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Eric Landowski

Eux, nous et moi : régimes de visibilité


In: Mots, mars 1985, N°10. pp. 9-16.

Abstract
EUX, NOUS AND MOI : SYSTEMS OF VISIBILITY The semiotic approach proposed here starts from a simple observation,
namely, that nominalisation in French is possible for certain personal pronouns : upon the grammatical and functional system of
deictics such as je/nous studied by linguists, a second system, of a conceptual order, is super-imposed, which is lexicalised by
common nouns like « le moi » or « le nous ». These elements help to construct a problematic in which individual and collective
subjects (maintaining the distinction between « public » and « private » life) are staged. The crossing of the two oppositions
determine a variety of situations which are touched upon here in terms of form and syntax. In an anthropological and semiotic
perspective these «first person » figures cannot, however, be envisaged independently of the presence or absence of a « third
person » who functions as observer.

Résumé
EUX, NOUS ET MOI : RÉGIMES DE VISIBILITÉ L'approche sémiotique ici proposée part d'un constat simple, celui de la
substantivation possible, en français, de certains pronoms personnels. Au système grammatical et fonctionnel des déictiques du
type je, nous, étudié par les linguistes, vient se superposer un système second, d'ordre conceptuel, lexicalisé à l'aide de noms
communs tels que « le moi » ou « le nous ». Ces éléments renvoient à une problématique de la construction et de la mise en
scène des sujets individuels ou collectifs, et à la distinction entre « public » et « privé ». La diversité des figures produites par le
croisement de ces deux oppositions est ici esquissée. Dans une perspective anthropologique et sémiotique, de telles figures de
la « première personne » ne peuvent toutefois être envisagées indépendamment de la présence ou de l'absence d'une «
troisième personne » faisant fonction d'observateur.

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Landowski Eric. Eux, nous et moi : régimes de visibilité. In: Mots, mars 1985, N°10. pp. 9-16.

doi : 10.3406/mots.1985.1182

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mots_0243-6450_1985_num_10_1_1182
ÉRIC LANDOWSKI
CENTRE D'ÉTUDE DE LA VIE POLITIQUE FRANÇAISE
FONDATION NATIONALE DES SCIENCES POLITIQUES, CNRS Mots, 10, 1985, p. 9-16.

Eux, nous et moi : régimes de visibilité

Vie publique, vie privée : deux vies distinctes pour un même sujet (mondanité, intimité)
ou deux espèces de sujets, voués à des parcours distincts (hommes publics, simples
particuliers). Dans les deux cas, une totalité - soit la classe des sujets, soit le sujet lui-
même - se scinde, conformément à une typologie implicite de rôles, correspondant elle-
même à une segmentation spatio-temporelle du « vécu » : lieux d'exposition et espaces de
retrait, moments d'apparition ou d'effacement devant un témoin extérieur - le « public » ;
dichotomie inscrite dans la langue, et disponible pour raconter le déroulement d'un flux
(la vie) en l'organisant significativement. D'où l'angle des remarques qui suivent : dans la
production des discours sociaux, que recouvre cette opposition, « public-privé », en tant
que catégorie sémio-linguistique ? Quelles opérations autorise-t-elle dans la mise en place
des sujets, et plus particulièrement des sujets s'énonçant à la « première personne » -
singulier (« je ») ou pluriel (« nous ») ?

LE « PRIVÉ-COLLECTIF »

En parlant de sujets, nous utilisons intentionnellement un terme suffisamment général


pour inclure deux types d'unités : non seulement celle de la personne, sujet individué,
noyau d'intériorité, mais aussi l'identité du « nous », sujet collectif conçu comme noyau
d'« intimité » résultant de la fusion partielle entre deux ou plusieurs individualités de base.
Car les ordres ou les niveaux de privacy s'emboîtent, ou se superposent, et par conséquent
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se relativisent. Je suis « je » par rapport à « vous », mais ici réunis nous « nous »
démarquons par rapport à un « ils » ; au premier degré, l'auto-suffisance du moi tient
l'autre à distance, mais qu'un projet commun se dessine ou qu'une solidarité s'esquisse (si,
par exemple, nous partageons les mêmes valeurs), et voici que se constitue quelque chose
comme un privé-collectif, doté de propriétés structurellement comparables à celles des unités
qu'il intègre : le huis-clos, tout relatif bien sûr, qui préside alors à la mise en commun
de nos savoirs, de nos intérêts ou de nos programmes d'action, n'est pas, en droit, moins
inviolable (du dehors) que ne l'est, entre nous, la « vie privée » de chacun des associés
présents :

