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D’un inconnu à l’autre - © Michaël Bodart, 2019 , Canada
Attention

Ce récit s’adresse à un lecteur adulte et averti. Il comprend des comportements dangereux et illégaux
; la prise d’alcool et de substances illicites, ainsi qu’un langage vulgaire. Je déconseille fortement de
répéter les actions incluses dans celui-ci et sous aucun prétexte. Au-delà de l’histoire, les réflexions
qui s’y trouvent nécessitent également un esprit mature et en quête de souveraineté.
Ce récit est basé sur une histoire vécue. Par contre, tout ce qui suit est le fruit de mon imagination et
de mes opinions. Il se peut que nous ne soyons pas d’accord et cela ne veut pas dire que l’un est pire
que l’autre. L’objectif, ici, n’est pas de convaincre, mais simplement de réfléchir ensemble. Aussi, il
est pratiquement impossible de raconter une histoire comme elle s’est réellement déroulée, car elle
n’existe maintenant que dans la tête de celui qui l’écrit. La seule chose que je peux donc réellement
prouver, avec cette histoire, est que je ne suis véritablement pas parfait.

Au-delà de tout cela, bonne réflexion !

Voici ce que j’ai vécu…


Dédicace
Je m’adresse plus particulièrement à toi mon petit poulet,

S’il y a une valeur qui est importante à mes yeux, c’est bel et bien la patience, et j’espère que je vais
t’élever de façon à ce que tu comprennes ceci, bien avant que tu lises l’aventure où j’ai rencontré
maman. Tu peux prendre le temps avant de tout comprendre. Car, avec les mots de ce livre, tu peux
comprendre petit à petit d’où tu viens.

Rappelle-toi la première chose que j’ai dite à maman : Des fois, tu peux ne pas savoir où tu vas, mais
l’important est de savoir d’où tu viens.

Ce récit est le genre d’histoire que tu peux lire plusieurs fois et comprendre différents aspects de ma
vie, de la tienne et comment elle a débuté, inopinément. J’espère que tu peux comprendre pourquoi je
t’ai élevé ainsi. Car même si le futur peut faire peur des fois, nous resteront des âmes cocréatrice de
celui-ci, et je sais déjà que tu seras assez intelligent pour apporter le meilleur de toi-même à un
monde qui en a absolument besoin. Car n’oublies jamais que le succès ne réside pas dans l’avoir
mais bien dans l’être, en toute humilité : Être la meilleure personne pour toi-même, pour les autres et
pour la vie en soi.

Pour la suite des choses, contemple la vie pour sa magie, pour l’amour en soi. Prends le temps
d’apprendre à tous les jours. Développe, ton corps, ta tête et ton esprit. N’oublie jamais que tu n’es
pas parfait et que c’est normal de tomber, c’est de cette façon que l’on apprend à tenir solide sur ses
pieds. Et garde toujours en tête que Papa et Maman seront toujours fiers de ce que tu deviens, et que
l’amour qu’on a pour toi est seulement trop grande pour être décrite ici.

On t’aime plus que tout au monde

Maman et Papa-
Table des matières
Avant-Propos………. 1
Chapitre 1: Un nouveau départ……….3
Chapitre 2: For better or worst ……….11
Chapitre 3: As the journey begins……….23
Chapitre 4: Stupid and strong……….42
Chapitre 5: Rebirth……….53
Chapitre 6: Compassion to sew……….66
Chapitre 7: The Dream Team……….78
Chapitre 8: The Great Mama-C……….109
Chapitre 9: American Women……….122
Chapitre 10: Mountains highs……….155
Chapitre 11: Acid trip on Fernie’s river……….178
Chapitre 12: Strange clouds……….188
Chapitre 13: The wheels on the bus………….235
Chapitre 14: The Island……….
Chapitre 15: Un si grand pays dans un si petit monde……….298
Chapitre 16: Back and forth……….326
Chapitre 17: F*ck the police……….348
Chapitre 18: The seven-day theory……….
Chapitre 19: Beautiful Onterrible……….398
Chapitre 20: Le dernier Sprint……….425
Chapitre 21: Un nouveau départ (Deuxième Partie) ……….477
Avant-propos

Je n’aurais jamais pu croire qu’aussi jeune, je serais en mesure d'affirmer que la vie est aussi belle.
Je crois que la vie est comme une femme avec qui je dois construire une relation saine. Si je tente de
tout contrôler, elle se fatiguera de moi, elle me dira que je n’ai pas confiance en elle et en ses
capacités. Alors que si je l’aime, si je la chéris, si je lui fais confiance et si je la laisse jouer son rôle
dans notre relation, elle me comblera. Car la vie veut tout me donner, par amour, si je lui laisse faire
son travail. Le mien est plutôt de nature personnel et social.
Je n’aurais aussi jamais cru écrire un premier livre à propos de moi-même. Pourtant, au point où j’en
suis, je peux enfin différencier la sagesse du narcissisme et affirmer que chacun a son histoire à
raconter ; remplies de péripéties divines. Chaque moment est unique pour chacun de nous, qu’il dure
une seconde ou une éternité et nous transforme inconditionnellement. Je ne suis donc plus la même
personne que j’étais avant d’écrire ces quelques mots.
Je n’aurais jamais cru, non plus, partir, soudainement, sur le pouce, pour parcourir plus ou moins
quinze mille kilomètres, pour échanger : amour, gentillesse, compassion. Voici alors mon récit, mon
aventure, ma quête. Ceux de transformer les gens et d’être transformé par eux. Ceux d’ouvrir mon
cœur pour ouvrir celui des autres. Car nous sommes tous connectés quelque part. Suffit de trouver le
lien qui nous unit et de s’y accrocher. Notre évolution devra donc se faire chacun à l’intérieur de
nous-mêmes, mais ensemble, comme si nous n’étions qu’un, car c’est ce que nous sommes.
Cette idée folle de me faire guider par mon pouce à travers le Canada n’est que le fruit du pouvoir de
la synchronicité ; une série d’événements qui semblaient aléatoires à priori, mais qui m’amena à faire
ce saut courageux à travers l’inconnu. De par mon éducation, mon enfance, mes études qui m’ont
amené ailleurs que dans une vie pré-écrite d’esclave moderne comme on essaie tant de dessiner
quand on est tout jeune, et j’ai essayé tant bien que mal de m’intégrer à ce mode de vie. Mais la vie
avait d’autres plans pour moi. Tout le monde m’a toujours dit que j’avais quelque chose
d'extraordinaire à l’intérieur et je crois que nous le sommes tous quelque part. Il ne suffit que de le
trouver, de l’agripper et d’embrasser cette divine divinité. Et après cela, me voilà prêt à partir vers
l’inconnu.
C’est pourquoi je transperce le quatrième mur, pour un instant, pour m’asseoir avec vous le temps de
vous raconter mon récit, pour que l’on puisse échanger ensemble. Je vous raconte mon histoire et
aimerais entendre la vôtre en retour. Car votre histoire est tout aussi divine que la mienne et vous le
savez déjà ; seulement qu’en regardant à l’intérieur de vous-même.
Deux ans auparavant, après une soirée arrosée, j’ai fait l’erreur de prendre ma voiture dans la totale
incapacité de vraisemblablement pouvoir exécuter convenablement l’action de conduire. Bref, je me
suis planté. J’ai pris le fossé avec ma voiture et j’ai été arrêté pour conduite avec facultés affaiblies.
Parfois, pour certaines situations, il n’y a pas plusieurs dénouements qui peuvent véritablement nous
aider à apprendre, sauf quand on commet une erreur monumentale et c’était le cas. J’ai donc pu faire
retarder les répercussions de cette bourde durant deux ans pour en arriver à un certain compte à
rebours du moment où tout allait exploser. Je vivais paisiblement dans une petite maison, avec trois
petits chiens et une femme que j’aimais profondément, même si notre relation battait de l’aile. À la
vue de ma perte de permis de conduire imminente, j’ai dû, en même temps, laisser aller mon emploi,
car malgré mes études universitaires et mes qualifications plus versatiles que spécifiques, j’ai eu
beaucoup de mal à développer une carrière qui allait dans un seul sens, passant d’emplois et de
contrats aux autres. Donc, sans emploi depuis peu, des épreuves qui se présentaient à l’horizon, ma
relation de couple en souffrait quelque peu. C’est alors qu’à l’aube de ma trentième année de vie, je
fus forcé de partir, pour recommencer ma vie à zéro.
Chapitre 1
Un nouveau départ

26 Juillet 2017

Mon histoire s’accéléra une journée en particulier où tout se déclencha à l'aide d'un simple rêve.
Les problèmes de communication au sein de mon couple s’intensifiaient à un point où je devais
garder quelques ressentiments à l’intérieur de mon cœur et celui-ci explosait fréquemment dans mes
cauchemars. Étant une personne pacifique, je n’élève que rarement la voix et je ne ressens presque
aucune colère, mais dans mes rêves, c’est plus fort que moi. Alors que j’étais allongé aux côtés de
cette femme que j’aimais tant, je rêvais que je lui criais tout le mal qui dormait à l’intérieur de moi.
Je lui disais que je sentais la perdre alors qu’elle n’avait aucune réaction à mon égard comme si elle
s’en foutait. Je lui criais à quel point je voulais son respect et son amour, et elle me riait au nez. Je
m’exclamais si fort même à un point où j’en perdais la voix. Mon cœur, plein de pu, comme un abcès
à terme, se compressait pour remplir mes yeux de larmes si douloureuses devant mon amoureuse si
indifférente et même ricaneuse de méchanceté. J’étais à bout de nerfs et à bout de souffle, victime de
ce rêve, même si ce n’était pas la première fois que je voyais ces images durant mon sommeil. Cette
fois-ci cependant, quelque chose de différent se produisit.
Pour un instant dans mon rêve, je partais seul. Pour un instant, j’étais zen et calme. Pour un instant, la
sérénité me faisait sentir que je n’avais besoin que de moi-même pour tourner la page et commencer
une nouvelle vie. Comme si c’était le bon moment de voler de mes propres ailes. J’allai même plus
loin. Je sentis que la page était déjà tournée et que j’étais serein à l’idée que ma douce et douloureuse
relation soit terminée. Même si je ne comprenais pas ce qui se passait, je comparais mon deuil aux
autres deuils amoureux que j’avais dû faire dans le passé, comme s’ils ne faisaient que partie de la
même catégorie d’expérience et je me sentais bien. Loin de tout mauvais ressentiment, loin de mes
problèmes. La paix dans sa plus pure expression, pour un instant.
Puis j’étais réveillé. Elle était à côté de moi ; toujours belle comme aux premiers moments. J’étais
bouleversé. Chaque fois que je me réveillais après ce genre de rêve, la paix d’esprit était toujours
plus laborieuse à récupérer, et souvent, notre type de relation ne nous aidait pas à nous aider
mutuellement au travers ce genre de sentiments intenses. Pensant que ces idées devaient sortir de mon
corps pour trouver la paix, je me suis mis à lui raconter doucement mon rêve, même si mes yeux
trahissaient mon calme. Je lui racontai alors notre querelle onirique. J’aurais tellement aimé avoir
une réaction de sa part ; même négative à la limite, mais au contraire, je n’attirai que son
indifférence, comme dans mon rêve. Alors que je ne cherchais qu’un peu de réconfort, aucune
expression n’apparut sur son visage et à ce moment, je ne comprenais pas que sa douleur était tout
simplement égale à la mienne et la brulait de l’intérieur. Mon rythme cardiaque s’accéléra quelque
peu et je lui demandai si c’était terminé, si elle était fatiguée d’être avec moi. Encore une fois, aucune
réponse ne sortit de sa bouche. Avec le recul, si j’avais agi différemment à ce moment, peut-être que
ma vie serait complètement différente aujourd’hui, mais comme la vie fait bien les choses, je ne
réfléchis que plus ou moins, je pris que quelques accessoires, quelques vêtements et je sortis de la
maison. Je n'avais maintenant plus de mode de déplacement, plus d’emploi, plus de maison, plus de
chien, plus de conjointe. Bref, plus de vie dans son expression la plus grasse.
Comme je ne pouvais plus conduire, j’ai dû expérimenter ce que j’avais déjà fait quelques fois lors
de mon adolescence, c’est-à-dire l’autostop : lever mon pouce pour quémander une place dans un
véhicule. Sur le coup de la colère, du désespoir, de la fatigue, ça allait de soi d’en être rendu là. Puis
tout d’un coup, ces sentiments se transformèrent en goût vers l’aventure, en courage, en nostalgie
positive et en renouveau. Le tout bien retenu ensemble par un sentiment d’humilité qui me poussait à
réfléchir sur moi-même, sur ma vie qui semblait s’écrouler devant moi. Puis comme je n’avais
presque plus rien, le meilleur était alors à construire. La tristesse ne pouvait pas disparaître
rapidement, je le savais bien et j’avais à la vivre, car j’aimais cette personne. J’étais seulement le
jeune homme qui laissait tout derrière lui vers un avenir nouveau. Je pensais à la dernière peine
d’amour que j’avais vécu, et à comment les gens me ressortaient incessamment cette phrase vraie et
clichée à la fois : « Prends du temps pour toi maintenant ! ». À ce moment-là, j’avais déjà appris que
faire du bien autour, pour moi, c’est me faire du bien aussi, et si je regardais derrière, j’avais déjà
pris beaucoup de temps dernièrement pour développer ma spiritualité, il allait de soi que j’allais
concentrer mes énergies à redevenir complètement moi-même et à me concentrer sur les gens que
j’aime ; sur les autres.
De Saint-Félix-de-Valois, dans Lanaudière au Québec, pour me rendre à Joliette, la route fut très
facile. Je rencontrai un jeune homme qui était professeur de sciences au secondaire. Il allait à une
école secondaire près d’où nous étions pour y tenir un examen final pour les jeunes qui la côtoyait.
Lui et moi connectâmes sur-le-champ. Il avait gradué en biologie et je me questionnais justement sur
la pertinence du darwinisme face aux nouveaux paradigmes de l’évolution humaine, car comme nous
le savons, les théories de Darwin dominent le domaine de l’évolution alors qu’elles datent de plus de
cent ans. Et comme vous allez apprendre à me connaître, je questionne à peu près tout naturellement,
et comme c’était son domaine, j’étais curieux. Nous échangeâmes pour vingt bonnes minutes, le temps
du trajet, acceptant et refusant les points l’un de l’autre, mais surtout, aimant et respectant l’autre pour
ce qu’il pouvait apporter. C’est surprenant de voir la façon à laquelle on peut connecter, d’un inconnu
à l’autre, de voir que l’on peut échanger des idées, des concepts, des émotions, dans le respect et
l’admiration, pour sentir une certaine connexion se faire entre deux âmes qui se reconnaissent. Avant
de partir, nous nous dîmes à quel point nos conversations étaient intéressantes et que nous fûmes très
contents d’être tombés l’un sur l’autre. Je sortis du véhicule plus que comblé d’être reconnu par un
inconnu pour la personne que j’étais et pour les idées que j’exprimais. Nous nous saluâmes et je
continuai dans ma direction.
L’aventure était déjà commencée avant même que j’en sois conscient. Mais c’est à ce moment précis
que l’idée de partir pour une plus grande distance me chatouilla les méninges. Partir, le plus loin
possible. Pour ma part, même si j’arborais fièrement une plaie béante, je ne sentais pas m’être perdu.
Au contraire, je sentais que j’étais tout de même au centre de mon cercle. Par contre, échanger avec
un inconnu, être transformé à sa manière et le transformer à la mienne était une idée succulente à mes
yeux. Je continuai ma route alors que j’entendis un klaxon m’envoyer des salutations au loin. Je lui
envoyai la main une dernière fois.
Même si les rues de Joliette me sont assez familières, mon sens de l’orientation défaillant me mena à
tourner en rond quelque peu, comme il me le propose habituellement. Je devais déjà aller voir mon
frère à Crabtree, alors je continuai ma petite quête pour me rendre chez lui. Passant au cœur de
Joliette à pied, je me souvins de l’existence d’une petite boutique ésotérique dans les environs et
comme c’était la veille de mon anniversaire, je voulais m’acheter un cristal de quartz clair qui
symbolise la communication avec soi, avec les autres et avec sa spiritualité ; son intuition. Pour les
besoins de la cause, j’aimerais donner le nom : "Eva" à mon intuition, car elle est une partie de moi ;
très douce, logique et intuitive, passionnée, remplie d’amour et de compassion. De plus, on m’a
toujours rappelé que j’avais un sens féminin très développé et je l’acceptais déjà depuis longtemps.
Bref, très rapidement, j’arrêtai à cette boutique, choisis le cristal que je sentais le mieux adapté pour
moi et ressortis de la boutique aussitôt. Je l’embrassai et le portai en pendentif.
Je passai la journée avec mon grand frère, et bien sûr, dans ces périodes de peine, l’amour des gens
qui nous entourent est tellement enrichissant. Nous passâmes une journée typique entre frères ; du
plaisir et peu de confidence. Puis il alla me reconduire chez mes parents, à Sainte-Julienne, là où j’ai
toujours un toit sur les épaules.
Mes parents seront toujours prêts à tout me donner surtout si je suis dans un moment de ma vie plus
difficile comme celui que je vivais ; séparé, sans toit, sans emploi, sans un sou, sans voiture, etc. On
dit souvent que l’on ne choisit pas ses parents, même si je crois le contraire, mais que ce soit le fruit
du hasard ou non, si j’avais le choix, je ne changerais ma famille pour rien au monde. Par contre, mes
parents voudraient toujours que je reste avec eux le plus longtemps possible, mais la vie étant faite
comme elle est, je fis autrement.
Quelques jours passèrent, on soulignait ma fête et ma séparation. C’était l’occasion d’avoir un peu
d’attention, un peu de réconfort de mon extraordinaire entourage. Mes amis ont été fabuleux et ils
savent pertinemment que je serai là pour eux également, car la générosité se doit d’aller dans les
deux sens. Si personne ne veut donner, il n’y a pas de générosité, mais celle-ci n’a pas de raison
d’être s’il n’y a personne pour recevoir également. Et parfois, il est tout aussi difficile, par orgueil,
par ego, par gêne d’accepter de recevoir. C’est alors qu’accepter que pour le bien d’une meilleure
communion avec les autres, pour le bien d’une meilleure communauté globale, il faille piler sur son
ego et accepter que le monde irait mieux si les gens étaient ouverts à donner, mais aussi à recevoir.
Bref, ils étaient présents pour moi et moi pour eux comme à l’habitude.
L’appel vers l’Ouest était toujours inscrit dans mes intentions, même si depuis quelques jours, celui-
ci était caché derrière des fêtes excessives, des maladresses d’ébriété, et un manque de
communication flagrante avec Eva. Pendant ce temps, je manigançais quand même un plan qui se
formait par lui-même dans ma tête, et j’en parlais. Plus spécialement, ce qui attira mon attention était
le fait que tout ce que j’avais vraiment besoin se matérialisait. Comme si même le vide avait une
utilité, celle d’être rempli. Et la vie s’en chargeait à ma place. Je ne devais que lui faire confiance. Je
disais, par exemple, que je voulais partir, mais que je n’avais aucun sac pour faire le voyage. C’est
alors que mon cousin qui passait par là m’entendit et revint avec un sac à dos de voyages ; années
soixante-dix avec la structure en métal. Le « backpac » avait certes un cachet, surtout qu’il n’avait
jamais vraiment été utilisé, à notre connaissance. Mes parents avaient une tente qu’ils avaient achetée
à une dizaine de dollars dans une vente de garage quelques semaines auparavant, ils me l’offrirent
volontiers. Une très bonne amie à moi, une perle à mes yeux, me donna un sac de couchage pour
résister aux grands froids. Elle aurait tellement voulu m’accompagner, mais comme elle était malade
et que mon périple semblait se dessiner spontanément, elle ne pouvait simplement pas suivre. Elle me
prêta une peluche à l’effigie d’un gnome de jardin qu’elle m’avait promise la première fois que je lui
avais lancé l’idée de partir. Dès qu’elle me demanda comment j’allais le nommer, je répondis sans
même y penser : « Jym » gracieuseté d’Eva. Et voilà, en deux temps trois mouvements, Mick, Jym et
Eva étaient tous prêts à partir à l’aventure ; Jym bien accroché, gardien solennel de mon immense sac
à dos d’aventurier et Eva, douce et intuitive, bien au fond de mon cœur.
Voici l’équipement qu’on m’a donné, sans même que je ne cherche à m’approvisionner, comme si la
vie me poussait à suivre ce chemin :

Un énorme sac à dos et Jym,


Un sac de couchage résistant aux grands froids
Une pochette imperméable
Une moyenne tente
Une grande toile imperméable
Un oreiller
Mes vêtements
Des produits d’hygiène de base (
Des noix et des produits en conserve
Une casserole et une tasse métallique de camping
Un couteau de chasse et un couteau suisse
Une lampe de poche et un porte-clés à la D.E.L.
Un drapeau à l’effigie des sept chakras.
De sandales de cuir et des souliers Converses délabrés
Un peu de haschisch
Six élastiques à crochets
Un bracelet de survie, fait à la main au Nouveau-Brunswick

Mon sac était maintenant complété et je ne m’étais pas encore fait à la certitude que j’allais partir.
Comme si la vie pensait tout simplement plus rapidement que je pouvais le faire. Il faut dire que dix
jours auparavant, j’étais toujours dans ma maison à jouer avec mes chiens. Mon plan était, de toute
façon, de ne pas avoir de plan. Si je voulais revenir, je le ferais tout simplement. Mon meilleur ami
m’avait invité à Ottawa et je décidai d’amener avec moi Eva et Jym pour continuer ma route par la
suite, si le destin m’y appelait, car rien ne me retenait au même endroit avec cet équipement.
La dernière journée avec les gens que j’aime était remplie d’émotions. Mon sac m’attendait sur le
coin de la porte, ma mère ; les inquiétudes au plus profond d’elle-même ; mon père, maladroitement,
me disait que certains aspects ne fonctionneraient pas ; mon sac était trop lourd, que la pluie allait
m’arrêter, etc. Je lisais quand même au travers ses grands yeux bleus que c’était sa façon de
s’inquiéter. Pour le rassurer, je déposai Jym sur une balance qui me révéla qu’il pesait soixante
livres. Pour moi, c’était épeurant, mais toujours faisable si j’écoutais mon corps. Je pris le temps de
leur expliquer que je sentais un fort appel à l’intérieur de moi, que je devais le faire, et que je devais
le faire seulement qu’à ma manière. Qu’il y eût toujours une solution à tout et qu’une des solutions
possibles était de revenir. Ils étaient quand même d’accord, même si un cœur de parent restera, à
jamais, un cœur de parent.

5 août 2017

L’heure du départ sonna. Ma mère était partie plus tôt dans la journée, car elle ne voulait pas être
présente pour le grand départ. Trop d’émotions la chaviraient. Mon père, lui, était là. J’ai toujours
été habitué à voir ses grands yeux bleus remplis de certitude alors que cette fois-ci, ses yeux étaient
si petits et si rouges, que je ne pus qu’à peine les percevoir. Bien qu’il soit un homme aussi fort que
ceux que sa génération a pu former, je voyais qu’il avait quand même peur. Je sentais qu’il ne
comprenait pas nécessairement toutes mes raisons intuitives de partir, mais je sentais qu’il était fier
du courage auquel son fils faisait preuve et je voyais qu’il comprenait que les astres s’étaient bel et
bien alignés malgré sa volonté. Je le serrai dans mes bras, je lui dis que je l’aimais fort et je partis
rapidement.
Mon amie, qui croyait tant en moi pour ce voyage, m’attendait à l’extérieur de la maison. Elle tenait
absolument à être ma première conductrice officielle. C’était sa façon de faire partie de mon
aventure, car sa maladie, bien qu’inapparente, restait tout de même inquiétante. Mon sac portait
fièrement le symbole sacré de l’Anahata, le chakra et l’énergie du cœur, de l’amour, de la
compassion et de la guérison. Je savais que je ne pouvais plus ignorer l’aide de personne et je devais
tout faire pour les autres en échange. C’était le modus operandi que je me donnais pour avancer dans
cette aventure. Et je passai trois magnifiques heures en compagnie d’une amie extraordinaire en
direction d’Ottawa: Tout pour bien commencer une nouvelle vie.
Arrivé à Ottawa, mon amie avait d’autres choses à faire durant la journée et je voulais rattraper le
temps perdu avec mon meilleur ami de longue date. Je la serrai fortement dans mes bras et lui dit que
tout allait bien aller, je le pensais autant pour elle que pour moi. Je lui dis également que je l’aimais
énormément. Je restai seul avec ce frère d’âme par la suite, nous discutions autour d’une bonne
bière. Nous parlâmes de nos problèmes amoureux. Nous discutâmes de nos vies respectives.
J’essayais de le conseiller avec ma nouvelle façon un peu plus spirituelle d’approcher la vie alors
qu’il m’écoutait et me donnait toute l’énergie dont j’avais besoin pour entreprendre mon voyage.
Puis, il me dit que j’avais changé depuis peu de temps. Il me dit que j’avais fait du travail sur moi,
que je semblais si bien prendre ma situation en main et que ma transformation était déjà en court et
apparente. Je m’accrochai à ses mots comme si j’étais en train de créer ma propre mission. Il
m’encourageait à aller de l’avant et à aller vers les inconnus. Il termina en me disant qu’il avait eu
peur de me trouver démoli, mais qu’il était si content de me voir plus fort que jamais. J’étais touché
par les mots d’un des hommes que j’aime le plus au monde.
Après la discussion, il m’invita à aller en montagne pour un hike, pour tester mes capacités physiques
avec mon sac de soixante livres. Comme mon espoir de pouvoir faire le voyage avec un immense sac
ne reposait que sur une confiance aveugle appuyée sur un orgueil masculin, et comme mon ami a
souvent été un mentor pour moi concernant mes capacités physiques, je pris l’occasion comme un
entraînement à l’aventure. Même si, encore une fois, l’aventure était déjà bien commencée.
Rendu sur une des collines à Gatineau, au parc National de Lucksville’s Falls, le trajet s’annonçait
être environ cinq kilomètres aller-retour pour gravir une montagne, ni plus ni moins. Jamais je
n’aurais cru avoir autant de difficultés à gravir les roches. J’étais déjà à bout de souffle et d’énergie
après les vingt premières minutes. De plus, une pluie torrentielle se mit à déferler sur la montagne
pour nous paralyser où nous étions, de sorte que nous nous arrêtâmes. Je posai Jym au sol, déroulai
ma bâche et le couvris, acceptant de nous faire tremper à sa place. Puis, je me mis à penser à ce que
mon père me disait tout en fixant mon ami. Sur le moment, je réalisai premièrement, pour la pluie,
que c’était le pire qui pouvait m’arriver. Je réfléchis une dernière fois sur ce qui venait de se
dérouler dans ma vie. Sur la suite d’événements que je venais de connaître qui m’amena sur cette
montagne, sous la pluie avec un immense sac. La nature m’envoyait un dernier avertissement, une
dernière remise en question. Elle me demandait si j’étais bien certain de vouloir continuer. C’était
déjà plus grand que nature. Bien que mon sac fût prêt, je devais me mettre dans un état physique,
psychologique et spirituel impeccable pour être, moi-aussi, prêt à vivre ce que j’allais vivre. Je
devais laisser mon passé derrière et me mettre dans un état d’esprit où le passé ainsi que le futur ne
devait pas s’ingérer dans mes décisions au moment présent. Je devais rester connecté à mon
environnement, rester alerte en tout temps, car je pouvais bien réagir à ce genre de situation si ma tête
était toujours froide. Un déclic se fit à l’intérieur de moi. Je me sentis soudainement rempli d’une
force et d’une motivation sans faille. Je me sentais comme si l’échec n’était tout simplement plus une
option. La pluie cessa, et même si les roches étaient glissantes, je repris Jym sur mes épaules, puis
nous continuâmes, moi, jamais aussi motivé, car je venais d’affronter une de mes premières craintes
concernant le voyage et même si être trempé était le pire dénouement possible, j’avais bien géré la
situation. Mon meilleur ami, pour sa part, était motivé par fierté de voir que tout était possible et que
son meilleur ami se lançait dans l’aventure à laquelle tout le monde rêve un jour ou l’autre. Nous
fîmes le reste du chemin avec facilité, même si je devais m’arrêter quelquefois, seulement par écoute
de mon propre corps et par logique, pour bien gérer mon énergie.
De retour où mon ami habitait à Gatineau, nous avions comme plan de faire ce que deux beaux jeunes
hommes nouvellement célibataires font quand ils se retrouvent c’est-à-dire, visiter un bar, fêter,
chasser, mais nous étions clairement trop fatigués. Avant d’aller dormir, je lui rappelais que mon
aventure irait pour le mieux et que j’allais être chanceux de pouvoir aller d’un inconnu à l’autre pour
échanger et partager.
Chapitre 2
For better or worst

6 août 2017

Je ne pouvais pas rester longtemps avec mon meilleur ami, car il avait un horaire assez chargé et de
mon côté l’appel de l’aventure se faisait assez fort. Nous avions quelques emplettes à faire. Puis,
mon ami me proposa d’aller me porter près de l’autoroute, de l’autre côté d’Ottawa au nord-ouest de
la ville. Comme je voulais éviter les grandes villes pour leur stress et leur énergie, j’acceptai
volontiers. Les grandes villes sont des zones énergétiques très grandes. Ce n’est pas qu’elles sont
négatives à priori, mais le mode de vie stressant des gens dans ces milieux transforme cette énergie et
ce n’est pas avec celle-ci que je voulais carburer. De plus, j’acceptai, car cet ami est l’une des
personnes les plus importantes à mes yeux et je voulais être avec lui avant de vraiment me lancer
dans le vide.
Donc, de l’autre côté de la capitale nationale, il me déposa tout près d’un parc national sur la route
417. Sur le point de partir, Eva me chuchota que mon meilleur ami était fébrile. Il prit une photo de
moi, me serra dans ses bras et me laissa voler de mes propres ailes. Je le regardais au loin pendant
que je m’éloignais et je réalisais à quel point j’étais chanceux d’avoir tous ces gens qui m’aiment et
qui me soutenaient dans ce genre de projets à priori fou comme celui-ci. La route était vide et aride,
mon sac pesait déjà sur les épaules. J’avais deux kilomètres à marcher avant d’arriver à l’autoroute.
Je sentais quand même depuis la veille cette même force inexplicable qui restait avec moi pour me
pousser à avancer ; elle-même qui me faisait sentir léger avec un sac de soixante livres sur les
épaules. Je sentais qu’on pouvait certainement me ralentir, mais que rien ne pouvait m’arrêter.
Une demi-heure plus tard, j’arrivai près du tronçon d’autoroute vers mon destin. Je reçus un message
de mon meilleur ami pour savoir si tout se déroulait bien. C’était ma dernière porte de sortie. Si je
voulais tout abandonner, ma dernière échappatoire était de lui demander de revenir rapidement. Je lui
répondis que tout allait bien. Je savais qu’il serait revenu me chercher, car j’étais toujours tout près.
Mais je me disais que le passé était déjà derrière et que l’avenir était beaucoup trop en avant. J’étais
seulement bien, au centre de mon cercle, dans le moment présent. Dans la vie, à certains moments,
des fenêtres d’opportunités s’ouvrent. Passer par la fenêtre n’est ni bien ni mal, elles ne font
qu’ouvrir le destin à un futur probable. C’est pourquoi, une fois le destin forgé, le choix fait partie du
passé, le présent devient donc malléable et l’avenir incertain. Il ne faut donc pas regretter et
continuer.
Je n’avais jamais vraiment fait de pouce sur de grandes distances. Déjà là, j’apprenais qu’il fallait
être patient. Mais comme je n’avais nulle part où aller, et que je n’avais aucune date butoir, j’étais
complètement libéré de l’emprise d’un plan ou même du temps. De toute façon, le temps se déroule
toujours de la même façon, si on ne peut le contrôler, aussi bien lui faire confiance. Toujours
marchant vers l’autoroute, à quelques minutes d’y arriver, une voiture s’arrêta enfin sous le joug de
mon pouce essoufflé. Deux hommes, un noir, un blanc, début quarantaine, s’arrêtèrent. Deux
travailleurs accomplis me dirent qu’ils ne pouvaient m’amener nulle part, mais qu’ils pouvaient
m’embarquer pour quelques mètres pour fumer un joint de cannabis. Comme beaucoup de croyances
ancestrales considèrent ce rituel comme une communion avec la nature et avec ses alter ego,
j’acceptai sur-le-champ. J’embarquai et quelques coins de rue plus loin, ils s’arrêtèrent encore. Leurs
cigarettes étaient déjà roulées. L’homme noir me donna du cannabis et une feuille pour que je puisse
tout rouler, sans ciseau, assis, dans l’auto. Eva me dit qu’elle était confiante à leur égard, alors que
Jym était seulement content de prendre une pause. Pour ma part, j’étais seulement consterné par le
piètre état du joint que je venais de rouler, rapido presto, sur la banquette arrière du véhicule. Il fut
tout de même très bon.
Je me mis à discuter avec ces deux gaillards. Nous parlâmes de la vie, de la mort, de travail et de
liberté. De leur train quotidien et de ma subite décision de partir ainsi que de ma rupture. Et je
réalisai que ce moment était exactement la raison qui expliquait mon départ. Ce n’était pas la distance
qui comptait vraiment, mais l’expérience en soi. Cette espèce d’amour que l’on peut partager,
seulement parce que nous sommes des humains ensemble, d’un inconnu à l’autre et qui nous fait nous
reconnaître, même seulement pour quelques secondes, à travers les yeux de quelqu’un que l’on vient
de rencontrer. L’un me parlait de sa musique, sa passion ; l’autre me parlait de sa famille et son
mariage, et la beauté de la chose était que l’on parlait de tout ce qu’on aimait donc, par définition ;
d’amour.
La fumette étant terminée, il était déjà temps de se dire adieu. Après avoir échangé plusieurs
compliments les uns sur les autres, l’un des hommes plongea sa main dans un sac et me donna une
poigné de petites cocottes de marijuana puis, mes deux nouveaux amis me reconduisirent tout près du
dit tronçon d’autoroute où je me destinais. Ils repartirent par la suite vers leur vie normale.
Maintenant sur le bord de la route, juste avant l’autoroute, toujours un peu de THC dans le sang, je
me sentais d’attaque pour laisser filer le temps de chaque côté de mes joues, respirant l’air frais de la
liberté. L’expérience que je venais de vivre me motivait plus que jamais. Pour garder ma patience et
ma concentration à son apogée, je pratiquai quelques techniques de respiration, tout en attendant, le
pouce en l’air et le torse droit de fierté, mon prochain covoiturage. Une heure plus tard, une autre
voiture arrêta.
L’homme dans la cinquantaine, en forme, conduisait un pick-up rouge. Il me dit de mettre mon sac sur
la banquette arrière. L’homme me demanda vers où je me dirigeais et Eva répondit avant moi : « I
don’t know… where are we going ? ». Il se mit à rire alors que je réalisai que la réplique était quand
même bonne. Celle-ci devint un patois sur-le-champ. Je racontai alors ce que vous venez de le lire
depuis le début de mon récit. J’étais heureux qu’il soit la deuxième personne à s’accrocher à mon
histoire, à compatir, à m’écouter et à comprendre. Ensuite, de fil en aiguille, nous changeâmes de
sujets. Il parlait de chasse et de ses hobbies. L’homme avait un nom de famille québécois et semblait
en être très fier. En discutant, je me sentais de plus en plus proche de cet inconnu. Nous passâmes
quelques minutes ensemble, il me laissa un peu plus loin, presque directement sur l’autoroute.
Je commençais déjà à être fatigué, l’épuisement était plus dur que je l’imaginais. Je réfléchissais
tellement que ça me grugeait de l’énergie. Je ne savais pas ce qui était toléré et ce qui l’était moins.
J’étais debout sur le bord de l’autoroute et j’espérais ne pas voir de policier arriver de sitôt. Un autre
pick-up s’arrêta.
Un jeune homme, sérieux, mais souriant, dans la trentaine, s’arrêta. Puis le même discours se répéta.
Nous parlâmes de tout et de rien. J’ai toujours tendance à devenir profond et spirituel dans mes choix
de sujets, mais avec un homme sympathique, mais réservé comme lui, je devais accepter de prendre
les portes ouvertes seulement et de ne pas les forcer. Après quelques petites conversations
sympathiques, quinze minutes plus tard, il repartit seul de son côté me déposant lui aussi près de
l’autoroute.
Il devait être dix-huit heures et depuis le départ de mon dernier « lift » j’étais seul depuis une heure
aux abords de la route 417. Enfin, une autre voiture s’arrêta. Encore une fois, j’installai Jym sur la
banquette arrière, mais cette fois-ci, je m’assis à côté de lui. Deux hommes étaient assis à l’avant et
me demandèrent où j’allais. Je répondis encore : « Je ne sais pas, où allez-vous ? ». Le conducteur
devait être dans la mi-cinquantaine. Bedon de l’âge, habillé d’un simple T-shirt noir et d’un jeans.
Ces cheveux laissaient place à une légère calvitie, mais s’étendaient, frisants au long de son cou. Il
avait les yeux petits et rouges, mais réconfortants. Le deuxième était dans le début de la cinquantaine,
portait une casquette et un visage travaillé par l’alcool et peut-être même d’autres drogues. Il était en
état d’ébriété avancé, si bien que le mélange d’alcool et de son accent canadien-anglais me permettait
à peine de déchiffrer ce qu’il voulait dire quand il parlait. Pour un instant, j’eus peur, car le passager
était très volubile. Ils se présentèrent et me dirent qu’ils allaient à la ville de Cobourg, soit trois
heures plus loin, et comme je n’avais aucune idée des villes qui se trouvaient sur mon trajet
improvisé, j’étais trop content de faire une moyenne distance en fin de journée. Je sursautai quand
même quand j’aperçus le passager du véhicule avec une bière entre les jambes. Il me tendit un joint
de cannabis. Je fumai volontiers, pour me détendre avant qu’il m’explique que nous allions acheter
d’autres bières très bientôt. Je me disais à moi-même que ce n’était pas la situation la plus sécuritaire
qui soit pour le moment en envoyant des excuses télépathiques à ma mère qui s’inquiétait
constamment. C’était par contre ma première grande route et je ne voulais pas la rater. Je regardai les
yeux rouges du conducteur dans le rétroviseur. Ses yeux étaient remplis de culpabilité, de compassion
et de réconfort. Il me communiqua sans ouvrir la bouche : « Tout va bien aller petit ». Eva en était
satisfaite. Une fois le joint terminé, ils augmentèrent le volume de la musique. Puis, j’étais bien.
Les effets du cannabis se faisaient sentir. J’avais confiance en mon conducteur et contrairement à
l’alcool, Eva reste toujours près de moi quand je fume. Alors, tout allait bien. Je surfais sur les ondes
de la musique qui atteignaient mes oreilles et qui attiraient le rêve et la réalité à entrer en collision et
puis en collusion. Pour un instant, je me sentais encore plus présent et libre que le personnage
principal d’un film d’aventure. Enfin, en fin de journée, j’étais épuisé, j’étais sur la banquette arrière
d’une voiture aux côtés de Jym, je regardais le paysage Ontarien défiler devant mes yeux et j’étais
bien. Je n’avais pas à communiquer. La musique comme il ne s’en fait presque plus à notre époque
était si bonne. Le tout s’étala sur plusieurs dizaines de minutes remplies de sérénité, mais la musique
s’arrêta subitement.
Alors que le conducteur reprenait le passager en excès pour ses manières et lui faisait
sympathiquement la morale, il proposa de discuter par politesse, pour me désennuyer. Même si
j’étais dans une bulle intime avec la musique, je me prêtai au jeu. Et la conversation s’annonça plus
instructrice que ce à quoi je m’attendais.
Ces deux grandes âmes étaient de très bons amis depuis des dizaines d’années. Comment s’étaient-ils
rencontrés ? Le passager faisait de l'autostop sur la même route où ils s’étaient arrêtés pour moi.
C’était une drôle de coïncidence qui pouvait même être un signe, et ce signe pouvait véritablement se
transformer en destin. C’est ce qu’on appelle la synchronicité. L’homme saoul continuait à parler en
« jeberish » et je tentais d’émettre des réponses courtes, sages et adéquates. C’était un défi, surtout
qu’à ce point, je ne tentais que de dérouiller mon anglais. Tandis que le conducteur, lui, continuait à
faire la morale à son ami pour ramener ses manières à l’ordre. Eva me fit remarquer qu’il agissait
ainsi par culpabilité pour la situation en cours. Je tentai alors de détourner la conversation pour
parler d’eux et de moi, de tout et de rien. Plus je les connaissais et plus je sentais qu’ils étaient deux
belles âmes dans des corps coupables. Nous connections quelque part, car moi aussi j’avais déjà
senti la culpabilité. Quand on est capable de reconnaître ses propres problèmes dans les yeux des
autres, on peut les partager, fusionner nos âmes et s’aider à guérir. Et c’est de cette façon que l’on
peut évoluer, d’un inconnu à l’autre.
Bref, une heure après notre rencontre, nous prîmes une sortie pour la ville de Belle-Rive. Je regardai
l’heure et même si ça m’importait peu, nous devions arriver à destination vers vingt-et-une heure.
Nous nous arrêtâmes à un magasin de bière et le passager semblait tout dicter alors que le conducteur
payait. Pour moi, ce duo était tellement à l’opposé qu’ils se complétaient comme une seule personne
complète avec deux corps et deux personnalités distinctes. Le conducteur quitta le véhicule alors que
j’étais seul avec l’incompréhensible passager.
Il se mit à parler, comme je l’avais prévu. J’ai une bonne capacité, malgré moi, à tourner les sujets de
conversations en profondeur pour en tirer une philosophie. Je me demandais soudainement dans
quelle situation je m’embarquais à tenter de parler d’idées avec un inconnu incompréhensible par
l’état d’ébriété avancé. Même le conducteur, à un certain point, disait ne pas tout comprendre ce que
son ami disait. Pourtant, après seulement quelques minutes, nous parlâmes de liberté en passant par
mon aventure, puis de l’importance des gens qui nous entourent, la compassion, l’entraide, et plus
c’était intéressant, plus ses réponses se clarifiaient. Il était maintenant devenu complètement cohérent
et compréhensible, j’en étais même ébaubi. Il me parlait de ses expériences de sans-abri, de sa
consommation, de ses différentes « jobs », de ses problèmes amoureux qui l’amenaient justement sur
cette route en cette soirée. Donc, si je faisais le lien, ses problèmes d’amour avaient donc une
incidence sur le déroulement de ma quête ? Comme si nous étions liés à quelques parts. Il me
racontait comment il vivait sa vie maintenant, et comment il la voyait dans le futur. J’étais touché de
sentir que malgré les difficultés qu’il avait connues et malgré la méthode qu’il employait pour passer
à travers la vie, il avait une belle grandeur d’âme, il était reconnaissant, il appréciait la vie et surtout
il aimait son prochain qu’il voulait aider, autant qu’il avait été aidé par lui. Je fus impressionné à un
point où je restai sans mots pour un petit moment. Puis, le conducteur revint et aussitôt. L’autre
homme redevint incohérent sur-le-champ, comme si la connexion s’était coupée sur la ligne
téléphonique du gros bon sens.
Nous bûmes une bière ensemble. Alors qu’un était si content d’enfin avoir une bière, je sentais de
l’hésitation de la part de l’autre pour ouvrir la sienne, peut-être encore un peu de culpabilité derrière
le volant. Je pris la parole pour couper ce sentiment. Je lui dis que pour moi, il n’y avait aucune
bonne raison de se sentir coupable ; jamais. Que la culpabilité ne soit que néfaste pour le
développement humain et qu’à la limite où l’on croit faire une erreur, elle est déjà dans le passé, on
ne peut que la corriger ou la laisser aller, mais dans tous les cas, se sentir mal pour elle était
complètement inutile.
Puis, le malaise passa et le conducteur profita de son « drink ». Nous continuâmes la route pour
arriver, ou du moins tenter d’arriver à destination. La musique encore une fois très forte, j’étais bien,
de retour dans ma bulle. Je les entendais discuter, en avant, mais je ne m’attardais pas trop sur le
sujet de discussion. Puis, ils diminuèrent le volume de la musique pour me demander si le « Crack »
me dérangeait.
Je n’étais pas sûr d’avoir bien compris. Je répétai : « Avez-vous dit du Crack?   » Ils répondirent que
si je n’étais pas à l’aise, qu’ils allaient abandonner l’idée. Je continuai à dédramatiser la culpabilité
et j’enchaînai en disant naïvement que je vivais cette aventure dans le but de vivre de nouvelles
expériences et de rencontrer des situations particulières. Nous rîmes un brin pour ce que je venais de
dire. Ils me répondirent : « Pour une première journée, tu es servi ». Je comprenais qu’au fond d’eux-
mêmes, ils étaient grands et voulaient tout de même prendre soin de moi. Encore une fois, ils me
complimentèrent.
En route vers la maison de crack, ils me demandèrent si j’avais déjà essayé cette drogue. Je levai les
yeux vers le ciel, m’excusant au créateur et à ma mère pour la suite de la conversation. « Non, j’ai
jamais essayé. La cocaïne: oui, mais jamais transformé en crack » Ils m’offrirent alors d’essayer plus
tard, car ils voulaient m’en offrir. Pour être complètement honnête avec vous, j’acceptai en
expliquant que je me sentais aventureux dans mon aventure. Je savais, par contre, au fond de moi, que
je devais me battre plus fort contre le complexe de Dieu qui m’habitait ; créé par mon Égo.
Les hommes s’arrêtèrent ensuite à la banque, le conducteur alla chercher l’argent alors qu’il me
semblait, encore une fois, que c’était le passager qui décidait. Puis l’homme revint rapidement à
l’auto. Quelques minutes plus tard, nous étions stationnés devant une maison du quartier malfamé
d’une ville canadienne inconnue. L’homme à ma droite sortie du véhicule pour tituber jusqu’à
l’entrée du bâtiment. J’étais maintenant seul avec l’autre. Il me complimenta sur mon apparence
physique en me signalant qu’il était homosexuel. Je lui racontai alors l’époque où je servais la lutte à
l’homophobie et que c’était une cause qui me tenait vraiment à cœur. J’expliquai donc que les
hommes hétérosexuels avaient un grand pouvoir pour faire bouger les choses dans cette
problématique et que c’était un peu de notre devoir de bien agir. Je lui dis aussi que j’étais
complètement à l’aise avec cela et que ce détail notait drôlement l’apogée des différences entre mes
deux nouveaux compagnons. Il s’excusa encore une fois pour le comportement ivrogne de son ami qui
était saoul depuis trois jours consécutifs. Je répondis aussitôt que je n’étais personne pour le juger et
que j’ai reconnu qu’ils étaient des bonnes âmes malgré tout ce qu’ils pouvaient faire. Que c’était
aussi sa façon à lui de marchander avec les côtés les plus tristes de cette expérience humaine. Je
sentis l’apaisement dans ses yeux.
Il poursuivit en racontant que son ami était dans une relation toxique avec une copine qui lui disait de
partir puis de revenir à tout bout de champ. Je comprenais, car la seule façon que j’avais trouvée
pour ne pas être tenté de revenir vers mon ex-copine, était de partir le plus loin possible. Car des
fois, il faut employer les solutions les plus drastiques pour avoir les meilleurs résultats. Il faut se
juger soi-même, comme si c’était quelqu’un d’autre qui le faisait, et adopter les solutions adéquates,
même si elles font mal sur le coup.
Nous vîmes le troisième membre de notre trio revenir avec un ami pour former un quatuor. Jym
s’installa presque par-dessus moi pour laisser place à cet individu. J’étais un peu coincé, mais le
nouveau passager moustachu avait tout l’espace qu’il voulait. Il était petit ; fin cinquantaine, portait
une casquette, une chemise tachée et un pantalon pyjama de velours à l’effigie du Canadien de
Montréal. C’était mon point d’entrer. Je lui demandai alors s’il était un fan de l’équipe de hockey ;
question d’avoir un point en commun. Il me répondit qu’il ne s’intéressait pas au Hockey, mais que
son pantalon était « goddamn confortable ». Je riais de l’intérieur. Je me demandais s’il était pince-
sans-rire ou seulement drôle à travers son calme et bien malgré lui. Puis, je me mis à penser à
certains de mes amis, quand on allait acheter du cannabis, quand on était plus jeune : aller chercher le
contact, l’amener au vendeur, lui demander de faire la transaction, etc. Je me disais que les personnes
que je côtoyais à l’instant étaient comme si je me voyais, dans le futur, sans jamais vraiment avoir
quitté ces viles habitudes. Cela ne faisait pas nécessairement d’eux de mauvaises personnes, à mes
yeux.
Certaines personnes croient simplement être capables de posséder le moment présent alors qu’ils
sont, en quelque sorte, ancrés dans un futur beaucoup trop proche. Ils y sont presque. La seule
différence étant qu’ils pensent à quelle substance ou à quel effet ils peuvent avoir pour améliorer le
futur proche qu’ils confondent avec le présent. Mais si l’on veut améliorer le moment présent, c’est
que nous ne sommes pas complètement bien ancrés dans celui-ci et le moment présent que l’on
imagine n’est qu’un futur très proche peu probable, car le moment présent est simplement maintenant
et non dans la planification de la prochaine étape. Il ne faut alors que se rendre compte que l’effet
désiré peut être agréable, mais ne change rien à notre perception du moment présent ; leçon qui est si
difficile à apprendre et à conserver.
Nous nous arrêtâmes tout près d’un dépanneur de quartier et je restai seul avec le conducteur du
véhicule, tandis que les autres marchaient vers une maison délabrée. Notre duo était donc mandaté de
trouver une petite pipe en verre pour aider nos amis à se droguer. Toujours pour être honnête, je
croyais également essayer une nouvelle expérience. Nous entrâmes dans le petit magasin, et à ma
grande surprise, c’était tout simplement le royaume de la pipe en verre. Il y en avait des centaines, ce
qui caractérisait le quartier dans lequel nous nous trouvions. Nous cherchions d’arrache-pied ce que
nous voulions, mais sans véritable succès. D'autant plus que je n’étais même pas certain de
l’apparence de l’objet de mes recherches. Du moins, aucune pipe à crack n’apparaissait dans la
vitrine. Mon ami était clairement gêné alors que j’assurais vraiment la situation. Je pris la parole et
tenta de décrire ce que nous cherchions, avec mon anglais cassé et mon accent beaucoup trop
francophone, sans bien évidemment employer le mot crack : « do you have those kind… of …pipe…
but not just for pot…it’s always in glass…with a hole… ». Bref, j’assurais ! Le caissier savait, de
toute façon, de quoi il était question. Il nous tendit la minuscule pipe en verre, en forme de petit tube
ainsi que des petits filtres pour bien s’assurer de ne pas avaler de roche lors de l'utilisation.

Nous allâmes à l’extérieur pour attendre nos compagnons, et ensuite, nous retournâmes chez notre
nouvel ami au pyjama pour qu’ils puissent transformer la cocaïne en crack et y gouter. Je restai dans
le véhicule.
Le temps passait, et je commençais à avoir hâte d’arriver et de dormir, je ne savais encore où. Mon
heure d’arriver s’éloignait de plus en plus de moi et c’était la première nuit que je devais trouver un
endroit où dormir. Je ne savais aucunement comment m’y prendre. Mon ami titubait toujours pour
revenir vers le véhicule puis nous trouvâmes, quelques rues plus loin, un endroit caché pour fumer la
marchandise. Le conducteur émit la remarque que la quantité était minime et que les autres membres
du groupe avaient peut-être un peu trop goûté. Ils fumèrent tout d’un coup, un après l’autre,
intensément, sans vraiment penser à autre chose. Je fus satisfait de ne pas avoir l’occasion d’essayer
finalement. C’était la seule occasion que j’avais, de mon plein gré, d’essayer cette drogue. Les
étoiles n’étaient pas alignées et je réalisai sur-le-champ que je devais me mettre des limites, pour ce
voyage et dans cette vie en général, pour respecter le karma et pour garder mes sens, surtout en début
d’aventure.
Nous étions de retour sur la route depuis vingt minutes et les deux hommes discutaient encore sans
vraiment attirer mon attention sur le sujet de conversation. Le passager se tourna vers Eva, Jym et moi
pour nous proposer un plan. Ils voulaient aller me porter trente minutes plus loin que leur destination
dans un refuge pour sans-abri à Oshawa. Je n’étais pas si chaud à l’idée parce qu’à la première
pensée, je n’avais jamais vraiment réfléchi à tenter ma chance dans ce genre d’établissement. Mais
comme mes seules préoccupations seraient résolues subitement, j’acceptai volontiers. Encore une
fois, je soulignai leur bonté de cœur et ils me retournèrent les compliments. Ils s’échangèrent une
dernière fois le pipe rapidement pour terminer la marchandise qu’ils avaient surpayée. Il ne restait
plus rien, à la grande déception de ces deux camarades. Je les entendis dire qu’ils voulaient en
acheter de nouveau et ils me demandèrent si ça me dérangeait de retourner refaire l’aventure avec
notre ami en pyjama. Je n’imagine pas une raison valable pour refuser cela à des gens qui m’offraient
tellement. J’acceptai, et nous rebroussâmes chemin pour retourner voir notre ami moustachu. Pour
moi, le temps n’était plus un problème, je leur faisais confiance, et j’avais maintenant un endroit où
dormir.
Nous nous rendîmes chez le drôle de personnage. En route, je me disais bien heureux que la vie m’ait
empêché de gouter au crack. Je roulai un joint de cannabis à la santé de mes deux amis de début de
journée qui m’en avait donné un peu. Puis l’allumai, le passant à mes amis comme la tradition le veut
bien. J’étais bien. Le pot était d’excellente qualité et, mélangé avec la fatigue, j’avais le gout de rire.
Arrivé chez l’individu, je le voyais avancer vers la voiture, un peu contrarié cette fois-ci. Il portait
un jeans, peut-être s’ennuyait-il déjà de son pantalon pyjama des Habs. Il insulta pacifiquement la
persévérance de son ami face à l’obtention de la marchandise. J’avais déjà de la difficulté à retenir
mes rires en voyant le visage nonchalant de l’homme caché derrière sa moustache. Par contre, je
sentais que lui aussi était dans le coup pour encore une fois « gouter la marchandise ». Nous fîmes le
même chemin, nous arrêtâmes au même dépanneur. Puis, l’homme sortit du véhicule avant de
s’exclamer un peu désabusé par ses nombreuses expériences de vie : « Faites quelque chose les gars,
c’est pas pour moi, mais ça l’air pas mal louche de rester encore ici ». Ensuite, il disparut au loin. Je
n’étais pas capable de discerner s’il était sérieux ou si c’était encore une fois un genre d’humour,
mais je n’étais plus capable d’arrêter de rire. Beaucoup de gens tentent trop souvent de forcer leur
humour, alors que lui l’avait complètement naturellement.
C’était un faux déjà-vu ; mêmes interactions, mêmes attentes. Par contre, cette fois-ci, l’homme revint
avec les mains vides. Il s’excusa, le vendeur avait déjà tout vendu son produit. Pour ma part, j’étais
satisfait de ne pas avoir à lutter contre mon complexe de dieu devant une substance plus qu’intrigante.
Nous repartîmes les mains vides. Le passager proposa aussitôt un plan de rechange, celui d’aller
boire une bière dans un bar ce que nous fîmes, quelques sorties d’autoroute plus loin.
Nous étions assis dans le bar, et les deux quinquagénaires s’excusaient pour le manque flagrant de
crack qu’ils auraient voulu partager. Je regardais tout autour de moi. Nous étions dans un bar sportif
classique et la serveuse était magnifique. Enfin un peu de civilisation pour ma première journée sur la
route. Même si tout le monde pouvait remarquer le visage et l’état avancé de l’un des deux hommes
qui m’accompagnaient. Il se leva soudainement et alla voir un groupe d’hommes qu’il semblait
connaître. Je l’entendais magouiller justement.
Bière bue, facture réglée, je pratiquai la chasse au contact visuel avec la serveuse, et nous partîmes
sur-le-champ. Dans l’auto, j’appris que mon ami avait réussi à trouver de la cocaïne parmi le groupe
d’hommes avec qui il discutait. Nous devions donc rebrousser chemin pour une deuxième fois pour
retourner voir notre ingénieur à la transformation du produit. Le passager sorti du véhicule pour se
rendre chez l’homme, alors que je restai seul avec le conducteur qui commença à se confier. Il me dit
qu’il avait déjà dépensé plusieurs centaines de dollars depuis mon arrivée et qu’il espérait
grandement que son ami allait avoir assez de contrôle de soi pour amener la drogue dans l’auto et de
ne pas être trop gourmand dans sa dégustation, mais ses espoirs étaient vains. Il prit plusieurs
dizaines de minutes à revenir au véhicule. Le conducteur commenta la petite quantité de drogue
restante, cette fois-ci, il était un peu plus agité. Il y en avait encore moins que la dernière fois. Nous
bougeâmes de quelques coins de rue pour se délecter de ce doux crack. Les hommes s’exclamèrent,
de plus, qu’ils devaient en garder pour moi cette fois-ci avant de fumer avec émotions. Je restai
silencieux et perplexe. Les deux gaillards fumaient, encore une fois, frénétiquement. Eva me signala
qu’ils ne pensaient qu’à avoir le plus de fumée dans leurs poumons pour sentir le plus de satisfaction
dans leur insatisfaction. Je les voyais échanger la pipe comme si, sur le moment, c’était le seul objet
important sur la planète. Puis, il ne resta plus rien. Le conducteur s’excusa encore de ne pas m’avoir
initié au crack alors que j’étais toujours secrètement soulagé. Je me répétai que je ne voudrai plus
jamais briser cette limite que je venais de m’imposer par rapport à mes consommations.
Le conducteur se mit à dire qu’il ne voulait pas me quitter, que j’étais agréable et réconfortant. Je
leur disais que le futur pouvait nous réserver des surprises, que chaque moment est unique et spécial,
car quoi qu’il arrive, il ne se répètera jamais. Il faut donc tous les savourer et les chérir. Nous en
étions tous joyeux.
Tout au long du trajet, depuis quelques heures, la copine du passager tentait de joindre son conjoint
sur le téléphone du conducteur, mais sans succès. Les deux hommes voulaient éviter le conflit, car
elle voulait le voir, mais sobre. Juste avant d’arriver à Oshawa, au refuge Cornerstone, ils
répondirent aux appels incessants de la dame. Il était déjà passé minuit et elle s’attendait à voir son
homme plus tôt dans la soirée et surtout sobre. L’interlocutrice était très fâchée. Les deux hommes
décidèrent, comme si tout était normal, de terminer notre quête et de rebrousser complètement le
chemin vers Ottawa. Nous nous rendîmes au refuge. Le passager me fit de très beaux compliments
alors que l’autre ami m’accompagna à l’intérieur. Nous échangeâmes des mots sincères, nos
informations puis une accolade. Il avait maintenant les yeux d’un rouge différent. Puis, il me dit qu’il
allait se souvenir de moi. C’était déjà toute une première journée de voyage qui prenait fin.
Au refuge, j’attendis deux autres heures pour un lit. Tout le monde était sympathique, mais me
suggérait de protéger mon sac, car les gens se volaient entre eux. Il y avait un peu de méfiance dans
l’air, je remarquai que personne ne se parlait vraiment. Par contre, même si j’avais enfin du temps
seul, tout le monde qui passait par là venait me demander mon histoire et semblait m’apprécier pour
mon parler et mon authenticité. Je sentais que j’attirais à faire sortir les bonnes énergies, même au
petit matin.
Je pensai également à la journée que je venais de vivre. J’avais l’impression que la vie voulait me
faire expérimenter quelque chose qui n’était pas commun, dans le but de me montrer que si tout se
déroulait bien lors d’une première journée spéciale comme celle-là, j’allais premièrement en voir de
toutes les couleurs, mais aussi, j’allais être protégé du mauvais sort, et j’allais être bien. Je sentais le
réconfort s’emparer de moi, tout en appréhendant la prochaine journée avec impatience. J’installai
enfin Jym sur un lit du haut d’un lit à deux étages d’un grand dortoir et je m’endormis en cuillère avec
lui.
Chapitre 3
As the journey begins

7 août 2017

Au petit matin d’une nuit trop courte, j’étais déjà pressé de repartir vers l’aventure. L’endroit était
généreux et les travailleurs forts empathiques. Mais ce n’était clairement pas dans mes intentions de
m’y éterniser, même si j’avais la chance de profiter d’un déjeuner gratuit. J’étais simplement dans
une ville aléatoire qui venait de faire son apparition sur mon chemin vers l’illumination. La beauté de
la chose était que Jym était déjà prêt à partir ; aucun préparatif n’était nécessaire pendant qu’Eva
prenait le temps de bien se réveiller. Je mis mon sac sur mes épaules, me dirigeai vers la porte de
sortie en remerciant les travailleurs de m’avoir hébergé, et je sortis, tombant nez à nez avec la pluie.
Il n’y avait qu’une petite pluie fine qui me faisait quand même hésiter à me chercher un toit pour un
court moment, revenir sur mes pas ou continuer ma route avec précautions. Dans tous les cas, je
devais rester à l’affut de la nature. J’avais déjà très mal aux pieds considérant mes deux dernières
journées actives et je devais boiter pour avancer. Je m’abritai sous un arbre, non loin d’où j’étais,
dans un parc d’Oshawa, où je m’assis, imitant le lotus du mieux que je pouvais ; mains sur les
genoux, paumes vers le ciel, et fermai les yeux. On a tous besoin de faire ou d’avoir certaines choses
pour être bien pour un moment. Pour ma part, j’ai seulement besoin de fermer les yeux et d’être.
Comme l’énergie pure n’est ni négative ni positive, mais que nous en sommes le transformateur, il
était temps pour moi d’augmenter la fréquence de mes vibrations pour bien débuter la journée. Vingt
minutes plus tard, la pluie diminua. Je pris le temps de chercher un Tim Horton’s dans mon GPS et je
choisis le premier de la liste à deux kilomètres de distance. Malgré la douleur aux pieds, je me
dirigeai, sans lever le pouce, vers cette destination.
Rendu à la franchise en question, je commandai un café et un croissant, petit cadeau de la part de
Maman qui voulait me suivre partout à distance. Mon attention fut détournée par un homme, plus petit
que moi, qui me fixait. Même si je n’étais pas habitué, il faut dire que Jym aimait beaucoup faire
tourner les têtes en raison de sa carrure et de sa prestance. L’homme avait environ cinquante-cinq ans
; une petite bedaine, il portait des bijoux faits à la main, un t-shirt, un chapeau d’aventurier et tenait
une grande plume. Il me dit qu’il avait reconnu mon cristal de quartz et qu’il aimerait bien me parler.
Il m’invita où il était assis, il avait des coffres de bijoux sur sa table. Je lui dis que j’avais
absolument besoin de la prise de courant à ma table. Il alla donc chercher ses choses pour s’asseoir
avec moi.
Je regardais au loin et il rangeait ses coffres remplis de bijoux. Il vint me voir et me parla de ses
bijoux, des couleurs, des matériaux naturels, de leur signification. Je sentais qu’il voulait me vendre
des choses, et je n’étais pas du tout intéressé. Je lui parlai donc d’Eva. Il fut surpris que j’aie
quelques connaissances à propos des différents cristaux et que je partageais ses croyances. Je lui dis,
par contre, que je respectais vraiment ce qu’il faisait et son temps, mais que je n’avais certainement
pas d’argent à lui donner pour de nouveaux bijoux. Il rangea ses coffres. L’homme resta à ma table.
Je le regardai et il me regarda. Il se présenta comme étant un shaman-guérisseur provenant d’une tribu
micmac. La distance entre lui et moi se transforma en un intérêt profond. Il continua : « Je sens que tu
as une belle âme, une vieille âme. Que tu as la capacité de faire du bien autour de toi et que c’est une
qualité d’une âme de guérisseur ». Je commençai à réfléchir sur l’effet que j’avais sur mon entourage
alors qu’il s’arrêta derrière un silence où ma curiosité pataugeait allégrement. Puis : « Je sens que tu
es blessé, aussi ; une femme peut-être ? Mais tu n’as besoin que de temps, tu es fort ». J’étais
conscient que ses mots auraient pu être pris par n’importe qui, mais je sentais que l’énergie qu’il me
communiquait était si personnelle que je lui racontai mon histoire.
Je lui racontai mon histoire et il me raconta la sienne. Deux histoires similaires, deux femmes
aimantes, mais tourmentées qui ne devaient régler que quelques démons intérieurs. Mais qui peut
affirmer qu’il n’en possède aucun ? Et deux hommes assoiffés d’amour et de volonté d’aider, qui ont
été sûrs de faire les choses de la bonne façon, sans trop calibrer leurs attentes précises en fonction
des difficultés de l’autre à aimer. Nous vibrâmes de plus en plus à une fréquence semblable ; nous
nous comprenions.
La conversation s’étendit sur deux bonnes heures. Je ne remarquai même pas si le temps changeait à
l’intérieur. J’avais l’impression que la vie avait mis cet homme sur ma route et que quand le temps
sera venu de continuer mon chemin, la météo sera clémente. Il me raconta son cheminement entre les
arts martiaux, la philosophie, les religions pour enfin trouver sa voie vers le créateur, cette force
d’énergie divine qui coule en tout et qui caractérise l’amour. Ses croyances s’emboitaient
parfaitement dans les miennes. Nous échangeâmes. Il me fit réfléchir et je réussis à le faire réfléchir à
mon tour. Nous parlâmes de différentes mythologies, alors que lui en suivait une en particulier, moi je
mettais tout ce que j’avais appris de chacune d’entre elles, pour y faire un tout et réfléchir clairement
à la création de l’homme et à sa raison d’être. Il fit avancer mon processus de réflexion concernant
l’orientation et l’identité sexuelle par exemple. Car tout le monde possède un côté masculin et
féminin, en évoluant, l’âme tente d’unifier les deux parties complémentaires alors que notre cerveau
interprète l’unification de ses deux hémisphères comme une situation anormale, car le système social
nous apprend à le faire. Mais si nous voulons évoluer vers une forme divine, nous devons unifier ces
deux parties de nous pour en faire un tout complémentaire et non deux opposés. C’est pourquoi, l’âme
décide de se réincarner pour expérimenter cette unique situation, quand le côté physique, pris entre
l’âme et le cerveau, doit tenter de faire personnellement la part des choses. Pour lui, l'actualité était
simplement un signe de plus qui prouve que notre évolution est plus avancée que jamais et surtout en
lien avec l’unification des genres. Pour ma part, j’étais touché. J’avais une pensée pour Eva qui me
rappelait depuis plus d’une décennie que j’avais un côté féminin très développé et que je ne devais
pas en avoir peur, malgré le jugement des autres.
Puis nous revenions à nos histoires d’amour. Des fois, j’étais même ému. D’autres fois, c’était à son
tour. Au départ, j’avais peur que mon voyage soit dépourvu de sens, mais ce n’était que mon
deuxième matin et on m’avait déjà prouvé le contraire. Nous nous échangions respect, fraternité et
amour, d’un inconnu à l’autre. Je le remerciai, car je sentais la guérison faire un bout de chemin à
l’intérieur de moi et il me retourna le commentaire. Je me dis que je devais être plus conscient de ce
genre d’effet que je pouvais avoir sur les gens que je rencontrais ; guérir seulement par mes mots, par
ma présence, sans vraiment vouloir le faire.
En discutant, il faisait valser sa plume d’aigle entre lui et moi. Le Shaman fouilla dans une boîte et
me donna un collier de bois, brun et jaune ; un collier de guérison avec une dent de buffle. Je l'enfilai
sur-le-champ.
Deux heures après le début de la conversation, je sentais le gout de l’aventure me ramener vers mon
voyage. Je me levai, regardai Jym, puis je regardai dehors, une pluie torrentielle s’abattait. Je
regardai ensuite vers Eva qui me fixait fortement, sans dire un mot, elle pinçait ses lèvres et me fit un
signe négatif, pivotant doucement sa tête de gauche à droite. Elle me dit d’attendre juste un peu
encore, que la pluie allait bientôt cesser. Je me rassis. Nous continuâmes à discuter de tout ce qui
nous intéressait. Un moment, il me demanda ce que je ressentais à propos d’un parfait inconnu qui
passait, pour tester mes capacités sensorielles. À un autre, il me dit de bien nettoyer mon quartz avec
de l’eau d’un coure d’eau et de le laisser s’énergiser au soleil pour lui donner de la force. Il s’arrêta
et agita encore une fois sa plume devant moi : « Tu es sur le bon chemin mon ami, un chemin parsemé
d’embuches, mais vers l’accomplissement de soi. Chéris chaque moment et prends les bonnes
décisions. Tu rencontreras des guides, écoute-les. Si tu vois un autre Shaman, prend du tabac et
donne-lui de ta main gauche, il te reconnaitra. Je vois aussi un guide Shaolin ou taoïste. Il t’apportera
un enseignement, ce n’est pas clair, mais je vois quelque chose dans ce sens où tu apprendras. Puis un
ou plusieurs hippies ; des tatouages, des vêtements amples, qui vont t’apporter plus d’amour que de
sagesse. C’est ce que tu as besoin de connaître actuellement. Écoute ce qui passe dans ta vie. Je vois
aussi une femme, que tu trouveras belle, mais avec qui tu connecteras au-delà de l’apparence
physique ; tu l’aimeras sincèrement ». Toute l’information était excitante, mais difficile à avaler. Au
moment où il me parlait de rencontrer une femme, je me disais qu’avec ce que je venais de vivre, il
était plus qu’impossible de même juste penser à être en amour ou à m’investir avec une femme pour
le moment. Je devais reconstruire complètement une vie, j’avais d’autres priorités en tête. J’étais
perplexe. Je regardai à l’extérieur, la pluie avait cessé. Nous nous échangeâmes une poignée d’avant-
bras, puis je quittai, sur ces mots, prêt à relever de nouveaux défis.
Je marchai vers la bretelle d’autoroute à quelques kilomètres et j’essayais de contacter mes amis,
surexcité de l’expérience que je venais de vivre à Oshawa, mais Eva me disait de garder le tout pour
moi, pour vivre l’expérience en premier et ensuite la raconter. Je ne l’écoutai qu’à moitié, mené par
l’excitation qui transcendait mon intuition. Arrivé plus loin, près de la bretelle de l'autoroute 2, une
pluie très fine commença à tomber de nouveau. Je levai le pouce et presque instantanément, une
voiture s’arrêta.
Un jeune homme de 21 ans était dans la petite voiture bleue. Il paraissait un peu plus vieux en raison
de sa carrure imposante. Il souriait. Il sentait le jeune homme sympathique, quoiqu’un peu naïf. Sur ce
coup-ci, en tant qu’aîné, je pouvais lui apporter mes idées. Il me confia que c’était la première fois
qu’il s’arrêtait pour un autostoppeur. Je le rassurai en blaguant qu’il était alors chanceux d'être tombé
sur moi. Nous étions à trente minutes de Toronto et je lui disais que je n’aimais pas l’énergie des
grandes villes. Il me répondit qu’il était seulement dans le secteur pour des études en génie civil.
Ravi qu'il partage, j'enchaînai en disant que c’était vraiment un domaine honorable et que je lui
souhaitais la meilleure des chances. Je mentionnai qu'il ne fallait juste pas tomber dans le piège de
sacrifier les autres choses importantes de la vie pour être l’esclave d’une carrière sans fin. Le
moment présent, les gens qu’on aime ou s’instruire étaient toutes des choses aussi nobles que de
gagner sa vie. La conversation fut réconfortante au beau milieu du trafic de Toronto. Je lui dis, aussi,
que l’ingénierie était grande, car c’était un domaine d’idées et que pour le moment, le modèle de
travail ne permettait plus ou moins aux gens de notre génération de s’exprimer, mais qu’avec un peu
de patience, son tour viendra où il devra développer des idées au nom du bien commun. Car c’était
en quelque sorte le rôle de notre génération ; pas maintenant, mais bientôt...
Il était maintenant le temps de laisser le jeune homme voler de ses propres ailes. Après avoir cherché
durant plus d’une dizaine de minutes une bonne place pour me laisser aller, il me laissa près d’une
bretelle d’autoroute. Mon complexe de dieu, encouragé par ma formidable journée de la veille, me
poussa à descendre la bretelle pour me retrouver sous un viaduc directement sur la grande route 407,
pour continuer mon périple vers l’ouest.
À bien y repenser, j’étais mal placé, car, un kilomètre plus loin, la voie se séparait en deux chemins
différents et ça donnait une excuse aux automobilistes pour hésiter. De plus, j’étais dans une grande
ville. Je restai une bonne heure à cet endroit, le pouce au vent. Eva était aux aguets à l’idée de voir
passer les forces de la « justice » tandis que Jym montrait fièrement mon Anahata à tous ceux qui
passaient. J’eus l’idée de mettre mes écouteurs pour faire passer le temps plus rapidement et écouter
de la musique. Tout allait être beau. J’insérai le dispositif dans mes oreilles, j’attendis environ une
minute pour réaliser que je ne pouvais pas bien avancer comme cela. Je me devais de tout entendre,
d’être alerte, car même si Eva faisait bien son travail, j’avais besoin de mes cinq sens, en parfaite
harmonie, pour vivre ce mode de vie. Je rangeai alors mes écouteurs par la suite.
Je chassais le contact visuel avec tous les conducteurs qui passaient rapidement. Tout le monde avait
des réactions différentes. Certains m’ignoraient. Certains s’excusaient. Certains jugeaient et d’autres
se justifiaient dans un semblant de langage de signe improvisé. Certains étaient même agréables et
m’envoyaient de l’énergie positive en criant ou en souriant. Je leur répondais avec un grand sourire.
Pour moi, il n’était pas question de positif ou de négatif. J’étais sur le bord de l’autoroute et mon
pouce levé envoyait une question : « Est-ce que je peux monter avec vous ? » Et si la réponse était :
non ; pour moi, c’était totalement légitime.
Ce n’est qu’un peu plus tard qu’une famille indienne chrétienne s’arrêta pour me faire monter.
Beaucoup de gens peuvent critiquer les décisions politiques ou encore le jugement de certains
groupes religieux, n’empêche que beaucoup de pratiquants sont ouverts à l’idée d’aider son prochain.
Et ces personnes, particulièrement, d'un inconnu à l'autre, ne voulaient que m’aider.
Nous discutâmes pour nous apercevoir qu’ils n’allaient pas dans la même direction que j’allais, mais
ils m’offrirent d’aller me porter plus loin que l’embranchement qui séparaient nos routes pour
s’assurer que mon prochain covoiturage allait être le bon. J’étais assis en avant, le fils aîné
conduisait, la mère était à l’arrière avec deux enfants. Plus j’avançais en Ontario et plus je réalisais
que la majorité des gens étaient fiers de la culture francophone de leur pays qu’ils prenaient comme
une partie de leur propre culture. Qu’ils en soient proches où loin, ils la chérissaient comme une
partie d’eux-mêmes. Je me questionnais à savoir si l’espèce de dualité: anglais/français n’était pas
suralimentée principalement au Québec. Les gens, qui connaissaient même si peu le français, tentaient
leur chance avec moi, seulement pour échanger, et c’était réconfortant. Les gentils samaritains me
proposèrent de la nourriture ainsi que des bouteilles d’eau que j’acceptai volontiers, puis partirent.
Ce fût bref, mais une complète bénédiction.
J’étais directement entre les deux voies qui séparaient nos chemins, toujours sur l’autoroute. Le
pouce en l’air, c’était seulement ma deuxième journée et je sentais que plus rien ne pouvait m’arrêter.
Je commençais à avoir une petite fringale. Je demandai à Jym de me donner un paquet de noix, et en
me retournant vers la route, deux voitures de police se stationnèrent tout juste à côté de moi. Je ne
m’étendrai pas sur le sujet, mais je ne comprendrai jamais pourquoi les agents de la « paix » se
doivent d’être antipathiques à ce point. Car il existe surement un moyen, j’en suis convaincu, pour ne
pas être empathique, sans vraiment tomber dans l’antipathie désagréable. Un jeune agent m’adressa la
parole et je jouai au Canadien français stupide pour de ne pas recevoir une contravention aussi tôt
dans mon aventure. Et mon piètre jeu d’acteur fonctionna. L’agent me dit froidement d’aller plus loin,
pour monter la sortie la plus proche, parce qu’il ne voulait pas avoir à ramasser mon cadavre sur la
route ; sympathique ! Il me conseilla de faire quelque chose d’autre de mon temps et m’ajouta de ne
pas demander de transport ou d’argent aux gens, car c’était interdit par la loi. Je croyais à la logique
de son discours, mais tout en m’éloignant, je me demandais ; pourquoi était-il obligé d’avoir une
attitude condescendante qui me plaçait dans une position où je me devais d'être inférieur à lui. Nous
étions deux citoyens et surtout deux humains après tout. C’était tout de même de ma faute, j’étais dans
l’illégalité et je l’assumais humblement. Par contre, depuis mon départ, j’avais déjà rencontré
quelques âmes charitables, alors que les seuls qui ne m’encourageraient pas, d’après le
fonctionnement de leur institution, étaient les forces de la « justice ». Comme si ma liberté dépendait
d’eux et qu’ils le savaient très bien, m’interdisant d’aller vers un autre être humain pour demander un
covoiturage ou encore d’aller dormir dans la nature sur un pays qui soi-disant m’appartenait. Sorti de
l’autoroute, je voulus écouler un peu de temps. J’allai donc acheter des légumes.
En route, je rencontrai un couple sans-abri qui mendiait. Nous échangeâmes brièvement quelques
mots et ils me comprenaient, ils me respectaient. Je passai moi-même au-delà de leur mode de vie
pour m’apercevoir qu’ils s’exprimaient bien et que c’était seulement une autre façon de vivre. Puis,
en m’éloignant d’eux, je réalisai subitement que j’étais, moi aussi, un sans-abri.
Je revins très près d’où j’étais, sur le bord de la sortie d’autoroute, mais à un endroit où j’avais le
droit d’exister et d’être respecté. J’étais très gêné de lever le pouce, car je ne voulais aucunement
revoir le même policier pratiquement au même endroit. Après environ trente minutes, un pick-up
s’arrêta. Il me dit de déposer Jym dans la boîte du véhicule. C’était la première fois que je
l’abandonnais pour entrer seul dans l’habitacle du camion. L’homme était dans la quarantaine,
cheveux rasés, de bonnes épaules et portait un chandail gris. Nous nous présentâmes et je sentis tout
d’abord qu’il était doux. Sans attendre, il s’ouvrit à moi comme si son âme avait déjà reconnu la
mienne. Il me dit qu’il revenait tout juste de l’hôpital et que sa fille de dix-huit ans venait de tenter,
pour la troisième fois, de s’enlever la vie et que c’était en raison d’un garçon. Il n’était pas question
pour moi d’embarquer dans un discours de haine face à ce jeune homme, car la haine est en tout
temps inutile. Au contraire, je lui parlai d’amour avec un grand A. Nous parlâmes des difficultés à se
forger et à se transformer à l’adolescence et de la fausse idée de l’importance, pour une jeune femme,
de trouver un prince charmant qui changera sa vie, le plus tôt possible. Je lui dis, aussi, que tôt ou
tard, il faut être capable de faire la différence entre l’amour amoureux et le vrai amour ; celui que
l’on peut puiser partout autour de nous, dans la nature et à travers les gens qui nous entourent. Il me
confia qu’il aimait tant sa femme, qu’il lui avait proposé d’aller dans une retraite pour la fin de
semaine, pour faire le vide sur la situation, alors qu’il prenait les choses en mains à lui seul. Il aimait
ses enfants avec un amour si beau, qu’il ne pourrait jamais le comparer. Et je lui confiai, à mon tour,
que j’étais sur la route pour comprendre, donner et recevoir l’amour, dans la plus pure de ses formes,
d’un inconnu à l’autre.
Nous continuâmes et l’homme me raconta comment il avait réussi, au coure sa vie, à apprivoiser
l’amour. Dès son tout jeune âge, il avait vécu dans un quartier défavorisé, et s’était affilié à des
« gangs de rues » pour arriver à survivre. Il avait été attaqué plusieurs fois, poignardé à plusieurs
reprises, assez pour développer un syndrome post-traumatique face à n’importe quelle personne qui
l’approchait. Il ne pouvait plus faire confiance et ça le poussait à avoir des réactions méchantes avec
tout le monde. L’homme me racontait son histoire, et pourtant, sa douceur ne collait aucunement avec
le type qu’il me décrivait. C’était une bénédiction d’être témoin d’un changement aussi divin chez
quelqu’un. Il me dit qu’il eut des enfants quand il était assez jeune et qu’il avait réfléchi à
l’atmosphère dans laquelle il voulait élever ses enfants, ce qui l’amena en thérapie pour entreprendre
une transformation personnelle. Il ne voulait qu’être une meilleure personne pour sa famille, mais
aussi pour lui-même. Les différentes séances thérapeutiques aidèrent cette âme charitable à s’ouvrir à
la vie, à lui faire confiance, pour mieux s’aimer soi-même et ainsi mieux aimer les autres. Il avait
appris à bien s’entourer pour bâtir une relation de confiance avec les autres et que pour se faire, il
devait tout d’abord donner, pour mieux recevoir. Que c’était du donnant-donnant. J’étais ému d’être
témoin de cette sagesse acquise par épreuve et douleur. Je me disais que l’épreuve n’était pas
terminée, même s’il méritait du repos à mon avis, car il en vivait encore une à l’heure où l’on se
parlait. Mais le karma n’a rien à voir avec punir ou mériter, il n’est qu’un professeur qui veut nous
apprendre des leçons au moment opportun, pour notre propre évolution.
Nous continuâmes à parler de la société en général, de politique, du marché du travail, puis, après un
moment, c’était le temps de se dire adieu. C’était beau de réaliser à quel point deux inconnus, qui
mettent leur égo de côté, peuvent se reconnaître et échanger d’une âme à l’autre, à travers leurs
armures organiques. Je sortis du véhicule et je sentis la fébrilité qui planait dans l’atmosphère pour
s’emparer de nous. J’allais le laisser seul avec ses pensées, et la situation pouvait devenir une
malédiction comme une bénédiction pour lui. Je lui dis : « Je sens que les problèmes vont bientôt se
terminer pour toi, restes fort. Montre à ta fille ce qu’est le vrai amour, celui d’un père envers sa fille.
Montre-lui que cet amour est plus fort que l’amour amoureux d’adolescent et qu’elle peut s’en nourrir
pour devenir plus forte. Puis, donne-lui encore plus d’amour ». Il me remercia grandement pour cette
conversation. Je récupérai Jym qui était sain et sauf après son périple dans le vent. Je levai à nouveau
le pouce, et quelqu’un, dans un stationnement, me klaxonna aussitôt pour attirer mon attention.
J’embarquai dans le véhicule où un couple quinquagénaire, aimable et aimant, m’attendait. Ils
venaient de laisser leur fils à l’aéroport, car il travaillait en chine depuis quelques années, et ils
étaient en visite jusqu’à aujourd’hui. C’est pourquoi je ressentis un mélange de fierté et de tristesse
en entrant dans le véhicule. Le couple se dirigeait vers la petite ville d’Owens Sound à trois heures
de route, seulement une heure avant la péninsule de Bruce, celle que je voulais aller visiter d’ici
quelques jours en passant par là. C’était déjà l’après-midi et Eva, Jym et moi étions contents d’être
ensemble, à l’arrière du véhicule.
Le couple et moi parlâmes de leur famille et de la mienne, du Québec et de l’Ontario, de tout ce qui
pouvait nous unir. Ce fut de belles heures en bonne compagnie, sans trop se creuser les méninges.
Mon esprit était mitigé entre arriver rapidement à destination ou profiter du confort de leur véhicule
et de la banquette arrière pour enfin me reposer et oublier l’espace-temps de mon périple. Mais
comme toutes bonnes choses ont une fin, quelques heures plus tard, nous étions déjà arrivés à la porte
de la ville d’Owen’s Sound. Je les remerciai et sortis profiter de cette magnifique petite ville, en son
cœur.
La voiture du couple s’éloignait tranquillement et je me mis à marcher pour trouver un endroit où je
pouvais trouver des informations sur la ville, trouver un toit pour la nuit, recharger mon téléphone,
me ressourcer et continuer mon périple. Tout était fermé, un lundi. Je me souvins alors que le couple
bien aimable m’avait signalé que c’était une journée fériée nationale ce jour-là, mais rien de spécial
ne se déroulait. Le seul établissement qui était ouvert était le bar de quartier et il semblait y avoir un
peu de vie à l’intérieur. J’entrai dans l’établissement, et demanda à la jolie barmaid si je pouvais
charger mon téléphone. En quelques secondes, elle se tourna pour sortir la barre de prises électriques
sur le comptoir. Quand elle se retourna vers moi, j'avais disparu.
Un petit homme, assis de l’autre côté du bar, m’avait fait signe de m’approcher pour me demander où
je voyageais. L’homme était petit, frêle, mais raide. Il avait le teint basané, il semblait solide, mais
détendu et souriait à chaque moment qu’il pouvait respirer. La même réponse sortit de ma bouche
aussitôt : « I don ’t know ». Il me sourit de fierté et me dit que c’était de cette façon que je devais le
faire. Il continua : il avait fait six fois ce que je faisais et j’en étais impressionné. Je lui demandai
comment il avait trouvé le Québec ainsi que Montréal. Tout simplement « crazy » me répondit-il.
Pour les voyageurs, Montréal est une ville vivante, explosive. Une ville où il fait bon s’y retrouver
pour faire la fête. Les Québécois sont alors vus comme des gens expressifs, charismatiques, qui
aiment bien boire et faire la fête. Il me dit de ne pas m’inquiéter, qu’il allait s’occuper de moi ce
soir, car dans ma situation, il devait tout me donner comme d’autres lui ont tout donné quand il était à
ma place. C’était seulement ma deuxième journée, mais je croyais comprendre ce qu’il me disait.
Mais, j’étais loin de comprendre que j’allais recevoir tellement de compassions dans les prochaines
semaines, que je me devais un jour d’en donner autant. Le jeune homme commanda deux bières et me
demanda si j’avais besoin de quelque chose. Je lui dis : « veux-tu fumer un joint ? » Puis je
m’installai, à une table dans un des coins de l’établissement, pour rouler une cigarette de cannabis.
Nous allâmes à l’extérieur du bar pour fumer, alors que je remarquai qu’il était, de toute évidence, du
coin, car il connaissait à peu près tout le monde que nous croisions et les abordait sans gêne. Il était
heureux et je l’étais aussi. Il voulait connaître mon histoire et m’aider, et je voulais connaître la
sienne. Il me dit qu’il était un peu déçu d’avoir le pied à terre, car il s’ennuyait de ce mode de vie,
mais qu’il faut malheureusement travailler dans la vie pour s’insérer dans la société, et qu’Owen’s
Sound était une belle ville pour le faire. J’étais d’accord. Il me donna quelques conseils sur ma façon
de voyager et j’étais tout ouïe à ce genre de transfert de sagesse. Il me dit, par exemple, qu’en dernier
recours, les meilleures places où je pouvais dormir étaient dans les autos débarrées ou encore mieux
dans les bateaux. Et que si je ne volais ou ne détruisais rien, les gens allaient être contrariés, mais
habituellement, ils n’allaient seulement que me demander de partir. Que c’était une question de
respect mutuel. Je réalisai que nous ne vivions pas dans le même univers lui et moi, mais que je
devais intégrer davantage le sien pour les prochaines semaines. C’est pourquoi je notai ces paroles
dans ma mémoire, de façon à pouvoir me souvenir de tous ses précieux conseils. Moi qui ai toujours
eu peur de déranger les autres, je devais me mettre dans un état d’esprit où dormir serait ma priorité
avant tout. Ce passage de connaissance était tout simplement le plus beau cadeau qu’il pouvait me
faire, car je grandissais et je m’adaptais.
Nous entrâmes après avoir fumé allégrement et retrouvâmes Jym qui essayait de séduire Automne, la
jolie serveuse, juste à côté de nos bières pleines à craquer. À ma grande surprise, il alla vers le
comptoir et commanda deux autres bières aussitôt. Il répéta aussi que s’il pouvait faire quelque chose
pour moi, je n’avais qu’à le demander, et il allait m’aider tout simplement. J’étais choyé. Je lui
demandai s’il connaissait une bonne place où je pouvais dormir. C’était ma deuxième journée, le
soleil se couchait et je réalisais que me lever au matin sans savoir où j’allais dormir pouvait être un
plus gros défi que prévu. Il me dit de ne pas m’en faire, qu’il voulait déjà me laisser placer ma tente
dans sa cour arrière. Un poids venait de s’arracher de sur mes épaules, alors que je réalisai que
j’étais déjà au beau milieu de ma deuxième bière ; je buvais rapidement.
Un autre homme se joint à nous, enthousiaste. Il demanda à mon ami basané si nous voulions jouer au
billard. J’acceptai volontiers, ayant une belle pensée pour mon père, avec qui j’adore jouer à ce jeu.
Je fermai les yeux quelques secondes pour lui envoyer une petite prière télépathique. Je demandai
aux deux hommes de commencer pour prendre part à la prochaine partie.
Le nouvel arrivant était le stéréotype même du Canadien anglais un peu « redneck ». Il avait une
petite bedaine cultivée par la bière et bordée par un coton ouaté bourgogne rappelant qu’il était au
Canada. Il portait une casquette type camouflage qui cachait partiellement sa calvitie partielle. Son
sourire était si énergique que je compris pourquoi ses quatre dents supérieures avaient décidé de se
faire la malle. Il s’exclama : « Hi my name’s Andy and my wife’s name’s Sandy héé ! » Puis, il
l’esclaffa lourdement. Je ris également, heureux de vivre l’expérience.
Je les laissai jouer au billard et je commençais à me sentir très étourdi. Je me rappelai toutes les
histoires d’horreur que l’on peut entendre sur les drogues dans les breuvages et comment nous
devions avoir peur des étrangers. J’essayais de reprendre le contrôle de moi-même, mais plus
j’essayais et plus je sentais perdre mes facultés. Je n’étais pas capable de concevoir qu’après
seulement deux bières, même bues rapidement, je perdais autant mes moyens. Bien que je fusse
épuisé, ce n’était pas moi. J’avais toujours été le genre de personne qui, même avec la drogue ou
l’alcool dans le sang, pouvait gérer presque n’importe quelle situation. Peut-être que je me sentais
tout simplement déboussolé sans Jym qui dormait près d’Automne et sans Eva que je continuais à
chasser avec la troisième bière qui m’attendait déjà sur le comptoir.
J’étais passé du Canadien français le plus sympathique et charismatique au monde à un simple gars,
reclus dans son coin du bar, perdu dans ses pensées. Je regardais autour et j’avais l’impression que
mon nouvel ami, malgré qu’il arborât toujours son sourire, se demandait pourquoi j’avais changé
aussi drastiquement, et plus je pensais, plus j’étais enfermé dans mon corps et dans ma tête alors que
mes idées s’entrechoquaient à l’intérieur de celle-ci. Eva me cria au loin : « N’oublie pas que tu as
fumé plus tôt ! » Elle avait mis le doigt sur ce qui n’allait pas. J’avais oublié que j’étais sous l’effet
du cannabis, que la sorte que je possédais était relativement puissante, et prenait quelque temps avant
de faire son effet. Mélangé à l’alcool, c’était complètement normal que je me sente comme je me
sentais à l’instant. J’étais soulagé. Je pris le temps d’écouter mon corps, de respirer profondément et
je le compris aussitôt. Tout semblait rentrer dans l’ordre alors que je trouvai l’énergie pour faire un
clown de moi et commenta la partie de billard de mes deux nouveaux amis, avec un peu trop
d’enthousiasme.
Mon Canadien classique battu mon ami basané deux fois plutôt qu’une, qui gardait son sourire comme
une institution permanente. C’était à mon tour de jouer. J’eus une autre pensée pour mon père, pris
une bonne gorgée de ma bière, pour le courage, et plaçai les boules en attendant que mon adversaire
revienne. Une fois arrivé, nous commencions et j’eus un mauvais départ. Je ne le connaissais pas et
lui ne me connaissait pas non plus. Chaque fois qu’il frappait les boules, se basant sur mes piètres
premiers coups, il prenait la partie pour acquise et s’assoyait au bar pour discuter avec les autres,
sans me regarder jouer. Le problème étant que ; plus le match évoluait et plus j’étais capable de bien
placer mes boules et je sentais qu’à chaque fois qu’il revenait à la table, il se demandait un instant si
je trichais, et il devenait, à chaque fois, un peu moins sympathique. Pour ma part, il m’était
complètement inutile de tricher dans un bar rempli d’inconnus, à moitié seul à une table de billard.
Après quelques minutes, il fut finalement satisfait de me battre sur la première partie, alors que je
plaçai les boules pour en entreprendre une seconde, aussitôt. Cette fois-ci, l’homme avait appris à ne
pas aller plus loin, s’il voulait vraiment comprendre le match. Je restai amical, mais silencieux. Je
restai moi-même.
Nous continuâmes à jouer et mon adversaire voyait que je me débrouillais bien. Il souriait de plus en
plus, sans toutes fois la présence de ses palettes et incisives supérieure. Je ne me sentais plus accusé.
Après un moment, il ne lui restait que la boule noire, tandis qu’il me restait une autre boule. Je
réussis un excellent coup, crosse-coin, d’un bout à l’autre de la table, à la grande surprise de mon
ami édenté. Son sourire disparu. Il était sérieux, mais zen. Je me sentais presque mal de réussir mes
coups devant quelqu’un de compétitif. Je regardai au loin et mon ami bronzé était à l’autre bout du
bar complètement. Je m’élançai de façon majestueuse et ratai complètement mon coup sur
l'impardonnable boule noire.
Son sourire revint aussitôt, il s’élança, frappa la balle noire et remporta la partie, si fier de lui. Il me
dit : « Let’s play another game Frenchie. Hey, there’s no problem I call you frenchie héé ? » Je
m’esclaffai, à mon tour ; de bonheur et soulagé. Avoir un surnom signifiait que mon inquiétude
pouvait aller se détendre pour laisser, une fois pour tout, la place à l’euphorie. Je lui
répondis « Yeah, I like nicknames » très fier de moi. Il alla au bar pendant que je plaçais les boules
et revint avec deux bières.
J’eus finalement la chance de remporter la troisième partie et il fut vainqueur de la quatrième. Quand
il jouait, j’entendais « Hey frenchie » Ici et « hey frenchie » là. Il commençait à bien m’aimer.
Cinquième partie, je voyais que mes capacités diminuaient de plus en plus, je la perdis
lamentablement et décidai que c’était la dernière de la soirée. J’allai me faire réconforter par ma
prochaine bière qui m’attendait au bar, alors que je voyais mon ami choisir une chanson des Beastie
Boys au jukebox avant de prendre le relais, à la table de billard.
Je commençai à discuter avec l’homme assis à côté de moi, au bar, pendant que je reprenais mes
idées. Nous abordions quelques sujets simples, pour nous diriger rapidement vers le tumultueux : la
politique. Nous étions d’accord sur la plupart des points que nous échangions et notre portrait global
de la situation actuelle s’apparentait grandement. Bref, nous avions une discussion sérieuse, mais
amicale qui déboulait dans tous les sens, comme si nous nous nourrissions de l’intérêt de l’autre.
L’homme était à la fin de la trentaine, paraissait bien ; bien habillé, il était grand et aimait mentionner
quand il n’était pas d’accord.
Nous abordions la question de l’évolution des technologies. Nous étions d’accord, a priori, à propos
de la façon mercantile ou tout simplement gratuite dont les gens se servaient d’internet, mais nos
points divergeaient quand nous parlâmes de l’utilité des nouvelles technologies. Je lui dis que comme
avec n’importe quoi, il y avait du bon et du mauvais à en tirer. Par exemple, la façon dont on peut se
connecter, tout le monde ensemble, pour rester près les uns des autres, où même quand l’on rencontre
un inconnu, comme nous le faisions en ce moment même, c’était une bénédiction sur notre génération,
ainsi que la façon dont on peut partager l’information qui ne nous seraient pas accessible dans les
médias traditionnels qui répètent souvent les mêmes rengaines. Les nouvelles technologies avaient le
pouvoir de nous unifier, et j’ajoutai que de toute façon, je ne savais même pas si j’étais capable
d’entreprendre une aventure d’une telle envergure sans pouvoir contacter mes proches et ma mère, à
tous les jours ou presque. Je le sentais si ouvert d’esprit. Il réfléchissait en faisant évoluer ses
arguments, au lieu d’attendre que je termine de parler pour mentionner ce qu’il pensait sans même
m’écouter. Il me donnait raison en maintenant que les gens ne réalisaient pas l’étendue du pouvoir de
la toile, mais que le pouvoir potentiel de cette nouvelle technologie était bel et bien là. Puis il me
demanda mon âge. Je lui répondis « vingt-neuf ans ». Il prit le temps de réfléchir, encore une fois, et
répondit « C’est merveilleux de parler de sujets comme ceux-ci avec toi. Je suis du coin et je n’ai
jamais l’occasion d’avoir ce genre de conversation ». Je souris et je lui montrai ma bière pour qu’il y
cogne la sienne tout en lui signifiant que c’était mon plaisir. Il remarqua qu’elle était presque vide. Il
commanda deux autres bières.
Nous continuâmes à discuter et la femme de mon adversaire de billard vint nous aborder. Elle était
petite et mince, de longs cheveux noirs tombaient le long de son dos. Elle portait la quarantaine sur
ses épaules et son visage était la voix d’une vie laborieuse, mais remplie de petits bonheurs. Elle me
dit : « My name’s Jamie ». Je me présentai en lui présentant également l’homme à mes côtés. Elle lui
dit : « My name’s Jamie ». Plus je l’observais et plus elle semblait être enfoncée assez creux dans la
forêt de l’ébriété. Mon ami tenta de continuer la petite conversation avec la dame qui répondit : « My
name’s Jamie ». Il s’arrêta un moment, surpris, puis continua la conversation, mais un sourire
difficile à cacher apparaissait sur son visage, alors que la pauvre dame ne répondait que par : « My
name’s Jamie ». C’était de plus en plus difficile de rester sérieux alors que la situation commençait à
friser la frontière de l’absurde. Je me levai quelques secondes, n’étant plus capable de contenir mon
fou-rire, et marchai quelque pas pour revenir à ma position initiale. La dame me regarda droit dans
les yeux et me dit : « My name’s Jamie ». Je regardai mon complice, et bien qu’il alimentât cette
situation tout simplement contagieuse, il restait sérieux, malgré ses yeux qui s’exclamèrent « Bien
voyons donc ! » Je n’étais tout simplement plus capable de digérer ce qui se passait. Je me levai et
me dirigeai vers le jukebox pour décompresser de tout ceci, alors qu’il continuait à parler à la dame
qui répétait son nom encore et encore. J’avais l’impression que la dame avait tellement ralenti ses
vibrations, avec l’alcool, que son âme avait mis son cerveau sur le pilote automatique et qu’il se
référait, tout simplement, à des informations de base pour agir « normalement », mais dans un sens si
extrême qu’il était même difficile de simplement y croire. Puis, nous nous calmâmes subitement
quand son mari, mon adversaire aux billards, arriva.
Soudain, tout près de moi, je vis ce petit ange arriver de l’autre côté. Elle était petite avec des
cheveux blonds qui lui tombaient sur les épaules. Elle dégageait une sérénité de ne pas s’en faire
avec les autres. Ses yeux étaient d’un bleu éclatant qui respiraient d’une certaine divinité et qui
transcendait l’espace-temps. Mon nouvel ami me dit : « Je te la présente, elle est comme ma petite
sœur. Elle a habité chez moi dans le passé, maintenant, nous sommes de bons amis ». Mon ami était
un père de famille, marié, et avait des enfants, même si sa vie de garçon l’appelait souvent à terminer
ses soirées dans ce bar. J’étais vraiment content de pouvoir parler à cette jolie jeune fille qui piquait
ma curiosité et qui m’intriguait grandement. J’appris que ce petit ange était une jeune mère de famille
de 22 ans qui élevait seule ses deux bambins. Je la regardai dans les yeux et je sentis un choc entre la
sagesse et la jeunesse qui partageaient un combat équitable dans l’infini du bleu de ses yeux.
Je me levai et fis le tour du bar, pouvant parler un peu à tout le monde. Étant dans une petite ville,
j’étais plus ou moins l’attraction de l’établissement. Je me dirigeai vers un homme, petit, rond, c’était
son anniversaire. Je lui souhaitai donc une heureuse soirée, alors qu’il jouait aux pools, et que son
ami tournait autour de la table avec une énergie un peu négative. Chaque fois qu’il me regardait, je
sentais mon cœur se serrer. L’homme étant grand, mince, les cheveux assez pâles et portait une barbe
de quelques jours cachant un menton assez pointu. Je tentai de l’approcher, mais il ne me répondait
que par de courtes réponses impersonnelles et plates comme s’il était complètement fermé à la
discussion. Je ne me posai pas beaucoup plus de questions, car je savais qu’avec l’alcool, des fois,
les gens pouvaient même vouloir s’en prendre aux autres sans même les connaître. Alors que la
mauvaise énergie était palpable, je choisis de m’éloigner pour retourner près de mon ami et de l’ange
qui trainait au coin du bar.
Je m’approchai de mes amis, et mon premier hôte de la soirée avait rejoint les autres. Je bifurquai de
ma route pour m’assurer de la sécurité de Jym qui me tendit des petits fruits de cannabis. Je lui
répondis que c’était une super bonne idée. Je roulai une cigarette rapidement pour proposer au
groupe entier de fumer en communauté, comme la tradition le souligne. Je fus ravi de voir ces trois
personnes accepter mon invitation. Alors que mon ami et moi reprenions nos philosophies nocturnes,
nous commençâmes à fumer de tout et de rien, puis le jeune homme bronzé commençait à réfléchir
qu’il voulait s’absenter de la fête pour trouver d’autres moyens illégaux d’accentuer le plaisir, et
ensuite, revenir au bar. Alors que la jeune femme restait assez silencieuse, l’autre homme du groupe
et moi parlions tout simplement du destin, de ses conséquences, mais surtout de son rôle dans la
construction des événements qui nous arrivent ; la synchronicité. Tout en confrontation, nous
respections l’esprit de l’autre. Alors qu’il croyait que le destin n’était pas un acteur de nos vies et
que nous devions tout construire intégralement, j’argumentais pour expliquer mon opinion sur la
confiance que l’on doit avoir en la vie, et surtout sur le fait qu’elle est l’instigatrice principale des
rencontres au sein d’un mode de vie comme le mien ; d’un inconnu à l’autre. Encore une fois, bien
que nous ne fussions pas d’accord, nous étions fascinés par la conversation en soi qui coulait si
naturellement.
Puis, le troisième homme pensa à voix haute : « Je devrais appeler un taxi ». Soudainement, à
l’instant même, un taxi arriva dans le stationnement et s’arrêta devant nous, laissant sortir un individu
qui entra au bar. Nous étions tous les quatre bouchebés par la séquence parfaite d’événements qui
venait de se dérouler. Ce fut comme si la vie elle-même prenait part à notre conversation pour
argumenter en ma faveur. Il nous prit quelques instants de réflexions avant d’ajouter un mot à la
situation incroyable, car nous nous demandâmes si notre ami avait pris son téléphone, mais à voir la
surprise sur son visage, la réponse était négative. L’homme basané, devant son vœu accompli sur-le-
champ, entra dans le taxi et partit vers sa quête. Nous avions le menton qui balayait le sol. Plus on y
réfléchissait et plus on réalisait qu’il avait simplement dit des mots en direction de l’univers et que
l’univers s’était ouvert à lui, sur-le-champ, pour nous prouver quoi que ce soit. Nous en étions
stupéfaits.
Nous entrâmes à nouveau, à moitié bouchebés, à moitié excités par la soirée. Je vérifiai encore une
fois si tout allait bien du côté de Jym, qui semblait en parfait état. Je sentais déjà développer une
belle relation avec ce cher Jym et avec Eva qui, par contre, était si discrète quand je buvais. Puis
j’allai rejoindre cette intrigante jeune femme. Nous commençâmes à discuter de tout et de rien, de nos
intérêts, d’elle et de moi. Et nous étions intéressés. Par contre, au même moment, Eva, qui se faisait
toute petite, prit son rôle de façon imposante pour me faire réaliser que l’endroit où je devais dormir
venait de partir en taxi. Ma bière étant terminée, je commençai à penser à mettre un terme à ma soirée
bientôt pour partir de mon côté, sécuriser un endroit pour y passer la nuit, et surtout pour faire la paix
avec Eva. En réfléchissant, je vis passer quatre jolies jeunes demoiselles près de moi pour aller au
bar. Mon second cerveau s’activa et Eva disparut aussitôt.
Je m’éloignai et m’assis à côté d’un grand homme, noir pâle ou blanc foncé, tout près du Jukebox. Il
était élancé et fixait les filles au bar. J’acquiesçai sur ses pensées, lui disant qu’elles étaient
ravissantes et il était d’accord. Il me pointa une des filles en particulier et me disait que celle-ci, plus
particulièrement, lui faisait de l’effet. Je lui suggérai de foncer. Puis, même si j’essayais de motiver
son courage, il me dit qu’il voulait attendre un peu, avant d’y aller. Je regardais au loin et je vis ce
petit ange sourire avec mes amis. Je ne puis m’empêcher de ressentir cette inexplicable attirance
envers la lumière semi-assumée de cette jeune femme indépendante. Je la pointai en me tournant vers
mon interlocuteur et dis : « Pour moi, ce soir, c’est elle ». Je me levai subitement pour aller dans sa
direction, quand le quatuor de sirènes se dirigea vers moi.
Celle qui s’apparentait le plus avec mes gouts physiques prit la parole, bien évidemment. Elle était
très belle, grande, blonde et sexy. Elle souriait de façon à laisser paraître son désir pour une soirée
arrosée déjà bien entamée : « Tu n’es pas d’ici, mais d’où viens-tu?   » J’ouvris la bouche pour
répondre, mais avant de terminer ma première phrase, elle dit : « Oh mon Dieu un Canadien français,
comme s’il n’était pas déjà assez sexy, mon cœur est en train de fondre ! Viens prendre une bière
avec nous si tu veux. » C’était un magnifique compliment, au-delà de mes attentes à vrai dire. Je leur
répondis que j’allais seulement dire un mot à mes amis avant d’aller les rejoindre. En me retournant,
le petit ange s’était téléporté non loin et me tira le bras pour m’attirer vers elle. Elle me dit « don’t
forget I am with you now ». J’étais déchiré. Déchiré entre un coup facile et une âme compliquée. Je
lui répondis de m’attendre et j’allai voir les filles plus loin. Je discutai avec elles un instant alors que
la jolie blonde était plus que démonstrative. Je m’en mordais les lèvres tentant de rester gentleman.
Sans trop flirter, je leur dis au revoir et alla rejoindre mon amie qui semblait plutôt jalouse, alors
qu’Eva était maintenant bien trop loin pour me faire réaliser dans quelle situation je m’embarquais.
Je demandai à ce petit ange ce qu’elle voulait dire quand elle disait qu’elle était avec moi tout en
prenant une de ses mains entre les miennes. Les quatre filles me virent faire et allèrent à l’autre bout
du bar. Il n’y avait qu’elle et moi dans le bar et, dans un élan d’ébriété, je m’approchai lentement
d’elle, me perdant dans l’immensité du bleu de ses grands yeux et lui vola un minuscule baisé frôlé.
J’ouvris les yeux et notre ami commun nous regardait, sourire aux lèvres et pouces en l’air. Je me
dirigeai vers lui.
J’allai vers le jukebox et choisis une chanson pour le groupe : « Humble » de Kendrick Lamar. La
nuit était déjà avancée et nous continuons dans ce moment énergique d’euphorie sous le rythme de
cette chanson qui nous unissait. Je retournai vers la jeune femme et repris ces mains tentant de
continuer notre conversation alors que, même si j’étais très loin d’un sentiment amoureux, je sentais
quelque chose d’inexplicable m’envahir. Son attention était par contre attirée ailleurs. Elle semblait
fâchée. Je lui demandai de m’expliquer la situation calmement, alors qu’elle me dit que le groupe de
fille lui avait fait un doigt d’honneur. J’entendis Eva me crier de l’extérieur du bar : « Je te l’avais
dit ». Elle s’avança pour aller confronter ses compétitrices, je la retins cependant, répétant la phrase
qu’elle m’avait dite plus tôt : « n’oublie pas que je suis avec toi maintenant ». L’alcool en elle me
répondit à l’alcool en moi qu’elle voulait absolument les confronter pour connaître la raison de ce
geste. Je la laissai aller, comprenant ce « je ne sais quoi » qui m’attirait en elle. Je crois que c’était
seulement mon âme qui avait reconnu que je pouvais apaiser la sienne pour un moment. Et je réfléchis
sur le fait que j’étais souvent attiré par des gens qui avaient un besoin de guérison, et souvent, même
sans le réaliser. Bref, je me disais, aussi, que dans cette situation particulière, il était préférable pour
elle de s’attarder sur le « comment » passer à autre chose, plutôt que sur le « pourquoi » elles ont fait
ça. Mais il était trop tard, elle était déjà engagée dans un face à face avec les demoiselles.
Je sentis être la raison de ce débordement. Je sentis que j’avais mal choisi mon combat. Je regardai
par la fenêtre et Eva me fixait lourdement, sourcils froncés. Je les laissai faire, alors que
l’établissement se vidait peu à peu. Ils ne restaient que les gens impliqués dans mon histoire.
Automne et le petit bronzé discutaient pour continuer la fête ailleurs, alors qu’il était passé deux
heures du matin, que je ne pouvais pas demander l’opinion d’Eva et que j’avais une grosse journée au
lendemain. J’acceptai volontiers leur invitation. Le petit ange était revenu tout près de moi, elle était
contrariée. Je tentais de la réconforter tant bien que mal, mais mon succès n’était que mineur.
Après la fermeture exécutée par les tenanciers, nous attendions tous à l’extérieur de l’établissement
pour coordonner nos déplacements. L’alcool se sentait à travers nos veines comme si c’était notre
sang qui se diluait dans celle-ci et non l’inverse. La tension augmentait. Pendant que les hommes
discutèrent pour coordonner les taxis, les femmes s’envoyaient des attaques semi-sournoises. Je ne
me sentais plus bien entouré. Gérer les taxis semblait juste trop et mon amie était si fâchée que je
n’avais plus aucun pouvoir pour l'aider.
Un taxi arriva et tout le monde chassa mon amie seule dans un gros taxi. Encore aujourd’hui, je n’ai
aucune idée si le petit ange est rentré à la maison ou si elle continué à faire la fête, mais sur le coup,
je me doutais que la soirée était terminée pour elle. Avant qu’elle ne quitte, je m’excusai et elle
s’excusa également. Elle me dit qu’elle devait partir. Je la laissai aller, un peu fatigué de la situation
dans laquelle je m’étais mise contre mon gré, laquelle je subissais, impuissant de tout.
Il était passé trois heures du matin et il est très rare de prendre une bonne décision après cette heure
tardive. Je me tournai vers le groupe et ils étaient tous les sept dans un autre taxi qui allait partir vers
une prochaine destination festive. Je compris aussitôt que j’y étais exclu. Était-ce pour avoir été
séduit par le vilain petit canard ? Mon ami philosophe vint me voir et s’excusa premièrement, mais
ramena son discours en disant qu’il allait m’écrire l’emplacement de la destination. Je me demandais
ce qu’il y avait de compliqué à désigner quelqu’un pour m’accompagner pour prendre un autre taxi,
mais j’étais en même temps en paix avec l’idée d’aller finalement dormir. Je dis à mon nouvel ami
que je le comprenais, que je l’aimais, et de passer une incroyable nuit. Il bégayait de surprise en
réalisant que je comprenais ce qui se passait. Il retrouva le taxi qui partit au loin alors que je me
dirigeai dans la direction inverse, accompagné de Jym et d’Eva qui se rapprochait de moi
tranquillement.
Une quinzaine de minutes plus tard, je parcourus les petites rues recluses d’Owen’s Sound pour enfin
y trouver un endroit discret pour y dissimuler ma tente et y dormir. Dans un champ, au beau milieu de
broussailles, près de quelques arbres, je demandai à Jym de m’aider à tout placer. Il me donna ma
lampe de poche qui semblait ne fonctionner qu’à moitié. Je lui donnai un coup qu’elle n’apprécia
vraisemblablement pas. Elle s’éteint subitement. J’étais seul dans le noir absolu. Je tentais tant bien
que mal d’insérer les poteaux dans les endroits propices à la construction de ma maison molle, mais
je n’étais premièrement pas habitué à la construire, d’autant plus que j’avais consommé beaucoup
d’alcool. J’étais pris à mon propre jeu et je devais réagir. Mon état m’empêchait d’exécuter ce que je
voulais faire. J’abandonnai l’idée, acceptant laquelle me disait de dormir dans la toile sur le sol et
que ça allait suffire pour cette fois-ci. Je me faufilai donc dans ma tente étalée au sol, dans mon
sleeping bag et m’endormis sur-le-champ, emmitouflé dans mon ébriété. La décision était stupide
certes, mais beaucoup moins que la prochaine journée qui allait s’avérer être l’une des plus idiotes et
difficiles de toute ma vie…
Chapitre 4
Stupid and strong

8 août 2017

Comme depuis la première heure de cette nouvelle journée je n’avais pris que des décisions
discutables, j’allais continuer à m’enliser dans cette dimension terrestre, à la merci de mon complexe
de dieu.
Je me levai assez rapidement, par simple peur de me faire prendre par des policiers, ou juste par
quelqu’un qui pouvait passer par là. Je réveillai Jym qui était prêt à tout coordonner son arrangement,
tandis qu’Eva boudait pour me faire comprendre qu’on ne pouvait continuer à travailler ensemble de
cette façon. Et dans l’état où j’étais, je partageais évidemment son point de vue. Je regardai mon
chemin prévu pour la journée. Après avoir tout rangé mon matériel, je me mis à marcher en direction
de l’autoroute. Quand j’étais au beau milieu de la ville, j’aimais mieux marcher que me déplacer en
véhicule, car j’aimais bien visiter tous les recoins de celle-ci. De plus, marcher m’apaisait
grandement. J’étais chanceux de ne pas avoir si soif ou de ne pas avoir mal à la tête, comme si mon
corps me soutenait quoiqu’il arrive. Environ une heure plus tard, je sortis d’Owen Sound, pour me
diriger vers la péninsule de Bruce dans la Giorgian Bay du Grand Lac Huron. C’était mon premier
sous-objectif, à environ une heure de voiture, et d’après mon peu d’expérience, je pourrais y être en
début d’après-midi.
Je passai chez mon ami Tim Horton pour boire un café et charger quelque peu mon téléphone qui était
à l’agonie. Puis, une fois que je fus satisfait, je continuai mon chemin, le pouce en l’air.
Quelques dizaines de minutes plus tard, un camion s’arrêta. Je remerciai le monsieur qui était quand
même âgé, mais qui semblait en pleine forme. Il me demanda où je me dirigeais. Je répondis donc
que je ne connaissais pas ma destination ultime, mais que cette fois-ci, je me dirigeais vers la
péninsule. Il eut l’air fier et content sur le coup. Il se présenta et me dit qu’il était très chanceux de
vivre, depuis toujours, dans ce beau coin de pays, tout près de cette péninsule. J’acquiesçai et nous
commençâmes à parler de ce beau Canada bilingue. Il me souligna, par contre, qu’il ne pouvait que
m’amener à mi-chemin. Entre-temps, il me raconta son histoire, tout en me pointant où il avait vécu, à
quelle école religieuse il avait étudié, ainsi que la maison qu’il avait construite de ses mains. Alors
que cet homme me racontait ses histoires, je trouvais son évolution si inspirante et si généreuse. Il
avait créé, construit, aimé, contemplé sa vie, et même à son âge, il croyait que la bonté existait encore
et le montrait à sa façon, tout comme moi ; et c’était tout à son honneur. Il me laissa ensuite à trente
minutes de la péninsule. Transformé, je me sentais tout près de ma destination primaire.
Je continuai à marcher. J’aurais dû me sentir beaucoup plus fatigué que je l’étais réellement, mais
mon corps refusait de me le démontrer. Peut-être que l’enthousiasme de mon voyage contribuait, à
outre mesure, à mon énergie ; peut-être était-ce tout simplement la bonté, l’encouragement et l’énergie
des gens que je rencontrais qui me faisaient avancer. Je marchai encore trente minutes avant qu’une
autre camionnette ne s’arrête, voyant mon pouce lui demander une contribution au voyage. L’homme
semblait si content que je lui demande de m’amener à la péninsule, alors que ces deux filles y
travaillaient. Il semblait comblé et fier. De plus, je sentais que la vie l’avait mis sur mon chemin pour
me donner des informations, car il semblait connaître l’emplacement ainsi que le parc national d’une
façon dont les informations qu’il me donnait étaient justes et pertinentes. Nous commençâmes donc à
parler de tout et de rien. Il me parlait de sa vie dans la région qu’il habitait ; la petite ville de
Tubermory, et que la ville avait si changé, surtout depuis la popularisation d’internet. Depuis que la
péninsule était reconnue sur la toile pour être un endroit paradisiaque, la petite ville paisible s’était
transformée en attraction touristique ; les maisons étaient peintes de toute sorte de couleur et des
affiches publicitaires étaient érigées partout. Il me confia qu’il s’ennuyait un peu de son petit village
où il faisait bon vivre avant que des milliers de personnes y passent à tous les jours, pour visiter et
consommer. Le coût de la vie y était à son apogée, alors que l’endroit était moins naturel que jadis.
Au-delà de ces petits détails, l’endroit était si beau que c’était simplement bon y vivre. La péninsule,
elle, restait la même. Bien surveillée, elle était toujours aussi belle, calme et accueillante.
Il continua pour me parler de sa famille et de son chez-soi. Je remarquai que ses filles et lui étaient
des gens actifs, connectés avec le plein air. Il était fier de l’évolution globale de son entourage, il
vivait la vie qu’il avait envisagée : sa fille, par exemple, avait fait le tour de l’Australie en vélo.
J’étais impressionné. Il m’expliqua par la suite le concept de « hot shower ». Que c’était un
mouvement qui invitait les cyclistes, partout à travers le monde, être logé gratuitement à certains
endroits prédéfinis. Il me confia que sa fille, après ce voyage en Australie, démarra le seul « hot
shower » de la région, et qu’il invitait souvent des gens à dormir dans des petits chalets. Il en était
également fier. Je compris sur-le-champ la signification du nom du mouvement, moi qui n’avais pas
eu le luxe de prendre une douche depuis quelques jours déjà. Puis, il me dit d’attendre quelques
secondes, le temps de faire un appel.
Je l’écoutai, n’aillant pas le choix, étant assis sur le banc juste à côté de lui, et je l’entendis discuter
de m’offrir un chalet pour la nuit ainsi qu’une douche chaude. Il expliqua que je voulais voir la
péninsule en journée, mais que je n’étais pas cycliste. Sa fille était très contente de m’accueillir. On
m’avait déjà conseillé, avant de partir, d’accepter tout ce qu’on pouvait m’offrir, surtout si tout était
gratuit. J’acceptai, très heureux de la générosité des gens sur ma route. Je lui demandai, par contre, si
je pouvais le rejoindre en fin de journée, dans le but de voir la péninsule la journée même. Même si
je n’étais pas pressé par le temps, j’avais toujours cette petite voix, à l’intérieur, qui voulait que
j’avance encore plus loin, plus rapidement. Il prit une petite pause et m’avoua que la quantité de gens
admise sur l’endroit que je convoitais était très limitée, depuis que l’endroit était touristique. Il
ajouta que si j’acceptai toujours l’hébergement, au plus pire, j’allais pouvoir le visiter au lendemain
en matinée. Le plan A restait de s’y rendre d’ici quelques minutes pour s’informer. J’étais content. Il
m’expliqua qu’il y avait que quelques centaines de places de stationnement pour tout le parc et que,
même là, les gens avaient un temps alloué pour tout visiter, pour créer un roulement de visiteurs et
maximiser la rentabilité de l’endroit. J’étais stupéfait qu'on limite ce si bel endroit dans le but de le
prostituer. Il enchaîna en signifiant que pour la veille qui était fériée, malgré le roulement serré des
horaires d’admissions, le parc avait refusé plus de cinq mille véhicules. J’en étais simplement
abasourdi. J’étais de moins en moins persuadé de pouvoir visiter la péninsule de Bruce dans les
prochaines minutes. Il me rassura. Il me dit que sa voiture ne pourrait jamais entrer dans le
stationnement si tard dans la journée, mais qu’il allait tenter de négocier mon entrée à pied. Il voulait
vraiment tout faire pour me partager l’amour de sa région et j’étais reconnaissant de cette aide. Sans
lui, la journée n’aurait pas été la même.
L’homme ne voulait pas me laisser sur la grande route, car pour aller au parc, j’avais encore
plusieurs kilomètres à marcher. J’étais capable de le faire, mais ça aurait été toute une déception de
marcher quelques kilomètres, de me faire refuser l’entrée et d’avoir à marcher encore plusieurs
kilomètres pour continuer mon autostop jusque chez mon bon samaritain. Plusieurs kilomètres plus
loin, nous arrivâmes à l’admission, alors que la jeune femme qui y travaillait nous dit, de prime
abord, qu’aucun véhicule n’était plus admis aujourd’hui. Je fus quelque peu déçu alors que l’homme
qui m’accompagnait commençait seulement à utiliser sa diplomatie. Il était calme, souriant, confiant.
Elle répondit d’arrêter le véhicule juste avant le stationnement et de me laisser dans les sentiers, ni
vu ni connu. Et qu’une personne de plus ou de moins sur le parc n’allait certainement pas troubler
l’ordre public. Je la remerciai une bonne dizaine de fois, du creux de mon accent, et nous
continuâmes pour les quelques mètres qu’il nous restait à parcourir ensemble, jusqu’à l’entrée des
sentiers.
Juste avant de me laisser sortir du véhicule, il prit une carte du parc et m’expliqua tout ce que je
devais savoir, de long en large : les beaux endroits ; la plage, la grotte, les falaises, les sentiers plus
compliqués ; le long « hike » et où je pouvais avoir de l’information. Bref, j’étais content d’être
tombé sur lui. Je lui demandai si la marche de la « Bruce trail » était une bonne idée, et il me
répondit que si j’étais en forme, c’était une très belle promenade à effectuer. Le chemin faisait quinze
kilomètres et mon orgueil me chuchota à l’oreille que je devais absolument le faire. Pour ajouter aux
décisions discutables, mon ami me proposa de prendre Jym et de l’amener à mon chalet, où j’allais
dormir, mais je refusai, même si j’avais confiance en lui, car je voulais prouver que j’étais en forme
et que Jym n’était en réalité qu’une partie de moi. Je voulais être le plus endurant possible. Il me
confia la carte après y avoir écrit son numéro de téléphone, pour que je puisse le contacter à mon
retour et je lui promis que j’allais l’appeler, même si je changeais de plan pour la nuit. Je sortis du
véhicule en le remerciant, fermai la porte du véhicule et j’aperçus ma bouteille d’eau, près de la
banquette arrière qui me fixait. Sans vraiment m’y attarder, je laissai cette âme si gentille, partir au
loin avec ma bouteille et mes chances de revenir rapidement.
J’avais donc les yeux plus gros que la panse. Je n’avais toujours pas mangé, mon corps était
pratiquement déjà en déshydratation sans toutefois me le signaler. Je n’avais qu’une minuscule
bouteille d’eau, qu’un sac de noix et quelques légumes seulement. J’étais convaincu que c’était assez.
J’étais con.
Je trouvai facilement le chemin principal, alors que beaucoup de gens parcouraient les sentiers. Je
pris un peu d’espace à l’entrée du sentier, sur le côté et installai Jym à mes pieds. Enfin, je pouvais
me permettre d’avoir un style vestimentaire moins accueillant. Je retirai mes chandails pour laisser
paraître mes multiples tatouages et enlevai mes sandales également. Je les fis pendre sur Jym que
j’enfilai sure mon dos nu par la suite.
Pour me rendre à la falaise et au lac, je devais marcher environ une demi-heure. Je croisai beaucoup
de gens, en route vers la péninsule, et je sentais être une attraction en soi avec mon immense sac.
Beaucoup d’inconnus m’abordaient, les uns à la suite des autres, pour me poser des questions sur
mon voyage, pour me poser des questions sur Jym, ou encore, pour me dire que j’avais un sapristi de
« set-up ». Alors que je sentais que mon complexe de dieu refaisait surface, je me mis à regarder au
sol tout en marchant. À bien y repenser, je baignais déjà dans la fierté d’une dissociation certaine
avec les autres ; dans l’orgueil et l’ego.
Je vis enfin le bleu si pur du lac Huron. Le paysage était tout simplement magnifique. Bien que bondé
de gens, je remarquai seulement l’immensité des falaises à perte de vue. Le bleu du lac était si clair,
qu’il me faisait réaliser que je n’étais qu’un petit être dans un Québec si confortable. J’allai
premièrement sur la plage, alors que Jym me tendit ma tasse de campeur en métal qu’il arborait
fièrement depuis le début de l’aventure, et je la remplis d’eau du lac. Je montai par la suite sur la
falaise la plus haute par un chemin arrière, toujours nu pied, pour m’installer au-dessus et entre les
deux régions les plus populaires de l’endroit. Je dépliai mon étendard représentant les différents
chakras, et le plaçai sous la tasse d’eau et sous Jym. Je retirai ensuite mon cristal de quartz et le
baignai dans la tasse d’eau, comme le shaman me l’avait conseillé la veille. Je m’installai à genoux
devant celui-ci, pris le temps de respirer consciemment, et formula une prière silencieuse pour Eva.
Je déplaçai, par la suite, le cristal sur une roche pour qu’il soit bien exposé au soleil, alors que
j’adoptai la position du lotus, collai mes pouces et mes indexes ensemble pour les déposer sur mes
genoux, sous le chaud soleil de la péninsule, à travers le vent frais des hauteurs des falaises, devant
ce paysage idyllique. J’étais bien.
J’étais si haut que je pouvais regarder, tout autour de moi, les gens profiter de cet endroit magnifique.
Je voyais les gens me regarder me préparer à méditer ; entre le questionnement et la fierté humaine,
comme si mon idée était spéciale, assumée et délectable. Je sentais beaucoup de compassion envers
ma solitude. Eva confirma mes soupçons en soulignant que l’idée était bel et bien spéciale, mais qui
me faisait sentir comme une partie intégrale de cette merveilleuse nature si puissante.
Même les yeux fermés, je pouvais les voir me regarder, à un point tel où je me demandais si je les
entendais parler ou seulement penser. J’entendis une femme mentionner qu’elle voulait absolument
faire ce que je fais, mais que c’était difficile de rester en place pour un bon moment, alors que son
amie lui répondit qu’elle n’avait tout simplement pas le temps d’essayer. En ce moment, je n’étais
plus mon ego, je n’étais plus personne. Je ne pouvais ni dire si ce que je faisais était mieux ou pire
que les autres, et comme nous avons tous notre propre esprit, notre spiritualité se doit d’être cultivée
à notre façon. Mon but n’était certainement pas d’attirer l’attention, en ce chaud moment, mais si je
pouvais faire réfléchir, ne serait-ce qu’une seule personne, sur la connexion que nous partageons
avec les forces de la nature, avec l’univers entier, et avec nous-mêmes, seulement par ma présence et
mes actions, et si je pouvais donner un coup de pied au tabou d’orgueil face à ce genre de pratique
surtout en public, c’était le parfait moment.
J’entendis grimper, tout près de moi, un jeune homme agile. Il avait environ quinze ans et s’excusa
premièrement de ne pas m’avoir vu. J’étais touché par son respect face à ma pratique. D’une voix si
calme que je me surpris moi-même, je lui dis, tout en ouvrant les yeux : « aucun problème, on est
tellement bien ici ». Il acquiesça. Je sentais que de son jeune âge, son âme reconnaissait la mienne et
la saluait. Il resta quelques minutes, me souhaita une bonne méditation et repartit. Je me disais que si
je sentais un sentiment négatif, car quelqu’un me dérangeait, je n’aurais pas compris le vrai sens de la
méditation après tout. Quelques minutes plus tard, j’entendis parler en français juste en arrière de
moi. J’entendis un couple retraité arrivé avec un chiwawa. J’ouvris les yeux et la dame s’excusa. Je
remis mon cristal de quartz autour de mon cou, alors qu’elle me demanda à quelle religion je
m’associais. Je lui répondis que je ne suivais aucun dogme religieux prédéfini. Que je suivais
simplement ma voie, ma spiritualité et ma philosophie de vie. Qu’après avoir appris sur la majorité
des religions populaires et indigènes, j’avais pris ce qui me semblait adéquat dans chacune de celles-
ci pour y forger mes pratiques. Puis, je lui racontai les raisons plus spirituelles de mon départ en
terres promises. Elle m’écouta attentivement. Je suivis le couple jusqu’au sentier et ils me
souhaitèrent bonne chance pour l’avenir. Nous nous séparâmes et je me dirigeai vers le sentier le
plus difficile de toute ma vie.
Toujours sans souliers, mais accompagné de mes fidèles acolytes Eva et Jym, je pris la direction de
la « Bruce trail » pour commencer un parcours époustouflant, mais interminable. Je n’avais qu’une
simple et minuscule bouteille d’eau déjà entamée, un sac rempli de noix, un orgueil déplacé et
beaucoup trop de naïveté. Jym était sur mes épaules, je savais que n’importe quoi pouvait arriver, je
pouvais m’en sortir, car tant et aussi longtemps que j’avais mon sac, je pouvais m’en sortir. Une
heure plus tard, engagé dans le sentier, tout allait bien, j’étais au beau milieu de l’après-midi, et au
beau milieu de la forêt. Ma bouteille d’eau était déjà presque vide, j’avais chaud, j’avais soif et je
commençais déjà à remettre en question ma décision. J’étais sur une plage de moyennes roches
blanches, la vue était incroyable. L’eau du lac Huron ne m’avait jamais parue aussi bleue et claire et
je contemplais l’environnement.
Mes pieds étaient si endoloris par l’effort physique que je faisais depuis des jours ainsi que par la
forme des roches qui creusaient la plante de mes pieds, que je décidai d’enfiler mes souliers. Cette
magnifique plage m’était si douloureuse, même avec mes souliers inappropriés pour ce genre
d’exercice, que l’expérience était moins intéressante tout d’un coup. Je croyais que la plage était
petite à priori, mais plus j’avais mal et plus l’autre bout m’apparaissait si loin. Pour ce moment,
l’expédition n’était plus agréable, mais seulement un calvaire à traverser. Je m’assis sur des petites
roches pour un moment, alors que je vis un groupe de jeunes personnes passer au loin. Je les
observai. Je me dis que s’ils étaient dans ce sentier, sans sac, je pouvais le faire facilement. J’eus du
courage pour un instant. Je repris mon sac et les suivis, au loin, jusqu’à la fin de cette plage, souffrant
le martyre sous mes pieds préendoloris. À l’entrée d’une petite forêt, je les entendis parler. Je passai
tout près d’eux alors qu’ils m’abordèrent pour me demander ce que je faisais et d’où je venais ; les
questions habituelles. Après une discussion très courte, ils firent demi-tour devant moi pour
rebrousser chemin. Je continuais à croire dur comme fer ne pas être le premier à marcher sur ce
sentier et y arriver à bout facilement.
Une autre heure plus loin, tout allait bien. Les fois que j’acensais les pentes m’essoufflaient et me
ralentissaient, mais je continuais à y croire ; je prenais de minuscules pauses et recommençais à
marcher de façon à conserver mon énergie. J’y croyais dur comme fer. Dans les bois, en marchant,
même si j’essayais toujours de rester alerte et aux aguets, le bonheur mélangé au manque d’énergie
commençait à m’aveugler. Eva était toujours là pour me porter conseil au cas où mes sens me feraient
défaut.
Puis, j’entendis un violent bruit au sol. Je sursautai à la vue d’un moyen serpent qui me regardait du
coin de l’œil à environ un mètre de moi. Il faisait plus d’un mètre, lui-même, et ce qui était encore
plus surprenant que ce cri effroyable était que le son provenait de sa queue qui se terminait en cocotte
et qui doublait le volume de son corps invertébré. Je ne pouvais tout simplement pas y croire, c’était
un serpent à sonnette. La peur s’empara de moi. Ce n’était cependant pas la même peur que celle que
l’on peut ressentir au quotidien, mais plutôt une peur que je n’eusse jamais sentie auparavant.
Habituellement, même quand on frôle la mort, on s’en aperçoit par après, comme pour un accident de
voiture où l’on réalise que la vie ne tient qu’à un fil. Cette fois-ci, j’étais à des kilomètres dans les
bois et j’y faisais face, dans les yeux d’un serpent à sonnette qui me criait ses avertissements. La peur
était si grande en moi que j’avais l’impression que le serpent me l’avait projeté télépathiquement,
comme s’il avait un sixième sens métaphysique pour se défendre. Je voulais reculer tranquillement,
mais mes jambes se mirent à courir rapidement. Quelques mètres plus loin, je m’arrêtai. J’espérais
tellement qu’il ne me suive pas que j’en faisais un cauchemar éveillé. Je regardais en arrière et il
était toujours au même endroit. Je me calmai un peu. Je me rappelai qu’au sein de plusieurs religions,
d’un côté, le serpent représente le mal, mais le serpent représente aussi l’énergie descendante vers la
terre, l’énergie de la nature et la sagesse en soi. J’eus un moment de respect pour la créature qui
sembla satisfaite de ma réaction. Elle continuait, par contre, à me fixer au loin et à obstruer l’étroit
sentier où je me trouvais, seulement par sa présence redoutable. Je lui répondis
télépathiquement : « Je suis chez toi mon vieux, tu es vieux comme le monde et la forêt t’appartiens,
plus qu’à moi en tout cas. Prends ton temps pour aller plus loin, mais j’aimerais passer ici, si tu me le
permets ». Puis, le serpent à sonnette me fixa encore une bonne minute, tourna sa tête vers l’avant, et
avança tranquillement pour disparaître dans les buissons. Je me dépêchai, continuant mon chemin.
J’étais quand même toujours apeuré et davantage conscient que je devais rester alerte en tout temps.
Tout au long du sentier, chaque fois que je passai des buissons qui faisaient ma taille, je priais pour
être en sécurité, car le jeu n’en valait véritablement plus la chandelle.
Quelques heures plus tard, toujours au beau milieu de mon expédition, je commençai à sentir la
fatigue s’emparer de moi, sans toutefois me décourager. J’étais, à la base, déshydraté de la veille,
mais surtout de mon parcours plus difficile que prévu. J’avais soif et je prenais de plus en plus de
longues pauses, quoique le chemin n’était jamais vraiment plat et demandait un effort physique
considérable. J’avais si soif que je déclarai que c’était la soif la plus désagréable de toute ma vie.
Plus j’essayais d’avancer et plus je ne faisais que penser à boire de l’eau, à sauter dans un lac et
même à l’importance de l’eau dans ma vie. Nous sommes tous constitués en grande majorité d’eau
après tout, qui est aussi un des éléments de base de la constitution de notre monde, et c’était flagrant
que j’en manquais. Je demandai alors à Eva de m’aider à trouver de l’eau, car ma logique me disait
que la situation pouvait même devenir dangereuse assez rapidement, si je continuais de cette façon, et
comme j’étais à moitié chemin, continuer ou rebrousser chemin étaient équivalents. Elle me répondit
de rester vigilant, car il y en avait tout près. J’espérais sincèrement que je n’étais pas en train de
devenir fou, car depuis peu, j’avais remarqué que je commençais à percevoir des mirages visuels et
auditifs. Je restais aux aguets et faisais confiance à ma guide en cette situation périlleuse. Quelques
pas plus loin, j’entendis un faible bruit qui ressemblait à de l’eau qui coulait. J’étais tout à fait alerte
que j’étais tout près d’un Grand Lac et que j’entendais plusieurs choses en même temps, mais j’avais
le sentiment que je venais de trouver quelque chose. J’arrêtai. Je touchai mon cristal de quartz et
remerciai Eva. Je regardai à mes pieds et un petit filet d’eau s’échappait de quelques roches pour
former une flaque sur le sol plutôt sec. Je savais que ce n’était pas la meilleure idée au monde, mais
en même temps, mon intuition et ma logique me poussaient à essayer, car l’eau était quand même
claire. De plus, j’aurais été prêt à boire pratiquement n’importe quoi. Je pris ma petite bouteille que
je ne pouvais que remplir de quelques gouttes, considérant la disposition de cette minuscule source
d’eau qui ne coulait qu’à peine, puis je déglutis le liquide sans hésitation. L’eau était bonne. Je
répétai l’exercice une dizaine de fois, sachant que je ne pouvais en conserver beaucoup. J’étais déjà
mieux et encouragé, non pas par l’orgueil, cette fois-ci, qui se tenait assez discret, mais plutôt par
mon instinct de survie. Je repris Jym, emmagasinai l’eau dans ma bouteille que je bus quelques
minutes plus tard. J’étais sûr que la fin du sentier était proche, car j’avais commencé ce bout
d’aventure depuis quelques heures déjà. Je voyais la forêt qui s’ouvrait au loin et j’en étais satisfait.
J’y arrivai finalement, et à ma grande surprise, la nature laissait place à une autre de ses plages de
roches blanches si douloureuses. J’étais littéralement en colère.
Mon sac se faisait de plus en plus lourd sur mes épaules endolories alors que mes pieds étaient
pratiquement à l’agonie sur les roches si douloureuses de cette plage. La douleur n’était
qu’indescriptible. J’essayais de me concentrer en me disant que mon chemin était comparable au
chemin d’une vie. Que certaines parties étaient plus douloureuses, d’autres méritaient seulement une
certaine contemplation. Mais au bout de la ligne, il fallait toujours garder courage et faire le
maximum pour surmonter les épreuves, pour notre simple survie. J’essayais de continuer mon chemin
sur cette plage, mais j’avais tellement mal aux pieds que je devais arrêter toutes les minutes. De toute
façon, que je reste sur place ou que je continue, la douleur s’accentuait. J’arrivai finalement, de peine
et de misère, au bout, à moitié satisfait, à moitié en colère. Pensant toujours que la fin était tout près,
j’aperçus un écriteau : « Bruce Trail – aucune eau potable pour les huit prochains kilomètres ».
Littéralement au beau milieu du parcours, j’étais consterné. Je ne comprenais pas pourquoi il n’y
avait pas des écriteaux, plus tôt qu’au beau milieu, car l’information, à ce point, était si impuissante.
Bref, le coup fut difficile à encaisser, mais au moins, j’avais une idée de la distance à parcourir.
La température chutait tranquillement et le soleil, tout comme moi, était de plus en plus fatigué.
J’enfilai donc mon chandail pour continuer ma trépidante aventure. Le soleil était de plus en plus
rouge et colorait le ciel de magnifiques couleurs. Je me disais qu’il fallait que j’y arrive avant la
tombée de la nuit, car, par la suite, la mission allait s’avérer impossible. Je continuais à mettre un
pied devant l’autre. Je m’arrêtai toutes les demi-heures, assoiffé dans l’impossibilité de boire. Au
bout de trois kilomètres, je pilai dans une flaque d’eau qui ne m’inspirait pas confiance. Je pris l’eau
dans une bouteille, car à ce moment, j’aurais pu boire littéralement n’importe quoi. L’eau n’était
logiquement pas buvable, de par son apparence brunâtre. Je ne tentai pas le diable. Plus j’avançais et
moins mon corps n’avait d’énergie. Je me sentais à bout de souffle et à bout de nerfs. Je marchais et
j’étais étourdi constamment.
J’étais rendu au point où je prenais des pauses à toutes les quinze minutes. Mes périodes de pauses
étaient maintenant plus longues que mes périodes actives, ce qui ne faisait plus de sens à mes yeux.
J’étais si étourdi, mais une force inexplicable me laissait profiter encore un peu de mon équilibre et
tout mon sang-froid. Je n’avais toujours pas peur, comme si l’échec était inadmissible. J’avais
tellement la bouche sèche que je ne pouvais plus manger de noix. La nourriture se collait, roulait dans
ma bouche et ne glissait plus jusqu’à ma gorge et jusqu’à mon œsophage. Une pause sur deux, mes
yeux secs tentaient de se remplir d’eau à la force de mon estomac qui tentait tant bien que mal
d’expulser son contenu, sans savoir qu’il était tout simplement vide. Le ciel était maintenant sombre.
On voyait les étoiles qui semblaient rire de moi et je leur donnais raison. Je me dis que c’était une
des décisions les plus stupides de toute ma vie, comme si c’était un défi démesuré que j’avais à
lancer à mon propre corps, seulement pour le tester. Je savais très bien que je n’allais pas y laisser
ma peau. Mais je présentais mes excuses les plus sincères à ma mère qui allait lire ceci dans un futur
rapproché. Je m’excusai à cet homme à qui j’avais promis de le contacter en soirée pour profiter de
son hospitalité. Mon téléphone était à plat et je devais conserver chaque parcelle de mes énergies
pour survivre à présent.
J’avançais sur un chemin qui ne m’offrait aucune clémence. J’acensais et descendais colline après
colline, roche après roche et me reposais sur chacune d’entre elles. Il ne me restait que quelques
kilomètres à faire, et j’étais exténué. La nuit était maintenant complètement présente, je pris une autre
pause un peu plus loin et décida, au beau milieu du chemin, d’y passer la nuit, même si c’était
interdit. La question de survivre était dorénavant plus importante. Puis, je changeai d’avis, demanda à
Jym la lampe de poche miniature que j’avais quelque part dans mon énorme sac, et je continuai,
m’éclairant avec celle-ci. Je ne voyais plus rien devant ; ni les roches ni les marques sur les arbres
pour indiquer la bonne direction. Mes quatre prochaines pauses me rappelaient que je devais
simplement dormir pour récupérer des forces, puis, encore, je changeai d’idées pour continuer.
Sachant que j’allais passer une sale nuit si je ne trouvais pas d’eau. La cinquième pause fut la bonne.
Dix minutes plus tard, avant d’avoir commencé à placer mon attirail pour dormir, j’entendis un chien
japper, puis, un homme taper des mains pour l’appeler. Je tapai des mains à mon tour à plusieurs
répétitions, mais je n’attirai aucune attention. Je tentai de crier, mais sans succès, dû à ce manque de
force qui m’envahissait. Je savais, au moins, que j’étais tout près. J’abandonnai. Ma plus grande peur
n’était pas les animaux sauvages, c’était plutôt de ne pas avoir assez de force au lendemain pour
fonctionner normalement, car la déshydratation était tout simplement intolérable à ce point. Le chien
jappa de nouveau et j’entendis le moteur d’une voiture gronder et s’arrêter. La route était proche !
J’entendis également l’eau claire du lac Huron frapper les rochers de la rive plus fort que jamais. Je
n’étais plus sur les falaises, mais bien à une altitude plus basse, près de la rive. Je me disais que si
j’atteignais le lac, je pourrais m’abreuver seulement un peu de son eau si bleue et claire. Les animaux
le faisaient après tout. Je ne devais que modérer la quantité d’eau ingérée. J’étais rendu à cette étape
dans ma réflexion, où boire était simplement plus important que n’importe quoi d’autre.
D’un regain de force inexplicable, je me levai, pris Jym sur mes épaules, et avançai dans le noir. Je
gravis d’autres roches et descendis d’autres collines. Le parcours descendait de façon si abrupte
qu’il y avait des cordes d’installées de chaque côté pour s’y tenir. De plus, je devais sauter de roche
en roche pour y arriver ; chose que j’aurais même hésité à faire, en pleine forme, avec mon sac sur le
dos et en plein jour mais je devais le faire. Je descendis jusqu’au bout, près du lac, sur une plage
constituée d’immenses roches. Je voulais tout simplement pleurer. Je déposai mon sac rapidement,
pris ma bouteille, et me dirigeai vers l’eau du lac. Je remplis la bouteille, et ingurgitai son contenue
deux fois plutôt qu’une. Je me sentais si bien tout d’un coup d’un sentiment inexplicable que l’on peut
ressentir seulement après une immense douleur. Je voyais des campeurs illégaux, au loin sur une
petite plage, un feu allumé. Comble de l’ironie, ils étaient québécois. J’essayai de trouver un chemin
par la forêt pour les rejoindre, mais tout était trop sombre, j’abandonnai. Je remplis ma bouteille une
troisième fois, m’installai dans mon sac de couchage entre deux immenses roches et m’endormit à la
belle étoile, sous un ciel aussi clair que l’immensité du lac à perte de vue devant moi. J’étais
soulagé, épuisé, fier et reconnaissant. Je fixai le ciel, les nuages, les étoiles, mes guides et Eva. Tous
me regardaient et étaient fiers de moi. Mes yeux se fermaient tranquillement, sachant que la route et la
fin de cette épreuve n’étaient qu’à quelques pas de moi.
Chapitre 5
Rebirth

9 août 2017

La nuit passa très rapidement, alors que les vagues du lac frappaient la rive et sonnait comme des
coups de tonnerre. J’étais tout de même soulagé quand je voyais les étoiles qui me fixaient comme
des guides qui gardaient un œil sur moi durant cette trépidante aventure. Je me levai au petit matin et
je me sentis béni d’être simplement en vie, en santé et avec toutes mes forces. J’étais également béni
de me réveiller devant ce paysage à couper le souffle et devant ce nouvel ami qu’est le lac Huron,
alors que je ne voyais que l’étendue d’eau, les falaises et le ciel si clair autour de moi. J’avais
l’impression d’être seul depuis si peu de temps, comme si l’on m’avait littéralement accompagné
durant toute la nuit pour me protéger. Les étoiles n’étaient plus et les gens qui campaient au loin
avaient disparu également. J’avais encore un peu peur de me faire prendre et réprimander pour avoir
dormi dans la nature. En contrepartie, cette nature était si vaste qu’il était pratiquement impossible de
s’assurer que tout le monde respectait les interdictions humaines. Je rangeai le peu de choses qu’il
m’avait fallu pour passer la nuit, pris Jym sur mes épaules, Eva par la main, et trouvai le chemin pour
me rendre sur la plage, de l’autre côté, là où la route commençait. Je débordais d’énergie que l’esprit
du Lac Huron m’avait donnée la veille, mais mes pieds étaient si douloureux qu’ils étaient une
contrainte à mon déplacement. Je marchais, alors, lentement et boitant.
Je respirais consciemment en avançant alors que je vis un gros pick-up d’entretien du parc passer à
mes côtés sans trop se soucier de moi. Je me dis que s’il quittait le parc, j’allais l’aborder pour enfin
en finir avec ce parcours. Pour cause naturelle, je dus m’arrêter pour aller dans la forêt, alors que
j’entendis aussitôt le camion démarrer et repartir. Je revins rapidement sur la route, mais il était déjà
bien trop loin. Je tentai tant bien que mal de lui faire des signaux, mais sans succès. Je devais m’y
faire et terminer mon épreuve par moi-même, à pied. La carte que l’homme m’avait donnée la veille
était en piètre état. J’en avais perdu un tiers, et bien évidemment, c’était la partie avec son numéro de
téléphone. Je m’excusai encore une fois télépathiquement. La carte me montrait deux options :
prendre la route pour quelques kilomètres jusqu’au chemin principal, ou bifurquer pour continuer la
« Bruce Trail » dans un chemin qui tournait en rond pour se rendre finalement à Tobbermory. Mon
orgueil me fit hésiter pour un instant, mais je savais que je ne devais plus l’écouter. Je décidai de
marcher le long de la route, épuisé et avec une sale douleur aux pieds. Mon épreuve était bel et bien
terminée et je ne voulais surtout pas tomber, encore une fois, sur un serpent à sonnette.
Une autre voiture passa près de moi. Un couple asiatique me demanda avec beaucoup de mal à parler
anglais, si le chemin continuait en ce sens et je leur répondis qu’il y avait seulement une petite plage.
Je pris le temps de leur expliquer mon expérience de la veille et de leur demander de l’aide. Ils
répondirent « Yes, Yes » puis partirent dans l’autre direction. Je leur fis des signes pour leur faire
comprendre, en langage universel, ils pointèrent un enfant à l’arrière, puis partirent, déclinant ma
demande. Je devais vraisemblablement tout vivre jusqu’au bout, et je devais surtout garder foi.
J’arrivai environ une heure plus tard près de la route principale et je levai le pouce, continuant de
marcher difficilement vers la ville. Après quelques minutes, une petite voiture s’arrêta tout près de
moi, la dame souriait de sa mi-trentaine assumée. Sa voiture était pleine à craquer et elle demanda à
ses deux enfants de faire de la place à l’arrière pour y installer Jym, alors qu’elle m’invita à prendre
le siège avant. Nous étions heureux. Je pris le temps de raconter mon aventure de la journée
précédente et nous en rîmes abondamment, car la seule chose que je pouvais en faire était d’en rire et
d’y apprendre de bonnes leçons. Mon corps avait été bien testé sur ses capacités et plus jamais je
n’allais le tester de cette façon. Même si j’étais quand même fier d’avoir autant de force et d’être
simplement en vie. La dame me confia qu’elle connaissait beaucoup de gens qui travaillaient au parc
où j’avais passé la nuit. Je lui demandai alors de s’excuser de ma part aux bonnes personnes. Elle
comprenait que je n’avais pas le choix d’y dormir de toute façon. Je lui demandai ensuite quelques
informations sur la ville. Je voulais premièrement boire un café, brancher mon téléphone, mais aussi
réfléchir. Ensuite, je voulais prendre le traversier pour me rendre de l’autre côté de la baie du Lac
Huron et ainsi continuer mon périple en Ontario pour me diriger finalement vers le Manitoba. Elle me
donna les informations nécessaires et me conseilla de ne pas m’arrêter dans le coin de Wawa ou de
« Sew », car il y avait une prison dans ce coin et que l’autostop n’allait pas fonctionner. Je la
remerciai et quittai le véhicule.
Le village était coloré. Il me faisait penser aux villages touristiques dans le haut des Laurentides au
Québec. Les maisons étaient toutes sortes de couleurs, il y avait des affiches partout et le cout de la
vie était plus élevé que je ne m’y attendais. Bref, l’homme de la veille avait raison. Je mangeai un
croissant, bus un café, et me dirigeai vers le port pour acheter mon billet de bateau qui n’était pas
cher pour un piéton. J’attendis une bonne heure avant de prendre la route maritime vers ma prochaine
destination. Le tour de bateau, ma nouvelle relation avec le Lac Huron ainsi que l’énergie de guérison
de l’esprit de ce Grand Lac furent ressourçant. J’étais à la proue, allongé sous le soleil, parfois les
yeux fermés, parfois ouverts, contemplatif d’un merveilleux paysage. Mon tourment était bel et bien
terminé.
Une fois le bateau amarré, plus d’une heure plus tard, je me levai et marchai difficilement vers la
sortie alors qu’une voyageuse dans la cinquantaine m’interpela : « Désolé de te déranger, mais ma
conjointe trouve que tu es magnifique ». Je rougis ; comment bien continuer ma journée ! Je les
remerciai en disant que ça faisait toujours chaud au cœur un compliment comme celui-là. Puis, je fis
le tour du bateau en boitant, par curiosité seulement, pour ensuite recroiser ce joli couple qui me posa
les questions habituelles concernant mon accoutrement. Je leur répondis les réponses habituelles,
j’étais bien.
Sorti du bateau, je pris la route vers le magasin de souvenir le plus près. Je demandai quelques
informations à la dame au comptoir. Elle me sortit une carte de l’endroit et me la donna. En sortant de
la boutique, je recroisai les dames qui m’avaient abordé sur le bateau et je leur dis, à la blague, que
nous étions faits pour nous rencontrer. Puis, je sortis de la boutique. Je regardai la carte, j’étais
toujours sur une Ile, il y avait des boutiques partout, mais rien de si intéressant à voir en si peu de
temps. J’allai à un petit restaurant déguster une bonne bière, croyant que je la méritais amplement. Je
ne voulais pas m’en mettre trop sur les épaules, mais je devais sortir de l’ile, passer par une autre ile
où se trouvait « South Baymouth » pour atteindre véritablement l’autre berge du Grand Lac et
l’autoroute principale. Je terminai ma bière et marchai difficilement jusqu’au bout du village pour
sortir de l’ile. Sur la route, je vis un petit musée et comme je faisais ce périple pour découvrir, j’y
entrai, pour étendre mes connaissances. Un adolescent était au comptoir. Je lui demandai si je devais
payer, et il me répondit qu’il ne demandait seulement une contribution volontaire. Je lui expliquai que
je n’avais pas un sou, et il me dit d’entrer quand même. Je le remerciai.
Le jeune homme me suivit dans ce minuscule musée qui semblait rappeler les activités navales de
l’ile. Il y avait de vieux outils, de vieilles photos, des pièces de bateau antique et même un vieil
émetteur radio. J’étais impressionné par tout ce que je voyais. L’adolescent me suivait et je lui
racontais mon histoire et ma fascination pour à peu près tout. Je lui posai des questions sur la sienne.
Il travaillait à ce musée quand il n’était pas à l’école. De plus, il était chrétien. Je lui répondis que
moi aussi je croyais en Dieu, mais que ma relation spirituelle était peut-être un peu différente que ce
qu’on peut voir dans une église traditionnelle. Nous en discutâmes pour environ dix minutes. Il était
jeune et déjà bien rempli de béatitudes. Il me dit de l’attendre quelques instants, alla dans une autre
pièce et me revint avec un billet de dix dollars qu’il me tendit généreusement. J’étais touché, ému et
impressionné par la richesse du cœur de mon interlocuteur, du haut de ses quinze ans, qui me pria
d’utiliser l’argent pour servir la volonté de Dieu. Je le remerciai, soulignant ses impressionnantes
qualités pour son si jeune âge. Je lui dis de ne pas les perdre, car le futur appartenait aux gens comme
lui. Puis, je quittai.
Je me dirigeai lentement vers la route principale des alentours. Je me disais que si je voulais que la
vie m’offre des opportunités, je devais faire mon bout de chemin pour travailler main dans la main
avec elle. C’est pourquoi, quand j’en avais la chance, je marchais. Je continuai de boiter en attendant
qu’une voiture ne s’arrête. Un homme s’arrêta enfin et me dit de mettre Jym dans sa boite de pick-up
pleine à craquer. Je ne voyais pas comment mon sac pouvait y tenir le coup. Je refusai, lui demandant
si je pouvais le mettre sur moi. Il accepta. Il ajouta qu’il n’allait pas si loin, mais qu’il voulait aider à
tout prix. C’est ce que je voulais entendre. J’embarquai et nous commençâmes à parler politique.
L’homme avait des opinions que je devais respecter et qui s’apparentaient de loin aux miennes. Il
était tout simplement plus polarisé que moi. Nous partageâmes notre incompréhension pour l’état
policier qui se manifestait de plus en plus fort au pays, et qui me mettait des bâtons dans les roues,
même si je n’avais aucunement l’intention de blesser les autres, ou encore de négliger ma propre
sécurité. Je racontai, par contre, que j’avais déjà fait des erreurs et que les policiers n’avaient fait
que leur travail en m’arrêtant pour conduite avec facultés affaiblies. Il me répondit qu’il s’est fait
prendre plusieurs fois pour le même délit, et que sa solution était seulement de continuer à le faire.
J’étais moins d’accords, car c’était très dangereux, mais comme il faisait partie de ce monde, en
quelque sorte, il faisait partie de moi-même. Il était au moins du type à aider, j’espérais seulement
qu’il ne blesse personne comme j’aurais moi-même pu le faire. Il me déposa un peu plus loin et me
donna une bière, que je bus rapidement avant de relever mon pouce. L’homme avait ses opinions et je
le respectais pour.
Quelques minutes plus tard seulement, une autre voiture s’arrêta. Un homme corpulent était au volant
arborant fièrement un magnifique sourire. Sur la banquette arrière étaient déposés deux claviers.
C’était le temps de parler de ce qui nous rallie tous ; la musique. En plus de partager l’amour pour
écouter et jouer de la musique, nous partagions le même nom. Il me dit qu’il travaillait au théâtre dans
le petit village de la deuxième ile. Qu’il chantait, qu’il créait ses propres compositions, bref, il
aimait ce qu’il faisait. Il me tendit une cigarette que je fumai volontiers avec lui, car en voyage, il
m’arrivait de fumer socialement. Je lui partageai mon amour particulier pour le piano et le
violoncelle, même si je ne jouais que de la guitare basse ainsi qu’un peu de guitare. Nous discutâmes
pour environ quarante minutes. Il me confia qu'il aimait surtout l’effet que sa musique faisait aux gens
et surtout à la "gente" féminine.
Arrivé au théâtre ; à son travail, il me proposa une visite guidée de l’établissement qui paraissait
délabrée à priori, au beau milieu d’un village où il ne semblait rien n’y avoir. Nous y entrâmes.
C’était assez beau et chic. Nous saluâmes la personne au kiosque à l’entrée, et allâmes à l’étage. La
première pièce était un studio d’aiguillage vidéo étonnamment bien équipé. Puis, nous nous arrêtâmes
à une pièce de peinture et d’art, pour continuer vers l’entrepôt de costume qui respirait l’énergie de
tout ce qu’il contenait. Sans odeur, on pouvait tout de même la sentir. La dernière pièce était un studio
d’enregistrement audio à la fine pointe de la technologie et j’en étais impressionné. C’était très grand,
une immense baie vitrée séparait les instruments conventionnels de la console de son principal. Je
compris alors pourquoi il était si passionné par ce théâtre. C’était simplement un rêve, pour un si
petit village, d’avoir un théâtre équipé de la sorte. Il me reconduit, par la suite, vers la sortie
principale. Je le remerciai pour la rencontre et pour la visite guidée qui m’avait été enrichissante, et
quittai pour continuer péniblement ma route.
Après une courte méditation, ainsi qu’une courte attente le pouce levé, une autre voiture s’arrêta. Un
homme dans la soixantaine, semblait originaire des premières nations, cheveux longs, une tresse
d’herbe bordait son pare-brise. Il me dit calmement, qu’il était pressé, et c’était ironique, car il
s’était arrêté pour moi. J’embarquai, plaçant Jym sur la banquette arrière comme à l’habitude. Il
s’excusa de rouler au-dessus des limites permises alors qu’il ne roulait que dix kilomètres au-dessus
de celles-ci. Il dégageait cependant un calme serein et n’était pas très bavard. J’engageai la
discussion, mais il ne me répondait que par des « Hmm Hmm ». Je continuais. Il était à l’écoute de
tout ce que je disais, mais se contentait d’écouter, car il avait l’air connecté avec la conversation. Il
était seulement à l’écoute passive de mes histoires. Ce fut, par contre, à mon tour de me taire, car je
ne voulais rien forcer. Quelques secondes passèrent et il se mit à parler à son tour. Il se sentait quand
même en bonne compagnie, il m’expliqua par où continuer. Son silence me faisait réfléchir à
l’importance de l’écoute dans une communication et comment, avec sa sagesse, il avait compris ce
concept qui mérite, à mon avis, plus d’attention. Il me laissa un peu plus loin, une demi-heure après
m’avoir rencontré.
Je marchai encore une bonne trentaine de minutes pour arriver tout près du dernier pont me permettant
d’enfin accéder à l’autre côté de la « Giorgian Bay ». La circulation du pont créa une petite
congestion alors que je marchais au côté de plusieurs véhicules arrêtés à la queue leu leu. C’était
mon dernier obstacle avant de commencer à réfléchir où j’allais passer la nuit. Il était environ seize
heures. Puis, quand la file indienne pue avancer, une vieille et petite voiture, quelque peu délabrée,
s’arrêta à côté de moi. Une jeune femme, début vingtaine, petite, blonde, arborant un anneau au nez, si
jolie dans sa simplicité, me fis signe de monter. Je soulignai tout d’abord son courage et me
considérai si chanceux, car elle était simplement agréable à regarder. Le temps d’installer Jym et
ensuite moi-même dans le véhicule, le feu de circulation du pont avait changé et nous réintégrâmes la
congestion qui précédait le pont, car celui-ci ne permettait le passage que par une seule voie.
Dans cet immobilisme, nous échangeâmes nos histoires pour aborder nos situations amoureuses et
nous connectâmes aussitôt. Je lui confiai mes soucis face à ma séparation et face à la façon dont
j’avais été traité. Même si j’avais été fort auparavant et que j’étais dans une situation où je ne devais
pas y penser, je devais paradoxalement quand même y penser pour continuer mon processus de deuil,
prêt à vivre les tristesses et les colères qui s’y attachent. Elle me raconta la sienne, ses difficultés,
ses préoccupations. Je voyais mon ex-copine dans son apparence physique, mais aussi dans ses yeux
et je sentis son urgence de changer sa situation, tout comme l’autre femme, celle qui fut si importante
pour moi. Je compris, de plus, ses intentions ; sans réaction de panique maladroite, comme je l’avais
sentie dans le passé. Plus je donnais de détails sur mon histoire et plus elle comprenait la sienne, et
vice-versa. J’avais l’impression de ne pas être tombé sur elle par hasard. L’atmosphère était si douce
et si tendre. Nous nous comprenions et avions tant de compassion l’un pour l’autre. Nous nous
sentîmes si proches l’un de l’autre. Nous discutâmes d’angoisse et de comment la gérer sans faire
souffrir l’autre au travers de nos maux ; de colère envers soi-même, puis aussi envers l’autre. Nous
en étions émus, de cette rencontre qui portait tant de sens à nos yeux. Pour ma part, je n’avais jamais
réellement été anxieux, mais c’était comme si le démon de l’anxiété s’était toujours un peu attaqué à
moi, d’une façon ou d’une autre, dans les yeux de mes proches. Nous nous sentîmes compris et
supportés.
Nous étions sur une réserve des premières nations et je voulais acheter du tabac. Je lui demandai
donc où je pouvais en trouver, et elle s’arrêta au premier petit magasin qu’elle vit, puis je lui
racontai ma rencontre avec le shaman. Le sujet avait donc changé et nous réalisâmes que la
spiritualité nous avait aidé à grandir dans ces épreuves. Je sortis du véhicule en lui disant, à la
blague, de ne pas se sauver avec Jym. J’entrai dans le magasin et demandai à la dame au comptoir du
tabac pour rituel. Elle me répondit: « neuf dollars ». Je sortis le billet de dix que j’avais reçu plus tôt
en me disant que c’était la volonté de ma compréhension de ce qu’était Dieu ; cette force créatrice
qui guidait mon destin et qui forçait mon apprentissage, et lui tendis.
Je retournai au véhicule et la demoiselle était si belle que j’aurais aimé qu’elle n’ait jamais connu de
problème amoureux ou anxieux. Elle était comme un ange, assis dans ce vieux véhicule, perçant la
réalité de ses grands yeux verts, éclatants à la fois de questions et de réponses. Sauf ses cheveux
blonds, elle ressemblait drôlement à la femme que j’aimais toujours. Elle avait les mêmes yeux, le
même âge, le même piercing au nez qui me fait tout simplement craquer. Elle avait la même naïveté
mêlée de certitudes face à la vie. Je sentis encore que je ne l’avais pas rencontré pour rien. J’entrai
dans le véhicule tout en prenant une grande respiration. Je la voyais sourire et ça me faisait du bien,
alors qu’elle me confia qu’elle était si contente de m’avoir trouvé sur son chemin. J’étais touché.
Nous poursuivîmes notre discussion. Elle était toujours en contact avec son ex-copain, car pour elle
aussi c’était très récent. Par contre, elle prenait le blâme de son échec amoureux, car elle réagissait
mal à une anxiété nouvellement apparue qui créait des tensions au sein de son couple. Bien que ce
n’était pas terminé, elle avait besoin de temps pour elle-même, pour ne pas faire souffrir l’autre.
Alors que la discussion s’étirait, je remarquai que nous étions stationnés près d’un autre
établissement depuis peu. Je pointai la tresse d’herbe qui était près de son pare-brise, comme j’en
avais aperçu une autre auparavant. Elle me dit que si on la brulait, la fumée chassait l’énergie
négative, un peu comme la sauge. Puis, elle me l’offrit comme présent. J’étais béni. Ce genre de
rencontre confirmait les raisons de mon départ. Elle me dit que nous étions arrêtés, car nos chemins
se séparaient là, même si elle voulait continuer à discuter. Elle me confia qu’elle avait tant prié, la
veille, pour avoir un signe de rédemption, et que j’étais le résultat de ses prières, comme un ange qui
passait tout simplement par le bon endroit, au bon moment. Je fus sans mots. Je lui répondis que nous
avions alors été tous les deux un ange pour l’autre. Puis, elle me demanda si elle pouvait me serrer
dans ses bras. J’acceptai volontiers. Nous échangeâmes nos énergies pour un court instant et je lui dis
ensuite au revoir. Nous nous dîmes que nous nous aimions. Je m’éloignai du véhicule, la tête vidée de
tout mal et le cœur rempli de multiples béatitudes.
Je continuai ma route. J’étais chanceux de rencontrer autant de gens dans une journée et d’avancer,
autant, même si c’était qu’environ une demi-heure à la fois. C’était assez étrange, à la fois, de
connecter rapidement avec des gens, de partager de si beaux sentiments et de les laisser partir, à tout
jamais. J’étais maintenant et enfin de l’autre côté du Lac Huron sur l’autoroute 6 vers le nord pour
ensuite me diriger vers l’ouest. Une heure plus tard, une autre voiture s’arrêta devant moi. Le jeune
homme avait une guitare basse tatouée sur l’avant-bras, tout comme moi. Encore une fois, je sentais
que j’attirais, ou du moins j’étais attiré, vers certaines personnes, comme si ma route ne suivait que la
loi de l’attraction. Mon introduction était donc facile et de mise. Nous discutâmes alors de musique,
de travail, de camping, de famille. Chaque fois qu’il n’aimait pas quelque chose de sa vie, il
expliquait que c’était sa femme qui lui faisait faire, peut-être pour se déculpabiliser, même si la vie
n’est pas seulement faite de choses que l’on veut, mais seulement de chose que l’on a besoin. Il
n’aimait pas le camping ou encore l’endroit où il habitait, mais il aimait tant sa femme et ses enfants.
Il disait qu’il était couvreur et qu’il pouvait trouver un emploi un peu n’importe où au pays. Il était
fier de ses enfants qui savaient parler français. Sa plus vieille engageait la vingtaine et l’avait
beaucoup aidé lorsqu’il était de passage au Québec. Il me dit qu’il avait trente-cinq ans et que sa plus
vieille avait vingt et un an. Je ne fis pas le calcul sur-le-champ, mais à bien y repenser, je dois mal
avoir compris les subtilités de ma seconde langue, tout simplement. Nous arrivâmes à un dépanneur,
entre deux villes, juste avant Espanola. Il était maintenant dix-huit heures, et je devais commencer à
réfléchir à l’endroit où je devais dormir, car cette étape me préoccupait toujours. Durant la journée, à
chaque arrêt, je me disais que je devais me reposer, mais à chaque fois, je levais le pouce et
continuais. J’étais bientôt vers la fin de cette journée. Encore une fois, j’étais surpris de ma force
intérieure, le lendemain d’une journée épuisante, mais trop près du Québec pour m’arrêter. Je voulais
toucher le Manitoba le plus tôt possible. Mon conducteur m’offrit un café, me dit de tenter de passer
rapidement la région de Wawa et de « Sew », car le pouce ne fonctionnait pas à cet endroit, puis il
repartit.
Mon café étant terminé, je me dirigeai vers la route, espérant terminer ma journée de labeur le plus
rapidement possible. Mes pieds faisaient si mal que je ne pouvais pratiquement plus marcher. Près de
la route, je croisai un autre autostoppeur. Nous ne pouvions pas faire de pouce au même endroit, cela
ne faisait aucun sens pour moi, même si les possibilités que quelqu’un nous prenne les deux étaient
là. Mon "bacpack" était volumineux et l’autre homme en possédait un aussi. J’allai lui parler alors
qu’il me répondit que je pouvais lui parler en français. Il était québécois. Il était aussi en route pour
récolter du cannabis en Colombie-Britannique pour ensuite travailler en Californie. Je coupai la
conversation, épuisé, en lui disant que je lui laissais la route pour quelques dizaines de minutes et
que j’allais lever le pouce une fois qu’il serait parti. Il me remercia et me tendit un sac de cannabis
médical : « Choco Blaze ». Il me dit qu’il en avait trop avec lui et que pour des fins légales, il devait
se départir d’une certaine quantité. J’en avais maintenant une bonne quantité également, et je
commençais à réaliser que la marijuana était abondante au pays.
Pendant que je voyais mon collègue, au loin, le pouce en l’air, je remarquai que je n’avais pas le
profil conventionnel de l’autostoppeur. Ma barbe était courte et ajustée, mes cheveux étaient soignés,
mes vêtements semblaient propres à priori, et acceptables socialement. Bien que, pour moi, ce n’était
aucunement une question d’éthique, mais plutôt, une façon de rentabiliser les probabilités d’être pris
le plus facilement possible sur la route.
Je me dirigeai un peu plus loin de l’établissement. Je devais changer mes chaussures absolument, car
la douleur était rendue insupportable. Je portais mes sandales de Jésus et je voulais mettre mes
vieilles Converses délabrées. Le confort était moindre, mais si j’alternais entre mes deux choix,
considérant qu’ils me blessaient à des endroits différents sur les pieds, il m’était simplement logique
de changer le mal de place en alternance. J’enlevai mes sandales, puis mes bas qui étaient
littéralement collés sur les plaies de mes pieds. Je tirai d’un coup sec, pour tout retirer. Le sang
perlait littéralement de mes pieds sur le sol à grosses gouttes. La situation commençait à être
inquiétante, je devais absolument arrêter de marcher. Comme la température de la prochaine journée
ne s’annonçait guère favorable, j’allais surement m’arrêter très bientôt.
J’attendis environ trente minutes avant de remarquer que l’homme avait disparu, me laissant la route
pour vaquer à mes occupations. J’attendis par la suite un autre trente minutes à demander aux gens
d’embarquer avec eux d’un seul doigt. Un vieux camion sept passagers, bourgogne s’arrêta à côté de
moi, et un jeune couple d’origine autochtone sortit, ouvrit la porte coulissante arrière, et commença à
tout bouger leur bagage pour nous faire une place à Jym et moi. J’entrai dans le véhicule, satisfait,
encore une fois, pour le dernier transport de la journée, d’être installé sur la banquette arrière.
Nous fîmes quelques mètres seulement, alors que le véhicule tremblait de son entièreté. L’homme
s’exclama « fuck, the wheel’s still loose ». Il s’excusa, sorti du véhicule avec l’outil approprié, et
commença à serrer les noix de la roue avant gauche. J’espérais me rendre rapidement à ma prochaine
destination et surtout, ne pas rencontrer les difficultés associées à la perte d’une roue. Je devais
conserver le peu d’énergie qu’il me restait au cas où je doive redoubler d’efforts de façon inattendue.
Le jeune homme souriait. Il entra dans le véhicule et s’excusa du problème. Il me confirma que ce
n’était pas une maladie chronique du véhicule, mais seulement que le dernier mécanicien qu’il avait
engagé avait mal ajusté une roue dernièrement. J’étais soulagé. Puis, il me dit qu’il allait vers
« Sew ». Comme j’avais à rester sur la même route pour voyager à travers tout le pays, je ne
regardais que rarement le chemin. Je leur demandai si c’était bien loin. Ils me répondirent que c’était
à trois heures de route. J’étais si fier de mon parcours même si j’allais arriver assez tard en terre
inconnue ; sixième covoiturage de la journée, j’aurais peut-être parcouru six heures de route et deux
heures supplémentaires en bateau, au lendemain d’une journée si épuisante.
J’étais avec un jeune couple amoureux, ensemble depuis peu, et c’était beau à voir et à ressentir. Ils
rigolaient, se taquinaient. Ils revenaient de vacances passées dans cette fourgonnette, et étaient
heureux de passer chaque moment l’un avec l’autre. Ils fumaient la cigarette, mais seulement qu’une
seule à la fois, qu’ils s’échangeaient comme si, chaque fois, c’était une communion traditionnelle et
amoureuse. Ils me demandèrent si je fumais et je répondis la même réponse à laquelle j’étais habitué
à me coller : « Je ne fume pas la cigarette ». Le jeune homme me tendit une « vapoteuse » et me dit
qu’il aimait mieux fumer de l’huile de cannabis en auto, que c’était plus discret que l’odeur d’un
joint. Je « vapotai » donc un brin, le sourire accroché aux lèvres et demandai à Jym de me donner
mon nouveau sac de cannabis. Je sortis un gros fruit et lui donna, en guise de remerciement. C’était un
bel échange et nous en étions heureux.
Les amoureux me parlaient un peu de leur vacance, de leurs familles, puis, comme j’étais en arrière
et que nous avions au moins trois heures de route à faire, la discussion laissa place à la musique,
alors qu’ils continuaient à se taquiner et à discuter à l’avant. Un peu plus tard, ils me demandèrent si
l’idée de faire un court arrêt chez l’oncle de la jeune femme me posait problème, car elle ne l’avait
pas vu depuis un bon bout de temps. J’acceptai évidemment. Nous bifurquâmes en direction d’une
minuscule réserve des premières nations. Nous nous dirigeâmes vers un endroit où il y avait peu de
résidences. Même si je leur faisais confiance, Eva me signala qu’il n’y avait rien à craindre, mais
que la fatigue ne devait pas me rendre moins alerte. Je n’eus cependant pas le sentiment de danger
imminent. J’étais simplement heureux d’être témoin d’une communauté autochtone tissée serrée. Nous
croisâmes un immense terrain où une fête s’organisait, et la jeune femme me conseilla fortement
d’assister à un pow-wow sur ma route, si j’en avais la chance. Je voyais des chapiteaux et des
estrades se construire alors que j’imaginais la proportion gigantesque que cette fête allait prendre, où
musique, nourriture et amour étaient partagés entre les différentes communautés.
Nous continuâmes dans les petites rues de l’endroit pour nous arrêter devant une petite maison. Ma
nouvelle amie sortit du véhicule alors qu’une femme plus âgée lui ouvrit la porte. Pendant ce temps,
remarquant l’état du terrain entourant la maison, je confiai à son amoureux que je ne comprenais pas
comment des gens, dans notre société, pouvaient juger ou encore être dérangés par une cour comme
celle qui se trouvait devant nous. Certains objets étaient laissés à l’abandon alors que l’herbe était
loin d’être fraîchement coupée, ce qui aurait même pu contrevenir à certaines règles d’entretien
collectif. Je réfléchissais à voix haute et je remettais en question l’obligation de donner une coupe de
cheveux fraîche à sa pelouse, plusieurs fois par mois, dans le but d’être accepté par les normes
esthétiques. De plus, pour l’entretien du terrain d’un voisin, tant de conflits, de haine, de jugements
pouvaient éclater, comme s’ils étaient justifiés par une anxiété intérieure à la vue d’une telle maison.
Pour moi, c’était de la poudre aux yeux devant une fausse négativité qui pouvait être évitée. Mon ami
ajouta que dans leur communauté, ce n’était pas vraiment un sujet de discussion, que les querelles se
faisaient rares, et qu’elles n’étaient pas motivées par ce genre de détails insignifiants. Je sentis qu’il
en était fier.
Il continua de m’expliquer que sa copine n’habitait plus dans le coin depuis un bout de temps et
qu’elle avait été très près de son oncle qui l’avait pratiquement élevé. Leurs familles se connaissaient
depuis toujours, mais suite à un déménagement, ils s’étaient perdus de vue. Ce n’était que très
récemment qu’ils s’étaient retrouvés. Je trouvais leur histoire très touchante. Puis, il prit une pile de
billets de loto à gratter et commença à jouer. Il m’expliqua que gratter était l’un de leurs passe-temps
préférés. Il en avait des centaines à la maison. Il me dit que pour lui, ce n’était qu’un jeu et non une
question d’investissement. La relation que l’on construit avec ce genre de jeu de hasard était plus
importante que le gain, elle se devait d’être saine. Par exemple, il lui était déjà arrivé de gagner
plusieurs centaines ou même plusieurs milliers de dollars. C’était à chaque fois un joli cadeau du
ciel. Mais le jeune homme prenait une bonne partie de l’argent, pour acheter une bonne quantité de
billets, pour continuer à s’amuser, car le jeu devait rester un jeu et non une façon de gagner de
l’argent. Il me confia qu’il ne voulait jamais dépendre de l’appât du gain.
Puis, la jeune femme revint avec sa tante qui voulait absolument voir la moitié manquante de sa nièce.
Elle dégageait une sérénité palpable et respirait la sagesse. Je me considérais chanceux d’en être
témoin. Mon amie était quand même déçue de l’absence de son oncle qu’elle aurait vraiment aimé
revoir. Puis, nous étions tous prêts à partir. Alors que nous sortions du chemin de l’entrée de la
propriété, une camionnette se stationna juste en arrière de nous. Un homme issu des premières
nations, cheveux longs noirs, sorti du véhicule alors que la jeune femme sortit également du nôtre
pour lui sauter dans les bras. C’était son oncle qui revenait. Il s’approcha du véhicule avec un outil et
serra deux fois plutôt qu’une la roue défectueuse de la camionnette pour s’assurer de la sécurité de sa
nièce. Puis, il taquina le « chum » de celle-ci en ramenant le souvenir d’une vieille blessure du jeune
homme quand il était gamin. Puis nous repartîmes rapidement, heureux, témoins d’une famille et d’une
communauté soudées.
Le reste du trajet fut très léger. J’essayais de trouver « Sew » sur mon GPS, mais sans succès alors
que les amoureux se taquinaient et échangeaient toujours une cigarette. Je me sentais à l'aise avec eux,
comme s’ils faisaient partie de ma famille. Je me disais que j’étais peut-être moi-même membre de
l’une de ses communautés dans une ancienne vie et, qu’après tout, beaucoup de Canadiens partagent
un lien de sang avec celles-ci. Après un moment, je demandai où était « Sew ». Ils me répondirent
par une question : « tu ne connais pas Sault-Sainte-Marie ? » Là, je pouvais me situer. Ils me
confièrent qu’ils ne savaient pas pourquoi, mais que Sault dans le nom de cette ville se prononçait
« Sew ». Je demandai alors si c’était véridique la rumeur à laquelle il était difficile d’être
autostoppeur dans ce coin de pays. Ils me répondirent qu’ils n’avaient jamais entendu ce genre
d’histoire auparavant. De toute façon, rendu où j’étais, je n’avais pas le choix de l’expérimenter.
Je voyais les différentes signalisations défiler devant alors que j’appréhendais déjà mon arrivée d’un
œil nostalgique. Comme si je quittais des gens de ma propre famille. Pourtant, rien n’était si différent
avec ces gens. J’avais seulement la possibilité d’être moi-même avec des inconnus, et c’était
délectable. Je pris la décision d’arrêter à un motel. Il était déjà très tard, et après ce parcours
tumultueux, j’avais besoin d’une nuit de sommeil extraordinaire que ma tente sans matelas ne pouvait
me procurer. Mes pieds étaient littéralement en sang et je n’avais pas pris de pause depuis des jours,
m’exposant à des situations périlleuses. J’avais, par contre, le sentiment que la vie voulait me faire
vivre le pire au tout début, après l’histoire du crack et celle du serpent à sonnette, comme si elle me
disait que si je passais à travers ces épreuves, plus rien n’allait m’impressionner. Aussi, mon niveau
de préparation et d’alerte allait être à son maximum.
Arrivé à destination, le jeune couple prit le temps de m’attendre à l’extérieur du motel pour me
donner la chance de voir s’il y avait une place pour moi. Tout était positif, sauf le montant exorbitant
à payer pour une simple chambre, qui égalait mon budget total pour la semaine. Je payai quand même,
car je devais me reposer et j’avais peur que la pluie s’abatte sur la région d’une minute à l’autre. Je
demandai à l’homme au comptoir si je devais quitter le lendemain à midi et il me
répondit : « 10h00 ». Il était déjà 23h30, je devais manger, me laver, j’aurais voulu réorganiser Jym
qui se laissait aller drôlement et je voulais dormir un bon nombre d’heures. J’avais l’air déçu, sans
vouloir trop insister alors que l’homme ne semblait pas se préoccuper d’un voyageur exténué.
J’acceptai le règlement sans rien ajouter, mais à l’intérieur de moi, je me disais que l’argent était un
facteur important qui pouvait mettre un frein dans nos relations, d’un inconnu à l’autre. Je sortis et
serrai le couple dans mes bras, leur dis que je les aimais et leur souhaitai bonne continuité.
À l’intérieur de la chambre, mon premier objectif était de prendre une longue douche. En étalant le
contenu de mon sac un peu partout et en préparant ma douche comme un rituel religieux, je
réfléchissais à ce que le shaman m’avait dit, sur mon âme de guérisseur. Je savais bel et bien que
j’étais capable d’aider les gens à réfléchir ; sur eux-mêmes et sur leur environnement. Que j’étais
souvent le confident de beaucoup de gens de mon entourage, même, parfois, bien malgré moi. De
plus, j’étais conscient que je dégageais une énergie positive qui pouvait faire du bien à l’énergie des
gens autour de moi. Je suis le genre de personne à me préoccuper du bien-être des autres et les gens
se sentent bien en ma présence. Alors, si nous sommes un complexe équilibré entre ; le corps, la
psychologie, et l’âme, il allait de soi que je voulais tenter d’aider l’aspect physique des autres
également, car je réussissais déjà bien à les aider psychologiquement et spirituellement. Comme
j’avais appris auparavant que l’eau nettoyait l’énergie et apportait la guérison, j’appréhendais ma
douche avec impatience. Une fois dévêtus, mes pieds étaient dans un piteux état. Je subissais environ
cinq ampoules par pieds. Je m’assis au fond de la douche et donnai de l’amour à mes pieds, tout en
les lavant, en les massant délicatement et en priant sincèrement, à l’intérieur de moi-même comme si
je continuais ce rituel personnel. Une fois la douche terminée, je mangeai, plaçai tout ce dont j’avais
besoin pour le lendemain, fumai une cigarette de cannabis, et dormie d’un sommeil réparateur.
Chapitre 6
Compassion to Sew

10 août 2017

Au lendemain, mon alarme me réveilla assez tôt, car je devais suivre le règlement. Jym s’était
éparpillé partout dans la chambre, alors qu’Eva me pressait à partir pour ne pas être pris à marcher
sous la pluie. Étonnamment, je ne pris que quelque peu de temps à organiser mon sac qui se portait
mieux que jamais, affichant haut et fort les vertus du cœur, ainsi que la tresse de foin d’odeur qu’on
m’avait donné la veille. J’avais comme objectif de trouver une place, tout près, où je pusse
commencer à écrire ce récit, car j’avais des idées plein la tête. Je déposai les clefs de la chambre à
l’endroit approprié, et me dirigeai vers le Centre-Ville de Sault-Sainte-Marie. Je marchai environ
trente minutes avant de remarquer que mes pieds ne me faisaient presque plus mal. Peut-être étais-je
habitué, en quelque sorte, mais je sentais que j’en étais béni. En y pensant, je regardai mes pieds, et
vis une magnifique plume sur le sol que je pris aussitôt pour la donner à Jym. Puis, en marchant plus
loin, je remarquai des buissons derrière un atelier de charpenterie, adjacent à un stationnement d’un
supermarché. L’emplacement était minuscule, que quelques mètres carrés, mais parfait pour
m’assurer une discrétion adéquate. Je plaçai lentement ma tente et y entrai juste avant que la pluie se
mette à tomber sur la région. J’y écris toute la journée.
La nuit tomba et j’avais passé une simple et belle journée avec mes pensées. J’étais bien, la pluie
s’était calmée, et j’étais prêt à y passer la nuit, fier de l’efficacité de ma première cachette officielle
au beau milieu d’une ville. Pour la première fois depuis mon départ, je laissai Jym se reposer dans la
tente et je sortis faire un tour seul avec Eva. Je marchais dans le quartier où j’habitais très
temporairement, et je me sentais léger comme une plume. C’était comme si avoir mon énorme sac sur
les épaules était ma condition, normale et ne pas l’avoir était une situation spéciale. Je me sentais si
en forme, comme si je pouvais voler. Je retournai à ma tente, par la suite, et je fus rassuré que rien ne
semblât avoir disparu. Je m’installai alors pour dormir, pour être en forme pour la prochaine journée.
Enfin, j’avais trouvé le temps de me reposer totalement.
Soudain, j’entendis de forts bruits tout autour de ma tente. Des camions ou des tracteurs, des bruits
d’outils ; assez pour me tenir éveillé. Je compris alors que l’atelier de charpenterie était actif la nuit.
C’est pourquoi je n’avais rien entendu durant la journée. J’étais dans le noir total et je riais, seul
avec moi-même, de cette malchance qui n’était que typique de ma personnalité insouciante à propos
de ce genre de détail. C’était certes dérangeant, mais si cocasse que le moment était palpable. Les
bruits déferlaient tout autour de ma tente, dans une malchance qui me faisait accepter de vivre avec ce
genre d’erreur niaiseuse. Puis, j’entendis une autre sorte de bruit. Celui-ci était un peu plus
inquiétant, car il était précédé d’un énorme éclat de lumière. C’était le tonnerre. Les émanations de
lumières soudaines et le lourd bruit qui les suivaient de peu se rapprochaient drôlement. Eva me
répétait constamment que je n’avais pas à m’en faire, que j’étais protégé et que j’avais déjà connu
pire. Elle avait raison, car cette nuit-là, il plut tout autour de la ville, mais le quartier où j’étais resta
au sec. Je réussis à m’endormir tout de même tôt le matin, sous le bruit puissant et incessant du
tonnerre de l’Ontario.

