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Médecine et maladies infectieuses 38 (2008) 407–409

Éditorial
Infection bactérienne : quelle place pour la phagothérapie ?
Bacterial infection – update on phage therapy

À l’aube du xxie siècle, 90 ans après la découverte par infections nosocomiales associées à la diffusion des bactéries
Félix d’Herelle du rôle de la phagothérapie en thérapeutique multirésistantes.
anti-infectieuse, le 20 novembre 2007 s’est déroulé à l’Institut La phagothérapie doit-elle, pour autant, être une alternative
Pasteur de Paris un colloque ayant pour titre : Infectiologie à l’antibiothérapie ? Nous ne le pensons pas. Tout d’abord, si
bactérienne : quelle place pour la phagothérapie ? À cette la phagothérapie peut être un recours face au développement
occasion, plus d’une centaine de spécialistes, médecins, des résistances, il est encore loin le temps où l’usage parentéral
infectiologues, microbiologistes, chercheurs et membres de des bactériophages, si tant est qu’il puisse l’être un jour, soit
l’industrie pharmaceutique se sont côtoyés. Pas moins de 14 une pratique acceptable, même si des essais thérapeutiques
pays à travers le monde, dont des pays européens (Angleterre, sur des modèles animaux, comme la pratique (limitée chez
Belgique, Espagne, France, Géorgie, Italie, Portugal, Russie, l’homme) des injections intravasculaires (intraveineuse ou arté-
Suède, Suisse) ceux du continent nord-américain (Canada, rielle) ou encore intracavitaires, semblent montrer une bonne
États-Unis) et même l’Australie et le Japon, se sont réunis tolérance. Ainsi la phagothérapie semble, aujourd’hui, réservée
autour d’un thème commun : le bactériophage en tant qu’acteur au traitement des foyers infectieux accessibles localisés :
potentiel de l’arsenal thérapeutique humain. Pratiqué sous le infections ostéoarticulaires, cutanées, ORL, etc. Par ailleurs,
nom de phagothérapie ou thérapie phagique depuis près d’un avec d’autres, la pratique nous a enseigné que l’association
siècle, ce traitement anti-infectieux par les bactériophages est phagothérapie–antibiothérapie donne d’excellents résultats.
méconnu, oublié voire inconnu ou tout simplement considéré Cela implique l’isolement de la bactérie responsable car, tout
comme désuet par certains. Il est décrié par d’autres qui le comme l’activité des antibiotiques sur la bactérie pathogène,
considèrent comme inefficace ou pire, dangereux. Toutefois la celle de la suspension phagique doit être contrôlée in vitro
phagothérapie, si elle a été complètement abandonnée dans les préalablement au traitement. La collaboration étroite entre le
pays occidentaux depuis près de 20 ans, n’a jamais cessé d’être biologiste, l’infectiologue et le spécialiste (orthopédiste, par
à l’honneur dans les pays de l’ex-bloc soviétique. exemple) est essentielle. Le dogme connu, qui consiste à traiter
Pourtant le constat d’une progression continue de la avec des antibiotiques une infection dont la masse bactérienne
résistance des bactéries aux antibiotiques face à la carence est réduite autant que possible, doit être satisfait. Il ne faut pas
dans la découverte de nouveaux anti-infectieux a conduit perdre de vue que les résistances (au bactériophage comme à
quelques individualités à réexaminer la phagothérapie comme l’antibiotique) apparaissent après mutation dont la survenue
un recours potentiel. Le responsable du département des est directement en relation avec le nombre de bactéries en
maladies infectieuses de l’institut de veille sanitaire (InVS), présence.
pour l’ouverture, et le président de la Société de pathologie Certains d’entre nous avaient été à l’initiative d’un colloque
infectieuse de langue française (Spilf) pour la clôture de la intitulé « Actualités sur les phages » organisé le 15 juin 2001
journée soulignaient l’urgence à trouver une parade pour traiter au sein des Journées nationales d’infectiologie à Nantes. Les
efficacement les maladies bactériennes. Un colloque organisé et communications ont été reproduites dans ce même journal [2].
présidé par le sénateur Alain Vasselle, exactement une semaine Cette réunion sur ce thème en France n’avait obtenu qu’un
plus tard, le 27 novembre, comme la publication récente faible succès. Sans doute était-il trop tôt pour mobiliser les
d’un plan national anti-infectieux français, le deuxième plan esprits qui ont probablement jugé notre initiative trop tardive
antibiotiques, visant à préserver l’efficacité des antibiotiques ou prématurée ?
(27 novembre 2007) [1], montre toute l’importance que les pou- Aujourd’hui, nous sommes dans une situation paradoxale.
voirs publics français donnent à ce problème. Mais ce malaise Si la phagothérapie n’est pas interdite, elle n’est pas non plus
n’est pas récent : depuis plus de dix ans, on peut lire dans la autorisée. Autrement dit, officiellement rien ne s’oppose à
littérature des propos alarmistes quant à l’augmentation des l’utilisation des bactériophages pour venir en aide à des malades