... « privé » : intériorité du « je » (exemple : le journal intime)


« public » : le « moi » socialisé (le discours mondain)
л tf * privé » : intimité du « nous » (le discours « entre soi »)
« public » : le « nous » objectivé (l'« image institutionnelle »)

Le rapprochement ainsi esquissé se justifie dans la mesure où, quel que soit le type
d'unité considéré (le groupe ou la personne, « nous » ou « moi »), c'est à partir d'un
principe commun, relatif à l'admission ou à l'exclusion d'une instance témoin (« eux »), que
se dessine la démarcation entre deux sphères d'activité des sujets, les unes, dites publiques,
admettant, ou même demandant la présence d'un actant observateur, les autres, privées,
supposant au contraire (ou même exigeant) son absence.
Il faut cependant nuancer. Seuls certains types de fonctions apparaissent comme
strictement conditionnés par l'application de ce critère. C'est le cas, d'abord, des activités
dites de représentation, dont l'accomplissement même présuppose la présence - et un
minimum d'attention - d'un auditoire : qu'il s'agisse de la comédie proprement dite ou de
toute autre forme de mise en scène (didactique, politique, etc.), le sujet - le « je » ou le
« nous » - qui joue un rôle se place par définition dans la perspective d'être vu par
quelque spectateur. La publicité, au sens premier du terme, apparaît alors comme une
condition nécessaire du faire. Le même principe s'applique encore - mais négativement
cette fois - à un second type de fonctions, dont l'accomplissement suppose, en sens inverse,
la « non-publicité » et exclut toute dimension spectaculaire ; que l'on pense en particulier
aux conduites, individuelles ou collectives, relevant du rituel : il faut être seul, ou « entre
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soi » pour les accomplir, et l'irruption d'un quelconque public observateur ne peut que les
dénaturer, ou même suspendre leur déroulement. Et c'est cette présence du rituel - si
ténue soit-elle en beaucoup de cas, mais cependant inhérente aux processus de construction
du « nous » - qui confère à toute association sa part de « société secrète ». Soit, sous une
forme schématique l :

Construction du Moi Exposition du Nous


(individuel privé) (collectif public)
Rites d'identification Pratiques « publicitaires »
personnelle du groupe
Espaces (la « vie intérieure ») (les « relations
Espaces
privés publiques »)
publics de la
du
représentation
rite Construction du Nous Exposition du Moi
(collectif privé) (individuel public)
Rites d'intégration Pratiques de la « mise
communautaire en scène » de soi
(la vie « entre soi ») (les « rôles sociaux »)

En dehors toutefois de ces cas bien tranchés, où les agents se trouvent soumis à des
régimes de visibilité strictement catégorisés2, la généralité des rencontres intersubjectives
relève de règles moins univoques et donne lieu à des stratégies de communication plus
complexes. La conversation mondaine, dans la mesure où elle tire son « piquant » du fait
que l'on y joue, par principe, sur les conventions mêmes qui la fondent - conventions
définissant notamment les limites entre ce qui « se dit » (du moi « socialisé ») et ce qui