11 août 2017

Je me levai en forme au lendemain matin et je commençai la journée avec un positivisme accru. Je


voulais visiter la ville avant de partir. Peut-être même y passer encore une nuit. J’aidai Jym avec le
département de l’équipement et des accessoires, pour ensuite me diriger, finalement, vers le centre-
ville de Sault-Sainte-Marie, comme j’avais arrêté ma course la journée précédente. Une heure et
demie plus loin, j’étais rendu à destination et je visitais la ville. Je cherchais un parc pour y méditer
et pour y écrire, car j’étais sur une lancée. Je voyais les nuages arriver près de la frontière
américaine, au sud de la rivière, et je me doutais que je ne pouvais pas continuer comme ceci, sans un
toit au-dessus de ma tête. J’étais en direction d’un parc, où se trouvait un belvédère qui aurait pu être
une échappatoire à court terme. Je sentis alors quelques gouttes de pluie toucher mon visage. Je
passai par un centre d’achat et me précipitai à son entrée pour m’y abriter pour ce que je croyais être
une averse de quelques minutes simplement. J’entrai dans l’établissement pour y marcher quelques
instants. Un peu plus loin, au beau milieu du couloir principal, je vis une table et des chaises où
j’allai m’installer pour continuer à écrire, profitant de l’opportunité à laquelle la nature me faisait
faire face. L’endroit était peu propice à la création, car tout bougeait beaucoup autour, mais c’était à
moi à créer mon espace, tout simplement, avec mon énergie et l’énergie passagère de tous ceux qui
pouvaient y passer.
Juste avant de m’asseoir pour commencer à écrire, un homme m’interpella. Il était âgé, mais hippie. Il
avait des tatous, était vêtu de cuir, un bandana sur la tête et avait une longue barbe grise. Il m’aborda
en commentant mon cristal de quartz et me dit qu’il fabriquait ses propres colliers avec des roches et
des minéraux. J'aurais aimé qu'il m'en apprenne davantage sur la propriété des différents minéraux.
Mais ses activités étaient plutôt à des fins accessoires. Nous discutâmes quelques instants, puis il me
dit que ma prochaine destination était Thunder bay. Je lui répondis : « Parfait c’est compris ». Puis, il
partit.
Je m’assis à la table et continuai à écrire, mais je fus encore dérangé par une dame native, cette fois-
ci, qui était fort sympathique et seulement curieuse. La conversation fut très brève et je me rendais
compte à quel point les inconnus étaient sympathiques, ouverts et heureux. Je baissai la tête à nouveau
vers mon cahier quand un autre homme m’aborda. Je réalisais, bien malgré moi, que je ne pouvais
décidément pas écrire. Il était âgé et blême. L’étincelle de passion que possédait son regard laissait
croire qu’il était quelqu’un d’assez ouvert. Habituellement, j’essayais de m’attarder aux histoires des
autres avant de raconter la mienne, mais cette fois-ci, j’étais celui qu’on passait en entrevue. Je lui
parlai des valeurs qui motivaient mon voyage de la façon la plus authentique possible. Je lui racontai
mon départ précipité, mes aspirations et je lui parlai même de mes croyances. Il semblait si intéressé.
Il partageait sa sagesse et son expérience ; et je partageais ma fougue et ma contemplation naïve.
Nous étions heureux. Puis, au bout d’un bon trente minutes, il repartit, satisfait d’un bel échange d’un
inconnu à l’autre. Pour ma part, je me faisais penser à mon père qui me faisait souvent attendre en
discutant trop longuement de tout et de rien avec n’importe qui.
Je continuai à écrire au beau milieu de ce temple du mercantilisme, tant bien que mal, sans lever la
tête, pour être sûr de garder ma concentration, alors que j’attirai bien évidemment l’attention malgré
moi. Je fus interpellé encore une fois. Je levai la tête, et aperçus le même homme qui était de retour
pour me présenter sa douce femme.
Il me la présenta en me complimentant en cours de route. Je ne discutai que quelques minutes avec cet
exemple d’amour amoureux. L’homme interrompit la conversation pour sauter dans le vif de ses
intentions et me demanda si je voulais bien accepter son hospitalité pour la nuit ; un bon repas, une
douche, un lit, et aussi, pour regarder la partie de baseball en soirée avec lui. J’étais touché et ému
d’une telle compassion. Je fermai mon livre et acceptai volontiers, en le remerciant au moins mille
fois de cette preuve de gentillesse qui redonne tout simplement foi en l’être humain.
Le couple n’avait que quelques courses à faire avant de retourner à la maison. Eva, Jym et moi les
accompagnâmes jusqu’à la voiture, et je discutai tant avec l’un qu’avec l’autre. Nous étions en route
vers l’épicerie, car le couple voulait concocter un bœuf Strogonoff pour m’accueillir. Je n’avais pas
mangé de viande depuis mon départ, moi qui voulais être végétarien depuis peu, mais, après ces
difficiles journées à manger principalement du pain, des légumes et des noix, je ne pouvais refuser un
tel cadeau. Nous nous arrêtâmes au supermarché et l’homme me laissa seul avec sa femme qui
semblait un peu plus en forme que lui. C’était l’occasion de connaître cette inconnue. Comme à
l’habitude, je me mis à parler de tout et de rien. Elle me parla de sa fille qui habitait plus loin au
Canada et qu’elle aurait aimé la voir plus souvent. Elle m’expliqua qu’elle était heureuse pour sa
fille, fière de la façon dont elle évoluait, et que c’était son rôle de mère de la laisser aller. Mais elle
s’ennuyait beaucoup d’elle, bien évidemment. Je sentis une pointe de tristesse dans sa voix, mais
quelle mère ne serait pas triste d’être loin de son enfant ? Puis nous parlâmes de musique ; de pièces
musicales qui ont du sens pour nous et pour l’humanité. « Imagin » de John Lennon, « Halleluja » de
Leonard Cohen, « Money » de Pink Floyd ce qui nous amena, par la suite, à parler du pouvoir de
l’argent. Elle lisait justement un livre sur le sujet. J’étais quand même surpris d’avoir autant de
facilité à connecter avec une Ontarienne dans la soixantaine. Comme quoi, seulement avec un peu de
volonté, tout le monde peut créer des liens d’une personne à l’autre.
L’homme revint au véhicule deux douzaines de minutes plus tard, aussi zen qu’à son départ. Sa femme
et moi étions satisfaits de cet échange fructueux en toute authenticité. Le couple me demanda si le
bœuf Strogonoff me plaisait et je répondis : « oui » sans hésitation. J’aurais frisé l’ingratitude envers
eux, envers moi-même et envers la vie, si j’eus refusé une telle opportunité. C’était mon premier vrai
repas depuis mon départ, mais aussi, la première fois que j’allais manger de la viande. De toute
façon, je crois fortement qu’il est nécessaire d’éviter n’importe quelle forme de culpabilité, car ce
sentiment n’est que négatif et ne fait que nous emprisonner à l’intérieur de nous-mêmes ; aussi bien
assumer. Nous reprîmes la route pour nous rendre à leur chaleureuse maison.
De l’extérieur, la maison ressemblait à une petite maison propre de banlieue. Il y avait quelques
décorations sur un terrain entretenu. Tout avait l’air en ordre. En entrant, par contre, tout semblait
illuminé. Les décorations avaient le style des années soixante et soixante-dix, mais entretenu au gout
du jour. La maison paraissait définitivement plus grande de l’intérieur. La douce femme m’interpella
pour me montrer où était ma chambre. Elle fit mon lit devant moi, m’expliquant les différentes règles
de la maison et l’importance qu’un lit soit placé de cette façon particulière. Je ne pouvais que les
remercier pour leur gentillesse infinie. Elle m’expliqua que j’étais la deuxième personne que le
couple invitait par pure compassion. J’étais flatté. Nous fîmes le lit ensemble, puis elle se dirigea
vers l’étage pour commencer à préparer le repas. Jym s’installa dans un coin, alors que j’étais sur le
lit à remercier la vie du cadeau que je recevais. J’entendis une voix qui m’appela de la pièce
adjacente. C’était la dame qui voulait me montrer sa pièce de yoga, elle qui était professeur de cette
discipline et qui avait remarqué le symbole du cœur, accroché sur mon sac. Ensuite, nous allâmes
ensemble à l’étage où l’homme nous attendait. Il m’offrit une bière que j’acceptai volontiers.
Nous discutâmes pour un bout de mes inspirations, de ce qui m’avait poussé à partir. L’homme était
si ouvert et curieux de connaître mes idées, comme s’il cherchait quelque chose. Ensuite, nous
parlâmes de lui. Il était un père, un voyageur, un mari, un sportif. Malgré une belle vie, la maladie
avait atteint son cœur, plusieurs fois. Il semblait dire qu’il avait été attaqué plus de cinq fois déjà. Il
était si bon, que je me questionnai à propos des décisions que la vie peut prendre. Mais, en même
temps, la vie nous amène à apprendre, plutôt qu’à nous donner tout ce que l’on veut dans le seul et
unique but commun d’évoluer ; tous ensemble. Il m’expliqua qu’il était aussi atteint d’épilepsie,
depuis peu, et qu’il s’était lourdement frappé la tête dernièrement, assez fort, qu’il avait fricoté avec
le coma, avec l’amnésie, les maux de tête et tous les symptômes qui s’y rapportent. Mais comme on
ne peut juger d’un évènement qu’en surface, cette commotion l’aurait transformé. Il continua en
m’expliquant qu’avant cet accident, il menait sa vie, tranquillement, alors que son coup à la tête eut
un impact sur ses inhibitions et sur sa curiosité face à la vie. Une nouvelle porte vers l’humanité
s’était ouverte. Cette même porte qu’il traversa plus tôt dans la journée pour m’aborder et qui
m’octroya directement la bénédiction que je recevais à l’instant. Bref, ce malheur était maintenant
directement lié au développement de mon aventure, et à la bonté qui s’y émanait à l’instant présent. Il
se promenait dans la maison, me racontant ses histoires, et je ne pouvais que passer l’éponge sur son
essoufflement flagrant. L’homme n’était pas en forme. Il me faisait penser à mon père, au cours de ses
pires années, et je ressentais une énorme compassion à son égard. Il était heureux, mais essoufflé en
permanence. Je lui offris alors mes services pour exécuter n’importe quelle tâche de la maison. Alors
qu’il refusa catégoriquement, sa femme était plutôt d’accord avec moi, expliquant que l’herbe était à
tondre. J’acceptai avec le plus grand des bonheurs, mais l’homme continua de refuser, peut-être trop
fier, et voulant tout donner sans recevoir. Pourtant, espérais tant pouvoir redonner.
Après une courte pause, j’eus l’idée de prendre une douche avant souper, dans le but de relaxer un
peu et de me départir de toute cette lourde énergie que j’avais accumulée depuis ces dernières
journées épuisantes. Je demandai donc à mes merveilleux hôtes d’emprunter leur salle de bain,
demande qu’ils acceptassent aussitôt. Je ne croyais toujours qu’à moitié au luxe que j’avais de
pouvoir me laver à l’eau chaude, mais aussi à celui d’avoir une chambre à moi, un lit propre, et un
couple retraité qui voulait prendre soin de moi. Je les remerciai, encore une fois, leur disant que ce
ne serait surement pas la dernière fois qu’ils entendent ces mots sortir de ma bouche.
Je me rendis au sous-sol pour aller chercher mes vêtements et mes accessoires pour me laver. J’étais
heureux. L’homme généreux me suivit de peu, fermant les lumières derrière moi. Il me dit que s’il y
avait une règle stricte dans la maison, c’était bel et bien de fermer les lumières derrière soi en tout
temps. C’était surement une valeur qui le suivait depuis son jeune âge. Une habitude que je respectais
entièrement, bien que je ne comprenne pas l’importance d’être aussi assidu et inquiet pour ce genre
de détail. Je lui répondis que c’était mon genre d’insouciance de les oublier et donc, qu’il était plus
que le bienvenu de me le rappeler en tout temps. Je lui dis : « Je suis comme ton fils aujourd’hui,
alors tu peux tout me dire, je vais faire de mon mieux pour respecter les règles de cette demeure ». Je
réitérai, par la suite, mon désir de couper l’herbe de la pelouse en guise de remerciement et surtout
d’aide. Mais l’homme était borné, il me rappela que j’étais un invité et qui lui faisait plaisir de
m’inviter sans prix. Je savais, bien sûr, qu’il se disait que s’il ne m’avait pas invité, il aurait effectué
cette tâche quand même, et je le comprenais, j’aurais cependant sincèrement aimé l’aider. Je le
remerciai encore.
J’allai à la salle de bain. Sa douce femme avait préparé tout ce dont j’avais besoin pour profiter
d’une bonne douche chaude. J’étais aux anges. Pour vous épargner les détails, je terminai ma douche
quelques minutes plus tard, pratiquement transformé, je sentais que toute la pression était partie. Je
sentais des frissons de béatitudes se déposer sur le dessus de mes épaules, s’enroulant autour de mon
cou, de mon cœur et même jusqu’à la plante de mes pieds qui n’était plus douloureuse. J’allai les
rejoindre à la cuisine, les remerciant, encore une fois, moi qui n’étais pas habitué à recevoir autant.
Le couple me signala alors que le repas était servi. Nous nous assîmes à table, un magnifique bœuf
Stroganoff devant moi, ainsi qu’une salade et une coupe de vin. Je n’y croyais simplement pas.
C’était trop beau pour être vrai.
Je prenais tout mon temps pour déguster mon assiette, alors que mon cerveau me criait de tout
engloutir d’une seule bouchée. J’aurais littéralement mangé avec mes mains et bu ma coupe de vin en
une gorgée. Mais les règles de bienséance m’aidaient à ne pas trop en faire et à tout manger
tranquillement.
Bien qu’auparavant j’eus parlé de spiritualité, l’homme me demanda, toujours un peu essoufflé,
quelle était ma conception de l’après-mort. J’étais quand même surpris, qu’un homme blême avec les
cheveux blancs et un bon bagage d’expériences, mais frappé par le travail du temps, voulait connaître
ma conception, du haut de ma vingtaine presque achevée, d’un concept aussi abstrait que l’après-
mort. Peut-être, réfléchissant un peu tard sur le sujet, voulait-il se faire une idée pour mieux
appréhender ce sujet qui fait si peur. Sa femme ne semblait pas si à l’aise d’aborder le sujet, je la
sentis un peu anxieuse. C’était par contre, une question légitime, et je devais émettre une réponse
légitime. Je lui expliquai alors que je croyais en la réincarnation. Que tout commençait par la
question : « Comment nous sentons-nous après la mort ? » Alors que certaines personnes croient au
paradis, d’autres au néant, et d’autre à une noirceur infinie, j’expliquai que je n’étais pas capable de
croire en le début ou la fin de l’existence, donc, que si je regardais à l’intérieur de moi-même, je
savais que nous étions éternels ; que nous avions une âme !
Sur ce, je mentionnai fermement que je croyais au paradis et à l’enfer et que je croyais également à la
réincarnation. Le paradis et l’enfer pour moi étaient le travail du karma et le fruit de ce que l’on
sème, tout simplement, à travers plusieurs vies et dimensions. Et que le karma n’était pas un bourreau
comme les gens le concevaient habituellement, mais plutôt un professeur qui aidait notre conscience ;
notre âme dans une armure organique ; à évoluer pour passer l’examen cosmique, et finalement nous
amener à la prochaine étape vers l’évolution commune, en route vers le paradis. Car l’énergie de
notre âme est la même énergie qui compose tout ce qui existe. Le paradis, quant à lui, était l’endroit
où nous allions entre nos différentes vies terrestres pour continuer le cycle de réincarnation, et
apprendre à évoluer individuellement et collectivement, jusqu’à tant que nous n’ayons plus besoin de
revenir ici-bas.
Mes deux interlocuteurs étaient silencieux. J’expliquai alors que c’était seulement mes croyances et
que, pour moi, c’était plus important d’être informé, et de tenir à ses croyances que de tenter de
trouver une logique ou encore de convaincre les autres d’une vérité discutable. L’homme me dit que
c’était très intéressant, il se tourna vers sa femme qui était calme et douce, mais qui réfléchissait. Il
lui demanda ce qu’elle en pensait, alors qu’elle répondit qu’elle était toujours tout ouïe, mais qu’elle
n’avait rien à commenter. Il me demanda alors, qu’est-ce qu’était l’évolution de l’âme à mes yeux. Je
lui répondis que c’était vraiment une bonne question. Car, comme plusieurs religions l’ont imaginé, la
réincarnation nous fait passer d’une vibration à l’autre en évoluant, et comme nous sommes constitués
de plusieurs chakras et que ces chakras sont les différentes énergies qui nous parcourent, il fallait que
notre énergie développe chacune de ses facettes d'elles-mêmes, à différentes échelles cosmiques,
dans l’ordre, pour évoluer. J’attirai alors l’attention de la dame qui était concernée par ce genre
d’information, étant elle-même professeure de yoga.
J’expliquai que le premier chakra, celui qui se trouve près du coccyx, était le chakra d’énergie pure ;
les quatre éléments, pour constituer tout ce qui existe dans sa forme physique. Nous sommes faits
d’eau et de minéraux, il est donc normal de développer cette énergie en premier, pour simplement
nous constituer.
Ensuite, le deuxième chakra était le chakra de l’intelligence, du plaisir et de la passion.
L’intelligence est, par contre, mal interprétée par notre science qui avance que nous avons besoin
d’un cerveau pour être intelligents, alors que pour moi, il faut être aveugle pour ne pas remarquer
l’intelligence d’un arbre, d’une forêt, d’un animal, etc. J’enchaînai en disant que l’évolution était
constante et que personne n’était stagnant sur chacune de ses facettes, mais toujours entre-deux. C’est
pourquoi un chien de compagnie peut sembler avoir une conscience, car il se rapproche tellement du
troisième chakra, celui de la conscience de soi, qu’il peut être à l’aube d’une évolution drastique,
changeant les vibrations de son environnement pour réécrire les plans divins de l’existence en soi, et
favoriser son évolution physique, mentale et spirituelle. Ce qui expliquerait, par le fait même, le
chaînon manquant.
Je pris une pause pour voir les réactions des deux sages en face de moi qui buvaient littéralement mes
paroles et qui en faisaient la part des choses. Je continuai. La troisième étape à l’évolution était
alors, le troisième chakra : la conscience. C’est ce qui nous différenciait, nous ; les humains, d'autres
formes de vies. Quand on devient humain, bien installé sur les vibrations de la troisième densité, on
oublie l’important et on se bâtit un égo pour se différencier des autres. Nous sommes tous séparés les
uns des autres, par une conscience d’égo qui nous pousse à nous identifier avec un nom, avec une
personnalité, à réaliser que nous avons des désirs, des émotions, non seulement que des besoins, et
nous pousse à réfléchir sur nous-mêmes. Ce que les animaux de font pas nécessairement. J’expliquai
aussi qu’il était difficile, pour moi, de comprendre pourquoi certaines personnes, s’identifiaient aux
comportements animaux, car si nous suivons la logique de l’évolution, il fallait viser la prochaine
étape et non la précédente. Car notre conscience est l’instigatrice du bien et du mal ; elle est, en soi,
le fruit défendu.
Mon nouvel ami me demanda alors quelle était la prochaine étape, d’après moi. Je lui répondis
qu’elle était la plus simple, mais que c’était elle qui séparait les chakras inférieurs des chakras
supérieurs, donc une étape difficile à franchir, surtout après une amnésie programmée. Car, le but de
la troisième étape était donc de construire cet égo pour être fort, et de réaliser lentement que cet égo
n’est qu’illusoire et que nous devons le mettre de côté pour travailler ensemble. Et ce n’est qu’en
souffrant qu’on peut réaliser que la souffrance est obsolète.
Donc, le quatrième chakra ou la quatrième densité est l’Anahata, le chakra du cœur ; l’amour, la
compassion, la générosité, etc. Je réitérai que ce n’était que mes croyances, que je ne voulais pas les
imposer et que pour évoluer, individuellement et en communauté, nous n’allions pas y arriver en se
concentrant sur notre égo ou encore sur notre technologie, mais bien en nous concentrant sur un amour
inconditionnel envers nous-mêmes, envers l'autre et envers la vie. Que c’était ce que le karma voulait
nous apprendre, et que c’était un des buts de mon voyage : en être témoin, prouver, donner et recevoir
l’amour avec un grand A, et que c’était aussi au cœur de la majorité des religions connues: l’amour
est le chemin vers le paradis.
Bien que mon discours nécessite une grande adaptation du cerveau, je savais que le cœur pouvait le
comprendre très rapidement. C’est pourquoi que j’ajoutai que, pour moi, le cerveau n’était qu’un
ordinateur organique et que notre âme l'utilisait pour traiter l’information de notre subconscient à
notre conscience. C’est pourquoi il fallait absolument développer la conscience avant le cœur, même
si je crois que le cœur était le berceau de notre réelle réflexion.
L’homme se tourna vers sa femme, mais les deux étaient sans mots. Ils écoutaient, comprenaient,
compatissaient à la logique de mes mots, même si je savais que mon discours était divergent du
discours catholique traditionnel.
Par la suite, nous changeâmes de sujet. Non pas par manque d’intérêt ou par désaccord, mais je crois
qu’il y avait assez d’information dans l’air pour réfléchir sans trop en ajouter. L’homme âgé me
remercia du partage en me disant que c’était plus qu’intéressant et que ma vision était jeune et
différente de ce que l’on pouvait entendre habituellement. Je réalisai quand même, que l’homme,
après quelques problèmes de santé, était en mesure de se questionner sur un futur tout de même
rapproché et que, bien que nous ne pussions réellement savoir ce qu’il y a après la mort, et bien que
la mort soit inévitable pour chacun de nous, nous devons, sans aucun doute, faire la paix avec celle-
ci, sans craintes ni attentes, mais seulement avec une certaine appréhension.
Le repas était déjà terminé. La viande fut bonne, le vin également. Nous nous tournâmes vers l’heure
et il était déjà temps de regarder la partie de baseball. Les Blue Jays étaient l’équipe pour laquelle
nous allions prendre, et, pour un instant, je réalisai que je devais prendre conscience des équipes de
sport de chaque région que j’allais visiter. Nous étions toujours en Ontario, donc, il allait de soi que
l’équipe de l’heure soit les Jays. J’offris mon aide pour prendre les assiettes et laver la vaisselle
alors que la femme m’arrêta aussitôt pour m’interdire catégoriquement d’aider. Elle m’invita à passer
au salon, pour rejoindre son mari et m’asseoir devant la télévision pour profiter du divertissement
sportif proposé. Mon nouvel ami m’avertit, par contre, que la partie était sérieuse et que nous
n’allions pas parler beaucoup, car nous voulions nous concentrer sur le déroulement de celle-ci. Je
lui répondis que, pour moi, étant sur la route, c’était souvent une bénédiction, en fin de journée, de ne
pas avoir à engager une conversation. Je m’assis sur un des divans, alors qu’il était sur l’autre et la
partie commença.
L’homme était quand même plus curieux qu’il le paraissait. Il attendit la première pause publicitaire
pour me parler. Il me demanda si j’étais bien installé, si j’avais besoin de quoi que ce soit. J’étais si
touché qu’il s’occupe de mon bien-être, car depuis un bout, j’étais seul garant de tout ce qui pouvait
m’arriver. Je répondis brièvement que tout était parfait et que je n’allais peut-être pas regarder la
partie au complet, car j’étais fatigué. De plus, mon téléphone cellulaire n’arrêtant pas de sonner. Ma
mère était plus que soulagée et remerciait le ciel de voir que je tombais sur des gens si généreux sur
la route de mon évolution. Je regardais la partie d’un œil, mon cellulaire de l’autre, et je ne semblais
pas déranger mon hôte par la supposée impertinence de ma génération à être connectée à un écran
miniature et à un monde virtuel. De plus, j’expliquai que si je n’avais pas ce dispositif, je ne serais
certainement pas capable de vivre cette aventure avec autant d’aplomb. Car mes proches et ma mère
m’apportaient une énergie indescriptible qui me donnait la force de vivre tout ce qui pouvait
m’arriver.
Sa femme, ayant terminé de laver la vaisselle, vint nous rejoindre au salon, m’apportant des
couvertures, des coussins et me demanda, à son tour, si j’avais tout pour être bien. De plus, elle
m’invita à m’allonger sur le divan et même à fermer les yeux si je le souhaitais. Elle me dit qu’elle
pouvait me réveiller si jamais je m’endormais dans cette pièce. Je la remerciai en lui disant que
j’étais fatigué et que j’allais, de toute façon, aller à ma chambre très bientôt. J’étais toujours étonné
de l’immense générosité de ce couple. Cependant, je sentais qu’elle était stressée. Je sentais qu’elle
s’inquiétait de la santé de son mari alors que j’étais peut-être un peu de trop incrusté dans leur
routine sécuritaire, adaptée à la santé de son mari. Elle s’assit à ses côtés, également avec une
couverture.
Nous continuâmes à regarder les Blue Jays jouer un match serré alors qu’ils perdaient de peu. À
certains moments, l’homme perdait sa concentration pour me poser des questions à propos de ma
famille, de mes amis, de ma vie hors de l’aventure, mais nos échanges étaient plutôt courts, car la
partie était en cours et la fatigue me poussait à être de plus en plus discret. J’étais tout de même plus
que confortable, étendu de tout mon long sur le divan d’un inconnu, avec une couverture, des
coussins, regardant une partie de baseball, comme un fils avec son père.
Vers la septième manche de la confrontation, le pointage n’avait pas bougé depuis quelques rondes
déjà, mes yeux fermaient par eux-mêmes et je sentais que mes amis étaient de plus en plus fatigués
également. De plus, je sentais que la dame était de plus en plus préoccupée de cette sortie de leur
routine quotidienne. Je les remerciai encore une fois, leur souhaitai une bonne et douce nuit, et les
quittai pour rejoindre ma chambre.
Je me rendis au sous-sol, allai directement à ma chambre et saluai Jym qui y dormait toujours dans le
coin. J’avais comme idée de fumer un peu de cannabis avant de dormir, mais je ne voulais pas
soulever de débat envers ce fruit controversé. J’avais déjà abordé le sujet, auparavant, avec mon
ami, quand il me racontait à propos de certains de ses traitements et de ses migraines. Je savais bien
qu’il n’avait rien contre, mais en même temps, je savais que je pouvais m’en passer. Je réalisai que
j’avais fumé tous les jours depuis mon départ et que j’allais de toute façon être bien, si je m’en
privais en cette soirée.
Puis, une fois bien installé sur le lit, je sentis toute la pression que j’avais accumulée s’échapper de
chaque pore de ma peau ; chaque parcelle de mon énergie qui se transformait et qui dérangeait ma
concentration. En cet instant, je n’avais plus à penser à ma survie. Je n’avais plus à penser que j’étais
fort. Je n’avais plus à penser seulement qu’au moment présent. Soudain, l’image de mon ex-copine
s’inséra dans mes pensées. Puis je revoyais notre histoire. Puis, je nous revoyais ensemble. Puis
j’essayais de me demander pourquoi c’était terminé. Après tout, deux semaines auparavant, je ne me
serais jamais douté de vivre ce périple ou encore d’être ailleurs que dans ma petite maison,
accompagné de mes petits chiens. La vie avait changé si rapidement, et je devais tellement me
concentrer sur le moment présent que j’avais l’impression que tous les sentiments que j’aurais dû
vivre depuis ma séparation revenaient tous, d’un coup, pour me frapper en plein visage sous au joug
d’une pression de plus en plus discrète. Puis, je me mis à pleurer. Je sentais cette douleur à
l’intérieur de ma poitrine qui créait des vagues et des pressions qui remontaient dans ma gorge, dans
ma tête, derrière mes yeux et qui m’obligeaient à tout laisser sortir en pleurs et en sanglots. Je n’étais
plus capable de m’arrêter, alors que je pensais à cette belle femme qui jadis m’avait promis la lune
et pour qui, maintenant, je sentais être obsolète. Je me sentais rejeté pour simplement avoir été moi-
même et ça faisait mal.
Je pris le temps de respirer, trop pris dans mes idées noires et mes souffrances incessantes. Je fis
jouer de la musique de relaxation, et continuai à respirer, couché sur le dos, pour méditer, et pour
reprendre le contrôle de mon corps et de mon esprit. Trente minutes plus tard, j’étais déjà mieux,
calme et zen. Je ne comprenais même plus ce qui m’avait pris. Je pensai alors à toutes les fois que je
me sentisse mal en sa présence, et à toutes les fois où je me disais que mon couple ne pouvait pas
continuer de cette façon. Je ne voulais pas m’aider par la négative, mais je devais y réfléchir pour
m’aider à passer à autre chose. La musique continuait à bercer mon subconscient alors que j’en
arrivai à la conclusion que je ne devais pas me motiver par les évènements négatifs. Je devais
seulement m’encourager à me relever et à me dire que nous serions mieux ainsi, chacun de notre côté,
et que le rejet était plus difficile à prendre que la perte en soi. Car la perte de tout n’était que
l’arrivée d’une nouvelle histoire qui s’annonçait délicieuse. Celle-ci même que la vie venait de
m’offrir sur un plateau d’argent.
Je m’endormis sur ces pensées, fatiguées, about de souffle, à bout de nerfs, mais fier de m’être calmé
par moi-même et d’avoir repris le contrôle d’une situation où je n’avais pas le choix de vivre une
certaine tristesse, sachant très bien que ça n’allait pas être la dernière fois. J’étais convaincu, encore
une fois, d’être fort.
Chapitre 7
The Dream Team
12 août 2017

Je me réveillai, entendant des bruits de pas à l’étage. Il était à peine sept heures, et je voulais
commencer la journée tôt, et du bon pied. Je me levai, demandai à Eva de m’indiquer le plan de la
journée alors que Jym était déjà en train de tout rassembler pour mon départ. Je ne voulais pas tarder,
quoi que je dusse attendre pour saluer mes hôtes, par politesse. J’allai à l’étage et c’était la dame qui
était réveillée. Elle m’offrit du café et me confia que son mari n’eut pas une paisible nuit. Que sa
respiration fût inquiétante et qu’ils ont presque été obligés de quitter la maison d’urgence pour se
rendre à l’hôpital, mais que la situation s’était calmée à la dernière minute. J’étais triste et
compatissant pour l’homme généreux et malade. Elle me dit, de plus, qu’elle voulait qu’il se repose
aujourd’hui. Je me proposai encore pour tondre la pelouse, mais encore une fois, mon offre fut
refusée. J’enchaînai en disant que je pouvais quitter avant son réveil, pour le laisser dormir et elle
me dit que c’était une bonne idée, car elle voulait qu’il se repose. Je lui répondis alors que je
terminais mon café et que j’allais quitter à pied. Nous continuâmes à discuter de la santé fragile de
l’homme, un bon café à la main, durant quelques dizaines de minutes, quand il sortit de la chambre,
fier et orgueilleux. Je lui demandai alors comment il allait, et il répondit qu’il se sentait très bien,
bien que je visse l’inquiétude planer dans les yeux de sa tendre moitié. Pour couper court, je voulus
lui expliquer que j’étais sur le point de quitter, que toutes mes choses étaient rassemblées et que je
voulais commencer ma journée tôt ; aller écrire et partir de la ville en après-midi. L’homme fut déçu.
Il me demanda de l’attendre, il voulait au moins aller me porter plus loin, passer un peu de temps
avec moi. J’acquiesçai à sa demande, pris entre l’arbre et l’écorce.
Nous finîmes nos cafés respectifs, alors que la dame était discrète et inquiète. Elle rappela à son mari
qu’elle voulait qu’il se repose, puis il lui répondit que ce n’était que quelques minutes d’automobile
pour aller me porter près du parc. Car il voulait me proposer deux endroits différents pour faciliter
mon écriture. Elle se tut.
Il était maintenant temps de se dire au revoir. Je serrai la femme dans mes bras, la remerciant de tout
cœur, encore une fois, et lui dit que la planète se porterait mieux si tout le monde était comme elle.
Elle sourit. Elle me répondit que j’étais un brave jeune homme et elle me souhaita la meilleure des
chances pour l’avenir. Elle me dit de rester prudent. Puis, je mis Jym sur mes épaules, passai
difficilement dans les configurations de cadrage de porte pour me rendre au garage, puis à la voiture.
Mon vieil ami me tendit une bouteille d’eau et nous décollâmes.
L’homme voulait me montrer deux endroits ; deux parcs qui pouvaient être inspirants et propices à
l’écriture. C’était très gentil de sa part de même se préoccuper de mon objectif secondaire ; celui
d’écrire. En chemin, il me confia que sa femme s’inquiétait beaucoup pour lui alors que même s’il
semblait avoir des problèmes de santé a priori, il se sentait fort, en forme, et confiant. Je lui donnai
raison.
Nous étions enfin arrivés au premier parc, c’était une belle journée ensoleillée. C’était le parc que
j’avais aperçu juste avant d’entrer dans le centre d’achat la veille. Il me pointa les belvédères au
loin, tout près des frontières américaines, en me signalant qu’il ne pensait pas qu’il allait pleuvoir,
mais que si jamais c’était le cas, je pouvais m’abriter sous le toit pour continuer mon écriture. De
plus, il me pointa au-delà du parc et de la rivière pour me montrer que de l’autre côté du pont, c’était
les États-Unis. J’étais impressionné de voir les limites, et de me dire que, juste de l’autre côté, c’était
ce si controversé pays qui commençait. Par contre, en même temps, je me disais que les frontières
étaient seulement des limitations et que sans la délimitation humaine de celles-ci, un continent reste
un continent et la Terre reste la Terre, partout à travers le monde. Bref, peut-être réfléchissais-je trop
en ce doux et chaud matin. Puis, il me proposa d’aller voir un autre parc, me disant que celui-ci était
tout de même son premier choix. Pour ma part, ce parc m’allait très bien ; le soleil, le bruit de l’eau
qui coulait, l’énergie des gens qui y passaient m’inspiraient et j’allais continuer ma course à l’endroit
même où elle s’était arrêtée la veille. Il me comprit sur-le-champ. Il sortit du véhicule, ouvrit la porte
arrière pour me laisser prendre Jym. Il me tendit un bout de papier avec son adresse ainsi que son
numéro de téléphone, et ensuite, me serra dans ses bras me souhaitant la meilleure des chances pour
l’avenir. Je le remerciai encore une fois, et lui souhaitai la meilleure des santés. Il entra à nouveau
dans le véhicule et quitta.
J’étais toujours un peu déçu quand je devais quitter quelqu’un, mais je me disais en même temps que
l’expérience faisait partie de l’aventure et qu’elle allait se répéter à chaque personne que je
rencontrais, temps et aussi longtemps que j’eusse l’intention de quitter l’endroit, et même, un jour, de
revenir à la maison. C’était comme si j’avais à faire un deuil, chaque fois, et comme si je devais
aussi réaliser que le moment présent était beaucoup plus important, car il n’allait plus se reproduire.
Je regardai la voiture s’éloigner, puis je me mis à marcher en direction d’une table de pique-nique,
armé de mon crayon, pour y écrire quelques pages. Je voulais être à jour dans mon histoire, mais,
avec le dénouement de la dernière journée, je commençais à réaliser que l’histoire était une auteure
plus rapide que moi.
Une fois assis, je baissai les yeux sur mon cahier, pour continuer d’écrire cette histoire. Quelques
minutes plus tard, une douce voix m’interpella. Je levai les yeux et une jeune femme se tenait tout
près de la table où j’étais. Ses yeux verts éclatants et brillants détonnaient du teint foncé de son
visage et son sourire communiquait une joie de vivre significative. Je regardai à ses côtés et un gros
chien noir avec le bout des pattes blanches s’y tenait. Alors qu’elle me demanda où j’allais en
regardant Jym, je me levai pour saluer son chien. Aussitôt debout, le gros chien, énergique, me sauta
dessus pour me lécher droit au visage. Elle lui dit : « Skull, what are you doing, how rude ? » et le
tira par son collier. Je me mis à rire aussitôt pour lui dire de ne pas s’inquiéter. Que les animaux
m’aimaient en général et que je les aimais également. Elle me répondit qu’il ne faisait pas cela avec
tout le monde, il devait donc avoir un bon « feeling ». De fil en aiguille, je lui racontai que je venais
de près de Montréal, bien sûr, avec mon accent, et que je parcourais le pays d’est en ouest. Encore
une fois, elle afficha son magnifique sourire.
La jeune femme avait le teint basané et des traits afro-américains. Elle était petite et menue, jeune ;
début vingtaine, son sourire était blanc éclatant, ses yeux étaient d’un vert si aiguisé transpercé par un
soleil orangé qui démarquait les détails entre ceux-ci et sa pupille. Elle avait les cheveux frisés, très
courts, couverts d’un simple bandeau et était habillée de façon très simple, dans les teintes de verts
foncés et de bruns. Bien que de paraitre élégante ne semblait pas la préoccuper, sa beauté émanait de
son énergie et de sa simplicité naturelle et volontaire. Elle me confia qu’elle n’allait pas voir
n’importe quel inconnu comme elle venait de le faire avec moi, mais qu’elle savait reconnaître les
bonnes personnes et, en voyant mon sac, elle savait d’avance que j’avais de bonnes histoires à
raconter. Elle continua en disant qu’elle n’avait pas son « backpac » avec elle, mais qu’elle était sur
la route, ici et là, adoptant ce mode de vie d’autostoppeur depuis un an déjà. J’étais impressionné.
Comment une jeune femme, toute petite comme elle, avec un chien, pouvait-elle sembler aussi à l’aise
et décontractée au sein de ce genre de mode de vie ? Je lui demandai alors où était son sac et elle me
répondit que les dernières personnes qui se sont arrêtées pour elle, des Belges, lui avaient proposé
de garder son sac dans leur chambre d’hôtel, où elle pouvait y dormir et qu’elle était très chanceuse
de les avoir rencontrés. J’étais d’accord avec elle. Je lui demandai donc si c’était difficile pour une
femme d’être autostoppeuse et si c’était difficile de s’adonner à ce mode de vie avec un chien. La
femme de vingt-deux ans me répondit, sûre d’elle-même, qu’un homme pouvait facilement attendre
des heures, le pouce en l’air, sur une route alors qu’elle pouvait attendre au maximum quinze minutes.
Elle connaissait les risques du métier, bien évidemment, car son chien n’avait qu’à peine un an, et
donc, elle avait commencé seule, avec son petit gabarit. Elle m’expliqua que son chien, Skull ou
Skully, était venu, par la suite, pour l’appuyer ; que c’était maintenant son équipier, son partenaire
dans la vie, pour l’aider à passer les étapes difficiles, la soutenir et, bien sûr, elle était consciente
que son gros chien pouvait la défendre. Il n’avait qu’un an et était toujours en apprentissage.
Cependant, je le trouvais si sage et si intelligent pour un chien de son âge, considérant qu’il était
encore presque chiot. Il me regardait, la langue sortie, une oreille droite, une oreille cassée, il
tournait la tête et avait vraiment l’air d’un enfant. Je le trouvais littéralement craquant. Le haut de son
visage était clairement celui d’un rottweiler, tout noir, mais la longueur de son poil ainsi que son
museau laissaient croire davantage à un chien plus près du loup. Il était tout simplement magnifique.
Elle enchaîna en disant que les gens croient que faire du pouce avec un chien est difficile. Mais qu’au
fond, dans les faits, n’importe quel amoureux d’animaux ou de chien s’arrêtait pour l’embarquer.
Surtout qu’elle portait un soin très particulier à l’hygiène, et à la condition physique et mentale de son
acolyte. J’étais toujours impressionné par la maturité de mon interlocutrice et par sa force de
caractère.
Sur la route, il est toujours intéressant de parler avec d’autres voyageurs, c’est pourquoi elle m’avait
abordé a priori, même si elle pouvait paraitre bizarre de m’aborder sans son « backpac ». Je lui dis
que j’avais tout de suite eu un bon sentiment à son égard et que je faisais ce voyage justement pour
rencontrer des gens comme elle. Des gens avec qui je peux prouver, donner et recevoir une certaine
forme d’amour. Je lui expliquai alors le but de mon livre et la base de mes croyances ; de mes
intentions. Ses grands yeux verts s’illuminèrent comme si je lui avais montré un trésor. Elle me confia
qu’elle sentait une connexion avec certaines personnes, et qu’elle croyait que c’était les fréquences
des vibrations de chacun qui pouvaient créer les liens entre les personnes. Je lui demandai aussitôt
quelle source elle tenait pour me parler si adéquatement de ce sujet, car, pour ma part, j’avais dû
étudier pour en arriver aux mêmes conclusions ; passant entre autres par des philosophies
hindouistes, bouddhistes et par les rudiments des nouvelles découvertes quantiques. Elle me répondit
aussitôt : « Aucune source, c’n’est seulement quelque chose que je sens au fond de moi ». J’étais
stupéfait de voir comment cette jeune et fougueuse femme était en connexion avec son intuition pour
connaître les bases de la physique quantique spontanément. Nous continuâmes à parler de bonnes et
mauvaises vibrations, d’amour, de bonheur, de vertus, de partage, de compassion et de donner le
meilleur de nous-mêmes de façon à créer les meilleures vibrations et la meilleure réalité, pour nous-
même et pour les autres. Nous nous comprîmes aussitôt.
Nous sentîmes, sur-le-champ, une connexion passer entre nous deux. Pratiquement comme un courant
d’électricité qui nous poussait à échanger et à parler. Comme si nos âmes avaient décidé de vibrer à
la même fréquence. L’autre personne devant nous nous intriguait, nous impressionnait, mais plus que
tout, nous donnait envie de la connaître davantage. Je lui demandai alors quels étaient ses plans pour
le reste de la journée. Elle me répondit qu’elle voulait visiter la ville, qu’elle voulait aller chercher
de la nourriture, aller voir un "magasin dispensaire", et prendre le temps de profiter de la belle
journée. Je lui demandai donc si je pouvais l’accompagner. Elle me dit qu’habituellement elle faisait
« cavalier seul », car elle n’aimait pas trop être avec les gens, et qu’elle embrassait la solitude avec
éloquence. Mais que cette fois-ci, elle acceptait de passer quelque temps avec moi, si je pouvais
comprendre qu’elle avait besoin de son espace. Je lui dis seulement que nous étions très semblables
et que j’avais également besoin de mon espace. Elle m’offrit encore une fois un merveilleux sourire,
me dit qu’elle devait aller chercher des choses à l’hôtel et qu’elle allait revenir me voir. Emballé, je
lui dis que j’allais l’attendre. Je lui dis ensuite au revoir ainsi qu’à Skull, et les vis disparaître au
loin.
Alors que je tentais de replonger le nez dans mon cahier, mon cœur battait à toute vitesse après avoir
ressenti une attirance spirituelle profonde envers la lumière d’une jeune femme aussi brillante et
ouverte. C’était comme rencontrer une créature mythique, amnésique, mais connectée à la nature, à la
vie et à l’énergie, d’une façon inexplicable et son chien en était la principale preuve.
Je rangeai mon livre et mon crayon, incapable d’écrire, revisitant notre brève, mais passionnée
discussion. Je me demandais comment je pouvais ressentir autant d’empathie et de compassion pour
une inconnue en si peu de temps. J’avais déjà hâte qu’elle revienne et j’espérais que son désir de
solitude ne l’avait pas poussé à me mentir pour prendre le large. Je décidai de rouler un joint en
l’attendant, et, après trente minutes, je la revis arriver aux côtés de son énorme chiot.

Je remarquai que mes papiers à rouler avaient pris l’eau et que je ne pouvais plus les utiliser. Je
demandai à mon amie si elle en avait, sans même lui demander si elle avait l’habitude de fumer.
Comme si c’était écrit dans le ciel. Elle me tendit un petit coffre en métal doré qui contenait tout ce
dont j’avais besoin pour rouler une cigarette de cannabis. De plus, je lui proposai d’acheter quelques
bières que l’on puisse partager en fin de journée. Elle était contente et souriante. Puis, une fois le
joint fumé, nous nous mîmes à marcher, tous les trois, dans les rues de Sault-Sainte-Marie. Elle me
signala qu’elle aimait beaucoup les églises et qu’il y en avait une qu’elle voulait absolument voir.
Pour moi, on pouvait aller où elle voulait, j’étais déjà fasciné et conquis par la lucidité d’esprit de
cette jeune femme qui comprenait, peut-être un peu trop, les difficultés du monde actuel pour
s’insérer dans un moule défaillant de la société. Je tentai de chercher l’église dans mon GPS, mais
j’eus du mal à trouver l’endroit. Une fois trouvé, nous nous dirigeâmes vers l’établissement culturel.
J’aimais beaucoup la ville de Sault-Sainte-Marie qui avait de fortes racines francophones. Elle
constitue un magnifique pont entre deux cultures qui se rejoignent si naturellement au sein d’une toute
petite ville au tiers natif. Nous discutions de tout et de rien et nous passions devant de vieux
bâtiments. Skull s’arrêtait littéralement à tous les poteaux, tous les obstacles pour les renifler. Mon
amie s’excusa du la lenteur de nos déplacements en expliquant que son chien était un mâle non opéré
dans la fleur de l’âge et que c’était un comportement assez normal. C’était déjà ce que je me disais.
De toute façon, encore une fois, le stress lié au déroulement du temps ne m’atteignait vraiment pas.
Nous étions jeunes, libres et heureux de nous sentir l’un avec l’autre.
Des fois, c’était elle qui arrêtait avant Skull. Elle lui disait « Dude, je sais que je n’ai pas mon sac,
mais ce n’est pas une raison pour aller en avant de moi ! Écoutes ! » Puis le chien cessait de tirer sur
la laisse et retrouvait sa place derrière elle, marchant tranquillement et suivant les directives de sa
maîtresse. J’étais impressionné de voir un chien si jeune, et une femme également si jeune, trouver un
point où ils pouvaient s’entendre, se comprendre et s’écouter de sorte. De plus, Skull était l’un des
chiens les plus obéissants que j’avais vus. Elle m’expliqua alors que Skull avait son rôle à jouer,
qu’il faisait partie de l’équipe et qu’un chien cherchait toujours son rôle au sein d’une équipe. Elle
me fit comprendre qu’un chien est, en raison de sa nature, un travailleur et qu’il veut simplement
accomplir des choses pour son maître. Déjà là, je n’allais plus voir les chiens de la même façon, et
j’en avais la preuve devant moi. Elle continua en expliquant que bientôt, il allait, lui aussi, avoir son
"backpac". Que c’était son rôle d’être son compagnon de voyage et qu’il allait assumer le plus de
fonctions possibles à cet égard. De toute façon, si l’on prend le temps de comparer un chien qui
voyage partout, qui reste à l’extérieur avec son maître, qui reste en forme et alerte, et qui n’est pas
traité comme un bébé, il est logique de considérer ces conditions comme étant meilleures que
l’inverse. Après tout, un chien est mieux fait pour avoir ce genre de vie, même si ce genre de vie est
peu accepté par la masse. Prenons par exemple la personne moyenne qui laisse un chien seul, enfermé
toute la journée pendant qu’il est au travail, qui le nourrit mal et ne lui fait pas faire d’exercice. Nous
considérons aujourd’hui que c’est de cette façon que nous devons élever un chien et que le chien n’est
pas à plaindre, mais un chien restera toujours un animal de la nature. Pour elle, et maintenant pour
moi, cela n’avait plus de sens, car le chien devant moi avait chaud, était fatigué, mais était si heureux
dans ce mode de vie nomade. Je lui demandai comment elle savait tout ce qu’elle savait et elle me
répondit encore une fois que c’était ce qu’elle ressentait, tout simplement, car il était son premier
chien.
Puis, elle me raconta que son chien avait sauté d’un véhicule, la veille, et que c’était le premier gros
accident qui lui était arrivé. Qu’il fût encore jeune et que c’était une malheureuse façon d’apprendre.
L’homme qui s’était arrêté pour son pouce lui avait demandé de mettre Skull dans la boîte de son
pick-up. Elle n’avait jamais fait cela, car le chien était gros depuis peu, mais elle voulait vraiment
avancer sur son parcours, elle avait donc accepté l’offre après quelques hésitations. Je la compris
totalement, car moi-même, j’avais peur de laisser Jym, mon coéquipier, dans la boîte de ce type de
camion. Skull n’ayant peut-être pas aimé l’expérience avait sauté de la boîte du camion, sur le côté
de la route pour rouler durant quelques mètres. Mon amie m’expliquait qu’elle criait, qu’elle pleurait
dans le véhicule pour que l’homme s’arrête, et qu’une fois le véhicule immobilisé, elle courut
retrouver son acolyte elle-même en pleurs et en panique. Alors que le chien était blessé, il s’était
levé tout de suite et sans hésitation, il était allé réconforter sa douce moitié. Alors qu’elle était
agenouillée aux abords de la route, elle pleurait du plus profond de ses tripes et Skull la regardait et
lui disait que tout allait bien aller. Elle le regardait aussi, et bien qu’il eût l’air en forme, il portait de
grosses égratignures au visage, au bassin et à une patte. Puis une auto s’était arrêtée par la suite, pour
lui demander si tout allait bien, c’était le couple de Belges, qui l’amena à « Sew » et qui, par le fait
même, était précurseur de notre rencontre.
Encore une fois, la suite d’événements, présentée ainsi, m’ahurissait et me faisait comprendre le
temps d’une façon différente, comme si le temps était plutôt une série d’événements qui mènent les
uns aux autres, et non un vide linéaire, comme on le conçoit trop souvent. Bref, à regarder la créature,
il ne semblait pas souffrir de ses blessures, même si elles étaient toujours apparentes. Il semblait si
heureux de partager ce mode de vie avec la femme qu’il avait choisi.
Puis elle me demanda si nous étions bientôt arrivés. Nous marchions depuis déjà un bout de temps et
j’étais gêné de lui avouer que j’avais oublié que nous avions une destination, seulement parce que
j’étais trop intéressé par son histoire. Je regardai mon GPS et nous n’étions aucunement sur le bon
chemin. Nous en rîmes durant un moment, car elle me confia la même chose : Nous étions si
intéressés l’un par l’autre. Je rangeai mon GPS aux conseils d’Eva qui me dit de simplement regarder
vers le ciel. J’aperçus le pignon d’une église au loin et dis à ma nouvelle amie que nous devions nous
diriger dans cette direction.
Elle disait qu’elle trouvait ma situation si énergisante, car elle chérissait son mode de vie avec
tellement de passion et que, même si elle était sur la route depuis un an, elle se considérait comme
une novice dans le domaine. Qu’en étais-je alors, depuis seulement qu’une semaine ? Je me sentais
courageux et naïf à la fois. Elle m’expliqua que de voir la passion d’un début d’aventure était si beau,
car la plupart des gens qu’elle croisait oubliaient pourquoi ils avaient tout quitté à la base. Qu’ils
étaient aigris dans un mode de survie, de drogue, et peut-être même contre les gens qui continuaient à
avoir une vie normale, alors que pour ma part, je vivais simplement une aventure rocambolesque
dans le but de la raconter. Elle me trouvait fascinant. Elle me conseilla : « Quoi qu’il arrive, ne perds
jamais cette étincelle face à ce mode de vie, car tu risques de t’y perdre toi-même ». C’était l’un des
plus beaux conseils qu’elle pouvait me donner et dont je devais me souvenir. Même si je savais que
ce voyage allait avoir une fin, je perçus que c’était un conseil que je pouvais bien transposer dans ma
vie de tous les jours, car la vie en soi est la plus grande et la plus souveraine des aventures.
Encore une fois, nous avions perdu de vue les directives qui nous menaient à notre objectif, même si
celui-ci était si peu important à nos yeux. Je regardai autour de nous, et la tour de l’église était très
proche. Nous traversâmes encore quelques rues et arrivâmes devant ladite église. Nous la
regardâmes quelques secondes, puis elle me dit qu’elle était bien belle et que nous pouvions
maintenant partir. Je lui demandai: « C’est tout ? » elle me répondit : « oui. » J’admirais la simplicité
de cette jeune femme qui semblait ne s’en faire avec rien.
Nous continuâmes à marcher sans vraiment savoir où nous allions. Nous continuâmes à discuter sans
prendre de pause, car nous avions tant de choses à nous dire. Skull continuait de nous suivre,
silencieux et obéissant, s’arrêtant ici et là pour fraterniser avec les poteaux et les bornes-fontaines.
Nous passâmes tout près d’un temple commémorant les pratiques franc-maçonniques de la région. Je
ne pus m’empêcher de prendre l’édifice en photo, car bien que l’histoire des sociétés secrètes relève,
pour beaucoup de gens, de la légende. En voyant cela, on ne peut faire autre chose que de réfléchir
sur le sujet pour savoir jusqu’à quel point les francs-maçons ont pu intégrer leurs dogmes dans une
société contemporaine et, aussi jusqu’à quel point ce genre de société secrète avait une influence sur
la population et sur l’instauration du système actuel. Car si l’on plonge dans la légende, on réalise
rapidement que ce genre de regroupement qui eut été fondés sur de bonnes bases aurait été aliéné
pour prôner l’élitisme, le contrôle et même l’occultisme. Mon amie me dit en riant : « Tu vas
t’habituer, il y en a tout au long du pays ». Puis elle continua à marcher.
Je lui demandai si elle connaissait beaucoup de choses au sujet de ce genre d’établissement et elle
me répondit qu’elle n’en savait que la base alors que de mon côté, j’avais reçu quand même assez
d’information, certaines qu’il fallait prendre, d’autres qu’il fallait laisser de côté. Elle m’expliqua
qu’elle n’avait jamais vraiment compris le système élitiste où l’argent donne l’importance à un être
vivant. Par ce fait, elle n’avait jamais été motivée à s’insérer dans le système, et d’y vouloir une
carrière et une vie dite "normale". Son père était un juif provenant de Russie alors que sa mère était
une douce femme de la Barbade. Je comprenais ses origines à travers ses grands yeux verts et jaunes.
Ses parents n’étaient plus ensemble. Alors que son père était quelqu’un d’assez strict et traditionnel,
sa mère s’était efforcée de faire ce qu’elle croyait de mieux pour elle, pour l’élever et donner le
meilleur d’elle-même. Le résultat se tenait devant moi et était assez intrigant, et surtout, de toute
beauté.
Contrairement à moi, elle était sur la rue pour ne pas s’intégrer dans un système pourri, mais aussi
par recherche de solitude. Elle me confia qu’elle éprouvait souvent de l’anxiété face aux inconnus et
aux foules. J’avais beaucoup de mal à la croire, car je la trouvais si forte et courageuse de s’adonner
à ce mode de vie. Elle devait peser au maximum cent livres. Je réalisai, par contre, que nous nous
complétions. Pour ma part, j’avais trop essayé de me conformer à un mode de vie professionnel qui
me rejetait constamment, et j’avais décidé de partir, sans vraiment avoir connu l’anxiété, dans le but
d’aller vers les inconnus et pour échanger. Je sentais encore que nous avions beaucoup à apprendre
de l’autre. Je la remerciai de m'avoir partagé tant de sagesse. Elle me répondit qu’elle était si excitée
à l’idée de me voir commencer mon voyage, que j’allais rencontrer des gens extraordinaires et que
j’allais vivre de grandes aventures. Je me dis, en moi-même, que c’était déjà bien parti.
Comme nous n’avions pas mangé, je lui dis que j’avais un peu faim et que je voulais arrêter au Tim-
Horton pour m’acheter quelque chose à me mettre sous la dent. Elle était plutôt d’accord. Il y avait
justement l’une de ses franchises tout près. Nous nous y dirigeâmes. Avant d’entrer dans le petit
magasin, mon amie prit le temps d’attacher Skull à un poteau. Elle me dit de déposer mon "backpac"
à côté de lui et que c’était son travail de les garder. Puis elle lui dit de s’asseoir au côté de mon
matériel, directive qu’il mit en exécution aussitôt. Ensuite, elle lui expliqua que c’était son rôle de
rester assis et de protéger nos sacs, puis tourna le dos et se dirigea vers la porte du « Timmy’s ». Je
la suivis. Je commandai un café ainsi qu’un croissant et elle choisit un sandwich. Elle me dit aussitôt
de ranger mon argent, qu’elle avait une carte prépayée du restaurant et qu’elle voulait me l’offrir.
Même si je n’avais pas beaucoup d’argent, j’avais l’impression d’en avoir plus qu’elle. Mais elle
tenait, plus dur que fer, à m’offrir ce petit cadeau. J’étais touché. Elle me dit : « Tu vas voir, dans la
rue, c’est donnant-donnant. Tout est utile dans notre « backpac » qui est plutôt plein en tout temps,
alors quand on a la chance de donner quelque chose qui nous est inutile, on le donne gratuitement et
on crée un espace pour recevoir quelque chose de nouveau ». Je buvais ses mots et les transposais
sur une échelle tellement plus grande, car tout dans la vie pouvait être relié à cette allégorie. C’était
simplement de la poésie à mes oreilles ; donner crée l’espace pour mieux recevoir ; un concept
simple, mais qui fait bien du sens.
Nous sortîmes et nous dirigeâmes vers Skully qui nous attendait. Mon amie était contrariée qu’il ne
fût simplement plus assis. Elle lui reprocha aussitôt, comme s’il n’y avait pas de passe-droit pour lui.
Il devait obéir exactement à ses ordres. De plus, elle ajouta qu’aujourd’hui, il était particulièrement
agité et que c’était l’occasion d’être plus sévère. Elle reprit la laisse et nous continuâmes à marcher.
Le "magasin dispensaire" était quand même loin, à plusieurs kilomètres d’où nous étions. Elle me
confia qu’elle ne voulait pas marcher jusque-là, alors que je lui confiai, à mon tour, que je ne savais
pas ce qu’était un « dispensory store ». Elle s’arrêta tout d’un coup, son chien s’arrêta en même
temps. Les deux me fixaient d’une façon sérieuse. Elle répéta : « Tu ne sais pas c’est quoi un
dispensory store ? ». Je lui répondis que je ne croyais pas qu’on avait ce genre de magasin au
Québec et que je n’étais presque jamais sorti de la province. Elle se mit à rire et me dit que ce genre
de magasin est l’une des plus belles inventions de l’homme. C’était les magasins qui commençaient à
mettre en place la vente libre et légale du cannabis. Je me mis à rire tout en étant surpris. Je n’avais
jamais réfléchi que cette loi allait être en vigueur dans moins d’un an et qu’il y allait avoir des
magasins de cannabis légaux bien avant. Elle réalisa qu’au Québec, nous sommes un peu retissant à la
consommation de cannabis alors que nous sommes des amoureux de l’alcool et que cela pouvait
paraitre même sur le développement de cette nouvelle loi. Bref, bien que je voulusse voir à quoi
ressemblait ce genre de magasin, je lui dis que j’avais assez de pot sur moi pour qu’on puisse encore
en fumer, je lui proposai d’aller boire une bière et de profiter du soleil. Elle sourit d’un sourire
resplendissant, puis me dit qu’elle adorait ce genre de plan simple. Je lui dis que, de plus, je lui
offrais la bière avec le plus grand des plaisirs. Son sourire était un baume sur mon chemin périlleux.
Nous nous dirigeâmes vers le magasin de liqueur le plus proche. Encore une fois, parce que j’étais
québécois, nos différences culturelles se frappaient. Pour moi, acheter de la bière consistait d’aller
dans n’importe quel magasin pour en trouver alors qu’ailleurs au Canada, nous devions trouver le
magasin de liqueur le plus près. Il n’était pas si loin par contre. Nous nous dirigeâmes vers ledit
magasin, et avec la chaleur de la journée, nous rêvions simplement de boire une bière, au soleil, en
bonne compagnie.
Encore une fois, au magasin, elle prit le temps d’expliquer à Skull de rester au même endroit, assis, et
de nous y attendre, le temps d’aller acheter le nectar. Nous entrâmes dans le moyen magasin qui était
presque vide. Même elle, en était surprise. Il n’y avait qu’un petit frigidaire avec des paquets de six
et des bières individuelles en canette. Nous rîmes de la situation qui était anormale, mais tout de
même convenable. J’achetai un paquet de six alors qu’elle fit de même. Nous avions maintenant
douze bières et c’était plus que suffisant pour ce que nous voulions faire. Pendant qu’elle payait, nous
entendîmes un chien japper juste une fois. Elle s’exclama à haute voix : « oh no ! » J’imaginais que le
chien avait été confronté ou dérangé. Nous sortîmes du magasin et le chien était sur ses quatre pattes
et souriait. En s’avançant vers lui, elle le grondait déjà. Elle lui parlait comme à un adulte en lui
disant qu’il n’avait aucunement le droit de japper et qu’il connaissait mieux son devoir. Elle lui
donna tout de même de l’eau, car il était noir, il faisait chaud, et nous avions marché quand même une
remarquable distance. Elle marchait, depuis le début de la journée avec un gallon d’eau, qu’elle
promenait partout. Elle me dit que ça faisait partie de son équipement ; un galon qu’elle avait toujours
en main, pour elle et surtout pour son chien, et qu’elle le remplissait gratuitement partout où elle
allait. Je trouvais l’idée ingénieuse.
Soudain, deux personnes s’approchèrent de nous pour nous dire que le chien était magnifique et nous
demander s’ils pouvaient le flatter. Mon ami répondit amicalement, mais sans diplomatie : « Je suis
désolée, ce n’est pas sa journée, il n’écoute pas beaucoup et fait à sa tête, je ne peux pas permettre de
flatteries ». Les deux personnes furent étonnées, sur le coup, mais rebroussèrent chemin. J’étais,
encore une fois, impressionné par l’assiduité de ce petit bout de femme face à la façon si efficace
qu’elle avait trouvée pour élever son chien. Elle prit l’eau qui restait dans le bol et le lança sur son
chien pour le refroidir, puis, nous reprîmes la route, bières en main, pour nous diriger vers un
minuscule parc entouré d’arbres, juste en face d’un bateau touristique bercé par l’étendue d’eau de
Sault-Saint-Marie.
L’endroit était parfait, car il n’y avait qu’un espace d’herbe taillé, entouré d’arbres qui définissaient
un mélange adéquat d’ombre et de soleil. En s’y rendant, nous vîmes, un homme, au beau milieu de
quelques arbres, un peu louche, nous regarder passer. Il semblait chercher quelque chose. Il nous
salua tandis que nous allions un peu plus loin, pour ne pas être dérangés. Au beau milieu de ce
minuscule parc, il y avait une roche avec une plaque commémorative écrite en anglais et en français
qui expliquait que ce site était érigé pour rappeler nos magnifiques forêts canadiennes. Je levai la
tête, un peu confus, car je ne voyais qu’un minuscule parc, peut-être entouré d’une dizaine d’arbres, et
même si l’endroit était accueillant, il n’avait rien à voir avec la magnificence et la férocité puissante
de l’une de nos forêts canadiennes. Peut-être que la plaque était justement pour nous rappeler ce qui
n’était plus et ce que nous avions détruit récemment. Nous rîmes un bon coup de cette ironie qui
frôlait le sarcasme, puis nous nous assîmes sur le gazon près des arbres, et ouvrîmes une bonne bière,
réalisant que nous n’avions pas besoin d’autres plans, pour tout le reste de la journée. Pour ma part,
je ne voulais plus partir rapidement.
Je demandai à ma nouvelle amie si elle pouvait rouler un joint, par courtoisie, gentillesse, confiance,
mais aussi pour m’éviter l’effort. Je lui tendis mon cannabis pour qu’elle effectue la sale besogne.
Elle accepta avec le plus resplendissant des sourires. Je regardais, pendant ce temps, le troisième
membre de notre trio, m’amusant à courir sur l’herbe de ce merveilleux parc, aussi heureux que nous
de profiter du merveilleux soleil. La vie était belle. Elle me confia, par contre qu’elle voulait me
demander quelque chose et qu’elle se sentait gênée, car elle aimait recevoir, mais demander était
quelque chose d’autre pour elle. Elle me demanda un peu de tabac pour rouler sa propre cigarette.
J’étais surpris qu’une si petite demande soit aussi bien formulée et j’acceptai bien sûr, en lui disant
que je n’étais même pas fumeur, que je n’eusse besoin que d’une minuscule quantité et, que de plus,
sauf au cas où je rencontrerais un shaman, la seule raison pourquoi j’avais du tabac en ma possession
était pour en offrir. Je me roulai, quand même, une toute petite aiguille de tabac pour l’accompagner.
Puis, nous fumâmes.
Elle se leva et m’expliqua qu’il était très important pour elle de constamment faire bouger son chien,
car il se devait d’être en forme, il était jeune, et que s’il avait des responsabilités à garder par
rapport à elle, elle en avait également par rapport à lui. C’était toujours la première chose qu’elle
faisait le matin, en se levant. Elle avait toujours une balle avec elle et un outil, pour faciliter le lancer
de la balle. J’étais totalement en accord avec ses dires. Je me retournai et ma première bière était
déjà terminée. J’ouvris la deuxième, me disant que je devais premièrement faire attention, mais aussi
que mon ami : le soleil, comme beaucoup de mes amis d’ailleurs, ont la capacité de m’inciter à lever
le coude rapidement. M’étant initié au yoga récemment, je me dis que je devais bouger moi aussi.
Peut-être que m’étirer pouvait m’aider à mieux équilibrer mes énergies.
Tout bougeait comme si nos actions étaient chorégraphiées par la vie elle-même. Mon amie courrait
d’un côté, puis revenait des fois. Skully courrait de l’autre, sans vraiment se soucier du temps qui
passait, comme nous d’ailleurs, et venait me voir pour communiquer à son tour. Je réalisai alors qu’il
ne m’en fallait pas davantage pour être heureux. Une amie de confiance, la présence du soleil et ne
pas stresser avec le temps ou même le futur : c’était le paradis. La bière et le joint étaient bons, voire
même réconfortants, mais totalement obsolètes. Alors que cette douce Barbado-Russe s’approchait
de moi pour se reposer un peu au soleil, et durant qu’elle installait un coin à l’ombre pour son
acolyte, je lui partageai mes pensées du moment. Elle était d’accord, même si elle m’avoua que du
haut de ses vingt-deux ans, elle avait beaucoup de mal à passer une journée non occupée sans
cannabis. Ironiquement, nous commencions à en discuter tout en allumant la cigarette magique qu’elle
avait préalablement roulée. Je lui confiai, à mon tour, que je venais de vivre les sept dernières
années de ma vie dans cette roue si difficile à ralentir. Je lui avouai même que les seules raisons qui
me poussaient à diminuer ma consommation, où à vouloir arrêter, était seulement de déshabituer mon
corps à la substance, pour mieux être capable de recommencer. Elle m’écoutait et réfléchissait. Je lui
disais que la première étape qui m’avait aidé à contrôler cette roue infernale était de faire un pacte
avec moi-même. Celui de me promettre que le cannabis n’allait pas m’arrêter ou me ralentir dans la
vie. Donc, je m’interdis ce médicament lors du travail, de l’école, des moments importants. Et, de
plus, si j’avais des tâches à effectuer, comme le ménage de ma maison, je pouvais me le permettre,
mais j’avais l’obligation envers moi-même de le faire encore mieux que si je n’avais pas fumé. Dans
ce cas, j’écoutais une musique entraînante et je restais concentré dans le sens où, encore une fois, je
n’allais pas stresser avec le déroulement du temps et qu’encore une fois, c’était la clef pour bien
vivre. Elle trouvait mon raisonnement logique et très intéressant, car si nous ne prenons pas le
cannabis comme un démon, et si nous avons un bon contrôle sur la substance, le cannabis est un
médicament qui peut vraiment être bénéfique, si nous ne sentons pas le besoin d’en avoir pour tout ce
que l’on fait.
Elle allait continuer la conversation en parlant de ce qu’elle en pensait alors que Skull se mit à
japper vers la forêt. Comme il n’était pas en laisse, il se mit à courir également dans la direction de
ses préoccupations. Nous nous levâmes aussitôt pour voir ce qui se passait, mais encore, pour être
sûr de pouvoir contrôler l’animal, même si nous savions qu’il n’allait certainement pas faire quelque
chose de stupide. Nous entendîmes aussitôt le bruit d’un mouvement derrière les arbres et nous en
étions d’autant plus intrigués. Nous réalisâmes que c’était l’homme, un peu louche, que nous avions
croisé plus tôt, qui tournait en rond près de la route et de la forêt. Il était loin, mais, seulement pour
rester alertes, nous retournâmes à notre endroit initial, pour continuer à vaquer à nos occupations,
loin du bruit, tous les trois satisfaits de notre constat. En même temps, une autre personne qui passait
par la rue s’approcha de nous.
Son visage m’était familier. Il avait le look motard, hippie, habillé de cuir, un bandana sur la tête, la
barbe grise, portait des lunettes et une multitude de tatous. Il nous dit qu’il passait souvent par cet
endroit, et que l’homme dans la forêt était au beau milieu de sa routine quotidienne. Il s’assit en
indien pour former un cercle avec nous, puis se mit à rouler un joint. Je lui tendis l’infime partie de
ce qui restait du nôtre. Une fois son joint roulé, mon amie me demanda si elle pouvait rouler une autre
cigarette avec mon tabac, je lui demandai de me rappeler de lui en laisser une bonne quantité quand
nous allions nous séparer, car, encore une fois, je n’en avais trop pour rien. Je proposai à l’homme au
bandeau de s’en rouler également une, ce qu’il fit, très content de mon offre. Puis, il se mit à discuter
avec mon ami de différents tabacs qu’ils avaient gouté, tout en fumant tout ce qui passait sous notre
nez.
Il se mit alors à nous présenter les bijoux qu’il fabriquait. C’était des colliers faits de différentes
roches ou de différents cristaux. C’est alors que je réalisai où j’avais déjà rencontré cet étrange
personnage. C’était lui qui m’avait abordé au beau milieu du centre commercial et qui m’avait dit que
mon prochain arrêt était Thunder bay. Il ne semblait pas, par contre, se souvenir de cette altercation.
C’était également peu important à mon égard. Je lui demandai, par contre, pourquoi je devrais aller
vers cette ville, même si je savais que c’était seulement et logiquement la prochaine moyenne ville
sur la route principale qui traversait le Canada. Il me dit : « si tu as la chance d’y arrêter, n’y arrête
surtout pas. Il y a beaucoup de drogues, de mauvais quartiers, des gens à qui on ne peut pas faire
confiance et des crimes partout ». Il ajouta que c’était l’une des villes les plus dures de tout le pays.
Je savais bien qu’il fallait que j’en prenne et que j’en laisse, mais c’était un conseil que je devais
prendre en compte. De toute façon, je devais passer par là, et, de plus, je ne savais jamais où j’allais
m’arrêter d’avance.
La conversation s’étala davantage. L’homme était assez intéressant, il aimait parler de sa vie, de ce
qu’il avait accompli. C’était un voyageur, comme nous, qui avait passé une partie de sa vie en
autostop, pour ensuite s’acheter un camion-camping, et continuer avec sa femme. Il avait donné vie à
de beaux enfants et ne semblait pas avoir emporté un bagage négatif ou un trauma de son passé. Il
répétait que sa vie était belle, qu’il était fier de ce qu’il avait fait, qu’il avait une magnifique maison
avec sa femme tout près ; sa femme qui arborait un look particulier comme le sien et que c’était
toujours l’amour fou entre les deux. Le seul petit complexe que je remarquai ; il nommait le prix de
presque tous les objets de ses histoires, comme si c’était un détail important. Il était bien sûr un
homme de sa génération, par contre ; sans préjugé ou d’histoires complexes à priori.
Alors que nous continuions à discuter, je sentais le besoin de solitude de mon amie refaire surface,
car nous étions un peu envahis par le discours de notre rencontre. Elle se leva, tout simplement, et
alla plus loin pour jouer avec son chien, alors que je faisais mes étirements, sous le soleil, devant cet
homme plus âgé. Je me trouvais même plus souple qu’à l’habitude. C’était peut-être seulement la
bière, le cannabis, ou le soleil qui me donnaient cette impression, ou encore, seulement le
relâchement d’un stress dû à une journée sans plan et sans obligation. L’homme resta quand même
plus d’une heure avec nous pour ensuite nous confier qu’il voulait aller tenter de vendre ses créations
au marché de l’autre côté de la rue. Nous l’encourageâmes, puis il partit.
Mon amie se rassit calmement près de moi, me confiant qu’elle était contente que l’homme soit parti.
Il ne dégageait rien de négatif, mais, quand même, elle aimait la solitude. Elle m’avoua, par le fait
même, qu’il était rare qu’elle se sente de cette façon avec quelqu’un, mais qu’avec moi, elle se
sentait aussi bien que seule, et que c’était un grand compliment. Je la remerciai en lui disant de
toujours me parler, sans avoir peur de me brusquer, car je suis capable de bien prendre les messages
s’ils sont bien formulés et qu’il serait normal de se séparer. Après tout, nous étions tous les deux sur
la route par besoin de déconnecter des autres humains quand nous le voulions. J’enchainai, par
contre, en réitérant que le temps avec elle était plus qu’agréable. Elle en était d’accord dans une
réciprocité sincère. Nous étions bien.
La quantité de bière que nous possédions diminuait de plus en plus, alors que nous continuions à
discuter de tout ce qui pouvait nous rapprocher. J’étais impressionné par son ouverture d’esprit et la
clarté de son discours sur de simples idées. Car, même si le processus est différent pour chacun, en
évoluant dans une vie d’adulte, le sujet de nos discussions évolue également, abordant d’abord les
autres personnes, puis les choses qui nous entourent. Et ensuite, viennent les idées qui nous font
réfléchir. Elle et moi ne partagions que les idées et leurs essences, car c’était tout ce qui nous
importait. Nous parlions d’énergie, de la force de la nature, du destin, de vibration, de spiritualité.
J’adorais aborder ces sujets avec tout le monde, surtout avec ceux qui ne partageait pas la même
vision que moi, et comme elle en était autodidacte, c’était intéressant d’entendre ce que son intuition
lui avait appris récemment.
Elle me confia qu’elle était consciente, même si elle était jeune, qu’elle fuyait la réalité, par son
mode de vie, par sa consommation, etc. Elle semblait calme, souriante et heureuse depuis que nous
étions ensemble, mais elle éprouvait des difficultés d’être en foule ou avec des inconnus, et que ça
pouvait même lui causer de gros problèmes d’anxiété qu’elle avait du mal à contrôler. Je comprenais
alors mieux comment elle pouvait se sentir, si faible dans sa force, à survivre dans un mode de vie
qui demandait un courage impressionnant. C’était comme le monde à l’envers ; évoluer sans avoir de
repère est simple, mais faire confiance en collaborant socialement avec d’autres humains est
épeurant. Avant ce jour, je ne m’étais jamais attardé à cette façon de penser et je n’avais jamais
ressenti cette situation. En ce qui me concerne, je crois davantage que l’humain est naturellement bon,
mais que le système qui valorise l’égo l’aliène facilement. Je regardai tout droit dans ses grands yeux
verts et jaunes d’enfant indigo et la serra télépathiquement dans mes bras. Je lui dis qu’elle devait se
donner du temps, mais que je sentais qu’elle était plus forte qu’elle ne le pensait. Il ne fallait donc
pas qu’elle trouve la force, mais seulement qu’elle réalise que la force résidait déjà à l’intérieur
d’elle-même. Puis elle sourit calmement. Je sentis, par contre, que ce sourire cachait une anxiété qui
se manifestait seulement en abordant le sujet. Je le changeai immédiatement.
Cette jolie jeune femme parlait souvent en disant qu’elle sentait que… comme si elle ne se fiait qu’à
son intuition pour survivre dans ce mode ; facile et difficile à la fois. Je ne pouvais qu’être
impressionné par la connexion non assumée qu’avait cette personne avec sa propre âme. Je n’arrêtais
pas, de toute façon, de lui répéter de rester connectée à son intuition et de l’écouter en tout temps.
Elle voyageait de province en province seulement parce que son cœur l’amenait ailleurs. Elle se
rendait, encore une fois, vers la Colombie-Britannique pour y vivre quelques expériences. Tout au
long de nos conversations, chaque fois que nous abordions une région, un coin de pays, une province,
une ville ou même une route, elle me parlait de ses expériences dans ces coins, de ce qu’elle avait
déjà vécu, de ce que je devais voir ou même de ce que je devais éviter. Et elle terminait en me disant
qu’elle avait si hâte pour moi. J’apprenais tant de cette vieille âme.
Puis le temps passait et plus nos corps, déconnectés de nos âmes qui s’unissaient nous ramenaient à
l’ordre pour nous dire qu’il était temps de remplir notre estomac. Il était déjà l’heure du souper et
nous avions passé littéralement tout l’après-midi à partager un minuscule parc. Nous prîmes le temps
de ramasser nos choses, je pris Jym sur mes épaules, Eva était un peu plus loin, me faisant réaliser
que j’avais englouti mes six bières assez rapidement. J’étais quand même dans un bon état et elle ne
s’inquiétait pas trop. Mon amie rangea ses trois bières restantes dans son petit sac. Par sa carrure, je
pouvais m’imaginer qu’elle était sensiblement dans le même état que j’étais. Ensuite, elle donna un
peu d’eau à Skull avant de lui jeter les restes de son bol sur le dos. Puis, nous nous mîmes à marcher.
Nous voulions alors acheter un sous-marin de restauration rapide et nous nous dirigeâmes, non loin
de là, vers le restaurant en question. Elle me dit qu’elle ne voulait pas trop boire et trop fumer, par
respect pour les gens qui l’hébergeaient. C’était un jeune couple de Belges vidéographe qui offrait
plusieurs services pour payer leur voyage et qu’ils vivaient de cette façon, voyageant, travaillant de
leur ordinateur portable. Je remarquai alors que c’était une idée de génie et qu’il y avait moyen de
faire la même chose, pour ma part, avec l’écriture. De plus, le couple était très ouvert, ils avaient à
peu près le même âge que moi, et même si elle n’avait pas abordé le sujet de la marijuana avec eux,
elle croyait qu’il n’y aurait pas eu de problème. Par contre, par respect pour leur générosité, leur
hospitalité, leur aide pour l’amener d’un endroit à l’autre, elle voulait bien agir et c’était tout à son
honneur.
Nous nous assîmes pour manger plus loin, alors qu’elle continua en expliquant qu’il était difficile
pour elle ne pas fumer. Que si elle était dans une roue malsaine avec le cannabis, c’était simplement
et premièrement pour gérer son anxiété, mais que le médicament la renfermait simplement sur elle-
même, réalisant qu’elle serait capable d’être plus rigoureuse sans THC dans son sang. En même
temps, le pot l’aidait à fonctionner dans un monde sans dessus-dessous où elle n’y trouvait aucun
sentiment d’appartenance. J’étais si étonné, car, nonobstant l’anxiété, j’avais toujours fumé, par le
passé, avec les mêmes idées. Je lui expliquai que je pensais la même chose depuis des années et
j’attirai son attention sur sa capacité si impressionnante de trouver la beauté dans toutes les petites
choses, dans les comportements de son chien, en regardant la forêt, le ciel, en sentant l’odeur de la
pluie, etc. Elle était d’accord et elle précisa que c’était plutôt l’humain qui la décourageait. J’étais
tout aussi d’accord. Je lui dis donc que ça prenait juste beaucoup de temps pour faire l’équilibre
entre faire confiance en la vie, et faire confiance en la société. J’avais fumé du pot tous les jours
depuis sept ans après tout, c’était un cheminement à long terme. Elle me demanda comment j’avais
fait pour arrêter. Je lui répondis sans réfléchir que je n’avais pas vraiment arrêté, mais que j’avais
cessé de ressentir le besoin fumer et que c'était plutôt un passe-temps pour moi. Car le médicament
me faisait du bien, socialement ou même seul, mais que si je remarquais qu’il me faisait mal, même
par son absence, il y avait un problème. Bref, j’ajoutai que la méditation m’avait beaucoup aidé à
contrôler mon désir, car pour moi, il n’y avait pas de meilleure sensation que d’être seul, dans le
calme, de fermer les yeux et de réaliser que c’est en n’ayant besoin de rien, pour un temps défini, que
mon bonheur apparaissait ; cannabis ou non. Elle me dit qu’elle devait commencer à méditer et je lui
suggérai d’attendre un peu, de ne rien forcer, que la méditation allait venir à elle au bon moment tout
simplement.
Nous mangions et elle me disait qu’elle avait beaucoup de mal à ne pas fumer de cannabis, car elle
avait du mal à assumer vivre dans un monde aussi à l’envers que le nôtre. Elle était consciente du mal
que nous faisions aux animaux, ceux qu’on élève cruellement pour ensuite les tuer, pour qu’ils nous
nourrissent simplement, dans une société de surconsommation où il vaut mieux se vanter d’avoir
l’abondance en magasin pour tout jeter par la suite, ou même seulement pour les animaux qui sont mal
élevés pour nous divertir. Dans un monde où les banques nous emprisonnent dans un système de dette
haineux qui nous renvoie à la plus minuscule expression de nous-mêmes ; un nom et un numéro, qui
contribuent comme des esclaves à la société étatique. Dans un système où nous subissons le joug de
ceux qui décident et où les policiers et les lois contrôlent au lieu de protéger. Où, même les produits
de semences sont pollués par des gens qui se protègent contre les produits qu’ils déversent dans les
champs, se foutant de l’expansion de la maladie, au profit du mot argent et de son pouvoir. Où le
système d’éducation nous apprend seulement à nous insérer, de plus en plus jeune, dans ses
protocoles, soit par conditionnement, ou si échec, avec des drogues de toutes sortes, en forçant dans
les têtes remplies de magie, mais malléables, des enfants que la vraie valeur des gens se décrit par la
façon dont ils révoquent eux-mêmes leurs droits à franchir les barrières pour travailler et pour
redonner généreusement à cette société dysfonctionnelle qui s’arme de protocoles lourds et illogiques
pour redonner minimalement à ses citoyens. Dans un monde où l’institut qui a pour mandat de
protéger notre santé est premièrement allié avec les entreprises qui polluent notre nourriture, mais
aussi avec celles qui se concentrent, encore une fois, à faire le plus d’argent possible en nous vendant
des drogues pour traiter des symptômes, au lieu de se concentrer à prévenir naturellement les
maladies, ou à en trouver les causes, excluant avec tant de passion, l’esprit et l’émotion, car le stress,
la culpabilité, la peur et la haine contribuent au maintien de ce système malsain. Où tout le monde
sait que la façon de faire la politique jette simplement de la poudre aux yeux, remplie de mensonges
et d’hypocrisie, et l’accepte, car le tout est cautionné par des empires médiatiques qui continuent à
s’acharner et qui se partagent les quelques pires nouvelles, pour diriger les gens vers de fausses
réflexions de peur et de haine. Dans un complexe qui est si bien ficelé, que la moyenne des gens croit
dur comme fer que nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour régler les maux de ce monde,
alors que la classe politique et les grandes entreprises se mettent plus d’argent dans les poches qu’il
en faut pour vivre dix vies, devant les yeux de tous et chacun, en violant littéralement la planète.
Je lui donnai raison instinctivement. Je lui répondis que même si je ne me considérais pas
conspirationniste, la conspiration que je voyais depuis peu, était que si nous cautionnons un système
aussi défaillant, sans tenter de changer ses habitudes personnelles ou sociétales, nous prenons part à
ce système organisé. Bref, si nous ne faisons pas partie de la solution, nous faisons partie du
problème tout simplement. Cependant, il y avait une façon d’être heureux et d’être en paix avec soi-
même. Premièrement, il ne fallait pas se fier aux ouï-dire et à l’actualité médiatique, car, pour moi,
c’était absolument faux que la planète soit aussi dangereuse, et nous le prouvions chaque jour, en
flirtant avant la gentillesse et la générosité des gens qui sont heureux de nous raconter leurs histoires
tous les jours. Les gens sont majoritairement bons dans un système pourri, alors qu’on nous incruste
dans la tête le contraire. D’un autre côté, nous sommes obligés de contribuer à ce système, pour
lequel nous ne pouvons pas voter, mais que nous appelons ironiquement « démocratique ». Mais que
si, tout en contribuant, nous accordons notre attention, notre importance et nos valeurs en ce qui en
vaut vraiment la peine soit ; les gens qu’on aime et qui nous apaisent, ces petits moments de bonheur
qui nous font nous connecter avec cette partie si divine au fond de tous et chacun, en cette nature qui
nous offre des spectacles si magnifiques, tous les jours. Si notre énergie est concentrée sur les vraies
belles choses profondes et authentiques, la vie peut être magnifique, même en vivant dans la plus
petite des maisons. Car les possessions et le succès étatique apportent la joie et qu’elle est éphémère,
alors que les vrais beaux moments apportent le bonheur pur.
Nous continuâmes à manger notre sous-marin. Encore une fois, je mangeais de la viande. Un gros
questionnement apparaissait à l’intérieur de moi, comme si je rejetais catégoriquement la culpabilité
qui s’associait à cette habitude que je ne voulais plus répéter. Par contre, sur la route, toutes les
occasions étaient bonnes, car si manger de la viande était une question de survie et non de luxe, il
était normal pour moi que le lion chasse la gazelle en quelque sorte, bien que ce concept soit dénaturé
par l’avarice et la paresse de l’homme. Nous étions en train de manger tout en discutant de ce qui fait
que la vie soit la vie, et je la sentais inconfortable. L’alcool, la drogue, à ce moment, pouvait nuire à
son état. C’était peut-être aussi la négativité du dernier sujet abordé où encore son désir de solitude
dans ces moments fragiles qui la renfermait sur elle-même. Je sentais qu’elle cherchait à vouloir être
seule pour être capable de bien gérer la situation. Skull, de son côté s’était calmé. Il était tout près
d’elle, tentant de réconforter sa maîtresse qui semblait trop réfléchir. Mon amie, à laquelle je me
sentais si connectée, depuis la seconde où nous nous étions rencontrés, me demanda pardon. Elle me
dit qu’elle ferait mieux de partir et de prendre du temps pour elle. De plus, elle voulait respecter ses
hôtes qui l’aidaient et qui l’hébergeaient. J’acceptai sans aucun problème en lui disant que j’étais très
heureux qu’elle soit honnête avec moi et qu’il n’y avait rien de mal à vouloir être seule. Je la serrai
dans mes bras, puis je lui dis que je l’aimais. Nous prîmes chacun des chemins différents, dans la
merveilleuse ville de Sault-Sainte-Marie, car la solitude est un professeur hors pair.
Par contre, comme l’alcool coulait dans mes veines depuis un bout de temps, je sentais le goût de
continuer à boire s’obstiner avec Eva pour me diriger vers un bar, alors qu’Eva me connaissait très
bien et qu’elle doutait que c’était une bonne idée. Bien sûr, je fis fit d’Eva et commençai à marcher
avec Jym, à la recherche d’une seule bière bien qu’Eva doutât justement que je n’allasse m’arrêter
qu’à une seule bière.
Je marchai quelques kilomètres, parcourant le centre de cette ville et je trouvai cet endroit, petit,
mais accueillant. Il n’y avait que quelques personnes assises au bar, et la serveuse qui semblait
connaître tout le monde. Je m’assis et assis Jym sur une chaise à mes côtés. Il était si fier d’être sur
une chaise qu’il se montrait à tous : « hey regardez-moi, assis sur une chaise ! ». Je commandai une
bière et je me fis interpeller par un homme assis de l’autre côté du bar. Il avait le visage et le nez tout
rouge, avec un chapeau de pêcheur, les cheveux longs, blancs et frisés. Il était habillé de vêtements
simples de vacancier. En attendant que ma bière soit coulée, je passai sous l’interrogatoire de cet
homme sympathique qui était tout simplement curieux d’entendre mon histoire en voyant Jym se
pavaner comme il le faisait. L’homme était si heureux de voir que j’étais canadien-français, car il
avait un nom de famille typiquement québécois. Il se mit à me parler d’un français très cassé, alors
que je lui répondais en anglais. Il était heureux et je l’étais également. Nous nous mîmes à discuter
quelque peu, de tout et de rien, de nos origines, de nos vies, de nos consommations. Il était
sympathique. J’avais à peine entamé ma première peinte qu’il m’en commanda une deuxième. Très
loin de moi, Eva me cria qu’elle était fatiguée de me voir boire, mais je ne l’écoutai pas, car le désir
de l’alcool était très présent et la conversation était très intéressante. Après la deuxième pinte, il en
commanda une troisième pour moi.
C’était agréable de parler avec l’homme, mais, en même temps, je voyais que pour lui aussi l’alcool
se faisait sentir. Plus la conversation évoluait et plus elle était à sens unique. Je tentais de répondre
ou même de seulement glisser quelques mots et il m’interrompait à tout bout de champ, continuant de
s’exprimer. En même temps, je sentais que si l’homme était dans cet état, seul dans ce bar, c’est qu’il
avait besoin de parler, et surtout d’être écouté. C’est ce que je faisais, alors qu’Eva était rendue si
loin que les murs semblaient commencer à bouger. Si je comptais mes consommations, j’étais rendu à
six bières et trois pintes de bière. Même si j’avais commencé à boire depuis quand même un bout de
temps, c’était beaucoup.
Après quelques heures, l’homme était à bout de sujet de conversations. Nous parlions seulement de
choses simples de la vie, profitant de ce beau moment et de notre délicieuse bière, conversant
gaiement avec tout le monde qui passait aux alentours et qu’il semblait connaître. L’autre homme qui
était à mes côtés, un vieil homme frêle qui se mêlait de toutes nos conversations venait de quitter,
laissant une bière pleine intacte devant sa chaise maintenant inutilisée. La serveuse et mon nouvel ami
m’influencèrent à la boire et c’était un exercice si facile à exécuter, considérant qu’Eva était
maintenant beaucoup trop loin pour avoir un œil sur moi. Je n’en bus que la moitié, c’était trop, je
devais, arrêter, ralentir, ou du moins prendre une pause de boire. Pour ces raisons, je devais moi
aussi lever les feutres. Je remerciai les gens que j’avais rencontrés et leur souhaitai le mieux, ce
qu’ils firent également pour moi. Je me levai pour régler ma facture, et mon interlocuteur sortit un peu
d’argent de ses poches et paya tout sans me prévenir. De plus, il prit un billet de vingt dollars
excédentaires et me le tendit. Il me dit : « Je n’ai pas beaucoup d’argent, mais je tiens à t’aider dans
ton aventure ». Mon cerveau procéda au calcul rapide et avec ce vingt dollars, l’homme m’en avait
au moins donné cinquante. J’étais touché. J’acceptai l’argent volontiers, considérant le fait que,
malgré mon état d’ébriété, j’avais fait mon travail, je l’avais écouté alors qu’il en avait besoin. Nous
étions contents et j’étais reconnaissant. Je le serrai dans mes bras, lui dis que je l’aimais, et parti par
la porte principale, accompagné de Jym.
Je marchais tout de même droit et de façon cohérente, à mon avis, aux abords des rues de Sault-Saint-
Marie. Je croyais être en possession de la majorité de mes moyens, et avec le nouveau billet qui
s’était infiltré dans mes poches, je commençais à penser que je pouvais aller vers un autre bar pour y
terminer la soirée. Je fis le tour des rues, pour décompenser des effets de l’alcool qui se faisaient tout
de même ressentir, tout en analysant les options qui s’offraient à moi.
Après que Jym se voit refuser l’accès d’un bar, on me proposa d’aller seulement de l’autre côté de la
rue vers un autre établissement. Je m’y dirigeai rapidement, abordant quelques jeunes femmes au
passage qui attirèrent mon attention en remarquant Jym, encore une fois. Je leur parlai très brièvement
pour ensuite, continuer ma route, leur expliquant que si elles voulaient me voir, j’allais être plus loin.
J’entrai par la suite au bar et j’installai Jym tout près de moi. Je m’aperçus alors que j’avais perdu un
"spacer" d'oreille qui laissait un trou d’un centimètre dans mon lobe. Je n’aimais pas l’esthétique de
la chose, mais je ne pouvais rien y faire pour le moment, je devais seulement en acheter un plus tard
et surtout ne plus y penser. Je vis une jolie blonde parler avec des gens qu’elle connaissait au loin,
puis elle vint s’asseoir au bar, tout près de moi. J’arrêtai de penser à mon oreille soudainement, puis,
de fil en aiguille, nous commençâmes à discuter quelques minutes. Elle était sympathique et
intéressante. Elle parlait de sa vie de professeure, et je parlais de la mienne. Puis, après vingt
minutes, d’autres personnes l’abordèrent, elle me les présenta. Il n’y avait qu’un seul homme dans le
groupe de femmes, et j’étais, soudainement, rendu l’attraction principale, en si peu de temps. Les
femmes me parlaient, ils me complimentaient sans retenue, de plus, mon accent les charmait et elles
ne s’en cachaient guère. Je dirais que si tous les accents étrangers sont charmants, l’accent québécois
au sein de notre pays est d’autant plus prisé. Je discutai avec le groupe de filles qui entourait le bar,
puis elles partirent plus loin. Quand on est seul dans ce genre d’établissement, le meilleur endroit
pour rencontrer et échanger est définitivement le comptoir, car tout le monde y passe, à un moment où
à un autre, et l’attente sous le manque d’alcool et la satisfaction de la première gorgée mêlée à
l’euphorie de l’ébriété suppriment la majorité des barrières que les gens ont pour se protéger
psychologiquement des autres. J’étais content de pouvoir continuer à boire, mais surtout de pouvoir
continuer à échanger avec les gens qui y passaient.
Puis, un jeune homme me parla par la suite ; assez grand, fin-vingtaine, une barbe et une casquette. Il
semblait sympathique. Il me questionna à propos de mon voyage et j'étais heureux de pouvoir lui
répondre. Son attention était attirée vers le symbole sacré que Jym affichait. Il commença alors à me
parler de ses croyances qui ressemblaient aux miennes. Il me dit d’attendre un instant quand je lui dis
que j’allais écrire un livre sur mon aventure. Il partit plus loin, et revint avec un crayon qu’il me
tendit. Il me dit instinctivement qu’il n’avait rien à m’offrir, mais que ce pouvait être un beau cadeau
pour un écrivain. Je lui répondis qu’effectivement ce l’était et le remerciai chaleureusement. Je le
trouvai intéressant, sympathique et lui demandai s’il voulait bien jouer au billard. J’avais trouvé mon
compagnon pour le reste de la soirée. Nous jouions à ce jeu, mais nous avions des problèmes à
enchainer les coups, car nous enjambions sujet après sujet, complétant les phrases de l’autre
tellement nous étions sur la même longueur d’onde. Mon ami en connaissait autant que moi sur les
anciennes religions, et nous avions la même vision de ce qu’est la spiritualité. Nous partagions
d’autant plus le même prénom, et je sentais qu’il était si intéressé, mais qu’il avait rarement
l’occasion de parler de spiritualité, de théologie, d’énergie, alors que moi, dans l’état où j’étais, je
n’avais aucun filtre à cet égard. Nous discutions de tous les sujets et enfilions les parties de billard,
les unes à la suite de l’autre. Puis deux autres hommes se joignirent à nous. Pour être complètement
franc, je ne sais plus combien de consommations j’ai pu boire en cette soirée, mais nous jouâmes
jusqu’à la fermeture de celle-ci, discutant de tout, échangeant de beaux moments avec de parfaits
inconnus. Je restai avec mon nouvel ami jusqu’à la fin.
En sortant du bar, il devait être environ deux heures du matin, les lumières de l’établissement étaient
allumées pour communiquer à tous que le plaisir était bel et bien terminé. Mon nouvel ami me dit
d’attendre, et alla plus loin. Il revint avec un papier d’aluminium dans les mains. Il me dit que c’était
ce qu’il restait de sa journée de travail et qu’il voulait me le donner. Je fus touché de voir cette âme
lumineuse me prouver, encore une fois, qu’un lien inexplicable nous unissait, d’un inconnu à l’autre.
J’ouvris le contenant pour y découvrir le contenu. C’était, à mon avis, une grosse portion de
nourriture indienne. Je le remerciai, encore une fois, chaleureusement, puis je lui dis « namasté ». Je
lui demandai ensuite s’il savait la signification de ce mot et avant même que j’eusse terminé ma
question, il me répondit « La lumière à l’intérieur de mon âme reconnait la lumière à l’intérieur de la
tienne ». Comme tout au long de la soirée, je fus étonné qu’il en sache autant, aussi instinctivement, je
lui répondis tout aussi instinctivement, par surprise : « Fuck you » tout en riant, étonné et certain que
notre rencontre était seulement le fruit d’une force d’attraction inconnue. Puis nous prîmes des
directions différentes. Je marchai quelques minutes, entrai dans la cour d’un immense immeuble, je
me dis que personne n’allait y aller la fin de semaine. J’installai mon sleeping bag entre deux arbres,
fumai un petit joint, puis dormis, paisiblement, à la belle étoile, satisfait de mes rencontres
impromptues.

13 août 2017

Au matin, je me levai rapidement pendant qu’Eva s’occupait de me raconter la perception qu’elle


avait eue de cette soirée arrosée. Tout semblait s’être fait dans les règles de l’art, mais comme le
karma semblait me punir à toutes les fois que je touchais à l’alcool, je me rappelai que j’avais un trou
béant dans un lobe d’oreille. Malheureusement, comme après chaque lendemain de cuite normal, je
réfléchissais à mon compte en banque, même si ma soirée ne m’avait pas couté si cher, mon budget ne
me permettait pas vraiment d’acheter le bijou que j’avais besoin. Par contre, je devais le faire, car je
refusais de lever mon pouce pour me déplacer avec un élément esthétique qui faisait défaut. Depuis le
début de l’aventure, j’apprenais à me fixer des règles à suivre et avoir une apparence physique
impeccable était toujours très important à mes yeux. Je me dirigeai alors vers le magasin en me disant
y trouver l’objet de mes recherches. Arrivé, je m’aperçus que le centre commercial était fermé pour
encore une bonne heure et demie. Il faisait beau et chaud, j’étais fatigué, mais en forme à la fois, et je
décidai de m’asseoir au soleil pour écrire un peu. Je voulais écrire, acheter mes boucles d’oreilles,
puis, enfin quitter Sault-Sainte-Marie, car à la base, je voulais n’y passer qu’une seule journée, et j’y
étais déjà à ma quatrième.
Je pensais à mes rencontres que j’avais eu la veille, les sujets de discussion profonds que nous
avions échangés, et je me disais que c’était exactement pourquoi j’étais partit, et que l’alcool allait
parfois être le prix à payer pour expérimenter ce que j’avais à expérimenter. Je me disais aussi que je
recevais beaucoup de la part des gens autour de moi, mais que si mes idées et mon énergie étaient
belles, si je pouvais faire réfléchir les gens, si je pouvais apporter une certaine énergie et une
psychologie positive, d’un inconnu à l’autre, c’était ma façon de redonner. De plus, ce n’était pas
pour me réconforter dans mes habitudes ivrognes, mais je croyais que l’alcool, bien qu’elle soit
nocive pour le corps, la tête et l’esprit, est un nectar qui nous connecte et qui peut faciliter le partage,
à un certain niveau, nous mettant tous au même pied d’égalité. Je devais seulement apprendre à faire
la part des choses avec les situations qui se présentaient à moi, et la percevoir comme une substance
utile plutôt qu’une échappatoire. Puis, je continuai à réfléchir sur mes agissements. Ce qui m’étonnait
le plus était qu’à la base, depuis mon départ, ce que je trouvais le plus stressant était de ne jamais
savoir où dormir. Mais comme tout arrivait à point depuis le début, je réalisai que même si, tous les
matins, je ne savais pas où j’allais dormir le soir même, je savais bel et bien qu’il était certain que
j’allais dormir et cela était une victoire en soi.
D’un autre côté, j’étais un peu déçu de ne pas avoir de nouvelles de mon amie et de son chien. Elle
qui avait fait sursauter mon cœur dès le premier regard, j’avais senti qu’elle était si spéciale. Mais je
comprenais que sa principale raison d’avoir choisi ce mode de vie était d’être seule. Je n’espérais
que le mieux pour cette jeune demoiselle qui était tout simplement spéciale sans réellement le
réaliser. Je la mettais peut-être sur un piédestal, mais d’après moi, elle y avait droit. Car cette petite
personne m’avait fait tant réfléchir et m’avait tant apporté au niveau physique, psychologique et
spirituel ; elle m’avait appris sur moi-même, et m’avait fait sentir si bien d’être seulement moi-même,
qu’elle m’avait donné un sentiment inexplicable qui restera avec moi pour longtemps.
Tout en réfléchissant à tout cela, en souriant naïvement, mon téléphone vibra. C’était justement elle
qui m’invitait au parc où nous nous étions rencontrés la veille. J’avais l’intention d’acheter des
boucles d’oreilles et enfin partir de la ville, mais cette rencontre anodine m’avait tellement
bouleversé, surpris et intrigué, que cette jeune femme était la seule raison pourquoi j’aurais pu rester
une journée supplémentaire dans cette belle petite ville de Sault. J’allai la rejoindre immédiatement.
Je marchai vers le parc qui était seulement à quelques pas d’où j’étais. Au loin, je fus témoin d’un
spectacle si touchant. Pour moi, c’était le bonheur à l’état pur. Je voyais ma tendre ami, courir dans
tous les sens, avec son meilleur ami ; son acolyte. Je lisais dans son cœur qu’elle n’avait tout
simplement besoin de rien d’autre que de jouer avec son chien. Elle riait, elle lui parlait, elle sautait,
sous le chaud soleil de l’Ontario. J’étais si touché que je ralentis la cadence de mes pas pour être
simplement témoin de la scène et pour sentir, à mon tour, l’émotion palpable que dégageait cette
équipe de rêve. Elle m’avait raconté la veille que c’était sa routine. Que la première chose qu’elle
faisait le matin était de jouer au moins une heure avec Skull pour qu’ils fassent leur exercice
ensemble, mais aussi pour qu’ils continuent à développer leurs atomes crochus. Je l’entendais crier,
rire, c’était un spectacle ahurissant. Puis elle me vit au loin, et m’envoya la main pour me
communiquer d’aller la rejoindre. Je m’y rendis. Elle était contente de me voir, je pouvais le sentir,
et aussi, le voir par son sourire resplendissant. Elle m’attaqua aussitôt: « Il faut absolument que je te
dise quelque chose, notre rencontre d’hier était tellement spéciale à mes yeux. J’ai beaucoup réfléchi,
j’ai beaucoup appris, mais aussi, je voulais te revoir aujourd’hui, car avec toi je me sens comme si
j’étais seule, et je ne connais pas beaucoup de gens avec qui je peux me sentir aussi bien ». Je restai
sans mots. C’était un si beau compliment et je sentais que notre rencontre était simplement destinée,
mais aussi, que nos sentiments étaient plus que réciproques. Elle m'avait premièrement partagé son
expérience de la rue, mais aussi, m’avait fait réfléchir.
Je lui demandai quels étaient ses plans pendant que Skully buvait de l’eau, fière de son entraînement
quotidien. Elle me répondit qu’il y avait une banque de nourriture ouverte tout près si nous voulions
de la bouffe gratuite. J’acceptai avec plaisir. Je lui dis aussi que je devais aller acheter des bijoux
pour mes oreilles. Aussi, j’avais faim et avais le gout d’être rassasié. Je me souvins que la veille,
elle m’avait confié avoir un petit brûleur de camping, je lui proposai alors que nous nous fassions un
énorme plat de pâte, en fin de journée, pour manger ensemble. Nous décidâmes également de monter
les tentes ensemble et de passer la journée entière en bonne compagnie, à moins que la situation ne
change. Nous étions emballés, non pas par l’intrigue de se connaître davantage, mais seulement par le
seul fait de partager quelque chose de grandiose entre deux personnes qui ne possédaient
pratiquement rien. C’était tout simplement génial, et, surtout, c’était pour moi ce qui délimitait les
joies du bonheur pur. Je savais bel et bien que nous n’allions pas pouvoir nous empêcher de parler
l’un à l’autre, mais je savais aussi que je pouvais passer une journée complète en silence avec elle et
que nous pouvions être aussi confortables et d’autant plus reconnaissants de ce que la vie pouvait
nous offrir.
Toujours au beau milieu du parc, je vis un couple et un enfant, un peu plus loin, s’apprêter à faire des
exercices. J’avais tant le gout de les rejoindre, mais je croyais que le tout serait déplacé, surtout que
je venais de suggérer à mon amie de rouler un joint. J’avais tout de même envie de faire travailler
mon corps. J’enlevai mes converses et les plaçai au pied d’un arbre. J’empruntai un peu d’eau à mon
amie et nettoya mon lien avec Eva qui semblait si contente que je m’occupe enfin d’elle. Je l’étais
également. Je la remerciai, en même temps, de la patience à laquelle elle faisait preuve à mon égard,
et je lui confiai que je ne me sentais pas complètement en sécurité quand elle n’était pas à mes côtés.
Elle sourit apaisée. Je déposai le cristal de quartz sur mes souliers au soleil et je m’installai à côté,
pour m’étirer un peu. Cigarette roulée, mon amie sortit, sur la table où nous étions installés, des bouts
de bois, des dents animales, etc. Elle me dit qu’un de ses passe-temps était de graver des accessoires
et qu’elle avait même les outils pour les travailler. Un éclair me traversa l’esprit sur-le-champ. Je me
levai subitement, demanda à Jym de me donner un objet précieux, et tendit à mon ami la dent de buffle
de guérison que le shaman m’avait donné quelques jours auparavant. Je lui dis: « Le shaman m’a
donné un collier de guérison. Après avoir rencontré une personne comme toi, je m’aperçois que je
suis déjà avancé dans mon processus de guérison, car j’ai besoin de voir que de bonnes et simples
personnes existent, j’ai besoin d’aimer simplement, c’est pourquoi je te l’offre ». Ses yeux
s’ouvrirent si grands. Elle était surprise, émue et intriguée. Pour n’ajouter seulement qu’à son passe-
temps, elle m’avait confié, la veille, qu’elle aurait vraiment aimé rencontrer un shaman et, bien sûr,
qu’elle croyait en ce genre de superstition. Mais aussi, trouver des dents de tel ou tel animal était
plutôt compliqué. Bref elle en était ravie. Elle me serra dans ses bras. Puis elle se mit à observer la
dent en le tenant à deux mains tandis que je retournai aux pieds de l’arbre, à la rencontre de moi-
même.
Après un bout de temps, je me levai, renfilai mon cristal de quartz et réitérai à mon amie que je
voulais acheter un nouveau bijou pour mes oreilles dans le but de continuer mon chemin. Elle décida
de m’accompagner avec Skull. Elle rangea tout ce qu’elle avait sorti dans son sac, c’est alors que je
remarquai son "backpack" qui était très loin de ressembler au mien. Il était plus petit, bien sûr, mais à
la fine pointe de la technologie, contrairement à Jym qui sortait tout droit des années soixante-dix.
J’étais tout de même content d’en faire la comparaison. Elle me confia que c’était l’unique cadeau de
Noël qu’elle avait reçu d’une mère qui ne s’attendait pas à ce que sa fille parte aussi longtemps, mais
qui acceptait sa décision. Même si elle ne possédait pas beaucoup, son sac était très fiable, car la
dernière chose que nous voulions, en vivant ainsi ; la pire chose qui pouvait nous arriver était que
notre sac ne nous rende plus service. Bref, de ce côté, elle était équipée. Nous enfilâmes
respectivement nos sacs sur nos épaules, puis nous mîmes à marcher. Le sentiment d’être
accompagné, cette fois-ci, par une autre personne qui porte elle aussi sa maison sur ses épaules était
agréable. Pour moi, c’était nouveau, pour elle ; non. Encore une fois, j’apprenais. C’était aussi
impressionnant de voir toutes les façons que nous avions pour trouver les différentes utilités à nos
sacs. Pour ma part, il m’avait déjà servi de sac, de banc, de table, d’oreiller et de poids
d’entraînement. Pour elle, il servait de support pour attacher son chien qui ne devait jamais le
dépasser.
Nous nous rendîmes rapidement au centre d’achat, le même où j’avais rencontré le vieil homme
auparavant. Elle m’attendit à l’extérieur alors que Jym, Eva et moi entrâmes dans l’établissement.
Nous ressortîmes quelques minutes plus tard, après avoir acheté des bagues entretoises fluorescentes.
Je retournai vers mon amie qui avoua que c’était une bonne idée d’avoir un élément qui pouvait
paraitre dans le noir, surtout sur mes oreilles. Elle s’excusa par la suite, car elle voulut me proposer
de laisser Jym avec elle, pour me faciliter le travail. D’un autre côté, j’étais satisfait de ne pas y
avoir pensé, cela voulait dire que j’étais si habitué à le transporter, que je n’y pensais même plus,
bien qu’il fût quand même assez lourd. Je lui demandai, par la suite, ce qu’elle voulait faire. Elle me
dit qu’elle avait une promenade de prévue avec ses hôtes le lendemain, et qu’elle devait les retrouver
plus tard aujourd’hui pour au moins dormir près d’eux, car ils allaient dormir dans leur camion tout
près d’un parc. Elle voulait donc être en forme pour cette promenade, pour les respecter, et aussi,
pour faire plaisir à Skully qui attendait l’événement avec impatience.
Nous nous dirigeâmes vers le même minuscule parc de la veille pour s’y asseoir, pour profiter du
magnifique soleil, encore une fois, de l’énergie qui pouvait se dégager de notre immobilisme congru.
Nous nous mîmes à jouer ensembles, dépensant notre énergie et réalisant que nous n’avions pas
besoin d’autre chose pour vraiment être heureux. Elle sortit les deux bières qui lui restaient, je roulai
un joint, et nous répétions la journée de la veille, en nous demandant pourquoi voudrions-nous
changer une formule gagnante. Par moments, nous étions assis au sol, discutant de sujets légers, mais
profonds. Skully nous interrompait quelques fois, me lichant au visage ou demandant de l’eau à sa
coéquipière. Il n’était pas attaché, mais connaissait si bien son rôle dans l’équipe, que j’en étais
seulement la troisième roue.
Puis, elle regarda où était le parc où elle devait aller rejoindre ses hôtes. Le parc était à plus d’une
heure de route. Bien qu’elle fût habituée à marcher avec son sac, elle se sentait mal de me faire
marcher avec le mien, mais je lui expliquai que j’étais plus qu’habitué à marcher avec lui et que
c’était un entraînement en soi. Elle me confia qu’elle m’avait vu faire la veille et que ce n’était
effectivement pas tout le monde qui marchait autant avec un sac de cette envergure, d'autant plus que
le mien était un peu plus gros que la norme. Je le pris comme un compliment.
L’après-midi était déjà bien avancé, et nous avions passé tous les trois une magnifique journée. Il
était temps, par contre, de faire un effort physique et de se diriger vers le parc à une heure à pied. En
chemin, un homme nous aborda pour nous signaler que la banque de nourriture était ouverte, si jamais
nous voulions nous en procurer gratuitement. Nous nous arrêtâmes à ce magasin, mais, comme il y
avait une grande file d’attente, que nous avions une bête avec nous et que nos plans de se faire nous
même à manger allaient couter très peu, nous décidâmes de continuer notre périple.
Skully voulait montrer qu’il était présent, car à chaque cent mètres, il nous ralentissait. Ses hormones
le faisaient arrêter pour sentir les arbres, les bornes-fontaines, les poteaux où il marquait son
territoire. D’autres fois, il voulait aller trop vite et faisait ralentir sa maîtresse qui prenait le temps de
lui jaser, à toutes les fois qu’il tirait un peu sur sa corde. J’étais toujours impressionné, car elle
n’était pas violente, ni en mot ni en geste. Elle lui parlait comme quand elle parlait à un adulte et il
écoutait, se conformant à la volonté de sa maîtresse. Il connaissait son travail. À quelques reprises, il
attirait l’attention des passants, quand ils s’approchaient pour le toucher sans demander la
permission, ma douce compagne répondait fermement de ne pas déranger son chien sans qu’elle ne
l’autorise, car c’est elle qui devait décider et c’était légitime. Elle me confia que les chiens sont des
êtres vivants au même titre que les humains. Nous aussi, à certains égards, nous aimons nous faire
toucher, mais si un inconnu arrivait sans nous le demander et commençait à nous toucher, nous serions
confus et sélectifs. Bref, j’étais plutôt d’accord et c’était si simple de le demander avant, comme
avec n’importe quoi.
Puis, le sujet de conversation dévia pour parler des hommes en général ; de la façon dont nous
pouvions être envahissant avec nos avances et comment le sexe pouvait être une priorité dans la vie
de plusieurs, surtout à un jeune âge. Car souvent, certains hommes priorisent les occasions sexuelles
au-delà de la bienséance, du bien-être de l’autre, de l’amitié ou de toute autre chose décente. Elle me
disait que sur la route, déjà que les situations pouvaient facilement être dangereuses pour elle, elle
rencontrait souvent des hommes qui voulaient a priori être amis ou du moins l’aider, et que si elle
refusait leurs avances, ils la laissaient tomber. Elle parlait comme si ces situations faisaient partie de
son quotidien et je la comprenais. Moi-même j’avais été l’un de ses hommes, il y avait quelques
années, qui aimaient mieux faire fonctionner son deuxième cerveau, alors que je justifiais mon
intégrité par n’importe quelle excuse bidon. N’empêche que j’avais laissé certaines valeurs
essentielles de côté au profit de la séduction et de la recherche de l’orgasme. Je réalisais maintenant
que je ne voulais plus être cet homme, et qu’en tant que nouvel homme célibataire, je devais faire la
part des choses pour donner le meilleur de moi-même à mon prochain ; homme ou femme, et lutter
contre le désir hormonal. Je lui dis : « Je te trouve belle, tu le sais, mais je te promets qu’à chaque
fois qu’on va se voir, ton bien-être sera ma priorité et, si tu viens chez moi, tu auras un endroit
sécuritaire pour dormir sans trop te poser de questions ; Promis ». Elle me répondit que ces mots
comptaient beaucoup pour elle et qu’elle était touchée. Nous continuâmes à marcher.
Une bonne heure plus tard, nous arrivâmes au parc. Nous devions absolument prendre une pause,
Skully devait manger et boire. Nous passâmes un stationnement, allâmes plus loin que quelques
collines, et nous installâmes, semi-cachés, près d’une petite route, derrière des arbres, tout près
d’une rivière. Le coin était parfait pour se retrouver et continuer à cultiver cette bulle qui nous faisait
nous sentir comme les seuls habitants de la planète. Nous cherchâmes alors où était l’épicerie la plus
proche. Nous demandâmes à quelqu’un qui passait par notre voisinage, il nous dit que nous avions
seulement qu’à traverser une rue pour nous y rendre. Nous savions que notre dos devait se reposer
encore un peu de cette longue marche. Mon amie se dévêtit légèrement, roula ses jeans et alla dans
l’eau avec Skully qui était si heureux de notre aventure. Les deux s’amusaient dans la rivière alors
qu’encore une fois, j’étais si touché de voir la force de cette équipe se manifester d’elle-même.
Après quelques minutes, ils revinrent vers moi, satisfaits de leur baignade.
C’était maintenant le temps d’aller acheter la nourriture et j’avais plus que faim. Ma nouvelle amie
trouva un endroit, derrière un arbre pour y laisser son sac, alors que moi, je n’étais pas assez
courageux pour le faire. Aussi, mon meilleur ami me répétait toujours que c’était dans les plus
grandes fatigues que notre corps apprenait le plus. J’enfilai donc Jym pour un dernier sprint. L’allée
retour prit environ trente minutes et nous revîmes avec tout pour concocter une bonne sauce à
spaghetti ; des nouilles, de la sauce, des légumes et même des biscuits. Nous nous sentions rois et
reines. Nous nous étions mis d’accord, auparavant, pour ne construire qu’une seule des deux tentes.
De toute façon, Skull était un peu capricieux de dormir à la chaleur d’une tente.
L’idée de dormir avec une jolie jeune femme était très troublante pour moi, car le désir y était, mais
le seul fait de me sentir accepter par une personne à la lumière aussi émanante était beaucoup plus
réconfortant qu’un plaisir charnel, et je voulais tout faire pour cultiver cet amour platonique que nous
ressentions l’un pour l’autre. Bref, la tente était alors montée, les sacs de couchage déployés juste en
avant de celle-ci, et peu de temps après, nous avions une quantité de nourriture, dans nos assiettes,
plus que rassasiantes.
Nous mangeâmes et nous nous installâmes l’un à côté de l’autre, pleins, heureux d’être encore
ensemble, platoniquement amoureux. Le chien continuait à se promener partout, il était tout près de la
rivière. Nous regardions tous les trois le merveilleux spectacle que le soleil nous offrait en se
couchant. C’était à croire qu’il répétait cette chorégraphie, tous les jours, depuis le début des temps.
Skully s’énervait un peu, avançant et reculant vers la rivière. Nous sentions qu’il ne voulait qu’y
sauter, comme un gamin qui ne voulait pas que le plaisir se termine, alors que nous étions alourdis
par la nourriture, par le cannabis et par la fatigue des deux dernières journées trop lourdes en
émotions positives. Mon amie lui dit : « Bien non, dude, tu ne peux pas sauter dans l’eau, on a besoin
que tu sois propre pour l’auto demain, tu le sais ». Son coéquipier la regarda, puis regarda ensuite
vers l’eau, la regarda encore une fois, puis baissa la tête et revint près de nous. Encore une fois,
j’étais stupéfait par la communication entre les deux êtres que je venais de rencontrer.
J’espérais voir les étoiles et la lune apparaître bientôt, car ce spectacle était toujours une bénédiction
en soi, mais pour voler la vedette, nous vîmes quelques avions voler d’un sens puis de l’autre et
encore d’un autre sens pour se croiser. Les nuages que laissaient aller ces avions étaient étranges, car
ils ne disparaissaient pas, ils ne faisaient que s’élargir, tout en gardant leur opacité. Quelques minutes
plus tard, le ciel était pratiquement couvert de plusieurs lignes de nuages qui ne laissaient plus
paraître aucun astre. J’étais déçu et choqué à la fois, car j’avais déjà entendu parler de la légende de
« chemtrails » auparavant et je n’en avais jamais vu. Si cet exercice existait vraiment et je suis
convaincu que quelque chose de louche se produit à ce niveau, j’en étais témoin en ce doux moment,
car je n’avais jamais vu des avions avec ce genre de parcours persistant si aléatoire, et cette boucane
qui semblait empester le ciel d’une pollution malsaine. L’opération et les avions furent en actions
durant des heures.
Ma compagne laissa comprendre qu’il était toujours agréable, surtout pour dormir, de recevoir un
peu de chaleur humaine. Bien que je fusse tout de même gêné, qu’elle me plaisait physiquement,
j’étais tout de même hésitant et entreprenant à la fois. Je voulais bien me coller sur elle, mais ce
n’était pas l’occasion d’aller trop loin non plus. Je croyais, par contre, qu’un échange d’énergie au
niveau physique, même sans être amant, était de mise. Je m’approchais donc d’elle tranquillement.
Nous étions maintenant très près jusqu’à ce que Skull ait son mot à dire. Il vint se coucher entre nous
deux et me poussa plus loin. Nous nous mîmes à rire et elle lui demanda s’il était réellement sérieux.
Il ne répondit pas. Sa tête était couchée sur le sol et ne bougeait pas, comme s’il dormait. Elle se mit
à rire encore plus fort : « Je sais que tu ne dors pas, n’essaie pas de faire semblant, tu viens de te
coucher idiot ! ». Nous rîmes du comportement du chien qui tentait, tant bien que mal de jouer la
comédie. Nous étions conscients qu’il exécutait quand même son travail, celui de la protéger. Nous
étions heureux, bien, l’un près de l’autre, d’un inconnu à l’autre ; Nous nous endormîmes.
Chapitre 8
The Great Mama-C

14 août 2017

Je fus réveillé, au petit matin, par des bruits tout autour de moi. La nuit n’avait pas été si réparatrice,
mais j’avais au moins appris que dormir à la belle étoile, tout près d’un cours d’eau, attirait
énormément les moustiques. Je devais y penser les prochaines fois. J’entendis mon amie tout replacer
son sac, puis jouer avec son chien. Je lui dis au revoir, tout en laissant entendre que j’étais
absolument sûr que nous allions nous revoir plus loin sur mon chemin. D'autant plus que nous allions
finalement vers la même province. Après quelques instants, nous nous serrâmes dans nos bras, nous
dîmes que nous nous aimions et, ensuite, elle partit rejoindre ses hôtes pour sa journée en nature,
tandis que cette fois-ci, pour de bon, je devais quitter Sault-Sainte-Marie, pour continuer mon périple
et découvrir mon magnifique pays.
Il était très tôt le matin, le soleil n’était pas tout à fait levé encore, et je pris mon temps pour méditer
devant la rivière, quelques minutes, avant de tout ranger et de repartir. J’étais heureux de voir qu’Eva
et Jym étaient également heureux en ce doux matin, même si j’avais aidé un peu trop rapidement Jym
à se mettre sur pied. Je sentais que mon sac penchait plus d’un côté que de l’autre, mais je me mis à
marcher, réalisant que je devais dorénavant mieux l’organiser. Je marchai environ dix kilomètres,
d’un bout à l’autre de Sault-Saint-Marie. Je me rendis jusqu’à l’autoroute, à la sortie de la ville, pour
y lever le pouce. Cela me prit un peu plus que deux heures, mais j’étais en forme, j’étais fort, et
j’avais tout le temps devant moi. Encore une fois, j’étais déjà nostalgique de cette rencontre qui avait
changé l’issue de mon voyage, qui m’avait fait sentir comme un nouvel homme, qui m’avait prouvé
que l’amour pur était gagnant contre l’amour dépendant, demandant, et imparfait. J’étais amoureux de
son âme, car elle brillait, tout simplement. Je me dis, en cet instant, qu’il y avait vraiment une
différence entre l’amour pur et l’amour amoureux. Et bien que l’amour amoureux soit celui qui fait
construire une équipe pour expérimenter la vie, l’amour pur est celui qui donne l’énergie, qui fait tout
simplement vivre, par exemple, celui reçu par la famille, les amis, et même par l’amour amoureux qui
a un fond pur, mais parfois, malheureusement, on l’oublie et on l’aliène.
Je ne pris aucune pause, pour me rendre à l’autre bout, pour ensuite me rendre à un dépanneur, plus
loin, où je devais m’acheter une bouteille d’eau, mais aussi déposer Jym qui commençait à installer
une réelle douleur le long de ma colonne vertébrale. Quelques personnes me parlèrent pour me poser
les questions habituelles, voyant la prestance de mon sac, alors que je coupai court la conversation
pour continuer. Je voulais vraiment avancer cette fois-ci. Quelques dizaines de mètres plus loin que
le petit magasin, je voyais que la route s’éternisait. La prochaine ville était à plus de trente
kilomètres, et je ne pouvais pas le marcher, bien sûr, surtout, après le parcours que je venais tout
juste de faire. Je déposai Jym aux abords de la route, levai fièrement le pouce et j’attendis.
J’attendis plus d’une heure le pouce levé avant que quelqu’un ne s’arrête. Je vis une auto, orange,
verte, bleue et blanche saupoudrée d’une publicité marketing quelconque. À première vue, je me
disais que j’étais tombé sur quelqu’un qui travaillait, qui était peut-être stressé et qui n’allait pas si
loin avec ce panneau commercial qui se prenait pour une voiture. Eva me rappela de ne pas avoir de
préjugé pour bien réaliser mon rêve. J’étais d’accord. J’ouvris la porte arrière en premier pour y
déposer Jym tout en remerciant la personne à l’avant de s’être arrêtée. Je vis que c’était une femme.
Une fois à l’avant de la voiture, je la remerciai encore une fois, lui dit que ça m’aidait beaucoup. La
personne qui s’était arrêtée pour moi était une femme qui entamait la cinquantaine, avec beaucoup
d’assurance. Elle avait les cheveux noirs, longs, elle souriait et portait des vêtements ni trop chiques,
mais sans laisser-aller. De toute façon, elle n’avait pas besoin de soigner son apparence physique
pour laisser parler sa personnalité flamboyante. Elle me dit : « Sorry for this fucking piece of shit, the
garage was supposed to give me my pick-up truck back and they gave me that shitty car, these
assholes, I look like a fucking publicity sign on wheels, fuck .» Je ne pouvais faire autre chose que de
m’esclaffer face à cette femme qui semblait si généreuse, mais, en même temps, si éclatée. Elle me
demanda où je me rendais et je lui dis que je ne savais pas où exactement, mais que j’y allais quand
même. Que je ne faisais que continuer et voyager. Elle me demanda, alors, si j’allais faire les fruits,
les arbres, ou le cannabis, en même temps, pour me faire un peu d’argent, car elle avait connu des
gens qui se rendaient en Colombie-Britannique pour y travailler. Je lui répondis que non. Pour
l’instant, je voulais seulement découvrir notre beau pays. Elle fut plus que d’accord avec moi. Elle
me confia qu’elle voyageait, elle aussi, sur de courtes distances, pour voir des amis, pour s’évader
quelques jours. La route ne lui faisait pas peur, car ça en valait la peine et que l’Ontario était
particulièrement belle. J’étais plus que d’accord, à voir les Grands Lacs défiler devant moi, depuis
pratiquement le début de mon voyage, j’en étais ébaubie. Elle me dit, par contre, qu’elle ne voyageait
pas vers l’Ouest canadien : « Those fucking prairies are a pain in the ass, you know what i mean ?
You drive and drive and when you think you have enough of the prairies… it’s still fucking prairies
all over the place, fuck !” Chaque fois qu’elle ouvrait la bouche, je ne pouvais m’empêcher de rire,
car je savais qu’elle était expressive à sa façon, principalement à des fins humoristiques.
Nous continuâmes à parler de tout et de rien alors qu’elle me dit que nous n’allions pas si loin, peut-
être à trente minutes d’où elle m’avait pris. Elle me confia qu’elle s’arrêtait à tous les autostoppeurs
qu’elle voyait et qu’elle leur demandait de travailler sur sa maison, sur son terrain en échange d’un
endroit où dormir. Elle avait un petit chalet derrière chez elles où les ados allaient passer leur temps
et elle invitait les gens à y passer la nuit. Il y avait justement accueilli un Anglais qui venait de quitter
l’endroit la journée même, et un autre Québécois qui y avait passé quelques jours auparavant. Elle me
confia qu’elle avait quelques problèmes de santé, qu’elle ne pouvait plus faire certaines tâches, et
que son terrain était en constante évolution avec les années. Comme je n’avais pas beaucoup de talent
manuel et que je voulais absolument parcourir quelques heures sur la route, je refusai instinctivement
son offre, me disant que ce n’était tout simplement pas pour moi. Puis, Eva me chuchota à l’oreille de
ne pas penser à moi en premier, car même si je n’avais pas besoin de son aide, peut-être qu’elle avait
besoin de la mienne. Je lui demandai, alors, si elle avait besoin de moi, ou si elle ne faisait qu’être
gentille. Elle me répondit qu’elle avait besoin d’aide pour piler du bois, et peut-être quelques petits
autres travaux mineurs. Je lui dis que je n’étais pas très manuel, mais si je pouvais l’aider, j’acceptai
volontiers. Elle était très contente. De plus, piler du bois chez un inconnu en échange d’un toit frôlait
le cliché de l’autostoppeur voyageur et j’aimais bien l’image.
Arrivés à ladite maison de cette charmante femme, elle me dit : « I hope the fucker’s not there, is a
real asshole when he’s home, never wants to mind his own business, fuck ». Je lui demandai si elle
parlait de son voisin et elle acquiesça en me disant que son histoire ressemblait drôlement aux
émissions de terribles voisins qui se terminent toujours mal. Elle ajouta « I don’t want to scare you,
but if you see him or hear something at night, just lock the door and be careful, cause we never know
with this fucker ». Je ne me posai pas de questions, pensant qu’elle exagérait d’un brin la relation
qu’elle avait avec son voisin. En arrivant, elle remercia Jésus qu’il soit toujours absent. Elle me
demanda aussi, si j’avais des problèmes avec les chiens, car elle en avait quelques-uns. Je lui lançai
que non, bien sûr j’adorais les animaux, pensant à Skully que je venais de quitter très récemment.
Elle m’expliqua qu’elle avait huit chiens à la maison, quatre en permanence, et quatre chiots issus de
Baxter et de Lady Bell. Je ne les avais pas vus encore et j’étais déjà en amour.
En sortant du petit véhicule publicitaire, je pris Jym et demandai si je pouvais le déposer, tout
d’abord, pour organiser mes choses. Elle me guida jusqu’au petit chalet derrière sa maison. Je dus,
par contre, passer par la porte d’une grande clôture, adjacente à la maison, et j’y aperçus les chiens.
Il y avait deux petits chiens noirs à poil long, le mâle étant plus petit que la femelle, et quatre petites
boules de poils qui les suivaient. J’assumai que c’était Baxter et Lady Bell avec les bébés. Ensuite,
je vis un semblant de labrador, noir avec des taches blanches s’approcher très calmement de moi
pour me sentir et se faire flatter sans retenue. Mon hôte me présenta Shiloh. Puis, au loin, j’entendis
un vacarme fou derrière, c’était un "boxer" blanc avec une tache brune qui englobait l’un de ses yeux.
Elle me dit : « Him it’s Monroe, it’s my daughter’s dog, he’s a real fucker but we still love him .» Le
chien était très excité, il me sauta dessus quelquefois, pour jouer et pour avoir de l’amour. Il était très
content de me voir arrivé.
Je me dirigeai vers le chalet, sur le terrain. Sauf les chiens, je ne pris pas le temps de remarquer où
les choses étaient disposées sur le terrain, et comment il était configuré. J’entrai dans le chalet et je
fus tout simplement comblé. J’aurais tant aimé avoir une chambre comme celle que je voyais à
l’instant quand j’étais adolescent. Tout était fait de bois, avec un comptoir au fond de la pièce. Un
réfrigérateur ainsi qu’un petit four y étaient déposés. De plus, sur ce même comptoir, il y avait des
cassettes VHS, une petite télévision, des disques compacts ainsi qu’une stéréo. Dans la pièce, il y
avait un lit double et un lit simple. Le plancher était réellement à refaire, et les murs étaient bordés de
décorations et de posters de toutes sortes. C’était un endroit complètement idéal. J’étais plus que ravi
et j’avais peine à croire que j’allais y dormir en soirée. Je me disais que j’avais tant bien fait
d’accepter son offre et d’avoir bien voulu l’aider, car seulement l’expérience de vivre dans cette
chambre, ainsi que la personnalité flamboyante de cette drôle de dame épiçait mon expérience et mon
histoire. J’étais très content. Je branchai mon téléphone dans ma nouvelle chambre et allai la
rejoindre dans sa maison. J’entrai par la porte arrière pour me trouver dans sa chambre à coucher.
Elle était assise à une petite table, et venait d’allumer une cigarette de cannabis qu’elle fumait
tranquillement. Elle me la tendit gentiment ; offre que je ne pouvais pas refuser. Je fumai avec elle, et
nous discutâmes de la vie, du cannabis, de ce qui nous liait. Puis, je vis une très jolie jeune
demoiselle sortir d’une chambre à l’arrière. Elle paraissait jeune, avait des shorts très courtes, un
chandail qui nous laissait voir son nombril. Ma nouvelle amie me présenta sa plus jeune fille, je la
saluai. A priori, j’eusse cru qu’elle avait dix-sept ou dix-huit ans, pour apprendre par la suite qu’elle
allait avoir 15 ans plus tard au courant de l’année. J’en était étonné.
Après avoir fumé, je lui demandai ce qu’il y avait à faire. Bien que l’idée de rester tout près de
Sault-Sainte-Marie me décevait, je voulais au moins aider la dame avec le bois et les autres choses.
Je ne savais pas si la tâche allait prendre une heure ou tout simplement toute la journée. Nous nous
levâmes et allâmes à l’extérieur. Elle me montra deux grandes crêtes de bois avec d’énormes billots
non cordés à l’intérieur. Je compris pourquoi elle ne voulait pas se risquer à les déplacer, car les
billots étaient très gros. Elle me demanda si on pouvait bouger les crêtes plus loin, près du petit
chalet. Je devais donc les vider, les déplacer et les remplir. C’était une tâche qui me convenait. Je lui
demandai seulement des gants pour faciliter le travail. J’enlevai mon chandail, car il faisait très
chaud, encore une fois, et je me mis au travail. Elle m’apporta des gants et me demanda si j’aimais le
funk. Je lui dis que oui, j’adorais les « riffs de basse » de ce style de musique particulièrement, car
j’étais moi-même bassiste à mes heures. Elle me répondit : « parfait ! ». Elle fit jouer, sur le radio du
chalet, un album des meilleurs succès funk, et la musique faisait un parfait duo avec le soleil qui
m’encourageait à apprécier le moment présent. Pour moi, la vie se résumait simplement à aider les
gens de cette façon, et à être reçu et hébergé. C’était magique.
Pendant que je travaillais sur le bois, je voyais ma nouvelle amie aller un peu partout sur son terrain,
déplacer des choses ici et là. Je remarquai que sa cour était très spéciale. Une grande clôture
artisanale et semi-fragile entourait sa propriété : des palettes de bois, des bouts de bois et de métal la
constituaient en grande partie. Son terrain s’étendait et un peu partout, il y avait des décorations
toujours artisanales, une immense place pour faire un feu, des cabanes, un espace de stockage
fabriqué en bois, des bâches et des couvertures ; et une vieille bécosse tout au fond. Bref, c’était le
paradis du « patenteux ». Ce côté d’elle me faisait un peu penser à mon père, s’il avait été un peu
plus extraverti, s’il avait été célibataire et s’il avait fumé du pot toute sa vie. J’avais une drôle
d’image en tête, mais elle était loin d’être aussi drôle que la femme qui se tenait à quelques mètres de
moi.
Tout en travaillant, je plaçai les crêtes et cordai le bois pour tenter de donner le meilleur de moi-
même. Je me disais que Bouddha enseignait de faire une seule chose à la fois, mais de bien la faire.
Les rondeaux étaient quand même difficiles à soulever et à placer droits avec les autres, mais je fis le
mieux que je pus. Pendant ce temps, mon hôte m’amena de l’eau en s’assurant que j’avais à ma
disposition tout ce dont j’avais besoin. Puis, quand j’eus terminé, elle prit le temps de regarder la
clôture, juste à côté de moi, qui était déplacée : « What the fuck am I gonna do with this for God sake,
those little fuckers keep escaping by here, fuck ». À mon avis, elle parlait de ses chiens. Elle me dit
qu’elle les avait pourchassés dernièrement et qu’elle ne voulait absolument pas qu’ils se retrouvent
chez le voisin, car elle avait peur de sa réaction. Elle me demanda de bouger la clôture d’un endroit à
l’autre, pour qu’elle tienne mieux et pour qu’elle soit plus droite. Puis, nous mîmes des bâtons
supplémentaires pour solidifier celle-ci. Elle était particulièrement contente d’avoir réparé la
clôture, me disant qu’elle avait mal au dos et que ça faisait un bout de temps qu’elle y pensait. Pour
ma part, j’étais satisfait du sentiment que j’avais de pouvoir l’aider. Car, bien que je surfasse sur la
générosité des gens, je me devais de créer un retour d’ascenseur. Ensuite, elle sortit un genre de store
en polymère beige que nous agrafâmes tout au long de la clôture. Elle était maintenant droite et
encore plus jolie. Mon amie me confia qu’elle était la meilleure pour « McGayving » tout ce qui se
trouvait sur son terrain. Expression qui faisait référence à la série « McGayver »: « This fucker can
build a bomb with two fucking matches and a old sock ». Je me mis à rire. J’étais toujours charmé par
la façon pratiquement caricaturale avec laquelle elle s’exprimait. Je tentai de bouger, sans tendresse,
la clôture pour m’assurer que tout tienne et ce fut le cas. Nous étions fiers de notre travail.
Par la suite, nous nous assîmes à la table à l’extérieur de la maison, sur la terrasse arrière. Je me
levai rapidement, allai gratter ce qui me restait de cannabis au fond de mon sac et revint fumer avec
elle. Je m’excusai pour la taille minuscule de la cigarette que j’amenais, c’est tout ce qui me restait.
Puis nous fumâmes, alors qu’elle se mit à me raconter qu’elle avait des amis autour d’où elle habitait
et des amis dans le coin de Toronto. Que les gens qu’elle aimait étaient très importants pour elle.
Qu’elle essayait d’en faire beaucoup pour son prochain, mais aussi pour des inconnus. Elle était
bénévole pour un organisme qui s’occupait des gens démunis. Elle récupérait des meubles pour les
donner, elle essayait également de trouver des logements pour les gens. Quand elle avait des chiots,
avant de les laisser partir, elle faisait la tournée des maisons de retraite pour en faire bénéficier tout
le monde. Pour moi, c’était une bénédiction d’être tombé sur une femme plutôt vulgaire, mais à la fois
meilleure que mère Theresa. Son parler n’était que placé pour mettre une touche de magie dans la vie
des autres, et encore une fois, c’était tout à son honneur. J’étais impressionné par cette dame, et, en
même temps, je me disais que c’était ce genre de gentillesse et de bonté de cœur que je voulais
expérimenter par mon voyage, pour ensuite en témoigner.
Elle me demanda de lui donner mon linge sale, me demanda si j’avais une allergie quelconque pour
qu’elle nous prépare un souper. Elle me dit aussi d’attendre, car elle devait préparer mon lit et y
mettre des couvertures propres, etc. Elle voulait carrément tout faire pour moi. Pour ma part, je
sentais que même si je l’avais aidé un peu, cette femme méritait tout l’aide du monde et tout l’amour.
Elle était une sainte à mes yeux. Je lui répondis que je n’avais besoin de rien et que je dormais
habituellement sur le sol, mais ce n’était pas les mots qu’elle voulait entendre. Je lui donnai donc mes
vêtements à faire laver, et lui signalai que je n’avais aucune allergie. Elle me demanda, en échange,
de « McGayver » sa gouttière qui tenait difficilement en place, ce que je fis en quelques minutes
seulement. De plus, elle hésitait à me demander de déplacer peut-être une vingtaine de dalles et blocs
de ciment d’un endroit à l’autre du terrain, mais, pour elle, c’était quelque chose de très difficile. Je
lui répondis que je ne savais pas faire grand-chose de mes mains, mais que ce genre de travail était
dans mes cordes, car je pouvais dire que j’étais en forme. Cela me prit environ quarante minutes à
transporter de lourdes charges. Quand je terminai, je revins vers elle à la maison, quand même
épuisé.
Elle me tendit une bière en me disant qu’elle ne buvait pas beaucoup, mais qu’il lui en restait
quelques-unes. J’étais content, la bière était plus que rafraichissante. Elle me communiqua que le
repas allait se tenir plus tard, car elle avait l’habitude de manger au coucher du soleil. J’avais faim,
mais je pouvais quand même être patient. Je me considérais simplement chanceux d’avoir un toit, un
repas et surtout de pouvoir prendre une douche en fin de journée. Je lui signalai ensuite que j’allais
prendre quelques minutes dans ma chambre pour relaxer, et alla m’installer dans le petit chalet.
J’installai mes effets personnels ici et là, tout en restant ordonné. Je mis un album de Pink Floyd sur
le radio et me couchai dans le lit. Je regardais cette merveilleuse chambre tout autour de moi et je me
sentais chez moi ; sentiment que je n’avais pas eu la chance de sentir depuis plus d’une semaine, et
même encore plus à bien y penser. Ce fut si réconfortant.
Au bout de quelques minutes, mon hôte cogna à ma porte. Je la laissai entrer. Elle avait une carapace
de crabe dans une main qu’elle me demanda d’accrocher au mur. Elle me demanda également de
l’aider à réparer un des deux lits, de replacer le tapis et de couvrir des trous dessous celui-ci. Elle
me demanda également de poser une porte temporaire en tissu pour protéger l’endroit contre les
moustiques. Bref, à force de faire les petits travaux chez cette généreuse dame, je remarquai que
j’avais quand même gagné ma place où dormir. Ce n’était rien de très compliqué, mais j’y avais
passé la journée. Une fois que tous ces petits détails furent réglés, nous nous assîmes. Elle me montra
quelques meubles qui étaient logiquement de trop dans l’aménagement de la pièce. Elle me raconta
que c’était des meubles à donner à quelqu’un qui en avait réellement besoin. L’un d’entre ceux-ci
était déjà censé être parti, mais la personne n’était jamais venue le chercher et ne donnait plus de
nouvelles. Elle attendait alors quelqu’un d’autre pour lui donner. Elle avait même été les chercher,
elle-même, après avoir parcouru les annonces de meubles à donner sur internet. Elle me disait
qu’elle faisait sa part, et que l’autre personne devait au moins faire la sienne, même si certaines
personnes peuvent être gênées de montrer qu’ils sont dans une situation difficile. C’était pour moi,
encore une fois ; donner et recevoir. Sans don ou sans réception, la générosité ne pouvait pas se
manifester.
Puis elle me dit qu’elle avait, elle aussi, besoin de quelques meubles, pour elle-même. Dernièrement,
elle avait laissé la maison à sa plus jeune, pour faire un voyage une fin de semaine. Quand elle était
revenue, elle avait retrouvé les restants de la majorité de ses meubles extérieurs, ainsi que quelques
articles de la chambre, pratiquement consumés dans le foyer extérieur. Elle en était choquée. Elle me
confia que c’était le premier « party » que sa fille organisait, elle était même fière de mentionner que
son chalet était l’endroit idéal pour faire la fête pour ces jeunes personnes. De plus, ce n’était pas
tous les parents des autres jeunes qui étaient d’accords, mais elle disait qu’elle aimait mieux voir les
jeunes chez elles, à faire la fête de façon contrôlée, que de les voir dans la rue faire « je ne sais
quoi ». J’étais tout à fait d’accord encore une fois. Par contre, cette fois-là, elle n’y était pas, et tout
avait dégénéré. Sa fille avait même avoué qu’il y avait trop de gens, qu’elle n’était pas dans un état
où elle pouvait gérer tout le monde. C’est malheureusement de cette façon-là que l’on apprend. Je me
rappelais que j’avais moi-même été dans la même situation un peu plus de dix ans auparavant. Par
contre, nous n’avions pas brûlé tout ce qui se trouvait sur le terrain. Elle me dit: « You know what the
only fucking things those little fuckers didn’t burn ? The fucking wood for the fire ! Fuck !” Même si
la situation n’était pas drôle en soi, je ne pouvais que rire face à l’exclamation de mon interlocutrice
qui était un personnage en soi.
Elle me racontait, aussi, que sa plus jeune fille était sa deuxième. Bien qu’elle ait un merveilleux
caractère pour son âge, qu’elle soit mature et qu’elle n’eût jamais le gout de faire de stupidités pour
plaire, contrairement aux jeunes filles de son âge, elle était dans une phase d’expérimentation qui
pouvait faire peur. Alors que sa première était plus calme, mais avait un caractère qui forçait
énormément la confrontation, la plus jeune avait des amis qui pouvaient l’influencer à prendre des
drogues par exemple. Encore une fois, elle avait appris à se mettre des limites en se retrouvant à
l’hôpital, après avoir convulsé sur une « grosse molly ». Je ne pouvais pas la blâmer, j’avais appris à
29 ans, à me construire des limites concernant les drogues, seulement quelques jours auparavant. Je
m’imaginais souffrir d’un malaise sur la route et l’idée était si stupide, qu’elle en était presque drôle.
De plus, je n’avais plus quatorze ans, et ce voyage était, pour moi, autre chose que de vouloir
m’évader de façon grotesque. Bref, je lui répondis que même si c’était difficile, je croyais
premièrement que ce genre de situations étaient inévitables, quand on élève des adolescents, et
qu’elle la gérait très bien. Elle comprenait sa fille, elle l’aimait, elle lui laissait faire ses
expériences, mais aussi, elle restait sa mère et faisait bien de sévir si la situation nécessitait de le
faire. Je lui répétai également que je la trouvais forte. Ce qui m’impressionnait le plus était qu’elle
vivait sa vie à sa façon, s’insérant dans le système également à sa façon, sans se soucier de ce que les
autres pouvaient penser, et surtout, en tentant de donner le meilleur d’elle-même à tout le monde, et
même à un inconnu comme moi qui ne faisait que passer par là. C’était tout à son honneur, surtout
malgré une santé et des situations personnelles qui pouvaient être difficiles à gérer.
Puis je lui racontai mes expériences avec la drogue. Dans mon ancienne relation de couple, j’étais
tombé dans une mauvaise routine où l’amphétamine, entre autres, était bien présente. Puis, j’élaborai
en me confiant et en parlant de ce que j’avais vécu. Je comparais l’insatisfaction de mon ex-copine à
mon égard et, je ne sais pourquoi, l’amour pur que j’avais ressenti face à l’équipe de rêve que j’avais
rencontré la veille. Je me disais que je devais seulement mieux comprendre ce qu’était l’amour.
Celui que l’on pouvait ressentir versus celui que l’on pouvait rechercher ; celui qui pouvait nous
apaiser versus celui qui pouvait nous énerver. Celui qui est inconditionnel contre celui qui doit
remplir certains critères. Puis, ma confidente prit la parole d’une façon plus que sereine, d’une
inspiration divine et me dit : « I guess, there’s a difference between love, and being in love ». Je me
tus subitement pour réfléchir. Si ces deux choses étaient séparées, l’un pouvait existant sans l’autre. Il
était certainement possible d’aimer sans être en amour, comme quand on aime un ami, ou comme
l’amour que j’éprouvais pour la jeune vagabonde que j’avais rencontrée dernièrement. Mais qu’en
était-il d’être en amour sans vraiment aimer ? Peut-être que l’une est une action en soi, alors que l’on
perçoit l’autre comme un objet que l’on convoite, tout simplement.
Le ciel devenait de plus en plus sombre et ma gentille hôtesse commença à préparer les steaks d’os
en T à la sauce barbecue, les légumes et tous les accompagnements. Nous avions encore un peu de
temps avant que le tout soit prêt. J’avais déjà passé l’étape de me questionner si je devais manger de
la viande. Mais, si manger la viande était premièrement pour moi une source d’énergie négative,
l’amour que mon hôte était capable de donner à tout ce qu’elle faisait ne rendait que l’expérience
positive. J’entrai dans la cuisine, et je m’aperçus que sa maison était bien différente de ce que je
m’imaginais ou encore bien différente de ce que sa chambre et sa coure « mcgayver » laissait
paraitre. Tout était si bien rangé, si propre, si grand. Une luminosité impeccable éclairait le salon et
la cuisine bordés de vieux meubles en excellents états. Des bibelots, de la vaisselle antique, tout était
à sa place et tout paraissait si bien. C’était comme si le chaos de plusieurs menus travaux venait de se
dissiper pour me laisser sentir que j’étais enfin un invité. Je lui fis part de mes pensées puis, je
m’assis au salon, attendant la préparation du repas.
Je regardai vers le coin du salon et aperçus un vieux stéréo, en bon état, qui pouvait accueillir :
disques compacts, cassettes et vinyles. Je m’approchai pour la regarder, étant DJ et sonorisateur moi-
même, ces vieilles machines m’intriguaient beaucoup. C’était un bon modèle datant des années
quatre-vingt-dix. Mon ami se tourna et me dit, je l’ai depuis quelque temps, mais je ne sais pas
comment il fonctionne. Je lui répondis : « J’ai fait plein de petites tâches manuelles aujourd’hui, mais
si tu veux que je t’aide avec quelque chose que je connais vraiment, en voici l’occasion ». Je
regardai à l’arrière et les fils y étaient. Je lui demandai alors des ciseaux et du ruban électriques, elle
me demanda de faire du mieux que je peux pour qu’on ne puisse pas voir les fils, et pour faire un
travail propre. Je lui répondis de ne pas s’inquiéter, que c’était comme si c’était déjà fait. En
quelques minutes seulement, avant que le repas ne soit prêt, tout était branché, tout était placé avec
deux moyennes colonnes de son qui se trouvaient dans deux des coins du salon. Ma généreuse hôte
me tendit une cassette pour que l’on puisse mettre une musique d’ambiance et tout fonctionnait. Je lui
confiai que j’aimais particulièrement le son que ce genre de radio pouvait avoir ; un manque flagrant
de basse et aussi, si nous nous attardions plus particulièrement, nous pouvions entendre les
imperfections de la bande magnétique du ruban de la cassette et que c’était typique de cette
technologie qui n’avait pas fait long feu. L’ambiance était alors parfaite.
Nous nous installâmes pour manger, et continuâmes à discuter, comme si je parlais avec l’un de mes
meilleurs amis. Tout coulait si bien. Nous parlions de sa famille, de la mienne et de tout ce qui faisait
que nos vies se ressemblaient et étaient différentes à la fois. Une fois le repas mangé, il devait être
dix heures le soir, je lui proposai de faire la vaisselle et elle refusa catégoriquement. Elle me dit que
j’avais fait ma part durant cette chaude journée, c’était maintenant à son tour de faire la sienne. Elle
me rappela que mon linge était presque lavé complètement, et que ce fut un agréable échange de
service. Nous fumâmes une dernière cigarette de cannabis, ensemble, avant qu’elle ne me laisse
regagner mes quartiers. J’allai à ma chambre chercher des vêtements pour la nuit, puis je revins vers
la maison pour profiter de son agréable douche. Je retournai vers le chalet, je mis la cassette VHS de
la version anglaise du Roi Lion, et m’endormis paisiblement, au chaud, sous un toit, propre, et
confortable.
15 août 2017

Je me levai au matin, pris mon temps pour profiter du confort de mon lit douillet et de ce doux chalet.
Une autre belle et chaude journée était attendue et j’étais plus qu’en forme. Je me levai, rapatriai Jym,
fit signe à Eva de se préparer, et j’allai rejoindre mon amie à l’intérieur de la maison qui m’attendait
avec mon linge propre et un déjeuner. Je me sentis traité comme un roi. Nous discutâmes et, de fil en
aiguille, nous abordâmes ses problèmes de santé. Elle avait des maux de dos dus à un accident, mais
aussi, elle devait aller passer des tests élaborés à Toronto pour savoir si elle avait le cancer au
niveau des instincts et du colon. Quelques semaines auparavant, elle avait été prise au lit pour des
jours, incapable de se lever. Et comme elle a quelques amis, non très proches aux alentours, et que
ses filles étaient trop occupées, elle n’avait littéralement personne pour l’aider à fonctionner
normalement. Elle s’était sentie si impuissante face à cette situation, qu’elle en parlait avec beaucoup
d’émotions dans sa voix. Elle me racontait qu’elle se sentait loin de sa plus vieille fille qui, depuis
un bout de temps, la voyait de moins en moins. Elle gardait toujours un caractère de confrontation et
était quelques fois même rude avec elle. D’autant plus que maintenant, elle devait aller à des rendez-
vous médicaux, à plusieurs heures de route de chez elle, et personne ne voulait venir garder ses
chiens pour une ou deux journées. Elle devait donc amener 7 chiens avec elle durant ce voyage. Pour
moi c’était inconcevable qu’une femme aussi généreuse ne puisse pas recevoir l’aide dont elle avait
besoin. Elle parlait de cette histoire et les larmes lui montèrent aux yeux. Elle s’excusa. Je lui
répondis qu’avec tout le bien qu’elle faisait, elle allait trouver une solution, je lui proposai même de
continuer à voyager et de revenir pour l’aider un peu, en temps et lieu, mais elle refusa, me disant que
c’était deux semaines plus tard et que ça allait me freiner dans mon aventure. Encore là, elle pensait à
moi avant elle. Elle me remercia, ensuite, d’avoir pris le temps de l’écouter.
Je lui dis que, des fois dans la vie, nous devons remettre en question les bases du mot famille, car
même si le même sang peut couler dans nos veines, il n’en reste que chaque personne est différente.
De plus, lâcher prise sur les attentes que nous avons envers les autres est une leçon si difficile à
apprendre, car nous agissons comme nous voulons être traités. Alors, quand on donne consciemment,
peut-être qu’il nous est égal de ne pas recevoir, mais il y a tout de même un « je ne sais quoi », à
l’intérieur de nous-mêmes, qui nous rappelle que nous aurions bien aimé avoir reçu, pour une fois.
Les amis peuvent devenir notre famille et la famille seulement des connaissances. Par contre, une
vraie mère voudra toujours s’occuper de ses enfants, même si elle peut en souffrir. Elle était donc
dans une situation difficile.
Elle me confia, aussi qu’elle trouvait toujours compliqué de recevoir ses filles à manger et qu’elle
s’y mettait beaucoup de pression. Je lui dis que ma mère était très semblable et, que peut-être de son
côté, elle pourrait moins stresser, car, si sa fille venait lui rendre visite, ce n’était pas parce qu’elle
voulait manger un bon repas, ou quelque chose en particulier, elle pouvait le faire ailleurs. C’était
seulement pour passer du temps avec elle, même si des fois, l’intention était mal communiquée. Je me
souvins alors d’un article que j’avais écrit sur mon blogue quelques années auparavant. Bien que les
mots: je t’aime soient des fois difficiles à prononcer, les mots : je te comprends et je te fais confiance
sont presque aussi puissants. Je lui proposai de faire l’exercice ; de les remarquer et de travailler
autour de ces mots, car ils pourraient être réconfortants. Je voyais dans ces yeux que j’avais touché
quelque chose qui la faisait réfléchir. Elle me remercia grandement, soulignant que j’étais quelqu’un
de spécial, puis m’invita à me préparer et à écrire une note dans un carnet qu’elle laissait à la
discrétion de ses invités.
Je me rendis à la chambre et rassemblai tout ce qui m’appartenait. De plus, Eva me conseilla de
toujours regarder derrière, comme j’avais commencé à en prendre l’habitude, pour être sûr de ne rien
oublier. Je m’avançai vers le carnet, il n’y avait pas beaucoup de commentaires à l’intérieur, car elle
venait d’en remplir et l’avait remplacé par un nouveau. Je lui écris de ne pas oublier : je t’aime, je te
fais confiance et je te comprends ; et je la remerciai du plus profond de mon cœur en lui disant que
nous avions besoin de plus de gens comme elle sur cette planète. J’aurais pu lui écrire une dizaine de
pages en anglais, mais je m’arrêtai à seulement quelques mots, car notre histoire pouvait parler
d’elle-même et allait déjà bien plus loin que le simple langage.
Mes choses étaient toutes prêtes. Mon amie vint me rejoindre à ma chambre. Elle sortit un paquet,
toujours emballé, de bas chaud d’hiver qu’elle me donna, ainsi que deux bons sandwichs pour la
route. Elle me dit qu’elle savait où aller me porter pour que ce soit facile d’être pris par la suite.
J’étais déjà nostalgique de quitter cette merveilleuse et généreuse femme. Je me sentais attaché,
surtout après la conversation plus profonde que nous venions d’avoir.
En sortant, je fis une blague sur sa voiture qui ressemblait toujours à un panneau publicitaire. Par la
suite, nous nous rendîmes à un magasin de route, typiquement canadien, où elle me déposa. Elle me
montra une pancarte où il était écrit toutes les principales villes du Canada et leur distance par
rapport à nous. J’avais déjà parcouru environ mille kilomètres et il ne m’en restait que trois mille
cinq cents à faire. J’étais étonné, impressionné, encouragé, et perplexe à la fois. Mais surtout, j’étais
prêt à continuer à surmonter de nouveaux défis, convaincu de pouvoir raconter une autre bonne
histoire et de pouvoir prouver qu’il y a des gens merveilleux partout, qui sont prêts à aider leur
prochain et à améliorer la qualité de l’humanité. La femme qui se tenait devant moi en était la preuve
vivante. De plus, elle assumait tellement qui elle était, sans ego, sans rien tenter de prouver, qu’elle
était capable d’illuminer la vie des gens seulement en parlant. Comme elle l’avait fait avec la
mienne. Et même si elle avait moins donné qu’elle le faisait en réalité, juste le fait d’être agréable et
de tenter de faire le bien, seulement avec sa personnalité, était une preuve de générosité en soi. Je la
serrai très fort dans mes bras et lui souhaitai bonne chance pour tout. Je lui dis que je l’aimais et la
laissai partir pour qu’elle reprenne son quotidien, alors que moi, de mon côté, je devais enfin
avancer. Ma prochaine étape était Thunder Bay, et c’était la dernière, avant de pouvoir enfin
rencontrer une nouvelle province ; le Manitoba. Je m’installai aux abords de la route et levai le
pouce. Je contemplais tout simplement la vie qui se montrait si généreuse quand je la laissais œuvrer.
Chapitre 9
American Women

J’étais sur la rue, juste en face de ce magasin touristique adjacent à ce motel qui devait, selon moi,
couter quand même assez cher. Il avait l’air plus propre que ceux que l’on pouvait apercevoir
habituellement, et, de plus, il était directement sur l’autoroute transcanadienne. La journée
s’annonçait très belle. Il était maintenant onze heures, mon pouce profitait du léger vent que la nature
m’offrait sous le chaud soleil de l’Ontario. Je regardais les voitures continuer et je me disais que la
météo était un couteau à deux tranchants pour moi, car elle me faisait profiter de la beauté de cette
magnifique province, ainsi que d’un confort impeccable à l’extérieur, tout près d’un Grand Lac. Par
contre, de l’autre côté, des conditions météorologiques moins belles auraient donné un peu de pitié
aux gens à qui je demandais service.
Deux personnes étaient assises sur des chaises pliantes, dans un petit parc sur le terrain du motel. Le
couple dégustait une bière de vacances, tout en m’observant. Ils me regardaient tenter de
communiquer d’un seul regard avec chacun des conducteurs que je voyais passer dans l’espoir de
pouvoir continuer ma route un tant soit peu. Plus le temps passait, et plus je sentais qu’ils auraient pu
penser comme mon père, c’est-à-dire qu’ils trouvaient un peu loufoque de voir un jeune homme avec
un énorme sac sur le bord de la route principale, mais, à la fois, je sentais qu’ils pensaient que j’étais
brave de le faire. Après tout, mon apparence était très soignée, j’avais même eu la chance de prendre
une douche, la veille, et tout mon linge, autant sur moi que dans mon sac, était propre pour la
première fois depuis mon départ. Je me considérais chanceux, béni, sous le chaud soleil de l’Ontario.
Je savais que ma prochaine destination était Thunder bay, comme le vieil homme me l’avait prédit,
mais aussi, je savais que la ville était située à sept heures de route. J’espérais pouvoir atteindre ce
point la journée même, même si, dans les faits, je pouvais tout aussi bien le faire en deux jours, ça
m’était, tout au plus, égal. J’avais quand même envie d’atteindre le Manitoba rapidement, car c’était
la première province, sur mon itinéraire, que je n’avais pas encore touchée.
Soudain, je vis une vieille Cadillac mal entretenue, mais qui avait tout de même un cachet, passer à
moyenne vitesse devant moi. Je n’avais pas encore connu le fait de voyager dans une voiture spéciale
où dans un moyen de transport hors du commun. Je me disais justement que cette voiture pouvait être
la première du genre et que ça aurait fait une bonne histoire à raconter. Le couple, qui m’observait, au
loin, sentait que je voulais absolument que cette voiture s’arrête. Je me sentais comme l’objet de leur
divertissement du moment. La voiture passa tranquillement devant moi, sans toutefois s’arrêter. La
voiture n’était certainement pas en bonne condition et faisait un trin d’enfer, par contre, la déception
était quand même visible sur mon visage. L’homme du couple s’écria au loin : « C’était un tas de
ferraille, ça t’aurait mené à rien ». Je lui répondis, au loin, que c’était « The Dream». Il s’esclaffa
puis leva sa bière en l’air pour m’offrir la bonne chance et le respect. Je fus agréablement surpris,
encore une fois, que les gens soient aussi sympathiques à ma cause.
J’attendis encore quelques dizaines de minutes, quand l’homme attira encore une fois mon attention.
L’homme était debout et pointait derrière moi. Je me retournai, vers la piste cyclable qui longeait le
lac, derrière moi. Un homme s’était installé avec sa femme, tout près du Lac, et cuisinait des chiens-
chauds, profitant du paysage merveilleux. Il était par contre, maintenant, juste de l’autre côté de la rue
et me faisait signe d’aller vers lui. J’allai le rejoindre, et il m’offrit à manger et une bouteille d’eau
en m’expliquant qu’il avait déjà fait ce que j’étais en train d’accomplir. J’étais admiratif et très
reconnaissant. Je me sentais comme un marathonien qui se fait donner des bouteilles d’eau tout au
long de sa course. Nous discutâmes quelques minuscules minutes, puis il retourna auprès de sa douce
femme. Je le remerciai encore une fois. De plus, de l’autre côté, sur le terrain du motel, je sentais que
le couple était content d’être témoin d’une simple générosité comme celle-ci.
Le temps commençait à défiler devant moi. Les secondes se transformaient en minutes et les minutes
en heures. Le couple était maintenant parti du motel, dans l’autre direction, bien entendu, car sinon, je
sentais qu’ils m’auraient fait monter pour quelques kilomètres au moins. J’étais toujours patient, le
pouce levé et j’allais entamer la deuxième heure de mon parcours, toujours au même endroit.
Tout à coup, une voiture jaune s’arrêta juste à côté de moi. Il y avait un kayak au-dessus de celle-ci et
un vélo de montagne qui était attaché à l’arrière du véhicule, tout près de la pointe du kayac. Je
regardai juste en dessous du vélo, aligné avec celui-ci, se trouvait une plaque d’immatriculation de
l’état de New York. La personne était équipée pour voyager, donc, d’après mes calculs, si la
personne était prête à m’embarquer, nous allions aller loin.
Une jolie jeune femme, dans la vingtaine, cheveux longs, frisés, roux, avec un magnifique sourire,
sortit du véhicule pour voir si tous ses accessoires étaient toujours bien fixés au véhicule. Elle me dit
de déposer Jym sur la banquette arrière du véhicule. J’ouvris la porte et constatai que la jeune femme
vivait littéralement dans sa voiture. C’était un autre signe que nous allions aller loin ensemble. Elle
était toujours à l’extérieur du véhicule. Je lui demandai alors où nous allions aujourd’hui ensemble.
En réponse, elle me demanda si Thunder bay était une réponse adéquate. C’était le mot que je voulais
entendre. Je lui répondis que c’était exactement cet endroit que je visualisais, et elle me répondit de
monter à bord, qu’elle avait justement envie d’avoir de la compagnie depuis son départ de New
York. Elle s’excusa, par contre, car elle ne savait pas pourquoi, mais sa voiture avait du mal à
démarrer depuis le début de la journée. Elle espérait même secrètement qu’elle puisse partager cette
mineure difficulté avec moi. Je ris quelque peu et lui signalai qu’il n’y avait aucun problème. Nous
allions figurer quelque chose, si le problème se montrait le bout du nez.
Je m’assis sur le banc passager, alors qu’elle prit place devant le volant. Elle dégageait quelque
chose de naturel, de sain, de vrai. Son sourire laissait paraitre l’âme à moitié droite, à moitié rebelle
d’une jeune aventureuse qui savait ce qu’elle faisait, tout en se lançant dans le vide. Je sentais qu’elle
avait déjà voyagé. La jolie demoiselle était habillée avec des vêtements amples en tissure de
chanvres, style qu’on aurait pu associer au mouvement hippie, mais, elle était bien trop élégante pour
y faire le lien si facilement. Pour engager la conversation, je lui demandai ce qu’elle avait à faire à
Thunder bay, car j’avais entendu qu’il n’y avait pas grand-chose à partager dans ce coin de pays. Elle
me répondit qu’elle n’allait qu’à peine s’y arrêter, qu’elle calculait environ huit heures d’auto par
jours pour traverser le Canada. Elle se rendait à un festival que l’on appelle le « Burning Man » en
Californie, et qu’elle aimait mieux passer par le Canada pour découvrir le pays, que de passer par
les États-Unis. Elle allait, de toute façon, revenir vers New York en passant par les États de son pays
d’origine. C’était alors, pour elle, l’occasion de visiter deux des plus grands pays au monde. De plus,
elle était une fille qui adorait la nature et elle était plus que servie au Canada.
Je lui demandai alors ce qu’était le « Burning Man. Elle semblait très surprise que je ne connaisse
pas ce festival qui, pourtant, était dans le pays voisin du mien, mais aussi complètement à l’opposé
géographiquement du Québec. Par contre, avec du recul, je peux affirmer que j’aurais dû connaître
l’événement qui est maintenant connu internationalement. Elle m’expliqua alors que c’était un festival
qui pouvait s’insérer dans la catégorie « hippie », car les gens s’y rendaient pour y expérimenter ce
qu’ils ne pouvaient pas expérimenter ailleurs. Ce n’était pas le genre d’endroit où des groupes de
musiques jouaient sans cesse, sous le poids faramineux de billets qui coutent l’hymen des yeux. Mais
plutôt où les gens se rassemblent, où ils installent leurs campements pour quelques jours et où ils
échangent, d’humain à humain, souvent d’un inconnu à l’autre. Si certaines personnes étaient fatiguées
de rester à un endroit, ils n’avaient qu’à se déplacer vers un autre, car chacun ouvrait sa porte aux
autres. Il n’y avait pas de place pour de gros artistes ou de gros événements, car chaque participant
pouvait être une attraction en soi, et inviter les festivaliers à en être spectateurs ; des danseurs, des
chanteurs, des cracheurs de feu, des gymnastes, etc. C’était comme un anti-festival, mais, en même
temps, le plus convivial de ceux-ci. J’écoutais parler ma nouvelle amie temporaire et le concept de
ce festival me parlait personnellement, comme si je pouvais vraiment connecter avec le genre de
personne qui fréquente ce festival. De plus, son récit me parlait beaucoup sur la personne qui se
tenait à mes côtés. Elle ajouta : « De plus, c’est l’occasion de s’évader de la réalité industrialisée et
stressante pour quelques jours. Parce qu’on est loin de tous, avec des personnes qui ne veulent que
faire le bien, où tout le monde est ouvert à parler à tout le monde, sans préjugé. Il y a aussi beaucoup
de drogue sur les lieux du festival ». Elle avait l’air toute calme, toute douce. Je n’aurais jamais osé
croire qu’elle pouvait consommer. Elle ajusta le tir aussitôt et me dit de me détromper, elle ne buvait
pas, ne fumait aucune drogue, quoi qu’elle eût déjà essayé dans le passé. Mais quand l’occasion
parfaite se présentait pour absorber une drogue psychédélique, c’était différent, car elle classait ces
drogues dans une autre catégorie, différente des autres drogues malveillantes.
Je l’écoutais parler et je savais déjà où elle allait avec son discours, je la laissai continuer. Elle me
dit qu’elle était professeure de yoga, que ce n’était pas son métier principal, mais que depuis qu’elle
avait fait son cours avec les gurus, directement en Inde, elle voyait ces drogues différemment, même
si elle les côtoyait depuis plus longtemps. Elle avait déjà eu des expériences différentes avec ces
substances, et elle pouvait affirmer sans l’ombre d’un doute que, malgré le facteur gastrique et
sanguin, ces drogues comme l’acide (LSD), le champignon magique ou la MDMA, ouvrait l’esprit,
l’âme ou la conscience, d’une façon très spéciale. Je lui racontai donc ma seule expérience avec les
champignons magiques, qui avait mené ultimement à ma rencontre avec Eva. Je sentis Eva contente
que le sujet de conversation diverge vers elle, je touchai mon cristal de quartz symboliquement pour
lui rappeler que je ne l’oubliais pas. Cette jolie professeure de yoga était toute aussi étonnée de
m’entendre parler de tout ceci assez ouvertement, mais, elle l’était d’autant plus de constater que je
n’avais jamais essayé une parcelle de feuille de LSD auparavant. Elle me dit : « Ne t’inquiète pas,
j’en ai peut-être de trop avec moi, je me suis équipée en acide et en MDMA pour le festival avant de
venir par ici. Rappelle-moi de t’en donner un peu avant qu’on se sépare ».
Surpris, je lui demandai si elle réalisait qu’elle avait à passer deux fois les douanes canadiennes et
américaines avec une quantité impressionnante de drogues incluses dans la catégorie des drogues les
plus dangereuses au monde. Elle me répondit que oui. Elle n’avait pas à stresser, car elle n’avait pas
le profil du genre de personne qui le faisait habituellement. Elle n’avait qu’à être elle-même et tout
allait bien aller. J’étais surpris et impressionné à la fois. Elle me confia qu’elle avait de l’expérience
avec le trafic de drogue, car son ex-copain avait commencé à vendre certaines drogues pour arrondir
les fins de mois et que ça avait mené directement à la fin abrupte de leur relation. Je commençai à
parler de ma séparation récente également ; pour échanger, mais aussi parce que les deux nous nous
étions sentis emprisonnés par une ancienne relation de couple qui avait tourné autour de la drogue. Je
coupai, cependant, le sujet de conversation en deux, lui rappelant que j’étais vraiment intéressé, si
elle l’offrait, d’essayer l’acide bientôt. Elle accepta avec le plus grand des sourires. Voyant que
j’étais surtout intéressé par ses facultés spirituelles et métaphysique, non seulement pour faire la fête,
mais plutôt pour ouvrir une porte que l’esprit n’ouvre pas souvent. Remarquant le courage qui
m’accompagnait dans la solitude de cette aventure qui m’appartenait, elle me suggéra de m’établir un
campement reclus dans les bois, de placer toutes mes choses et de communier avec la nature, seul,
sous les effets de l’acide, comme dans un rituel. L’idée m’apparut bonne a priori, c’était mon style,
car je savais de quoi j’étais capable. Par contre, si je n’étais pas sûr de me faire complètement
confiance sur les différents aspects physiques, psychologiques et spirituels de cette drogue inconnue,
je devais peut-être reculer, car l’expérience pouvait facilement virer au vinaigre.
Nous continuions notre route, et j’étais surpris et reconnaissant que la vie m’ait mis cette jeune
femme sur mon chemin, avec qui je semblais déjà partager certaines pensées ésotériques. De plus, je
ne me serais jamais attendue qu’une jolie jeune fille de New York me propose de l’acide
gratuitement, seulement une heure après l’avoir rencontrée. Je me disais qu’à la base, j’aurais dû
rester à Sault-Sainte-Marie beaucoup moins longtemps. J’aurais pu rester avec cette drôle et
merveilleuse femme que j’avais rencontrée, la veille, pour une plus courte période. Bref, chaque
décision, chaque seconde économisée ou écoulée, chaque moment était si lourd en conséquence que,
plus le temps n’avançait, et plus une infinité d’univers parallèle se créait et disparaissait devant mes
yeux. Le poids de chacun de mes choix, de chacune de mes actions, étaient si lourd en conséquence
dans la construction de mon aventure, que je ne pouvais pas le supporter, car il définissait
concrètement qui allait s’arrêter pour moi et où j’allais me retrouver. C’est pourquoi je devais tout
laisser dans les mains de l’univers, m’occuper de moi, de mes buts, et laisser la vie me guider, car je
ne pouvais me permettre d’être présomptueux envers elle. Je sentais donc que cette seule décision de
faire confiance en la vie me donnait à chaque moment, comme à celui-ci d’ailleurs, le sentiment
d’être à la bonne place, au bon moment. Je commençais à croire de plus en plus en la loi de
l’attraction. Celle qui est inexplicable par la science moderne. Parce que je vibrais à une certaine
fréquence, en raison de mon attitude, je pouvais littéralement attirer des gens avec qui j’allais avoir
des atomes crochus et ça fonctionnait.
Nous continuâmes et elle ajouta de ne pas la juger par la couverture de son livre. Elle était tout
d’abord une jeune professeure américaine qui avait une vie assez tranquille, qui aimait voyager,
l’aventure, et sortir de sa zone de confort. Je la comprenais, nous nous ressemblions. Sa vie
d’enseignante lui donnait l’opportunité d’avoir de longues vacances et de voyager un peu partout,
parfois avec un "backpac", et c’était la première fois qu’elle tentait l’expérience dans un pays assez
proche pour faire équipe avec sa belle voiture jaune. Elle en était fière. De plus, elle était en train de
faire sa maîtrise à distance, donc avait des prêts étudiants pour l’aider. Elle venait de s’approprier
de nouvelles cartes de crédit. Elle me confia que dans la vie, nous étions pratiquement obligés d’être
endettés et me dit qu’il n’y arrivera strictement rien, si elle avait des problèmes à payer ses dettes,
car les paiements minimums étaient faits pour cela. Pour le reste, ce n’était que des chiffres sur un
ordinateur. Aussi fou que l’idée pût paraitre a priori, je ne trouvais pas insensé de penser de cette
façon, dans un monde où la majorité des jeunes devaient s’endetter exponentiellement, plus que leurs
prédécesseurs, et où les emplois n’étaient pas nécessairement assurés. J’en étais la preuve vivante.
De plus, tous les chiffres allaient descendre avec le temps, si le système était dû pour survivre dans
les prochaines décennies. Bref, elle s’endettait certes, dans un monde où il faut s’endetter, mais elle
étudiait puis voyageait en même temps. C’était pour moi, à bien y réfléchir, l’un des meilleurs plans
pour vivre dans le moment présent.
Plus le temps passait, et plus je sentais que notre association n’allait pas s’arrêter de sitôt. Plus je
racontais mes buts ; mes aspirations ; mon aventure, plus elle racontait les siens, et finalement, plus
nos planifications transformaient les « je » en « on ». Sans en discuter, nous consentîmes à nous
arrêter dormir au même endroit. Nous avions l’auto, chacun une tente, et nous sentions tous les deux
que nous étions en bonne compagnie. J’étais, bien sûr, attiré physiquement par cette jeune prof de
yoga rousse. Je me demandais alors si nous allions dormir ensemble, ou séparés. La réponse à cette
question était sans importance, car d’une âme à l’autre, nous nous aimions. Mais un homme reste un
homme, et un corps ; un corps. J’étais gêné, excité, et j’espérais ne pas m’être trompé dans
l’interprétation de ma deuxième langue.
Nous arrivions, juste avant Thunder bay, le soleil se couchait tranquillement, peignant le ciel tel
l’artiste qui nous démontre ses talents chaque soir. Mon amie me demanda des conseils pour trouver
un endroit où dormir. Comme tout s’était fait naturellement depuis le début de mon voyage, je ne
savais pas trop quoi répondre. Je me devais d’être l’expert du camping, alors que mes expériences
prouvaient que je m’y connaissais peu en matière d’itinérance. Nous nous arrêtâmes à un petit parc
pour observer le paysage et le coucher de soleil, nous tentâmes de transgresser les barrières pour
trouver une place où dormir, mais l’endroit était beaucoup trop occupé pour braver notre timidité
d’être hors-la-loi. Nous entrâmes à nouveau dans le véhicule pour continuer. Une chose était claire,
nous voulions arrêter avant la ville, pour dormir dans la nature.
Nous continuions toujours d’avancer, bien que Thunder bay arrivait très rapidement. Après avoir pris
quelques rues, puis avoir rebroussé chemin, nous devions prendre une décision, et même si je n’étais
pas certain de mon sens d’itinérant, je devais le développer à l’instant et supporter le destin de deux
personnes, cette fois-ci.
Nous vîmes un signe qui disait qu’il y avait une plage au bout de la rue, en direction du dernier des
Grands Lacs. Je dis donc à mon amie de tourner sur cette rue et, quoi qu’il arrive, nous devions
trouver un endroit et assumer d’y passer la nuit coute que coute, car nous pouvions chercher dans
l’incertitude, encore pour longtemps. En finissant cet appel à la motivation et au courage, et durant sa
manœuvre pour tourner vers la rue, nous vîmes un autre insigne, un peu plus loin, qui nous montrait
une interdiction de pénétrer le domaine, car il était une propriété privée. Nous nous entendîmes pour
continuer coute que coute, et si jamais nous devions nous expliquer, son immatriculation de New
York et mon accent du Québec allaient parler pour nous.
Il faisait de plus en plus sombre et plusieurs maisons ou chalets semblaient désertés. Sinon, les gens
étaient surement déjà occupés avec leurs activités au beau milieu d’une semaine de travail chargée ou
d’une retraite bien méritée. De toute façon, après vingt et une heures, nous ne nous attendions pas à
beaucoup d’action. Après seulement quelques minutes, embrassant l’interdit, nous passâmes devant
un simple entrepôt arrondi. Nous nous demandions premièrement ce qu’il y avait à l’intérieur, car il
n’y avait pas de maison sur le terrain, et, de plus, le terrain était entouré d’arbres, laissant place à une
minuscule plage qui donnait directement sur le lac supérieur. C’était l’endroit idéal, nonobstant que
l’entrée était barrée par une chaîne qui épinglait une pancarte où il y était strictement écrit « entrée
interdite ». L’aventurière à mes côtés me demanda de vérifier la barrière qui nous séparait de notre
idylle. Je sortis du véhicule, regardai la chaîne et ses mailles, puis, d’un coup de poignet, je défis la
barrière, et fis signe à la conductrice d’entrer rapidement avec l’auto et de la stationner derrière le
hangar, caché de tous. Je remis la barrière en place et alla la rejoindre aussitôt. Elle sortit de la
voiture excitée, et me sauta dans les bras, de joie d’être dans l’illégalité la plus totale, mais aussi de
pouvoir partager l’aventure en connectant d’une âme à une autre. Nous sortîmes alors ma tente
seulement que j’installai rapidement derrière le hangar. Nous plaçâmes, par la suite, toutes nos
couvertures, nos oreillers, et tout ce dont nous avions besoin pour y passer la nuit. Elle fit même
fumer un peu de sauge dans la tente, sur un cabaret ou Bouddha lui-même était assis. Même si je
commençais à la connaître, je fis surpris à quel point nous connections sur un aspect physique,
psychologique, mais aussi spirituel. Puis, comme faites pour nous, deux chaises nous attendaient sur
la petite plage qui nous présentait un panorama plus que magnifique. Le soleil était maintenant caché,
alors qu’il laissait paraitre les dernières couleurs vives du ciel et nous regardions, ensemble,
l’infinité du lac Supérieur qui partageait une communion avec notre essence divine. C’était de toute
beauté. Nous étions heureux et pratiquement gênés d’être aussi bien, confortables, et remplis de désir
l’un pour l’autre.
Après un moment, nous nous installâmes dans la tente. Nous voulions être en forme pour le
lendemain, et considérant notre emplacement, il valait mieux être discret pour les habitants autour,
mais aussi, pour les maringouins qui étaient trop voraces. De plus, nous pensions tous les deux qu’un
peu de chaleur humaine partagée avec une personne que l’on trouvait attirante, était de mise, surtout
envenimée par l’excitation d’être dans l’illégalité, cachés, comme deux aventuriers, sans foi ni loi.
Nous nous rapprochâmes, puis, après quelques instants, nous embrassâmes. Plus le temps avançait et
plus j’aimais toucher sa peau si chaude, et embrasser ses lèvres si douces. Après un moment, elle me
confia : « J’ai vraiment le gout et nous vivons toute une aventure, mais je crois que c’est mieux de ne
pas aller trop loin aujourd’hui ». Je fus complètement d’accord. Nous nous en restâmes à ce point,
sans malaise, collé l’un sur l’autre, nous nous endormîmes.

