec le faitque la plupartdes actesde langagesontpotentiellement
menaçantspour telle ou telle de ces mêmesfaces ; et l'essentieldu travail de
Brownet Levinsonconsistantà fairel'inventaireet la descriptionde ces straté-
gies,et des procédéslinguistiquesqui permettent de les réaliser.
Or dans la listede ces procédés, on trouve par exemple:
« Recourez à l'indirectionconventionnelle »
« Minimisezvotreexpression(litote)»
« Exagérez votreexpression(hyperbole)»
« Soyez ironique » :
pour Brownet Levinson,le procédé que nous appelons « tropeillocutoire» fait
paradigme avec l'antiphrase, la litote ou l'hyperbole,dans la mesure où en
matièrede politesse,il peut rendredes servicesanalogues.

2.2. Les tropesclassiques


Il serait abusif de prétendreque la métaphoreou la métonymiesont par
essence propres à accroîtrele degréde politessed'un énoncé 11.En revanche,
certainesfiguressemblentbien avoir, de par leurs propriétésintrinsèques,une
tellevocation ; par exemple:

11. PourBrownet Levinson « Recourez


pourtant, auxmétaphores» constitue
le neuvième
procédédes «
stratégies »
record
off - le
mais qu'ils
développement à
consacrentce (1978
trope : 227-8)
contestable.
està biendeségards

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- La litote: procédé d'atténuationpar excellence,cette figurese rencontre
surtoutdans les énoncésqui sontà quelque titremenaçantspour Tune ou l'autre
des faces de son interlocuteur- on pourraitle montrerdes exemplesque nous
fournitDu Marsais (« je ne puis vouelouer », ou le fameux« je ne tehais point »),
comme de ceux qu'attestentles échanges quotidiens: la grande majorité des
litotesqu'on y rencontreconcernentdes réfutations, des critiques,ou des repro-
ches :
« je crains de n'êtrepas toutà faitd'accord avec toi »
« c'est pas trèssympa/intelligent/malin ce que tu viensde faire » 12
« ça ne s'arrangepas », « c'est pas troptôt » (litotesquasimentlexicalisées)
« j'aimerais autant[« je préféreraisnettement]que vous ne fumiezpas ».
Proche de la litote: Г euphémisme,qui peut exploiterdiversprocédés sémanti-
ques (la litoteelle-même,mais aussi la périphrase,ou d'autres formesde substi-
tutionlexicalecommel'antiphraseou la métaphore),et dontla définition ne peut
être que pragmatique,les différents typesd'euphémismesayant pour fonction
communed'adoucir ou d'embellirla représentationde réalitésdéplaisantes-
évocationsdysphoriques,choquantes,ou « déshonnêtes», qui vontà l'encontre
de la bienséance,et risquentde blesserles oreillesdélicates :
« Dans toutesles nationspolicées,on a toujoursévitéles termesqui expri-
mentdes idées déshonnêtes(...). Par bienséance, on a recours à la péri-
phrase,pour envelopperles idées basses ou peu honnêtes.Souventaussi, au
lieu de se servird'une expressionqui exciteraitune image trop dure, on
l'adoucit par une périphrase» (Du Marsais, Traitédes Tropes : 145 et 154).
Tout commela litote,l'euphémismeest par excellenceun sofiener: ces deux
figuresontpour fonctioncommuneetprincipalede tenterd'adoucir les FT As que
l'on estconstamment amenéà effectuerau coursdu déroulementde l'interaction,
etde désamorcerau moinspartiellement ces menacespotentielles,afinde permet-
tre à l'échange de se poursuivresur un mode relativementpacifique.
- Dans l'inventairedes stratégiesde politesseque nous proposentBrown et
Levinson,Vhyperbolecôtoiela litote: on peutd'abord s'en étonner,car ces deux
figuresonten principedes valeurspragmatiquesexactementopposées. Mais c'est
tout simplementqu'elles sont le plus souventutiliséesdans des circonstances
égalementopposées : la Utote apparaît surtoutdans les énoncésmenaçants(c'est
un adoucisseur de FTA, qui relèvedonc de la « politessenégative»), alors que
l'hyperbole apparaît au contrairede préférencedans les énoncés valorisants
d'anti-FTA,qui relèvede la « politesse
pour le destinataire(c'est un renforçateur
positive»). D'une manière générale, preuvessontnombreusesde l'existence
les

