Vous êtes sur la page 1sur 143

ALLAN KARDEC

L’OBSESSION

Extraits des revues spirites


de 1858 à 1868

-1-
Revue 1858

Le revenant de mademoiselle Clairon1

Cette histoire fit beaucoup de bruit dans le temps, et par la position de l'héroïne, et par le
grand nombre de personnes qui en furent témoins. Malgré sa singularité, elle serait
probablement oubliée, si mademoiselle Clairon ne l'eût consignée dans ses Mémoires, d'où
nous extrayons le récit que nous allons en faire. L'analogie qu'elle présente avec quelques-uns
des faits qui se passent de nos jours lui donne une place naturelle dans ce Recueil.
Mademoiselle Clairon, comme on le sait, était aussi remarquable par sa beauté que par son
talent comme cantatrice et tragédienne ; elle avait inspiré à un jeune Breton, M. de S..., une de
ces passions qui décident souvent de la vie, lorsqu'on n'a pas assez de force de caractère pour
en triompher. Mademoiselle Clairon n'y répondit que par de l'amitié ; toutefois les assiduités
de M. de S... lui devinrent tellement importunes qu'elle résolut de rompre tout rapport avec
lui. Le chagrin qu'il en ressentit lui causa une longue maladie dont il mourut. La chose se
passait en 1743. Laissons parler mademoiselle Clairon.
« Deux ans et demi s'étaient écoulés entre notre connaissance et sa mort. Il me fit prier
d'accorder, à ses derniers moments, la douceur de me voir encore ; mes entours
m'empêchèrent de faire cette démarche. Il mourut, n'ayant auprès de lui que ses domestiques
et une vieille dame, seule société qu'il eût depuis longtemps. Il logeait alors sur le Rempart,
près la Chaussée d'Antin, où l'on commençait à bâtir ; moi, rue de Bussy, près la rue de Seine
et l'abbaye Saint-Germain. J'avais ma mère, et plusieurs amis venaient souper avec moi... Je
venais de chanter de fort jolies moutonnades, dont mes amis étaient dans le ravissement,
lorsque au coup de onze heures succéda le cri le plus aigu. Sa sombre modulation et sa
longueur étonnèrent tout le monde ; je me sentis défaillir, et je fus près d'un quart d'heure sans
connaissance...
« Tous mes gens, mes amis, mes voisins, la police même, ont entendu ce même cri, toujours à
la même heure, toujours partant sous mes fenêtres, et ne paraissant sortir que du vague de
l'air... Je soupais rarement en ville, mais les jours où j'y soupais, l'on n'entendait rien, et
plusieurs fois, demandant de ses nouvelles à ma mère, à mes gens, lorsque je rentrais dans ma
chambre, il partait au milieu de nous. Une fois, le président de B..., chez lequel j'avais soupé,
voulut me reconduire pour s'assurer qu'il ne m'était rien arrivé en chemin. Comme il me
souhaitait le bonsoir à ma porte, le cri partit entre lui et moi. Ainsi que tout Paris, il savait
cette histoire : cependant on le remit dans son carrosse plus mort que vivant.
« Une autre fois je priai mon camarade Rosely de m'accompagner rue Saint-Honoré pour
choisir des étoffes. L'unique sujet de notre entretien fut mon revenant (c'est ainsi qu'on
l'appelait). Ce jeune homme, plein d'esprit, ne croyant à rien, était cependant frappé de mon
aventure ; il me pressait d'évoquer le fantôme, en me promettant d'y croire s'il me répondait.
Soit par faiblesse, soit par audace, je fis ce qu'il me demandait : le cri partit à trois reprises,
terribles par leur éclat et leur rapidité. A notre retour, il fallut le secours de toute la maison
pour nous tirer du carrosse où nous étions sans connaissance l'un et l'autre. Après cette scène
je restai quelques mois sans rien entendre. Je me croyais à jamais quitte, je me trompais.
« Tous les spectacles avaient été mandés à Versailles pour le mariage du Dauphin. On m'avait
arrangé, dans l'avenue de Saint-Cloud, une chambre que j'occupais avec madame Grandval. A
trois heures du matin, je lui dis : Nous sommes au bout du monde ; le cri serait bien
embarrassé d'avoir à nous chercher ici... Il partit ! Madame Grandval crut que l'enfer entier