16 août 2017

Nos yeux étaient encore bien fermés, nous étions allongés un aux côtés de l’autre, quand nous
entendîmes un bruit de voiture qui s’approchait drôlement de notre emplacement. Nous levâmes tous
les deux la tête rapidement, nous regardant droit dans les yeux pour y retrouver cette complicité qui
nous tenait tous les deux alertes. Je dis à ma complice du moment de bien vouloir rester dans la tente,
alors qu’Eva me suggérait fortement d’aller voir ce qui se passait à l’extérieur. Je sortis rapidement
et subtilement, derrière ce hangar, et je me dirigeai vers la clôture de l’entrée, plusieurs mètres plus
loin, pour voir si quelqu’un ne s’y trouvait. À mon grand soulagement, nous étions toujours seuls.
Nous n’avions qu’entendu une voiture qui passait lentement et qui ne s’était pas arrêtée. Je revins
vers mon amie pour lui donner la bonne nouvelle. Elle était déjà à l’extérieur de la tente. Bien que
nous fussions déjà chanceux de ne pas avoir été surpris par des gens ou même les forces policières, il
était six heures du matin et nous ne voulions pas défier le karma en priant la grâce matinée.
De son côté, elle réorganisait sa voiture pour que tout soit bien placé, considérant la quantité
importante de matériel et d’accessoires qu’elle amenait avec elle. Du mien, avec l’aide de Jym, je
défaisais la tente et tentait d’arranger mon sac du mieux que je pouvais, et le plus rapidement
possible. Quelques minutes plus tard, tout était déjà prêt pour que l’on puisse partir. Je transportais
un linge à laver qui était humide depuis que j’avais cuisiné, deux jours auparavant. De plus, il avait
passé la nuit à l’extérieur, sous la rosée et une petite pluie nocturne, bref, il était tout trempé. J’allai
le poser sur une des chaises sur la petite plage, en guise de remerciement et pour aussi envoyer un
clin d’œil aux propriétaires du terrain, comme quoi quelqu’un était passé respectueusement sur ses
terres. Je me sentais comique, mais, aussi, comme nous n’avions absolument rien changé à sa
propriété, nous n’avions aucune raison de nous sentir mal, et nous le savions très bien. Je pris une
demi-seconde pour regarder vers l’immensité du lac supérieur, c’était surement la dernière fois que
je pouvais voir ce genre de panorama avant de m’engager vers l’immensité des prairies déjà si
fameuses à mes oreilles. Je pris une grande respiration, remerciant l’univers de ce cadeau, de ce beau
paysage, de la vie qui me tenait debout encore aujourd’hui, sans rien, sans foi ni loi, sans but et sans
engagement et surtout, sur un parcours vers l’apprentissage. Puis, j’allai à la clôture pendant que mon
amie m’accompagnait avec sa voiture. Je décrochai la chaîne de la clôture, ma complice passa, puis
je la raccrochai, aussitôt, pour sauter dans l’automobile et filer sans regarder en arrière. Mon amie
me rappela qu’elle avait du mal à démarrer son véhicule, et qu’elle voulait peut-être arrêter à un
garage pour la faire vérifier, car elle ne pouvait pas vivre de cette façon avec une auto déficiente.
Nous avions environ six heures de voitures à faire encore. Je ne savais pas si j’allais passer la nuit
avec elle ou non. Mais au moins, j’allais être dans les environs de Winnipeg. Nous partîmes si tôt,
que nous allions arriver également tôt à notre destination, et, de plus, nous allions changer de fuseau
horaire. Nous allions alors gagner une heure supplémentaire. La jolie demoiselle que j’accompagnais
tenait, par contre, mordicus à respecter sa règle de ne pas conduire plus que huit heures, pour ne pas
être victime de son propre corps. Bref, nous avancions et notre chimie ne faisait que grandir, quittant
enfin l’Ontario, vers le Manitoba.
En cours de route, je lui demandai des informations sur la formation qu’elle avait suivie pour être
professeure de yoga. Bien que je ne me visse pas suivre une telle formation, je m’étais étonné, depuis
quelques mois, à en suivre les pratiques et surtout ses philosophies ; lesquelles je trouvais davantage
importantes. J’avais quelques préjugés face au yoga que l’on pratiquait dans les pays de l’ouest, car
l’aspect physique restait important, mais que le vrai but du yoga était l’élargissement de son énergie
vers l’illumination dans le but d’être une meilleure personne, mais aussi de créer un meilleur monde.
Car nous sommes tous cocréateurs de notre réalité, et le changement passe premièrement par soi-
même. Malheureusement, ces aspects, dans nos pratiques de yoga, étaient facilement mis de côté au
profit de la compétition, de la performance, et, encore une fois, du stresse qui accompagne le
développement d’une discipline complexe. Mon interlocutrice était bien d’accord avec mes paroles.
Elle me répondit : « Tu connais l’expression « no pain, no gain ? » En fait, ça ne s’applique pas en
yoga, car tout doit être fluide ; le corps, la respiration, le mental. Cette discipline est justement de
progresser sans rien forcer, en laissant la vie faire son travail ». J’aimais sa façon de l’expliquer, car
on touchait davantage à ses philosophies qu’à ses pratiques.
Elle me dit que, bien qu’elle aimât le yoga depuis qu’elle était assez jeune, elle n’avait jamais pensé
devenir une instructrice, et, de plus, elle ne pensait toujours pas à en faire une carrière. Elle
m’avouait qu’elle avait été suivre un cours directement en Inde sans vraiment le planifier. Elle
voyageait, comme elle le faisait toujours, et elle fuyait son ex-copain de l’époque qui lui faisait vivre
des situations auxquelles personne ne veut être confronté, la suivant de pays en pays pour tenter de la
contrôler. On aurait presque dit l’aventure d’un film. Je ne posai pas beaucoup de questions à ce
sujet, me disant qu’elle irait plus en détail si elle le voulait bien. Elle avait visité l’Inde, et, à la
dernière minute, comme c’était un programme fermé de six jours de travail par semaine, elle s’y était
inscrite pour être protégée par l’horaire et les règles strictes de l’établissement d’enseignement. Le
plus ironique de son histoire était que la formation était beaucoup moins dispendieuse là qu’ici au
Canada, et se faisait avec les maîtres yogis de l’endroit, c’est-à-dire ; des gens qui ont dévoué leur
vie à la quête de l’illumination. J’étais tant impressionné. Elle enchaîna en me confirmant que bien
que la formation soit solide concernant les pratiques et les techniques de yoga, le but premier de la
formation était de grandir en tant que personne. Elle en était revenue transformée, et plus forte.
Puis elle me raconta les expériences qu’elle avait vécues en Inde. Le cours en soi était très spécial.
Elle m’expliqua que l’aspect physique ainsi que la flexibilité était important, mais non primordial. Un
bon professeur de yoga pouvait enseigner les pratiques sans nécessairement exécuter les positions les
plus compliquées, et, de plus, les philosophies restaient la clef de ce mode de vie. Là, elle vivait
dans une ville complètement végétarienne, premièrement, et me disait que seulement le fait de côtoyer
ces gens, qui vouaient leur vie à l’illumination, changeait leur énergie au point où le calme et le
positivisme de ces personnes avaient un effet sur l’ensemble de la population. De plus, la formation
était très théorique, car le yoga comprend des exercices de corps, mental, d’esprit, et qu’il y avait
beaucoup de détails à retenir pour chacune de ces facettes. Par exemple, il y avait un nombre pair
d’étudiants qui suivaient la même formation qu’elle lors de sa session, et elle avait été jumelée avec
une autre femme pour un exercice particulier. L’exercice consistait à s’asseoir devant quelqu’un et
regarder la personne, droit dans les yeux, sans ne rien dire, pour plusieurs dizaines de minutes.
Quand ils ont commencé l’exercice, sa coéquipière avait mal géré la situation et avait été victime
d’une crise de panique, sortant immédiatement de la classe. Le guru, alors, avait pris la place de cette
jeune femme pour continuer l’exercice avec mon amie. De plus, il était jeune et beau et l’intimidait
par son charisme. Bref, ce n’était pas le genre d’exercice que l’on pouvait voir communément et, de
plus, vous pouvez imaginer le travail que l’on fait sur soi en pratiquant ce genre d’exercice, avec un
inconnu, ou même avec soi-même devant le miroir. Pour continuer, elle me pointa un cahier sur le
banc arrière, et me dit de le prendre. Je l’ouvris, et toutes ces notes de cours y étaient. Je tombai
silencieux inspectant ce coffre au trésor.
Beaucoup d’information que je voyais, a priori, m’avait déjà été offerte quelques mois auparavant
lors de mes curieuses recherches. J’étais quand même très content de me rafraichir la mémoire
globalement, de voir qu’il y avait de l’information que je n’avais jamais eu la chance de connaître, et,
de plus, de pouvoir en discuter avec quelqu’un qui avait pu assister à ces cours, seulement quelques
mois auparavant. J’étais tout aussi content de me rappeler qu’il y avait huit branches de yoga et qu’il
y en avait seulement une qui était vraiment plus basée sur le physique. Les huit branches sont
intrinsèquement liées les unes aux autres. Alors que le corps se doit d’être préparé, les aspects :
philosophique, karmique, cérémoniel, spirituelle étaient tout aussi importants.
Puis je continuai à lire ses notes, c’était un délice. On abordait l’énergie, puis le fonctionnement du
corps, la nourriture et le système digestif, le karma, etc. Tout était pris en compte pour expliquer que
l’être humain ne fait qu’un avec l’univers, dans un tout cosmique. Toutes les fois que je trouvais un
sujet intéressant, et j’en trouvais au moins un par page, je lui demandais sa vision de la chose, puis
nous en discutions pour un bout de temps jusqu’à temps que le sujet soit épuisé, et je continuais par la
suite. Je lui confiai que j’aimerais beaucoup qu’elle m’aide à améliorer la partie physique de mon
yoga, car c’était la partie que je connaissais le moins. Elle accepta volontiers, me disant avec le plus
grand des sourires que si nous en avions la chance, nous allions participer à un cours ensemble, ou
sinon, elle allait m’en donner un privé, sous le chaud soleil d’un parc. Elle me dit que l’avantage,
avec un cours de yoga, c’est qu’il y en avait de peu dispendieux, même des fois ; gratuits, et que les
douches étaient comprises dans les sessions. C’était un « game-changer » dans la planification d’un
voyage. Elle me faisait réfléchir à mes possibilités futures. J’étais toujours aux anges, en plus, elle
m’impressionnait réellement.
Puis elle s’exclama subitement : « Oh fuck, comment ai-je pu oublier de mettre de l’essence ? » Je
regardai autour, et la vitesse du véhicule diminua considérablement. Je lui demandai si son alerte
était en prévision d’être à sec, ou si c’était bel et bien ce qui se passait à l’instant. Elle me répondit
que nous étions bel et bien en panne d’essence. Je lui dis alors de m’attendre, que j’étais habitué à
faire de l’autostop et que la seule chose à faire était d’aller chercher l’essence. Nous prîmes alors
quelques secondes de silence pour réfléchir à nos prochaines actions. Nous cherchâmes, avec nos
engins électroniques, où était la prochaine station-service. Elle me demanda : « Veux-tu y aller, ou
veux-tu que j’y aille?   » Je lui répondis que ; si elle voulait vraiment mon honnêteté, et d’après ma
courte expérience, je croyais que nous pouvions sauver du temps si elle y allait, car les gens allaient
s’arrêter très rapidement pour elle alors que pour moi, c’était plutôt se fier au hasard, car je pouvais
m’y rendre rapidement, mais il y avait tout de même des chances que ça prenne des heures. Par
contre, je lui dis que je ne la mettrai jamais dans l’obligation de faire du pouce. Alors, si elle trouvait
la situation dangereuse, effrayante ou difficile, je le ferais volontiers, mais la décision restait entre
ses mains avant tout. Elle me dit qu’elle trouvait logique d’y aller elle-même et qu’elle voulait vivre
l’aventure. Je regardai le creux de ses yeux embellis par l’éclat de sa chevelure rousse. Puis, en
l’espace de si peu de temps, elle sortit du véhicule, leva le pouce, et partie aussitôt avec un inconnu.
J’étais seul aux abords de l’autoroute, j’en profitai alors pour terminer ses notes de cours, seul avec
moi-même, ne pouvant qu’attendre patiemment le retour de ma complice. Nous étions environ à deux
heures de Winnipeg et je regardais les voitures passer, les unes à la suite des autres. Presque une
heure déroula devant mes yeux, alors que je me disais que nous venions de perdre l’heure que nous
avions gagné à la base en affrontant le décalage horaire. Rien ne changeait finalement. Puis, elle
revint, dans une autre voiture. L’homme prit le temps de mettre lui-même l’essence dans la petite
voiture jaune et nous suggéra de nous escorter jusqu’à la station de service la plus proche. Il
ressemblait au cliché du Canadien trop gentil et serviable, un homme qui savait travailler avec ses
mains, qui menait une bonne vie, et qui avait souvent le temps pour aider quand il pouvait. Il
dégageait quelque chose de sain. Nous le remercions plusieurs fois, chacun notre tour.
La petite Américaine mit la clef dans le contact et chuchota : « Ce n’est pas le temps que la voiture
refasse ce qu’elle m’a déjà fait ». Je croisai les doigts, implorant la clémence de l’univers puis, elle
tint l’allumage une ou deux secondes avant que l’on entende le bruit du moteur qui démarra. Nous
soupirâmes d’un soulagement synchronisé. Elle me confia qu’elle avait toujours peur que la voiture
ne démarre pas, depuis que ça lui était arrivé quelques jours auparavant. Je lui suggérai de ne pas
stresser pour rien, pour l’instant, la voiture partait. Pour la réconforter, je lui suggérai également de
jeter un coup d’œil, plus tard, pour voir si je ne voyais pas quelque chose qui clochait, même si mes
connaissances étaient bien limitées.
En chemin vers notre quête d’essence, elle m’expliqua que ça avait été un peu long, car elle avait dû
trouver un autre bon samaritain pour la reconduire vers la voiture, car son premier conducteur était
assez pressé. De plus, au premier endroit auquel elle s’était arrêtée, il n’y avait pas de bidon
d’essence disponible. Elle était donc allée à un autre garage pour en emprunter un, pour ensuite aller
ailleurs remplir le bidon et finalement revenir au véhicule. Elle me rassura, par contre, en me
confirmant que la partie « pouce en l’air » avait été plus que facile. De plus, quand elle avait agité le
bidon d’essence dans les airs, le message d’appel à l’aide était assez clair. Nous devions donc aller
remplir le réservoir du véhicule et aller reporter le bidon d’essence qui n’était qu’emprunté. Au
garage, mon ami questionna quelques professionnels au sujet de son véhicule, sans avoir de réponse
utile. Le problème pouvait être lié à plusieurs pièces, il aurait fallu le vérifier et, autant de notre côté
que du leur, le temps manquait. Pour ma part, après avoir entendu le délai après avoir tourné la clef,
j’avais la suspicion que la batterie alimentait mal l’allumage du moteur.
Après quelques heures d’attente et de détour, nous étions enfin retournés sur la route vers la
magnifique ville de Winnipeg. C’était encore le jour, et nous décidâmes, d’un commun accord, de
nous arrêter avant Winnipeg, dans un parc national ou tout près, pour passer la grande ville, au
lendemain matin, et surtout pour profiter du reste de la journée que nous avions passée cloîtrés à
l’intérieur de son véhicule si jaune. Nous nous arrêtâmes dans un parc, sur le bord d’un lac, quarante-
cinq minutes avant Winnipeg. L’endroit était vaste et grand. Nous pouvions faire un pique-nique,
attendre que la nuit tombe, et monter une tente plus loin, à l’abri des regards, sous un espace de boisé.
Le plan était parfait.
Nous nous stationnâmes dans l’espace de stationnement du parc. Mon amie alla vers l’eau et la rive
alors que j’allai vers le bois pour me soulager. J’allai la rejoindre, le soleil s’était caché derrière les
nuages, et tout près de l’eau, un vent froid soufflait, pour nous rappeler qu’il était toujours dominant.
Je pris ma veste et la déposa sur les épaules de cette jolie jeune femme. Nous retournâmes au
véhicule sans trop parler.
Aussitôt arrivés, nous remarquâmes que quelque chose clochait avec la vitre arrière du véhicule. Elle
n’était soudainement plus transparente et était fissurée partout à un point tel où elle était vraiment sur
le point de se briser en miettes. Nous en étions subjugués. Nous devions réagir, car nous vivions dans
l’auto, et, de plus, elle ne pouvait certainement pas parcourir la totalité de sa route dans cette
situation. Bref nous devions avoir un plan. Avant d’en discuter, je remarquai qu’elle gardait son
calme et j’en étais impressionné, car beaucoup de gens auraient perdu leur sang-froid dans
l’étonnement d’une telle situation. Peut-être était-elle comme cela de nature, peut-être que sa
formation en Inde lui avait donné des balises pour respirer par le nez, comme on dit. Je soulignai ce
fait, la serrant contre moi. Elle me demanda suspicieusement si je croyais que j’étais la cause de ce
bris, seulement par insouciance. Je lui répondis que j’aurais aimé lui répondre oui, car ça aurait été
plus simple, et nous connaîtrions la cause, mais malheureusement ce n’était pas le cas. D'autant plus
qu’avec un Kayak attaché au support à bicycle appuyé directement contre la vitre brisée, tout pouvait
arriver. De toute façon, l’important était de discuter de ce que nous devions faire. La première étape
était, pour elle, de régler la paperasse, c’est-à-dire : contacter ses assurances automobile et
l’entreprise qui fabrique le support de son vélo. C’était manifestement le premier suspect dans
l’affaire du bris de la vitre arrière, car il était appuyé et serré directement sur celle-ci. De mon côté,
je devais trouver le garage le plus proche pour pouvoir faire remplacer la pièce fracturée.
Alors que ma rousse complice était au téléphone, je me dirigeai vers un motel, tout près, pour
demander des informations. Puis ils m’indiquèrent un garage qui se trouvait à quelques dizaines de
mètres de l’endroit. J’allai ensuite m’informer là, à savoir s’il était possible que la situation se règle
rapidement, mais le tenancier me confirma seulement qu’il n’avait pas la pièce, bien sûr, et qu’il ne
pouvait que, pour une modique somme, nettoyer le verre brisé et remplacer la vitre par un plastique
pour gérer la solution temporairement.
Je retournai alors vers mon amie avec les nouvelles plus ou moins aidantes. De son côté, les deux
entreprises voulaient offrir leur aide pour remplacer la vitre, il ne restait qu’à trouver une solution à
court terme. Nous demandâmes alors à Jym de nous dérouler ma bâche que nous plaçâmes sur le sol,
derrière le véhicule, car nous pouvions exécuter ce que le garagiste voulait faire assez facilement.
Ma conductrice commença à tout enlever de son véhicule pour être sûre d’effectuer le travail le plus
propre possible. Puis une fois que le périmètre fut sécurisé, nous poussâmes la vitre de l’intérieur,
pour que le tout tombe, morceau par morceau, sur la bâche, derrière la voiture. J’allai jeter le contenu
de la bâche, et, ensuite, nous installâmes celle-ci pour couvrir le trou béant que laissait l’absence de
vitre arrière. En quelques dizaines de minutes à peine, le véhicule était totalement opérationnel et
nous en étions fiers.
Par contre, notre moral fut affecté par l’accumulation de problème de véhicule. Nous avions
commencé par des problèmes pour démarrer, puis une panne d’essence et maintenant c’était la vitre
arrière ! Nous avions délibérément le choix de considérer la situation comme nous voulions. Nous
pouvions nous dire que la vie voulait nous empêcher d’avancer et que tous les malheurs du monde
nous tombaient dessus. Mais encore, nous pouvions aussi nous dire que l’univers nous envoyait des
défis pour aider deux inconnus à apprendre à travailler l’un avec l’autre, à aimer les petites choses
que la vie nous offrait et à embrasser la patience et la persévérance du mieux que l’on pouvait.
Instinctivement, c’est ce que nous choisîmes.
Pour un instant, nous nous demandions s’il ne valait pas mieux, pour elle, de continuer son périple
avec une bâche comme fenêtre puis, après avoir fricoté avec la tentation, elle refusa. Nous devions
trouver une solution. Après quelques coups de téléphone, nous réalisâmes que quelques spécialistes
du pare-brise de Winnipeg avaient la pièce en stock, et, souvent, ce genre d’entreprise était capable
d’effectuer le travail très rapidement. Nous décidâmes alors de nous rendre dans la grande ville, pour
visiter, manger, et aussi nous assurer de dormir près d’un commerce qui nous aiderait à arranger
notre situation précaire.
Nous démarrâmes le véhicule, qui nous rappela sans vergogne qu’il avait toujours un problème au
niveau du démarreur, puis rejoignîmes l’autoroute, accélérant de plus en plus, testant notre vitre
arrière « McGayvé ». Arrivés à Winnipeg, nous nous arrêtâmes à un petit marché, toujours le sourire
aux lèvres, contents de prendre part à l’aventure ensemble, mais aussi nous planifions de nous faire
un pique-nique. Pour ajouter un esprit positif, quoique nous n’en ayons peu besoin, je fis un clown de
moi, conduisant sérieusement un chariot pour enfant à travers les allées, pour faire rire mon amie qui
s’occupait de choisir notre repas religieusement. Cela me rappela ses notes de cours que j’avais lues
auparavant sur l’importance d’avoir une bonne relation avec sa nourriture pour être sûrs qu’elle ait
l’effet maximisé sur notre corps. C’est pourquoi, dans la mentalité « yogi », il était conseillé de
manger directement avec ses mains et d’aimer sa nourriture. Après tout, un docteur japonais, Dr.
Emoto avait avancé avec des preuves scientifique, quelques années auparavant, que les mots d’amour
et les prières réorganisaient véritablement les molécules d’eau pour les purifier. Qu’en était-il pour
la nourriture ? J’étais content d’être avec quelqu’un qui était au fait de cette science et qui m’avait
appris à peaufiner mes connaissances à ce sujet.
Nous étions sur le coin de Saint-Boniface et le quartier laissait un peu à désirer. Nous cherchions un
endroit propice à faire notre pique-nique avant de nous rendre au spécialiste du pare-brise, mais tout
ce qu’on voyait était de vieux édifices et des commerces. Nous avions juste oublié ce que c’était
d’être dans une métropole. Nous parcourûmes rue après rue et le défi était de trouver un endroit où
nous pouvions être près de l’automobile, car elle était remplie à craquer, et l’absence de vitre arrière
la rendait particulièrement vulnérable au larcin. Après vingt minutes de recherches, elle stationna la
voiture à reculons, tout près d’une entrée de maison, alors que nous allions qu’à quelques mètres de
là, sur un terrain vague, où quelques arbres cachaient un petit ruisseau. L’endroit était propice à une
bonne hospitalité. Puis, nous commençâmes à cuisiner.
Tout près de l’auto, nous entendîmes quelqu’un nous appeler. Nous nous rendîmes à la rencontre de
la personne qui habitait la maison tout près de notre véhicule. Il nous signala que nous devions
bouger l’automobile, car elle était sur un terrain privé. Nous tentâmes alors d’expliquer que nous
venions de briser la vitre arrière du véhicule et que trouver un stationnement fiable, dans notre
situation, était d’autant plus difficile. Bien qu’il ne semblât pas utiliser l’espace de stationnement, il
réitéra l’argument que nous étions stationnés sur un terrain privé et que nous devions nous en aller,
sans vraiment nous soucier de notre situation. Nous étions conscients que par la loi, il avait le droit
de nous chasser de « son » terrain. Par contre, d’un autre côté plus humain d’après moi, j’aurais aimé
voir l’homme tenter d’aider son prochain. J'avais l’impression qu’il avait la mentalité qui prônait
« J’ai payé pour, je suis le seul qui a les droits d’être sur cette partie de terre, déguerpissez ! » et je
vivrai toujours dans l’utopie de la terre que l’on peut partager humainement. Bien que je n’eusse pu
lire ses pensées, peut-être que le quartier était trop mouvementé pour faire confiance à un Québécois
et une New-Yorkaise. Bref, c’était légitime et nous devions l'accepter. Nous finîmes de manger notre
salade de quinoa et partîmes aussitôt.
Nous continuâmes à parcourir les rues de Saint-Boniface comme le premier contact que nous avions
eu nous semblait précaire, nous commencions à ne pas avoir de bons sentiments pour le quartier et
tentâmes de le quitter. Même les gens qui y passaient à pied semblaient être méfiants. Ce que j’avais
appris avec le temps était ; quand nous ressentons de mauvais sentiments, il n’y a aucun mal à
simplement partir. Bref, nous nous dirigions plus près du réparateur de pare-brise, ce qui nous menait
vers le centre-ville de Winnipeg. Plus nous nous approchions de cet énorme quartier, et plus nos
chances de trouver un endroit où dormir diminuaient. Nous nous arrêtâmes sur un stationnement de
Walt-Mart, alors que le soleil rougissait le ciel du Manitoba. Nous savions que cette multinationale
invitait les campeurs à utiliser leurs stationnements la nuit. De plus, nous voulions nous occuper de
notre hygiène respective. Après quelques minutes, en sortant du magasin, nous demandâmes s’il était
accepté de placer une tente dans le stationnement. L’homme à l’entrée nous répondit avec un ton
motivateur, comme celui tiré d’une pièce de Shakespeare, qu’il était possible de camper, mais que
nous devions être vigilant, car les tentes n’étaient pas acceptées. Nous trouvâmes la situation
loufoque, puis nous prîmes notre courage à deux mains et nous nous rendîmes au véhicule. Nous nous
assîmes, nous motivant à reprendre la route, puis elle tourna la clef dans le contact, mais rien ne
répondit.
C’était la galère. Après tout ce que nous venions de vivre, les problèmes automobiles continuaient, le
ciel était maintenant sombre, et nous ne savions aucunement où nous allions dormir bien qu’à la
limite, nous pouvions dormir chacun assis de notre côté du véhicule sans problème et sans confort. Je
lui demandai d’ouvrir le capot. Il était temps que je vérifie par moi-même. Comme j’étais habitué,
par le passé, d’avoir quelques problèmes mineurs d’auto, mon père étant mécanicien, j’ai toujours su
fonctionner avec un véhicule ayant du vécu et des bobos. Je savais que quand l’automobile ne donnait
aucune réponse ou n'émettait que quelques clics à l’allumage ; ce pouvait être la batterie qui faisait
des siennes. De plus, un problème de batterie assez fréquent était seulement causé par ses poteaux qui
soit ; ne sont pas assez serrés, ou soit qu’ils peuvent produire un vert-de-gris qui nuit à la bonne
circulation d’énergie. Pour terminer ma réflexion, j’éliminai la défectuosité de la batterie ou de
l’alternateur qui semblait, a priori, bien charger depuis la veille, et si le problème était causé par le
démarreur, le moteur aurait fait un son différent au démarrage. Bref, pratiquement la totalité de mes
connaissances mécaniques venaient de défiler, si rapidement, entre mes deux oreilles. La seule chose
que je pouvais maintenant faire était de prendre les poteaux de batteries à deux mains, et les
« shaker » de façon abrupte pour ensuite tenter de les visser dans l’espoir ultime que tout se mette en
marche. Une fois fait, je demandai à la jolie rousse américaine de procéder à une deuxième tentative
de démarrage. Le moteur se mit en marche sans même hésiter. Mon amie sortit passionnément du
véhicule, sauta dans mes bras et m’embrassa passionnément.
Je fus premièrement agréablement surpris par son enthousiasme et par son désir de rapprochement
qui mettait du piquant dans notre aventure, mais qui, aussi, mettait en valeur ma virilité. Je me sentais
comme si j’étais l’homme de la situation qui venait de se retrousser les manches pour jouer sous un
capot automobile, alors que dans les faits, ce n’était pas une situation si compliquée. J’acceptai le
compliment volontiers bien que je reconnusse que ce ne soit pas ma tasse de thé. Ma compagne
embraya la transmission et nous décollâmes à la recherche d’un endroit où dormir.
Nous continuâmes à rouler dans les rues du centre-ville de Winnipeg pour plus d’une heure. Tentant
de repérer les parcs, les arbres, les endroits sombres, bref, tout ce qui pouvait nous donner des
indices pour trouver un endroit calme et sain pour y passer la nuit, et, aussi, un endroit où nous
pouvions dormir sur nos deux oreilles, considérant que l’auto allait rester vulnérable toute la nuit.
C’était presque une mission impossible. Nous réfléchîmes à sortir du quartier, ou encore de la ville,
mais nous étions déjà bien fatigués, il était déjà passé onze heures, et nous voulions faire réparer le
bris le plus rapidement possible. Nous prîmes alors une décision qui alla complètement à l’opposé
de nos réflexions, c’est-à-dire que nous décidâmes de nous stationner sur la rue même du réparateur
de pare-brise, puis d'y trouver un coin tranquille.
Roulant sur une rue qui en rejoignait une autre, nous parlions, nous étions fiers de notre journée.
Soudain, nous vîmes un camion pick-up s’approcher grandement la voiture jaune. Mon
accompagnatrice américaine freina subitement, frôlant ledit camion qui nous dépassa rapidement.
Nous ressentîmes une minuscule peur soudaine, mais comme j’étais habitué de conduire dans les rues
de Montréal, rien ne sortait vraiment de l’ordinaire pour moi. Puis, le camion ralentit à nos côtés, et
le jeune conducteur se mit à crier vers notre direction. Il nous accusait d’être en train de fuir une zone
d’accident, que nous devions nous immobiliser ce que nous fîmes, sur-le-champ, sur une petite rue
adjacente. Le jeune homme se stationna derrière nous et sortit rapidement de son véhicule. Je sortis
également pour faire face à la confrontation, sans hésiter, car je devais être prêt à réagir à n’importe
quelle situation. Le jeune homme, blond, bien peigné, bien habillé qui entamait la vingtaine, mais qui
était quand même costaud semblait très agité. Il nous accusait toujours d’avoir fui les lieux du crime,
alors que mon amie tentait de lui expliquer qu’elle n’avait même pas eu connaissance d’un contact
entre les deux automobiles. Puis, une autre voiture se stationna en arrière du deuxième véhicule et un
couple sorti ayant la même réaction et les mêmes accusations envers nous. Nous tentions d’expliquer
que nous n’avions pas été conscients s’il y avait eu un contact, mais les trois personnes semblaient
douter de nos intentions, comme si nous étions de vilains criminels qui se sauvaient. De plus, ils
engagèrent le débat classique à savoir à qui était la faute. D’un côté, il y avait un camion qui voulait
faire sa place et qui était en droit de le faire, et de l’autre une petite voiture jaune en difficulté avec
un kayak, un vélo et une vitre arrière obstruée.
Je tentai de glisser quelques mots pour calmer la situation, mais la seule réponse que je reçus du
jeune homme en question était : « Vous n’êtes pas d’ici vous ?   » J’avais le gout de lui pointer mon
accent québécois ainsi que l’immatriculation de la voiture et de lui sortir un commentaire sarcastique.
Je ne répondis que « oui, je suis aussi Canadien, pas elle ». Le stress, la tension, l’énergie négative,
et une agressivité non justifiée continuaient de planer dans l’air, alors que les gens ne s’énervaient
pour rien, selon moi, car ce qui était fait était fait, et il ne semblait pas y avoir de dommage apparent.
Pendant que mon amie tentait de régler la situation, que le jeune homme était toujours agité, et que le
couple d’inconnu semblait vouloir bien agir dans une situation qui ne leur appartenait
vraisemblablement pas. J’allai voir le camion qui n’avait aucune trace d’accident. Puis la voiture
jaune, qui n’avait aucune trace d’accident également. J’allai parler au couple en premier, alors que la
rouquine discutait avec le principal concerné. Je leur expliquai que l’incident était malheureux, mais
que nous n’étions pas de mauvaise foi. Puis je pointai le fait qu’aucune voiture n’était endommagée et
que surtout, le plus important ; aucune personne n’était blessée. Il n’y avait que bien plus de peur que
de mal. Le couple acquiesça et se calma aussitôt. Je tentai, par la suite, de livrer le même message
aux principaux concernés qui discutaient toujours, se confrontant. Le jeune homme soutenait que,
même si on ne voyait aucun problème présentement, son camion pouvait peut-être en souffrir dans le
futur ; réflexion exagérée à mon avis, mais tout de même légitime. Nous échangeâmes finalement nos
coordonnés, le couple partit calmement et le jeune homme fut, aussi, finalement plus calme. Nous
prîmes quelques secondes pour respirer avant de repartir, riant de la situation et de la gestion
difficile du stress des gens qui nous confrontaient.
Arrivés sur place, nous vîmes qu’il y avait une rue parallèle à la rue où nous nous trouvions, séparée
par plusieurs stationnements de commerces qui défilaient devant nous. Tout juste à côté du garage où
nous voulions aller, nous stationnâmes l’auto aux côtés d’une gigantesque benne à ordure, de façon à
coller la porte arrière du véhicule sur une clôture, puis nous plaçâmes la tente entre les deux objets,
sur le ciment, au beau milieu du stationnement. Nous prîmes rapidement le strict minimum, je laissai
Jym dans la voiture, soigneusement étendu sur la banquette arrière. Une fois dans la tente, nous nous
serrâmes dans nos bras, fiers d’avoir passé une journée mouvementée, et de s’être soutenus
mutuellement. Nous nous embrassâmes un instant, puis nous nous endormîmes.

17 août 2017

Encore une fois, il était très tôt quand nous nous réveillâmes. Mon amie était un peu gênée de sortir la
première de la tente, au beau milieu du stationnement, je me portai alors volontaire pour être
éclaireur. J’ouvris la fermeture éclair et je vis quelques personnes devant la porte d’un commerce,
fumant la cigarette et attendant le début de leur quart de travail. J’étais moi aussi gêné, mais la
situation était trop loufoque pour que je me refuse à la vivre. Je sortis de la tente, riant dans ma
barbe, et j’informai la rouquine que des gens nous observaient malheureusement. J’aurais tant aimé
savoir ce qu’ils auraient pensé de nous. En même temps, la plaque d’immatriculation de la voiture
démontrait, hors de tout doute, que nous étions touristes. Aussi bien l’assumer. Mon amie me suivit,
nous rangeâmes la tente et le matériel rapidement et nous nous dirigeâmes vers le garage en question.
Une fois arrivés, les garagistes nous informèrent qu’ils pouvaient procéder à la réparation à
l’intérieur d’une heure et que tout fonctionnait avec les assurances de mademoiselle. Bref, la lourdeur
de l’accumulation de problème, à laquelle nous avions fait face la veille, avait pratiquement disparu,
car les situations difficiles, qui planaient dans l’air, allaient être réglées dans la première heure de la
journée. De plus, en route, nous allions encore gagner une heure de transport, considérant encore une
fois le décalage horaire qui jouait en notre faveur. Le prochain arrêt allait être la Saskatchewan.
Jusqu’à ce point, j’étais déjà presque sûr d’aller jusqu’à Calgary avec ma nouvelle amie. Nous
sortîmes le matériel de la voiture, pour faciliter le travail du mécanicien. Alors que la voiture entrait
par l’énorme porte du garage, je redonnai la bâche à mon ami. Mon amie, elle, prit tout notre linge
sale dans un gros sac, le mit sur son dos, enjamba sa bicyclette et partit à la recherche d’une
buanderie. Je réorganisai le matériel qu’il y avait dans le stationnement. Il y avait premièrement Jym
qui attendait patiemment, puis ses sacs à elle. Il y avait le plateau avec le petit bouddha, un matelas
de yoga, un cerceau de "hoola-hoops" et une espèce de matelas qui pouvait se transformer en divan.
Une fois que tout était placé, je pris le temps de rouler une cigarette du tabac amérindien que je
n’avais pas touché depuis un bout de temps : symbole qui m’aidait à profiter de ma solitude. Puis, une
fois le matériel classé, la cigarette fumée, j’étais toujours seul dans le stationnement du dit garage. Je
m’assis sur Jym confortablement, fermai les yeux, et méditai.
J’attendis quelques dizaines de minutes, puis ouvrit les yeux. Le chaud soleil du Manitoba plombait
sur ma peau, l’air était bon, la vie était belle. Je pris mon cahier pour continuer d’écrire ce récit.
Après seulement quelques phrases, je levai les yeux et mon accompagnatrice était présente et remplie
d’endorphine, après une belle balade à vélo sous le chaud soleil d’été. Nous étions déjà contents de
nous retrouver. Le linge était encore à la buanderie, nous pouvions aller le chercher plus tard, avec
l’automobile quand nous allions en avoir fini ici.
Elle déroula son tapis de yoga et s’installa dessus. Alors qu’elle commençait à exécuter des
mouvements lents, des poses de yoga faciles, je tentais de la suivre. Elle m’expliquait les bienfaits de
ce qu’elle faisait. Elle m’expliquait aussi comment le faire et surtout, elle me disait de ne pas forcer
mes mouvements. Puis, d’une pause à l’autre, devant le garage de Winnipeg, j’exécutais et
j’apprenais. Certains de ses mouvements étaient si faciles et faisaient tant de bien, même si mon
corps me prouvait qu’il y avait beaucoup de place à l’amélioration. Nous continuâmes pour quelques
dizaines de minutes, nous servant l’un de l’autre pour nous étirer, exécutant quelques manœuvres
faciles au sol. Puis, nous étions finalement assis, l’un en face de l’autre, au beau milieu du
stationnement, les jambes croisées, les yeux fermés, se tenant les mains, et respirant l’air frais,
méditant en communion l’un avec l’autre. Je n’avais jamais eu la chance, auparavant, de partager ce
genre d’activité, ce genre de passion, ce genre d’énergie d’une personne à l’autre, que je ressentis
littéralement l’énergie circuler d’elle à moi, puis encore à elle pour ensuite me revenir. Nous en
étions émetteurs, récepteur, transmetteur et transformateur, toujours mains dans les mains. J’ouvris les
yeux, elle aussi, puis je me sentis bien ; comme si j’avais rajeuni, seulement par la pureté des
vibrations qui traversaient mes méridiens. Nous étions bien, bénis, d’un inconnu à l’autre. Nous nous
levâmes, attendîmes quelques minutes, puis la voiture sortie du garage, revenue à la normale, tout
était parfait. Mon amie régla les derniers détails, nous rangeâmes tout à l’intérieur du véhicule, puis,
enfin partîmes vers Régina après avoir récupéré nos vêtements à la buanderie.
Sur le chemin, nous nous mîmes à discuter d’amour ou d’être en amour ; sujet qui me restait dans la
tête grandement, dans mon processus de deuil d’un couple qui avait plus ou moins fonctionné. Après
tout, ma séparation était l’élément déclencheur de l’épopée de mon héros intérieur. Nous abordâmes
ce que nous étions prêts à faire pour quelqu’un que l’on aimait. Puis, de la façon dont on pouvait
s’engouffrer, surtout quand la drogue se mêlait d’un couple et s’insérait dans une routine malsaine.
Plus j’en parlais, et moins je comprenais pourquoi je pensais toujours à une personne qui ne m’avait
finalement pas donné une vie facile. Je savais bien qu’elle ne l’avait pas fait par exprès et que nous
ne voyions que la vie sous des angles différents. Mais encore, même si j’acceptais que nous ne
fussions pas faits pour vivre ensemble, je me surprenais à souvent penser à cette jeune femme qui
avait tant été l’objet de mes désirs. Cependant, l’histoire de mon interlocutrice fut réconfortante par
ses difficultés et ses impasses. Je pouvais bien penser que mes moments avaient été difficiles, mais
jamais mon ex-copine n’aurait tenté quelque chose pour consciemment me faire mal ou me contrôler.
Ce n’était qu’un mécanisme de défense pour elle.
Mon amie me confia qu’elle avait eu une histoire horrible avec un homme, dans le passé, qui était
quelqu’un de calme et zen a priori, mais qui avait du mal à s’insérer dans notre constant système de
travailleur. D’un autre côté, il était le genre de personne qui se contentait de peu pour vivre, alors la
situation restait simple. Bref, elle le fréquentait dans une aventure de jeunesse où elle construisait
tranquillement une vie d’adulte. Alors qu’elle n’avait jamais été attirée par la majorité des drogues,
son copain en consommait rarement, puis, peu à peu, de plus en plus souvent. Elle acceptait tout de
même sa relation comme elle était. Elle qui était à l’école pour devenir cette studieuse enseignante
aux États-Unis. Puis, lui, il eut un contact pour vendre, une seule fois, une bonne quantité de cocaïne
et amasser un bon montant d’argent. Elle accepta la situation en se disant que si c’était seulement
pour une seule fois. Par la suite, c’était une autre fois, puis une autre, et encore une autre. Il prit gout à
l’argent, au luxe et surtout à l’effet de la cocaïne. En si peu de temps, il était passé d’un simple
consommateur non régulier, à sous-baron. Alors qu’elle étudiait, des gens louches passaient la nuit
chez elle, trafiquant et magouillant. La situation la dérangeait fortement. Bien qu’ils n’aient jamais eu
autant d’argent, elle n’était plus bien. Elle réfléchissait de plus en plus à mettre un terme à leur
relation, mais elle remarquait que le caractère calme de son petit-ami qu’elle aimait tant, jadis,
s’était transformé en quelque chose d’explosif.
Après quelques moments difficiles, ils décidèrent de calmer leurs activités de gangstérisme et de se
payer un voyage en Jamaïque. Comme ils en avaient les moyens, ils s’offrirent une belle suite. Car,
alors qu’elle aimait beaucoup voyager de façon rustique, lui, il prenait gout au luxe. Puis, arrivé là, il
lui confia que leurs valises étaient remplies de « stock » prêt à être vendu. C’est alors qu’elle réalisa
que ses activités criminelles allaient bien au-delà de l’argent qu’ils possédaient déjà, et qu’il voulait
seulement jouer dans les grosses ligues. Elle s’enferma aussitôt, appela la police et fit incarcérer son
amoureux, car elle ne savait plus comment gérer la situation.
Quand l’homme sortit de prison, elle revint vers lui, croyant que tout allait s’arranger. Ils passèrent
quelque temps ensemble, juste assez pour qu’elle remarque que rien n’avait vraiment changé, puis,
après un acte de violence conjugale, elle décida de quitter définitivement. Elle partit encore en
voyage pour fuir. Il la suivit et alla la menacer dans un autre pays. Puis elle décida d’aller, par la
suite, en Inde ou elle suivit la formation. Elle le croisa également en Inde et commença à s’inquiéter,
car elle n’avait parlé à personne de ce voyage. Elle avait peur, se sentait épiée et en danger. Mais
après un bout de temps, la situation revint à la normale. Elle s’enferma dans le cadre ce cours qui
m’apparaissait si intéressant. Malgré l’épreuve, elle revint au pays ; grandie, mieux, forte, avec un
nouvel avenir devant elle.
J’étais sans mots devant le récit de mon amie qui semblait forte et déterminée, après avoir vécu une
relation comme celle-ci, et surtout après avoir vu un homme qu’elle aimait changer rapidement pour
devenir le vilain de son autobiographie. De plus, je ne comprendrais jamais comment un homme peut
croire qu’il rendra une femme folle de lui en tentant de la contrôler contre son gré et de lui faire peur
de la sorte. Pour moi, il n’y avait aucune logique derrière le comportement, seulement des pulsions et
des mauvais sentiments mal contrôlés, malheureusement. Elle ajouta que maintenant, elle savait ce
qu’elle voulait et ce qu’elle ne voulait pas dans sa vie. De plus, l’expérience l’avait poussée à
voyager dorénavant seule, sans trop étaler sa vie publiquement, ce qu’elle faisait maintenant avec
brio. J’étais d’autant plus d’accord qu’une situation comme celle-ci changeait une vie et pouvait nous
transformer, mais aussi, nous avons toujours le choix de la tourner à notre avantage, malgré les
mauvaises expériences qui, une fois passées, restent passées. Pour ma part, la perte de mon permis,
ma séparation et tout ce qui s’en suivait avaient permis de créer cette vie, cette aventure dans
laquelle je m’étais lancé et qui m’apprenait tant, tous les jours ; et maintenant ce livre que vous lisez
en ce moment. Nous étions, tous deux, bénis par nos malédictions qui s’étaient rejointes, quelque
part, d’un inconnu à l’autre, pour nous connecter.
Puis le temps passait, je pris mon cahier pour écrire quelques pages de ce récit, encore une fois.
Nous avions consommé tant de chimie, d’un à l’autre en deux jours, qu’il était temps de connaître un
peu le silence. Souvent, quand on est bien avec quelqu’un, notre relation passe à la prochaine étape.
On ne sent plus le besoin de parler ou de remplir les silences. Quand on fait confiance à l’autre, les
moments de silences deviennent bienfaiteurs, professeurs et complices. Ils deviennent plus que
confortables, car on réalise que l’on est bien, sans mot, sans pensées, sans angoisse, même d’un
inconnu à l’autre. Nous discutions ici et là, mais sans entrer en détail et en n’allant guère trop
profondément dans les sujets, tout était léger.
Il faisait toujours beau et chaud et nous étions à mi-chemin entre le Manitoba et la Saskatchewan.
Nous décidâmes d’emprunter la route vers le nord pour nous diriger vers Saskatoon au lieu de
prendre celle vers le sud pour Régina. La route était presque une heure plus longue, mais nous avions
le temps et nous visions d’aller vers un parc national non loin de là, peut-être pour sortir le kayak et
profiter de la nature tôt au lendemain matin. De plus, mon amie voulait absolument trouver une façon
de se laver et je ne la blâmais guère, car pour moi aussi la douche s’imposait. Nous repérions toutes
les étendues d’eau sur la route des prairies qui défilaient depuis l’éternité. Les petits lacs étaient soit
inaccessibles, soit vaseux. Ils ne nous donnaient pas le gout de tenter d’y mettre le gros orteil. Puis
en arrivant dans une ville pour y mettre de l’essence, nous croisâmes un terrain de camping que nous
décidâmes de visiter. Le bureau n’était pas occupé, car l’après-midi venait de faire place à la soirée.
Il était écrit douche à sept dollars dans la liste de prix. Nous rigolions du prix et de ce que sa
impliquait puis, nous passâmes près de l’établissement où les douches se trouvaient. L’endroit était
désert. La jolie rouquine me demanda si nous prenions le risque de « voler » l’eau de l’endroit et de
nous y cacher pour nous laver. Je lui répondis confiant : « On a déjà fait pire ! » Puis nous allâmes
chacun dans la section des douches respective à notre genre physique pour nous laver brièvement.
Nous revînmes au véhicule aussitôt, propres et fringants, puis nous décollâmes, ni vus ni connus.
Nous roulions toujours sur la route des prairies qui s’étendait toujours à perte de vue. Nous n’en
étions pas découragés, mais nous étions tous les deux d’accord qu’il n’y avait presque rien à voir de
plus. Aussi, nous avions tous les deux si hâte d’arriver dans l’Ouest canadien qui, d’après nous,
commençait au moins avec l’Alberta. Eva me fit signe qu’elle commençait à avoir le gout d’être seule
avec moi. Elle était souvent très discrète en compagnie d’autres personnes. Jym, lui, avait le gout de
se sentir plus utile, car il dormait maintenant depuis presque 4 jours. Il voulait se sentir aventurier
comme avant. Et moi, pour ma part, j’avais hâte de retrouver une solitude avec mes deux acolytes.
J’avais l’impression que j’aimais la personne que j’accompagnais, mais que la passion du début
s’éteignait tranquillement laissant la place à un amour doux, pur et simple, d’un inconnu à l’autre.
Le soleil se couchait petit à petit. Nous avions roulé au moins huit heures, puis la nuit était tombée.
Nous nous demandions où nous allions dormir, nous voulions nous approcher le plus possible de la
grande ville pour y trouver un endroit boisé, un parc peut-être, pour y passer la nuit, mais nous
hésitions à savoir si nous n’arrêtions pas maintenant. Mon amie avait déjà transgressé sa règle de ne
pas conduire plus de huit heures. Je commençais aussi à me dire et même à écrire à mes proches que
les prairies semblaient ennuyantes. Soudainement, regardant par la fenêtre, j’aperçus un nuage
verdâtre qui bougeait et qui scintillait dans le ciel magnifiquement éclairé des prairies. Le ciel était
sans l’ombre d’un doute, le plus beau que j’avais eu la chance de voir pour toutes les vingt-neuf
années que j’avais vécues. Le nuage était isolé et sa forme s’étirait sur un côté. Je commençais à me
demander si nous n’avions pas une chance encore plus grande que d’habitude, c’est-à-dire celle
d’être témoin d’un des plus beaux miracles de la nature ; une aurore boréale.
Aussitôt que je vis un minimum de vert émaner du dit nuage, j’en étais sure. J’avais déjà aperçu des
aurores boréales, plus jeune, à des occasions très rares, mais peu de gens, surtout provenant des
États-Unis, pouvaient en dire autant. J’attirai donc l’attention de mon amie sur le miracle de la nature
que je continuais de fixer. Elle devint tout excitée. Il était maintenant clair dans le ciel que le
phénomène n’était pas un nuage. Elle arrêta le véhicule aux abords de la route déserte et
complètement sombre, puis nous en sortîmes. Le spectacle était subjuguant. Le plus beau ciel de ma
vie se faisait voler la vedette par une aurore boréale qui commençait à s’étendre de plus en plus, de
son vert paisible. Nous prîmes quelques photos rapidement, puis nous reprîmes la route, nous
questionnant si nous ne devions pas trouver un endroit où dormir tout près, pour profiter du spectacle.
Puis quelques kilomètres plus loin, nous arrêtâmes encore le véhicule, l’aurore était à son apogée.
Ma complice se questionna, encore une fois, à l’idée de dormir ici où plus loin. Nous contemplâmes
le ciel pour quelques minutes puis repartîmes. Puis, toujours quelques kilomètres plus loin, nous nous
demandions toujours si nous n’arrêtions pas passer la nuit tout près, et profiter du spectacle qui
commençait à diminuer à vue d’œil. Puis l’aurore boréale gagna en force et s’entendit encore un peu
plus loin. Nous immobilisâmes le véhicule, encore une autre fois, profitant du moment miraculeux qui
nous était offert. Nous étions tous les deux fatigués et j’étais d’autant plus fatigué de ne pas pouvoir
décider complètement où et comment j’allais dormir. Nous entrâmes, dans le véhicule et mon hôte me
demanda, encore une fois, si nous devions dormir ici.
Je sentais une boule d’émotion monter en moi, car je commençais à trouver que c’était si peu
important de savoir si nous dormions ici ou quelques kilomètres plus loin. Quelques minutes de plus
ou de moins, ici et là, pouvaient être rattrapées par quelques minutes de plus ou de moins ici et là
demain matin. Le poids de faire le choix devenait plus lourd que le choix lui-même qui restait avec si
peu de conséquence. Quand je disais que nous pouvions rester, elle me disait que nous pouvions
continuer un peu et quand je disais que nous pouvions continuer, elle me disait qu’elle était fatiguée
et qu’elle ne voulait pas rater la fin du spectacle. J’étais confus. Après un moment, je pris un ton
sérieux et plus sec et je lui dis : « Arrêtons-nous ici, il faut prendre une décision de toute façon ! » Je
remarquai alors que, souvent, quand nous sommes indécis, il faut seulement prendre une décision et
l’assumer. Je me souvins d’une des philosophies de la bible qui dicte d’être chaud ou froid, mais que
d’être tiède implique d’être vomi par Dieu. Je me dis alors que dorénavant, dans des situations où
des gens indécis m’impliquaient dans leur questionnement, je devais être celui qui tranche et c’est ce
que je venais de faire.
Mon amie fut un peu surprise par ma réponse. Elle prit la rue la plus proche et stationna la voiture sur
le coin des deux routes, un peu plus loin, pour qu’on y passe la nuit. En sortant du véhicule et en
regardant le ciel à couper le souffles des discrètes prairies canadiennes, nous avions le sourire
accroché au visage et nous étions certains d’avoir fait le bon choix. La vue était si magique que
placer la tente fut plus long qu’à l’habitude, car le ciel et son aurore boréale me déconcentraient
constamment. Puis, après avoir profité d’un miracle, nous nous couchâmes, dans la tente, chacun de
notre côté avec des couvertures différentes. Nous nous embrassâmes, puis nous nous souhaitâmes
bonne nuit. Nous regardâmes le ciel, toujours, au travers du toit transparent de la tente, tout était si
visible. La Voie Lactée était si belle, si présente, tous les astres aussi. Nous pointâmes même
quelques objets qui semblaient avoir des trajectoires bizarres. Puis, nous nous endormîmes après une
journée calme et une nuit plus que magique.

18 août 2017

Nous nous levâmes et reprirent la route rapidement. Eva, Jym, mon amie et moi-même étions prêts à
faire face à cette autre belle journée ensoleillée qui allait mettre un terme à notre périple de quatre
jours ensemble et qui allait nous mener finalement en Alberta. Je ressentais un brin de déception à
l’idée de quitter cette jolie jeune femme à qui je m’étais attaché, mais comme nous avions tous les
deux décidé de partir seuls, il était normal de le faire en espérant que nos routes se recroisent. Aussi,
le besoin de solitude se faisait ressentir de chaque côté.
Après avoir passé une journée à se connaître, puis à défier les lois, une journée à vivre des
problèmes et à se débrouiller, pour faire ensuite une longue route ennuyante jusqu’à une aurore
boréale, nous n’avions plus grand-chose à nous dire. Nous appréciions, tout de même, la compagnie
de l’autre pour les derniers clics du compteur. Nous pensâmes à des chansons à écouter ensemble
pour terminer notre aventure, puis nous les écoutions tout simplement. J’écrivis encore un peu.
Quelques heures avant Calgary, encore une fois, nous cherchions une station d’essence, car le niveau
d’essence du réservoir commençait à diminuer. Nous n’étions plus dans les prairies, mais plutôt dans
un paysage qui ressemblait davantage à un désert et des canyons. Il restait tout de même du carburant
pour continuer encore une heure ou deux, mais, tout de même, nous ne voulions pas revivre une panne
d’essence, surtout si près du but.
Je réfléchissais, enfin, à la suite logique de mon voyage, car je ne savais pas qu’elle était ma
prochaine destination après Calgary. Soudainement, je me rappelai qu’il y avait une éclipse solaire
qui allait se produire très bientôt. Je m’informai alors, à savoir où elle allait être la plus puissante au
pays. Je trouvai qu’elle allait être à son apogée aux États-Unis, dans l’ouest du pays. Je pouvais alors
viser le sud-ouest du Canada et me rapprocher le plus possible des frontières pour y installer un petit
camp et me retrouver seul avec moi-même. Je continuai à y réfléchir alors que le paysage changeait
autour de nous.
La vue était magnifique. La force d’un désert aride et de ses montagnes me semblait inébranlable et
éternelle. Tout au long en conduisant, nous ne vîmes qu’un désert rocheux se perdre jusqu’à l’horizon.
Nous aperçûmes soudainement un petit chemin fermé qui se rendait au beau milieu du désert. Nous
nous stationnâmes devant la clôture qui fermait le chemin, sortîmes du véhicule, et la sauta aussitôt.
Puis, nous nous mîmes à marcher environ cinq cent mètres pour monter les collines et trouver une vue
qui pourrait nous surprendre. En chemin, j’aperçus deux oreilles de lièvre au-dessus d’une colline. Je
dis à mon ami de regarder en sa direction. Il dressa les oreilles et se mit à bondir pour se sauver. Il
était si gros qu’il me faisait penser au lièvre dans Alice aux pays des merveilles. Je me sentais béni,
encore une fois, de pouvoir expérimenter la nature à l’état pur.
Au-dessus de ce désert, nous nous sentions comme Dieu qui surveille ce qui s’est toujours passé sur
la terre. L’inaction du désert, sa puissance me faisait réfléchir grandement. Je sentais le vent souffler
l’air, peu frais, sur ma peau, puis entrer dans mes narines, m’énergisant d’un coup. Ce moment calme
mais fort me réconfortait dans ma quête d’un but inexpliqué. Comme si j’étais au bon endroit au bon
moment. Comme si je devais vivre ce sentiment, seulement parce qu’il existait et que je n’avais
jamais eu la chance de l’expérimenter. Après un moment, nous revînmes sur nos pas, vers le véhicule,
puis nous repartîmes.
Nous continuâmes à prendre la vie à la légère. Mais sans en parler, au fond de moi, j’avais de plus en
plus envie d’être seul. Ce n’était pas la faute de mon amie, mais j’avais hâte de prendre mes propres
décisions, d’aller où je voulais, de rencontrer de nouvelles personnes, de lever le pouce et même de
boire une bière. Nous arrêtâmes juste avant Calgary pour y mettre de l’essence. Pendant qu’elle
remplissait le réservoir, j’allai à l’intérieur du magasin qui portait le thème des dinosaures, puis je
me rendis compte que je n’avais besoin d’absolument rien. Quand je sortis, elle avait presque
terminé. J’ouvris la porte pour entrer dans le véhicule et elle me répondit « Non, je vais aller
stationner le véhicule, tu peux y entrer après ». Je restai surpris sur-le-champ. Nous n’avions
certainement pas la même façon de réfléchir. Encore une fois, je me disais que ça ne changeait pas
grand-chose que je fasse l’un ou l’autre, mais je me tus. Je pris une grande respiration. Ce qui était
encore plus illogique à mes yeux aurait été d’argumenter sur le sujet, car que j’y entre ou non ne
faisait pas de différence. Par contre, me faire dire quoi ou comment faire touchait légèrement mon égo
que je ravalai aussitôt. Je la laissai se stationner quelques mètres plus loin, puis entrai dans l’auto
jaune pour l’attendre.
Arrivés à Calgary, elle me proposa de l’accompagner à un cours de yoga. Je refusai sa proposition et
elle le prit très bien. Je sentais qu’elle aussi voulait être seule. Je voulais me sentir complètement
libre et je remarquais que nous étions un peu plus à court l’un avec l’autre. Je crois que nous nous
sentions d’une façon semblable au fond de nous. Elle me laissa tout près d’un énorme parc dans un
quartier résidentiel. Avant de partir, elle me dit d’attendre un peu. Elle fouilla dans son sac, demanda
à Jym de lui donner des ciseaux, puis coupa des petits bouts de cartons d’acide qu’elle me donna.
Elle me dit ensuite de penser à elle quand j’allais tenter l’expérience. J’étais tout excité. Je lui dis
que j’allais lui en parler de toute façon, car nous allions rester en contact. Nous nous embrassâmes et
nous dîmes que nous nous aimions. Eva et Jym, maintenant sortis du véhicule, je m’éloignai
rapidement, sans regarder en arrière, encore une fois triste de me séparer d’une inconnue que j’avais
appris à aimer.
Ça faisait un petit bout de temps que je n’avais pas exécuté de gros efforts physiques. Je décidai alors
de marcher vers le centre-ville de Calgary qui se trouvait à plus de dix kilomètres d’où j’étais. Deux
heures plus tard, j’étais toujours en train de marcher, guidé par les plumes d’oiseaux que j’apercevais
sur le sol ici et là. Je me sentais si bien dans cette calme métropole où la sérénité planait dans ses
petits quartiers. Je pouvais la respirer abondamment. De plus, j’étais si fier. J’étais dans l’Ouest
canadien ! J’avais parcouru la majorité du pays sans voiture, sans argent, seulement avec mon corps,
ma volonté, Jym et Eva. Je profitai au maximum de ce sentiment de béatitude qui m’envahissait et qui
me faisait réaliser de grandes choses. La fierté est un sentiment si sucré à déguster qu’il ne faut juste
pas se bourrer la bouche avec, et c’est ce que je faisais, sachant très bien que mon arrivée en Alberta
n’était pas la fin, mais seulement le début de mon aventure.
Le soleil se couchait tranquillement, l’air était frais et si agréable. Tout allait bien, j’étais enfin seul,
autonome, prêt à toute éventualité, sous le ciel rouge de cette merveilleuse Alberta. Il était temps de
trouver un endroit où dormir, puis un endroit où déguster une bonne bière bien méritée. Alors que je
marchais, à ma droite, je voyais que j’étais toujours dans un quartier résidentiel qui s’étendait encore
pour quelques kilomètres jusqu’au Centre-Ville. À ma gauche, de l’autre côté de la rue, des champs,
des arbres des collines se manifestaient de sorte qu’avec seulement un peu de courage, la nuit
tombée, je pouvais pratiquement dormir n’importe où. Je regardai encore une fois à ma droite, et
j’aperçus un petit bar sportif sur le coin d’un bloc, je me dirigeai alors vers celui-ci, et y entrai. Je
m’assis à une table, plaçai Jym à mes côtés, assura Eva que je n’allais pas la perdre de vue cette
fois-ci, et commanda une bière.
Le jeune serveur tatoué, percé, m’amena une bonne bière que je dégustai tranquillement. De l’autre
côté du bar, trois hommes discutaient fortement après une grosse journée de travail et, surtout, après
avoir gagné un montant d’argent notable aux machines de loterie. L’un était grand, costaud, portait une
barbe bien longue et avait le crâne rasé. L’un était mince, mais raide, tatoué et souriant. L’autre était
petit et trapu. Tous les trois semblaient travailler avec leur main, leur corps, et semblaient être
habitués à être dans cet établissement qui n’avait rien d’anormal. Je regardai autour, je regardai les
murs. Pour moi, il était très différent de voir les chandails des Flames de Calgary sur les murs d’un
bar sportif au lieu de celui du Canadien de Montréal. Tout me ramenait encore à ce merveilleux
sentiment de fierté que j’éprouvais à l’instant, amplifié par ma solitude ingrate.
Puis, l’homme barbu m’interpella, de sa grosse voix, lentement, mais surement, pour me demander
d’où je venais. Je lui répondis que j’étais parti de Montréal et que je venais d’arriver en ville. Il ne
me dit qu’un seul mot en retour : « Fail ». Alors que le tenancier me regardait avec un air inquiet, ma
curiosité, peut-être envenimée par mon complexe de Dieu, me força à lui demander: pourquoi avoir
répondu ce mot ? Il m’expliqua froidement que les Québécois étaient les pires Canadiens, car ils
envenimaient le conflit entre les anglophones et les francophones. Plus il m’en parlait et plus il
devenait en colère, contre son histoire, mais aussi contre moi. Le barman semblait inquiet et tenta de
rester près de nous et d’observer comment la situation allait. L’homme continuait à parler : Il
racontait qu’il avait déjà été refusé dans un établissement de la ville de Québec, car personne ne
voulait communiquer en anglais avec lui. Il expliquait qu’il payait ses taxes, comme tout le monde,
qu’il travaillait fort dans un pays uni, qu’une partie de ses taxes allaient même au Québec et que les
Québécois cultivaient de vieilles histoires de guerres de langage alors que les Canadiens anglais
n’avaient rien contre la personnalité francophone de notre beau pays. Il soutenait que le québécois
moyen se victimisait dans un pays qui pourrait être mieux géré si nous étions davantage unis, et
surtout si nous acceptions mieux que nous habitons dans un pays majoritairement anglophone. Il
continuait à parler et je sentais une petite nervosité m’envahir, car l’homme était décidément
beaucoup plus costaud que je l’étais, et s’il avait un caractère agressif, il était surement plus habile
que je l’étais dans l’art de la confrontation physique. Je pris quand même le temps d’écouter sa
colère, alors que le barman était pratiquement entre nous deux, tentant de détendre l’atmosphère avec
quelques petits commentaires. Si les choses tournaient mal, ni moi, ni lui, ne pourrions arrêter ce
type. J’espérais fortement que ses amis avaient assez de conscience pour le ramener à l’ordre.
Je lui demandai poliment si je pouvais lui répondre. Il accepta. Je lui dis, alors, qu’après avoir
écouté ce qu’il avait à dire, il avait plutôt raison. J’expliquai que beaucoup de Québécois ont un
travail à faire sur le sujet, car c’est ce qu’on nous enseigne dans les cours d’histoire, apprenant
conquêtes et assimilation. Je lui dis qu’une des raisons pourquoi j’étais parti était d’expérimenter
d’être Québécois dans un pays majoritaire anglophone, et que j’ai été agréablement surpris. J’étais,
jusqu’à maintenant, agréablement surpris de rencontrer une multitude de Canadiens anglais qui, même
s’ils ne parlaient pas français, étaient fiers de la personnalité bilingue de leur pays. J’ai pu rencontrer
des gens qui ont tenté de me parler français, des gens qui m’ont dit qu’ils aimaient mon accent. Et je
lui dis qu’il avait raison: Beaucoup de Québécois se trompaient à être contre l’anglais au Québec,
mais qu’il y avait des « redneck » partout à travers le globe et que certains de nos « rednecks », au
Québec, n’aimaient pas les Canadiens anglais. De plus, la barrière de la langue ainsi que la peur
freinent le québécois moyen à sortir de sa province pour expérimenter ses confrères.
L’homme m’écoutait avec beaucoup d’attention. Même si je sentais que sa colère était toujours
présente, je ne la sentais plus dirigée vers moi. Je continuai. Je lui expliquai alors que ce qui me
désolait le plus, étant moi-même le plus grand amoureux de la langue française, était d’avoir appris à
la petite école que nous perdions notre français en raison des communautés anglophones qui nous
entouraient et que je croyais que c’était un sacrilège de baser une éducation sur cet énoncé qui vise à
nous séparer. Alors que j’avais suivi des formations pour bien écrire, pour bien parler, pour bien
communiquer dans ma langue, je pouvais confirmer qu’une majorité de gens pouvaient se plaindre,
mais seulement qu’une mince minorité agissait pour améliorer la qualité de notre français. Que nous
aimions mieux nous victimiser, depuis une bonne partie de notre difficile histoire, au lieu de tenter de
construire quelque chose d’unique et d’unifié. De plus, la mentalité des plus vieilles générations
jouait un rôle très grand dans la problématique, car le Québec avait tant évolué, depuis l’idée d’être
une petite communauté francophone indépendante pour devenir un grand Québec multiculturel, comme
on le voit dans la plupart des autres régions du monde. Le problème étant qu’il était seulement
inconfortable de sortir de notre rôle de victime pour se conscientiser, d’une main, à mettre des efforts
pour parler, écrire ou conserver notre langue si riche, tout en courtisant l’anglais de l’autre, au
besoin.
L’homme m’invita alors à m’asseoir à ses côtés. Je m’approchai et je lui confiai, Eva sur mon épaule
gauche, mon complexe de Dieu sur la droite, que s’il m’avait demandé, il y avait quelques années, si
je voulais que le Québec se sépare du Canada, j’aurais dit oui sans hésiter. Principalement pour une
culture et une langue si différente du reste du pays. Mais que maintenant, je pensais le contraire. Le
pays était si magnifique, que je ne pouvais plus mettre ses merveilles de côté, mais aussi, que
décréter sur papier de nouvelles frontières, de nouvelles séparations, de nouvelles règles semblables
n’allait qu’être un diachylon sur les cancers qui ravagent la planète entière et, séparés ou non, nous
allions vivre sensiblement les mêmes problématiques crées par les mêmes joueurs internationaux, et
que nous devions plutôt nous unir, dans un Canada indépendant, sur une planète unie. Car, seulement
le fait d’être séparé par des frontières entres pays était, pour moi, presque ridicule, alors pourquoi en
créer de nouvelles. J’ajoutai que si je pouvais ramener ce message avec moi au Québec, ça serait
quelque chose de bien pour mon entourage.
L’homme était maintenant tout à fait calme et souriant. Il me demanda silencieusement d’entrechoquer
nos bières en symbole de respect, alors que je restais moi-même surpris du pouvoir de mes mots et
de mes bonnes capacités diplomatiques. Je regardai le barman qui semblait dans le même état que
moi. L’homme barbu me demanda alors si je travaillais. Comme il semblait important pour lui de
travailler et de payer des taxes, je lui expliquai ma situation et je lui dis que j’étais très ouvert à me
chercher du travail n’importe où au Canada. Il m’avoua que la meilleure décision qu’il avait prise
était de travailler sur les « Pipelines ». Le travail était physique, très bien payé, prospère, et qu’en
payant ses taxes, il menait une bonne vie tranquille et pouvait boire une bonne bière en soirée, et
décompresser de sa journée de travail. Je lui répondis que c’était la belle vie et que c’était important
de pouvoir l’affirmer. Je lui confiai que j’avais plutôt des difficultés à trouver un emploi en
communication ou en marketing et que je voulais peut-être justement trouver un travail plus routinier,
je n’avais pas peur de me salir les mains et de faire forcer mon cœur. Il semblait me respecter.
La discussion continua de bon train durant plus d’une heure. Je discutais maintenant avec les trois
gaillards de sujets de surface : d’emplois, de fêtes, de femmes, de permis de conduire. Puis, une fois
les sujets épuisés, les hommes s’excusèrent et partirent lentement vers les machines à lotos. J’étais
moi aussi prêt à lever les feutres. J’allai voir le barman pour régler ma facture et ensuite préparer ma
journée du lendemain qui m’excitait déjà tant. Le jeune tenancier m’informa que l’homme barbu avait
déjà tout payé pour moi. J’allai à sa rencontre aussitôt pour le remercier. L’homme m’offrit son
respect. Il s’excusa pour notre rencontre et me donna son numéro de téléphone, me disant que si
j’avais besoin d’un emploi ou si j’étais mal pris dans la région, il pouvait m’aider. Puis, après
quelques minutes, il partit.
Aussitôt, d’autres gens au bar m’interpellèrent ; un couple. La femme m’avait entendu précédemment
parler et, tout en me posant des questions sur mon histoire, me félicita pour la diplomatie à laquelle
j’avais fait preuve quelques dizaines de minutes auparavant. J’étais flatté. De fil en aiguille, je lui
expliquai que j’étais intéressé par l’éclipse, mais non pas pour la voir, mais plutôt pour la sentir. De
son côté, elle se mit à me nommer les endroits qu’elle croyait plus énergétiques dans l’Ouest
canadien alors que je prenais des notes sur des sous-verres qui étaient à ma portée. Les quelques
bières que j’avais ingérées me donnaient le gout de rester et de discuter. Son mari par contre,
semblait méfiant et peut-être un peu jaloux, mais un sujet après l’autre, en apprenant à se connaître, il
était de plus en plus ouvert à se joindre à la conversation. Mes rencontres de la soirée étaient, comme
à l’habitude, des expériences en soi, mais aussi des bénédictions.
Puis le temps vint finalement pour moi de partir pour de bon. Je ne savais pas où j’allais au
lendemain, mais il me restait deux jours avant l’éclipse, je voulais alors aller vers Lethbridge, puis,
ensuite vers l’ouest, pour fricoter avec les astres. Je remerciai mes nouveaux amis, pris Jym sur mes
épaules, alors qu’Eva m’attendait un peu plus près de la porte. Je payai ma dernière bière au jeune
homme derrière le bar et lui confiai que j’avais eu chaud plus tôt dans la soirée. Il me répondit qu’il
se tenait entre nous deux, prêt à réagir, car il croyait fermement que quelque chose de mauvais allait
m’arriver, et qu’il avait été impressionné par mes idées véhiculées dans un second langage. Je le
remerciai, lui avouant que je ressentais la même chose de mon côté. Je le remerciai et quitta le bar.
Je marchai quelques mètres plus loin, plaça me tente alors qu’une énorme fatigue s’empara de moi.
Sans même tenter de faire quoi que ce soit avec les poteaux, m’installai dans une pente semi-abrupte,
entra dans la toile allongée sur le sol et y dormit stupidement.
Chapitre 10
Mountains highs

19 août 2017

Je me levai rapidement ce matin-là. J’avais dormi dans une pente, car la veille, je ne me sentais pas
à l’aise de la descendre au complet. Quand je me levai, le soleil illuminait les alentours et je
remarquai des endroits plus loin où j’aurais pu mieux dormir. J’avais passé la nuit à glisser, dans ma
tente, dans mon « sleeping bag », puis à remonter, à glisser, à me réinstaller, etc. À mon réveil, Jym
était quelques mètres plus hauts que moi et rigolait, alors que mon sac de couchage, ainsi que ma
tente, et même mon sac, étaient dans des états lamentables. Du coup, Eva me fixait comme si moi
aussi je l’étais. Je ne pouvais pas la blâmer, je sentais qu’elle avait raison, car malgré les fois où je
la tenais loin de moi, je pouvais dire, à chaque occasion, si elle avait raison ou tort, bien qu’il fût
extrêmement rare qu’elle ait tort. Mais, les mauvaises solutions apportent des dénouements difficiles
qui forcent l’apprentissage. Eva me regardait donc, les bras croisés, tandis que je vérifiais si Jym
pouvait s’en remettre. Bien que je croie qu’il ne faut jamais agripper le sentiment de culpabilité, je
pris celui-ci entre mes doigts et je me jurai, dès lors, que j’allais être plus consciencieux et minutieux
avec mon équipement. Je devais être plus organisé, car ce périple pouvait être encore mieux et
encore plus facile, si j’y mettais l’effort. Cette fois-là, je paquetai mon sac le plus minutieusement
possible sachant très bien que j’allais dorénavant toujours le faire de la sorte.
Je partis alors, toujours à pied, vers les confins de la ville, vers l’entrée de l’autoroute la plus
proche, pour me rendre vers Lethbridge pour y passer une nuit, et, ensuite, pour me diriger et passer
la nuit vers l’ouest pour y sentir l’éclipse. J’avais maintenant un plan de deux jours. Je marchai donc
vers l’autoroute, descendit à la jonction de son entrée et de la route. J’accotai mon sac sur le garde-
fou, bien visible pour tous les passants. J’enjambai celui-ci et levai le pouce de l’autre côté, pour
démontrer à tous que j’étais consciencieux de la sécurité de tous et chacun. Puis, j’attendis.
J’attendis au moins deux heures, le pouce levé, sous le chaud soleil de l’Alberta, que quelqu’un
s’arrête pour m’amener vers le sud. Je n’étais pas pressé, je n’étais pas stressé, j’étais seulement
libre et bien. Après deux bonnes heures, une camionnette pick-up s’arrêta et un homme qui entamait
environ la quarantaine, mince, en forme, cheveux rasés, me proposa d’embarquer.
L’homme me dit, de prime abord, qu’il avait environ trente minutes de route à faire et qu’il voulait,
au moins, m’aider à sortir de la grande ville, car il était conscient que c’était plutôt difficile de lever
le pouce pour y arriver. Je le remerciai grandement.
L’homme était très enthousiaste avec moi. Il était content d’être accompagné, il était content de
pouvoir discuter et j’en étais témoin. Il m’avoua qu’il m’avait vu au même endroit, deux heures
auparavant alors que j’étais en train de m’installer. Il n’était alors pas disposé à s’arrêter, il était
aussi pressé, mais il savait déjà qu’il allait repasser. Il s’était donc dit qu’il allait m’aider en
repassant. Mon interlocuteur était déjà sur la route pour aider quelqu’un d’autre. C’était, pour lui, un
effort supplémentaire, mais il le faisait pour son frère qui avait des problèmes automobiles et des
problèmes d’alcool. Il devait alors faire plusieurs allers-retours chez son frère, le garage et puis sa
résidence. Il avait commencé son périple tôt et retournait enfin à la maison. Il n’arrêtait pas de parler.
Il me racontait les problèmes de son frère, qui nous amena à parler de l’importance de s’aider,
d’avoir de bonnes valeurs, de donner et recevoir. L’homme ne me laissait que prononcer que
quelques mots, puis, de façon sympathique, il continuait son discours. Il semblait adorer ma
personnalité et je l’écoutais, expliquant mon point de vue, ici et là. Après avoir fait le tour de
l’importance d’aider, car si tout le monde considérait cette importance, le monde pourrait tourner
mieux, nous discutâmes de sa famille, de sa séparation, de sa situation, puis de la mienne. Il me
raconta qu’il avait rencontré une jolie Québécoise dans le Sud et qu’elle avait été spéciale pour lui.
Que c’était pratiquement qu’une rencontre de voyage, mais, en même temps, cette rencontre allait
rester un beau souvenir pour lui. Puis, après avoir magnifiquement échangé, d’un inconnu à l’autre, il
me laissa, au beau milieu des champs, loin d’une sortie, directement sur l’autoroute, où il me dit
qu’ici, ce serait facile de continuer mon chemin. Je le remerciai encore grandement. Je lui avouai que
sa rencontre continuait bien mon voyage, car ce qui me marqua le plus de cet individu était qu’il avait
l’air heureux et fier des choses si simples qui constituaient son quotidien. Il me remercia également
puis nous nous séparâmes. J’étais étonné de toujours tomber sur des gens comme lui.
J’étais directement sur l’autoroute. Je déposai Jym près d’un poteau de signalisation, puis je levai le
pouce. Je regardai vers le sol et j’aperçus une grande et magnifique plume noire à mes pieds. Je me
penchai pour la prendre, pour ensuite la poser sur mon sac, et quand je me relevai, une auto était
arrêtée devant moi, alors que je n’avais même pas le pouce en l’air. Le conducteur me dit de monter.
La voiture était bondée d’articles, d’accessoires comme si l’homme était en voyage, et deux petits
chiens parcouraient l’avant et l’arrière du petit véhicule, très contents de voir embarquer un nouveau
passager. L’homme me dit d’embarquer à l’arrière cependant, car le siège passager était réservé à
l’un des chiens. Je ris quelque peu avant de prendre place dans le véhicule, très content de profiter,
avec Jym et un nouvel ami, de la banquette arrière de l’automobile. Puis nous décollâmes.
Après m’avoir reniflé, l’un de ses chiens se coucha instinctivement sur moi, voulant mon attention,
alors que l’autre semblait un peu plus sur ses gardes, sur la banquette avant du véhicule. Le
conducteur, lui, devait avoir près de soixante ans, cheveux longs, gris, il avait un accent slovaque. Il
commença tout de suite à parler de la liberté que je possédais de pouvoir effectuer ce voyage, sans
avoir à me justifier auprès des autres, auprès d’un système de travail, auprès des lois, bref, la seule
liberté possible, celle qui ne se vit qu’avec soi-même. Puis, le sujet de conversation divergea pour se
diriger un peu plus vers la politique internationale d’un système monétaire qui contrôle la grande
majorité de notre planète, c’est-à-dire ; le système de travail contrôlé par les banques et les grandes
entreprises, et ses inégalités. Pour moi, il était intéressant de pouvoir aborder le sujet avec quelqu’un
qui n’appartenait pas à ma génération, mais aussi, qui venait d’une autre réalité ; celle d’un homme
ayant vécu l’après-Deuxième Guerre mondiale au beau milieu d’un pays impliqué, malgré lui, dans
celle-ci.
L’homme était conscient du pouvoir des banques, des entreprises américaines et de la supercherie
des guerres, du commerce des armes et j’en passe. Pour ma part, pour résumer le groupe à qui on peut
lancer les accusations de vouloir tout contrôler de façon malsaine au profit de l’argent, je les appelle
les banquiers et les grandes compagnies, bien que je généralise un titre pour décrire plutôt une
catégorie de personne. Pour sa part, ils les appelaient : les juifs… Je tentai de mettre une distinction
claire entre le judaïsme et ce qui se passe dans le monde, mais il tenait son point en précisant que
cette religion, dans ses fondements, amenait les gens à croire qu’ils étaient le peuple privilégié de
Dieu et qu'ils se croyaient issue d’une caste plus importante de la majorité. De mon côté, j’aurais pu
faire la comparaison avec beaucoup d’autres extrêmes religieux, par exemple, une interprétation
extrémiste de l’islam peut soutenir les mêmes valeurs, ou encore la majorité des branches judéo-
chrétienne également. Mais je n’allais pas faire changer d’avis un vieil homme sur sa conception de
la vie et, comme j’avais mes croyances, il avait le droit d’avoir les siennes. Il tenait dur comme fer
que c’était au nom de la religion, tout d’abord, que des dirigeants juifs avaient une poigne de fer sur
l’élaboration et le déroulement de la société, car, pour eux, ils avaient été choisis par Dieu en
personne pour gérer. Hormis cette différence d’appellation, et au-delà des mots, nous échangeâmes
sur une route de plus de quatre heures.
Alors que je voulais aller vers le sud, et ensuite vers l’ouest, l’homme allait directement vers le sud-
ouest. Je décidai alors de changer mon itinéraire et de le suivre le plus loin possible. Tout au long de
la route, nous remarquâmes que nous pensions semblablement, malgré nos différences culturelles. Je
croyais aussi qu’il y avait un certain contrôle exercé sur le peuple par les banques et les grosses
compagnies, et qu’ils avaient tellement d’argent que les motifs derrière ces inégalités étaient
beaucoup plus au niveau du pouvoir et du contrôle, que pour l’argent lui-même, car elles en avaient
déjà trop pour plusieurs vies. J’expliquai que l’argent n’était qu’un outil d’esclavagisme et que même
s’il n’était plus le but premier, le revenu créait une certaine hiérarchie de pouvoir qui donne, à un
être humain, le pouvoir sur un autre être humain. Peut-être qu’ici le mot esclavagisme peut paraitre
fort, mais, pour moi, de dépendre de l’opinion et des états d’âme d’un patron qui a le pouvoir de
changer, du tout au tout, notre qualité de vie par un claquement de doigts, alors que nous sommes
obligés de l’aider à s’enrichir en travaillant d’arrache-pied, durant la majorité de nos heures
éveillées, afin de pouvoir rêver à un mode de vie seulement que convenable, n’est pas aussi cruel, a
priori, que ce que beaucoup de peuples ont vécu par le passé, mais l’idée derrière est très semblable.
C’est pourquoi j’utilise le terme : esclave-moderne. Surtout si tout ceci se déroule dans une vie où on
nous fait miroiter un certain salaire que l’état, complice, nous reprend à moitié pour dilapider aux
grandes entreprises, et où les dettes sont comme des chaînes qui nous obligent à continuer de faire
fonctionner ce système malsain, pendant que les grandes entreprises, toujours au nom de l’argent, se
permettent de transformer la planète en poubelle et à s’accaparer la nature aux dépens de l’opinion
publique.
C’est ce qui nous emmena à discuter, ensuite, des raisons des guerres entre les pays, de
l’enrichissement des entreprises, car ces grandes entreprises s’enrichissent en marchandant avec tout
le monde impliqué dans le conflit. Peut-être suis-je « conspirationniste » diriez-vous, mais comme je
l’ai mentionné plus tôt, si nous n’élaborons pas de critiques ou de solutions à cet égard, nous en
somme, nous aussi, complices.
Ensuite, nous discutâmes de la Deuxième Guerre mondiale, car les entreprises internationales
américaines, à cette époque : les grandes automobiles, pétrolières, bancaires et d’armes, entres
autres, avaient fournis l’alliance, mais également les nazis, durant ces années tragiques, pour ensuite
poursuivre, légalement, les États-Unis pour les dommages encourus sur leurs usines en Allemagne,
pendant que Grand-Papa Prescott Bush, banquier international, en collusion avec le groupe
Rockafeller, assurait l’argent placé des Allemands et des Américains, et que les scientifiques qui
eusse aidé le gouvernement nazi fussent ensuite exportés pour travailler pour les Américains durant
l’opération « PaperClip ».
Mon conducteur travaillait pour une entreprise de four crématoire. Il jurait qu’un corps humain
prenait extrêmement de temps à brûler et qu’il était impossible d’avoir brûlé autant de cadavres
durant la courte fin de cette effroyable guerre. Bien que je ne puisse pas confirmer l’information,
j’écoutais mon interlocuteur avec beaucoup d’attention, car il implémentait que moins de Juifs
avaient été tués et qu’on victimisait ce peuple particulièrement pour les protéger, alors que beaucoup
d’autres génocides avaient été plus importants biens qu’ils eussent passé sous silence. Puis, il
continua. Il me parlait des intentions d’Adolf Hitler face aux « juifs » et qu’il avait été trop loin, car,
d’après moi, les nazis n’avaient aucunement la notoriété pour pouvoir décider qui devait vivre ou
mourir. Mais, à la base, après la Première Guerre mondiale, les « juifs » avaient été si envahissants
et contrôlants avec l’Allemagne en reconstruction qu’Hitler voulait faire le ménage en immigration,
qui l’avait mené à une conquête dans une lutte contre un peuple d'étranger, à l'aide du système, alors
qu'il aurait peut-être dû faire le contraire.
Mon ami disait qu’on parlait beaucoup du génocide juif et que nous les victimisions beaucoup, alors
que beaucoup plus de gens, ailleurs dans le monde, avaient perdu la vie durant ce conflit, et que
même son pays natal avait subi la « protection » des alliés alors qu’il n’en voulait même pas. J’étais
conscient que son discours ne pouvait même pas se dire publiquement, mais venant d’un homme qui
avait vécu une autre réalité, je me devais d’écouter.
Je voyais un « pattern » qui se répétait d’un inconnu à l’autre. La majorité des gens à qui je parlais
semblait reconnaître qu’il y avait un certain problème sur la planète et que, parce qu’il y avait des
dirigeants avides d’argent et de pouvoir, les choses n’allaient pas être réglées. Car les gens
acceptaient généralement la situation globale, plus grandement motivé par le « J’ai raison, tu as tort »
que par le « tout le monde est égal ». C’était presque étonnant de voir à quel point les gens étaient
conscients qu’il n’était pas logique de faire tourner la planète de cette façon. Tant de gens semblent
tellement accepter cette situation qu’ils sont prêts à seulement sacrifier l’espoir, et à ne plus penser à
où notre évolution peut nous mener. Pourtant, sans espoir, que reste-t-il ? C’est pourquoi la seule
chose qu’il reste à faire, pour eux, est d’avoir espoir que ce fameux système se règle par lui-même.
Que ceux qui ont le plus raison domine ceux qui se trompent ? Comment peut-on savoir qui a
réellement raison, et surtout comment peut-on gager les libertés des autres sur ce jeu politique
superficiel.
Je lui dis alors, en regardant le début des rocheuses qui réussissait à m’impressionner grandement,
que la beauté du paysage me donnait espoir. De rencontrer des gens, comme lui, qui m’aidaient sans
rien demander, qui était prêt à être proche d’un inconnu, me donnait espoir. Que le fait que nous
sommes au fond du baril, dans une société toute croche, ne puisse que me donner de l’espoir que nous
allions remonter la pente. Car la connexion doit se faire et se fait au niveau de la population, de son
prochain, de ses amis, de sa famille et même d’un inconnu à l’autre, et non par la protection du
système malheureusement. C’est ce que j’étais en train de faire, à l’extérieur de celui-ci. Et que, de
cette façon, une personne par une, nous pouvons améliorer la situation et changer les choses. Les
mentalités avaient bien changé depuis la Deuxième Guerre mondiale, surtout depuis l’arrivée des
nouvelles générations. La politique et le marketing avaient tout de même continué à suivre le même
chemin, puis après ? Je crois qu’il reste un espace organisationnel vide à combler, et cet espace est
réservé à l’espoir que, si nous changions tous, un tant soit peu, notre façon de penser pour collaborer
et coopérer ; pour prendre soin de soi-même et des autres, la terre pourrait finalement mieux tourner.
L’homme était d’accord avec moi, même s’il parlait toujours d’éliminer les dirigeants actuels, car, de
toute façon, nous allions découvrir qu’ils ont commis plus de crimes contre l’humanité que
quiconque, quand l’information allait sortir. Et même si la Deuxième Guerre mondiale est pointée
comme étant une des tragédies les plus horribles de l’histoire, si nous nous attardions sur tout ce qui
s’est passé et qui se passe toujours à travers le monde, on peut se rendre compte que ce génocide, en
est seulement qu’un parmi tant d’autres, et que ce n’est pas que cette histoire qu’il faut dénoncer, mais
l’ensemble de nos habitudes et comportements politiques qui pousse la population à être contre elle-
même.
Bref, à force de cogiter sur l’illogisme de la situation politique internationale, nous étions déjà,
quatre heures plus tard, rendus dans la magnifique petite ville de Frank’s Slide. Le village faisait
partie d’une série de quelques villages, les uns à la suite des autres, fondés il y avait près de cent ans,
dans les montagnes, par des groupes de mineurs qui s’y installèrent pour travailler durement et
changer de vie. Par contre, la ville s’appelait Frank’s Slide en « l’honneur » du glissement de terrain
le plus meurtrier de l’histoire du Canada.
L’homme me laissa aller à un embranchement, quelques kilomètres avant le centre du village, me
remercia pour l’intelligente discussion que nous avions eue, puis partit de son côté. Je marchai donc,
au beau milieu des montagnes, impressionné par celles-ci et par la force de la nature qui m’entourait.
Je marchai durant une heure, regardant partout autour, c’était la première fois que j’avais la chance
de bâtir une relation avec les Rocheuses. J’étais témoin de sa puissance et de sa force brute. Le
village avait laissé une grande partie des roches de l’éboulement meurtrier intact, reconstruisant la
route au travers les obstacles. Alors que je marchais à travers ceux-ci, je sentais la fureur de la
nature qui me chuchotait des mots doux à l’oreille, alors qu’il y avait des roches plus grandes que
moi partout autour. La scène était plus qu’impressionnante.
Je me dirigeai vers un petit restaurant pour casser la croute, puis déguster une bière, content de n’être
qu’à quelques minutes de la Colombie-Britannique. Puis je sortis. Je marchai encore plusieurs
kilomètres, allant au prochain village « cowboy » où tous les édifices carrés se succédaient, collés
l’un après l’autre. Puis, après avoir fait le tour de l’endroit, je revins au restaurant, pour charger mon
téléphone, mais aussi pour attendre la tombée de la nuit. J’avais déjà croisé quelques endroits où
j’avais remarqué que je pouvais organiser un petit campement, je ne faisais alors qu’apprivoiser le
temps.
J’étais discrètement assis à une table, dans le coin du restaurant, seul pour une fois, sans parler, sans
agir ; je relaxais, quand un homme vint vers moi, avec son jeune fils d’une douzaine d’années, et me
demanda si je voulais jouer au billard. Il m’avoua qu’il m’avait aperçu quelques minutes auparavant,
et qu’il avait eu spontanément l’intention de partager amicalement la table de billard. J’étais touché
qu’un inconnu, sans aucune raison, vienne vers moi alors que je ne cherchais pas l’attention. Je fus
aussi surpris sur le coup, me disant que ce voyage était de moins en moins fait pour que je reste seul,
bien que je commençasse à avoir vraiment besoin d’un peu de solitude pour me ressourcer avant de
vraiment commencer à me promener dans l’Ouest. Nous commençâmes, alors, une partie de billard à
trois.
Nous jouions et mon attention n’était pas vraiment sur la partie de billard bien que nous eussions du
plaisir, mais j’étais intéressé par la petite histoire de l’homme. Il me racontait qu’il vivait dans la
grande ville, mais qu’il venait ici pour se détendre, depuis toujours, avec sa famille. Il me pointa sa
femme et sa fille assises à une table non loin.
Puis nous échangeâmes sur l’éclipse imminente, mon histoire, mes préoccupations, sur cette histoire
et mon désir d’écrire. Nous jouâmes deux parties en tout, et l’homme semblait si sensible, comme si,
malgré lui, il reconnaissait mon âme avec la sienne. L’homme me conseilla à propos des chemins que
je devais prendre et des choses que je devais voir dans la région. Il me dit aussi que je n’avais rien à
craindre, car personne n’allait m’achaler et que je pouvais dormir pratiquement n’importe où. Ce
conseil en particulier fut apaisant. Il était si gentil, si ouvert. Je me disais qu’il était le genre de
personne que je voulais rencontrer, encore une fois, d’un inconnu à l’autre, qui pouvait permettre de
prouver que la vie est saine et belle, et que l’inconnu ; son prochain, ne fait certainement pas peur.
Que malgré la façon que la vie est gérée, d’une personne à l’autre, témoins des miracles de la nature,
la beauté des choses se manifeste spontanément. Je lui fis part de cette réflexion. Il semblait touché.
Puis, il alla retrouver sa famille. Nous étions tous les trois heureux de ce moment magique.
Je demandai à Jym de me suivre vers des divans, tout près de la table de billard, et m’y installai,
seulement par confort. J’étais concentré sur mes choses, je ne voulais qu’attendre que le temps défile
devant mes yeux, car ma journée de voyage était bel et bien terminée, mais il était encore trop tôt
pour aller dormir. Après environ vingt minutes, je levai la tête, et l’homme se tenait debout, avec sa
femme, juste devant moi. Je restai un peu surpris, alors qu’il m’avoua qu’il avait parlé de notre
rencontre à sa femme et qu’elle voulait absolument discuter avec moi. Il nous introduisit et alla plus
loin, alors que je commençai la conversation avec sa femme. Nous discutâmes des beautés de
l’endroit, de ce qui se passait dans le coin, de mon histoire encore une fois. La conversation coulait.
Elle me dit qu’elle aimerait bien me recroiser au marché d’ici quelques jours et je lui confiai, en
retour, que je ne pouvais pas lui confirmer que j’allais rester dans le coin longtemps, mais que
j’allais considérer son offre. Je lui dis, à voix basse, que l’histoire de l’éboulement me troublait et
que j’avais l’impression que si la ville continuait à remuer la tragédie, elle continuait à cultiver une
certaine énergie négative qui pouvait se sentir sur l’endroit, mais que le tout était un processus à
découvrir et non une finalité pour ma part. La femme m’écoutait attentivement et semblait d’accord.
Elle avait l’air aussi emballée que son mari de pouvoir discuter avec quelqu’un de simple qui ne
vivait, dans le moment, que pour ce genre d’échange. Elle m’avoua qu’entre cette ville et Calgary, les
gens prêts à échanger de cette façon étaient rares. Bref, après un bon moment, la petite famille était
prête à s’en aller. La femme me serra fortement dans ses bras, alors que je serai la main, un par un, à
chaque membre de cette merveilleuse famille. Avant de partir, d’un inconnu à l’autre, nous nous
dîmes que nous nous aimions, puis je les vis disparaître de l’autre côté de la porte de sortie.
Je retournai seul à la table de billard, toujours étonné de cette merveilleuse rencontre et du bien que
de simples gestes, comme ceux que je venais de vivre, pouvaient me procurer. J’étais satisfait de
pouvoir pointer, encore une fois, que l’amour existe partout et en tout temps. Encore une fois, je
pensais à eux et je me sentais béni de pouvoir expérimenter tous ces beaux sentiments, même quand je
ne les cherchais pas. Puis, après une partie de billards en solo, une autre famille vint près de moi,
cette fois-ci je les laissai jouer entre eux. Je restai tout de même proche alors, ici et là, je pouvais
faire un commentaire ou dire un mot, mais je tentai de rester discret par respect. Puis, ils partirent
sympathiquement me saluant, car leur repas était servi à leur table.
Aussitôt, un autre individu s’approcha de moi et m’aborda aussitôt. L’homme avait peut-être quarante
ans, il était habillé avec une chemise et des pantalons propres, avait le coco rasé et des lunettes. Il me
demanda : « désolé de te déranger, je croyais que tu voyageais seul, ensuite je t’ai vu serrer cette
femme dans tes bras pour aller vers l’autre famille, je ne comprends pas ton histoire et cela
m’intrigue ». J’étais très surpris de la remarque de l’homme. Je lui expliquai alors ma situation, lui
pointant Jym qui se tenait tout près. Il m’avoua que c’est à peu près ce qu’il pensait, et souligna que
ce qui était beau dans la preuve d’amour qu’il avait vu entre deux inconnus, à l’autre bout du
restaurant, était que lui-même, étant témoin de cette scène, s’était senti touché et interpellé par
l’échange qui se produisait. Comme quoi nous pouvions tous nous sentir connectés. Je me sentais
touché et interpellé à mon tour, faisant partie d’une chaîne de connexion entre plusieurs personnes qui
menaient chacun leur vie séparément, mais, après une journée ordinaire, puissent se retrouver sans
vraiment s’y en attendre, et partager de beaux moments ensemble même s’ils sont inconnus. Pour lui
et pour moi, le fait qu’il soit intégré dans ce partage, même contre son gré, rendait l’expérience
encore plus grande.
Nous nous mîmes à jouer au billard ensemble. L’homme était franco-ontarien, et alors que je
pratiquais toujours mon anglais, il se mit à pratiquer son français. Nous échangeâmes sur la nature de
l’être humain et de son évolution. Sur les preuves d’amour que nous pouvions voir et donner, et sur
l’effet que nous pouvions avoir sur les autres et sur nous-mêmes. J’abordai plusieurs dogmes
religieux pour soutenir qu’il y avait jadis une vérité enfouie sous la lourdeur des religions actuelles.
Nous devînmes très proches rapidement. Bien qu’il fût plus vieux que moi, l’homme semblait boire
mes réflexions, comme s’il n’avait pas eu l’occasion de réfléchir en équipe sur les idées qui font que
le monde est monde, et qui le dirige vers un avenir incertain. J’appuyais mes idées sur le fait que
nous sommes tous, en tant qu’humain, divins et que c’était l’une des raisons pourquoi nous ne devions
jamais mettre l’accent sur la culpabilité, mais aussi, l’une des raisons pourquoi nous sommes tous
capable de créer un avenir meilleur pour nous-mêmes. Il répéta alors le mot divin, comme si c’était
la première fois qu’il l’entendait. Il m’avoua que c’était la première fois qu’il y réfléchissait
vraiment et qu’il trouvait vraiment intéressant la possibilité de s’avouer à soi-même que nous
sommes bel et bien divins, que nous pouvions certainement faire des erreurs, mais qu’au bout de la
ligne, nous n’étions tous pas simplement que normaux, mais plutôt divins, en développement. Il resta
silencieux pour quelque temps.
Nous jouâmes au billard pour plus d’une heure tout en discutant. Ensuite, nous échangeâmes nos
coordonnées, et il me demanda s’il pouvait lui aussi me serrer dans ses bras. J’acceptai et lui dit que
d’un humain à l’autre, il était important de se dire que l’on s’aimait, car nous sommes et nous
resterons tous divins, et que c’était l’amour, en premier lieu qui nous rendait ainsi. Nous nous
serrâmes dans nos bras et quittâmes, chacun de notre côté, toujours heureux et béni de notre
rencontre.
Je sortis et allai sur le terrain voisin, non loin de l’établissement. Je sentais la fatigue et l’alcool
s’emparer de moi. Il faisait noir, je voyais à peine. Eva semblait mieux prendre les occasions de
boire, quand il était temps de rencontrer des inconnus et de partager l’amour. Comme si la raison
d’être de l’alcool était de nous rassembler et de tous nous mettre sur le même pied d’égalité.
Ironiquement, je trouvais rigolo le fait de m’installer sur le terrain de l’établissement maçonnique de
la région. J’installai Jym à mes côtés et je demandai à Eva de prendre le temps de m’aider. Puis,
lentement mais surement, entre l’obscurité et l’état d’ébriété, je montai soigneusement ma tente,
derrière un arbre, installa Jym à l’intérieur, puis me couchai et m’endormis doucement.

20 août 2017

Je me levai rapidement, j’avais un peu mal à la tête, mais très subtilement. Eva et Jym étaient en
pleine forme au moins. Je pris tout mon temps pour bien placer mon sac et tout paqueter de façon à ce
que tout soit placé parfaitement. Je cherchai, par contre, les piquets de ma tente, que je n’avais jamais
utilisés encore, je me disais que Jym était assez imposant pour l’empêcher d’être emporté par le vent,
mais quand même, je ne voulais pas les perdre. Après avoir cherché partout autour, bien que je fusse
certain de les avoir aperçus au matin en démontant la tente, j’abandonnai les recherches, me disant
qu’un bogue dans le continuum espace-temps était à l’origine de la perte de mon équipement.
J’allai sur le terrain adjacent, encore une fois ; une plaine, une clôture un tipi, une maison, et les
montagnes ; le paysage était toujours invraisemblable à mes yeux. Je m’assis sur Jym et commençai à
méditer pour m’énergiser, pour faire le vide, mais aussi, pour appeler les réponses. Mon seul but de
la journée était de trouver un endroit propice au recueillement, préparer un camp pour souhaiter la
bienvenue à l’éclipse qui allait se manifester brièvement sur la région. Je ne savais pas encore si
j’allais continuer ma route vers la Colombie-Britannique ou si j’allais simplement dans les
montagnes, non loin, pour y ériger mon campement.
J’étais toujours assis, les yeux fermés, je méditais et m’étirais. J’entendis une voix m’interpeller tout
près de moi. Une femme était juste à côté, elle avait les cheveux au cou, portait une salopette et
semblait, par l’allure de son accoutrement, jardiner. Je la saluai. Elle me confia que le propriétaire
du terrain sur lequel je me tenais n’était pas si commode et qu’il n’allait peut-être pas aimer me voir
là. Elle me demanda alors de lui parler de mon histoire ce que je fis très brièvement. Elle
répliqua : « Ha tu viens du Québec, mon mari aussi, il est là. Viens chez nous manger et prendre une
douche, ça nous ferait plaisir ». Je la remerciai et la suivis à la maison. J’étais si content de pouvoir
prendre une douche chaude, me laver, me raser, etc.
La maison semblait anodine de l’extérieur sur un moyen terrain en colline, la façade semblait avoir
plusieurs années. À l’intérieur, maintenant, tout était neuf. Tout avait été rénové très récemment, les
murs étaient d’un blanc maculé, agencés avec un plancher et des armoires en bois brut verni. Peu de
décorations bordaient les murs où il n’y avait que les meubles en bois vernis nécessaires à une vie
simple, rien de plus. C’était si beau et si accueillant. La dame avait préparé un pain organique et je
m’ouvris une conserve de lentilles que je dégustai tranquillement discutant avec le couple qui entrait
et sortait de la maison pour travailler sur leur terrain. Je leur offris mon aide qu’ils refusèrent
allègrement.
J’avais l’impression que les événements s’enchaînaient si rapidement. Je rencontrais des inconnus,
les uns après les autres, sans que je ne le veuille nécessairement, que je ne croyais même plus en la
réalité telle que je la connaissais auparavant. J’avais l’impression que tout ce que je voulais créer,
par rapport à ce voyage, se manifestait devant moi sans même que j’aie à mettre l’effort pour le faire.
Je n’avais qu’à garder mon but général en tête, celui d’échanger, de prouver l’existence de l’amour et
que la vie allait mettre sur ma route ce dont j’avais besoin pour évoluer et pour arriver à mes fins.
J’étais béni.
Le couple mentionna qu’ils avaient voyagé ensemble et séparément, comme je le faisais, et qu’ils
étaient sensibles à ma cause. De plus, le Québécois de Sherbrooke me dit qu’il adorait les énormes
sacs à dos comme le mien qui sortait tout droit des années soixante-dix. Je me sentais flatté. Je leur
confiai que le seul but que j’avais pour l’instant, ici, dans le merveilleux village de Frank’s était
d’être témoin de l’éclipse, et que j’allais surement quitter la ville bientôt pour trouver un endroit dans
la forêt. Elle me dit qu’ils connaissaient très bien les montagnes dans le coin, qu’ils voulaient me
montrer un endroit en particulier qu’ils aimaient, avant mon départ. J’acceptai, car j’étais quand
même en voyage pour découvrir les coins intéressants du pays. Je laissai Jym dans la maison, car il
me dit qu’il allait seulement me faire visiter certains endroits, si les montagnes me plaisaient, nous
allions chercher tout ce dont j’avais besoin pour m’installer. Je les trouvai si gentils et serviable.
Nous prîmes la camionnette et nous dirigeâmes vers les montagnes. En route nous discutâmes, car
j’étais curieux de connaître davantage à propos de ces personnes si gentilles. Le couple s’était connu
dans les Rocheuses, à Whistler, Banff ou Jasper. Les deux travaillaient pour les pentes de ski et sont
tombés amoureux, tout simplement ; deux amateurs de plein air ensemble. Un couple dans la
quarantaine sans enfant qui adorait les Rocheuses. Lui était de la magnifique ville de Sherbrooke au
Québec, bien qu’il eût un accent anglophone, il s’exprimait encore avec un français québécois
impeccable. Il était géologue de formation et était dans la bonne région pour y exercer son expertise.
Par contre, il me disait que les emplois manquaient dans la région et que la maison était belle et
rénovée, mais qu’elle leur prit un temps fou à réaliser. Ils prenaient l’argent quand ils en avaient et
que, quand on vit où l’on veut, et avec les gens que l’on aime, l’argent devient secondaire. J’étais
d’accord. Leur simplicité me sautait au visage et j’en étais un heureux témoin.
Puis je profitai de son expertise de géologue pour lui demander ce qui s’était passé pour créer un
éboulement d’une telle ampleur, il y avait environ cent ans. Il me dit que les études avaient déclaré
que le climat, l’érosion, l’eau, la neige, le chaud, le froid, avaient laissé l’air entré dessous une
couche de roche et, au fil des ans, avait fait décoller une étendue de plusieurs kilomètres de
superficie, qui s’était écroulée sur la ville. J’étais content de pouvoir en discuter avec un
professionnel. Je lui demandai alors si c’était possible que ça se reproduise et il m’avoua que tout
était possible. J’eus, pour un instant, le même sentiment que j’avais jadis ressenti à Pompéi en Italie,
où les gens avaient pleuré les ravages de la nature pour se réinstaller exactement au même endroit,
ignorant le message de celle-ci.
Puis arrivés dans les montagnes, nous étions toujours sur une route, mais il immobilisa la camionnette
sur le bord de celle-ci. Il me montra un petit sentier dans les bois que nous empruntâmes ensemble,
puis montâmes une petite colline. Au bout d’un petit chemin qu’il me montra, je tournai la tête, et
réalisai que j’étais au beau milieu d’une des montagnes et que je faisais face à plusieurs montagnes
qui rejoignaient le ciel dans une magnificence indescriptible. Le paysage était littéralement en train
de me couper le souffle alors que j’étais sur le flanc d’une montagne, assez haut, et entouré par les
rocheuses partout autour. Je ne pouvais croire avec mes yeux où j’étais, alors que je n’avais vu ce
genre de paysage qu’au cinéma. Les montagnes s’étendaient à perte de vue sous un merveilleux ciel
bleu qui semblait pointer vers les villages et les routes, maintenant si loin et si petites. Je pouvais
littéralement voir toute la région, tous les endroits où j’avais marché la veille. J’étais époustouflé et
excité. J’étais maintenant certain de pouvoir attendre patiemment l’éclipse, car la vie venait de
m’offrir l’endroit idéal pour l’accueillir à bras ouverts.
Je remerciai mon hôte abondamment, lui confirmant qu’il avait créé une partie de mon histoire en me
montrant cet endroit. Je lui dis que j’allais établir mon campement juste ici. J’étais si content et
fébrile à l’idée d’y passer quelque temps. Nous retournâmes vers la maison, il m’amena à l’épicerie
où j’achetai des légumes et des noix. Il me donna un galon d’eau ainsi qu’un produit pour me
défendre contre les ours, au cas où, puis, accompagné de Jym, il me ramena à cet endroit, qui allait
être ma maison, pour les prochains jours. Avant de partir, il me demanda de respecter la nature et de
ne rien jeter au sol. Aussi, je devais faire attention à ne pas faire de feux ou même allumer une
cigarette, car la région était sèche et déjà vulnérable aux feux de forêt. Je le remerciai encore une
fois, puis il quitta.
J’étais maintenant seul, dans les montagnes, sous le chaud soleil à portée du vent froid qui frappait
assez solidement le flanc de la montagne où je me trouvais. Je n’avais plus les piquets de ma tente, je
décidai alors de prendre tous les crochets élastiques que j’avais à ma portée, soit ceux qui aidaient à
constituer mon gros sac, et accrochai ma tente entre deux arbres, seuls dans l’immensité de la plaine.
J’étais un peu craintif, pour ma tente, ainsi que pour ma nourriture que j’avais accrochée dans un
arbre, dans mon sac étanche, pour être sûr d’avoir un temps de réaction convenable à l’approche d’un
ours. Puis, je me mis à marcher aux alentours, pour seulement apprivoiser les environs. Il ne me fallut
pas une grande distance pour réaliser que j’étais loin dans les montagnes. Même si la route se
trouvait seulement à quelques minutes de l’autre côté, personne ne l’empruntait vraiment. Ma solitude
me réconfortait tant et m’apaisait.
Je m’allumai une cigarette de tabac amérindien et aperçu une roche plate sur le flanc de la montagne
devant l’immensité des Rocheuses et du ciel d’après-midi. Je m’y assis en lotus, méditant quelque
peu, puis, après une heure, j’ouvris les yeux et remarquai des petites particules virevolter dans tous
les sens et partout, comme une fine bruine qui ruisselait, non trop loin, non trop près de moi. Je savais
que ce n’était pas une bruine, mais seulement la réalité qui changeait tout autour de moi, comme si je
pouvais percevoir l’imperceptible. Je me relevai et mangeai. Je réalisai alors que j’étais en retraite
seul et que la scène aurait pu être considérée comme un rêve par certaines personnes. Je me trouvais
chanceux de pouvoir vivre cette expérience qui, sur le coup, me semblait banale, mais soudainement,
était loin de l’être. Plus le temps avançait, plus ma tête et mon cœur s’obstinaient entre trouver
quelque chose à faire et simplement ne rien faire. Je réfléchis alors sur la façon dont l’humain est
élevé, depuis son tout jeune âge, à se sentir obligé d’être occupé, alors qu’il n’y a rien de mal à ne
rien faire. Je pensai alors à la série de choses que je voulais faire ici, seul en montagne. Je voulais
absolument méditer et me préparer pour l’éclipse. Je voulais me reposer, écrire, manger, me
promener un peu et j’avais un petit livre de pensée positive que je pouvais lire au cas où. Aussi, je
voulais au moins y passer trois jours.
Pour me préparer à l’éclipse, j’avais bien aimé une roche plate qui semblait être un endroit propice à
accueillir la manifestation de ces astres. Je pris le temps, alors, de ramasser toutes les roches,
brunâtres avec une petite teinte de rouge, aux alentours et de former un cercle autour de la grosse
roche de méditation. Car l’énergie pourrait mieux circuler, entre la terre, l’air, les astres, et être, en
quelque sorte, emprisonnée à l’intérieur de ma construction circulaire. C’était un peu ésotérique de
penser à cela, mais en contrepartie, pourquoi pas ? Car le rituel en soi est tout aussi important que la
croyance.
Ensuite, j’allai me reposer tentant d’écrire dans ma tente, mais je m’endormis aussitôt. Après ma
sieste, je me réveillai, alors que le soleil se couchait sur la vue merveilleuse de la région et des
montagnes qui me regardaient. Je lui souhaitai donc une bonne nuit, mais aussi, je lui rappelai que
nous avions un rendez-vous, lui, moi et la lune, au lendemain matin. Je restai alors silencieux et
contemplatif, tout au long du coucher de soleil, bien que le vent m’obligeât à porter quatre couches de
vêtements et que la noirceur pouvait faire peur ; un peu. Je voulais vivre cette expérience et je le
faisais à ma façon. Puis, même si j’avais déjà dormi quelques heures plus tôt, je retournai me coucher
et m’endormit, encore une fois, aussitôt.

21 août 2017

Je me levai au lendemain matin, j’avais encore un peu mal à la tête, mes lèvres étaient sèches et je me
sentais un peu faible, malgré que je crusse que l’expérience allait m’énergiser. J’étais tout de même
fébrile et excité à la fois de pouvoir ressentir l’éclipse. Alors que beaucoup de gens voulaient la
voir, et même si le phénomène est impressionnant, je croyais de mon côté qu’il était plus intéressant
de la sentir, mais aussi, de réfléchir à la puissance de l’événement et à la relation que nous avons
avec ces astres : la lune, le soleil et bien sûr la planète Terre. Car, la majorité des anciennes
croyances de ce monde portent une attention particulière sur ce genre d’événement qui est loin d’être
anodin. Sans parler qu’on peut facilement trouver des allusions à l’astrologie dans chacune de celles-
ci. J’allai alors sur cette roche que j’avais disposée à ma façon, la veille, puis j’y fermai les yeux. Je
réfléchis :
La planète Terre, tout d’abord, est tout simplement notre mère ; Mère-Nature. C’est elle qui aide à la
création de notre corps dans cette dimension, celle qui nous nourrit et celle qui nous donne tout ce
dont nous avons besoin pour vivre. Elle est notre maison et nous accueille chaleureusement depuis
des millénaires. Elle est donc, à la fois, notre passé, notre présent et notre futur. Elle est simplement
tout pour nous. Sans développer davantage sur le sujet, je ne comprendrai jamais comment l’humanité
peut lui manquer autant de respect alors, qu’en toute humilité, elle reste constante à tout nous donner,
à nous aimer, même si des fois, elle perd son sang-froid, comme une maman qui veut tout donner à
ses enfants, même s’ils sont irrespectueux, sachant très bien que ce n’est qu’une question de temps
difficiles, mais qui porte une attention particulière à notre évolution, suivant des règles de conduite
prédéfinies. Pour une éclipse solaire, elle n’est que spectatrice. Elle se place en alignement parfait
avec les autres astres, puis nous amène dans les meilleures loges et nous pointe l’existence de Dieu ;
l’univers qui continuera à faire des miracles pour l’éternité, afin que nous puissions apprendre de lui,
grandir, évoluer, et finalement le rejoindre. Car elle ne sait que trop bien que nous ne sommes que de
passage dans sa réalité.
Si la planète est notre mère, le soleil est bien entendu notre père. Il nous surveille de loin, nous
réchauffe et nous énergise. Il fournit l’hydrogène et l’oxygène nécessaire à la terre, qui nous la
redistribue par la suite, nous permettant de respirer, de boire et de vivre. Il est la source du système
d’évolution de cette planète. Il nourrit les plantes qui créent l’oxygène et qui servent aussi de
nourriture. Donc, si nous l’oublions, nous oublions notre propre essence. Nous oublions la quantité
presque infinie de photons que nous recevons quotidiennement et qui sert à créer tout ce qui existe.
De plus, il est si puissant qu’il le fait pour beaucoup d’autres planètes, car c’est lui qui régit tous les
autres mondes du système solaire. Il est une étoile ; un far dans l’immensité de l’univers qui, non
seulement marque notre emplacement physique à l’intérieur de Dieu, mais qui nous laisse aussi
compter sur lui pour définir nos balises à travers la complexité du temps. Il est celui qui rapporte le
pain à la maison et celui qui nous surveille pour s’assurer que tout se déroule dans l’ordre.
Heureusement, il est impossible encore aujourd’hui de le maltraiter comme nous le faisons avec sa
douce femme, la Terre. Mais, l’oublier, la haïr pour sa force, mais ne pas reconnaître sa puissance,
son implication et ensuite tenter d’imiter son travail avec quelconques technologies est une insulte en
soi. Car, si c’est la responsabilité de la Terre de nous aider à évoluer, c’est par la force du soleil que
nous le ferons.
La lune, quant à elle, est l’élément de notre réalité la plus mystérieuse qui soit. Nous savons
maintenant qu’elle n’est pas grise heureusement, ce qui montre qu’elle a quand même une
personnalité cachée. Elle est associée, par beaucoup de mythologies, à des éléments hautement
ésotériques. Il faut avouer que son rapport avec le soleil est quelque peu mystérieux, mais que ce
n’est que la pointe de l’iceberg. Elle est peut-être simplement le côté sombre de nous-même, notre
antithèse. Certaines mythologies racontent même que la lune n’a pas toujours été là… De plus,
certaines fonctions de celle-ci nous prouvent, hors de tout doute, que nous ne connaissons rien à
propos d’elle. Par exemple, la lune, après quelques examens, semble vide et résonne comme une
cloche quand on la cogne. Elle est aussi le seul astre qui est en quelque sorte verrouillé sur un axe
définit avec la terre dans un synchronisme si précis entre sa rotation et sa révolution, qu’en tournant
autour de la planète, elle ne dévoile que toujours la même facette d’elle-même, laissant complètement
inconnu son autre visage. Elle est si bien placée par rapport au soleil et à la terre, que quand les
astres sont alignés, la lune, la Terre et le soleil sont précisément à la bonne distance, les uns des
autres, pour que le soleil et la lune se superposent parfaitement ; nous les voyons alors exactement de
la même taille. Ici, j’aime mieux croire en l’intelligence de l’univers qu’en une série miraculeuse de
coïncidences, car le calcul se doit d’être trop précis. De toute façon, la vie fait si bien les choses que
les coïncidences sont seulement la preuve de l’intelligence de Dieu, et la lune, seulement par le fait
d’exister, le prouve très bien. Il est alors difficile de ne pas respecter la lune : les différents stades de
réflexions du soleil et d’ombrage de la terre sur elle peuvent complètement changer notre réalité. Elle
influence nos étendues d’eau, soit soixante-quinze pour cent de la planète, mais aussi nos émotions,
car nous sommes majoritairement constitués d’eau, nous aussi.
Il est donc difficile d’ignorer indépendamment ces trois astres. Alors, une fois toutes les quelques
années, ces astres se rassemblent, dans certains ciels, pour nous livrer un message sur le déroulement
des événements ; sur nous-mêmes. Pour moi, regarder une boule passer devant une autre, dans notre
ciel, n’était pas assez. Ces boules, si on se concentre pour les regarder peuvent affecter gravement
notre rétine et nous apprendre qu’il nous faut seulement les respecter et les écouter, car leur message
est plus important que le spectacle. Bien que l’éclipse ne fasse aucun son, c’est avec le cœur qu’on
peut l’entendre et reconnaître notre place et notre rôle dans l’univers, car l’univers réside aussi au
fond de chacun de nous. Car l’univers est Dieu et nous envoie des messages précis.
J’ouvris les yeux, car je réfléchissais depuis presque deux heures maintenant, sur tout ceci. Je sentais
l’énergie couler de plus en plus en moi. Je n’étais pas certain si l’éclipse allait se produire à dix ou
onze heures, car les sources auxquelles je m’étais informé m’avaient confus avec le décalage horaire.
Alors que j’ouvris les yeux, tout était orange autour de moi: Les montagnes au loin, les champs qui
m’entouraient et même l’herbe sous mes pieds. Je me sentais très excité par le moment. Je me levai et
marchai jusqu’à ma tente pour aller boire un peu d’eau et revins. Lors de cette marche, ne comportant
que quelques enjambées, je me sentais si plein d’énergie que c’était comme si j’étais affecté par une
substance quelconque. Je me sentais si heureux, si confiant, si fort, si petit, et si insignifiant dans un
cosmos si grand, au sein duquel je faisais partie, lequel faisait aussi et intégralement partie de mon
être. Je souriais gaiement, je sentais que je pouvais littéralement tout faire, je sentais que je pouvais
littéralement voler. Tout était orange autour, et je sentais que le début de cette éclipse affectait mon
corps, ma tête et mon esprit, alors que je vivais le rêve, seul sur la pointe des Rocheuses. J’allai me
rasseoir sur la roche et je fermai les yeux une seconde fois, canalisant l’énergie que je ne voulais
laisser partir.
Quelques minutes plus tard, j’ouvris encore les yeux, et toutes les couleurs avaient retrouvé leur vraie
nature. Tout était revenu à la normale. Pour être honnête, je fus tout de suite déçu que l’expérience fût
déjà terminée. Je croyais que j’étais assez près d’où l’éclipse était complètement visible, que j’allais
vivre quelque chose d’extraordinaire, alors que la seule différence que j’avais vue était une faible
teinte orangée autour de moi. Mon énergie était déjà rendue à plat et, peut-être que mes attentes
étaient trop élevées, mais je croyais peut-être en quelque chose de plus grand. Puis je pensai à mon
entourage au Québec. Si, de mon côté, les preuves de l’éclipse avaient été si faibles, de l’autre côté
du pays, on n’aurait surement rien dû ne voir.
Je continuai quand même à réfléchir sur la façon dont je m’étais senti quand tout était orange et je me
disais qu’après le genre de « high » que j’avais ressenti, il était normal de sentir, par la suite, une
décompensation qui pouvait m’amener un sentiment de dépression. Je devais garder "focus". La
meilleure façon d’équilibrer mon énergie, alors, pour moi, était de bouger un peu, car si mon temple
était éveillé, mon énergie allait s’équilibrer. Je me mis à marcher, laissant Jym seul en montagne,
descendant l’altitude d’où j’étais pour me rendre à un petit magasin pour charger mon téléphone et me
promener un peu. De plus, je commençai à réfléchir à propos de l’énergie de l’endroit en général.
Car, il est important de tout prendre en considération, même ce qui frise l’univers de l’impossible. Je
me disais qu’un événement meurtrier, comme celui que la ville avait vécu, était quelque chose qui
pouvait créer une négativité dans l’éther de l’endroit, mais par la façon à laquelle l’administration de
la ville ainsi que ses habitants gardaient cette tragédie en vie, entre autres à des fins marketings,
j’avais l’impression que la négativité de l’endroit était restée emprisonnée dans l’atmosphère et
qu’on pouvait la ressentir à chaque instant.
J’arrivai au magasin environ quarante minutes plus tard. Je m’avouai que sans Jym, l’exercice était
beaucoup plus facile à exécuter. Puis, après quelque temps, je décidai de remonter la montagne.
Alors que la décente fut, du moins, anodine, la montée fut brutale. D’un sens où, si j’avais eu mon sac
avec moi, j’aurais douté de mes capacités. Je revins vers ma tente, rien n’avait bougé. J’étais loin
dans les montagnes et je craignais davantage la présence d’un ours que d’un être humain. Mes jambes
étaient endolories par l’ascension, l’énergie se faisait lourde alors que j’avais accumulé puis relâché
une énorme source d’énergie en si peu de temps. J’entrai dans ma tente, bus un peu d’eau et
m’endormis sur-le-champ.
Je me réveillai en après-midi, je mangeai un peu, puis je pris un petit livre de pensées pour aller
m’adosser à une roche. Je voulais prendre le temps de contempler le paysage, et de respirer
profondément, ce que je fis pour le reste de la journée, écrivant, ici et là, lisant à d’autres moments,
mais surtout, remerciant la nature, chaque fois que mon regard croisait celui des montagnes. Puis,
poursuivant ma relation avec le soleil, j’attendis qu’il se couche derrière les montagnes, après son
spectacle de fin de soirée quotidien. J’allai me coucher dans ma tente, sachant déjà que le lendemain
allait être, encore une fois, un nouveau départ.

22 août 2017

MMMMEEEEEUUUUUUHHHH ! ! ! ! ! ! !

Je me réveillai en sursaut quand un bruit résonna puissamment à seulement un ou deux mètres de moi.
Je fus très surpris, bien qu’après quelques instants, la peur du moment fut remplacée par une
excitation face à la spécificité de ce qui se produisait juste à l’extérieur de la tente. Eva me dit
aussitôt que tout allait bien aller. J’entendis encore le même bruit, à quelques pas de moi. Puis,
sensiblement le même son bien plus loin, puis encore, à plusieurs reprises. J’étais maintenant sûr
qu’il y avait quelques bêtes de pâturages près de moi. Bien que je dusse faire attention, j’étais rempli
de béatitude et d’excitation face à cette situation qui sortait de l’ordinaire.
Toujours sous les cris de quelques bêtes autour de ma maison de toile, j’ouvris premièrement la
fenêtre-avant de ma tente pour apercevoir le magnifique lever de soleil, mais aussi quelques vaches
plus loin. À cette vue, je sentais que mon esprit était très proche de celui de la nature. J’ouvris la
fenêtre arrière de ma tente, maintenant, qui donnait tout droit sur les arbres auxquels mon abri était
fixé. Je fus, pour quelques secondes, sous le choc d’entrevoir une grosse tête de vache, entre les deux
arbres, à seulement quelques centimètres de moi, qui me fixait et qui semblait avoir autant de
questionnements à propos de ma présence, que moi à propos de la sienne. La bête était vraiment près
de moi, et semblait me communiquer passivement que nous pouvions cohabiter paisiblement, tant que
je la laissais déjeuner en paix. Je compris le message.
Eva me conseilla alors de sortir pour aller les voir tout en étant sur mes gardes. Je sortis et grimpa
une moyenne roche pour avoir une meilleure perspective de la situation. Je me mis à rire subitement
seul avec moi-même. Il y avait entre vingt et trente vaches, partout autour de moi, qui criaient et qui
mangeaient. Je sentais que je faisais vraiment parti de la nature. Je regardai une de ces créatures, tout
près de moi, et me disait que je voulais aller la rejoindre, lui parler, la toucher, mais dans quel but ?
J’étais dans leur maison, et non le contraire. Alors que j’étais quand même sur le point de le faire,
Eva attira mon attention sur une vache plus loin. En fait, la seule chose qui la différenciait des autres
était qu’à la place des pis, elle avait des testicules qui pendaient vivement. Comme j’avais respecté
le serpent quelques jours auparavant, je pris la décision de respecter la passivité du spectacle de la
nature qui s’offrait à moi et d’attendre que le troupeau passe tranquillement, tout en criant haut et fort
leur liberté dans les montagnes.
J’attendis alors que le troupeau passe pour quelques dizaines de minutes. À un moment, je ne les
voyais presque plus, sauf une ou deux retardataires qui continuaient à crier lentement mais
surement « Attendez-nous, on arrive ». Toujours le sourire aux lèvres, j’avais bu peut-être quatre
litres d’eau en deux jours et je me sentais déshydraté. J’avais les lèvres sèches et gercées, j'avais mal
à la tête et je me sentais faible. Il était temps de partir. Je pris tout mon temps pour tout redonner mon
matériel à Jym convenablement. Eva, Jym et moi étions si contents et fiers, que plus le voyage
avançait, et plus nous étions bien organisés. Il y avait une méthode pour tout faire, et je la connaissais
de plus en plus. Puis, mon sac sur le dos, je descendis la montagne, certain de ne pas la remonter à
pied, mais surtout, prêt à partir vers ma prochaine destination qui m’était alors, et pour la première
fois depuis mon départ, inconnue.
Pour me remonter le moral et me donner de l’énergie, après cette purge que j’avais expérimentée,
j’allais au restaurant que j’avais connu et me paya un bon déjeuner. Par la suite, j’allai rejoindre ce
couple qui m’avait tant aidé et leur redonnai les objets qu’ils m’avaient prêtés. Je les remerciai,
encore une fois, d’avoir fait partie de mon expérience et d’avoir guidé mon aventure. Après un court
moment, je repartis vers la route pour y lever le pouce, alors que l’après-midi était tout juste
entamée.
J’attendis environ quinze minutes avant qu’une petite voiture ne s’arrête. Une femme conduisait le
véhicule et me dit d’embarquer. Elle était jeune, jolie et déterminée. Elle me dit qu’elle venait de la
région et qu’elle était de passage pour voir la famille, car elle habitait maintenant aux États-Unis.
Elle était une jeune entrepreneure de l’industrie de la restauration qui avait tout quitté pour créer son
destin. Elle avait voyagé avec un sac à dos, tout comme moi, et même levé le pouce à quelques
occasions. Nous nous ressemblions beaucoup. Puis, de fil en aiguille, nous parlions de destin, pour
ensuite parler d’énergie, de spiritualité, d’amour, d’union et même de réincarnation. En seulement
trente minutes, nous réalisâmes que nous avions beaucoup en commun et que nos systèmes de
croyances se ressemblaient. J’étais surpris et satisfait de continuer à attirer le genre de personne que
j’avais besoin de rencontrer pour me prouver que beaucoup de gens sont ouverts à l’amour et à
connecter d’un inconnu à l’autre. J’avais surtout l’impression que chaque rencontre avait un sens bien
défini et qu’il y avait beaucoup plus de bonnes personnes sur mon chemin que le contraire.
Elle me dit qu’elle devait arrêter à Fernie, qui était tout près, et qu’elle allait m’y déposer. Enfin
arrivée, elle me fit faire un court tour des environs pour me demander où je voulais y débarquer.
J’étais fier d’être officiellement en Colombie-Britannique, alors qu’elle me confia qu’à partir d’ici,
il y avait beaucoup de voyageurs et que les gens étaient très habitués à mon mode de vie, ce qui
rendait la ville vivante. Nous échangeâmes nos coordonnées, nous nous dîmes que nous nous aimions,
puis nous nous quittâmes.

Je me dirigeai alors à l’épicerie de la ville pour y acheter quelque chose à manger. En sortant de
l’établissement, je croisai un groupe de quatre personnes avec des « backpack », tout comme moi.
Instinctivement, je les saluai en français et ils répondirent en français. Ils étaient quatre Français
européens qui avaient décidé de parcourir le Canada en autostop, tout comme moi. Nous
n’échangeâmes que quelques minutes, puis, bien que la rencontre fût agréable, je repris la route, pour
faire le tour de la ville. Il était quand même assez tôt et je pouvais continuer à avancer vers l’inconnu,
mais je sentais l’énergie de la ville si différente que celle qui y régnait que quelques dizaines de
minutes auparavant, que je décidai de rester et de profiter de la merveilleuse ville de Fernie pour la
journée. Après tout, le temps était de mon côté et je m’y sentais bien.
Je me dirigeai vers un petit parc, sous un arbre pour y méditer un peu avant de manger. Après
quelques dizaines de minutes, j’ouvris les yeux et une grande plume se trouvait droit devant moi.
Cette histoire de plumes qui me guidaient partout commençait grandement à m’intriguer, car je me
sentais interpellé par celles-ci. Elles semblaient à la fois anodines, mais remplies de sens. Bien qu’il
y eût des oiseaux partout, j’avais l’impression de les trouver chaque fois que je ne les cherchais pas.
Je pris mon téléphone et décidai d’en parler à ma mère qui était à l’autre bout de la toile. Elle
semblait fébrile. Elle me confia que quand mon grand-père décéda, elle lui demanda un signe de l’au-
delà, pour savoir s’il était toujours bien et s’il veillait sur nous. Puis une plume était tombée tout près
d’elle. À cet instant, peut-être n’était-ce que des coïncidences, mais ma mère avait ressenti que
c’était le signe qu’elle espérait tant. Voilà, j’étais maintenant fébrile et émotif à mon tour. Nous
échangeâmes quelques mots, puis nous rompîmes la conversation assez rapidement. Que ce soit mon
grand-père, un guide, Eva peut-être, la nature, ou même des coïncidences insensées, ces plumes
m’étaient destinées. Peut-être n’était-ce seulement qu’un message pour me confirmer que tout allait
bien aller.
Après avoir fait le tour de la ville, j’entrai dans un musée. Bien que je ne veuille pas payer pour y
entrer, je m’adressai à la jeune femme qui tenait le kiosque pour quelques informations. Elle répondit
à mes questions et me donna une carte des environs. Puis, je me dirigeai vers un bar, tout près, pour y
déguster une bière, comme à l’habitude.
Tout en relaxant, assis au bar, les barmans me parlaient pour connaître mon histoire. Ils étaient très
sympathiques. Ensuite, je leur demandai conseil à savoir où je pouvais dormir. Après avoir fait le
tour des options payantes, je leur demandai s’ils connaissaient des endroits où je pouvais dormir
gratuitement. Ils m’indiquèrent, alors, des sentiers où je pouvais entrer dans un boisé et que, la nuit
tombée, j’allais y trouver un calme paisible. J’étais très content du conseil. Ils me dessinèrent même
le chemin à emprunter sur la carte que j’avais en ma possession. L’un d’eux avait une blessure au
bras. Je lui demandai instinctivement si c’était le stress d’un travail en restauration qui l’avait blessé.
Il me répondit qu’il ne savait pas trop, mais que son épaule se disloquait facilement depuis un temps.
Eva lui dit alors de respirer par le ventre, le plus possible, de cette façon, le stress allait partir et son
bras pouvait se détendre. Il écouta mon conseil, sans que je ne sache trop s’il me prenait au sérieux.
Puis, je finis ma bière et partis. J’allai visiter les sentiers et y faire le tour du boisé.
Le sentier ressemblait plutôt à une route tellement qu’il était grand, ouvert et près des maisons et de
la ville. Une multitude de gens y passaient à pied, avec des animaux et en vélo. Je remarquai alors
que c’était un parc assez populaire. À ma gauche, un peu plus bas, se trouvait une magnifique plage
de roche transpercée par une petite rivière qui coulait doucement sous la surveillance de grands
arbres. J’y arrêtai pour me laver les mains, les pieds et relaxer un peu. Je remontai sur le chemin
pour pouvoir finalement trouver un endroit discret où dormir. Jym commençait à me peser sur les
épaules, et la fatigue commençait à influencer mon jugement. Pendant une courte seconde, il n’y avait
personne aux alentours, alors que l’après-midi laissait tranquillement place à la soirée. Je me
précipitai donc vers un fossé, de l’autre côté de la route, car celle-ci était quelque peu surélevée par
rapport au niveau de la terre et de la végétation. Une fois le fossé passé, j’étais au beau milieu d’un
minuscule boisé. Je marchai peut-être une centaine de mètres, enjambai des racines, contournai des
arbres, puis, même si la cachette était menue, l’élévation de la route et la densité de la forêt
pouvaient m’assurer une certaine discrétion, même si la route formait un anneau autour de ma
cachette. Sans trop faire de bruit, j’établis mon campement et demandai à Jym d’aller dormir dans la
tente. Puis, une fois que j’y étais installé, je fumai une cigarette, et soudain je ressentis que
l’opportunité était adéquate pour tenter une nouvelle expérience. Je pris l’une des petites feuilles
d’acides que la jolie Américaine rousse m’avait données, la déposai sur ma langue, et allai rejoindre
la rivière.
Chapitre 11
Acid trip on Fernie’s river

J’étais assis tout près de cette merveilleuse rivière et je venais d’avaler ce petit morceau de carton
que ma coéquipière temporaire m’avait si gentiment donné seulement quelques jours auparavant. Ma
tente était cachée à environ deux cent mètres d’où je me situais et j’avais la certitude que, malgré que
ce soit la première fois que j’essayais cette substance, tout allait bien se dérouler, que personne
n’allait trouver Jym qui dormait soigneusement dans celle-ci. De toute façon, chaque fois que je
laissais mon matériel au loin, je devais continuellement me répéter que je ne possédais vraiment rien
de valeur dans mon sac qui m’était paradoxalement si précieux, si essentiel au fonctionnement de
chacune de mes journées.
Je regardais l’eau de la rivière de la paisible ville de Fernie couler. Le mouvement sacré de celle-ci
devenait de plus en plus plaisant à expérimenter. Puis, j’aperçus les arbres qui me regardaient à leur
tour. Je ressentais l’air glisser doucement sur mon visage, me chatouillant les joues et le bout du nez.
Je ressentais, au creux de mes joues, l’effet de l’hallucinogène s’emparer de plus en plus de mon
corps, comme si mon âme commençait à vibrer plus légèrement ; non pas d’une façon désagréable,
mais plutôt comme si ma lumière intérieure s’excitait et dansait à l’idée de cette porte mystique qui
s’ouvrait devant elle, plus béante qu’à l’habitude. Je fermai les yeux pour expérimenter l’énergie qui
coulait à travers moi et ma propre énergie qui semblait ne vouloir faire qu’un avec l’univers. Je me
sentais comme après une longue et puissante méditation, mais, seulement, je n’avais encore rien fait.
C’était si puissante et si facile à y accéder que ça frisait le miracle. Je me sentais changé, en pleine
transformation, mais comme si être à l’extérieur de ma zone de confort était devenu quotidien, je
savais que la peur était vaine et que rien ne pouvait vraiment m’arriver de dramatique ; non pas parce
que je lutterais contre la nature sauvage, mais plutôt parce qu’Eva me chuchota que la nature
m’écoutait et me protégerais si je croyais en elle et si je lui faisais confiance. J’étais bien, j’étais zen,
et je ne sentais mon esprit évoluer à travers une porte qui ne cessait de grandir.
J’ouvris les yeux après un moment et j’aperçus des particules, que j’associerais à l’énergie,
virevolter dans tous les sens, les mêmes que j’avais vu après quelques méditations transcendantales,
quelques jours auparavant, sous l’éclipse, dans les montagnes. Je les voyais plus claires que jamais
et il n’y avait maintenant aucun espace dans mon champ de vision, même périphérique, qui n’était pas
conducteur de ces particules qui volaient littéralement dans tous les sens et qui tourbillonnaient
autour de tout ce qui était. C’était comme une bruine très fine, immatérielle, qui vibrait et qui tenait
ensemble tout ce qui existait. J’étais ravi et surpris, à la fois, de réaliser que j’avais déjà aperçu ce
phénomène, quelques jours plus tôt, sans l’aide d’une drogue, hormis celles que mon corps produit
normalement après une puissante méditation. Je me concentrais sur les particules les plus flagrantes ;
celles qui tournoyaient autour des arbres l’autre côté de cette petite rivière. Certains arbres
s’élevaient plus haut que les autres, comme s’ils me regardaient. À priori, je pensai qu’ils me
jugeaient, alors que j’eus le sentiment intérieur que je me trompais et que ces arbres me surveillaient
pour me protéger. Et plus je les fixais, plus je me concentrais à les regarder, et plus les formes qui
constituaient le paysage se transformaient en « Pattern » qui se subdivisaient de plus en plus dans la
même géométrie, de l’infiniment grand à l’infiniment petit. Comme si l’univers me montrait sur quel
modèle, si répétitif, il était construit.
Plus je me concentrais et plus chaque petite parcelle du paysage se subdivisait sous un modèle qui
continuait à se répéter sans cesse. Même la rivière, qui était tout simplement d’une autre couleur à ce
point, répétait la même géométrie qui m’impressionnait grandement. Puis, à ma volonté, j’arrêtai
subitement de me concentrer, et tout redevint quasi-normal, sauf pour les particules éthériques que je
voyais toujours danser partout. J’étais si content d’être en équilibre sur une balance qui, d’un côté,
pesait le contrôle de moi-même, et de l’autre, l’effet tant escompté de l’hallucinogène que je voulais
expérimenter. Puis, je me concentrai à nouveau sur les arbres et tout le sens de l’univers
réapparaissait à ma demande, comme si je passais et revenais à travers une porte spirituelle qui
restait ouverte. Ce n’était que le début, il était vingt heures et je savais que les sept prochaines heures
allaient être remplies de surprises. Seul dans la forêt de Fernie, je ne pouvais m’empêcher de sourire
si durement et si fortement que mes muscles faciaux criaient en permanence. Sous la douceur
chaleureuse d’un magnifique coucher de soleil, écoutant la comptine réconfortante de la rivière qui
coulait tout près de mes tympans, j’appréhendais presque avec un sentiment d’impatience le spectacle
d’étoiles qui se préparait en coulisse ; juste après la première partie que le soleil était en train de
m’offrir.
Le spectacle était magnifique, mais je fus déconcentré, cette fois-ci, par le froid de la nuit qui
s’approchait. Rien n’était désagréable ni dangereux, mais Eva me conseilla fortement d’aller voir
Jym pour lui demander mon sleeping bag, pour poursuivre confortablement mon périple près de la
rivière. Et si je devais le faire, ce devait être maintenant, car les rayons du soleil étaient encore assez
présents pour me guider jusqu’à ma tente. Je me levai rapidement, le sourire fendu jusqu’aux oreilles,
incapable de le contenir, je gravis la petite butte qui me séparait du chemin principal, continuai mon
chemin, pour aller de l’autre côté de la route, dans les bois. Je passai dans un petit chemin où les
arbres formaient une arche infinie au-dessus de ma tête. Je contournai quelques arbres, quelques
racines, quelques troncs et j’arrivai enfin à ma tente qui était toujours intacte. Je savais que, plus tard,
il arriverait un moment où je devrais refaire ce bout de chemin dans l’obscurité, mais j’aimais mieux
ne pas y réfléchir pour l’instant. Je demandai à Jym de me donner mon sac de couchage, mon oreiller
et deux gros chandails pour être sûr de ne pas revenir, encore, pour la même raison. Puis, je revins
aussitôt, au même endroit près de la rivière. Je vidai toutes mes poches dans un le fond de l'un de mes
chandails, placé en balluchons, pour être sûr de ne rien perdre et de ne rien briser.
J’avais maintenant tout ce qu’il me fallait pour être si confortable auprès de la rivière de Fernie qui
criait sa tranquillité sous un coucher de soleil éblouissant. Toujours souriant, je pris le temps de
remercier l’univers créateur de m’avoir lancé dans cette aventure où je contemplais, j’expérimentais
et j’apprenais à tous les jours. Je le remerciais pour être ici et maintenant, devant ce paysage
grandiose et j’appréciais, depuis l’endroit au plus profond de mon cœur, chaque moment merveilleux
comme celui auquel je touchais à l’instant. J’apercevais les premières étoiles au loin et mes
réflexions, tout en voyant les "patterns" visuels se transformer devant moi, se portaient sur le sens de
l’existence en soi : Que sommes-nous ? Pourquoi sommes-nous, etc. Beaucoup de religions mettent
l’énergie vitale et spirituelle en avant-plan. Par exemple, les philosophies de l’Est comme le
bouddhisme et le shaolin approchent cette énergie en la nommant le « Chi ». C’est aussi sur cette
même énergie que nous nous concentrons en méditant. L’hindouisme l’appelle : le Prana, ou par sa
culture, le Kundhalini : l’énergie de l’âme et la conscience pour d’autres.
Sur le coup, dans l’état où j’étais, je sentis que ma réflexion passait à la prochaine étape. Je ne
réfléchissais plus, c’était comme si je téléchargeais l’information qui ne se développait plus à
l’intérieur de mes capacités psychologiques, mais comme si de nouvelles idées apparaissaient
d’elles-mêmes. Je sentais que toutes cette information n’était ni générée par mon cerveau ou par ma
lumière. Mon corps ne faisait que recevoir l’enseignement que mon troisième œil écoutait
attentivement et je réfléchissais :
La première leçon concernait l’énergie ou le « chi » en soi, comment remarquer et comment
l’agripper, si on peut vraiment le faire. Habituellement quand je méditais, je me concentrais en tout
premier lieu sur mes Chakras, ces portes d’énergies, différentes, construites tout au long de notre
corps, tout au long de notre colonne vertébrale. Il y a donc sept chakras qui représentent sept facettes
de notre énergie qu’on doit, au moins, réaliser. Ces chakras ne sont que les portes de l’autoroute
énergétique de notre corps et de notre âme. Ce que je n’avais pas réalisé, avant cette soirée, est que
bien qu’il soit impératif que l’autoroute soit droite et ouverte d’un bout à l’autre pour s’assurer que
l’énergie coule bien, il faut savoir que le véhicule ou l’énergie en soi, ou le « chi », est plus
important que la route qu’il emprunte. Pour mes futures méditations, une fois mon autoroute nettoyée,
je devais alors me concentrer davantage sur mon « chi » que sur la façon dont mon énergie circule à
l’intérieur de mes chakras, et faire confiance à ma propre âme.
Je restai surpris, d’apprendre par un procédé qui allait invraisemblablement plus loin que la simple
réflexion. J’étais aussi surpris de n’y avoir jamais pensé auparavant. C’est ce qui différenciait
l’expérience que je vivais d’une simple réflexion, car je n’avais aucun doute face à la véracité de
l’information qui se confirmait, par elle-même, en entrant dans mon être. Je me sentais comme la
première fois que j’ai pu rencontrer Eva et discuter avec elle, à l’aide de quelques champignons
magiques. Je lui demandai alors si c’était elle qui m’aidait à apprendre. Elle me répondit aussitôt
qu’elle n’y était pour rien. Elle n’était qu’une guide ; qu’une amie qui avait pour but de me guider par
mon intuition. Elle me dit que c’était futile et inutile d’essayer de comprendre comment mon
expérience se passait, et que le message était plus important que le professeur. Je me reconnectai
aussitôt à celui-ci :
Le « chi » était donc cette énergie de vie qui coule en nous. Cette énergie de vie est si puissante,
qu’elle constitue tout ce que l’on peut connaître dans l’univers, que si l’on réduit l’univers à sa plus
petite expression, l’univers est le « chi » qui s’exprime sous une infinité de fréquences et de
vibrations différentes et divines. Alors, l’énergie qui nous constitue est la même qui constitue tout
l’univers. Donc, par le fait même, cette énergie crée la réalité telle qu’on la connait. Et c’est ce qui
explique pourquoi nous ne faisons qu’un dans un tout cosmique ; de la plus petite particule éthérique
qui nous constitue jusqu’à l’infinité de l’univers.
Nous sommes l’univers et l’univers est nous, par notre énergie. Alors que chaque personne est
différente et unique au niveau terrestre, et malgré que l’on partage la même et unique énergie ;
uniforme à travers l’existence, notre façon d’évoluer ne serait que de calibrer nos vibrations pour
synchroniser nos fréquences individuelles avec l’énergie créatrice originelle ; Dieu en d’autres mots,
aussi pure soit-elle. Ici, je ne dis pas nécessairement d’abandonner sa personnalité, car la beauté
d’un peuple se voit par toutes ses nuances. Mais plutôt d’abandonner son ego ; cette facette qui crée
une séparation entre l’homme et son prochain, en apprenant, en expérimentant, en étant la meilleure
personne et la plus positive pour soi-même et pour les autres.
J’étais tout simplement content de confirmer ces informations qui me semblaient si importantes. Je
réfléchissais alors sur moi-même. J’avais beaucoup appris la théorie du sujet, depuis quelques mois,
avec mes intérêts ésotériques, mais j’étais bel et bien en train d’expérimenter. J’essayais déjà de
donner le meilleur de moi-même, pour les autres et pour moi. Mais l’exercice est toujours difficile à
faire et à mettre en pratique à tout moment de la journée. Une bonne façon d’y arriver serait, entres
autres, la méditation qui permet de réajuster certaines vibrations qui pourraient laisser place à une
perte de contrôle. C’est en contrôlant nos différentes vibrations, surtout par la respiration, que l’on
peut littéralement commencer à créer des miracles pour nous et pour les autres.
Tout ce qui nous différencie, au niveau caractériel, alors, n’est seulement que certaines vibrations à
l’intérieur de nous, qui nous font réagir impulsivement ici et là, car nous comptons sur notre
environnement pour régler ces vibrations divergentes, au lieu de ne compter que sur nous-mêmes. Et
quand nous perdons le contrôle, nous adonnant à des vibrations plus basses, la souffrance peut
arriver, pour les autres et pour nous-mêmes, car comme nous sommes tous connectés par cette
énergie, nous pouvons tous également nous la transmettre. Et c’est de cette façon qu’on évolue. Rien
ou personne n’est alors meilleur que l’autre. Tout est simplement une question de vibrations, et le but
de notre évolution est simplement d’accorder nos fréquences avec l’univers, avec la planète, avec
nous-mêmes et avec les autres pour atteindre une harmonie, comme l’agencement de plusieurs notes
d’une gamme qui créent un son encore plus puissant quand elles sont réunies toutes ensemble. Aussi,
paradoxalement, quand les vibrations des autres clochent pour nous, c’est que nous reconnaissons ces
mêmes distorsions à l’intérieur de nous-même, sans le réaliser, et c’est ce qui nous chicote au plus
profond de nous. D’un autre côté, si nous avons des problèmes avec quelqu’un, il est beaucoup plus
facile de comprendre que nos vibrations ne sont simplement pas à la même fréquence et qu’en les
ajustant, nous pouvons aider l’autre à ajuster les siennes. Car si notre énergie collective est co-
créatrice de notre réalité, ce n’est que tous ensemble, en ajustant nos vibrations, que notre évolution
prendra place.
Je me déconcentrai un peu, laissant mon cerveau assimiler toute l’information. C’était beaucoup à
penser en même temps. J’avais l’impression d’être dans un cours magistral où j’étais le seul étudiant,
que j’apprenais directement des étoiles et qu’elles me donnaient un spectacle extraordinaire. Je
voyais les étoiles qui se connectaient les unes avec les autres pour créer des formes, des symboles
inconnus dans le ciel, pour projeter l’information directement au centre de mon cerveau. J’étais tout
de même tellement connecté à mon énergie, que je pouvais contrôler les effets de la drogue qui
coulait à travers mon corps. Je regardais la forme des gigantesques arbres qui s’élevaient l’autre côté
de la rivière. Toujours à peu près au même intervalle de distance, il y avait un arbre qui s’élevait
plus haut que les autres, au-delà de son paradis bien à lui, pour me regarder et pour me rappeler que
j’étais protégé par Mère Nature. J’étais seul avec l’obscurité de la forêt, au pied de la rivière, et je
ne me sentais qu’en sécurité. Je ne voyais ou n’entendais aucun animal. Même aucun moustique ne
tentait de goûter à mon nectar sanguin. Je sentais ne faire qu’un avec la nature et avec ces arbres qui
assuraient ma protection. Puis, j’examinais la magnificence des étoiles, la façon dont elles
communiquaient entre elles, et surtout les innombrables étoiles filantes qui me surprenaient à chaque
fois, me prouvant à répétition la divinité de notre cosmos. Puis elles enchaînèrent :
L’enseignement que j’étais en train de recevoir sur le « chi » n’était qu’à son début. Je savais que
c’était une sorte de complétion, en partie autodidacte, qui s’accumulait à tout ce que j’avais déjà
appris sur le sujet depuis quelques mois. J’avais quand même l’impression qu’avec ceci, je pouvais
voir la vie sous un autre jour. Pour ce qui est de mes propres vibrations, le côté de moi-même que je
devais aiguiser était, premièrement, mes méditations, car je venais tout juste de commencer à
pratiquer et j'avais encore beaucoup à apprendre sur ses techniques. La méditation est une bien bonne
façon de prendre son énergie en main et de prendre connaissance de ses vibrations tant et aussi
longtemps que l’on sait que le yoga de méditation est un mode de vie et non une simple activité. Car
nous vibrons tout au long de la journée, nous devons alors avoir le contrôle de notre corps, de notre
tête, de notre esprit et de nos émotions à tout moment ; dans notre attitude, dans nos habitudes, avec
notre alimentation, etc. Car tout est lié. C’est pourquoi il est premièrement important de reconnaître
l’énergie qui nous habite et la reconnaître en tout temps.
Le corps est le temple et le véhicule de l’âme, donc de l’énergie. C’est pourquoi il l’absorbe, la
contient et la transforme. Si le corps n’est pas prêt ou apte à retenir l’énergie, un minimum de celle-ci
sera pris en compte, alors que le contenant a un potentiel de transformation infini. Il est important
alors de connaître son corps, ses capacités physiques et de les aiguiser. Un esprit fort ne peut se tenir
dans un corps faible et un esprit souple ne peut se tenir dans un corps rigide. Comme tout dans
l’univers est vibrations, il faut comprendre que le corps, dans sa tridimensionnalité, est comme les
pulsations d’un cœur. C’est pourquoi, il faut le cultiver vers l’extérieur, puis, vers l’intérieur. Il est
donc important de faire des activités plus intenses, de pousser son corps à ses limites, puis d’alterner
avec des activités plus intériorisantes comme le yoga, le qigong, ou simplement marcher en nature.
Mais attention, le développement du yoga avec notre mentalité nord-américaine nous pousse à voir la
discipline comme étant une activité très physique, alors qu’une respiration calme est essentielle à la
préparation du corps à recevoir l’énergie. C’est de cette façon, en préparant notre corps, que l’on
peut mieux le comprendre, le contrôler et que l’on connecte avec notre « chi ». Et c’est cette même
science, avec ses chakras et ses méridiens, qu’utilise le Tai-chi ou encore l’acuponcture. Ensuite,
plus le corps permet une bonne circulation de l’énergie, plus celle-ci circule tout au long de la
colonne vertébrale, se synchronisant avec les vibrations et les significations de chaque chakra.
L’énergie monte en descend, en spirale, d’un côté et de l’autre de la colonne, se croisant entre ceux-
ci, qui lui permettent de continuer à circuler librement. C’est pourquoi, quand on connait les
différents chakras, quand on sait où ils sont situés, quand on comprend leur signification, on connait
beaucoup mieux notre propre corps, car tout est relié, et si l’autoroute est ouverte, si le « chi »
circule bien, il peut littéralement produire des miracles.
Le « kundalini » est aussi notre énergie sexuelle et orgasmique. À bien y penser, ce n’est que logique,
car si l’orgasme masculin est l’action physique et chimique de la création de la vie, il pourrait tout
aussi bien en être l’action spirituelle. Donc il serait le relâchement extatique d’une énergie divine et
cosmique propice à créer une vie pour transcender les dimensions et amener une âme à s’incarner sur
cette terre.
Donc, si l’on continue dans cette logique ; la force énergétique de quelqu’un s’accumule, se contient,
se travaille et devient de plus en plus forte. On peut souvent la sentir sous forme de tension sexuelle.
Et rappelons-nous que cette énergie qui nous habite est divine. C’est pourquoi il faut la respecter, car
la gaspiller seul ou avec n’importe qui peut être vu par certains érudits comme un sacrilège. C’est de
cette façon que l’on peut concevoir que la monogamie est importante. Car l’énergie devient un moteur
de partage amoureux. Au lieu d’être gaspillée pour de simples désirs à de basses vibrations, elle
devient importante à partager et à cultiver avec notre coéquipier. Cette même énergie, cultivée
précieusement, devient donc un symbole de force intérieure, mentale, physique et spirituelle ; une
sorte de virilité par l’abstinence. Et c’est aussi pourquoi, dans la création même de certaines
religions, les femmes se voilent et s’habillent lourdement ; pour respecter l’homme dans sa
conservation énergétique, dans sa virilité. Bien que maintenant, beaucoup de religions aient été
aliénées par des décisions politiques dans le but de contrôler. Mais c’est aussi pourquoi, dans
d’autres religions, seulement les érudits doivent pratiquer l’abstinence totale. Il faut cependant
prioriser l’équilibre entre le corps, la tête et l’esprit, au détriment de cette culture d’énergie, pour ne
pas devenir, à notre tour, aliéné. C’est pourquoi si le « kundalini » devient trop ressenti, et que la
personne ne se concentre pas à être en équilibre avec son énergie, son propre « chi », mal calibré et
trop accumulé sous forme d’énergie sexuelle, peut le mener à la folie et l’amener à poser des gestes
disgracieux. C’est pourquoi nous entendons parler de scandales sexuels au sein de la religion.
Comme avec n’importe quoi, tout dans l’excès est néfaste.
Mon cœur ainsi que mon cerveau étaient en train de bouillir en envoyant des décharges électriques à
mes joues et mes lèvres qui ne cessaient de sourire devant l’immensité de cet apprentissage
« shaolin » que je devais recevoir pour continuer ma quête. J’étais tout simplement en extase, mais je
devais encore prendre une pause. Il était maintenant déjà trois heures du matin, et mes yeux étaient
tout aussi béants que la porte de mon esprit. Soudain, je sentis une certaine déception monter en moi,
car si cette force qui nous habite est si malléable, pourquoi étais-je à l’instant dans la forêt,
impuissant de changer le monde comme j’aurais tant voulu ? Je me levai avec l’intention de vouloir
changer le monde, avec l’étrange impression d’avoir ce potentiel en moi, et avec la volonté de
vouloir simplement devenir meilleur que moi-même. Je voulais changer, de façon énergétique, le
destin de l’humanité, comme les grands prophètes l’avaient fait avant moi. Peut-être me voyais-je
plus grand que nature en ce doux instant, mais je sentais comprendre le fond de l’énergie qui nous
habite tous ; l’univers.
Je me levai, je regardais les étoiles qui semblaient toujours avoir quelques mots à me dire avant la
fin de cet entretien. Puis, je me dirigeai vers la rivière, accompagné de ma douce intuition. Quelques
pas plus loin, j’en touchais pratiquement son lit. Les arbres, les étoiles et la lune m’observaient
toujours, et je les regardais à mon tour sachant qu’ils étaient témoins de mon parcours, de ma volonté,
et de ma personne. Mes pieds étaient appuyés sur des roches et je me mis à prier fort à l’intérieur de
ma tête puis, ensuite à voix haute. Je demandais à tout ce qui pouvait exister au-dessus de moi de me
montrer le chemin. Même de me faire disparaître du monde, l’instant d’un instant, pour faciliter mon
apprentissage. Je demandais aux êtres divins, aux anges, aux extra-terrestres, aux esprits, à Dieu lui-
même de me donner un apprentissage rapide, alors qu’après réflexion, j’étais déjà en train de le
recevoir. Mon côté humain ; mon ego n’était jamais satisfait et en voulait encore plus. Je leur
demandais le savoir, je priais même pour qu’ils viennent m’enlever de ce monde ingrat. Je n’avais
plus rien à perdre, et même si j’avais des gens qui tenaient toujours à moi, en ce moment, ma prière
n’avait rien d’un appel à l’aide ou d’un désir de disparaître. Je priais pour mieux être capable
d’aider les gens que j’aime.
Eva me rappela à l’ordre, me suggérant de méditer pour justement synchroniser mes vibrations
d’intensité qui prenaient le contrôle sur mes décisions. Elle eut raison. L’enseignement que j’étais en
train de recevoir était celle que je voulais, et le temps n’étant qu’une distance, comme voyager avec
mon pouce, je devais simplement apprendre à attendre d’être arrivé à la prochaine ville. Je revins à
mon emplacement initial, employai la position du lotus, fermai les yeux et me laissai aller, alors que
j’eusse une révélation qui résuma le cœur de tout cet enseignement :
Si je voulais vraiment arriver à quelque chose, je devais arrêter de vouloir et d’espérer, ou même
arrêter de travailler d’arraches pied sans regarder ce que la vie m’offrait, et je devais lever la tête
pour simplement être à l’endroit où je voulais être. Car si le temps est un tant soit peu différent de ce
qu’on entend de lui, et plutôt qu’être la rotation et la révolution des principaux astres qui nous
concernent, il soit seulement une série de plusieurs probabilités d’événements qui s’empilent comme
les feuilles d’un cahier infini. Notre énergie créatrice choisirait certains événements et se
synchroniserait avec les fréquences des ceux-ci, qui sont primordiales à la meilleure des évolutions,
pour finalement aider à ajuster ses fréquences à des fréquences plus pures. Et plus l’on vibre à des
fréquences pures, plus on en est conscient, plus les séries d’événements qui semblent nous arriver
semblent avoir un sens, et semblent être alignées avec notre destin. De plus, si notre énergie crée la
réalité, elle crée l’espace-temps en soi et non l’inverse. Alors, quelque part au sein de cette création,
l’événement auquel on aspire existe déjà et vibre déjà à une certaine fréquence. Il ne suffit que de
trouver la façon de se synchroniser avec les fréquences de cet espace-temps pour arriver à ses fins.
De cette façon, tout est littéralement possible. Il ne suffit que de vibrer à la fréquence que l’on veut
vibrer et arrêter de seulement y aspirer. D’arrêter de vouloir ou même de le faire, mais de seulement
l’être. D’amener son « chi » à créer des événements voulus, en contrôlant ses vibrations: en cultivant
de bonnes émotions et en étant une bonne personne ; en apprenant et en expérimentant ; en cultivant
son corps et son esprit. Faire l’équilibre entre la tête, le corps et l’esprit.
J’étais maintenant subjugué : arrêter de vouloir et seulement être. C’était la plus grande des leçons
que je pouvais appliquer, pour tous mes buts, pour tout ce que je voulais vraiment devenir. Pour tout
ce que je suis. Je ne devais que vibrer d’une façon différente, pour tous les miracles que je voulais
réaliser. De plus, je réalisai à l’instant que mes méditations devaient à la fois être beaucoup plus
sérieuses, mais à la fois, également, beaucoup plus relâchées. Je devais arrêter de vouloir m’agripper
sur les méthodes et sur les chakras, et je devais seulement être mon énergie divine qui observe
passivement le corps et l’esprit se relaxer. Je devais arrêter de vouloir méditer et seulement être en
méditation. Être ma propre énergie qui me regarde réfléchir, car si je réfléchis et si je juge mon
exercice, je ne suis seulement que mon cerveau, alors que je dois aller au-delà de celui-ci. Je ne dois
qu’être passif et paisible. Ma spiritualité venait de prendre un nouveau tournant. Je pris le temps de
continuer une méditation et tout fut si facile, si doux.
Je me levai, pris tous mes accessoires et commençai à rebrousser chemin vers ma tente, comme si la
cloche de l’école venait de retentir et que le cours était bel et bien terminé. De plus, il était plus que
quatre heures du matin et j’avais une grosse journée le lendemain, car je voulais parcourir une grande
distance. Cette fois-ci, complètement dans l’obscurité, je passai la bute et la route, j’allai dans le
chemin de forêt, sautai les racines et les arbres, je me sentais littéralement voler. Puis, sans aucune
crainte, j’étais rendu à ma tente. Jym y était toujours, dormant paisiblement. Je pris soin de ne pas le
réveiller, et me couchai près de lui, fatigué. Regardant mon téléphone une dernière fois, ma vision me
prouva que la drogue avait encore quelques effets sur moi, car tout bougeait sur mon écran. J’eus une
menue conversation avec la maîtresse de Skull qui semblait impressionnée que je sois à une place
assez confortable avec moi-même pour vivre ce genre d’expérience seul dans la nature. Elle me dit
aussi qu’elle était dans le quartier de West-Bank et qu’elle pouvait m’y attendre. Je lui répondis que
j’allais la rejoindre le plus rapidement possible.
Les muscles de mes jambes commençaient à tirer par la déshydratation due à cette drogue. Je n’avais
même pas pensé à m’apporter de l’eau, encore une fois. Je remerciai la nature, le ciel, le cosmos
pour ce doux enseignement, puis m’endormis non si paisiblement, caché dans les sentiers, près de
cette, maintenant complice, rivière de cette ville de Colombie-Britannique, celle que l’on appelle
Fernie.
Chapitre 12
Strange clouds