12. Alorsque « c'estpastrèsealaud/etupide moine


», etc.,sontbeaucoup naturele
(à signaler
toutefois
lecontre-exemple « c'estpasbete»).
queconstitue

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d'un príncipe,véritablement fondamentalpour l'exercice de la politesse,selon
lequel on Utotiseles comportements impolis(FTAs), alors qu'on hyperboliseles
13
comportements polis (anti-FTAs) , ainsi : le remerciement esttrèsgénéralement
14(« merci »
exprimé sur un mode hyperbolique beaucoup/millefoie/infiniment
- alors qu'on peut considérercommeagrammaticalela séquence « merci un
peu ») ; à table, dès lors qu'on se trouveen présence de l'auteur du plat en
question,on formuleratrèssystématiquement son appréciationselon le schéma
suivant :
appréciationpositive: « c'est vraimentfameux! »
appréciationnégative(au demeurantplus rare) : « c'est un toutpetitpeu
salé pour mongoût »...
- Il y aurait encorebeaucoup à dire sur les vertusadoucissantesdes énallages,
énallages de mode ou de temps(conditionnelet passé de politesse),énallagesde
15
personne(voussoiement,« iloiement» ou « noussoiement») : on se contentera
ici de conclure, à partirde ces quelques exemplestrop rapidementévoqués, à
l'importancede la place qu'occupent les figuresde rhétoriquedans l'ensemble
des procédés de la figuration.
Il en est de mêmedes tropesillocutoires- AndréeBoriilotraitantdu reste
comme des « euphémismessyntaxiques» les requêtes indirectes- , ainsi que
d'autres typesde « tropespragmatiques» que nous ne pouvonsici que mention-
ner,commele « tropecommunicationnel » (lequel consisteà feindred'adresser à
Aj un énoncéqui esten réalitéadressé à A2 : on tentepar ce subterfuge, en ne lui
disantpas les choses « en face », de ménagercelle de son véritabledestinataire),
dontles énallagesde personnereprésentent en quelque sortela formelexicalisée.

2.3. Le tropeiüocutoire
« La motivationprincipale- sinonla seule - qui conduità employerces
formesindirectesest la politesse» (Searle 1982 : 90) :
Le recoursà la formulationindirectedes actes de langagerelèvele plus souvent
d'un souci de politesse,et réciproquement,c'est par le biais de la formulation
indirecteque se réalise essentiellementla politessenégative.
Prenonsainsile cas, le plus spectaculairesans doute,de l'ordre : il se trouve
que la langue françaisemet à notredispositionune forme,le mode impératif,
réservéeà l'expressionde cet acte. Or commeil a été souventnoté,les locuteurs

13. Conformément Leech(1983: 146)« There


à cequ'énonce willbea preferenceforoverstating
polite andforunderstating
beliefs, ones».
impolite
14. VoirHeld(1989)surl'ensemble deeprocédés d'emphase quisontmisà contributiondansla
decetacterituel.
réalisation
15. VoirLesinteractions t.II : 206sqq.,surcesdivers
verbales - etenparticulier
énallages sur
», le « nous» pouvant
le « noussoiement remplacer soitun« je », soitun« tu» (c'estparexemple
le
« nouedesolidarité» desavocate oudesmédecins).