0399-077X/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.medmal.2008.06.019
408 Éditorial / Médecine et maladies infectieuses 38 (2008) 407–409

atteints d’infection chronique que les antibiotiques ne peuvent • les suspensions de bactériophages à usage thérapeutique sont-
maîtriser. En revanche, si le moindre incident survenait au elles des médicaments ? En d’autres termes, entrent-elles dans
cours du traitement, on ne manquerait pas de faire savoir que le cadre défini par le règlement ?
les phages en sont probablement responsables.
Les infections ostéoarticulaires constituent un exemple qui En France, selon le Code de la santé publique, on entend
illustre tout particulièrement les préoccupations actuelles. En par « médicament » : « Toute substance ou composition présen-
ne comptant que les infections nosocomiales, il y a en France tée comme possédant des propriétés curatives ou préventives
1 % d’infection au site opératoire en chirurgie orthopédique à l’égard des maladies humaines ou animales, ainsi que tout
prothétique (sur 150 000 interventions) [3] dont 80 % sont produit. . . ». Parmi les différentes catégories de médicaments,
à Staphylococcus. Certaines conduisent à l’amputation d’un la principale est constituée des spécialités pharmaceutiques
membre pour régler le problème. Est-il éthique de ne pas tout définies comme « tout médicament préparé à l’avance, pré-
tenter pour éviter cette solution extrême ? senté sous un conditionnement particulier et caractérisé par
Certes le passé semblait avoir définitivement écarté la pha- une dénomination spéciale. » (article L. 511-1 du Code de la
gothérapie, plus semble-t-il, pour des raisons d’inefficacité santé publique). Des contraintes réglementaires régissent leur
que pour les effets qu’elle était susceptible de provoquer. Un mise sur le marché, afin d’assurer leur qualité, leur efficacité
nombre considérable de publications rapportant des traitements et leur innocuité. L’acte de naissance de la spécialité pharma-
est aujourd’hui disponible. Depuis cinq ans au moins, la fré- ceutique est une décision administrative : c’est l’autorisation de
quence de telles publications ne cesse de croître. On ne peut mise sur le marché (AMM). À côté de ces spécialités pharma-
nier que les résultats obtenus sont parfois inégaux (voir l’article ceutiques, on a distingué les thérapies cellulaire et génique. Ne
de Debarbieux dans ce numéro). Mais cela n’est pas nouveau. faudrait-il pas considérer les bactériophages comme une classe à
Dès son application dans les années 1920, d’Herelle, lui-même, part ?L’adaptation récente du Code de la santé publique au droit
le soulignait en insistant sur l’importance qu’il y avait à bien communautaire européen dans le domaine du médicament, par
contrôler toutes les phases d’un traitement. La commercia- ordonnance no 2007-613 du 26 avril 2007 [4], prévoit un cer-
lisation des suspensions n’a pas été exempte d’imperfection tains nombre de modifications. Mais elles ne concernent que les
(insuffisance). Les antibiotiques n’étant pas encore apparus ou médicaments à base de plantes, les cosmétiques, diététiques. . .
étant en nombre limité, la phagothérapie apparaissait comme Seul le chapitre II qui traite des produits d’origine humaine dont
le seul recours dans des situations désespérées et en déses- les tissus et cellules (section 1) et les produits sanguins (section
poir de cause. Les arguments sont nombreux à l’encontre de 2) s’en rapproche.
la phagothérapie et des raisons de son déclin (voir l’article de Difficile de placer les suspensions phagiques dans l’un ou
Dublanchet et Fruciano dans ce numéro). Les essais récents, l’autre de ces chapitres ;
auxquels on se réfère le plus, ont pour origine les pays de
l’ex-Union soviétique et ne répondent pas aux critères occi- • plus précisément et pour répondre, dès à présent, aux