1 Mademoiselle Clairon, née en 1723, mourut en 1803. Elle débuta dans la


troupe italienne à l'âge de 13 ans, et à la Comédie française en 1743.
Elle se retira du théâtre en 1765, à l'âge de 42 ans.
-2-
était dans la chambre ; elle courut en chemise du haut en bas de la maison, où personne ne put
fermer l'oeil de la nuit ; mais ce fut au moins la dernière fois qu'il se fit entendre.
« Sept ou huit jours après, causant avec ma société ordinaire, la cloche de onze heures fut
suivie d'un coup de fusil tiré dans une de mes fenêtres. Tous nous entendîmes le coup ; tous
nous vîmes le feu ; la fenêtre n'avait aucune espèce de dommage. Nous conclûmes tous qu'on
en voulait à ma vie, qu'on m'avait manquée, et qu'il fallait prendre des précautions pour
l'avenir. M. de Marville, alors lieutenant de police, fit visiter les maisons vis-à-vis la mienne ;
la rue fut remplie de tous les espions possibles ; mais, quelques soins que l'on prit, ce coup,
pendant trois mois entiers, fut entendu, vu, frappant toujours à la même heure, dans le même
carreau de vitre, sans que personne ait jamais pu voir de quel endroit il partait. Ce fait a été
constaté sur les registres de la police.
« Accoutumée à mon revenant, que je trouvais assez bon diable, puisqu'il s'en tenait à des
tours de passe-passe, ne prenant pas garde à l'heure qu'il était, ayant fort chaud, j'ouvris la
fenêtre consacrée, et l'intendant et moi nous appuyâmes sur le balcon. Onze heures sonnent, le
coup part, et nous jette tous les deux au milieu de la chambre, où nous tombons comme morts.
Revenus à nous-mêmes, sentant que nous n'avions rien, nous regardant, nous avouant que
nous avions reçu, lui sur la joue gauche, moi sur la joue droite, le plus terrible soufflet qui se
soit jamais appliqué, nous nous mîmes à rire comme deux fous.
« Le surlendemain, priée par mademoiselle Dumesnil d'être d'une petite fête nocturne qu'elle
donnait à sa maison de la barrière Blanche, je montai en fiacre à onze heures avec ma femme
de chambre. Il faisait le plus beau clair de lune, et l'on nous conduisit par les boulevards qui
commençaient à se garnir de maisons. Ma femme de chambre me dit : N'est-ce pas ici qu'est
mort M. de S...? - D'après les renseignements qu'on m'a donnés, ce doit être, lui dis-je, en les
désignant avec mon doigt, dans l'une des deux maisons que voilà devant nous. D'une des deux
partit ce même coup de fusil qui me poursuivait : il traversa notre voiture ; le cocher doubla
son train, se croyant attaqué par des voleurs. Nous, nous arrivâmes au rendez-vous, ayant à
peine repris nos sens, et, pour ma part, pénétrée d'une terreur que j'ai gardée longtemps, je
l'avoue ; mais cet exploit fut le dernier des armes à feu.
« A leur explosion succéda un claquement de mains, ayant une certaine mesure et des
redoublements. Ce bruit, auquel les bontés du public m'avaient accoutumée, ne me laissa faire
aucune remarque pendant longtemps ; mes amis en firent pour moi. Nous avons guetté, me
dirent-ils ; c'est à onze heures, presque sous votre porte, qu'il se fait ; nous l'entendons, nous
ne voyons personne ; ce ne peut être qu'une suite de ce que vous avez éprouvé. Comme ce
bruit n'avait rien de terrible, je ne conservai point la date de sa durée. Je ne fis pas plus
d'attention aux sons mélodieux qui se firent entendre après ; il semblait qu'une voix céleste
donnait le canevas de l'air noble et touchant qu'elle allait chanter ; cette voix commençait au
carrefour de Bussy et finissait à ma porte ; et, comme il en avait été de tous les sons
précédents, on entendait et l'on ne voyait rien. Enfin, tout cessa après un peu plus de deux ans
et demi. »
A quelque temps de là, mademoiselle Clairon apprit de la dame âgée qui était restée l'amie
dévouée de M. de S..., le récit de ses derniers moments.
« Il comptait, lui dit-elle, toutes les minutes, lorsqu'à dix heures et demie son laquais vint lui
dire que, décidément, vous ne viendriez pas. Après un moment de silence, il me prit la main
avec un redoublement de désespoir qui m'effraya. La barbare !... elle n'y gagnera rien ; je la
poursuivrai autant après ma mort que je l'ai poursuivie pendant ma vie !... Je voulus tâcher
de le calmer ; il n'était plus. »
Dans l'édition que nous avons sous les yeux, ce récit est précédé de la note suivante sans
signature :
« Voici une anecdote bien singulière dont on a porté et dont on portera sans doute bien des
jugements différents. On aime le merveilleux, même sans y croire : mademoiselle Clairon
paraît convaincue de la réalité des faits qu'elle raconte. Nous nous contenterons de remarquer