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recourenten faitassez rarementà l'impératif(du moinspour exprimerun ordre,
car cetteformemodale est passablementpolysémique),lui préférantdes moyens
plus détournés- au lieu de « Ferme la porte », on dira plus volontiers: « Tu
pourraisfermerla porte ? », « Tu voudraisfermerla porte? », « J'aimeraisbien
que tu fermesla porte », voire : « Y a des courantsd'air ».
Paradoxe donc, qui se résoutaisémentsi Ton considèreque Tordre est un
acte particulièrement menaçantpour les faces de celui auquel il se destine: la
formulationindirecte,qui dégrade en quelque sorte Tordre en requête (dans
« Tu voudrais fermerla porte ? », le locuteurlaisse au destinataireune liberté
d'action plus grandeen apparence, faisantcommes'il subordonnaitson propre
désirà celuid'autrui ; dans « Y a des courantsd'air », il se contentede décrireun
état de choses désagréable,laissantà son partenairele soin d'en tirerla conclu-
sion qui s'impose), apparaît alors commeun moyend'atténuerla menace que
constitueintrinsèquement cetacte de langagepour son destinataireet partant,de
mieuxfaireadmettrepar celui-cicetteespèce d'agressionconjointede ses deux
faces.
La mêmechose pourraitêtre dite de toutesles formulationsindirectesde
tous les actes de langage,qui sontextrêmement nombreuseset fréquentes; par
exemple :
- Remplacementd'une formeimpérativepar une formeinterrogative, ou
déclarative - ces formes substitutivespouvant avoir elles-mêmesdiverses
valeurs : question (« tu pourraisrangerta chambre? »), constat(« ta chambre
est en désordre »), suggestion(« et si tu rangeaista chambre? »), promesse(« si
tu rangesta chambre,je t'emmèneau cinéma »), etc.
- Remplacementd'un refuspar l'assertiond'une hésitation(cas du « je
vais réfléchir» ritueldans les magasins),ou d'une réfutationpar une question :
au lieu de« c'est pas vrai !» : « tucroisvraimentque... ? »,« ne pourrait-onpas
plutôtdireque. . . ?» ; au lieu de « c'est une idée inepte» : « est-ceque ça ne serait
pas un peu contradictoireavec ce que vous avez ditau débutde votreexposé ? »,
à moins que le désaccord (« c'est complètementstupide! ») ne se déguise en
auto-accusation(« je ne comprendspas trèsbien ») :
« Alice sentitqu'elle perdait la tête. La remarque du Chapelier semblait
n'avoir aucun sens.
- Je ne comprendspas très bien ! dit-elleaussi polimentqu'il lui fut
possible » (L. Carroll,Alice au pays des merveilles , Marabout 1963 : 88).
- Correctifmaquillé en simple variante de formulation(la chose est
communeen situationde contact) :
« Aussi moije pars demain- Ah bon, toi aussi tu pars demain? ».
- Questionpartielleremplacéepar une questiontotale :

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« Tu ne mangespas ? » • pourquoi ne manges-tupas ?
« Vous partez déjà ?» - pourquoi partez-vous?
« Vous habitezloin ?» « où habitez-vous?
« Vous êtes Française ?» - de quel pays êtes-vous? ;
ce type de substitutions'expliquant sans doute par le fait que les questions
partiellesimposentà la réponseun cadre plus précis,et sontdonc plus contrai-
gnantes,que les questionstotales.
Il seraitdans la plupartdes cas aisé de montrerque la formulation indirecte,
donnantà l'acte programmédes allures plus inoffensives, se justifieavant tout
par le souci de ménagerautantque fairese peutles facesd'autrui (et souventdu
mêmecoup, de protégerles siennespropres) : c'est ainsi que la théoriedu « face
work » et de la politessefournissent au linguisted'efficacesprincipesexplicatifs
de ce qu'il ne peut sinonque constater.
En guise de conclusion,je dirai que la notionde figure,clef de voûte de
l'édificerhétorique,peutaussi trouverplace, au prixde quelques remaniements,
dans l'univers de la pragmatique.
Pour la rhétoriqueclassique, les figurespermettent à l'énoncé d'avoir belle
figure.Pour la pragmatiquecontemporaine,elles permettent surtoutaux énon-
ciateursde fairebonnefigure.Pour nous,leurcharmevientessentiellement de la
bonne volontéavec laquelle elles se laissentmettreà la sauce pragmatique,aussi
bien que sémantiqueou rhétorique- c'est-à-dire: de leur joyeuse indiscipline.

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