dentaux. Mais la biologie moderne est capable d’apporter demandes pressantes de certains patients, a-t-on le droit
des garanties d’innocuité face aux risques potentiels dont les d’utiliser cette thérapeutique à titre compassionnel ?
phages peuvent être responsables : transmission de gène de viru-
lence, de résistance, de toxine, etc. C’est aussi oublier que les L’article L. 511 du Code de la santé publique est une trans-
phages, dits tempérés1 , qui ont la possibilité de s’intégrer au position de la définition européenne du médicament précisée
génome bactérien ne représentent que 10 à 20 % des bacté- en 1965 dans une directive. Mais plus récemment, en 2004,
riophages dans la nature. C’est ignorer encore que l’on sait une autre directive a institué un nouveau Code communautaire
aujourd’hui détecter ceux qui ont cette faculté par la présence européen relatif aux médicaments à usage humain. En parti-
d’un gène (codant pour l’intégrase). C’est oublier enfin que nous culier, l’article 83 du règlement no 726/2004 introduit le cadre
vivons dans un écosystème où la présence de bactériophages de qui rend possible pour les États membres, d’autoriser en « vue
toutes sortes est considérable (voir l’article de Jacquet dans ce d’un usage compassionnel » un médicament relevant d’une pro-
numéro). cédure centralisée, sous réserve que ce médicament fasse l’objet
Quoi qu’il en soit, il est nécessaire de réévaluer la phago- soit d’une demande d’AMM centralisée, soit d’essais cliniques.
thérapie. In vitro et in vivo. En commençant par les études Le Committee for Medicinal Products for Human Use (CHMP)
expérimentales sur des modèles animaux, puis chez l’homme qui relève de l’European Medicines Agency (EMAE) chargé
dans des essais contrôlés selon les normes actuelles. Mais des d’évaluer les médecines à usage humain l’a adopté le 19 juillet
questions sont d’ores et déjà à soulever : 2007 [5].
Ainsi, la prudence actuelle quant à l’utilisation de la pha-
gothérapie en médecine réside tant dans l’absence d’un cadre
1 On oppose (voir l’article de Debarbieux dans ce numéro) : juridique pour cette thérapeutique, que l’insuffisance d’études
• les phages tempérés, improprement appelés lysogènes, parce qu’ils pos-
récentes contrôlées selon les critères modernes, que dans
sèdent la propriété lysogénique leur permettant de s’intégrer au génome
de la bactérie hôte. Le phage prend alors le nom de prophage. Il est l’absence d’un cadre officiel pour permettre sous contrôle des
susceptible d’apporter des gènes supplémentaires ; essais thérapeutiques. Un colloque tel que celui-ci marquera-t-il
• aux phages virulents, strictement lytiques (incapables d’avoir une phase le début d’une évaluation en France de la phagothérapie dans un
lysogène). contexte nouveau ?
Éditorial / Médecine et maladies infectieuses 38 (2008) 407–409 409

Références [5] Guideline on compassionate use of medicinal products, pursuant to article


83 of regulation (EC) no 726/2004 (document accessible sur le site de
[1] Anti-infectieux : http://www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/plan antibio 2001/ l’Emea: http://www.emea.europa.eu/).
bilan plan 2007.pdf. A. Dublanchet ∗
[2] Médecine et maladies infectieuses, 2001;31 (suppl 3) : 368–78.
[3] Professeur Alain Lortat-Jacob, chirurgien orthopédiste, président de
O. Patey
l’association Tirésias (Colloque de la prévention médicale le 23 mars 46–54, rue Céline-Robert, 94300 Vincennes, France
2005) (http://www.prevention-medicale.org/actions/colloque2005/lortat- ∗ Auteur
jacob.htm).
correspondant.
[4] http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTex Adresse e-mail : adublanchet@noos.fr (A. Dublanchet)
te = JORFTEXT000000646989&dateTexte=.
Disponible sur Internet le 8 août 2008

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