23 août 2017

Je passai une nuit peu reposante, entre les muscles de mes jambes qui tiraient dans tous les sens, la
circulation automobile d’une autoroute non loin d’où j’étais, et l’idée que les feux de forêt étaient de
plus en plus présents dans la région. Le vent était très fort et je ne savais pas où croissait le brasier.
C’est pourquoi je tentais de ne dormir que d'un œil. Une fois que le soleil fut levé, je me levai
également. Je regardai Jym et Eva, et nous semblions ne faire qu’un. Je sentais la confiance couler
entre nous trois, alors que je n’étais plus l’homme qui voulait être voyageur, j’étais devenu le
voyageur. Je n’étais plus celui qui tentait de faire quelque chose, j’étais maintenant le vagabond qui
inspirait les gens, une personne par une. Je connaissais mon but, mes limites, mais surtout j’arrêtais
de vouloir, et je ne faisais qu’être.
Il ne se déroula que peu de temps avant que Jym ne soit prêt, alors que j’avais l’impression qu’Eva
ne dormait que durant mes cycles de sommeil profond, et même ici, je n’en pouvais être certain. Bref,
j’étais fier de voir l’allure de mon sac, car il était parfaitement bien placé et je savais qu’il n’y avait
plus place à le faire autrement. Je sentis qu’Eva était de plus en plus fière de moi. Alors que l’alcool
m’éloignait d’elle, mon expérience de la veille m’avait connecté à mon intuition d’une façon si douce
et si forte, que sa confiance me rendait simplement serein. J’attendis de ne plus rien entendre autour
pour quelques secondes puis, soixante livres en plus, les jambes endolories par l’acide lactique qui
me rappelait que la magie se manifestait toujours à un prix, je gravis la butte qui me ramenait à la
route. Des gens me regardaient sortir, au loin, avec mon énorme sac sur les épaules. D’un côté, je me
disais qu’il était évident, à cette heure, que j’avais campé, mais qu’au matin, personne ne pouvait rien
y faire. C’était simplement un léger pied de nez à certains règlements que je continuais de trouver
stupide. En même temps, je comprenais que si tout le monde respectait la planète, et était conscient et
alerte des dangers qui nous guettent en nature, ces règlements n’auraient vraiment aucun sens d’être.
Dans tous les cas, je savais que je n’agissais pas mal.
Je me mis à marcher et, après une bonne heure, je sortis tranquillement de la ville de Fernie pour,
ensuite, y lever le pouce. Je regardai, à l’aide de mon GPS, quel trajet j’avais à faire pour aller
rejoindre mon amie. J’avais si hâte de la revoir, et de pouvoir revivre cette chimie que j’avais tant
appréciée. Mon téléphone me m’informa que je me dirigeais à huit heures de route d’où j’étais. Je ne
me fis pas d’idée et me dis à moi-même que je pouvais faire la distance en deux jours. Je profitai de
chaque pas que je faisais pour remercier la vie de pouvoir voir toutes ces villes, tous ces paysages
qui forment notre merveilleux pays. Je commençais à accumuler beaucoup d’expériences différentes
sur les rues de plusieurs régions du pays, et chaque endroit était à la fois différent, mais similaire.
J’attendis peut-être vingt minutes avant qu’une camionnette libellée ne s’arrête devant moi. J’étais si
habitué que je n’attendais plus vraiment que quelqu’un ne me dise où mettre mon sac. S’il ouvrait la
valise du véhicule, le message était clair, sinon, au grand plaisir de Jym, c’était la banquette arrière.
Je le plaçai sur le banc arrière de la camionnette et remerciai de prime abord le conducteur de s’être
arrêté pour moi.
L’homme était d’origine mexicaine. Il avait immigré au pays, il y avait déjà un bon bout temps. Il me
confia qu’il n’avait jamais vraiment fait d’autostop, mais qu’un de ses collègues qui en faisait
régulièrement lui avait déjà demandé de respecter ce mode de déplacement, car si tout le monde
s’aidait, tout le monde allait en finir gagnant, et que c’était une façon simple de penser à l’autre.
J’étais content d’entendre de tels mots. Il m’avoua par la suite qu’il n’avait pas le droit de s’arrêter
avec la camionnette de la compagnie d’où il travaillait, mais, encore une fois, il ne voyait pas le mal
de le faire.
Nous discutâmes alors de notre merveilleux pays. Moi ; du point de vue d’un francophone de l’est, et
lui, d’un point de vue d’un Mexico-canadien de l’ouest. Pour être franc, bien que nous ayons de
différentes histoires, nos points de vue étaient identiques. Nous étions fiers des paysages, des gens et
de notre histoire. Bref, nous étions bien et à l’aise. Il m’avoua aussi que, quand il s’arrêtait pour
aider quelqu’un, il ne parlait jamais vraiment beaucoup et qu’il était étonné d’avoir une conversation
aussi fluide avec moi. Bien que nous nous exprimions bien en anglais, ce n’était pas notre langue
première, et la conversation coula parfaitement pour une heure et demi. Il me parla de certaines
personnes qu’il avait connues et qui avaient tenté le même genre d’expérience que moi. Comme quoi,
je n’étais pas le seul fou sur ce pays. Puis, de certains endroits qu’il avait vus aux pays et qu’il aimait
particulièrement. Plus j’avais d’informations, plus j’étais heureux de continuer ma quête et
d’échanger avec les gens. Je trouvais particulier le fait que je ne cherchais pas vraiment
d’information sur les endroits où j’allais, car j’aimais mieux laisser les gens me guider. Il me laissa
finalement à une ville, plus loin, près d’une station de train. Après m’avoir fait faire un tour rapide de
la ville. Il me demanda si j’avais faim, si je voulais une bouteille d’eau. J’acceptai son aide. Il me
souhaita la meilleure de chance, soulignant que notre rencontre fut fort agréable. Je lui retournai le
compliment, sortis du véhicule, et repartis.
Je continuai de marcher. Je voyais la gare de train, puis les petits restaurants, les petits commerces
qui défilaient lentement autour de moi, alors que je n’avançais que d’un pas à la fois. Encore une fois,
j’avais le sentiment d’être à l’aventure vers l’inconnu, mais toutefois, toujours en terrain familier.
Après un bout de temps, j’arrêtai pour prendre une pause sur le coin d’une rue. La petite ville avait
fait place à un chemin de campagne, je devais prendre une pause, pour casser la croute, mais aussi, il
était rendu inutile de toujours marcher, car la prochaine ville était maintenant à une distance
impossible à parcourir en peu de temps. Je déposai donc Jym qui me donna une pomme. Je vis une
vieille voiture délabrée, mais originale, avec de jeunes personnes à bord, passer. Une jeune adulte,
cheveux courts et colorés, avec des piercings au visage m’envoya un merveilleux sourire. Je les
laissai passer, les fixant et leur demandant télépathiquement d’échanger notre bonheur pour un instant.
Puis, je vis l’automobile disparaître au loin. Je me penchai vers Jym un instant pour qu’il me donne
une orange cette fois-ci. Quand je levai la tête, la même voiture était devant moi. Alors qu’ils
m’avouèrent qu’ils avaient fait demi-tour pour moi, je leur répondis instinctivement que, des fois,
j’avais des coups de cœur pour des véhicules et pour des énergies qui passaient devant moi, et que
j’en avais eu un pour eux, à l’instant où j’avais vu le sourire de la demoiselle. Bien que je fusse
seulement qu’honnête, ils furent flattés.
Il y avait trois personnes dans le véhicule, les deux personnes à l’avant étaient un jeune couple qui
n’avait pas encore connu la vingtaine, alors que le passager arrière l’entamait depuis quelques mois
seulement. Il y avait à peine d’espace pour moi et Jym que je le plaçai directement sur moi. Nous
étions coincés, mais bien. La musique était forte, je communiquais difficilement avec les gens en
avant, mais ils me dirent qu’ils avaient environ une heure à parcourir. Je dus apaiser leurs craintes en
voyant qu’ils cachaient leur gout de fumer du pot. Puis, après nous être arrêtés pour remplir leur pipe
à eau, nous fumâmes tous ensemble. Le passager en arrière me parlait d’un Québécois qu’il
connaissait et qui pouvait m’engager dans le coin. Il avait l’air admiratif de mon parcours. Le statut
que je possédais était différent quand je rencontrais des gens plus jeunes versus les gens plus âgés
que moi. Les plus vieux semblaient vouloir me conseiller, alors que les plus jeunes semblaient
vouloir apprendre. Je sentais un certain respect et une certaine admiration venant de leur part, alors
que je restais simple dans mon aventure. La jeune fille m’avoua qu’elle aimait mon style et mes
larges trous aux oreilles. Je la trouvais très jolie en retour, avec son style « punk », bien qu’elle
semblât très jeune. Puis, nous arrêtâmes chez elle, après un moment, pour qu’elle y prenne quelque
chose.
Elle revint avec une vieille radio de voiture et un manuel d’instruction. Elle était fière de me parler
de l’histoire de sa famille, car son arrière-grand-père avait créé une voiture qui était maintenant
considérée comme très rare. Malheureusement, la famille avait perdu les droits de brevet de la
voiture qui portait le même nom qu’eux, dans une querelle de divorce et de cessation de droit. Tout
ce qui lui restait de cet héritage était le radio original qui valait, à lui seul, plusieurs milliers de
dollars, ainsi que le livret qui expliquait l’histoire de l’homme qui créa la voiture. Je trouvais son
histoire plus qu’intéressante. De plus, je savais très bien que son histoire faisait dorénavant partie de
la mienne et que c’est de cette façon que nous sommes tous connectés les uns aux autres. Car si de ses
ancêtres ne s’était pas produite exactement comme elle s’était déroulée, nous ne nous serions peut-
être jamais rencontrés.
Plus loin, nous arrêtâmes manger une crème glacée, qu’elle m’offrit gentiment. Puis, nous repartîmes.
Nous étions rendus plus près d’où ils allaient. Le passager arrière me dit qu’ils allaient faire un autre
arrêt pour moi, pour me présenter le Québécois qui avait une ferme. J’étais content de le rencontrer,
mais il me confirma ce que je pensais déjà, c’est-à-dire que la saison des fruits, des arbres et tous les
travaux auxquels je pouvais participer étaient bel et bien terminés. Bien que je ne sache pas encore
combien de temps cette aventure allait prendre, cela ne me confirma que je n’allais pas rester là très
longtemps.
Ils me firent faire un tour rapide de la ville de Creston où ils allaient me laisser. Puis, ils me
souhaitèrent la meilleure des chances. Nous échangeâmes nos coordonnées, au cas où je reste plus
longtemps dans les environs, mais la journée était encore jeune et je voulais me rapprocher le plus
possible de mon amie. J’avais si hâte de la revoir et de lui raconter mon aventure. Elle semblait si
emballée de me voir faire mes premiers pas dans l’ouest.
Je vérifiai, et cinq kilomètres plus loin d’où j’étais, il y avait un embranchement qui donnait sur une
route différente ; celle qui menait jusqu’à ma destination temporaire. Je décidai de marcher jusque-là,
pour ne pas prendre le risque de déranger un automobiliste pour seulement quelques kilomètres,
même si j’avais déjà marché environ dix kilomètres dans la journée et que j’avais eu un dur réveil.
Mes pieds commençaient à faire mal, mon dos également. Plus j’avançais, et plus je me disais que je
devais arrêter de marcher bientôt. Soudainement, je vis et entendis une petite voiture passer tout près
de moi, assez rapidement, et des gens criaient et me saluaient. Je reconnus tout de suite le groupe de
Français que j’avais croisé, la veille, à Fernie. Nous nous dirigions vers la même direction, mais ils
venaient de me dépasser. Comme quoi, dans ce mode de vie, chaque événement devient un élément
d’une symphonie synchronique qui nous guide vers un but que seule la vie ne connait. Je les saluai
vivement, souriant de les recroiser, qu’ils m’aient reconnus, et savourant le chaud soleil de la ville
de Creston.
Une fois l’embranchement passé, l’accotement était énorme et j’étais à un endroit idéal pour que
quelqu’un ne s’arrête. Il y avait un restaurant sur le coin d’où j’étais. Je devais avoir un repas
complet et je n’avais plus d’eau ou de nourriture avec moi. Je décidai de rester un peu, pour voir si
la vie allait être clémente, et si ça ne fonctionnait pas, j’allais manger très bientôt. C’était l’après-
midi, le soleil allait se coucher assez tard, le temps était de mon côté, mais je voulais tout de même
avancer. Puis, seulement que quelques minutes plus tard, une camionnette « pick-up » s’arrêta
directement sur l’accotement, juste devant moi.
Le jeune homme sourit et me dit de monter. Je le remerciai grandement. Il avait les cheveux clairs,
courts, et semblait avoir à peu près le même âge que moi. Je sentais qu’il était simple dans sa façon
d’être et qu’il était très aimable. Il me demanda alors où j’allais. Je lui répondis, pour une des rares
fois depuis le début de mon aventure, que j’avais une destination précise, mais que je ne croyais pas
m’y rendre aujourd’hui. Pour sa part, il me dit qu’il se rendait à Kelowna. Sans trop savoir où,
j’allais, je savais que j’étais sur la bonne route pour aller à West-Bank. Mon interlocuteur prit une
légère pause de stupéfaction quand je prononçai le nom de ce quartier. Il me dit « Est-ce que tu as dit
West-Bank ? Je crois que c’est ton jour de chance, parce que Kelowna est à presque 6 heures de
routes d’ici et que West-Bank est le quartier de Kelowna où j’habite ». Je sentis sur-le-champ que
j’étais béni. Je cherchais une raison de comprendre comment j’eus pu tomber sur quelqu’un, à 6
heures de chez lui, qui revenait et qui s’arrêtait, sans le savoir, pour embarquer un autostoppeur qui
se rendait au même endroit que lui. Les coïncidences continuaient à s’accumuler, alors que je restais
ébaubi devant elles. Nous restâmes, quelques secondes, silencieux face à cette drôle de
synchronicité, puis je lui dis que je croyais au destin, bien évidemment. Il appuya mes croyances en
ajoutant qu’il était rarissime que son travail le mène à aller où nous étions, et qu’il revenait d’une
« job » de quelques jours. C’était alors plusieurs séries de « coïncidences » rares qui avaient poussé
notre rencontre à se matérialiser. Nous en étions étonnés. Il ajouta que j’allais aimer Kelowna, que la
ville était comme la Californie canadienne.
Je lui demandai alors si nous allions faire la totalité de la route ensemble et il me répondit, avec le
plus grand des sourires, qu’à moins que je lui donne une bonne raison de me pousser à l’extérieur du
véhicule, oui, j’avais un moyen de transport pour aller jusqu’à Kelowna. Nous nous mîmes à rire. Il
m’avoua qu’habituellement, il n’arrêtait pas toujours pour les autostoppeurs et qu’en me voyant, il n’y
avait même pas réfléchi et s’était arrêté spontanément. Il réalisa qu’il allait me faire monter quand
son camion était déjà arrêté, comme s’il avait agi par automatisme, comme si ça allait de soi. Il
m’avoua également qu’habituellement, il prenait le temps de juger la personne qui était sur le bord de
la route, car il avait déjà pris quelqu’un qui s’était mis à vomir d’ivresse, partout à l’intérieur de son
véhicule. Je ne pouvais que rire face à son histoire, et lui aussi. Je lui dis de ne pas s’inquiéter, que
cela n’allait pas m’arriver.
Nous avions six heures à faire ensemble, nous savions trop bien que nous ne pussions pas discuter
tout au long de notre périple. C’est pourquoi il augmenta le volume de la radio pour un court moment.
Puis nous nous mîmes à discuter ipso facto. Je lui racontai mon histoire et il ajouta qu’il me trouvait
courageux de partir loin de la vie routinière pour vivre au jour le jour. Bien que je sache très bien
que c'était une situation temporaire, j’étais flatté par son empathie, et bien qu’il soit travailleur
manuel, il n’avait pas l’air du genre de personne qui ne vivait que pour travailler. Il semblait trop
simple et souriant pour l’être. Il me confia qu’il ne voulait qu’à moitié embarquer dans ce rythme de
vie où nous travaillons pour payer une auto, une maison, un compte de télévision, etc. Il ajouta que
ses amis, contrairement à lui, avaient des autos neuves, alors que lui était très content d’avoir un
vieux camion en ordre. De plus, il était toujours à l’extérieur, les fins de semaine, dans les bois, dans
les montagnes, et que ses amis étaient trop fatigués à travailler d’arrache-pied pour soutenir un mode
de vie qu’ils sentaient avoir besoin d’avoir. Nous nous comprenions bien. Il me dit qu’en fait, il
n’avait même pas la télévision chez lui, et que c’était les valeurs qu’il voulait inculquer à ses deux
garçons. Il est assez rare que quelqu’un m’impressionne, mais ce type-ci venait chercher en moi le
plus grand des respects, et il le fit en si peu de temps, car il démontrait un bel équilibre entre vivre
paisiblement dans un système inhumain.
Nous allumâmes chacun une cigarette pour continuer à discuter. Je lui dis que, pour ma part, après
avoir plongé dans ce mode de vie, la peur n’était qu’une barrière que j’avais déjà franchie à
plusieurs reprises. Que de simplement partir était une étape en soi. Je réalisai, en même temps, que
l’expérience que j’avais accumulée, depuis le début de ce voyage, commençait à me transformer, car
j’étais maintenant confiant que rien ne pouvait vraiment m’arriver si je continuais à agir de la sorte.
Je lui confiai, alors, que je n’étais plus vraiment inquiet des événements, que j’étais prêt à tout, mais
que je devais avouer que la seule chose qui pouvait et qui voulait, a priori, me mettre des bâtons dans
les roues, étaient les forces policières et les lois.
Il me dit : « Tu vois, les lois, ça reste discutable, car, par exemple, il y a des feux de forêt partout ici,
et il y a une loi qui interdit de faire des feux ou même de jeter sa cigarette dans la nature, et c’est très
compréhensible, mais quand tu vois un policier faire de l’attitude, essayer de contrôler, de mettre des
bâtons dans les roues pour aucune raison logique, j’ai l’impression que l’on vit de plus en plus dans
un état policier, pour nous incorporer dans un mode de vie de travailleur et nous empêcher de
sortir ». J’étais complètement d’accord. Je lui répondis que d’un côté, je trouvais inconcevable qu’on
interdît aux gens de dormir dans la nature, car si j’étais assez idiot pour en souffrir, c’était mon
problème, et maintenant on l’interdisait à tout le monde. De l’autre côté, j’avais été arrêté pour alcool
au volant, il était très vrai que je n’avais pas les facultés pour conduire cette nuit-là, et ça aurait pu
être dangereux pour moi et pour les autres. Il me réconforta tout de suite, en me disant que les
policiers étaient tous trop sévères sur le sujet, car on ne tentait pas d’aider les fautifs, et que le
programme était aussi une méthode pour prendre l’argent aux citoyens. Il soutenait, par contre, qu’il
généralisait, car l’acte en soi restait hautement répréhensible. J’étais d’accord, dans le sens où, dans
ma situation, j’avais vraiment dépassé mes limites de beaucoup. Mais d’un autre côté, il avait raison ;
certaines personnes subissent les répercussions de ces lois, de façon despotique et illogique. Par
exemple, quand un policier sait très bien qu’une personne n’a pas la volonté de conduire, mais
l’arrête tout de même, par zèle. Il continua en me disant que le métier de policier était si mal
structuré, que les agents n’étaient pas là pour aider, mais plutôt pour contrôler, mettre des barrières et
abattre, bien qu’il fût conscient qu’il généralisait, car il faut quand même avouer qu’il existe un être
humain divin derrière son badge et son fusil. Tout en prononçant ces mots, une voiture de police
alluma ses cerises pour nous obliger à nous arrêter. Il me conseilla alors de rester silencieux, le
temps de parler à l’agent.
Pendant que le policier marchait vers le véhicule, mon ami faisait des blagues, à voix basse, sur
celui-ci, tout en riant et en souriant, tandis que j’essayais tant bien que mal de rester sérieux et de ne
rien dire. Le policier lui posa les questions habituelles, tout en lui signalant qu’il roulait un peu trop
rapidement, considérant la limite permise. L’homme à mes côtés lui expliqua seulement qu’il avait
failli par inadvertance. Puis, le policier remarqua Jym, qui se tenait sur la banquette arrière. Il me
demanda alors ce que je faisais. Mon nouvel ami répondit à ma place « C’est un ami, moi je reviens
de travailler et lui, il revient de camping en même temps, nous faisons donc la route ensemble ». Le
policier fis un signe de tête et retourna vers le véhicule. Mon bon samaritain m’expliqua qu’il était
illégal de s’arrêter pour un autostoppeur ; un autre règlement bidon. Il continua en parlant comme s’il
s’adressait au policier d’un ton humoristique : « Va à ta voiture, reviens avec ton joli "ticket", parce
que tu fais ton travail de gentil policier qui sert le citoyen… » Puis le policier revient tout de suite,
tandis que l’on riait l’un à côté de l’autre. Le policier lui dit qu’il lui laissait une chance, que tout
était en ordre, et nous laissa partir sans même lui donner d’amende. Nous décollâmes sur le champ en
riant. Il s’exclama « Il faut bien que je parle contre les policiers pour que la vie m’envoie le seul
gentil policier que j’ai pu croiser de toute ma vie ! C’est la première fois qu’on ne me donne
seulement qu’un avertissement ! Je ne sais pas quoi dire, je retire ce que j’ai dit, il existe de bons
policiers ». Nous rîmes encore une fois de la situation et de ce que la vie voulait nous montrer quand
on généralise.
Je continuai à parler, soulignant qu’il était important de noter quand nous rencontrions de bonnes
personnes. Je lui signalai que je voulais écrire un livre pour parler de ce genre de situations, des
rencontres, et de prouver que la vie n’était pas comme les médias nous le montrait. Il était content
d’entendre mes mots. Nous nous mîmes, alors à parler, toujours en rapport avec certains règlements
qui ne faisaient aucun sens à nos yeux, que d’une personne à l’autre, dans la grande majorité des cas,
tout le monde voulait être aimable. C’est pourquoi il s’était arrêté pour moi. Mais que d’un autre
côté, le progrès technologique, les grandes entreprises, les lois, le contrôle gouvernemental en
association avec l’appât du gain faisaient en sorte que la planète ne se dirigeait pas dans la bonne
direction. Pour ma part, j’étais assez optimiste, n’expliquant seulement que nous devions toucher le
fond du baril pour remonter, car il n’y avait que deux finalités possibles à la survie de notre espèce :
bien nous entendre, ou mourir les uns contre les autres. Dans les deux cas, nous allions évoluer. Plus
j’étais capable de nous projeter dans le temps, et plus ce n’étaient que ces deux solutions qui
pouvaient sceller notre destin.
En ce qui me concernait, j’avais entrepris ce voyage dans le but d’encourager les gens à bien
s’entendre, à coopérer, car la gentillesse, la bonté existe, et que c’était ma façon de faire ma part.
Car, pour moi, il était inconcevable de croire que l’humanité allait choisir la mésentente, quand il
peut facilement choisir la vie dans l’harmonie. C’était comme d’hésiter entre la vie et la mort, tout
simplement. Mon ami salua mon optimisme et mon idéalisme, mais n’était pas d’accord. Il me dit que
l’humain était déjà bien enfoncé dans son avarice et qu’il allait simplement faire exploser la planète
tôt ou tard. Je lui répondis que je n’allais jamais être capable de croire en un tel scénario, car il est si
illogique de croire que l’être humain était prêt à faire disparaître sa propre espèce dans une
compétition pour simplement être le meilleur individuellement.
Je continuai en lui disant que mes croyances spirituelles m’amenaient à croire en un parcours évolutif
qui transcendait simplement une seule vie humaine, et que faire exploser la planète allait nous
ramener au point de départ, car nous avions des leçons à apprendre pour évoluer ; que nous allions
simplement passer Go et récolter de l’expérience. Même si le sujet continuait d’être pesant,
j’admirais la simplicité et la légèreté sur laquelle nous nous appuyions gaiement. Je respectais
grandement le sourire de mon interlocuteur qu’il affichait pratiquement en permanence, comme si
malgré tout, il avait trouvé sa façon bien à lui de contempler les plaisirs de la vie.
Il arrêta la camionnette à un petit magasin pour y mettre de l’essence. Tout en envoyant un message
texte à sa copine, il me demanda si je savais ce qu’était la DMT. Je lui avouai que je connaissais les
attributs chimiques et spirituels de cette substance, que des formes de celle-ci pouvaient se trouver
dans certaines drogues hallucinogènes, mais qu’aussi, notre corps en produisait, surtout au moment de
notre naissance et de notre mort, comme si c’était le conduit qu’empruntait notre âme pour entrer et
sortir de notre dimension terrestre.
Il me dit ensuite de l’attendre, car il devait aller payer, alors que j’étais très curieux de savoir où il
allait aller avec ce sujet. Il revint quelques minutes plus tard avec une caisse jaune de boisson écrite :
"HEY Y’ALL". Il démarra la camionnette pour repartir. Il conclut simplement qu’après avoir essayé
la DMT pure en tant que drogue, il ne pouvait pas croire en la platitude d’un mode de vie commun
terrestre, comme beaucoup de gens le faisaient. Plus loin, il me donna une canette en me disant de
faire attention, que c’était un thé glacé alcoolisé. Je le remerciai grandement, soulignant sa gentillesse
infinie. Je pris une gorgée et vis que c’était bon. J’avais l’unique impression que je venais de
rencontrer un ami qui allait le rester.
Il me de demanda de ne pas m’inquiéter, que ce n’était seulement qu’un drink pour la route et que
nous n’allions certainement pas boire la caisse de douze canettes au complet. Il ajouta que c’était
pour nous rafraîchir et que ce n’était pas la première fois que nous le faisions. Il nous restait au moins
cinq heures de route à faire. J’engloutis la première boisson assez rapidement, par contre, car il
faisait chaud et j’avais une eu grosse journée. Je lui avouai, par le fait même, que c’était drôle qu’il
parle de psychédélique, car j’avais justement essayé l’acide, pour la première fois, la veille, seul
dans les bois. Il fut étonné de savoir que j’avais tenté la substance seul, et doublement étonné de
savoir que j’étais en nature. Il me dit qu’il avait une réticence envers l’acide, mais me demanda
comment ça avait été. Je lui répondis que je m’attendais à être plus confus, mais que j’avais
simplement expérimenté une communion si douce avec la nature, que j’avais beaucoup appris. Il me
tendit une autre boisson que nous entrechoquâmes.
Un peu plus loin, nous avions tous les deux le fort besoin de soulager notre vessie. Il arrêta le
véhicule sur un petit chemin de terre adjacent à la route principale. Juste avant de débarquer, il me
donna un carton, et sans hésitation, toujours avec un sourire de simplicité, il me dit : « Fais attention,
il y a de la cocaïne là-dedans, es-tu capable de faire deux lignes ? » Je lui demandai alors quelle
grosseur, car je ne connaissais pas le produit. Il me répondit « Vas-y comme tu le sens ». J’exécutai
sa demande, sans vraiment me poser de questions, inhalai l’une des deux lignes et sortis, très
confiant, du véhicule. Une fois à l’intérieur, il inhala la sienne. Il me demanda encore de ne pas
m’inquiéter, il avait une petite quantité qu’il possédait depuis des mois, il n’était pas toxicomane ou
alcoolique, c’était juste l’occasion de se réveiller un peu et d’avoir du plaisir avec un nouvel ami.
J’étais conscient que pour certaines personnes, la situation peut sembler très problématique, mais son
attitude calme, sereine, simple et confiante me laissait croire qu’il n’était pas quelqu’un qui tombait
nécessairement dans l’excès et que c’était davantage l’excès qui était à craindre. Je restais vigilant,
mais j’avais un très bon sentiment envers ce jeune homme.
Nous continuâmes à avancer et l’après-midi laissa place à la soirée, puis nous vîmes le coucher de
soleil. Nous parlâmes tout au long de la route, sans vraiment prendre de pause, comme si nous avions
tellement à nous dire. Nous nous entendions sur tout. Nous complétions les idées de l’autre comme
nous nous complétions nous-même. À un point même où je fus surpris de faire un commentaire sur la
gent féminine, alors que c’était la première fois que j’exprimais mes désirs charnels depuis le début
de mon périple, sachant que le but de ce voyage n’était pas de rencontrer quelqu’un. Je lui avouai
qu’il était temps de rencontrer une fille seulement pour le plaisir. Il me dit aussitôt que la « game »
n’en valait pas le cout. Il me dit que de rencontrer de bonnes personnes était une chose, aimer une
personne pour ce qu’elle était aussi, mais qu’à ses yeux, se masturber, avant de sortir, sauvait du
temps et de l’argent, car il n’y avait rien de plus qu’un orgasme au bout du compte. Je pris une courte
pause, et réalisai qu’il avait raison. J’étais encore impressionné par le pragmatisme de son ouverture
d’esprit. Encore une fois, mon esprit divaguait vers des vibrations moins élevées, mais cette fois-ci il
m’avait ramené aussitôt à l’ordre avec si peu de mot. Je lui donnai complètement raison me rappelant
qu’habituellement, c’était moi qui donnais ce genre de conseil à mon entourage. Et maintenant, c’était
alors moi qui en avais eu besoin. Je le remerciai. Il m’avoua qu’il n’était plus avec la mère de ses
fils, qu’il avait nouvellement une copine qu’il aimait beaucoup, et que c’était simplement la meilleure
situation à laquelle il pouvait aspirer. Je fus d’autant plus d’accord, car l’amour pur était si
satisfaisant contrairement au caractère éphémère de l’amour charnel, même si celui-ci se doit d’être
une phase importante de notre développement.
Arrivés à Kelowna, nous avions épuisé à peu près tous les sujets qui me tenaient à cœur. Nous avions
parlé des gens, de spiritualité, d’énergie et de vibrations, de politique, mais aussi de nature et de tout
ce qui pouvait constituer les idées sur lesquelles nous pouvions cogiter. Nous étions sur le point de
nous séparer et j’allais communiquer avec mon amie et son chien, alors qu’il m’invita à passer la nuit
chez lui. Il voulait me présenter sa copine, boire, parler, mais aussi m’offrir un lit, un repas, une
douche et tout ce qui venait avec l’invitation. Me sentant si confortable en sa présence, j’acceptai
sans hésiter, sachant que notre complicité n’était qu’à ses débuts, que nous étions à l’aise l’un avec
l’autre et qu’il voulait simplement aider un jeune homme à qui il ressemblait.
J’étais content d’avoir un toit et un lit, considérant que ça faisait quelques jours de suite que je
dormais littéralement sur le sol, sans matelas. Un lit, une douche allait reposer mon dos et mes pieds
meurtris, même si dormir sur le sol m’affectait moins qu’au début. Je savais, de plus, que mon ami se
levait très tôt le lendemain matin, alors, nous n’allions surement pas faire la fête, bien qu’il restât
beaucoup de « Hey y’all ».
Il stationna le véhicule juste en avant d’une petite maison dans les montagnes. L’architecture de la
maison semblait tirée d’un décor californien et son balcon arrière donnais directement sur le bas de
la vallée d’Okanagan et sur ces magnifiques collines. C’était simplement de toute beauté. La maison
était grande, mais en rénovation. Il m’avoua qu’elle était louée, qu’il n’avait pas besoin de l’acheter,
qu’il s’entendait bien avec le propriétaire, qu’il payait un prix très abordable considérant le décor, le
quartier, la ville et tout ce qui pouvait faire exploser le marché. Je le compris tout de suite, car tout
ce qui attrayait à sa maison était tout simplement de toute beauté.
Puis je vis apparaître une magnifique jeune femme, qui sortit de la salle à manger. Elle avait les
cheveux longs, foncés et frisés. Elle avait de si jolies formes qu’elle aurait tout simplement pu être
mannequin. Je restai sans mots pour quelques secondes, intimidé par l’immense beauté de la dame
qui se tenait juste en face de moi. Elle me tendit la main pour me saluer, me disant qu’elle était très
contente de me recevoir. Je baragouinai un anglais approximatif, lui parlant un peu, toujours
impressionné par son apparence physique, alors que mon ami semblait tenter de cacher sa fierté. Il
m’avoua qu’ils planifiaient de m’inviter à la première heure de notre rencontre. Je fus flatté.
Je fis comme chez nous, alors qu’ils me montrèrent ma chambre, j’y déposai Jym, et allai les
rejoindre à la salle à manger. Nous grignotâmes un peu, ici et là, bien qu’ils n’eussent pas de repas
de préparé et qu’il était déjà tard. Nous bûmes et fîmes la fête, à trois, jusqu’aux petites heures du
matin. Habituellement, je ne m’en tenais qu’à la bière ou à l’alcool doux, mais le thé glacé étant
terminé, nous bûmes également des « shooters « de liqueurs fortes, terminant le peu de cocaïne qui
leur restait. Je remarquai que je m’entendais aussi bien avec sa copine qu’avec mon ami. Elle était
belle, oui, mais simple, amicale et aussi ouverte que lui. Ils étaient beaux ensembles et j’étais si
chanceux de pouvoir partager autant de bonheur, tout simplement, d’un inconnu à l’autre, et pour une
fois, ils avaient mon âge. Je me sentais littéralement comme si je les connaissais depuis toujours,
comme s’ils m’acceptaient depuis toujours, et que nous n’étions déjà plus des inconnus. Nous nous
couchâmes, bien partis, au petit matin.
24 août 2017

Je me réveillai subitement au beau milieu de la nuit, ma tête bourdonnait de douleur à un point où je


me disais que je devais absolument m’hydrater même si le mal était déjà fait. Eva se tenait au beau
milieu de cette petite chambre si hospitalière, les bras croisés, elle articulait sa tête de gauche à
droite, manifestant son désaccord à propos de mes excès de la veille. Je m’excusai auprès de ma
conscience et alla à la cuisine chercher un verre d’eau. J’étais quand même un peu gêné de fouiller
partout, au beau milieu de la nuit, chez de nouveaux amis. Je revins toujours en douleur à ma
chambre, réveillant Jym pour lui demander ma tasse de campeur. J’allai à la salle de bain, remplis
mon contenant d’eau et la calla subitement à plusieurs reprises. Puis, j’allai me recoucher. Je savais
pertinemment, maintenant, que chaque nouvelle journée pouvait être difficile. Même si rien n’était
prévu, je me devais de rester en forme, pour mon amie que j’allais retrouver, pour moi-même, Jym,
Eva, et pour toute éventualité que le destin allait amener et poser délicatement sur mon chemin, de
sorte que je puisse apprendre et grandir, même dans les moments les plus anodins.
Je me levai encore quelques heures plus tard, cette fois-ci, complètement en forme. J’avais une
pensée pour mon nouvel ami samaritain qui avait dû se lever plus tôt pour aller travailler. Nous
savions, tous les deux, que la conséquence faisait partie du jeu et que, si nous avions assumé de faire
la fête la veille, c’était de notre responsabilité d’assumer les conséquences de nos gestes. Eva était
particulièrement en forme alors que Jym était étalé partout. Je pris le temps de redonner vie à mon
vieil acolyte, alors que la si belle jeune femme cogna à ma porte pour me signaler qu’elle devait
partir d’ici quelques minutes et qu’elle pouvait m’amener au beau milieu du quartier. J’aurais pu
marcher jusqu’au centre de West-Bank, mais, ça aurait pris au moins une heure à pied dans les
montagnes, et j’avais moyen de me déplacer. Ma nouvelle amie s’excusa, car elle aurait tant aimé
m’aider à laver mes vêtements. Elle me rappela, par le fait même, que j’étais invité, d’ici quelques
jours, à aller me promener sobrement en forêt, avec eux, les enfants et peut-être d’autres personnes.
J’acceptai volontiers. Puis elle alla me porter au centre du quartier. Une fois rendu, je montai une
petite colline, près d’un stationnement, puis je me mis à écrire, sous le chaud soleil d<une Californie
Canadienne.
Je remarquai une sensation hors du commun traverser mon cerveau, comme si c’était la première fois
que j’avais une telle réflexion. J’étais si habitué à être seul, ou avec des « inconnus », si habitué de
vivre à l’extérieur que, passer une soirée et une nuit à l’intérieur dans une maison avec des gens que
je considérais maintenant comme des amis, était tout simplement hors du commun. Maintenant à
l’extérieur dans la ville, j’avais l’impression d’être chez moi, alors qu’à première vue, d’autres
m’auraient simplement considéré comme un sans-abri.
J’attendis d’avoir des nouvelles de mon amie et de son chien qui m’écrivit une heure plus tard. Elle
me dit qu’elle était tout près de l’eau et qu’elle m’y attendait. Je redonnai mon livre à Jym, pris Eva
par la main et commençai à marcher. Encore une fois, je remarquai que le paysage était si différent
d’une province à l’autre. J’étais maintenant rendu à la pointe d’un désert, dans une vallée
paradisiaque où une immense étendue d’eau coulait le long des montagnes de l’Okanaghan. C’était,
pour moi, le paysage le plus vivifiant que j’eusse la chance de voir depuis le début de mon aventure.
Je continuai à marcher et je sentais l’énergie de mon amie m’appeler, tandis que je me rappelais les
deux magnifiques journées que nous avions passées ensemble à Sault-Sainte-Marie. J’avais si hâte de
la revoir et de connecter comme nous l’avions fait une semaine auparavant.
Je l’aperçus alors, au loin, elle dégageait le bonheur. Elle avait les pantalons remontés aux genoux, et
s’apprêtait à aller se baigner avec Skully. Dès qu’elle apparut dans mon champ de vision, je ne pus
m’empêcher de sentir une vague d’amour réconfortante m’envahir. Comme si la connexion cosmique
que nous avions eue, jadis, était toujours suspendue dans l’éther et n’attendait que de nous lier encore
une fois. C’était un si beau sentiment. Je ne pouvais m’empêcher de sourire à la vue de la simplicité
qui se manifestait dans les yeux de mon amie, dans sa relation avec son chien, mais aussi qui coulait
entre nous trois. Nous nous sautâmes l’un dans les bras de l’autre pour nous dire que nous nous étions
tant ennuyés. J’embrassai aussi Skull qui semblait aussi content de me voir. L’apaisement de voir
qu’un jeune enfant ou qu’un animal compagnon nous reconnait, après un petit séjour sans lui, est très
difficilement descriptible, il amène une sorte de fierté d’avoir touché l’énergie d’une personne au
point où son âme reconnait la nôtre spontanément, sans faire appel à une réflexion songée et cela
relève tout simplement du miracle. Nous nous assîmes et commençâmes à lancer toutes les histoires
que nous avions accumulées et que nous ne pouvions plus garder pour nous, à la vue de quelqu’un qui
comprenait totalement l’histoire de l’autre.
Soudain, nous nous fîmes interrompre par une passante, retraitée, qui disait avoir aperçu mon amie,
plus tôt dans la journée, et qui avait le désir de l’aider. Elle lui tendit un billet de monnaie ainsi
qu’un sac de nourriture pour chien de bonne qualité. La petite canadienne fut reconnaissante. Les deux
discutèrent de leur chien respectif pour quelques minutes, puis se saluèrent. Encore une fois, j’étais
touché de voir autant de générosité de la part de quelqu’un qui ne voulait qu’aider un autre être
humain, sans raison. C’était de toute beauté. En revenant vers moi, elle me fit remarquer un signe en
carton accroché sur son gros sac à dos. Il y était écrit : « Anything helps », et je crois que cela
résumait le fond de sa pensée. Elle ne voulait pas déranger les gens ou même être avec eux, mais
avec le mode de vie qu’elle avait choisi, littéralement tout, avec un peu de débrouillardise, pouvait
aider. Elle m’avoua que dans la plupart des cas, on lui donnait de la nourriture et que si elle manquait
de quoi que ce soit, elle allait afficher cette pancarte discrètement près d’un casse-croute. Bien que
généralement, la vie lui apportait les bonnes choses au bon moment.
Mon amie basanée était très heureuse, car elle prenait tout ce qu’on y donnait, mais quand venait le
temps de nourrir sa bête, elle était très difficile. Heureusement, la quantité et la qualité de la
nourriture qu’on lui avait donnée étaient surprenantes. Tout en rangeant le tout, elle sortit un joint de
son sac, d’autant plus contente que cette fois-ci, c’était elle qui offrait. Même s’il était interdit de
regarder qui donnait quoi, il est en tout temps agréable de s’entourer de ce type de personne, avec qui
la seule règle est de donner le plus possible. J’étais avec une personne qui me ressemblait de ce côté.
Nous fumâmes et discutâmes de la vie. Nos sujets coulaient par vague, de la surface pour aller en
profondeur comme si nos idées vibraient en synchronisme. Puis, après un moment, elle alla se
baigner avec son chien.
Pendant que je la regardais faire, elle me demanda de jeter un coup d’œil, car les chiens n’avaient
pas le droit d’être de ce côté du rivage alors qu’une plage était spécifiquement dédiée à eux. Elle
m’expliqua qu’elle n’avait pas le gout de défier la concentration de son chien avec les autres et
qu’elle n’avait pas, non plus, le gout d’être abordée par tout le monde. C’était très compréhensible.
Même si nous en étions conscients, un couple passa et nous rappela les règlements. Nous le
remerciâmes. Il resta un peu pour voir si leur avertissement avait un impact sur notre comportement,
puis, un peu découragés par des idées provenant de leur propre jugement, ils allèrent plus loin. Après
un moment, nous décidâmes d’aller quelque part d’autre également.
Nous nous demandâmes ce que nous voulions faire pour la journée, alors que nous avions tous les
deux une bonne idée de nos volontés. Nous proposâmes en même temps de recréer notre petit monde,
c’est-à-dire : de nous enfermer à double tour dans la forêt et de s’installer un petit campement, juste
pour nous trois, et se faire un bon plat, boire une bonne bière, et rattraper le temps perdu. Nous nous
mîmes alors à marcher. Elle me montra l’endroit où elle avait dormi, et bien que ce fût le genre
d’expérience qu’elle voulait vivre, elle nous déconseilla de retourner là, car elle avait dormi sur une
petite colline où les gens de la rue pouvaient se rassembler. Ils étaient capables du meilleur et du
pire, et nous ne recherchions ni l’un, ni l’autre. Seulement un endroit neutre pour créer notre meilleur,
car le pire n’était pas envisageable.
Nous n’allâmes qu’à quelques dizaines de mètres plus loin, toujours tout près de la rive et du paysage
merveilleux. Les herbes étaient plus grandes que moi et au-delà, il y avait quelques arbres qui
pouvaient nous cacher. Après avoir fait le tour des environs durant quelques minutes, nous trouvâmes
un petit endroit reclus et agréable, sous quelques arbres, où nous pouvions établir nos campements.
Bien que les feux de forêt dans la région nous interdissent strictement de faire un feu, nous avions
toujours son rond de camping qui était permis. J’eus le même sentiment alors, celui que j’avais
ressenti avec elle à notre dernière rencontre. Celui qui me poussait à voir la vie si simplement, car
j’étais si heureux de partager un moment aussi simple. Le chaud soleil me réconfortait, alors que je
n'avais ni de télévision ni internet. Je n’avais même pas un toit sur la tête, ni une activité de planifiée.
Ce type de bonheur était tout simplement incomparable et indéclassable. Alors que plusieurs choses
nous apportent la joie dans une vie bien remplie, le bonheur se montre le bout du nez dans l’absence
de besoin.
En route pour faire des courses, nous marchâmes, comme nous l’avions si bien fait quelques jours
auparavant, attirant l’attention des gens dans la rue ; des passants, des automobilistes qui se
surprenait à fixer un jeune homme avec un énorme sac à dos de voyageur, une jeune femme avec un
sac à dos qui ne quémande qu’un peu de compassion et un jeune chien magnifique, qui nous arrêtais
toujours à chaque occasion de marquer son territoire. Skully était de mauvais poil depuis quelques
jours, et sa complice m’avait averti d’avance. Le voyage avait été dur pour lui, les voitures n’étaient
pas toujours équipées pour transporter un chien longtemps. Le chien avait été assujetti à de
nombreuses sources de stress, ce qui expliquait quelques comportements déviants de la part de cette
jeune âme. En plus de marquer son territoire, encore une fois, à toutes les fois qu’il passait devant sa
maîtresse, nous nous arrêtâmes pour qu’elle lui fasse comprendre les règles desquelles il faisait fi. Il
ne défiait pas les règles par égo, bien évidemment, mais plutôt par un mélange d’ennui et d’attention
mal placée. Après quelques occasions à répéter le même discours, sur le coin d’un feu de circulation,
elle arrêta subitement et s’excusa d’avance pour ce qu’elle allait faire, puis, elle prit un autre
discours avec son chien qui commença à rouspéter en pleurnichant, pour ensuite laisser sortir un seul
et très petit aboiement. Elle lui agrippa le museau aussitôt et s’approcha de lui. Elle lui
dit sévèrement : « Qu’es qui cloche avec toi ? Tu as mangé, je sais, il fait un peu chaud, mais je sais
que tu fais des tiennes parce que tu n’as pas mon attention et tu ne l’auras pas parce que je suis avec
un ami maintenant ». Skully se mit à pleurer très fort, comme si elle s’était mise à le battre, et
pourtant, j’étais témoin qu’elle le tenait si faiblement par le museau qu’il aurait même pu se défaire
d’un petit mouvement de tête. Elle continua « Oh, tu attires l’attention des gens maintenant. Pauvre
victime ! Si c’est cela, fais-leur croire que tu es un pauvre chien battu, pour moi ça m’est égal, mais
tu arrêtes ton cirque, maintenant ! » Puis, elle lui lâcha le museau. Encore une fois, j’étais étonné de
la façon qu’elle élevait son chien, qui, aussitôt, reprit sa place discrètement dans les rangs derrière
elle, sans souffrir, sans argumenter, il avait l’air tout aussi heureux, il n’avait seulement pas le
contrôle, car elle l’avait. Puis, nous revînmes à notre campement.
Je ne savais pas réellement quelle heure il était, et, pour le moment, ce n’était pas plus grave. Le
soleil m’indiquait que nous étions déjà en après-midi, la soirée allait bientôt se manifester, alors que
nous ne faisions que parler. Elle me racontait ses aventures et je lui racontais les miennes. Nous
venions, chacun de notre côté, de traverser la moitié du pays en autostop. Elle me parla des
différentes personnes qu’elle avait rencontrées depuis. L’un avait été remarquablement sympathique.
Elle avait fait une bonne partie du trajet avec lui, et, par la suite, avec lui et un autre autostoppeur
français. Par contre, la fin de cette aventure avait tourné du tout au tout après le départ de l’européen,
le conducteur, si sympathique au début, lui avait demandé, sans tourner autour du pot, d’une façon
assez froide, si elle voulait avoir une relation sexuelle avec lui. Bien entendu, elle refusa. La
situation s’était étendue sur que quelques minutes avant qu’il lui demande de sortir subitement du
véhicule. J’étais choqué d’entendre que certains hommes laissaient leurs pulsions physiques dominer
leurs pulsions émotives de sorte qu’avoir un peu d’affection et un orgasme était plus important que
d’aider son prochain. Comme si ces pulsions, si humaines, nous déshumanisaient. De plus, un homme
saoul l’avait agrippé, la veille, sous les yeux de son chien qui ne l’avait pas défendue. Pourtant, elle
me racontait ses péripéties avec une force qui ne cessait de m’impressionner. Je me disais que si elle
restait confiante, si elle restait connectée, comme elle l’était déjà, l’univers allait lui garder une place
sécuritaire choyée au beau milieu de son destin.
Puis je lui expliquai, pour ma part, que je n’avais même pas eu la chance de lever le pouce dans les
prairies. Je lui racontai alors mon aventure et elle était si ouverte à l’écouter. Elle continuait à dire
qu’elle admirait ma passion de vivre ce mode de vie, si facile à oublier. Je lui dis, par contre, que
malgré que je n’eusse pas eu beaucoup de difficultés à être compris le pouce en l’air, si je voulais
vivre ce mode de vie complètement, je n’avais pas le choix de vivre, un jour ou l’autre, l’un de ses
moments où rien ne fonctionne, où tout est difficile et où l’attente sur le bord de la route est
interminable. Eva me chuchota alors à l’oreille, d’une voix coquine « ne t’inquiète pas, tu manifestes
tout ce qui sort de ta bouche », sachant très bien que l’expérience au sein de mon parcours était
inévitable.
Nous eûmes une si belle après-midi, puis une si belle soirée. Nous installâmes nos sacs de couchage
l’un à côté de l’autre alors que Skull se coucha, encore une fois, entre nous deux. Nous étions
rassasiés, après quelques bonnes bières, un bon repas et une journée remplie d’amour. Tout était
parfait. Puis, nous nous endormîmes, l’un à côté de l’autre, en nous disant que la vie n’était que belle
quand on la reconnaissait pour ce qu’elle était vraiment.

25 août 2017

Je me réveillai, ce matin-là, avec une agréable sensation d’amour. Peut-être était-ce les résidus de ce
que j’avais accumulé la veille avec cette personne avec qui je n’avais aucun filtre, aucune attente,
mais seulement le désir de connexion. Ou peut-être était-ce cette sensation d’amour physique et de
tendresse que je ressentais, car mon amie était maintenant collée sur mon dos, et c’était agréable. Je
me retournai, elle se retourna aussi. Je la serrai fort dans mes bras et restai allongé auprès d’elle
pour un temps, alors qu’elle me rappela qu’elle n’aurait pas passé de tels moments avec n’importe
qui, et qu’être avec moi était comme être seule. Venant d’elle, c’était toujours un magnifique
compliment. J’eus la réflexion, pour un moment, à savoir où devions-nous mettre nos limites
physiques dans une amitié homme-femme. Car l’amour partagé était au rendez-vous, et les pulsions
physiques étaient quand même à un bas niveau même si, pour être honnête, je pouvais tout de même
les sentir. Je me concentrais davantage sur la tendresse et sur le sentiment que, quelqu’un voulait
seulement me faire du bien, mais également sur le plan physique. Et, même si je n’avais pas été
complètement à l’aise d’avoir ce type de comportement avec un autre homme, je me dis que beaucoup
de femmes agissent ainsi entre elles, par amitié. Bref, c’était quand même une bonne réflexion à avoir
pour pouvoir, dans chacun des cas, établir des limites entre un amour véritable ou un désir purement
physique, bien que les deux soient intrinsèquement liés. La question que je me posais vraiment était :
aurais-je fait pareil si la personne ne me plaisait guère physiquement ?
Après avoir profité de ces frissons de tendresses qui passaient de l’un à l’autre, nous nous levâmes,
prêts à commencer notre journée. Elle entreprit sa routine, jouant avec Skull, puis le nourrit, tandis
que je ramassais tout ce que nous avions laissé au sol. Une fois préparés, nous levâmes les feutres
pour déjeuner et pour prendre notre journée en main. Ma complice m’expliqua qu’elle était très
contente de me voir, mais qu’elle voulait continuer sa route, alors que, pour ma part, je voulais
connaître le coin un peu mieux. Nous décidâmes, à contrecœur, de ne pas terminer la journée
ensemble, de profiter de nos derniers moments et de nous rejoindre sur l’Ile de Vancouver pour
continuer notre aventure. Nous en étions déçus et heureux à la fois.
Je remarquai alors qu’un épais brouillard dormait sur toute la ville. La brume était si dense, qu’on ne
pouvait, qu’à peine, voir les montagnes de l’autre côté de la vallée. Tout l’endroit avait changé
d’énergie. Tout était sombre alors que les paysages et l’environnement semblaient tout droit sortis
d’un film d’horreur. Le beau décor idyllique s’était transformé à un environnement monotone et
presque triste. Je me demandai, donc, si ce n’était pas les répercussions des centaines de feux de
forêt qui sévissaient sur la province.
Dans le stationnement d’un Tim Horton, nous demandâmes à une passante locale si elle avait des
informations sur le sujet. Elle nous informa qu’il y avait un feu qui s’était déclenché dans le dernier
quartier de la ville ; Joe Rich, à environ quinze minutes de voitures, et que le quartier était en
quarantaine. Elle nous expliqua, aussi, que les gens évacués étaient accueillis dans une église à
l’autre bout de la ville. C’était le signe que j’attendais pour pouvoir offrir mon aide. Je voulais tout
d’abord m’y rendre en autostop. Je cherchai l’emplacement de l’église sur internet et la route était si
facile à faire en autobus que je savais aussitôt où me diriger. Je réalisai rapidement que c’était la
première fois que je devais payer pour me déplacer, et même si ce n’était que quelques dollars, je
sentais que je devais le faire le moins possible, pour simplement prouver que n’importe quelle
distance est faisable avec un peu de volonté. Mon amie était fière de moi quand je lui annonçai que si
elle partait comme prévu, j’allais offrir mon aide aux gens qui en avaient besoin. Car donner et
recevoir vont ensemble dans un équilibre cosmique et divin.
Rendu à l’arrêt d’autobus, je vis mon moyen de transport décoller sous mes yeux, bien que je ne sois
pas pressé. Cela me donnait une autre demi-heure à passer avec cette merveilleuse personne que
j’avais appris à aimer si rapidement. Nous fumâmes une cigarette de cannabis, puis discutâmes un
peu. Les trente minutes qui auraient pu être interminables passèrent si rapidement sous nos yeux, que
nous en étions pratiquement déçus, encore une fois. Je lui octroyai encore un peu de tabac, la serrai
très fort dans mes bras, et lui répétai que je l’aimais tant. Elle me répondit qu’elle m’aimait aussi.
Bien que je n’aime pas les au revoir, encore moins les adieux, ce voyage m’aidait énormément à bien
les gérer. Je regardai une dernière fois dans l’infini du vert si naturel et si rayonnant de ses yeux, et
leurs soleils, qui enrobaient ses pupilles d’une façon si éclatante, puis je montai dans l’autobus pour
partir vers la suite logique de mon voyage.
Je débarquai un peu avant mon arrêt, croyant que j’étais déjà arrivé. Je décidai de marcher le reste du
chemin. Je marchai environ une demi-heure avant d’apercevoir l’immense église Willow Park de
Kelowna. Une petite crainte grandissait à l’intérieur de moi, car je voulais vraiment pouvoir aider, et
j’espérais qu’un inconnu comme moi aurait sa place dans cette chaîne humanitaire. Après y avoir fait
le tour pour enfin y trouver les indications vers l’aide aux réfugiés, j’entrai dans le saint
établissement mon sac sur le dos.
Une bénévole m’accueillit avec le plus grand des sourires, et me donna la paperasse pour pouvoir
aider mon évacuation. Après avoir réalisé le malentendu, clairement manifesté par Jym qui faisait,
encore une fois, son spectacle, j’allai vers elle pour lui mentionner que je n’avais pas besoin d’aide,
mais que je voulais bel et bien aider. Elle me dit de ranger mon sac et que quelqu’un allait venir me
voir pour m’expliquer comment je pouvais aider. J’entrai et profitai de mon déguisement d’évincé
pour aller porter discrètement Jym au fond de l’immense pièce remplie de tables, de chaises et de
bénévoles en pleine action. Quelques minutes plus tard, une autre personne m’aborda pour me
demander si c’était moi qui voulais être bénévole. Elle continua en me demandant si j’étais à l’aise
d’interviewer les gens pour les aider à passer à travers la paperasse protocolaire gouvernementale,
dans le but de recevoir l’aide c’est-à-dire: Un toit sur la tête, plusieurs repas par jours, des vêtements
et des produits dont ils auraient besoin, et même un endroit pour accueillir les animaux de
compagnies. Bref, le vrai défi était d’être l’inconnu francophone qui s’exprime dans une deuxième
langue pour remplir des formulaires officiels. Pour être honnête, j’avais quelque peu le trac en voyant
la complexité des formulaires et des petits détails à fignoler, mais mon désir d’aider me poussa à
répondre que j’allais le faire. Je m’assis avec une autre personne, cette fois-ci, un peu plus âgée,
pour la regarder travailler et pour qu’elle m’explique comment bien faire le travail. Car il y avait au
moins quatre formulaires différents, certains nécessitaient de les compléter plusieurs fois, et chacun
avait plusieurs copies carbones à distribuer à des postes différents. Bref, je devais tout apprendre
très rapidement, car je ne pouvais pas me permettre de prendre des jours pour tout assimiler. C’était
tout de même simple.
Durant ma formation, j’entendis une conversation en québécois, ce qui attira mon attention sur-le-
champ, car c’était, pour moi et pour les autres, hors du commun. Une femme était très échaudée par la
situation et sa voix était fébrile. Comme le destin est formé de plusieurs synchronicités et qu’un des
buts de mon expérience était de le réaliser, cette personne qui attendait en file fut dirigée vers ma
table. Elle était petite, mi-quarantaine, avec un joli sourire qui n’était malheureusement pas présent
souvent. Nous nous mîmes à parler en anglais pour m’acclimater et aider ma formatrice à effectuer
son travail, mais je voyais bien que je pouvais lui enlever un poids monumental, seulement qu’en lui
parlant d’un bon vieux Québécois chaleureux, ce que je fis spontanément. Nous remplîmes les
documents adéquats, alors qu’une question restait insoluble. La dame se préoccupait énormément de
la santé de son chat, et nous n’étions pas en mesure de trouver un endroit où le loger, nonobstant
l’église même où nous nous trouvions. La dame âgée qui me formait se leva pour aller voir si nous ne
trouvions pas d’exception. Pendant ce temps, je me mis à discuter avec la dame devant moi qui, pour
des raisons déjà claires, était pratiquement en larme. Elle s’excusa de son état, en français, alors que
je lui avouai que l’être le plus proche que j’avais, à mes yeux, depuis douze années, était aussi un
chat nommé Jack. Je lui expliquai que je pouvais la comprendre, car la seule raison pourquoi je
pouvais m’inquiéter de ne pas être à la maison était l’état de ma grosse bête préférée. Je la sentis
calme tout d’un coup. Je sentais qu’elle se sentait comprise.
Après m’avoir expliqué qu’elle habitait la région depuis quelques années et que c’était la deuxième
fois qu’une telle situation se produisait, elle me lança toutes ses inquiétudes face à celle-ci. Je tentai
de la rassurer en lui disant que nous avions déjà trouvé un toit, et un montant forfaitaire pour qu’elle
puisse vivre pour au moins quelques jours jusqu’aux nouvelles directives. Tentative qui semblait, ma
foi, être un succès. Je lui dis, aussi, que j’allais au moins être ici pour deux jours et que j’adorais les
chats. Alors, advenant le pire des cas où son chat allait rester à l’église, je pouvais lui promettre
d’aller lui parler pour le distraire et voir comment il allait. La dame semblait apaisée.
Elle me demanda alors depuis quand je vivais dans le coin, car mon québécois était un dialecte pur et
non déformé. Alors que ma collègue revint s’asseoir, je répondis que je n’étais que de passage, je lui
pointai Jym dans le fond de la salle, et je lui confiai qu’en voyant la boucane partout sur la région,
j’eus l’inspiration de venir ici pour voir si je pouvais aider. La dame réfugiée me remercia d’un
merci plus que sincère. Par contre, ma formatrice n’avait pas de bonnes nouvelles. Il ne restait plus
aucun endroit, en partenariat avec l’aide aux réfugiés, qui prenaient les animaux. Je lui répétai, en
anglais, que j’allais prendre soin de son chat le plus souvent possible, alors que je sentis que la
mauvaise nouvelle n’avait pas d’impact sur son état. Son mari arriva en même temps ; même tranche
d’âge, Québécois lui aussi. Elle lui expliqua la situation. Puis, elle se leva calmement et me remercia
plusieurs fois avant de me serrer dans ses bras avec sérénité. Je sentis qu’elle avait confiance en moi
et que, d’une certaine façon, elle comprenait qu’elle pouvait nous laisser son chat sans problème.
Elle souriait, même si je pouvais sentir une certaine fatigue derrière son calme. Nous installâmes son
chat dans une moyenne cage, dans une autre salle, avec les animaux et les organismes qui s’y
attachaient. Ils me remercièrent encore puis ils partirent.
Je revins à ma table, un peu renversé par l’intensité de ma première expérience qui m’apprenait tant.
Ma collègue m’attendait, accompagnée d’une responsable de l’action bénévole, elles me félicitèrent
aussitôt pour mon travail. Sur le coup, je trouvais assez simple ce que je venais d’effectuer. Elles me
dirent que, le fait de parler dans leur langue maternelle était d’une grande aide, car j’étais la seule
personne bilingue de toute l’action, mais aussi, de voir une personne d’ailleurs s’arrêter pour aider
était une bénédiction en soi, pour tout le monde. J’étais flatté. Même si je trouvais que j’avais trop de
mérite dans cette histoire, je comprenais leur point de vue et, surtout, j’étais content et fier d’avoir
pris la décision d’être ici et maintenant.
Je n’étirai pas le sujet plus qu’il ne le fallait, et je m’assis à ma table, prêt à continuer d’aider les
gens évacués. On croit souvent que la générosité est de donner surtout des biens matériels ou de
l’argent. Bien que je ne possédasse que le strict minimum, j’avais quelque chose d’autre à donner:
mon temps. Le fait de donner son temps, mais surtout son aide est tout aussi valide, et peut-être même
plus, que de simplement sortir un peu de monnaie de sa poche. Car souvent, on donne ce qui ne nous
est plus utile, alors que notre temps et notre énergie constituent un don de soi complet. Nous croyons
que nous avons besoin de chaque seconde de notre temps, soit pour travailler ou encore pour nous
reposer, et notre mode de vie nous force à dépenser l’énergie que nous avons à peine le temps de
récupérer. Mais au bout de la ligne, que l’on soit récepteur, émetteur ou encore témoin du don de soi,
quand on voit quelqu’un aider quelqu’un d’autre, inconnu ou non, on ne peut qu’être fier de son
prochain et ce simple geste. Et ce simple partage entre deux personnes, au lieu de gruger notre
énergie, se trouve à nous en donner de façon considérable.
La journée passait rapidement. Hormis cette première situation un peu plus intense, mon travail était
assez agréable. J’étais celui qui remplissait les formulaires pour distribuer l’argent du gouvernement
qui avait été gardé pour protéger la population et, connaissant quelque peu la politique, j’étais fier
qu’une partie de l’argent de nos taxes soit injectée dans l’aide humanitaire au lieu de servir à
certaines politicailleries. Certaines familles, en plus d’être hébergées dans des motels, pouvaient se
voir verser une somme considérable qui couvrait beaucoup plus que leurs besoins et j’étais
simplement heureux pour ces familles qui vivaient de grandes difficultés. Il est difficile de se mettre à
leur place et de comprendre ces situations quand on ne le vit pas nous-mêmes, mais ce doit être
effroyable d’être pris entre des incendies, d’y laisser toutes ses possessions, tous ses animaux ruraux,
et de partir vers un motel de la ville pour attendre que tout se calme, sans réellement savoir quand, ou
même seulement s’ils pourront retourner à la maison. Beaucoup de gens évacués continuaient leur
train-train au travail, pour s’occuper ou seulement parce qu’ils ne pouvaient simplement pas se
permettre autre chose.
Déjà que j’étais le plus jeune bénévole et de loin, j’étais le seul francophone, et la rumeur
commençait à circuler que j’étais seulement de passage dans la ville. Les gens me posaient des
questions sur mon histoire et je leur répondais, mais cette expérience, pour moi, ne devait pas
devenir quelque chose où j’étais le centre de l’attention. Je répondais donc aux questions, en toute
humilité, sans me considérer spécial. Car, pour moi, l’énergie de tous devait être envoyés aux gens
que nous aidions. J’aimais mieux parler de tout et de rien, me contentant de parler de ce que j’aimais,
de ce que je pensais, et surtout essayant de connaître chaque âme charitable qui travaillait avec moi,
car pour moi, c’était eux les vrais héros.
Je savais que la situation était quand même profitable pour moi, de toute façon, car j’avais un toit sur
la tête au lieu d’être à l’extérieur de l’église, dans les ténèbres. Mais aussi, l’expérience en soi allait
être un bon matériel à écrire ici. De plus, on me nourrissait plus de nourriture que j’en avais
réellement besoin et je rencontrais des gens, gentils, aimables, aidants ou aidés. C’était le genre
d’expérience qui me donnait foi en l’humanité toute entière et qui me confirmait, encore une fois, que
je partis pour les bonnes raisons.
Une fois la journée terminée, j’allai rendre une dernière visite à mon nouvel ami ; le chat, dans la
pièce des animaux. Pour être franc, il n’appréciait pas beaucoup son séjour. Je lui dis quand même
que nous allions nous voir le lendemain, car j’avais l’étrange conviction que je devais revenir. Et, de
toute façon, j’avais déjà confirmé à l’équipe que j’allais prendre le quart de travail d’après-midi,
mais que j’allais surement y passer toute la journée. Ensuite, j’allai rejoindre Jym qui était toujours à
l’affut, discret dans le coin de l’immense pièce. Je sentis soudainement le temps s’arrêter, alors que
tous les regards se posaient sur moi. Tout semblait être au ralenti. Je remarquai que j’étais le seul qui
pouvait bouger à vitesse normale, comme si le temps me permettait d’agir au-delà de l’attention des
gens. J’agrippai une dernière bouteille d’eau, saluai le peu de personnes que je croisai et partis le
premier, tête baissée. Je n’avais pas le gout de parler de moi, j’étais là pour aider, tout simplement.
J’étais quand même fier, en sortant de l’établissement, de ce que nous venions d’accomplir en équipe,
et du nombre de personnes que nous avions aidées. Ma mère, qui suivait mon aventure à distance,
m’envoya un message pour me faire remarquer l’ironie, si intense et sournoise, de la situation.
J’avais aidé des dizaines de personnes à trouver un toit pour quelques jours, le soleil allait
maintenant se coucher, et je devais en trouver un pour moi. Pour beaucoup de gens, cela pouvait
paraitre compliqué, mais pour moi, je savais qu’il pouvait arriver n’importe quoi, j’allais dormir
cette nuit, et ça me réconfortait. De toute façon, il n’y avait pas eu de pluie sur la région depuis des
mois, et comme je venais de rencontrer une multitude de personnes qui en souffraient, si jamais
j’allais être pris par la pluie cette nuit-là, je n’aurais pu qu’être heureux pour les gens de la région.
Je me mis à marcher la tête haute, j’avais envie de relaxer après une grosse journée de travail, boire
une bonne bière et rencontrer des gens. Je savais vers quelle direction je pouvais me diriger pour
aller vers le centre-ville, j’avais du temps, et je voulais marcher et découvrir cette partie de la ville.
West-Bank était quand même loin à rejoindre, mais je voulais voir le centre-ville de Kelowna qui
était presque à mi-chemin pour aller vers l’ouest. Je marchai environ une heure avec Jym et Eva. La
ville me faisait penser à la ville de Laval au Québec. Je ne voyais que des commerces de vente de
détails et de services, partout autour, qui défilaient sous mes yeux de passant qui aurait aimé voir un
petit bar de village. Pourtant, après une heure, tout ce que je voyais passer était des grillades et des
pubs. Après environ une heure de marche, je décidai de prendre l’autobus pour retourner vers
l’église et d’inspecter le quartier, plus près de celle-ci, qui semblait plus résidentiel. Ni internet, ni
Eva n’était capable de me montrer où aller, bière ou non, et je savais que je devais retourner aider au
lendemain.
J’étais alors dans l’autobus de ville pour aller vers l’est. Je dépassai l’église, je voulais voir
rapidement ce que le quartier offrait, c’est pourquoi je regardais tout autour, pour trouver un endroit
où dormir et aussi un endroit où passer quelques heures. Je ne voyais toujours que des commerces. Je
décidai de débarquer à la prochaine sortie, car l’autre ensuite était très loin et se rendait plus près de
l’université. Quoique le plan d’être entouré d’universitaires me plaisait, je ne voulais pas être trop
loin de l’église pour avoir une seconde journée productive. Rendue à ma sortie, la route était
complètement en construction sur des kilomètres. Un homme, début trentaine, que j’entendais discuter
avec quelques personnes autour, grand, mince, athlétique et barbu, demanda au conducteur pourquoi
il ne s’était pas arrêté à l’arrêt habituel. Le conducteur lui répondit que les constructions routières,
autour, l’obligeaient à continuer sa route. L’homme lui répondit qu’il devait absolument débarquer
dans cette région de la ville et après une petite discussion, il lui dit de rester dans l’autobus quand
tout le monde allait débarquer près de l’Université. Sur la route du retour, il allait trouver une
solution. Je pris également ces directives pour miennes.
Rendu à l’université, tout était désert, il n’y avait pas grand-chose à regarder, car l’arrêt d’autobus
était assez loin de celle-ci, du moins, il faisait noir et je ne voyais aucune action et peu de lumière. Je
ne voulais pas dormir aussi loin de ma destination pour rien. Je restai dans l’autobus avec l’autre
homme. Il s’approcha de moi et me demanda si, moi aussi, je voulais débarquer au même endroit. Je
lui répondis alors que j’avais écouté sa conversation avec le conducteur et que la solution me
convenait également. Il semblait content. Puis, il me demandait si je le connaissais. Je lui répondis
que non, bien évidemment, que je n’étais pas du coin. Il me répondit qu’il était assez connu dans la
ville, car il était le vendeur de champignons magiques le plus connu de la région. Il me signala
aussitôt que malheureusement, il en avait plus avec lui. Eva me chuchota alors à l’oreille de rester
vigilant, car l’homme semblait hors du commun. Il me confia qu’il aimait beaucoup sa carrière et
qu’il était en train de restaurer une limousine qui allait lui servir à la vente de son fameux produit,
qu’il allait peindre des champignons de Super Mario Bros sur celle-ci. Je trouvais l’histoire cocasse,
mais je ne trouvais aucun mot pour décrire l’univers dans lequel mon interlocuteur se trouvait. Il
semblait quand même sympathique, bien que son histoire ne semblât tenir debout que dans sa tête.
Puis, de fil en aiguille, je tentai d’expliquer que je voulais écrire un livre sur mon histoire dans
l’Ouest canadien. Je sentis aussitôt qu’il était le type de personne qui voulait plutôt parler de ses
histoires. Je l’écoutai.
L’homme me raconta qu’il était bien évidemment connu des milieux policiers. Puis, il me raconta des
histoires d’import-export de drogues à travers le Canada et les États-Unis, et comment il avait déjoué
les douanes, à plusieurs reprises, avec certaines diversions inexplicables et certaines contradictions
dans les lois, lesquels lui seul avait trouvées. Il me disait qu’il écrivait également un livre sur sa vie,
sur la vente de champignons magiques et sur ses aventures contre la loi. Je me disais que son histoire
pouvait quand même être intéressante, mais que le type était tout simplement trop étrange pour
pouvoir en tirer quelque chose… Si jamais son histoire était belle et bien vraie. Bien qu’il fût très
sympathique, il semblait croire que tout ce qu’il faisait était connu, et qu’il avait tout pour être une
vedette, qu’il était très spécial. Effectivement, je le trouvais spécial.
Il me demanda, par la suite, tout près de notre arrêt, si j’avais du pot. Je lui avouai qu’il ne me restait
qu’un minuscule joint, mais que nous pouvions le partager en sortant de l’autobus, s’il le voulait bien.
Il était très content. Pour ma part, partager un joint est une communion en soi. Je pouvais alors en
profiter, lui faire mes adieux, et continuer mon chemin, loin de lui.
Nous sortîmes du véhicule, contournâmes quelques cônes oranges puis, entrâmes un stationnement. Je
remarquai qu’un homme débarqua de l’autobus quelques secondes après nous et vint nous rejoindre.
Ils se connaissaient. Nous nous dirigeâmes, alors, vers une ruelle peu éclairée, passant par un
minuscule espace où il y avait de longues herbes. Eva ne cessait de me répéter de faire extrêmement
attention, car elle ne pouvait pas avoir confiance en ces gens louches. Je demandai à la personne que
je connaissais peu, si nous n’étions supposés que de fumer un joint ensemble en sortant de l’autobus,
et il me répondit qu’il connaissait un endroit parfait pour le fumer et que c’était une surprise. Je le
suivis, complètement aux aguets. Je me répétais qu’ils étaient deux, que je sentais qu’ils étaient
sympathiques, mais que nous ne pouvions baisser la garde qu’une seule seconde. N’importe quelle
histoire d’horreur aurait pu débuter par ce que j’étais en train de vivre. J’eus une pensée pour la
polarisation de mon séjour à Kelowna. Dans la journée, j’étais un bénévole dans une église avec des
personnes plus âgées, alors que le soir, je me promenais avec un vendeur de champignon magique et
son ami, dans des ruelles sombres, craignant un tant soit peu pour ma sécurité. Quelle aventure !
Nous arrivâmes à une très grande clôture qui devait faire peut-être dix pieds de haut. Il nous signala
de ne pas faire de bruit, car nous n’avions pas l’autorisation d’aller sur le terrain où nous nous
apprêtions à marcher. Les deux portes de la clôture étaient attachées par une immense chaîne, qui
permettait de les entrouvrir pour se faufiler à l’intérieur du territoire interdit. Les deux personnes y
passèrent avant moi, alors que j’hésitais toujours à les suivre. Décidément, Jym et moi ne pouvions
pas y passer en même temps. Je passai Jym à l’ami en question qui le tenait fermement. D’un côté je
m’inquiétais pour la sécurité de mon sac, mais de l’autre, je rigolais à l’idée de le voir essayer de
partir avec lui. Tout en lui donnant, je lui souhaitai silencieusement bonne chance. De toute façon, je
passai la barrière assez facilement, et me je trouvais déjà de l’autre côté. Je remis aussitôt Jym sur
mes épaules.
Nous marchions et je réalisai que nous étions dans la cour d’un ferrailleur. Je croyais que nous ne
passions que par-là, car c’était un raccourci vers où les deux hommes vivaient. Je restais quand
même un peu plus loin, prétextant le poids de mon sac pour justifier une certaine distance avec eux.
Puis, nous nous arrêtâmes à une rangée de véhicules alors que je voyais l’homme regarder s’il
pouvait entrer dans l’un d’eux. Arrivé aussi près qu’eux, je remarquai que le véhicule était bel et bien
une limousine assez délabrée.
J’étais soulagé de voir de mes propres yeux qu’une partie de l’histoire de l’homme était véridique. Je
tentai de rentrer Jym par la porte arrière, alors qu’il n’arrivait pas à passer par l’orifice du véhicule.
Mon « ami » me suggéra de le laisser à l’extérieur, que rien n’allait lui arriver. Bien que je ne sois
pas enthousiaste à l’idée, j’accotai mon sac sur l’arrière du véhicule et pris place à l’intérieur de
celui-ci. J’avais si hâte de fumer pour pouvoir partir rapidement. Je commençai à rouler la petite
cigarette, alors que l’homme se rappela qu’il lui restait de la bière chaude quelque part dans le
véhicule. Il chercha pour un instant, la trouva et nous en offrit une. Je ne savais pas depuis quand la
bière s’y trouvait, mais elle était bel et bien scellée, et même si elle était chaude, je l’acceptai.
J’allumai le joint et le passai.
Les deux gaillards prenaient leur temps pour fumer, alors que j’entendais Eva s’exprimer : « Allez,
fume, allez, plus vite ». Car, elle ne voulait que partir de cette situation bizarre. Pendant ce temps,
l’homme sortait des néons lumineux des coffres, un ordinateur, des haut-parleurs et commençait à
raconter qu’il était également DJ. Mais, encore une fois, il n’était pas n’importe quelle DJ, mais un
des meilleurs au monde. Tous les grands "Disc Jockeys” de la terre le connaissaient et tentaient de le
discréditer dans une conspiration globale. Je me disais que son histoire devrait plutôt être écrite en
comédie musicale, pour y ajouter un peu de piquant. Car en tant qu’héros, il allait tout de même
réussir à prouver qu’il était le meilleur DJ. Les autres avaient seulement peur de son talent et avec
raison. C’était de plus en plus loufoque.
Je voyais que son équipement devait valoir plusieurs fois le prix de la limousine, mais encore là,
pourquoi était-il caché dans une limousine au fin fond de la cour d’un ferrailleur ? Sur le coup, je me
demandais réellement : « Mais dans quoi je me suis embarqué encore ? », regardant Eva qui me
disait qu’il n’y avait que moi pour vivre ce genre de situation. Je ne voulais plus me poser de
questions, je ne pensais qu’à partir alors que la cigarette de cannabis tirait à sa fin. J’étais heureux et
confiant enfin. Jusqu’au moment où je me retournai et échappai le contenu de ma bière chaude sur le
plancher tapissé du véhicule.
Je me sentis mal sur le coup, mais aussi, j’espérais le plus fort possible de ne pas être victime d’une
saute d’humeur de la part du vendeur de champignon. C’était comme si le temps s’était arrêté, encore
une fois, pour me laisser lire les visages des deux hommes qui venaient d’être témoin de ma bourde.
Heureusement pour moi, ils en rirent un peu, puis me demandèrent de ne pas m’inquiéter, que la
limousine avait déjà besoin d’un nettoyage. J’étais plutôt d’accord.
Pour ne pas être celui qui renverse sa bière et qui quitte aussitôt, je me sentis obligé, par politesse,
de rester quelques minutes encore. Je leur demandai s’ils connaissaient un établissement, non loin de
là, où je pouvais boire une bière et même chanter du karaoké. Je ne voulais que parler pour parler, et
peut-être recevoir un peu d’informations. Ils me conseillèrent quelques endroits, mais les indications
n’étaient pas si claires. Je les remerciai pour tout, d'autant plus qu’après tout cela, j’étais toujours en
sécurité et ils avaient été très sympathiques à mon égard. Il ne vivait que dans un univers quelque peu
différent du mien, bien que je ne puisse totalement les comprendre. Ils me demandèrent de trouver des
femmes où j’allais sortir, et de les amener à la « mushroom limo ». Je voyais mal comment je
pouvais aller dans un bar pour aborder trois femmes et les convaincre de me suivre jusqu’à cette
clôture de ferrailleur, pour qu’ils rencontrent et tombent en amour avec ces personnages
rocambolesques. L’idée me faisait pratiquement rire, mais, pour couper la conversation, je leur dis
que j’allais essayer. Le plus étonnant était que j’avais réussi, malgré tout ceci, à manifester une bière,
sortie de nulle part.
Je sortis du véhicule, agrippa Jym rapidement sur mon dos, puis, d’un pas rapide, me dirigeai vers la
clôture, espérant ne pas me faire voir ou suivre. Je passai mon sac au centre des portes, je pris la
clôture entre mes doigts, accotai mes pieds sur celle-ci et bondit de l’autre côté. Je sentais que j’étais
plus léger qu’auparavant et que ma condition physique ne pouvait qu’aider à ma sécurité. Puis, je
repartis vers la rue principale. Je recommençai mon périple, allant vers l’Ouest, dépassant l’église,
puis revenant vers l’Est. Je marchai au moins deux heures, pour finalement réaliser qu’aucun endroit
dans les environs n’allait me plaire. De plus, avec ce que je venais de vivre, c’était assez d’aventure
pour moi pour cette journée. Je ne voulais que trouver un endroit où dormir et j’avais déjà bu un
semblant de bière.
Soudain, Eva me pointa une haie de cèdres et un fossé, aux abords d’un stationnement et d’un
immeuble, adjacent à la rue principale. Le minuscule coin de celui-ci était complètement caché dans
un angle mort. Je déroulai mon "sleeping bag" et m’y installai dans le noir. Ironiquement, j’avais aidé
des gens à trouver un toit pour eux et leurs familles, j’avais passé une partie de ma soirée dans une
limousine avec des étrangers étranges, et maintenant, la seule chose qui me restait à faire était de
dormir, caché dans un fossé. J’entendis quelques personnes s’approcher de moi, ils cherchaient un
endroit pour cacher une caisse de bière. Ils la déposèrent dans ma maison temporaire, deux ou trois
mètres d’où j’étais, puis repartirent, après quelques minutes, sans m’apercevoir. Cela venait
simplement de me confirmer que j’étais invisible et en sécurité et que j’allais avoir la chance de
vivre au moins une autre journée.

26 août 2017

Je me réveillai, ce matin-là, et il me fallut quelques secondes pour me rappeler que j’étais au beau
milieu de Kelowna dans un fossé. J’entendis des gens parler tout près de moi. Ils marchaient dans la
rue sans se soucier, ou même se douter, que quelqu’un avait dormi, caché dans un sac de couchage
orange, à quelques mètres d’où ils étaient. Je le roulai rapidement alors qu’hormis cela, Jym était
déjà intact et prêt à repartir sur mon dos. Je me mis à marcher et à réfléchi. J’avais l’impression
grandissante que ce qui se passait dans ma vie n’était pas la fin d’une étape, mais le début d’une
aventure. Je ne pensais pas que mon voyage était le début et la fin de quelque chose, mais bien la
renaissance d’un nouveau Mick ; le commencement d’une nouvelle vie tout simplement. Peut-être
était-ce seulement dans ma tête, mais cela faisait un mois, jours pour jours, que tout s’était déclenché,
et je sentais que mon rôle sur la planète était différent que de simplement travailler le plus fort
possible pour fonder une famille et prendre une retraite méritée. Même si c’était l’objet de mes
ambitions seulement qu’un mois plus tôt. Je ne trouvais pas les autres ambitions moins nobles, mais si
je devais écouter le plus grand message que la vie essayait de me transmettre, depuis au moins plus
d’une décennie, je devais comprendre que mon destin était seulement de parcourir les sentiers battus,
à ma façon Et c’est ce que je faisais à l’instant.
Contrairement à la veille, j’étais plus près de l’église que je le croyais. Je marchai un peu vers sa
direction, quelques minutes tout au plus, et j’y fus déjà arrivé. Il n’était certainement pas l’heure de
commencer mon quart de travail. C’était toujours une chaude et sèche journée ensoleillée qui
plombait sur les quartiers enfumés de Kelowna. Par contre, contrairement à la veille, je pouvais voir
et sentir le soleil, et cela était, pour moi et pour les gens de la région, une bénédiction en soi.
Je décidai alors de continuer à marcher. Peut-être pour m’acheter une pâtisserie, même si je savais
très bien qu’on allait encore me nourrir aujourd’hui. Peut-être seulement pour être à l’extérieur et
pour profiter de ce que la nature avait à offrir de meilleur. Un peu plus loin, à l’est de « Willow
Church », un homme âgé et sa femme m’abordèrent, parlant de destin et de notre place dans ce
monde. J’étais très heureux de pouvoir partager mes philosophies, car je n’avais jamais autant
ressenti être à la bonne place au bon moment auparavant. Ils avaient des dépliants et des petits livres,
mais nos discussions allaient bien plus loin que la bonne parole écrite sur un bout de papier. Nous
parlâmes d’énergies, de constituer un tout humanitaire, de notre liaison cosmique, etc. La
conversation continua jusqu’à tant que je me décide enfin à aller vers l’église. Il me tendit son
matériel promotionnel et me souhaita le meilleur. J’étais content que quelqu’un voit ce que je faisais
en considérant mon travail comme normal, comme si c’était naturel de vouloir découvrir et aider son
prochain, et non comme un héros qui se distingue des autres. Car, pour moi, héros et égo sont des
mots trop similaires. J’allai plus loin pour me réaliser que l’homme était témoin de Jehova. J’étais
très heureux de voir que nous pouvions être assez ouvert pour tout mettre nos croyances ensemble et
en discuter, au lieu de tomber dans le : « J’ai raison, tu as tort ».
J’allai méditer derrière l’église un quart d’heure, pour être à mon maximum, puis j’entrai dans celle-
ci pour y commencer ma journée plus tôt que prévu. Comme la veille, je portai mon sac au fond de
l’auditorium. Puis, j’allai voir mon nouvel ami, le chat, qui était de mauvais poil encore une fois. La
petite pièce, où il y avait toutes les cages remplies d’animaux, était contingentée par un niveau de
stress. Les chiens pleuraient, les chats huaient. À mon avis, ils sentaient la gravité de la situation, et
surtout l’état d’âme de leurs maîtres absents. Les chats étaient simplement non approchables. La
plupart se sentaient mieux quand on couvrait la cage d’une couverture pour qu’ils puissent se foutre
des autres, comme seul un chat peut si bien le faire. Je tentai d’approcher la bête que je tentais
d’aider, mais après quelques tentatives, je me résiliai à l’idée que le laisser vivre son stress à sa
façon était la meilleure idée. Je me rendis à une table qu’on m’avait assignée, alors qu’on me permit
de commencer à travailler avant l’heure prévue. Je proposai quand même à mes collègues de prendre
la place de quelqu’un, s’il voulait finir plus tôt et profiter de ce samedi ensoleillé.
La dame responsable de trouver des chambres de motel pour les personnes évacuées vint me voir.
Elle devait peut-être entamer la cinquantaine, mais sa beauté et sa distinction trahissait l’expérience
de son âge. Ils me convoquèrent à la table où les responsables du programme travaillaient et me
signalèrent que mon travail n’était pas adéquat. Après quelques minutes à abuser de ma naïveté, je me
rendis bien compte que ces femmes me faisaient marcher. Elles blaguaient tout simplement. Elles
m’expliquèrent qu’après m’avoir vu quitter avec Jym, la veille, elles avaient réalisé que je n’étais
pas un voyageur commun et que c’était tout à mon honneur de prendre du temps pour aider les gens
comme je le faisais. L’une d’entre elles avait même écrit un message touchant sur les réseaux
sociaux, sans photo et sans artifices, seulement pour montrer à ses amis que la bonté existait encore.
Je me dis que la ligne était mince entre la reconnaissance, la gloire, le prestige, et que si mon but était
de faire parler de mes intentions, j’avais réussi. Elles me remercièrent à plusieurs reprises, alors que
je sentais le besoin de me justifier. Je leur expliquai brièvement qu’en autostop, dans la rue, je devais
avoir confiance en la générosité des gens pour avancer. Comme je vivais beaucoup avec la
générosité des gens, je devais manifester cette générosité pour qu’elle me revienne légitimement, car
la générosité, pour moi, était un équilibre entre donner et recevoir.
Mon égo était touché et apaisé à la fois. C’était agréable de se faire reconnaître pour certains efforts,
mais je voulais garder l’équilibre entre une humilité stable, et la responsabilité d’inspirer les gens
par mes actions, par la personne que j’étais, et non seulement que par mes paroles. Je n’ai jamais cru
être meilleur que les autres, mais si quelqu’un pouvait commencer à croire, ou même à poser des
actions en voyant ce que je faisais, ma mission était accomplie, en quelque sorte.
Nous discutâmes un peu. J’eusse toujours eu une facilité à parler sincèrement avec des personnes
plus âgées, si elles ne s’arrêtaient pas à mon jeune âge. Nous avons tous la même lumière à
l’intérieur de nous, et je crois avoir eu plusieurs occasions, au cours de ma vie, pour montrer la
mienne aux gens que je côtoie. Je passais d’un bénévole à l’autre, je les saluais, j’avais l’impression
de passer la journée avec des amis, discutant de voyage, de philosophie, de spiritualité, quand nous
avions la chance. J’eus une magnifique conversation avec un chrétien qui basait ses croyances sur
l’ouverture d’esprit. J’étais subjugué de voir que cet homme, qui croyait en Jésus, était assez ouvert
pour parler que nous ne connaissions rien, au lieu de tout ramener au nom du père du fils et du Saint-
Esprit. Il laissait entendre qu’il ne pouvait pas savoir si la réincarnation existe ou même comment
définir Dieu. Il me donna un Nouveau Testament, alors que nous fûmes tout-à-coup avertis, à la
blague, car nous parlions trop. Je mangeais, je discutais, je riais. Pour moi, en plus d’être une journée
pour aider les gens, c’était une journée où je n’avais pas à me préoccuper de ma nourriture, de la
température ou même de prendre les bonnes pauses au bon moment. Je me reposais en aidant et en
rencontrant et c’était la meilleure combinaison possible.
La journée de travail passa rapidement. En tout, j’eusse dû aider environ trente personnes par jour à
compléter des formulaires pour qu’ils puissent avoir de l’aide gouvernementale. À un moment, deux
superbes jeunes femmes entrèrent pour avoir de l’aide. Elles semblaient épuisées. Je me considérai
chanceux, car elles furent assignées à ma table et elles étaient très agréables à regarder. Par contre,
émotionnellement, c’était toute autre chose. Après avoir rempli les formulaires adéquats pour leur
situation, elles s’assirent dans la salle et commencèrent à parler aux autres personnes évacuées. Elles
se mirent à déblatérer que la situation allait perdurer pour des mois, qu’elles avaient parlé à des
policiers et elles expliquaient la crise dans la pire de ses probabilités. Le mot commença à se
propager alors que même les bénévoles ne savaient pas quoi en penser. Peut-être avaient-elles
vraiment une information que nous n’avions pas, même si l’organisme pour lequel je travaillais était
en contact direct avec le corps policier et le ministère responsable. En mangeant, quand tout le monde
fut parti, nous nous entendîmes sur le fait de couper court à cette rumeur, car nous étions les premiers
à pouvoir confirmer les faits, mais surtout, nous vivons dans un monde alimenté principalement par la
peur, et propager la peur de cette façon, pour moi, était seulement nuisible aux opérations et à
l’énergie des gens qui vivaient ce problème. De plus, comme nous sommes tous cocréateurs de notre
réalité, nos mots ont plus de pouvoir que nous le réalisons. Donc, propager cette rumeur, pour moi,
était comme prononcer une incantation pour la rendre réelle. À partir de ce point, quand nous
entendions cette rumeur, nous ne faisions que répondre que ce n’était pas l’information que nous
avions.
Hormis ces deux jeunes femmes, qui revinrent à plusieurs reprises pour déranger l’ordre public, il
n’y avait pas vraiment de situation périlleuse. Une heure avant que j’eusse terminé, la responsable
principale, qui agissait comme une maman avec moi, depuis le début de la journée, me proposa de
prendre une pause. L’église possédait des douches, elle avait du savon et du shampoing à m’offrir.
Elle me dit que toutes les commodités de l’église étaient à ma disposition pour pouvoir prendre soin
de moi. Elle ajouta qu’elle était fière de moi et qu’elle voulait m’aider à son tour. J’étais touché. Je
demandai à Jym de me donner des vêtements propres et je choisis un accoutrement que je n’avais pas
encore porté depuis le début du voyage, car mon chandail était blanc et facile à tacher. Les douches
de la salle de bain étaient très ouvertes. Habituellement, j’aurais eu une petite crise de pudeur à me
déshabiller à cet endroit, mais j’avais remarqué que depuis le début de ce voyage, ma pudeur était de
plus en plus menue.
J’allai ranger mon linge et revins à ma table. Puis, après quelques dizaines de minutes, je pouvais
quitter pour recommencer l’expérience de la veille, cette fois-ci, j’espérais rencontrer de gens qui
vivaient dans un monde similaire au mien. Mes collègues me complimentèrent sur mon apparence
physique et sur mon travail. Ils me demandèrent de revenir le lendemain et je leur répondis que
j’allais essayer, mais que j’avais une belle promenade dans les bois de prévue avec des amis, et
qu’ensuite, je devais continuer ma route. Je serrai à peu près tout le monde dans mes bras avant de
partir. Un côté de moi ne voulait pas quitter cette vague de sympathie et d’amour que nous nous
donnions entre nous, mais aussi que nous tentions de transmettre à une communauté qui en avait
vraiment besoin. À ce moment, j’étais sûr d’avoir rencontré les bonnes personnes, au bon moment, au
bon endroit.
Un des seuls quartiers de la ville que je n’avais pas connus encore était le centre-ville, moi qui
n’aime pas ce mot. J’étais tellement énergisé par les deux dernières journées, que je me sentais tout
simplement invincible. En sortant, un des bénévoles me proposa de m’héberger. C’était très gentil de
sa part, mais je voulais absolument être seul pour un moment, puis boire une bière tranquillement
pour me féliciter de mon parcours, me disant que je n’allais pas toujours avoir l’occasion d’aider
autant. Je traversai la rue et pris l’autobus pour aller directement vers le Centre-Ville de Kelowna.
Descendu de l’autobus, j’allai au premier endroit que j’aperçus, je m’installai sur la terrasse et y bus
tranquillement une peinte. Par le fait même, je confirmai avec mon ami qui m’avait permis d’arriver à
Kelowna, que nous allions bel et bien nous voir au lendemain matin, pour faire cette promenade, en
famille, dans les bois. J’avais hâte de rencontrer ses fils et de passer une journée avec des gens avec
qui j’avais été si proche. Après quelques dizaines de minutes, j’avais le gout de me détendre et de
connaître le centre-ville. Je me mis à marcher dans les rues pour voir ce qui se passait. Le quartier
était si vivant, que je m’en voulais pratiquement de ne pas être venu ici directement la veille, au lieu
de tenter ma chance avec monsieur le vendeur de champignon magique. Il y avait des restaurants, des
boutiques et des bars à perte de vue, ainsi que des belles personnes qui déambulaient fièrement dans
ses rues.
Je marchai jusqu’au bout, guidé par Eva qui me pointait tout avec admiration, tandis que Jym faisait
toujours son « Show off » sur mon dos. La rue principale tournait pour laisser place à un gigantesque
parc où l’on pouvait parfaitement voir le pont qui relie la partie ouest et est de la ville. Je me disais
que c’était la seule route qui rejoignait les deux parties et qu’il devait y avoir une congestion notable
à cet endroit en semaine. Bref, j’allai à l’autre bout du parc, m’assis seul au pied d’un arbre, pour
méditer, et profiter de ce que la vie avait à m’offrir. Encore une fois, je ne possédais rien, c’est alors
que je me sentais comblé, car j’avais tout à offrir et tout à recevoir. Toujours quelques dizaines de
minutes plus tard, le soleil commençait à se diriger vers l’horizon, je vis que le parc était de plus en
plus rempli. Les gens étaient heureux, c’était le « week-end » et quelque chose se préparait. Je me
levai, et allai vers l’attroupement.
Une minuscule scène était préparée, alors qu’un groupe de musique était prêt à jouer. Je n’avais pas
besoin de plus pour me convaincre de mes plans pour les prochaines heures. Je m’assis sous un
arbre, à quelques mètres du spectacle, parfois regardant le "band" local performer, parfois j’avais les
yeux fermés, me laissant porter par leur excellente musique. Le groupe performait des compositions
personnelles, mais aussi des chansons plus connues. Ils vinrent particulièrement chercher quelque
chose en moi avec l’interprétation d’un classique que j’adore « Ain’t no sunshine ». Puis, la dernière
chanson terminée, il y avait quand même toujours un peu d’animation sur le site, je me levai et
continuait mon chemin. Encore une fois, je voulais entrer dans un bar, boire une autre bière, et
surtout, rencontrer des gens. Je fis alors le parcours contraire à ce que j’avais fait auparavant.
Je croisai des musiciens sur la rue alors que j’étais déjà porté par une énergie festive. Je pris le
temps de les écouter, assis sur Jym qui prenait le rôle de siège pour cette fois-ci. Les rues du Centre-
Ville étaient bondées de jeunes gens qui se laissaient porter par la même énergie que moi, celle qui
me faisait apprécier chaque moment. Je pris le temps d’écouter et de parler aux musiciens, puis je les
remerciai pour ce qu’ils faisaient. Bien que je n’eusse aucun argent à leur donner, je crois que ce
genre de musiciens donnent autant, sinon plus, que ce qu’ils peuvent recevoir à jouer directement sur
la rue. Je passai ensuite devant une pizzeria italienne et la pizza semblait d’origine napolitaine ; ma
préférée. J’entrai et commandai une pizza avant de réaliser que je n’avais plus mon portefeuille. Je
gardai mon calme et réfléchis sur-le-champ à l’endroit où il pouvait être. J’avais acheté une bière
auparavant, il n’était donc pas resté à l’église. De plus, je portais mes pantalons noirs, depuis peu, et
mes articles avaient tendance à fuir les poches de ceux-ci. Il devait être tombé sous un arbre dans le
parc, soit au spectacle, soit avant. Sinon, un de mes pires cauchemars était en train de se réaliser.
Pour beaucoup de voyageurs, être en voyage sans pièce d’identité est une des dernières choses que
l’on veut qui nous arrive. Bien que je n’eusse presque rien, j’avais absolument besoin d’au moins une
carte pour m’identifier et, surtout, de ma carte de banque. Je décidai donc, calmement, de faire le
trajet inverse, abandonnant ma commande de pizza napolitaine derrière moi. Je me rendis à l’endroit
où le spectacle s’était déroulé, mais je ne trouvai rien à l’endroit où j’étais assis, tout près de la
scène, sous l’arbre en question. Je continuai donc à marcher en me répétant que je devais creuser mes
méninges, si jamais mon portefeuille ne se trouvait pas sous l’autre arbre, à l’autre extrémité du parc.
Au loin, tout près de l’arbre qui avait accueilli ma médiation, je vis une anomalie réfléchir au sol.
J’étais soulagé à la vue de celle-ci, car j’étais sûr d’avoir retrouvé l’objet perdu.
Je ramassai mon portefeuille, très content de l’avoir aussi facilement retrouvé. Comme si rien ne
s’était produit, je recommençai à marcher vers la rue principale du centre-ville, et surtout vers tous
ses commerces. Mon corps commençait à me signaler que je devais déposer Jym pour un moment, de
plus, j’avais très faim. J’avais le gout de manger cette pizza que je convoitais tant, mais je me résolus
à dépenser le moins d’argent possible et j’avais besoin de calme, alors que j’avais remarqué, plus tôt
que l’endroit était bondé. Je passai devant le restaurant, parcourant d’un sens, puis de l’autre, la rue
contingentée. Je m’arrêtai alors à une petite poutinerie, où je m’achetai une simple poutine et une
bière.
Bien que le Canada anglais soit très fier de notre met national ; la poutine. J’eus une réflexion au sujet
que la poutine avait premièrement été inventé au Québec, et bien que nous fissions partie du même
pays, si l’on se compare à l’Europe en termes de distance, c’était comme si la Chine revendiquait la
pizza. Mais au-delà de la distance, je remarquais, un peu partout dans l’Ouest, une différence notable
sur la qualité et la quantité de poutine qui était servie. Par contre, je l’appréciai tout autant, au sein
d’un restaurant qui se spécialisait, peut-être, un peu plus que les autres.
Je rencontrai quelques jeunes hommes avec qui j’eus la chance de partager mes réflexions de surface,
tout en étant fier d’être un pro de la poutine. Puis, après avoir échangé nos histoires, ils me dirent
qu’ils allaient dans un bar, tout près, pour engloutir quelques bières. Ils m’invitèrent à les suivre.
Poutine terminée, je demandai à Jym et Eva de me suivre. Et moi-même, je me mis à suivre ces
personnes jusqu’au bar où ils avaient prévu d’aller. Ils étaient jeunes, du même groupe d’âge que
moi, sensiblement avec les mêmes gouts et les mêmes intentions. C’était toujours agréable de pouvoir
rencontrer simplement un inconnu et de dire : « hey partageons, une bière, une soirée ». Cela me
prouvait encore une fois que l’humanité était aimante.
Arrivés au bar, mes amis y entrèrent alors que le grand homme à la porte me refusa le passage. Je ne
savais pas si c’était une question de discrimination, mais il ne semblait pas apprécier la présence de
Jym, et il me dit que mon sac ne pouvait pas entrer. Je saluai mes nouveaux amis, au loin, puis
continuai ma route vers le prochain bar, seul, pour passer le temps. Encore une fois, arrivé à cet
endroit, on me dit que Jym ne pouvait pas y entrer. Puis, encore au prochain établissement, on lui
refusa une troisième fois l’entrée. C’était la première fois que tant d’endroits, l’un après l’autre, lui
refusaient le droit de passage. Eva était tout simplement découragée. J’avais le choix d’aller un peu
plus loin pour me trouver un endroit où camper, ou de continuer à chercher, mais la liste d’endroits
où je pouvais passer un peu de temps s’amenuisait alors que la nuit était de plus en plus installée. Au
bout de la rue, près du parc où j’étais au départ, il y avait un pub à deux étages. J’y entrai, suppliant
l’hôte de nous laisser un coin, à Jym et moi pour charger mon téléphone et déguster, en toute
tranquillité, une bonne bière.
C’était pratiquement bizarre comment je sentais que je surfais sur la vague du destin. Je me
promenais et remarquais ce qui se passait autour de moi, décidant de rester ou de quitter des
situations. J’avais perdu mon portefeuille, changé d’idée sur mon repas, si j’étais arrivé plus tôt, on
m’aurait surement permis d’entrer à certains endroits, mais maintenant que c’était bondé partout,
j’étais dans le dernier établissement qui m’acceptait, un moyen pub sur deux étages à l’allure
irlandaise : le Kelly’s. Je m’assis au bar, commandai une bière rousse et demandai au barman s’il
pouvait charger mon téléphone. Il refusa, m’expliquant qu’il n’y avait pas de prise près d’où j’étais.
Soudain, une magnifique serveuse du restaurant m’aborda, remarquant mon énorme sac de voyage,
elle me demanda où j’allais. Un peu pris de court, la même réponse qu’à l’habitude sortie de ma
bouche, sans même que j’y réfléchisse. Je lui répondis « I don’t know » … J’étais un peu gêné qu’une
réponse aussi simple et naïve vienne de moi devant une femme aussi belle, mais, encore une fois,
sans y penser, comme par magie, mon sens de la répartie prit le dessus et ajouta : « mais je sais d’où
je viens, et c’est le plus important ». À bien y repenser, ma réponse était assez « smooth », mais sur
le coup, je n’y pensai même pas. Je contemplais son merveilleux sourire, alors qu’elle me demanda
d’où j’étais. Je lui répondis du Québec et elle rétorqua aussitôt qu’elle était du Nouveau-Brunswick.
Je lui demandai alors si elle parlait français. Et, à l’aide de son sourire sans équivoque, et d’un
accent trop adorable, elle me répondit : « Bien oui, certainement ». J'étais agréablement surpris.
Avec beaucoup d'émotions, je m'exclamai que j'adorais tant la façon dont les Acadiens s'expriment,
car je suis, de prime abord, un amoureux de la langue française. J’étais tout simplement charmé.
Elle était quand même grande, avait un merveilleux sourire. Ses cheveux châtains étaient
soigneusement coiffés comme l’exigent les normes de salubrité d’un restaurant qui se respecte. Mais
son piercing au nez laissait paraitre un côté anticonformiste chez elle qui me parlait énormément. Au
cours de la soirée, je la voyais servir ses clients, parcourant sa section, elle avait l’air si simplement
dans son élément. Je la voyais aussi me regarder du coin de l’œil, ce qui la distraie quelquefois de
son travail. Cependant, son magnifique sourire ainsi que sa simplicité était un argument en soi pour
qu’un client lui pardonne sur-le-champ.
Alors que j’étais toujours au bar, discutant avec le barman, buvant une puis deux bières, je ne faisais
qu’observer le temps passer autour de moi, témoin d’une scène où je n’étais qu’à peine spectateur. À
toutes les fois que cette jolie Acadienne avait un moment de libre, elle passait à côté de moi pour
engager la discussion. Nous parlâmes brièvement de mes voyages, puis des siens, puis de la région.
Elle me confia qu’elle avait hâte, car elle allait partir de l’endroit pour, elle aussi, parcourir le pays
en auto, et pour revenir vers sa mère patrie ; le Nouveau-Brunswick. De fil en aiguille, elle me
demanda aussi, un moment donné, si je croyais que, des fois, nous pouvions faire partie d’un cercle
vicieux qui nous amène à attirer du négatif, pour le broyer et en attirer davantage et ainsi de suite. Je
lui répondis que oui, bien sûr, en lui disant que, par contre, nous avions le pouvoir de briser ce
cercle avec nos choix. Puis elle repartait, puis revenait. J’aurais tant aimé lui parler durant des
heures, et surtout, j’aurais tant aimé pouvoir l’aider à manifester du positif, comme je le faisais si
bien depuis le début de mon voyage. Mais elle était occupée à travailler.
Un moment après, il était déjà temps pour moi de partir. J’attendis qu’elle revienne vers moi pour lui
demander si elle était libre lundi. Elle me répondit qu’elle travaillait quelques jours de suite. Je lui
demandai alors, tout de suite, sans réfléchir, à quelle heure elle terminait, et si elle était libre ce soir
même, pour que nous puissions continuer la discussion. Mon interlocutrice prit une pause. Je voyais
son hésitation crier à travers ses yeux. Au bout de quelques secondes, elle me répondit qu’elle
terminait bientôt, mais que ma proposition était, un peu, dernière minute. Je me disais la même chose
de mon côté, mais je devais quand même essayer. Elle me sourit puis, prit ma facture, la retourna sur
son côté vierge, m’écrit son nom et son numéro de téléphone. Ensuite, nous nous saluâmes et je
quittai. J’étais content que ce fût simple et agréable. C’est ce que j’avais besoin. Elle dégageait
quelque chose de sain, de beau et de rafraîchissant.
À l’extérieur, je me mis à marcher en direction du pont, pour y trouver un endroit où dormir. J’avais
entendu que beaucoup de campeurs vagabonds, tout comme moi, y passaient et comme j’étais toujours
au bout du centre-ville, je devais seulement traverser le grand parc, pour me retrouver tout près de la
rivière et du pont. En direction de celui-ci, je remarquai un petit sentier qui traversait un boisé
adjacent au parc. Il faisait noir, mais j’étais curieux. Je me disais que c’était peut-être le chemin
secret pour me rendre à la fameuse « mushroom beach », celle que je convoitais tant. Je m’enfonçai
dans ce petit boisé, le chemin était assez éclairé alors qu’en marchant, je voyais des tentes le suiver,
ainsi que quelques "sleeping bags" étendus un peu partout. J’avais trouvé une mine d’or. C’était
comme si la vie m’avait donné une pause en m’octroyant un endroit des plus simples, où je pouvais
camper rapidement. J’avais hâte de retrouver mes amis, au lendemain, et j’anticipais agréablement
cette promenade en forêt avec eux.
Je vis un arbre très bien placé à gauche du chemin, tout juste avant une minuscule rivière et une
clôture qui laissait entrevoir le mur arrière d’une maison. Personne n’utilisait cet espace artisanal de
camping. Fatigué, je n’avais plus vraiment le gout de voir ce qu’il y avait plus loin. Je déposai Jym
au pied de l’arbre alors qu’Eva me suivait de très près. Je déployai mon sac de couchage et décidai
de dormir, encore une fois, comme un cowboy, directement sur le sol. J’écrivis un message rapide à
cette Acadienne que je venais de rencontrer, et m’endormis peu de temps après, fatigué d’une journée
bien remplie.

27 août 2017

Je me levais au lendemain matin. Mes amis savaient que j’étais au centre-ville, c’était donc facile,
pour eux, de venir me prendre pour satisfaire nos plans. Je regardai autour, il y avait vraiment des
campeurs partout. J’espérais trouver des endroits comme celui-ci plus souvent, car c’était tellement
simple d’y dormir sans chercher longtemps. J’organisai Jym le mieux possible alors qu’Eva me prit
par la main, et je retournai, encore une fois, sur la rue principale de Kelowna pour y boire un café,
charger mon téléphone, puis, attendre mes amis pour entamer cette déjà chaude et ensoleillée journée.
Après avoir bu le café, je sortis du petit restaurant pour m’asseoir juste en face. Une jeune femme
avec un sac de vagabondes était assise par terre, tout près d’où j’étais. Elle laissait sa créativité
s’exprimer en dessinant ce qu’elle voyait, alors qu’un rat sortit de la poche avant de son chandail
pour bouger sur elle. Elle le plaça sur son épaule et continua ce qu’elle faisait. Quelques personnes
s’assirent près d’elle. Ils ne semblaient pas faire partie du même groupe. Du point de vue de
quelqu’un d’autre, ils avaient tous l’air d’un groupe de sans-abri, alors que pour moi, ils n’étaient
que des gens qui semblaient avoir une histoire à raconter. Bien que mon apparence soit peut-être un
peu plus soignée que la leur, je m’installai tout près d’eux, et profitai de l’énergie créatrice du
moment pour continuer cet ouvrage. Les gens passaient comme le temps et nous regardaient. Je
pouvais sentir le poids d’un jugement si agréable à ignorer, alors que j’étais bel et bien sans-abri, et
que j’attendais des nouveaux amis.
Soudain, un homme, sans chandail, passa à côté de moi en vélo avec un sac à dos. Je me disais que je
le connaissais, mais je pris quelques secondes à réaliser que c’était ce vendeur de champignon
magique / DJ / propriétaire d’une limousine délabrée qui m’avait laissé perplexe quelques jours
auparavant. Quand je le réalisai, il était déjà trop tard, il se tenait devant moi. Il me salua, il avait
l’air bien et était sympathique. Il me demanda de le suivre en me disant combien c’était désolant que
je n’eusse point ramené de filles à sa limousine. Je lui répondis seulement que je n’étais pas sorti
finalement. L’homme croyait, par contre, que je voulais lui acheter des champignons, je clarifiai
alors, sur-le-champ, mes intentions, car je n’en voulais pas et je n’avais pas tant le gout de passer
plus de temps avec lui. De plus, j’attendais un ami et c’était tout ce qui m’importait. Il comprit assez
rapidement et partit, après quelques minutes de discussion et des salutations sympathiques. Je me
sentais délivré.
Le jeune homme qui s’était arrêté pour moi tout près de Creston, et qui était rapidement devenu un
ami, arriva, alors que j’attendais depuis à peu près une heure. Je n’étais pas pressé, de toute façon, et
le soleil était si présent, mais toujours aussi clément envers moi. Mon ami affichait encore ce sourire
si franc, alors que nous nous dîmes que nous étions contents de nous revoir. Je lui demandai si je
devais amener mon sac pour faire cette promenade. J’avais envie de relever un défi. Il me conseilla,
par contre, de ne pas l’amener inutilement, car je pouvais le laisser chez lui. Je savais que si Jym ne
m’accompagnait pas, j’allais surement essayer de grimper aux endroits difficiles, de sauter d’une
roche à l’autre, et surtout de m’amuser avec mes capacités physiques et mon poids qui avait diminué,
alors que ma constitution était au sommet de sa forme.
Nous rattrapâmes le temps perdu, discutant de tout et de rien. Nous étions quand même assez près de
chez lui. Il m’expliqua que nous allions être : lui, ses deux garçons, sa splendide copine et une amie
de celle-ci. Il me répéta, ensuite, que je ferais vraiment mieux de laisser mon sac à la maison, car le
chemin que nous allions emprunter était, par moment, plus tumultueux. Je lui fis confiance. Il était
pour moi quelqu’un d’honnête qui disait, d’une bonne façon, ce qu’il avait à dire, après réflexion
mure. De plus, il était le type de personne qui, jusqu’à maintenant, semblait faire ce qu’il avait à
faire, quand il devait le faire à un point où je ne pouvais que le respecter pour ses valeurs.
Arrivés chez lui, nous nous stationnâmes, puis entrâmes dans la maison. Je me dirigeai tout de suite
vers ma chambre, changeai mes vêtements pour quelque chose de plus estival et confortable. Puis,
j’enfilai mes bonnes vieilles converses multicolores délabrées. J’étais prêt. Je saluai la magnifique
femme que j’avais rencontrée auparavant, puis les deux garçons qui me semblaient quelque peu
gênés. J’étais, de mon côté, un peu gêné également, car certains enfants peuvent se demander
pourquoi mon anglais est comme il était, mais le plus vieux me rassura, me disant qu’il avait déjà
connu l’un des collègues à son père qui parlait comme moi, mais pire. J’étais rassuré. Je vis
également l’amie du couple. Elle aussi avait un sourire contagieux, de jolis cheveux blonds étaient
attachés derrière sa tête. Elle était également très jolie. Elle me souhaita la bienvenue, de seulement
quelques mots si chaleureux qui parlaient si bien de son énergie. Avec ces nouveaux amis, je devais
m’attendre à rencontrer des gens aussi intéressants, ouverts et gentils qu’eux, et j’avais l’impression
qu’elle était en effectivement le cas. Ils m’offrirent un café, le temps de terminer les préparations. Ils
me dirent que nous devions y aller avec deux autos et que nous allions faire un détour vers le
« dispensory » pour acheter du cannabis. Comme l’une d’entre elles y travaillait, je pourrais même,
pour la première fois, en acheter. J’étais content de pouvoir passer la journée avec eux et d’y vivre
cette expérience. J’espérais pouvoir leur apporter autant qu’ils m’apportaient depuis que je les avais
rencontrés.
Nous nous installâmes dans les véhicules. L’homme était avec ses garçons, alors que j’embarquai
avec les femmes pour me diriger vers le magasin de cannabis. Les femmes avaient une belle énergie,
au son d’une musique électronique de l’heure qui nous réjouissait allégrement. Habitué d’être dans un
véhicule, toujours d’un inconnu à l’autre, je me sentais calme et zen. Nous nous arrêtâmes alors au
magasin en question. C’était comme j’avais imaginé. Il y avait plusieurs sortes de cannabis un peu
partout. Des sativas, des indicas, des marques hybrides. Puis des biscuits, du thé, des pâtisseries, des
bonbons, du hachisch. Il y en avait vraiment pour tous les gouts. Je décidai d’acheter une marque à
rabais. Le prix était comparable à celui du marché noir. J’étais satisfait. La magnifique copine de
mon ami parlait avec son patron, alors qu’il tentait maladroitement quelques stratégies de séduction.
À mon avis, c’était pitoyable, car elle était son employée, mais aussi, il savait très bien qu’elle
n’était pas disponible. J’imagine qu’un homme restera un homme avec ses pulsions d’homme. Sorti
du magasin, nous en rimes un peu, sachant très bien que ses tentatives étaient quelque peu
lamentables. Puis nous reprîmes la route vers la promenade en forêt planifiée.
Arrivés à destination, à l’extérieur de Kelowna, nous stationnâmes les véhicules tout près d’une
petite école, puis nous nous mîmes à marcher, alors que les deux garçons couraient gaiement devant
nous. Mon ami m’expliqua que, quand il avait l’âge de ses fils, et même peut-être avant, il faisait ce
parcours, que nous allions emprunter, qui était loin d’un sentier ordinaire. Il me dit que c’était une
bonne chose que Jym ne m’accompagne pas, car ça allait être plus tumultueux que ce que nous
pensions. Dans le coin de la cour d’école, la porte de la clôture de huit pieds de haut était enchaînée
et fermait solidement le territoire de l’établissement. Plusieurs détritus reposaient d’un côté et de
l’autre de la barrière, pour nous montrer que même si le sentier n’était pas habituel, il était quand
même bien utilisé, a priori.
Tous les membres de l’équipe passèrent l’un après l’autre dans la minuscule espace que laissaient les
deux portes quand on les poussait un peu. Pour ma part, j’agrippai la clôture entre mes doigts, puis
sautai sur le poteau transversal qui délimitait ses deux moitiés. Après m’être assuré de bien faire les
choses pour ne pas rester pris dans le haut de la barrière, je sautai sur l’extrémité de celle-ci en y
déposant les pieds, puis me laissai tomber de l’autre côté et continuai. Un sentier assez normal nous
menait à destination, alors que je me questionnais sur la difficulté du parcours. Il faisait si beau et si
chaud, j’étais dans mon élément ; dans la nature. J’entendais le bruit d’une rivière et de chûtes couler
au loin et j’étais en si bonne compagnie que je n’aurais pas pu m’imaginer être ailleurs qu’ici et
maintenant.
Les enfants savaient très bien où on allait et étaient éclaireurs de cette merveilleuse aventure. Nous
nous rendîmes jusqu’aux chutes, qui descendaient les montagnes sur une bonne distance. Au bout, il
n’y avait plus de sentiers, seulement les chutes et des roches qui formaient les montagnes. Je
m’exclamai que c’était assez relaxant comme promenade, émerveillé par ce que la nature avait de
mieux à nous montrer. Chaque pied carré était rempli d’une beauté et d’une force infinie. Mon ami me
répondit « Inquiète-toi pas, ce n’est pas commencé encore ». Puis il me pointa le haut de la montagne
en me disant que c’était notre destination. Sincèrement, je me voyais monter à peu près n’importe où,
car n’importe quand, j’adore grimper en nature, prendre des risques et me faire confiance. Mais, je
connais également des gens qui ne feraient pas nécessairement ce que j’étais prêt à faire. Je regardai
le parcours encore une fois et c’était un bon défi.
Avant de commencer à prendre les risques, mon nouvel ami prit la parole par expérience et par
sagesse. Il s’adressa à ses fils ainsi qu’aux autres. Il nous rappela que, pour ce genre de défi, le
temps n’était pas à la réflexion, mais à l’action. Il nous dit de suivre notre premier instinct pour
savoir où piler, où grimper, car l’hésitation pouvait avoir des conséquences néfastes. J’étais
tellement d’accord. Il ne fallait que nous faire confiance, individuellement, en équipe, face à la vie et
à la nature qui nous protégeait.
Les deux enfants gardèrent leur rôle de précurseurs alors qu’ils ouvraient la marche, leur père les
suivait de près pour les conseiller, les aider si jamais, mais aussi pour aider les femmes en leur
tendant la main, si jamais elles avaient un peu plus de difficultés à grimper. Pour ma part, je fermais
la marche, peut-être pour aider les autres, mais aussi, j’avais confiance en mes capacités pour
dépasser, revenir, et me mouvoir comme bon me semblait dans cette nature si parfaite. Nous
continuâmes pour un instant, escaladant une roche ici et là, toujours suivant les chutes à contresens de
celles-ci. Parfois, nous devions marcher sur les rebords de la falaise. Je réalisai alors que notre
exercice frisait l’escalade. Je n’avais pas de bons souliers pour exploiter les meilleurs de mes
capacités. Mais cela ne m’empêchait pas de prendre des routes encore un peu plus difficiles pour
dépasser les femmes et leur tendre la main à mon tour, puis de reprendre ma place à la queue du
groupe. J’étais comme un poisson dans l’eau.
À un certain moment, nous devions nous appuyer sur le côté de la falaise, pour sauter et pour nous
agripper à une roche au loin. Je sentais que le niveau de dangerosité augmentait. J’eus une pensée
pour les enfants qui devaient se lancer les premiers. Je proposai alors à mon ami de leur donner un
coup de main. Il me répondit sur-le-champ qu’ils étaient capables. Venant de quelqu’un d’autre,
j’aurais pu remettre en question son jugement, mais je commençais à connaître mon ami et à imaginer
sa réflexion derrière ses simples mots. Il ne voulait pas mal faire, au contraire, il me répondit : « J’ai
fait ce parcours bien plus jeune qu’eux et ils l’ont déjà fait aussi. Si je le fais pour eux, ils
n’apprendront rien. Rien de fatal ne va arriver et je leur fais confiance ». Il avait complètement
raison. Il supervisait et les jeunes savaient ce qu’ils faisaient. Le temps que je prisse à réfléchir
rapidement à cette façon de voir les choses, même si les enfants ne devaient être âgés que de 11 et de
9 ans, ils étaient déjà bien plus loin. Puis nous aidâmes les dames à continuer avec nous.
Ensuite, nous devions passer directement dans l’eau, à travers le courant, sur un minuscule chemin,
entre deux chûtes pour rejoindre l’autre rive alors que l’eau courante poussait nos pieds à glisser.
Plus loin, nos pieds encore trempés, nous devions monter sur un gigantesque tronc d’arbre pour
passer directement au-dessus des chutes, pour nous rendre un peu plus loin sur la montagne, là où un
bain naturel reposait, alimenté par une moyenne cascade. Puis, nous prîmes une pause.
Le défi était excitant pour tout le monde. C’était assez difficile, bien que ce l’était davantage pour le
mental que pour le corps, mais nous savions tous que nous étions capables. Il ne fallait que rester
concentré et nous faire confiance. Malgré mes souliers usés, mon parcours frôlait la perfection. J’en
étais fier et tout le monde pouvait l’être d’ailleurs. Je me déshabillai pour être en sous-vêtement et
sautai dans l’eau, aussitôt, alors que les autres me suivirent en maillot. J’allai m’installer sous la
chute d’eau où la puissance de la nature y était si forte, que je ne pouvais qu’à peine respirer, puis,
j’allai rejoindre mes amis au centre du bassin. Le couple était en train de sortir des cannettes de
« Hey Ya’ll » pour en partager une, ensemble ; ce fameux thé glacé alcoolisé. Nous en calâmes une
très rapidement, au beau milieu du bassin. Nous pataugions dans le bonheur pur.
Le couple resta dans l’eau, alors que je sortis pour aller voir l’amie qui était restée plus loin. Elle
semblait si zen alors que le soleil faisait briller sa merveilleuse chevelure blonde. Elle était
pratiquement sans mots à la vue de ce paysage édénique, de cette journée si amusante et de la bonne
énergie qui régnait au sein de notre groupe. Pour ma part, je me sentais si chanceux d’être parti sur un
coup de tête et de vivre, avec des inconnus, un moment aussi puissant et fraternel. Je lui partageai
mes pensées et elle était d’accord. Elle me disait que pour elle, c’était nouveau de parcourir la nature
comme nous le faisions. Elle avait, auparavant, toujours vécu à travailler beaucoup, à bien dépenser
son argent, et à vraisemblablement ressentir un vide au fond d’elle. Alors que depuis qu’elle avait
commencé à explorer cette magnifique nature qui nous entourait, d’en faire un hobby, elle n’avait tout
simplement plus besoin de rien ; seulement que de cette communion avec cette bonne vieille mère
Nature. Ses paroles m’apaisaient. Je lui confiai que j’avais eu cette transformation, également, depuis
peu, et que je me sentais tellement mieux avec moi-même depuis. Ensuite, je pris le temps de lui dire
que j’étais extrêmement heureux de faire sa connaissance en cette magnifique journée. Elle me sourit
d’un sourire si beau et si sincère, que même dame nature aurait pu, pour un seul et bref instant
seulement, en être jalouse.
Nos amis nous rejoignirent, puis tout le monde se dispersa. Le couple alla prendre du temps pour eux,
seul sur une roche au loin, alors que les enfants grimpaient et descendaient les roches de l’autre côté.
Je continuais de converser avec cette nouvelle connaissance pour quelques minutes. Les garçons
rejoignirent leur père, et la jolie copine revint vers nous. Je crois que c’est ce qui me touchait le plus
de cette journée, était de voir une famille unie, dans la nature, n’ayant besoin de rien d’autre que
d’être ensemble ; discutant, se taquinant ici et là. Ce sentiment était à peine visible ou audible, mais
j’étais certain de pouvoir le sentir à des kilomètres à la ronde. J’étais témoin de comment la vie
devrait être, de comment nous devions être les uns avec les autres. J’étais témoin de l’amour pure et
simple, en famille, entre amis, entre amoureux, même d’un inconnu à l’autre ; et de l’importance de
celui-ci.
Après un moment, nous nous mîmes en route pour terminer le parcours. Plus nous grimpions et plus
l’angle de la pente était difficile. Vers la fin, c’était pratiquement de l’escalade. Je sautais d’une
roche à l’autre sans trop réfléchir, pour aider et me rendre le plus utile, puis, après quelques instants,
nous étions tous rendus au sommet. La vue de la chute qui descendait dans les montagnes était à en
couper le souffle. Nous prîmes un moment pour contempler le paysage qui le méritait amplement.
Mon ami, de son côté, me montra quelques bouts de bois que ses fils avaient ramassés. Ils avaient la
particularité d’être polis par le courant de la rivière, ce qui les rendait arrondis et semblaient même
avoir une légère finition. La preuve que, n’importe où, la nature peut être artiste. Puis, de l’autre côté
de la montagne, nous descendîmes le sentier usuel pour retourner vers la petite école. C’était le
chemin que les gens empruntaient habituellement, mais le nôtre était tout simplement plus magique.
Nous repassâmes les portes. Cette fois-ci j’étais gonflé à bloc. Au sein du même mouvement,
j’agrippai la clôture, sauta sur le poteau transversal au milieu de la grille puis, comme si c’était une
toile de trampoline, d’un seul bond, je fus bien haut par-dessus le bout de la clôture et retombai de
l’autre côté, d’un atterrissage parfait. J’étais si fier. Encore pour mieux faire, la merveilleuse copine
du couple eût le présage de prendre l’appareille photo et captura le moment pour toujours, si clair,
que sur la photographie, j’eusse l’air de voler. Puis nous retournâmes aux véhicules.
Arrivé à la maison, j’étais invité à souper. L’amie, par contre, bien qu’elle fût aussi invitée, avait
d’autres plans, même si elle nous fit savoir qu’elle aurait bien aimé rester avec nous. Nous nous
saluâmes. Je ne savais pas si j’allais avoir la chance de la revoir, mais, encore une fois, cela faisait
partie de l’aventure. Honnêtement, j’aurais aimé. Puis nous rentrâmes. Alors que sa copine
commençait tranquillement à préparer le souper, mon ami et moi nous dirigeâmes vers son atelier.
Nous prîmes l’un des morceaux de bois polis et je savais ce que nous allions en faire. Je choisis
celui qui m’inspirait le plus, et demanda à mon ami si l’on pouvait en faire une pipe. Il me sourit,
encore de son sourire si contagieux. Je le vis s’exécuter. Bien qu’il travaille en construction, je pris
le temps de lui expliquer que le travail manuel, avec des outils, était moins ma tasse de thé, et que le
voir travailler m’impressionnait. La tâche était pourtant simple, et en seulement quelques minutes,
d’une mèche de perceuse, il transperça le bout de bois sur la longueur puis, à l’aide d’une autre
mèche plus grosse, il perça le dessus de celle-ci jusqu’à la moitié pour aller rejoindre le trou
précédent. Si rapidement, le morceau de bois était déjà utilisable. Puis, à la torche, nous brûlâmes
l’intérieur du panier de la pipe et vernîmes son bois. Il ne fallut que quelques minutes, et tout était
exécuté. Je n’aurais même jamais cru, au sein de ce voyage, que j’aurais accès à ce genre d’outil et à
un atelier. Et voilà, j’avais l’un des plus beaux souvenirs que je pouvais ramener en ma possession,
car j’avais toujours voulu avoir une pipe en bois, un peu comme les peuples des premières nations,
pour communier et partager socialement une bouffée de cannabis ou de tabac.
Nous rejoignîmes la salle à manger, puis le magnifique balcon rempli de hamacs et de divans. Encore
une fois, je les voyais s’exécuter. Mon ami faisait les bonnes choses. Même si nous avions parlé
auparavant de rébellion, de police, de drogues, de toutes sortes de choses, je voyais que, quand il
s’occupait de ses enfants, il était brillant. Je commençais même à être plus qu’impressionné, car, ce
n’était pas un talent, c’était une façon d’être, une mentalité et une façon de vivre. L’homme avait mon
âge, louait une maison en pleine Californie canadienne, ses deux garçons étaient si respectueux, si
intelligents et encore, la nourriture qu’il préparait semblait tout aussi belle que bonne. J’étais tout
simplement sans mot, ébaubi.
Après une heure, nous ouvrîmes les bouteilles de vin, nous mîmes à table et mangeâmes en famille. Je
réfléchissais à mon parcours et, à un certain point, je me demandais même comment je faisais pour
rencontrer des aussi bonnes personnes, comment je faisais pour vivre ce genre d’expérience, pour
passer d’un inconnu à l’autre comme si nous étions tous finalement unis. Je me sentais béni par
l’humanité, alors que je savais très bien que je n’y étais pour rien. Si dans le premier paragraphe de
cet ouvrage, je vous ai dit qu’en chérissant la vie, elle sera prête à nous rendre l’appareil, encore une
fois, ce que je vivais en était une preuve. La nourriture, le vin et le moment étaient délicieux. Puis les
enfants allants au lit, nous sortîmes encore une fois sur leur merveilleux balcon, et je commençais à
comprendre que cet endroit était le plus important de la maison pour eux.
Les amoureux se collèrent dans un hamac, face à moi, dos à la superbe vue alors que j’étais assis sur
un divan devant eux. Nous discutions de tout et de rien comme de bons vieux amis le font. C’était si
simple. Puis, de fil en aiguille, les sujets étaient de plus en plus profonds. Nous parlions de nos
expériences amoureuses, de nos familles, de ce qui nous permettait de rester ou de quitter. Alors que
mon ami semblait commencer à fatiguer, sa copine et moi parlions plus intensément. Elle me disait
qu’elle avait eu des moments plus difficiles auparavant et que, même des fois, elle avait des
problèmes à s’adapter à son amoureux, car elle avait eu un passé très difficile concernant l’amour en
général. Elle me faisait un peu penser à mon ex-copine. Des fois, on ne peut pas blâmer quelqu’un
sans savoir ce qu’il a vécu par le passé, et je le savais très bien. Je la regardai droit dans les yeux et
lui dit « Peut-être que tu as eu, par le passé, de la difficulté à te reconnaître face à l’amour ; par
rapport à d’autres relations, mais le passé reste derrière et si tu veux gouter à l’amour dans sa plus
simple des formes, bien que je ne connaisse pas beaucoup votre histoire, tu n’as qu’à regarder à côté
de toi, car l’homme que tu as choisi a la qualité de bien faire ce qu’il a à faire et cela comprends
t’aimer. Je sens qu’il est sincère et qu’il t’aime simplement pour ce que tu es ».
Mes deux interlocuteurs restèrent surpris pour quelques secondes. Ils me remercièrent de ce
commentaire. Habituellement, on entend ce genre de discours, direct, pour des choses plus
percutantes ou négatives, et il est plutôt rare qu’un homme dise à un autre homme qu’il semble si bien
aimer sa femme. Mais je devais le faire sincèrement. Ces mots pouvaient être si bons s’ils étaient
bien dits. C’est ce que je fis et je sentis qu’ils se sentirent bien à leur tour, et que mes mots avaient
été notés dans leur esprit. Puis la dame se leva et alla chercher quelque chose. Elle revint et me tendit
me deux bracelets, l’un avec des boules rouges, une noire et une blanche. Et un autre, bleu, fait à la
main. Elle écrivit ceci, en me les offrant :

« Ces amitiés accidentelles. Les gens qui nous prennent par surprise. Nous avons fait monter
Mick, quand il faisait de l’autostop, après avoir parcouru la route depuis Montréal. Nous lui
avons offert un endroit pour rester et une place dans notre vie. Trois jours plus tard, il est devenu
un ami proche. Ce soir, nous lui donnons deux trésors. Un bracelet qu’une gitane m’avait donné
lors d’un festival quand je l’avais aidé à retrouver son groupe. Elle m’avait dit qu’elle le
possédait depuis des années et qu’une personne qui l’avait aidé auparavant lui avait donné en lui
disant de le redonner, à son tour, à quelqu’un qui allait l’aider. Karma. La deuxième chose que
nous lui avons donnée est un bracelet « lokai » qui rappelle de rester rempli d’espoir dans les
moments difficiles et humble dans les moments de joie. Il quittera Kelowna demain, avec un
sentiment d’appartenance, celui-là même que nous sommes chanceux de lui donner, et d’en faire
part. ».
Je lisais ses mots et c’était exactement ceux-ci que j’avais besoin d’entendre, comme si le
titre « D’un inconnu à l’autre » prenait tout son sens. Je n’étais pas en voyage pour reconstruire ma
vie ou un cercle social. Je le faisais seulement pour passer dans la vie de parfaits inconnus, et que
pour ces parfaits inconnus passent dans la mienne. Me séparer d’eux allait être quand même bien plus
difficile que de me séparer d’autres personnes que j’avais rencontrées, mais, encore là, cela faisait
partie de mon parcours tout simplement.
Mon amie continua de parler, alors que son copain me salua et alla se préparer pour se mettre au lit.
Il commençait à être tard et il devait travailler au lendemain. Nous continuâmes à discuter, parfois
plus profondément, parfois plus en surface. Parfois, nous riions, parfois, nous pleurions, mais le
sentiment que nous avions de nous comprendre, de partager, sans vraiment connaître l’autre, était si
doux. Elle me racontait son histoire avec son père qui, après avoir rencontré sa nouvelle femme, il
s’était engouffré dans le système de travail et d’argent, et que la partie passionnée qu’il eût jadis
démontré, elle-même à laquelle elle s’identifiait trop bien, lui manquait énormément. Elle s’inquiétait
pour son père, car il n’était plus complètement lui-même depuis déjà trop longtemps. Avec les années
il était devenu aigri et contrôlé. Elle souligna ensuite ma franchise, quand je lui rappelai que même
s’il était une personne qu’elle aimait beaucoup, les difficultés qu’il vivait ne la concernaient pas
vraiment, et que chacun avait son aventure à vivre pour évoluer. Et même quand on pense à la
famille, ou à nos parents, et même à nos enfants ; même si l’on croit que nous avons une
responsabilité face à leur bonheur et à leur évolution, leur âme, en quête, restera toujours souveraine.
Tout ce qu’elle pouvait faire était de l’appuyer et de lui donner de l’amour. L’homme était un ancien
saxophoniste renommé qui avait quitté l’art pour une profession mercantile et une femme exigeante.
C’était simplement ses choix. Elle-même tentait, à son tour, à apprendre le saxophone pour partager
cette passion avec son père, pour renouer, sans vraiment réussir à le ramener vers sa passion, ou
même vers la magie de la vie en soi. Je sentais que ça lui faisait du bien d’en parler, alors que
quelques larmes se sauvaient du coin de son œil. Après un bout de temps, alors que je me sentais si
proche d’elle, si connecté avec cette nouvelle amie, nous décidâmes d’aller, nous aussi, dormir.
Chapitre 13
The wheels on the bus

28 août 2017

Ce matin-là, j’étais en forme, et je motivais Jym et Eva à anticiper la journée avec un grand
bonheur. Quelques jours avaient passé depuis la dernière fois que j’avais levé le pouce, et l’ironie du
sort m’avait amené à terminer mon séjour à Kelowna avec ceux qui m’avaient permis de le débuter.
Je visais maintenant la ville de Nelson ; endroit que l’on m’avait conseillé dernièrement, ici et là, à
maintes reprises. On m’avait dit que c’était une ville bohème, où beaucoup de voyageurs se
rendaient. Elle était, aussi, sur le bord de l’eau, dans les montagnes et surtout, elle était de toute
beauté. En fait, avec mon nouvel ami, nous étions passés par là et il m’avait fait hésiter à me séparer
de lui pour faire un arrêt dans cette ville qu’il aimait tant. J’avais finalement refusé pour rester avec
lui, et j’étais maintenant fier d’avoir pris cette décision. Je pris le temps de regarder la route que je
devais emprunter. Le chemin le plus court était celui que j’avais déjà pris, c’est pourquoi je décidai
d’aller vers le nord et d’emprunter l’autre chemin qui s’y rendait, dans le but de voir d’autres
paysages.
Sa merveilleuse copine cogna à ma porte, me disant qu’elle était prête à partir travailler et qu’elle
voulait me reconduire le plus loin possible pour m’aider. En quelques minutes, je pris Jym sur mon
dos, Eva par la main, et sortis avec mon amie pour m’installer dans le véhicule. Nous nous rendîmes
fébrilement vers son travail. L’émotion était palpable, alors que nous aurions, tous les deux, voire
même tous les trois, aimé développer davantage cette belle relation qui nous faisait sentir si près l’un
de l’autre. D’un autre côté, elle comprenait que cela faisait partie de mon aventure. En soi, c’était un
exercice qui faisait réfléchir tout le monde, pour dissocier l’amour pur de l’attachement et c’est ce
qui la rendait si belle.
Arrivés à son travail, elle remarqua qu’elle avait encore quelques dizaines de minutes devant elle.
Elle décida donc d’aller me porter plus loin, pour passer plus de temps avec moi, pour m’aider, et
pour continuer notre partage pour quelques minutes. Nous avions déjà tant parlé la veille, et l’autre
soir avant, et même le matin même, que je me sentais comblé d’avoir passé la majorité des sujets de
conversations que je sentais importants avec une personne si ouverte. Je restai silencieux pour un
moment, ne sachant trop quoi dire. Bien qu’elle soit si jolie, cela ne m’importait peu, car elle était
ouverte, elle était douce, elle était brillante et elle m’avait fait sentir si unique, que par nos
conversations qui avaient été dans tous les sens. Je me mis alors à raconter l’incident que j’avais
vécu dans la limousine. Elle semblait surprise que je ne lui en aie jamais parlé et, surtout, elle n’avait
jamais entendu parler de ce type qui se vantait pourtant d’être très connu dans cette ville. Plus je
racontais cette épopée, plus elle riait sans retenue face à l’absurdité de la situation, et plus je
réalisais le pathétisme de celle-ci. Nous rîmes jusqu’à notre arrivée au bout de la ville, là où elle
voulait me laisser. Encore une fois, même si les au revoir étaient difficiles, je savais que je devais
quitter. Je sortis du véhicule, la serra dans mes bras, lui dit que je l’aimais, puis, partis au loin. Je
m’achetai un café au Tim Horton's où j’étais puis, retournai aux abords de la route et commençai à
marcher.
Encore une fois, la température était si belle. Il y avait de moins en moins de fumé dans l’air, même si
elle était toujours quelque peu apparente. La ville laissait tranquillement place au paysage du sud de
la vallée D’Okanagan. C’était de toute beauté, je me sentais encore plus vivant que jamais. Plus
j’avançais dans cette aventure et plus je savais comment faire les choses adéquatement pour être en
sécurité ; pour évoluer et pour subvenir à la majorité de mes besoins.
Je continuai à marcher, peut-être pour trente minutes, le pouce en l’air, avant qu’une vieille
automobile sport délabrée ne s’arrête devant moi. Un jeune homme dans la vingtaine me dit de
monter, alors qu’il n’avait que quelques minutes à faire. Je le remerciai, lui disant que chaque
kilomètre offert était bon pour moi. Je n’eus que quelques minutes pour lui parler, il m’avoua pendant
ce temps, qu’il avait, lui aussi, fait quelques fois l’autostoppeur auparavant, et que ça allait de soi
qu’il devait arrêter pour moi. Je le remerciai encore une fois, lui disant seulement que, quand j’allais
pouvoir conduire de nouveau, j’allais penser de la même façon. Puis, il s’arrêta déjà, prêt à me
laisser continuer. Ce fût bref, mais seulement le fait que les gens continuent, encore et encore, à
s’arrêter, pour m’aider collectivement à réaliser un rêve, était une bénédiction en soi.
Il était toujours tôt et j’étais rempli d’espoir. Le jeune homme me déposa tout juste après un
embranchement, tout près d’un gigantesque centre commercial, un peu avant la ville de Vernon. J’y
restai quelques minutes pour m’y reposer, boire un peu d’eau, mais après une demi-heure, je
m’aperçus que l’énergie de l’endroit n’était peut-être pas propice à m’aider dans mon aventure. Je
me sentais si bien à marcher au sein d’une liberté palpable, comme si je surfais sur le nuage du
destin, que je continuai ma route sans trop me poser de questions. Ma vie, quand je me promenais, se
résumait à mettre un pied devant l’autre jusqu’à tant que je ne sois tout simplement plus capable. Puis
je me reposais. J’avais tout de même l’intention, si le Bon Dieu le permettait, de dormir dans la
magnifique ville de Nelson, à encore cinq heures de route d’où j’étais.
Quelques kilomètres plus loin, une autre voiture s’arrêta. Cette fois-ci, plus neuve. L’homme à
l’intérieur, lui, était dans la trentaine avancée, il paraissait très bien, calme et souriant. Il me dit qu’il
pouvait me déposer trente minutes plus loin, dans la ville de Vernon. Je lui demandai aussitôt de me
déposer près d’un parc, car j’avais le gout de méditer, de manger et d’y prendre quelques minutes.
L’homme accepta en me disant qu’il savait déjà où il allait me déposer. Il commença ensuite à me
parler de ses voyages qu’il avait faits, lui aussi, sur le pouce. J’admirais son ouverture d’esprit. Il
avait été en Amérique du Sud et en Europe. Je sentais qu’il gardait un bon équilibre entre son esprit
d’aventure et son sens logique qui le poussait à travailler, de ses mains, pour être capable d’aborder
la vie comme elle l’était vraiment. Alors que beaucoup de gens qui s’arrêtaient pour moi le faisaient
pour redonner l’aide qu’ils avaient jadis reçue, j’avais l’impression que, pour lui, il voulait bien sûr
redonner, mais il voulait aussi partager, et c’était parfait parce que c’était aussi bien mon motif que le
sien. Bref, nous discutâmes tout au long du trajet, principalement de voyage et d’autostop, avant qu’il
ne s’arrête pour me dire de descendre. Nous étions maintenant tout près d’un parc, dans la magnifique
ville de Vernon, directement sur la jonction des routes qui allait m’amener vers Nelson. Nous
échangeâmes nos coordonnées puis je quittai, le remerciant plusieurs fois.
Je pris le temps de manger et de méditer dans le parc, sous le chaud soleil de la Colombie-
Britannique, avant de repartir vers la route. Puis je me mis à marcher pour sortir de la ville. La ville
laissait davantage place à la campagne alors que le soleil plombait de plus en plus fort. Je marchai
environ deux heures consécutives. Il faisait si chaud que je m’arrêtai quelques fois, sous l’ombre des
arbres, pour m’y reposer. Bien que beaucoup de voitures passaient, il faisait si beau que les gens
devaient se dire qu’il n’était pas nécessaire de m’aider et ils avaient complètement raison. Ce n’était
pas un besoin de ma part, mais seulement qu’un désir. J’attendis environ deux heures, avançant à pied
sur le bord de la route. C’était le début de l’après-midi, et je n’étais tout simplement plus capable
d’avancer, pour le moment. Eva fut bien contente de me voir enfin déposer Jym encore une fois. Je
terminai ma bouteille d’eau et attendis, tout près d’un petit magasin. Mon pouce était en l’air. Je
regardais vers les autos qui se dirigeaient vers moi et soudain, l’une d’entre elles me klaxonna alors
que son conducteur me pointait derrière moi, tout en passant rapidement. Je me retournai et vis une
camionnette pick-up stationnée qui m’attendait et qui m’envoyait la main. Je courus vers elle, mis
mon sac à l’arrière et embarquai à l’avant, remerciant le conducteur de m’embarquer.
L’homme me dit aussitôt qu’il allait à Castlegar, à environ quarante minutes de Nelson. J’étais
soulagé parce que cela signifiait que mon parcours sur la route était pratiquement terminé pour la
journée. Je ne savais toujours pas si je pouvais me rendre à destination le jour même, mais il y avait
de bonnes chances que je puisse le faire, au pire, j’allais y être au lendemain matin, sans faute. Mon
bon samaritain devait avoir trente ans. Il avait assez de coffre, était grand et bâti. Un homme manuel
qui travaillait dans les aéroports de la région. Il me souhaita la bienvenue, me disant qu’il était en
vacances depuis quelques jours, mais qu’il devait aller travailler quand même. Il était le seul à
exécuter ses fonctions, et la compagnie avait réellement besoin de lui dans la région, alors qu’il était
originaire de l’Alberta. D’un autre côté, il m’avoua que les vacances n’étaient pas trop faites pour
lui. Il aimait mieux s’occuper en travaillant, car au moins, il faisait de l’argent. J’étais assez d’accord
avec lui, mais, d’un autre côté, ça me désolait toujours un peu de voir des gens qui ne vivent que pour
le travail, et qui se privent de vacances, comme si le plus important dans la vie était l’argent et payer
l’état. Alors que pour moi, ce qui est le plus important est tout ce que l’on peut faire à l’extérieur de
nos tâches quotidiennes.
Je répondis, après un court instant, que j’étais plutôt chanceux, car je n’avais pas à travailler pour un
moment et que j’étais plutôt en train de travailler sur moi-même. Mais que cette opportunité-là
n’allait pas se présenter souvent, car la vie consistait à travailler, malheureusement. Puis, je lui
racontai mon histoire et ce qui m’avait poussé à partir. Le sujet de ma séparation le toucha
particulièrement. Il s’était récemment séparé, lui aussi, il y avait quelques mois, mais, de plus, durant
ses très courtes vacances de cette dernière fin de semaine, il avait assisté à un mariage et avait passé
la nuit avec cette dernière. Il semblait déstabilisé, même s’il était un homme qui voulait paraitre viril.
Il se décrivait lui-même comme un « redneck ».
Nous étions déjà très près. Il me racontait les comportements de son ex-copine, alors que je lui
décrivais les comportements de la mienne. Il me disait surtout qu’il avait été un peu borné et qu’il
avait encore des sentiments pour celle-ci. Même si leur histoire était sans dessus-dessous, elle n’était
totalement pas terminée. Je le sentais si sensible, si rapidement, que je m’impressionnais moi-même à
me rapprocher de vraiment n’importe qui, et même à faire parler les moins propices à le faire. Je
sentais que je m’améliorais dans ma mission, même si je ne travaillais pas avec ma langue
maternelle. Puis, après avoir épuisé le sujet, au bout d’une bonne heure déjà, je lui décris ma route de
la journée, pour lui mentionner que je me retenais pour ne pas fumer de joint, car, je ne fumais pas, ou
très peu, sur la route. Il ria. Il me dit : « Si tu me fais fumer sur ce chemin vers Castlegar, je te paye le
repas ». J’étais heureux de sa proposition, mais je lui dis simplement que je pouvais le faire fumer
sans recevoir en retour. C’était simplement une communion à mes yeux et, de plus, seulement le fait
de m’aider à parcourir plus de quatre heures de route était généreux pour moi. Nous nous arrêtâmes à
une station-service pour y mettre de l’essence, pendant que je roulais un joint. Nous fumâmes
rapidement et il ne prit que quelques bouffées, pour relaxer, mais pour garder ses facultés pour
conduire. Je fumai une bonne partie de la cigarette, puis nous repartîmes.
Nous étions bien. J’étais heureux d’avoir choisi la route que je n’avais jamais vue, car, si l’autre était
droite et plate, celle-ci montait et descendait la vallée durant les quatre heures, nous laissant admirer
le merveilleux paysage des montagnes de la région, coupé par des lacs à perte de vues. Ce fut une des
plus belles routes que j’eusse la chance de voir de toute ma vie, tout simplement. Après une telle
promenade, je réalisai que les paysages de notre merveilleux pays n’avaient rien à envier aux autres
ailleurs. De plus, j’étais simplement fier d’être canadien. Par contre, d’un autre côté, je réalisai que
le conducteur du véhicule était tout le contraire de moi. Sauf le premier sujet de conversation, tout ce
dont il parlait se résumait simplement au contraire de ce que je pouvais penser. Il était un chasseur
qui aimait pêcher et chasser pour le sport, manger de la viande, travailler de ses mains, parler des
autres, de voitures, de travaille, alors que plus on avançait, plus on s’éloignait l’un de l’autre.
Comme quoi, l’amour nous rassemble tous, à la base. C’était triste, mais, en même temps, je ne
pouvais pas laisser une marque trop positive sur tout le monde, j’avais des affinités avec certains,
moins avec d’autres et c’était normal. Je comprenais, par contre, pourquoi il se définissait comme un
« Redneck » bien qui restait très gentil et très respectueux à mon égard.
Ce qui me concernait davantage était sa conduite. Je n’ai jamais vraiment eu peur dans un véhicule
motorisé, et je fais confiance aveuglément aux conducteurs, car je sais très bien qu’ils ne mettront pas
stupidement leur vie en danger. Je savais aussi que mon accompagnateur n’était pas pressé, mais il
avait bien hâte d’arriver et, aussi, il n’aimait pas la sensation de suivre quelqu’un, c’est pourquoi il
voulait absolument toujours dépasser. Le problème étant que, dans les montagnes, sur des petites
routes qui ne cessaient de tourner, il y était très difficile d’exécuter une manœuvre de dépassement
sans prendre de risque, et il ne semblait pas le réaliser. À plusieurs reprises, nous étions en train de
dépasser dans un virage ou avant d’atteindre le sommet d’une colline, en n'ayant aucune idée si une
autre voiture était dans l’autre voie. Si bien qu’à deux reprises, sans même réaliser qu’un son allait
sortir de ma bouche, j’eusse des réactions d’effroi, devant ses manœuvres douteuses. Pour lui, il
riait. Pour moi, je ne comprenais simplement pas comment il pouvait oser se retrouver dans l’autre
voie, sans pouvoir voir s’il y avait un véhicule qui venait à sens contraire. Même qu’une fois, la
voiture à sens inverse dut mettre les freins et se ranger sur son accotement pour nous laisser passer.
J’étais subjugué. Je lui demandai s’il pensait que l’autre personne avait peur dans son véhicule et il
me répondit qu’il ne pensait pas à cela. Pour ma part, j’y pensais chaque fois, et j’avais peur.
Le soleil se couchait et je n’étais plus sûr de pouvoir aller à Nelson. Je dis à mon ami que j’allais le
suivre vers Castelgar pour y passer la nuit. Il me déposa directement sur l’autoroute, me disant qu’il
avait manqué la sortie qu’il voulait prendre. Je le remerciai rapidement, car il n’avait même pas le
droit de s’arrêter où il était, il me souhaita bonne chance et me laissa aller. Bien que je fusse au beau
milieu de l’autoroute et que j’avais grandement apprécié le service rendu, j’étais content d’être seul,
car nous ne nous ressemblions vraiment pas et qu’il m’avait fait valser entre la peur et l’inconfort
d’être quelqu’un qui ne se conformait guère au reste de la population. C’était entre autres pourquoi
Nelson allait être si agréable pour moi.
Je traversai l’autoroute à pied pour ensuite passer sur un magnifique pont. La ville se trouvait de
l’autre côté de celui-ci, alors que le soleil se couchait, découpant, avec ombrage, chaque petite
parcelle de paysage, l’eau, la ville, la nature qui reposait doucement sous le ciel coloré d’une
journée bien entamée. Une fois rendue dans cette ville, je marchai la rue principale, pour la visiter
rapidement, puis, j’allai dans un petit resto-bar. Je bus une bière, mangeai une frite et attendis que le
soleil se couche complètement pour me trouver un endroit où dormir. En sortant, juste en face du bar,
il y avait un terrain vague qui donnait sur un boisé. Avant celui-ci, il y avait trois arbres, tout près du
commerce voisin et de la rue principale. J’allai derrière les trois premiers arbres, tout était sombre,
je montai ma tente avec seulement deux de ses poteaux pour qu’elle soit plus petite qu’à l’habitude,
puis, un peu stressé, car j’étais au beau milieu de la ville, je m’endormis, espérant ne pas récolter de
problème.