1. Si les références aux travaux d'E. Goffman et de J. Habermas vont ici de soi, il convient en revanche,
à propos du concept d'« entre-soi », de signaler la contribution peu connue d'E. Benvéniste in Le vocabulaire
des institutions indo-européennes, Paris, Minuit, 1969, vol. 1, p. 321 et suiv. Quant à la forme du modèle
relationnel proposé (carré sémiotique), nous l'empruntons à A.J. Greimas (cf. A.J. Greimas, J. Courtes,
Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1979).
2. Cas élémentaires dont nous avons examiné quelques exemples in « Le débat parlementaire et l'écriture
de la loi », Revue française de science politique, 27 (3), 1977, p. 428-441, et « Les contraintes de la participation
à une instance collégiale de gestion », Bulletin du СERP, 1, 1977, p. 57-75.
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« ne se dit pas » (du moi « intime ») - en est un exemple parmi d'autres. Tout se passe,
pour une bonne part, comme si l'on avait alors, d'un côté, un jode de référence établissant
un ensemble de « bonnes manières », une déontologie relative à l'étendue et aux conditions
du type de communication considéré, et, parallèlement, des stratégies de transgression, plus
ou moins systématiques et convenues, produisant certains effets de sens prévisibles. Plus
généralement, c'est toute une problématique de la confidence et de l'indiscrétion, calculées
ou non, qui se dessine ici, et qui touche en fait aux domaines de la communication les
plus divers (mondaine certes, mais aussi, par exemple, amoureuse, politique, etc.).
Deux exemples touchant au discours politique de masse illustreront ce point. D'une
part, on assiste aujourd'hui à ce que beaucoup d'observateurs stigmatisent comme une
certaine forme d'« impudeur » de la part des professionnels de la politique : candidats ou
dirigeants, on se montre un peu trop (sur les affiches ou les écrans), comme si l'étalage
de la vie privée des grands (moi socialisé) pouvait se substituer à la discussion des affaires
publiques (nous objectivé). D'autre part, dans le même temps, beaucoup s'inquiètent, sans
qu'il y ait apparemment contradiction, des risques d'« indiscrétion » croissante qu'entraîne
- aux dépens de la sphère individuelle privée - le développement des techniques automatisées
de traitement de l'information, et ce d'autant plus qu'au lieu de paraître toujours concourir
à accroître la transparence de la « collectivité publique », ces techniques se trouvent
apparemment mises, ici ou là, à la disposition de « féodalités administratives » un peu trop
enclines, dit-on, à en faire usage à des fins relevant surtout de leurs intérêts propres en
tant que « collectivités privées ». Dans un sens (trop montrer) comme dans l'autre (trop
regarder), la « barrière du privé » se trouve franchie. Mais il est évident, d'un autre côté,
que cette barrière n'a rien d'absolu : elle dépend en fait entièrement de la nature de la
relation que l'on suppose unir les parties en présence. Si, au lieu de s'en tenir à une
conception classique - juridico-politique - des rapports entre l'Etat et le citoyen ou, mieux
encore, entre les électeurs et « leurs » candidats, on introduit à ce niveau la dimension
affective et, pourquoi pas (au moins dans le second cas), amoureuse, on admettra alors
aisément que, loin d'en montrer quelquefois trop, aucun homme politique n'en montre
jamais assez : il faut, dit la formule consacrée, « faire don de sa personne ».
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VOIR ET ÊTRE VU

Tout cela amène à porter une attention particulière, notamment en sémiotique, à la