29 août 2017

Je me levai ce matin-là avec un étrange sentiment. Eva commençait à prendre l’habitude de me poser
quelques questions, à la seconde où ma conscience n’était plus dans le monde des rêves. Dès que je
réalisais que j’étais éveillé, je devais lui répondre où j’étais, comment j’avais dormi, je devais
savoir si j’étais en sécurité et de quelle façon mon campement était installé, de sorte que je fasse les
bonnes actions au bon moment. Je réalisai alors que j’avais placé mon campement dans un très petit
espace caché, je devais donc sortir sur-le-champ de ma tente pour voir ce qui en était. Quand je
sortis, je fus pris d’une discrète euphorie. Premièrement parce que le terrain, où j’étais, s’étendait
quand même plus loin, et il y avait un boisé au bout, où j’aurais pu camper beaucoup plus facilement.
Bien que m’y aventurer dans l’obscurité totale aurait été quelque peu périlleux. Mais ce qui me
faisait davantage rire était le minuscule espace où ma tente était installée et où seulement trois arbres
cachaient complètement ma maison de toile. De tous les sens, on ne pouvait voir qu’il y avait une
tente d’installée. L’ironie de la situation ne m’empêchait tout de même pas d’être fier du chemin que
j’avais parcouru, moi qui avais si peur de dormir un peu partout, je m’installais maintenant, à mon
aise, tout près de la route principale, au beau milieu de la ville de Castlegar, et je l’assumais
complètement.
Je démontai mon campement tranquillement et facilement, puis, après quelques minutes seulement,
Jym et Eva furent prêts pour m’accompagner dans mon périple qui durait maintenant depuis presque
un mois. Juste à côté d’où je me trouvais, il y avait un Tim Horton. Mon initiative fut alors de suivre
ma routine, d’aller charger mon téléphone et déguster un bon café, avant de partir. Il était tout de
même tôt et j’avais seulement quarante minutes à faire pour me rendre à Nelson. C’était rare, mais
agréable de me permettre de ne pas aller loin, et de n’avoir rien de prévu, sauf visiter une ville, tout
prêt, et peut-être même d’y rester quelques jours. Je ne l’avais pas fait depuis mon épisode en
montagne, et ensuite, ma nuit chargée, près de la rivière de Fernie. Je m’assis à une table, alors que
Jym faisait sa parade pour se faire remarquer. Il y avait une seule table de libre tout près d’une prise
de courant électrique. Je m’y assis. Le temps de commander mon café et de revenir à mon siège, je
remarquai qu’une dame, assise à la table à ma droite, discutait avec un jeune homme assis à la table à
ma gauche. J’étais pris au beau milieu de leur conversation, alors que ce jeune homme racontait qu’il
était en voyage, d’une ville près de Calgary, pour se diriger vers l’Ile de Vancouver où il allait
étudier. Bien que mon égo me poussât à prendre part à la conversation, Eva le calmait naturellement.
J’étais à l’écoute, mais silencieux. L’homme, fin de la vingtaine, était sur son ordinateur. Il regardait
sa messagerie et son itinéraire pour la journée. Durant un moment où il était concentré dans l’univers
virtuel, la femme s’adressa à moi : « Et puis toi, tu dois voyager aussi avec cet énorme sac?   » Je lui
répondis qu’évidemment, j’étais parti du Québec, sur le pouce, et que je me dirigeais également vers
l’Ile de Vancouver, que ça allait être ma dernière étape avant de rebrousser chemin et de revenir à la
maison. Je voulais absolument voir l’océan Pacifique. Et disant cela, je réalisai que je devais
commencer à penser à mon retour. Mais ; chaque chose en son temps.
Les deux personnes eurent une réaction assez semblable à entendre mon histoire. Ils étaient
impressionnés, et plus je racontais mon cheminement, plus ils m’écoutaient. Puis, après un moment, la
dame partit. Elle était gentille, douce, curieuse. Je la saluai et lui souhaitai une bonne journée. Le
jeune homme enchaîna la discussion. Nous avions le même âge. Je lui racontais mon histoire, et il me
racontait la sienne. Il était en voyage depuis deux jours. Il s’était arrêté pour un autre autostoppeur la
veille. Il avait environ une semaine pour se rendre à deux jours de route d’où nous étions, et voulait
en profiter le plus possible. Il me demanda alors si je voulais embarquer avec lui pour aller jusqu’à
l’Ile de Vancouver. J’hésitai. Je voulais absolument voir la ville de Nelson, car j’en avais tant
entendu parler. Il me répondit que ce n’était pas sur son itinéraire. J’hésitai encore quelques instants,
mais je me rappelai que je n’étais pas pressé et que je devais aussi visiter, et me reposer. Mon
interlocuteur me dit alors que c’était dommage, car il venait de rénover un autobus et il faisait la
route avec ce bolide. L’homme piqua ma curiosité. J’hésitai encore quelque peu, puis refusai une
seconde fois. Il prit un moment de silence et se concentra sur son écran d’ordinateur. Après quelques
minutes, il me dit : « Wow, Nelson a vraiment l’air belle, je te comprends de vouloir y aller. Si tu
veux, j’ai quelques jours de libres, mais c’est un détour pour moi, si tu as un peu d’argent pour
l’essence, je t’y accompagne aujourd’hui ». J’acceptai volontiers. Je n’avais pas beaucoup d’argent,
mais, en si peu de temps, j’avais déjà trouvé un moyen de transport pour atteindre mon objectif et j’en
était fier.
Le jeune homme était assez petit, mais robuste. A priori, j’aurais pu deviner qu’il était quelqu’un
d’extérieur qui n’avait pas peur de se salir les mains. Il avait les cheveux blonds qui laissaient
paraitre une très légère calvitie. Mais ce qui me marquait le plus chez lui était son honnêteté presque
naïve, sa gentillesse et sa simplicité. Comme s’il pensait tout comme moi, instinctivement, comme si,
pour lui, il était normal de se regrouper au lieu de se séparer.
Nous sortîmes du restaurant pour nous diriger vers un énorme autobus scolaire qui devait dater de
quelques décennies et qui était repeint bleu, vert et blanc. J’étais impressionné, car il était l’un des
plus gros modèles d’autobus scolaire, alors que j’avais imaginé l’un des plus petits. Mon ami
semblait si passionné par sa machine. Il voulait absolument me la faire visiter. Il entra du côté
conducteur et tourna la manivelle, comme dans mes lointains souvenirs, pour ouvrir la double porte
pour les passagers. À l’intérieur, il y avait un genre de divan artisanal qui se transformait en lit, et
tout l’équipement nécessaire pour y vivre. Frigidaire, poêle de camping, poêle à bois et cheminée,
des tiroirs et des étagères fixées au sol. Bien que je ne m’y connaisse pas, je pouvais facilement dire
qu’il avait fait tout un travail. Je le félicitai grandement. Il me confia qu’il se déplaçait dans cet
autobus, mais que cette machine allait aussi être sa maison pour les six prochains mois. Il devait
seulement trouver un endroit pour y brancher l’électricité. J’étais impressionné. J’acceptai aussitôt de
me rendre à Nelson avec lui, je ne pouvais pas passer à côté de l’opportunité de voyager dans ce si
beau véhicule, si spécial. Nous abordâmes l’autobus, puis parlâmes quelques dizaines de minutes de
tout et de rien. Je n’arrêtais pas de répéter à quel point son autobus m’impressionnait. Puis, nous
arrivâmes déjà à Nelson.
Nous fîmes le tour de la ville rapidement et trouvâmes une rue, tout prêt de l’aéroport, où nous
pouvions stationner son gigantesque précieux. Mon nouvel ami était tout emballé, car l’aviation était
l’une de ses passions, il allait justement étudier pour se spécialiser sur la mécanique d’avion. Il me
proposa de laisser Jym dans le véhicule. Je pris le temps de lui expliquer que ce n’était pas contre
lui, mais que mon sac n’allait pratiquement jamais me quitter. Nous échangeâmes nos numéros, au cas
où nous décidions de repartir de Nelson ensemble. Puis, il partit en vélo ; faire le tour de la ville,
alors que je partis, avec Jym et Eva, à pied. Pour moi, c’était si agréable de marcher pour découvrir
de nouveaux endroits, et la ville, sur le bord d’un lac, était de toute beauté. J’arrêtai dans un petit
café, sur une des rues principales de la petite ville. À ma grande surprise, la caissière, aussi la
première personne à laquelle j’eus la chance de parler, était québécoise. Je lui demandai ce qu’il y
avait à voir dans les environs. Elle me répondit qu’il y avait une plage, un peu plus loin, sous le pont.
Sinon, il y avait quelques bars tout prêts et si j’allais aux deux extrémités de cette route principale, je
pouvais trouver des parcs et des boisés. Je voulais prendre un peu de temps dans la nature, je suivis
donc la route, passant devant les magasins, et montai une petite colline pour me retrouver dans un
espace ouvert à l’entrée d’un boisée.
J’avais entendu que je pouvais rencontrer toute sorte de monde à Nelson, et directement à l’entrée de
la forêt, l’espace ouvert laissait place à un campement inhabité où des billots consumés laissaient
croire qu’un feu avait déjà été fait, et où des détritus de camping itinérant étaient abandonnés sur le
sol. Je m’installai un peu plus loin, et commençai à méditer. L’énergie de l’endroit était différente.
Elle était très puissante, et je pouvais la sentir. J’ouvris les yeux, je savais que cela faisait un bon
moment que j’étais au même endroit. Je fus surpris que deux heures aient déjà passé. C’était, à ce
jour, ma plus longue médiation. De plus, hormis la fierté, je me sentais si apaisé, si énergisé, j’étais
dans un état mental, physique et spirituel parfaitement adéquat pour soutenir l’aventure que je vivais.
Je me levai et retournai sur mes pas, puis me dirigeai vers la plage. Bien qu’elle fût à environ
quarante minutes de marche, Jym et moi étions motivés. Je m’y baignai un peu, je m’allongeai ensuite
sur le sable chaud, et pris le temps de relaxer. C’était une si belle journée. J’étais à la bonne place au
bon moment, car je ne devais simplement être nulle part. Je pouvais donc être partout.
Le temps avançait à son rythme, alors que je surfais sur ses vagues. Mon ami et moi nous étions
donnés rendez-vous pour manger et pour boire une bière, mais je commençais à avoir faim et, aussi,
j’avais une autre longue marche à effectuer, cette fois-ci en pente ascendante, pour revenir vers cette
rue principale où tous les commerces étaient.
Une fois arrivé, je me pris un léger "snack", attendant des nouvelles de mon ami pour pouvoir lui
offrir une bière et le remercier du service qu’il m’avait rendu. Après un bout de temps, il m’écrit
qu’il était tombé face à face avec l’un de ses amis d’école et qu’il était dans un bar, tout près ;
comme quoi ce genre de coïncidences n’arrivaient pas seulement qu’à moi. Il m’invita à le rejoindre.
Le bar était sur la route vers la plage, alors que je tentais d’appréhender l’effort physique. Je pris
quelques grandes respirations, remis Jym sur mes épaules et recommençai à marcher dans cette
direction. Je commençais à être épuisé. Une fois à l’intérieur, je les aperçus et je les rejoins aussitôt,
déposant Jym tout près de moi. Mon nouvel ami était très ouvert, très accueillant, très souriant. Son
ami l’état également. Je savais, a priori, que je n’allais pas avoir de problème à m’intégrer, comme
d’habitude. Je savais aussi que les deux avaient du temps à rattraper. C’est pourquoi je les laissai
majoritairement parler, même s’ils essayaient de m’inclure à chaque fois qu’ils pouvaient le faire.
Pour ma part, j’étais seulement bien, avec deux nouveaux amis ; deux inconnus.
Après avoir passé une agréable soirée, l’ami de l’ami nous demanda si nous voulions aller vers un
autre bar, pour continuer la fête. Nous acceptâmes volontiers. Nous passâmes par l’autobus, car il
fallait absolument lui montrer son vieux bébé. L’homme, qui vivait tout prêt, nous donna quelques
conseils pour savoir où se stationner et quoi voir dans le coin. Il paraissait amoureux de l’endroit
qu’il habitait. Puis, après avoir parlé tout près du véhicule, nous repartîmes vers le bar où nous
voulions aller. Encore une fois, mon nouvel ami me proposa de laisser Jym à son véhicule. Cette
fois-ci j’acceptai, j’avais besoin de me reposer, car j’avais beaucoup marché, et Jym aussi. Puis nous
allâmes vers le bar : Le Royal où nous passâmes une superbe soirée à nous connaître davantage, à
partager des bières, à rencontrer des inconnus, à profiter de chaque moment avec eux. Je passai un
bon moment de ma soirée à parler avec la jolie barmaid qui était très curieuse à mon sujet. Elle me
racontait qu’elle hébergeait un Québécois qui travaillait dans le coin et qui avait aussi fait comme
moi. J’étais tout aussi intéressé. Je jouai même un peu de guitare, car l’établissement en possédait
une. Puis, encore une fois, sans voir le temps passer, il était déjà l’heure de partir. J’accompagnai
mon nouvel ami vers sa maison mobile, pris Jym, et repartis à pied…

30 août 2017

À mon réveil, Eva me posa les mêmes questions qu’à l’habitude, et je ne pouvais pas lui répondre. Je
remarquai alors que je n’étais pas dans une tente et que j’étais à côté d’une route dans une forêt
quelconque. Il y avait des détritus de barres tendres autour de moi, surement les miens. Je savais que
n’importe qui dans ma situation aurait pu être dans un état précaire, mais je me disais que j’étais en
santé, en vie, et que j’avais quand même bien fait les choses. De plus, Jym et Eva étaient
pratiquement déjà prêts à partir. Si j’avais été un personnage de film, la situation aurait quand même
tourné à la comédie. Je pris alors le rôle de la caricature de moi-même. Je fumai un peu de cannabis
pour commencer la journée, car tant qu’à commencer sa journée, perdu, aussi bien l’être
complètement. Bien que je crusse évidemment tout le contraire au sujet de ma situation. J’étais
simplement à la bonne place, au bon moment, car de toute façon, dans ma situation, tous les chemins
menaient véritablement à Rome. Bien que ce soit la première fois que je me réveillais sans savoir où
j’étais réellement depuis le début de mon voyage, je me rappelais d’où je venais et c’était le plus
important.
Je repris la route et marchai vers la ville. J’aurais cru avoir à faire quelques pas et retrouver la
civilisation, mais je descendis des pentes durant une bonne demi-heure avant d’y arriver. J’étais tout
simplement impressionné par Mick- de la veille ; « chaud-botte », qui avait monté une montagne
durant un bon bout de temps, son énorme sac sur lui, pour se trouver un endroit « sécuritaire » pour
dormir dans la noirceur d’un boisé avoisinant. Une bonne chose en amena, par contre, une moins
bonne. Je sortis mon cellulaire et me rappelai que je l’avais brisé la veille, en l’échappant au beau
milieu de la rue. Il était toujours en état de fonctionner, mais dans des conditions difficiles. Je me
disais que c’était bien moi, avec ma chance légendaire mêlé à un trop plein d’alcool. Depuis le début
de ma vie d’adulte, je savais que j’étais quelqu’un qui aimait les bonnes choses de la vie et quand
j’avais la chance de toucher à l’alcool, je le faisais volontiers. De toute façon, je n’étais pas
quelqu’un qui avait un comportement déplacé sur l’alcool, je restais respectueux, calme, mais très
expressif. Cependant, les forces karmiques faisaient toujours en sorte qu’il se passe quelque chose,
juste pour me rappeler que je n’aurais peut-être pas du boire, et c’était le cas à l’instant. Je me
rappelais le jour de mon arrestation, quand le drame avait réellement commencé. J’avais fui une
bagarre dans un bar, dans un état d’ébriété très avancé. J’avais évité le conflit pour prendre mon
véhicule, ce qui était tout aussi bien une erreur en soi et qui m’amena beaucoup de conséquences,
mais, qui avait fait en sorte, deux ans et demi plus tard, à m’emmener dans cette croisade. Je ne
pouvais pas dire que j’étais dans la situation à laquelle tout le monde rêve, bien que beaucoup de
gens m’avaient confié qu’ils rêvaient secrètement d’accomplir ce que je faisais. Car le chemin que
j’empruntais était parsemé des embuches adéquates pour guider mon évolution et j’en étais bien
conscient. Je ne connaissais plus les remords et les regrets, j’étais plutôt bien, seulement avec le
moment présent, guidé par Eva et soutenu par Jym, avançant vers la rue principale de l’énergisante
Nelson.
J’arrivai au café où j’avais rencontré la Québécoise qui m’avait servi. Les choix sans viandes étaient
délicieux et le café, exquis. Je la saluai, passai une commande, puis m’assis tout près de la vitrine. Je
regardai à l’extérieur et voyais un jeune homme jouer du « air drum », les écouteurs bien placés sur
sa tête à l’arrêt d’autobus. Il était très expressif alors que ces bras dansaient dans tous les sens. Je me
demandai quel genre de musique il écoutait. Si je me fiais à son accoutrement et à son énergie, il
écoutait présentement du métal. Les gens le regardaient comme s’il était dérangé. Peut-être était-il
seulement sur des effets de son « trip » de la veille ? Qui sait ? Puis l’autobus arriva et tout le monde
y embarqua. Sauf l’énergumène qui resta sur le bord de la route pour continuer ses exploits de
virtuose du « air drum ». La situation était loufoque en soi, mais j’étais tout simplement content de
voir quelqu’un exprimer ce qu’il voulait exprimer et quand il voulait l’exprimer. Et je sentais que
l’énergie qui coulait dans l’air de Nelson était propice à ce genre de comportement. De toute façon,
qu’est-ce que ça pouvait bien faire ? Eva m’avertit, par contre sur-le-champ, qu’il ne fallait pas
rester pris dans ce vortex d’énergie intense. C’était une énergie bénéfique jusqu’à un certain point,
mais trop l’embrasser pouvait amener des gens à fricoter avec l’excès, et nous ne pouvions tout
simplement pas nous permettre de rester dans cette ville trop longtemps. J’étais d’accord.
Alors que mon téléphone prenait beaucoup de temps à charger, je vis passer mon ami, le conducteur
d’autobus, quand même assez rapidement à Vélo. Je tentai de l’interpeller, mais il ne m’entendit pas,
trop distrait à regarder le batteur d’air s’exprimer aux abords de la rue principale. Puis, je le vis
disparaître au loin. Le musicien expérimental resta, pour sa part, près d’une demi-heure à performer,
ce qui semblait plutôt être un concert finalement, puis, partit à son tour. Mon téléphone, bien qu’il
affichât que sa batterie avait besoin de charge, ne voulait pas démarrer. Je terminai alors mon
déjeuner et décidai d’attendre mon nouvel ami à sa résidence, où je l’attendis une autre demi-heure.
Je profitai du soleil, et méditai un peu.
Mon ami arriva enfin, il portait un chandail et une casquette bleue, il souriait, chevauchant son
bicycle. Il me posa des questions à savoir où j’avais dormi, et ce que j’avais fait ce matin. Il était si
simple et si agréable. Après une courte discussion, et surtout la soirée de la veille, il allait de soi que
nous allions passer la journée ensemble. Par contre, après une longue hésitation, parlant du joueur de
batterie imaginaire que nous avions, tous les deux, aperçu d’un point de vue différent, nous statuâmes
que nous devions partir au lendemain matin pour continuer notre chemin. J’étais content, car j’avais
un moyen de transport pour aller jusqu’à l’autre bout du pays, enfin, jusqu’à l’Ile de Vancouver.
Je proposai alors de lui montrer la plage. Il me répondit qu’il adorait les plages et nager. Il espérait,
aussi, y voir des belles femmes. J’étais tout à fait d’accord. Il me proposa de laisser Jym dans
l’autobus et me donna même le code du cadenas qui sécurisait le véhicule de sorte que j’aie toujours
accès à mon acolyte. J’acceptai encore une fois. Je me disais que je devais lui faire drôlement
confiance pour lui laisser Jym. Mais j’étais content de prendre un moment de repos de ce poids sur
mes épaules et je savais maintenant que la route était quand même longue pour s’y rendre.
Nous passâmes quelques magnifiques moments à la plage. Nous nous baignâmes un peu. Mon ami se
mit à nager loin, très loin de la rive. Je ne le suivis point. Restant peu de temps dans l’eau non
profonde puis, je sortis et m’allongeai sur la plage. Après un moment, il revint et me demanda
pourquoi je ne l’avais pas suivi. Je lui avouai que je n’ai pas de peur dans la vie, mais les eaux
profondes me rendaient inconfortable. Il comprit, alors que je lui exprimai qu’il pouvait rester dans
l’eau tant et aussi longtemps qu’il voulait. Il me sourit et me demanda si je voulais une collation.
Nous allâmes au petit restaurant de la plage et il me paya une poutine. Je senti qu’il était émotif face à
sa propre générosité. Il aimait énormément donner au prochain et, aussi, il espérait, au fond de lui,
que tout le monde puisse aussi le faire à leur tour. Nous étions au même diapason. Je me rendis aux
toilettes avant de partir, sur l’une des portes, il était écrit « Washroom » et sur l’autre « Restroom ».
Je fus confus pour un temps, pensant que c’était deux synonymes, puis je choisis l’une d’entre elles.
Tout semblait normal a priori. Je ressortis ensuite pour déguster ma poutine. J’avouai à mon ami qu’il
devait absolument passer au Québec pour manger les meilleures poutines, car celles que l’on
retrouvait ici, dans l’Ouest, n’étaient seulement qu’OK. Il m’avoua, à son tour, qu’il aimerait bien, un
jour, aller dans l’est du pays. Je lui souhaitai grandement.
Il alla à son tour aux salles de bains et revint. Il me confia qu’il resta confus de voir les enseignes
« Restroom » et « Washroom ». Nous nous mîmes à rigoler sur le sujet. Je me sentais apaisé que ce
n’était pas ma compréhension de la langue qui faisait défaut, mais seulement le niveau de langage du
parc qui était inclusif. Car mon ami eût la même confusion que j’eusse ressentie un peu plus tôt. Nous
fîmes quelques blagues tout en repartant vers l’autobus alors que l’après-midi tirait déjà à sa fin.
J’étais content de retrouver Jym, après quelques heures où nous étions séparés. J’avais laissé mon
téléphone branché à une batterie portative dans l’autobus, et à ma grande surprise, il avait démarré.
Après un bref moment de repos, mon ami voulait utiliser son ordinateur. Je lui confirmai que je
connaissais un endroit où le café était délicieux. Je pris Jym sur mes épaules et le conduisis à
l’endroit. Il me regarda et m’avoua que je l’impressionnais de toujours vouloir porter mon sac et de
marcher des kilomètres avec lui. À ses yeux, j’étais en forme et persévérant. J’étais fier du
compliment et du chemin que j’avais parcouru sur le plan physique. Je voulais continuer à faire
progresser mon corps le plus possible.
Nous retournâmes au café où j’avais aperçu le musicien fou un peu plus tôt. Je commandai un
expresso qu’on me servit de la même façon qu’en Italie, avec un verre d’eau pétillante et des
biscottes. Je me sentais à la maison. Mon acolyte avait reçu un message d’un vieil ami qui faisait un
spectacle d’humour à Kelowna. Il voulait s’y rendre. C’était, dès lors, notre prochaine destination. Je
pris mon téléphone et écrivis à mes amis de Kelowna que j’allais être de retour pour une journée,
puis j’écrivis à cette gentille femme du Nouveau-Brunswick qui avait un si bel accent et un si beau
sourire. Puis, après avoir laissé le temps à mon ami d’utiliser son ordinateur, nous repartîmes vers
l’autobus. Mon ami me dit que son autobus était équipé pour faire à manger, mais qu’il avait peu de
connaissance pour concocter une bonne bouffe. Je lui répondis que ça tombait bien, car j’avais
quelques connaissances, mais peu de matériel. Nous étions un match parfait. Nous nous arrêtâmes à
l’épicerie pour retourner, encore une fois, vers l’autobus. Nous avions peut-être marché dix
kilomètres durant la journée, mais c’était rendu mon quotidien.
Il faisait beau et chaud sur Nelson. Mon ami ouvrit les portes des compartiments sous le véhicule et
installa un « long board » sous elles, les transformant en comptoir le temps de cuisiner, sous le
merveilleux coucher de soleil que le ciel de Nelson pouvait nous offrir. C’était le genre de moment
qu’il fallait absolument que je me souvienne toute ma vie. Mon ami sortit un petit barbecue de
camping, une planche à découper, des pâtes, de l’eau, et je m’exécutai pour cuisiner la sauce à
spaghetti. Il avait encore plus que ce dont j’avais besoin. Sa mère s’était occupée d’équiper sa
cuisine de sorte que je me sentais pratiquement comme le chef d’une émission culinaire, où je me
promènerais dans les rues canadiennes et cuisinerais sous le chaud soleil.
Par la suite, nous nous rassasiâmes de nos pâtes et de notre bonheur. Mon ami était plus que content
d’avoir mis son équipement à disposition, alors que j’étais heureux d’avoir participé à l’exercice.
Nous faisions une bonne équipe et pour nous féliciter, nous décidâmes de célébrer, encore une fois,
avec une bonne bière. Mais avant, mon ami voulait déplacer son autobus, au cas où les forces de
l’ordre de la région le remarqueraient et lui donneraient une contravention pour être stationné près de
l’aéroport. De plus, son ami lui avait donné des indications la veille, à savoir où il pouvait se
stationner paisiblement. Nous fîmes le tour du bloc dans ce véhicule qui nous faisait sautiller sur
place sans arrêt. Puis mon ami remarqua un léger espace, un peu plus large que son véhicule, derrière
un bâtiment. Il s’y stationna rapidement, du premier coup, facilement, à reculons, sous mes yeux
complètement éblouis par ses capacités à manœuvrer ce gigantesque autobus. Je sortis du véhicule et
lui confirma que son véhicule était bien stationné, tout en soulignant son talent. Alors que je repris
Jym sur mes épaules, mon ami n’en revenait simplement pas de ma persévérance à toujours vouloir
porter mon sac. Mais il comprenait mes motifs et me complimenta encore. Je reçus alors un message
qui fit vibrer mon téléphone et tout mon cœur. C’était la merveilleuse Acadienne de Kelowna qui
m’invitait, au lendemain, à une petite fête chez elle. Je savais que mon complice voulait repasser par
Kelowna. J’acceptai alors l’invitation et j’étais très excité de m’y rendre.
Nous entrâmes, quelques minutes plus tard, dans une micro-brasserie, tout près du café qui me servait
maintenant de point de repère. Il y avait un groupe de musique amateur qui jouait. Bien qu’ils
semblassent avoir du talent, ma formation professionnelle ne me faisait qu’entendre les défauts dans
la sonorisation de cette musique pratiquement dissonante à mes oreilles. Le micro n’était pas assez
fort et la batterie n’était même pas amplifiée. Bref, nous n’entendions qu’un amalgame entre la guitare
et la basse qui s’échangeaient des partitions presque justes, mais qui faisaient peu de sens à mon
oreille. L’endroit était tout de même bondé et les gens étaient assis à de longues tables, comme à la
cabane à sucre. Il n’y avait que quelques places à une table dans un coin, tout près d’un groupe de
jeune et d’un homme beaucoup plus vieux. Nous nous y assîmes et j’installai Jym dans un coin.
Nous discutâmes, nous profitions du moment, buvant tranquillement chacun une bière de l’endroit.
Puis, c’était plus fort que lui, le vieil homme près de nous, apparemment en état d’ébriété avancé, me
questionna à propos de Jym, puis de mon voyage. Après quelques explications, mon ami raconta le
sien. Puis, nous discutâmes pour un moment à trois, de nos expériences respectives. Le conducteur de
l’autobus lui parla ensuite de son véhicule tant aimé, et à quel point il était fier de le conduire et de
pouvoir l’habiter pour pouvoir finalement étudier. Son histoire me touchait beaucoup. Il représentait,
pour moi, le travail manuel, la débrouillardise, la persévérance, le courage et la compassion à mes
yeux. Je savais que je ne l’avais pas rencontré pour rien et j’étais tout aussi fier de lui que de moi-
même et de mon aventure. Le vieil homme semblait, lui aussi, adorer notre histoire. Il commença à
nous montrer les chemins les plus simples pour aller à Kelowna, même si ses directions n’étaient pas
si compréhensibles et que nous les connaissions déjà. Je tentais de lui dire que j’avais déjà emprunté
les deux chemins principaux, ceux qu’il tentait tant bien que mal à nous expliquer, tout de même, avec
un peu de confusion. Puis, il prit une pause pour terminer sa bière.
J’avais pris l’autoroute au sud du pays quand j’avais quitté Fernie pour me rendre à Kelowna par
l’autoroute 3, et j’avais emprunté le chemin au nord de Kelowna, dans les montagnes avec la vue plus
que merveilleuse, pour me rendre à Castlegar par l’autoroute 6. Je n’étais pas un professionnel des
routes de la région, mais je commençais à connaître les environs. De plus, je savais laquelle
emprunter, car je ne savais même pas si son autobus pourrait survivre aux montagnes de l’autoroute
6. Il allait de soi que nous allions repasser par la 3 et ensuite la 97 vers Kelowna.
L’homme ne semblait pas trop suivre ce que je disais. Il regarda mon ami dans les yeux et lui
demanda soudainement de l’aider. Il lui demanda s’il pouvait l’abriter pour la nuit. Je sentais que,
bien que mon ami fût surpris d’une question aussi directe et qu’il avait envie de l’aider, mais il se
sentait retenu par l’attitude ivrogne et imprévisible de notre interlocuteur. Il était à peine neuf heures,
ce qui nous donnait le temps de réfléchir, et nous savions tant bien que mal que je n’allais surement
pas dormir dans l’autobus. Nous ne voulions que prendre le temps de le connaître. Mon ami lui
répondit qu’il devait y réfléchir.
L’homme changea son fusil d’épaule sans attendre et dirigea son énergie contre nous. Il accusa mon
ami d’avoir mauvaise foi. Il l’accusa de ne penser qu’à lui et de laisser les gens qui en ont besoin,
seuls avec eux-mêmes. Il me prit quelques instants à réaliser le changement de ton aussi soudain de
l’homme qui semblait assez sympathique a priori. En même temps, cela confirmait que, seulement
pour des raisons logiques, nous ne pouvions pas lui offrir asile, car nous ne pouvions pas nous
permettre de côtoyer l’imprévisibilité d’un tiers parti. Le risque était simplement trop grand. Et
qu’est-ce que l’homme faisait dans un bar, à se payer des bières, s’il était autant dans le besoin ?
L’homme tenta de nous faire sentir coupable en nous disant qu’il nous avait aidés avec les directions
et que nous étions égoïstes de prendre ses directions sans rien lui offrir en retour. Plus il parlait, et
plus il semblait dénonciateur, agressif et malsain. Nous terminâmes nos bières rapidement, le
saluâmes alors que l’homme continuait à marmonner des injures et des jugements à notre sujet. Alors
que j’allai payer ma facture, un homme tout près de moi au comptoir m’aborda. Il était dans un état
d’ébriété qui frôlait le coma, c’était déplorable. Je lui parlai un peu, car il parlait français, mais je
visais tout de même rapidement la porte. Je sentais que nous n’avions véritablement plus rien à faire
dans cet établissement. Pendant ce temps, mon ami tenta de payer la facture du vieil homme frustré,
mais elle était déjà réglée et le tenancier ne tenait pas trop à ce que l’homme boive davantage. Nous
sortîmes et, tout en marchant, je félicitai mon ami pour sa tentative de générosité, lui disant que nous
avions besoin de plus de gens comme lui dans ce monde.
Nous nous dirigeâmes vers un autre établissement, de l’autre côté de la rue ; chez Mike, et y
entrâmes. Encore une fois, je plaçai Jym tout près de moi alors que nous demandâmes une autre bière
à la tenancière. Le restaurant était immense et bondé sur deux étages. Un jeu de bingo venait de
commencer et plus j’entendais l’animatrice, peut-être n’était-ce seulement que par déformation
professionnelle, mais plus le jeu me rendait tout simplement mal alaise. Celle qui appelait les
chiffres ne faisait que parler de sexe au grand plaisir des joueurs, mais, en même temps, à mon avis,
c’était seulement trop. Chaque fois qu’elle tirait un chiffre, elle émettait des cris de jouissances,
comme si c’était un numéro d’humour. D’un côté, ce n’est nullement mon genre d’humour et de
l’autre, je me demandais comment le sexe pouvait être aussi important aux yeux de certaines
personnes, que l’occasion d’y faire allusion était pratiquement présente en permanence. Bref, d’après
moi, le jeu aurait pu être conduit d’une façon plus amusante, mais peut-être n’étais-je que différent ?
Je me devais juste de ne pas juger.
Pendant que mon ami lisait le journal rapidement, je vis deux femmes me pointer du doigt à la caisse.
Elle réglait leur facture et partait. Par curiosité et désir d’aventure, je leur souris et allai les voir.
Elles étaient plus vieilles que moi, habillées pour sortir, bien que leurs visages laissassent
transparaître une fatigue gardée précieusement, depuis déjà plusieurs années, elles étaient déjà dans
un état propice à faire la fête. Elles m’avouèrent qu’elles me pointaient seulement parce que j’étais
magnifique. Je souris alors de gêne, les remerciai, puis leur demandai ce qu’elles allaient faire par la
suite à Nelson. Ils me dirent qu’ils n’aimaient vraiment pas l’ambiance du bar où nous étions et
qu’elles allaient faire la fête, perdre la notion de la réalité et chanter du karaoké dans un bar plus
loin. Après quelques instants, je leur dis que j’allais consulter mon ami, mais qu’il y avait de fortes
chances que nous allions les rejoindre plus tard. Elles étaient contentes et moi aussi d’ailleurs. Elles
repartirent.
Après lui avoir parlé de la situation, mon nouvel ami et moi décidâmes de visiter le troisième bar.
Nous finîmes nos bières. J’étais sur le point de partir quand je reconnus l’homme au comptoir du bar
précédent, entrer où nous étions. Celui qui était pratiquement comateux. Il semblait faire du vacarme
et déranger les alentours. J’allai le voir. Il me confia qu’il avait perdu son portefeuille et qu’il ne le
trouvait nulle part. Je lui demandai s’il avait payé ses consommations au bar précédent, et il ne s’en
souvenait déjà plus. Je pris alors le temps de laisser Jym avec mon ami le conducteur, près du bar, et
couru vers l’autre établissement pour trouver le portefeuille de l’homme, mais en vain. Je revins sur
mes pas et l’homme n’était déjà plus à l’endroit où je l’avais laissé. J’allai à l’étage alors que je
l’aperçus voulant consommer et débuter une partie de billard sous les yeux consternés de la majorité
de la salle et du personnel du restaurant qui le trouvaient tout simplement incontrôlable. J’eus à peine
le temps de lui dire que je n’avais pas son portefeuille, que des policiers entrèrent et l’escortèrent
vers la sortie. La situation n’était tout simplement plus de mon ressort. J’allai rejoindre mon ami et
nous sortîmes pour nous diriger vers le troisième établissement.
En sortant, c’était au tour de mon ami de me féliciter pour l’aide que je voulais apporter à cet homme.
Je lui répondis seulement que je savais que ça allait me prendre peu de temps, surtout sans mon sac,
c’était seulement la solution la plus simple. Nous nous reconnaissions bien. Encore une fois, j’avais
l’impression que le destin avait choisi notre rencontre et qu’il n’y avait aucun hasard.
Nous trouvâmes le bar en question quelques minutes à pied, plus loin. Nous entrâmes et nous fîmes
surpris de constater que l’ambiance était beaucoup plus décontractée. L’endroit n’était non plus plein.
Nous cherchâmes du regard les deux femmes qui m’avaient abordé, un peu plus tôt, mais après
quelques secondes nous décidâmes de prendre une table et d’y commander une bière. Après quelques
minutes, nous aperçûmes les femmes entrer derrière nous. Elles nous saluèrent et, après quelques
mots échangés, l’une d’entre elles me lança : « OK, je fais un deal avec toi, si tu me payes la bière ce
soir, je te donne du GHB ». J’étais tout à fait surpris de sa proposition. Eva, quant à elle, me
regardait avec de gros yeux, me suggérant fortement de décliner son offre. Ce que je fis
instinctivement, ce n’était pas le moment, et ma situation financière ne méritait pas de souffrir
davantage pour l’effet que procurait n’importe quelle drogue. Elles me saluèrent alors et allèrent
s’asseoir au fond de la salle. Pour notre part, nous décidâmes de bouger plus loin, vers la table de
billard, pour commencer une partie. Malheureusement pour moi, l’énorme barman de l’endroit
n’avait pas confiance en Jym et lui demanda de rester à ses côtés, derrière le bar. Nous acceptâmes à
contrecœur.
Après une partie, je réalisai, encore une fois, à quel point c’était plus facile qu’on le pense de
connecter avec des inconnus. Mon nouvel ami était un inconnu que j’avais croisé dans un Tim Horton,
il avait changé son itinéraire presque instinctivement pour moi, puis, nous voilà exécutant la tournée
des bars dans une ville merveilleuse, dont je n’avais jamais eu connaissance de son existence avant
quelques jours seulement. Puis il me demanda de regarder derrière moi. Je me retournai et soudain, la
merveilleuse « barmaid » que nous avions rencontrée la veille, me salua d’un merveilleux sourire.
Dans la trentaine, ses cheveux blonds se posaient avec élégance sur la pointe de ses épaules, qui
laissait transparaitre un cou, un menton et un nez fin. Mais le plus poignant, chez elle, était ses yeux
d’un bleu si fort et si profond qu’en regardant à l’intérieur, on se sent pris et attiré vers ceux-ci
comme dans un vortex apaisant. Elle était avec un homme qui portait de longues « dreadlocks » et
l’accent anglais à merveille. Je le saluai également.
Nous nous assîmes près de la table de billard, et nous mîmes à discuter. Je la remerciai de la soirée
de la veille et lui avouai que j’étais très content de la voir. Elle dégageait une sérénité et une réserve
trahies par mille idées qui traversaient la profondeur de ses yeux. Je lui avouai également qu’elle
dégageait une énergie divine et que c’était agréable. Elle me retourna le compliment. Elle me dit
alors qu’elle avait parlé de moi à son coloc québécois et qu’il allait arriver dans quelques minutes.
J’étais très heureux de la nouvelle. Mon premier instinct me laissait toujours croire, presque par
préjugé, peut-être aussi par solidarité, qu’un Québécois n’allait jamais vraiment être un inconnu à
mes yeux, car il était si facile de se reconnaitre entre nous, partout à travers le pays. Puis il arriva, en
même temps que nous parlions de lui.
Nous nous présentâmes et eûmes une légère conversation sur notre terre natale et sur ce que nous
faisions avant d’être dans l’Ouest canadien. Bref, nous échangeâmes nos histoires. Il était grand,
assez costaud, bel homme, et était ici pour travailler de ses mains, planter des arbres principalement.
Il m’expliquait à quel point c’était exigeant et que, pour faire un bon salaire, il fallait travailler
doublement fort. Mais, en toute humilité, il me confia que la plus belle chose qui se rapportait à son
travail était de voir que, malgré ce qui se passait dans le monde, il avait personnellement fait son
effort et qu’à la fin de son été, il avait planté une petite forêt. Ses paroles étaient remplies de sagesse.
Ça me ramenait à la réflexion que j’avais eue, plus tôt, sur le fait de prendre part au problème ou à la
solution, car si chaque personne prenait un minimum de temps libre pour planter quelques arbres, la
terre pourrait se porter mieux. Je le félicitai pour son courage et sa détermination. Il me donnait le
gout d’en faire autant. Il me dit, par exemple, qu’il ne faisait pas souvent la fête, car il fallait être
rigoureux pour bien travailler, surtout entouré d’esprits libres qui exercent le même emploi.
Le karaoké commença et, comme mon orgueil est souvent très caché, j’allai m’inscrire et demandai
de chanter un rap, en anglais. La dj était très sympathique, comme la jeune femme qui nous servait.
Tout le monde était heureux et l’ambiance était parfaite. Nous étions entre inconnus, mais surtout
entre amis. Je retournai rejoindre mon groupe pour lui mentionner mon choix de chanson, quand l’une
des femmes que j’avais rencontrées à l’autre resto-bar me demanda de la rejoindre. Elle m’offrit une
minuscule de GHB. Cette fois-ci, l’alcool coulait trop bien dans mes veines après quelques bières,
que je me dis que l’effet d’une petite dose de cette drogue allait m’épargner de l’argent que j’aurais
dû mettre sur plusieurs bières. J’acceptai et retournai à mon siège. La situation s’était déroulée si
rapidement qu’Eva claqua la porte du bar, sortant de l’établissement très contrariée. Je me demandai
sur-le-champ, si je n’avais pas fait d’erreur, même si rien de grave ne pouvait m’arriver aussitôt. Je
me demandai, aussi, si j’allais annuler ma performance pour être sûr de ne pas me planter sous le
regard de tous. D’un autre côté, la dose que la dame m’avait donnée était très petite. Bref, je ne
pouvais pas prédire l’avenir, ni corriger le passé, mais je me sentais assez bien, et comme c’était
déjà fait, il était inutile de le regretter, même si ce n'était véritablement pas la meilleure chose à faire.
Quelques minutes plus tard, ce fut le temps de chanter et ma performance fut plus que passable.
J’exécutai « loose yourself », que je connaissais assez bien a priori, bien que j’eusse toujours
quelques problèmes à bien respirer, dus au « flow » incomparable d’Eminem. Mon ami, les
nouvelles personnes que je venais de rencontrer, et même les autres inconnus de la salle semblaient
apprécier le party. Après la séquence, mon ami souligna que c’était impressionnant que je m’exécute
dans une autre langue. Bien que ce ne fût vraiment pas parfait, son compliment me faisait chaud à
l’orgueil et réconfortait mon égo. Je retournai à mon siège, pris une gorgée de ma bière, j’étais
comblé. Je sentais mes sens s’aliéner légèrement, je me l’étais permis de toute façon, mais rien
n’était incontrôlable.
Les autres gens de mon groupe se mirent à s’inscrire au karaoké, alors que nous continuâmes à jouer
au billard, mais surtout à créer des liens. Je jouai quelques parties de billard avec le jeune européen
qui allait, lui aussi, étudier en Colombie-Britannique. Il était donc, lui aussi en voyage, comme mon
ami et moi. Nous échangeâmes nos histoires. Il était si sympathique, si ouvert. Il était élancé, mais
fort. Ses « dreadlocks » étaient si longues, mais surtout, il affichait un sourire ravissant et contagieux
à la fois. Il ne portait aucun poil au menton, c’est pourquoi il semblait quand même assez jeune, ce
qu’il me confirma durant la soirée. En seulement quelques parties de billards, nous nous reconnûmes
grandement l’un dans l’autre, et nous nous souhaitâmes de nous revoir près de Vancouver.
À chaque fois que je passais à côté de cette jolie blonde, je lui disais à quel point je trouvais et je
sentais qu’elle dégageait quelque chose de divin. Peut-être que mes inhibitions étaient altérées par
mes consommations, mais si je restais respectueux des autres et de moi-même, je n’avais pas à les
craindre. La soirée tirait à sa fin, c’était le « Last Call » déjà. Bien que j’aie voulu continuer à fêter
toute la nuit avec ce groupe d’amis si éphémères, nous échangeâmes nos coordonnées, puis, prirent
des directions différentes. Mon coéquipier et moi, d’un côté, et les autres de l’autre. J’étais très
chanceux de rencontrer ce genre de personne avec qui il est si facile de réaliser que quelque part,
nous sommes tous liés. En toute humilité, ce que j’étais en train d’accomplir commençait à me
fasciner. Je voyageais réellement, d’un inconnu à l’autre.
Arrivé à l’autobus, je me penchai pour attacher mon soulier, et tombai sur le côté sous le poids de
Jym qui m’écrasait. Mon ami et moi nous mîmes à rire. C’était la première fois que je faisais quelque
chose de maladroit avec Jym, mais je le méritais amplement. Il était temps pour moi de dormir. Mon
ami m’offrit de dormir dans l’autobus, mais, même au beau milieu de la ville, l’air de l’extérieur était
beaucoup trop tentant. Il me prêta un matelas et j’installai mon sac de couchage et mon oreiller entre
le mur d’une petite bâtisse et l’autobus. Puis, je m’y couchai. J’étais si confortable. Je profitai de
chaque seconde, car pour moi c’était un cadeau du ciel de ne pas dormir directement sur le sol. Cette
nuit-là, je dormis sur mes deux oreilles, et je me réveillai en pleine forme.

31 août 2017 - The Mushroom Night

Ce matin-là, je me levai en forme. J’avais si bien dormi sur le matelas de mon ami. J’aidai Jym à
s’organiser pour partir tôt, alors qu’Eva était contente de me retrouver sain et sauf. Elle m’avoua que,
des fois, elle pouvait s’inquiéter pour rien, mais qu’elle aimait mieux le faire, pour le meilleur et
pour le pire. Et il fallait bien que quelqu’un le fasse. J’étais très excité à l’idée de revoir cette jolie
Acadienne que j’avais rencontrée à Kelowna quelques jours plus tôt. Elle était si sympathique, si
souriante, si aimable. J’avais hâte de la connaître davantage. Je savais qu’elle travaillait aujourd’hui,
donc, j’allais la rencontrer la nuit tombée. Mon ami et moi allions voir un spectacle d’humour
auparavant. Et si la route était d’environ cinq heures, nous pouvions quasiment en compter dix en
autobus. C’est pourquoi il fallait partir tôt. Nous embarquâmes alors, et partîmes sur-le-champ.
Sur la route, nous devions prendre notre temps. De toute façon, le sentiment de bien s’entendre était
réciproque, et nous savions que nous pouvions être une bonne équipe. Nous discutions de tout et de
rien ; de nos vies respectives, de nos aspirations, de femmes, de nos expériences. Pour moi, il n’était
déjà plus un inconnu, mais un ami.
L’autobus ne roulait qu’un peu plus vite que la moitié de la limite permise. Puis, nous devions
prendre quelques pauses durant la journée, pour donner un peu de répit à cette gigantesque machine.
De plus, chaque fois que nous devions monter une pente, nous devions prendre une pause d’environ
quinze minutes pour laisser le moteur refroidir, avant de repartir, et c’était assez difficile d’éviter les
montagnes en Colombie-Britannique. Bref, moi qui ressentais toujours l’urgence d’aller d’un point à
l’autre le plus rapidement possible, et qui l’avais très bien fait depuis le début de cette aventure, je
devais respirer et me convaincre que ce n’était pas grave. Ce n’était qu’un test de patience que
j’allais passer, parce que j’aurais pu me rendre à Vancouver en une seule journée, et je réalisais que
j’allais y être dans quelques jours. Le bon côté de la chose était cependant plus fort. J’étais
confortablement assis dans un autobus transformé en maison, avec un nouvel ami, et nous avions
beaucoup de plaisir. Je réalisai aussi que, pour moi, mon nouvel ami Albertin allait être une belle
partie de mon histoire, alors que j’allais être, pour lui, presque l’intégralité de ses vacances et de son
voyage préscolaire. Je me sentais chanceux qu’il m’accorde cette opportunité de faire partie de son
histoire et de ses souvenirs.
Nous nous arrêtâmes aussi pour manger, puis à une plage. Je pris le temps de contempler l’endroit
qui le méritait amplement. L’eau était si belle, d’un bleu foncé. Elle s’étendait vers les montagnes
quelque peu désertiques de la vallée d’Okanaghan qui, même à une certaine distance, étaient si
majestueuses. Le paysage était simplement à en couper le souffle. Moi qui adore l’énergie des plages
qui sont comme des temples pour adorer le soleil, je pouvais dire, en ce simple instant, que le
moment que je vivais était délectable. Je voyais mon ami sauter dans l’eau et nager au loin. Il me
demanda de le rejoindre, mais je refusai. Je n’avais pas le gout, et de toute façon, je savais qu’il
allait aller loin. Après un instant, il revint. Je me sentais si bien. Je me rappelai que je faisais ce
voyage pour rencontrer des gens de partout, mais aussi pour profiter des merveilleux paysages que
notre magnifique pays avait à nous offrir, et en Colombie-Britannique, cette nature, si folle et
magique, se trouvait littéralement partout.
Nous arrivâmes à Kelowna vers vingt heures. Nous étions fatigués. C’était étonnant à quel point être
sur la route était fatiguant, même si nous n’étions qu’assis tout au long de la journée. Je guidai mon
ami pour se stationner. Je connaissais maintenant les quartiers de cette ville qui m’avait tant marquée.
Nous nous stationnâmes à environ vingt minutes à pied du bar où l’ami de mon ami performait, et
nous y marchâmes. Encore une fois, mon ami émit un commentaire sur ma constitution et sur ma
volonté à l’égard de Jym. Nous entrâmes dans le bar et je m’installai avec Jym devant la scène. Le
spectacle fut assez bref, mais drôle. La personne qu’on allait voire avait ce genre d’humour vantard,
mais autodérisoire à la fois. Il ne réinventait certes pas la roue, mais il était talentueux dans ce qu’il
faisait. Après le spectacle, nous sortîmes. Je les saluai et partis rapidement, accompagné d’Eva et
Jym, vers le parc près du bar où j’avais rencontré la jolie demoiselle que j’attendais, et je m’y
reposai. La solitude fut très plaisante, car je n’avais pas eu beaucoup de temps pour moi seul
dernièrement.
Après un bref instant, elle m’envoya le signal et me donna son adresse. Elle était à quarante-cinq
minutes à pied. J’étais à la fois excité, mais fébrile. Je sentais mon cœur battre fort de nervosité. Je
savais que j’allais la revoir, mais aussi, que j’allais intégrer son monde. De l’autre côté, je savais
que tout allait bien aller. Je repris Jym sur mes épaules. J’avais peut-être déjà marché quelques
kilomètres, depuis mon arrivée à Kelowna, mais j’aimais tant marcher, que je voulais profiter de
chaque seconde de cette soirée. Je me dirigeai vers le Centre-Ville avant d’aller chez elle, et je
tombai nez à nez avec de vieux musiciens. Quatre hommes dans la cinquantaine. Deux guitaristes, un
pianiste et un harmoniciste. Ils n’étaient pas sans-abri, mais ils n’étaient pas nantis non plus. Ils
n’étaient que des artistes passionnés qui s’amusaient sur le coin de la rue. Leur blues était tout
simplement envoutant. Je m’assis en utilisant Jym comme siège, et y restai pour une demi-heure. Le
joueur d’harmonica devait avoir plus de soixante ans et était dans un fauteuil roulant électrique. Sa
musique était si prenante, si remplie de passion, que le type m’impressionnait grandement. Quand il
se mettait à faire des solos, même ses collègues souriaient et faisaient des commentaires sur son
talent et sur son « soul ». Souvent, j’avais les yeux fermés. Je voyais les gens passer et leur donner de
l’argent. Ceux qui s’arrêtaient étaient captivés par la musique qui les ensorcelait. J’étais témoin du
pouvoir de l’art dans sa forme la plus pure. Avant de partir, j’aurais tant aimé leur donner un peu de
monnaie, mais j’avais besoin de tous mes sous. Je fouillai dans mon portefeuille et leur lança la seule
chose qui avait un peu de valeur pour un guitariste : un pique de guitare. Ils me remercièrent et je leur
répondis que c’était moi qui les remerciais. Puis je quittai.
Je me sentais si énergisé alors que je marchais vers ma future nouvelle amie. J’y arrivai une heure
plus tard. Je vis la maison, au loin, et vérifiai que j’étais à la bonne adresse. Cette merveilleuse
Acadienne m’avait signalé qu’ils allaient être dans la cour arrière. Bien qu’il fût interdit de faire un
feu avec du bois dans la région, il était permis d’avoir un foyer à gaz. Ça faisait si longtemps que je
n’avais pas pu profiter de l’énergie si puissante d’un feu de camp. En fait, je réalisai que je n’avais
pas eu l’occasion d’en faire un, pour moi, depuis mon départ. Bref, il n’aurait manqué qu’une guitare
pour m’envoyer au paradis.
Un homme m’accueillit à l’entrée. Ses facultés semblaient déjà quelque peu affaiblies par l’alcool. Il
me guida à une petite porte, puis à un corridor extérieur clôturé. L’espace où je marchais était si
restreint que j’avais peur que Jym ne se heurte à quoi que ce soit. Je marchai lentement pour être sûr
de ne rien déranger, puis, je fus arrivé dans la cour arrière, où, au fond, un groupe de gens y était
rassemblé. Il y avait trois hommes qui se tenaient près du feu, l’un avec un chandail bleu, l’autre
blanc, l’autre noir. Les trois paraissaient très bien, ils avaient l’air en forme, bien que celui avec le
chandail blanc eût besoin de béquilles pour se déplacer. Ils souriaient tous sincèrement et je sentais
que j’étais le bienvenu au sein de ce groupe. L’atmosphère était si légère que je m’y reconnus sur-le-
champ. De l’autre côté, il y avait trois femmes qui me regardaient, toutes souriantes également. Deux
d’entre elles étaient assises autour du feu, et l’une quelques pieds plus loin, sur un hamac. Tout le
monde avait environ mon âge. Je me sentais comme si j’arrivais vers un groupe d’amis que je
connaissais déjà, mais que je n’avais pas vu depuis longtemps. Puis, je reconnus que l’une des trois
femmes, celle qui était assise dans le hamac, était celle que j’étais venu rejoindre. Je leur demandai
d’attendre un instant, et allai adosser Jym sous un arbre, non loin, puis, j’allai serrer mon amie dans
mes bras et la remerciai de l’invitation.
Ensuite, je m’assis sur une chaise, tous près d’elle, alors qu’elle se leva, et me demanda à son tour de
l’attendre. Elle parlait d’un ton si enthousiaste. Avant de quitter, elle me demanda à tout prix
d’essayer le hamac qu’ils venaient d’installer. Il était énorme et semblait si confortable. Il tenait dans
l’arbre où Jym était adossé et volait au-dessus d’un vide haut de quelques pieds, au bout de la
terrasse. L’élévation était assez haute pour rendre quelqu’un fébrile, pour un instant. Je sautai dans le
hamac et l’attendis.
Elle revient quelques minutes plus tard et me tendit une bière. Je la remerciai et lui répondis que j’en
avais également apporté quelques-unes. Je la regardai un instant et trouvai qu’elle était encore plus
belle que l’autre jour au restaurant. Ses cheveux n’étaient pas attachés, cette fois-ci, et tombaient
jusqu’au beau milieu de son dos. Elle semblait si majestueuse, si féminine malgré ses pantalons et sa
veste si amples. J’étais simplement impressionné par sa chevelure qui flottait ici et là dans l’air,
suivant ses gracieux mouvements. Elle se rassit tout près de moi, alors que je pris une gorgée de
bière bien méritée. Une autre journée venait de passer, et chaque jour, je vivais une aventure
différente, et l’aventure de cette magnifique journée était déjà sur le point de prendre une drôle de
tournure. Mais d’un autre côté, chaque jour suffisait sa peine, c’est pourquoi je devais contempler
chaque événement qui venait à moi, l’embrasser et l’écouter.
Après avoir échangé quelques mots avec cette mystérieuse Acadienne, je pris le temps d’observer et
d’écouter un peu tout le monde. Les gens discutaient en anglais, bien que je pusse entendre, à
quelques reprises, des expressions françaises s’échapper de la bouche des trois hommes. Le groupe
me signala qu’il n’y avait que deux de ses membres qui ne parlaient pas français, c’est pourquoi nous
nous exprimions ainsi. J’appris que celui avec le chandail bleu était le demi-frère de mon amie
depuis leur tendre enfance et que les deux autres, aussi originaires du Nouveau-Brunswick, étaient
ses amis. Certains membres du groupe résidaient où je me trouvais, mais j’étais un peu confus à
savoir qui emménageait et qui déménageait, car la maison et la cour étaient dans un état assez
rocambolesque, mais toujours chaleureuses. Je savais, par contre, que cette jolie serveuse était sur le
point de partir de l’endroit, vers l’inconnu.
J’observai également deux chiens se promener d’une personne à l’autre. Un Boxer du nom de Garcia
qui semblait en forme, mais assez calme, pour laisser paraitre la sagesse de plusieurs années
d’expérience. Il y avait aussi un immense Danois, assez frêle, du nom de Branston, qui courrait
maladroitement ici et là. Il semblait si fort, très intelligent, mais assez jeune pour laisser paraitre la
naïveté d’un jeune chien. Tandis que l’un semblait comprendre qu’au sein du groupe, ils ne pouvaient
que profiter de l’attention qu’on pouvait lui donner, l’autre semblait la chercher à tout prix. Alors que
je tentais de faire connaissance avec ma nouvelle amie, Branston venait toujours soit se mettre entre
nous, ou encore, il grimpait sur une chaise inutilisée, il s’étirait et gardait simplement la pose, jusqu’à
tant qu’il capte notre attention, beaucoup plus haut que nous. Il était si beau, d’une manière si
« dingo » qu’il savait comment en tirer profit. Je compris aussitôt qu’il était son chien à elle. Ce
qu’elle me confirma aussitôt. Je lui répondis alors que son chien était un vrai « show off » quand il
faisait son spectacle de la sorte. Elle prit le temps d’y penser un peu et me confirma : « C’est vrai
qu’il fait son "show" quand il fait ça ». Nous en rime un bon coup, sachant que nous n’avions, malgré
sa tête dure, qu’à l’ignorer.
J’eus une pensée pour l’un de mes meilleurs amis, au Québec, qui avait du sang acadien. Il me parlait
toujours des rassemblements avec sa famille. Comme ce peuple est un peuple fier, fort, mais aussi
aimant et rempli de compassion. À cet exact instant, je pouvais le comprendre. Il me racontait
souvent ses histoires de feu, de musique et champignons magiques. J’eus alors l’idée de demander
s’il n’y avait pas une guitare, quelque part dans la maison. L’un d’entre eux me dit qu’il en avait peut-
être une dans sa voiture, puis il se leva avec ses béquilles et alla lentement vérifier.
La fête continuait son cours, alors que je m’intégrais de plus en plus avec chaque personne, l’une à la
suite de l’autre, en anglais, aussi bien qu’en français. Nous étions sur le point de fumer un joint et je
commençai à parler de cette pipe que je venais de « gosser » d’un « hike » à Kelowna. J’en étais si
fier. Je me levai pour la montrer plus particulièrement à celui avec le chandail bleu, puis un sujet en
amenait un autre, puis un autre, tout en fumant. L’homme était assez charismatique, il démontrait un
sourire franc, il dégageait quelque chose de sain. Il était assez grand et athlétique et semblait être un
homme de plein air, quelqu’un qui s’adapte aux situations et qui sait faire ce qu’il a à faire. Discuter
avec lui était très agréable, et ça me faisait connaître un membre de la famille de mon amie. Par lui,
j’avais l’impression de la connaître davantage et d’être plus près d’elle.
Je regardai autour du feu et l’ami était revenu avec la guitare. Il me la tendit. Pour être honnête, je
n’avais pas joué de guitare depuis longtemps, et je n’étais qu’un novice dans l’apprentissage de cet
instrument, mais je savais bel et bien gratter quelques accords. J’étais quand même assez gêné. Je
sortis mon téléphone intelligent pour l’accorder, puis commençai à gratter tranquillement une série
d’accords, tout en observant autour du feu, comme si la soirée s’était transformée en cérémonie à
l’amitié et aux béatitudes. Tout était beau, tout était bien, tout était paisible. Nous n’étions qu’un
groupe d’amis qui ne profitaient que de l’énergie positive que nous étions en train de créer, même
d’un inconnu à l’autre, au sein de cette cérémonie festive et improvisée.
Après quelques minutes, je passai la guitare, et l’un des hommes se mit à la gratter. Pendant ce temps,
mon ami me passa un sac de plastique refermable grand format, rempli de champignons Psilocybine,
ou mieux connu sous le nom de champignons magiques. Je sentis ma nouvelle amie tout près de moi,
physiquement, mais aussi spirituellement, comme si elle me donnait sa confiance. Avant de
consommer ce genre de drogue, il est nécessaire d’analyser son environnement et de confirmer d’être
dans un environnement sain avec des gens sains. Et c’était le constat que je fis. Je regardai autour de
moi et tout le monde voulait en manger, un à la suite de l’autre. Je me sentais alors choyer de pouvoir
partager ce moment avec ce groupe à l’intérieur duquel, je pouvais déjà sentir une belle lumière. On
me donna également des croustilles et je mangeai deux champignons. Je savais que j’allais encore
avoir une bonne demi-heure avant de ressentir les effets. J’étais également convaincu, d’après une
expérience antérieure, ainsi que cette fatidique nuit à Fernie, que j’allais construire le type d’effet
que je voulais avoir. Et pour cette soirée, je voulais être dans une bulle sociale et agréable.

Jym se reposait toujours près de l’arbre. Eva, quant à elle, souriait et me tenait par la main. Elle était
heureuse, car la fois où nous avions été le plus près, elle et moi ; la fois où j’avais fait sa
connaissance, avait débuté par la psilocybine ; cousine de la DMT. Je savais alors que j’allais être
connecté à ma guide coûte que coûte. Alors que j’avais oublié que le début des effets de cette
substance était assez intense, je les sentais s’emparer de mes sens. J’eus alors l’idée d’ériger ma
tente et d’y laisser reposer Jym, de sorte que j’allais avoir mon endroit à moi, si jamais j’avais le
besoin de me retrouver seul, et surtout, j’allais avoir un endroit pour dormir. De plus, il valait mieux
de le faire sur-le-champ, car c’était mes derniers moments en contact avec la matrice de la réalité.
Déjà en me levant, je réalisai que l’épreuve allait être plus difficile que prévu, alors que mon amie
m’offrit son aide. Dans l’état dans lequel j’étais, un peu d’aide était la bienvenue. De plus, c’était
simplement un défi amusant à compléter, même si c’était exécuté sous les yeux d’une jolie
demoiselle. J’amenai Jym plus loin alors que l’Acadienne le complimenta aussitôt. Nous la
remerciâmes puis, je pris la tente, la sortit de son sac et la déposai par terre. La nuit était déjà tombée
et tout était sombre. L’Acadienne alluma la lumière de son téléphone et dit « Je vais me transformer
en lampe ». Et, en anglais, je lui répondis aussitôt « ça sera la lampe la plus sexy que j’aurais vue ».
Elle ria de gêne, et me répondit timidement « shut up… »
Je réussissais difficilement à me concentrer, entre mes sens qui me jouaient des tours, et la lumière
qui n’était pas au rendez-vous. Je tentais d’insérer trois poteaux de tente dans deux socles de tissus
différents et ce fut tout un défi. Je voyais les poteaux se déformer, les orifices de la tente bouger. Je
réalisai, finalement, l’exploit en trois fois plus de temps qu’à l’habitude et j’en étais trois fois plus
fier. C’était vraiment, depuis le début du voyage, la fois où j’avais eu le plus de mal à installer ma
maison, mais encore, la situation le permettait et je n’avais pas abandonné. J’installai Jym à
l’intérieur de celle-ci, enlevai mes souliers et mes bas, et les rangeai dans la tente. Puis, mon amie
m’invita à la suivre pour me faire visiter la maison. Nous fîmes un tour rapide de celle-ci qui était en
processus de déménagement, puis elle ressortit, alors que je dus aller au petit coin.
Quand je sortis de la salle de bain, je vis cette merveilleuse femme marcher un peu dans tous les
sens. Elle semblait stressée. Elle me dit rapidement qu’elle pensait à trop de choses en même temps,
mais qu’elle avait oublié ce qu’elle faisait. Dans ma tête, je me disais que tout était beau, que tout
était parfait, et que ce moment ne méritait que d’être contemplé. Je la regardai, et lui
demanda : « Réfléchis et pauses-toi la question, as-tu besoin de quelque chose ? ». Elle me regarda,
sa respiration sembla s’adoucir sur le coup : « C’est simple, j’ai seulement besoin de mes bottes,
merci ! » J’étais content de voir que je pouvais aider à la calmer facilement, parce qu’on peut
s’attendre à tout sous l’effet des champignons. Nous retournâmes près du feu où nous nous assîmes.
Je lui demandai si elle avait hâte de quitter et de profiter de son voyage à travers le Canada pour
retourner vers son beau Nouveau-Brunswick natal. Elle me répondit qu’elle avait hâte, mais qu’elle
était stressée. Elle se sentait incomprise par ses proches, par son entourage, alors que pour elle,
partir était le meilleur moyen de se retrouver, dans un monde où travailler et assumer certaines
responsabilités ne prenaient aucun sens. Elle ajouta qu’elle ne savait pas exactement pourquoi elle
partait, mais qu’elle sentait simplement qu’elle devait y aller. Elle avait aussi besoin de ressentir
cette liberté, seule avec son chien, durant des jours, dans la nature sauvage ou en ville, parcourant le
Canada. Une histoire à la fois semblable et différente à la mienne et même à celle de l’équipe Skully.
Je sentais que ce que j’avais vécu pouvait l’aider, autant en parlant de mon expérience de voyage,
autant en lui racontant à quel point j’étais impressionnée par la façon si juste à laquelle Skully avait
été élevé au sein de son équipe. Je lui répondis que même si certaines personnes pouvaient dire le
contraire, elle devait suivre son cœur, car le genre d’aventure dans laquelle elle se lançait allait la
faire grandir et que, ce n’était pas la fin de quelque chose, mais bien le début d’une nouvelle histoire.
Une larme se mit à couler sur sa joue et me gêna aussitôt. Je ne voulais pas la faire pleurer, bien sûr,
et je sentis qu’une partie d’elle était affectée grandement par son départ. C’est alors qu’encore une
fois, je réalisai que l’univers m’avait encore envoyé où je devais être et au moment opportun. Cette
soirée n’était plus, pour moi, un simple événement récréatif, mais c’était comme si elle était déjà
écrite dans mon histoire, comme quelque chose que je devais accomplir. Car, à ce à moment précis,
j’avais l’impression que nous allions nous apporter l’un à l’autre, d’une connexion si forte et unique.
Je me sentais apaisé, comme si j’étais le héros de ma propre histoire, comme si tout avait un sens et
comme si je devais simplement lui démontrer celui-ci. Elle se leva, et alla se reposer dans son
hamac.
Je regardai ma nouvelle amie qui était couchée dans son hamac. Elle cherchait sa bière et réalisa
qu’elle était hors de portée. Après avoir passé dans sa tête les différentes options qui se présentaient
à elle, elle s’assit et s’exclama qu’elle allait sauter pour aller chercher sa boisson. Elle se mit à se
balancer, le sourire accroché aux lèvres. Elle ne semblait pas réaliser que son hamac ne pendait
même pas au-dessus de sa terrasse, mais plus loin. Pour ma part, je priais que rien de grave ne se
produise. Puis, après quelques mouvements de balance, elle fit un bond alors que la scène m’apparut
au ralenti. Je la vis s’élancer dans les airs, ses longs cheveux qui se laissaient porter derrière elle de
façon si élégante, mais sauvage, ses pantalons bouffants qui rendaient grâce à sa délicatesse et à son
exécution, et son piercing au nez qui me faisait sentir comme si elle était une nymphe qui parcourait
les environs dans la nature. Sur le coup, c’était comme si elle était magique et qu’elle volait tout
simplement. Puis, elle atterrit si doucement, quelques pieds plus loin, droit où elle voulait atterrir,
sous mes yeux impressionnés et surtout charmés. Elle prit sa bière, et rejoint à nouveau son hamac.
Je me mis à regarder le feu et je sentais les effets des champignons m’étouffer un peu. Je pris le temps
de respirer un peu pour me dire que j’étais en sécurité. Je me consolais aussi en me répétant que tout
le monde autour vivait la même chose que moi, même si je commençais à penser à retrouver ma tente
pour un moment. Puis, l’intensité s’estompa, puis elle revint. Je me rappelai alors que cette drogue
était faite ainsi. Par moments, je discutais avec les gens, par moments je fixais le feu, par moment, je
socialisais même avec lui et par d’autres, je regardais les étoiles. J’étais bien.
Je me tournai vers la magnifique Acadienne et lui dis que j’étais aussi impressionné par sa décision
de partir. Je lui confiai que si je pouvais, je serais parti avec un chien aussi, pour faire équipe. Au
même moment, j’avais une pensée pour les chiens que j’avais laissés à la maison, avant de changer
de vie : Deadly, Misha et ma petite Dentelle chérie. Elle me répondit que le sujet était un autre
facteur de stress pour elle, car elle ne savait pas comment son chien allait réagir. Il avait des besoins,
mais surtout, il agissait, des fois, comme un bébé dépendant. Je lui racontai alors l’histoire de mon
amie et de son chien Skully. Je lui suggérai de faire équipe avec son chien, car elle avait besoin d’un
coéquipier dans son aventure. De plus, Branston n’était plus un gamin et elle le savait trop bien. Les
deux, de leur côté et ensemble, devaient simplement comprendre qu’ils avaient chacun leur rôle à
exécuter dans leur équipe. L’un était de prendre les décisions, et l’autre était d’être le meilleur
support possible. Puis, je lui expliquai que, finalement, la suivre n’était pas comme une corvée pour
un chien, mais une récompense, car tous les chiens veulent une « job ». Mon amie prit un peu de
temps pour répondre, alors qu’elle réfléchissait à ce que je venais de dire. Elle répondit que j’avais
raison et qu’elle devait, de son côté, le traiter davantage comme un membre de son équipe, plutôt
qu’un simple bébé. Je lui dis alors que j’étais curieux d’envisager les résultats.
Nous continuâmes à discuter sans arrêt. Nous n’étions plus capables d’arrêter. Je la regardais parler,
sourire et je me sentais si connecté à elle. Nous parlâmes de mon voyage, du sien, puis de ce que
j’étais en train d’accomplir. Nous parlâmes d’énergie, de karma, d’arrêter de vouloir et de ne
seulement qu’être. Nous nous comprenions si bien. Je regardais les gens passer et parler autour de
nous et tout se déroulait si rapidement, comme si le temps s’accélérait, alors que j’étais assis, avec
une femme du Nouveau-Brunswick, en Colombie-Britannique, et nous n’étions simplement pas
capables de décrocher de toutes nos conversations qui se déroulaient, maintenant complètement en
français.
Le temps avançait et je sentais ma complice de plus en plus fatiguée. Parfois, nous étions dans le
hamac, parfois nous étions sur le sol, ou toujours autour du feu. Mais nous étions seulement que tous
les deux, l’un avec l’autre, dans une bulle d’énergie indescriptible autour de nous. Au loin, nous
entendîmes le soleil qui commençait à se lever. Nous devions absolument nous allonger. Nous
décidâmes alors d’aller à l’intérieur. Mon amie aménagea un matelas dans le salon, nous allumâmes
la télévision, puis, elle s’endormit, collée sur moi. Je réalisai que ça faisait longtemps que je ne
m’étais pas endormi confortablement en regardant la télévision en arrière-plan, comme je le faisais si
bien à la maison. C’était une autre de ses petites choses que nous pouvons prendre pour acquises.
Cependant, je n’arrivai pas à dormir. Je profitais de la douceur de la peau de cette jolie Acadienne.
Je lui flattais les bras, le dos, alors qu’elle dormait si doucement contre moi. Je passais mes doigts au
long de sa colonne vertébrale, de son dos et de ses épaules. C’était une femme forte, qui,
contrairement à beaucoup d’autres, ne semblaient pas avoir de maux de dos, que ce soit à la colonne
ou musculaire. Son bas de dos était droit et en forme. Ses épaules de serveuses ne pouvaient mentir
sur son endurance. Elle respirait si doucement.

1er septembre 2017

Après un certain temps, incapable de dormir malgré les quelques doses de cannabis que je fumai
pour me détendre, je retournai dehors et la laissai dormir seule. Le soleil était haut et très chaud.
J’enlevai mon chandail et m’assis sur le gazon quelques instants. Puis, je démontai ma tente, rangeai
Jym. Eva avait toujours le sourire aux lèvres. Elle était fatiguée, mais si heureuse de cette nuit si
chargée d’énergie positive. Encore une fois, nous réalisâmes à quel point nous avions l’impression
d’être au bon endroit, au bon moment, de l’autre côté du pays. J’étais de plus en plus fier de voir Jym
bien se tenir. J’avais fait beaucoup de progrès dans l’organisation de mes effets depuis le début.
Alors que la première fois que j’avais roulé mon "sleeping bag", j’eusse du mal à le mettre dans sa
pochette imperméable bleue, maintenant, je pouvais en insérer deux comme celui-ci. Une fois
terminé, j’allai plus loin sur le terrain où la fête s’était déroulée, et rangeai tout ce qui restait à
ranger : les bouteilles, les canettes, les papiers. Je fis le ménage en guise de remerciement. Bien que
ça ne prit pas plus que vingt minutes. Je trouvai le sac de cannabis d’un et le sac de champignons de
l’autre, et je les mis avec le reste de leurs effets, ainsi que la guitare.
Soudain, je vis Branston, ce magnifique Grand Danois, marcher gaiement vers moi. Il avait l’air
heureux. Je jouai un peu avec lui, et lui lançai des bâtons. Après quelques allers-retours sur le grand
terrain, il se coucha, déjà fatigué. On ne pouvait pas non plus le blâmer, car bien qu’il fût tôt, le
soleil était très puissant, et le chien était tout noir. Je me couchai avec lui et le flattai. Puis, je me mis
à genoux, lui pris délicatement le museau avec ma main pour attirer son attention et le regardai droit
dans les yeux. Je lui dis : « Tu n’es plus un bébé maintenant, tu vas partir dans une belle aventure
avec ta maîtresse, tu as un travail à faire. Tu vas être le meilleur chien pour elle, mais tu dois
l’écouter et faire ta « job ». Elle l’a compris de son côté, toi aussi tu dois le faire ». Il me regarda
quelques secondes, je lui dis qu’il était un bon chien, puis il alla rejoindre sa maîtresse à l’intérieur.
Le soleil était si beau et chaud que, tout ce qui me restait à faire était une petite séance de yoga, donc
durant environ vingt minutes, j’empruntai quelques pauses pour m’étirer et me reconnecter à mes
fréquences habituelles. Après un moment, je me retournai et fus très gêné de voir l’Acadienne, dehors
qui me regardait. Elle sortait pour commencer à tout nettoyer. Elle fut très surprise et reconnaissante
quand je lui avouai que j’avais déjà tout fait. Nous nous assîmes et discutâmes pour un moment. Je lui
avouai également que j’avais eu une bonne conversation avec son chien et qu’il allait bien agir. Nous
fumâmes, nous rimes, nous pleurâmes, nous nous faisions encore beaucoup d’effet. Je lui montrai mon
blogue, je lui parlai de mes idées, alors qu’elle était si attentive. Je ressentais déjà un peu de peine à
savoir que je devais la quitter rapidement. J’aurais tellement aimé pouvoir passer un peu plus de
temps avec elle. Je pensais à l’aventure dans laquelle elle allait s’embarquer. J’espérais l’avoir
aidée avec ma courte expérience. J’espérais l’entendre faire une si belle équipe avec son si beau
chien. J’espérais tant pour elle. Je regardai le bracelet bleu à mon poignet. Celui que mon amie de
Kelowna m’avait donné en me demandant de le redonner à une personne qui allait en avoir besoin. Je
le détachai, sachant très bien que ma nouvelle amie en avait plus besoin que moi. Je lui expliquai le
rôle du bracelet pour qu’elle s’en inspire, et pour qu’elle le donne à son tour, au moment opportun,
pour que quelqu’un d’autre s’en inspire ensuite, et ainsi de suite. Elle fut touchée par mon geste,
versa encore quelques larmes et me serra dans ses bras.
Elle m’offrit d’aller me porter à l’autobus pour que je continue mon périple. À l’intérieur de moi, je
sentais une profonde tristesse m’envahir. C’était la première fois que je ne voulais, à ce point, pas
quitter quelqu’un. Je me disais que ce que je vivais était la preuve que l’amour existe encore. Je
n’étais pas en amour, mais ce que nous partagions ensemble, elle et moi, était la preuve qu’il est
facile de se comprendre, de se rassembler et d’aimer profondément l’autre personne, même si on ne
se connait pas beaucoup. Cet amour pur et fort était l’une des raisons pourquoi j’étais parti ; pour
voir que l’amour entre les inconnus existe réellement, et, aussi, par le fait même, pour mettre un
baume sur ma dernière séparation. Car ce genre d’amour, pour moi, pouvait remplacer l’amour
amoureux que j’avais jadis tant convoité.

Nous nous rendîmes, en auto, jusqu’au parc, où mon ami m’attendait avec son autobus. Il était
toujours aussi souriant. Bien que je n’eusse pas dormi, j’avais hâte de faire la route avec lui. Je
présentai ces deux inconnus qui semblaient déjà bien s’entendre, et fit faire le tour des installations à
mon amie qui rêvait d’avoir un camion campeur. Elle était assez impressionnée. Ensuite, après avoir
discuté quelques minutes, nous nous dîmes au revoir. Je lui dis de m’écrire quand elle le voulait, que
j’allais être disponible pour elle. Je lui confiai également que je croyais que nous allions nous revoir,
plus loin, peut-être plus tôt que nous le pensions. Puis, je lui dis que je l’aimais et nous nous
embrassâmes doucement. Nous partîmes chacun de notre côté, fébrile. J’avais besoin de sommeil, car
je me sentais triste. Après quelques dizaines de kilomètres, étendu sur le lit de mon acolyte, je
m’endormis.
Chapitre 14
The Island

Je me réveillai quelques heures plus tard. Mon ami m’envoya aussitôt une blague sur le fait que je
m’étais assoupi. C’était de bonne guerre, car il m’aidait, en quelque sorte, et je l’avais laissé tomber
pour un moment. Je lui expliquai que cela allait être rare que ça se produise, mais que j’en avais
réellement besoin. Il comprit aussitôt, et, de toute façon, il n’était pas très exigeant.
Nous continuions notre route, sachant très bien que dans un véhicule conventionnel, nous aurions pu
nous rendre à destination en une seule journée. J’avais si hâte d’arriver sur l’Ile de Vancouver pour
gouter à l’eau salée du Pacifique et pour me dire que j’avais accompli, assez facilement d’ailleurs, le
défi que je m’étais lancé. De toute façon, je me répétais sans cesse que je n’étais pas pressé de
terminer. C’est un peu comme quand on travaille et que l’on veut tant que la journée tire à sa fin.
Alors on voudrait que le temps passe rapidement. Par contre, dans les moments de bonheur, on
voudrait pouvoir le ralentir. Quand on est jeune, on veut tout avoir rapidement et quand on est vieux,
on voudrait étirer tout événement avant la fin. C’est quand on remarque ceci qu’on peut réaliser que
le temps ne se déroule que d’une seule façon. Nous pouvons tenter de le combattre, mais pour
l’instant, il est plus fort que nous. Aussi bien le rendre notre allié et l’accepter comme il est, constant
à sa façon. Car c’est exactement de cette façon que l’impatience devient vaine, et que la patience
devient une arme infinie. J’étais en très bonne compagnie et nous n’étions plus inconnus, nous étions
complices, acolytes et amis.
En cours de route, c’était la même routine à chaque fois. Nous arrêtions presque toutes les heures
pour refroidir le moteur. Nous tentions d’explorer le pays. Si nous arrêtions en cours de route, sur
l’autoroute, nous ne prenions que quelques minutes avant de repartir. Si nous voulions prendre de
plus grandes pauses, nous tentions de trouver des lacs, des plages pour nous y reposer également. Une
fois sur deux, je le laissais aller loin, j’enlevais mes souliers et communiais paisiblement avec
l’esprit du lac que l’on côtoyait. D’autres fois, je me baignais, mais je n’allais jamais vraiment loin.
Peut-être avais-je été traumatisé par l’eau dans une ancienne vie. Peut-être avais-je subi la chute
d’Atlantide, qui sait ? Je ne m’étais jamais senti confortable en eau profonde, et ce, depuis ma tendre
enfance. Puis, nous parcourions les plages pour contempler les créations de Dieu, du plus beau des
paysages, à la plus belle femme qui s’y reposait. Puis, nous repartions pour continuer notre route.
Au bout de la journée, il commençait à faire noir. Nous nous arrêtâmes, près d’un parc, dans une ville
à mi-chemin : Abbotford. Encore une fois, nous sortîmes à peu près tout pour nous faire à manger
autour de l’autobus, et mangeâmes un modique festin de roi. Puis, nous nous préparâmes à dormir.
Plus loin dans le parc, je vis une tente montée. Les gens qui rôdaient autour semblaient louches. Je me
disais que c’était l’endroit idéal pour dormir, car ces gens louchent savaient surement déjà où camper
sans se faire expulser. Je me rendis dans le secteur, installai tout ce dont j’avais besoin. J’étais quand
même tout près de l’autobus, au cas où j’avais besoin d’aide. Eva me disait que tout allait bien aller,
alors que Jym restait très organisé. Il me tendit mon couteau de poche au cas où j’en aurais eu besoin.
Je n’avais pas peur, j’étais seulement prêt à faire face à n’importe quelle situation.
Toute la nuit, j’entendais les gens autour crier des insanités. Je pouvais savoir qui faisait quoi.
Ironiquement, il y avait une québécoise qui criait tout ce qu’elle disait. Elle parlait en anglais avec un
accent francophone, mais en français avec un accent anglophone. Puis j’entendais d’autres
personnes. À un certain moment, ils cherchaient du crack. À un autre, le vendeur de crack arriva, puis
repartit. Quand les gens aperçurent ma tente, ils tentèrent d’entrer en contact avec moi, je leur lançai
des réponses naïves, brèves, puis ils me laissèrent tranquille. Au bout d’un moment, je m’endormis,
j’avais confiance en la vie, en mon histoire et j’avais un couteau à la main, au cas où.

2 septembre 2017

Eva me réveilla rapidement. Les cris de mes voisins étaient toujours audibles. Je n’eusse jamais aidé
Jym à organiser ses choses aussi rapidement, puis je rejoins le vaisseau, content d’avoir vécu ce que
j’avais à vivre. Nous partîmes, suivant la même routine, arrêtant ici et là et profitant de ce que
l’univers nous montrait à travers notre merveilleux pays. Mon ami me confia qu’il avait parlé à sa
mère récemment et qu’elle s’inquiétait énormément que son fils fasse la route avec un « pouceux ».
J’avais une belle pensée pour la mienne, qui pouvait s’inquiéter davantage parce que son propre fils
était le « pouceux » en question ». Il me rassura en me disant qu’il avait calmé sa mère et que nous
allions rester ensemble. Il ne savait tout simplement pas quoi faire. Je lui répondis que je le
comprenais et que je croyais que sa mère n’était pas obligée de tout savoir. Par exemple, je racontais
pratiquement tout à la mienne, car elle avait eu l’ouverture d’accepter que je m’embarque dans cette
aventure. Mais il était hors de question que je lui raconte ma journée dans les bois sur la péninsule de
Bruce, ma rencontre avec le serpent à sonnette ou encore, la première journée quand je suis allé
acheter du crack. J’allais lui dire, certainement, mais seulement quand j’allais être capable de lui
prouver, hors de tout doute, que j’étais en sécurité. Je savais que j’allais m’en sortir coûte que coûte,
et ça aurait créé de l’inquiétude pour rien. J’aimais mieux qu’elle me fasse confiance aveuglément et
c’est ce qu’elle faisait, à mon grand bonheur.
Nous arrivâmes à Vancouver, puis pour prendre le traversier. C’était très dispendieux pour un
véhicule comme le sien. Mais les passagers, au moins, ne payaient pas. Pour moi c’était comme la
situation de rêve. Me rendre sur l’Ile de Vancouver, dans une maison sur roue et ne pas payer pour
mon passage. Je n’aurais pas pu espérer mieux. Le soleil plombait sur l’endroit. En attendant le
traversier, je pris le temps de me faire une petite séance de yoga et montrai quelques figures à mon
ami qui m’avoua que ça faisait du bien. Nous mangeâmes, bûmes un café, puis repartîmes pour plus
d’une heure en bateau.
Sur le bateau, nous jouâmes à Crib sur une petite terrasse du pont, alors qu’il m’apprenait comment
jouer. Par la suite, nous fîmes le tour de tous les étages de l’immense embarcation pour retourner à
l’autobus. Nous continuâmes notre route, par la suite, débarquant du bateau dans la merveilleuse ville
de Nanaimo, pour monter sur l’est de l’ile et rejoindre Campbell River. Nous ne devions, par contre,
pas nous laisser contrôler par notre hâte et notre excitation. L’autobus avait encore besoin de répit.
Nous nous demandions même si nous allions arriver à destination seulement le lendemain. De toute
façon, c’était peu important, même si mon ami avait besoin de se familiariser avec sa ville d’accueil
avant de commencer l’école. Sortis de Nainamo, nous nous arrêtâmes encore une fois. D’un côté,
nous cherchions une plage où nous rafraîchir, mais comme nous allions suivre la côte, nous savions
que nous pouvions arrêter pratiquement n’importe où pour en trouver une. Puis, nous en trouvâmes
une petite, non loin, où un homme dans la cinquantaine se baignait avec un enfant. Nous nous y
baignâmes également.
Sur le coup, je n’y pensais même pas, mais le gout et la texture de l’eau salée surprirent mes sens et
un sentiment de fierté s’empara de moi subitement. J’avais gouté à l’eau du Pacifique enfin. Ce n’était
qu’une brèche bien sûr, je n’étais pas directement dans l’océan, mais j’étais tout de même fier.
J’avais littéralement parcouru le pays au complet, sans moyen de transport, sans fond, seulement avec
Eva et Jym, et j’étais réellement à l’autre bout. Nous discutâmes un peu avec l’homme qui nous
indiqua par où passer et où nous arrêter en chemin. Il était fort sympathique. Nous lui racontâmes
notre histoire, puis repartîmes après vingt minutes.
Nous arrivâmes à Campbell River en soirée. Fatigués, nous nous stationnâmes dans le stationnement
d’un Walt-Mart. Nous prîmes le temps de manger, alors qu’un homme s’approcha de nous avec son
fils pour contempler le gigantesque véhicule de mon ami. Il nous raconta qu’il avait fait le même
genre de voyage que moi. En fait, il venait de la Rive-Sud de Montréal et s’était établi dans la région
après avoir eu un enfant. Mais il avait toujours l’âme d’un voyageur. Nous lui proposâmes à manger,
mais il refusa. Nous discutâmes avec lui durant trente minutes. Il nous laissa son numéro de téléphone
et nous invita chez lui, le lendemain, pour manger, sauter dans sa piscine et partager la journée avec
lui. Nous acceptâmes volontiers. J’étais toujours impressionné par la gentillesse des gens partout au
pays. Il y avait certes ces gens qui avaient des préjugés face à l’expérience dans lequel je m’étais
lancé, mais d’un autre côté, tous ceux qui me comprenaient étaient si généreux, si aimant, d’un
inconnu à l’autre. Nous ne venions que de le rencontrer et déjà il nous invitait chez lui. Après une
brève discussion, il repartit.
Il était encore trop tôt pour dormir, le soleil était en train de se coucher, je demandai alors à mon ami
s’il voulait faire le tour des environs avec moi. Il accepta. Puis, à pied, nous marchâmes autour du
bloc. Je voulais trouver un endroit où dormir, plus confortable que le stationnement d’un super
magasin. Nous vîmes quelques maisons en constructions. J’avais le gout de trépasser, de toute façon,
je l’avais déjà fait auparavant, mais Eva me le déconseilla, me rappelant que j’avais remarqué un
endroit parfait juste à côté d’où nous étions stationnés.
Nous retournâmes à l’autobus. Mon ami avait le gout de camper également. Je l’amenai à l’endroit
que j’avais remarqué. Il y avait assez d’arbres pour nous cacher et nous étions vraiment près de son
autobus. Nous plaçâmes respectivement nos tentes l’une à côté de l’autre et nous y endormîmes, alors
qu’un chat passait son temps à entrer et sortir de nos tentes, nous visitant. Il avait l’air heureux de
nous accueillir chez lui.

3 septembre 2017

Je me réveillai alors que j’avais très bien dormi. Je sortis de ma tente, comme à l’habitude, pour
analyser les alentours et vu que mon ami n’était plus là. Je pris le temps de tout réorganiser mes
choses. C’était le genre de matin où je n’avais pas à me préoccuper d’Eva ou de Jym, car tout se
mettait en place par soi-même. J’avais maintenant fait beaucoup de chemin depuis le début. J’étais à
l’autre bout du pays, et l’expérience que j’avais accumulés, les leçons que j’avais apprises, faisaient
de moi quelqu’un qui pouvait maintenant s’adapter facilement. J’avais surtout appris que, dans la
plupart des moments, tout allait bien aller. Même si mon ami n’avait plus été, j’avais mon sac et
j’avais tout ce dont j’avais besoin pour continuer mon aventure. Même si la prochaine étape logique
était mon retour vers le Québec.
Après avoir organisé mes choses, j’allai vers le stationnement du Walt-Mart et constatai que
l’autobus y était toujours. Tout près d’une de ses roues, la tente de mon ami était toujours démontée
avec ses effets. Je compris son choix automatiquement, car, après tout, c’était sa maison, son sommeil
allait être beaucoup mieux à l’intérieur de celle-ci, surtout que, pour lui aussi, c’était le début d’une
aventure. J’accotai Jym sur l’autobus et roulai sa tente que j’insérai dans son sac et le laissai avec
mes effets. Soudain, je le vis sortir du Walt-Mart, avec des cafés. Encore une fois, je le trouvai
généreux. Il était le genre d’ami que j’aurais voulu garder. C’est assez drôle, car en partant, je ne
croyais pas rester avec les mêmes personnes longtemps, je croyais pouvoir passer d’un moyen de
transport à l’autre et faire mes choses de mon côté. Mais de voir, de réaliser et de savoir que les gens
acceptaient et voulaient passer plusieurs jours en ma compagnie étaient plus que flatteur.
Les stationnements de Walt-Mart étaient le paradis des maisons mobiles. Nous vîmes un camion
pick-up avec une toile artisanale qui ressemblait à une gigantesque balle de golf coupée en deux
qu’on avait déposé sur la boîte du véhicule. C’était brillant et magnifique à la fois. D’un autre côté, il
y avait un « campervan », modèle militaire tout noir. L’homme à l’intérieur était très sympathique et
aimait la dureté de son véhicule. Mon ami avait également aperçu deux jeunes Françaises dans un
minibus avec qui il avait parlé durant un instant. Bien que nous pussions énumérer tout ce que
l’entreprise de la famille Walton fait d’injuste, la politique d’accueillir les voyageurs dans les
stationnements était plutôt juste, même s’il y avait une stratégie mercantile derrière l’initiative.
Après un court moment, nous décidâmes de visiter le Centre-Ville de Campbell River. Mon ami
devait aller voir l’emplacement où il devait laisser sa maison, plus tard, et y rencontrer le
propriétaire. Pour l’instant, nous avions un peu de temps à tuer. La journée était encore une fois
merveilleuse. Le soleil, la terre, la nature m’avaient tellement gâté depuis le début de mon aventure.
Il faisait encore très chaud et il n’y avait encore aucun nuage dans le ciel, bien que le climat soit un
peu plus tropical que Kelowna par exemple. Je me mis à marcher vers le centre-ville alors que mon
ami roulait à l’aide d’une planche à roulettes. Nous arrivâmes au cœur de la ville, et un gigantesque
festival automobile s’y tenait. Il y avait des centaines de voitures de collection. Nous décidâmes de
nous y attarder. Je savais que mon ami s’y connaissait en mécanique, mais je fus subjugué de voir sa
passion se manifester devant nous. J’avais déjà eu la chance d’avoir quelques merveilleux moments,
lesquels je sentais qu’ils m’étaient destinés. Celui-ci était le sien, et moi j’étais simplement l’acolyte
du protagoniste.
Avec Jym sur mes épaules, j’avais beaucoup de mal à m’approcher des véhicules en expositions, car
il n’y en avait tellement, et ils étaient tous très près les uns des autres, ne me laissant pas d’espace
pour me faufiler. Nous étions à la place principale de cette merveilleuse ville, et l’exposition
s’étendait sur les stationnements des commerces avoisinants. Il y eut, ce jour-là, tout près de quatre
cents véhiculent exposés. Mon ami prit le soin de s’arrêter à chaque voiture, chaque modèle. Il
regardait la mécanique. Il me donnait des informations si précises sur l’unicité de chaque modèle.
Pour moi, il n’y avait que mon père qui était aussi calé dans ce domaine. Le conducteur de l’autobus
s’y connaissait et j’étais tout simplement impressionné. Pour faire une blague, je lui demandai s’il
avait une seule voiture à choisir, laquelle il choisirait. Après avoir fait le tour de l’événement, il me
pointa une moto, qui était son modèle de moto préféré. Je lui dis que c’était très légitime, étant un
grand amateur de moto. Pour ma part, je pointai une Dolorian au loin, et lui répondit que je prendrais
la chance, juste au cas où elle voyagerait dans le temps. Nous rîmes un peu.
Puis mon ami dû partir à son rendez-vous, il me dit qu’il allait revenir, car, de toute façon, il allait
laver notre linge à une buanderie très près. Je lui confirmai que j’allais l’attendre. Puis, je le vis
s’éloigner au loin, sur sa planche à roulettes. Je marchai à la sortie de l’exposition, accotai Jym à un
arbre, et commençai une simple routine de yoga pour m’étirer. Depuis mon aventure avec cette
merveilleuse professeure de yoga qui provenait des États-Unis, j’avais assez appris pour faire
quelques exercices par cœur, et je les répétais, ici et là, alors que le soleil plombait sur mes épaules.
Je fus cependant dérangé par une dame qui m’aborda. Elle interrogeait les sans-abris et voulait me
poser quelques questions. Je lui dis que j’étais très flatté qu’elle croie que je sois un sans-abri, mais
que je ne l’étais que par choix et que c’était temporaire. Que j’allais retourner à ma vie « normale »
bientôt. La femme fut étonnée d’entendre ma réponse, mais aussi de m’entendre m’exprimer
clairement. Je répondis, par la suite, à plusieurs questions, certaines pouvaient me concerner de loin,
comme celle sur ma condition physique et psychologique, mais d’autres ne me concernaient
aucunement. Enfin, après avoir divergé de son exercice pour parler de mon histoire, elle me souhaita
bonne chance et me donna deux bars granolas protéinés. Je la remerciai énormément. Les
bénédictions continuaient de tomber sur moi et j’étais bien. Avant qu’elle parte, j’eus le courage de
lui demander s’il y avait un endroit convenable où je pouvais établir mon campement près d’ici. Elle
me demanda si je cherchais un endroit sécuritaire sans animaux sauvages, ou bien seulement cachés
des policiers. Nous rîmes un peu, car elle savait déjà la réponse. Elle me dit d’aller un peu plus loin
que la plage, et que l’endroit était connu pour être très discret. Il y avait même des bâtiments
abandonnés où je pouvais me cacher. Pour ma part, elle m’avait eu seulement qu’avec le mot plage.
Je marchai sur la rue principale durant environ dix minutes. Eva et Jym étaient très heureux que nous
marchions seuls, au sein de la ville, sous ce si fort soleil. Ça faisait un bout de temps que je n’avais
pas été seul, et quand je le faisais, j’étais complètement au centre de mon cercle, dans ma zone de
confort. Je tentais de remarquer les commerces autour, tout ce qui aurait pu être utile. Je m’arrêtai
pour m’acheter quelques bières. Je suivis la route jusqu’au bord de l’océan, puis je vis au loin une
belle passerelle avec une boutique dessus, et des gens qui y pêchaient. Je passai à côté et remarquai
qu’il y avait des toilettes publiques et une fontaine. Un endroit idéal pour y établir un campement.
Un peu avant la plage, un énorme marché prenait place en ce beau dimanche. Je savais que mon ami
allait me retrouver plus tard à cet endroit. Toujours avec Jym et Eva, je décidai de parcourir le
marché en l’attendant. Il y avait des produits locaux : des fruits ; des légumes ; des liqueurs et
boissons. Les artisans montraient leurs créations en tentaient de les vendre. Des « food truck »
servaient la nourriture sur une terrasse, devant une scène où un spectacle country se déroulait. Je fis
le tour tranquillement. Je goutai à ce que je pouvais gouter, je jasai avec les gens dans les kiosques
qui me posèrent des questions sur Jym et sur ce que je faisais. Puis, je partais vers l’autre commerce,
et ainsi de suite. J’aimais particulièrement les kiosques à saveur spirituelle. Une femme à un certain
endroit vendait de l’art, et des bijoux. Elle me racontait quel symbole mystique signifiait quoi et quel
pouvoir chacun d’entre eux avait sur notre réalité. Je lui demandai alors si elle s’associait à une
pratique en particulier, et elle me répondit « Wican ». Moi qui n’aimais pas trop catégoriser, je
pouvais au moins savoir dans quelle direction ses croyances se dirigeaient. Même si ces croyances
ont souvent été perçues comme de la pure sorcellerie, j’aime beaucoup la relation que ces gens ont
avec les symboles, avec la réalité, la nature et ses esprits. Il n’en faut qu’être vigilant et la dame
semblait très consciencieuse.
Puis je me retournai et mon ami était derrière moi, à une table, en train de discuter avec une dame
âgée. Autant qu’il pouvait, quelques fois, sembler réservé, une fois que sa langue se déliait, je savais
qu’il aimait grandement discuter avec des inconnus. Après tout, c’était de cette façon que nous nous
étions rencontrés dans le Tim Horton, d’un inconnu à l’autre. Je remerciai la « Wicane » au kiosque
et allai rejoindre mon ami. Il parlait justement de moi, de nous deux, de notre aventure, de son
histoire et de la mienne. J’étais heureux que nous fussions encore une équipe pour quelque temps.
Après une dizaine de minutes, nous saluâmes cette dame âgée et son mari, puis nous continuâmes à
parcourir le marché. Je lui montrai les kiosques que j’avais le plus appréciés. Il gouta à peu près à
tout. Je vis au loin, une jeune femme, derrière une table, habillée en hippie. J’allai la rejoindre. Elle
vendait des cristaux et des espèces de roches, qu’elle avait modifiées elle-même. Je lus une feuille
où il y avait des descriptions des propriétés énergétiques de chaque cristal, tandis que ceux qui
étaient sa création étaient comme une recette d’un peu de tout pour favoriser la communication, le
développement de soi et pour protéger. Ses petites confections avaient, entre autres, pour but
d’éliminer les mauvaises conséquences des ondes technologiques qui nous envahissent. C’était de
toute beauté. Je voulus acheter l’une de ses créations, car elle aurait eu tout un sens à mes yeux, mais
je ne voulus dépenser de l’argent pour cela. Nous nous saluâmes, puis elle vit l’Anahata que portait
fièrement Jym. Je lui racontai alors mon histoire, mes aspirations, le but d’écrire un livre, celui de le
faire autant pour tout le monde que pour moi. Car finalement nous n’étions qu’un. Je lui expliquai
également que je voulais montrer au monde entier que d’un inconnu à l’autre, les choses pouvaient
être belles et sécuritaires. Nous échangeâmes durant un moment sur le sens de la vie. Elle avait connu
une histoire semblable à la mienne en inde et était intriguée par ma perception des choses. Après
avoir discuté, elle me tendit l’une de ses créations et me la donna pour me protéger. Elle me dit
qu’elle était fière de pouvoir contribuer à mon histoire. J’étais ému. Je lui dis sincèrement :
« Namasté », puis la remerciai encore et partis. Je m’excusai à mon ami d’avoir parlé autant et aussi
profondément. Il semblait intrigué de mes opinions spirituelles, mais changea de sujet. Puis il du
partir vers son rendez-vous, vers sa nouvelle maison.

Un peu plus loin, je vis la magnifique plage qui donnait sur l’océan entre les montagnes, c’était de
toute beauté. J’eus soudainement l’idée d’établir mon campement directement sur la plage. C’était
audacieux certes, mais je devais essayer plus tard. En me rendant vers la plage, juste devant une
dénivellation, un couple buvait une bière, assise sur le banc d’une table à pique-nique. L’homme dans
la quarantaine m’aborda. Il me demanda d’où je venais et me complimenta sur ma constitution à
porter Jym sur mes épaules tous les jours. Je lui racontai alors mon histoire et nous prîmes quelque
temps pour discuter. L’homme alluma un joint et me le partagea. Je lui offris une bière, mais il la
refusa, sous prétexte qu’il en avait déjà. Je m’en ouvris une, m’assis à la table, et continuai à discuter
avec eux. Le couple était très sympathique. Ils étaient du coin et étaient amoureux d’où ils vivaient.
Ils venaient d’emménager dans une petite maison et disaient qu’ils aimaient la vie, tout simplement.
C’était beau de partager un moment si simple avec des inconnus, car nous ne parlions pas de choses
inutiles, mais des belles choses de la vie. Après un moment, ils partirent, après m’avoir fait de beaux
compliments. J’étais rempli de béatitude face à la vie qui ne faisait que contempler chacun de mes
moments comme si chacun d’entre eux était des miracles, alors que je lui rendais l’appareil.
Je me rendis sur la plage, quelques mètres plus loin. Je continuai à boire la bière, tranquillement,
admirant le paysage. J’y restai peut-être une heure, seul à ne rien faire. J’étais tout simplement bien, à
l’autre bout du pays. Je n’avais pas encore pris le temps d’aller plus loin que la plage pour voir où
était l’endroit que la dame m’avait indiqué. Je n’étais pas pressé. Tant que j’étais avec Eva et Jym,
j’étais de toute façon à la maison. Je regardai au loin, sur le rivage, et vis trois silhouettes qui
grimpaient et descendaient les roches, parcourant la plage de l’autre rive à la mienne. Ils étaient trois
jeunes personnes, début vingtaine, deux jeunes hommes et une jeune femme qui semblait gênée. Ils
avaient tous les trois des traits apparents des premières nations. Ils s’arrêtèrent devant moi et me
parlèrent, tout simplement. Comme avec tout le monde, je racontai mon histoire. Ils virent, de toute
façon, que j’étais simplement en train de profiter de la vie, et je sentis qu’ils avaient un certain
respect face à mon attitude simple. Ils me dirent qu’ils allaient rejoindre des amis, et je compris, à
travers leur courte histoire qu’ils faisaient partie des gens peu fréquentables de la région ; les gens de
la rue. Pour ma part, je m’entendais bien avec eux. L’un d’entre eux me demanda si j’avais une bière
pour lui. Je regardai dans mon sac, et je vis il ne m’en restait qu’une seule. Je lui tendis. Il fut surpris
que je lui donne la dernière et me remercia plusieurs fois. J’avais déjà appris que dans la rue, on
partageait, mais je savais très bien qu’il n’était pas coutume de ne rien garder pour soi. Pour ma part,
j’avais assez bu de toute façon. Puis, après un moment, ils repartirent.
Je restai encore sur la plage un bout de temps, et soudain mon estomac me signala que j’avais faim.
Je devais alors trouver un endroit où dormir, mais avant, je voulais aller me chercher quelque chose
à me mettre sous la dent, car je n’avais rien mangé encore en cette journée, hormis les bars protéinés.
Je repris Jym sur mes épaules et allai vers la place principale, alors que l’exposition était maintenant
finie. Je voulais manger quelque chose de rapide, et il y avait des restaurants de restauration rapide
tout près. Avant le carrefour où je voulais me rendre, je croisai les jeunes adultes que j’avais
rencontrés sur la plage. Ils me demandèrent de les rejoindre, alors qu’ils étaient avec un autre jeune
homme, même âge, mêmes origines. Il était grand, bâti, et son visage avait des traits si doux qu’il
aurait pu être mannequin. Il semblait intoxiqué et le clamait haut et fort. Il parlait de champignons
magiques puis d’alcool. Il était tout de même compréhensible, mais joyeux et très expressif. Nous
parlâmes brièvement de profiter de la vie et que c’est ce que je faisais, car la vie allait toujours bien
s’occuper de nous. Il fit tout de suite la remarque qu’il m’aimait bien. Nous discutâmes un peu, assis
sur le gazon, puis allâmes rejoindre un groupe d’individus, au loin, à la place principale. J’y déposai
Jym et le gardai tout de même près de moi.
Nous étions peut-être quinze ou vingt, de tous les âges. Il y avait des jeunes femmes, l’une d’entre
elles était même sexy, mais provocante. La moitié d’entre nous étaient natifs, d’autres étaient
caucasiens. Je voyais des gens de tous les caractères, certains avaient un endroit où habiter, d’autres
non. Bref, le type de gens que certains jugeraient facilement. Je me mis à converser un peu avec tout
le monde, parlant de tout et de rien. Les gens semblaient me respecter a priori, bien que je susse que
je ne pouvais me fier à la stabilité de leurs émotions. Nous nous amusions cependant. L’un d’entre
nous passait aux autres une bouteille de vodka que je refusai, expliquant que l’alcool fort me faisait
perdre la tête. Les gens étaient plutôt d’accord avec moi, mais continuaient à se la passer. Je voyais
ce jeune homme que je venais de rencontrer en boire allégrement, et je décidai de jeter un œil sur lui,
car pour moi, il allait perdre sa lucidité très bientôt. Pour l’instant, il semblait bien. De l’autre côté,
sur un banc, un jeune homme s’endormit. Je fis quelques pas vers Jym qui me donna mon oreiller,
puis je la tendis à l’inconnu qui fut surpris d’abord, mais la plaça aussitôt sous sa tête. Puis je revins
discuter avec le groupe. Le jeune homme natif était subjugué. Il me dit qu’il sentait qu’il devait rester
un peu avec moi. Je lui répondis qu’il était le bienvenu dans mon équipe. J’entendis un jeune homme
agressif, un peu plus loin, parler de moi en mal, comme si j’étais une menace. Puis, d’autres
personnes lui signalèrent que tout était en règle avec moi, que j’étais pacifique et seulement de
passage, de toute façon. Il changea de sujet rapidement, mais c’était le signal que j’attendais pour ne
pas m’éterniser plus longtemps. Je décidai de retourner vers le rivage, bien que je commençasse à
avoir plutôt faim.
Mon nouvel ami semblait de plus en plus incohérent, alors qu’il avait décidé de m’accompagner. Il
semblait de plus en plus intoxiqué par l’alcool. Je le guidai jusqu’au parc près du rivage et l’assis sur
une petite colline du gazon. Lui-même avouait qu’il était en train de perdre le contrôle. Je lui dis de
fermer les yeux un instant, lui disant que tout allait bien aller, puis, une fois calmé, j’allai au
McDonald, encore à quinze minutes à pied. Je devais prendre des burgers et de l’eau. Je décidai de
lui en amener. Je commençais à être drôlement fatigué. Je devais avoir marché quinze kilomètres en
cette journée, sur un espace de seulement trois kilomètres, exécutant des allées retours. Cette allée-ci,
par contre, était pénible. J’avais moins de force, due à une alimentation déficiente. Je me rendis au
restaurant, bu un peu d’eau, et ramena la nourriture au parc en environ trente minutes. Au loin, je vis
mon ami, couché sur le ventre, menotté, et deux policiers étaient en train de procéder à son
arrestation. J’arrivai tout près et leur demandèrent ce qui se passait, j’étais un peu étonné. Les
policiers me répondirent qu’il était connu du coin et qu’il était en infraction, car il était en état
d’ébriété dans un parc. Pour ma part, je me disais que cela ne devrait pas être une infraction s’il ne
faisait que dormir dans un parc. Je m’adressai alors aux policiers leur expliquant que j’étais avec lui
et que j’allais m’en occuper, ils me répondirent aussitôt de ne plus leur parler et de partir. Je ne
voulais pas non plus m’obstiner, mais je leur demandai si, au moins, je pouvais lui laisser la
nourriture que j’étais allé chercher pour lui et surtout l’eau. Ils me réitérèrent de partir, en blaguant
que j’étais chanceux d’avoir une double portion pour moi seul. Après quelques secondes à être sous
le choc, ils l’embarquèrent devant mes yeux ébaubis. Je savais bien qu’ils faisaient leur travail, mais
leur travail n’était fait dans l’intérêt de personne, et, dans un monde logique, aurait pu être fait dans le
but d’aider, et surtout d’une meilleure façon.
Le soleil se couchait tranquillement. Un peu fâché, je retournai sur la plage qui n’était pas si loin
avec une multitude de burgers de chez Mcdonald, puis, je m’empiffrai à la santé de ces officiers. Une
fois la nuit tombée, j’étais encore un peu fâché contre l’illogisme de « l’autorité ». Je montai donc ma
tente au beau milieu de la plage, sans scrupule et sans remords. Je remarquai la ligne que la dernière
marée haute avait faite sur le rivage, et comme la lune était presque à son apogée pour être pleine, je
savais que je devais placer ma tente un peu plus haute sur la rive. Je mis des billots de bois devant
pour la protéger de l’eau, au cas où, et restai un peu à l’extérieur, scrutant le ciel, la mer, la terre et
remerciant Dieu de tout ce que je pouvais avoir, car c’est quand un pot est réellement vide qu’on peut
le remplir, et c’est comme cela que je me sentais à l’instant ; simplement bénit. Après un bout de
temps, j’entrai dans ma tente et m’endormis rapidement, sous le son des vagues qui frappaient le
rivage, tout près de mes pieds.

4 septembre 2017

Je me réveillai également avec le son de ces vagues, si inspirantes à l’oreille. Il était encore très tôt,
et c’était tant mieux, car je ne voulais pas étirer la chance que je prenais en dormant à la vue de tous,
au beau milieu de cette petite plage. En sortant de ma tente, je vis quelqu’un qui, tout comme moi,
profitait de la plage en ce merveilleux matin. L’air était frais, alors que la journée s’annonçait encore
plus chaude que la veille. Je démontai la tente devant les yeux de cet inconnu qui me laissait faire au
loin. Jym et Eva étaient très paisibles. C’était comme si le temps s’était arrêté en cette journée, où je
n’avais plus aucun plan sauf celui de visiter l’Ile de Vancouver. Auparavant, mon but était celui de
me rendre le plus loin vers l’ouest et maintenant c’était seulement de profiter quelques jours. Car je
savais trop bien que la prochaine étape logique à cette histoire était de revenir vers mon Québec
natal, tout comme cette douce Acadienne le faisait.
Mon cher ami avec l’autobus me contacta alors, me demandant si je voulais l’accompagner à sa
nouvelle demeure, car il n’avait pas encore pu rencontrer le propriétaire du terrain où il emménageait
sa monstrueuse voiture. J’acceptai volontiers, car je savais que j’étais sur le point de lui dire adieu,
et j’avais passé de si belles journées à parcourir les plages de la Colombie-Britannique avec lui.
Nous nous donnâmes alors rendez-vous près de tous les restaurants dans quelques heures. Je devais,
encore une fois, marcher cette distance, cette route que j’avais fait déjà tant de fois la veille. Un peu
après le parc, en tournant sur la rue principale de Campbell River, je vis une prise de courant à
l’extérieur d’un édifice. Je m’y adossai, branchant mon téléphone brisé, et me mit à continuer ce récit.
Par contre, au lieu de continuer à écrire à partir d’où j’étais rendu, je virai mon cahier de bord et
commençai à écrire mon expérience près de la rivière de Fernie, car je ne voulais rien oublier.
Après environ une heure, je vis mon ami natif passer devant moi, accompagné d’un des habitués de
l’endroit. Il était heureux et surpris de me voir. Je lui demandai comment avait été sa nuit en prison et
ce qui s’était passé. Il m’avoua sur-le-champ avoir dépassé sa limite de tolérance à l’alcool et qu’il
avait un léger problème de ce côté. Je me reconnus en lui. Il me donna raison de ne jamais accepter
l’alcool fort, car ça frappe toujours plus fort qu’on le pense. Il me confia également que c’était la
troisième fois en trois jours qu’il se faisait arrêter dans cette ville. Il blaguait ; il racontait que les
policiers le cherchaient, dans leur temps mort, seulement pour se trouver du travail. Par contre, il me
confia qu’il était complètement irrespectueux avec les policiers. Donc, d’après moi, les policiers
étaient en tort de l’aborder, car ils avaient initié un engagement inutile, mais mon ami avait seulement
encouragé et légitimisé l’intervention des policiers à son égard.
Le jeune homme me demanda alors si j’avais un peu de cannabis, car son ami en cherchait. Je lui
répondis que j’en possédais, mais très peu. Il me proposa alors de garder ce que j’avais pour moi. Je
sortis une petite cocotte de marijuana, et roulai un joint que nous fumâmes ensemble. Mon ami était
très reconnaissant, alors que le sien était impressionné. Il me donna un minuscule macaron que je
plaçai aussitôt sur mon sac et me remerciai grandement. Je crois que le fait de ne pas avoir hésité
l’impressionnait davantage que l’action en soi. Ils me demandèrent de les suivre vers le moyen
groupe que j’avais rencontré la veille. Je les suivis alors, les avertissant que je devais quitter, un peu
plus tard, vers l’autobus de mon ami.
Au sein du groupe, un grand gaillard semblait quelque peu irrité. En m’approchant, je compris qu’il
était dans une situation de chicane conjugale. Très connu au sein de la communauté de la rue de
Campbell River, il racontait son histoire à tout le monde. Il s’était disputé avec sa femme qui avait
encore bu et s’était fait montrer la porte, tout simplement. Il me lança soudainement un « Hey you ? »
tout en s’approchant de moi. Il me demanda alors si j’avais du cannabis, que c’était la seule chose
qui pouvait l’aider à se détendre et à oublier la situation pour l’instant. Il tentait de me dire qu’il
pouvait me donner un peu d’argent. Je déposai Jym qui me tendit une petite cocotte de marijuana. Je
lui donnai le fruit en lui disant de fumer à ma santé. Puis, il me remercia, me complimentant sur mon
empathie et sur le don que je venais de lui faire. Pour moi, c’était si peu, pour lui, seulement ce geste
changeait sa journée. Non pas par le cadeau, mais par la compassion qui s’y attachait.
Il commençait à faire très chaud, et je devais aller rejoindre l’autobus, dans le stationnement derrière
la place principale, près des magasins. Je saluai tous ceux que je connaissais, puis continua ma route,
zen et heureux. Après quelques minutes, je vis l’immense autobus bleu et vert passer devant moi. Mon
ami, derrière son volant, ne semblait pas me voir. Ayant toujours Jym sur mes épaules, je me mis à
marcher de plus en plus rapidement pour rejoindre mon ami qui passait tout droit. Puis d’un pas plus
rapide, à ma grande surprise, je me mis ensuite à courir vers l’autobus qui freina subitement un peu
plus loin. Je n’avais auparavant jamais tenté de courir avec l’immense poids que je portais chaque
jour, et je venais d’apprendre que j’étais capable de le faire. J’avais atteint un objectif important,
j’étais maintenant physiquement prêt à faire face à n’importe quelle situation et même à courir d’une
bonne vitesse avec Jym.
Je saluai vivement mon ami, j’étais content de pouvoir le revoir avant de continuer ma route.
J’embarquai dans le vaisseau et nous nous dirigeâmes vers sa nouvelle maison. En route, nous
discutâmes de ma prochaine destination : Tofino. Tofino était reconnu pour être le paradis des
surfeurs. La saison était à son meilleur et l’endroit était, oui très touristique, mais un incontournable,
car la ville est sur la rive ouest de l’Ile de Vancouver, c’est-à-dire, directement sur l’océan
Pacifique. Mon ami disait qu’il voulait venir avec moi, car il savait surfer et qu’il voulait vraiment y
aller, mais il commençait à être très serré dans son itinéraire. Je le consolai en lui disant qu’il allait,
de toute façon, habiter sur l’ile pour un an et qu’il allait rencontrer d’autres occasions. Il me donna
raison.
Encore une fois, il ne réussissait pas à rejoindre l’hôte d’où il allait rester. Nous étions de plus en
plus loin du Centre-Ville et nous nous dirigions dans un endroit qui était près d’un lac, plutôt dans la
forêt. C’était très agréable, mais mon ami semblait s’inquiéter un peu de la commodité d’aller à
l’école, car il n’avait qu’un vélo pour se déplacer pour l’instant. Sa magnifique maison mobile, une
fois installée, allait s’immobiliser si bien qu’il croyait qu’une fois ses études terminées, il n’allait
même pas la reconduire à la maison. Je lui suggérai de la ramener en souvenir, car son véhicule était
son réel coéquipier. Il me donna raison une seconde fois.
Après un court moment, nous ne trouvions pas l’emplacement en question et nous n’étions pas
capables de rejoindre la personne qui nous l’aurait montrée. Nous aperçûmes une petite entrée sur la
route où nous étions, qui donnait sur le lac en question. Le gros autobus ne passait véritablement pas
par-là, nous stationnâmes alors le véhicule le plus loin possible de la route, puis nous nous
dirigeâmes vers le lac pour nous y rafraîchir, car il faisait si chaud. En sortant de l’autobus, je vis un
matelas, un peu gros, mais en bon état, sur les abords de la route. Je le pris et le mis dans l’autobus.
Je n’étais pas complètement convaincu de vouloir le garder, mais c’était d’autant plus inutile de le
laisser polluer la nature. Je réussis à l’accrocher à Jym, sous ma tente et ma toile. Mon sac était
énorme. Puis, nous nous dirigeâmes vers le lac, c’était bien évidemment un sentier public, mais nous
étions seuls. Nous sautâmes dans le lac rapidement.
Nous vîmes, de l’autre côté du lac, un quai, avec des gens qui s’y baignait. Mon ami me demanda
alors si ça me dérangeait qu’il s’y rende. À sa grande surprise, je lui dis que j’allais le faire avec lui.
Puis, nous nous mîmes à nager durant environ sept minutes pour aller vers l’autre quai. J’étais plutôt
fier de moi, de braver ce mauvais sentiment qui s’emparait de moi à chaque fois que j’étais en eau
profonde. Ce n’était pas la première fois de ma vie que j’exécutais quelque chose de semblable, mais
ça faisait quand même longtemps que je ne l’avais pas fait. Puis, une fois de l’autre côté, nous
parlâmes quelques minutes avec les familles qui s’y baignaient, puis nous revirent de la même
manière, et retournâmes vers l’autobus. Mon ami albertin me félicita pour mon courage, je le
remerciai. Puis nous revinrent à la case départ, au centre-ville de Campbell River, encore une fois,
sans avoir visité sa destination.
En route, Il adopta un ton plus solennel avec moi, puis me questionna sur mes croyances éclectiques,
car il m’avait entendu parler de celles-ci, la veille, et était curieux. Il n’avait jamais été très
pratiquant dès son enfance, mais me fit savoir que, depuis quelques années, il s’était penché vers la
foi catholique, et y avait trouvé de belles réponses à ses questions. J’étais fier et d’accord avec lui.
Je lui répondis que c’était normal, car d’après moi, l’énergie changeant de notre cosmos nous amenait
à nous attarder davantage à l’aspect énergétique et spirituel des choses, et que la religion catholique,
dans les fondements de ses écrits, était un bon guide. Je réalisai, par contre, que c’était très étrange,
nous avions passé environ six jours ensemble jusqu’à maintenant, et nous n’avions jamais eu de
discussion sur le sens de la vie, alors que je trouvais qu’habituellement, je ne pouvais m’empêcher
d’en parler avec tout le monde. Pour moi, c’était une preuve que notre amitié elle-même était
profonde, et que ce n’était peut-être simplement pas le but de ce qui nous avait attirés ensemble.
Je continuai à lui dire que j’avais été élevé, dès mon jeune âge, pratiquant les traditions chrétiennes
jusqu’à l’adolescence. Je lui avouai, par contre, que maintenant, je m’attardais davantage à
remarquer les vérités dans toutes les formes de croyances et surtout, que je ne croyais plus aux
discours d’une religion pour en discréditer une autre. Je crois simplement qu’au lieu de dire aux
autres qu’ils ont tort, nous devions travailler ensemble pour assembler les morceaux de l’éternel
casse-tête de la vie que chaque religion possède. Il était quand même assez d’accord avec moi. Il
était très ouvert, mais ramenait souvent la conversation à Jésus en tant que Déité. De mon côté, je
racontais ce que moi j’interprétais dans les enseignements de Jésus en tant que professeur vers le
pardon et le salut. J’étais si heureux de pouvoir en discuter avec lui. Après un moment nous
conclûmes la discussion alors que je lui dis que, de toute façon, les mots étaient peut-être trop
catégoriques pour que les gens s’entendent sur une seule et précise définition de Dieu. Et au-delà de
tout, ce n’était pas si important. Le plus important était d’être la meilleure personne pour soi-même,
pour son prochain, puis pour la communauté et que ce concept était la base de toutes les croyances
spirituelles, donc plus important que les mouvements religieux en soi. Que c’était la première chose à
laquelle nous devions penser et nous attarder. Il était d’accord, même s’il tenait au fait qu’il fallait
absolument passer par Jésus pour atteindre le paradis. Pour moi, nous étions très près de nous
entendre et c’était seulement une question de sémantique.
Au moment où nous arrivâmes au point de départ, il reçut un appel, c’était l’homme que nous
tentâmes tant bien que mal de rejoindre auparavant. Il était maintenant disponible. Mon ami repartit
aussitôt vers sa nouvelle demeure pour enfin s’installer. Après tout, il commençait l’école le
lendemain matin. Il devait se préparer. Je le serai dans mes bras et lui répétai encore que j’étais si
content d’avoir cette conversation avec lui, car je savais que nous n’avions pas eu cette connexion
spirituelle avant cette ouverture chacun de notre côté. Je lui dis que je l’aimais puis je repartis, avec
Jym et Eva, enfin sans aucun moyen de transport nonobstant ma volonté, vers le Centre-Ville de
Campbell River.
J’aperçus aussitôt le groupe de gens « peu fréquentable » que j’avais vu plus tôt. Comme je sentais
que j’appartenais temporairement à ce groupe, j’allai le rejoindre, à la grande surprise de mon ami
natif qui semblait en pleine forme, sobre, et qui était si heureux de me revoir. Il me le confirma, me
disant qu’il voulait rester avec moi. Il me dit qu’il devait aller chercher son « backpac » qu’il avait
caché dans les bois de la ville voisine : Courtenay. Je lui répondis que j’allais l’accompagner et que
de toute façon c’était sur mon chemin, car je me dirigeais vers Tofino. Ses yeux s’illuminèrent. Il me
dit qu’il avait entrepris ce voyage en premier lieu pour aller à Tofino. Il me demanda si nous
pouvions faire la route ensemble jusqu’à cette ville à l’ouest. J’acceptai. J’étais très excité à l’idée
de faire de l’autostop à deux. Le voyage allait être davantage intéressant et nous pouvions apprendre
l’un de l’autre. Il avait un vrai instinct de « bum » et il pêchait sa nourriture. De mon côté, j’avais la
diplomatie et la débrouillardise. Nous sûmes que nous pouvions faire une bonne équipe a priori.
Nous étions toujours avec le groupe, certains fumaient, d’autres buvaient. Certains parlaient fort,
d’autres étaient discrets. Il y en avait toujours un ou deux qui voulait se battre, pour seulement
montrer qu’ils étaient des hommes. Puis le groupe bougeait à un autre endroit et répétait la scène et
ainsi de suite. Je m’adaptai très bien à ce qui semblait être leur quotidien. Je suivais toujours, par
contre, mes règles : mon sac toujours sur mon dos ; jamais de musique dans mes oreilles ; et si je
n’étais pas complètement sûr pour ma sécurité, je quittais. Eva était fière de moi. Chaque fois que je
pouvais m’éloigner de Jym, par exemple, quelques un d’entre eux me disaient que je pouvais leur
laisser. Je sentais leur honnêteté et le respect face au mode de vie que j’avais choisi. Mais je
m’excusais et je reprenais mon sac sur mon dos en leur citant ma règle. Car j’étais maintenant plus
léger quand je le portais sur mes épaules.
À un certain moment, l’une des jeunes filles partit et revint avec une feuille d’aluminium en boule.
Elle proposa à mon ami s’il en voulait et, du coup, elle m’en proposa aussi. Elle me cita un nom que
je ne connaissais pas, je lui demandai alors des précisions sur le produit et elle me répondit que
c’était de la méthamphétamine. Je refusai, car je sentais au fond de moi que je n’étais certainement
pas dans un environnement pour me laisser aller. Je la remerciai de l’offre. Mon ami fit de même.
Nous allâmes un peu plus loin et je lui demandai pourquoi il avait refusé. Il me dit qu’il avait des
limites, lui aussi. Il aimait énormément boire, mais ce qui le séparait, lui, des sans-abris, était qu’il
ne touchait pas aux drogues dures. Je le trouvai très sage. Sur un ton plus triste, il me dit qu’il savait
qu’un jour, il allait baisser les bras et en consommer, qu’il attendait seulement un coup de la vie,
mais, pour l’instant, il n’avait que vingt-deux ans et qu’il allait tenir bon le plus longtemps possible.
Je lui dis alors que j’étais très content que nous allions passer un peu de temps ensemble. Nous
allions faire d’autres choses que seulement flâner, boire et se droguer. Il en était d’accord et heureux.
C’était l’heure du souper. Nous étions tous les deux sobres, mais nous avions faim. Nous savions
qu’il y avait un organisme qui donnait de la nourriture non loin de là, et nous cherchions seulement
l’endroit exact. En marchant, mon nouveau matelas me tapait derrière les mollets et tombait souvent
au sol, je devais toujours le raccrocher. Je devais trouver un autre moyen pour le faire tenir sur mon
sac.
Arrivé à l’endroit, il y avait une policière qui gardait les gens, trois tables pour fournir la nourriture
et une multitude de personnes en fil indienne. J’avais déjà rencontré beaucoup d’entre eux, ceux
qu’on aurait pu catégoriser comme « bum » ou « peu fréquentable ». Par contre, les nouveaux visages
étaient les plus mal en point. Des vieillards qui semblaient ne rien avoir, distraits par toute l’action
qui se déroulaient entre leurs deux oreilles, des jeunes personnes le cerveau et le visage tracés par le
mélange d’une consommation abusive de drogues dures et d’une violence habituelle. Une famille
issue des premières nations irrespectueuses avec tous, car c’était seulement tout ce qu’elle
connaissait. Et moi, qui me tenais au beau milieu de cette foire, mon coupon en main, attendant mon
repas, chanceux d’observer et d’expérimenter cette scène tragique. Au moins, au centre de mon
cercle, silencieux, immobile, je n’étais pas obligé de marcher sur des œufs. Je n’attendais que mon
tour, j’avais faim. Mon ami, lui, connaissait certaines personnes plus intimement que moi. Il se
promenait d’une personne à l’autre et jasait, en attendant son tour, tout comme moi. Puis, nous
mangeâmes. Je remerciai énormément les bénévoles, la policière, puis nous partîmes vers le parc de
Campbell River.
C’était le soir et j’étais resté toute la journée avec ces gens imprévisibles, mais adorables, car nous
étions allés les retrouver. Nous étions rendus au parc, juste à côté d’où mon ami natif s’était fait
arrêter la veille. Nous avions rejoint d’autres personnes qui semblaient être de l’endroit. Eux aussi
avaient le même style, le même comportement que mon nouveau groupe. Je les entendais poser des
questions sur moi, j’entendais de beaux commentaires à mon égard même si ici, tout le monde se
méfiait un peu de tout le monde. Je savais que si quelque chose arrivait, je n’avais qu’à l’anticiper,
puis partir. Toute la journée, nous avions fait des blagues au sujet de son arrestation. Nous disions
que son objectif, pour la journée, était de dormir à l’extérieur de ce qu’on appelait la « Drunk Tank ».
Nous rîmes un bon coup, mais comme nous étions tous les deux sobres, tout allait bien aller.
Le nouveau jeune homme qui se méfiait de moi était assez bâti et tatoué. Il était un peu plus loin et je
vis qu’il jouait au soccer avec sa femme. Ils frappaient le ballon chacun leur tour. Je décidai de jouer
avec eux, de courir. Ils m’acceptèrent tout de suite. Je demandai à mon ami de nous rejoindre, mais il
sortit sa paresse orgueilleuse d’adolescent et me dit qu’il aimait mieux s’écraser sur le sol. Je ne le
priai guère et allai rejoindre les autres pour faire un peu de sport.
Nous avions du plaisir contagieux et ça paraissait si bien que mon ami nous rejoignit après dix
minutes. Puis nous jouâmes pour une bonne demi-heure. Par la suite, nous continuâmes à nous
promener, sous le chaud soleil jusqu’à tant qu’il ne se couche. Nous rejoignîmes la plage, puis, une
fois le soleil couché, nous nous endormîmes, encore au beau milieu de celle-ci, discutant de notre
futur périple vers Tofino.

5 septembre 2017

Le matin était si doux, mais la journée s’annonçait chaude encore une fois. J’étais si chanceux, j’étais
toujours vivant, j’étais libre, j’étais si énergisé et je n’avais connu que quelques journées de pluie
depuis le début mon périple. J’avais fait tant de chemin depuis mon départ, je n’aurais jamais pu
imaginer dormir, accompagné d’un « Bum » au beau milieu d’une plage sur l’Ile de Vancouver. À
vrai dire, quand je suis parti, je m’imaginais être quand même un peu moins vagabond que ce que je
vivais présentement, mais la vie était si bonne avec moi que je ne pouvais que la contempler.
Je me réveillai et Eva me regardait, comme un chien qui attendait sa marche quotidienne avec tant
d’excitation. C’était une autre journée d’aventure qui se dessinait et j’allais voyager en autostop
accompagné d’une jeune personne qui me complétait assez bien. Je savais que je pouvais l’aider et je
savais que je pouvais apprendre. Je démontai ma tente rapidement et organisai Jym. Mon ami me
demanda pourquoi j’avais monté une tente si je n’avais pas dormi à l’intérieur de celle-ci et je lui
répondis que ce n’était qu’au cas où il se mette à pleuvoir. Il valait seulement mieux avoir un plan B,
pour garder ma maison au sec, après tout. Nous étions sur le point de partir et je roulai le matelas que
j’avais trouvé la veille, bien que je le trouvasse bien encombrant, il fut très confortable pour la nuit.
Je le donnai à Jym, puis nous nous mîmes à marcher.
Nous croisâmes rapidement notre nouveau groupe d’appartenance. Mon ami natif était fier de
raconter qu’il m’accompagnait jusqu’à Tofino et que nous allions récupérer son sac à dos en route. Il
espérait drôlement que son sac soit toujours caché dans les bois. Pour ma part, je me répétais que je
n’aurais jamais été capable de laisser Jym dans les bois à plusieurs kilomètres. Je ne savais pas si
c’était la confiance ou l’insouciance qui l’avait poussé à faire cela et j’espérais, pour lui, que tout
soit comme il l’espérait. Je voyais qu’il était quand même attaché à ces gens. Lui aussi, tout comme
moi, était arrivé il y avait que quelques jours, mais pour lui, ce groupe ; cette vie était plutôt une
échappatoire à la vie si restrictive d’un adulte moderne, mais aussi, un vortex dans lequel il était
pris, alors que son destin tentait tant bien que mal de le ramener à l’ordre.
Après un moment, nous quittâmes. C’était quand même étrange que je vinsse tout juste de quitter mon
ami avec l’autobus, et que je fus déjà en équipe avec mon nouvel ami natif avec qui j’allais
apprendre complètement autre chose. Il possédait le même genre de connaissances de la rue que mon
amie, avec son chien Skully, m’avait passées quand j’étais en Ontario, mais mises en action avec
moins de respect et beaucoup plus d’audace. Nous nous demandions si nous voulions lever le pouce
pour aller à Courtenay qui se trouvait à environ vingt minutes de là, ou si nous allions utiliser
l’autobus. Pour ma part, si nous ne pouvions pas payer notre aller, j’allais être content. J’optai alors
pour l’autostop. Pour la sienne, il me répondit qu’il avait une idée et que je pouvais lui faire
confiance, que nous n’allions pas débourser d’argent de toute façon. J’étais curieux de voir ce qu’il
avait en tête, dans le but de raconter la meilleure des histoires.
En marchant vers l’arrêt d’autobus, nous croisâmes l’un des membres agités du groupe. À bien y
repenser, en trois jours, je n’avais jamais vu ce type calme une seule fois. Il avait toujours une bonne
raison d’être en colère et de chercher la bagarre. Il était avec un des vieux hommes que j’avais
aperçus la veille au buffet gratuit. Cette personne était installée, dans le coin d’une cage d’escalier
d’un édifice qui semblait être sa demeure, à voir tous ses effectifs étalés un peu partout. Après avoir
laissé mon ami et le jeune homme discuter un peu, je regardai le vieil homme et lui demandai s’il
avait besoin d’un nouveau matelas. Il se mit à rire, mais ne me répondit guère. Je répétai la question,
plus sérieusement cette fois-ci. Il me répondit assez froidement : « Qu’est-ce que tu veux, je n’ai rien
à échanger ». Ce fut à mon tour de rire un brin. Je lui confiai que je ne voulais rien, j’avais trouvé le
matelas, la veille et il était seulement encombrant sur mon majestueux sac à dos. Il se leva, regarda le
matelas qui était d’autant plus en bon état que douillet. Il souriait. Il me remercia gaiement et
sincèrement, me disant que les petits allaient être contents d’avoir un lit ce soir. Je ne posai pas de
question, lui rendit ma dernière trouvaille, puis nous quittâmes vers l’arrêt d’autobus qui se trouvait
tout près de là.
L’autobus de ville arriva. Mon ami prit la tête et parla au conducteur. Je l’entendis demander, sans
tourner autour du pot, un passe-droit pour aller au prochain arrêt. Le conducteur lui demanda de
descendre pour laisser entrer les autres passagers. Puis, une fois tout le monde entré, il nous rappela
à la porte. Il nous dit seulement qu’il n’y avait aucun transfert possible et que nous allions
spécifiquement descendre où nous avions dit que nous allions le faire. Nous acceptâmes poliment et
prîmes place à bord de l’autobus. Nous devions aller au terminus le plus près, pour ensuite prendre
un autre autobus pour nous rendre à Courtenay. Nous nous dîmes alors que rendus plus loin, nous
allions ; soit payer le reste du trajet dans un second autobus, ou bien lever le pouce. De toute façon,
nous n’étions tellement pas pressés. J’étais tout de même impressionné par l’intrépidité de mon
nouvel ami natif qui savait comment profiter du grand cœur des humains derrière le système établi.
J’étais charmé.
En route, une dame se mit à nous parler, remarquant mon flagrant accent, elle me demanda d’où je
venais. Je lui répondis : « du Québec, bien évidemment ». Puis elle me répondit en français, cassé
d’un accent anglophone, qu’elle venait de Trois-Rivières. J’étais agréablement surpris. Elle me posa
des questions sur mon aventure, sur mes buts, mes aspirations. Elle était assez âgée, mais bien assez
en forme pour prendre le transport en commun. La discussion était plutôt axée sur moi, sur mon
voyage, bien que quelques fois, elle me racontait ses aventures et sa vie au Québec. Elle semblait si
contente de parler en français. Rendus à destination, elle nous souhaita bon voyage. Elle me dit que
rien n’arrivait pour rien dans la vie et qu’elle voulait vraiment contribuer à mon aventure, puis, sans
même savoir que nous en avions besoin, elle nous tendit deux billets d’autobus et me dit que c’est
tout ce qu’elle pouvait me donner. Je la remerciai, lui répondant que c’était tout ce dont nous avions
besoin pour continuer notre voyage. Puis nous la quittâmes.
La vie venait encore de me fournir ce dont j’avais besoin, sans même que je l’eus demandé. Comme
ce n’était pas la première fois que ça m’arrivait, j’avais quand même une belle pensée à envoyer vers
le destin qui, quand je me mettais à croire en lui, me donnait tout ce que j’espérais. Nous savions que
nous allions être à Courtenay dans environ vingt minutes encore, et c’était beaucoup plus tôt que ce
que nous avions prévu. En attendant l’autobus, nous vîmes ce jeune homme colérique, que nous
avions rencontré auparavant, arriver devant nous. Nous nous saluâmes comme de vrais amis. Il nous
avoua qu’il allait travailler en construction, un travail payant, mais difficile, et qu’il n’avait pas
vraiment le gout d’y aller. Quoique je ne m’attendais pas à entendre sortir quelque chose de positif de
sa bouche.
À l’intérieur de l’autobus, il sortit de la bière de son sac et commença à boire. Il semblait déjà en état
d’ébriété. Il nous en offrit, mais nous refusâmes. Il parlait fort et un peu à tout le monde autour, et ce
n’était pas agréable. J’entendis le conducteur s’adresser à lui, lui demandant ce qu’il buvait, mais le
jeune homme l’ignorait. Nous lui dîmes de se calmer un peu, car il risquait de se faire évincer du
véhicule, et nous aussi, par le fait même. Il alla sur un banc plus loin, accota sa tête à la fenêtre et
s’endormit soudainement, bière à la main. Je voyais le conducteur regarder souvent vers lui et serrer
les dents pour ne pas laisser sortir ce qu’il pensait vraiment.
Enfin arrivé à Courtenay, mon ami semblait vraiment connaître l’endroit. Nous saluâmes l’autre
énergumène colérique, et lui dîmes que nous allions peut-être le recroiser plus tard, car nous avions
décidé d’y passer la nuit et de se rendre à Tofino au lendemain. Mon ami avait bien aimé son dernier
séjour dans cette ville, il voulait me montrer tout ce qu’il savait et, de plus, il voulait peut-être voir
des personnes qu’il connaissait. Pour ma part, j’étais très ouvert. J’allais être son assistant pour la
journée.
Je le suivis quelques coins de rue pour nous rendre vers un petit pont et descendîmes sous celui-ci.
J’avais étrangement l'envie de me baigner et de me laver dans cette rivière, sous le chaud soleil qui
plombait sur nous. Mon ami me dit de l’attendre, puis prit un sentier qui l’amena dans un boisé tout
près. Je pris mon sac et le suivie, que par curiosité. Un peu plus loin, je le voyais chercher un peu
partout, sous les buissons, derrière les arbres. Puis il souleva son sac et le mit sur son dos. Son sac
était minuscule et délabré, comparé au mien. Sa canne à pêche semblait brisée et sortait difficilement
d’une de ses poches, alors que le sac en soi était en très piteux état. À voir à quel point il avait de
l’espace à remplir, il ne devait avoir que le strict minimum à l’intérieur de celui-ci. Nous allâmes à
la rivière et je m’y lavai brièvement, alors que mon ami m’attendait. J’étais toujours fasciné par l’eau
courante et naturelle que la planète nous propose, car elle est source de vie, d’énergie, de pureté et
nous affecte quotidiennement. Je lui parlais de ce que je pensais de tout ceci et il m’écoutait, très
intéressé par mes propos.
Mon ami m’avait tant parlé de ses talents de pêcheur qu’il détenait ses compétences de ses ancêtres
des premières nations. Je lui proposai donc de tenter d’attraper notre repas. Il refusa sous prétexte
que sa canne était brisée. Je lui proposai alors d’acheter le matériel nécessaire pour la réparer, mais
il refusa sous prétexte que nous avions d’autres solutions. J’acceptai silencieusement.
Après un moment, nous décidâmes de nous rendre au centre-ville, à quelques dizaines de minutes à
pied, car il voulait utiliser l’ordinateur de la bibliothèque. Je le suivis, sans vraiment vouloir entrer
dans l’établissement. Je m’assis sur le banc de la bibliothèque, attendant mon ami qui tentait tant bien
que mal de rejoindre ses amis du coin. En attendant, un homme m’aborda, me disant qu’il avait fait un
voyage en « Backpac » avec le même modèle de sac que Jym. Il me montra des photos, et prit une
photo de mon fidèle coéquipier. Après quelques minutes, il repartit. Puis, une femme arriva ensuite,
me demandant si je voulais de la confiture maison. Je lui répondis que je n’avais pas d’argent, mais
me rassura en me disant que c’était un don, qu’elle en avait trop de toute façon. Je la remerciai
infiniment, et donnai la confiture à Jym qui la garda précieusement. Un troisième homme m’aborda
pour me parler du coin. Il semblait plutôt adopter mon style de vie. Il était beaucoup plus vieux, à
vélo, et n’avait pas la langue dans sa poche. Après avoir discuté en surface, au même moment auquel
j’aperçus mon ami sortir de la bibliothèque, il m’avoua qu’il vivait dans la forêt, à un super endroit
tout près. Il voulait nous montrer l’endroit et nous accueillir pour qu’on y installe un campement pour
la nuit. Pour notre part, nous n’avions pas encore mangé et nous pensions à, soit sauter dans une
benne à ordure à la recherche d’aliment frais, ou encore à mendier tout près d’un magasin pour
quelques heures. J’étais heureux à l’idée de tenter l’expérience, mais nous remîmes nos plans à plus
tard et décidâmes de suivre ce bizarre de hors-la-loi pour visiter son campement.
Nous marchions sur les rues de Courtenay avec chacun notre sac. Notre nouvel hôte, pour sa part,
marchait aux côtés de sa bicyclette. Il était habillé pauvrement, ses cheveux grisonnants montraient
qu’il approchait la cinquantaine et son visage avouait, bien malgré lui, une vie difficile. C’était le
genre de monsieur qui avait son opinion sur tout et qui ne se gênait pas de le dire, accusant tous les
autres de la bêtise humaine.
Cela faisait environ quarante minutes que nous marchions et notre guide parlait tellement qu’il
s’arrêtait à environ tous les dix mètres pour appuyer physiquement ses points de vue. Nous en étions
si fatigués. Eva me répétait d’encaisser le coup ou de partir. Me disant que ce n’était qu’un effort
supplémentaire et que nous allions nous rendre où nous voulions, car le temps n’est qu’une distance
après tout. Pour ma part, j’étais trop curieux de découvrir son endroit de campement idéal. Il m’avait
avoué qu’il y était resté six mois. J’espérais que l’endroit devait, malgré tout, en valoir la peine.
Ce fut cependant si long le suivre, alors qu’il ne semblait pas réaliser que nous avions du poids
supplémentaire sur les épaules, mais aussi, que nous n’avancions seulement qu’à pas de tortue.
Il nous demanda de le suivre vers un boisé, pour passer derrière un parc, puis un pont. J’étais de
moins en moins confiant face à ses propos et à son comportement. Il semblait un peu mélangé, même
s’il ne faisait que tout juger. Nous continuâmes dans ce petit sentier, nous passâmes devant des bancs
de parcs, puis devant un homme, avec des traits des premières nations, qui pleurait à la vue de tous.
Notre guide se contenta de le juger également. Nous passâmes devant lui pour arriver devant deux
hommes. Un jeune et un vieux, assis à une table de pique-nique. Des paniers d’épiceries et des sacs à
poubelles les entouraient, nous laissant croire que l’endroit était tout simplement leur demeure. Deux
chiens courraient autour de nous et nous faisaient savoir que l’endroit était tout de même sain, bien
que je reconnusse qu’il n’était pas conventionnel. Notre guide les salua, il semblait bien les
connaître.
Sur la table où le vieil homme était assis, au beau milieu de la forêt, se tenait un jeu d’échecs avec un
cadran à ses côtés. Je n’avais jamais joué aux échecs avec le règlement du cadran. Je lui demandai
donc de m’expliquer comment jouer. L’homme semblait content de pouvoir m’apprendre quelque
chose. Il me dit qu’il se nommait « Jet Cloud ». Pour être honnête, encore aujourd’hui, je doute que ce
soit son vrai nom. Il ressemblait un peu à Gandalf du seigneur des anneaux ; maigre, pauvrement
habillé, barbe et cheveux blancs et longs. Pour un bref moment, je regardai Eva pour qu’elle me
confirme que je n’étais bel et bien pas en train de rêver, car la situation semblait aussi loufoque
qu’anodine. Je m’assis à la table et écoutai ses règlements. C’était bien simple ; quand il terminait de
jouer, mon compteur se mettait à accumuler du temps. Si mon compteur de cinq minutes se terminait,
je perdais, alors que lui n’avait pas de compteur. Et quand je terminais de jouer, je pouvais l’arrêter.
Il me dit qu’il me donnait cinq minutes pour le battre, sinon il gagnait. J’acceptai de jouer malgré ce
handicap. Il me demanda alors cinq dollars. Je refusai aussitôt, car c’était complètement illogique de
mettre de l’argent et de jouer avec ce genre de règlement que ne pouvaient aller que contre moi. Il
m’offrit alors une partie gratuite. Je m’assis donc avec ce Gandalf canadien A.K.A Jet Cloud et je
perdis après que le compteur ait compté cinq minutes. Il m’avertit que, la prochaine fois que je
voudrais jouer, je devais apporter cinq dollars. Je ris brièvement, car c’était certain que je n’allais
pas payer tant et aussi longtemps qu’il ne joue sans compter son temps. Puis mon ami natif, notre
guide et moi-même quittâmes pour continuer notre route, comme nous étions arrivés.
Nous marchâmes une autre bonne heure et mon complice était exténué. Si nous avions marché à un
bon débit pour trente minutes consécutives, suivant les rues, nous aurions déjà été à destination. Mais
notre guide s’arrêtait à tous les dix pas, sur le bord de la rue, pour exprimer des opinions divagantes.
Si nous continuions, il nous sommait d’arrêter pour prendre le temps d’écouter ses histoires à dormir
debout et ses jugements sans fin. Si nous ne le faisions pas, il se fâchait. Mon ami était désespéré et
ne voulait même plus voir l’endroit où nous nous dirigions, tellement qu’il était découragé par
l’attitude de l’homme avec qui nous étions pris, maintenant, malgré nous. Nous étions épuisés, nous
avions faim. Pour ma part, je restais silencieux, mais j’étais sur le point de changer de direction et de
faire ma propre voie.
Nous arrivâmes à l’endroit, tout près des gros magasins et de la route principale. Pour nous rendre à
son antre, il fallait descendre une bonne dénivellation. Nous vîmes ses installations au loin, mais
nous nous regardâmes un instant. Mon ami était à bout de nerfs. Je m’exclamai que je n’allais pas
descendre la pente assez abrupte dans l’état où j’étais, avec mon sac beaucoup trop lourd. Il me
répondit alors de laisser nos sacs près de la route et de s’aventurer en forêt. Pour moi, c’était non.
L’homme se mit dans tous ses états et nous accusa de lui avoir fait perdre sa journée pour rien. Mon
ami prit ma défense aussitôt, accusant l’homme de nous avoir tant retardés durant cette marche et que
c’était lui qui avait tant insisté pour qu’on l’accompagne. Nous ne voulions que manger et nous
reposer après tout. Il était hors de questions que je descende plus loin. Le ton de la voix de l’homme
commençait à augmenter alors qu’il s’énervait. Nous étions tous sur le bord de la route et j’étais
quand même prêt à toute éventualité. Je me tenais loin de lui et loin de la rue également. Après
quelques minutes, nous lui tournâmes le dos et partîmes, le laissant sur le bord de la route tandis qu’il
nous criait des bêtises.
Nous marchâmes vers les grands magasins, au loin. Nous rejoignîmes les bennes à ordures, mais
elles étaient toutes cadenassées et verrouillées. Je ne pouvais pas croire ce que je voyais. En plus de
gaspiller énormément de nourriture encore bonne, les épiceries et magasins grandes surfaces
barraient leurs conteneurs pour être certains que personne ne puisse récupérer le récupérable. De
plus, nous commencions à avoir très faim et nous savions qu’il y avait toujours de bonnes choses
dans ces bennes. Cela me faisait également réfléchir aux grands magasins de vêtements qui découpent
les pièces inutiles avant de les jeter aux poubelles. Car, s’ils ne peuvent pas faire une marge de profit
sur leur stock, aussi bien que personne n’en profite, au détriment des plus démunis et de la planète.
Car il serait logique d'au moins trier ce qui est récupérable. Ces pratiques, pour moi, sont simplement
psychopathes.
J’allai chercher des hamburgers au restaurant-minute le plus proche, et lui emmenai. Ce n’était pas
assez pour nous rassasier, mais, au moins, assez pour nous faire patienter un moment. Nous nous
installâmes devant la porte d’un commerce et primes des bouts de cartons. Nous y écrivîmes que nous
allions à Tofino et que nous demandions des aliments ou des pièces de monnaies en trop. Nous
attendîmes environ deux heures sans ne rien recevoir. Le soleil commençait à se coucher et c’était de
bonne guerre, ça faisait seulement partie du jeu. Je me disais qu’au moins, je n’avais qu’à acheter du
pain, car nous pouvions simplement manger du pain et de la marmelade et que ça allait être un festin
délicieux.
Nous nous levâmes et nous dirigeâmes vers le centre-ville. En passant devant une autre épicerie, nous
nous y arrêtâmes pour retenter l’expérience. Les gens passaient alors que le mot d’ordre, encore une
fois, était de ne pas déranger personne. Nous étions assis avec nos écriteaux, au côté de l’entrée
principale d’un magasin grande surface de Courtenay. En seulement trente minutes, nous reçûmes
vingt-cinq dollars et un sandwich. Nous étions si reconnaissants et si fiers d’avoir réussi cela en si
peu de temps. Nous décidâmes de retourner vers le centre-ville et vers la bibliothèque de
l’établissement. Il me dit que nous allions dormir à la bibliothèque cette nuit. Épuisé, je ne compris
même pas le sens de sa phrase et le laissai parler. Nous marchâmes encore une bonne demi-heure,
pour nous rendre à la bibliothèque. Au moins, nous savions qu’arrivés là, nous n’allions pu avoir à
nous déplacer.
En chemin, je lui dis de garder l’argent, que je n’en avais pas besoin. Je regardai au sol et je vis un
billet de cinq dollars passer devant moi, poussé par un petit vent de soirée. Je le ramassai et me
dirigeai vers un « liquor store ». Je me disais que ça pouvait être bon pour mon ami de ne pas se
sevrer trop rapidement, car je savais qu’il buvait beaucoup d’alcool. J’achetai donc six bières. Pour
moi, c’était une bonne idée, car il n’avait pas à payer, non plus, nous allions nous contenter des six
bières et nous allions dormir rassasiés. De plus, je voulais toujours aller acheter du pain.
Arrivés devant la bibliothèque, nous débouchâmes nos « Labatt Bleu » et bûmes, fiers de notre
journée. Nous avions tant marché, mais c’était agréable de vivre ce genre d’aventure avec quelqu’un
qui partage le même mode de vie. J’étais plutôt habitué à faire équipe avec des gens en voiture. Il me
pointa les colonnes, près de la porte d’entrée, puis, le premier toit de l’édifice. Il me confia alors que
nous allions monter là, cette-nuit, quand les regards de tous seront tournés, et que nous allions dormir
à la belle étoile, sur le toit de l’immeuble. J’étais à la fois excité et fébrile. C’était le genre
d’aventure qui me plaisait sans aucun doute.
Mon ami contacta l’un de ses amis, alors que nous ouvrîmes une seconde bière. C’était un homme
qu’il avait rencontré dans la rue, il y avait quelques mois, et qui l’avait pris sous son aile. J’étais
content de pouvoir le rencontrer. En attendant, un autre homme s’approcha de nous et nous aborda. Il
me dit qu’il travaillait au magasin en face de la bibliothèque. Il avait été attiré par la prestance de
Jym qui le fixait allègrement. Je lui racontai mon voyage. Je m’attardai davantage sur l’aspect
spirituel de celui-ci. L’homme dans la quarantaine était tout ouïe alors que je lui racontais la raison
pour laquelle je portais le symbole du chakra du cœur sur mon sac. Il me posa alors plein de
questions sur les différents chakras. Je lui expliquai alors ma perception de ceux-ci et, aussi, ce qui
m’avait été révélé, sous l’effet de l’acide à Fernie. L’homme était très intéressé, il écoutait,
répondait, questionnait. Mon ami, pour sa part, me coupa pour me dire qu’il ne connaissait pas
quelqu’un qui s’exprimait de façon aussi éloquente que moi. J’étais gêné, d'autant plus que je ne
parlais même pas dans ma langue maternelle. Les deux me regardaient comme si j’étais un guru alors
que je me sentais plutôt comme leur humble serviteur. L’homme repartit après une conversation
d’environ une demi-heure portant sur le bien-être, l’évolution individuelle et sociétale. J’eus
l’impression de le faire réfléchir, de lui faire du bien, de lui donner espoir.
Mon ami continuait à me complimenter sur ma façon de m’exprimer, d’argumenter et d’expliquer.
J’étais flatté. Je lui expliquai que j’avais étudié les communications orales et écrites, plus jeune.
Communiquer était une force pour moi et je le savais humblement ; c’était ce que je faisais de mieux
dans la vie. C’était aussi ma mission, en quelque sorte.
Nous vîmes une camionnette se stationner un peu croche, tout près de nous. Puis, mon ancien
interlocuteur qui descendit de celle-ci. Il s’approcha et me tendit un pain. Il me dit que c’était tout ce
qu’il avait sous la main pour m’aider et me l’octroya. J’étais complètement subjugué. Toute la
journée, j’avais pensé à me procurer un pain, depuis que je m’étais fait donner de la marmelade, et
voilà qu’un homme, sorti de nulle part, parce que j’avais pris le temps de lui parler un peu,
m’apportait un pain. Je réalisais aussi que c’était toujours la même chose depuis mon départ. Qu’à
chaque fois que je voulais quelque chose, je n’avais qu’à le manifester, dans mes intentions, sans
stress, sans mauvais sentiment, avec foi en la vie, et la chose allait m’arriver. Peut-être d’une façon
complètement différente que ce à quoi je m’attendais, mais la vie pourvoie bien, et elle venait de me
le prouver encore une fois. J’étais très reconnaissant, mais également épaté par celle-ci. L’homme ne
saisissait pas pourquoi j’étais autant impressionné, car je ne lui avais jamais dit que je voulais un
pain depuis un bout de temps. Mon ami pour sa part restait là, la bouche béante d’étonnement à
l’égard de la situation qui me prouvait encore une fois pourquoi j’étais au beau milieu de cette
aventure. L’homme repartit.
L’ami de mon ami arriva enfin, et nous discutâmes tous les trois. Nous avions fini nos bières. Mon
collègue revint avec quelques bières et m’en offrit. Il avait décidé d’utiliser son argent pour acheter
de la bière, mais ça m’était vraiment égal, car l’important était que nous avions le nécessaire pour
nous rendre jusqu’au lendemain et nous l’avions déjà. Nous étions tous joyeux. Le nouvel arrivant
m’offrit son aide pour tout ce que je voulais dans les environs. Je le remerciai profondément, quoique
je n’avais réellement besoin de rien pour le moment. Le soleil était maintenant couché, il faisait noir,
et nous marchions plus loin, buvant et discutant. Un peu plus loin, un autre jeune homme nous rejoint.
Celui-ci avait aussi des traits issus des premières nations. Nous discutâmes, alors que j’étais plutôt
discret. Les personnes avec qui j’étais semblaient bien se connaître et je les écoutais, intéressé. Le
dernier arrivant au groupe ne souriait qu’à peine, et quand mon ami lui demanda ce qui le tracassait,
il me pointa en me disant qu’il ne m’aimait pas, car en plus d’être blanc, j’étais francophone. Son
discours ne m’impressionna pas beaucoup. Mon ami lui suggéra de me parler, que quelques instants,
pour me connaître, et qu’ensuite il allait m’apprécier. J’étais, encore une fois, très flatté.
Je lui demandai calmement d’expliquer ses raisons, alors que mon ami se mit à discuter avec son
interlocuteur. Il me répondit que mon côté francophone ne lui plaisait pas beaucoup, car il ne
connaissait pas vraiment de francophone et que nous étions différents des autres. Je le rassurai, je lui
confirmai que je n’étais pas hostile et que j’étais autant différent des Anglais que des Français, car je
n’étais finalement et seulement qu’unique. Il me répondit alors qu’il n’aimait pas les blancs, car il
n’avait pas digéré la colonisation du continent et je le comprenais. Je lui répondis seulement que je
n’avais aucune raison de ne pas être d’accord avec lui, car la « découverte » du continent était l’une
des histoires les plus cruelles de l’humanité. Il était d’accord, mais toujours agité. Je lui expliquai
donc que c’était, même encore aujourd’hui, injuste la façon à laquelle les peuples issus des premières
nations étaient traités. Je m’excusai ensuite au nom de la nation au complet. Lui disant que je portais,
sur mes épaules, les erreurs d’un peuple avare et ignorant. Pour terminer, je lui dis qu’en tant
qu’humain, je devais regarder quand même en avant, et les traiter à leur juste valeur, comme tous les
autres humains, tout simplement. Je devais respecter leur culture et leur passé, et espérer que le plus
de gens possible pensent comme moi. Que c’était la meilleure façon d’agir dans cette situation, car ce
qui est passé reste dans le passé, alors que l’avenir reste à construire, à l’aide du présent. Pour moi,
il était simplement illogique de traiter deux êtres humains différemment pour leur couleur de peau,
leur sexe, ou même parce qu’ils sont nés quelque part d’autre sur la planète.
Il me remercia, me serra dans ses bras, s’excusa et m’offrit une bière. Je me sentais en paix d’avoir
connecté avec un homme lointain, d’avoir apaisé ses craintes, et de lui avoir montré l’amour, car au
fond de lui, je crois évidemment que c’était ce qu’il voulait.
Nous continuâmes à parler un moment et mon ami réalisa que nous partagions une bière. Je la lui
pointai avec un sourire de fierté. Il comprit sur-le-champ ce qui venait de se produire. Il me sauta
dans les bras et m’avouai qu’il était tout simplement sans mot face à ma capacité de m’exprimer et de
toucher les gens. Il prit une minuscule pause et me demanda de quelle façon nous pouvions utiliser
cette force pour manipuler des gens. Je lui dis que c’était une force oui, mais qu’avec un talent, il ne
faut jamais l’utiliser à des fins mesquines, car le talent allait se retourner, un jour ou l’autre, contre le
talentueux. Il était d’accord. Je lui confirmai aussi que je parlais pour l’amour et le bien de tous, et
non seulement pour mon bien personnel. Je sentais qu’il réfléchissait à propos du bien et du mal, et
des choix que nous pouvions faire ; pour et contre les autres. Je sentais qu’il apprenait et qu’il voulait
faire le bien.
Nous continuâmes à boire et à discuter. Nous avions bu plus que nous nous en attendions, l’effet de
l’alcool commençait à paraitre dans nos attitudes. Après un moment, nous quittâmes ces gaillards
pour trouver un endroit où dormir. Nous arrivâmes près de la bibliothèque et fîmes le tour de
l’immeuble pour nous assurer que tout était sécuritaire et sécurisé. Nous retournâmes vers l’entrée
principale, mon ami laissa son sac sur le sol et grimpa sur le premier toit. Je lui passai son sac, puis
mon énorme sac qu’il trouva si lourd, puis je grimpai à mon tour. Nous passâmes les sacs sur le
second toit puis y grimpâmes par la suite. Nous enjambâmes quelques paliers puis nous nous
installâmes au centre du toit de l’immeuble.
J’étais couché sur le dos, sur le toit de la bibliothèque de Courtenay et je sentais à quel point j’étais
chanceux. Je remerciai mon ami qui m’avait fait découvrir l’endroit. J’étais si fébrile à l’idée de
pouvoir raconter ce bout d’histoire, le déroulement des événements de cette journée me faisait sentir
que j’étais au beau milieu d’une aventure extraordinaire et dormir sur le toit de la bibliothèque me
faisait sentir comme un aventurier hors-la-loi.
Je me retournai vers mon ami et son visage avait changé complètement. Il était aigri par une forme
d’anxiété. Il avait les mêmes traits que mon ex-copine quand elle était anxieuse contre moi. Je sentais
comme si le démon de l’angoisse m’avait retrouvé à l’autre bout du pays. Comme si ses victimes
n’étaient que collatérales dans la mission de me poursuivre moi, une proie difficile. Bien que
l’anxiété ne m’ait jamais vraiment agrippée, je sentais qu’elle savait comment m’atteindre : dans les
yeux des autres.
Mon ami m’avoua qu’il se sentait coupable d’avoir bu. Qu’il se sentait coupable d’avoir dépensé
l’argent que nous avions si bien gagné ensemble. Je tentai de le rassurer en lui disant que nous
n’avions pas besoin de cet argent, que demain allait être une aussi belle journée et que nous allions
avoir toutes les possibilités d’amasser de l’argent. Il me répondit que son raisonnement allait bien
plus loin que cela. Il me dit qu’il ne se faisait pas confiance. Il m’avait vu fort. Il m’avait vu éloquent.
Il m’avait vu bon. Et il ne se sentait pas digne de vivre une aventure avec moi. Il ne voulait pas avoir
la pression de faire des erreurs et de tomber devant moi, car il me voyait comme un modèle dans ce
mode de vie. Je n’étais pas d’accord avec lui, car nous avons tous nos défauts et je n’étais qu’un
aventurier novice. Ensuite, il m’avoua qu’au fond de lui, il n’avait jamais vraiment voulu se rendre à
Tofino et qu’il n’avait qu’utilisé ce prétexte seulement pour de pas aller chercher son sac seul. Il se
sentait mal de m’avoir manipulé. Je lui dis aussitôt qu’il ne m’avait aucunement manipulé, car
j’aurais fait le même chemin sans lui et que j’avais adoré la journée. Je pris une courte pause puis je
continuai et lui dis, ensuite, que si je trouvais qu’il me faisait du tort, j’allais simplement partir. Et
que c’était normal de tomber de toute façon. J’allais surement tomber moi aussi. Mais nous allions le
faire en équipe et surtout se relever en équipe.
Mon ami n’était malheureusement pas convaincu alors que j’entendais le démon de l’anxiété rire aux
éclats à l’intérieur de lui. J’aurais voulu le chasser comme Jésus l’aurait fait, mais je capitulai. Je lui
dis que j’étais bel et bien garant de moi-même, mais que je ne pouvais rien faire pour lui s’il ne le
voulait pas. Qu’il avait son propre chemin et que s’il ne croyait pas en nous, il devrait faire comme il
le sentait. Il prit sa décision et me dit qu’il allait repartir au lendemain, vers Campbell River,
retourner vers sa vie de boisson, qu’il allait surement se faire arrêter, encore, et que c’était sa seule
façon de ne pas réfléchir sur lui-même ou sur sa vie. Ensuite, il se mit à réagir comme les personnes
anxieuses que j’avais connues auparavant, c’est-à-dire, il tenta de me faire sentir coupable d’essayer
d’être une bonne personne : « On sait bien, tu n’as rien à te reprocher toi, tu veux toujours aider les
gens, être le meilleur : monsieur parfait qui croit avoir une mission divine, mais tu dois réaliser que
nous ne sommes pas tous comme cela, et que le monde ne fonctionne pas par la bonté ». Encore une
fois, je reconnaissais le même démon, qui utilisait les mêmes arguments, tentant d’inculquer le
mensonge pour faire tomber l’espoir. Mais cette fois-ci, il ne m’affecta pas. Ce démon est si présent
dans notre société, surtout chez les jeunes gens, que de tenter de le combattre ne lui donnerait que la
force nécessaire pour se propager. C’est pourquoi il faut simplement réaliser que si nous avons les
outils nécessaires, avec notre corps, notre tête et notre esprit, c’est possible de le remettre à sa place,
car notre divinité, celle que nous avons oubliée, est plus forte que lui. Cet être parait plus fort qu’il
ne l’est vraiment, car il fait peur et se nourrit de celle-ci par la suite. Malheureusement, la science est
encore au stade de droguer ses victimes pour faire passer l’attaque, alors que l’issue est autant
physique et mentale que spirituelle. Il ne faut simplement plus avoir peur de lui et arrêter d’en être
victime, car si on l’accepte et l’aime, il restera tout ouïe, attendant l’ordre qui le chassera.
J’acceptai sa décision, restant silencieux, lui disant que notre rencontre avait déjà changé la vie de
l’autre de toute façon. Et je ne lui souhaitai que du bon pour l’avenir. Après cette discussion, nous
nous souhaitâmes bonne nuit, alors que je continuais à contempler le ciel étoilé, la lune magnifique,
couché à la belle étoile, sur le toit de la bibliothèque de Courtenay BC. À ce stade, je savais, sans
l’ombre d’un doute, que j’étais au bon endroit, au bon moment, et également sur la bonne voie.
Chapitre 15
Un si grand pays dans un si petit monde

6 septembre 2017

Le réveil fut doux ce matin-là. Bien qu’une fois réveillés, nous devions déguerpir de l’endroit avant
de nous faire prendre. Descendre de ce toit devait se faire discrètement. Je roulai mon sac de
couchage et ma toile imperméable, et les donnai à Jym, alors qu’Eva faisait le tour du toit, regardant
si la voie était libre pour descendre vers la rue. Mon ami, pour sa part, semblait nerveux. Je sentais
la culpabilité bouillir dans ses veines. Celle qui le plaçait entre l’arbre et l’écorce ; sortir de sa zone
de confort vers le chemin libérateur, mais oh combien difficile de la connaissance de soi-même ; et
celui d’une vie trépidante vers l’aveuglement volontaire. Paradoxalement, alors qu’une semble plus
facile que l’autre a priori, à long terme, le chemin vers la connaissance de soi est inévitable, il allait
donc de soi qu’il allait tout de même vivre ses épreuves à sa façon. Bien que j’aurais aimé
l’accompagner quelques jours encore, pour lui montrer que l’épreuve paraissait plus difficile qu’elle
ne l’était réellement. Mais son choix était déjà fait, il ne le changea point, je devais donc le respecter.
Il me glissa un mot pour se justifier, mais je coupai la conversation assez courte. Je me disais que s’il
avait l’intention de changer d’idée avant mon départ, il allait le faire par lui-même, de toute façon. Il
me dit, par contre, que nous pouvions rester ensemble avant de nous séparer. Il voulait aller au centre
communautaire et prendre une douche, comme il ne s’était pas lavé avec moi dans le ruisseau la
veille. Je lui dis que j’allais l’accompagner. Ensuite, nous allions manger un repas gratuit, non loin
de là pour partir par la suite.
Nous fîmes le parcours contraire à la veille. Nous passâmes par le palier. Nous descendîmes les sacs
sur le premier toit, puis, mon ami descendit à nouveau, cette fois-ci directement au sol, alors que je
devais lui donner les deux « back pacs » très rapidement. Quand je m’éloignais un tant soit peu de
Jym, j’avais toujours une petite frousse de le perdre à tout jamais. Mais Eva riait à mes côtés,
imaginant quelqu’un tenter de courir avec Jym sur son dos pour le voler, et ensuite rien n’y trouver
d’intéressant. Bref, cette idée me quitta aussitôt. Nous nous exécutâmes parfaitement, puis je sautai du
toit, fier d’être fort, et fort d’être fier.
Nous nous accompagnâmes, ensuite, vers le centre communautaire de Courtnenay. Mon ami savait où
aller exactement pour se rendre aux douches gratuites. Pour ma part, je le laissai aller et je regardais
autour. Le centre était immense alors qu’une réceptionniste faisait son travail à l’entrée de
l’établissement. Je pris le couloir à gauche et croisai un gymnase ouvert. J’allai tout de suite lui
demander s’ils louaient des ballons de basket-ball. J’avais tellement le gout de jouer, car ce sport
reste l’une de mes échappatoires préférées. La personne manifesta mon bonheur en me répondant
qu’elle prêtait des ballons gratuitement. J’en demandai alors un et, en attendant mon ami, j’allai
lancer mon ballon dans les paniers, courant pour aller le chercher, oubliant tout pour quelques
minutes, pour exercer ce sport qui fait partie de ma vie depuis si longtemps.
Je réfléchissais, en même temps, sur les services communautaires offerts. Je me disais que c’était
triste que le système priorise, de plus en plus, les services privés et l’argent, car l’initiative d’offrir
des douches et un gymnase gratuit était, pour moi, quelque chose qui changeait complètement ma vie
en ce moment. Je me disais que si nous nous concentrions davantage, en tant que communauté, sur les
services offerts à la population, pour le bienêtre de celle-ci et non pour faire fructifier un
portefeuille, nous serions mieux et davantage fiers de notre dite communauté. Et la tendance en
politique était, de plus en plus, à traiter son pays comme une entreprise, alors que le rôle de celle-ci
est, à la base, de trouver une façon de donner une qualité de vie à ses citoyens, et non de faire
fructifier l’argent d’un portefeuille virtuel dans le but, jamais vraiment accompli, de peut-être
redonner aux citoyens, s’il en reste. Surtout si le citoyen est encouragé fortement à travailler au
maximum pour donner la moitié de son salaire à l’État.
Je fus dans ma bulle pour un moment, alors que mes converses semblaient à la fois contentes, mais
éprouvés par l’épreuve à laquelle je les soumettais. Après un moment, je me retournai et mon ami
était à l’intérieur du gymnase, à mes côtés. Il se mit à participer à mon activité, bien qu’il jouât
quelque peu à l’adolescent qui se fout de tout. Alors que je tentais d’utiliser les différentes techniques
de ce sport, quand il attrapait le ballon, pour sa part, il le lançait n’importe comment, de n’importe
où, simplement le plus fort possible. Je me disais qu’au moins, il se défoulait. Je le laissai faire un
instant, puis nous partîmes vers un centre de service où un repas gratuit était offert. Mon ami voulait
passer par la bibliothèque pour utiliser internet et aviser ses amis qu’il allait revenir à Campbell
River. Je le laissai là, alors que je continuai ma route vers notre prochain point de rencontre, pour
partager un dernier repas et pour nous quitter par la suite.
Je me rendis là seul. Pour être franc, ça faisait du bien de retrouver cette si douce solitude. Je n’avais
été seul qu’à peine quelques heures, depuis que j’avais rencontré mon ami et son autobus, à
Castelgar, une semaine auparavant. Je me consolais en me disant qu’au moins, j’allais flirter avec la
solitude pour aller vers Tofino, et surtout, que c’était l’occasion de ne me concentrer que sur moi-
même. Je marchai dans les rues de Courtenay alors que le soleil continuait de plomber sur moi.
Depuis le début de mon aventure, j’avais été si chanceux. Je me rappelais vaguement que j’avais
connu une ou deux journées de pluie, mais ça faisait maintenant cinq semaines que j’étais parti et je
me sentais complètement appuyé par la nature.
Je passai par un cordonnier pour faire raccommoder mes sandales rapidement, car elles en avaient
besoin. Ensuite, j’allai à l’endroit propice à manger gratuitement, alors que le repas n’était pas
encore prêt. Plusieurs personnes attendaient patiemment à l’extérieur. J’ai pu reconnaître quelques
visages familiers. « Jet Cloud », entre autres, y était avec son jeune ami. L’homme qui avait été
quelque peu désagréable, la veille, aussi. Personne ne semblait pourtant me reconnaître. Je
commençais à réaliser que ces gens vivaient tellement dans le moment présent qu’ils pouvaient
oublier l’essentiel : l’amour d’un inconnu à l’autre et c’est exactement ce que mon amie m’avait
signalée à Sault-Sainte-Marie Je restai dans mon coin, j’étais étendu au soleil, je fis ma routine de
yoga tranquillement. Puis, à l’heure où les portes ouvrirent, mon ami arriva. Il était plus loin en ligne,
derrière moi, et discutait avec des gens qu’il connaissait. Je le laissai faire. J’allai voir ce qui était
au menu. Cependant, bien que tout avait l’air délicieux, je décidai de ne prendre que quelques petits
trucs pour emporter ; des sandwiches et des bouteilles d’eau. J’avais si hâte de continuer ma route. Je
me dirigeai ensuite vers mon ami pour lui dire adieu et le serrer dans mes bras. Je lui dis que je
l’aimais et partis.
J’allai ensuite sur la route principale, près de l’entrée la plus proche de l’autoroute, je n’y attendis
qu’à peine cinq minutes avant qu’un véhicule ne s’arrête, me laissant entrer. J’avais gardé l’écriteau
qui mentionnait que je voulais me diriger vers Tofino. C’était la première fois que « j’auto-stoppais »
en affichant une destination et en étant sûr d’où j’allais terminer la journée. Après tout, Tofino restait
la derrière étape avant de penser à revenir sur mes pas.
L’homme à la barre de son véhicule me dit de monter. Il ne me demanda pas où j’allais, bien entendu.
Mais je lui racontai quand même que c’était la première fois que je savais réellement où j’allais. La
première fois que j’avais une destination. Il m’avoua qu’il n’allait pas très loin, mais qu’il allait me
porter à une intersection entre les deux routes principales de la région pour que je puisse trouver plus
facilement un autre moyen de transport. Puis, au bout de quinze minutes, il me déposa, me souhaitant
bonne chance pour l’avenir. Je trouvai l’homme, dans la trentaine, fort sympathique. Je le remerciai
grandement et le vis repartir lentement pour voir son auto disparaître au loin.
J’attendis, encore une fois, environ quinze minutes, avant de voir une autre auto s’arrêter. Je me
sentais si chanceux, comme si ça allait simplement de soi que j’allais avancer, sans réellement faire
d’effort supplémentaire. Je crois que l’univers avait, déjà là, eu la preuve de ma volonté d’avancer et
la respectait. Un petit monsieur dans la cinquantaine, cheveux grisonnants, sortit du véhicule. Il ouvrit
son coffre-arrière qui était plein à craquer. Il prenait des effectifs, des sacs, des boîtes et les
transférait sur la banquette arrière de l’automobile. Puis nous compressâmes Jym dans la valise du
véhicule, alors que la banquette était toute aussi pleine. Je pris, ensuite, place à bord, et nous
partîmes.
Tout de suite, nous nous trouvâmes très intéressants. L’homme était issu du domaine des
communications, tout comme moi. Il avait été journaliste une bonne partie de sa vie. Nous parlâmes
du domaine, plutôt en surface, au début. J’aimais toujours commencer en marchant sur des œufs.
Premièrement, parce que parler des médias, de la politique, des entreprises d’alimentation ou
pharmaceutiques était très délicat, mais j’aimais d’abord écouter les gens, pour savoir ce qu’ils en
pensaient, avant d’émettre une opinion, au besoin. Il me confia que l’industrie de la nouvelle avait
beaucoup changé depuis plusieurs années, et qu’une chance que les réseaux sociaux nous montraient
d’autres alternatives que les médias traditionnels pour que nous fassions notre véritable devoir de
citoyen, celui de s’informer. Par contre, il fallait seulement user de discernement face à chaque
nouvelle que l’on peut voir ; média conventionnel ou non. Car chaque diffuseur, derrière les
nouvelles, a des objectifs assez concrets. Nous étions au moins sur la même page.
Nous parlâmes, par la suite, de l’opinion populaire générée par ces médias. C’est ce qui clochait le
plus à mon avis. Car, malheureusement, si l’on remontait l’histoire même de la création des médias et
de son évolution, on pouvait facilement voir que la diffusion des nouvelles et même des œuvres
plutôt récréatives avait souvent été utilisée pour forger l’opinion des gens. La guerre froide n’était
toujours pas terminée, par exemple, que le cinéma américain mettait le Moyen-Orient comme
prochain ennemi. L’évolution de la radio durant la Deuxième Guerre mondiale montre que beaucoup
ont utilisé l’outil pour convaincre les différents peuples de certaines idéologies. Et bien avant, au
moyen âge, on engageait des chanteurs publics pour vanter les mérites des massacres des rois
victorieux. Plus récemment, on peut voir la surimportance de l’apparence physique et de l’argent
investi particulièrement dans les médias durant une campagne électorale et la façon dont cela
influence directement le résultat des votes, depuis JFK. Pour ma part, j’avais appris à l’université
que les médias étaient le quatrième pouvoir de l’État, peut-être même plus puissant que les trois
autres et qu’ils jouaient un rôle principal dans l’élaboration d’un programme politique. Bref, à l’air
où on entend parler de « Fake news » alors qu’on croit qu’il faut simplement jeter un regard critique
sur les petits médias, il faut surtout également remettre en question les grosses boîtes commerciales
qui, en traitant des sujets à leur façon, transforment les nouvelles qui sont véridiques à la base, mais
trop transformées par la suite. De plus, ces gros joueurs utilisent trop la peur, à mon avis, pour
prouver que l’humain est épeurant et que le système est pourvoyeur, alors que j’étais en train de
démontrer le contraire. Car le système n’est rien, s’il ne peut nous contrôler.
Je devais faire attention en parlant de ces choses, mais l’homme était malheureusement trop d’accord
avec moi. Des fois, quand je parlais de politique ou des médias, je pouvais sembler trop près de la
théorie du complot. Mais encore, le but était seulement de parler de failles du système, sans trop se
faire une place de choix dans le train de la peur. Je lui avouai également que c’est ce qui m’avait
poussé loin du domaine médiatique et de l’animation radio. Que j’étais toujours un peu mitigé entre
ce que je voulais dire et ce qu’on me disait de dire. Et que les deux ne faisaient pas bon ménage
ensemble.
Nous parlâmes comme cela pour une bonne heure, avant qu’il ne me dise qu’il devait maintenant
prendre un autre chemin. Il me donna quelques sites internet pour m’aider à trouver de saines
nouvelles. Il me suggéra encore une fois de faire mes propres recherches et de créer mes propres
opinions. Je le remerciai et lui souhaitai le mieux. J’étais si content d’avoir eu ce genre de
conversation avec un inconnu. J’avais l’impression que tous les gens que je rencontrais avaient leur
rôle à jouer dans mon histoire, comme j’avais le mien dans la leur. Je le remerciai encore, mais il me
dit d’attendre, car il devait ouvrir lui-même le coffre arrière du véhicule.
En sortant du véhicule, un « camper van » bleu passa tout près de nous. La valise de l’auto n’était
toujours pas ouverte, mais, rempli d’espoir, je levai le pouce pour demander ma prochaine « ride »
au conducteur de celle-ci. La camionnette se rangea aussitôt devant le véhicule de l’homme qui
m’avait aidé. Je regardais les deux véhicules arrêtés, l’un après l’autre aux abords de l’autoroute,
juste pour moi. Je me sentais si chanceux. Les deux conducteurs s’échangèrent quelques mots, alors
que je prenais mon sac pour le transférer d’un inconnu à l’autre. De plus, c’était une très jolie femme
d’à peu près mon âge qui conduisait la camionnette bleue. C’était mon jour de chance. L’homme
signala à la femme que j’étais un très bon accompagnateur. Il me remit, ensuite, vingt dollars et me
souhaita bonne chance. J’étais tout simplement sans mot. J’embarquai à bord du « Camper Van » et
ma conductrice me confirma que nous nous rendions directement à Tofino. Quelle chance j’eus en
cette magnifique journée estivale, si ce n’était que la chance qui s’occupait de moi.
Je n’avais pas vu beaucoup de « camper van » dans ma vie, mais celui-ci avait une essence
clairement féminine. La jeune femme, blonde, très jolie, habillée d’une salopette et d’une casquette
portée à l’envers, semblait assez réservée. Elle me dit, d’abord, qu’elle était contente d’avoir tout
rangé dans le véhicule, car elle ne se serait surement pas arrêtée. D'autant plus que ce n’était pas dans
ses habitudes d’arrêter pour des inconnus. Puis, elle augmenta le volume de la radio, de sorte que
nous n’avions pas beaucoup à parler. Quand je lui posais des questions, elle se contentait de ne
répondre que par de courtes réponses. J’avais déjà compris comment agir avec elle, mais c’était plus
fort que moi, j’avais le gout de parler. Elle me confia que nous allions prendre notre temps avant de
nous rendre à Tofino, car elle avait quelques emplettes à faire. J’étais complètement d’accord avec le
plan de match.
Pour sa part, elle était une habituée de l’endroit, de ce voyage vers Tofino et du sport qu’on y
pratiquait. Tofino est reconnue pour être une ville de surf et mon hôte s’était donnée à ce sport il y
avait déjà quelques années. Elle voulait justement magasiner les « Wet suits » ainsi que d’autres
accessoires. Elle regardait même, peut-être, pour une nouvelle planche. Pour ma part, je lui dis que si
j’avais la chance d’essayer, j’allais le faire. Elle me suggéra de m’y mettre plus sérieusement, car
seulement qu’essayer était inutile. Le sport était si difficile à apprivoiser, au début, qu’il fallait s’y
mettre pour plusieurs heures avant seulement de pouvoir grimper sur la planche. Elle me fit hésiter,
mais je voulais voir si j’allais avoir une opportunité d’apprendre. Sinon, ce n’allait pas être plus
grave, car même si beaucoup de gens allaient vers Tofino pour ce sport, je sentais que cette ville était
propice à diverses opportunités et surtout à diverses rencontres.
Je me disais, au fond de moi-même, que j’allais craquer cette magnifique jeune femme qui avait
choisi d’arrêter sa maison roulante pour moi. Elle était réticente à s’ouvrir certes, mais je prenais ce
qui passait et nous avions au moins deux heures de route à faire ensemble, sans compter les différents
arrêts en chemin. Nous nous arrêtâmes, justement, à une petite boutique d’équipement de surf, recluse.
J’y entrai avec elle, même si je lui laissai l’espace dont elle avait besoin. Je lui posai une ou deux
questions, mais sans plus, respectant qu’elle eût prévu de faires ses propres affaires. Je voulais
respecter son désir de solitude, car je sentais que ce moment, celui qu’elle vivait au moins une fois
par année, celui-là même qui la faisait décrocher de la vraie vie pour l’amener dans son paradis
sportif, était la première marche de l’escalier de son échappatoire et la plus importante à vivre seul.
Car c’était l’étape, pour elle, qui faisait le lien entre la vie qu’on nous impose en tant qu’humain, et la
vie que nous devrions tous vivre ; vivre seulement pour vivre et non pour seulement survivre. J’allai
donc dehors, sous le chaud soleil, l’attendant tout près de sa maison mobile.
Trente minutes plus tard, je la vis sortir, le sourire aux lèvres, et venir vers son « campervan » bleu.
Elle avait un petit sac dans les mains. Elle n’avait pas trouvé ce qu’elle voulait, mais était ressortie
avec quelques petits accessoires de vacances. Encore une fois, elle s’exprimait avec peu de mots.
Puis nous repartîmes. Trente minutes passèrent encore. Nous vîmes un marché où nous nous
arrêtâmes. Elle me dit qu’elle allait magasiner et me demanda de la retrouver au véhicule dans une
heure trente. Je compris le message rapidement ; elle voulait encore être seule. Avant de partir, elle
me rassura, me disant de laisser Jym dans le camion. C’était aussi un message subtil pour me dire
qu’elle voulait toujours de ma compagnie. Je la sentais indépendante et inexpressive, comme un
homme, alors que moi j’étais ouvert et communicateur comme une femme. C’était le monde à
l’envers. Elle verrouilla alors le véhicule et partit de son côté.
L’endroit était publicisé par une image de chèvre. Je trouvais quand même l’idée ridiculement drôle.
Plus on s’approchait de Tofino, plus tout avait rapport au surf. La plupart des magasins, des
commerces, des kiosques où j’étais avaient pour thème soit le surf, soit le mode de vie zen, soit le
climat tropical. Et voilà qu’on annonçait le marché avec des chèvres ? Je me dirigeai directement
vers un kiosque de fruits et légumes et j’achetai différents articles pour manger immédiatement. Quoi
de mieux que de manger des fruits, dans une ambiance tropicale, sous le chaud soleil canadien ? Je
levai la tête et compris l’essence de l’endroit quand j’aperçus des chèvres se promener sur le toit
d’un des édifices. Tout avait maintenant du sens à mes yeux. Je continuai alors à me promener, d’un
endroit à l’autre. J’achetai de l’encens himalayen, puis, au bout d’une heure, je retournai près du
véhicule, m’accotai sous un gros arbre et fermai les yeux pour instant. C’était comme si j’étais au
même endroit, mais comme si je n’avais plus de corps. J’entendais les gens passer, les animaux, la
nature. C’était comme si j’étais toujours présent, mais qu’à la fois, je n’étais plus. J’étais bien.
Trente minutes plus tard, j’entendis la porte de son véhicule s’ouvrir. Elle regardait autour pour voir
si j’y étais. Je lui fis signe de la main et me dirigeai vers elle. Elle me demanda si j’étais prêt à
partir. J’étais toujours intrigué quand les gens me demandaient mon avis ou mon consentement pour
valider leur itinéraire. Pour ma part, je surfais sur l’itinéraire des gens, d’un inconnu à l’autre, et
j’avais à m’adapter. Mais la majorité des gens étaient si ouverts à me considérer comme un
compagnon plutôt qu’un boulet. Pour moi, un si petit détail mettait la limite entre le sentiment d’être
obligé d’aider son prochain, et celui de le faire naturellement, pour s’unir et être plus fort pour un
moment. Et pour moi, c’était simplement une bénédiction de voir que les gens qui m’aidaient le
vivaient d’une façon qui allait de soi. Comme si aider son prochain n’était pas une obligation, mais
plutôt un geste naturel, qui venait de l’intérieur de nous-mêmes, même d’un inconnu à l’autre.
Nous partîmes donc, vers Tofino. Il nous restait environ une heure à faire avant de nous y rendre. En
route, elle me demanda ce que je faisais dans la vie, car elle avait bien vu que je n’étais pas le genre
de personne qui vivait de cette façon en permanence. De plus, les hivers canadiens sont assez forts et
tout le monde a besoin de gagner un peu d’argent, au moins ici et là, pour survivre à ce monde si
difficile. Je lui expliquai que j’étais un homme de communication. Que j’avais touché à plusieurs
branches de ce domaine ; toutes les sortes d’animation imaginable en passant de l’animateur radio à
la mascotte ; le marketing, l’écriture, l’événementielle, la coordination de projet et même un joli
détour de six mois comme guide en Italie. Peut-être était-ce de la façon dont j’en parlais, mais tout le
monde semble assez stupéfait par ce que j’avais pu entreprendre dans ma vie. Mais la réaction des
employeurs avait toujours été différente de celui du public. Je m’étais toujours senti manquer de
qualification, quand venait le temps de postuler pour des postes stables et répétitifs. En fait, je n’ai
jamais vraiment réussi à mettre les mots justes pour décrire ma vie professionnelle éclectique.
Nous en parlâmes un peu, puis tout ce qui avait dû être dit fut dit. Rien de très profond n’avait été
échangé, mais, je sentais que ce bref échange l’avait ouvert à discuter, comme si nous nous étions
rapprochés. Je lui posai alors des questions sur sa vie professionnelle. Elle avait gradué des sciences
sociales ; en psychologie plus précisément. Mais sans avoir des études plus poussées, elle ne pouvait
pas devenir psychologue. De plus, clinique ou non, la vie dans un bureau et ne vivre que pour son
travail l’ennuyait vraiment. Elle avait choisi celle de vivre de fruits de la nature, de cueillir des fruits
à l’ouest, celle de planter des arbres quand elle le pouvait. Puis, celle de prendre des vacances,
quand elle le voulait, pour surfer à Tofino. Bien que sa mère, qui était tout comme elle, comprenait
ses choix de vie, son père, qui était tout comme elle également ; homme de peu de mots, la laissait
faire, ne pouvant faire autrement que d’exprimer parfois son mécontentement. Il savait qu’elle était
heureuse et c’était l’important. Elle me raconta également qu’elle devait la belle couleur bleue de son
véhicule à son père, avec qui elle l’avait tout juste repeint. Ce qui était beau à entendre était le fait
qu’elle semblait davantage fière de parler du merveilleux moment qu’elle avait passé avec son père
que de la beauté de son véhicule, et c’était tout à son honneur.
Par la suite, je continuai la conversation, la dirigeant ici et là, alors que je voyais les affiches qui
indiquaient que Tofino était de plus en plus près. Mon accompagnatrice me décrivait un peu les
alentours, me disant qu’il y avait des forêts tropicales avec de géants arbres, à voir absolument dans
les environs. Je lui avouai que je voulais, sans faute, visiter l’une de ses forêts, que c’était
pratiquement un objectif secret que j’avais depuis mon départ. Elle s’excusa alors de ne pas s’y
arrêter. Avec le plus apaisant des sourires, je lui dis que si la vie voulait m’y emmener, elle allait le
faire sans aucune équivoque. Je ne m’inquiétais pas pour ce genre de détails et mon voyage n’allait
pas être décrit par tout ce que j’allais manquer, mais par tout ce que j’étais en train de vivre. Ma
complice était tout simplement d’accord.
Nous continuâmes à discuter d’elle et de moi durant un moment. Je lui confiai que nous nous
ressemblions beaucoup, elle et moi. Mais qu’alors qu’elle était en quête de questionnements plutôt
professionnels, pour ma part, c’était une séparation amoureuse qui m’avait mené sur son chemin. Elle
savait déjà que ma carrière n’était pas tout à fait au centre de mes préoccupations. Je lui racontai
alors les bons et les moins bons côtés de mon ancienne vie. Après un moment, je lui demandai qu’en
était-il pour elle ? Entre sa vie ici et sa province natale dans les prairies ; entre ses désirs et ceux de
ses parents ; entre vivre au jour le jour et planifier un avenir, familial peut-être, y avait-il un homme,
ou une relation amoureuse qui y dormait quelque part ? Elle me répondit catégoriquement que non.
Elle avait vécu une relation lourde dans la jeune vingtaine, assez pour lui enseigner qu’elle pouvait
faire son propre bonheur, seule. Par la suite, elle l’avait simplement fait à sa façon. Elle m’avoua
également que planifier une vie stable, une famille, un copain, ne l’avait jamais vraiment intéressé.
Même qu’elle avait du mal à comprendre la moyenne des femmes qui ne s’accrochaient qu’à ce rêve.
Nous savions, tous les deux, que ce n’était pas une mauvaise aspiration en soi, mais que ce n’était pas
fait pour elle ni pour moi d’ailleurs.
Nous étions maintenant tout près de Tofino. Nous n’avions pas arrêté de discuter plus
personnellement depuis plus d’une heure. Je sentais que nous avions passé d’inconnu à amis en peu
de temps. Elle s’était ouverte à moi, dans la dernière heure, et j’avais l’impression que les barrières
étaient tombées. Elle s’excusa, par contre à nouveau, car elle devait me laisser un peu avant le
centre-ville de Tofino, si elle voulait directement aller à la plage du milieu. Elle me conseilla de
continuer vers la ville. Elle m’expliqua un peu les environs, et les diverses plages à proximité. Puis,
elle me suggéra un endroit qui se nommait « Pool’s land » où je pouvais dormir et rencontrer des
gens intéressants. Je la remerciai, lui dis que je l’aimais, puis quittai. Avant de partir, elle me dit
qu’ici, c’était le paradis du voyageur, et que j’allais avoir des moyens de transport faciles. Je la
remerciai encore une fois, puis nous nous quittâmes.
Je m’installai sur le bord de la route et, encore une fois, je dus n’attendre que cinq minutes avant que
quelqu’un ne s'arrête. Deux femmes amoureuses m’embarquèrent. Comme à l’habitude, également,
pour ma dernière « ride » de la journée, j’étais installé sur le banc arrière du véhicule, même si
Tofino était tout simplement à dix minutes de là. Nous discutâmes, je leur racontai rapidement mon
histoire, simplement dans le but de leur dire qu’ils étaient les toutes dernières personnes à
m’embarquer, de Montréal à Tofino, sur le pouce, et que je me sentais si bien. Elles étaient contentes
d’êtres spéciales à mon histoire. Peu de temps après, elles me laissèrent près d’un café, au centre de
la merveilleuse ville tropicale de Tofino.
Le ciel s’était ennuagé, et je savais qu’on prévoyait des températures plus maussades pour les
prochains jours. Je savais que cela, pour moi par contre, n’allait pas affecter l’exotisme de l’endroit.
J’entrai au premier café que je vis, je voulais avoir une bonne dose de caféine, car il était maintenant
temps, pour moi, de trouver un endroit où dormir. Je bus un café tranquillement, branchant mon
téléphone qui ne voulait qu’à moitié coopérer. Puis, au bout d’une heure, alors que les nuages
cachaient complètement le commencement du coucher du soleil, je sortis de ce petit commerce. À ma
grande surprise, au loin, un groupe de gens m’envoyait la main et criait vers ma direction. Je venais
d’arriver dans cette ville, je ne connaissais absolument personne, pourtant, je reconnus ce groupe de
Français que j’avais croisé que quelques minutes, quelques semaines auparavant à Fernie. J’avais
l’impression que le destin était tellement emballé par mon histoire qu’il ne me laissait aucunement le
temps de relaxer, ou même d’écrire, entre deux aventures. C’était tout simplement l’une après l’autre.
J’allai les rejoindre, ils m’avaient reconnu aussitôt. Nous n’avions que discuté dix minutes pourtant, à
mon entrée en Colombie-Britannique. J’étais surpris, mais reconnaissant.
Alors que j’avais rencontré trois d’entre eux à Fernie, ils étaient maintenant 5 : quatre Français, un
Suisse francophone, et maintenant un Québécois ; moi, qui m’ajoutais à eux. Ils me dirent qu’ils
savaient où aller pour dormir sur une plage, même si nous n’avions pas le droit. Pour une fois, je
pouvais comprendre le règlement, car il devait y avoir un volume innombrable de gens qui dormaient
n’importe où dans cette ville. Nous partîmes alors, les six ensembles, six personnes avec six sacs à
dos de voyage, nous suivant, vers cette plage où nous allions dormir.
J’arrêtai acheter des bières que je voulais partager avec mes tout nouveaux amis. Nous croisâmes un
Québécois qu’ils avaient rencontré la veille. Je me sentais en terrain familier. Il nous invita à rester
avec lui à « Pool’s Land ». C’était dix dollars par jours pour avoir un terrain où y monter ma tente.
Nous refusâmes, car nous avions tous dans l’optique de ne pas payer. Nous le saluâmes ensuite, lui
disant que nous allions le voir au lendemain. C’était assez étrange pour moi de rencontrer autant de
gens francophones en si peu de temps. J’ai dû parcourir le deuxième plus grand pays au monde de
long en large en me débrouillant en anglais, pour arriver à l’autre bout, et y parler majoritairement
français. J’étais agréablement subjugué.
Nous nous trompâmes de chemin, allongeant le temps pour nous rendre à destination, si bien que la
nuit était tombée et qu’il commençait à pleuvoir de plus en plus fort. Je me demandais si je devais
couvrir Jym avec ma toile imperméable. Nous entrâmes dans la forêt pour continuer notre chemin et
les arbres nous couvraient des gouttes d’eau qui s’abattaient sur nous. Puis, nous arrivâmes.
La plage était grande, déserte et donnait directement sur l’océan Pacifique. J’étais tout simplement
impressionné. Mais la pluie tombait de plus en plus fort et nous devions réagir. Je détachai alors,
tous les élastiques de mon sac, celles qui tenaient ma tente, ma toile, mon oreiller et mon sac de
couchage, et je laissai tout au sol, sous un arbre. Puis je grimpai facilement les arbres autour, et j’y
accrochai mon immense toile en hauteur. Nous mîmes tous nos équipements sous celle-ci, alors que
mes amis commencèrent à cuisiner. J’étais content d’avoir une toile aussi grande, pensant auparavant
qu’elle l’était peut-être trop, j’étais satisfait de savoir que sa taille n’était que parfaite.
J’étais encore un peu surpris de déjà me retrouver au sein d’un autre groupe et de collaborer aussi
facilement avec eux. Je m’ouvris une bière, et distribuai le reste de la caisse à mes amis, puis nous
mangeâmes des pâtes. Sur cette plage, sous la pluie. C’était délicieux.
Puis, nous bûmes un peu de rhum. Nous nous entendions si bien. Nous montâmes chacun nos tentes
respectives, alors qu’il ventait beaucoup et qu’il pleuvait. Les uns aidaient les autres, comme une
communauté devait le faire, en j’en faisais partie. Et tout semblait en ordre. Jym tenait ma tente en
place. Nous étions tous assis en rond, sur la plage, et commençâmes à créer de la musique avec nos
bouches. Comme j’étais bassiste, je fis la ligne de basse qui était composée de « Pom » et de
« Bom » alors qu’un autre faisait la boîte à rythme. Nous contribuâmes tous à un petit concerto, mené
par l’un de ses Français qui sortit un carnet de ses poches pour rapper ses dernières compositions.
C’était un moment de création parfait. Nous ne nous demandions pas ce que nous étions en train de
faire, nous savions que nous étions amis, que nous créions tous ensemble, et c’était la beauté de la
chose. Après un moment, nous étions tous fatigués, et j’allai rencontrer Morphée, aux côtés de Jym et
d’Eva dans ma tente, alors que mes nouveaux amis continuaient à festoyer sous le puissant effet du
rhum, sur cette plage, devant l’océan Pacifique.

7 septembre 2017

Je me levai ce matin-là, en pleine forme, Eva également. Pour sa part, Jym, avait été si utilisé qu’il
n’était qu’une partie de lui-même, avec moi dans la tente. Car ma toile, la tente elle-même, les
élastiques, mes chaudrons et d’autres pièces d’équipements étaient restés à l’extérieur, sous la pluie,
au sein du campement. Je sortis de ma tente le premier. L’air était doux, le temps était clément, mais
le ciel ennuagé. Il ne pleuvait plus, certes, mais nous pouvions nous attendre à recevoir quelques
gouttes d’eau durant la journée. Ironiquement, mon voyage avait été très majoritairement ensoleillé,
alors que j’étais surpris d’arriver au royaume canadien de la plage, sous un temps inopportun.
Je me dirigeai tout près de l’eau, à quelques dizaines de mètres du campement et une énorme boite de
bois était installée sur la plage. On aurait dit que l’objet avait été placé là directement pour m’inviter
à une méditation matinale. Je me dirigeai alors vers elle, adoptai encore la position du lotus, et me
laissai porter par le bruit de vagues de ce merveilleux océan Pacifique, avec qui j’initiais une
relation. J’y restai pour quelques dizaines de minutes, puis, je me levai et reparti vers le campement
alors que je vis mon nouvel ami suisse préparer du thé. J’allai le rejoindre calmement.
Nous n’étions seulement qu’heureux d’apprendre à nous connaître et nous nous sentions bien. Nous
bûmes un peu de thé alors que des gens passaient sur la plage ; l’un avec son chien. Plus tard, une
jeune femme eut la même idée que moi, car je me retournai et constatai qu’elle méditait sur la même
boîte qui m’avait accueilli quelques minutes auparavant. Je sentais une connexion avec cette
personne, car d’une certaine façon, nous partagions la même énergie en même temps. J’allumai un
encens et retournai vers elle, le déposant sur la boîte. Toujours les yeux fermés, mais affichant un si
joli sourire, elle me chuchota « Thank you ». Je retournai vers mon ami.
Je lui confiai que j’avais l’impression que cette immense boîte de bois, déposée sur la plage de
Tofino, était seulement là pour accueillir les visiteurs qui voulaient être aux premières loges du
miraculeux spectacle que l’océan offrait en tout temps. Mon ami suisse enchérit en m’expliquant que
la boîte n’était pas là la veille, et qu’ils ne savaient pas comment elle en était arrivée là, sauf par
l’océan lui-même. Peu de temps après, nous vîmes le gardien de cette nature marcher sur la plage et
se diriger vers la boîte. Il se grattait la tête et semblait se demander comme cette immense boîte de
bois avait bien pu apparaître ici, mais aussi, comment il pouvait bien s’en débarrasser rapidement.
Pour ma part, je croyais simplement au miracle.
Ensuite, il se dirigea vers nous et d’un ton presque agressif, il nous dit que nous n’avions pas le droit
d’établir un campement ici, et que nous étions passibles d’une amende de mille dollars chacun. Nous
l’écoutâmes, bien que nous sachions que son pouvoir sur nous s’arrêtait avec ces mots. La plage était
immense et déserte, nous avions déjà tout ramassé nos déchets, nous étions maintenant tous debout, il
ne nous restait qu’à ranger nos tentes, mais c’était quand même le règlement.
Soudainement, je réalisai que je fusse maladroit. Maladroit d’avoir installé un campement sans avoir
réfléchis aux conséquences que l’eau de pluie avait sur mon matériel, mais aussi sur la motricité de
mon campement. Tout était trempé, sauf l’intérieur de mon sac, donc c’était une victoire en soi. Mais
le fait d’avoir été sur une plage, sous la pluie, rendait très difficile la réorganisation de mon matériel.
Le sable collait littéralement partout. L’intérieur, l’extérieur de la tente, l’extérieur de mon sac, la
toile, tout était si boiteux. De plus, il était d’autant plus dangereux de grimper dans des arbres
glissants pour récupérer mes courroies élastiques qui attachaient ma toile. Mai, je le fis, prenant mon
temps et ma sécurité en main. Une fois terminés, nous partîmes vers le Centre-Ville de Tofino.
Nous avions pour but de recommencer notre petit concerto de la veille, tous ensemble, de s’appliquer
pour peut-être recevoir un peu d’argent et se faire une petite bouffe en soirée. Nous allâmes tout
d’abord vers un café, encore une fois pour charger nos téléphones, et pour avoir une petite dose de
caféines. Par la suite, toujours les six ensembles, nous allions plus loin, près d’un super marché où il
y avait une petite terrasse et des tables à pique-nique. Le groupe me montrait un bel exemple de
travail d’équipe. Ils étaient toujours en train de se séparer et de revenir. Chaque fois que le groupe en
tant qu’entité avait besoin de quelque chose, ils distribuaient naturellement les tâches, les exécutaient,
puis se rassemblaient par la suite. Bien qu’il fût normal de ne pas s’entendre tout le temps, on voyait
qu’ils étaient tissés serrés ; une vraie équipe.
Alors que certains tentaient de voir sur quoi ils pouvaient recréer des bruits musicaux, l’un d’entre
eux, le plus petit, mais au look original, sortit un jeu de tarot. Pour lui, même si c’était lui le parolier
du groupe, il n’était seulement que plus simple d’installer son « Deck » et de tirer les cartes pour une
contribution volontaire. Je lui donnai de l’encens, pour l’ambiance. Puis, nous discutâmes de
l’implication du jeu de tarot. Alors que, pour moi, le jeu signifiait de demander une guidance à une
force non expliquée par le fruit du hasard, pour lui, la science du jeu de tarot était très terre-à-terre,
et c’est ce qu’il expliquait à ses futurs clients. Il expliquait seulement que l’on pouvait trouver un
miroir dans chaque carte et que notre esprit se guidait lui-même, à travers certaines explications
enfouies dans son propre subconscient. D’un côté ou de l’autre, l’explication n’était pas liée au
résultat, il fallait donc lui faire confiance. Pour moi, c’était une épreuve spirituelle, pour lui, c’était
plutôt une épreuve psychologique.
Puis, une jeune femme, blonde, petite et rayonnante, de grands yeux curieux, portant une immense
caisse d’un instrument de musique inconnu, arriva, intriguée par nos activités. Après avoir échangé
quelques mots, les deux constatèrent que nous étions tous francophones. Pour sa part, elle venait de la
région de Sherbrooke au Québec, ce qui m’emballa profondément. Mon ami commença son jeu de
cartes, alors que je l’écoutais attentivement. Tout en se voyant dans les cartes, elle racontait son
histoire. Elle avait littéralement tout laissé de côté pour vivre de ses prestations musicales. Elle
jouait du violoncelle et s’était sentie appelée, tout comme moi, vers la route, pour y écouter son cœur
et pour apprendre de la vie elle-même. La seule différence avec ma situation était que j’avais été
chanceux de réaliser mes objectifs avant de les expérimenter, alors qu’elle, comme la majorité des
gens qui entreprennent cette aventure, les apprenait « sur le tas ».
Elle racontait son histoire, et je laissai mon ami faire son travail, après tout, c’était son moment. Mais
c’était plus fort que moi, quand je sentais que je devais intervenir, que je devais lui parler, j’ajoutais
mon grain de sel. Son énergie émanait une si belle couleur artistique, comme si c’était la musique
elle-même qui pompait son cœur. La passion avec laquelle elle parlait me charmait sans équivoque.
Elle abordait les mêmes thèmes que ceux que j’aborde présentement : La conquête de soi-même, la
spiritualité, le destin, les bonnes vibrations, l’amour, trouver son rôle dans l’univers et surtout
s’aimer les uns et les autres. Je me sentais appelé par son discours et j’espérais avoir la chance de
pouvoir lui montrer que nous étions plus proches, elle et moi, qu’elle ne pouvait le penser. Pour
l’instant, elle semblait captivée par le jeu de tarot et c’était tout à son honneur. Je les laissai donc
discuter, attendant patiemment mon tour.
Quand ils eussent terminé, mon ami français lui demanda de jouer un morceau en retour. Elle accepta
avec le plus chaleureux des sourires. Puis, elle sortit son merveilleux instrument. J’étais d’autant plus
emballé, car le son du violoncelle était l’un de mes préférés. Elle expliqua que son instrument n’était
véritablement pas le meilleur de sa catégorie, mais qu’il faisait le travail et qu’elle y était attachée.
De toute façon, le talent est toujours plus important que l’instrument après tout. Elle se mit à se
réchauffer un instant pratiquant rapidement quelques gammes, elle prit une longue respiration, puis
une courte pause. Elle s’exécuta, ensuite, d’une chanson classique. Le son de sa musique était si doux
à mon oreille que je fermai les yeux pour mieux le contempler. Les gens s’arrêtaient dans la rue, car
la musique, d’elle-même, expliquait son histoire tout en nous berçant. J’étais envouté. Puis elle
termina.
Bien que nous fussions au beau milieu d’une ville occupée, c’était comme si le silence s’était installé
autour de nous. Nous étions tous sereins, comme si le temps s’était arrêté pour nous donner une
pause, pour un moment. Si la musique se savoure par ses silences, nous étions à son apogée, sur un
point d’orgue. Puis, le temps reprit son cours.
Nous la félicitâmes tous pour son talent et, bien sûr, la remerciâmes pour le si doux cadeau qu’elle
venait de nous donner et pour celui d’accepter de rester avec nous pour un moment. Quelques
personnes natives passèrent, intriguées par le jeu de tarot, ils demandèrent à mon ami français de les
tirer. Ils semblaient agressifs. Maladroitement, ils lui dirent que s’il avait raison, ils allaient lui
donner de l’argent, mais s’il avait tort, ils allaient se mettre en colère. J’étais perplexe, mais mon ami
semblait avoir la situation bien en main. Puis il s’exécuta. Je parlais avec cette jolie Québécoise et
d’une oreille, j’écoutais la session de Tarot de l’autre côté, tandis que deux autres français nous
entouraient, et que deux d’entre eux étaient partis pécher.
La partie de Tarot semblait très bien se dérouler et les hommes étaient maintenant détendus et
pacifiques. Mon ami français savait comment s’y prendre. De mon côté, j’échangeai mon histoire
avec ma nouvelle amie. Plus nous parlions et plus nous nous rendions compte que nous étions
semblables. Deux jeunes personnes artistiques, en quête de partager leur art, sans but lucratif, mais
seulement pour partager l’énergie créatrice dans sa plus pure expression. Moi par mon écriture, elle,
par sa musique. Je lui parlais de mon projet d’écrire ce récit. Puis de mon blogue que je tenais depuis
plus de cinq ans. Elle me parlait des décisions qu’elle devait prendre dans sa vie et de ses ambitions.
Le temps passait tranquillement et les gens passaient également. Soudain, nous entendîmes une voix
crier, provenant du magasin. Le gérant, assez grand et costaud, sortit pour nous chasser de façon
agressive. Il criait des injures et nous disait que l’endroit n’était pas un cirque. Il était accompagné de
cinq de ses employés, qui se tenait à ses côtés, nous fixant, les bras croisés et nous jugeant
agressivement. Aussitôt, en groupe, nous nous excusâmes humblement et acceptâmes de partir sans
rouspéter. La situation avait tourné du tout au tout.
Un des Français lui dit, cependant, qu’il n’avait pas à être aussi agressif, nous n’étions pas au courant
de la politique en vigueur et que c’était inutile de communiquer ainsi, car nous voulions coopérer. Le
gérant ne se calma point, continuant de nous injurier violemment devant les yeux de ses employés. Je
lui coupai poliment la parole, lui disant que nous partions, qu’il pouvait arrêter, et je lui souhaitai
sincèrement une belle journée. Il me répondit qu’il ne pouvait pas passer une belle journée si nous
étions toujours là, et s’entêtait encore à être méchant. Puis, nous partîmes. En passant devant lui pour
aller plus loin, je lui souhaitai encore une belle journée, car je me disais qu’avec une attitude comme
celle-là, il avait véritablement besoin d’une belle journée, alors que moi, je l’avais déjà et qu’il
n’allait pas la changer. Il soupira, comme s’il était plus calme et me répondit d’une voix résignée,
« have a nice day too ! ». Je souris, la victoire était à moi.
Nous décidâmes donc de partir de l’endroit et de marcher quelques coins de rue pour nous trouver
une autre espace. De plus, nous nous consultâmes, tous ensemble, à savoir ce qu’allaient être nos
plans pour la soirée. C’est alors que nous croisâmes le québécois qu’avaient rencontré mes amis
français auparavant. Il résidait à « Pool’s Land ». Après avoir fait sa connaissance rapidement, il
nous invita à visiter les lieux. Le jeune homme était un peu plus jeune que moi, grand, élancé, il
dégageait quelque chose de calme et de curieux. Il décida de rester un peu avec nous, même si nous
n’avions pas idée de ce que nous allions faire.
Ma nouvelle amie proposa alors de nous diriger vers un autre café dans le fond de la ville. Un
endroit qu’elle était habituée de fréquenter, mais même aussi d’y réciter quelques morceaux à l’aide
de son fidèle acolyte de bois. Le propriétaire de l’endroit lui laissait la liberté dont elle avait besoin
de jouir pour se pratiquer, et elle était assez talentueuse pour ne pas déranger les clients, mais plutôt
pour agrémenter leur expérience. D'autant plus que la majorité des gens de l’endroit étaient assez
ouverts d’esprits. Nous décidâmes donc, tous en groupe, de nous y rendre tandis que nous devions
commencer à planifier ce que nous allions manger.
Rendu là, le petit commerce était bondé à craquer. Nous nous trouvâmes quelques places et nous y
assîmes. J’eus une table privilégiée, seul avec mon amie qui m’intriguait grandement. Peut-être que
mes nouveaux amis auraient pu me reprocher d’accaparer le temps de la nouvelle invitée dans notre
groupe, surtout qu’elle était la seule femme. Mais d’un autre côté, cette jeune demoiselle m’intriguait
et je me sentais appelé à la connaître davantage.
Elle me parlait de sa musique, je lui parlais de mon écriture. Elle me demanda de lui montrer ce que
j’étais capable d’écrire. Je sortis alors mon téléphone cellulaire à l’agonie, m’excusai pour la piètre
qualité de son écran, et lui montra une fable intitulée : « Fable d’un amour moderne ». Cette
composition était stylistiquement spéciale à mes yeux, car je l’avais écrite, quelques années
auparavant, en alexandrins et en rimant. Je savais que je pouvais faire valoir le caractère plutôt
artistique de la chose. Après l’avoir lu tranquillement, elle me complimenta, puis sortit
instinctivement son violoncelle. Avec son sourire si chaleureux, elle me demanda de commencer à
faire la narration de mon texte à voix haute, tandis qu’elle jouait un morceau.
Je sentais qu’en même temps d’être concentrée sur sa musique, elle était à l’écoute de mes mots, de
mes émotions. Elle jouait de longues notes tandis que je m’exécutais de mon meilleur français. J’étais
quelque peu gêné, car c’était la première fois que j’offrais une prestation de ce genre, de plus, c’était
simplement de la narration convertie en « slam » dans une langue inconnue par la majorité des gens
qui se trouvaient aux alentours.
Cependant, les gens s’arrêtaient et nous regardaient. Quand nous eûmes terminé, une dame qui s’était
arrêtée devant nous nous félicita alors que quelques personnes applaudissaient timidement dans le
coin de l’établissement. La dame nous confia qu’elle n’avait pas compris mes mots, mais que le
français était une merveilleuse langue à écouter et qu’elle trouvait que notre numéro était quelque
chose de spontané et de rafraichissant. Nous lui répondîmes que c’était un merveilleux commentaire
considérant que nous venions de nous rencontrer. Puis, je regardai au fond de ses grands yeux
curieux, et nous nous dîmes que nos esprits artistiques et créatifs, bien qu’ils soient différents,
pouvaient facilement se coller l’un à l’autre. Nous nous échangeâmes alors nos sentiments pour
travailler ensemble dans le futur.
Le temps passait tranquillement et mon amie avait un rendez-vous de prévu pour la soirée. Nous
avions échangé un bon moment sur beaucoup de sujets qui nous interpellaient elle et moi. Puis, après
un moment, elle sortit son livre préféré qu’elle comparait à la bible pour elle. Nous avions discuté de
vibration, de guérison, de beauté, de pureté, et le livre qu’elle me tendait à l’instant abordait tous ces
sujets, passant par la force de l’art. Elle m’avoua qu’elle ne voulait pas s’en départir, mais qu’elle
sentait absolument que je devais le lire. Pour ma part, je n’avais jamais vraiment lu à des fins
récréatives, mais je l’acceptai volontiers. Le livre s’intitulait : « Créations artistiques, créations
spirituelles ». Nous nous serrâmes dans nos bras et nous nous dîmes que nous nous aimions puis, je
repartis avec mon groupe de francophones sympathiques, eux avec qui je me plaisais tant.
Le soleil commençait à nous exprimer son désir d’aller se coucher, alors que nous décidâmes de nous
rendre à « Pool’s Land ». Nous ne devions marcher que quelques minutes, mais le groupe de Français
devait se planifier un repas, voir si la pêche avait été bonne, et peut-être tenter d’amasser quelques
sous supplémentaires. Il était intéressant de faire la comparaison. Pour ma part, il était nécessaire de
planifier où j’allais dormir, car j’étais seul et je devais être en sécurité. Par contre, manger n’avait
jamais été un problème. Pour un groupe nombreux comme le leur, c’était tout le contraire. Établir un
campement était un jeu d’enfant, alors que manger devait être un peu plus compliqué et devait
impliquer d’autant plus une bonne communication. Bref, le nouvel ami Québécois, deux Européens et
moi-même décidâmes de nous rendre à la communauté de Tofino, alors que les autres allaient nous
rejoindre plus tard.
Entré sur le terrain, mon ami québécois nous guida jusqu’à son antre. Nous devions prendre le
premier sentier à notre droite, après la cabane principale, et marcher sur une espèce de chemin fait de
morceau de bois. Nous devions garder la gauche pour un bout de temps, puis prendre le troisième
chemin à droite. Les bouts de bois qui nous permettaient de marcher étaient, des fois, suspendus et
écartée les uns des autres. Je ne m’imaginais pas y marcher la nuit, car il fallait vraiment regarder où
nous pilions pour ne pas se blesser. Puis, un peu plus loin, après quelques sentiers étroits et sombres,
nous arrivâmes au petit terrain reclus, mais confortable.
Habiter un terrain de « Pool’s land », pour la nuit, coutait dix dollars. Mais mon ami montréalais
avait monnayé son loyer en échange de s’occuper de ranger l’établissement principal de la
communauté : La cuisine. Son rôle était de tout laver et de barrer l’établissement, après onze heures,
tout simplement. Je lui offris mon aide avec ses tâches. Il voulait aussi se faire à manger. D’un sujet à
l’autre, nous discutâmes de ce que nous voulions faire en soirée. Puis, comme toute bonne
communauté qui se respecte, j’appris que de trouver des drogues était assez facile. Nous décidâmes
que nous allions créer un puissant lien entre tous, car nous allions ingérer des champignons
« enthéogènes », en soirée. Nous étions excités à l’idée de gouter à cette drogue, bien évidemment.
Pour ma part, je savais que j’en avais consommé assez récemment, mais c’était l’occasion et je
voulais la prendre. Le but était simplement de ne pas abuser, comme d’habitude.
Nous parcourûmes quelques sentiers du terrain de « Pool’s Land », ici et là, pour nous rendre vers la
voiture du vendeur de substances illicites. Il avait à peu près de tous les produits, et pratiquait bien à
la vue de tous. Nous ne pouvions pas le rater. Puis, nous revîmes aussitôt au petit bout de terrain loué
par mon ami québécois. Je décidai alors d’installer ma tente, avant de consommer quelques drogues.
Je devais, pas la suite, payer mon droit de résidence. J’allais le faire quand j’allais me diriger vers
l’établissement commun de la communauté. Pour l’instant, j’étais en très bonne compagnie et nous
partagions des bières. Avec ce groupe, depuis le début, j’avais été plutôt celui qui suivait. Mais cette
fois-ci, c’est moi qui menais les conversations. Je parlais de mes écrits, puis de ce récit en
particulier, qui était en train de s’écrire par lui-même. Je parlais de mes aspirations, de mes valeurs
et de ce qui me guidait. Je sentais que les francophones qui m’accompagnaient semblaient réaliser
qu’il y avait quelques choses de plus grand qui caractérisait mon voyage et semblaient respecter la
personne que je devenais à tous les jours. Alors que depuis le début, je sentais qu’ils étaient
davantage « hors-la-loi », pour ma part, j’étais, depuis le début, en quête de vérité, de liberté, en
quête d’amour, d’un inconnu à l’autre.
Après un bout de temps, nous nous dîmes que le reste de notre troupe devait arriver d’ici peu.
Comme ils ne connaissaient pas les environs et que le chemin était assez difficile à trouver ou même
à suivre, nous envoyâmes nos amis français pour aller chercher leurs compatriotes. À notre grande
surprise, au moment où nous quittions le terrain pour rejoindre le premier sentier, notre groupe était
tout arrivé. Ils nous dirent simplement qu’ils avaient emprunté le premier sentier qu’ils avaient vu et
qu’ils s’étaient retrouvés là, devant nous. Je me demandais alors, en moi-même, par quelle chance ils
auraient pu trouver l’endroit aussi facilement, car c’était assez compliqué et de plus, au même
moment où nous avions pensé à eux. C’était pratiquement de la télépathie. Bref, nous étions heureux
d’avoir réglé la situation rapidement. Nous mangeâmes aussitôt quelques comprimés de psilocybine
et nous dirigeâmes vers la cuisine de la communauté de « Pool’s Land ». Trois Français décidèrent
de rester au campement, alors que le québécois, le cadet des Français ainsi que moi-même
s’engageâmes à gérer la cuisine et à cuisiner pour tous.
Arrivé là, j’entendais parler français partout. Il y avait des gens partout autour et dans la cabane, et la
majorité des gens s’exprimaient en français. Il avait bien fallu que je parcoure ce si grand pays pour
me retrouver dans ce si petit monde. Je savais que l’effet des champignons allait se faire sentir d’ici
une demi-heure et que je devais positionner mes idées un peu avant. Je vins pour entrer dans
l’établissement, mais quelqu’un m’interpella derrière moi. Un jeune homme, blond, avec une coupe
de cheveux excentrique, des piercings aux visages, des vêtements très amples et un tatoue de
l’« Ohm » droit au cou, m’avertit que la bière que je tenais dans mes mains n’était pas permise dans
l’établissement. Je vins pour la déposer sur le sol, mais il me donna un verre de plastique et me dit
de la verser tout simplement, car les gens ne semblaient, de toute façon, pas respecter le règlement. Il
semblait fatigué, blasé, comme si la colonie reposait sur ses épaules et que personne ne la respectait
vraiment.
Mon ami revint près de moi, me faisant remarquer que j’avais rencontré le responsable de l’endroit.
Je lui secouai la poignée de main officielle, me présentai et lui donnai dix dollars pour ma soirée, lui
confirmant que j’allais bel et bien dormir à « Pool’s Land ». Puis, il partit, nous laissant la
supervision de l’endroit. Je trouvai que le doyen de l’endroit avait un très beau style qui en disait
long sur sa personnalité, mais sa fatigue rendait son sourire très difficile à trouver. Peut-être était-ce
seulement une mauvaise journée pour lui.
Le soleil se couchait et le plus gros de notre tâche se déroulait dans quelques heures. Pour l’instant,
nous avions la cuisine à notre disposition. Mon ami avait apporté quelques aliments à cuisiner et nous
nous exécutâmes. Nous nous promenions un peu partout autour de la bâtisse et revenions vers la
cuisine pour explorer un peu. J’étais, par contre, plus ou moins confiant de l’effet de cette drogue, au
beau milieu de la forêt, dans une communauté inconnue. Quand mon cœur y réfléchissait, tout allait
bien, quand ma tête y réfléchissait, je me questionnais. Eva semblait très à l’aise avec ma décision et
Jym, lui, était resté au terrain, à l’intérieur de ma tente, tout près des Français.
Nous étions tous près du fourneau, je sentais les effets du champignon s’emparer de moi, et je
regardais mes deux amis qui, eux aussi, fixaient devant eux, et semblaient dérangés par les mêmes
effets. Pour ma part, je trouvais le tout vraiment amusant. Après quelques interminables minutes, mon
ami québécois me donna le couteau qu’il tenait et me dit : « Je ne crois plus que ce soit une bonne
idée que je manie un couteau ». Pour ma part, je me sentais si confiant. Je pris le couteau et
commençai à couper en morceau tous ses légumes. Je coupais rapidement, précisément. J’étais si
concentré. Je n’avais jamais réussi à être aussi talentueux et efficace en cuisine, comme si,
maintenant, j’avais plus que tous mes moyens. Après un moment, je réalisai que je cuisinais des
pâtes, de la sauce tomate et des légumes. J’ajoutais les ingrédients, les uns à la suite des autres,
demandant à chaque fois à mon ami s’il était d’accord avec mon plan. Le jeune français et lui
semblaient d’accord, tout en discutant et en riant discrètement ensemble, puis ils fixaient l’intérieur
d’eux-mêmes. Je me considérais chanceux de me garder actif. Je ne voulais pas commencer à fixer,
car j’étais conscient que nous expérimentions les mêmes effets. Donc, je continuais, arborant un
sourire divin sans retenue.
Sans même m’en rendre compte, même si c’était moi qui l’avais préparé, le repas était servi. Mon
ami m’en offrit, mais je n’avais pas beaucoup d’appétit. Les deux francophones s’en régalèrent et j’en
étais bien heureux. Encore une fois, je réalisais que chaque fois que je mangeais des champignons
magiques, je pouvais décider de leurs effets sur moi. Je voulais absolument garder le contrôle de mes
moyens et je sentais que je les possédais encore davantage qu’à l’habitude, alors que mes dernières
expériences s’étaient avérées, à ma demande, plutôt spirituelle, puis sociale.
Il était maintenant presque l’heure de la fermeture et je compris que nous n’étions pas seuls à être sur
la même longueur d’onde. Les champignons se promenaient partout autour de l’endroit. J’entendis
même, au loin, quelqu’un qui voulait s’assurer que son champignon ne soit pas en contact avec de la
viande. Je réalisais juste au sein de quel genre de communauté je me trouvais. Car ces gens avaient
plus peur de mettre de la viande dans leur estomac que d’ingérer des champignons magiques.
Soudain, trois gaillards costauds entrèrent subitement dans l’établissement avec de la nourriture plein
les mains, de gros chaudrons, et sans aucune politesse, ils prirent toute la place et l’énergie de
l’endroit pour cuisiner leur repas de fin de journées. En quelques secondes seulement, tout avait
changé. Nous nous regardions, subjugués. Il ne restait que quinze minutes avant la fermeture des lieux,
nous étions responsables de l’endroit, mais nos états étaient affectés et nous en étions paralysés,
devant ces trois personnes à l’égo proportionnel à leur taille. Mes deux amis étaient figés et mal à
l’aise. Je l’étais également. Comme je voyais que personne ne bougeait, je m’adressai aux hommes
qui semblaient croire qu’ils étaient seuls dans l’établissement. Je leur dis poliment que nous étions en
charge, même si nous étions nouveaux et que nous avions comme mandat de fermer la cabane d’ici
quelques minutes. Le barbu d’entre eux me répondit froidement de son accent français
européen : « Ça fait des mois que nous sommes ici, nous avons une entente avec le doyen de
l’endroit, on va fermer la cabane plus tard que prévu, on va prendre le temps de bien manger, de
nettoyer nos trucs, puis vous pouvez aller plus loin ». J’étais un peu sous le choc, mais d’un autre
côté, je ne pouvais rien faire, j’étais nouveau, et je n’allais pas laisser ceci entraver mon état
d’esprit. Mon ami français, par contre, ne semblait plus à l’aise du tout. Je lui donnai le chaudron
avec notre nourriture, et lui dit d’aller le porter à son groupe d’Européens sur notre terrain. Il le prit,
et alla le porter aussitôt.
Après un bout de temps, nous étions de plus en plus réactifs aux effets de cet hallucinogène, quand
nous réalisâmes que notre ami prenait du temps pour accomplir sa tâche. Sur le coup, et sous les
effets euphoriques de notre état, nous imaginions qu’il eût quelques problèmes, sous les mêmes effets,
à livrer la nourriture à ses amis dans l’obscurité totale de la forêt, marchant sur le chemin
rocambolesque des sentiers menant chez nous. Mais nous avions confiance et l’idée était si drôle.
Puis, après un moment, le doyen de l’endroit arriva. Il n’était pas de bonne humeur. L’endroit n’était
ni en ordre, ni fermée. D’un côté, nous aurions pu commencer à tout ranger, bien que je ne savais
aucunement quoi faire. Mais de l’autre, le plus gros du travail était à faire en cuisine, là où nous
n’avions plus notre place. Nous expliquâmes la situation, puis le jeune homme blond alla s’expliquer
avec les envahisseurs, puis sous le stress de cet individu, nous fermâmes l’endroit avec du retard et
beaucoup de presses, alors que le responsable n’appréciait notamment pas le dénouement de la
soirée. Je commençais à me questionner sur l’essence de cette communauté. Je ne comprenais pas
comment un homme, ayant l’esprit aussi ouvert que lui, pouvait tenter de construire un rêve au sein de
ce genre de communauté, mais, d’un autre côté, de revenir dans une routine de stress et de pression,
comme s’il gérait une entreprise. Après tout, le but de vivre dans une telle communauté n’était-il pas
de se sauver de ce rythme de vie inhumain ?
Bref, nous partîmes après le tout, et décidâmes de le rejoindre à sa roulotte, pour lui offrir un peu de
cannabis. Sa copine nous fit entrer. Bien que le jeune doyen soit anglophone, je fus encore une fois
surpris de voir que sa copine était québécoise. Nous fîmes connaissance. Elle nous accueillit comme
si nous étions déjà de bons amis. Je commençais à comprendre, au fond de moi-même, l’idée derrière
cette communauté et je m’y sentais à ma place ; où tout le monde respectait les autres a priori ; où les
gens savaient que nous n’étions finalement qu’un. Une partie de moi me disait de rester plus
longtemps que prévu dans cet endroit, que c’était la vie facile, la vie d’une vraie communauté. Alors
qu’Eva tentait de m’expliquer que même si cette communauté était faite pour des gens comme moi, ma
place était en société, parce que c’est là que mes mots allaient être efficaces.
Puis, quand le jeune homme arriva, il soupira quelques fois de stresse. Nous lui donnâmes un peu de
cannabis pour réaliser qu’il ne voulait peut-être simplement que la paix entre amoureux. Nous leur
souhaitâmes bonne nuit et partîmes vers un feu, organisé non loin de là, où nous y passâmes la nuit. Je
remarquai une jolie jeune demoiselle de l’autre côté de celui-ci. Tout le monde parlait français
autour du feu, sauf elle qui semblait seule dans son coin. Je l’abordai a priori, pour inclure tout le
monde. Elle partait au lendemain, elle qui venait de la grande ville de Vancouver. C’était un bel
endroit pour elle, non seulement pour être dans la nature, mais aussi pour partager une vie comme
elle la concevait ; en communauté. Puis, après quelques heures, nous retournâmes à notre campement.
En route, mon ami et moi eûmes une agréable conversation sur nos valeurs, sur ce qui nous
rapprochait, sur ce qui nous avait emmenés ici. Alors que, de mon côté, je cherchais l’aventure, je
cherchais à expérimenter l’amour dans son sens le plus pur, du sien, il cherchait à trouver sa voie, sa
propre vie, son sens, sa raison. Pour lui, « Pool’s land » était le meilleur endroit pour rejoindre ses
valeurs et pour commencer une nouvelle vie. Pour ma part, je comprenais que c’était un bon point de
départ, mais que l’endroit était comme un vortex, qui aidait à centrer son énergie, mais que, par la
suite, il fallait trouver un moyen de bouger, d’évoluer et que cet endroit pouvait peut-être produire
l’effet contraire ; emprisonnant certains dans un vortex de drogues et de laissé-allé. Nous nous dîmes
que nous étions très heureux de nous avoir rencontrés, à l’autre bout du pays, une coïncidence que
nous n’oublierons jamais. Puis nous allâmes dans nos tentes respectives. Avant de m’endormir, j’eus
l’idée de préparer une sauce à spaghetti au lendemain, et de la distribuer à qui le voulait. C’était mon
seul et unique but pour cette magnifique journée qui débutait déjà alors que je voyais les premières
lueurs du soleil venir à moi.

8 septembre 2017

Je me réveillai quelques heures plus tard, alors que le manque d’hydratation causé par la psilocybine
de la veille se faisait présent dans mes jambes. Eva et Jym semblaient en pleine forme par contre.
C’était la première fois que je laissais mon sac aussi longtemps loin de moi et je savais très bien
qu’il allait y passer quelques jours, bien que je ne veuille pas payer mon campement trop longtemps.
Après tout, il y avait des terrains vacants gratuits partout autour.
Mon ami dormait toujours. Je fis tout en mon possible pour ne pas trop faire de bruit. En ouvrant ma
tente, je réalisai que le temps était encore maussade. Ça allait de soi. Je commençais à ressentir un
certain épuisement face à ce que je venais d’accomplir et je comprenais que la température, la vie,
voulait me laisser à moi-même. J’avais eu de belles journées pour apprendre mes leçons, maintenant,
je devais vivre en incorporant celles-ci à mon quotidien. J’étais prêt, mais bien évidemment fatigué.
C’était peut-être pour la même raison que je trouvais de moins en moins de plumes sur mon chemin.
Comme si mes guides me disaient : « nous t’avons montré le chemin, tu peux revenir seul maintenant.
Vole de tes propres ailes maintenant et nous allons superviser ».
Je me rendis à la cuisine de la communauté, pour voir ce qui s’y passait. Il y avait accès à internet,
ainsi que des prises pour charger mon téléphone. Quelques personnes étaient déjà debout et
discutaient calmement. Après avoir fait le tour des environs, je m’assis à une table extérieure avec
deux autres personnes tatouées. Un jeu d’échecs dormait sur la table, ce qui me fit penser à ce fameux
« Jet Cloud » avec qui j’avais pu jouer auparavant à Courtenay. Je plaçai toutes les pièces au bon
endroit et proposai à l’homme tatoué, en face de moi, s’il voulait engager un match. Il refusa.
J’attendis un peu, tout en discutant, puis lui proposai une seconde fois, entre deux sujets de
conversation. Il accepta.
Nous jouâmes deux parties, puis l’autre personne voulait aussi jouer. Ensuite, une autre personne
voulait tenter l’expérience. Chaque personne qui arrivait se joignait à nous et voulait être le prochain
à jouer. À chaque fois que j’entamais une nouvelle partie, je remplissais ma pipe de cannabis, fumais
une ou deux bouffées, puis l’offrais à mon opposant. C’était comme un rituel de respect avant chaque
partie. Je dus jouer près de dix parties ce matin-là, avant de céder ma place à d’autres. Je sentais
déjà, seulement qu’avec ce jeu, la communauté était plus unie que la veille. Nous étions maintenant
une quinzaine de personnes à la même table ; Chose que je n’avais pas vue depuis mon court séjour et
que je ne revis pas jusqu’à mon départ. Et c’est un peu ce que je reprochai à cette belle communauté.
Les gens étaient tous très ouverts, mais semblaient prendre pour acquis le fait de vivre en
communauté et de garder une mentalité urbaine, alors je croyais davantage au regroupement et à
l’entraide active.
Alors que les gens continuaient à jouer aux échecs et que c’était l’intérêt central de ce qui se passait
dans les environs, je pris le temps de faire ma routine d’étirement yoga, un peu appart, pour dénouer
mes muscles quelque peu endoloris. J’entendais des gens parler de métaphysique, de spiritualité ; de
sujets sur lesquels j’avais de la difficulté à rester silencieux. Mais, tant que je n’étais pas invité, je
n’allais pas m’y mêler. Après quelque temps, mon ami québécois apparu. Nous discutâmes à savoir
quels étaient nos plans pour la journée. Je voulais voir mes amis français, bien évidemment, et je
voulais acheter certains ingrédients pour concocter une sauce à spaghetti. Pour sa part, il avait
quelques commissions à faire et, aussi, voulait imprimer quelques Curriculum Vitae pour se trouver
un travail dans les environs. Nous voulions faire équipe, encore une fois.
Pour l’instant, il commençait à pleuvoir et nous étions encore un peu fatigués. Nous décidâmes de
retourner nous reposer avant de partir vers le centre-ville de Tofino. Mon ami semblait être comme
un poisson dans l’eau dans cet endroit. Il me disait à quel point nous nous insérions bien au sein de
cette communauté. Il me suggéra de rester à plus long terme. Je lui expliquai alors, rapidement, que
ma voie était au sein d’une société « normale », car c’est elle qui avait besoin d’aide. Pour moi,
« Pool’s land » était un endroit rêvé pour se trouver, et pour y passer de belles vacances.
J’eus une pensée pour mon amie violoncelliste. Comme elle m’avait donné l’un des objets les plus
précieux pour elle, j’allais lui rendre l’appareil en lui donnant mon temps. Je me cachai alors dans
ma tente, auprès de Jym, puis je me mis à lire son livre. Cela me prit quatre longues heures, moi qui
n’aime pas beaucoup lire, pour dévorer ce chef d’œuvre. Ce livre mettait des mots exacts sur ce que
je pouvais ressentir au fond de ma poitrine, quand j’essayais de déterminer la relation spirituelle que
nous avons avec l’art. Je sortis donc de ma maison de toile, quatre heures plus tard, la tête vide et
l’âme remplie. Je pouvais alors lui redonner son livre, même si j’allais toujours garder une partie de
celui-ci au fond de moi-même.
Quand je sortis, la pluie avait cessé. Nous nous mîmes à marcher, alors, vers le centre-ville de
Tofino, à environ vingt minutes de là. En route, nous nous régalâmes de toutes les mûres que nous
trouvâmes tout au long de la route. Car la nature était bien là pour nous nourrir de façon abondante.
Puis, nous exécutâmes ce que nous avions à faire. Nous rencontrâmes nos amis français. Il semblait
avoir un peu de discorde au sein du groupe. Nous les suivîmes, découvrant les petits recoins de la
ville. Après quelques heures, avant de partir, mon amie violoncelliste nous demandâmes d’aller la
rejoindre un peu plus loin. Elle me donna environ son emplacement, puis me dit de suivre le son de
son violon pour la trouver. Nous marchâmes jusque-là. Encore une fois, j’étais étonné par son talent,
par son calme et par sa beauté. Elle qui était assise tout près de la mer et qui semblait communiquer
avec celle-ci à l’aide de son instrument ; simplement assise sur une roche, non loin de la rive. Nous
étions contents de nous retrouver. Et elle était d’autant plus contente de savoir que son livre m’avait
profondément touché. Je lui dis que je devais lui redonner avant de partir. Je comptais alors partir
d’ici deux jours.
Elle me dit qu’elle attendait un ami de cœur très important pour elle. Un homme non conventionnel
qui était natif, et qui possédait une vieille âme. Elle avait de grands sentiments à son égard, et j’avais
très hâte de rencontrer quelqu’un qui pouvait être aussi connecté à sa spiritualité que je pouvais
l’être. D’un autre côté, je n’aimais pas trop l’expression « vieille âme », car nous en avons tous une,
à de différents degrés d’évolution. Après un moment, il se pointa, arrivant en barque. Il jeta l’ancre et
se mit à escalader la petite falaise pour se rendre à elle. Elle était impressionnée et admirative face à
son courage. Il la salua, nous regarda ensuite, nous dis un si bref bonjour puis, alla plus loin pour
grimper dans un arbre et attendre. J’aurais aimé qu’il soit plus ouvert envers nous. Il semblait ne pas
s’intéresser aux humains devant lui, sauf à elle, mais de plus, je sentais une certaine réticence face à
notre simple présence. Elle l’excusa, nous disant qu’il était réservé. Pour ma part, je n’en faisais pas
un plat, mais nous décidâmes de partir en nous disant que nous allions surement nous revoir lors de la
prochaine occasion. Nous nous serrâmes dans nos bras puis, mon ami québécois et moi-même,
partîmes pour retourner à « Pool’s Land ».
Nous revînmes alors avec la nourriture, ainsi que tout ce dont nous avions besoin. Je commençai, sur-
le-champ, à cuisiner cette sauce à spaghetti végétarienne : tofu, olives noires et légumes, alors que les
gens arrivaient et repartaient de l’établissement de la communauté. Je pus offrir une dizaine de
portions aux gens qui étaient là, si bien qu’il n’y avait même plus d’ustensiles disponibles pour moi.
Je mangeai debout, seulement avec mes mains, devant tout le monde, qui semblaient ravies par mon
initiative. J’étais d’autant plus content. Je parlai à, à peu près, tout le monde, me faisant de nouvelles
connaissances, et jouissant des bienfaits qu’une communauté soudée peut offrir. Nous avions encore
pour tâche de fermer la cabane, mais cette fois-ci, nous savions comment faire. Par la suite, nous
allâmes encore près du feu. Un des nouveaux arrivants avait amené une petite guitare. Nous nous la
passâmes, chacun notre tour, jouant quelques morceaux, puis, toujours accompagnés de mon fidèle
acolyte québécois, nous allâmes nous coucher. Je me sentais si simplement bien avec cet ami.
Premièrement, c’était la première fois que je pouvais complètement discuter en québécois, mais,
aussi, nous étions un couple de peu de mots, mais de beaucoup d’idées, et c’était rafraichissant.

9 septembre 2017

Je me réveillai, ce matin-là, au bruit d’une pluie torrentielle qui s’abattait sur la région. Je pris le
temps de vérifier tous les recoins de ma tente pour être sûr de savoir qu’il n’y avait pas infiltration
d’eau. En sortant de celle-ci, je pris ma toile imperméable et la déposa sur celle-ci pour faire sûr de
bien protéger mon équipement. Je n’avais pas tant de choses à faire cette journée-là, et je voulais me
reposer, car j’allais avoir besoin de toutes mes énergies pour être capable de repartir en forme au
lendemain. Mon séjour à Tofino tirait déjà à sa fin et j’étais emballé à l’idée de repartir chez moi
pour vivre d’autres aventures, mais aussi, mettre un terme à cette incommensurable expérience.
Arrivés à la cuisine, nous constatâmes que l’endroit était dans un piteux état. Le toit avait cédé sous
la pluie torrentielle, l’électricité avait flanché également, et l’endroit était devenu même dangereux.
Les gens responsables étaient avertis et, pour le moment, nous ne pouvions faire autre chose que
d’attendre les réparateurs. Nous rangeâmes un peu l’établissement du mieux que nous le pûmes, puis,
nous partîmes.
Mon ami me demanda de l’accompagner pour aller porter ses Curriculum Vitae dans les restaurants
les plus proches. Je le suivis, lui apportant le plus d’ondes positives possible. Nous avions eu une
conversation auparavant sur l’idée de faire ce qu’il y avait à faire et de laisser la vie nous apporter
ce qu’elle avait à nous apporter. Et il me confia que c’était dans cette optique qu’il voulait aller
délivrer ses résumés de carrière. J’étais content et fier pour lui, et de fait, il rencontra, cette journée-
là, plusieurs employeurs très intéressés par sa candidature. Le dernier qu’il rencontra lui offrit un
travail et même un toit pour l’héberger ; déduits sur ses conditions de travail. C’était, pour lui,
l’opportunité de quitter « Pool’s land », car sa tente allait être un endroit très difficile à vivre l’hiver,
et il le savait très bien. Nous revînmes alors qu’il était en extase. Le soleil sortit enfin, expressément
pour souligner ce moment.
Des travaux étaient en cours à la cuisine. Beaucoup de gens étaient habitués au domaine de la
construction. Je voulais offrir mon aide, même seulement pour tenir le matériel, mais, d’un autre côté,
j’étais gêné par mon manque de connaissance. Je voyais le blond doyen de l’endroit stresser et courir
d’un côté et de l’autre pour que les travaux se coordonnent bien. Encore une fois, même s’il était
responsable d’une communauté hippie, je n’aurais jamais voulu être à sa place et vivre le stress de la
façon à laquelle il le vivait. C’était tout simplement paradoxal pour moi.
Un peu plus tard, le toit enfin réparé, l’électricité revenue, j’allai rencontrer le doyen pour lui payer
mon loyer. Je m’excusai de ne pas avoir offert mon aide, car j’aurais aimé le faire, mais je ne m’y
connaissais pas beaucoup. Il me regarda droit dans les yeux et me dit que ma contribution monétaire
était tout aussi importante que l’aide manuelle. Que c’était une autre façon de contribuer à la
communauté et qu’il appréciait fortement. Je me sentis soulagé. Je retournai m’asseoir à la table
principale.
Pour sa part, il se mit à nous fixer pour un instant puis, éclata de rage. Il se mit à parler vivement vers
tous, assemblés à la table. Il disait que beaucoup de gens n’avaient pas payé leur terrain depuis
plusieurs jours, et qu’en plus, ils n’avaient pas contribué aux travaux alors que l’endroit en avait
besoin. Il parlait de sa condition de vie déplorable, de sa fatigue, de son stress, alors que personne ne
l’aidait vraiment à tenir la communauté ensemble, bien que ce soit l’essence même d’une
communauté. Je plaignais le jeune homme qui s’était encombré de responsabilités, alors que je
croyais que le but d’une communauté était de s’éloigner du stress de la ville. Les gens comprirent le
message et j’étais content d’avoir réglé mes comptes avant même qu’il ait à faire son discours. Je me
sentais moins concerné tout à coup. Puis, après un moment, il repartit.
J’avais passé le mot ; que c’était ma dernière journée dans les environs et mes amis français vinrent
me rejoindre pour me souhaiter un bon départ. Ils arrivèrent les uns après les autres. Je restai avec
eux jusqu’à la tombée de la nuit. Mon amie violoncelliste vint également. Elle s’approcha de moi,
mais malheureusement, je sentais qu’elle était brisée. Nous marchâmes vers ma tente, seuls, elle et
moi, pour qu’elle puisse en parler. Nous discutâmes pour plusieurs heures alors qu’elle était très
fébrile. J’étais quand même dans une sainte mission pour aider mon prochain quand je le pouvais, et
je devais le faire même aux dépens de mes amis français qui s’étaient déplacés pour moi,
malheureusement. Elle avait vécu une expérience quelque peu traumatisante avec son ami de cœur à
qui elle avait donné toute sa confiance. Elle ne savait maintenant plus en quoi croire, car il avait
essayé de profiter d’elle alors qu’elle croyait qu’il était sincère dans ses intentions. Elle n’avait
besoin que de parler, pour ventiler, pour laisser sortir le méchant. Je l’écoutai. Je lui remis son livre,
par la suite, et nous discutâmes encore pour un moment. J’arrêtai ses larmes, et elle se sentit mieux,
puis elle repartit. Quand je revins, mes amis français étaient partis également. J’étais pratiquement
seul avec mon ami québécois. Après un moment, nous allâmes nous coucher, sachant que demain
allait être la deuxième partie d’un voyage « sitant » excitant.
Chapitre 16
Back and forth

10 septembre 2017

Encore une fois, j’étais prêt à toutes éventualités. Eva, à ma droite, et Jym prêt à prendre sa place
sur mon dos, je devais partir de ce vortex où je me plaisais réellement pour enfin revenir à la maison.
Alors que ma tête et mon esprit étaient plus forts que jamais, mon corps lui, semblait être de plus en
plus épuisé de ce périple. Je savais que j’avais déjà appris la majorité de ce que j’avais à apprendre.
Maintenant que je commençais à l’appliquer, je devais conserver mes forces. Et si, au départ, j’avais
l’intention de faire durer le plaisir le plus longtemps possible, maintenant, j’avais le gout de revenir
rapidement. Le temps qui s’écoulait si lentement, lors de mes premières semaines, semblait couler de
plus en plus rapidement, maintenant, alors que je m’ennuyais de plus en plus des personnes que
j’aimais ; de ma famille, de mes amis, des gens que j’avais rencontrés en route. Je savais que j’avais
l’occasion de tous les recontacter en revenant sur mes pas, si jamais je décidais de repasser aux
mêmes endroits. Je me sentais bien ; fort. Mais je sentais que le cœur de mon expérience était bel et
bien derrière moi.
Je me levai, et mon ami québécois voulait m’accompagner jusqu’au centre-ville de Tofino pour me
faire ses au revoir. Nous allions probablement nous revoir si jamais il allait revenir au Québec.
J’étais déçu de ne pas avoir dit adieu à mes amis français, priorisant cette jolie Québécoise qui avait
besoin de parler. J’avais une grande admiration pour ce groupe tissé serré qui m’inspirait grandement
au sujet de la prochaine génération à venir, partout à travers le globe. J’aurais aimé pouvoir leur dire,
sur le moment, à quel point j’étais content de les avoir rencontrés. D’un autre côté, chaque fois que
nous pensions à eux, ils apparaissaient de nulle part, comme par magie. Avant de partir, les gens de
la communauté démontrèrent leur déception face à mon départ. Je semblais, seulement avec ma
personne, les avoir touchés un peu ; seulement qu’en discutant et en étant moi-même. J’étais content
du partage que nous avions eu et, encore une fois, j’avais l’impression d’avoir autant été touché par
eux, qu’ils l’eussent été par moi.
En direction du centre-ville, après avoir, encore une fois, dégusté les petits fruits qui suivaient la
route principale, comme par magie, nous vîmes apparaître quelques membres du groupe de Français.
Je saluai ceux qui étaient présents et leur souhaitai tout ce que je pouvais leur souhaiter. Également,
je leur demandai de transmettre le message aux absents, car j’avais énormément d’amour et de
respect envers chacune de ces personnes individuellement. Ils m’avaient offert naturellement et
inconditionnellement une famille pour quelques jours, et c’est le genre de cadeau que l’on n’oublie
jamais. Puis, je serrai mon ami québécois dans mes bras, avec qui je reconnaissais avoir vécu les
plus belles aventures. Même si tout avait paru aller de soi, il avait été l’une des personnes les plus
importantes pour moi, car au-delà du voyage, au-delà de la découverte, avec lui, pour une fois, je me
sentais à la maison. Je me sentais compris comme jamais avant, et je me sentais juste accepté. Je lui
confiai que j’étais si heureux de mon périple sur ce coin de pays. La seule chose que j’aurais aimé
voir, avant de partir, était l’une de ses forêts d’arbres ancestrales. Mais je me disais que c’était
surement pour une prochaine fois. Il acquiesça aussitôt et me salua encore une fois. J’étais sûr que
nous allions restés amis.
Comme à l’habitude, je pris la route en solitaire, face à moi-même, j’étais si excité que Jym soit aussi
complet, et sur mes épaules, car ceci ne s’était pas produit depuis des jours. Je me sentais de nouveau
complètement chez moi, car je n’étais nulle part pour un moment. Je me mis à marcher vers la sortie
de Tofino. J’espérais pouvoir passer par Victoria avant de sortir définitivement, au lendemain, de
l’Ile de Vancouver. De plus, mon amie sans-abri et Skully y trainait quelque part. Je savais que je
pouvais la trouver dans les environs.
Quelque quinze minutes passèrent, j’étais calme et zen, alors que je vis une dame en voiture rouler
tranquillement, me regardant et souriant. Elle continua son chemin. Quelques dizaines de secondes
plus tard, je la vis repasser, s’arrêtant devant moi, arborant toujours ce merveilleux sourire.
La femme devait approcher la cinquantaine, blonde, mince, elle semblait, elle aussi, calme et
apprécier la vie. Elle était accompagnée d’une jeune femme qui devait avoir environ entre seize et
vingt-cinq ans et d’un jeune homme, à l’arrière, qui devait lui aussi entamer la vingtaine ; cheveux
semi-longs cachés par une casquette. Ils semblaient heureux. J’installai Jym confortablement dans le
coffre arrière du V.U.S de la petite famille et embarquai sur la banquette arrière de celui-ci, aux
côtés de ce gentil ami. L’atmosphère qui y régnait était paisible. La dame m’expliqua que la jeune
demoiselle à côté d’elle était sa fille et que le jeune homme était son neveu. Les trois aimaient bien
parcourir le pays ensemble, alors que la jolie jeune rousse habitait à Vancouver, ce qui les avait
menés à Tofino pour cette fin de semaine où le destin avait fait en sorte que l’on se croise.
En embrayant le véhicule, elle me dit que nous devions faire quelques arrêts. Premièrement, le
groupe voulait trouver un endroit discret, peut-être une plage pour y fumer du cannabis. Je me sentais
déjà en très bonne compagnie. Par la suite, la dame s’excusa si le trajet pouvait s’étirer, car le groupe
s’était promis de visiter une forêt de séquoias avant de quitter l’Ile de Vancouver. Encore une fois, je
me disais que rien n’arrivait pour rien, car c’est exactement ce que je voulais faire avant de repartir.
J’étais comblé.
Puis nous nous arrêtâmes le long d’une petite plage déserte, un peu plus loin, toujours dans la région
de Tofino. Toute la région était faite de plages de toute façon, nous aurions pu nous arrêter à peu près
n’importe où. La dame, le jeune homme et moi-même fumâmes un pétard délicatement, alors que la
jeune demoiselle rousse se distança de nous. Je demandai alors si elle avait quelque chose contre le
cannabis. On me répondit aussitôt qu’elle agissait de la sorte même quand ils ne fumaient pas. Ils ne
la comprenaient pas réellement, eux qui semblaient seulement vouloir passer du temps avec elle, elle
ne semblait que vouloir échapper à tout. Ils lui laissaient quand même la liberté de tout faire, même
celle d’être loin, l’acceptant comme elle agissait.
Puis, nous finîmes de fumer pour rembarquer dans notre véhicule en direction de la sortie de l’ile.
Nous nous arrêtâmes à l’entrée d’une immense forêt tropicale, quelques kilomètres plus loin. Le
jeune homme, aussi sociable que sa tante, racontait que c’était ici qu’avait été tourné l’épisode six de
la très fameuse série de films « Star Wars ». J’étais encore plus impressionné que je le fusse en
voyant d’immenses séquoias s’élever si haut. Puis, nous nous mîmes à parcourir la forêt. La dame
aimait énormément prendre des photos, son appareil toujours au cou. Nous grimpâmes et montâmes
sur de gigantesques arbres couchés, nous tentâmes d’entourer, tous ensemble, de nos bras, mains dans
la main, d’autres géants, mais en vain. Même si nous ne nous étions rencontrés que quelques minutes
auparavant, nous agissions déjà comme si nous étions un groupe uni. Notre petite aventure était si
impressionnante, considérant que seule la nature pouvait créer ce genre de gargantuas qu’on ne peut
voir ailleurs. Ces arbres, qui se tenaient là, depuis plusieurs siècles, voire même plusieurs
millénaires, nous enseignaient, au plus profond de nos sentiments, des leçons que seule notre âme
pouvait réellement comprendre. L’esprit de cette forêt me redonnait foi en la nature, en raison de sa
force et de son entêtement. Le spectacle était tout simplement plus grand que nature. La jolie jeune
femme rousse, quant à elle, avait commencé sa visite de son côté, alors que je faisais des allées
retours entre tous les membres du groupe pour tenter de les connaître davantage. Nous nous
rassemblâmes, ensuite, pour tout visiter ensemble. Alors que la dame et le jeune homme étaient tous
deux des livres ouverts, la jeune femme, pour sa part, était très difficile à cerner. Puis, après un peu
plus d’une heure, nous repartîmes pour continuer notre route.
Nous prîmes notre temps, nous arrêtant ici et là pour manger, pour fumer, pour discuter, pour visiter.
Ce coin de l’Ile de Vancouver était magnifique. La conductrice prit le téléphone, car nous n’avions
pas encore nos billets pour prendre le traversier pour sortir de l’ile. Pour ma part, je me mis à
hésiter, encore une fois. Je me demandais si je devais profiter de leur si agréable compagnie pour
sortir de l’ile avec eux, une bonne fois pour toutes, en acceptant de ne pas voir la prestigieuse ville
de Victoria, ou si je prenais encore une fois mon temps. Après un moment, je décidai, comme à
l’habitude, de suivre le murmure du destin et de continuer avec mes nouveaux amis pour un moment.
En même temps, j’avais l’occasion de les connaître davantage, car il ne restait que quelques places
sur le dernier traversier de la journée.
La tante, quant à elle, semblait si jeune. Son esprit et sa capacité de réflexion me marquèrent a priori,
alors qu’elle semblait avoir conservé son cœur d’enfant. Elle semblait cependant s’inquiéter pour sa
fille qui semblait être en crise d’adolescence constante, comme si rien n’était vraiment jamais
important ou correct à ses yeux. Mais elle continuait son chemin, l’aimant le plus possible, comme
une mère le fait si bien. Elle était douce, consciente, remplie de compassion, comme si elle
appartenait à une autre génération. Comme si elle voyait le monde comme il était vraiment. J’avais
une belle pensée à l’instant pour ma mère, alors que je m’ennuyais beaucoup d’elle.
Le neveu, pour sa part, était si drôle. Chaque fois qu’il en avait l’occasion, il prenait cette voix si
stupide qui aurait pu appartenir à un personnage de dessin animé pour enfant, puis il disait des
insanités. Peut-être était-ce les effets du cannabis, peut-être était-ce seulement qu’il inventait un
personnage fictif pour rire de lui-même au lieu de rire des autres, mais je trouvais ce jeune homme
mature, ouvert, intelligent, charmant et si drôle. Il semblait déjà mordre dans la vie naïvement,
comme nous devons tous le faire, tout en gardant une certaine conscience de ce qui peut nous arriver.
J’étais souvent si tordu de rire que mes muscles abdominaux commençaient à en souffrir.
Puis cette jolie jeune rousse… Elle était presque intemporelle et si belle avec sa chevelure bouclée
et flamboyante. Habillée comme une hippie avec du linge beaucoup trop beau pour la mentalité de ce
style, elle semblait faire le pont entre la vie urbaine et la vie libertine, entre ses vêtements amples et
ses faux ongles fraîchement installés. Après avoir creusé un peu pour apprendre sur elle, je fus étonné
de constater qu’elle avait un an de plus que moi, bien que son physique et son attitude ne le laissaient
paraitre. J’appris, avec moins d’étonnement, qu’elle s’adonnait au mannequinat et à la photographie,
pour le plaisir de l’art. Elle avait des attirances vers le yoga et sur l’énergie qui nous entoure, même
si elle ne semblait n’adhérer qu’à moitié à mon discours, peut-être seulement par perte d’intérêt à
mon égard. Elle était tout de même polie, très charmante, ouverte, souriante, très agréable, mais
réservée et même un peu inintéressée. Elle n’était peut-être que simplement préoccupée davantage
par sa propre vie, que par ce qui l’entourait et tout le monde doit passer par cette étape un jour pour
se rendre compte qu’une fois en paix avec soi-même, ce qui nous entoure devient soudainement le
cœur de notre propre vie, alors que nous devenons à la fois tout et rien pour nous-mêmes.
Je passai la journée avec eux et il commençait à être tard. Une fois arrivé sur le traversier, je devais
me remettre dans la peau d’un aventurier et essayer de trouver un endroit, au beau milieu de la ville
de Vancouver, pour y dormir, car c’est là que nous nous dirigions. Je sentais venir à moi quelques
difficultés, mais, d’un autre côté, c’était si excitant, car je ne me souvenais même plus de la dernière
fois que je m’étais endormi et réveillé seul avec Jym et Eva. Mais, ce n’était pas pour ce moment-ci,
car la petite famille, aimable comme elle était, me confia qu’ils allaient visiter Whistler, au
lendemain et que j’étais le bienvenu pour dormir chez la jolie rousse, mais aussi, pour les
accompagner vers ces montagnes mythiques. J’acceptai volontiers, sachant très bien que la vie
voulait simplement ne pas lâcher prise sur mon destin et sur mes rencontres qui continuaient à
s’accumuler les unes à la suite des autres. J’étais au moins soulagé de ne pas avoir à me trouver un
endroit où dormir.
Arrivé chez elle, j’aperçus une guitare dans le coin du salon, alors que mes amis s’installaient, je
jouai une aire que je connaissais avant de demander si je pouvais utiliser la douche. Tout le monde
semblait serein et heureux. On m’ouvrit un lit qui me semblait si accueillant. Nous fumâmes un
dernier joint avant de nous coucher devant un film que nous n’écoutâmes qu’à peine.

11 septembre 2017

Pour beaucoup de gens, le 11 septembre est une date assez marquante pour de sinistres raisons. Pour
moi, c’était supposé être mon troisième anniversaire avec mon ex-copine, quoi que je n’y pensasse
déjà presque plus, j’étais contraint d’avoir une petite pensée pour cette personne qui, chaque fois que
je prenais un peu de recul, était de plus en plus une personne qui m’avait blessé durant nos jours
ensemble. Bien que ma vie fût déjà bien différente, je devais garder en tête que ce simple fait avait
été l’élément déclencheur de la plus grande expérience que j’avais vécue jusqu’à ce jour.
Je me levai. Jym était déjà prêt, Eva aussi d’ailleurs. Après quelques moments de préparations ainsi
qu’un bon café, nous étions déjà prêts à partir vers Whistler. J’étais emballé à l’idée, car j’avais vu
énormément d’endroits depuis le début de mon aventure, mais j’avais raté tous les sites les plus
populaires. Après quelques dizaines de minutes, nous étions tous prêts à partir.
Mes amis eurent la gentillesse de me montrer quelques racoins de la grande ville, et cela me
confirma, encore une fois, que j’aimais mieux rester loin de celles-ci. Quoique les grandes villes
étaient les premiers endroits où l’on pouvait voir les inégalités, les injustices, les dépendances à
l’argent, à la mode et à l’égo. Une rue, entre autres, est si paradoxale, car c’était la rue la plus
fréquentée par les sans-abris de la région, mais aussi, où il y avait un magasin de luxe après l’autre
tout au long de celle-ci. Alors que les deux réalités, très polarisées, ne devraient pas exister.
Nous sortîmes de la ville en direction de Whistler. À moitié chemin, nous devions nous arrêter pour
soulager nos besoins de bases. Mon jeune ami et moi-même voulions fumer une cigarette de cannabis,
mais la dame qui conduisait n’était pas tout à fait à l’aise de le faire devant tout le monde. De notre
côté, nous l’étions. Nous nous arrêtâmes devant un bâtiment qui abritait un petit magasin et un musée
d’exposition de création des premières nations.
Le cousin pointa un tipi qui suivait le coin du terrain de l’établissement. J’avais toujours trouvé ce
genre de structures, issues de la sagesse des premières nations, assez intéressantes, par leur
simplicité, mais aussi par leurs vertus spirituelles. De plus, nous trouvions comique de s’y installer
pour fumer, cachés, mais aussi, à la vue de tous. Nous savions, par contre, que nos vêtements allaient
conserver la puissante odeur de ce fruit interdit. Nous nous dirigeâmes alors vers le tipi et allumâmes
notre joint. Nous discutâmes de tout et de rien, gaiement, de façon à passer le temps. J’étais si
heureux, encore une fois, d’avoir rencontré des gens aussi ouverts, sans malice, même si je n’arrivais
pas à bien analyser cette jolie rouquine qui nous accompagnait. Je n’avais pas besoin de le faire de
toute façon. Je devais seulement laisser les choses aller, et comme je le disais si bien, si quelque
chose ne faisait pas mon affaire, je n’avais qu’à m’en aller, car j’étais complètement libre de tout.
Le bâtonnet de paix pratiquement terminé, nous vîmes quelqu’un s’approcher de l’entrée du tipi.
Notre premier réflex fut de sonner l’alerte, mais, même là, les conséquences de notre geste auraient
tellement été minimes. Un homme se présenta à la porte de notre temporaire maison. Il se mit à rire. Il
dit : « ça sent le printemps ici ». Nous étions à moitié sous le choc, à moitié mort de rire
intérieurement par le ridicule de la situation. Notre première réaction fut alors de lui offrir une
bouffée de notre joint, tout en riant. Il rit également et nous dit qu’il ne fumait pas et qu’il était
seulement curieux de voir l’intérieur de la structure, puis il partit. Nous terminâmes ce à quoi nous
nous occupions, puis allâmes rejoindre les dames à l’intérieur du musée.
Les deux femmes étaient encore une fois séparées à chaque extrémité du petit musée « amérindien ».
Alors que tout ce à quoi cette culture touche m’intéressait grandement. J’étais seulement subjugué par
la richesse historique et spirituelle de l’endroit. D’autant plus que c’était flagrant que le but de
l’établissement était de partager, et non d’amasser de l’argent. Il y avait des masques, des structures
de bois, des instruments de musiques, des œuvres d’art. Bref, c’était de toute beauté.
Nous nous rejoignîmes, tous les quatre, près d’une femme assez âgée qui racontait son histoire. En
fait, elle avait dessiné son histoire. Si l’on regardait ses dessins, seulement par le caractère physique,
autre que le fait qu’elle ait utilisé des couleurs agressives, rien n’était spectaculaire. Mais quand elle
commença à raconter son histoire, tout prenait son sens.
La femme avait été élevée par les prêtres de l’église catholique dans une réserve des environs. La
douzaine de dessins qu’elle présentait venaient avec des histoires de violence, de culpabilité, de
mépris, de manipulation et de viole qu’elle avait subies, lors des années cinquante et soixante, de la
part de l’église et des prêtres de l’endroit. Le genre d’histoire qui est trop commune et trop cachée
par la politique religieuse malsaine, toutes époques confondues. C’était atroce. Elle n’épargnait
aucun détail, de sorte que ses mots étaient si difficiles à entendre. Nous l’écoutâmes parler et
présenter ses dessins, seulement qu’à nous, pour environ vingt minutes. Pendant qu’elle parlait, je
sentais les dessins vibrer intensément. J’eus l’appel de mettre mes mains devant ceux-ci pour sentir
ce qui s’y dégageait. Discrètement, je sentis aussitôt une vague de chaleur provocante s’emparer de la
paume de ma main. Elle se tourna vers moi et me dit : « tu sens l’énergie ? Tu as des dons toi ». Un
peu surpris, je la remerciai, tout simplement. Pour être honnête, je ne croyais pas avoir de don, mais
mon expérience m’avait amené à être un peu plus sensible face à ce genre de vibration qui peut se
manifester sur presque n’importe quoi. ¸
La femme que j’accompagnais lui demanda alors pourquoi elle partageait son histoire, quel était son
but et si ça faisait toujours mal ? La vieille dame lui répondit que c’était sa façon de ne plus se sentir
coupable. Sa façon de passer à autre chose, et de faire sortir le méchant. Je continuai et la remerciai
pour ce qu’elle faisait. Je lui dis que, parfois, il y avait des choses atroces qui se passaient d’un
humain à l’autre, d’un inconnu à l’autre, comme nous le faisions maintenant. Mais que la seule bonne
chose que l’on pouvait faire avec ces expériences était de devenir plus fort, d’échanger avec
n’importe qui que l’on pouvait aimer, car ce n’était certainement pas tout le monde qui agissait de la
sorte. Je lui dis que je la trouvais si forte et si ouverte de faire ce genre de présentation, et que même
si elle avait vécu ces tragédies, la vie avait fait en sorte qu’elle soit devenue la personne forte et
remplie de compassion qu’elle était et que, finalement, c’est tout ce que nous pouvions en retenir.
Elle prit un instant très émotif en me regardant dans les yeux et me remercia grandement pour ce que
je venais de dire. Elle me dit que c’était l’une des plus belles choses qu’on lui avait dites. Je lui
racontai mon histoire, en deux petites minutes, nous nous souhaitâmes bonne chance, puis nous
repartîmes de notre côté. J’étais tout simplement touché, d’un inconnu à l’autre.
Nous nous rendîmes alors à Whistler en une heure après cet arrêt. Mon nouvel ami continuait de me
faire rire avec sa voix loufoque, tout le monde discutait, bien que la situation fût quelque peu tendue
entre la mère et sa fille pour des raisons que je ne comprenais pas. Nous nous arrêtâmes avant
Whistler. Je n’avais pas si faim, je pouvais attendre, mais ma nouvelle amie me pria de manger, alors
qu’elle voulait m’offrir le repas. Je la remerciai grandement. Puis, un peu plus tard, nous arrivâmes
enfin à Whistler.
Il faisait beau, mais le vent de septembre à cette altitude était plus froid que ce à quoi je m’attendais.
Nous arrêtâmes sur la plage du « Lost Lake ». J’aimais beaucoup l’énergie de l’endroit, c’était
calme, paisible, bien que la tension soit à son comble entre la mère et sa fille. J’avais l’impression
de voir une crise d’adolescence, comme si la vision de la fille n’avait pas changé depuis l’époque, et
comme si la mère essayait de marcher sur des œufs avec le caractère de sa fille, mais dix ans plus
tard. Je n’étais, par contre, pas témoin de toute la situation, bien évidemment.
Nous attendions l’appel d’une amie de la rouquine, car ils allaient la rejoindre. Nous nous étions déjà
entendus que j’allais les quitter sous peu pour continuer ma route, seul, mais chaque fois, nous
repoussions ce moment jusqu’à tant que nous n’allions plus avoir le choix. En fait, nous repoussions
ce moment depuis la veille. Pour moi, c’était la preuve que nous nous aimions beaucoup.
Nous nous baignâmes, mon ami et moi, tandis que les femmes restaient seules, chacune de leur côté.
Nous nous retrouvâmes près d’une table à pique-nique, sans nouvelle de la jolie mannequine qui était
en contrôle de notre horaire. Puis, après quelques minutes, elle revint, nous disant que nous pouvions
aller au Centre-Ville de Whistler, pour rejoindre ses amis. Ils me demandèrent si je voulais rester ici,
ou si je les accompagnais en ville. Après avoir hésité, je décidai de les accompagner et de visiter la
ville pour un moment. Je devais trouver un endroit pour passer la nuit, comme à chaque jour de ce
miraculeux voyage.
Nous nous promenâmes, alors qu’ils me firent faire un court tour des environs. La ville et les
montagnes, autour, étaient tout simplement merveilleuses. Je me considérais toujours aussi chanceux
de pouvoir vivre ce que je vivais, même si l’épuisement était au rendez-vous. Je m’ennuyais
considérablement de ma famille et de mes amis.
Nous rejoignîmes le centre-ville et décidâmes de nous asseoir sur la grande terrasse d’un restaurant
et d’y déguster une bière, sous le chaud soleil. Après quelques minutes, l’amie en question arriva,
avec sa mère qui soulignait son anniversaire en ce merveilleux jour. Nous nous présentâmes. J’étais
quelque peu soulagé, j’allais enfin avoir l’occasion de me retrouver seul et de continuer mon
aventure. Après avoir terminé cette bière, je pris mon sac et saluai ces gens. La fêtée, une femme
dans la soixantaine, m'arrêta et m’invita chez sa fille, pour manger avec eux, pour son anniversaire.
J’hésitai encore une fois, mais la courtoisie et ma curiosité face à mon aventure me firent accepter de
nouveau. Nous embarquâmes alors dans le véhicule, vers la demeure de l’amie d’enfance de la
rouquine.
Nous arrêtâmes en chemin dans un « liquor store », ou j’achetai une bouteille de vin, car la courtoisie
m’avait aussi appris à respecter une invitation en arrivant avec un petit cadeau. Et c’était vraiment un
beau geste de m’inviter, moi, un inconnu vagabond, pour leur fête, sans même me connaître. Personne
ne me vit vraiment acheter la bouteille que je donnai à Jym aussitôt. Puis nous allâmes à destination.
Arrivé, je laissai Jym dormir dans le véhicule, puis je leur signalai que je devais absolument partir
tôt pour trouver un endroit pour dormir, car je ne voulais pas le faire une fois la nuit tombée. Mes
nouvelles connaissances me dirent aussitôt qu’il y avait des endroits dans les environs, sinon je
pouvais tout aussi bien dormir où j’étais sur le sol. J’acceptai volontiers, seulement par simplicité,
même si Eva commençait, elle aussi, à vouloir être complètement libre de tout.
Nous ouvrîmes les bouteilles de vin. Je pris la mienne et la donna à la fêtée qui semblait ravie. Je lui
demandai si nous partagions le vin ou si je devais seulement ouvrir ma bouteille. Elle me dit, sans
équivoque, que nous allions partager, bien évidemment. J’étais soulagé. Alors que les jeunes femmes
semblaient rattraper le temps perdu comme deux adolescentes, les doyennes mettaient la table pour un
souper simple de fromage et de charcuteries. Pour notre part, mon jeune ami et moi prîmes le temps
de nous installer devant la télévision pour quelques parties rapides de « MarioKart 64 ».
Après quelque temps, nous arrêtâmes, je pris une autre coupe de vin, puis nous nous assîmes pour
manger. Les jeunes femmes buvaient une boisson à base de téquila, donc une fois le repas terminé, je
leur demandai si je pouvais gouter à cette boisson également. L’ambiance était festive, les jeunes
voulaient sortir dans une boîte de nuit, par la suite, et me demandèrent si je voulais les accompagner.
J’acceptai volontiers. J’étais bien, mais je savais que je devais faire attention à ne pas me laisser
emporter par cette vague festive. Je pris un dernier verre un peu plus tard, ça devait faire déjà trois
heures que nous étions là. Je ne réfléchissais pas vraiment à ce que les gens pouvaient penser de moi,
car, j’étais moi-même et j’étais toujours calme et poli. Je parlais, je gesticulais, je leur montrai
même, à un point, que j’étais capable de me tenir sur ma tête, puis me remis sur mes pieds. Mon
exécution n’était pas parfaite, alors que j’eusse du mal à rattraper mon équilibre, mais nous avions
tous du plaisir et j’étais emballé.
Je remarquai que les jeunes femmes étaient, encore une fois, dans leur coin, les deux mères, qui ne se
connaissaient pas non plus, discutaient avec mon ami et moi, alors que les deux me faisaient de plus
en plus penser à des adolescentes. Comme si, deux personnes qui ne s’étaient pas vues depuis
longtemps, revenaient où ils s’étaient laissés, et pour moi, cela est une preuve d’une vraie amitié,
sans malaise, sans retenue.
J’allai les rejoindre dans une autre pièce, elles étaient en train de s’arranger, de se maquiller pour
notre sortie, seule avec leur bonheur éphémère. Je leur demandai quand elles pensaient qu’on allait
quitter l’endroit vers le bar et où elles pensaient aller. Soudain, elles me répondirent froidement
qu’elles allaient seulement et rapidement me trouver un endroit où dormir, ailleurs. J’étais un peu
confus, car leur discours avait changé du tout au tout. Elles me rappelaient certaines mauvaises
expériences que j’avais eues à l’école secondaire, alors que certaines amies s’étaient mises d’accord
pour m’exclure de mon groupe, sans explication. C’était comme si je revivais un trauma, encore et
encore. Je ne posai pas de question et, un tant soit peu sous le choc, je retournai avec les adultes. Je
me mis à réfléchir.
Tout le monde discutait, et semblait calme et un peu ennuyé. Mon ami semblait même, à un point,
endormi. Il disait qu’il n’allait pas se coucher très tard. Il décida alors de fumer du cannabis. Pour
ma part, déjà que le désir d’être seul était de plus en plus présent, et que l’attitude de ces jeunes filles
me faisait sentir comme si je n’étais plus le bienvenu, je sortis avec lui pour prendre l’air et fumer.
Tout en fumant, je lui expliquai ce qui s’était passé et pris Jym avec moi. Il me comprit aussitôt. Je ne
pris même pas le temps de saluer les autres, je saluai simplement mon interlocuteur à qui je demandai
de passer le message pour m’excuser. Je les remerciai pour tout : leur temps, leur générosité, leur
personne. Mais je ne voulais pas être une victime dans cette situation, ni un boulet. J’étais en plein
contrôle de mon destin. Puis je partis.
J’étais un peu triste, car je croyais pouvoir plaire à tout le monde. Je ne comprenais pas pourquoi
j’avais été rejeté de la sorte. Je ne me sentais pas en état d’ébriété avancé. Bien que j’eusse bu,
comme tous les autres, je ne pensais pas avoir dépassé les limites de l’entendement. Peut-être
voulaient-elles simplement passer une soirée entre jeunes femmes, mais, en même temps, pourquoi
avoir été rudes sans explication ? Pour ma part, je crus que la meilleure façon de faire aurait été tout
le contraire ; pour expliquer calmement et poliment la situation. J’étais déçu de constater que la
situation m’affectait autant. Je décidai donc d’aller me changer les idées. La nuit était tombée, je
laissai Jym au vestiaire d’une boite de nuit et m’y perdit dans l’ébriété absolue.

12 septembre 2017

Je me réveillai ce matin-là, j’étais dans une pente, derrière un édifice quelconque de la ville de
Whistler. Jym était à mes côtés, alors qu’Eva était loin d’être fière de moi. J’étais à peine caché,
mais, au moins, j’étais sain et sauf. Je m’ennuyais grandement de mes proches et me sentais morose.
J’organisai Jym, j’organisai Eva également, même si je me sentais coupable d’avoir perdu le
contrôle. J’étais en voyage, c’était le moment de le faire et ce n’était pas si grave, mais j’aurais aimé
terminer la soirée autrement. J’avais simplement mal réagi au rejet de la veille e je savais que c’était
une épreuve spirituelle. Mais c’était déjà une expérience du passé et je devais me relever et
continuer ma route, enfin seul, enfin libre et prêt à vivre de proches expériences, espérant qu’elles
soient positives.
J’allai vers les montagnes, non loin d’où j’étais, près du Centre-Ville. Je voulais aller me promener
en forêt pour me ressourcer. Je suivis le cours d’une rivière si spéciale, d’un bleu si clair qu’elle
semblait irréelle. Je m’y trempai les pieds, essayant d’être énergisé par la pureté d’une eau courante
des montagnes canadiennes. Je pris le temps de respirer et de me recentrer.
Je reçus un message de la part de mon père, lui qui ne commençait seulement qu’à utiliser les
technologies modernes. Il me conseilla de penser à lui en forêt, pour être sûr que tout se déroule bien.
Peut-être que c’était simplement l’épuisement, ou l’ennuie, mais je me mis à pleurer sur-le-champ. Je
m’ennuyais tellement de lui. Je lui répondis que j’allais le faire, car c’est lui qui m’avait, de toute
façon, tout appris. Même si mon père était une personne si différente de moi, je m’ennuyais de la
protection paternelle que j’avais eu la chance d’avoir tout au long de ma vie. Je pris le temps de
méditer en forêt pendant un bout, pour recentrer mes chakras et augmenter mes vibrations. Je pensais
aux gens que j’aime, mon père, bien évidemment, puis ma mère et mes amis, ainsi qu’à l’amour en soi
tout simplement. Ça me faisait du bien.
Puis, je revins, après quelques heures, vers le centre-ville. Je fis le tour de la portion touristique de
celui-ci, pour voir les magasins et les gens. Pour connaître ce merveilleux endroit qui possède sa
propre personnalité. Je pris le temps de m’asseoir sur un banc, au beau milieu des gens passants,
pour continuer d’écrire ce récit. Je n’avais pas pris le temps d’écrire depuis que j’étais à Campbell
River et ce livre n’allait pas s’écrire par lui-même, je le savais trop bien. Après quelques heures à
écrire et à charger mon téléphone, je me levai et me remis à marcher avec Jym et Eva. Un jeune
homme passa à côté de moi, il fut complètement surpris par l’allure de Jym. Il avait, lui aussi, un sac
à dos assez massif sur le dos, bien que le sien soit d’un modèle plus moderne et populaire. Il me
lança : « Sick Backpack man, sick backpack », comme s’il était à la fois en admiration, mais intrigué
par la sagesse de Jym. Puis il passa son chemin. Ce petit geste me fit énormément de bien, et me
ramena au centre de ma zone d’aventurier. Seulement ce petit geste, d’un inconnu à l’autre, venait de
changer ma journée.
J’allais m’étendre dans un parc, par la suite. Là où reposent les anneaux olympiques des derniers
jeux de Whistler. Je fis quelques étirements de yoga, me servant de Jym pour m’appuyer. Puis je
m’étendis au soleil. Je vis deux jeunes hommes tenter de draguer un groupe de touristes féminins tout
près de moi. Ils disaient qu’ils étaient instructeurs de yoga et qu’ils voulaient leur donner des
instructions gratuites. Mais leurs intentions semblaient davantage être dirigées sur leur égo que sur la
véritable philosophie de ce mode de vie yogique. L’un commença d’abord par leur montrer qu’il était
capable de se tenir sur la tête. Je sentais qu’ils faisaient davantage leur spectacle et c’est un peu ce
qui ne tournait pas rond avec certaines pratiques du yoga occidentales. Bref, je ne m’en occupai point
et profitai du soleil de Whistler, pour quelques heures.
Je décidai, par la suite, de retourner au « Lost Lake », car c’était, pour moi, un parfait endroit pour y
installer un campement. En plus d’y avoir une plage, il y avait des sentiers un peu partout autour. Je
marchai environ trente minutes pour m’y rendre, puis je m’assis sur la plage. Une musique
électronique pesante y jouait alors qu’une fête de finissants y était organisée. Il y avait une multitude
de jolies personnes qui buvaient et qui participaient à un tournoi de jeux d’alcool. Je restai dans mon
coin, sur la plage, je les regardai au loin. Je vis également passer deux jeunes hommes, l’un avec un
Tam-Tam, l’autre avec une guitare, pour se diriger vers un sentier. Je restai au même endroit pour un
temps. Je me disais que ça me faisait du bien, une journée à ne rien faire, enfin.
Après quelques heures, alors que le soleil tombait, je me dirigeai vers les sentiers à mon tour. Après
quelques minutes de marche, je trouvai un endroit idéal, tout près d’un arbre, où je pouvais installer
mon campement. Il faisait, par contre, toujours trop clair pour m’exécuter. Je décidai alors de revenir
sur mes pas, de profiter de la plage, encore pour un petit moment, et d’explorer les lieux.
Sur mon retour, j’aperçus une jolie jeune femme, blonde, qui méditait sur un banc de parc. Son
énergie m’était intéressante. Je m’installai près d’un autre banc de parc, sur Jym, et je me mis à
méditer également pour quelques minutes, tout près d’elle. Nous étions tous les deux biens, et en
silence.
Quand j’ouvris les yeux, elle était en train de prendre une photo de moi. Elle écrivit sur les réseaux
sociaux que j’avais rejoint son « party ». Elle avait un magnifique sourire. Je m’installai sur le banc à
côté d’elle et nous nous mîmes à parler de spiritualité. Elle faisait partie d’un regroupement canadien
et suivait un guru Indien. Elle était très éduquée par cet homme. Elle suivait des cours, des retraites
silencieuses, elle connaissait des exercices de respiration que je ne connaissais pas. C’était très
intéressant de pouvoir parler avec elle. Je savais qu’elle pouvait m’apprendre. Elle m’expliqua
pourquoi la respiration était si importante pour la maîtrise de soi-même. Car chaque émotion vient
avec une respiration différente. Si on est amoureux, notre respiration se calme, si on est anxieux notre
respiration s’accélère, si on est en colère, on tend à soupirer plus qu’à aspirer et quand on a peur, on
bloque notre respiration. Alors, si l'on est conscient de cela, seulement qu’en respirant différemment,
on peut corriger nos émotions qui ne sont pas les bienvenues. Pour moi, c’était si simple et si vrai. Je
la regardais droit dans ses grands yeux remplis de passion, alors qu’elle s’exprimait avec un
merveilleux sourire. Puis, après quelques minutes, je luis dis qu’elle était si belle, puis je lui envoyai
un « Namasté ». Avant de quitter. Cette rencontre me rappela pourquoi je pouvais résumer mon
histoire en ne disant que : d’un inconnu à l’autre.
Je retournai alors vers la plage pour regarder le coucher de soleil. Je partageai, aussi, mon
expérience sur les réseaux sociaux. Depuis le début de mon aventure, j’avais pris l’habitude d’écrire
quelques-unes de mes péripéties, à la demande générale. Autant que des fois, je pouvais me sentir
loin de mes proches, autant que des fois, je me sentais connecté avec eux. Les gens me disaient que
j’étais inspirant. J’espérais l’être. J’espère toujours l’être avec ce récit. En regardant cet astre dans
le ciel me dire personnellement au revoir, une bonne amie se mit à m’écrire, et je partageai un beau
moment avec elle. Cela me fit un bien exceptionnel.
L’aurore était toujours le meilleur moment pour installer mon campement ; assez discret pour ne pas
être vu, assez éclaircis pour pouvoir m’aider à m’exécuter efficacement. En terminant ma
conversation avec cette sœur que j’avais au Québec, prêt à retourner à l’endroit que j’avais trouvé
précédemment, j’entendis les sons d’une guitare et d’un tam-tam au loin. C’était surement les gens
que j’avais vus passer auparavant. À l’aide du désir d’aventure, je décidai de me laisser guider par
la musique, jusqu’à un petit sentier à cinq minutes d’où j’étais. Puis, le chemin m’amena un peu plus
bas, sur une minuscule plage, ou les deux jeunes hommes étaient assis, sur un banc, fumant un joint et
jouant de la musique. Je les saluai.
Je leur demandai si je pouvais prendre place avec eux et ils acceptèrent volontiers. L’un était anglais,
l’autre australien. Nous avions si peu à dire, mais tant à partager. Trois aventuriers qui se croisèrent,
échangeant leurs histoires, leurs péripéties, tout en échangeant également les instruments de musique,
sous la clarté d’une lune s’élevant, reflétant son infinie beauté sur le Lac perdu de Whistler. Les deux
amis travaillaient dans les environs, alors que mon passage était plus bref que le leur. Nous passâmes
quelques heures, seulement qu’à échanger nos histoires et à jouer de la musique. J’eus la chance de
prendre la guitare, puis le tam-tam, à plusieurs reprises. Nous n’avions même pas besoin d’utiliser de
formule de courtoisie, c’était comme si nous nous connaissions depuis toujours, car aucune barrière
ne nous séparait vraiment, d’un simple humain à un autre. Après quelques heures, ils partirent, me
laissant seul sur cette minuscule plage, où le froid des montagnes commençait à s’emparer de moi. Je
déroulai mon sac de couchage à toute épreuve, et m’endormit sur ce banc, à la belle étoile.

13 septembre 2017

Je me réveillai au petit matin alors qu’il faisait très froid. Jym dormait tout juste à côté de moi et Eva
était déjà sur son tour de garde, regardant au loin des gens sur une plage, espérant que nous ne nous
fassions pas prendre. Je n’avais qu’à remballer mon sac de couchage et mon oreiller, puis en deux
temps trois mouvements, j’étais déjà reparti.
J’avais l’intention de partir de Whistler, car j’avais toujours en tête cette mauvaise expérience avec
cette famille que j’avais aimée de tout cœur. Je suivis ma routine habituelle et me rendit dans un petit
café du centre-ville touristique de la ville pour charger mon téléphone et m’énergiser. Je pris le
temps, également, d’écrire à cette mère qui avait tant été généreuse avec moi et que j’avais quittée
sans lui dire au revoir ; pour m’excuser, mais pour lui dire mon avis sans jugement. Je lui dis qu’elle
était une mère extraordinaire, et que je sentais que sa fille avait un mal à l’intérieur que seul l’amour
pouvait vraiment guérir. L’amour d’une mère pouvait vraiment lui montrer qu’elle n’avait pas à être
aigris par la vie, car l’amour est si beau à ressentir. Puis, je lui souhaitai bonne chance.
De plus, je décidai d’appeler au Québec, pour prendre rendez-vous pour commencer les procédures
pour récupérer mon permis de conduire. Je devais passer un « pseudo examen psychologique », sans
réellement savoir à quoi m’attendre de la part de l’institution gouvernementale responsable de mon
dossier. Mon rendez-vous fut placé le 12 octobre. J’avais maintenant ma date de retour.
Puis, je repartis vers la route principale pour y lever le pouce, toujours accompagné d’Eva et de Jym,
pour revenir, tranquillement, vers le Québec. Cette fois-ci, je voulais m’arrêter à Kamloops, à quatre
heures de distances en voiture. J’attendis une vingtaine de minutes avant qu’un jeune homme ne
s’arrête. Il me fit signe d’embarquer, m’excusant de ne pas aller trop loin. Encore une fois, n’importe
quelle distance était bonne à parcourir. Je lui racontai rapidement mon histoire. Il semblait intrigué et
passionné par mes mots. Mais avant même que je ne puisse lui dire la moitié de ce que j’avais à dire,
nous devions déjà nous quitter.
Il me laissa à un embranchement, où ce n’était que la forêt qui m’entourait. Je marchai un peu, même
si je savais très bien qu’il m’était impossible de rejoindre ne serait-ce qu’une parcelle de la
civilisation. Je voulais, encore et toujours, démontrer du courage et de la volonté. Après quelques
minutes, une dame aux cheveux blancs s’arrêta. Je me considérais encore chanceux. Je vis, par
contre, qu’il n’y avait qu’une seule place dans son véhicule plein à craqué. De plus, elle semblait
nerveuse. Je lui signalai que je croyais qu’il n’y avait pas de place pour Jym dans son véhicule, puis
elle repartit aussitôt sans moi, s’excusant.
J’étais toujours au côté de la route, un peu surpris du geste de la dame, mais je ne m’en faisais pas
trop. J’étais bien, j’étais calme, et j’étais excité d’enfin continuer mon aventure, seul pour un moment.
J’attendis encore vingt minutes avant qu’une vieille camionnette grise semi en ordre ne s’arrête.
L’homme dans la fine cinquantaine me demanda aussitôt où j’allais. Je lui répondis sans hésitation :
Kamloops. Il me répondit : monte à bord, je vais, moi aussi, à Kamloops. À ce point, le destin rendait
ma route si facile. Quelles étaient les chances, encore une fois, que la prochaine personne qui
s’arrête, après que cette drôlesse de dame ait changé d’idée, et se rende au même endroit que moi.
J’aurais cru que la route puisse même me prendre deux jours à un certain point. Mais j’étais soulagé.
Je pris place à bord du véhicule, Jym à l’arrière. L’homme me dit qu’il fallait qu’il arrête acheter
quelque chose à manger et mettre de l’essence. Il me dit qu’il était habitué de faire cette route,
particulièrement entre où il habitait et où sa femme habitait. Après ce court arrêt, il se mit à me
raconter son histoire. Premièrement, il avait rencontré une femme extraordinaire. Une femme qu’il
connaissait depuis sa tendre enfance. Malheureusement, cette femme n’était pas heureuse avec son
mari, il en était donc devenu l’amant consensuel du couple. C’était une relation ouverte, et l’homme,
d’un joual canadien-anglais, décrivait cette situation sous métaphore sexuelle, bien que je pouvais
comprendre le degré d’implication de sa situation. Mais c’était plus que le sexe. Il me disait qu’il
l’aimait, qu’elle était belle, qu’il se sentait si bien et si jeune avec elle. Pour moi, c’était une preuve
d’amour ; amoureuse certes, mais aussi d’amour pur, que l’on peut redécouvrir à n’importe quel âge.
C’était de toute beauté, malgré la complexité de la situation.
Nous discutâmes un bon bout de temps. Je lui racontai mon histoire, ce qui m’avait poussé à quitter le
Québec. Quand je fus arrivé à mon épisode d’alcool au volant, il me raconta son opinion face à la
police en général. Et nous étions d’accord sur beaucoup de points. L’homme, pour sa part, vendait de
la Marijuana en grande quantité, depuis toujours. Il la cultivait, mais n’était pas celui qui vendait
dans les rues. Une fois que ces plantes étaient à terme, il trouvait un gros client pour vendre son fruit
de labeur pour des dizaines, voire même des centaines de milliers de dollars. Même quand il ne
cultivait pas, il était celui qui trouvait le client pour les cultivateurs, et gagnait sa vie, de cette façon,
tout en exécutant plusieurs petits travaux sur le côté. On peut bien imaginer, alors, sa vision de la loi
et des policiers. Je lui posai quelques questions, sur ce que ça impliquait, sur comment il cultivait ses
fruits et tout ce qu’il avait à faire. Il semblait amoureux de la plante. Il la cultivait, même à grande
quantité, le plus naturellement possible. Il disait même que pour donner un bon fruit, il fallait donner
de l’amour à ses plantations. Puis il se mit à me raconter l’une des histoires les plus rocambolesques
que j’ai eu la chance d’entendre.
Il avait décidé de faire le tour de l’Asie sur le pouce, sans argent, seulement avec son sac, alors que
plus rien n’allait pour lui au Canada. Il voulait trouver une façon facile de gagner de l’argent et
quelques contacts. C’est ce qu’il faisait, de toute façon, quand il était plus jeune. Il se promenait,
levait son pouce, voyageait, puis revenait.
Arrivé en chine, il se mit en contact avec certaines personnes pour passer une importante livraison de
cannabis, d’un groupe mafieux à un autre. Il était le prospect idéal, car il n’était pas de la région,
avait un gros sac à dos, et était dispensable. La mission était peut-être dangereuse, mais allait être
assez payante pour lui assurer quelques semaines de voyages et même, peut-être, un billet d’avion de
retour. Le cannabis était enfoui dans des bâtons de bambou, bien scellés hermétiquement, de sorte que
sa cargaison ressemblait davantage à des feux d’artifices qu’à des sacs de pot.
La transaction fut compromise quand les gens, ainsi que lui, furent pris par les forces policières, qui,
en toute innocence de cause, le laissa filer avec son sac à dos, après qu’il ait joué la fameuse carte de
l’explorateur innocent. Bref, cela le laissa, seul avec lui-même, dans l’immensité de l’orient, avec
une cargaison impressionnante de cannabis dans son sac.
Chaque fois qu’il rencontrait un problème, il savait comment monnayer son stock pour s’en sortir.
C’est en rencontrant des personnes, ici et là, en se faisant des contacts, qu’il sut bouger de la chine,
au Viet Nam, car il savait qu’il ne pouvait pas quitter le pays facilement en destination du Canada.
Son histoire le mena donc dans un minuscule pays, sans trop avoir à dépenser ce qu’il avait gardé
dans son sac depuis pratiquement le début de son voyage. Il se fit tranquillement ami avec des gens
qui avaient de l’argent qui lui offrirent un voyage payé jusqu’au Canada, en échange de certaines
faveurs. Puis, il rentra au Canada avec ce qu’il possédait. Il faut quand même remarquer qu’à cette
époque, les mesures de sécurité de voyages étaient moindres, et qu’un jeune innocent comme lui
n’était pas vu comme un criminel, à priori. Le comble de l’ironie fut qu’il revint au pays, toujours
avec sa cargaison dans son sac.
Il revint chez lui en autostop. Épuisé de toutes ses péripéties, la nuit était sur le point de tomber, la
pluie commençait à l’achaler drôlement, il était découragé. Puis, une vieille dame s’arrêta pour lui.
Elle l’embarqua, et lui dit que la seule raison pourquoi elle s’était arrêtée était qu’elle avait vu qu’il
portait des bas semblables. Puis il me dit qu’il écrivait un livre sur sa vie. Qu’il allait
l’intituler : « Pourquoi il faut toujours porter des bas semblables ».
Je me mis à rire, car j’aimais beaucoup le titre. C’était si ironique, car j’avais passé une bonne partie
de ma vie à dire à mon entourage que la vie était trop courte pour prendre le temps pour porter des
bas semblables, car personne ne les voyait. Bref, son histoire était si intéressante, et le temps passait
si vite avec lui. Il semblait heureux.
En quatre heures de route, nous n’arrêtâmes pas de parler un instant. Échangeant nos histoires, il
conduisait assez rapidement, dépassant tout le monde. Il était un peu agressif au volant, mais tout de
même sécuritaire. Il dépassait seulement quand il voyait que la voie inverse était disponible sur une
bonne distance et semblait vraiment connaître la région. Il me dit également qu’il aimait beaucoup la
vie. Il avait fait de bons montants d’argent durant sa vie, mais pour lui, l’argent n’était pas un but
ultime, mais bien un outil. Quand il avait de l’argent, il profitait, quand il en avait moins, il se serrait
la ceinture. Mais de la façon qu’il vivait, la vie lui avait donné beaucoup plus qu’à son entourage qui
se rendait malade à travailler et à payer des biens éphémères qui les emprisonnaient. Je n’étais
certainement pas contre l’idée.
Arrivé à Kamloops, il me dit qu’il allait peut-être me recroiser au lendemain, car il devait y revenir
et qu’il espérait me revoir, car j’étais de très bonne compagnie, bien que sa copine fût un peu contre
l’idée. Il me conseilla de faire comme si on se rencontrait pour la première fois, pour me donner une
chance. Pour ma part, son histoire avait marqué mon esprit intensément. C’était ce genre d’aventure,
comme la mienne qui, même si on y met deux cent mille mots, reste indescriptible. Puis, sa voiture
s’éloigna de plus en plus derrière moi.
Je me mis à parcourir la ville. La semaine qui débutait, on aurait dit que je marchais dans une ville
fantôme. Tout le monde était au travail ou à la maison et c’était un peu ennuyant. Mon expérience
m’avait démontré que les endroits accueillants, pour les voyageurs comme moi, étaient souvent sous
les ponts. J’allai alors vers la plage pour me reposer un peu tout près d’un pont. Je vis tout de suite
un endroit sous celui-ci, une tente y campait déjà. Je pris le temps de voir où je pouvais installer la
mienne, puis me reposai sur la plage, contemplant l’eau, le ciel et les montagnes désertiques de la
vallée d’Okanogan.
Après quelques heures, je m’ennuyais. Pour être franc, je me sentais perdu. Je me demandais ce qui
allait se passer avec mon aventure qui semblait morte et qui ne semblait pas m’offrir ce à quoi je
m’attendais. La plage était pratiquement déserte. La ville était pratiquement déserte également. Je me
demandais si je ne quittais pas la ville, mais pour aller où ? Kamloops était bien plus ennuyante que
je n’aurais pu le croire. Mon premier réflexe fut alors d’aller trouver un bar des environs. Peut-être
allais-je avoir la chance de rencontrer des gens qui pouvaient me montrer le chemin ? Peut-être
m’étais-je déjà trop habitué à être avec quelqu’un que je ne trouvais plus de but à être seul. Ma tête
tournait un peu trop. Je décidai alors de marcher vers le Centre-Ville de Kamloops pour aller y
manger une bouchée et y boire une bière.
Arrivé au restaurant, je commandai un burger et des frites que je dégustai avec appétit. Puis, je bus
une bière, puis une seconde, et j’attendis quelques heures, seul avec moi-même. L’univers m’avait
tellement offert tout ce dont j’avais besoin, que je sentais qu’il prenait une pause de moi. Comme s’il
pouvait me laisser enfin à moi-même. Ce sentiment, mêlé à l’ennui du moment, me donnait
simplement le gout de revenir à la maison près des personnes que j’aime. Comme si je désirais que
mon aventure se termine sur-le-champ.
Je remarquai une table de billard au bout de l’établissement. Je m’y dirigeai. Un groupe de trois
personnes y commença à jouer quelques pas avant que je puisse y arriver. Ils s’excusèrent. Je leur
répondis qu’il n’y avait rien là, puis je leur demandai si je pouvais me joindre à eux pour la
prochaine partie. Ils acceptèrent avec plaisir. Puis, nous fîmes connaissance. Ils avaient tous environ
mon âge. La femme du groupe était en couple avec un des hommes, et un autre homme les
accompagnait. Nous jouâmes quelques parties, je continuai à boire des bières tranquillement, mais
l’alcool s’accumulait dans mon sang et je le réalisais trop peu. Puis, tout en discutant, après quelques
heures, la jolie blonde de notre groupe proposa de sortir dans un bar de danseuses nues pour faire
plaisir à son ami célibataire.
J’avais entendu dire que ces établissements étaient différents de ceux aux Québec. Bien que son
amoureux ne semblât pas emballé par l’idée, l’autre homme semblait ravi. Ils m’invitèrent avec eux,
me demandant si ça me dérangeait de passer par l’appartement de mon nouvel ami pour y fumer un
joint de cannabis. Eva me regardait déjà avec de gros yeux, j’avais déjà consommé plusieurs bières
et l’endroit que j’avais trouvé pour dormir était à au moins vingt minutes à pied, mais je l’ignorai du
haut de mon état festif, même si mon porte-monnaie ne me le permettait guère. Elle fut insultée.
J’acceptai volontiers leur invitation, empoignant Jym. Nous nous rendîmes à l’endroit, y restâmes
pour quelques dizaines de minutes, fumâmes, puis repartîmes.
Je dus laisser Jym à l’entrée du bar de danseuses nues. Puis j’avançai vers le comptoir du bar et y
commandai un gin-tonic. Les personnes que j’accompagnais étaient déjà loin. Je sentis qu’ils
voulaient être un peu plus seuls, car ils ne m’attendirent pas pour se trouver deux chaises tout près de
la scène. Je respectai leur choix. Je m’assis derrière eux quelques moments, pour voir s’ils allaient
me faire un signe, mais sans résultat. Puis, je me levai et allai m’asseoir ailleurs.
Je bus le gin-tonic rapidement, et en commanda un autre. Puis, je me trouvai un autre endroit pour
m’asseoir. Le mélange de plusieurs bières, puis de cannabis, puis de gin me frappa au visage, alors
qu’Eva me regardait découragée, victime de ma propre médiocrité. Si auparavant, je sortais pour
rencontrer, discuter, échanger, cette fois-ci, j’essayais maladroitement d’oublier. Je passais d’une
table à l’autre, rencontrant des personnes tout aussi festives que moi ; desquels je n’ai pas beaucoup
de souvenirs aujourd’hui, malheureusement. Puis, j’allai seul sur la piste de danse, tentant de jouer
maladroitement au séducteur. Je retournai m’asseoir, tout en buvant quelques gins-tonic, comme
n’importe quel jeune homme dans la vingtaine aurait pu faire, alors que j’oubliais que je n’étais pas
n’importe quel jeune homme dans la vingtaine.
Au beau milieu de la nuit, j’étais au bar alors que les tenancières étaient débordées. Je commandai un
autre gin-tonic. J’attendis quelques instants, sans que je ne le reçoive. Soudain, une autre tenancière
me demanda si je voulais quelques choses. De mon énorme accent francophone encombré par la
lourdeur d’une motricité affaiblie par l’alcool, je lui répondis : « Oui, j’ai commandé un gin-tonic
! ». Puis elle me fit un gin-tonic. La première tenancière m’amena le premier "drink" que j’avais
commandé et réalisa la situation. Elle se mit en colère. Elle me dit que c’était une chose qui ne se
faisait pas de commander la même consommation à deux barmaids. Je tentai de lui expliquer que
c’était un mal entendu et que je n’avais pas voulu commander un deuxième "drink", mais elle
m’accusa d’être en état d’ébriété avancé, donc d’être simplement désagréable. Je ne faisais que
m’excuser, tentant de lui expliquer la situation, mais elle se fâchait davantage. Je lui offris même de
payer pour les deux consommations, si elle voulait, que ça pouvait régler le problème, mais elle prit
les deux consommations et me demanda de sortir de l’établissement. Je tentai toujours de négocier,
mais un jeune homme s’approcha de moi pour m’escorter à la porte. J’essayais toujours d’expliquer
la situation, car je n’avais réellement aucune mauvaise intention. Il me dit qu’il me comprenait, mais
que je devais tout de même sortir, car son travail était de suivre les ordres de la tenancière fâchée.
J’étais quelque peu insulté, mais je coopérai, me disant que c’était simplement la fin de ma soirée
déjà beaucoup trop arrosée.
Je me sentais comme quand tout avait commencé. La nuit où j’eusse perdu mon permis de conduire.
Cette nuit-là j’étais clairement en état d’ébriété, mais, encore une fois, je ne crois pas avoir fait
quelque chose de mal avant de prendre mon véhicule. En fait, cette nuit-là, c’est d’autres personnes
qui voulaient me faire mal et c’est moi qu’on avait sorti de l’établissement, et je m’étais enfui d’eux.
Était-ce le karma qui voulait me passer un message ?
Je marchai dans les rues de Kamloops, j’étais alourdi par l’alcool. Je trouvais à peine mon chemin, il
faisait froid et je voulais seulement me reposer. Je vis un parc et m’y dirigeai. Je m’installai derrière
quelques arbres, déroulai mon sleeping bag et m’y endormi aussitôt.

Soudain, je me fis réveiller par trois voitures qui arrivèrent et qui m’éclairèrent. Puis des hommes et
une femme y sortirent avec des lampes de poche. C’était des policiers, bien évidemment, je devais
vivre ce genre de situation et j’eus été si insouciant que je le méritais de toute façon. Au moins, j’eus
la chance de me reposer un peu et j’étais prêt à reprendre la route et me trouver un endroit plus
convenable pour dormir.
L’un des policiers me demanda ce que je faisais là. Je lui répondis tout de suite en m’excusant, et en
lui disant également que je m’étais endormi sans le vouloir. Je m’excusai une seconde fois, lui
expliquant que j’allais seulement rouler mon "sleeping bag" et m’en aller très rapidement. Il me
répondit qu’il n’était pas d’accord et que j’étais en état d’arrestation. Surpris, je lui demandai
pourquoi ? Il me répondit que je dégageais une forte odeur d’alcool, que j’étais alors en état
d’ébriété dans un lieu public. Il me dit que j’avais tort, car je dérangeais des policiers en
contrevenant à la loi, et que j’aurais pu faire peur aux gens en passant pour mort dans un parc. Je
n’avais aucun mot à répondre devant ces arguments « bétons » pour procéder à mon arrestation.
Même en état d’ébriété, je trouvais que ses arguments étaient dénaturés par la façon dont il les
utilisait. C’était juste stupide. Pour moi, c’était un corps policier qui n’avait rien à faire et qui
n’agissait que par désir d’exercer son pouvoir. Je comprenais très bien la situation, mais je ne
dérangeais personne, sauf s’ils voulaient bien l’être. J’étais calme, collaboratif, cohérent, et je
m’excusais, mais je me résiliai aussitôt. Je tendis les mains vers l’avant sans argumenter. Puis ils me
menottèrent.
Je gardai le silence, alors qu’ils ramassèrent Jym éparpillé partout. Eva me regardait. Elle était
quelque peu contente de me voir vivre cette expérience. Non pas par mépris, mais, cette soirée
maladroite avait appelé le karma à me faire vivre une expérience qui allait être délicieuse à raconter
par la suite. Nous nous regardâmes quelque peu, et je ressentis un sourire de réconfort venant de sa
part qui me disait : « tu voulais une aventure ? La voilà ! » Je souris en retour, également de réconfort
et de résignation, puis je me tournai vers le policier qui me tenait par le bras. Il me demanda aussitôt
pourquoi je souriais. Je lui répondis que ça allait être une belle histoire à raconter. Puis nous
repartîmes vers le poste de police, alors que les deux autres véhiculent policiers disparurent au loin.
Je me disais que les policiers n’avaient rien à faire dans cette ville tranquille pour déployer trois
véhicules pour moi. De plus, je pensais à mon ami à Campbell River qui vivait cette situation
fréquemment. Je n’aurais par contre jamais pensé la vivre de mon côté.
Rendu au poste, ils me demandèrent d’enlever tous mes gros chandails, de vider mes poches et
d’enlever mes bijoux. C’était la première fois que je devais me départir de mon cristal de quartz que
je portais à mon cou. Puis, je me fis jeter en prison, loin d’Eva et de Jym, pour la première fois. Je
me sentis plus seul que jamais.
Ma cellule bétonnée avait seulement une simple toilette dans un coin, aucun lit, et seulement une
petite fenêtre sur la lourde porte d’entrée. Ensuite, ils fermèrent les lumières. Pour moi, la situation
était un peu plus loufoque, car quand j’avais été arrêté pour alcool au volant, il y avait de très bonnes
raisons que les policiers interviennent, mais je n’avais pas été en prison pour autant. Maintenant,
j’étais traité comme un criminel dans une cellule sans lit parce que je dormais dans un parc ?
Sérieusement, il est difficile d’imaginer la situation sans en rire un peu, surtout pour ceux qui me
connaissent.
Je me mis à demander de faire un appelet d’avoir une couverture, car l’air de la cellule était glacial
et je ne portais qu’un seul petit t-shirt. J’avais extrêmement froid. Après quelques demandes criées
non agressivement au travers de la porte. J’entendis un policier crier « Shut up, Shut the fuck up! » Je
fus surpris. Mon désabus face à la situation fut à son apogée. J’insérai mes bras à l’intérieur de mon
mince chandail, j’optai pour la position fœtale, puis je m’endormis sur le plancher de béton glacial
de la cellule du poste de police de Kamloops.
Chapitre 17
F*ck the police
14 septembre 2017

J’aurais cru avoir besoin de quelques minutes pour me réveiller ce matin-là, pour réaliser que
c’était la première fois que je ne sentais pas la présence de Jym et d’Eva. Pourtant, le sol trop froid
de ma minuscule cellule me rappela assez rapidement ce que je venais de vivre. Bien que j’eusse
profité du faux plaisir de l’alcool pour agrémenter ma soirée trop ennuyante de la veille et que je m’y
étais perdu, sans but et sans inspiration, je croyais quand même fermement que je n’avais rien à faire
dans cette minuscule cellule sans lit. Je croyais d’autant plus, qu’un bon policier aurait dû utiliser son
discernement pour « protéger » sa communauté et non de me persécuter par abus de pouvoir comme
on le voit trop souvent. Dans un monde où même les juges ne peuvent plus juger, mais se doivent de
respecter des écritures et de donner droit à celui qui trouve les meilleures failles entres celles-ci,
comme les Romains avec la bible, je perdais de plus en plus foi devant un système de loi défaillant.
Ma faute était cependant d’avoir fait volteface au karma qui voulait m’enseigner que tout événement
dans la vie venait par vague et que je devais continuer à surfer sur les hauts et les bas de mon voyage,
au lieu de tenter de tout forcer sur un balancier qui revient toujours dans l’autre direction.
J’étais assis, dans ma cellule et je continuais à coopérer. Je restais silencieux. Je croyais que si je
voulais prendre cette expérience comme un enseignement, je devais juste lâcher prise sur les
injustices commises par des systèmes impersonnels et universels qui ravissent l’intégrité de
l’humanité depuis déjà trop longtemps. Alors que des gens corrompus participent à l’élaboration de
ce système et s’enrichissent avec l’argent de tous, moi je passais une nuit en prison pour avoir dormi
dans un parc. Je me disais, par contre, qu’ils pouvaient tout me prendre, ils n’allaient jamais prendre
mon âme ; mon bonheur et ma vie. J’étais toujours assis et j’attendais. Comme la seule chose que je
pouvais faire était de regarder par ma petite fenêtre qui donnait sur un corridor trop froid à mon gout,
je me levai pour regarder par celle-ci, sans toutefois émettre une émotion. J’étais si passif. Après
quelques allers retour de certains agents de la « paix », l’un d’entre eux ferma violemment l’écoutille
de ma fenêtre devant mes yeux aux aguets. Je fus surpris, sur le coup, mais la stupidité du geste jouait
tant en ma faveur dans cette histoire que j’ai maintenant la chance de raconter à tous, que je ne m’en
faisais pas. Je n’avais qu'envie de repartir sur la route pour quitter la Colombie-Britannique et
rejoindre l’Alberta, pour revenir tranquillement vers chez moi.
Je fixai la caméra qui m’espionnait dans le coin supérieur de ma cellule, brandissant ma tête d’un
côté et de l’autre pour démontrer un découragement devant la stupidité de leur agressivité mal placée.
Une agressivité qui se dénotait davantage psychologiquement que physiquement. J’optai, par la suite,
pour la position du lotus et me mis à méditer, car je ne savais pas il était quelle heure et combien de
temps que je dusse attendre, confiné dans cette « drunk tank », maintenant sans fenêtre.
Je ne sais pas combien de temps plus tard, on me dit finalement et froidement que je pouvais sortir. Je
remerciai poliment. J’allai à l’accueil, où un agent m’attendait avec mes effets personnels dans un sac
de poubelles, et mon sac, à moitié fait. Il me tendit un formulaire qu’il m’ordonna de signer pour
accepter de récupérer mes biens. Je lui signalai que je voulais le lire et vérifier si toutes mes choses
étaient bien là, car chacune de mes pièces d’équipement était si importante à l’application de cette
aventure. Il m’arracha violament le formulaire des mains et me dit : « You can’t read it, get out of
here ». J’étais simplement abasourdi. Tout en tournant ma langue sept fois, je pris mes effets et sortis
du poste de police.
La lumière du soleil m’aveugla sur-le-champ, mais était si apaisante. Je renversai le sac de poubelles
pour y retrouver mon cristal de quartz, que j’enfilai à mon cou aussitôt. Je me sentis mieux. Je me
sentis reconnecté. Puis, je pris mon téléphone et appelai la seule personne à qui je voulais parler de
la situation, c’est-à-dire : mon meilleur ami, à Gatineau, qui étudiait pour devenir un policier. Je lui
expliquai rapidement la situation et lui pria d’avoir un bon discernement quand il sera lui-même agent
de la paix. J’avais confiance en lui, ce qui me laissera toujours un peu de confiance face aux
personnes derrière leurs badges. J’essayais, en même temps, de ne pas exagérer la situation, car je ne
voulais pas mettre trop de sauce sur un spaghetti déjà bien arrosé, mais au beau milieu de cette courte
conversation, le même agent sortit du poste pour me crier méchamment de ne pas prendre le temps de
retrouver mes choses et de déguerpir le plus rapidement. Mon meilleur ami était subjugué, au bout du
fil, alors que je n’avais plus besoin de mot pour expliquer ce qui se passait. Je lui signalai que je
m’ennuyais de lui, que j’étais sur le retour et que j’allais le visiter très bientôt. Puis je rangeai mon
téléphone.
Je pris le temps, malgré l’attitude de ce policier, de tout ranger correctement : mon sac de couchage,
mon oreiller, mes vêtements, puis, de vérifier si toutes mes choses y étaient. Ils m’avaient même
laissé mon sac « ziplock » avec un fond de cannabis à l’intérieur. Comme si le pouvoir était
réellement le seul motif de leur intervention, au-delà des lois. J’aurais au moins compris s’ils me
l’avaient enlevé, ou s’ils m’avaient donné une amende pour dormir où je n’avais pas le droit, mais
non. Ils ne voulaient que me torturer pour une nuit. Pour ma part, j’avais utilisé l’alcool pour me
désennuyer, pour la leur, ils m’avaient utilisé pour les mêmes raisons : le karma.
Le policier sorti de nouveau pour réitérer les mêmes commandes d’un ton aussi méchant. Bien qu’il
me manquât la seule et unique veste que j’avais constamment portée depuis le jour un, j’acquiesçai
pour le faire taire, puis quittai, une fois tout terminé. Toutes mes autres choses y étaient. Je n’avais
plus d’argent dans mon portefeuille, bien que je ne puisse pas me souvenir clairement si j’avais tout
dépensé ou non. De toute façon, cela m’était un peu égal. J’assumais pleinement le courroux de
l’injustice mené par les « forces de la justice ». Je décidai donc de reprendre mon voyage, de
reprendre ma routine, de reprendre mes esprits et mes inspirations, c’est ce qu’Eva me conseillait.
Elle était perplexe face au système, mais était à la fois contente, car nous étions partis pour raconter
une histoire. Et cette soirée ennuyante s’était transformée en l’une des meilleures de ce récit.
En chemin vers le Tim Horton's le plus proche, j’appelai ma mère, pour l’avertir que j’allais partager
cette histoire, la journée même, sur les réseaux sociaux. Et que je devais lui raconter d’abord avant
qu’elle ne l’apprenne via ceux-ci. Je commençai par lui dire : « Je veux juste te dire que j’ai mangé,
je ne suis pas blessé, je suis toujours sur la route, mais… » Puis, je lui expliquai. Ma mère, étant une
maman, n’était pas contente, car elle se sentait si impuissante. Mais j’étais déjà sorti de la situation.
Une chance qu’elle n’était déjà pas au courant de l’épisode du crack ou encore de celui du serpent à
sonnette. Après une brève conversation, je lui dis que j’étais bien et que tout était déjà derrière. Nous
nous dîmes que nous nous aimions, puis, je raccrochai. J’étais ému, sensible, mais je me sentais fort,
en raison de la façon dont j’avais géré la situation, malgré la brutalité psychologique du système en
place.
Mon couple d’amis à Kelowna voulait me revoir, mais je leur envoyai un message pour leur dire que
je devais quitter la province. Que cette nuit avait été un signe pour me guider plus loin. Mais je
savais que cette belle Acadienne, que j’avais rencontrée deux semaines plus tôt, était en Alberta et
j’avais tant le gout d’un peu de douceur. Je la contactai et nous nous donnâmes rendez-vous, alors
qu’elle était à Edmonton. Mon défi était de parcourir huit heures de route, encore une fois, espérant le
faire la journée même, pour aller la rejoindre.
Au Tim Hortons, je cherchai une prise de courant pour brancher mon téléphone en piètre état, mais je
n’en trouvai guère. Je m’assis, savourant un croissant et un café chaud. Je me disais alors que je
n’allais pas rester là longtemps.
Une femme blonde, au beau milieu de la quarantaine, me pointa une prise de courant pour m’aider. Je
la remerciai. Elle ne put s’empêcher de me questionner, voyant Jym se pavaner. Je lui expliquai mon
histoire en général, puis la dernière nuit que je venais de passer. Elle était remplie de compassion.
Elle me raconta ses passions. Elle était témoin de Jéhova et était justement en train d’écouter, à l’aide
d’écouteur, un enseignement sur la compassion et sur aider son prochain. Nous échangeâmes alors sur
l’implication de la religion et sur les bonnes valeurs que l’on peut avoir face aux autres, à l’intérieur
d’une communauté où nous nous devons de nous entraider. Elle me raconta son passé difficile avec
une famille conservatrice, quand elle était plus jeune et son évolution difficile en tant que jeune fille,
puis jeune femme. Pour enfin trouver une spiritualité, véhiculée par une religion, qui lui donna des
ailes pour affronter les difficultés de la vie. L’important était de donner et recevoir après tout. Elle
me donna, après une trentaine de minutes, deux colliers qu’elle avait fabriqués : l’un pour moi, et
l’autre que je lui dis que j’allais offrir à ma mère. Puis, même si elle n’allait pas dans cette direction,
elle m’offrit de me sortir de la ville pour faire un bout de chemin avec moi. J’acceptai volontiers.
Pour terminer, elle m’offrit une bible de sa religion que j’acceptai, même si Jym était de plus en plus
lourd sur mes épaules.
Nous embarquâmes alors dans sa camionnette. Tout près de Kamloops, il y avait deux autoroutes qui
se croisaient. L’autoroute 5 qui se rendait vers le nord, donc vers Edmonton ; un coin de pays que je
n’avais pas eu la chance de voir encore. Et l’autoroute 1 ; la Transcadienne qui se rendait à Calgary.
Je signalai à ma chauffeuse mon itinéraire, mais elle fit fi de ma volonté et se dirigea vers l’autoroute
1. Pour ma part, je me dis que le destin allait me guider. J’avertis ma future complice que j’allais
alors plutôt être dans le sud de la province. Elle fut si heureuse qu’elle proposa de se rejoindre à
Banff ; ce magnifique endroit, lequel je n’avais pas eu la chance de connaître encore, pour qu’on
puisse le visiter ensemble.
Cette nouvelle samaritaine que je venais de rencontrer m’avait fait une merveilleuse faveur. Je
n’avais pas eu besoin de lever le pouce, et voilà que j’étais déjà à l’extérieur de Kamloops. Elle me
paya un burger de chez Wendy’s, me laissa aux abords de l’autoroute, me souhaita bon voyage et me
serra fortement dans ses bras. Puis elle repartit. J’étais béni de voir que de bonnes personnes étaient
toujours là quand il le fallait, prêtes à aider leur prochain, alors que ceux qui devraient le faire à
l’aide de nos taxes communes ne le font qu’à moitié. Je rendis grâce à Dieu pour cette vie remplie de
moments rocambolesques qui la caractérisent si bien.
J’étais seul sur l’autoroute, levant le pouce. Pour la première fois, je n’avais plus peur de me faire
prendre par un policier. Car leur autorité ne m’affectait pas. Ils n’avaient donc plus aucun pouvoir à
mes yeux. Je pouvais comprendre, sans mauvaise comparaison et sur une toute autre échelle,
l’étincelle de la motivation de Nelson Mandella, quand il fut emprisonné, luttant contre un système
qui cautionnait l’Apartheid. Une fois que l’on comprend que la vie vaut la peine d’être vécue et que
les systèmes ne sont pas toujours là pour le bien public, on réalise à quel point on est plus fort que ce
à quoi ils veulent nous faire croire. Encore une fois, on nous fait croire que la population est
mauvaise et que les systèmes sont pourvoyeurs alors que dans les faits, c’est tout à fait le contraire.
En attendant, je reçus un message de cette jolie rousse qui m’avait rejeté, il y avait quelques jours à
Whistler. Elle ne semblait pas bien avoir pris le message que j’avais envoyé à sa mère auparavant.
Celui qui disait que l’amour d’une mère pouvait vraiment l’aider. Elle employait des mots courtois,
mais je sentais que mon message l’avait dérangé. Je lui racontai mon matin rocambolesque. Elle me
dit aussitôt que je devais avoir un problème avec l’alcool. Que cela m’amenait à vivre certains
problèmes. J’étais quelque peu d’accord, même si je voyais la situation différemment. Elle me dit
aussi qu’elle avait mal pris que je me servais avec l’alcool de tout le monde, comme si je profitais
d’eux. Je lui expliquai alors que j’avais acheté ma propre bouteille que j’avais offerte à la fêtée et
que j’avais d’abord confirmé avec elle si nous partagions. Elle prit quelques minutes à répondre à ce
dernier message. Elle me dit simplement que j’aurais dû boire ma bouteille de vin et ne rien
demander, sans en offrir également. Je m’excusai, en premier lieu, expliquant que je n’avais jamais
connu ce genre de coutume où nous n’étions pas invités à partager, et que maintenant, je le savais.
Elle fut très brève par la suite et me souhaita bonne journée. Je lui demandai si nous pouvions rester
en contact et elle ne me répondit guère. J’acceptai que je ne puisse jamais connaître le fond de cette
histoire. La morale de celle-ci était seulement qu’on ne peut pas plaire à tout le monde et que des
fois, les gens peuvent être présomptueux face à nos intentions. Je tâcherai de faire mieux la prochaine
fois.
Son message me fit réfléchir par contre. Je me souvins de plusieurs épisodes de ma vie, volontaire ou
non, où l’alcool était plus que présent. L’alcool au volant en fut une des principales. Je me dis que,
que ce soit sous mon contrôle ou hors de celui-ci, il était vrai que l’alcool avait des incidences
concrètes sur ce qui se déroulait dans ma vie et m’amenait à vivre des situations auxquelles je ne
pouvais pas porter fierté. À l’approche de mes trente ans, je devais réfléchir à ma relation avec
l’eau-de-vie au lieu de continuer, sans fin, sans fond. Pour moi ; pour ma santé, pour mon karma, et
pour les gens que j’aime. Car, c’est seulement en regardant en arrière, plusieurs années après, que je
réalise que l’alcool a toujours été plus nocive que ce que j’eusse toujours réalisé.
Quinze minutes plus tard, une automobile s’arrêta. Un homme dans la cinquantaine me dit
d’embarquer dans son camion pick-up, pour que je fasse un bout de chemin avec lui. Nous allions
dans la même direction, même s’il n’avait que trente minutes à faire. Pour moi, c’était mieux que rien.
Nous passâmes cette demi-heure à parler de notre beau pays, tout en regardant les paysages de la
vallée d’Okanagan qui devenaient de plus en plus désertiques. L’homme était un ancien conducteur de
train. Il me racontait alors ce qu’il avait vu à travers le Canada. Encore une fois, je réalisais à quel
point nous avions un magnifique pays. Nous discutions sans qu’il n’y ait aucun moment de silence.
Comme si nous étions, tous les deux, ouverts à partager. Je semblais autant lui apporter qu’il pouvait
le faire pour moi. Tout semblait couler par soi-même, et je sentais enfin me retrouver au cœur de mon
aventure et de ma mission.
J’en profitai pour lui poser une question qui me brulait les lèvres. L’une des choses que je n’avais
pas osé faire, depuis le début de mon expérience de sans-abris nomade, était d’être clandestin à bord
d’un train. Je lui demandai alors ce qu’il pensait de ceux qui le faisaient. Car, dans la communauté de
la rue, c’était assez commun d’attendre à certains endroits stratégiques et d’embarquer secrètement
abord d’un wagon, en mouvement ou arrêté. J’avais par contre la présomption qu’il allait être contre,
et c’était le cas. Il avait cependant de très bons arguments, car l’activité périlleuse pouvait simplifier
la vie de certaines personnes, mais, en même temps, si le wagon était inspecté, le crime était passible
d’une amende de plusieurs milliers de dollars. De plus, surtout à cette période de l’année, l’air est
froid la nuit, et on ne sait jamais quand le train ne s’arrête, il faut donc être très bien équipé et
approvisionné. Et encore là, rater son embarquement peut être mortel, car un faux pas peut nous faire
basculer sous le train. Pour terminer, il me dit qu’il fallait premièrement courir, embarquer son
équipement, puis sauter dans le train. Je me mis soudainement à rire, lui disant que j’étais alors
convaincu. Je m’imaginais lancer Jym dans le train, ensuite, ne pas pouvoir y accéder, et de le voir
s’éloigner tranquillement. C’était le comble de la stupidité à mes yeux. Le jeu n’en valait
certainement pas la chandelle.
À un moment, il me pointa une maison. Il me dit que c’était la sienne et que c’était sa destination.
Mais il passa tout droit devant, pour continuer sur mon chemin. Il me dit qu’il avait un peu de temps
et voulait continuer sa route avec moi. J’étais flatté. Je sentais, encore une fois, que j’étais de bonne
compagnie. Je pris le temps de lui raconter mon histoire et mon matin troublant. Nous en rîmes un bon
coup. Nous continuâmes vingt minutes sur cette magnifique route qui suivait la vallée. Je voyais bien
qu’il était fier de sa splendide région, et avec raison. Puis, il me laissa dans le stationnement d’un
Tim Horton. Il m’acheta un café et sortit deux billets de vingt dollars pour me les donner. Je le
remerciai grandement. Je lui dis que la planète avait besoin de plus de gens comme lui. Nous nous
serrâmes la main, puis il repartit. J’étais touché.
Je bus mon café avant de reprendre la route, encore une fois. J’avais déjà parcouru quatre-vingt-dix
minutes de route et attendu peut-être seulement dix ou quinze minutes supplémentaires en autostop.
C’était une excellente moyenne. Je repris la route, par la suite, et après seulement cinq petites
minutes, une autre voiture s’arrêta. Un homme chauve et calme me dit de monter. Il se dirigeait dans
les environs de Banff. Encore une fois, le destin me prenait sous son aile et me donnait l’occasion
d’aller où je le voulais, quand je le voulais. J’étais surpris, j’étais béni.
Encore une fois, durant ce voyage, je parlai avec cet homme, d’une conversation qui ne s’arrêta
jamais. Sa voix était si douce et calme, il semblait avoir trouvé une paix intérieure que peu de gens
avaient. Je lui racontai mon histoire de prison pour commencer. Pour certaines personnes, ç’aurait été
maladroit, mais je trouvai les mots justes pour en rire, et je lui dis d’être rassuré, car je me
considérais toujours comme une bonne personne, d'autant plus que ce fut ma seule expérience en
milieu carcéral. Il ria. Il me questionna, par contre, sur ma relation avec l’alcool. Je lui fis part de ma
réflexion amorcée par cette amie rouquine, plus tôt dans la journée. Il me confia qu’il buvait
énormément auparavant. Et que l’alcool l’avait amené à vivre certains problèmes. Il était devenu
chrétien, par la suite, et sa relation avec Dieu avait remplacé sa relation avec l’alcool. J’étais content
de l’entendre. Il continua, par contre, en me disant qu’il avait dû changer complètement de vie et
d’entourage pour y arriver. Qu’il avait toujours beaucoup de peine à cet égard, mais qu’il était plus
heureux dans tous les aspects de sa vie. Il me faisait beaucoup réfléchir. Je pensais qu’en ce qui
concerne les drogues, j’étais souvent l’influencé, car je n’étais jamais vraiment celui qui avait le gout
d’en prendre. Je le faisais quand on me l’offrait. Mais en ce qui concerne l’alcool, j’étais
définitivement l’influenceur de mon entourage. Je devais continuer à y méditer.
Puis, je lui avouai aussi que j’étais croyant. Ayant moi-même été élevé au sein d’une congrégation
pentecôtiste, j’avais toujours un fond de foi qui restait ancré en mon cœur. Par contre, au lieu de
fermer mes écoutilles à une seule mentalité, je les avais ouvertes à toutes, pour prendre le meilleur de
chacune de celles-ci. Il me demanda de m’expliquer, croyant en la religion chrétienne avant tout. Je
commençai par lui dire que j’étais tout à fait d’accord avec les enseignements de Jésus et que c’était
le cœur de tous les fondements de toutes les religions, mais que je considérais que les religions
avaient été transformées avec le temps. Je fis le lien, aussi, entre la prière et la méditation qui sont
parents. L’un se doit de parler à Dieu, alors que l’autre se doit de l’écouter, tout simplement. Alors
que la prière catholique ressemble davantage aux mantras bouddhistes et hindouistes, la prière
protestante ressemble beaucoup à une conversation avec Dieu et à la manifestation de nos désirs dans
la réalité. L’homme m’écoutait calmement, il était très intéressé. J’ajoutai que je croyais qu’il n’y
avait aucun mal à ne suivre qu’une seule foi, mais qu’il fallait simplement garder l’esprit ouvert, car
nous ne sommes finalement que notre propre temple, notre propre âme et que la religion nous donne
des outils pour cultiver cette partie si importante de nous qu’est la spiritualité.
Nous parlâmes de ce sujet durant les quatre heures suivantes, sans arrêt. Nous échangions. Il me fit
comprendre certaines conceptions chrétiennes et je lui fis comprendre certains liens que l’on peut
faire entre les autres religions. Nous parlions des mêmes sujets, mais nous n’utilisions pas les mêmes
mots. Nous savions que c’était souvent le problème des confrontations religieuses. Nous pouvions
dire Dieu, Allah, JHV, l’Univers, les mots étaient simplement biaisés sous le concept immensément
plus gros que la simple sémantique. C’était la même chose pour le concept de péché ou de vibrations.
Je lui disais, par exemple, que je ne croyais pas qu’il ne suffisait que de croire en l’histoire de Jésus
pour aller au paradis, que cette vision était inutile pour le bien commun en soi, et qu’il fallait croire
en quelque chose oui, mais aussi qu’il fallait augmenter ses vibrations de façon à se purifier, à tous
les jours et que Jésus avait été l’un des meilleurs enseignants de cette discipline ; la discipline de
bien vivre. Donc, demander pardon n’était pas efficace si nous avions l’intention de recommencer,
car nous n’aurions simplement pas appris. Si je réduis cette notion au seul fait de reconnaître Jésus
comme sauveur, sans m’attarder à ses enseignants, Ghandi ou la Dalai Lama n’auraient pas de place
au paradis, malgré tout ce qu’ils ont fait, alors qu’un président qui aurait lancé des milliers de
bombes, dans la fausse optique de défendre sa nation, y aurait sa place ? Et qui décide quelle religion
a raison ? Et pourquoi ?
De plus, si nous ajoutions simplement le libre arbitre complet au concept de paradis, il est tout
simplement logique d’en arriver au paradigme de la réincarnation sans que les deux concepts se
contredisent. Bref, ma conception était simplement de dire qu’une fois au paradis, nous avions le
choix de revenir pour continuer à apprécier la vie, mais aussi, à aiguiser nos fréquences. Et c’est ce
que les bouddhistes et les hindouistes croient également. L’homme était d’accord avec ma réflexion.
En chemin, il s’arrêta pour m’offrir à manger. Il voulait aussi m’offrir un manteau et une tuque, car
plus nous montions en altitude, et plus l’air se faisait froid. Je me sentais un peu mal, car j’avais déjà
reçu deux repas, deux colliers, une bible et quarante dollars en cette belle et difficile journée.
J’acceptai en échange d’aller voir dans des magasins peu coutants ou de secondes mains. Nous ne
trouvâmes qu’un beau manteau à cinquante dollars. Il ne semblait pas très chaud, mais il voulait me
l’acheter de toute façon. Je refusai, lui disant que ça ne valait pas la peine. Je le remerciai
grandement.
Lui aussi me pointa la direction où il se dirigeait, mais continua sur ma route pour m’aider et pour
passer du temps avec moi. En plus d’avoir reçu autant en cette journée, tous ceux qui m’avaient
conduit avaient ajouté mon trajet à leur route pour m’aider et je sentais que c’était plutôt par
compassion que par pitié. La différence entre ses deux émotions sœurs n’est pas grande, car les deux
sont seulement le même sentiment, l’un motivé par l’amour, et l’autre par la haine.
Je lui parlai un peu de cette Acadienne que j’avais rencontrée auparavant. Il semblait touché par
notre amitié qui s’était construite si rapidement. Je l’aimais beaucoup effectivement. J’avais très hâte
de la revoir. Je devais, par contre, l’attendre, car elle allait arriver, plus tard, dans cette ville
montagnarde. Je voyais justement les hautes montagnes comme je ne les avais jamais vues. C’était la
première fois que je voyais une montagne si haute qu’il y avait de la neige au sommet, même en été.
J’étais subjugué par les beautés de la nature à son meilleur. Puis, nous nous dirigeâmes vers celle-ci.
Une fois arrivés, il me fit faire le tour de la ville, tentant encore une fois de trouver l’équipement
hivernal qui allait m’aider à continuer mon aventure. Après quelques tours du quartier principal, sans
succès, nous nous dîmes au revoir, et que nous nous aimions. Je me sentais béni d’avoir rencontré un
homme si calme, rempli de compassion, d’amour, avec un vécu aussi grand et sincère comme lui. Je
ne l’avais pas rencontré pour rien. Je me sentais pieux à ses côtés. Nous partagions la même énergie
et j’en étais fier.
Je fis le tour des rues, encore une fois, car je devais trouver un endroit où dormir. Il y avait beaucoup
de monde autour et il faisait très froid. J’étais un peu inquiet de savoir comment ma journée allait
finir, mais d’un autre côté, elle ne pouvait pas finir d’une pire façon que la veille. J’avais simplement
hâte de retrouver mon amie, de l’embrasser et de lui dire à quel point j’aime être en sa présence.
J’allai dans un McDonald, me changeai, mis mes bas de laines pour la première fois, ceux que la
gentille dame en Ontario m’avait donnés. Puis j’enfilai quatre chandails. Je devais trouver une tuque
au plus vite, car mes oreilles étaient particulièrement sensibles aux froids. Puis, je sortis pour aller
déguster une bière bien méritée, offerte par le destin en personne, attendant mon rendez-vous.
Quelques heures plus tard, elle me dit d’aller la rejoindre, un peu plus loin, sur la rue où j’étais. Je
sortis, puis me dirigeai vers notre point de rendez-vous, près d’un Starbucks.
Juste à côté, je vis un guitariste jouant, mais aussi blaguant avec le passant, comme si sa musique était
seulement là pour agrémenter la rue, et non seulement pour l’argent ou par ego. Je m’arrêtai devant
lui. En même temps, j’entendis des gens faire des commentaires sur un énorme chien, je me retournai
et vis ma jolie flamme qui tentait de faire son chemin entre des gens qui voulaient l’attention de Sir
Branston. Je m’approchai d’elle et la serra dans mes bras fortement. En même temps, j’entendis
quelqu’un m’appeler derrière moi. Le jeune homme au visage familier me dit : « On ne s’est pas
rencontré au "Rockfest" de Montebello, il y a quelques mois au Québec ? » Je les reconnus aussitôt,
lui et son ami. J’avais effectivement passé une fin de semaine assez mouvementé avec ces gens que
j’avais rencontrés à cet événement. Le genre de rencontre qu’on oublie et où nous n’avions même pas
gardé contact par la suite. Je me rappelai qu’ils m’avaient confié qu’ils restaient à Banff ce jour-là,
mais, pour être honnête, j’avais complètement oublié, surtout que ma vision du Canada était
largement différente. C’est à croire que le destin les avait mis, encore une fois, sur ma route. Dans
une explosion de joie, je les serrai contre moi, content de cette « coïncidence », mais aussi de revoir
des visages familiers. Je voulais cependant passer un peu de temps avec mon amie, donc, nous
échangeâmes rapidement nos informations, puis, je quittai en compagnie de cette douce Acadienne et
de son fidèle compagnon.
Nous marchâmes en direction de sa voiture, un peu plus loin. En chemin, elle me dit qu’elle devait
aller à Calgary, d’ici deux jours, pour voir certains membres de sa famille. J’écrivis donc aux gens
que je venais de revoir que j’allais les revenir samedi, pour renouer, et pour rattraper le temps perdu.
Puis, je pris le temps, sur-le-champ, de la serrer encore une fois dans mes bras et de lui dire qu’elle
m’avait beaucoup manqué. J’eus aussi le sentiment que Branston me reconnut, alors qu’il était
particulièrement excité. Il était fier d’avoir commencé à faire sa "job", comme je lui avais demandé
auparavant.
Rendu à l’automobile, je l’informai que nous pouvions camper ensemble, mais que l’exercice n’allait
pas être de tout repos, car il faisait très froid et que la ville était remplie à craquer. De plus, nous
commencions à sentir quelques gouttes de pluie tomber sur nos têtes. Mais je réalisai que camper
avec quelqu’un changeait tout. Elle était si emballée à l’idée de camper et de ne pas dormir dans sa
voiture. Elle était si pétillante, quand je lui parlais, que l’idée de camper sous la pluie devenait
emballante. Si j’avais été seul, l’idée aurait semblé beaucoup plus laborieuse.
Je regardai dans l’auto, qui débordait de tout côté, et fus surpris de voir autant de matériel. Je me
demandais comment un gigantesque Danois pouvait entrer dans le véhicule aussi chargé. Je me
demandai d’autant plus, alors, comment je pouvais y faire entrer Jym et moi-même. J’espérai qu’il y
ait de l’espace dans le coffre arrière, mais non. Son banc arrière était transformé en lit avec un épais
matelas de camping et tout son matériel était par-dessus. Elle me demanda de mettre mon sac à la
verticale derrière le banc passager. Par la suite, j’entrai, un peu coincé sur celui-ci. Le chien, pour sa
part, utilisa ses habiletés de Danois maladroit pour se contorsionner et se coucher au-dessus de tout.
Sa tête était à quelques pouces du toit de la voiture, mais tout le monde semblait confortable et prêt à
partir.
Nous décollâmes alors, en route vers Canmore, une ville voisine, où nous risquions de trouver des
endroits plus adéquats pour camper sous la pluie albertaine. Nous étions si heureux d’être ensemble
et vivre ce que nous vivions. Je ne savais pas combien de temps j’allais être avec elle, mais les
événements étaient bons et nous voulions profiter de chaque moment. Nous nous sentions comme si
nous étions des amis de longue date, alors que nous n’avions passé seulement que quelques heures
ensemble auparavant.
Après avoir fait un rapide tour de la ville, nous nous stationnâmes près d’un McDonald, car Eva nous
avait pointé un boisé, non loin, qui pouvait nous abriter pour la nuit. Comme ma nouvelle amie
n’avait jamais tenté l’expérience de dormir clandestinement, je pris les rênes de la situation. La pluie
se faisait de plus en plus forte et nous devions installer nos choses rapidement. Nous nous dirigeâmes
au sein du boisé. Nous trouvâmes un petit coin, y dégageâmes les arbres, c’était peu confortable, mais
adéquat pour s’y installer rapidement.
Jym me tendit ma lampe de poche. Je l’allumai, mais après quelques clignotements, elle cessa de
fonctionner. J’avais également une petite lumière au DEL accrochée à mon couteau de poche. Je la
tendis à ma coéquipière et m’installai rapidement. Elle prit la lumière, puis elle dit : « d’accord, je
vais être le lampadaire ». Je lui répondis qu’elle était alors le lampadaire le plus sexy que j’avais vu
de ma vie. Nous rîmes, bien que nous ayons déjà vécu ce moment auparavant.
Puis, après un bout de temps, je lui demandai de me redonner la lumière, car mon projet avançait
quand même assez rapidement. Elle me demanda si elle pouvait aller au véhicule pour chercher
l’équipement dont nous avions besoin pour dormir. Je lui répondis qu’elle pouvait m’attendre, car
c’était normal qu’elle ne soit pas confortable à marcher seul, la nuit, dans le boisé. Elle répondit
qu’elle allait essayer. Je lui tendis la lumière, car ma vision de nuit était dorénavant ajustée. Puis,
sous mon regard tant impressionné, je la vis s’éloigner.
Elle revint quinze minutes plus tard. Bien qu’il fasse très froid, sous la pluie de l’Alberta, à trois ;
pratiquement de la même taille, nous nous endormîmes, échangeant notre chaleur et quelques baisés.
Chapitre 18
The seven-day theory
15 septembre 2017

Nous nous réveillâmes au petit matin, l’air était si froid qu’il en était presque douloureux de sortir
des couvertures. Même si j’étais impressionné par l’efficacité de mon sac de couchage qui nous avait
servi de couverture pour la nuit. C’était tout de même gris à l’extérieur. Il ne pleuvait presque plus,
mais ce n’était toujours pas la situation la plus agréable. Au moins, nous étions heureux d’être
ensemble. Nous étions heureux d’être heureux et Eva était également contente de me voir en bonne
compagnie.
Nous organisâmes nos équipements rapidement, puis, retournâmes au véhicule, qui était intouché.
Nous organisâmes également le véhicule avant de reprendre la route. Nous nous arrêtâmes pour boire
un café en passant, et prîmes notre temps pour bien engager notre journée. Mon amie me proposa
d’aller en forêt, à notre grand plaisir, et à celui de Sir Branston, qui devait se dégourdir les pattes
après la longue journée de voiture, la veille. Bien que la température fût particulièrement froide sur
cette région montagnarde, l’air ambiant se réchauffait rapidement. Je changeai alors de tactique, et
enlevai aussitôt deux de mes trois chandails que j’accrochai à ma taille.
Mon ami avait un magnifique endroit à me proposer : Grassi Lakes. La visite nous prîmes toute la
journée. Nous prîmes le temps qu’il nous fallait alors que le chien s’amusait à sortir de la piste et à
bondir devant les touristes des environs qui étaient apeurées, car la bête avait la couleur et la taille
d’un ours. Nous tentions de le garder près de nous, mais quand il n’y avait personne, nous avions tant
envie de le défaire de sa laisse, comme un animal en liberté devait être traité. Je brisai pour une
seconde fois mes sandales, en chemin. J’avais eu la chance de les faire réparer une première fois, à
Courtenay, par un cordonnier qui avait cousu une sangle de cuire brisée, c’était mineur. Mais cette
fois-ci, la semelle fendit en deux, c’était irrécupérable et mes Converses était d’autant plus en
mauvais état. Je devais donc improviser pour être capable de marcher plus difficilement avec les uns,
comme avec les autres. Je devais alors écouter ma mère, et m’acheter une nouvelle paire de souliers,
une bonne fois pour toutes.
Nous empruntâmes un autre sentier qui était un peu plus loin que le sentier principal. Il nous mena
vers une clairière entre les montagnes. La végétation était si verte et laissait place à un minuscule lac
plus bleu que le ciel lui-même. Les montagnes, au loin, nous laissaient sentir être au beau milieu du
jardin d’Éden. Nous préparâmes un petit pique-nique, car c’était l’endroit idéal pour le faire, bûmes
une bière et fumâmes une cigarette de cannabis sur cette magnifique clairière. Nous étions bien. Le
chien courrait partout, nous étions collés l’un sur l’autre, admirant le chaleureux paysage sous l’air
réchauffé par un soleil plombant, au beau milieu du mois de septembre. Ce genre d’expérience était
encore plus délectable, car nous pouvions la partager, d’un inconnu à l’autre. Puis, après quelques
heures, nous décidâmes de repartir. Le temps de revenir au véhicule, la majorité de notre journée
s’était déjà écoulée.
Une fois revenus à Canmore, nous cherchâmes un restaurant pour y casser la croûte. Comme ma belle
Acadienne connaissait déjà un peu le coin, elle me pointa une brasserie où nous nous abritions.
Branston était définitivement fatigué de sa journée mouvementée alors que nous avions marché
plusieurs heures en forêt. Il resta au chaud, dans le véhicule bondé, pendant que nous dégustions
quelques bières et mangeâmes. Ma nouvelle amie était végétalienne, comme je voulais l’être, et
semblait s’y connaître énormément en la matière. Je l’écoutais parler de ce qu’elle aimait, de ses
aspirations. Tout ce qui concernait la nourriture et l’alimentation la passionnait tant. Je sentais que
j’avais besoin d’elle pour apprendre et pour aimer davantage ce que mère Nature avait à offrir.
Autant qu’elle m’avait dit qu’elle était craintive face à son départ, face à sa vie sans maison, autant
que j’étais fier d’elle, car ce voyage de solitude avait semblé lui amener ce qu’elle cherchait ; une
certaine paix. Elle avait fait le tour de certains endroits en Colombie-Britannique, puis en Alberta,
depuis que nous nous étions laissés, et avant de continuer sa route vers les autres provinces. Elle
semblait toujours avoir l’appel de retrouver sa mère patrie ; le Nouveau-Brunswick, même si elle
n’avait pas de raison concrète à me proposer pour se justifier. L’idée de la suivre jusque-là et de
visiter les provinces de l’Est me frappa fortement. D’un côté, je considérais que c’était un peu
comme tricher mon aventure, mais de l’autre, c’était une nouvelle option, comme si avoir la
possibilité de voir toutes les provinces était un autre tournant de mon histoire à mes yeux. J’allais
définitivement y réfléchir, mais j’allais laisser la vie me guider. Pour l’instant j’étais juste heureux
d’être en bonne compagnie, d’inclure quelqu’un dans mon aventure et de faire partie de l’aventure de
quelqu’un d’autre, avant, moi-même, de revenir à la maison.
Après avoir mangé une bonne bouffe et dégusté quelques bières, nous sortîmes, puis, nous dirigeâmes
vers la voiture. Nous étions encore très près de l’endroit où nous avions dormi la veille. Je proposai
alors la solution facile, c’est-à-dire de dormir au même endroit. Cette fois-ci, il ne pleuvait pas. Mon
amie était si contente d’utiliser mes méthodes pour tourner son voyage en un « Camping trip » au lieu
de ne seulement que dormir dans son véhicule.
Nous retournâmes au même endroit, mais prîmes le temps de regarder les environs. Juste à côté d’où
nous avions installé la tente la veille, nous vîmes qu’un endroit était simplement parfait, entre trois
arbres, plat et débroussaillé, pour s’installer beaucoup plus confortablement. Nous fîmes de même, et
y dormirent de la même façon. Parce qu’il faisait très froid, nous devions prendre le plus de
précautions possibles. Je lui conseillai de porter le plus de vêtements possibles. Aussi, comme mon
amie à Sault-Sainte-Marie m’avait si bien conseillé, j’installai ma bâche et une couverture sous moi,
pour ne pas conduire le froid du sol dans mon système, car c’était la meilleure façon de se protéger
contre l’hypothermie. Pour sa part, mon amie avait confortablement son matelas, que nous
partageâmes le plus efficacement possible, même si le grand danois s’installa un peu trop à son aise.
Eva était si heureuse, elle sentait que cette personne n’était que bonne pour moi, qu’elle n’était que
rassurante. Comme si le pire était maintenant derrière et que je renaissais, comme un nouveau guide,
pour elle, pour les autres, et pour moi-même. Nous savions, par contre, que j’avais toujours beaucoup
à apprendre et à expérimenter.

16 septembre 2017

Un autre matin, une autre aventure qui se dessinaient dans le livre de notre vie commune, peut-être
éphémère, mais si agréable. Il faisait si froid que j’avais dormi en cuillère avec mes deux
compagnons de voyage, portant la moitié de mon inventaire, et emmitouflé sous des couvertures et
sous mon sac de couchage qui nous gardèrent au chaud toute la nuit. Je sentais que la chaleur
accablante de l’Ouest, au mois d’août, était déjà loin derrière et que maintenant, je devais m’adapter
au froid glacial des montagnes d’un mois de septembre qui allait vers sa propre fin. Eva me signala
que j’allais avoir une grosse surprise en sortant de la tente et ce fut véritablement le cas. En ouvrant
la fermeture éclair de celle-ci, je réalisai que le sol était tout blanc et que la neige tombait
abondamment autour de nous. J’étais quelque peu sous le choc, mais, en même temps, je me sentais si
fort de survivre facilement à une température qui se trouvait si près de l’effroyable zéro.
J’avertis mon amie que nous vivions une situation extraordinaire. J’étais d’autant plus fier d’elle, qui
n’était pas habituée de dormir en camping plus que sauvage. Nous prîmes cette situation comme elle
l’était vraiment, c’est-à-dire comme un miracle de la vie. Être dans un boisé et voir ces gros flocons
se poser délicatement au sol, le seizième jour de septembre alors que nous dormions dans une simple
et petite maison de tissue, était une aventure si poétique en soi. Et pouvoir le partager, d’un inconnu à
l’autre, faisait de nous des aventuriers, courageux, vertueux et hors-la-loi. Nous prîmes quelques
instants pour chérir ce moment et pour le graver dans nos mémoires à tout jamais, sans même le
capturer en photo. Car la photographie aurait été froide et grise, alors que le moment était coloré et
chaleureux à nos yeux. Peut-être n’étions-nous qu’optimistes, mais l’important était que nous étions si
bien, en ce moment qui aurait pu se montrer beaucoup plus difficile.
Nous étions chanceux, car la neige était douce et il n’y avait aucune glace. Mon équipement ne fut pas
endommagé et, bien que la tente fût trempée, réorganiser Jym fut un jeu d’enfant. Puis, nous
retournâmes pour une seconde fois dans le stationnement de ce kiosque à restauration rapide pour
réorganiser la voiture et partir. Mon amie voulait me montrer un petit café qu’elle appréciait
particulièrement avant de quitter définitivement Canmore. Pour ma part, j’avais le gout d’agrémenter
mon matin d’une façon particulière, c’est-à-dire : en « Wake and Bake ». Elle me tendit un superbe
sac en tissu et me dit d’y fouiller, alors que nous étions sur la route. J’ouvris le sac et c’était la
caverne d’Alibaba à l’intérieur de celui-ci. Il y avait plusieurs différentes souches de cannabis
séparées dans des sacs différents, des bonbons, des jujubes, également, du thé au cannabis, du papier
à rouler et des accessoires pour agrémenter notre expérience. Je lui confirmai qu’elle s’était bien
préparée pour voyager.
Au lieu de fumer un joint, elle me demanda si j’avais déjà essayé un jujube au pot. Je lui répondis
oui, avec enthousiasme. Elle me conseilla de manger seulement le quart d’un d’entre eux pour
assimiler ses effets. Comme je n’étais pas habitué de le faire, mais que j’étais quand même habitué à
l’effet, j’en pris une plus grande bouchée, sans faire par exprès et elle le remarqua aussitôt. Elle me
dit de faire attention. J’en fus sceptique, alors qu’elle en rit un bon coup. Elle mangea un petit bout
aussi, juste après avoir stationné l’auto. De toute façon, les effets allaient se faire sentir plus tard,
après que l’estomac et le foie aient fait leur travail.
Nous allâmes donc à ce petit café, au beau milieu d’une Canmore, sous un délicat tapis de neige, pour
nous réchauffer, pour charger nos téléphones et pour nous donner un peu d’énergie temporairement,
alors que le Danois resta confortablement sous les couvertures dans la voiture, quelques rues plus
loin. Nous rencontrâmes quelques problèmes à se trouver une table convenable, alors que l’endroit
était plus que bondé. Après un moment à attendre qu’une table ne se libère, nous bûmes un bon café et
mangeâmes un sandwich, alors que je voyais que mon amie était de plus en plus stressée. Pour la
faire rire, je remarquai une guitare accrochée au mur par des velcros. Je lui dis alors que j’allais lui
jouer une chanson. Elle rit un peu, mais cela ne semblait pas lui changer les idées. Elle me dit
simplement qu’elle avait besoin d’un peu de temps, seule, et qu’elle allait réorganiser sa voiture. Elle
me demanda de l’attendre au café, et de nous rejoindre plus tard. Elle laissa son téléphone charger à
notre table, et quitta rapidement, stressée pour je ne savais quelle raison. Je m’inquiétais un peu
même si je savais que nous avions, chacun à notre façon, notre aventure à gérer.
Je buvais un café et regardait autour. J’étais seul avec moi-même, tranquille, mais je réfléchissais de
plus en plus, oubliant tout ce qui m’entourait. Après un certain moment, je remarquai que je n’étais
plus dans mon état normal. Je me rappelai alors que j’avais ingéré un bonbon au cannabis. C’était un
petit détail que je n’aurais pas dû oublier, car je ne savais pas depuis combien de temps mon amie
était partie, et depuis combien de temps je l’attendais. Selon mes sens, cela pouvait faire dix minutes
que je l’attendais comme quarante, je n’en avais aucune idée. J’aurais simplement dû regarder
l’heure à laquelle elle avait quitté. Les effets du cannabis ingéré se montraient quelque peu différents,
et quelque peu plus puissants que quand on le fume, et je devais simplement me séparer de la
conscience du temps, pour seulement attendre, sans plus le considérer, sans même regarder l’heure
qui ne m’indiquait vraisemblablement rien. De toute façon, j’étais si libre que je pouvais le faire sans
conséquence. Je me disais que je pouvais littéralement attendre toute la journée.
Un bon moment plus tard, j’attendais toujours, je n’avais plus rien à faire, et je n’avais toujours pas
de nouvelles. Toujours sous les effets du THC, je me levai et tentai de prendre la guitare accrochée
juste au-dessus de ma table. Je me disais que si elle était attachée par des velcros, elle était
disponible pour la clientèle. C’était une belle pièce, une Fender, rougeâtre. Je touchai les cordes
pour voir si elle avait besoin d’être accordée et j’étais prêt à le faire. Je tirai délicatement dessus
pour la décrocher les velcros, mais ceux-ci ne la laissèrent pas aller. Je tirai alors un coup sec et
fort, et d’un craquement sourd, elle se délogea de trois velcros alors que les deux parties du
quatrième suivirent la guitare, accompagnés d’une partie de la peinture du mur de ce joli café de
Canmore. Je restai sous le choc une milliseconde, guitare en main, avant de la remettre subitement,
subtilement et difficilement en place, d’une expression faciale qui exprimait fortement mon inconfort
face à cette situation. Je la reposai doucement sur le mur, mais elle semblait vouloir retomber
aussitôt. J’étais debout et je fixais la guitare, tentant de la tenir en équilibre avec mon esprit aiguisé,
mes deux mains dans l’air devant moi, comme un chevalier jedi le ferait. Les deux tables m’entourant
se mirent à rire de moi. Je me mis à rire également.
Une femme, assise à l’une d’entre elles, me dit que je devais changer de place avec mon amie, car, si
la guitare tombait à son retour, elle me tomberait au moins sur ma tête et non sur la sienne. Je lui
répondis que c’était une très bonne idée, puis je changeai de place, continuant de fixer longuement la
guitare, pour être sûr que mon esprit la tienne en place sur ce mur si fragile. Je me sentais mal. La
femme, amusée, continua : « Ce n’est pas en la regardant qu’elle ne tombera pas, en fait, je pense
qu’elle va surement tomber ». Je lui répondis, en riant, qu’il ne fallait pas dire ces mots, que c’est en
le disant qu’elle allait tomber, il ne fallait pas « Jinxer » la situation. Puis, je continuai, toujours avec
le sourire, un peu naïf, d’un jeune homme affecté par le THC: « Si elle tombe, ce ne sera certainement
pas de ma faute, mais de la vôtre pour en avoir parlé, c’est votre responsabilité maintenant, ce n’est
plus la mienne ». Elle se mit à rire, lisant mon ton maladroit et blagueur. Après plusieurs minutes,
voyant que tout était bien, après le départ de ma table voisine, j’allai m’asseoir plus loin, soulagé que
la guitare ait gardé sa place sur le mur de ce chaleureux établissement.
Je me mis à parler à un inconnu qui était assis sur des sofas près d’où j’étais. Il lisait le journal, tout
en parlant de la température froide. Je lui dis que j’étais très surpris du froid des environs, car nous
n’étions qu’au mois de septembre. Il me dit que, pour lui, moins quatre degrés Celsius, une nuit de
septembre, c’était relativement normal. Je restai accroché à ses mots : « moins quatre », qui
agrémentait ma fierté d’avoir dormi à l’extérieur. Je lui fis répéter cette donnée pour être sûr d’avoir
bien compris. J’avais bel et bien dormi quatre degrés Celsius sous zéro, à l’extérieur. J’étais si fier.
Il me présenta un ami, qui semblait un peu plus froid et méfiant que lui. Je le saluai. L’homme était
issu des premières nations, conformément à ses traits physiques. Ils se mirent à discuter entre eux
alors que j’attendais toujours mon amie, qui était partie depuis au moins une heure, selon mes calculs.
Après un bout de temps encore, je la vis apparaître dans le café, le sourire aux lèvres. Elle acheta un
autre café et vint s’asseoir à mes côtés. Elle semblait mieux et par télépathies, nous comprîmes que
nous étions dans le même état d’esprit. Puis nous commençâmes à discuter, car j’étais curieux de
savoir ce qu’elle avait fait durant tout ce temps. Elle m’expliqua qu’elle avait pris du temps avec son
chien, puis qu’elle avait bien organisé la voiture pour faciliter notre journée. Je la remerciai.
Soudain, l’ami de l’homme nous interrompit rudement. Elle me dit : « excuse-moi, est-ce qu’on est au
Québec ici ? ». Je lui demandai de répéter, car je ne comprenais pas ses intentions, et il les répéta,
toujours sans tact. Je lui répondis que bien évidemment non ; nous étions en Alberta, avec un sourire
un peu méfiant et incertain de la suite des choses. Il me dit : « Justement, parlez en anglais, nous ne
sommes pas au Québec ». Je restai surpris un instant. Je ne comprenais pas pourquoi il nous disait
cela, et je me disais que si je ne pouvais que parler le français, je n’aurais tout simplement pas eu le
droit de parler ? Je regardai son ami, l’homme avec qui je parlais à priori, il leva les yeux derrière
son journal, mais ne dit rien. Mon amie et moi, un peu confus, n’ajoutâmes rien, finîmes nos cafés et
sortirent, déboussolés, victime d’une discrimination sans fondement. Je n’avais que de la compassion
face à quelqu’un qui devait tant souffrir pour qu’entendre parler dans une autre langue le dérange au
point de vouloir contrôler la situation au dépend de notre bien-être.
Nous marchâmes aux alentours, puis, après un moment, nous nous rendîmes au véhicule. Branston
était content de nous revoir. Nous décidâmes d’aller visiter le fameux Lac Louise. L’une des
merveilles de notre beau pays. C’était samedi, mon amie devait se rendre à Calgary en fin de journée,
donc nous voulions seulement explorer rapidement cette région, puis elle pouvait ensuite me déposer
à Banff pour que j’aille rencontrer ceux que j’avais jadis connues, quelques mois auparavant, à
Montebello, dans mon ancienne vie.
En route vers cette merveille du Canada, je remarquai deux choses. La première était que mon amie
semblait toujours un peu stressée pour je ne sais quelle raison. La deuxième était qu’en la regardant
conduire, je remarquai qu’elle portait un lourd bandage à la main droite qui couvrait l’intégralité de
sa paume. Je lui demandai alors ce qui s’était passé. Elle me répondit qu’elle était étonnée que je
n’aie pas remarqué sa main encore, car elle souffrait d’un fort eczéma qui lui fissurait littéralement
l’intérieur de la paume. Juste à voir le bandage, cela semblait sévère. Elle s’excusa ensuite, car
c’était cette douleur qui l’avait poussé à s’émanciper, un peu plus tôt, car elle avait du mal à la
supporter.
Je continuai en lui partageant ma vision sur la guérison. Parce que, comme le principal compétiteur
d’un bon médicament était l’effet placebo, il était important de réfléchir sur ce qui déclenchait l’auto-
guérison de quelqu’un, seulement par ses capacités psychologiques car le placebo est phénomène qui
entraîne une guérison par soi-même. Car la science n’a jamais vraiment voulu aller jusqu’au fond du
sujet, qui reste jusqu’à ce jour, un mystère, bien que le concept soit accepté scientifiquement. Pour ma
part, je croyais qu’on pouvait l’expliquer en trois points distincts. Premièrement, nous avions la
capacité en nous, donc il fallait y croire. Deuxièmement, il fallait croire, non seulement, que nous
étions capables, mais que la guérison venait de l’intérieur de nous-mêmes, et non d’une source
extérieure. Et troisièmement, la guérison était une question de neutraliser l’énergie et de la tourner en
positive, sur son corps et son esprit. Il fallait donc cultiver les bonnes émotions en y croyant, en
s’aimant soi-même, en aimant surtout la partie blessée, en aimant sa propre capacité divine de guérir,
et en aimant la vie. Car la guérison n’était pas un combat contre la vie, mais une association avec
celle-ci.
Mon amie m’écoutait ouvertement. Elle était intéressée, mais j’avais peur qu’elle me prenne pour un
fou, car souvent, mes réflexions frisaient le surnaturel. Je continuais en lui disant que je me
considérais comme une personne qui avait une incidence positive sur l’énergie des gens et sur leur
psychologie, deux des trois parties qui constituent l’être humain. C’est pourquoi j’offris de l’aider
avec sa blessure. Je lui proposai alors d’arrêter proche d’un cours d’eau, car l’eau avait la capacité
d’évacuer l’énergie négative, de purifier la tête, le corps et l’esprit. Nous pouvions arrêter, laver sa
blessure d’un cours d’eau naturel, méditer un peu, puis nous aimer, et aimer son corps, sa blessure,
puis la vie, en un petit instant. Elle accepta, mais je n’insistai pas plus que cela, car la finalité de
l’épreuve allait dépendre uniquement de sa volonté et je ne voulais pas être un illuminé qui parlait
plus qu’il n’agissait. Puis, nous arrivâmes à destination.
Le stationnement du parc du Lac Louise était plein à craquer. Mon amie était stressée à l’idée qu’il y
ait autant de personnes et son chien le ressentait grandement. Il se plaignait, bougeait et pleurait sur la
banquette arrière du véhicule ce qui envenimait l’expérience pour elle et pour moi. Je tentais de
calmer le chien, mais plus il pleurait, plus elle était stressée et plus il pleurait encore. Nous fûmes
dirigés vers un stationnement où les gens avec les chiens pouvaient se stationner. Nous vîmes une
seule place à la dernière minute, mais passâmes tout droit. Comme une autre automobile nous suivait,
il la prit aussitôt. Nous fîmes le tour, revenant vers la personne qui nous avait dirigé, mais elle nous
bloqua le chemin pendant que le chien continuait de se plaindre. Elle nous dit, sans tact, qu’il n’y
avait malheureusement plus de place, que c’était tant pis pour nous, et que nous devions partir. Sans
nous obstiner, réalisant que ce n’était plus une bonne idée d’être là l’un des derniers samedis chauds
et ensoleillés de la saison touristique de l’endroit, nous rebroussâmes chemin. Pour détendre
l’atmosphère, je lui dis qu’au moins nous avions été au lac Louise. Nous n’avions pas vu le lac
Louise, mais au moins, nous y étions. Elle se mit à rire, plus détendu qu’autre chose, de quitter ce
chaos touristique.
Nous décidâmes d’aller vers Banff, alors que le temps continuait d’exécuter ses tâches quotidiennes.
Elle allait m’y déposer et je voulais qu’elle prenne le temps qu’il fallait pour voir les gens qu’elle
aimait. Si la vie voulait nous permettre de passer plus de temps ensemble, elle allait le faire. De toute
façon, je voulais repasser par Calgary, car je n’y avais passé qu’une seule soirée, la dernière fois, et
la ville était sur mon itinéraire vers l’est. Je devais alors et aussi réfléchir à savoir si je voulais
continuer mon chemin avec cette merveilleuse Acadienne, ou continuer de rencontrer des inconnus,
seul, en direction de la maison. J’avais vraiment hâte de revoir les gens que j’aime et de leur parler
de cette aventure qui avait déjà complètement changé ma vie. De plus, je commençais à être
réellement épuisé de tout ceci, et je devais me reposer, car mes vacances étaient, restaient, et
devenaient de plus en plus une mission en soi.
J’adorais quand même passer du temps avec elle. Elle était authentique, ouverte, inspirante et
inspirée. Nous pouvions parler de tout et nous savions que l’amour que nous avions l’un pour l’autre
était simple et réciproque. Nous en étions heureux. Nous rîmes, de l’incident avec la guitare, quand je
lui racontai, même si je lui confiai que je m’ennuyais grandement d’en jouer ces temps-ci. Peut-être
allais-je avoir l’occasion de le faire bientôt, sans avoir à vandaliser un établissement, qui sait ?
Nous nous arrêtâmes un peu avant le centre-ville de Banff, près d’un parc naturel où nous décidâmes
de laisser le chien en liberté, avant qu’elle ne fasse quelques heures de route en direction de Calgary.
Nous étions tout près de la route, mais la verdure était magnifique et naturelle. Nous vîmes un pont
sur un ruisseau qui coulait non loin de là. Je lui offris d’aller relaxer près de l’eau alors que je
pouvais garder son chien près de moi. Je lui rappelai de se concentrer sur l’amour tout simplement.
De laver sa plaie et de penser aux gens qu’elle aime, à ce voyage, à notre histoire, à sa force
intérieure, à sa divinité et à sa capacité à guérir, ce qu’elle fit immédiatement.
Après quinze minutes, j’allai la rejoindre et pris sa main qui n’était plus bandée. Sa plaie était grande
et à vif. Elle fissurait la paume de sa main de haut en bas. Le tout semblait si douloureux que je
pouvais le sentir au plus profond de mon être. Je pris sa main dans les miennes, la trempai dans l’eau
et la lavai. Je refermai ensuite ses mains et la plaçai sur mon cœur alors qu’elle gardait les yeux
fermés. Je respirais doucement, mais profondément. Je sentais l’énergie, calme et belle, autour,
chanter en notre faveur. Toujours les yeux fermés, prenant de grandes respirations, l’aimant de tout
mon cœur, je mis sa main sur ma bouche et l’embrassai lentement. Puis, j’ouvris sa main de nouveau
et la déposai sur son cœur à elle. J’avais l’impression de savoir quoi faire, même si j’improvisais,
comme si la petite cérémonie que nous étions en train de faire allait de soi et n’était que logique.
Puis, je m’installai en lotus à ses côtés, toujours respirant profondément. Nous restâmes en silence,
l’un à côté de l’autre, pour quelques minutes, alors que je gardais toujours un œil sur Branston qui
restait particulièrement calme. Après quelques minutes, nous nous levâmes, remplis d’amour et de
sérénité, et repartîmes.
Arrivés au cœur de Banff, nous parcourûmes ses rues ensemble en auto, puis, après nous être arrêtés,
nous décidâmes de nous quitter. Nous nous embrassâmes. Juste avant de partir, elle me tendit un livre
intitulé « Tao Te Ching ». Elle me dit que ce livre avait de belles philosophies et que je pouvais
ouvrir n’importe quelle page pour qu’il me parle. J’étais intrigué. C’était d’autant plus intrigant que
ce livre soit la bible de la philosophie du mouvement taoïste, bien que je ne le réalisasse pas sur le
moment, et donc, que la prophétie du shaman était juste, comme si mon aventure était déjà écrite à
quelque part.
J’embrassai ma douce amie, encore une fois, et me dirigeai vers le même bar où j’étais deux jours
auparavant pour attendre des nouvelles des gens que j’allais rejoindre. C’était la deuxième fois que
j’avais à quitter cette femme, et les deux fois je me sentis si triste de l’abandonner. Je ne pus, encore
une fois, m’expliquer ce sentiment, car n’importe qui d’autre avait été si facile à laisser derrière.
Mais avec elle, c’était comme si je laissais une partie de moi-même ; une partie de ma mission. Je me
sentais si seul tout d’un coup et espérais réellement pouvoir la revoir.
Arrivé au bar en question, je m’assis sur le coin du comptoir et commençai à lire sur-le-champ.
Comme le shaman l’avait prédit, c’était plus qu’un livre pour moi, mais un enseignement sur comment
vivre avec mes propres valeurs. Comment agir sans agir. Car ce n’est qu’un vase vide qui peut être
rempli. Comme enseigner sans parler, juste par nos propres actions, par nos propres vertus, il est
possible de changer les choses, un seul et petit acte à la fois. J’avais l’impression que les mots
étaient écrits pour moi, pour me montrer la voie. Pour expliquer avec le langage commun, avec une
logique, comment être et comment devenir maître de soi-même, au service des autres, et je savais
déjà que c’était ma mission.
J’étais gêné, sur le coin du comptoir du bar, alors que des larmes coulaient le long de mes joues à
lire ce que mon âme avait tant besoin de lire. C’était simplement la façon de passer d’un novice à un
intermédiaire. C’était la façon de devenir sage, de devenir un maître, car la seule chose qui
différencie le maître de l’élève est que le maître n’a simplement qu’eu plus de chance de tomber et de
se relever, à plusieurs reprises. Agir sans agir, enseigner sans parler, tel était mon destin. Être maître
de moi-même, en communion avec le tao, avec la vie, être authentique et vrai. « Une fois que le
travail du maître est terminé, il se doit de partir, sans regarder en arrière. Et les élèves diront, nous
sommes fiers, car nous l’avons fait par nous-mêmes ». Je lisais ce livre et c’était ce que je voulais
être, et ce qu’au plus profond de moi, j’étais déjà. Ce livre, en un seul petit instant, changea ma vie
aussitôt.
Puis, mes amis m’appelèrent pour me donner leur adresse, non loin d’où j’étais. J’achetai quelques
bières et allai les rejoindre. Je n’avais que de bons souvenirs de la longue journée de 48h que j’avais
passée avec eux. J’avais très hâte de renouer, d’un inconnu à l’autre, avec des gens si ouverts, si
drôles et si allumés. J’arrivai enfin à leur endroit, l’appartement était sans dessus-dessous alors qu’à
priori, je pouvais compter au moins quatre guitares éparpillées partout. J’étais dans mon élément. Je
m’ouvris une bière et demandai si je pouvais essayer l’une d’entre elles, comme si j’étais à la
maison. Ils me donnèrent une réponse positive. Je leur signalai que je ne me rappelais pas qu’ils
m’avaient dit qu’ils étaient musiciens. L’un d’entre eux était d’origine plutôt indienne et ne jouait pas,
mais l’autre avec la barbe l’était. Il m’avertit qu’il faisait un spectacle dans un bar, le soir même, et
que je devais les accompagner, lui et son frère qui n’était pas présent. J’acceptai.
Nous passâmes de bons moments ensemble. C’était si simple. Des gens passèrent. Nous bûmes, nous
fumâmes. Son frère arriva subitement, un peu stressé. C’était le musicien plaisant que j’avais aperçu
quand j’avais rencontré mon amie acadienne, sur le coin de la rue devant le Starbucks. Je lui dis
subitement que j’aimais qu’il intégrât les gens dans sa musique, comme s’il voulait partager son art,
et non seulement performer. Que cela allait au-delà de seulement faire son spectacle. Il était heureux
de l’entendre. Il regarda mon sac et reconnut l’Anahata. Il me dit qu’il était heureux que je porte ce
symbole. Je lui expliquai que je le portais spécifiquement pour ouvrir mon cœur et celui des autres. Il
s’approcha de moi et me serra dans ses bras. Son âme semblait comprendre la mienne.
J’étais si content de pouvoir passer du temps avec eux, de faire partie de leur groupe, mais aussi de
participer à leur concert dans un bar. Cela me changerait les idées un peu. Les gens passaient dans la
maison et certains étaient plus gentils que d’autres. L’un d’entre eux semblait même agressif, et je me
demandais pourquoi il faisait partie du groupe, car tout le monde semblait critiquer sa présence. Mais
après un certain point il repartit. La fébrilité était palpable, alors que ces musiciens étaient de plus en
plus nerveux à l’idée de performer. Le frère de mon ami avait prévu de se faire filmer, pour envoyer
sa performance à un employeur qui le prendrait comme chansonnier sur un bateau de croisière.
C’était la chance de sa vie. Nous étions tous fébriles à l’idée de l’aider, et à l’idée de participer à ce
spectacle.
Après un bout de temps, il ne restait que moi et mes deux amis dans l’appartement. Nous devions, par
contre, rejoindre deux autres personnes à un autre endroit, avant de nous diriger vers le bar où mes
compagnons donnaient leur performance. Nous nous lançâmes alors dans les rues de Banff, alors que
la soirée était encore jeune. Nous allâmes dans un parc, attendre ces personnes qui, à ma plus
agréable surprise, était aussi Québécoises. Ils me demandèrent poliment, cependant, de faire un effort
pour qu’on puisse tous se parler en anglais, car les anglophones allaient être, cette fois-ci, en
minorité au sein de notre petit groupe.
Quinze minutes plus tard, j’entendis au loin un cri étrange. Dans un parfait français québécois, ce cri
ressemblait à « HEY LE PANFLA ». Je me mis à rire sur le coup. C’était si agréable d’entendre une
expression si québécoise, que même si elle n’existait qu’à peine et qu’elle n’avait qu’à peine de sens,
je la reconnus aussitôt. Au loin, nous vîmes deux grands gaillards se diriger vers nous. L’un habillé
comme un bohème de la rue, portant une grosse barbe, des lunettes fumées, une tuque jaune
flamboyant sur la tête et l’autre, beaucoup plus jeune, mais quand même bâtit, cheveux longs frisés,
portant une chemise assez propre. Nous nous saluâmes. C’était si agréable de rencontrer des
Québécois. J’avais eu la chance d’en rencontrer quelques-uns durant ce merveilleux voyage et chaque
fois, j’avais la brève impression d’être à la maison, pour un moment.
Nous fîmes connaissance, discutant de tout et de rien, nous préparant à cette soirée en bonne
compagnie. Nous fumâmes ensemble, et nous demandions si nous allions acheter un peu d’alcool
avant d’aller au spectacle. Nous nous mîmes ensuite à marcher dans les rues de Banff pour rejoindre
l’appartement d’un ami qu’ils voulaient visiter, avant le spectacle. Je les suivis. Alors que le plus
vieux des Québécois du groupe criait doucement, par ici et par là : « HEY LE PANFLA » à tout ce
qui pouvait attirer son attention et qu’à chaque fois, je riais, car l’expression tombait directement sur
mon humour. Je fis connaissance avec le plus jeune plus particulièrement. Après la séparation de ses
parents, son père l’avait fortement encouragé à travailler en construction dans le coin de Calgary. Il
se sentait bien et libre. Il avait un bon salaire, travaillait avec ses mains et ne se souciait vraiment de
rien. Il aimait sa vie qu’il commençait à construire du haut de ses vingt ans et le Québec ne lui
manquait pas tant. Il était simple, mature et agréable à côtoyer, même si on pouvait remarquer qu’il
aimait fêter, rire, et s’amuser. Tout comme moi d’ailleurs, car j’assume complètement qu’il existe un
temps pour chaque chose dans cette vie trop brève.
Nous continuâmes à marcher et je riais particulièrement. L’ère était à la fête. Quand l’autre ne criait
pas « HEY LE PANFLA », il lançait : « MOUETTE, MOUETTE, MOUETTE… » aux goélands q
passaient par là. J’avais vraiment l’impression d’être au Québec. Certains pourraient penser qu’il
était déplacé, mais il aurait été le premier à s’en foutre complètement. De plus, j’admirais son
inspiration, sa façon d’assumer sa personnalité et son humour. Il savait qu’il était ridicule et ne s’en
cachait pas. Il avait une personnalité artistique, loufoque et insouciante ; un peu à l’image de son style
vestimentaire. Mais il restait une magnifique personne ; vraie et authentique à mes yeux. Nous
discutâmes de nos histoires, lui et moi, alors que son acolyte chantait une chanson de rap qui vantait
les mérites de cacher de la drogue dans ses bas. Il répétait poétiquement ce refrain, comme si ça
allait avoir plus de sens, tout en riant.
Puis nous arrivâmes au petit appartement où nous voulions aller, puis, on m’introduit auprès de l’hôte
en question. Mes deux amis partirent avec l’hôte de l’endroit, nous laissant, les trois québécois, seuls
dans ce petit, mais confortable, logement, où nous les attendîmes patiemment tout en continuant nos
conversations.
Le Pamphlet, pour sa part, venait du même coin que moi au Québec : Lanaudière Nord. Il avait passé
une partie de sa vie entre St-Jean de Matha et Saint-Jacques. Nous reconnûmes alors que nous avions
plusieurs amis en commun. Je réalisais, encore une fois, que même si le Canada était si grand, il était
à la fois si petit.
Alors que le système d’éducation lui avait fait défaut complètement, qu’il l’avait abandonné très
jeune, qu’il s’était fait dire qu’on ne pouvait rien pour lui, il avait, tout comme moi, décidé de partir
vers l’Ouest. Depuis lors, il s’était bâti une carrière dans le milieu de la construction, il gagnait bien
sa vie et était assez fier de me dire qu’il n’avait aucune dette. J’étais tout aussi fier de lui.
Je lui racontai mon histoire, alors qu’il construisait une toute petite ligne de cocaïne qu’il partagea
volontiers à trois, nous disant que c’est tout ce qu’il possédait. Il reconnut précisément que j’eusse de
la difficulté à m’insérer dans le moule de la société, même si j’avais tenté de le faire durant tant
d’années. Après mon épisode d’alcool au volant, c’était comme si, pour lui, j’avais réalisé que je
pouvais faire ma vie à ma façon, et que ça prenait du courage pour bien le faire. Bien que j’eusse
gradué à l’université, même continué par la suite, et qu’il n’avait pas terminé l’école secondaire,
nous étions au même endroit dans notre vie et nous nous reconnûmes. Il me fit savoir qu’il
m’appréciait vraiment et que je n’avais pas à me préoccuper de mes dépenses en cette douce soirée,
qu’il se chargeait de mon confort et de mes consommations. Je fus plus que reconnaissant.
Nos amis revinrent après quelques dizaines de minutes, et nous repartîmes ensemble, cette fois-ci,
vers le bar, moi, mes deux nouveaux amis québécois ainsi que mes deux amis albertins, et un
Australien roux très sympathique qui s'était joint à nous également. L’Albertin à la barbe était de plus
en plus concentré avec lui-même, quelque peu stressé par sa prestation qui allait venir, puis
également pour son frère qui devait enregistrer le spectacle. Nous discutâmes tous ensemble,
gaiement, marchant vers l’établissement.
Arrivés, nous prîmes place. J’aperçus une petite console de son, alors que mes amis testaient les
amplificateurs et les micros. Je me mis derrière la console, pour les aider avec le test de son.
J’arrangeai les hautes et les basses fréquences, et équilibrai les volumes des guitares et des voix.
Mes amis étaient reconnaissants que je partage mes connaissances, et que je puisse même faire des
ajustements durant leur prestation. Mon implication était inattendue, mais j’étais très content de
pouvoir les aider. De plus, la personne responsable de filmer la prestation eut un léger problème
avec sa caméra. Je pris alors mon téléphone, cependant inquiet pour la qualité du résultat, et filmai le
concert, quand je n’avais pas à ajuster le son. Nous étions une dizaine de personnes assises à cette
table du bar, appréciant la musique de nos amis.
Le spectacle une fois terminé, nous retournâmes à leur endroit, continuant de faire la fête. Tout le
monde était fier de nos amis artistes, tout le monde avait passé une superbe soirée, et je m’endormis
devant tout le monde, au petit matin. Jym reposait dans un coin de l’appartement, alors que malgré la
soirée arrosée, Eva était contente des liens que j’avais créés, d’un inconnu à l’autre.