modalisation des actants. Qu'elle soit d'ordre linguistique ou autre (cf. la gestualité), toute
communication suppose au minimum deux actants, respectivement (et en général alterna
tivement) placés en position émettrice et en position réceptrice : entre ces deux instances
circule un objet-message. En admettant que la communication, envisagée sous l'angle du
public et du privé, engage plus spécialement une problématique de la visibilité des sujets,
le message prendra alors la forme d'une image : image de soi-même émise par un sujet
observable, et captée (ou non) par un observateur. L'actualisation de la relation - la
transmission effective du message - engage d'abord d'une première série de conditions,
relativement triviales, mais touchant déjà la compétence modale des deux parties : d'un
côté, il faut pouvoir être vu (ou, ce qui revient au même à ce niveau, ne pas pouvoir
ne pas l'être), de l'autre, il faut, par exemple, savoir regarder. Mais le statut de la relation
qui, à partir de là, va s'établir entre les sujets (et notamment toutes les connotations
morales qui vont s'y attacher), dépend plus encore d'un second ordre de modalités : « être
vu » n'aura en effet nullement la même signification selon que, d'une part, la partie
observée veut ou ne veut pas, doit ou ne doit pas se « montrer » et, d'autre part, selon
que, de son côté, son partenaire veut ou ne veut pas, doit ou ne doit pas... « regarder ».
On a là la base d'un calcul modal assez simple à effectuer.
Les deux partenaires pourront, par exemple, s'entendre sur un certain régime de
visibilité : l'un d'entre eux veut voir (ou, plus généralement, connaître) ce que l'autre
souhaite montrer (ou faire savoir), auquel cas la communication s'instaurera sur un monde
(plus ou moins) euphorique ; à moins que l'on ne s'accorde, au contraire, pour la
suspendre : si X, par modestie, par pudeur ou par intérêt tactique préfère « ne pas être
vu », le « tact » impliquera, de la part d'Y, qu'il sache juguler sa « curiosité » (sous peine
d'indiscrétion). Mais la relation intersubjective pourra aussi bien se trouver réglée par
l'incompatibilité entre les déterminations modales des deux parties, soit que l'une d'elles
prétende scruter ce que l'autre tient à cacher (et l'on tend alors vers le « voyeurisme »),
soit, inversement, que la partie observée s'expose davantage qu'il ne serait de bon ton du
point de vue de son partenaire (et l'on passe en ce cas du côté de l'ostentation,
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éventuellement de l'exhibitionnisme, etc.). L'exploitation systématique d'une telle combi-


natoire devrait permettre, de proche en proche, d'interdéfinir un ensemble de situations de
communication très diverses mais analysables, les unes et les autres, en termes de régulation
de la distance entre les sujets - distance tantôt conventionnellement stabilisée, soit par
l'intérêt mutuel, soit par l'ignorance réciproque que se vouent les partenaires, tantôt
« déstabilisée » par des actes de transgression plus ou moins caractérisés, depuis les conduites
de simple quête d'intimité (« avances », « aveux », « marivaudages », etc.) jusqu'aux plus
graves des atteintes à la « vie privée » des individus, ou à la vie communautaire des
groupes (inquisition, espionnage, etc.).
L'intérêt de l'approche syntaxique et modale que nous proposons réside, à nos yeux,
dans le fait qu'elle ouvre la possibilité de se donner un minimum de repères susceptibles
de formalisation. Cela ne paraît pas inutile, sachant combien le problème qui nous intéresse
ici - celui des effets de sens liés à la gestion quotidienne des frontières entre les domaines,
encore bien flous, du « privé » et du « public » - prête aux approximations idéologiques
et aux préjugés.
Parmi les surdéterminations qui viennent précisément brouiller la saisie des structures
syntaxiques dont nous postulons qu'elles régissent, en profondeur, la production des effets
de sens à analyser, il faut faire une place à part aux mécanismes de la véridiction.
Conformément à une idéologie qui trouve une sorte de fondement dans l'hypothèse
culturaliste, mais la pousse à l'absurde, l'apprentissage et l'intériorisation des codes et des
normes que nécessite toute communication aboutiraient à ce que l'ensemble des conduites
directement exposées au contrôle social - et d'abord tout ce qui se fait « en public » -
ressortisse inévitablement au domaine de la facticité ou, dans un langage délibérément
psychologisant, de l'hypocrisie : la vie sociale ne serait dans cette optique qu'un mensonge
organisé. Corrélativement, c'est bien sûr, et seulement, dans le retour au secret de l'intimité
- là où l'être du sujet prime le souci du paraître - que pourrait se réaffirmer l'authenticité
originelle de la personne ou du groupe : « en privé », on enlève le masque du rôle social.
Sans que l'analyse ait à se prononcer sur la validité de telles constructions, le fait de
disposer d'un métalangage adéquat permet, là aussi, de relativiser et d'interdéfinir différentes
positions possibles. On voit, par exemple, où viendrait se situer, par rapport aux deux
premiers pôles de ce modèle idéologique, le discours, aujourd'hui en vogue, des partisans
de l'« expressivité » et de la « réalisation de soi » : entre le « rôle social » et l'« authenticité
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refoulée », c'est-à-dire dans un espace de transparence et de « vérité » où se réconcilieraient