17 septembre 2017

Je me fis réveiller deux heures plus tard par mon ami barbu qui me disait : « Dude…dude ? ».
Toujours, un peu endormi, je l’écoutai. Il me demanda si j’avais des plans pour la journée. Je lui
répondis : « je n’ai pas de plan, point ». Il se mit à rire et me dit que c’était surement la meilleure
réponse que je pouvais lui donner. Il me tendit une bière et s’excusa profondément. Il me dit qu’il
avait oublié qu’il avait une bonne quantité de MDMA en poudre et qu’il voulait au moins en
consommer une partie pour le temps que j’étais là, car il l’avait complètement oublié, la veille. Je
regardais autour et tout le monde était parti. Il ne restait que lui, moi et le Pamphlet. Je pris une
gorgée de ma bière et j’acceptai volontiers. Peu de temps après, j’inhalai une petite quantité de
MDMA.
Après un peu de préparation, nous allâmes au parc, avec les guitares, pour jouer un peu et nous
détendre. Pour profiter des effets de cette douce drogue que nous n’allions pas utiliser pour perdre la
tête, mais simplement pour relaxer. Nous nous installâmes à une table à pique-nique, où nous nous
mîmes à jouer de la guitare alors que tous les instigateurs de la soirée précédente vinrent nous
rejoindre pour participer à ce doux rassemblement. Alors que nous nous passâmes les guitares, le
Pamphlet sortit de la peinture de son sac et se mit à peinturer son skate. Pour ma part, je vis, au loin,
un terrain de basketball. Bien que je fusse fatigué, un peu sur le lendemain de la veille, et que les
effets de la drogue faisaient battre mon cœur irrégulièrement, je souhaitais fortement avoir un ballon
pour lancer dans les paniers, devant les montagnes de Banff.
Après quelques instants, un Québécois passa par notre table à pique-nique et nous offrit un ballon de
basketball, sans même qu’on ne lui demande, comme si j’avais créé la réalité qui s’offrait à nous.
J’étais sur le choc, mais j’acceptai volontiers, le remerciant. Il me demanda de lui redonner son
ballon quand j’aurai terminé. Je pris le ballon et allai jouer, seul sur cette de cette œuvre d’art,
devant les montagnes de Banff. J’étais au paradis.
Une heure plus tard, même si j’avais joué doucement, j’étais exténué. Je revins vers mes amis qui
étaient toujours à la table à pique-nique. Je cherchai l’homme qui m’avait tendu le ballon partout
autour, dans le parc, mais sans succès. Je m’assis donc avec mes amis, me disant que j’allais
surement le revoir et avoir la chance de lui redonner son ballon.
Puis, il me vint en tête une conversation que j’avais eue à Montebello, quand j’eusse rencontré ces
deux sympathiques personnes qui me traitait comme un frère depuis la veille. J’avais déjà de très
beaux souvenirs avec eux. Je me souviens que mon ami basané arborait un chapeau blanc de capitaine
de bateau. Il citait le film « Captain Philips » en disant : « look at me, look at me ! I’m the captain
now ». Bref, il ne se prenait pas, lui non plus, au sérieux. Je me souvins que nous avions parlé d’un
mot de la langue anglaise que je détestais au plus haut point. Je le trouvais simplement ingrat et
vulgaire. Pour les besoins de la cause et comme je ne veux pas que ce mot fasse partie de ce livre, je
l’échange ici pour le mot : « licorne ».
Donc nous nous remîmes à parler de ce mot que je n’aimais guère et mes amis étaient d’accord avec
moi. Par contre, l’Albertin à la barbe me dit que, des fois, dans certaines situations, le mot
« licorne » était très approprié pour décrire la situation et qu’il fallait donc, des fois, l’utiliser. Je
pris une pause pour réfléchir. Je lui donnai ensuite raison. Sans réfléchir, je lui dis vivement que
j’étais d’accord, car si je prenais par exemple mon ex-copine, je ne pouvais qu’utiliser le mot
« licorne », parce que dans les faits, avec moi, elle avait véritablement été une « licorne » ! Il n’y
avait donc pas d’autre mot pour la décrire. Tout le monde se mit à rire autour de la table. Je regardais
les tables de pique-nique adjacentes et tout le monde riait. Je remarquai alors que j’avais été très
expressif dans mes propos clamés hauts et forts. Je m’excusai aussitôt à tous les inconnus autour. Les
gens ne me blâmèrent pas, m’expliquant que c’était simplement hilarant. De plus, je n’avais pas
encore eu de mauvais propos contre cette femme que j’avais tant aimée et je ne pensais pas, non plus,
ce que je disais. Mon but était simplement de faire rire mes amis.
Nous passâmes une simple et tant agréable journée dans ce parc de Banff, profitant de chaque
moment. C’était dimanche, et le plus jeune québécois devait revenir à Calgary pour y travailler le
jour suivant. Il m’offrit de m’y amener. J’acceptai volontiers. C’était si agréable, je n’avais même
pas à lever le pouce que la vie m’offrait, encore une fois, un moyen de me rendre où je voulais. Nous
nous saluâmes tous, nous nous serrâmes dans nos bras, nous nous souhaitâmes de nous revoir
rapidement, et nous nous dîmes que nous nous aimions. Puis, nous nous séparâmes. Je suivis mon ami
qui devait faire un détour à Canmore pour y déposer le Pamphlet. Ensuite, à l’aide de la mini
fourgonnette transformée en « Camper Van » du jeune homme, nous prîmes la route pour nous rendre
à Calgary. J’étais si heureux de pouvoir rejoindre, aussi tôt, ma douce Acadienne.
Nous discutâmes tout au long du voyage. Nous dûmes aussi prendre un autre passager québécois qui
fit la route avec nous. J’étais littéralement assis sur un lit, derrière les bancs principaux. Nous
devions alors nous faire discrets pour ne pas attirer l’attention des forces de l’ordre. Puis, trois
heures plus tard, nous arrivâmes à Calgary. Nous échangeâmes nos informations et je quittai par la
suite, pour reprendre la route, tout près d’où mon nouvel ami habitait.
J’attendais des nouvelles de ma douce acolyte que je pouvais peut-être rejoindre plus tard. Je ne
savais, par contre, où et comment, car il m’était pratiquement impossible de lever le pouce à
l’intérieur de la ville. J’allai donc derrière une église, sortit mon sac de couchage et m’y reposai,
épuisé, regardant le coucher du soleil.
Mon téléphone vibra quand il faisait complètement noir. Mon amie était prête à me voir. La map
m’indiqua que j’étais beaucoup trop loin d’elle pour marcher, et le trajet en autobus était très
compliqué et beaucoup trop long. Je lui proposai de la voir au lendemain, car de toute façon j’étais
très fatigué. Mais dans l’état d’ébriété à laquelle elle semblait profiter, elle me disait à quel point
elle voulait me voir et à quel point elle m’aimait, nous devions trouver une solution. Elle offrit de
payer un taxi pour m’amener où elle était, puis chez un couple d’amis. J’acceptai, même si je me
sentais mal de ne pas pouvoir me déplacer par moi-même, après tout ceci. Elle semblait apprécier sa
soirée. Elle était si douce et passionnée. Je ne pouvais qu’accepter.
Le taxi couta vingt dollars qu’elle régla aussitôt que je sortis de celui-ci. Puis, elle sauta dans mes
bras et m’embrassa. Branston était aussi content de m’apercevoir et brandissait sa queue gaiement.
Nous montâmes à l’appartement de ses amis où je les rencontrai. Deux êtres très sympathiques,
environ de mon âge. Une amie de cette jolie acadienne et son amoureux. Tout le monde semblait
avoir bu, sans trop d’excès, mais quand même, pour que ça paraisse. Ils m’offrirent une bière pour
que je les accompagne. Nous discutâmes de tout et de rien. Je plaçai Jym dans une chambre, là où ils
voulaient qu’on dorme. Puis, nous passâmes la nuit à discuter et à jouer à un jeu de société, à un point
où mon amie ne comprenait même plus les règles du jeu. Nous nous endormîmes dans une pièce
appart, encore une fois, au petit matin.

18 septembre 2017

Et nous nous réveillâmes tôt, encore une fois, je n’avais dormi que quelques heures et je sentais que
mon corps était épuisé. D’un autre côté, j’adorais l’énergie que me procurait cette jolie Acadienne
avec qui j’avais la chance de dormir encore une fois. Je n’étais que simplement heureux d’être avec
elle. Nous échangeâmes, encore un peu, avec cet agréable couple d’amis. Le jeune homme était
cultivé, c’était agréable d’avoir une conversation intelligente avec lui, même s’il semblait aimer
débattre, rien n’était fait de façon malsaine. Nous, avions parlé de politique la veille et du fait que
Barack Obama, bien qu’il avait véhiculé une belle volonté et un bel espoir, n’avait pas accompli
grand-chose de concret, lors de ses six ans à la barre des États-Unis, perpétuant les guerres comme
tous ses prédécesseurs avant lui et instaurant des lois de contrôle, priorisant les plus riches, comme
tous les autres. Je lui expliquais aussi que je ne comprenais pas pourquoi l’homme avait reçu le prix
Nobel de la paix, alors que le pays, durant son règne, avait lancé des centaines de milliers de bombes
et tués d’innombrables innocents. Je soutenais, alors, que Barack Obama avait été surestimé par la
population et les médias, alors qu’il n’avait pas vraiment fait bouger le pays, à l’exception de
l’Obamacare. Il avait semblé remarquer que je connaissais bien mon sujet et que je n’avais pas la
langue dans ma poche. Mais il avait toujours son petit grain de sel à ajouter. De toute façon, pour
moi, débattre est beau, quand c’est bien fait, c’est de cette façon que l’on peut apprendre, surtout d’un
inconnu à l’autre. Puis, vers midi, nous quittâmes pour visiter Calgary.
En chemin, je lui demandai comment allait sa main, car depuis qu’on s’était laissé, j’étais curieux de
savoir si sa situation s’était améliorée. J’avais observé qu’elle n’avait plus de bandage. Elle
semblait emballée et intriguée à la fois. Portant un fier sourire, elle m’avoua qu’elle pouvait à peine y
croire, puis elle me montra sa main. Intrigué également, je croyais qu’elle blaguait, car cette main ne
portait que quelques légères cicatrices rosées. Incrédule comme Thomas, je lui demandai de me
montrer son autre main, pensant qu’elle s’était maladroitement trompée de main en me la tendant, ou
qu’elle blaguait, tout simplement, mais non. C’était bel et bien la bonne main. Je fus sous le choc pour
un instant. Je ne savais quoi dire. C’était la preuve que ma réflexion fonctionnait. Peut-être était-ce
seulement une coïncidence, ou même que son changement de vie en était pour quelque chose. Elle me
confia alors que ça faisait des années qu’elle expérimentait cette condition, et qu’elle souffrait de
cette blessure vive depuis dix mois. Elle n’avait jamais été aussi soulagée. J’étais simplement sans
mots, reconnaissant face à la vie pour la simplicité de son enseignement, car même si j’avais
contribué à une énergie positive, c’est elle qui avait compris, et agis. J’étais fier d’elle. Elle m’avoua
qu’elle était, par contre, un peu craintive, car elle aimait ce qui se passait, mais elle n’aimait pas
certains produits chimiques que les restaurants, lieux où elle avait l’habitude de travailler, utilisaient
quotidiennement. Je lui répondis qu’il n’était pas nécessaire d’aimer les produits chimiques, mais
qu’il fallait qu’elle se considère plus forte que ceux-ci, tout simplement.
Nous continuâmes notre route. Elle voulait me montrer Kensington, le quartier de Calgary où elle
avait habité pour un moment. Puis, nous arrêtâmes manger une bouchée à un restaurant libanais, non
loin de là. J’admirais le fait qu’elle me fasse connaître tout ce qu’elle connaissait autour. De plus,
elle avait une solide connaissance d’une meilleure alimentation. J’avais beaucoup à apprendre d’elle.
Elle avait beaucoup plus voyagé que moi, elle avait vécu en chine, en équateur, dans l’Ouest
canadien, etc. Elle était cultivée et unique. Je lui racontai la journée que je venais de vivre, et à quel
point que j’étais content d’avoir pu jouer de la guitare   ! J’espérais pouvoir avoir la chance d’en
jouer encore une fois, cette fois-ci avec elle. Elle me répondit : « Visualise-le et ça arrivera ».
J’étais si heureux de pouvoir être avec elle.
Branston était attaché à l’extérieur du restaurant et nous regardait. La porte était ouverte et il pleurait
abondamment. Je réalisai que ma complice était quelque peu énervée par les bruits que faisait son
fidèle compagnon. Elle me demanda si ça m’énervait, mais je lui demandai : « qu’est qui pouvait
m’énerver ? ». Elle réalisa que les bruits qu’émettait son chien me laissaient indifférent. Je lui
expliquai alors que je n’y eusse jamais vraiment pensé, et que ce n’était que des bruits après tout.
Elle se leva et alla lui parler sévèrement, pour qu’il arrête, alors qu’il brandissait la queue devant sa
maîtresse. Puis, elle revint. Je lui confiai que je croyais que même si elle tentait de faire la
discipline, s’il pleurait et qu’il réussissait à avoir son attention, même si elle était sévère, il serait
content, car il ne pleurait seulement que pour avoir son attention. Elle comprit. Elle me demanda
comment faire alors ? Je lui dis qu’il fallait simplement qu’elle apprenne à l’ignorer, car la plupart
du temps, quand on veut corriger un chien, il faut se corriger tout d’abord soi-même. Fallait donc
l’ignorer. Elle fut d’accord même si nous nous avouâmes que c’était assez difficile à faire.
Après avoir terminé, nous décidâmes de nous promener dans les environs. Beaucoup de ses proches
lui écrivaient pour qu’elle passe les voir avant de retourner vers les provinces de l’Atlantique. Elle
n’avait bien sûr pas le temps de tous les visiter. Elle avait décidé de voir l’un d’entre eux, mais elle
hésitait, car elle avait plus ou moins envie de socialiser. Nous étions supposés le voir, dans la
journée, mais nous avions tellement pris notre temps que nous avions manqué notre rendez-vous avec
lui. Elle voulait alors, contre son gré, lui rendre une petite visite à son travail, au « BottleScrew » là
où elle avait déjà, elle aussi, travaillé, et où elle avait rencontré beaucoup de ses amis de la région.
Je l’encourageai à le faire, car aller le voir semblait plus difficile que ça l’était vraiment. Et encore
une fois, nous pouvions partir quand bon nous le semblait. De plus, je pouvais l’accompagner pour la
soutenir.
C’est ce que nous fîmes, et tout le monde fut content de se parler, alors que son ami, un jeune homme
anglophone du Nouveau-Brunswick, bâtit, cheveux longs, noirs, et attachés, était en arrière du bar.
Nous bûmes quelques bières. Je me sentais fatigué et j’étais quelque peu effacé, n’étant que présent
pour appuyer cette douce amie. Pour un moment, j’allai m’occuper du chien, et revins alors qu’elle
passait une belle soirée. Nous restâmes là jusqu’en soirée, puis avant de partir, il nous invita, au
lendemain chez lui, pour une petite fête. Nous acceptâmes. Puis, nous partîmes pour visiter le frère de
mon amie et y rester pour la nuit.
Nous arrivâmes à cette maison de banlieue, aux abords de la ville de Calgary. Le paysage était
paisible. Nous entrâmes dans la maison. Je fus accueilli comme si je faisais déjà partie de la famille.
Il m’offrit aussitôt du vin. Sa copine, quant à elle, semblait fatiguée. Elle en était à sa deuxième
grossesse consécutive et était presque à terme. Mais n’empêche qu’elle était très sympathique
également. Un autre ami était présent, un très grand homme noir, bâti, le sourire aux lèvres. Il
s’introduit à moi. J’avais l’impression d’être avec un groupe d’ami que je connaissais depuis
toujours alors que ma douce compagne se sentait si à l’aise chez son frère. Je déposai Jym dans notre
chambre, au sous-sol puis, nous passâmes une merveilleuse soirée, les quatre ensembles.
Je racontai mon histoire de « drunk tank » au frère de ma douce amie qui en riait. Lui-même avait
connu ses années tannantes et avait expérimenté les mêmes événements. Cependant, pour sa part, il
avait montré ses fesses à un policier qui le questionnait. On pouvait alors dire qu’il avait une part de
responsabilité à assumer, alors que ma part de responsabilité, dans mon histoire, était quand même un
peu plus futile. Lui aussi était grand et bâti, mais si sympathique et accueillant, et si simple. Il était
l’image exacte de ce que je m’imaginais des gens de mon âge, provenant du Nouveau-Brunswick.
Autant qu’il pût sembler avoir du caractère, autant je pouvais déjà affirmer avec certitude qu’il était
une personne attentionnée, aimante, un grand frère, un compagnon, un père formidable qui s’assumait
complètement et qui travaillait fort pour gâter les gens qu’il savait si bien aimer.
Plus tard dans la soirée, nous étions toujours en train de nous raconter nos anecdotes. Son ami en
avait aussi des croustillantes. Il racontait que certaines drogues l’avaient fait agir différemment, car
celles-ci peuvent augmenter les pulsions sexuelles à certains moments. J’en avais également fait
l’expérience dans mon ancienne vie, donc je savais de quoi il parlait. Le jeune homme avait donc
succombé à ses pulsions et s’était fait prendre à se masturber par des amis, à son insu, deux fois
plutôt qu’une. Anecdotes qui pouvaient être gênantes pour certains, mais dans son cas, il les assumait
complètement et c’était beau de voir l’authenticité qui l’habitait, car il répétait « sometimes, you gotta
do what you gotta do ! », tout en riant. Une fois que ce genre d’histoire se déroule, avoir honte ou se
sentir coupable devient complètement inutile. La seule chose à faire est de l’assumer, d’en rire et de
se dire, sur le moment, j’ai fait ce que j’avais à faire. Même si l’anecdote fut sucrée et salée à la fois,
la morale de celle-ci se grava en moi pour m’apprendre que, malgré que nous sommes de simples
humains qui réfléchissent beaucoup parfois, il faut faire ce qu’il faut, au moment opportun, et ce n’est
pas mal en soi.
Nous passâmes une merveilleuse soirée. La compagnie était magnifique. Pour une troisième soirée
consécutive, nous nous couchâmes au petit matin, épuisés par ces sentiments trop agréables.

19 septembre 2017

Je me réveillai, ce matin-là, car ma douce s’était levée sans me réveiller, pour me laisser dormir,
alors que son chien demandait de l’attention. Il avait l’habitude d’attendre de voir que l’un d’entre
nous ouvre les yeux avant de commencer à chigner. Comme il était un gros mastodonte et qu’il était
nourri que deux fois par jours, il avait tendance à savoir quand il allait être nourri. De plus, il était
quand même et toujours un énorme chiot dans ses temps libres. Eva et Jym, quant à eux, étaient
discrets depuis quelques jours. Je continuais à vivre ma vie au jour le jour, mais j’étais moins
aventurier. Je devais toujours réfléchir à continuer ma mission pour environ une dernière semaine, le
temps de rejoindre la maison. Je pouvais aussi décider de rester avec cette merveilleuse Acadienne,
lui apporter tout ce que je pouvais, et vivre la fin de mon aventure différemment, tout en visitant les
provinces de l’Atlantique. Sous cette option, je pouvais également dire que j’aurais parcouru mon
pays, d’un inconnu à l’autre, mais aussi, d’un océan à l’autre, comme son slogan le dit si bien.
Mon amie vint me rejoindre au lit après un moment. Elle était belle et souriante. Nous nous
embrassâmes et passâmes du temps intime, l’un avec l’autre. Puis, nous nous levâmes pour manger et
entreprendre notre journée. Comme son frère était entrepreneur, il n’était pas encore au travail. Nous
passâmes un peu de temps ensemble. Il fut intéressé par mon histoire, par ma mission, par ma façon
de voir tout ce que je faisais. Il était d’autant plus intrigué. Il me trouvait courageux d’avoir fait ce
genre de voyage, sur le pouce, avec mon énorme sac, et d’avoir croisé le chemin de sa sœur. Nous
étions tous assis à l’extérieur de l’appartement, prêt à partir. Nous allions retourner à cet endroit, de
toute façon, après notre journée ensemble, c’est pourquoi je pouvais laisser Jym dans cette chambre
pour la journée. Avant de partir, le jeune Acadien alla chercher un petit bruleur de camping que je
pus insérer difficilement dans mon sac qui était de plus en plus plein. J’étais reconnaissant, d’autant
plus que c’était une des seules choses que je voulais, depuis mon départ, et que je n’avais jamais pris
le temps de m’acheter. J’étais très reconnaissant.
Nous partîmes ensuite, vers midi, pour continuer de visiter Calgary et sa banlieue, tout en attendant
que l’ami de mon amie nous invite, en soirée, à la fête qu’il voulait donner. Nous cherchions un
endroit propice à piqueniquer. Nous trouvâmes un parc naturel, non loin, où les chiens devaient
absolument être attachés. Ce parc était plutôt un grand champ ou une grande plaine alors qu’il n’y
avait que peu d’arbres. L’endroit était très typique de l’Alberta. Nous bifurquâmes du chemin
principal, et étala une couverture sur le sol. Nous étions seuls et si bien. Nous commençâmes à sortir
toute la nourriture du panier et à nous faire un festin, alors que le chien était libre. Tout le monde était
heureux. Après avoir tout rangé, nous nous collâmes l’un sur l’autre. Nous nous aimions un peu plus à
tous les jours, et nous étions également de plus en plus amoureux. Nous agissions de plus en plus
comme un couple et non comme deux simples amis. Pour ma part, je laissais la vie me guider, mais
j’avais peur de la quitter, encore une fois, et peur de lui faire mal.
Après quelques heures, nous remballâmes le tout et allâmes à l’auto de mon amie. En insérant tout
dans le véhicule, elle ferma la porte de la voiture sur la queue du chien qui se mit à crier de douleur.
Elle se sentit mal sur le coup. Je pris le temps de vérifier s’il était blessé, mais, la situation portait
davantage à la peur qu’à la douleur. Après quelques instants, nous reprîmes nos esprits et
continuâmes.
Nous marchâmes le long d’une rivière au sein de la grande ville. Il y avait énormément de gens qui y
faisaient leur jogging. D’un côté, il est agréable de voir des gens prendre en main leur capacité
physique, pour leur propre santé. Mais j’ai toujours trouvé cette discipline typique des gens de la
ville qui veulent tout faire rapidement, comme si on ne pouvait pas prendre le temps de faire autre
chose que de courir autour d'un bloc par nécessité, surtout quand on le fait au beau milieu d’une ville.
Je comprends qu’il est important de travailler son cardio et ses capacités motrices, mais portant des
écouteurs et se concentrant seulement sur ses objectifs de distances et de temps, on passe à côté des
plus belles choses qui nous entourent. J’avais l’impression que les gens couraient autour de moi pour
adapter leur corps à leur mode de vie trop rapide et non le contraire. Un peu comme ceux qui
stressent pour performer au yoga. J’espérais me tromper.
Après un certain moment, nous nous rendîmes dans un grand parc où nous laissâmes, encore une fois,
le chien en liberté. Mon amie faisait des roues latérales. Nous gambadâmes comme deux enfants qui
prenaient le temps de profiter de chaque bouffée d’air frais qui pouvait s’insérer en nous. Nous étions
encore bien. Nous étions sur la même longueur d’onde. Nous prîmes également le temps de nous
étirer, exécutant quelques positions de yoga. J’aperçus un jeune homme, au loin, sur un banc de parc,
avec une guitare et un ballon de soccer. J’allai le rejoindre et discuter un peu avec lui. Nous nous
échangeâmes la guitare, puis le ballon. Encore une fois, j’étais si heureux de pouvoir jouer. Nous
vivions sans plan, et nous improvisions en nous adaptant avec tout ce qui nous tombait sous la main.
L’homme venait de mettre à terme une relation amoureuse et c’était très difficile pour lui. Après
seulement quelques minutes, il se mit à me raconter en détail comment il se sentait et comment il était
tombé en dépression. Il ne semblait plus savoir comment ou à quoi penser. Il parlait de se changer les
idées avec l’alcool ou avec les femmes. Je savais très bien que je ne pouvais pas l’aider, mais au
moins, j’étais une oreille pour lui, au bon moment, pour l’écouter. Le problème avec une séparation
amoureuse est qu’il n’y a pas de mot ou de formule magique pour stopper la douleur. Pour ma part,
j’avais dû faire des milliers de kilomètres à pied, et même rendu à l’autre bout du pays, le sentiment
d’avoir été rejeté, par une personne que je voulais tant aimer, me pesait toujours sur la conscience. Je
tentais de lui dire qu’il semblait être une bonne personne et que c’était seulement le temps qui allait
l’aider à se relever. Car, l’avantage d’être au fond du baril était qu’il n’y avait qu’une seule voie à
emprunter, et c’était la voie pour remonter la pente. Il semblait touché par mes paroles, autant que
j’étais touché par sa confiance. Je ne comprenais pas pourquoi il s’était ouvert aussi facilement à
moi, mais pour un moment, pour un petit geste, je crois lui avoir fait du bien. Pour sa part, il me fit
réaliser qu’en autostop ou accompagnant mon amie, j’allais continuer d’être présent pour tous ceux
qui s’ouvraient à moi, comme je le faisais si bien seul, depuis le début. C’était comme si la vie
l’avait mis directement sur mon chemin, pour me faire réaliser que ce dilemme qui me pesait sur les
épaules n’en était pas réellement un, car ma mission allait continuer, d’une façon ou d’une autre, et
même après ce voyage.
Le temps passait et nous continuâmes à nous promener. Vers le début de la soirée, nous nous
rendîmes au loft de son ami. Nous entrâmes et étions les premiers arrivés. Le jeune homme était fier
de nous montrer son appartement luxueux. C’était un grand loft avec deux chambres, les plafonds
étaient si hauts et l’appartement était si spacieux. Il s’était offert cet endroit et y avait vécu avec peu
de meubles durant un bon bout de temps, car l’appartement était si cher, qu’il ne pouvait s’en offrir.
Mais, maintenant, tout était meublé. Lui aussi avait une belle guitare. Nous nous disions que, peut-être
plus tard, nous allions jouer.
Mon amie demanda si elle pouvait prendre une douche avant l’arrivée des autres invités et son ami
accepta. Elle nous laissa donc seuls ensembles. Je trouvais qu’il avait l’attitude typique de beaucoup
de bartender que j’avais connus. Il avait surement eu l’habitude de rencontrer tellement de gens,
derrière le bar, qu’il ne voulait que choisir d’interagir avec les gens qu’il chérissait et c’était tout à
son honneur. Pour ma part, j’étais un peu nerveux, car je voulais quelque peu lui plaire. Je tentais de
trouver un sujet de conversation qui allait nous lier, alors que nous buvions ce doux nectar si propice
aux rapprochements masculins ; la bière. Après avoir passé quelques sujets, il m’avoua qu’il était un
admirateur de spectacle de lutte américaine. Comme, j’avais été un "fan", beaucoup plus jeune, nous
commençâmes à discuter de vieux moments qui avaient marqué ce « sport ». Nous partageâmes nos
opinions sur l’aspect spectaculaire de cette discipline et sur ce qu’on y trouvait. Nous discutâmes
durant la longue douche à laquelle mon amie s’était adonnée.
Par la suite, les gens commençaient à arriver. Mon amie était prête également. Nous passâmes une
super soirée à discuter, bien que je sentisse la fatigue s’emparer de plus en plus de moi. De plus, la
bière alourdissait mes sens également. Nous décidâmes, par la suite, d’aller dans un bar où nous
continuâmes de boire. J’étais assis à une table, après quelques heures, et je luttais pour rester éveillé
comme un enfant à la veille de Noël. Cela faisait des lustres que je n’avais pas ressentis une telle
lourdeur pousser sur mes paupières. J’essayais de me lever et de marcher autour pour me réveiller,
mais il n’y avait rien à faire.
Après quelques moments, nous rentrâmes à l’appartement de son ami. Quelques personnes décidèrent
de fumer une cigarette et descendirent à l’extérieur du logement. Je m’allongeai sur le canapé pour
quelques secondes, et m’endormit sur-le-champ.
Mon amie me réveilla, me disant que je devais aller me coucher dans la chambre. J’étais un peu gêné,
mais je savais très bien que j’avais accumulé tant de fatigue, et comme je me sentais moins sur mes
gardes qu’en voyage, c’était comme si je pouvais me permettre d’être fatigué. Elle m’amena alors à
la chambre, me regarda dans les yeux et me demandai si je me sentais bien. Elle me demanda
également ce qu’elle pouvait faire pour moi, pour que je me sente mieux. Je sentis aussitôt les larmes
remplir mes yeux. J’étais si touché. Peut-être était-ce seulement la fatigue qui me laissait ainsi, mais,
dans l’état vulnérable que j’étais, je ne réussissais pas à me rappeler la dernière fois où quelqu’un
voulait prendre soin de comment je pouvais me sentir. Ça faisait si longtemps que je prenais soin de
moi-même, même avant mon départ, je ne me souvenais pas quand était la dernière fois qu’un ami
s’était intéressé à m’offrir d’être bien tout simplement. Je m’endormis avec ce sentiment, si
confortable, de sécurité et d’amour inconditionnel.

20 septembre 2017

Nous nous réveillâmes au petit matin. Il me prit quelques minutes pour me rappeler comment je
m’étais endormi devant tout le monde, épuisé. J’étais toujours ému à l’idée que mon amie voulait tant
prendre soin de moi, autant que je voulais prendre soin d’elle. J’avais tellement pensé à être là pour
tout le monde et à rester fort, que j’avais oublié le fait qu’on puisse également prendre soin de moi
par amour. C’était si touchant. Nous décidâmes de quitter le luxueux loft, quand tout le monde
dormait encore, car nous avions prévu de partir vers l’est, et nous espérions dormir en Saskatchewan
le soir même.
Nous rejoignîmes la maison de son frère. Je retrouvai Jym et l’organisai du mieux que je pusse. Je
pris le temps, également, de laver mon linge, alors que je le pouvais. Nous préparâmes, aussi, un pain
aux bananes pour nos hôtes avant de partir, car nous n’étions pas pressés. Puis, mon amie prit un bon
moment, également, pour réorganiser sa voiture qui était remplie et sans dessus-dessous. Nous
partîmes au beau milieu de l’après-midi, après s’être arrêtés pour faire courir le chien une dernière
fois près de sa ville natale.
En route, nous arrêtâmes également dans un magasin, seconde main, car nous voulions acheter des
albums de musique pour la route. Pour ma part, je voulais regarder pour les équipements hivernaux ;
manteaux, gants, tuques, car les températures étaient de plus en plus froides le soir. Je trouvai un
lourd manteau de cuire à cinquante dollars. Neuf, il avait dû coûter plusieurs centaines de dollars. Il
était bien doublé. Mon amie avait un coupon-rabais de quinze dollars qu’elle m’offrit. J’avais donc
trouvé un beau et bon manteau pour trente-cinq piastres. Une aubaine qui était mise sur mon chemin
au bon moment. Après avoir trouvé cette pièce, j’allai la rejoindre devant l’allée des disques
compacts. Je regardais mon amie passer au peigne fin tous les albums pour trouver la perle rare. En
regardant très rapidement, celui de Tracy Chapman me sauta au visage. Je le tirai de l’étagère et lui
avouai que c’était une artiste que j’aimais beaucoup. Elle le garda dans ses mains et choisi deux
autres disques qu’elle acheta par la suite. Puis, nous étions prêts à partir.
En routes, nous nous mîmes à écouter l’album de Tracy Chapman : « A new Beginning ». La ville de
Calgary était de plus en plus petite derrière, alors que nous avions, plus que jamais, l’impression de
réellement partir à l’aventure ensemble. Comme si notre aventure se liait véritablement cette fois-ci.
La musique jouait fort, alors que la ville laissait doucement place aux prairies. Le sable et les plaines
se montraient discrets, tout autour, alors que le ciel, d’une immensité inexplicable, s’étendait à perte
de vue. Chacune des chansons de l’album, dans son ordre chronologique, nous parlait tant, que nous
étions subjugués par la trouvaille que nous venions de faire. Nous étions toujours admiratifs de celle-
ci, alors que nous étions, maintenant, simplement intrigués par le travail du destin qui avait mis sur
notre chemin des chansons qui faisaient tant de sens au sein de notre aventure. L’énergie, à l’intérieur
de la voiture, était si palpable et si positive, que j’eusse l’impression que le temps s’était arrêté, pour
un moment, devant l’infinité du paysage des prairies canadiennes qui défilait devant nous. Après
avoir échangé quelques paroles, après une première écoute de la totalité de l’œuvre, nous décidâmes
de laisser passer une heure sans parler, se concentrant seulement sur ce que la vie nous offrait.
Après quelques heures de route, avant d’arriver à Saskatoon, nous étions très fatigués, bien que nous
ayons bu beaucoup de café. Mon ami tenta d’aménager l’auto sur les abords de la route principale
pour que nous puissions y dormir à l’intérieur, rapidement, et partir au petit matin. Nous plaçâmes le
matelas sur la banquette arrière du véhicule, pour que nos pieds soient bien installés au fond de la
minuscule valise de sa Honda Civic. Nous prîmes le temps d’être si admiratifs devant le spectacle
que le ciel des prairies pouvait nous offrir, alors que nous pouvions si bien voir la Voie Lactée qui
nous couvrait de son éclatante lumière. Nous entrâmes dans le véhicule, puis nous nous endormîmes,
trop coincés, elle, son chien et moi, dans sa minuscule voiture, alors que le trop-plein de café nous fit
bouger toute la nuit, et que Branston nous poussait pour y faire sa place.

21 septembre 2017

La nuit de sommeil avait été très difficile alors que Jym était coincé sur le banc passager avant. Nous
l’étions d’autant plus, pieds premiers, dans le coffre arrière d’une Honda Civic pourpre, alors que
ma compagne avait décidément bu trop de café. Son chien et elle avaient passé la nuit à bouger ici et
là, tentant d’être confortables, mais sans succès. Pour ma part, je prenais la situation comme elle
venait, je ne m’inquiétais pas trop, car ça faisait partie de notre travail d’équipe.
Nous prîmes la route assez rapidement pour nous diriger vers Saskatoon. Nous voulions prendre le
temps de visiter un peu cette ville de la Saskatchewan, en une seule journée, et tenter de nous laisser
guider par le destin qui faisait si bien les choses jusqu’à maintenant. Nous parlions également de nous
séparer, pour continuer notre aventure chacun de notre côté, et peut-être nous retrouver en soirée, ou
au lendemain. Car nous savions trop bien que passer autant de temps avec quelqu’un, surtout un
inconnu, d’autant plus que nous vivions dans des espaces confins, était dangereux pour notre relation.
De plus, nous étions partis chacun de notre côté pour vivre une expérience, seul, et nous devions
respecter ce critère coûte que coûte.
Nous étions toujours à trois heures de Saskatoon, mais nous en prîmes quatre ainsi que deux pause-
café pour récupérer et faire courir le chien. C’est pourquoi nous arrivâmes à Saskatoon en début
d’après-midi alors que la journée était assez grise. Nous décidâmes de nous séparer au beau milieu
du centre-ville et de nous contacter au courant de la journée. Elle voulait passer un peu de temps avec
son chien qui semblait moins écouter et qui semblait se plaindre beaucoup. Nous fumâmes un joint
ensemble et stationnâmes le véhicule dans un stationnement tout près d’un YMCA. Elle voulait
également réorganiser, encore une fois, le véhicule qu’on laissait souvent en désordre, car son
déménagement l’obligeait à transporter une multitude de choses. Tout en m’éloignant de l’automobile,
portant mon lourd manteau de cuir, mon chandail bourgogne à la taille, et mon énorme sac sur les
épaules, ma douce compagne me lança que j’étais un voyageur sexy en cette grise journée. Je souris
spontanément et lui envoyai un baisé soufflé. Puis, je me retournai et quittai.
J’arrêtai premièrement dans un Starbuck et vis quelqu’un quêter pour un peu de nourriture à l’entrée.
Je m’achetai une petite collation et lui en acheta un en même temps. J’allai à l’extérieur et lui donnai.
L’homme me remercia infiniment. Puis, je le quittai également. J’allai m’asseoir dans un parc, tout
près pour peut-être une demi-heure, puis je méditai. J’étais bien, il ne faisait pas froid, mais je
redoutais qu’il pleuve un peu plus tard.
Je voulais prendre également le temps de visiter un magasin de vêtements usagers, pour me trouver
une tuque et des gants, tout ce qui me manquait pour faire face à n’importe quel changement
climatique soudain, apprivoisant la saison d’automne qui arrivait à grands pas. Je regardai sur mon
GPS et réalisai que le village des valeurs le plus près était à environ cinq kilomètres. Comme ça
faisait longtemps que je n’avais pas eu une bonne promenade avec Eva et Jym, je me mis à marcher
sur-le-champ, bien que mes sandales soient bel et bien brisées pour de bon et que mes Converses
n’étaient pas en très bon état. Je marchai une heure quarante, sans arrêter une fois, pour m’y rendre.
J’étais fier, j’étais toujours fort.
J’entrai au magasin et trouvai facilement ce que je cherchais pour cinq dollars. J’étais très content.
Au comptoir, la femme derrière moi m’aborda remarquant la prestance de Jym. Nous commençâmes à
discuter, je lui racontai mon histoire, mais mon sac commençait à me peser lourdement sur le dos et
sur la colonne. Je coupai alors la conversation très courte alors que la caissière me posa également
des questions. Je leur répondis que je devais absolument déposer mon sac. Je pris mon bon d’achat et
sortis rapidement du magasin pour y prendre une longue pause. La femme qui me suivait sortit du
magasin juste après moi. Nous parlâmes durant un instant, puis elle me souhaita bonne chance et
quitta. Je me sentais si bien de continuer de rencontrer des gens de partout, seulement parce qu’ils
étaient intrigués par mon histoire, et j’étais toujours également intrigué par la leur.
Juste avant d’arriver au magasin, j’eusse remarqué une petite micro-brasserie au coin de la rue. Je
retournai sur mes pas pour aller déguster une bière et tenter d’avoir des nouvelles de mon amie. Peut-
être allions-nous avoir des plans ensemble ? Sinon, je pouvais tout aussi bien continuer ma route,
seul. De plus, je savais pertinemment qu’elle adorait ce genre d’établissement. À l’intérieur de celui-
ci, les couleurs étaient éclatantes. On aurait plutôt pu penser que le commerce était un café, moderne
et conviviale, mais la sélection de bière était quand même élaborée et alléchante. J’y commandai une
bière.
Quelques heures plus tard, mon amie, emballée par la description que je lui avais donnée de
l’endroit, vint me rejoindre. Elle me raconta sa journée. C’était comme si elle y trouvait de la magie
un peu n’importe où. Elle avait commencé à marcher dans un quartier qui laissait, un peu, à désirer.
Branston avait attiré l’attention d’une jeune dame qui avait été assez intéressante par sa conversation,
et qui avait guidée ma douce vers un café végétalien. Son histoire était magique en soi, car le but
principal de son voyage était exactement de trouver ce genre d’endroit. Je me souvins qu’une des
premières choses qu’elle m’avait demandées, quand je l’eusse rencontrée à Kelowna, était à savoir
si je pensais qu’il était possible d’être pris dans une routine qui attire le négatif comme être piégé
dans une roulette à hamster. Et si ce fut le cas pour elle, à l’époque, je la voyais, d’elle-même,
tourner la roue de l’autre côté, seulement en croyant différemment et en permettant à la magie d’avoir
une place dans sa vie. Elle était si reconnaissante et si apaisée par la vie, qu’elle la laissait couler
devant elle comme un ruisseau paisible, que c’était beau à voir. Et J’étais touché.
Nous bûmes quelques bières, et demandâmes à la tenancière ce qu’il y avait à faire, en soirée, dans
les environs. Elle nous pointa un bar où se tenait un spectacle Blues. Nous étions au beau milieu de la
semaine, c’est pourquoi nous ne nous attendions à rien, mais un spectacle de musique était très
intéressant à nos oreilles. Nous écartâmes les autres options et nous nous rendîmes dans le quartier
du petit bar en question. Nous étions près du Centre-Ville, mais l’établissement était petit, d’un demi-
sous-sol, et était fréquenté par des gens qui jouaient au billard, vêtu de cuir et de jeans. Ce n’était pas
le genre d’établissement auquel je m’attendais, mais tout y était pour avoir du plaisir. Nous
stationnâmes le véhicule tout près, alors que le soleil se couchait au loin. Nous laissâmes le chien
garder le véhicule et entrâmes dans ce petit établissement pour y commander une bière, peut-être un
petit repas, et pour y écouter ce spectacle de blues.
Je commandai la poutine du menu, espérant recevoir une vraie bonne poutine cette fois-ci, alors que
mon amie commanda des cornichons frits. Vingt minutes plus tard, nous reçûmes nos assiettes. Ma
poutine semblait tout simplement délectable. Bien qu’il existe plusieurs différents types de poutine,
celle-ci faisait clairement partie d’une classique poutine graisseuse et réconfortante, répondant à
toutes les attentes que l’on peut avoir face à la poutine d’un fond de bar, commandé après plusieurs
bières. Encore une fois, je pouvais me sentir à la maison.
Par la suite, le spectacle commença. Le groupe était si bon. Ce qui me plait particulièrement du blues,
c’est que c’est une musique sans âge, toujours actuelle, qui peut trouver sa place dans le cœur de
tous. C’est une musique avec une bonne base théorique, mais qu’il faut prendre le temps de sentir
quand on veut la communiquer. Elle peut laisser place au rock'n'roll, comme à la ballade, ou même au
country. Le groupe rendait si bien justice à ce genre de musique, que l’on n’entend malheureusement
pas assez souvent, mais qui est, chaque fois, si agréable à écouter.
Soit que le voisinage était de très grands amateurs de ce style de musique, ou soit encore que le
groupe eût amené une multitude de "fans" dévoués à leur spectacle, mais les gens de la première
rangé, peut-être une dizaine de couples, se levèrent et se mirent à danser devant celui-ci. Tous ces
gens sans exception étaient d’excellents danseurs qui connaissaient les pas et les danses associés aux
blues et au Rock’n’roll. Cela nous donnait le gout de le faire nous aussi, mais nous ne voulions pas
détruire leur merveilleuse peinture, car le moment était aussi délectable à regarder que la poutine que
je venais de terminer. À un moment, mon amie pointa deux personnes et s’écria, de son accent :
« R’garde ceuz-là commant y’étions baon ! » Écoutant son parfait français acadien, je la regardai
droit dans les yeux et j’étais amoureux. Je lui répondis simplement que j’adorais toutes les fois
qu’elle parlait en français. Après cette phrase, je ne pouvais pas comprendre pourquoi la majorité de
nos conversations étaient en anglais. Je remarquai aussi que quand nous buvions ou fumions, nous
parlions davantage en français. Mais bref, l’important n’était pas le langage que nous utilisions, mais,
seulement de nous comprendre et de nous aimer. Et c’est ce que nous faisions si bien.
Après quelques heures, nous décidâmes de quitter, rassasié de ce moment magique. Par contre, nous
avions tous les deux bu de l’alcool. C’est pourquoi nous ne bougeâmes pas le véhicule et décidâmes
de dormir à l’intérieur de celui-ci, comme la veille, espérant de trouver un meilleur sommeil. Nous
avions bu moins de café, par contre, et nous étions un peu engourdis par les mérites de la bière et
l’émotion du moment. Nous nous endormîmes, aussitôt, au beau milieu d’une ruelle de Saskatoon.

22 septembre 2017

Mon amie se réveilla avant moi et décida de promener le chien au lever du soleil, alors que je
dormais encore. J’aimais définitivement mieux dormir à l’extérieur ou dans une tente que dans cette
minuscule voiture. J’étais beaucoup plus courbaturé après une nuit comme celle-ci. Mais comme je
l’avais si bien entendu auparavant : des fois, il faut faire ce qu’il faut faire, tout simplement.
Jym et Eva étaient prêts à entreprendre une autre journée de voyage, pour se rapprocher de plus en
plus de la maison. J’étais si heureux d’y penser. Je vis mon amie arriver au loin avec son chien et
deux cafés. Elle savait si bien comment commencer la journée. Après un moment, nous partîmes. Il
était encore tôt le matin, et nous avions beaucoup de route à faire. Nous écoutions Tracy Chapman,
encore une fois, et étions bien. Nous parcourûmes la route en neuf heures, en arrêtant brièvement, ici
et là, pour le chien, l’essence et le café. Nous étions bien et avions l’impression de faire du chemin
ensemble. Nous étions heureux.
Arrivé en fin d’après-midi à Winnipeg, j’étais heureux de retrouver cette ville qui m’avait tant déçu,
la première fois, avec tous ces problèmes de véhicules que j’avais connus aux côtés de cette jolie
rouquine et de sa voiture jaune et flamboyante. Les gens, aussi, avaient été désagréables, mais je
considérais donner une seconde chance à une ville qui est tout de même merveilleuse. Nous nous
arrêtâmes boire un café dans une partie de la ville que je ne saurais décrire, mais nous étions tout de
même proches du centre-ville. De toute façon, avec notre train de vie, il était impossible de tout voir
et de tout décrire en une seule journée. Ce même train de vie nous obligeait, par contre, à trouver
ingénieusement des moyens de manger et surtout de se doucher et nous voulions le faire le plus
rapidement possible. Arrivés au café, nous attachâmes Branston à l’extérieur de celui-ci et y
entrâmes, mais je sentais ma compagne angoisser. Je sentis qu’elle avait besoin d’espace. Je lui
demandai alors, aussitôt, si elle voulait que l’on se sépare, et elle accepta sur-le-champ. Je
l’embrassai lentement, puis pris mon sac et partis.
Je me dirigeai vers un parc et vis un studio de yoga en chemin. Je m’y arrêtai, car je savais que je
pouvais y profiter des douches en même temps. J’interrogeai la réceptionniste à savoir l’horaire des
services de l’établissement. Il y allait avoir, une heure plus tard, une session de yoga kundalini. Je ne
connaissais pas trop ce que c’était, mais le mot kundalini faisait référence à notre énergie vitale et
spirituelle. De plus, la session n’était que cinq dollars et les fonds amassés allaient être distribués à
un organisme communautaire. Il ne m’en fallut pas davantage pour me convaincre de m’y inscrire.
J’envoyai tout de suite un message à mon amie pour lui expliquer la situation et lui dire que c’était,
de loin, le meilleur plan pour se trouver une bonne douche dans les environs. Elle fut emballée par
l’idée et me dit qu’elle allait me rejoindre devant le studio juste avant de commencer. J’étais
heureux, j’avais l’impression qu’elle allait déjà mieux.
Je décidai de continuer de marcher, en attendant, vers le parc, où j’allais m’échauffer et m’étirer, au
cas où l’épreuve de yoga soit difficile. J’exécutai la même routine d’étirement qu’à l’habitude, celle
que j’avais apprise dans cette même ville quelques semaines auparavant, et cela prit vingt-cinq
minutes. Puis, je me sentis si en forme et si libre dans mon propre corps. J’utilisai Jym pour
m’agripper et m’étirer le plus que je pouvais. Je me sentais en pleine capacité de mes moyens. Je me
levai et exécutai spontanément une roue latérale. J’atterris sur mes pieds. J’étais fier. Je n’avais pas
fait de roues latérales depuis que j’avais dix ans peut-être. Je me sentais rajeunir de corps, de cœur
et d’esprit. Après plusieurs roues les unes après les autres, je m’installai et me tins sur la tête ;
position de yoga très connue. Je le fis sans problème, comme je le faisais également quand j’avais
dix ans. J’avais appris dans « Tao Te Ching » qu’une bonne qualité à entretenir était la souplesse, car
le vent pouvait briser le plus fort des arbres, mais n’allait pas brise le roseau. De plus, si notre
mental et notre esprit sont à l’image de notre corps, la souplesse est plus utile que la force, qui peut
être brisée à tout moment par les épreuves de la vie. Je devais alors tenir mon corps à l’image de
mon esprit ; souple et fiable.
Le temps passa et je devais retourner vers le studio de yoga. J’arrivai un peu tôt, mais je ne trouvai
pas mon amie. Je l’attendis un moment, peut-être avait-elle changé d’avis ? Après quelques minutes,
j’entrai, et pris une douche avant le cours, car je voulais me sentir propre et pur avant de cultiver
mon énergie. C’était ironique, car la dernière fois que j’avais pensée à cette notion était quand
j’avais révisé les notes de cours de yoga de mon amie avec qui j’avais visité Winnipeg la première
fois. Et maintenant, j’appliquais ce que j’avais appris au sein de la même ville. Je commençais à
avoir l’impression que j’avais tant appris durant ce voyage et que je mettais en pratique certaines
notions, dans la deuxième partie de celui-ci, dans le but de devenir la personne que j’étais déjà, au
plus profond de moi-même. Car toutes ses personnes que j’avais rencontrées, toutes les opportunités
que j’avais connues, d’un inconnu à l’autre, m’avaient tant apporté, et j’étais si fier de pouvoir être
humble en rendant crédit à monsieur-madame tout le monde qui avait contribué, sans le savoir, à
changer ma vie. J’avais également eu l’impression d’avoir laissé ma marque, dans la vie de tous et
chacun, comme nous le faisons tous si bien, tous les jours, sans même le remarquer.
J’attendis encore un peu, à l’extérieur, pour voir si mon amie allait arriver, mais sans succès. Un
jeune homme passa près de moi et me demanda si j’étais dans la rue. Je lui répondis que je l’étais,
momentanément, par choix et par gout d’aventure. Il me répondit aussitôt qu’il n’était pas une bonne
personne, car il pouvait voler une fois de temps en temps. Mais qu’il en faisait profiter les gens dans
la rue en donnant. Il me donna alors des barres chocolatées, des bonbons et des noix. Il était si
généreux. Il était comme un Robin des Bois des temps modernes. Je lui conseillai de faire, par contre,
attention à son karma. Mais que les gros magasins agissaient souvent de pires façons que nous dans
leur rapport à l’argent et à l’aide qu’ils pourraient donner à la société. Car, il est très triste de voir
des familles être au seuil de la famine, alors que ces entreprises jettent des quantités
impressionnantes de bonnes nourritures et enregistres des profits en millions de dollars. Cet homme
était peut-être seulement le résultat de leur karma. Mais, nous avions chacun notre part à faire, entre
le Ying et le Yang de ce soi-disant système démocratique qui rend le mercantilisme trop légitime.
Après une courte conversation, nous étions contents de nous être brièvement rencontrés, et il quitta.
Je m’installai alors, dans un coin du studio de yoga, réalisant que mon amie n’allait pas me rejoindre.
Puis, après quelques moments, je vis l’instructeur de yoga entrer dans la salle, et tenir un discours sur
le fait que le kundalini est un mélange de tous les autres yogas ensemble et qu’il changeait des vies. Il
peut paraitre bizarre, a priori, mais, si l’on réussit à se concentrer sur notre propre énergie, de toutes
les façons possibles, nous pouvions réussir à remplir ce vide qui nous habite tous, l’un de ses jours.
J’étais plutôt d’accord avec ce qu’il disait. Mais je m’attendais à un yoga calme et spirituel, alors
que ce ne fut nullement le cas. De plus, l’instructeur était flamboyant et très énergique dans ce qu’il
disait. Il était grand, ses cheveux étaient longs et blonds, soyeux et attachés. Il portait une barbe
blonde taillée courte, à la mode de chez nous. Il semblait, par contre, avoir un égo assez féminin,
exposé par des mouvements de bras et de tête si expressifs à ses opinions de jeune homme, hippie
mais moderne, habitant la grande ville.
Nous adoptâmes plusieurs positions de yoga durant l’heure qui suivit. Certaines plus difficiles,
certaines plus faciles, et le professeur se donnait intensément pour le bien-être de tous. Ce qui était
particulièrement difficile était de se concentrer sur la position de yoga, la tenir, et se concentrer sur
son troisième œil ; chose que le professeur répétait sans cesse. De plus, il fallait exécuter le tout en
tenant le souffle du dragon, c’est-à-dire : tout au long de la session, de respirer comme une femme sur
le point d’accoucher. C’était si difficile à coordonner, mais je passai une heure agréable à me
dépasser, à travailler mon énergie différemment et, ensuite, à profiter d’une douche bien méritée.
Pour terminer, nous méditâmes sous des chants spirituels. Du moins, ils auraient été spirituels si
l’instructeur n’avait pas chanté comme une diva flamboyante. J’étais heureux de voir qu’il le fasse
comme il le voulait, mais je sentais, peut-être à tort par contre, qu’il le faisait par égo et pour montrer
qu’il chantait bien, et non pour la spiritualité de la chose. Ses chants étaient si intenses et
démonstratifs, que je pouvais à peine me concentrer sur le calme du moment. J’avais seulement hâte
de partir, devant une pratique de yoga, dont je n’étais pas si étonné de retrouver au centre-ville de la
gigantesque ville. L’expérience fut tout de même agréable.
Le cours étant terminé, les gens se préparaient à sortir de l’endroit. J’avais tellement hâte de raconter
mon expérience à mon amie. Quelques personnes restaient dans le studio et prenaient leur temps
avant de quitter. L’un d’entre eux, le seul homme qui faisait son yoga sans chandail, bien évidemment,
se mit aussitôt à se tenir sur la tête. Sans jugement, et sans le faire également, je sortis de l’endroit.
J’étais toujours un peu triste de voir que ce genre de discipline était aussi victime de l’égo humain,
car le cœur de celle-ci se doit d’être motivé par l’humilité et la sérénité, malheureusement. Je savais
que je ne devais pas juger, mais je ne voyais pas l’intérêt de ne pas porter de chandail, ou encore
d’exécuter, en partant, un tel mouvement, sauf à des fins de spectacle. Mais peut-être ne jugeais-je
juste à tort et à travers. Je savais que je ne devais pas juger, bien qu’il en soit très difficile.
En sortant, j’aperçus l’instructeur qui semblait également vouloir l’attention des gens. Il regardait
partout, voulant attirer les regards des autres. Il m’aborda et me posa des questions sur mon sac et
mon voyage. Quand je commençai à lui raconter, il aborda d’autres gens qui passaient par là, me
laissant parler avec le vide. J’arrêtai, bien évidemment. Puis, il me revint. Il m’offrit de
m’accompagner à un événement de yoga qui se tenait tout près. Je le voyais regarder tout autour en
me parlant, comme s’il ne voulait pas rater l’opportunité d’un compliment. C’est vrai qu’il était très
talentueux, que son cours s’était déroulé à la perfection et qu’il chantait très bien, mais je ne tentais
seulement que d’avoir une conversation, d’un inconnu à l’autre. De plus, il m’invita à dormir chez lui
après l’événement, et vu ses manières et sa façon d’agir, j’envisageais ses attentes, peut-être de façon
présomptueuse, mais je voulais me tenir loin d’un malaise éventuel. De toute façon, je devais
rejoindre mon amie avant tout, et c’est ce que je lui répondis, car le but de mon voyage était la
priorité. Il était tout de même très sympathique et j’admirais son travail et son talent. Je lui dis que
nous allions peut-être nous croiser à l’événement auquel il m’avait invité, car j’étais tout de même
intéressé d’y faire mon tour. Puis je le remerciai et quittai.
Je sortis de l’établissement avec Jym et Eva. Nous étions tous les trois comblés, mais fatigués. Je
regardai mon téléphone, mais remarquai qu’il était à plat. Je devais trouver un endroit pour le
recharger et communiquer avec mon amie. J’espérais que tout s’était bien passé pour elle. Quelques
secondes plus tard, je la vis tourner le coin et arriver devant le studio, au bon moment, au bon
endroit.
Nous nous serrâmes dans nos bras, alors que Branston brandissait fièrement la queue. Mon amie
s’excusa en premier lieu de ne pas s’être présentée, elle n’avait tout simplement pas trouvé l’endroit
et s’était promenée avec son chien. Chaque fois qu’elle se promenait, Sir Branston attirait l’attention
des gens, ce qui lui faisait rencontrer une multitude de gens. Cela lui donnait un bon équilibre entre la
solitude de son voyage et un certain désir social incrusté dans la nature humaine. Nous étions
également, tous les deux, heureux de pouvoir vivre ces moments séparés et de nous retrouver pour
nous les raconter par la suite, ce que nous fîmes, tout en marchant vers le véhicule. Je me sentais déjà
courbaturé de l’exercice intense que je venais de subir, mais je me sentais en forme, et j’étais bien.
J’offris alors l’idée, à ma douce Acadienne, de visiter les événements hippies auxquels j’avais été
invité. Mais le ciel devenait de plus en plus gris, elle avait de plus en plus le gout de sortir de la
grande ville, et de partir avant le coucher du soleil. Comme nous nous étions levés tôt, nous avions
encore un peu de temps devant nous. Mais nous ne voulions que relaxer. Nous avions déjà tout ce
qu’il nous fallait pour nous faire une bonne soupe, en cette journée grise et fraîche, et nous installer
un petit campement confortable.
Nous sortîmes donc de Winnipeg et parcourûmes environ une heure en automobile sur l’autoroute 1,
avant d’arrêter entre deux villages, tout prêt d’un terrain de camping. Mon amie voulait toujours
prendre une douche. Je lui proposai d’arrêter au terrain de camping, de payer pour une douche, ou
encore, de tenter de ne pas se faire voir, mais elle était réticente à l’idée. Pendant ce temps, il
commençait à pleuvoir de plus en plus. Nous devions tenter également de trouver un stationnement
décent, de trouver un chemin vers la végétation la plus proche et d’assembler notre maison de toile.
C’est ce que nous fîmes en premier.
Après nous être stationnés à quelques centaines de mètres du terrain de Camping, je fis un tour rapide
des petits sentiers pour y voir autour et trouvai une petite place cachée, entourée d’arbre, pour y
installer la tente. Comme il pleuvait de plus en plus, je mis mon manteau sur mon sac, pour tenter de
le couvrir. Puis, nous mîmes tout ce dont nous avions besoin pour manger et dormir à l’intérieur de la
toile imperméable que nous transportâmes, en énorme baluchon, jusqu’à l’endroit. Nous installâmes
la tente puis, par la suite, la toile que nous accrochâmes à un arbre pour nous laisser un espace au
sec, devant celle-ci, pour cuisiner. Nous exécutâmes un travail d’équipe parfait. Nous savions si bien
comment travailler ensemble. Puis, elle me demanda si j’étais bien pour établir le campement, car
elle voulait aller au terrain de camping pour aller chercher de l’eau et peut-être voir si les douches
étaient opérables. Je lui répondis que je pouvais le faire, bien évidemment.
Je continuais à installer les couvertures, mon sac, puis sortis tout ce qu’il fallait pour manger. J’étais
très heureux de pouvoir utiliser le bruleur de camping, que son frère m’avait offert, pour la première
fois. Une fois que tout fut installé, je devais l’attendre, car c’était à elle à préparer la soupe au miso.
Pour être honnête, je ne savais même pas ce que c’était. J’attendis quelques dizaines de minutes alors
qu’une pluie torrentielle s’abattait sur nos installations. Le bruit était si brutal, mais à la fois si
apaisant, surpassant l’odeur de la nature si humide, tout autour de moi, alors que j’étais confiné dans
me quartiers aux murs en toile. J’étais si bien. Même si le moment semblait difficile, je savais que
mon périple tirait à sa fin et j’étais déjà pratiquement nostalgique de ce genre de situation. Ce
moment me prouvait, encore une fois, pourquoi j’étais parti, il y avait presque deux mois maintenant.
Puis elle revint. Elle me confia avoir eu la peur de sa vie, car elle eût perdu son chien de vu pour un
instant, puis elle l’avait cherché pour une bonne dizaine de minutes. Le pauvre s’était accroché dans
une clôture et y était resté pris, sans avertir sa maîtresse. C’était pourquoi elle avait pris plus de
temps que prévu. Je pouvais quand même comprendre que c’était l’une de ses plus grandes peurs.
Ensuite, sans attendre, elle s’installa pour cuisiner.
Elle s’assit en lotus et commença à concocter cette délicieuse soupe. Elle était si belle, si naturelle
avec ses cheveux emmêlés. Mais si forte de braver l’épreuve et de survivre en forêt, comme nous le
faisions, qu’elle m’attirait fortement. Je la laissais faire, tentant de l’aider le plus possible, alors que
j’imaginais presque une sorcière des bois, nous concocter une potion magique. En fait, tout était déjà
magique. Je regardai autour de moi, à l’intérieur de la tente, alors que le chien restait bien abrité
également. Je remarquai, cependant, que l’eau commençait à infiltrer notre abri, car la toile que nous
avions placée au-dessus de la tente accumulait l’eau qui perlait jusqu’à l’intérieur. J’allai à
l’extérieur rapidement, trouvai un bâton assez long, et le plantai devant la porte de la tente, de sorte à
créer un toit pointu avec la toile, pour que l’eau ne s’accumule plus sur celle-ci. Le problème fut
réglé aussitôt. Ce fut presque trop facile et j’en étais fier. Puis, nous mangeâmes plus qu’à notre faim
et nous étions d’autant plus fiers, car nous avions l’impression de réussir, encore mieux à deux, le
défi que nous nous étions séparément lancés, celui de vivre cette vie spontanée pour quelque temps.
C’était simplement magique.
Puis, mon amie, si douce et si brillante, eut l’idée de concocter du thé. Nous étions tous les deux
fatigués des dernières nuits, coincés dans son véhicule et, de plus, nous nous étions levés très trop.
Nous rinçâmes mon poêlon et notre équipement, puis fîmes bouillir de l’eau. Nous insérâmes les
sachets de thé au cannabis qu’elle conservait si précieusement. C’était la première fois que je tentais
l’expérience. Et puis, si doucement, nous sentîmes les effets de l’élixir s’emparer de nous et nous
diriger vers les bras de Morphée. Des fois, quand on fume où même quand on en mange, on peut se
sentir énergisé par les effets du THC, alors que cette fois-ci, c’était tout à fait le contraire. Nous
relaxâmes et nous endormîmes doucement, l’un contre l’autre.

23 septembre 2017

Nous nous réveillâmes et j’avais de plus en plus l’impression que ce voyage tirait à sa fin. Comme
quand l’on regarde une série, ou un film, ou quand on lit un livre et qu’on a l’étrange sensation que la
fin est proche. La fin allait, par contre, signifier un nouveau commencement, tout simplement. Quand
je parlais aux gens que j’allais revenir, plusieurs me suggéraient de prendre garde, car retomber dans
un mode de vie normal et routinier pouvait me rendre dépressif. Je me contentais alors de leur
répondre la même chose à chaque fois : « Je ne suis pas parti pour trouver quelque chose, car ce que
j'aurais pu chercher était déjà au fond de moi-même et je le savais déjà. Le défi sera simplement de
garder cette magie, et de l’entretenir dans une vie plus routinière. Et je suis convaincu que c’est
possible ». Et j’y croyais plus que jamais.
Nous étions tous si bien, ce matin-là, nous avions tous bien dormi. Eva et Jym étaient déjà prêts à
partir. Les deux avaient accepté leur rôle plutôt secondaire, depuis la dernière semaine, même s’ils
savaient au plus profond d’eux-mêmes qu’ils étaient si importants à mes yeux et que je leur devais
littéralement la vie.
En sortant de la tente, je m’aperçus que nous étions moins bien cachés que je l’aurais espéré, même si
cela m’était plutôt égal. Nous fîmes très rapidement. Nous rangeâmes et transportâmes tout, de la
même façon que nous avions fait la veille. Nous étions devenus des professionnels du camping furtif.
Puis, nous partîmes. J’étais emballé à l’idée de retourner vers Thunder Bay, puis, de revoir cette
merveilleuse femme qui m’avait abrité chez elle à Sault-Sainte-Marie en échange de travaux sur son
terrain. Ensuite Ottawa ; aller rendre visite à mon meilleur ami, pour, après, passer une journée à la
maison à Sainte-Julienne et serrer mes parents dans mes bras. Et si j’étais vraiment motivé, j’allais
avoir l’opportunité de continuer pour visiter brièvement les provinces de l’Atlantique. J’espérais
secrètement pouvoir toucher aux dix provinces canadiennes au sein du même voyage. Pour moi, ça
allait être une chance et un exploit en soi. Sans même trop y réfléchir, je réalisai que bien malgré moi
et juste parce que c’était trop agréable, j’avais déjà pris la décision de rester avec mon adorable
amie.
Nous prenions notre temps ce matin-là. Mon amie avait comme seul et unique but de trouver une
douche où elle pouvait finalement se laver, car ses cheveux s’étaient transformé en un seul et
immense « dreadlock ». Je compatissais, car trouver une douche était souvent le problème le plus
récurant de ce genre de voyage. De plus, il était presque inutile de rouler toute la journée, pour
arriver en soirée à ThunderBay, car nous allions rencontrer des difficultés pour trouver un bon
endroit où dormir et nous n’aurions certainement pas le temps de visiter cette ville qui jadis m’avait
été décrite sous plusieurs avertissements. Bref, de toute façon, le meilleur plan, nous le tenions déjà :
dormir à mi-chemin entre les grandes villes, et visiter celles-ci au beau milieu de la journée. Surtout
que nous avions à faire environ dix heures de voyagement par jour, considérant que nous nous
arrêtions souvent pour manger et pour accommoder le chien.
Nous roulâmes alors toute la journée, arrêtant ici et là. Les prairies laissaient tranquillement la place
aux forêts de l’Ontario. Le soleil commençait à se coucher et déjà, mon amie commençait à chercher
un endroit où dormir. À l’aide des technologies actuelles, sa mère lui offrit un peu d’argent pour
qu’elle puisse se payer une chambre de motel abordable, dans le but de se reposer convenablement,
et de prendre une bonne douche bien méritée. Après avoir visité quelques motels du coin, nous
trouvâmes un endroit, dispendieux pour sa qualité, mais assez hospitalier. Nous ne pouvions pas
croire qu’une seule nuit dans une chambre, si peu impressionnante, pouvait couter une centaine de
dollars. Mais nous étions de plus en plus fatigués, nous étions sur la route la plus fréquentée du pays,
et nous voulions nous reposer tôt et profiter du privilège d’avoir un toit sur la tête.
Nous nous stationnâmes loin du bureau de l’établissement, car nous ne savions pas si Branston allait
être accepté. Mon amie devait aller payer et je l’attendis où nous étions. Puis, quand elle revint au
véhicule, nous transportâmes notre matériel dans la chambre et y fit entrer le chien sans vraiment
l’enregistrer. Mon ami sauta aussitôt dans la douche alors que je préparai notre environnement. Nous
avions quelques bouchés, également, que nous pouvions manger, et il me restait quelques bonbons
que Robin des Bois de Winnipeg m’avait offerts. Puis, quand elle ressortit, nous nous couchâmes
dans le même lit, laissant l’autre pour le chien, qui tenta tout de même de se faire une place avec
nous. Nous rîmes, avant de le relancer de son côté et de lui expliquer que, pour une fois, il avait son
lit à lui seul. Nous nous endormîmes, après un moment, toujours bien, au chaud, avec tout ce dont
nous avions besoin ; l’amour en première place. Nous étions heureux.
Chapitre 19
Beautiful Onterrible

24 septembre 2017

Nous nous réveillâmes également heureux. Rien ne pouvait nous affecter. Nous savions qu’il nous
restait quelques heures de route avant de nous rendre à Thunder Bay, et que nous allions ensuite
dormir un peu plus loin, comme nous l’avions fait pour les autres villes auparavant. Nous profitâmes
de la chambre de motel jusqu’à onze heures le matin ; l’heure où nous devions quitter. Nous restâmes
au lit un bon moment, profitant d’un long et délicieux sommeil, malheureusement trop rare pour nous.
Puis, nous partîmes, rangeant tout, à nouveau, dans la voiture.
Nous allâmes à Thunder Bay d’un seul et long voyage pour y arriver au beau milieu de l’après-midi.
L’air froid de l’Ouest laissait place à une vague de chaleur qui s’était installée sur l’est du pays
depuis plus d’une semaine. Mon manteau, ma tuque et mes gants m’étaient, maintenant,
momentanément obsolètes. Nous nous arrêtâmes quelques fois pour, encore une fois, exécuter notre
routine ; boire du café, mettre de l’essence, et faire courir le chien qui semblait apprécier
merveilleusement l’aventure. Nous nous étions même donné un nom : « Les trois C » : « Le Cross-
Canada Crew ». Nous en riions. Nous étions si heureux et fiers de parcourir les derniers miles des
prairies canadienne, pour rejoindre le début de l’Ontario. Nous passions d’un fuseau horaire à l’autre
de sorte qu’il était maintenant la même heure, pour nous, qu’à la maison que j’avais quittée deux mois
auparavant. La fin était proche. Nous voulions, tout de même, prendre le temps de visiter la ville de
Thunder Bay, car je n’avais pas pris le temps de le faire, lors de mon dernier passage. Ma douce
Acadienne voulait trouver un endroit où nous pouvions découvrir une différente cuisine végétalienne
et je n’étais pas contre l’idée, même si je n’avais décidément pas, beaucoup d’argent. Je réalisé que,
pour moi, manger n’était qu’une infime partie de mon infime budget, alors que pour elle, c’était
beaucoup plus important. Nous arrêtâmes à un Walt-Mart, pour acheter quelques articles, ainsi que de
la nourriture pour la bête. Quand mon amie revint à la voiture, elle avait été guidée par une caissière
indienne vers un temple hindou où ils servaient et vendaient le genre de nourriture que nous
recherchions. Nous savions alors où nous diriger par la suite.
Nous parcourûmes les rues de Thunder Bay à la recherche de ce temple hindouiste et nous ne nous
attendions à rien. Nous nous arrêtâmes devant ce petit local qui semblait commercial et qui était
identifié comme centre de Yoga Bakhta. J’avais déjà entendu parler de ce type de yoga qui consistait
seulement à méditer en groupe en chantant des mantras et des prières, en suivant des enseignements
propres à la théologie hindoue. Je n’étais donc pas dépaysé car ces pratiques, bien que différentes,
avaient fait partie de mon quotidien quand j’étais plus jeune. Car l’église chrétienne s’adonnait aux
mêmes rituels dans leurs propres pratiques ; avec les chants religieux grégoriens, gospels, ainsi que
les prêches et messes hebdomadaires. Comme si la base était la même ; la croissance de l’esprit par
la louange, la méditation et la prière. Nous pouvons trouver des pratiques semblables dans n’importe
quelle croyance spirituelle, civile ou indigène. C’est pourquoi il faut absolument s’y attarder, et
j’étais curieux d’être témoin de celles-ci en particulier.
Nous y entrâmes et y enlevâmes nos souliers. Une cérémonie se préparait dans une grande salle
commune alors qu’un petit couloir, sur le côté, nous amenait à la boutique où nous pouvions trouver
plusieurs aliments qui provenaient de leur culture. C’était rafraîchissant. Je ne connaissais pas, par
contre, la majorité des ingrédients qui s’y trouvaient, alors que mon amie prenait un plaisir patient à
tout examiner. Pour ma part, j’allai rejoindre les hommes qui commençaient la cérémonie. Je m’assis
en position de lotus sur l’un des petits matelas. Nous étions quatre dans la salle. L’homme, en avant,
commença à nous expliquer comment nous allions procéder. J’étais tout excité. Tout le monde était
indien sauf mon amie et moi, mais l’homme, en avant, s’efforçait de parler anglais pour que l’on
comprenne bien. Le premier mantra qu’il fallait exécuter était le classique Hare Krishna.
Pour moi, Krishna n’est pas Dieu, mais plutôt un professeur illuminé, comme le fut Jésus, Mahomet
ou Buddha. Je ne comprendrai jamais pourquoi, quand quelqu’un est aimé de tous, il faut alors le
vénérer comme s’il méritait notre servitude, comme si son statut était plus important que son message.
C’était la même chose pour certains gurus et même, maintenant, pour les vedettes de la télé. Peut-être
avions-nous ce degré de servitude d’inscrit dans notre code génétique. Car tout le monde est
également divin finalement et doit viser l’évolution collective, individuelle, et non la servitude
aveugle. N’empêche que s’il y a une vie après la mort, j’étais d’accord à lancer des prières et des
réflexions à certains ancêtres qui ont tenté de faire la différence, auparavant, dans ce monde. Et si ce
n’était que des idées, l’énergie dans la salle était quand même si palpable, alors que l’endroit se
remplissait rapidement. Le sentiment de rassemblement, de partage, de communion était si fort, qu’il
légitimait les idées véhiculées par le regroupement.
Pour ma part, j’eusse toujours cru qu’il y avait un fondement de vérité à la base de chacune des
religions. L’hindouisme, par exemple, est au bouddhisme ce que le judaïsme est au christianisme.
Bouddha, lui-même, ne pouvait pas être Bouddhiste, car il avait lancé le mouvement. Comme Jésus
avait grandi juif. J’eusse toujours eu l’étrange impression qu’à l’époque, l’important n’était pas de se
définir dans un mouvement particulier, mais plutôt de bien appliquer les enseignements importants,
qui se répètent d’une religion à l'autre ; ceux qui encouragent à pardonner et à aimer son prochain, par
exemple. Pourtant, aujourd’hui, il semble plus important de prouver qui a raison, socialement et
politiquement, au lieu de simplement bien agir. Car la seule vraie énigme reste simplement de
reconnaître que tous ces mouvements possèdent une partie du casse-tête, et que si tout le monde
acceptait de travailler ensemble, on pourrait vraiment tenter de mieux comprendre ces fameuses
questions existentielles qui tracassent et divisent l’humanité. L’hindouisme, en quelque sorte, a réussi
à garder le cap face à certains enseignements importants, à travers les siècles. Ceux de vivre et de
laisser vivre. Ceux de prendre conscience de son énergie physique, mentale et spirituelle,
individuellement et en société, pour viser une évolution divine. De plus, quand on se penche sur ses
vieilles écritures, on peut tomber sur quelque chose de mystique, sur des vérités perdues, et même
apercevoir quelques très anciennes traces de technologie. Par contre, il ne faut pas tomber dans le
panneau de la vénération aveugle. C’est pourquoi Bouddha était arrivé, pour corriger le tir à ce
niveau, par la suite.
Je regardais autour de moi et la salle était maintenant pleine. Mon amie m’avait rejoint et imitait, tout
comme moi, ceux qui nous entouraient. Le représentant, en avant, racontaient les histoires qui
justifiaient les mantras que nous chantions. Je me sentais si bien de communier, de partager,
d’apprendre, sur un mouvement pacifiste, spirituel, végétarien qui ne se concentre que sur
l’accomplissement de soi. J’étais bien et fier.
Nous savions qu’il y avait un buffet gratuit à la fin de la cérémonie, mais le chien commençait de plus
en plus à se faire impatient, alors que nous l’entendîmes japper quelques fois, prisonnier de la
voiture stationnée juste en avant de l’immeuble. Très furtivement, nous décidâmes alors de quitter. Je
nous trouvais d’autant plus humbles de quitter sans nous justifier, sans vouloir nous montrer ou
raconter notre histoire, et sans même profiter de leur buffet gratuit. Nous avions partagé ce que nous
avions à partager, d’une culture à l’autre, tout simplement. Et maintenant, je pouvais dire, hors de tout
doute, qu’il était possible de partager des croyances, d’une culture à l’autre, en se respectant
mutuellement, en apprenant les uns des autres et en faisant, chacun de son côté, son petit bout de
chemin.
Nous reprîmes la route alors que nous étions si énergisés. C’était comme si notre âme s’illuminait
dans nos veines. Nous avions maintenant, par contre, faim. Nous reprîmes la route pour sortir de
Thunder Bay, croyant que le destin nous avait amené dans cette ville pour vivre cette aventure en
particulier. La soirée débutait et nous voulions manger avant de trouver un endroit où dormir. Nous
arrêtâmes la voiture à un petit casse-croute jamaïcain, alors qu’il n’y avait que du poulet au menu.
Nous n’en voulions pas et décidâmes de regarder plus loin. Nous nous arrêtâmes alors à un restaurant
scandinave. J’étais chaud à l’idée de commander une bonne bière. Alors que le restaurant était
désert, nous regardâmes le menu et rien ne nous plaisait. Nous n’étions toujours pas avancés et
quittâmes rapidement. Nous vîmes alors, quelques minutes plus loin, un restaurant indien. Comme
c’était le thème de la journée, nous décidâmes de nous y arrêter. De plus, nous étions surs d’y trouver
de la nourriture que nous allions aimer découvrir.
L’endroit était simple et magnifique à l’intérieur. L’ambiance était très zen. Nous vîmes qu’il y avait
un buffet, mais comme je ne suis pas quelqu’un qui a beaucoup d’appétit, je ne voulais pas dépenser
le peu d’argent qui me restait pour un buffet qui allait trop me remplir. Par contre, d’un autre côté, les
choix sur le menu étaient tout de même limités. Mon amie, dans son infinie gentillesse, me confirma
que nous allions prendre le buffet et qu’elle voulait me l’offrir. J’étais gêné, car je trouvais qu’elle
m’offrait beaucoup depuis que nous nous fussions rencontrés. Elle était si gentille, si douce. Elle ne
voulait que prendre soin de moi. J’étais simplement béni de l’avoir rencontré. Après quelques
hésitations, j’acceptai.
Alors que le buffet était, à notre grande surprise, complètement végétalien, il fut le meilleur buffet
auquel j’ai eu la chance de gouter, tout simplement. C’était si délectable que nous mangeâmes au-delà
de nos capacités. Je ne me souvenais même plus la dernière fois que j’avais autant mangé pour
pratiquement en avoir mal au ventre, mais cette fois-ci, ce fut le cas. Nous ne parlions que de la
nourriture que nous apprécions à chaque bouchée. Puis, nous quittâmes rassasiés. Nous continuâmes
notre route pour sortir de Thunder Bay et nous diriger vers Sault-Sainte-Marie. Mais, sans pression,
notre but était tout simplement de rouler le plus longtemps possible, et quand la conductrice allait le
signaler, nous pouvions trouver un endroit confortable pour dormir, parcourant les petites rues de
l’endroit d’où nous allions nous trouver.
Bien après le coucher du soleil, mon amie me fit signe qu’il fallait s’arrêter. Elle était fière d’avoir
parcouru au moins dix heures de route en cette journée. Elle avait pris son temps, depuis le début de
son aventure, mais elle avait quand même un échéancier à respecter pour revenir vers le Nouveau-
Brunswick. Nous devions donc le respecter.
Elle me demanda où nous pouvions nous arrêter. Mais comme je ne connaissais pas les environs, je
lui répondis : « n’importe où est-ce que tu veux. Prends la prochaine rue que l’on croise et on va
voir ». Après avoir hésité trois fois plutôt qu’une en passant quelques rues, apercevant une quatrième,
je lui signalai de tourner pour que l’on puisse trouver un endroit simple. Il y avait littéralement de la
végétation partout, nous étions au bord des Grands Lacs et, si vraiment nous en avions besoin, nous
avions également l’auto pour nous abriter. Il était peu probable de rencontrer de gros ennuis, si nous
étions prudents.
Nous parcourûmes cette très petite et très sombre rue qui s’amenuisait de plus en plus et qui laissait
place à une magnifique végétation sur un cul-de-sac bien caché. Il n’y avait aucune lumière autour, ce
qui nous laissait voir un ciel comme nous ne l’avions jamais vu auparavant. La Voie lactée était si
éblouissante et si belle, qu’il y avait plus de points illuminés dans le ciel, que de coin noir. Le
spectacle en était à couper le souffle, tout simplement. Je marchai un peu plus loin et vis deux plages
se superposant, comme si nous étions sur une minuscule péninsule qui donnait sur l’infinité du lac
Supérieur. Nous étions tout simplement sans mot à l’idée d’avoir spontanément trouvé un endroit
pareil. Nous installâmes un campement tout près de l’eau, étonnés et ébaubis de ce que le destin nous
offrait sur un plateau d’argent : un ciel sublime ; comme celui des prairies, deux plages plutôt qu’une,
et l’infini d’un des Grands Lacs canadien. Nous étions en extase.
J’installai le campement rapidement, j’avais hâte de profiter de l’endroit duquel j’étais déjà en train
de profiter abondamment, sans le réaliser. Puis, après avoir tout installé, je tentai d'allumer un petit
feu de camp. Il me prit vingt minutes à partir, car la végétation autour était si trempée qu’il en était
presque impossible. Le feu ne dura pas longtemps non plus, mais juste assez pour rendre la scène
parfaite. Alors que je regardais le ciel, mon amie faisait de même, dansant avec un houla-hoop, sans
musique, sur la plage, nu-pied, valsant calmement sur la poésie de la nature. Eva me regardait de loin
et était si fière de moi. Si fier de ce que j’avais parcouru. Nous avions l’impression que ce moment,
que nous avions la chance de partager ensemble, était tout simplement un cadeau du ciel, pour nous
récompenser de notre force, de notre patience, de notre appréhension face à la vie. Peut-être que
notre petite cérémonie, plus tôt, avait synchronisé nos énergies pour attirer la suite logique de notre
journée. C’était comme si la vie voulait nous faire vivre les plus belles émotions pour nous remercier
de l’aimer comme elle était. J’enlaçai mon amie, lui disant que je l’aimais. Ce moment, à lui seul
prouvait qu’une aventure comme celle dans laquelle nous nous étions lancées était légitime et
incontestable. Car la magnificence de la vie en soi, de la nature, du ciel, de l’eau, de la terre, la
douceur de l’air, prouvaient, hors de tout doute, que la vie était divine en soi. Et c’était beau.
Nous passâmes plusieurs heures à profiter de l’endroit, à contempler le moment avant qu’il ne se
termine, profitant de chaque seconde, ensemble, d’un moment qui ne se répéterait peut-être jamais de
la même façon, mais qui restera, à jamais, si magique à nos yeux. Après quelques temps, nous
sortîmes le matelas à l’extérieur de la tente, puis nous endormîmes, entre deux plages, à la belle
étoile, entassés, elle, moi et « Scooby ». Avant de s’endormir, elle me demanda ce que nous pouvions
faire pour les moustiques qui nous entouraient. Je lui répondis simplement que nous n’avions qu’à ne
faire qu’un avec la nature, et ils nous considéreront comme les leurs. Puis, après un bref rire partagé,
nous nous endormîmes sur l’extase de la situation qui s’était offerte à nous.

25 septembre 2017

Cette-Fois ci, c’était à mon tour de me réveiller le premier, et je me réveillai avant huit heures.
Ouvrir les yeux, un matin comme celui-là, déjà à l’extérieur, sentant l’odeur de la rosée matinale qui
s’était déposée tout autour de nous, contemplant la nature dans son calme, sa sérénité et toute sa
splendeur, était un miracle en soi. Regardant l’infinité du Lac supérieur devant moi, je me disais que
c’était exactement ce genre de magie que je devais conserver avec moi, pour que ma vie routinière, à
mon retour, ne le soit jamais réellement. Car la magie est déjà là, partout et en tout temps. Ce qui se
trouve à être réellement magique, ce n’est pas la nature des choses en soi qui est trop divine pour
simplement être magique, mais bel et bien notre relation avec celle-ci qui nous permet de la
percevoir, de la goûter et de la contempler, à tous moments. Et c’est cette relation qu’il faut
absolument cultiver, surtout à travers les moments les plus difficiles.
Jym était éparpillé dans la tente alors que, pour ma part, j’étais toujours en jubilation face à la soirée
que nous avions connu la veille, ainsi que devant cet endroit que nous n’aurions jamais la chance de
revoir, même si nous le voudrions. C’était la parfaite expérience pour profiter du moment présent.
Nous avions si bien dormi, à la belle étoile, alors que mon amie dormait encore d’un profond
sommeil. Il y avait, par contre, de plus en plus de moustiques qui tournaient autour de nous. Je
m’inspectai et regardai cette jolie Acadienne qui dormait si doucement, et remarquai que les
moustiques nous avaient épargnés. J’étais fier.
Soudain, Eva me pointa le chien, qui semblait marcher, partout autour d’où nous étions, déjà excitée.
Puis, l’idée qu’il avait pu être la proie des moustiques s’incrusta dans mon esprit. Je commençai à
l’inspecter rapidement et me rendis aussitôt compte qu’il portait des anomalies un peu partout sur son
corps. Plus je regardais et plus je réalisais qu’il avait été dévoré par les maringouins. Puis, je lui
demandai de se coucher sur le dos. Il m’écouta. Je fus soudainement sous le choc de constater que
son ventre était complètement rempli de morsures de moustique, au point où il me fallut quelques
secondes pour réaliser l’ampleur de la situation. Son corps semblait lui piquer, alors qu’il restait
calme. Son ventre et ses organes génitaux étaient si enflés, que je comptais plus d’une centaine de
piqures d’insectes. Je réveillai mon amie, aussitôt, pour lui dire que le temps qui nous était alloué
dans ce jardin d’éden tirait à sa fin. Que nous devions partir, malgré le malheureux fait que nous
voulions vraiment prendre notre temps, ce matin-là, pour encore profiter de l’endroit.
Je tentai de l’avertir, doucement, pour qu’elle ne s’énerve pas, que le chien pouvait avoir un
problème et que nous devions l’observer. Elle le regarda un instant et je sentis que la situation
l’angoissa quelque peu. Elle me demanda si je pouvais ranger le campement, alors qu’elle devait
s’occuper de son fidèle ami. Puis, elle s’enferma dans l’auto, non loin de là, pour l’examiner
davantage, et pour l’enduire d’huile essentielle alors qu’elle contacta tout de suite la ligne
d’assistance pour animal de compagnie. J’étais fier de la voir prendre la situation en main, aussi
facilement, et de la voir prendre les bonnes décisions. Ils étaient maintenant à l’abri des moustiques,
alors que je pris peut-être quinze minutes pour tout ranger.
J’allai une dernière fois près du lac, où je me lavai le visage tranquillement. Le paysage était tout
aussi magnifique et feux notre campement était à l’abri de tout regard. C’était comme si l’univers
nous avait donné ce moment si magique, et maintenant, après en avoir profité amplement, il nous en
éloignait, pour nous forcer à reprendre la route rapidement. Mais nous n’avions aucun regret de
partir, car ce souvenir allait toujours rester en nous pour nous rappeler le sentiment qui jadis nous a
habités, quand, sans attente, la vie nous avait écrit un scénario féérique.
Retournant au véhicule, je remarquai qu’il était encore tôt. Nous voulions arrêter à la prochaine ville
pour continuer l’évaluation de la situation problématique. Le chien semblait bien aller, mais s’il se
mettait à faire de la fièvre ou à se plaindre beaucoup, nous devions réagir. Nous avions dans l’idée
de nous rendre jusqu’à Sault-Sainte-Marie, mais nous avions presque huit heures de route à faire pour
y arriver. Sans compter les arrêts pour manger, pour le chien, pour visiter, nous ne nous en serions
pas tirés à plus petit que dix heures de route, ce qui était déjà trop. Mais mon amie semblait croire
que nous pouvions le faire. C’était toujours possible, et j’avais déjà contacté cette merveilleuse dame
pour savoir si nous pouvions profiter de sa compagnie ainsi que de son petit chalet, lequel m’avait
tant plu durant l’aller. Elle nous attendait donc, mais je ne savais pas quand nous allions y être.
Puis, nous nous mîmes en route. Nous nous arrêtâmes quelques brèves fois, en route, encore une fois
nous prîmes notre temps. Il était de plus en plus difficile de faire de grandes distances, mais nous
nous devions d’avancer. De plus, nous voulions prendre le temps, dans quelques jours, pour arrêter
admirer les chutes Niagara ; cette merveille du monde que nous nous devions de voir avant de
continuer notre route. Nous arrêtâmes ensuite, plusieurs heures plus loin, tout près de la ville de
Wawa, où nous nous dîmes que nous voulions faire une pause un peu plus longue, le temps de relaxer
et de profiter. Nous nous arrêtâmes à une plage en pente. Je descendis la colline et pris le temps
d’exécuter ma série d’étirement pendant qu’elle décrocha le vélo de son support et fit le tour des
environs avec son fidèle compagnon. Puis, elle revint vers la plage avec l’un de ses cerceaux et
commença à danser tranquillement, alors que je tentais, encore une fois, des roues latérales. Nous
étions heureux.
Nous y restâmes jusqu’à quatre heures trente avant de repartir. Il nous restait encore quatre heures de
voiture pour arriver chez cette merveilleuse dame, mais nous allions bel et bien le faire en une seule
journée. Nous voulions cuisiner quelque chose pour cette personne qui m’avait tant aidé la dernière
fois. Nous voulions lui concocter une poutine, mais elle m’écrit en me disant qu’elle nous avait
préparé une sauce à spaghetti aux boulettes de viande. Pour ma part, j’étais heureux à l’idée de
manger cette nourriture réconfortante, même si j’étais de plus en plus retissant à manger de la viande,
quand je savais très bien que je pouvais m’en passer. Ma compagne, pour sa part, me confia qu’elle
était gênée à l’idée de ne pas manger là, et de se trouver quelque chose d’autre à faire. Mais, en
même temps, elle devait rester authentique et fidèle à ses valeurs. Je lui répondis que ce n’était pas
grave, que j’allais expliquer à ma vieille amie que mon accompagnatrice avait d’autres projets, tout
simplement. Nous étions tout de même d’accord que ces deux personnes, si importantes au sein de
mon aventure, devaient se rencontrer.

Nous arrivâmes enfin, en soirée, avec une bouteille de vin en main, chez cette femme. Je me sentais
déjà comme si j’étais à la maison. Elle m’accueillit, me serrant dans ses bras comme une maman le
ferait, portant ce magnifique sourire si apaisant. Elle était si heureuse, elle m’annonça sur le coup
qu’elle allait être grand-mère pour la première fois. Je la serrai fort dans mes bras également, et lui
souhaitai le plus grand des bonheurs. Je savais que cette expérience pouvait d’autant plus l’aider à
être plus près de sa fille et de sa famille. C’était une grande nouvelle pour elle, donc, pour moi aussi.
Puis, j’allai tout de suite à la cabane derrière, et y laissai mon sac. J’étais heureux de constater que
ce que j’avais accompli sur ce grand terrain tenait toujours : la clôture, la gouttière, tout était là. La
chambre du chalet était également comme je l’avais laissée ; comme une chambre d’adolescent tirée
des années quatre-vingt-dix. Je tirais une certaine fierté, dans cet échange qui jadis avait changé le
cours de ma journée, mais aussi, le cours de ma vie.
Je présentai les deux femmes qui ne perdirent pas de temps pour bien s’entendre. De plus, la femme,
amoureuse des chiens comme elle était, tomba en amour sur-le-champ avec Branston. C’était déjà
prévisible ; beau et amiable comme il était. Cette dame me remercia, aussi, justement pour le vin que
nous avions apporté. Je savais qu’elle n’était pas amatrice de vin rouge, mais elle me dit que j’avais
choisi la seule bouteille qu’elle aimait vraiment. J’étais agréablement surpris par cette drôle de
coïncidence qui pouvait sembler anodine, mais qui s’ajoutait à la pile de coïncidences que j’avais
amassée depuis le début de ce voyage.
Sa jeune fille était assise avec nous, devant la maison, nous parlions de ses expériences à l’école
secondaire. Elle nous racontait que des fois, elle était victime de certaines moqueries des autres
jeunes à son école, car elle ne voulait pas participer aux phénomènes de groupes, et à certaines
influences populaires. De plus, les jeunes se moquaient d’elle, car sa mère vivait avec peu de moyens
et rafistolait un peu tout, à la façon « Mc Gayver ». C’était triste à entendre. Je voyais à quel point
cette jeune femme avait une tête sur les épaules, du haut de ces quinze ans. À quel point elle était
mature, belle, et que d’ici quelques années, son tourment allait être terminé   ! Mais même s’il est
bien connu que les jeunes peuvent être cruels, la réaction des professeurs était d’autant plus
surprenante. Cette jeune demoiselle était justement en train de changer d’école secondaire, car non
seulement ses camarades étaient difficiles à côtoyer, mais même certains de ses professeurs lui
faisaient vivre de la discrimination, jugeant les habitudes de sa mère et le fait qu’elle ne voulait pas
se mêler à tout le monde. J’étais si attristé de voir que même des adultes professionnels pouvaient
avoir des préjugés assez solides pour mettre en péril le développement académique et social d’une
jeune femme, qui n’était certainement pas parfaite, mais qui faisait certainement de son mieux pour
survivre à la difficile adolescence. Le plus triste était qu’elle était passionnée de basketball, tout
comme moi, et que son parcours sportif était tout aussi touché par certaines décisions de ses
professeurs.
Puis, après maintes discussions, j’expliquai que ma douce Acadienne devait partir bientôt, car elle
était attendue ailleurs. Ensuite, après quelques minutes, elle partit tranquillement. Je mangeai
abondamment de ce si délicieux spaghetti de cette femme de Sault-Sainte-Marie, si hospitalière.
Ensuite, un peu plus tard, mon amie revint. Nous passâmes une belle soirée à discuter tous ensemble.
Puis, nous allâmes nous coucher, alors que cette gentille dame offrit, encore une fois, tout ce qu’elle
pouvait : Lavage, nourriture, des bas, des vêtements, des lunettes. Je voyais dans ses yeux que ça lui
faisait plaisir de le faire et ça me faisait chaud au cœur. Je me sentais comme quand je l’avais
rencontré, la dernière fois, mais, cette fois-ci, j’étais simplement fier de faire connaître cette
personnalité si généreuse à quelqu’un d’autre, car il faut tout simplement crier à tous que la
gentillesse continue de subsister dans un monde où l’on peut, parfois, l’oublier.
Une fois dans notre chambre, je racontai à mon amie que la dernière fois que j’étais à cet endroit,
j’avais regardé le Roi Lion, car ce film, qui peut sembler anodin, renferme des morales que seul les
adultes peuvent vraiment comprendre. Le genre de morales qui sont, dans leurs fonds, si simples que
l’on peut croire qu’elles sont destinées aux enfants, mais si profondes à la fois, qu’elles restent
anodines pour les enfants, mais si puissantes pour une tête mature. Puis, nous regardâmes le film
ensemble. Et nous nous endormîmes heureux.

26 septembre 2017

Me lever ce, matin-là, fut plus que difficile. En ouvrant mes yeux, je me sentis aussitôt engourdi.
J’eus passé la nuit à rêver à me chicaner, avec mon ex-copine alors que je réalisai que j’étais couché
à côté d’un ange au français étranger. Il me prit quelques minutes à réaliser que j’étais toujours en
train de vivre cette aventure qui me semblait, en ce doux matin, quelque peu épuisante. Je sentais mon
corps lourd, mon esprit engourdi. De plus, je sentais un fond de tristesse m’envahir, pour je ne savais
quelle raison.
Mon amie me regardait dans le lit, je la serrai dans mes bras, et une force plus forte que je l’étais
m’obligea à verser quelques larmes. Je m’excusai à priori, lui expliquant que je ne me sentais pas
bien. Encore une fois, je pouvais me compter chanceux de pouvoir pleurer sur les épaules de
quelqu’un qui voulait me comprendre, qui voulait m’aimer, sans être jugé. Je me sentais appuyé.
Avec elle, je me sentais d’autant plus fort. Eva m’expliqua rapidement que le fait d’avoir mangé de la
viande, après quelques semaines sans le faire, pouvait me faire sentir comme je me sentais
présentement. Ce n’était certainement pas la seule raison, mais le tout ensemble n’aidait
nécessairement pas. Je sentais que je vibrais simplement à des fréquences plus lourdes. Comme si,
spirituellement, la façon dont la viande avait été produite contenait une négativité que je n’avais
jamais sentie auparavant. Peut-être n’étais-je seulement sensible. Mais, je devais seulement respirer
et me rappeler que mon aventure et ceux qui en faisaient partie allaient m’élever où j’étais et où je
devais être. Ce n’était qu’un mauvais moment à passer.
Jym était toujours dans le coin de la chambre et allait y rester pour un moment. Nous voulions passer
la journée avec cette bonne samaritaine, puis repartir en après-midi, pour continuer notre chemin, car
le temps avançait et nous nous devions d’être au Nouveau-Brunswick d’ici quelques jours. Nous
étions emballés, car nous avions prévu de faire du kayak et de la planche à rames, sur la plage, non
loin de là.
Cette gentille dame nous prépara alors un déjeuner, quand nous la rejoignîmes, passant de la cabane
qui dormait sur son terrain, jusqu’à sa maison. Elle était toujours heureuse de nous voir, arborant un
merveilleux sourire. Elle nous souhaita bon matin. Nous mangeâmes des œufs, mais laissâmes la
viande de côté. Je sentais mon estomac me remercier alors que je me remettais tranquillement de
certains sentiments désagréables.
La dame me demanda de transporter un peu de bois, du point A au point B, sur son terrain et
j’acceptai tout de suite. C’était une petite tâche rapide qui pouvait l’aider. D'autant plus qu’elle
venait de subir une opération qui s’était avérée être une bonne nouvelle pour elle. Elle devait, par
contre, se reposer. Pendant ce temps, ma douce Acadienne réorganisait son automobile et la préparait
pour notre départ. Elle laissa son matelas de mousse sur le toit de son véhicule, car il avait été un peu
trempé de la rosée de notre nuit à la belle étoile et il était toujours un peu humide.
Ensuite, nous mîmes le kayak et la planche à rame dans le camion de notre hôte, et allâmes à la plage.
Nous dûmes passer, à pied, par une minuscule étendue d’eau vaseuse, pour nous rendre à une plage
peu connue des environs. C’était l’endroit préféré de la dame qui voulait absolument nous montrer ce
petit coin de paradis. Nous profitâmes du kayak et de la planche abondamment. Nous allâmes loin sur
le lac, puis revîmes. Pour moi, ça faisait très longtemps que je n’avais pas manœuvré un kayak, et je
n’avais jamais touché à un « paddleboard » de ma vie. C’était donc une première pour moi.
À un autre moment, nous étions plus près de la plage. L’eau était chaude, le vent était bon. Le ciel
était par contre de plus en plus gris. Branston avait quelque peu peur de l’eau et ne voulait pas
s’aventurer trop loin. Il pleurait quand sa maîtresse partait, car il ne voulait pas la rejoindre. Il ne
voulait pas nager. Puis, elle revenait aussitôt.
Ma douce amie me lança, sans avertissement : « Je te mets au défi de te tenir sur la tête, sur la
planche ». Je lui répondis tout simplement que j’acceptais le défi, que j’allais le faire. Nous rîmes
alors qu’elle ne s’attendait pas à ce que j’accepte son offre. Je me demandais, de mon côté, si j’allais
être capable de le faire. Je lui dis qu’elle devait aller chercher son appareil photo pour en avoir une
preuve. Puis, les deux femmes partirent vers le véhicule. Alors qu’elles avaient le dos tourné, je mis
la planche à l’eau et tentai l’exploit. Il était difficile pour moi de garder un bon équilibre, car la
planche tendait à chavirer d’un côté ou de l’autre, mais je réussis tout de même à envoyer mes pieds
en l’air pour quelques secondes. Je remarquai qu’une fois que ma tête était à l’envers, je devais me
concentrer à répartir mon poids sur celle-ci et seulement de toucher la planche avec mes bras, et non
le contraire, car le poids était plus au centre, et il m’était plus facile de garder l’équilibre. Je tins la
position deux secondes, tout au plus, puis je redescendis doucement mes pieds sur la planche.
Je vis mes amies revenir sur la plage, et leur cria, aussitôt, de regarder, puis, après quelques essaies
à envoyer mes pieds dans les airs, je me tenu une seconde fois sur la tête, puis repris la position
normale. Je sentais que je devais garder mon calme et une bonne respiration pour exécuter le
mouvement. Je devais aussi me concentrer sur ma tête et non sur mes bras. Ma douce Acadienne me
cria qu’elle devait prendre une photo pour que je relève officiellement le défi. J’attendis qu’elle soit
prête et retentai l’expérience. Par nervosité, je tombai aussitôt, alors que le côté de la planche me
frappa les côtes. Je tombai à l’eau. Je me relevai, tout de suite, sur la planche et lui dit que j’allais le
faire, même si je sentais la douleur caresser mes côtes. Je me mis à genoux, le front contre celle-ci,
pris une grande respiration, ferma les yeux, et jetai mes pieds dans les airs. Puis, je me stabilisai.
J’étais en contrôle de mes moyens. Je respirais calmement. Je sentais que je pouvais garder cette
position indéfiniment. Je restai ainsi au moins cinq secondes, pour être sûr qu’elle prenne une belle
photo en souvenir de ce moment, puis redescendis tranquillement mes pieds sur la planche, sous les
applaudissements de mes amies impressionnées.
Je revins sur la berge, près d’elles, fier de la bonne communication entre mon esprit, ma tête, et mon
corps. Je l’étais d’autant plus après avoir vu la photo qu’elle avait prise. Nous continuâmes à profiter
de cette magnifique journée et de sa chaleur. Cela faisait différent du froid de l’Ouest et des prairies
auquel nous nous étions habitués depuis une semaine. Il était pratiquement étrange, pour nous, en cette
journée, d’être en maillot sur une plage de l’Ontario, sous une petite pluie fine qui débutait, car nous
étions si biens alors que quelques jours auparavant, nous portions un manteau et une tuque. Je me
rappelai, sur le moment, qu’il y avait une semaine, nous avions littéralement dormi sous une tempête
de neige.
Notre gentille hôtesse nous confiait des moments de sa vie. Encore une fois, elle nous racontait son
état de santé, sa relation avec sa famille et comment elle pouvait se sentir seule. Mais d’un autre côté,
parfois, sa famille était toute à faite présente, et parfois, elle l’était moins. Le fait est que quand on
donne autant, il ne faut pas s’attendre à recevoir autant qu’on peut donner, car ce n’est pas tout le
monde qui est en mesure de donner. Mais si l’on croit au karma et on se dit, si je fais le mieux que je
peux pour les gens que j’aime, pour la société, la vie, à sa façon, me donnera tout ce dont j’ai besoin.
Et les attentes restent à proscrire, car il ne faut pas donner pour recevoir en retour, et il ne faut surtout
pas s’attendre à recevoir d’une façon en particulier. Personnellement, c’est exactement ce que je
devais faire. Garder un équilibre entre donner pour donner et recevoir pour recevoir.
J’étais fier et content de pouvoir passer une autre journée avec cette femme fantastique. J’avais
l’impression que notre présence lui donnait autant qu’elle pouvait nous donner. Encore une fois, je
ressentais que nous partagions comme des êtres humains devaient le faire. De plus, avec la beauté
des nouvelles technologies, elle n’était pas seulement une nouvelle amie du moment, mais elle
pouvait rester, pour moi, une personne importante à mes yeux, grâce à la facilité de contact
qu’internet nous procurent. Puis, ces souvenirs allaient rester gravés pour chacun de nous. Je me
sentis, par contre, sur le coup, mal de lui avouer que nous voulions quitter bientôt, car elle tenait à
nous inviter pour une autre nuit. Mais notre route devait tout simplement continuer, et nous n’étions là
que pour un moment, encore une fois.
Soudainement, la petite pluie laissa place à de précipitations plus fortes. Cela ne nous empêchait
guère de profiter de la plage et du moment. Puis, après un moment, nous entendîmes un coup de
tonnerre. C’était le signal qu’il fallait repartir vers la maison, puis, reprendre la route. Notre hôtesse
fut déçue, mais, en même, temps, elle comprenait que nous n’étions que de passage.
De retour au véhicule, l’après-midi était déjà bien entamé, elle nous emballa des sauces à spaghetti,
qu’elle nous offrit, accompagnées de si jolis compliments. J’étais si heureux d’avoir passé un peu
plus de temps avec elle. De notre côté, nous étions un peu inquiets d’avoir laissé des pièces de notre
équipement à l’extérieur du véhicule, si bien que le matelas, entre autres, était irrécupérable. Nous le
jetâmes tout simplement. Nous organisâmes le véhicule, alors que j’embarquai facilement Jym dans
celui-ci. Sans le matelas, Branston avait beaucoup plus de place sur la banquette arrière, et notre
environnement de voyage était plus dégagé, plus sain. Je confiai à ma douce amie que nous pouvions
certainement le faire sans matelas, et que, si jamais nous trouvions la situation difficile, nous
pouvions trouver plusieurs solutions. Elle fut d’accord.
Nous parcourûmes presque quatre heures dans le véhicule avant le coucher du soleil. Nous
arrêtâmes à Sudbury pour la nuit. Nous prîmes une sortie d’autoroute qui nous amena dans un
stationnement, tout près d’un centre sportif. Un petit boisé dormait derrière celui-ci. Il faisait noir et
nous étions sûrs d'y trouver un emplacement pour dormir, car nous étions si habitués à le faire. Nous
marchâmes sans notre équipement, avec une lampe de poche, pour voir où nous pouvions établir un
campement. Je proposai deux endroits différents, non loin l’un de l’autre, et mon amie choisit celui
qu’elle préférait. Après quelques minutes, le campement était installé, nous étions à l’intérieur de la
tente, et nous nous endormîmes doucement, sans matelas, mais confortablement l’un contre l’autre.

27 septembre 2017

Cela faisait maintenant deux mois que mon histoire avait débuté. Deux mois exactement depuis
l’anniversaire de ma trentième année de vie qui commençait et déjà, elle était différente des autres.
J’étais déjà devenu une autre personne, pour le mieux, mais je sentais qu’après ceci, ma vie allait
changer. Elle était déjà en train de changer, car j’étais en train de le faire également.
Nous nous réveillâmes, alors que ranger le campement était devenu routinier. Nous organisâmes Jym
avec le peu de matériel que nous avions amené alors qu’il faisait encore chaud. Nous étions assez
près pour nous rendre plus loin que Toronto, mais, d’un autre côté, nous espérions avoir le temps de
faire un détour pour visiter les Chutes Niagara.
En sortant du boisé, nous rencontrâmes une jeune femme qui promenait, elle aussi, son moyen chien à
poil long. Les deux bêtes firent connaissance, ce qui nous donna le temps d’échanger un peu. Nous
cherchions une option végétarienne dans le coin, et ça tombait bien, car la jeune femme l’était. Elle
nous indiqua où aller pour avoir un repas rapide. Après avoir échangé quelques mots, nous reprîmes
la route.
Nous arrivâmes, en début d’après-midi, à Niagara. Nous étions contents, car nous avions peur de
nous heurter à un trafic en passant par Toronto, mais ce ne fut guère le cas. Nous stationnâmes le
véhicule dans un stationnement souterrain d’un casino, puis nous allâmes premièrement loin des
chutes, dans un parc, pour faire courir le chien et prendre le temps de relaxer, avant d’entrer dans le
bain de foule que l’attraction touristique créait, bien évidemment. Nous prîmes notre temps, car nous
voulions visiter cette ville durant un bon moment, de toute façon.
Puis, après avoir fait courir le chien, nous fumâmes un peu, puis nous marchâmes vers les fameuses
chutes. Bien que j’eusse entendu parler d’elles abondamment, aucun mot ne peut décrire à quoi cette
merveille de la nature peut ressembler. Ces cascades sont tellement énormes et imposantes, elles
semblent si puissantes, qu’elles peuvent se ressentir à plusieurs lieux aux alentours. Pour moi, elles
étaient tout simplement miraculeuses. J’imaginais l’endroit avant qu’il soit commercialisé, avant
qu’il soit touristique. J’imaginais l’endroit comme si j’étais un « Indigène » qui vivait tout près et qui
avait découvert inopinément ce paysage à couper le souffle. J’étais sans mot ; humble devant mère-
nature.
Nous fîmes le tour du parc à Niagara. Nous aperçûmes également une statue de Nikola Tesla qui se
tournait vers les chutes. J’étais à la fois heureux et choqué de voir que l’inventeur avait un peu de
gloire, malgré une carrière qui avait si mal tourné. L’homme avait travaillé avec ces chutes, après
avoir inventé le courant électrique alternatif. Alors qu’à l’époque, Thomas Edison ne pouvait que
produire un courant continu, qui ne se transporte malheureusement pas très bien. Tesla, qui
considérait Edison comme un héros, avait joint son équipe et avait inventé un transformateur à
courant alternatif qui avait permis d’installer le premier réseau électrique efficace. L’homme avait,
par contre, été un mauvais homme d’affaires et avait renoncé à ses parts financières, se faisant
raconter que la fabrication à grande échelle de son invention était trop dispendieuse. Il voulait à tout
prix faire profiter le monde de ses découvertes. D’autres avaient alors profité des recettes de son
talent. C’était malheureusement l’histoire de sa vie. Il tentait de faire profiter l’humanité de certains
avancements, au lieu de vendre ses services pour plus d’argent qu’il n’en faut pour vivre, comme les
autres le faisaient si bien. Faute de financement, il n’eût jamais l’opportunité de percer comme il
aurait dû le faire.
Thomas Edison est aujourd’hui celui qui est reconnu pour être le père de l’électricité et le comble de
l’ironie est que Tesla travaillait sur un moyen d’offrir un service électrique sans fil et gratuit à tous,
alors qu’Edison est simplement celui qui a décidé de monétarisé la ressource naturelle et de la
vendre à profit, au dépend d’une évolution collective. C’est littéralement pourquoi, aujourd’hui, nous
payons cher une ressource aussi naturelle que l’électricité. Tesla avait continué des recherches
indépendantes, qui d’après moi, avaient été pertinentes, mais qui n’ont pas connu de suite, car
personne n’eût voulu le financer. Par exemple, ce n’est que tout récemment que Tesla fut reconnu
pour l’invention de la radio, qui changea le monde, après qu’on ait réalisé que Giuglieno Marconi
avait utilisé plus d’une dizaine des brevets de Tesla pour en arriver à fabriquer le premier émetteur
radio. À un moment de l'histoire, les inventions, les notes et les biens de Nikola Tesla furent
purement saccagés par les autorités des États-Unis, dans une opération menée par le grand-oncle de
Donald Trump, laissant l'homme terminer les dernières années de sa vie, pauvre et seul, dans une
petite chambre d'hôtel.
Pour moi, Tesla restera l’exemple que l’argent et la politique dirigent et contrôle les avancements
scientifiques, malheureusement. Il ne fut qu’un des plus grands entre plusieurs scientifiques qui
eussent été victime de cette pratique qui, de nos jours, est toujours fréquente au sein du milieu
scientifique.
Après avoir contemplé l’endroit pour plusieurs heures et avoir visité tous ces recoins. Après avoir
pris le temps respirer à maintes reprises l’air rempli d’eau de l’endroit, et après avoir admiré l’arc-
en-ciel permanente au sein d’une des chutes les plus impressionnantes au monde, nous nous sentions
bien. Nous prîmes le temps de faire le tour du petit, mais o combien impressionnant jardin qui
semblait si vivant, énergisé par le mouvement de l’eau en continu qui le berçait en permanence. Le
soleil se couchait et nous voulions alors visiter la ville de Niagara. Nous ne savions pas à quoi nous
attendre.
Nous nous rendîmes vers le Centre-Ville, tout en marchant. Il faisait de plus en plus sombre et nous
étions témoins des affiches des commerces qui s’allumaient tout près de nous. Plus le soleil se
couchait et plus nous nous rendions compte que nous étions au sein de ce qui ressemblait à un petit
Las Vegas canadien. Il y avait des casinos, des attractions et des affiches lumineuses à perte de vue,
de sorte que nous ne savions pas quoi faire. Les Chûtes, elles-mêmes, commençaient à changer de
couleur avec ses animations lumineuses, c’était de toute beauté. Nous remarquâmes une grande roue
qui nous tentait particulièrement, bien que nous ne voulions pas dépenser d’argent, nous nous mîmes
d’accord pour trouver un endroit où manger, puis d’y faire un tour pour admirer la merveille de la
nature, par tous ses angles. Nous devions, par contre, aller porter le chien à l’auto. Il était fatigué, et
nous voulions profiter de la grande roue et de la soirée, sans nous soucier de ses caprices canins.
Nous nous arrêtâmes sur la terrasse d’une moyenne micro-brasserie, en plein cœur de la cité
illuminée. Nous choisîmes une table, sur le coin de celle-ci, et attachâmes le chien à l’extérieur, près
de nous. Notre serveuse était très agréable et attentionnée. Elle amena un bol d’eau pour Buddy et
nous offrit un service personnalisé. Branston était enchanté, car des touristes de partout passaient par
où nous étions et étaient impressionnés par la prestance du chien qui se laissait complètement faire,
sous les douceurs des passants. Beaucoup de gens demandaient d’être pris en photo avec lui. Alors
qu’un musicien reprenait des chansons connues à l’intérieur du restaurant, nous mangions bien et
buvions bien. Nous étions heureux et l’endroit était si adéquat.
Puis, comme toutes bonnes choses ont une fin, nous finîmes de manger et repartîmes porter Sir
Branston qui était prêt à dormir dans le stationnement souterrain du casino. Nous fîmes exactement le
chemin inverse, nous dirigeant vers les chutes, pour prendre une petite rue et nous rendre jusqu’à
l’entrée du Casino. Comme le chien était attaché depuis déjà un bout de temps, arrivant juste avant le
jardin, dans un petit parc, nous détachâmes la bête qui se mit à courir fou de joie. Il fit quelques va-
et-vient, sans vraiment vouloir trop s’éloigner de nous. Puis, il se mit à courir en direction d’une
roche au loin, à peine perceptible dans l’obscurité de la nuit qui était bel et bien tombée. Puis, le
temps s’arrêta pour un instant. Je vis le chien s’élancer, voulant jouer avec cette chose que nous
n’aperçûmes qu’à peine. Ma douce Acadienne était un peu plus près de lui, alors que je fermais la
marche, derrière. Elle s’écria « BRANSTON NO ! ». C’est alors que je réalisai que ce n’était pas
avec une roche qu’il tentait de s’amuser au loin, mais avec une moufette.
Le chien se mit à frotter son visage au sol, alors que la petite bête se sauva. La panique s’éprit de
nous. Nous nous élançâmes vers le chien qui se tenait maintenant droit devant nous, même s’il
semblait, à la fois, dérangé par le jet pestilent qu’il venait de recevoir sur la joue gauche, et gêné par
le geste maladroit qu’il venait de commettre. Je pris la gueule de mon compagnon et regardai ses
yeux, pour voir s’il souffrait, mais tout semblait normal. Il ne souffrait que de honte, heureusement.
Mon amie tomba littéralement sur ses genoux. Elle se mit à pleurer, demandant pourquoi ça devait
arriver. Elle disait que c’était son pire cauchemar, car nous vivions littéralement dans le véhicule et
il nous était maintenant impossible d’y faire entrer le chien qui allait empester l’intérieur de celui-ci.
Pour ma part, je me disais que ne rien faire était la pire réaction. Nous devions agir, et nous devions
le faire maintenant.
Je pris mon téléphone cellulaire et cherchai une recette de shampoing efficace spécifiquement pour
cette situation délicate. Nous connaissions déjà le fameux bain de jus de tomates, même si nous
n’avions pas de bain à proximité, je lus que ce jus était véritablement efficace pour chasser l’odeur.
De plus, nous trouvâmes une recette efficace à base de peroxyde, de détergent à vaisselle, d’eau et de
bicarbonate. Nous avions déjà le bicarbonate et le peroxyde en voyage. Nous conclûmes alors que
mon amie devait aller chercher les ingrédients manquants. Nous allions donner deux shampoings au
chien, l’un après l’autre, et espérer que l’odeur disparaisse miraculeusement. Puis, elle partit vers
une pharmacie, non loin.
J’attachai le chien à un lampadaire pour qu’il ne dérange pas les passants. Certaines personnes
voulaient lui donner de l’attention, mais je leur expliquai la situation qui, pour la plupart, les
dégoutait. Mon amie revint, par la suite, avec tout ce dont nous avions besoin, sauf le jus de tomate
qu’elle n’avait pas réussi à trouver. Je regardai de l’autre côté de la rue et vit qu’il y avait un bar. Je
m’y rendis, et demandai un simple verre, qui allait être mieux que rien du tout. M’attendant à payer un
prix astronomique pour un verre de jus de tomate, le tenancier fut empathique à ma situation et me
donna une grosse boîte de conserve pleine de jus de tomate, pour le prix d’un seul verre. Je le
remerciai mille fois avant de repartir vers ma douce avec cette grosse canne de conserve entre les
mains.
Nous avions maintenant tout pour aider Sir Branston qui marchait toujours la tête basse, honteux de sa
maladresse. Nous tentions de lui expliquer que tout le monde fait des erreurs, et que c’était normal,
qu’il fallait maintenant réagir et passer à autre chose, mais il semblait regretter amèrement son geste
qui nous avait jetés dans un état d’urgence.
Nous nous rendîmes près du véhicule, dans le stationnement souterrain du casino, et nous n’avions
pas vraiment d’endroits où nous pouvions nous exécuter. J’attachai le chien à un des piliers du
stationnement. Il se mit à pleurer. Je lui expliquai alors que nous devions tous travailler ensemble en
équipe, et que pour « les trois C », il devait agir en équipe et se laisser faire.
Puis, je me mis à l’enduire de Jus de tomate et à le frotter partout pendant que mon équipière
préparait la mixture. Je me concentrai majoritairement sur son visage, mais je devais passer tout son
corps, au cas où la moufette ait visé ailleurs. Le mélange de jus de tomates dans son pelage était
visqueux, mais semblait apaiser l’odeur. Nous le rinçâmes, par la suite à l’eau, pour l’enduire de
l’autre shampoing qui était maintenant prêt. Encore une fois, je continuai de répéter qu’il devait
accepter cette épreuve pour l’équipe. Nous le frottâmes durant un moment, puis le rinçâmes. Nous
tentions de sentir sa joue, car nous savions que le plus gros de l’odeur y était concentré, mais nous ne
sentions presque rien. Pour ma part, je croyais que nous avions fait un bon travail, mais ma compagne
s’inquiétait que nous nous fussions seulement qu’habitués à l’odeur. Pour être honnête, je ne croyais
pas qu’on pouvait vraiment s’habituer à cette putréfaction. Nous ne détections qu’une infime odeur
qui semblait se dissiper. De toute façon, nous n’avions plus vraiment de solutions. Nous ne pouvions
que prier. Nous embarquâmes le chien dans le véhicule, et nous éloignâmes de celui-ci, par la suite,
quelque peu inquiets.
Nous étions fiers, car depuis l’attaque jusqu’à tant que le chien soit sain et sauf dans l’automobile,
seulement que quarante-cinq minutes ne s’étaient écoulées. Nous avions bien réagi, mais espérions
que l’odeur ne se transmette pas comme une infection contagieuse. Je demandai à mon amie, dans un
regain de joie, après une lourde épreuve terminée, d’oublier la situation pour la soirée, d’essayer de
profiter de ce que nous pouvions vivre en cette douce soirée à Niagara, et de laisser le destin faire
son travail. Elle me sourit et fut d’accord avec moi. Puis, nous nous dirigeâmes vers la grande roue.
Nous attendîmes notre tour, tout prêt de l’attraction, puis nous y montâmes. De tout mon voyage, ce fut
l’image la plus puissante et la plus évocatrice à laquelle j’ai eu la chance d’assister. Nous montions
très hauts dans les airs, alors que mon visage restait coller à la fenêtre qui donnait sur le chûtes si
grandioses qui s’illuminaient et changeaient de couleur, les unes après les autres. Déjà, les chutes en
soi démontrent la force et la justesse de la nature à son état pur, et son angle aérien en plein jour
devait parler de soi. Mais, en plus, le contraste entre la nuit et la lumière de ces chutes si immenses
me donnait des frissons qui ne voulaient partir. J’étais ébaubi et ému à la fois. Il m’était même
difficile de profiter du moment à deux. J’étais complètement impressionné par le spectacle devant
moi, alors que la grande roue nous montait et nous descendait. C’était ahurissant et romantique à la
fois. Puis, nous repartîmes.
Nous marchâmes encore une bonne heure sur les abords des chutes, main dans la main, nous
embrassant ici et là, profitant du moment, sachant très bien que le destin avait, peut-être et
malheureusement, d’autres plans pour nous. Nous voulions simplement profiter de ce moment
féérique pour quelques minutes encore. Puis, après quelque temps et quelques discussions, nous
remarquâmes qu’il était passé deux heures du matin. Nous ne savions pas où nous allions dormir, ou
même, s’il y avait une odeur étrange dans le véhicule. Nous décidâmes alors de revenir vers celui-ci
pour analyser la situation. Nous étions fatigués, mais si heureux.
Nous retournâmes au véhicule et nous pouvions nous attendre à tout. Nous ouvrîmes la porte arrière
du véhicule et fûmes heureux de ne rien sentir d’anormal. Nous avions réussi. Par contre, quand nous
collions notre nez sur la joue du chien, nous pouvions sentir une infime odeur de moufette qui
persistait. J’étais tout de même heureux et fier du résultat, car le véhicule était utilisable.
Mon amie proposa de se reposer un peu dans le véhicule avant de repartir d’ici quelques heures. Je
ne fus pas très heureux à l’idée, car nos deux dernières nuits dans la Honda Civic avaient été atroces,
je compris qu’elle en avait besoin. J’acceptai alors, me disant que c’était à mon tour de prendre la
situation en main pour l’équipe. Nous allongeâmes les deux bancs d’en avant alors que le chien resta
sur la banquette arrière, puis nous nous endormîmes, sans confort, dans le stationnement intérieur
d’un des casinos de Niagara.

28 septembre 2017

Je dormis très mal et très peu cette nuit-là, mais la fatigue n’est qu’une sensation indésirable, tout
comme la douleur. On la subit, on l’endure, puis elle passe, tout simplement. C’est quand on la refuse
et qu’on tente de ne pas la vouloir qu’elle devient si désagréable. Pour ma part, j’acceptai d’être tout
simplement fatigué et courbaturé.
Nous décidâmes de nous rendre près d’Oshawa. Là où j’avais rencontré le chaman. Ma compagne
décida d’appeler un toiletteur dans la région qui reçut aussitôt Branston. Elle ne voulait pas prendre
le risque d’importuner d’autres personnes avec l’odeur de moufette. Elle s’inquiétait toujours que
nous soyons habitués à l’odeur alors que j’étais peut-être un peu trop fier de notre exploit de la
veille. De toute façon, c’était simplement une bonne idée de le faire, de plus, il avait besoin d’une
bonne manucure.
Elle me laissa pour que je me promène dans les rues d’Oshawa alors qu’elle allait s’occuper de son
chien. Je parcourus les rues tentant de trouver l’emplacement où j’avais rencontré ce mystérieux
chaman, il y avait déjà une éternité. Je tentais de me rappeler notre conversation, et o combien il
m’avait prédit des choses qui s’étaient vraiment réalisées. La base du taoïsme, la femme que j’allais
rencontrer, les hippies, et encore plus. De plus, nous avions connecté énormément, la premièrement
fois, j’aurais tant aimé lui résumer ce voyage. Peut-être lira-t-il ce livre et se reconnaitra-t-il un
jour   ? Mais en ce vingt-huit septembre, je ne pus le trouver. Je bus un café tranquillement, à un café
du coin, chargeant mon téléphone. Après un bout de temps, j’allai rejoindre mon amie qui avait
presque terminé avec son chien. Il s’était fait donner un traitement royal et naturel.
Nous prîmes le temps de déjeuner, discutant avec la table voisine, de tout et de rien. Chaque fois que
nous avions l’occasion de raconter notre histoire, nous le faisions de la même façon. Nous racontions
respectivement notre histoire, chacun, puis l’un ou l’autre expliquait notre rencontre, et pourquoi nous
voyagions ensemble. Nous avions l’air d’un couple et nous faisions tout comme, de toute façon. À un
certain moment, nous quittâmes en direction d’Ottawa.
Il était encore très tôt et nous avions dormi que deux ou trois heures. Nous étions épuisés. Nous
décidâmes d’arrêter tout près d’Oshawa, dans un parc, où nous étendîmes des couvertures pour nous
reposer. Après quelques minutes, mes deux amis s’endormirent, côtes à côtes. Je décidai d’exécuter
ma routine d’étirement et de méditer en attendant leur récupération, car il m’ait toujours été très
difficile de dormir à la lumière du soleil. Puis, après plus d’une heure, ils se réveillèrent. Nous
organisâmes encore une fois le véhicule, puis repartîmes.
Nous arrivâmes à Ottawa en fin d’après-midi. Nous avions, tous les deux, déjà habité dans les
environs, mais décidâmes, quand même, de nous promener ensemble. Aussi bien que j’avais habité
Gatineau, deux ans auparavant, je n’avais jamais pris le temps de visiter Ottawa. Nous marchâmes
alors dans les rues de la capitale et la température était clémente. Les gens, par contre, je les trouvais
froids. Peut-être était-ce l’atmosphère de la grande ville, où l’énergie de l’Ontario, ou encore la
mienne, mais personne ne semblait être attirée par le chien qui faisait comme à l’habitude.
À un certain moment, mon amie semblait stressée, car elle avait peur que les gens soient ainsi parce
que Branston sentait la moufette. Puis, je réalisai que les deux ensembles avaient une chimie si
grande, que si l’un était stressé, l’autre l’était également. Leur inquiétude tournait dans une roue et
s’amplifiait. L’un commençait à pleurer, l’autre à s’énerver. Ce n’était pas la première fois et elle ne
devait que penser à eux pour l’instant. Je leur demandai si elle voulait que je parte seul de mon côté
et elle me répondit que oui. En deux temps trois mouvements, je fis quelque pas en reculant, lui
envoyai un baiser soufflé et disparus, au loin. Pour moi, c’était si simple, et j’espérais que pour elle,
ce le soit aussi.
Nous étions si près du parlement de notre pays si plein d’histoire. Je m’y rendis rapidement. Je
n’avais jamais remarqué à quel point le parlement était massif et ressemblait à une forteresse. Je
sentais qu’il était un vestige d’un moment plus mouvementé et déterminant dans l’affirmation de notre
beau pays. S’il y avait un endroit, à la fin de ce merveilleux voyage, où je devais être, c’était celui-
ci, car il se doit d’être le cœur de notre Canada. Par contre, je ne pouvais retenir le sang francophone
qui bouillait dans mes veines. Alors qu’on nous apprend à l’école que c’est l’anglais moyen qui
contribue à l’assimilation de notre culture, les décisions gouvernementales, à travers les derniers
siècles, en sont plus véritablement la cause. La découverte du pays, l’assimilation des peuples
autochtones, le haut et le Bas-Canada qui se différenciaient entre Anglais et Français, les patriotes,
octobre soixante-dix, la nuit des longs couteaux, et la fameuse constitution. Cet édifice ressortait cette
mitige entre ; la fierté que j’avais d’être canadien et cette dualité qui me prenait le cœur, quand je
pensais à ma culture, à mon sang latin et à ma langue que j’adorais. Puis, je me souvenais de tous
ceux que j’avais rencontrés, durant mon aventure, qui m’avaient prouvé que la langue et la culture
étaient intégrées à un seul tout, qui peut si bien cohabiter. Que les décisions politiques et la formation
du système avaient beaucoup plus été en cause que monsieur-madame tout le monde dans
l’élaboration d’un plan de séparation ; diviser pour mieux régner comme disait Machiavelli. Si l’on
regarde un peu plus loin, on voit que tous les pays sont divisés entre eux, au sein d’un monde qui
devrait être unifié. Il y avait beaucoup de travail à faire, mais j’avais toujours espoir.
J’allai en face du parlement, où de gros flambeaux brûlaient à la lueur du soleil qui se couchait.
L’image était magnifique sous ce paysage presque médiéval. Puis, je me disais que je devais partir.
Je me mis à marcher plus loin, il commençait à faire noir et, même si j’avais déjà habité la région,
même si j’y avais déjà travaillé et même si je connaissais une multitude de personnes aux alentours,
je me sentais perdu, sans mon sac à dos, sans mon Jym qui était resté dans la voiture. Je me sentais
nu.
Je me mis à marcher dans les rues d’Ottawa. Je n’avais rien à faire. Je ne voulais rien faire non plus.
Je ne devais qu’attendre, sans mon sac. Je marchai durant un bon bout en me sentant comme si je
n’étais que la moitié de moi-même. Ce fut plus difficile que ce à quoi je m’attendais. Je sentais
réellement que j’étais invincible avec mon sac à dos de soixante livres, alors que maintenant, léger
comme l’air, je me sentais déstabilisé. Je marchai plusieurs heures, puis, je rejoins mon meilleur ami
dans un bar. C’était si bon de le revoir et j’étais si heureux. Je sentais qu’il était fier de moi. Nous
nous donnâmes rendez-vous au lendemain. Puis ma douce acadienne arriva enfin. Elle était calme et
heureuse, et je l’étais aussi. Elle et mon meilleur ami firent connaissance, ce qui me toucha
énormément. Nous passâmes une belle soirée, à rire, à discuter. Elle reconnut pourquoi il était l’une
des personnes les plus importantes à mes yeux. Nous avions les mêmes réactions, les mêmes
expressions. Je ne l’avais jamais remarqué avant cette date.
Nous retournâmes tous les trois à l’auto, car nous voulions lui présenter Branston, puis, après un
moment, nous nous quittâmes pour aller dormir. J’étais content de retrouver Jym, ma douce, son chien
et la voiture. Nous devions, par contre, trouver un endroit où dormir. Je suggérai de quitter Ottawa, et
de dépasser Gatineau, pour quelques kilomètres, car je connaissais les environs. C’est ce que nous
fîmes. Nous prîmes la première sortie après Gatineau en direction de Maniwaki. Puis, nous
parcourûmes les petites routes. Encore une fois, je voulais que mon amie nous guide. Et nous
décidâmes ensemble quelle route nous employâmes, pour nous rendre à destination. Nous nous
rendîmes dans un cul-de-sac. Il y avait une maison à moins de deux cents mètres. Nous trouvâmes un
petit espace, déployâmes notre campement sans trop d’effort et nous y endormîmes. J’étais si
heureux, car enfin, je dormais chez moi, au Québec.

29 septembre 2017

À mon réveil, Eva me pointa, encore une fois, que nous étions au Québec et c’est tout ce qui me
réchauffait, car la température, la nuit, s’approchait facilement du zéro. Mais nous étions bien. J’étais
quelque peu amer, car notre équipe devait se séparer, encore une fois. Quoiqu’être seul me plaisait à
l’idée, me détacher d’eux était toujours difficile, pour je ne sais quelle raison. C’était comme si nous
étions faits pour passer du temps ensemble. Peut-être l’avions-nous déjà fait dans une autre vie. Peut-
être que le but de ce voyage était justement de se retrouver, à l’autre bout du pays. Je ne pouvais
simplement pas expliquer pourquoi malheureusement.
Nous rangeâmes le campement aussi rapidement que nous l’avions déployé. J’étais toujours
impressionné par l’efficacité de mon équipement. Cette tente, que mes parents avaient littéralement
payée dix dollars, m’avait été plus qu’utile, depuis les deux derniers mois. Nous organisâmes le
véhicule et repartîmes vers Ottawa. Ma douce amie devait aller rejoindre sa cousine qui vivait dans
le coin, elles avaient prévu passer un moment au chalet familial. J’aurais été invité également, mais je
voulais absolument passer du temps avec mon meilleur ami, et j’étais si excité à l’idée de retrouver
ma famille, après une seule et minuscule journée. J’étais d’autant plus excité à l’idée d’aller vers
Sainte-Julienne en autostop, car je n’avais pas fait de pouce au Québec durant cette aventure.
Nous nous rendîmes dans un petit café à inspiration asiatique où nous bûmes un délicieux nectar
caféiné. Cela faisait changement du bon vieux café de notre ami Tim, auquel nous étions si habitués.
Nous nous mîmes à discuter que tout le monde avait un peu de bon et de mauvais à l’intérieur de lui.
Car nous étions tous un seul tout, nous avions tous les meilleurs et les pires aspects de l’humanité, et
nous pouvions tous les ressentir. Des fois, nous ressentons seulement une infime partie d’un mal, mais
nous pouvons le ressentir quand même. Pour ma part, je n’ai jamais été quelqu’un qui voue une
admiration face à cet outil que l’on appelle argent. Pour moi, ce n'est qu’un moyen d’arriver à ses
fins, ce n’est donc pas un élément de comparaison basé sur le succès, ou encore un coussin douillet
sur lequel il faut dormir chaque nuit. Par contre, quand je commence à en avoir un peu plus, même si
je tente de garder le cap vers la bonne direction, je sens, à l’intérieur de moi, cette avarice qui peut
me ronger pour toujours en vouloir davantage. Je sais que j’ai facilement un bon contrôle sur elle,
mais comme je peux sentir ce mal je peux comprendre ceux qui le contrôle moins bien ; ceux qui
peuvent devenir méchants et immoraux aux dépens des autres par envie.
C’est de cette façon que l’on peut être empathique, en passant par les petites sensations qui nous
travaillent, et c’est de cette façon qu’on aimerait être compris ; sans jugement. De cette façon, le pire
crime, même s’il reste inacceptable, peut devenir au moins compréhensible. Par exemple, si on
pousse la situation à l’extrême, j’ai toujours été attiré physiquement par le caractère innocent, timide
et pur d’une femme, comme beaucoup d’hommes. Bien que je ne cautionnerais jamais l’acte en soi
qui me répugne au plus haut point, en regardant très profondément à l’intérieur de moi-même, je peux
au moins tenter de comprendre les pulsions qui contrôlent un pédophile lorsqu’il commet
l’irréparable, et, encore une fois je le répète : ce geste n’a aucun fondement, aucune justification et
aucune excuse à mes yeux. Mais c’est seulement par empathie que nous pouvons élaborer des
thérapies efficaces pour aider, car leur donner des peines presque aléatoirement ne règle rien, car
ceux qui commettent l’irréparable sont souvent déjà brisés de l’intérieur. Si quelqu’un est conscient
de ce petit vice silencieux à l’intérieur de soi, s’il est conscient qu’il peut le contrôler facilement, il
peut donc enseigner à son prochain qui en a fortement besoin, car tout le monde peut ajuster ses
vibrations et guérir. Tout le monde est élève et professeur à la fois.
Mon amie me demanda alors ce que je pouvais bien dire de bon au sujet d’Adolphe Hitler, par
exemple. Comme j’avais étudié la politique, elle touchait un sujet qui m’intéressait grandement. Je lui
répondis, sur un ton plus léger, que j’admirais premièrement sa moustache. Il était très ironique que
deux personnages, à peu près de la même époque, soient connus pour porter cette petite moustache
carrée, et que c’était deux personnages complètement différents. Mais au-delà de cela, l’homme avait
commencé sa phénoménale carrière en tant qu’artiste, impliqué et engagé. Puis, il avait motivé
d’autres personnes, s’exprimant sur la place publique pour, ensuite, investir son temps en politique
extrémiste ; une évolution qui s’étendait sur plusieurs années.
Il faut tout de même comprendre la situation politique et économique de l’Allemagne à cette époque.
Je lui racontai alors ma rencontre avec cet ami en Alberta qui mettait tout sur la faute des juifs, car
pour lui, tous les banquiers et tous les présidents de grandes compagnies, donc tous ceux qui ont un
réel pouvoir sur la géopolitique de ce monde, appartenaient au judaïsme qui, dans ses fondements
religieux, croit être le seul et unique peuple supérieur. Cette vision assez généralisée de la chose était
semblable à celle d’Hitler. Et dans un contexte où l’Allemagne était quasi détruite, appauvri par
l’illogisme de la Première Guerre mondiale, et d’autant plus punie et repunie par la communauté
internationale naissante, le pays devait utiliser tous les moyens nécessaires pour se rebâtir. De plus,
au niveau des banques, l’or du monde entier fut dérobé par la réserve fédérale ; les banques, qui
remplacèrent graduellement la ressource par leur devise crée de toute pièce. Le dictateur s’est battu
comme il le pouvait, le pays était déjà sous le contrôle d’une communauté internationale, il ne voulait
certainement pas que ses ressources soient contrôlées par les banques, mais cette mentalité, mêlée à
une soif de pouvoir intense, à une idéologie quasi religieuse mettant la race arienne comme
dominante, et a une haine abjecte envers un peuple. Hitler est allé beaucoup trop loin dans sa
conquête de l’Europe, car il n’aurait dû que rebâtir le pays à sa façon, sans crime de guerre, sans
haine, sans conquête et sans tenter de décimer cruellement tous ceux qui n’adhérait pas à sa vision de
l’Allemagne fasciste.
Mon amie comprenait ce que je voulais dire. Il est peut-être mal de dire que ce qui motivait Hitler
était noble, mais on peut au moins dire qu’on pouvait y trouver un sens. Par contre, les moyens qu’il
avait utilisés pour arriver à ses fins étaient tout à fait inacceptables et inhumains. C’est pourquoi la
fin ne justifiera jamais le moyen. Il faut aussi comprendre que n’importe quel gouvernement n’est pas
représenté par une seule personne, que ce soit Hitler, Trump, la reine d’Angleterre ou même le Pape,
plusieurs personnes sont au centre des décisions prises et, le domaine politique est beaucoup plus
complexe qu’une seule personne qui décide tout pour une nation en entier. Sans parler du lobbysme
d’intérêt que tue la démocratie à petit feu. Elle était tout de même stupéfaite que j’aborde la question
de cet angle, mais c’était assez de politique pour nous, en cette merveilleuse journée, au sein de la
capitale nationale.
Nous prîmes la voiture et nous stationnâmes près du point d’où elle allait rejoindre sa cousine.
Comme nous avions encore du temps, nous nous mîmes à marcher autour, pour visiter et dégourdir le
chien. Nous nous arrêtâmes à un vieux terrain de basketball, sans panier. L’espace avait été
transformé en parc à chien et de jolis graffitis bordaient le mur de l’édifice adjacent au parc. C’était
de toute beauté, et différents de ce que nous avions vu ailleurs auparavant. Nous discutâmes avec une
Québécoise qui y promenait son chien également. Puis, nous retournâmes près du véhicule. Nous nous
embrassâmes longuement, puis nous nous dîmes au revoir, sachant très bien que nous allions nous
revoir le lendemain, chez moi.
J’étais tous près de Gatineau. Je me dis alors que je pouvais y retourner, aller me promener encore un
peu au Québec, et revisiter le coin où je travaillais jadis. Je me mis à marcher vers le pont De La
Chaudière, en direction du Casino du lac Lemay. Cette fois-ci, j’étais confiant, car Jym et Eva,
toujours inséparables, étaient présents avec moi. Il me prit environ une heure à pied pour m’y rendre,
arrêtant une seule fois près de deux guitaristes pour profiter de leur art. Je n’étais pas pressé, mais il
me prit au moins deux heures à pied, pour me rendre à la station de radio où je travaillais. Puis, j’y
entrai. Mes anciens collègues étaient si contents de me voir, je fus si bien accueilli par des gens que
j’aimais. Plusieurs personnes avaient suivi mon périple via les réseaux sociaux et me demandaient
des nouvelles. Je leur disais que j’écrivais ce récit, et que l’aventure changeait ma vie.
Puis, après un certain temps, bien que je fusse rempli de bonheur, je devais repartir. Je remarquai que
la station de radio était toujours dans le même état de panique, lequel j’avais quitté deux ans plus tôt.
Ce domaine, qui avait été ma passion durant tant d’années, se cherchait. Les entreprises convergentes
qui possédaient la majorité des stations, partout dans la province, tentaient de survivre dans un
domaine où tout le monde suit le même modèle, où la majorité des employés son sous-payés et
dispensables, remplacés par des éléments semblables, au sein de plans qui sont imposés
uniformément par tous les acteurs et compétiteurs de ce domaine. Alors que le média fut, jadis, le
représentant de la voix des hommes, il n’était plus que l’ombre de lui-même, en pleine recherche de
ce qu’il devait être, tentant d’imiter la télévision, le journal, contrôlé par l’industrie de la musique
prémâchée et par ses commanditaires. Les seuls qui pouvaient vraiment en profiter, hormis la
minorité d’auditeurs qui s’acharnait à écouter les mêmes chansons en boucles et les mêmes formules
à répétition chaque jour, étaient les cadres qui gardaient au moins les bons salaires pour eux. Cette
réalisation avait été, pour moi, le plus grand deuil d’une vie, mais le commencement de mon plus
grand cheminement personnel.
J’allai à l’extérieur et juste un peu plus loin, il y avait le bar dont j’avais l’habitude de fréquenter.
Mais je ne voulais pas y entrer tout de suite, car je me connaissais, une bière allait en amener une
autre, puis une autre. Je ne voulais certainement pas commettre le geste que j’avais commis tant de
fois durant ce voyage. J’allai un peu plus loin, sur le terrain d’un édifice tout près. Je m’assis sur
l’herbe et me fis cuire, à l’aide de mon accessoire de camping, une canne de fièvre aux lards. Après
ce festin princier, je m’endormis, dehors, sous le poids de mon manteau de cuir.
Je me réveillai une heure plus tard, il faisait particulièrement froid, le soleil avait fait place aux
nuages. Mon meilleur ami me conseilla de boire une seule bière qu’il allait me payer. Il était en
route. J’acceptai volontiers. Puis, j’allai à l’intérieur. Je reconnus l’endroit qui n’avait pas vraiment
changé. Je discutai, avec le tenancier, de Jym et de mon voyage. Je rencontrai une serveuse que
j’avais déjà courtisée. Je réalisai que je ne me reconnaissais plus dans ce personnage jeune et
célibataire que j’étais, trois ans auparavant. Maintenant, trouver l’amour, ou les folies d’une seule
nuit, m’étaient beaucoup plus futiles. Mon apprentissage, mon aventure et ma personne se devaient
d’être beaucoup plus basée sur une évolution spirituelle, car si le domaine de la radio m’avait appris
une chose à mes dépends c’était que le succès ne se trouve pas dans l’avoir, mais dans l’être. C’est-
à-dire qu’il était très beau d’arriver à ses objectifs professionnels ou immobiliers ou tout autre, mais
si je ne devenais pas une bonne personne ; la personne que je voulais être, c’était complètement
inutile. Après quelque temps, mon ami arriva, puis nous quittâmes.
Nous allâmes lancer quelques ballons de basketball, comme nous l’avions toujours fait depuis quinze
ans, puis, nous allâmes boire une bière aux brasseurs du temps, tout près. Nous rentrâmes chez lui,
assez tôt, car il devait aller à l’université au lendemain et je voulais partir tôt pour rentrer à la
maison. Il voulait tout de même me reconduire vers l’autoroute, comme il l’avait fait au tout début de
ce récit. Je sentais la boucle se boucler tranquillement, même s’il me restait quelques jours à profiter
de cette complète liberté. Je m’endormis facilement, sur le divan d’une des pièces de l’immeuble
qu’il partageait avec des inconnus.
Chapitre 20
Le dernier Sprint

30 septembre 2017

Je dormis à moitié bien, mais j’en avais l’habitude ; quand je dormais chez mon meilleur ami,
depuis toujours, je devais emprunter le divan. Le clan au complet était déjà prêt à partir ; Eva, Jym,
mon meilleur ami et moi. Nous mangeâmes un bol de céréales, puis partîmes. J’avais si hâte de
retrouver mes parents, j’allais peut-être avoir la chance de voir mes amis par la même occasion,
même si je ne voulais pas m’éterniser. Tout le monde savait que je n’étais de passage qu’une seule
journée, mais que j’allais revenir pour de bon d’ici une semaine.
Mon meilleur ami semblait toujours aussi fier de moi et c’était un sentiment qui me touchait
énormément. Je n’avais rien à prouver, mais j’étais également fier de moi et c’était si réconfortant de
partager cette fierté, autant avec cette personne, qu’avec ma mère ou mon frère jumeau. Il me paya un
café, puis alla me porter à la sortie de la ville, en direction de Montréal. J’avais emprunté ce chemin
tellement souvent dans mon ancienne vie, car quand je travaillais à la radio à Gatineau, les patrons ne
m’avaient jamais accordé un poste permanent. C’est pourquoi, en tant que remplaçant, je parcourais
cette route deux fois par semaine, d’Ottawa à Sainte-Julienne. C’était, par contre, la première fois
que je la faisais en autostop, c’était excitant. C’était d’autant plus excitant de lever le pouce au
Québec, de raconter mon histoire canadienne d’un Québécois à l’autre, et surtout, de pouvoir parler
ce bon vieux français québécois qui me manquait tant.
Sorti de la ville, mon meilleur ami me serra dans ses bras, il me suggéra d’être prudent et nous nous
dîmes que nous allions nous revoir bientôt. J’aurais aimé passer plus de temps de qualité avec lui, et
faire quelques activités, mais j’étais épuisé par mon voyage. Je devais conserver le plus d’énergie
physique, mentale et spirituelle que je pouvais, pour compléter enfin mon aventure.
Je levai le pouce et attendis dix minutes avant qu’une jeune femme, seule, ne s’arrête pour moi. Même
si elle était toute petite, elle semblait avoir du vécu. Elle était très sympathique. Elle n’allait pas très
loin, mais tenait à m’aider, car elle avait connu des gens qui avaient fait beaucoup d’autostop dans
leur vie et savait l’importance d’aider son prochain. Car ce geste, si anodin soit-il, ne comporte
presque pas d’effort et peut changer la vie de quelqu’un à jamais. J’en étais la preuve avec tout ce
que je venais de vivre.
Plus nous échangions nos histoires, plus nous étions proches l’un de l’autre. Elle me disait que je lui
faisais penser à l’un de ses meilleurs amis qui voyageaient tout comme moi, alors que pour ma part,
j’écrivais, pour lui, il photographiait. Elle me disait que, non seulement mon expérience, mais mon
look et ma façon de m’exprimer étaient semblables à la sienne. C’était étrange, car d’un côté, j’avais
le gout de me sentir unique face à mon aventure, mais d’un autre, j’avais le gout de la partager. De
plus, si on met mon égo de côté, l’expérience en soi était tellement enrichissante que je n’avais pas à
me comparer, ou encore, à espérer être mieux qu’un autre. J’espérais seulement, à chaque fois, être
compris.
Elle me donna ensuite une cigarette. Pour sa part, elle se sortait d’une dure relation où elle était mal
traitée. Elle me disait qu’elle se sentait forte de reconstruire sa vie et de se sortir de cette situation,
car ce fut une dure décision de partir. Je lui dis que je la comprenais, car plus jeune, j’avais été dans
une situation où je n’étais plus bien et où je n’étais plus moi-même. Durant ces années, je cherchais
des moyens, des solutions pour mettre fin à ma relation, mais je n’en étais point capable. Je lui
répondis ensuite que je croyais qu’elle était plus courageuse que je l’étais. Une situation, comme
celle-là, peut être si difficile, car il faut aussi se battre contre soi-même et contre cette petite voix qui
s’ennuie des bons moments. Pour ma part, j’avais été quelque peu maltraité durant les jours les plus
difficiles de ma dernière relation, et je n’avais jamais eu le courage de partir, seulement pour mon
propre bien-être. Je lui conseillai alors de se rappeler qu’elle était forte et bien avec elle-même.
Aussi, que l’amour amoureux n’était pas le seul type d’amour qui existait et que le vrai amour était
beaucoup plus simple et important. Elle me remercia.
Ça faisait du bien de rencontrer des inconnus sur la route. Je me sentais investi d’une sainte mission,
encore une fois. Je devais seulement me convaincre qu’il y avait un temps pour chaque chose. Que
certaines personnes étaient là pour passer, et que d’autres étaient là pour rester plus longtemps.
La femme se confiait à moi à propos de sa nouvelle vie et de ce qu’elle avait vécu. Mais le temps
passa trop rapidement et elle devait déjà me déposer. Elle fouilla dans ses choses et me donna une
boisson énergisante, une bouteille d’eau et un joint. Elle me confia que notre petite rencontre avait été
si enrichissante et avait égayé sa journée. Elle sortit de son véhicule après l’avoir stationné à un
dépanneur, et me serra dans ses bras. J’étais chanceux. Nous nous étions fait du bien, d’un inconnu à
l’autre. Puis, je marchai plus loin, pour lever le pouce, tout près de l’entrée sur l’autoroute 50, en
banlieue de Gatineau.
Elle resta deux autres minutes à me regarder, elle semblait bien, puis elle repartit. Cinq minutes plus
tard, une camionnette d’entreprise s’arrêta. Je pouvais m’attendre à tout. Un électricien dans la
cinquantaine me dit d’embarquer. Je le remerciai grandement. Mais à peine le temps de commencer à
discuter, toujours en français, il était temps de me débarquer. Il me demanda si je voulais le suivre
dans les petites rues, mais j’allais devoir marcher une bonne demi-heure pour revenir vers
l’autoroute et j’avais si hâte de revenir chez moi. Nous nous saluâmes et je continuai à marcher.
Je marchais sur l’accotement de gauche de l’autoroute, ce qui ne m’était pas familier, entre les deux
voix contraires de la grande autoroute 50. Il y avait un feu de signalisation, au loin, et un passage
pour piétons. Je me disais que j’allais traverser là, alors que la sortie de l’autoroute la plus près était
maintenant derrière moi. Soudain, j’entendis un policier s’arrêter, sur le côté droit de l’accotement. Il
me cria « Parles-tu français ? ». Je lui répondis que oui. Il semblait soulagé. D’un ton toujours
policier, il me demanda ce que je faisais sur l’autoroute et me commanda de traverser le chemin pour
reculer vers la sortie que je venais de passer. Je lui répondis que le chemin était très passant et qu’il
était beaucoup plus sécuritaire de marcher jusqu’au feu de circulation, plus loin, pour y traverser. Je
lui pointai un dépanneur sur le coin de la route, et lui dis que j’allais m’y rendre. Il m’ordonna alors
de marcher de façon sécuritaire et de ne pas m’arrêter. Puis, il repartit. J’étais étonné qu’il me laisse
faire et j’étais fier et heureux, car depuis mon épisode à Kamloops, je n’avais plus de crainte par
rapport aux forces de la « justice ». Car elles pouvaient certes me déranger, mais elles ne pouvaient
jamais m’enlever cette liberté qui se logeait au plus profond de mon cœur.
J’allai sur le coin de la rue, traversai vers le petit magasin de l’autre côté de l’autoroute pour y
acheter un café et pour m'assurer de ne pas recroiser le policier en question. Puis, je traversai encore
l’allée de piétons pour rejoindre le bon côté de l’autoroute et y lever le pouce. Une voiture avec une
immense remorque artisanale s’arrêta pour m’embarquer après une dizaine de minutes. Décidément,
c’était un autre jour de chance pour moi.
J’embarquai dans le véhicule, l’homme avait une coupe de cheveux et une barbe ajustées, et portait
une multitude de tatous. Je lui racontai aussitôt que j’avais eu chaud, car un policier s’était arrêté
pour moi et aurait pu être plus sévère qu’il ne l’avait été. Il me répondit aussitôt que ce n’était
surement pas le même ami qui venait de l’arrêter pour lui donner une contravention pour sa remorque.
Il me racontait alors qu’il avait eu ses démêlés avec la justice et qu’il appelait toujours les policiers :
ses « amis », ironiquement bien sûr. L’homme avait fait de la prison pour trafic de stupéfiants, il
avait également été pris pour alcool au volant. Il avait même été pris avec plusieurs onces de
cannabis, alors qu’il était sous conditions, mais avait réussi à s’en sortir quand même. Il avait
maintenant une femme et un enfant. Il était bien et heureux. Mais il était toujours sous la loupe des
forces de « l’ordre ». Après mon expérience dans la « Drunk Tank », je ne pouvais plutôt qu’être
d’accord. Je savais, par contre, assumer ma faute pour les erreurs que j’avais commises, mais nous
deux étions d’accord que si une personne était repentante, elle devait être traitée comme le reste des
citoyens et non comme les « punching bags » de la société.
Nous roulâmes quarante minutes ensemble, discutâmes tout au long, toujours en français. Son histoire
était si intéressante, et j’eus la chance de raconter la mienne. Il était très ouvert et semblait vouloir
m’apporter, me conseiller sur la vie qui s’ouvrait devant moi ; se basant sur sa façon de reconstruire
sa vie après, ses épopées tumultueuses. Je l’écoutais, ouvert également.
Puis, tout près de Montebello, il me déposa, directement sur l’autoroute. Il me dit qu’il pouvait
m’amener où il habitait, mais qu’il fallait suivre quelques chemins de campagne loin de l’autoroute et
que l’autostop allait être très difficile. Je regardai aux alentours et je ne voyais pas la fin de la route
dont il parlait. Il n’y avait que des champs, des forêts à perte de vues. Je le remerciai grandement et
lui souhaitai que du positif. Puis, il partit, me laissant seul sur l’autoroute déserte.
Je craignais quand même qu’un policier ne m’intercepte. Non pas pour les conséquences que cela
pouvait impliquer, mais pour l’effort de m’expliquer tout simplement. De plus, même si ça ne m’était
jamais arrivé, j’avais entendu des histoires où certaines polices, pour décourager les voyageurs,
allaient les porter très loin de leurs trajectoires. Et j’étais si près d’un peu de répits. Je pouvais
toujours tenter d’expliquer que je ne voulais pas me trouver ici et que quelqu’un m’avait tout
simplement laissé là, mais l’argument avait peu de chance de fonctionner. Pour y donner du poids, je
me mis à marcher pour m’éloigner de la sortie. Si j’étais loin de celle-ci, je pouvais davantage
prouver mon mensonge. De plus, ça faisait simplement du bien.
Je marchai peut-être trente minutes avant qu’une petite voiture de location ne s’arrête. Un jeune
couple, un Canadien français et une Canadienne anglaise, très sympathiques, me dirent de monter à
bord, car ils se dirigeaient vers la rive sud de Montréal. J’étais aux anges. Je pouvais alors, plus près
de chez moi, appeler mon père pour qu’il vienne me chercher. Il était si emballé à l’idée de me voir,
mais aussi de m’aider dans cette quête mystique dans laquelle je m’étais lancée.
Le couple était un couple de militaires qui s’était rencontré sur la base tout près d’Halifax. Bien que
j’ai un grand respect pour leur métier, pour la dévotion, leur rigueur, leur ordre, leur don de soi et
tout ce que le domaine implique, il était mieux, pour moi, que je ne parle pas trop de ma vision de la
politique ou de la guerre en général, car pour moi, la guerre n’est qu’une illusion que les dirigeants
créent de toute pièce, par égo, par soif de pouvoir ou simplement par avarice, car la guerre coute de
l’argent à tous, et génère des profits aux entreprises. J’étais tout de même heureux qu’ils soient
patriotes, car j’étais en amour avec notre pays depuis peu. Je leur demandai de raconter leur histoire,
leur rencontre, leurs années de services. Ils semblaient biens dans leur vie. De plus, on ne se cache
pas que servir le pays, comme ils le faisaient, comporte de grands avantages confortables. Ils avaient
voyagé, servi sur plusieurs bases malgré leur jeune âge.
Nous écoutâmes la radio, tout en discutant. Il était presque étrange, pour moi, de pouvoir entendre les
animateurs en français. Quoique la formule restait la même, il y avait quelque chose de plus familier
pour moi, d’écouter la radio en français, car je connaissais le domaine sur le bout de mes doigts. De
plus, autant que je me sentais investi d’une mission, autant que des fois, je sentais que cette mission
était derrière moi. J’arrivais chez moi bientôt, et pour moi, l’exploit et l’aventure étaient déjà
derrière. Je pouvais me reposer.
En passant par Lachute, le jeune homme me demanda où je voulais débarquer. Je lui expliquai que je
pouvais les suivre jusqu’à Montréal. Mais s’il voulait vraiment m’aider, il pouvait me débarquer tout
près de la route cent cinquante-huit, près de Saint-Jérôme, et j’allais continuer vers chez moi, car le
chemin était un peu plus court. De plus, avant de travailler en radio à Gatineau, j’avais travaillé à
Lachute et avait employé cette route tous les jours durant plus d’un an. Je la connaissais donc très
bien. Aussi, comble de l’ironie, c’était sur cette même route que j’avais été arrêté pour alcool au
volant deux ans auparavant. C’était l’occasion de me réconcilier avec celle-ci.
Ils me débarquèrent à Saint-Jérôme, m’offrirent de m’acheter une bouteille d’eau et des grignotines,
mais je refusai, car Jym possédait tout ce dont j’avais besoin. Je me mis à marcher sur cette familière
route, avec mon énorme sac, ayant dans l’idée que n’importe qui que je connaisse ne s’arrête pour me
saluer, mais Eva la chassa immédiatement, m’aidant à me concentrer sur l’important, marcher droit
devant et ne plus m’arrêter. Mon père était en route vers où j’étais et c’est tout ce qui comptait.
Trente minutes plus tard, sur la 158 à Saint-Jérôme, j’entendis klaxonner. C’était le véhicule utilitaire
sport familial si familier. Mon père souriait et me salua. J’étais si fier, mais si ému à la fois.
J’embarquai dans la camionnette et je pouvais sentir qu’il était heureux de me voir. Je l’étais
également. En repensant à tous les avertissements qu’il me donnait quand je me préparais à partir,
j’avais simplement le gout de lui dire, « regarde, je te l’avais dit papa, je l’ai fait, et je l’ai fait à ma
façon ! » Mais l’heure n’était pas à la confrontation, et seulement ma présence l’exprimait doucement
et poliment, en toute humilité, sans même que je n’ouvre la bouche. Depuis le début de ce voyage, je
ne parlais que du vrai amour versus l’amour amoureux ; celui que tout le monde recherche sans fin. Je
comparais souvent la différence entre aimer et être en amour. Et, en ce moment, aux côtés de mon
père, sentant la fierté couler entre les lignes de conversations anodines, je sentais l’amour que chaque
personne individuellement mérite à la naissance. Celui qui ne se traduit que par lui-même. Celui qui
est inconditionnel et incommensurable, celui d’un membre de la famille, d’un ami, d’un amour sain,
entre deux personnes, celui qui nous lie tous ensemble d’une certaine façon. J’espérais au plus
profond de moi-même qu’il y ait plus de gens qui se rendent compte que ce type d’amour est
beaucoup plus important que d’être simplement amoureux et que celui-ci pouvait être le vrai moteur
d’un réel conte de fées ; autant provenant des gens que l’on aime, que d’un inconnu à l’autre.
Tout près de Sainte-Sophie, nous croisâmes un autostoppeur avec un sac à dos de voyage. Je suppliai
mon père de s’arrêter. Il accepta. Nous embarquâmes l’homme qui se dirigeait vers Joliette. Après
avoir donné les indications pour qu’il s’y rende, nous partageâmes nos histoires. Il me faisait penser
à tous les voyageurs que je venais de rencontrer, comme si mon aventure n’était toujours pas
terminée. Je lui expliquai alors que c’était tout de même ironique qu’on le rencontre à la fin de mon
périple. Pour sa part, ce n’était pas un périple, mais un mode de vie.
Nous discutions à une vitesse assez impressionnante, parlant de tout ce que nous avions eu la chance
d’expérimenter aux quatre coins du pays. Nous nous comprenions. Il nous confia qu’il avait ce mode
de vie avec son ex-copine auparavant et que, depuis récemment, il le faisait seul. Et que c’était une
mauvaise étape à passer. Je pouvais comprendre, moi qui venais de vivre la même épreuve.
Nous connections si rapidement, qu’en l’espace de quelques minutes, il me suggéra de voyager
ensemble pour mes prochains voyages. J’acceptai volontiers si nos destins le permettaient. Il me
disait que ce qu’il aimait le plus faire était de sauter sur les trains, choses que l’on m’avait
déconseillé de faire très souvent. Je riais, lui disant que la meilleure façon de le faire était
décidément avec l’aide de quelqu’un d’autre. Puis, après dix minutes, nous le laissâmes pour qu’il
continue son chemin. Pour moi, c’était normal de l’avoir pris, mais c’était étrange ne pas être celui
qui se fait prendre.
Enfin arrivé devant la maison familiale, là où je devais reconstruire ma vie, je m’agenouillai et
embrassai le sol, content et fier d’avoir fait ce que je venais d’accomplir. Ma mère sortit aussitôt
pour m’embrasser et me serrer fort dans ses bras. Ce doux sentiment que procure le câlin d’une mère
restera toujours le même, à tous les âges de notre vie. J’entrai chez moi et déposai Jym qui méritait un
repos assurément. Ma grand-mère m’embrassa ensuite. Mon grand frère et notre amie, elle-même
avec qui je parlais quand j’étais à Whistler, y était présents. Je les serrai dans mes bras. Je mis Jym
sur l’un des sofas, car je devais l’organiser plus tard, et je m’ouvris une bière.
Nous passâmes quelques dizaines de minutes à discuter de tout ce qui se passait dans la vie de tous et
chacun. J’étais content que l’attention ne soit pas toute dirigée sur moi, car être à la maison me
permettait de décompresser, mais je ne voulais pas tomber à l’extérieur de cet esprit d’aventurier qui
m’habitait. J’étais si heureux d’être avec les gens que je connaissais, avec les gens que j’aime. Après
un bout de temps, je me levai et commençai à tout sortir de mon sac pour tout réorganiser. Je mis le
linge d’été de côté pour aller chercher mes vêtements un peu plus chauds. Je montrai mes sandales
fendues et mes converses éventrés à ma mère. C’était presque rendu une blague entre elle et moi ; la
condition de mes souliers. Je remplaçai mes sandales par mes souliers de basketball abimés pour
pouvoir continuer ma route vers les provinces de l’Atlantique. Je laissai également mon cahier qui
comportait l’ébauche de ce récit, car il était finalement en sécurité. J’avertis ma mère que c’était à
ses risques et périls de lire mes aventures, car elle allait peut-être s’inquiéter pour son garçon. Même
si elle savait très bien que l’important était que je sois sain et sauf, en chair et en os, devant elle.
Puis l’un de mes meilleurs amis arriva, celui qui m’avait donné mon couteau qui m’avait été si utile.
Il était accompagné de sa copine et était devenu papa. C’était la première fois que j’avais la chance
de voir sa petite fille, vieille d’à peine un mois. Je me sentais si chanceux d’être témoin de ce
miracle. Nous discutâmes durant environ une heure, puis ils repartirent. Mon frère et notre amie
partirent également. J’allais donc manger seulement avec ceux avec qui j’habitais : ma mère, mon
père et ma grand-mère. Par la suite, nous décidâmes de faire un feu. J’invitai un autre de mes
meilleurs amis à se joindre à nous. Il invita une compagne, nous fumâmes, nous bûmes, nous jouâmes
de la guitare, et primes des nouvelles de tous et chacun. Mon ami était emballé à l’idée que j’allais
partir au Nouveau-Brunswick, car toute sa famille y était et il y avait passé une petite partie de sa
vie.
Par la suite, mon équipe arriva ; ma douce Acadienne et Sir Branston qui firent leur apparition. Je la
présentai à tous, qui s’empressèrent de faire connaissance avec mon équipe de rêve. J’étais d’autant
plus heureux de présenter cette douce amie à ma mère. Je lui avais tant parlé d’elle tout au long de
mon épopée. Nous fumâmes, nous bûmes, nous ne voulions pas que la soirée cesse. Au bout de
quelques heures, mes parents allèrent se coucher. Nous décidâmes de transposer la fête au petit bar
du village de Sainte-Julienne : « Le Villageois ». Dans l’auto, nous chantions et dansions au son des
chansons qui nous liaient, mes amis et moi. Au bar j’aperçus des visages familiers, des amis. Après
un bout de temps, nous rentrâmes, épuisés. J’étais si heureux d’être chez moi, et de m’endormir dans
mon lit douillet, aux côtés de ma douce amie.

1er octobre 2017

Le mois d’octobre débutait et j’avais hâte de voir les paysages de l’Atlantique, colorés par cette
douce saison d’automne. Mais, d’un autre côté, j’avais le cœur déchiré de devoir déjà partir de chez
moi. Notre prochaine destination était chez les parents de mon amie et elle avait hâte. Nous avions
dix heures de route à parcourir et je voulais prendre le temps de boire une bière à Montréal avant de
quitter la province. Nous mangeâmes, et je réorganisai Jym le mieux possible avec mon linge propre
tandis qu’Eva sentait que le voyage tirait réellement à sa fin.
Ce matin-là, nous prîmes notre temps. Ma mère m’avait acheté d’autres provisions non périssables ce
qui remplit et alourdit abondamment mon sac. Je cuisinai des crêpes à ma douce et à mon père, puis
nous partîmes malheureusement trop rapidement, vers midi. J’allais être de retour dans une semaine
de toute façon, mais j’avais encore ce sentiment si habituel d’abandonner des gens que j’aime. C’était
seulement la façon dont je devais écrire mon histoire pour quelque temps.
Nous voulions donc nous diriger vers le Nouveau-Brunswick. Le plan de match était d’aller vers
Montréal, puis Québec, ensuite d’aller le plus loin possible et d’arrêter dormir entre Rivière-Du-
Loup et Moncton. Nous arrêtâmes au nouveau McDonald de St-Jacques, fraîchement construit, pour y
boire un café. J’étais déçu de voir mes petites municipalités, si communes, se faire envahir par les
grosses chaînes de ce monde. Depuis deux ans, la ville de St-Jacques s’était tout simplement faite
envahir par les restaurants rapides, laissant dépérir les commerces du coin.
Je voulais trouver l’opportunité d’acheter du Cannabis, mais je ne connaissais pas beaucoup de gens,
dans le coin, pour m’en trouver, c’est pourquoi nous nous dirigeâmes ensuite vers la magnifique ville
de Joliette. Tant qu’à être dans le coin, je proposai à mon amie de lui faire visiter cette ville qui avait
été l’essence de mon départ et le détonateur de ce voyage. C’était déjà maintenant que nous nous y
retrouvions. Je l’amenai alors à l’Albion : l’une de mes micro-brasseries fétiches. Je me sentais un
peu mal de me rappeler la première « Date » que j’avais eue avec mon ex-copine, sur la terrasse de
cet établissement. Je comprenais que je devais mettre cette histoire derrière, mais, même si la tête le
sait, le cœur, lui, prend son temps avant de faire la part des choses, comme si un lien invisible
s’amincissait tranquillement entre deux personnes avec le temps. Nous restâmes au bar pour deux
heures, l’endroit était rustique, installé au sein d’un vieil immeuble de l’époque, c’était tout
simplement de toute beauté, et je savais que je tombais sur le genre d’endroit qu’elle adorait. Nous
dégustâmes quelques bières. Je commandai une « Falcon Punch » en l’honneur de l’un de mes jeux
vidéo préférés. Puis nous partîmes.
Mon amie ne se sentait pas confiante pour conduire tout de suite, car nous avions bu quelques bières.
De plus, le chien était dans l’auto depuis déjà un bout de temps, et nous voulions le faire bouger un
peu avant de partir. C’est pourquoi nous nous mîmes à marcher aux alentours. Bien que tout m’était
familier, je n’espérais pas croiser quelqu’un que je connaissais autour. Je l’amenai dans le parc près
de l’école Barthelemy Joliette. Mon ex-copine y habitait en face quand je l’avais connu et, quand
nous nous étions procuré notre premier petit chien, nous faisions fit de l’interdiction d’y amener un
compagnon canin pour le faire courir. Il m’était de plus en plus difficile de ne pas y penser, car le
temps s’était déroulé si rapidement et si lentement à la fois. Et son ancien appartement était
maintenant tout juste devant moi, là où son frère habitait toujours. Nous fîmes courir le chien partout,
sous une pluie de feuille d’arbre occasionnée par le début de l’automne qui s’installait
tranquillement. Après que Sir « J’aime-les-moufettes » soit bien fatigué, nous retournâmes
tranquillement vers l’automobile dans le but d’entamer notre route.
En marchant vers la voiture, nous passâmes devant l’appartement où cette femme que j’avais tant
aimée habitait avec son frère. Lui et leur cousin y étaient même à l’extérieur, partageant une bière.
J’étais nostalgique, mais contrairement aux autres séparations que j’avais eues dans ma vie, celle-ci
était plus facile à vivre, car j’avais peine à me remémorer de bons souvenirs. Même à nos débuts,
dans ce spacieux logement, nous nous disputions sans cesse. Nous étions constamment en dualité.
J’avais maintenant la chance d’avoir un peu de recul et je réalisais les signes qui étaient présents
depuis le début de cette tumultueuse relation. Nous étions seulement trop différents. Nous n’avions
pas les mêmes habitudes, les mêmes valeurs, et nous n’avions même pas la même compréhension de
la vie. Nous n’appartenions qu’à deux castes égales, mais différentes de personnes ; deux différents
groupes d’âmes. Je regardais cette douce Acadienne qui m’accompagnait avec son chien si massif, et
je comprenais sur-le-champ qu’il y avait des personnes avec qui c’était plus naturel de bien
s’entendre et de s’aimer. Comme si la partie relationnelle de notre destin était déjà écrite quelque
part. Je devais simplement comprendre, pour maintenant, pour mes futures relations qu’il n’était pas
nécessaire de forcer l’amour ou le destin, mais simplement de la laisser faire, car comme la gravité,
ils nous ramèneront toujours où nous devons être ; les deux pieds sur terre.
Nous nous rendîmes vers le véhicule et partîmes par la suite. Nous avions le choix de prendre
l’autoroute 40 vers l’est et de nous diriger vers Québec, ou de faire un détour vers la merveilleuse
Montréal. Je voulais lui montrer un petit bar qui me rendait fou de joie. Là où les bancs des tables
centrales sont des balançoires et où l’on peut jouer à de vieux jeu vidéo, gratuitement, sous la lumière
et le son de vidéos insolites : « Le Nacho Libre ».
Nous y arrivâmes avant l’ouverture. Nous prîmes alors le temps d’aller dans un gigantesque SAQ
pour visiter. Nous avions quelques dizaines de minutes à tuer et nous pourchassions les bouteilles les
plus chères. Nous trouvâmes des bouteilles de vins et de scotch frôlant les mille dollars. Nous étions
abasourdis de voir que, malgré le prestige de ses liqueurs, nous vivions tout simplement dans un autre
monde que ceux qui pouvaient décider de dépenser cette somme pour une seule bouteille d’alcool,
alors que certains n'ont même pas cette somme pour manger à leur faim.
Nous retournâmes vers le bar qui ouvrait ses portes à l’instant. J’avais un très bon ami à moi qui
voulait nous rejoindre et il n’habitait pas si loin de là. J’avais une relation particulière avec cet ami,
car je l’avais connu quand j’avais été engagé pour l’aider, après l’école, avec ses mathématiques à
l’école secondaire. Il avait eu quelques problèmes, et c’était le genre de personne qui avait continué
son parcours académique à l’école des adultes, à son rythme, pour ensuite aller au Cégep. Il terminait
maintenant sa technique et j’étais si fier de le voir progresser. Même si nous avions eu nos différents
au cours de ces longues années, il n’en restait pas moins qu’il allait rester l’un de mes meilleurs amis
pour toujours. Je sentais qu’il était juste normal de le garder proche de moi, comme si notre relation
transcendait l’espace-temps.
Un groupe de Français s’installèrent à la table à nos côtés. Ils avaient une immense citrouille avec
eux. Nous bûmes nos bières tranquillement, ma douce et moi. J’étais tellement heureux de voir
qu’elle appréciait l’endroit autant que moi et je me sentais enfin dans un endroit familier. C’était à
mon tour de lui raconter mes histoires. Je me rappelais l’une des premières phrases que je lui avais
dites : « Je ne sais pas où je vais, mais l’important est de savoir d’où l’on vient ». Je pouvais enfin
lui montrer, car ce bar représentait, pour moi, une époque festive de ma vie.
Nous rigolions. Je lui disais que quand je voyais une citrouille, j’avais toujours envie de lui donner
une bonne claque, ou une bonne fessée. Elle riait. Comme si donner une fessée à une citrouille était
quelque chose de commun. Elle me conseillait d’aller demander au groupe voisin si je pouvais
frapper doucement la citrouille. De cette façon, au moins, l’envie allait passer. Je lui répondis qu’il
était malpoli, malheureusement, de s’introduire dans un groupe et de demander, « Je suis vraiment
désolé, est-ce que je peux donner une fessée à votre citrouille ». Je croyais quand même avoir plus
de manières que cela. Nous en rîmes un bon coup.
Puis, je vis mon ami se présenter près de nous avec sa copine. J’étais si heureux de les voir. Je ne
l’avais pas vu depuis longtemps, et je ne connaissais qu’à peine cette jolie jeune femme qui
l’accompagnait. La seule fois que nous nous étions rencontrés était lors de l’unique extinction de voix
que j’avais connue au courant de ma vie. Nous nous serrâmes dans nos bras et nous mîmes à rattraper
le temps perdu. J’étais content, encore une fois, de pouvoir présenter cette femme si intéressante à
des gens que je connaissais depuis longtemps.
Nous discutâmes un peu de ce voyage que je terminais. Eux aussi avaient l’âme exploratrice. Ils me
conseillèrent d’aller voir la « Cabot Trail » au Cap Breton, en Nouvelle-Écosse. Ils y avaient été
l’été dernier, et c’était de toute beauté à leur avis. Ils ajoutèrent que les couleurs d’automne allaient
rendre l’endroit encore plus merveilleux. J’étais d’accord avec eux. Je devais commencer à penser à
ce que j’allais faire, par moi-même, quand j’allais arriver au Nouveau-Brunswick et surtout, je
devais me préparer à laisser partir cette femme que j’aimais tant. Je savais que ça allait être difficile,
mais je sentais que le destin allait, pour tout de suite, nous mener à des endroits différents. Peut-être
qu’avec un peu de chance, nous allions nous revoir un peu plus tard, ou dans une autre vie. Je devais
m’accrocher au fait que c’était le but de ce long voyage, rencontrer, aimer, puis partir ;
malheureusement.
Le temps avançait et nous étions déjà en début de soirée. Nous voulions tout de même continuer notre
route, mais n’étions pas en état physiques ou psychologiques de le faire. Nous décidâmes de prendre
notre temps, alors que cette citrouille continuait d’attirer mon attention. Je confiai également à mes
amis que j’avais le gout de « Slapper » la citrouille, juste pour évaluer si elle était bien ferme.
C’était toute une blague qui revint à plusieurs reprises au courant de la soirée, mais l’envie était bien
réelle.
Soudain, je me retournai pour la regarder encore une fois. Elle était juste derrière moi. Je pouvais la
toucher d’où j’étais assis. Comble de coïncidence, c’était l’autre côté de la citrouille qui me
regardait, alors que le visage d’Adolf Hitler y était dessiné et me fixait depuis un bout de temps. Il
était de plus en plus difficile de me contenir devant l’absurdité de la situation et surtout devant
l’envie de lui donner une bonne claque. Je me levai alors pour aborder ce groupe de Français
loufoque. Ils crurent sur-le-champ que je voulais embrasser la citrouille, mais je leur signalai qu’ils
se trompaient, que depuis le début de la soirée, j’avais l’étrange envie de lui donner une bonne
claque et que maintenant, je comprenais pourquoi. Ils se mirent à rire et m’invitèrent à le faire.
Ils tournèrent le fruit pour que le visage du dictateur me regarde droit dans les yeux, mais je pris une
pause, leur demandant de la tournée de bord. Maintenant que la citrouille arborait le visage d’Hitler,
je voulais simplement lui donner une fessée. Ils rirent et la tournèrent et je lui donnai, sans hésiter,
une bonne claque sur le derrière. Tout le monde riait. Cependant, les Français semblaient
désappointés par la force à laquelle je m’étais élancé. Il était vrai que mon coup était assez faible,
c’est pourquoi ils me demandèrent de la « reclaquer », plus fort cette fois-ci. Je m’exécutai une
deuxième fois, un peu plus fort, dans l’euphorie du moment, sous les rires de tous autours. Nous nous
serrâmes dans nos bras et je retournai à ma table, entouré de mes amis, satisfait du dénouement de
l’incident.
La soirée avançait et je voyais mon amie « cogner des clous ». Alors que c’est moi qui étais dans
cette situation quand nous eûmes visité ses amis à Calgary, c’était maintenant à son tour. Et c’était le
mien, pour prendre soin d’elle. Je ne croyais pas que nous pouvions prendre la route en cette soirée,
mais nous devions être au Nouveau-Brunswick, chez sa mère, au lendemain. Nous décidâmes alors
d’accepter l’invitation de mon ami, de dormir chez lui, et de repartir au petit matin. C’était l’option
sécuritaire. Nous devions, par contre, avant de nous y rendre, arrêter à la « Banquise » nous acheter
une poutine. Je voulais simplement lui montrer ce qu’était une vraie bonne poutine de fin de soirée
montréalaise.
Nous étions cinq dans la petite Honda Civic avec le chien qui prenait le moins de place possible,
Jym qui était présent et tout le matériel de mon amie. Heureusement, nous n’avions pas à aller loin.
Puis, nous nous rendîmes à son appartement. Nous étions si contents de passer du temps tous
ensemble. Je sentais que ça faisait chaud au cœur de mon ami, avec qui nous passions définitivement
trop de temps loin l’un de l’autre. Il était fier de me montrer qu’il brassait sa propre bière et, bien
franchement, c’était l’une des plus belles et bonnes rousses à laquelle j’avais eu la chance de gouter.
J’étais fier de lui. Je lui suggérai, à la blague, de la nommer la Sir Branston Brew, en l’honneur de
notre fidèle compagnon. Il me répondit qu’il allait y réfléchir. Puis, après avoir mangé notre poutine,
la douce Acadienne s’endormit sur-le-champ, épuisée de nos dernières journées. Pour notre part,
nous discutâmes quelque temps encore, puis nous nous couchâmes heureux d’être ensemble.

2 octobre 2017

Nous nous levâmes alors, en vitesse, et partirent avant même que mes amis soient debout. Je lui écris
un message pour le remercier de son hospitalité et pour lui dire que c’était toujours agréable de le
voir. Puis, nous partîmes près des sept heures le matin. Nous pouvions passer tout droit devant la
merveilleuse ville de Québec, car la mère de mon amie nous attendait à Saint-Louis de Kent, NB
pour souper. Nous avions au moins dix heures de route à faire. Mais j’étais simplement heureux de
voir que mon amie avait bien dormi et était prête à terminer son aventure pour commencer sa
nouvelle vie. C’était un grand jour pour elle, et j’étais si heureux de pouvoir le partager avec cette
femme qui m’avait tant apporté, depuis les deux dernières semaines.
Nous nous arrêtâmes pour un café, puis, nous engageâmes sur l’autoroute vingt vers l’est. J’étais un
peu déçu de ne pas avoir la chance de passer par la ville de Québec qui est si belle à mes yeux. Elle
est tout simplement un monument du Québec et du Canada. Ça ne faisait que du sens de l’incorporer
dans mon aventure transcanadienne, même si je l’avais déjà fréquentée à maintes reprises. Mais nous
n’avions plus le temps. C’était peut-être la première fois, depuis le début de ce récit, que je sentais la
pression du temps qui nous poussait à avancer un peu plus rapidement qu’à notre vitesse
d’exploration naturelle. Nous avions procrastiné un peu, mais des fois, la procrastination est le
langage de l’intuition. Et ce n’était pas grave, car l’aventure se poursuivait et nous étions ensemble. Il
ne nous importait guère de savoir où nous étions, l’important était de continuer à profiter du lien qui
nous unissait, car il était trop éphémère, d’une certaine façon.
De toute façon, elle m’avait déjà confirmé, auparavant, qu’elle avait déjà vu la ville de Québec. Je
n’étais donc pas trop déçu. Jusqu’à ce que je lui demande comment elle avait trouvé le vieux quartier
de la ville. Là où l’histoire a tout d’abord été écrite. Elle me regarda, concernée. Elle me confia
qu’elle n’avait jamais vu le Vieux-Québec. Sans vouloir discriminer cette magnifique ville, personne
ne peut dire qu’il a vraiment vu la ville de Québec sans avoir vu son vieux quartier. Je la suppliai
alors, il fallait absolument que je lui montre les petites rues et maisons européennes qui remplissaient
ce magnifique quartier, car il n’y avait aucune ville comparable à Québec dans tout le Canada. Et ce,
même si cela impliquait de passer dix minutes en auto et de ne pas s’arrêter, elle devait absolument
la voir. Elle me répondit : « S’il te plait, est-ce qu’on peut ? » J’étais ravi.
Deux heures et demie plus tard, nous nous arrêtâmes au sein du Vieux Québec. Nos yeux étaient
grands ouverts. J’étais toujours impressionné par l’architecture si particulière de cette vieille ville
qui rappelle comment les pays européens vivaient à l’époque. Les rues étroites, les collines, le
château, les immeubles vieillots rendent la capitale nationale si particulière. Mon amie était tout
aussi impressionnée que moi. Nous décidâmes d’arrêter un moment, pour nous-mêmes et pour le
chien. Mais notre balade qui devait prendre dix minutes se transforma en exploration de deux heures.
Nous allâmes près du Château Frontenac. Nous blaguions. Je lui racontais que si mes calculs étaient
bons, entre 2020 et 2025, il y allait avoir un incident apocalyptique au niveau international où nous
allions être envahis par des zombies. C’est pourquoi nous devions nous rendre au Château Frontenac,
car logiquement, c’était l’un des endroits les plus efficaces pour se défendre. De plus, c’était le rêve
de tous : vivre comme princes et princesses à l’intérieur du château. Nous disions qu’elle allait être
en charge des provisions, de la nourriture et des autres personnes, alors que j’allais me charger de la
défense, de la survie et que Branston allait être le chef des opérations. La situation que nous créions
de toutes pièces était très loufoques, mais il faisait si bon de dire du non-sens ici et là, et cela nous
amusait.
Nous allâmes ensuite sur les plaines d’Abraham, je lui racontai l’histoire de la bataille sur ce si bel
emplacement. Puis, nous nous dirigeâmes sur la rue principale, où j’avais quelques belles histoires
de buveries, parcourant les bars, les uns après les autres, sur la Grande Allée. Puis, nous nous
arrêtâmes pour manger une bouchée avant de repartir. Il y avait beaucoup de construction autour et le
chien commençait à s’énerver, c’est pourquoi il était plus que temps de déguerpir. Puis, nous
repartîmes, fiers et contents d’avoir ajouté une ville à notre liste, et pas n’importe quelle vie : la
merveilleuse ville de Québec.
Il était presque midi maintenant. Nous connaissions notre rythme de voyage, nos normaux arrêts pour
le café et pour le chien. Nous calculions arriver, malheureusement, pour huit heures à Saint-Louis de
Kent. Nous étions un peu déçus de rater l’heure du souper et c’était complètement de notre faute, mais
nos décisions étaient déjà derrière nous, nous devions donc vivre avec.
Le paysage entre Québec et le Nouveau-Brunswick n’est simplement qu’hallucinant et nous rappelait
constamment que notre voyage n’était bel et bien pas terminé, même s’il tirait à sa fin. Nous
profitâmes de chaque seconde. Le sentiment que j’eus en entrant au nouveau Brunswick était
fascinant. Encore une autre province, et cette fois-ci, je n’avais même pas pensé la visiter.
L’opportunité s’était simplement présentée et je l’avais prise. Je savais que j’allais avoir la chance
de toucher à trois autres provinces : le Nouveau-Brunswick, l’Ile du Prince-Édouard, et la Nouvelle-
Écosse. Même si j’étais toujours épuisé, j’avais très hâte de boucler la boucle pour ensuite revenir
chez moi.
Nous arrivâmes à Saint-Louis, finalement, sur une immense propriété donnant sur un cours d’eau
habitant une moyenne et si jolie maison. Une petite madame au sourire chaleureux sortit et serra
longuement mon amie dans ses bras. C’était sa mère. Pour ma part, je n’avais jamais vécu une
situation où être loin de ma mère était normal. Je pouvais partir quelques mois ici et là, mais ne pas
la voir pour plusieurs mois, voire même plusieurs années, m’était complètement inconnu. Je sentais
qu’elles étaient si heureuses d’avoir la chance de se serrer dans leur bras mutuellement. Puis la dame
me salua chaleureusement. Je sentais qu’elle comprenait notre histoire, mais je tentais de me mettre à
sa place, devions-nous dire que nous étions ensemble ? Comment devions-nous définir notre relation
? Car je ne voulais pas manquer de respect envers cette si chaleureuse personne. En même temps,
nous étions assez grands pour savoir ce que nous voulions, et comment nous voulions le vivre.
Nous entrâmes, elle nous avait préparé des sandwichs au homard avec des à-côtés. Nous étions un
peu déçus de ne pas être arrivés avant, mais tout le monde semblait oublier ce détail, car elles étaient
si contentes de se retrouver. La dame me faisait penser à ma propre mère, qui a le désir de rendre ses
enfants heureux, mais aussi, toutes les autres personnes qu’elle rencontre. Car, pour certaines
personnes, il est juste normal de penser que si tout le monde faisait le maximum pour prendre soin
des autres, qu’ils soient de la famille, un ami, ou encore un parfait inconnu, si seulement tout le
monde pouvait le faire pour son prochain, la planète se porterait mieux : d’un inconnu à l’autre tout
simplement. L’énergie que cette petite femme dégageait était si saine, simple. Elle n’était pas le genre
de femme qu’on se demande à quoi elle pense, et elle n’était pas non plus, a priori, le genre de femme
qui dit tout ce qui lui passe par la tête. Tout était simplement simple, tout était beau, tout était amour,
en cette journée de retrouvailles. Puis, après quelques heures de discussions, il était déjà temps de
dormir.

3 octobre 2017

Chaque fois que je me réveillais, Eva me rappelait que c’était la fin. Et chaque fois, un sentiment mi-
figue, mi-raisin s’emparait de moi. D’un côté, j’étais si heureux, fier, transformé, si béni d’avoir eu la
chance de parcourir le Canada en toute liberté comme je venais de le faire. D’un autre côté, je devais
quitter mon amie que j’aimais tant et avec qui j’avais tant appris. J’avais appris sur moi-même, mais
aussi sur la vie en général. J’étais plus grand que jamais.
C’était notre dernière journée ensemble. Mon amie devait aller rejoindre sa meilleure amie à
Moncton, là où elle allait habiter pour les prochains mois. Elles y avaient invité quelques-unes de
leurs copines pour se rassembler et j’y étais invité également. Je me considérais chanceux. En même
temps, je n’avais jamais vécu une soirée de filles depuis toutes mes aventures, c’était juste l’occasion
d’ajouter celle-ci à ma longue liste et je savais que je pouvais partager une coupe de vin et un peu de
humus entre « girls » et avoir beaucoup de plaisir. J’avais toujours été plus compris par les femmes
de toute façon, j’allais être complètement dans mon élément.
Mais avant cela, elle voulait aller voir son père qui habitait tout près. Sa mère était déjà partie
s’occuper de sa propre mère qui avait besoin de soin, elle nous avait laissé un bon « snack » à
déjeuner, puis, après avoir mangé, mon amie partit à son tour. J’étais chanceux de la confiance
qu’elles me donnaient, me laissant seul avec cette grande maison, le grand terrain et la rivière.
C’était le parfait environnement pour écrire. Mais cette fois-ci, au lieu de continuer d’écrire ce récit,
j’écrivis une lettre que je voulais adresser à ma douce amie avant que nous nous quittions finalement,
après plus de deux semaines constamment ensemble. Ce que je fis aussitôt. Je l’intitulai, « Ma pensée
heureuse », en l’honneur de ce sentiment qui m’avait frappé quand je l’avais rencontré, la première
fois, pour toujours me rappeler qu’une relation saine, d’un inconnu à l’autre, celle de rencontrer une
personne qui nous comprend et qui nous appuie vraiment, sans attachement, sans barrière, seulement
l’amour pur, était possible et réel. La voici :

« Salut toi, me pensée heureuse. Je devais absolument t’écrire une note alors que mon départ se
fait imminent. Je ne voudrais jamais te faire pleurer, car ton sourire m’est beaucoup trop
précieux, mais comme le fruit de mon inspiration est ce que j’ai de plus cher, j’aimerais te l’offrir
pour un court moment. Et comme tu inspires mon inspiration, je crois devoir t’écrire ces mots
avant mon départ.
J’aimerais premièrement m’excuser pour un mensonge que je t’ai dit hier en disant que j’ai
pratiquement toujours l’inspiration pour écrire, alors que maintenant, je suis sans mots à l’idée
de me séparer de toi, de tout ce que l’on a déjà construit. C’est seulement un mélange de chance et
de bénédiction qui a pu faire apparaitre ces mots travers tes yeux, si éclatants, ce matin en se
réveillant. D’autant plus que nous savons pertinemment que le moment présent est plus important
que le passé, ou même que le futur, et que nous ne pouvons même jamais savoir ce que l’avenir
nous réserve. Je ne peux que nous souhaiter le meilleur, chérir tout ce que nous avons vécu, toutes
les belles pensées que j’ai en pensant à tout ceci et tout ce que j’apprendrai de toi, que nous
soyons loin l’un de l’autre ou non. C’est pourquoi tu as été, tu es et tu resteras ma pensée
heureuse.

Tu m’as donné des ailes dès notre première rencontre à un point tel qu'après une seule soirée, je
ne voulais plus te laisser partir. Et même si l’on ne se connaissait qu'à peine, par la suite, j’ai pu
chasser toutes les mauvaises pensées qui s’introduisaient dans ma tête, seulement en pensant à la
façon dont je me suis senti en ta présence. Tu m’écoutas parler, tu dégustais mon inspiration avec
tant de compréhension, de compassion, d’empathie. Tu m’as appris à aimer la personne que je
suis, ou du moins, que j’ai déjà été, en si peu de temps, dans un moment où j’aurais dû me
chercher. Tu m’as accepté comme je suis quand j’ai été rejeté comme je n’étais pas. Tu m’as
donné du courage aux moments où j’en avais le plus besoin. C’est pourquoi tu as été, tu es et tu
resteras ma pensée heureuse.

Merci de me faire goûter à ces émotions si pures dans un moment où j’en avais vraiment besoin.
Je t’aime à l’endroit exact où je voulais toucher l’amour. Là où même les anges peuvent envier ces
sentiments sans malice et sans vertu. Là où même les caresses charnelles ne sont même plus
nécessaires, mais où elles sont si agréables à sentir par des frissons qui se multiplient par
millions. Là où le mot amour est trop grand et trop petit à la fois, et ne veut plus rien dire quand
j’ai seulement la chance de toucher ta peau. Tu me redonnes confiance en l’amour que deux
inconnus puissent se partager juste par un sentiment de confiance réciproque ; aimer l’amour et
avoir confiance en la confiance. J’ai souvent cru, dernièrement, que l’humain déshumanisait
l’amour, alors que maintenant, si je pense à toi, je souris, car tu me rappelles que l’amour pur est
la plus grande et la plus inexplicable des forces que l’univers possède. C’est pourquoi tu as été, tu
es et tu resteras ma pensée heureuse.

L’idée de te quitter me ronge de l'intérieur, car ce qu’on a est ce que j’ai toujours voulu et ce que
je ressens pour toi frise la perfection. Tout est simple. Tout est beau. Tout est compris. Tout est un.
Et j'aimerais tout poursuivre. Est-ce que je peux dire que je t’aime ? Certainement… Est-ce que je
peux dire que j’ai été en amour ? Également... Je sais qu’éviter le sujet parait facile, mais je dois
absolument te dire ces mots. Comment me vois-je dans le futur ? Comment je nous vois dans le
futur ? Je n’ai malheureusement aucune réponse présentement. J’aimerais rester auprès de toi,
mais nous avons chacun nos aventures et nos appels respectifs à vivre pour l'instant, et nous le
savons trop bien. Si nous voulons nous revoir, nous allons nous revoir. Si la vie nous amène
ailleurs, ce sera une perte, certes, mais le prix que nous avons gagné à nous connaître est mille
fois plus fort que la souffrance que je devrai endurer par ton absence. Peut-être même que dans
quelques années, nous habiterons dans un château comme princes et princesses, nous ne pourrons
jamais le savoir, mais chaque fois que je penserai à toi, je me sentirai roi. Je penserai au bien que
tu m’as généreusement donné, ton temps, ton énergie, ta personne, ton rire et ton si doux sourire,
les merveilleux moments magiques, les pleurs incalculables, ta façon adorable de parler, mais
surtout l’amour pur que tu envoies envers la personne que je suis et que je veux devenir. C’est
pourquoi tu as été, tu es et tu resteras ma pensée heureuse.

Et j’espère qu'en relisant ceci, une fois que je serai parti, je pourrais être pour un moment ; ta
pensée heureuse également.

Mick-

Après avoir écrit, je me couchai dans son ancienne chambre et l’attendis patiemment un peu nerveux
d’attendre sa réaction. Je réfléchissais à la fin de mon aventure et à comment je l’entrevoyais. Si tout
se déroulait comme je le voulais, nous allions passer une soirée entre amis, puis au lendemain matin,
j’allais me retrouver seul avec Eva et Jym, pour boucler la boucle, comme nous l’avions commencé,
toujours plus fort de jour en jour.
Mon amie revint. Elle était contente d’avoir vu son père après tant de temps. Ses parents, selon la
façon dont elle les décrivait, ressemblaient particulièrement aux miens. Un homme et une femme de
leur génération. Sa mère travaillait exactement dans le même domaine que la mienne, même
département du système hospitalier public, chacune dans leurs provinces respectives. Nous avions
décidément eu un environnement similaire, lors de notre jeunesse, chacun dans nos provinces
respectives. C’était surement un point de plus pour expliquer pourquoi nous nous entendions si bien.
Nous prîmes le temps de cuisiner un repas ensemble, Moncton n’était qu’à une heure de route de toute
façon, nous pouvions prendre notre temps. Nous attendîmes sa mère, puis, mangeâmes tous ensemble.
Encore une fois, j’étais toujours surpris de voir comment cette dame était simple, accessible et
généreuse. J’avais entendu dire que les gens du Nouveau-Brunswick étaient sympathiques et je
pouvais espérer secrètement que tous les gens du monde soient comme elle. Elle était brillante. De
plus, je n’aurais jamais pu me douter qu’elle avait appris le français en vieillissant, car son français
acadien était si impeccable que je ne pouvais pas dénoter d’accent particulier. Pour moi, c’était signe
qu’elle était forte, intelligente et qu’elle avait été capable de bien s’adapter, tout comme sa fille.
Il est, par contre, toujours un peu délicat de me trouver dans une situation où les gens rattrapent le
temps perdu. Je savais que pour le temps que j’allais dorénavant passer avec elle, elle devait
reconnecter avec les personnes qu’elles aiment tant et avec sa nouvelle vie. Je ne devais et je n’allais
qu’être spectateur, même si j’avais en permanence l’envie de parler et d’échanger. Je ne me devais
que de participer quand on me le demandait. Après avoir mangé, nous partîmes avec tout notre
équipement, vers cette mythique ville : Moncton.
Une heure plus tard, nous allâmes rejoindre l’une de ses meilleures amies qui travaillaient chez
Rogers à Moncton. Elles étaient si impatientes de se voir que son amie avait pris sa pause syndicale
pour nous accompagner. De plus, elle avait contacté sa sœur pour nous trouver du Cannabis
rapidement. Donc, nous la ramassâmes à son travail et nous nous dirigeâmes chez sa sœur. J’étais
toujours charmé quand je l’entendais parler français. Ses amis et elles ne parlaient que français
ensemble, même s’il était trop commun de changer d’une langue à l’autre, et même en plein milieu
d’une phrase, à mon grand étonnement. C’était d’autant plus étrange, car, même si mon français est
presque impeccable et que je croyais que mon accent québécois n’était pas trop prononcé, j’étais
définitivement le personnage exotique de la situation.
Nous rejoignîmes la sœur de mon amie et son « boyfriend » qui nous donna le pot. J’étais heureux
d’en avoir pour terminer mon voyage comme je l’avais commencé. Nous échangeâmes un peu, mais
je les laissai discuter alors que les deux chiens étaient si heureux de jouer ensemble. Le couple avait
un "golden-doodle" d’à peine un an qui ressemblait à une énorme boule de poil ambulante, qui
courrait partout, essoufflé et essoufflant Sir Branston qui ne voulait tout simplement pas abandonner.
Après un bout de temps, nous quittâmes et nous allâmes porter l’amie de ma douce Acadienne à son
travail. Elle allait nous rejoindre, plus tard, quand elle allait avoir terminé. Nous arrivâmes à notre
destination finale, cette magnifique petite maison sur la rue West Lane à Moncton, là où le parcours
de cette Acadienne allait enfin être à terme. Je repensais aux conversations que nous avions eues lors
de la soirée aux champignons et j’étais si fier d’elle. Elle avait parcouru un chemin quasi
indescriptible. Nous entrâmes dans la maison et il n’y avait personne. Son amie était partie faire des
commissions et allait revenir sous peu. Je déposai Jym au pied des escaliers et nous allâmes sur la
terrasse extérieure, l’attendre impatiemment. Nous étions tous les deux emballés à l’idée qu’enfin,
elle était ici pour y rester. C’était presque illogique à nos yeux après le quotidien que nous venions
de vivre. Après quelques minutes, son amie arriva.
Elle était grande, blonde, mince. Une ravissante femme qui serra mon amie dans ses bras. Elles
étaient si contentes de se retrouver. J’avais tant entendu parler de leurs histoires et de leurs
péripéties, durant les deux dernières semaines, que je sentais la connaître un peu. Ce qui me surprit le
plus était d’entendre le ton de sa voix calme et posée, et son attitude gracieuse me faisait penser
qu’elle venait d’une autre caste de la société, ou d’une autre époque. Elle était plaisante à entendre et
à regarder. Mais ses manières n’empêchaient pas de ressentir quelque chose de simple et de
chaleureux se dégager de cette personne, comme une aura de sérénité et d’empathie qui pouvait
rejoindre tout le monde autour. J’étais content de la rencontrer.
Je les laissai discuter alors qu’elles s’adressaient à moi quelques fois. Nous fumâmes ensemble.
Elles avaient tant à dire que j’avais l’impression qu’elles voulaient tout se raconter en même temps.
J’étais quand même heureux de savoir qu’elles allaient habiter ensemble. Elles allaient avoir tout le
temps nécessaire pour partager tout ce qu’elles voulaient partager. Puis, une autre femme, plus petite,
mais tout aussi blonde arriva, suivi de cette amie que nous avions vue auparavant. Nous prîmes place
dans la cuisine, au comptoir, ouvrîmes une bouteille de vin et deux pots d’humus. Nous partageâmes
une soirée unique. Pour ma part, c’était toujours d’un inconnu à l’autre.
J’eus l’étrange impression de connecter véritablement avec elles. Comme si j’appartenais davantage
à ce groupe qu’au mien au Québec. Il était très difficile de l’expliquer, mais j’avais l’impression que
ce type de personne, de communauté, d’amies, était davantage lié à ce que je voulais et à ce que je
devais devenir. C’était une relation étrange que j’avais entre le passé, le présent, et le futur qui me
faisait m’interroger sur la relation que j’allais avoir avec mon entourage en revenant, car chaque
personne change à son rythme, moi, je me sentais déjà transformé. Ici, tout le monde semblait déjà
adorer le Mick- nouveau. Celui qui parle ouvertement de spiritualité, d’émotions, celui qui veux
toucher, réfléchir et comprendre. J’espérais seulement pouvoir rester le même Mick- à mon retour.
Car, si je voulais que ma vie reste une aventure, même au quotidien, je devais être ce Mick-, fidèle à
moi-même et à mes valeurs. Car, si ce voyage était concentré sur le Chakra du cœur, ouvrir le mien et
celui des autres, la prochaine étape, pour moi, allait être le chakra de la gorge, c’est-à-dire : dire la
vérité, mais premièrement de m’avouer être la personne que je suis vraiment, et de rester vrai à moi-
même, tout simplement. Car, de toute façon, plus j’étais capable d’être vrai et moi-même, plus je
semblais toucher les gens et plus je m’approchais de l’objectif de ma mission.
Nous buvions du vin et parlions entre filles. Les femmes rattrapaient le temps perdu avec mon amie,
même si j’étais quand même inclus dans toutes les conversations. Nous parlions de tout, nous
abordâmes mon histoire, bien évidemment, mes quêtes spirituelles, mes concepts. Nous étions
heureux de pouvoir échanger nos idées. En tant que nouvel élément du groupe, il était normal que ces
femmes veuillent m’incorporer aux conversations en me posant des questions sur moi, sur mon vécu,
sur mes idées et je tentais de répondre du mieux que je pouvais. Des fois, nous parlions tous
ensemble, et des fois, je discutais intimement, d’une personne à l’autre. Nous avions tous du plaisir.
À un certain point, l’une d’entre elles parlait des difficultés qu’elle éprouvait avec son copain. Il était
si facile, et également difficile, pour ma part, de répondre, car je venais de me sortir d’une relation
tumultueuse et je n’avais que le gout de lui dire « Réveille-toi, il y a quelque chose qui cloche ».
Mais ce genre d’éveil ne se fait que par soi-même. Je tentais alors de lui poser des questions, pour la
guider dans un processus de réflexion trop grand pour se matérialiser en une seule soirée. Ça me
rappelait que j’avais moi-même vécu une situation que je n’étais plus à l’aise de vivre, dans une
ancienne vie, mais que j’étais tout simplement incapable de quitter. Puis, je me rappelais de ma
dernière situation amoureuse tumultueuse et je me disais que dans une situation comme celle-ci, il
fallait absolument bouger. À un certain point je lui dis : « Pour n’importe quel problème, il y a
toujours trois solutions : abandonner, changer ou accepter, et malheureusement, l’une n’est pas
meilleure que l’autre, il y a juste de différentes conséquences ». Elle réfléchit un peu, puis, de fil en
aiguille, nous changeâmes de sujets. C’était difficile de la voir comme cela et j’aurais espéré la voir
épanouie dans sa relation amoureuse, j’espérais sincèrement qu’elle soit mieux, même si trop
souvent, dans une situation comme celle-là, il faut souffrir pour apprendre, et corriger les vibrations
qui nous déplaisent, pour finalement aller, par la suite, mieux.
Puis, l’humus et le vin terminé, les gens repartirent. Nous n’étions que trois à partager le moment,
mais Eva me chuchota que je pouvais aller me coucher également, laissant les deux meilleures amies
ensemble. D’un côté, j’étais un peu choqué, car mon égo aurait espéré que ma douce Acadienne
vienne me rejoindre pour la nuit. Je me disais que c’était mes derniers moments avec elle, car j’allais
repartir au lendemain. Mais je ne devais pas penser à moi, je ne devais qu’être heureux du
dénouement de la situation. C’était peut-être l’alcool qui me faisait réfléchir de cette façon, mais je
respirai profondément, puis les mauvais sentiments passèrent. Après un peu de temps, mon amie vint
s’étendre à mes côtés, et nous nous endormîmes, peut-être pour la dernière fois, l’un collé sur l’autre.
Et nous étions si bien.

4 octobre 2017

Nous nous réveillâmes bien, chez elle pour une fois. Même si nous avions tous les deux appris que
notre domicile était tout simplement nous-même, indépendamment d’où l’on était, il est quand même
bon de se sentir à la maison à certains endroits. Pour elle, c’était enfin le cas. Elle allait habiter où
nous étions, après tout ce temps. Même Branston était habitué de vivre dans la voiture. Quand on lui
disait : « go home », il savait qu’il devait entrer dans le véhicule. Nous n’avions pas de plan, pas
d’objectif en ce matin. Nous voulions manger à un petit restaurant végétarien du coin, comme on le
faisait si bien ailleurs. Pour ma part, je devais partir, mais il m’était si difficile de le faire
réellement. Je ne voulais passer qu’une heure de plus en sa compagnie, et encore une autre. Mais je
devais couper le cordon et partir, tôt ou tard. C’était si difficile.
Nous regardâmes quelques émissions sur son ordinateur, emmitouflé dans les couvertures de son
nouveau lit. Nous ne voulions pas bouger. Puis, près de midi, nous nous levâmes pour entreprendre
notre journée. Nous savions ce qui s’en venait si rapidement. Nous fîmes un tour de la ville
rapidement, elle voulait me montrer certains endroits. J’en étais ravi, Moncton était tout simplement
magique en ce début d’octobre. Cette grande ville, à l’allure d’une petite, était tout simplement
splendide, alors que chacune de ses rues avait un cachet simple et réconfortant. Elle m’emmena, par
la suite, à la plage Parlee de Shédiac.
Nous n’avions pas beaucoup de temps, mais elle voulait absolument être témoin de ma rencontre avec
l’océan Atlantique. Après environ trente minutes en auto, nous y étions rendus, elle, Branston, Eva et
moi. Nous nous approchâmes du rivage alors que la plage était quasi déserte et s’étendait presque à
perte de vue. Le bleu de l’océan, devant moi, m’était si peu familier. Même si, quelques semaines
auparavant, je touchais au Pacifique, l’Atlantique me semblait tout aussi beau, mais d’un différent
esprit. J’enlevai mes souliers aussitôt. Bien que nous fussions maintenant en octobre, l’eau était tout
simplement plus chaude que ce à quoi je m’attendais. Mes deux pieds étaient maintenant dans l’eau,
alors que je sentis tout de même mon cœur s’arrêter pour un moment. Non pas parce que c’était
désagréable, au contraire, mais parce que je sentais que c’était le but géographique ultime de ce
périple. Celui d’avoir parcouru le pays, comme son slogan le dit si bien, d’un océan à l’autre. Je
sentais que c’était la fin. Je sentais que j’avais maintenant vécu ce que j’avais à vivre. Je pouvais
maintenant lâcher prise sur ma propre histoire, sur ma propre mission. J’étais si fier que j’étais déjà
prêt à repartir à la maison. J’avais parcouru des milliers de kilomètres, sans voiture, pour faire
connaissance avec les principaux océans qui entouraient mon pays. Pour moi, c’était si spécial. Je
fermai les yeux un instant, puis les rouvris. Regardant l’infini de l’étendue d’eau à perte de vue, je
pris une grande respiration pensant à tout ce que je venais d’accomplir. Je n’avais pas besoin
d’exprimer ce que je ressentais, car tous ceux qui me connaissaient savaient très bien de quoi il était
question. Puis, je revins vers le sable chaud. Nous prîmes le temps de profiter de la magnificence de
l’endroit avant de repartir vers Moncton.
Par la suite, nous allâmes manger une bouchée au Calactus, ce petit restaurant que nous trouvâmes si
chaleureux. C’était le restaurant végétarien biologique du coin, il allait alors être son préféré, j’en
étais déjà sur, alors qu’elle allait construire sa vie dans la région pour un temps.
Puis, passé trois heures, je devais absolument partir. Le soleil se couchait déjà, pratiquement vers les
sept heures, il ne me restait déjà plus beaucoup de temps pour lever le pouce. Mais dans l’état que je
me trouvais, je n’avais pas le gout que cela finisse, je n’avais pas le gout de rencontrer de nouvelles
personnes. J’aurais tant aimé que le temps ne s’arrête que pour quelques heures encore, mais même si
j’espérais une prolongation, ça n’aurait que délayé ce moment inévitable, alors que le temps est
intemporel, le moment était déjà bien écrit quelque part. Puis, elle alla me porter à trente minutes de
là, près de Shédiac, pour me laisser aller. Nous en étions silencieux de tristesse.
Depuis le début de ce voyage, je lui avais dit « I love you » déjà plus de dix fois, sans réponse, et,
sans non plus d’attente en retour. Alors que pour beaucoup de personnes, ces mots sont trop lourds
pour être mentionnés trop souvent ou à n’importe qui, depuis le début de mon aventure, je les avais
lancés, sincèrement toutefois, à à peu près tout le monde. Car l’amour, simple comme il se doit d’être
est léger, et se doit tout simplement d’être souligné. Même si l’on peut aimer à différents degrés, ou
de différentes façons, la sémantique de la chose ne nous permet pas d’exprimer, en si peu de mots, la
complexité de ce sentiment qui englobe simplement tout. C’est pourquoi j’aimais mieux offrir ces
mots dès que je le ressentais, au lieu de le garder pour le bon moment. Car, de toute façon, ces mots
ne perdront jamais de valeur à mes yeux et le bon moment peut être trop éphémère, ou, tout
simplement déjà trop tard.
Mais cette fois-ci, je voulais voir comment elle allait agir. Elle pleurait et je voulais m’assurer
qu’elle soit mieux, qu’elle comprenne comment je voyais les choses, et qu’elle garde espoir que
notre histoire ne soit que positive, du début jusqu’à la fin. Nous sortîmes du véhicule, tout près de la
sortie de l’autoroute, puis elle s’avança vers moi, me regardant dans les yeux. Je la trouvais si belle.
Dans ces moments, on peut avoir l’impression que le temps s’arrête pour quelques instants, alors que,
pour ma part, tout ne s’était déroulé que trop vite. Elle me dit en français « Je t’aime » puis elle
m’embrassa. J’étais un peu surpris, je lui répondis « Je t’aime tellement ». Puis, même si nous étions
si tristes de nous quitter, en l’instant d’un clin d’œil, elle était déjà partie, et j’étais seul, attristé, au
bord de la route, en direction de l’Île-du-Prince-Édouard.
Le soleil était déjà bas et il ne me restait que quelques heures pour me trouver un endroit où dormir.
J’étais tout de même excité de reprendre l’aventure après tant de temps, accompagné de mes fidèles,
mais discrets compagnons ; Jym et Eva. Pour moi, l’aventure était déjà terminée, et visiter les
provinces de l’Atlantique pour quelques jours n’était qu’une récompense en soi. Jym était ankylosé
par son inaction des derniers jours, même si la tente avait été plus qu’utile, alors qu’Eva pleurait à
peu près autant que mon amie acadienne. Je savais qu’au fond de moi, nous ne voulions rencontrer
personne, nous ne voulions qu’être seuls. Même si j’avais mentionné plusieurs fois, depuis le début
de mon aventure, qu’il fallait que je vive à peu près tout, même d’être pris à dormir aux abords de
l’autoroute par immobilisme, je ne croyais pas que cela allait se produire. Mais je sentais, sur le
coup, que j’avais certains problèmes à manifester un parcours social, comme à l’habitude.
Quarante minutes plus tard, une vieille bagnole s’arrêta devant moi, alors qu’un jeune couple
parcourait l’autoroute. Il m’embarqua tout de suite, alors que j’insérai de force Jym, qui avait à peine
de place pour y entrer. J’étais content, par contre, d’avancer. Nous parcourûmes seulement dix
minutes avant qu’ils me débarquent. Ils s’excusèrent de la courte distance, alors que j’étais tout de
même heureux de l’aide apportée. De plus, ils fumèrent le calumet de la paix avec moi, j’étais quand
même bien, même si je me sentais si solitaire.
Ils repartirent, me laissant littéralement sur le côté de l’autoroute. Je ne m’en faisais pas vraiment,
plus rien ne pouvait m’atteindre. J’avais affronté la solitude, la séparation, les failles d’un système
installé, j’avais parcouru des milliers de kilomètres, plus rien ne pouvait m’arriver.
J’attendis quelques heures, jusqu’à tant que le soleil se couche complètement. Personne ne semblait
vouloir s’arrêter. Il était vrai que si l’on compare avec l’Ouest, l’endroit était moins habitué de voir
des gens lever le pouce comme je le faisais, et, le soir, le scénario, pour des gens moins habitués,
pouvait être effrayant. Je marchai tout de même jusqu’au lampadaire le plus proche et continuai pour
deux autres heures avant de me résigner. Je sentais que je devais vivre ce moment exactement comme
il était. Et il allait être un élément si complémentaire à mon aventure qui n’avait pas arrêté de bouger
depuis le tout début. Mon amie m’offrit de revenir me chercher pour qu’on passe la nuit ensemble,
comme je n’étais pas loin, mais je ne voulais pas revenir sur mes pas, et, de plus, je n’aurais pas été
capable de la quitter à nouveau. Je lui promis, par contre, que j’allais repasser la voir une dernière
fois en revenant vers le Québec.
Je traversai l’autoroute et pris un petit chemin de terre qui allait vers la forêt. J’y trouvai une
minuscule piste de véhicules récréatifs avec des virages serrés et quelques buttes pour sauter. Je
savais déjà que c’était l’endroit idéal pour y établir mon campement.
J’allai proche des arbres et y installai ma tente très rapidement. J’y fis entrer Jym, puis allai un peu
plus loin, près d’une des buttes de sable. Je n’avais jamais encore mangé sur un feu de camp, depuis
mon départ, et j’avais une grille. C’était le temps d’essayer. Je rassemblai plusieurs brindilles et
branches de plusieurs tailles. Puis, je grattai toutes les feuilles mortes aux alentours que je plaçai
sous le bois. Puis, je les allumai à l’aide d’un briquet, tout simplement. Le feu prit instantanément, et
je l’alimentai avec des billots de plus en plus gros. En quelques minutes à peine, je pouvais y
déposer mon chaudron que je plaçai sur la grille, installé sur deux billots de bois parallèles l’un à
l’autre. Je mangeai des bines qui furent délicieuses. Puis, j’éteins le feu, avant de retrouver ma place
à l’intérieur de ma maison de toile, seul dans les bois, un peu tristes, en direction de l’Île-du-Prince-
Édouard.

5 octobre 2017

Un autre réveil très doux me remit sur pied aussitôt. J’étais toujours inquiet de me faire prendre et de
faire ralentir ma course par les policiers, ou par des motocyclistes qui auraient voulu profiter de la
piste où j’étais. Je ne dérangeais certes pas, mais certaines personnes sont si possessives avec leurs
« biens privés » qu’on ne sait jamais à quoi s’attendre. Mais rien d’anormal ne se produisit. Jym et
Eva étaient si excités à l’idée de partir, car il était presque sûr que j’allais toucher à une huitième
province, soit l’Île-du-Prince-Édouard. De plus, je me dirigeais tout droit vers l’un des plus grands
ponts au monde : le pont de la confédération. Pour moi, c’était tout un défi de le traverser à pied, car
il mesure plus de douze kilomètres, pour les besoins de la cause et pour ma sécurité, je devais le
faire, accompagner par quelqu’un. Mes soucis de la veille laissaient lentement place à un peu
d’espoir. Assez pour me pousser à repartir aussi tôt que possible.
J’allai au même endroit où mes tentatives n’avaient pas fonctionné la veille. Puis, après quelques
dizaines de minutes, une voiture s’arrêta. Trois jeunes femmes dans une fourgonnette me demandèrent
d’y entrer. Ils me dirent, a priori, que c’était l’un de leurs objectifs de faire monter un autostoppeur et
que j’étais l’heureux élu. Puis, nous partîmes tous ensemble. Elles se dirigeaient également vers
Charlottetown, là où je voulais m’arrêter pour la nuit. Une heure plus tard, nous étions déjà en train
de passer le fameux pont, puis je fus déjà de l’autre côté.
Mes bonnes samaritaines étaient allemandes et, entre deux sessions universitaires, avaient loué une
caravane pour explorer l’entièreté du Canada. Elles semblaient fortes et brillantes, à l’image de leur
peuple si intense et si fier. J’avais connu une Allemande à l’école secondaire à Sainte-Julienne, et
seulement par sa détermination, même si elle ne connaissait que la base de notre langage, elle
réussissait mieux que la majorité des gens en français, car les Allemands, selon moi, sont travaillants
et dévoués à leur cause. Bref, nous jouâmes à un jeu de devinette en auto, et habituellement, j’eus
toujours l’impression d’être quelqu’un d’allumé, alors que cette fois-ci, je me sentais un peu lent, car
le jeu était complexe et je me sentais introverti pour une fois.
Ce jeu consistait à mentionner que l’on part en voyage avec une seule chose. Et chaque personne doit
mentionner, par la suite, une chose différente pour savoir si l’on peut également partir avec la
première personne. Donc, le but du jeu est de trouver un objet qui peut être associé avec le premier
objet, selon le critère prédéfini et gardé secret par la première personne qui parle. Mais le lien peut-
être n'importe quoi. Par exemple simplifié, si la première personne qui parle veut partir avec un
cochon, elle a peut-être dans la tête de partir avec tous les animaux de la ferme, ou encore, avec tout
ce qui est rose. Et après que tout le monde ait fait une tentative, le meneur nomme qui peut partir avec
lui, puis nomme une autre chose en rapport avec la règle pour filer l’énigme, alors que les autres
continuent leurs tentatives pour trouver le lien.
Je suis une personne qui pense à l’extérieur de la boîte, habituellement, donc, par exemple, à mon
tour, j’ai opté pour jouer avec tout ce qui est vide ou transparent, mais ce fut si facile pour elles.
L’une d’entre elles amena le jeu à un autre niveau. À son tour, la règle qu’il fallait trouver était
d’amener quelque chose qui commence par la lettre qui suit la première lettre de chacun de nos
prénoms respectifs. Donc pour moi, c’était un N, mais pour les autres, c’était tout différent. Ce fut si
difficile de trouver le lien, surtout que je ne me souvenais déjà plus de leurs noms. Je fus le dernier à
trouver celui-ci. Après quelques rondes, nous étions déjà rendus à Charlottetown sur l’Île-du-Prince-
Édouard, et je leur demandai de me déposer quand ils s’arrêtèrent près d’un Walt-Mart. C’était une
belle expérience, mais enfin je pouvais être seul pour la journée.
Charlottetown fut tout simplement féérique. L’une des plus belles villes avec laquelle j’eus la chance
de faire connaissance depuis longtemps. Une architecture unique, une histoire, une énergie sereine et
accueillante me surprenait. Je me mis à marcher dans la ville. Je voulais, comme à l’habitude,
découvrir tout à pied, charger mon cellulaire, y trouver un bar, rencontrer des gens, et trouver une
place où dormir. Je m’arrêtai tout d’abord à un Tim Horton’s non loin de là. J’étais si fier de marcher
avec Jym sur les épaules. Je continuai ma route, par la suite, marchant vers le centre-ville de cette
merveilleuse ville qui me semblait si paisible. Les gens qui semblaient si heureux d’y habiter me
saluaient tout en passant. Je rencontrai deux personnes qui semblaient « de la rue » et qui m’offrirent
une gorgée de whisky. C’était comme si j’avais retrouvé mon paradis, d’un inconnu à l’autre.
Après quelques heures, j’allais dans un petit Pub irlandais où je bus quelques bières. Je voulais
quitter pour continuer à voyager, mais je trouvais l’endroit chaleureux et le ciel commençait à se
couvrir. Puis, de fil en aiguille, une bière après l’autre, je me mis à discuter et à connecter avec un
homme chauve qui se tenait proche. Il était un peu plus vieux que moi, sans plus. Il était directeur
d’une grande firme de télécommunication. Nous discutâmes de travail et d’argent. Il était en train de
réaliser que le dénouement de sa vie n’allait pas passer par le dénouement de sa carrière et qu’il y
avait des choses plus importantes. Il appréciait la vie et était un peu fatigué du stresse de son travail.
Il avait une femme, des enfants et avait toujours visualisé sa vie en termes d’études, de progrès, de
carrière, d’accomplissements, et j’avais été dans ses chaussures une bonne partie de la mienne. Nous
nous sentîmes très proches pour un instant. Je sentais qu’il se sentait coupable face à la vie, car il
hésitait sur les valeurs populaires, alors que les siennes tombaient en morceaux et se reconstruisaient
d’une autre façon. Nous fumâmes un joint ensemble en discutant. Il se sentait coupable face à sa
femme, car il devait revenir à la maison rapidement, mais j’avais l’impression que notre rencontre
n’était pas anodine. Je lui montrais définitivement que l’on peut avoir une tête sur les épaules en
aillant un moment de répit face à ce système impartial, pour faire les choses à sa façon, et il me
montrait que mon aventure n’allait jamais vraiment se terminer, que tout venait par vague, comme
l’onde de n’importe quelle vibration, comme le battement d’un cœur qui bat vers l’intérieur et
l’extérieur. Nous nous sentions bénis. Après un moment, il disparut, sans crier gare.
Avant de partir, il me présenta à un vieil homme qu’il connaissait, sur le coin du bar. Donc, je revins
vers lui pour discuter. Il semblait insister pour me dire ce que je devais absolument voir dans la
région et ce que je devais absolument faire. Comme je me disais que je n’avais pas beaucoup de
temps, je discutai avec lui seulement pour discuter. Car, à l’entendre parler, il vivait beaucoup dans
le passé et dans le futur, mais j’aurais aimé savoir comment il se sentait ou, au moins, comment il me
voyait dans le moment présent, d’un inconnu à l’autre, sur le coin du Old Triangle de Charlottetown.
Mais des fois, l’alcool ne jouait pas en ma faveur. Il ne me laissait que peu parler.
Je regardai dehors et il faisait noir, alors que j’avais déjà englouti quelques bières, je décidai d’aller
me promener, car je devais absolument trouver une place où dormir. Je saluai tout le monde que j’eus
la chance de rencontrer et partis rapidement. Quelques rues plus loin, je vis un minuscule boisé. Il
devait faire cent mètres sur cinquante mètres, juste à côté d’une école abandonnée et d’un bâtiment
maçonnique. J’empruntai les sentiers du minuscule parc pour aller en son cœur, et montai à moitié ma
tente, que j’accotai sur un arbre, puis, je l’enveloppai de ma toile verte foncée. Je fus tout simplement
invisible. Je m’y couchai aussitôt.
Je me levai au beau milieu de la nuit, incapable de m’endormir de nouveau. J’avais si soif. Je laissai
mon équipement caché et explorai les rues pour aller au petit magasin ouvert le plus proche. Il était à
environ quinze minutes à pieds. Je me sentais si bien, marchant dans les rues désertes de la paisible
ville de Charlottetown, au beau milieu de la nuit, visitant à la fois l’ombre comme la lumière.
J’achetai une grosse bouteille d’eau et la bue en chemin vers ma tente. Près du boiser, je pris garde
de ne pas me faire voir, puis j’empruntai de nouveau les sentiers. Il me prit quelques minutes pour
trouver ma tente tellement qu’elle était bien cachée et je m’endormis aussitôt, encore pour quelques
heures.

6 octobre 2017

J’entendis des voix tout autour. Des gens utilisaient les minuscules sentiers que j’avais empruntés
pour dormir. Je sortis de ma tente aussitôt pour être témoin de la situation. Les gens étaient loin et le
soleil commençait à peine à se lever. Pour ma part, je me sentais en pleine forme. Je devais revenir
au Québec pour le 10 octobre et je n’avais plus le temps ou l’argent pour toucher à Terre-Neuve qui
était si grande. Je devais me résigner à ne toucher que neuf des dix provinces canadiennes.
Je m’assurai que personne n’était autour, avant, et d’être discret pour réorganiser mon équipement.
J’étais, tout de même, surpris de fierté quand je vis ma tente si bien cachée par ma bâche. Même à la
lueur du soleil, il fallait vraiment s’y arrêter pour voir qu’il y avait un campement d’établi dans ce
minuscule boisé au beau milieu de Charlottetown.
Après avoir rapidement tout assemblé Jym, j’allai à la petite école abandonnée, juste à côté d’où
j’étais et y fumai un joint, pour bien commencer la journée. Le soleil était déjà très clément, et je
sentais que la journée allait très bien se dérouler. Je ne savais pas où j’allais aller ou encore où
j’allais terminer ma journée, comme à l’habitude, mais j’étais encore plus certain d’où je venais et
c’était l’important. Je me dirigeai vers la sortie d’autoroute la plus près, rebroussant quelque peu le
chemin que j’avais parcouru la veille. Mon but ultime était de faire le tour de la « Cabot Trail » et de
revenir à la maison. J’étais si près du but.
J’attendis vingt minutes, le pouce en l’air, devant un paysage Idylique ; le sable rouge de l’Ile-Du-
Prince Édouard était simplement un miracle à mes yeux, alors que la mer et le ciel se séparaient
parfaitement et distinctement sur l’axe de l’horizon. Je serais resté au même endroit toute la journée,
simplement pour le contempler, mais je devais tout de même avancer. Puis, une voiture ralentit
devant moi. L’homme au volant de celle-ci me faisait des signes ; je crus comprendre qu’il voulait
me communiquer qu’il allait repasser. Mais le temps que prit mon cerveau à comprendre, il était
reparti et la prochaine voiture s’arrêta complètement. Un vieil homme m’y fit entrer. Il me dit qu’il
n’allait pas très loin, mais qu’il allait m’aider, au moins, à sortir de la ville. J’étais heureux, car la
sortie des villes était toujours les endroits les plus difficiles pour y lever le pouce.
Je discutai un peu avec lui, le remerciant de sa gentillesse. Il était heureux de pouvoir aider. Nous
parlâmes des environs ; des maritimes. Pour moi, tout était nouveau : les paysages, la culture,
l’attitude des gens. Autant que je sentais que les gens, ici, étaient très authentiques, autant que je
sentais qu’ils étaient un peu plus réticents à m’embarquer. Mais le vieil homme, pour sa part, n’était
qu’heureux de pouvoir m’aider. Je soulignai à haute voix que le sable rouge, pour moi, était tout
simplement un miracle de la nature. Il prit un peu de temps pour réfléchir à mon affirmation et me
donna ensuite raison. Pour lui, c’était peut-être si normal, alors que pour moi, c’était grandiose. Dix
minutes plus tard, il me débarqua. Il me suggéra de continuer jusqu’au traversier, au bout de
l’autoroute, pour traverser vers La Nouvelle-Écosse. Je fus emballé à l’idée de prendre le traversier
encore une fois. À chaque fois, je me sentais comme un aventurier antique qui voyageait en bateau.
Peut-être l’avais-je déjà été au cours d’une autre vie.
L’homme me laissa directement sur l’autoroute, j’avais encore une heure à parcourir pour me rendre
au port le plus près. Il était encore tôt le matin et j’étais sûr de me rendre le plus loin possible. Il
allait peut-être être difficile de me rendre jusqu’au Cap Breton, comme je le voulais, mais je ne
savais jamais vraiment à quoi m’attendre et c’était la beauté de la chose.
Cinq minutes plus tard, une autre voiture s’arrêta. Un jeune homme, dans la trentaine, mince, portant
une chemise noire de travaille, cheveux courts et un immense sourire me demanda d’entrer. Il me dit
que c’était lui qui m’avait fait des signes un peu plus tôt. J’étais ravie de le revoir. Il me confia que
quand il avait vu le vieil homme s’arrêter pour moi, il croyait ne pas me revoir. Il était content de
pouvoir m’aider, il m’avoua qu’il avait fait beaucoup d'autostop dans sa vie et qu’il adorait
maintenant aider tous ceux qu’il pouvait. Puis, il me demanda où j’allais. Je lui répondis que j’allais
prendre le traversier pour me rendre à la Nouvelle-Écosse, et qu’après, j’allais continuer ma route
tout simplement. Il me dit alors qu’il pouvait bien faire le détour pour s’y rendre.
L’homme était très sympathique. Nous parcourûmes environ une heure ensemble sur l’Île-du-Prince-
Édouard. Nous étions heureux de partager nos expériences d’autostop. Pour lui, c’était à l’aide
d’histoires similaires à la mienne qu’il avait appris l’importance de se tenir les coudes, tous
ensemble, d’un humain à l’autre, d’un inconnu à l’autre. Que si tout le monde s’aidait, ne serait-ce
qu’un tant soit peu, le monde serait meilleur. Car, il avait tout simplement été dans des situations où
les gens l’avaient aidé. On est souvent aidé seulement quand on veut l’être et c’est en se mettant dans
une position où l’on accepte inconditionnellement l’action des autres, qu’on réalise qu’un petit geste
peut réellement faire la différence dans la journée de quelqu’un, peut-être même dans sa vie. Et je
n’oublierai jamais réellement tous ceux qui ont pu contribuer, de près ou de loin à cette aventure. Car
ils sont de bonnes âmes. Et la meilleure façon de leur rendre hommage sera de redonner, à mon tour.
Si tout le monde pouvait faire partie de cette chaîne de donner au suivant, nous nous rendrions compte
que nous sommes effectivement tous liés quelque part.
Nous nous rendîmes jusqu’au port Northumberland où le traversier allait m’embarquer. J’achetai mon
billet. Mon nouvel ami resta avec moi, un peu, le temps de continuer nos conversations. Il disait
qu’il allait peut-être arriver en retard au travail, mais qu’il voulait profiter du moment. J’admirais
son attitude. J’avais toujours besoin de rencontrer des gens qui avaient soif de rencontrer d’autres
gens et d’échanger, d’un inconnu à l’autre. C’était notre façon de connecter avec ce lien qui nous unit
tous ensemble.
Après un moment, nous devions nous quitter. Nous nous remercions, et nous nous dîmes que nous
nous aimions. Puis, il partit vers son camion, alors que j’embarquai dans le bateau qui s’approchait
du quai.
Ce fut un court voyage qui fut relaxant. Sur le pont, je me laissai bercer par les vagues du chemin
maritime, de l’Île-du-Prince-Édouard à la Nouvelle-Écosse. Puis, d’un moment après l’autre, je
touchais une neuvième province et c’était la dernière que je pouvais connaître, car Terre-Neuve
m’était définitivement inaccessible.
De l’autre côté, je débarquai du bateau, emballé par l’idée d’aller le plus loin possible dans la
Nouvelle-Écosse. Je voulais faire vite, sortir le premier pour lever le pouce devant le plus de
véhicules possibles, car Eva m’avait fait remarquer qu’il y avait un nombre très limité de véhicules
dans le stationnement du port, et que si je manquais mon coup, je pouvais être pris dans le coin pour
un bon bout de temps.
Malheureusement, les piétons furent appelés à une sortie différente du bateau, et au comble du
malheur, la sortie était tellement étroite que j’eusse toute la misère du monde à y faire passer Jym. Je
touchai le sol de la Nouvelle-Écosse alors que je voyais les voitures quitter le port les unes après les
autres. Je devais faire vite. Je marchai d’un pas rapide vers elles, m’installai sur le côté de la route,
en sens inverse du trafic, et levai le pouce tout en continuant de marcher.
Je voyais toutes les voitures passer à côté de moi et c’était la première fois que je sentais que devais
absolument être pris, car la prochaine ville était à près de dix kilomètres. J’allais en avoir pour des
heures à marcher durement avec Jym sur les épaules. Les autos défilaient devant moi, et je voyais le
stationnement du port, au loin, se vider tranquillement. Après un moment, il n’y avait plus d’auto qui
passait. Il n’y avait que moi, sur le bord de la route, devant un stationnement quasi vide. Je me
demandais alors si je devais prendre un taxi pour me rendre à la prochaine ville, au moins pour avoir
la chance de croiser quelques véhicules. Je pouvais aussi décider de marcher et appréhender ce qui
allait m’arriver ; garder le cap et ne pas capituler pour payer un moyen de transport. Je décidai de
continuer un peu. Il était midi et j’avais encore du temps devant moi. Je ne voulais absolument pas me
faire pousser par le temps. J’étais conscient qu’il fallait que je sois de retour pour une certaine date,
mais jusque-là, je devais continuer de jouir de chaque moment.
J’attendis encore quinze autres minutes, un peu découragé de ne plus voir de véhicule passer. Jusqu’à
tant que je voie un petit pick-up qui s’arrêta tranquillement près de moi. L’homme, à son bord
arborait, un sourire si chaleureux. Je le remerciai tant de fois alors qu’il me dit aussitôt que c’était un
endroit très délicat à faire du pouce, car il n’y avait plus beaucoup de passants. Je lui répondis que
c’était pourquoi je le remerciais autant. Il venait de me sauver trois à quatre heures de marche
environ. Nous rîmes ensemble.
L’homme se présenta. Il était à peu près de ma taille et était bien bâti. Sa casquette cachait ses
cheveux rasés courts, et il portait une chemise à carreaux. Mais ses yeux et son sourire montraient une
empathie, une sensibilité et une joie de vivre que j’avais rarement vues auparavant. Il me confia qu’il
revenait d’aller voir sa belle-mère à l’hôpital. Sa femme et lui faisaient le trajet, chacun à leur tour,
entre l’Ile-du-Prince-Édouard et la Nouvelle-Écosse pour prendre soin d’elle. Il était fier de me dire
qu’il ne payait jamais pour le traversier. Il stationnait son camion dans le stationnement approprié du
port et demandait à un camionneur s’il pouvait embarquer avec lui, ou dans sa boîte, tout simplement.
J’étais stupéfait de voir qu’un automobiliste utilisait une stratégie qui se serait si bien appliquée à ma
situation. Quoique, dans mon cas, même si en levant le pouce, je demande un moyen de transport,
dans les faits, je ne demandais vraiment jamais officiellement à quelqu’un, à voix haute, de
m’embarquer. Ça n’allait que de soi.
Il m’avoua qu’il faisait la route assez souvent, ces temps-ci, et qu’il n’avait jamais payé le traversier.
Cinquante dollars, plusieurs fois par semaine, représentait une énorme somme d’argent, surtout pour
ensuite aller prendre soin de quelqu’un qu’il aimait, si loin. Sinon, il vivait une vie bien tranquille
avec sa femme. Je lui racontais la mienne et il aimait beaucoup ce qu’il entendait. Il aimait le plein
air, tout comme moi. Nous parcourûmes environ quarante minutes, devant les magnifiques paysages
de la Nouvelle-Écosse. Bien que le mois d’octobre fût entamé, l’herbe me semblait encore si verte,
peut-être même plus qu’ailleurs. On dit souvent que l’herbe peut sembler bien plus verte ailleurs, et
dans la société de comparaison dans laquelle nous vivons, il est important de toujours remettre les
choses en perspectives. Mais cette fois-ci, c’était littéralement le cas. Les arbres de leur côté
changeaient tranquillement de couleur, produisant les plus beaux paysages de la région. J’avais
l’impression d’être à la bonne place, au bon moment. Car à la base, je ne devais même pas voir les
maritimes, et maintenant j’y étais, au plus beau moment de l’année.
Mon nouvel ami semblait m’envier de ne pas savoir où j’allais dormir et de pouvoir le faire dans la
nature sauvage. Il avait l’âme aventurière, tout comme moi, et comme je devais le faire bientôt, pour
sa part, il s’était déjà rangé dans un train de vie quotidien, celui où le système et la vie nous amènent,
tôt ou tard, si l’on veut un peu de « stabilité ». Il me demanda alors spontanément si je voulais arrêter
pour boire une bière. J’acceptai son offre, bien entendu. Il me confia qu’il faisait quelques arrêts pour
boire quelques fois, pour prendre une pause de la route qu’il parcourait généralement seul. Il ajouta
que ça lui faisait plaisir de m’en offrir une et qu’il voulait absolument passer un peu de temps avec
moi. J’étais flatté. Même si je sentais que c’était la fin de mon aventure, je sentais que j’y goutais
pleinement, encore une fois.
Nous nous arrêtâmes à un « liquor store », tout près d’Antigonish et il nous acheta deux grosses
cannes chacun. J’avais l’impression que tout le monde avait sa façon de gérer l’alcool et la conduite.
Je savais qu’avec la quantité d’alcool qu’il avait acheté, rien n’était dangereux et je n’étais
certainement pas la meilleure personne placée pour lui en glisser un mot. Je lui mentionnai, quand
même, qu’il fallait faire attention, car l’alcool nous pousse toujours à croire qu’on est capable de le
faire, alors que dans les faits, elle nous donne l’effet contraire. Pour sa part, il me dit qu’il ne buvait
pas en conduisant, qu’il attendait toujours un peu avant de partir. Pour la mienne, de toute façon, ma
vie n’aurait pas pris ce tournant si je n’avais pas commis cette erreur. À chaque personne ses
épreuves, chaque mauvais moment est professeur et peut apporter un changement unique dans le
destin de chacun. Et je savais que j’étais toujours en sécurité.
Nous partageâmes ces deux bières, ainsi que nos histoires, à l’intérieur de sa camionnette, alors que
je le trouvai si ouvert et sympathique. Je savais que nous n’étions pas loin d’où il allait me laisser,
mais encore une fois, je ne voulais pas le quitter aussi tôt. Sa personnalité prouvait, encore une fois,
pourquoi j’avais décidé de parcourir le pays d’un océan à l’autre, et surtout d’un inconnu à l’autre.
Il me demanda soudainement de me taire, car il voulait passer un coup de fil. Je me tus. Il appela sa
femme et lui dit qu’il avait pris le prochain traversier, car il s’était frotté à une certaine densité de
circulation. C’est pourquoi il allait arriver en retard. Pendant que ce mensonge sortait de sa bouche,
il me regarda et me fit une grimace, surement pour s’excuser de ce mensonge et pour confirmer notre
complicité. Puis, après avoir discuté quelques minutes avec elle, il termina la conversation, fier et
content de la situation. Il me dit aussitôt que nous allions continuer notre « road trip ».
J’étais heureux d’avoir rencontré quelqu’un qui connaissait le coin et qui voulait simplement
partager, comme s’il avait senti que j’étais prêt à connecter. Parfois, ce n’est pas notre cœur, notre
corps ou notre cerveau qui réfléchit, mais bien notre âme. Pour moi, c’est ce qu’on peut appeler le
subconscient. Notre cerveau et notre cœur peuvent suivre la réaction de l’âme, sans même se
demander pourquoi. D’après moi, son âme avait reconnu la mienne, et voulait s’y coller pour un
moment, sachant très bien que c’était peut-être la seule et dernière fois que nous allions nous voir.
Puis, il rigola. Il me montra son téléphone à « flip ». Celui qui se plie en deux pour se refermer. Il me
dit que c’était la plus complexe des technologies qu’il connaissait. Nous en rîmes. Il ne voulait rien
savoir des téléphones intelligents. Il disait qu’ils étaient peut-être intelligents, mais ces appareils
nous rendaient stupides. Nous prîmes quelques photos ensemble, il me demanda de lui envoyer, pour
qu’il puisse les avoir sur son ordinateur de la façon la plus simple possible. J’acquiesçai à sa
demande.
Un bout de temps après avoir terminé nos bières, nous repartîmes de ce stationnement pour continuer
la route. Je ne pouvais pas savoir jusqu’où il allait m’amener, et je ne croyais pas qu’il ne le savait
également. Nous n’étions qu’heureux de partager ce moment ensemble. Nous passâmes devant la
route où il aurait dû aller pour retrouver sa femme. Il décida de continuer, voulant passer un peu de
temps supplémentaires avec moi. Il me racontait que même si la vie, pour tous, était parsemer de
problèmes, pour lui, sa situation amoureuse n’en était pas un. Il vivait avec son premier amour. La
femme qu’il avait rencontrée à l’école secondaire. Ils construisaient une vie ensemble depuis. Il avait
des enfants, partis de la maison depuis peu. Même s’il semblait jeune, je pouvais croire qu’il avait
engendré jeune. Maintenait, il avait davantage de temps pour lui, même s’il devait s’occuper de sa
belle-mère, qu’il connaissait depuis tout le temps. Il m’expliqua que ce n’était pas grave ; le petit
mensonge qu’il lui avait donné. Bien qu’elle soit triste par rapport à la situation de sa mère, elle
n’était pas le genre de femme contrôlante. Et il était très bien avec elle. Ils se comprenaient.
Plus nous avancions et plus il se voyait camper avec moi. S’il était prêt à aller jusque-là, je l’aurais
accueilli à mon futur campement sans hésiter. Il était si sympathique. Mais je savais qu’il devait aller
retrouver sa femme.
Nous nous arrêtâmes, encore une fois, dans le stationnement du Liquor Store, tout près de Port
Hawkesbury. Même à la toute fin de cette aventure, je me disais encore que j’aurais aimé être
capable de bien identifier, voir, et ressentir chaque ville canadienne que je croisais, mais ce n’était
pas le cas. Il était presque impossible pour moi de tout expérimenter, encore plus difficile de tout me
rappeler. Nous partageâmes deux autres bières, bien confortablement dans son véhicule, puis nous
repartîmes.
Mon nouvel ami me disait que je devais absolument voir Terre-Neuve, car c’était la plus belle
province, et c’était d’où il venait. Je comprenais ce qu’il voulait dire. Premièrement, la province est
recluse et il n’y a pas beaucoup de grosses villes établies sur ses terres. Ce n’est qu’une gigantesque
île, différente de ses consœurs, peu touchée par la civilisation, ce qui rend sa nature vaste et
incomparable. Plus il me la décrivait et plus j’en avais l’eau à la bouche, mais il m’aurait été
illogique de décider d’y aller pour une seule journée. Le traversier pour s’y rendre prenait plus de
dix heures, et je n’avais ni le temps, ni l’argent pour y aller. Je lui promis, par contre, que j’y irais
durant un autre voyage.
Puis nous repartîmes. Nous roulâmes un autre vingt minutes avant qu’il ne m’apprenne que notre
association allait prendre fin. J’en étais attristé, mais « toutes bonnes choses ont une fin » que je lui
répondis. Je lui rappelai à quel point il était une bonne personne et à quel point il avait changé ma
journée. J’étais si heureux de l’avoir rencontré. Il me débarqua sur le bord de la petite route dix-neuf,
et me signala que ça allait être un bon endroit pour continuer ma route. Nous nous serrâmes dans nos
bras et nous dîmes que nous nous aimions. Je lui demandai à la blague s’il était certain de ne pas
m’accompagner, il avait encore l’air d’hésiter, mais nous en rîmes pour nous séparer par la suite.
Encore une fois, c’était une bonne rencontre.
Je pris le temps de fumer à l’aide de ma pipe artisanale, avant de lever le pouce encore. Les effets de
la bière, le soleil qui plombait toujours, le cannabis, Jym qui se faisait lourd, je me sentais un peu
engourdi. J’attendis dix minutes avant qu’une autre petite voiture verte ne s’arrête devant moi.
L’homme qui la conduisait me dit d’y entrer. Il semblait discret. J’y plaçai mon sac à l’arrière et y
entrai. Il me demanda où j’allais. Même si j’avais encore l’habitude de dire que je ne savais pas où
j’allais, je lui mentionnai seulement que j’allais faire le tour de la « Cabot Trail » et que je retournais
chez moi. Puis, je lui racontai brièvement mon histoire. Il semblait fier de moi, d’autant plus qu’il
était fier de sa région et de ce chemin que je convoitais. Il me dit qu’il allait m’amener à quarante
minutes d’où nous étions. Il me suggéra de m’attendre à faire le chemin de Cabot en trois jours, car
c’était quand même une route de plusieurs heures et que ça valait la peine de tout voir, surtout
l’automne. Pour ma part, comme il avait suggéré trois jours et que pour moi, j’allais n’en prendre
qu’un, il était donc sage de m’arrêter au milieu de nos deux idées et d’au moins compter deux jours
pour le faire. Je le remerciai du conseil.
À ce moment-là, j’avais moins envie de discuter, comme si j’avais l’impression de répéter souvent
les mêmes choses. Je lui racontai ma journée, en partant de l’Île-du-Prince-Édouard, puis le
traversier. Je lui parlai de la rencontre que je venais de faire, du livre que j’étais en train d’écrire.
Après un bout de temps, nous prîmes le temps d’écouter la radio. J’étais bien, même si le poids de
l’alcool et du Cannabis pesait drôlement sur mes paupières.

J’ouvris soudainement les yeux et remarquai que je m’étais endormi. Je me sentais un peu mal
d’avoir laissé tomber mon bon samaritain. Il fit comme si de rien n’était, alors que cette situation, de
mon point de vue, était si anormale. Je tentais de me mettre à sa place et d’imaginer d’embarquer
quelqu’un pour qu’il s’endorme sur le banc passager. Je m’excusai sur-le-champ. L’homme ne
semblait pas s’en préoccuper. Il me suggéra d’arrêter ma course pour la journée par contre. L’après-
midi était déjà bien installée, et je pouvais me permettre de dormir près du Cap Breton pour atteindre
mon objectif au lendemain matin. Il m’avoua qu’il connaissait un terrain de camping tout près, et que
nous étions en route pour y aller. Mon téléphone n’avait plus de batterie, je ne savais aucunement où
j’étais, où je me dirigeais, ou encore à quelle distance du Cap Breton je me trouvais. Mais je n’étais
pas stressé par cela. J’avais encore quelques jours devant moi et je savais d’où je venais. C’était
l’important.
Il me déposa devant le terrain de camping. Il n’y avait rien d’autre autour. Aucune maison, aucun
terrain, seulement ce camping au beau milieu de la forêt. Je n’avais donc pas beaucoup d’autres
options que d’y aller m’y reposer. L’homme me souhaita bonne chance, alors que je m’excusai encore
pour m’être endormi quand il me rendait un service. Je sentais que j’étais à moitié sincère, car cette
petite sieste m’avait réellement fait du bien. C’était tout de même la première fois que ça m’arrivait.
Et j’étais si près du but, que presque tout m’était égal. Je ne voulais simplement que terminer ma
route. J’étais tout de même épuisé.
J’entrai sur le chemin de ce camping au beau milieu de nulle part. La saison était bel et bien terminée,
et l’immense installation était déserte. Il y avait peut-être cinq campements établis sur le vaste terrain
qui pouvait en comprendre des centaines. En entrant, un homme, début quarantaine, blond, m’aborda.
Il me demanda ce que je faisais et je lui répondis que je cherchais un endroit pour planter ma tente. Il
me répondit que c’était vingt dollars pour le faire. Je lui dis alors que j’allais payer avec ma carte, et
il me répondit qu’il ne prenait que l’argent comptant. Je lui demandai donc s’il y avait un guichet à
disposition, et il me répondit que malheureusement non. Je vins pour lui tourner le dos, je pouvais
tout simplement aller à quelques mètres plus loin et dormir dans les bois, mais il m’arrêta, me disant
qu’il me laissait entrer sur le camping et que nous allions nous reparler au lendemain. Je le remerciai
abondamment, puis allai visiter l’endroit.
Dans le fond de celui-ci, tout près de certains emplacements pour faire un feu, j’installai ma tente
rapidement. Maladroitement, je brisai l’un de ses poteaux. Je réussis à le raccommoder du mieux que
je pouvais alors que l’élastique à l’intérieur de celui-ci n’attachait plus les multiples segments. Ma
tente fut installée, bien qu’elle parût croche, après ce bris de matériel. Mais, encore une fois, je ne
m’en faisais pas trop. Il ne me restait que quelques jours à l’utiliser, et je pouvais également trouver
d’autres moyens. Je me disais que, pour une tente qui avait couté dix dollars, elle avait été plus
qu’utile et j’en étais fier.
Jym me donna mon équipement pour cuisiner : Mon brûleur, ma casserole, un couteau, une cuillère et
une bière qui me restait. Je me dirigeai ensuite vers le fin fond du terrain de camping, vers un boisé.
Un chemin s’enfonçait en son sein où un écriteau y pointait une plage. J’étais curieux. J’y marchai
pour à peine deux minutes, pour y monter une petite colline. De l’autre côté, je fus étonné de constater
qu’une plage, paradisiaque et déserte, y dormait. Le sable y était pratiquement blanc et elle était
entourée par de gigantesques falaises teintées bronze. L’eau bleu foncé de l’Océan Atlantique se
berçait frappant le rivage. Le ciel était clair et sans nuages alors que le soleil rougissait et amorçait
sa descente. Je le remerciai de m’avoir fait tomber sur cet endroit Idyllique. J’étais tout simplement
sans mot et je ne pouvais pas croire que, même sans le vouloir, même sans chercher, j’étais tombé sur
ce genre de paysage. J’étais tout simplement sans mot devant la beauté de l’endroit qui donnait un
cachet si spécial à ce terrain de camping que je trouvais si anodin à la base. J’avais le gout de
prendre mon téléphone et d’appeler tout le monde pour leur montrer à quel point j’étais chanceux
d’être tombé sur un endroit comme celui-ci. Mais encore une fois, le destin faisait en sorte que je ne
puisse vivre cette expérience qu’avec moi-même, et je devais m’en contenter, contemplant l’horizon
entre un soleil couchant, et l’atlantique valsant. Faisant cuire des bines sur ma casserole qui m’avait
été si utile depuis les dernières semaines, je me concentrai à profiter de l’endroit, tout en solitude,
sachant très bien que le souvenir de l’image que j’avais droit devant moi allait rester avec moi, et
avec moi seul, à tout jamais.
Je restai seul sur la plage jusqu’à tant que le soleil y soit très bas. Durant ces quelques heures, je
croisai seulement un couple retraité qui venait de la Colombie-Britannique. Nous échangeâmes
quelques mots, mais sans plus. Ils marchaient de façon romantique, main dans la main, devant le
coucher de soleil, sur cette plage. Puis, ils repartirent. Après un moment, j’eus l’idée d’apporter ma
tente sur cette plage, car j’aimais énormément l’endroit, mais je me résignai à la laisser où elle était,
car j’allais bientôt dormir de toute façon. Je retournai à ma tente et décidai de profiter des
installations de l’endroit pour prendre une bonne douche. De plus, je pouvais tenter de charger mon
téléphone, même s’il était de moins en moins efficace. Par la suite, une fois que la nuit était bel et
bien tombée, je fis le tour du terrain quelques fois, à pied, puis, je retournai à me tente pour y avoir
une bonne nuit de sommeil et tenter d’être en forme pour le lendemain, car je savais qu’une autre
grosse journée m’attendait.

7 octobre 2017

La nuit fut froide, mais reposante. Eva et Jym s’organisèrent presque seuls alors que la routine était
déjà bien installée entre nous trois. Je fis, par contre, très attention au poteau défectueux de ma tente
que j’attachai avec un élastique à cheveux pour être sûr de ne pas perdre un morceau. Je retournai sur
la plage, quelque peu avant mon départ, et j’y méditai un peu. Encore une fois, j’étais simplement en
admiration devant le magnifique paysage. Puis, mon sac sur le dos, je me mis à marcher vers la sortie
du terrain de camping. Je croisai l’homme qui m’avait demandé de l’argent la veille. Mais il quitta
avec sa camionnette. Je fus mitigé entre l’idée de lui parler pour lui payer mon dû et lui demander
s’il pouvait me déposer quelque part, ou simplement partir de mon côté. Comme il partit, suivit d’une
partie du petit nombre de campeurs qui occupait toujours l’endroit, je n’eus même pas le temps de lui
glisser un mot, et je partis à mon tour.
Ce serait mentir d'affirmer que la route paraissait alors facile. Tout ce que je voyais devant moi était
la forêt à perte de vue. Sans maison, sans terrain, sans boîtes aux lettres ou mêmes rues transversales
; rien d’autre qu’une simple route au beau milieu de la forêt. Bien que je sois habitué et prêt à chaque
situation, il est difficile d’arrêter mon cerveau de fonctionner rapidement, alors que je ne pouvais
aucunement envisager ce qui allait se passer. En même temps, tout ce que je pouvais faire était de
marcher droit devant, et de lever le pouce. Encore une fois, si j’avais à dormir tout près, je n’aurais
eu aucun problème à le faire, car ce n’était pas les endroits où camper qui manquaient dans le coin où
j’étais.
Mais il n’était même pas huit heures le matin. L’heure n’était certainement pas à penser à établir un
campement. Je marchai pour environ une heure. Les camionnettes, pick-up, VUS, défilaient devant
moi, alors que leurs conducteurs me regardaient. J’avais l’impression qu’ils étaient tous campeurs ou
chasseurs. Beaucoup d’entre eux semblaient ne pas avoir de place pour moi dans leurs véhicules, ou
semblaient vouloir rentrer à la maison rapidement.
Après un moment, la forêt laissa place aux collines et aux champs. Je n’avais toujours pas de GPS
pour me diriger. Je devais alors le faire à l'aveuglette. J’arrivai à l’intersection de la route 19 et de la
route 219. Je fus perplexe pour choisir l’une des deux directions. Heureusement, il y avait une petite
maison sur le coin de ladite intersection, et une dame était à l’extérieur, travaillant sur son terrain.
J’attirai son attention, tentant de ne pas être trop envahissant. Je lui demandai quelle route je devais
emprunter pour me rendre à la « Cabot Trail ». Elle me demanda alors comment j’allais m’y rendre.
Je lui répondis à pied, et en levant le pouce. Surprise, elle me répondit que les deux chemins s’y
rendaient, mais que la 19 allait être beaucoup plus passante que la 219. Je la remerciai grandement et
continuai mon chemin, escaladant une grande pente.
Après ce genre de pente à l’angle assez prononcée, j’arrêtais toujours un peu, pour reposer mon dos
et mes jambes, et pour boire un peu d’eau. C’était généralement quand j’avais le dos tourné, quand je
fouillais dans mon sac, ou quand je faisais toute autre chose, que la loi de Murphy faisait en sorte de
matérialiser mon destin. Encore une fois, ce fut le cas. Une vieille camionnette « pick-up » noire, la
boîte bien remplie d’outils, s’arrêta devant moi, alors que le jeune conducteur me demanda de
monter. Il allait simplement un peu plus loin et voulait me donner un coup de main, alors qu’il se
dirigeait vers un chantier où il travaillait. Je lui racontai mon histoire rapidement, mais il ne semblait
pas être le type de personne qui voulait discuter beaucoup. Nous discutâmes, tout de même, de sujets
légers puis, trente minutes plus loin, il me déposa sur la route principale et repartit.
Il y avait définitivement moins d’arbres, et je n’étais plus sur le bord de l’eau. Il n’y avait que des
plaines, des champs et des collines à perte de vue. J’attendis quelques dizaines de minutes, toujours
en marchant dans la bonne direction quand un homme s’arrêta. L’homme était grand, mince et assez
vieux pour être retraité. Il me dit généreusement de monter à bord, car il se dirigeait à l’entrée du
chemin de Cabot. Enfin, j’allais y être ! L’homme avait travaillé dans l’industrie de la patate toute sa
vie. Maintenant, il était retraité et vendait des beignes et des confiseries dans les petits marchés du
coin et sur commande. Il semblait heureux d’avoir quitté le marché qui avait beaucoup changé depuis
qu’il avait commencé. Maintenant, les grandes entreprises et le monopole du marché contrôlaient les
fermes de la région malheureusement. Il semblait tout de même détendu, fier de sa région, et de la vie
qu’il avait menée.
Il me racontait comment sa vie s’était déroulée sur sa ferme, dans cette région du monde. Il me disait
à quel point il était chanceux de vivre sur un aussi beau coin de pays. J’étais toujours étonné de voir à
quel point les gens étaient généreux et accueillants dans le coin. C’était comme s’il n’y avait pas de
barrière ou de préjugé. Les gens ne semblaient pas vouloir paraître, mais seulement qu’être, et c’était
de toute beauté.
Il était sur sa route habituelle pour aller porter de ses articles dans certains magasins et il voulait que
je l’accompagne. En route, il me donna également son numéro de téléphone. Il était certain de pouvoir
me trouver un emploi dans la région, car il avait beaucoup de contact dans certaines industries aux
alentours. Pourtant, je regardais aux alentours et je n’y voyais que des champs et des collines. Il
m’avoua que l’agriculture et la pêche, dans le coin, étaient les seuls domaines où on pouvait y trouver
facilement un emploi.
Nous parcourûmes trente minutes ensemble, avant qu’il ne s’arrête à un petit marché, où il sortit
quelques sacs et quelques boîtes pour délivrer la commande. Il me dit, également, que c’était le plus
loin qu’il pouvait aller avec moi, car il allait rebrousser chemin. Je le remerciai grandement et lui dit
que je voulais prendre une petite pause pour manger, de toute façon. Je m’achetai des fruits, des
légumes et de l’eau, et m’assis à l’extérieur. Les gens du coin, peu habitués, me regardaient drôlement
avec mon sac. Un commis du magasin m’aborda en français pour me poser des questions et je lui
répondis en français. Nous fûmes tous les deux surpris de parler la même langue. Il m’apprit qu’une
bonne partie du Cap Breton en Nouvelle-Écosse était acadienne. J’étais emballé par l’idée, je
trouvais les gens si calmes et sympathiques dans le coin où j’étais. J’étais loin des grandes-villes et
je pouvais le ressentir.
Je vis l’homme qui m’avait embarqué sortir du magasin. Il me souhaita bonne chance, et me réitéra
l’idée de me trouver un emploi sur une ferme des environs. Je le remerciai amplement, lui disant que,
pour l’instant, j’avais hâte d’être arrivé sur la « Cabot Trail ». Il me répondit que nous étions arrivés
à l’entrée de celle-ci, me laissant complètement satisfait. Puis, il repartit, en me saluant.
Après un moment, je me réinstallai au bord de la route, levant le pouce et marchant ; m’éloignant du
magasin. J’attendais quinze minutes le pouce en l’air avant qu’un couple ne s’arrête dans une
camionnette pour me dire d’embarquer. Le couple parlait français également. Nous étions contents de
nous trouver, bien qu’ils étaient retraités, ils ne semblaient avoir aucune réticence à m’embarquer. Ils
étaient seulement très accueillants. En discutant brièvement, j’appris que le couple venait de la
région, mais qu’ils avaient passé la majorité de leur vie sur la Rive-Sud de Montréal, au Québec,
pour y travailler. Ils venaient d’emménager à nouveau dans le coin, à leur plus grand bonheur ; à
Cheticamp. Nous avions déjà quelques points en commun, il était facile de discuter simplement avec
eux.
Après leur avoir raconté mon histoire, ils me demandèrent si je connaissais des gens dans la région.
Je leur répondis que je ne connaissais personne malheureusement, sauf ma douce Acadienne, de qui
je me trouvais si loin tout d’un coup. J’eus une belle pensée pour elle sur-le-champ, me demandant si
j’allais avoir la chance de la revoir après ce périple. La dame me demanda alors d’où elle venait. Je
lui répondis qu’elle habitait à Moncton, mais qu’elle venait du petit village de St-Louis de Kent. Elle
fut étonnée par ma réponse. Elle me dit que sa tante, qui vivait où l’on se dirigeait, venait également
de ce petit village. Je lui révélai alors le nom de famille de mon amie, alors que la tante en question
partageait également le même nom. De fil en aiguille, nous nous aperçûmes que ces gens, qui
m’avaient embarqué, étaient les petits cousins du père de ma douce Acadienne. Même si l’on peut
s’attendre de voir que l’Acadie est assez petite, quelles étaient les chances qu’une coïncidence
comme celle-ci se produise ? J’allais peut-être rencontrer une ou maximum deux douzaines de
personnes sur un territoire qui s’étendait sur trois provinces canadiennes, et je rencontrai des gens de
la même famille que la personne qui avait pris la plus grande place dans cette aventure ? Le tout nous
fascina au plus haut point. Nous conclûmes en nous disant que notre rencontre était simplement due.
Nous arrivâmes à Cheticamp après un magnifique parcours sur la côte du Cap-Breton. Mes hôtes
m’apprirent que le village était acadien, et par son architecture et le nombre élevé de bateaux de
pêche, je le constatai également par moi-même. Avant de me laisser aller, ils me demandèrent si je
voulais faire un petit détour avec eux. J’acceptai volontiers. Ils empruntèrent des petits chemins de
village, montant une colline pour arrêter chez la tante en question. Ils voulaient lui parler, mais, aussi,
ils voulaient également lui raconter la drôle de coïncidence. La dame prit le temps de me demander
des nouvelles de mon amie qu’elle connaissait un peu. Puis, après quelques minutes, nous repartîmes.
Nous montâmes encore quelques collines, puis le conducteur tourna le véhicule pour redescendre et
éteint le moteur, alors que nous pouvions voir une bonne partie de Cheticamp s’arrêter sur l’océan
qui s’étendait à perte de vue. Ils me confirmèrent que c’était la plus belle vue qu’il y avait sur le
village et ils voulaient absolument la partager avec moi. J’étais flatté. Des fois, nous pouvons
échanger des mots, des biens, de l’argent ou toute autre chose, d’une personne à l’autre. Mais
partager ce genre d’expérience, d’un inconnu à l’autre, nous fait nous rendre compte que nous
sommes tous liés par les mêmes sentiments, et ce partage qui peut se faire sans mot, sans bien, est
l’un des plus beaux que l’on peut faire. Car, ces cadeaux offerts par dame Nature et par Dieu ne sont
et ne resteront simplement que des bénédictions en soi.
Après un moment, nous descendîmes vers la côte, et le couple me laissa tout près de l’église
typiquement acadienne. Ils me souhaitèrent bonne chance et repartirent, heureux de ces moments
partagés d’un inconnu à l’autre. Il faisait beau et chaud à l’extérieur. Je pris le temps de visiter
l’église, à l’intérieur et à l’extérieur, et j’y exécutai même une prière, comme dans le temps où je
vivais en Italie. Puis, je sortis pour me diriger vers le bar le plus près pour y déguster une bonne
bière.
À l’entrée de celui-ci, je sentais que les gens me dévisageaient. Je ne pouvais pas sentir si c’était
négatif ou positif, peut-être n'étais-je simplement qu'un survenant. On me demanda de laisser mon sac
à la porte et j’acquiesçai à la demande. Encore une fois, je ne voyais personne ayant les capacités de
partir avec Jym qui était si lourd. De plus, je m’assis à une table près du comptoir, pour être capable
de garder un œil sur lui. Je pris également le temps de charger mon téléphone cellulaire.
Les serveuses me posèrent une multitude de questions sur mon voyage, sur ce qui m’amenait dans le
coin. Elles étaient habituées de voir des touristes dans le coin, mais il était moins commun de voir
quelqu’un tenter de parcourir le chemin de Cabot sans véhicule. Après avoir discuté, je décidai de
repartir. Je voulais me rendre le plus loin possible sur la « cabot trail » pour y trouver le plus bel
endroit où dormir, et également, je voulais être capable de quitter au lendemain, pour avoir la chance
de visiter Halifax, Moncton, encore une fois, et de revenir, ensuite, à la maison. C’était étrange pour
moi de négocier avec le temps qui me restait, mais je prenais toujours une seule minute à la fois.
Je marchai tout le village pour me rendre de l’autre côté et ce fut l’un des plus beaux villages que
j’eusse la chance de voir de toute mon expérience. Les petites maisons, de toutes les couleurs, qui
longeaient la côte de l’océan bordée par plusieurs douzaines de bateaux de pêche me faisaient
simplement croire, pour un instant, que je visitais un autre pays, alors que tout était typiquement
acadien. Le soleil plombait sur Cheticamp, et j’avais le gout d’y rester plus longtemps. J’espérais
pouvoir voir d’autres villages similaires à celui-ci.
Puis, ce petit village devint de plus en plus petit derrière moi, alors que je me dirigeais vers une zone
un peu plus boisée. Il m’avait pris une heure à le traverser et je marchai une autre heure, si bien que
je réalisai qu’il n’y avait rien entre les petits villages qui longeaient la côte. De plus, un nombre
impressionnant de véhicules passaient à côté de moi et personne ne s’arrêtait. Je réalisai que les gens
qui visitaient l’endroit le faisaient entre amis ou en famille plutôt qu’en Road Trip, et qu’ils n’avaient
pas nécessairement envie de partager l’expérience. De plus, les gens qui habitaient le coin passaient
simplement d’un village à l’autre. Puis, le comble de mon malheur était que la route était sombre, très
étroite, boisée, et que les gens, s’ils pouvaient m’apercevoir de loin, ne pouvaient presque pas
s’arrêter sur l’accotement quasi inexistant du chemin pour m’embarquer entre deux tournants.
J’attendis deux heures avant que quelqu’un ne s’arrête.
Un couple, dans la quarantaine, s’arrêta pour m’amener au prochain village : Pleasant Bay, où il
vivait. Après avoir raconté brièvement mon histoire, ils me dirent que j’étais courageux de parcourir
la « Cabot Trail » de cette façon et que j’allais surement prendre trois jours à le faire. Ils étaient
sympathiques et, cependant, peu bavards. Ils me laissèrent près d’un petit magasin, où je m’installai
pour y lever le pouce, tout de suite, pour au moins me rendre au prochain village avant le coucher du
soleil prévu d’ici deux heures.
Au magasin où j’étais, tout le monde discutait qu’il y avait une grande fête en ville. J’avais envie
d’aller voir ce qui s’y passait, mais je ne voulais pas rater la chance de continuer ma route. Je restai
là, sur le coin du stationnement du petit magasin pour une heure encore. Le soleil était de plus en plus
bas, et je fus obligé de me résigner à arrêter ma route. J’allai à l’intérieur du magasin pour m’acheter
quelques bières. Je me dis que j’allais me rendre à la fête et établir mon campement non loin de là.
J’étais tout de même heureux de la tournure des événements et je n’étais pas inquiet pour la suite.
En sortant du magasin, bières en main, un vieux véhicule me klaxonna et le jeune homme à l’intérieur
de la camionnette me demanda si je voulais me rendre plus loin sur le chemin de Cabot. Il me
demanda également si je cherchais une place où dormir. Je lui répondis que j’étais ouvert à toutes les
suggestions. Il me fit signe de monter. Il me dit que nous allions faire un feu, boire une bière, fumer un
joint et que je pouvais monter ma tente sur son terrain si je le voulais. Je le trouvai si sympathique.
C’était étrange comme l’opportunité se présenta à moi à la minute où j’avais arrêté de chercher.
J’étais content de la tournure des événements, alors qu’Eva lui faisait confiance.
Puis, nous parcourûmes dix minutes ensemble, avant que nous nous arrêtions à une vieille maison
délabrée. Le jeune homme devait avoir mon âge et ma carrure. Il portait une casquette qui cachait ses
cheveux assez courts et était vêtu simplement. Il suggéra de monter ma tente et d’organiser mon
campement sur-le-champ, alors qu’il devait s’absenter pour aller voir sa femme et son enfant, dans
une roulotte placée sur le terrain voisin. Il me dit que la maison où nous étions lui appartenait, mais
qu’elle était en sérieuse rénovation. Ils étaient en train d’y construire une auberge jeunesse ; lui et sa
mère. C’était justement sa mère qui m’avait vu lever le pouce auparavant, et qui lui avait demandé de
venir me chercher. C’est ce qu’ils faisaient dans la région, pour aider les gens et participer à ce beau
passe-temps auquel je m’adonnais depuis plus de deux mois. Puis, après un moment, il partit.
Bien que brisée, je montai ma tente soigneusement. Le poteau défectueux la rendait croche et inégale,
mais elle était toujours solide. J’attendis mon nouvel ami, fumai un joint et m’ouvrit une bière. Après
un moment il revint et nous allumâmes le feu. Puis, il offrit de me montrer l’intérieur de la maison.
J’étais curieux de voir. À l’intérieur, tout ce qu’il y avait était une télévision, un divan, une table de
salon, et une toilette fonctionnelle. Il n’y avait ni mur, ni porte, seulement que des couvertures qui
séparaient les différentes chambres. Tandis que les quatre murs étaient éventrés. La cuisine n’était
pas fonctionnelle et le plancher était en rénovation également. Bref, l’intention, ici, était la seule
chose qui différenciait ce futur hôtel jeunesse d’une « piquerie ». Je me sentais bien, mais je savais
que je devais rester sur mes gardes, car je savais très bien que d’autres personnes allaient nous
rejoindre plus tard.
Justement, quelques minutes plus tard, un jeune homme aux cheveux longs et à l’énergie sereine entra.
Je savais que je n’avais pas à me méfier de lui. De plus, il était Montréalais et parlait français. Il y
vivait depuis quelques semaines déjà, il avait sa petite chambre fermée par des couvertures. Il ne
semblait pas avoir besoin de plus, même s’il voyageait tout comme moi. Nous passâmes la soirée à
l’intérieur, fumant, riant. Nous regardâmes un film. Ils mentionnèrent qu’un des occupants de l’endroit
était saoul sans arrêt, depuis quarante-huit heures, et n’avait pas toute sa tête. Ils étaient tous les deux
fatigués de son attitude imprévisible, et maintenant qu’il n’avait pas quitté l’ébriété depuis deux
jours, ils ne savaient plus quoi faire avec cet homme qui se montrait tout simplement incohérent. Au
beau milieu du long-métrage, ils eurent à partir pour faire une commission. Je restai seul, allongé sur
le divan, à l’intérieur de cette baraque, regardant la télévision, ne pensant à rien. J’étais toujours
épuisé.
Puis, j’entendis la porte s’ouvrir. La mère du jeune homme qui m’avait embarqué entra. Elle était
svelte et semblait plus jeune que son âge. Elle me souhaita la bienvenue, soulignant les événements
qui avaient fait en sorte de m’accueillir. Je la remerciai énormément. Elle roula un joint devant moi et
me dit qu’elle allait repasser plus tard, qu’elle devait aller prendre une douche. Je la saluai, la
remerciant encore une fois et lui disant qu’ils avaient un magnifique projet en construction. Puis, elle
quitta.
Le Québécois revint avec une autre personne, lui aussi, à peu près de mon âge. C’était l’homme dont
ils parlaient précédemment. Un jeune homme, portant une casquette et des vêtements ajustés. Sa
classe était seulement bafouée par l’état d’ébriété dans lequel il se trouvait depuis deux jours. Il était
tout de même sympathique. Je terminai le film alors que nous discutions de tout et de rien. Nous
faisions simplement connaissance, racontant nos histoires. Le montréalais était discret. Il semblait
intelligent et assez sage pour savoir quand parler. Il semblait être le genre de personne que, quand il
ouvre la bouche, on se doit de l’écouter, car ses mots étaient brefs et précis. Puis, après un moment,
nous eûmes un instant de silence, bien que l’homme en état d’ébriété fût assez agité. Il cherchait son
coffre de cannabis et quand il le trouva, la quantité qu’il s’attendait à avoir était beaucoup plus petite
que prévu. Il s’agitait de plus en plus, et comme l’autre personne était très discrète dans son coin,
lisant un livre, j’étais son principal interlocuteur.
Il insinuait que quelqu’un lui avait volé du pot ! Et comme nous ne répondions rien, il se répondait à
lui-même et continuait à alimenter ses mauvais sentiments, comme s’il discutait avec le démon qui
l’alimentait. Il me parlait en me regardant et répétait, avec de plus en plus de colère, que quelqu’un
lui avait volé du cannabis. Je réfléchis pour lui dire que je venais d’arriver, et bien que j’eusse été
seul dans la maison pour un moment et que j’avais ma réserve personnelle, ce n’était simplement pas
de mes affaires. Mais rendu où j’étais, je ne voulais même pas me justifier. Après un long voyage où
j’avais pratiquement tout vu, supportant la fatigue du moment, entremêler avec un trop-plein de THC,
je le regardai droit dans les yeux, et lui dit en anglais, arborant fièrement mon accent québécois : « Je
m’excuse, peut-être que je comprends mal, mais je dois te le demander, es-tu en train de m’accuser
de t’avoir volé du pot ? » Le montréalais qui écoutait ce qui se passait sans ne rien dire lança
rapidement, en français, de ne pas l’alimenter et de le laisser faire, mais je voulais simplement
couper court à la situation qui pouvait dégénérer, sans raison, contre moi. Je répétai ma question,
calmement, une deuxième fois. Il prit une pause et s’excusa. Il me dit que ce n’était pas des
accusations envers moi. Il m’expliqua que plusieurs personnes passaient par ici et qu’il ne pouvait
pas faire confiance à personne, ici dedans. La tension baissa d’un coup alors que je me mis à discuter
avec lui pour mieux le comprendre.
Après un moment, la mère arriva et alla se coucher à l’étage sur un lit. Le québécois dû quitter pour
aller dormir chez un ami, non loin, me laissant seul avec l’homme qui quitta également un peu plus
tard. Je tentai de m’allonger sur le divan pour y passer la nuit. Mais l’homme revint me demandant
sans cesse si je dormais, car il ne semblait pas être capable de s’arrêter de parler. Puis, il me
racontait ses problèmes et ses aspirations. Je pris le temps de l’écouter et de discuter avec lui
encore, combattant la fatigue, forçant mes paupières à rester ouvertes encore pour quelque temps. Je
me disais qu’il ne restait plus beaucoup de temps à ce voyage que je voulais dédier à mon prochain.
C’était toujours le temps de tenter de faire le bien autour de moi, et l’écouter semblait demander plus
d’effort que ce que ça pouvait couter réellement. Il semblait heureux d’avoir quelqu’un de neutre à
qui parler, surtout dans l’état dans lequel il se trouvait, et c’est tout ce qui était important à mes yeux.
Puis, après un certain temps, je m’endormis sur ce divan, après son départ. Eva me regarda
m’endormir, fière de moi, de mon attitude, de mon cheminement. Elle semblait prête à toutes
situations et me confirma que j’avais choisi le bon dénouement ; la bonne réaction. Je m’endormis
alors, le cœur léger.

8 octobre 2017

Je me réveillai très tôt. Bien que mes hôtes fussent très chaleureux et qu'ils voulaient m’amener au
prochain village, j’attendis quelques minutes avant de retrouver la route. Je ne voulais pas attendre
des heures avant qu’ils ne se présentent et qu’ils soient prêts à partir. Je ne voulais tout simplement
pas dépendre d’eux. Dans tous les cas, Eva me conseillait fortement de partir. J’écrivis une petite
note pour les remercier de leur aide et partis lever le pouce. Je n’attendis que quinze minutes,
contemplant le lever du soleil sur la pointe du Cap Breton, avant qu’un camion pick-up ne s’arrête
devant moi. L’homme me demanda d’embarquer.
Un homme, bientôt septuagénaire, en forme, était confortablement assis dans son camion. Il avait
quelques équipements de chasse sur la banquette arrière. Il me dit d’y déposer Jym. J’étais si heureux
que la journée s’amorce de cette façon, car la veille avait été un peu plus difficile. Je tins pour acquis
que nous allions d’ici quelques villages, et que j’allais avoir à mettre d’autres efforts à finalement
quitter le Cap, mais l’homme me rassura, me disant que nous allions parcourir plus que quatre heures
ensemble. Mon tourment était donc fini, car j’étais sûr que l’auto-stop allait fonctionner davantage au
beau milieu de la Nouvelle-Écosse. Mon rendez-vous au Québec arrivait à très grands pas, et je
devais prévoir l’imprévu. Je décidai alors de ne pas prendre le temps d’arrêter une journée à
Halifax, au cas où ma route vers le Québec allait prendre plusieurs jours. Je devais, de plus, préparer
quelques documents à la maison, en prévision de mon évaluation. Encore une fois, comme c’était le
cas avec Terre-Neuve et Victoria, je me dis que ce n’était que partie remise et que j’allais avoir la
chance, dans le futur, de voir ces endroits.
Bref, l’homme était très sympathique et très naturel. Il revenait d’une fin de semaine de chasse avec
des amis. Il n’avait rien capturé, mais avait eu beaucoup de plaisir. Son ami nous suivait de loin avec
son camion. Nous allions arrêter, tous les trois, déjeuner ensemble et continuer notre route pour aller
le plus loin possible alors qu’il allait tout près d’Halifax. Encore une fois nous discutâmes. Il me
parlait de sa retraite. Il était heureux de ne plus travailler, et il avait concentré sa vie dans des
domaines qui lui assuraient une bonne qualité de vie. Il avait une pension du gouvernement, une
pension d’ancien vétéran et une pension parce que sa défunte femme avait travaillé dans la fonction
publique. Il recevait plusieurs milliers de dollars par mois et se sentait à l’aise d’en parler.
Je remis ma carrière en question pour un instant, car j’avais souvent travaillé à mon compte, ou à
contrat ; des emplois qui, malgré mon baccalauréat, n’avaient pas été très lucratifs, mais qui
m’avaient permis de toucher à tout et même de voyager. Car, pour la société en général, un véritable
emploi sérieux comporte des avantages sociaux, un fonds de pension et une reconnaissance. C’est
pourquoi, par exemple, le domaine du service et de l’hôtellerie est souvent perçu d’une façon bien
différente. Bien que le domaine soit lucratif, il est souvent perçu comme un domaine de transition ou
d’étudiants. Mais d’un autre côté, même si le travail de bureau est considéré comme sérieux, je ne
m’y reconnaissais aucunement, moi qui aime le changement, la diversité et l’adaptabilité. J’avais
remarqué, depuis quelques années que, de toute façon, surtout avec une spécialité, on ne nous laissait
pas vraiment la liberté d’être créatifs et d’apporter son expertise. En communication, par exemple,
même si on nous apprend à aider les entreprises ou organismes à communiquer, la majorité des
emplois nous obligent à suivre les consignes et à agir dans un cadre très serré, ne laissant aucune
place à la versatilité, à la polyvalence et à la créativité. Et encore une fois, ce n’était pas moi. De
toute façon, l’une des plus belles leçons que j’avais apprises dans la vie était que le succès ne réside
pas dans l’avoir, mais bien dans l’être, tout simplement. Et dorénavant, je me reconnaissais beaucoup
plus dans la personne que je voulais être que dans ce que je faisais, car à un moment, dans un système
où on nous oblige à surperformer au profit des dirigeants, on doit se demander, est-ce que je veux
vivre pour travailler, ou simplement travailler pour vivre ?
Puis, il se mit à me parler de sa défunte femme qu’il avait tant aimée. C’était l’amour de sa vie. Elle
était décédée d’un cancer après des dizaines d’années communes. Elle avait été sa deuxième femme,
car sa première lui avait donné des années difficiles. Le pauvre homme s’était occupé de leurs
enfants, alors qu’elle avait sombré dans l’alcool. Le problème avec ceux qui développent ce genre
d’habitudes n’est pas comment ils traitent leur propre santé ou comment ils gèrent leur propre temps,
car cela reste de leur ressort uniquement. Mais quand ils se mettent à mentir au nom de l’alcool,
quand ils se mettent à devenir désagréables ou méchants et à affecter leur entourage, le problème
devient d’autant plus important. Car si notre corps, notre cerveau et notre esprit sont liés, on parle
souvent de l’influence de l’alcool sur les deux premiers aspects de notre personnalité, mais qu’en
est-il de l’impact de celui-ci sur notre esprit ?
De mon point de vue, il existe des substances qui ouvrent des portes et d’autres qui en ferment. Celles
qui ouvrent des portes nous font réaliser que nous sommes tous semblables et liés, mais à différents
degrés d’évolutions, et je crois pertinemment que le Cannabis et les psychotropes font partie de cette
catégorie. Les portes s’ouvrent également, seulement si on en est conscient. Il faut cependant en être
conscient et, d’autant plus, prêt à vivre l’expérience avec acceptation, pour ne pas créer d’anxiété
entre le corps, la tête et l’âme. Et cela, même avec le cannabis. De l’autre côté, il y a les substances
qui ferment des portes, qui font oublier, comme l’alcool, la cocaïne ou l’amphétamine. Je crois que
l’utilisation de l’alcool, pour oublier les plans les plus complexes, pour connecter simplement et
socialement avec des gens autour, le temps d’une soirée arrosée, peut rester saine si elle est
contrôlée. Ces substances ralentissent, par contre, les vibrations de l’esprit pour qu’elles prennent
une pause, ce qui amène notre énergie à être sujette à des fréquences et à un karma plus négatif. Il est
d’autant plus dommage spirituellement de voir que des millions d’enfants consomment une cousine de
l’amphétamine pour soigner leur trouble d’attention, même si le médicament est prescrit par un sarrau
blanc. Encore une fois, si nous sommes conscients de leurs effets, il est plus simple de travailler sur
soi. Le problème est que si l’on met de côté l’aspect spirituel, une personne avec une dépendance à
l’alcool, si elle se sent forte physiquement et mentalement, ne va pas reconnaître le problème, même
si, tout au fond, on sent que notre énergie est déficiente. Elle sera donc poussée à affirmer ses
convictions et son caractère, de n’importe quelle façon, ce qui est malheureusement et ironiquement
perçu comme une preuve de force. Ainsi, je crois que d’affirmer son caractère et de vouloir prouver
sa force n’est seulement qu’un acte de peur pour cacher ses faiblesses, comme un animal qui montre
les crocs pour protéger. Mais en tant qu’humain, de quoi voulons-nous nous protéger en agissant ainsi
? Car si nous évoluons de l’animal, nous devrions regarder dans l’autre direction pour continuer
d’évoluer.
Après leur séparation, elle avait tellement sombré, sans limites, dans cette dépendance, qu’elle en
était morte. Pour sa part, il avait tellement vécu de problèmes avec elle, qu’il était simplement désolé
de sa situation, sans trop en être triste. Bien avant qu’elle y passe, il avait reconstruit sa vie avec sa
nouvelle femme, avec qui il avait eu une vie heureuse. Cela faisait quelques années déjà qu’elle aussi
y avait passée, d’un cancer. Il prenait cette situation comme si c’était le cycle naturel de la vie. Il
l’avait déjà accepté, bien qu’il précisât qu’il en restera toujours un peu triste. De plus, il était fier de
me raconter qu’il avait rencontré une nouvelle femme qui, elle aussi, avait perdu son mari. Bien
qu’ils aient près de soixante-dix ans, ils étaient de vrais tourtereaux ensemble. Il me parlait de leur
sexualité et de leur relation sans attentes. Ils n’étaient que bien l’un avec l’autre. Après tout, la vie
leur offrait de moins en moins de tourments. Ils ne faisaient que l’aimer et s’aimer, profitant de tout
ce qu’ils pouvaient. Je trouvais sa vie, ses histoires, et sa nouvelle relation, si intéressantes.
Il me demanda alors de me taire et l’appela. Ils lui parlaient en lui offrant des mots doux entremêlés
de propositions sexuelles. Après un certain moment, elle se réalisa que je pouvais tout entendre et
elle se mit à rire. Je lui lançai un « hey hi, nice to meet you ». Nous rîmes un bon coup. Personne
n’était gêné et j’étais seulement de passage dans leur vie. Puis nous continuâmes notre route.
Nous arrêtâmes à un restaurant à déjeuner. Il devait être dix heures et je fis connaissance avec son
ami : un homme un peu plus jeune, corpulent, très sympathique également, qui portait une casquette de
chasse et une barbe. Nous mangeâmes ensemble alors qu’ils parlaient de leur passe-temps et des
personnes qu’ils connaissaient. À ce point, j’étais un peu plus effacé, mais je sentais tout de même
que je faisais partie de l’équipe. Nous repartîmes ensuite, de la même façon que nous étions arrivés.
Puis, il me débarqua, encore une heure plus loin, alors que nous n’arrêtâmes pas une simple fois de
discuter. C’était simplement fascinant de parler avec une personne avec autant de vécu, mais à la fois
si ouverte. Je me voyais déjà raconter mes histoires quand j’allais être plus vieux, car chaque petite
histoire que je pouvais vivre allait raconter la mienne, comme ce récit le fait si bien.
Il me laissa à l’intersection des autoroutes tout près de Truro où je devais aller dans une autre
direction. Encore une fois, sans peur, je levai le pouce droit sur l’autoroute. Contrairement au
Québec, à l’Ontario et à l’ouest, je n’avais même pas croisé une auto-patrouille encore dans les
environs. J’étais donc très confiant.
Je n’attendis pas très longtemps avant d’être surpris par un camion à dix-huit roues qui s’arrêta tout
près de moi. Il me fit signe d’embarquer. La marche était très haute, j’avais soixante livres
supplémentaires sur mes épaules, et ce fut difficile, alors que c’était la première fois pour moi que
j’embarquai dans ce genre de véhicule. J’embarquai Jym devant moi et le plaçai sur le banc arrière,
près du lit, puis me plaçai sur le banc passager. Je remerciai l’homme bien bâti aux cheveux
grisonnants. Il me dit alors qu’il se rendait à Moncton. Je me sentais si chanceux, encore une fois,
c’était où je voulais aller, pour aller retrouver ma douce pour une dernière journée, avant de repartir
pour de bon. J’étais donc mitigé entre le sentiment de partir et celui de rester encore un peu, mais je
crois que ce sentiment est toujours présent quand on voyage et quand on apprend à négocier avec
celui-ci, voyager devient plus simple. Nous étions en début d’après-midi maintenant, et mon pouce
pouvait se reposer pour la journée.
En chemin, nous discutâmes. L’homme était un ancien militaire également. Il avait servi les forces
canadiennes en tant que soldat. Jusqu’à maintenant, j’avais rencontré des gens qui avaient exercé
certains métiers spécialisés dans les forces armées, mais être soldat est différent, car un soldat se
doit de donner une dévotion complète à son pays et, pour moi, c’était admirable. Nous parlions du
Québec, car il y avait travaillé. Il semblait fier de ses années de militaires, même si, en tant que
militaire, il faut suivre des ordres. Car, si on se fie au procès de Nuremberg, les officiers allemands
de la Deuxième Guerre Mondiale ont justifié majoritairement leurs actes en expliquant que leur
travail n’était que de suivre les ordres. Ce qui m’amena à réfléchir à un film que j’avais eu la chance
de voir à l’université dans un cours de science politique : Les ordres. J’avais jadis fait un parallèle
dans l’un de mes travaux entre ceux qui avaient suivi les ordres durant cette période et ceux qui
avaient suivi les ordres durant les sombres événements d’octobre soixante-dix ; sujet principal de ce
long métrage. Et c’était le bon temps d’en discuter, car lui-même y était militaire, durant la crise
d’octobre.
Pour sa part, il disait qu’il avait suivi les ordres, et il ne faisait pas partie des atrocités qui avaient
été commises au sein de Montréal pendant que l’armée avait envahi la ville. La ville était assujettie
par des actes terroristes, et le corps militaire avait pour mission de protéger la population. De plus,
je ne croyais pas que Pierre-Eliott Trudeau, quoiqu’on puisse lui attribuer quelques décisions
douteuses par rapport au citoyen moyen, ait eu la volonté de maltraiter physiquement ou
psychologiquement la population du Québec, qu’elles fussent artistes ou séparatistes. Par contre, la
façon dont les choses ont tourné, même si elle n’est pas attribuable à personne en particulier, reste
triste et cruelle. Car, en ce triste mois d’octobre 1970, un ministre fut retrouvé mort et donc, la loi
des mesures de guerre fut déclarée, ce qui a pour but d’enlever certains droits aux citoyens pour
« protéger » la nation. L’armée entra témérairement dans Montréal avec des chars d’assaut, et
plusieurs artistes, revendicateurs pacifiques, syndicalistes, eussent été arrêtés, sans motifs, dans leurs
domiciles, torturés et relâchés par les forces armées sous prétexte qu’ils avaient des intérêts
politiques semblables à ceux du groupe terroriste. La situation, par la suite, n’eût jamais été vraiment
justifiée ou investiguée, et personne ne fut trouvé coupable, d’un côté comme de l’autre.
Bien que mon hôte suivît simplement les ordres, à l’époque, et que la cause nationale fut noble, il ne
fut au courant de la tournure des événements que plus tard. Et il savait pertinemment qu’il n’avait pas
commis d’atrocité et qu’il n’en était pas conscient. Il ne faisait que protéger la nation. Pour ma part,
je réalisais l’autre côté de la médaille, celui du militaire, hors Québec, qui travaillait pour le
Canada. Pour la sienne, il réalisait l’impact que ce mois anodin avait eu sur la population québécoise
et même sur les futures générations comme la mienne. Ce fut un bel échange.
Puis il m’avoua que ce qu’il regrettait le plus était qu’il n’avait pas été là pour sa famille et pour ses
enfants. Cela avait été très difficile pour lui de dédier sa vie à son pays et de rentrer à la maison pour
ne pas être reconnu par ses propres enfants. Il avait quand même continué à servir son pays pour le
bien de tous. Maintenant, il était plus prêt d’eux. Il rattrapait le temps perdu avec ses enfants et ses
petits-enfants qui habitaient majoritairement sur sa grande propriété. Il avait bien gagné sa vie et
avait acheté une énorme maison qui accueillait toute la famille. Il passait quelques jours par mois
avec ceux-ci et c’était sa façon d’amenuiser le sentiment de culpabilité causé par son absence.
Quoiqu’en tant qu’ancien militaire, il croyait fermement qu’il devait continuer à travailler très fort,
c’est pourquoi il passait la majorité de ses semaines à parcourir la côte est, dormant dans son
camion. Il était tout de même satisfait. Il me montrait des photos de ses enfants, de ses petits-enfants,
de sa maison. J’étais heureux de recevoir ce partage et de sentir la fierté de cet homme. Il aimait sa
famille et c’était la chose la plus importante à entendre. Puis, après une heure, il fit un petit détour
pour me laisser tout près d’où mon amie habitait à Moncton. Il me dit qu’il devait justifier ce petit
détour à ses patrons, mais que ça en valait la peine. Je le remerciai abondamment, puis il me souhaita
bonne chance avant de me laisser aller.
Je marchai sur le bord de l’autoroute, pour la traverser et me rendre dans les rues de Moncton. Avant
que je puisse le faire, une autre voiture s’arrêta devant moi, sans même que je ne lève le pouce, et me
demanda si je voulais embarquer. Je remerciai l’homme aux cheveux longs et à la barbe, mais
continuai mon chemin à pied. J’étais agréablement étonné de voir que la vie continuait à travailler en
ma faveur même quand je ne voulais pas nécessairement de moyen de transport. Puis, en quinze
minutes, je me rendis chez mon amie alors que personne n’était à la maison. Ma douce Acadienne
était partie avec des amis en bateau, je devais donc attendre son arrivée. Je pris le temps de me
reposer. Je pris rapidement un taxi pour aller acheter de la bière de West Lane jusqu’au « Pump
House ». Puis, je revins.
En arrivant, mon amie me sauta dans les bras, contente de me voir. Elle avait passé une super belle
journée en bateau avec une amie et sa famille, mais m’avoua qu’elle était impatiente de revenir pour
me revoir, encore une fois, peut-être pour la dernière. J’étais flatté, même si, pour la cinquième fois,
nous allions avoir à nous quitter. Mais, de toute façon, ce n’était pas le temps de penser à tout cela.
Le temps était seulement à la réjouissance. Je passai donc une soirée simple, j’étais si heureux de
pouvoir embrasser mon amie, encore et encore, et de pouvoir passer du temps, peut-être pour la
dernière fois, avec Sir Branston. Puis, nous allâmes nous coucher, ensemble, après une soirée
arrosée, heureux de se retrouver.
Chapitre 21
Un nouveau départ (Deuxième partie)

9 octobre 2017

Nous nous réveillâmes très tard. Eva ne voulait pas être rabat-joie, mais nous avions appris de la
dernière fois, et je ne voulais pas me permettre de passer une autre journée à attendre sur le côté de
la route sans que personne n’arrête. Nous eûmes une belle matinée, bien que trop brève, avant qu’elle
ne me conduise jusqu’à Salsbury. C’était le plus loin qu’elle pouvait aller et nos adieux éternels ne
faisaient que s’étirer encore et encore. Je ne voulais pas sembler rude, mais je ne voulais pas
m’éterniser également, car chaque fois que je laissais cette femme et son chien derrière, mon cœur
craquait un peu plus. Je devais, enfin, tout mettre derrière moi, et penser à la prochaine étape. Celle
de reconstruire une nouvelle vie à partir de rien. Celle d’être à la fois un humain attentionné, une
personne dévouée, illuminée, et un nouvel écrivain. Celle dont j’avais toujours rêvé, avec ou sans
partenaire, cela m’était égal.
Elle me laissa sur le coin de la sortie d’autoroute, à une station-service. Nous nous embrassâmes très
fort, pour une dernière fois. Bien que l’amour reste l’amour, nous nous dîmes que nous nous aimions
d’une autre façon. Celle qui prouve qu’il y a véritablement une différence entre aimer et être en
amour ; entre l’action d’aimer et l’objet que l’on convoite. Sur le moment, je vivais les deux
sentiments en même temps. Puis, je sortis du véhicule. Nous allâmes derrière celui-ci. Regardant le
coffre arrière, nous nous mîmes à rire, car mes Converses délabrés, attachés à mon sac, pendaient à
l’extérieur du coffre arrière, alors que les lacets s’étaient faufilés dans les craques du coffre fermé.
Ces souliers avaient littéralement tout vécu. Cela me faisait penser au fameux poème de Félix
Leclerc : Moi, mes souliers.
J’avais entendu dire que certaines personnes allaient déposer leurs souliers sur la tombe de Félix, à
l’Île d’Orléans au Québec, pour lui rendre hommage. Je savais que j’allais passer par là, et comme
j’avais entendu dire que c’était une belle région, je me dis que je pouvais le faire, symboliquement,
en l’honneur d’un grand homme, d’un grand poète francophone, l’un des pionniers. Mais à lire et à
relire ce poème, si je sentais bien ses mots couler dans mes veines, je compris que garder ces
souliers pour les accrocher dans mon musée était la chose à faire, pour véritablement lui rendre
hommage. Car, même si le geste était symbolique, après quelques semaines, au maximum, quelqu’un
allait les ramasser sans vergogne et les jeter aux poubelles. Soyons réalistes.
Ces souliers m’avaient duré plus de quatre ans et avaient littéralement tout vu. De mon basketball,
jusqu’à neuf des dix provinces canadiennes. Ils avaient été ma rédemption. Cela m’avait pris plus de
deux heures à choisir tous les détails, sur mesure, et mon nom y était écrit à la base. Je me devais de
les garder, pour respecter l’idée dernière l’artiste, car un créateur n’est rien sans ses idées, sans ses
inspirations, sans son souffle. Je me disais que j’allais mieux le respecter de cette façon.
Je quittai ma douce, encore une fois. C’était difficile. Je l’embrassai une dernière fois lui disant que
je l’aimais. Il m’était impossible d’imaginer l’avenir, avec ou sans elle. Il m’était simplement
impossible d’imaginer ce que l’avenir me réservait. Au moins, les technologies allaient aider à
prévoir quelque peu ce qui allait se passer, sans plus. La lettre que je lui avais écrite résumait tout,
de toute façon.
En marchant vers la route, je ne regardai même pas derrière, alors qu’elle était stationnée pour mettre
de l’essence dans son véhicule. Mon cœur brulait, et des larmes coulaient sur mes joues. Je sentais
que c’était la fin et, d’un côté, j’étais content de pouvoir rentrer à la maison. Mais de l’autre, ces
derniers mois avaient été si intenses, remplis d’émotions positives et d’amour. Cette femme en était
l’apogée et je la quittais pour revenir à Sainte-Julienne, dans le sous-sol chez mes parents. Mais le
pire était que je n’allais jamais rencontrer une femme comme elle ; avec un accent comme le sien,
avec un sourire comme le sien, avec son chien, sa façon de pleurer et de rire, son charme et sa
passion. Tout son être allait tant me manquer. Mais rester fort dans une telle situation était tout ce que
je pouvais faire. Et si j’avais réussi à parcourir environ dix mille kilomètres sans véhicule, la
distance n’était plus un obstacle. Elle ne restait qu’une aventure. Pour ajouter au comble de la
situation, une petite pluie se mit à tomber tranquillement alors que je marchais vers l’autoroute.
Je perdis la voiture de vue en descendant une petite pente pour me rendre sur l’entrée de l’autoroute
alors qu’une voiture s’arrêta aussitôt pour me laisser entrer. Un homme me dit d’embarquer alors
qu’il était au téléphone. J’embarquai à ses côtés et restai silencieux. Il me salua de la main et nous
partîmes. Il prit au moins quinze minutes pour parler à un homme qui vivait certains problèmes de
couple, de l’autre côté de la ligne. Comme j’avais fréquenté une église pentecôtiste quand j’étais
jeune, je comprenais le langage qu’il parlait. Il lui conseillait que Dieu eût un plan pour lui, s’il
suivait la parole de l’évangile, et que ses problèmes allassent se révéler professeurs pour lui, car la
grâce de Dieu est omnisciente. Ce langage, qui m’avait été inculqué durant mon enfance, auquel
j’avais tant adhéré, puis amèrement rejeté. Je le comprenais mieux maintenant, d’une autre façon. Car
on peut l’appeler Dieu, ou tout autre nom, la vie nous offre ce que l’on veut quand on la traite d’une
certaine façon. J’étais complètement d’accord avec l’homme. Je crus alors qu’il était pasteur.
Après avoir raccroché, nous discutâmes, un peu, de tout et de rien. Il n’était pas pasteur, mais il était
beaucoup investi pour son église. Il était l’une des personnes que l’on appelait pour recevoir de
l’aide psychologique et spirituelle. J’étais, par contre, un peu moins d’accord, car le problème qu’il
décrivait entre l’homme et la femme en question était que l’un était plus croyant que l’autre. Et
comme on ne devrait jamais forcer la vie à agir d’une façon, on devrait ne jamais forcer une personne
à en faire autant. Il n’est que du ressort de sa propre personne de croire en ce que l’on veut, et c’est
de cette façon que nous évoluons ; chacun de notre façon, mais ensemble. Mais la religion,
habituellement aux extrêmes, voit souvent les situations soit noir ou soit blanc ; soit bien ou soit mal,
alors que le gris est présent et souvent trompeur. De plus, anciennement, c’était la religion qui le
faisait, mais maintenant, c’est nos propres gouvernements qui suppriment légalement ce droit
philosophique de prendre des décisions personnelles et éclairées au profit des entreprises et d’un
faux bien commun, nous laissant croire que nous ne sommes pas assez intelligents pour prendre soin
de nous-même.
Il reçut ensuite un message texte pour un autre cas. Il le prit aussitôt. Le message lui disait : « Nous
avons besoin de vos prières pour une personne », tout simplement. L’homme nous rangea sur le côté
de la route et me demanda si je voulais prier avec lui. J’acceptai volontiers. Je n’avais pas assez prié
depuis le début de ce voyage, car je ne voulais rien en particulier. Alors que la méditation se doit
d’écouter Dieu, la prière est de lui parler. Pour moi, les deux sont aussi importants. Même si je ne
connaissais pas la personne, nous nous mîmes à prier, car s’il était humain, il était mon ami, mon
frère. Il était moi. Je tins la main de mon bon samaritain alors qu’il se mit à demander à Dieu d’aider
l’homme que je ne connaissais point. Mon compagnon semblait avoir la volonté de rendre le monde
meilleur, alors qu’il pleurait, priant pour son ami. J’avais entendu dire que manifester sa volonté ne
passait pas par la visualisation mentale, mais bien par l’intention du cœur. C’était de cette façon que
les prières pouvaient se manifester, et j’y croyais. Le seul détail auquel le monde se raccroche est
que, parfois, on demande quelque chose et on reste aveugle aux signes qui se présentent. Ou encore,
on espère que quelque chose arrive d’une certaine façon, mais quelque chose d’aussi signifiant se
produit, sans qu’on le remarque. Bref, si l’on prie, il faut rester ouvert aux signes et aux différents
dénouements. Et c’est de cette façon que l’on peut faire confiance en la vie. Nous reprîmes la route,
par la suite, alors qu’il me laissa deux heures plus loin.
C’était déjà la fin de l’après-midi et une petite bruine tombait sur le Nouveau-Brunswick. Je n’avais
jamais vraiment encore fait d’auto-stop sous la pluie. C’était à croire que je devais tout vivre. La
pluie n’était pas assez forte pour me couvrir, mais assez pour m’attirer une certaine pitié. Et, de toute
façon, où j’étais rendu, j’allais me rendre chez moi, coûte que coûte.
Une autre voiture s’arrêta devant moi 15 minutes plus tard. Deux jeunes personnes, un couple, était
assis devant et une personne dans la cinquantaine derrière. Ils semblaient voyager ensemble. La jeune
femme était québécoise et nous nous reconnûmes rapidement. Bien que je sente que j’avais déjà
terminé mon travail envers tous les inconnus de la région, nous discutâmes de mon voyage, de mon
retour, et surtout de l’importance d’aider son prochain, comme ils le faisaient maintenant. Car, d’un
inconnu à l’autre, il est si facile de poser un petit geste qui peut faciliter la vie de tous et chacun. Et si
tout le monde le faisait, tout le monde pourrait le recevoir également. Nous discutâmes durant
quarante-cinq minutes, alors que nos routes se séparèrent avant Edmundston. Nous étions heureux, et
même la personne plus âgée, malgré qu’elle restât discrète, semblait être d’accord avec la sensibilité
de nos conversations. Et c’était d’autant plus merveilleux de pouvoir avoir ce type de conversation
d’un millénial à l’autre. Car notre génération, bien qu’elle soit différente, est très sensible l’un envers
l’autre. Et j’en avais encore la preuve. Nous nous séparâmes entre la route 17 et l’autoroute 2.
J’attendis trente minutes sous la pluie. La bruine s’était transformée en légère pluie et j’espérais ne
pas trop être trempé pour embarquer avec quelqu’un. Puis, une voiture s’arrêta. Un couple
francophone du Nouveau-Brunswick me dit de monter à bord. Ils m’amenèrent de l’autre côté
d’Edmundston, à juste huit kilomètres avant le Québec, alors que le soleil descendait tranquillement
dans le ciel. Ils me déposèrent sur l’autoroute 85, où je restai un instant. Ils furent si simples et
sympathiques ; typique des personnes de la côte est. Ils me pointèrent l’autoroute, puis un camping
tout près. Ils me dirent que le camping se devait d’être désert, car il venait de fermer. De l’autre côté,
il y avait un motel, si jamais je ne trouvais nulle part où aller. Je sentais qu’ils voulaient mon bien,
d’un inconnu à l’autre, et ça faisait toujours chaud au cœur. Puis ils repartirent.
Je restai près de l’autoroute, bougeant d’un endroit à l’autre, sous la pluie, pour continuer ma route.
Mais les gens ne s’arrêtèrent pas. Au bout d’une heure, le soleil commençait à rougir de plus en plus.
Je décidai donc de me diriger vers le terrain de camping, car j’étais sûr et certain de pouvoir arriver
chez moi au lendemain. Je marchai jusqu’aux portes de ce grand terrain, et personne n’y était. J’y
entrai. J’allai vers les premiers chemins, alors qu’ils y avaient des cabanes à air ouverte ; c’est-à-
dire, trois murs et un toit, avec l’eau courante, l’électricité, un poêle à bois et des tables. Tout était
installé pour moi, en cette journée de plus en plus pluvieuse. Le camping était désert, surement en
train de fermer, alors que les installations étaient toujours ouvertes et fonctionnelles. C’était, encore
une fois, mon jour de chance. Je restai discret et me concoctai un repas avec mon bruleur de camping.
Je fis le tour du terrain et m’aperçus que beaucoup de gens autour avaient des cordes de bois. Bien
que le bois fût humide, j’avais le gout d’en prendre un peu à tous et chacun pour allumer mon poêle à
bois, mais je me dis que c’était inutile, car ce n’était pas froid et je voulais garder mon karma intact.
J’installai ma toile comme matelas, mon "sleeping bag" et mon oreiller sur le sol, dans le coin de ma
cabane. J’étais si fier, car, pour la dernière nuit de ce voyage, j’allais dormir, dans un abri que
j’avais trouvé, sur le sol. Je sentais que la fin était comme le début. Je me sentais si bien, seul avec
moi-même. Et j’appréhendais la prochaine journée plus que jamais.

10 octobre 2017

Je n’aurais jamais pu croire qu’aussi jeune, je serais en mesure de pouvoir affirmer que la vie est
aussi belle. Je crois que la vie est comme une femme avec qui je dois construire une relation saine. Si
je tente de tout contrôler, elle se fatiguera de moi, elle me dira que je n’ai pas confiance en elle et en
ses capacités. Alors que si je l’aime, si je la chéris, si je lui fais confiance et si je la laisse jouer son
rôle dans notre relation, elle me comblera. Car la vie veut tout me donner, par amour, si je lui laisse
faire son travail. Le mien est plutôt de nature personnel et social.
Je n’aurais aussi jamais cru écrire un premier livre à propos de moi-même. Pourtant, au point où j’en
suis, je peux enfin différencier la sagesse du narcissisme et affirmer que chacun a son histoire à
raconter ; remplies de péripéties divines. Chaque moment est unique pour chacun de nous, qu’il dure
une seconde ou une éternité, et nous transforme inconditionnellement. Je ne suis donc plus la même
personne que j’étais avant d’écrire ces quelques mots.
Je n’aurais jamais cru, non plus, partir soudainement, sur le pouce, pour parcourir plus ou moins
quinze mille kilomètres, pour échanger : amour, gentillesse, compassion. Voici alors mon récit, mon
aventure, ma quête : Celui de transformer les gens et d’être transformé par eux. Celui d’ouvrir mon
cœur pour ouvrir celui des autres. Car nous sommes tous connectés quelque part. Suffit de trouver le
lien qui nous unit et de s’y accrocher. Notre évolution devra donc se faire chacun à l’intérieur de
nous-mêmes, mais ensemble, comme si nous n’étions qu’un, car c’est ce que nous sommes.
Cette idée folle de me faire guider par mon pouce à travers le Canada n’est que le fruit du pouvoir de
la synchronicité ; une série d’événements qui semblaient aléatoires, à priori, mais qui m’amena à
faire ce saut courageux à travers l’inconnu. En raison de mon éducation, mon enfance, mes études qui
m’ont amené ailleurs que dans une vie pré-écrite d’esclave moderne, comme on essaie tant de
dessiner quand on est tout jeune, et j’ai essayé tant bien que mal de m’intégrer à ce mode de vie. Mais
la vie avait d’autres plans pour moi. Tout le monde m’a toujours dit que j’avais quelque chose de
spécial à l’intérieur, et je crois que nous le sommes tous quelque part. Il ne suffit que de trouver,
d’agripper et d’embrasser cette divine divinité. Et après cela, me voilà prêt à revenir chez moi,
même si chez moi sera dorénavant nulle part, donc partout à la fois.
Je me levai si fier, ce matin-là. Eva m’applaudissait et c’était ce qui avait donné l’énergie à mes
paupières de s’ouvrir. C’était déjà fini. Je pouvais maintenant commencer une nouvelle vie. Mes
premières pensées, en voyant Jym éparpillé tout autour de moi, étaient dirigées vers eux, mes deux
acolytes. Jym et Eva, qui m’ont été fidèles tout au long de l’aventure. Bien que j’aie dû rafistoler Jym
quelques fois, et décevoir Eva pour de bonnes et de moins bonnes raisons. Tous les voyageurs que
j’eusse rencontrés faisaient équipe : avec leur chien, avec leur véhicule ou bien avec des amis. Pour
ma part, j’avais Jym et Eva qui m’avaient toujours fait sentir comme si j’étais à la maison. Même la
science nous décrit comme des êtres sociaux, mais je me rendais compte que faire équipe, bien que,
parfois, c’était plutôt symbolique, fait partie de nos gênes et de qui nous sommes. Car si l’univers a
été créé par quelque chose qui ressemble au Big-Bang, nous ne sommes tous qu’une partie d’une
minuscule étincelle d’énergie qui a trouvé le moyen de prendre de l’expansion pour constituer tout ce
qui est maintenant connu de l’homme. Et, même si, parfois, l’émotion est cachée, nous le sentons tous,
quelque part au fond de nous.
J’organisai Jym, pour une dernière fois, et je le fis bien, de sorte que je voulais être fier de montrer à
mon père, en arrivant à la maison, que ce voyage n’était pas qu’éphémère, mais que j’étais maintenant
cette personne minutieuse que je voulais être. Bouddha avait jadis suggéré de ne faire qu’une seule
chose à la fois, mais de toujours bien le faire. C’était maintenant le modus operandi que je voulais
appliquer à mon quotidien. Puis, je mis Jym sur mes épaules, agrippai Eva par la main, et me dirigeai
vers la sortie de ce doux terrain de camping qui m’accorda grâce pour ma dernière nuit de vagabond.
En me dirigeant vers la sortie du terrain, je vis qu’il y avait quelques automobiles stationnées tout
près du bureau d’accueil. Les gens semblaient transporter des boîtes et déménager du matériel.
J’étais véritablement tombé sur la dernière nuit où les établissements étaient fonctionnels. Je passai
devant les gens à l’intérieur du bureau, sans honte, sans peur, et presque avec fierté. Je savais qu’ils
ne pouvaient rien faire, et je ne voulais pas m’embarrasser d’émotions négatives. De toute façon, je
n’avais rien fait de mal et j’avais laissé l’endroit comme il était avant mon passage. Je marchais le
dos droit et le sourire aux lèvres. Jym, sur mes épaules, les regardait. Il avait le gout de leur envoyer
la main, mais il avait toujours son travail à faire et Eva lui disait de ne pas opter pour l’arrogance,
bien évidemment. Je passai et continuai.
Je n’allai qu’un peu plus loin pour lever le pouce. J’étais à seulement huit kilomètres de mon Québec
natal. Même si la vision que j’avais de ma province avait beaucoup évolué depuis mon départ,
comme n’importe quel Québécois, j’étais fier de l’être, dans un Canada qui pouvait s’unifier.
L’écrire sur un bout de papier pour l’officialiser, apporter une signature sur une constitution ou
clamer l’indépendance n’allait rien changer en soi, sauf la façon de mal faire les choses qui nous
divisent tant. Car nous avons le choix de nous unifier, d’un inconnu à l’autre, et de ne pas laisser une
infime partie de la population faire des choix pour nous. Alors qu’il devient simple de faire des choix
conséquents pour vivre simplement, avec son prochain, d’un inconnu à l’autre. Comme faire le choix
d’acheter des légumes à la ferme locale au lieu de ceux du supermarché, pollués par tant de produits
chimiques, pour que le marché change lentement. Celui de ne pas acheter n’importe quel gadget
inutile chez Walt-Mart et de se contenter, à la place, de ce que la nature a à nous offrir. Celui d’être
très conscient à propos de son utilisation de plastique, de viande, de médicaments, etc. Celui de ne
plus se battre, de ne plus se confronter pour des niaiseries, et celui de bien s’entendre pour évoluer
collectivement. Celui de réaliser que nous ne sommes tous que des parties différentes d’un seul tout
qui tente d’évoluer. Car si tout le monde acceptait enfin que la haine et la guerre n’étaient pas la
solution pour installer la liberté et la paix, les soldats et les policiers, en tant qu’individus, pourraient
agir autrement, pour seulement défendre et protéger, au lieu d’attaquer et de contrôler. Car la guerre
n’est malheureusement qu’un marketing qui ne profite qu’aux grandes entreprises qui y participent et
qui mettent de la pression folle sur les gouvernements. Nous faisons la guerre et nous nous
confrontons depuis plus de six mille ans, il devrait être temps de reconnaître que ce n’est pas la
solution.
Puis mes pensées s’arrêtèrent, pour un moment, car un camion-remorque s’était immobilisé devant
moi, sur l’entrée de l’autoroute où je me tenais. Elle-même où j’avais essayé de lever le pouce, la
veille, sous la pluie. J’embarquai Jym en premier, car, maintenant, je savais comment faire pour
grimper à bord de ce géant véhicule. Le jeune homme, dans la vingtaine, assez bâti, me dit qu’il allait
décharger sa remorque à Rivière-du-Loup et qu’il allait m’y amener. J’étais content. J’avais quelques
heures à voyager avec lui. La fin approchait à grands pas.
Je tentai de lui parler un peu, mais je sentais que mon aventure était terminée. Il faisait son travail, et
tenir compagnie à un camionneur était un geste, en soi, agréable. Nous discutâmes de ces merveilleux
paysages qui s’étendent, séparant l’est du Québec et l’ouest du Nouveau-Brunswick. Nous en étions
tous les deux fiers, d’autant plus que ces paysages nous connectaient, d’un inconnu à l’autre. Il faisait
si beau. La température était si clémente que j’avais l’impression que le soleil était tout aussi fier de
moi, de mon parcours, et de ces paysages qu’il alimentait de son énergie divine.
Puis, nous étions rendus. Je débarquai du camion, remerciant le bon samaritain de ce tout petit geste
qui avait était si grand pour moi. Je lui souhaitai un bon retour au Nouveau-Brunswick, alors que
pour ma part, j’étais déterminé à aller dans l’autre direction. J’attendis tout au plus dix minutes, aux
abords de l’autoroute 20, alors qu’un autre camion-remorque s’arrêta devant moi. Je me sentais
chanceux, c’était ma dernière journée, j’étais tout simplement épuisé, comme si la pression de ma
mission était tombée depuis le début de la journée. Mais, d’un autre côté, le destin m’envoyait les
moyens les plus simples de voyager par ce mode de déplacement clandestin. Je fus d’autant plus
étonné quand l’homme, un peu plus petit, portant une couronne de cheveux châtains foncés, me signala
qu’il se rendait directement à Montréal. Ça y était ! J’avais six heures à parcourir avec lui. Je devais
ensuite décider si j’allais appeler quelqu’un dans les environs pour m’amener à la maison, ou si
j’allais véritablement « autostopper » jusqu’à la maison. Si mes calculs étaient bons, j’allais arriver
vers trois heures alors que tout le monde allait encore travailler. J’avais tout de même assez de temps
pour contacter certaines personnes de mon entourage, et aussi pour planifier mes déplacements.
J’étais simplement content des synchronicités qui n’avaient pas arrêté de débouler, les unes à la suite
des autres, depuis l’instant même de ma séparation.
J’étais parti après une chicane de couple et ma seule solution était de lever le pouce, il y avait
maintenant plus de deux mois. J’avais reçu Jym, ainsi que tout ce qu’il pouvait porter, en cadeau.
Puis, une petite semaine plus tard, je partais. Après avoir passé chez mon meilleur ami, j’avais
beaucoup appris à ma première journée, quand ces bonnes âmes fumaient du crack à mes côtés. Ils
m’avaient laissé à Oshawa, où j’avais rencontré ce shaman. Puis, j’avais continué, pour me rendre
vers la magnifique péninsule de Bruce, où j’avais passé l’une des journées des plus éprouvantes et
stupides de ma vie, seul dans la nature, rencontrant un serpent à sonnette et m’abreuvant directement
du Grand Lac Huron. Puis, j’avais continué, traversé l’Onterrible rencontrant cette voyageuse et son
chien à Sault-Sainte-Marie qui m’avait demandé de les retrouver à Kelowna. Ensuite, cette douce
femme, dans la même ville, qui avait voulu tout me donner, en échange de quelques travaux sur son
terrain.
J’avais ensuite rencontré cette femme de New York, avec qui j’avais traversé les prairies en quatre
jours et qui m’avait donné un cap d’acide. Puis, aussitôt arrivé à Calgary, je quittai la grande ville
pour suivre l’éclipse, quelques jours plus tard. Je me trouvai soudainement seul en montagne, à
Frank’s slide, où je passai trois jours à méditer, à contempler, à ne manger que des légumes et des
noix, me faisant réveiller sous les mugissements des vaches de pâturages qui entouraient ma tente.
Puis, je m’étais rendu à Fernie, tout près, où j’avais croisé ces Français vagabonds pour la première
fois, très brièvement. Là même, où en forêt, j’eusse une révélation, sous des effets psychédéliques,
sur la mécanique de la spiritualité et de la matérialisation de ses idées : « Don’t do it, be it », c’est ce
que j’avais appris. Le jour d’après, je rencontrai ce jeune homme au sourire sincère, qui retournait
chez lui, à huit heures d’où nous étions, dans le quartier de Kelowna que je visais. Ces personnes ne
resteront dans mon cœur à tous jamais.
Arrivé à Kelowna, je passai des moments agréables avec ce couple d’amis, mais aussi avec mon
amie qui m’attendait, avec son chien, pour une seconde fois. J’eus la chance de donner au suivant et
d’offrir mes services bénévolement pour aider des gens qui avaient été évacués en raison de feux de
forêt. Mais surtout, là, j’avais rencontré cette douce Acadienne qui allait changer ma vie à tout
jamais, dans un bar, le seul qui voulait bien m’accepter avec mon énorme sac à dos. Alors que je me
dirigeais vers Nelson, j’avais fait la rencontre de ce jeune homme qui m’invita pour une semaine à
vivre avec lui dans son autobus rénové en maison mobile. Puis, en repassant par Kelowna, j’avais eu
la chance de revoir cette douce Acadienne.
Je m’étais arrêté, avec lui, à Campbell River, car c’était sa destination finale. J’avais alors fait la
connaissance de ce natif, qui prenait les décisions les moins éclairées pour lui, par anxiété, et par
immaturité, malheureusement : Celui que je n’aurais jamais été capable d’aider. Ensuite, je m’étais
dirigé vers Tofino, pour toucher finalement à l’océan Pacifique, et où j’avais recroisé ces Français
qui m’avaient fait une place chère au sein de leur groupe et qui m’avaient permis de faire la
connaissance de ce cher Québécois. Là où, dans la commune, nous ne parlions que français. Puis,
j’étais reparti pour faire le chemin inverse. Il y avait une petite famille qui m’avait accueilli, pour
m’amener à Vancouver, puis à Whistler. Malheureusement, la jeune femme de cette famille avait mal
lu mes intentions et m’avait tout simplement rejeté. Je n’eus qu’à partir par la suite, pour me diriger
vers Kamloops où je fus arrêté et jeté en prison. C’était alors le temps, pour moi, de partir de la
Colombie-Britannique.
J’avais rejoint cette douce Acadienne à Banff, où j’eusse croisé des visages familiers. Puis, nous
voyageâmes ensemble, pour m’immerger dans son ancienne vie albertaine et y faire de multitudes de
rencontres. De fil en aiguille, nous parcourûmes le pays main dans la main : le spectacle de blues à
Saskatoon, le cours de yoga ainsi que le pique-nique sous la pluie à Winnipeg, le ciel magnifique des
prairies. Nous avions trouvé une petite plage magnifique en Ontario et nous y avions dormi à la belle
étoile, au grand malheur de notre compagnon canin qui s’était littéralement fait dévorer par les
moustiques, juste avant de retrouver cette douce femme de Sault-Sainte-Marie, chez qui nous
restâmes une autre journée. Ensuite les merveilleuses chutes Niagara et l’incident de la moufette qui
eusse laissé Buddy perplexe.
Nous nous étions arrêtés, ensuite, à Ottawa, pour visiter un peu. J’eus la chance de revoir mon
meilleur ami pour une journée. Puis, Sainte-Julienne, Joliette et Montréal, où j’eus la chance de voir
des personnes chères à mes yeux, et même, de donner une bonne claque à une citrouille à l’effigie
d’Adolphe Hitler. Pour terminer, nous passâmes par Québec où je lui fis découvrir l’une des
richesses de notre pays, par son architecture européenne. Nous nous étions dirigés, par après, vers le
Nouveau-Brunswick, où j’avais rencontré les proches de ma nouvelle compagne, et surtout sa
nouvelle vie. J’eus le temps de faire le tour de la « Cabot Trail » du Cap Breton de la Nouvelle-
Écosse, avant de revenir au Bercail.
Les synchronicités faisaient en sorte que si je n’avais qu’un seul moyen de transport différent, si
quelque chose s’était déroulé un tant soit peu différemment, mon histoire aurait pu se manifester d’une
façon si différente. Mais le destin m’avait toujours permis d’être à la bonne place, au bon moment.
Assis à côté de ce camionneur, mon histoire repassait rapidement dans ma tête, alors que je fis
frapper par une idée qui me surprit soudainement ; je n’avais pas pensé à mon ex-copine de tout ce
résumé. C’était comme si elle ne faisait pas partie de cette histoire. C’était comme si ma mission était
beaucoup plus importante que de simplement oublier une personne qui n’avait pas été la bonne pour
moi. Je me sentais soulagé et content du dénouement de cette partie de l’histoire qui en était plus
vraiment une. J’étais guéri, comme le shaman l’avait prédit. Je pensais, par contre, à cette douce
Acadienne que je laissais derrière. À quel point je l’aimais. À quel point j’allais m’ennuyer d’elle et
de notre équipe. Le plus difficile était de fermer les yeux et de ne plus y penser. D’avoir confiance en
la vie, et de lui laisser complètement le sort de notre relation entre ses mains. C’est de cette façon
que l’on peut mieux comprendre la foi. Par simplement faire les bonnes actions de son côté, et de
laisser aller un destin qui n’est pas décidé d’avance, mais qui est programmé pour que tout se déroule
en vue de la meilleure des évolutions personnelles et sociales. Bien que des fois, souffrir fait partie
du cheminement. Il ne faut donc pas lutter contre les obstacles, mais plutôt tenter de comprendre
pourquoi ils se présentent à nous ; de les pardonner, de les accepter et de les aimer tout simplement.
C’est de cette façon que nous pouvons les surmonter plus facilement, et si nous les comprenons assez,
ces obstacles cesseront de se répéter dans ce cycle karmique qu’est la vie.
Tout près de Québec, ce camionneur me demanda où j’allais, plus précisément. Je lui répondis que je
me dirigeais vers Sainte-Julienne, un petit village de Lanaudière. Il me demanda alors quelle était la
route la plus rapide pour y aller. Je lui dis que l’autoroute 40 pouvait m’amener à Joliette directement
et qu’après, je pouvais avoir à faire à peine trente minutes de route pour me rendre à la maison. Il me
répondit alors qu’il serait passé par l’autoroute 20 en direction de Montréal, mais comme il m’aimait
bien, il allait me déposer directement à Joliette pour m’aider. J’étais ravi.
Il me racontait qu’il y avait une nouvelle coordonnatrice qui assignait les routes où il travaillait, et
qu’il était en guerre avec elle. Il me disait qu’il avait eu une légère altercation avec elle, quand elle
avait commencé, et que leur travail en souffrait toujours. Les deux semblaient vouloir perpétrer les
sentiments de colères et de haine, l’un envers l’autre, seulement par égo. Alors qu’il faisait ce travail
depuis des années, il se sentait insulté qu’elle tente de changer ses méthodes et elle lui reprochait
constamment de ne pas se reporter comme il le fallait à la compagnie. Le problème est qu’elle était le
pont entre les camionneurs et les patrons, il ne pouvait donc pas complètement lui dire ce qu’il
pensait. Mais travailler était beaucoup plus désagréable pour lui, depuis un moment. Pour ma part, je
me demandais pourquoi certaines personnes prenaient un plaisir malin à être contre une autre
personne, et surtout en milieu de travail. Nous ressentons tous, au fond de nous, qu’il n’est pas normal
de dédier sa vie à un travail pour gagner le droit de tout simplement survivre, alors pourquoi le faire,
en plus, l’un contre l’autre ? Pour moi, j’en avais assez de ces histoires de querelles bidon, d’un
inconnu à l’autre. Ces différends que l’on cultive ne sont que négatifs dans la vie de tout le monde, et
rien de positif ne s’en dégage, alors, pourquoi les alimenter : Par égo ?
Ça me rappelait le jour où j’avais été renvoyé d’un organisme communautaire de Lanaudière qui se
dédiait à lutter contre l’homophobie, car je n’avais jamais vraiment compris ce qui c’était passé.
J’aimais mes projets et je me donnais énormément pour la cause, alors qu’on m’avait mis à pied, car
l’une des sexologues de l’endroit ne m’aimait pas, tout simplement. On m’avait accusé de ralentir le
tempo alors que tous mes objectifs étaient à terme, que mon travail était reconnu par l’ensemble de la
communauté et que mon patron n’était même pas présent pour vérifier, car il était en suspension de
deux mois pour une mauvaise conduite. On m’avait simplement dit : « l’ambiance ne peut pas
continuer comme ça au bureau », sans même vérifier mon travail. Alors que cette personne ne remuait
que de la haine, par confort, elle avait contribué à mon renvoi et m’avait placé dans une situation
assez précaire. De plus, quand on en veut à quelqu’un, on peut facilement trouver le problème, tout
d’abord, à l’intérieur de nous-même. Et c’est ce genre de situation qu’il faut bannir, car si on prend le
temps de se parler, de s’écouter et de se comprendre, d’un inconnu à l’autre, je suis persuadé que
nous pouvons tous collaborer et tous nous aimer.
Le temps passait, et j’étais de plus en plus près de la sortie d’autoroute pour aller vers Joliette.
J’étais si content. Soudain, mon téléphone vibra. C’était mon ex-copine. Comme je l’avais exclue de
mon histoire, le destin voulait simplement m’envoyer un petit défi. Elle me demanda ce que je faisais
dans le coin. J’étais surpris qu’elle le sache, car j’arrivais à l’instant. Elle me dit alors que son
cousin m’avait aperçu, une semaine plus tôt, dans les rues de Joliette. Je compris alors que le
« timing » m’avait joué un tour, car j’aurais tout simplement pu recevoir ce message n’importe quand
depuis une semaine. Je lui racontai rapidement, alors, ce que j’avais fait et je lui avouai que j’étais
de retour à l’instant. Elle me demanda donc si elle pouvait m’aider à m’amener chez moi, de Joliette
où elle était, à Sainte-Julienne. Je restai silencieux pour un moment, regardant le message texte où sa
question était déposée. Je rangeai mon téléphone, alors que l’homme que j’accompagnais me dit de
descendre tout près de la route 31.
Je me mis à marcher sur cette route, alors qu’un camion de lait s’arrêta aussitôt pour me prendre et
m’amener dix minutes plus loin, près de l’intersection de la 158 ; cette route-ci, pour moi, était la
dernière sur mon itinéraire. Je pris mon téléphone et refusai l’offre de mon ex-copine. Ce n’était pas
le bon temps pour se revoir. J’étais épuisé, j’avais hâte de revoir ma famille, mes amis, et toutes les
personnes qui m’acceptaient pour qui j’étais. De plus, mon voyage avait commencé en la quittant, je
n’allais certainement pas le terminer en la retrouvant, ça ne faisait juste pas de sens à mes yeux. Puis
je continuai.
Je me mis à lever le pouce sur la 158 vers Saint-Jérôme. Je crois que de toutes les routes qui existent
dans ce monde, c’était la route que j’eusse parcourue le plus souvent au courant de cette vie. Je
marchais, accompagné de Jym et Eva, mais aucune auto ne semblait vouloir s’arrêter, alors que
j’étais littéralement chez moi, pour une fois.
Je réfléchissais. J’étais fier. En fait, j’étais fier de moi, car j’avais réussi quelque chose de grand par
moi-même. Mais j’avais aussi beaucoup de fierté face à la vie, cette fois-ci. De toute mon histoire,
j’avais été en sécurité. Je n’avais jamais été en état d’alerte. J’avais rencontré des hommes et des
femmes gentils et généreux, de tous les coins du pays, de toutes les tranches d’âges, qui vivent dans
toutes les réalités et une chose nous connectait tous ensemble ; seulement le fait d’être d’un inconnu à
l’autre. Je m’étais donné une mission, celle de promouvoir l’amour, et la vie avait mis toutes les
synchronicités de mon côté pour le prouver, pour écrire ce récit, mais aussi pour me mettre au beau
milieu d’un cercle qui tourne sur lui-même, entre donner et recevoir. Tous les gens que j’avais
rencontrés sentaient l’imminence de ce cercle à l’intérieur d’eux, sans même le réaliser, ils ne
savaient qu’instinctivement, c’était ce qu’il fallait faire.
On nous fait croire à tort et à travers, avec la peur, la haine et la culpabilité, que c’est dangereux
d'être à l’extérieur. Que d’être à Bagdad, Naples, dans le Bronx ou même dans les mauvais quartiers
de Montréal est dangereux. Mais combien de personnes y passent et y vivent chaque jour ? Bien sûr
qu’il ne faut jamais sauter dans certaines situations les mains liées ou la tête baissée. Il faut seulement
être préparé ; physiquement, mentalement et spirituellement. Par exemple, si je n’avais pas eu mon
sac sur les épaules aussi souvent, peut-être que j’aurais pu le perdre, ou me le faire dérober. Mais
j’étais prêt. Et en étant prêt et en faisant confiance en la vie, dans le fondement quantique de la réalité
et du cosmos, la vie se chargera de faire son travail. Et je peux garantir que, seulement qu’avec
l’énergie que l’on dégage, les gens autours peuvent la ressentir et savent comme s’y adapter. Bref, la
majorité de l’humanité est agréable et abordable. Les gens aiment connecter. Ils aiment discuter,
échanger, se rassembler. Je pense toujours à la légende urbaine de l’autostoppeur meurtrier, et sur
des milliers d’autostoppeurs agréables qui parcourent le pays chaque année, on ne ramène que
l’histoire d’un possible autostoppeur meurtrier, dans les médias surtout, puis, de bouche à oreille, et,
ensuite, la peur s’installe, pour nous laisser enfermés dans le confort de notre maison, devant la
télévision, à penser que le monde est si dangereux, et en nous laissant convaincre par celle-ci. Mais
l’est-il vraiment ?
Qui est le plus dangereux, l’homme qui lève le pouce aux abords de la route ? L’homme qui demande
un peu d’argent pour s’acheter je ne sais quoi ? Ou les gouvernements internationaux, contrôlés par
les lobbys des grandes entreprises, qui nous obligent à avoir un permis pour tout faire. Ils font signer
cet acte de naissance à nos parents, pour stipuler qu’on leur appartient. Nous ne pouvons pas vivre ou
travailler ailleurs. Et si nous ne travaillons pas la grande majorité de notre vie, nous ne sommes rien.
Puis, les lois de la mondialisation font en sorte que le monopole du marché est distribué aux grandes
entreprises qui mettent notre santé et notre situation financière en jeu pour leur propre profit. Les
établissements qui nous nourrissent font des profits en millions de dollars alors que des familles ne
peuvent se nourrir. Et qui tente d’aider les familles ? Les petits organismes et les personnes en action
communautaire le font ; d’un inconnu à l’autre, encore une fois. Les compagnies pharmaceutiques
emboîtent des produits chimiques et transformés, mettent de la pression sur les gouvernements en
déformant les études, et poussent à proscrire toute forme d’aide qui ne nécessitent pas de
prescriptions pharmaceutiques comme la chiropractie, homéopathie, ou l’acuponcture. Les cours de
médecine se concentre si peu sur la base naturelle de la santé ; l’alimentation, la gestion du stress, le
sommeil, par exemple. Ils reconnaissent des symptômes et les traites de la façon dont leurs écoles,
établies et financées sur des fondements pharmaceutiques, leur ont montré toute leur vie. On aime
mieux surexciter le système immunitaire des enfants en l’inflammant chimiquement des dizaines et des
dizaines de fois, alors que la nourriture qui les visent est la pire sur le marché ; remplie de sucre, de
gras et de produits chimiques, sans parler qu’on les médicamente également pour leur gestion du
stress, leur gestion du sommeil, et tout ce qui peut aider à prendre contrôle de son propre système
immunitaire à l’aide de la nature. Nous devons prendre le contrôle de notre propre souveraineté, non
pas en tant que pays, mais en tant que personne. Notre santé nous appartient. Notre bien-être nous
appartient. Notre liberté de faire nos propres choix nous appartient et ce n’est pas le rôle du
gouvernement de tout contrôler, surtout au profit des lobbies.
Les policiers, les forces armées, les avocats, les juges, tout le domaine juridique et politique jouent
sur des formalités de langage et sur les failles qui sont déjà écrites entre les lignes de ce que nos
ancêtres ont écrit sur un bout de papier, jadis, même si, à la fin, les décisions ne font pas de sens.
Alors que le président Nixon a été pardonné pour des crimes de guerre parce qu’il a été
« président », d’autres personnes ont été enfermées derrière des barreaux pour posséder une simple
plante, ou encore, car ils ont été capables de donner un coup de main pour lutter contre le cancer avec
des produits naturels. Le système est mal fait et nous amène à ne pas faire confiance aux gens ou en à
la vie elle-même, pour qu’on continue à lui faire confiance aveuglément et pour que l'on continue à
dépenser de l’argent, retardant notre évolution. L’argent lui-même, selon les plus vieux récits
sumériens, a été créé pour établir un système de contrôle et emprisonner les humains.
Mais derrière la majorité de ces hommes à cravates ; derrière les stéthoscopes et les sarraus ;
derrière les toges et les perruques ; derrière les badges et les uniformes, derrière les voiles, les
kippas et les chapelets ; il y a des gens qui en ont assez, au fond. Ils sont épuisés du système qui ne
fait aucun sens. Ils sont prêts à connecter, d’un humain à un autre, et à créer une civilisation sans
querelles ; sans haine, sans peur et sans culpabilité. Un système de collaboration où, si nous retirions
la valeur monétaire de chaque produit et si nous arrêtions de donner la plus grande part d’importance
à la marge de profit qu’un produit peut rapporter, nous pourrions tout avoir presqu’au prix coutant. Or
nous ne serions plus obligés de tout nous procurer à une valeur cinq ou dix fois supérieure que ce que
le produit vaut. Nous ne serions même plus obligés de travailler quarante heures par semaines pour
essayer de franchir fièrement la ligne d’arrivée de chaque mois. Et nous serions simplement plus
paisibles et aimants. Pour l’instant, nous n’en avons même pas le temps. Puis, nous pourrions retirer,
une bonne fois pour toutes, l’argent de l’équation et vivre dans une société, par fierté de paix et de
collaboration, par fierté de simplement être humain, et nous pourrions vivre dans un monde où tout le
monde met la main à la pâte pour faire ce qu’il aime, gratuitement et pour également vivre
gratuitement. Simplement en collaborant.
Durant ce voyage, j’ai ressenti cette lumière dans les yeux de tous ceux qui veulent un avenir
meilleur. D’un inconnu à l’autre, nous savons que d’être le plus riche est une idée dépassée. Nous
savons que nous n’avons plus besoin d’avancer technologiquement dans certains domaines. À quoi
bon tenter de faire mieux, quand nous n’arrivons qu’à peine à faire bien en tant que société
systémique ? Le problème est que le système est tellement fort et imposant, qu’il faudrait une action
globale et énormément de temps pour le changer, et le système en soi, rend illégal, tout ce qui peut lui
nuire. On peut le réaliser en regardant ce qui se passe avec les petites maisons autosuffisantes qui se
font mettre de plus en plus de bâtons dans les roues.
Ce voyage m’a donc aidé à réaliser que nous n’avons besoin de rien pour survivre. La terre est
abondante de nourriture, et si on fait confiance en la vie, elle va nous donner tout ce dont nous avons
besoin pour survivre. Ici, je ne dis pas d’attendre qu’un miracle se produise et d’attendre que le Bon
Dieu fasse apparaître de la nourriture sur ma table, mais bien de travailler à faire des choix
conséquents. Par exemple, d’apprendre à cuisiner des viandes moins dispendieuses, ou même sans
viande, car l’information est dorénavant accessible pour le faire. Nous avons également les
technologies pour, tous, participer au système de décisions politiques, alors que le système, pour
l’instant, nous oblige à donner notre pouvoir de décisions à une simple poigné de personnes si
engouffrées dans la lourdeur du système.
Mais le plus important est de réaliser que nous avons une lumière divine à l’intérieur de nous. Il ne
faut que réfléchir au-delà de ce que la science veut bien avouer, et que ; peut-être serions-nous
simplement constitués de trois parties distinctes : le corps, la tête et l’esprit (l’énergie). Nous
ressentons tous l’énergie positive ou négative d’un endroit ou d’une personne par exemple. Cette
énergie, nous pouvons l’appeler notre âme, nos vibrations, notre prana, notre énergie, la sémantique
de la chose ne devrait pas être importante, car ces vibrations existent à l’intérieur de nous et se
cultivent. J’ai découvert sa science lors d’un "trip d’acide" sur la rivière de Fernie. Alors, si on se
concentre sur cette énergie et si on la cultive, on se rend compte que cette lumière est à l’intérieur de
tous et chacun, et qu’elle nous connecte, d’un inconnu à l’autre. En raison de cette connexion, nous
pouvons avancer, main dans la main, car nous ne sommes qu’un, après tout. Car, si seulement la
science avouait que cette énergie nous constitue également, par les photons du soleil qui se loge à
l’intérieur de notre ADN, entres autres, nous pourrions en faire une science. Car une fois que l’on
peut cultiver cette énergie divine à l’intérieur de nous, on se rend compte qu’on peut changer et
évoluer pour le mieux. Et quand on le fait individuellement, on peut ensuite voir les effets
collectivement.
Et cette énergie n’est cultivable que par amour ; la prochaine étape à notre évolution. S’aimer soi-
même, aimer être avec soi-même, aimer ses qualités et ses défauts, aimer ses accomplissements ou
même aimer procrastiner. Aimer son prochain comme soi-même, car c’est en faisant un tout,
ensemble, que l’on peut améliorer drastiquement la qualité de vie de tous et chacun : Aimer l’être
humain pour ce qu’il est, imparfait certes, mais rempli de bonne volonté s’il n’est pas corrompu ou
dérangé. Puis, aimer la vie, comme elle est, comme elle se présente et lui faire confiance. Car,
imaginons un instant que le cosmos soit conscient, et qu’il a son propre langage ; les mathématiques.
Seulement ce fait justifierait que la vie a un sens, et un plan pour nous. Et tant et aussi longtemps
qu’on ne peut pas prouver le contraire, moi j’y croirai. Car la vie venait de me prouver tout ce que je
voulais qu’elle me prouve, car on peut faire équipe avec n’importe qui ou quoi, notre première
coéquipière dans la vie est la vie elle-même. Et quand on y croit, même si on ne comprend pas
complètement comment elle fonctionne, tout s’offre à nous et nous aide à évoluer, pour que nous ne
fassions qu’un.
Trente minutes passèrent et une petite voiture s’arrêta tout près de moi. Je ne pouvais décidément pas
marcher jusqu’à chez moi, car ma maison était encore à plusieurs dizaines de kilomètres. Mais nous
étions tout près d’où ma mère travaillait et les synchronicités faisaient en sortes qu’elle terminait à
l’instant. Je lui demandai donc de me déposer au CLSC de Saint-Esprit, pour aller retrouver la
personne qui a le plus contribué à ce que je devienne la personne que j’étais maintenant.
Le jeune homme conducteur était mal arrangé. Il avait un bras complètement plâtré, il était défiguré et
quelques dents lui manquaient. Il me disait qu’il avait eu un accident de véhicule récréatif récemment
et qu’il y avait presque laissé sa peau. Il me racontait comment son accident s’était déroulé, et ce
n’était qu’une histoire d’imprudence, de vitesse et de panique. Une chance, ces amis étaient près de
lui et qu’ils avaient pris les bonnes décisions au bon moment. Il me racontait, par contre, que toutes
les conséquences de son accident lui faisaient réfléchir sur la vie elle-même. À quel point elle était
importante et que tout pouvait changer en un instant. J’avais fait le même constat, peut-être au même
âge que lui, après un accident d’automobile. On ne réalise jamais à quel point la vie peut être fragile
et belle, jusqu’à tant qu’on puisse la perdre. L’homme souriait d’un sourire parfait, même s’il lui
manquait quelques dents. Il voulait aider son prochain. Il voulait mordre dans la vie. Il voulait aussi
la remercier de lui avoir laissé une autre chance.
Pour ma part, avec ce qu’il me racontait, je transposais notre histoire à l’échelle collective et j’avais
espoir. Espoir que l’humanité, sur le seuil de son dernier souffle, réalise que la vie peut être
meilleure. Qu’elle peut être belle. Que si nous ne sommes pas morts, il est temps de faire les choses
de la bonne façon, commençant d’un inconnu à l’autre. Car l’espoir n’est rien si elle n’est pas
soutenue par des actions, et tout commence par l’espoir d’un avenir meilleur. Et tant et aussi
longtemps que je ne serai pas, moi-même, mort, je continuerai à croire qu’il y a de l’espoir, pour
nous, pour nos enfants et pour nos prochaines vies. Car, dans un contexte de réincarnation, l’évolution
est inévitable, seul le temps est une distance pour arriver à cette fin, et une seule chose dans ce
monde est plus forte que le temps lui-même ; l’amour.
Je sentis soudainement un trop plein d’amour s’emparer de moi, alors que mes mains et mes jambes
se mirent à trembler. Nous étions arrivés à destination. Je remerciai le jeune homme qui m’y avait
amené, lui disant qu’il avait appris une belle leçon de son expérience atroce. Je le remerciai une
seconde fois, lui disant qu’il était véritablement la fin de la plus belle expérience que j’avais eu la
chance de vivre, de toute ma vie. Puis, je sortis du véhicule, fébrile.
Je posai Jym, pour une dernière fois, sur mes épaules, alors qu’Eva me regardait, les larmes aux
yeux, fières que ce soit la fin. J'entrai alors dans cet établissement que j’avais l’habitude de visiter
pour aller voir ma mère. Bien qu’elle ait changé de bureaux quelques fois, durant les dernières
années, j’eusse toujours eu quelques problèmes à me diriger dans le minuscule labyrinthe de
corridors de l’endroit. Tout le monde me regardait avec mon énorme sac sur le dos. Je les entendais
réfléchir et se demander si j’étais bel et bien le fils de ma mère, qui revenait de sa courageuse
expédition. Puis, je tournai le coin et tombai nez à nez avec la femme la plus importante de ma vie,
celle que j’aime tant. Surpris, je la regardai un court instant puis, je la serrai dans mes bras et lui
dis spontanément : « Je t’aime maman ».

À suivre…

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