enfin l'être et le paraître du sujet.
On débouche ainsi sur le thème de la « sincérité » dans les rapports sociaux. Au lieu
de concevoir le « vécu » du sujet sur le mode d'une alternance de fonctions, les unes
normalisées du seul fait qu'elles s'exercent dans un « espace public », les autres « libres »
mais résiduelles (cantonnées dans un « espace privé » strictement délimité), on voudrait
aujourd'hui des sujets, et notamment un personnel politique, plus « vrais ». Cela revient à
deux choses : à revendiquer, d'une part (pour ce qui concerne le sujet du faire), un
pouvoir et/ou un devoir être « soi-même » neutralisant l'opposition public/privé ; à consacrer,
d'autre part, l'existence d'une instance seconde, dotée de la compétence véridictoire, c'est-
à-dire à même de juger pour son propre compte de la « vérité » du sujet agissant (ou du
sujet parlant). Un tel dispositif est familier aux sémioticiens ; il met en relation le faire
persuasif déployé par le sujet du faire proprement dit, et le faire interprétatif d'un
destinataire : les jugements épistémiques émis dans ces conditions dépendent essentiellement
du degré de compatibilité entre les univers de savoir et de croyance propres aux deux
parties. Ils n'ont donc rien que de relatif et de contingent.
Nous voudrions pour conclure insister sur le caractère formel - et non substantiel -
de l'ensemble des problèmes posés. Il s'agit du rapport entre deux espaces ici conçus,
respectivement, comme ceux de la constitution et de la mise en scène du « moi » ou du
« nous ». Ce qui compte de notre point de vue, ce ne sont pas tellement les contenus qui
s'y trouvent investis ; leur distribution, constamment mouvante, dépend entièrement des
options propres à chaque univers socioculturel que l'on peut choisir de considérer. En
revanche, en tant que pure catégorie différentielle installée dans la langue (et dans beaucoup
de cultures), l'opposition public/privé permet la mise en place de dispositifs syntaxiques et
de stratégies énonciatives d'une portée extrêmement générale. Nous n'avons certes fait que
les effleurer1.

septembre 1984

1. Pour une approche plus détaillée sur certains points, cf. nos « Jeux optiques. Exploration d'une
dimension figurative de la communication », Actes sémiotiques. Documents (EHESS-CNRS), 3 (22), 1981.
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Résumé de l'article / Abstract

EUX, NOUS ET MOI : RÉGIMES DE VISIBILITÉ

L'approche sémiotique ici proposée part d'un constat simple, celui de la substantivation possible, en
français, de certains pronoms personnels. Au système grammatical et fonctionnel des déictiques du type je,
nous, étudié par les linguistes, vient se superposer un système second, d'ordre conceptuel, lexicalisé à l'aide
de noms communs tels que « le moi » ou « le nous ». Ces éléments renvoient à une problématique de la
construction et de la mise en scène des sujets individuels ou collectifs, et à la distinction entre « public » et
« privé ». La diversité des figures produites par le croisement de ces deux oppositions est ici esquissée. Dans
une perspective anthropologique et sémiotique, de telles figures de la « première personne » ne peuvent toutefois
être envisagées indépendamment de la présence ou de l'absence d'une « troisième personne » faisant fonction
d'observateur.

EUX, NOUS AND MOI : SYSTEMS OF VISIBILITY

The semiotic approach proposed here starts from a simple observation, namely, that nominalisation in
French is possible for certain personal pronouns : upon the grammatical and functional system of deictics such
as je/nous studied by linguists, a second system, of a conceptual order, is super-imposed, which is lexicalised by
common nouns like « le moi » or « le nous ». These elements help to construct a problematic in which individual
and collective subjects (maintaining the distinction between « public » and « private » life) are staged. The crossing
of the two oppositions determine a variety of situations which are touched upon here in terms of form and
syntax. In an anthropological and semiotic perspective these «first person » figures cannot, however, be envisaged
independently of the presence or absence of a « third person » who functions as observer.

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