-3-
que dans le temps où elle fut, ou se crut tourmentée par son revenant, elle avait de vingt-deux
ans et demi à vingt-cinq ans ; que c'est l'âge de l'imagination, et que cette faculté était
continuellement exercée et exaltée en elle par le genre de vie qu'elle menait au théâtre et hors
du théâtre. On peut se rappeler encore qu'elle a dit, au commencement de ses Mémoires, que,
dans son enfance, on ne l'entretenait que d'aventures de revenants et de sorciers, qu'on lui
disait être des histoires véritables. »
Ne connaissant le fait que par le récit de mademoiselle Clairon, nous ne pouvons en juger que
par induction ; or, voici notre raisonnement. Cet événement décrit dans ses plus minutieux
détails par mademoiselle Clairon elle-même, a plus d'authenticité que s'il eût été rapporté par
un tiers. Ajoutons que lorsqu'elle a écrit la lettre dans laquelle il se trouve relaté, elle avait
environ soixante ans et passé l'âge de la crédulité dont parle l'auteur de la note. Cet auteur ne
révoque pas en doute la bonne foi de mademoiselle Clairon sur son aventure, seulement il
pense qu'elle a pu être le jouet d'une illusion. Qu'elle l'ait été une fois, cela n'aurait rien
d'étonnant, mais qu'elle l'ait été pendant deux ans et demi, cela nous paraît plus difficile ; il
nous paraît plus difficile encore de supposer que cette illusion ait été partagée par tant de
personnes, témoins oculaires et auriculaires des faits, et par la police elle-même. Pour nous,
qui connaissons ce qui peut se passer dans les manifestations spirites, l'aventure n'a rien qui
puisse nous surprendre, et nous la tenons pour probable. Dans cette hypothèse, nous
n'hésitons pas à penser que l'auteur de tous ces mauvais tours n'était autre que l'âme ou l'esprit
de M. de S..., si nous remarquons surtout la coïncidence de ses dernières paroles avec la durée
des phénomènes. Il avait dit : Je la poursuivrai autant après ma mort que pendant ma vie. Or,
ses rapports avec mademoiselle Clairon avaient duré deux ans et demi, juste autant de temps
que les manifestations qui suivirent sa mort.
Quelques mots encore sur la nature de cet Esprit. Il n'était pas méchant, et c'est avec raison
que mademoiselle Clairon le qualifie d'assez bon diable ; mais on ne peut pas dire non plus
qu'il fût la bonté même. La passion violente à laquelle il a succombé, comme homme, prouve
que chez lui les idées terrestres étaient dominantes. Les traces profondes de cette passion, qui
survit à la destruction du corps, prouvent que, comme Esprit, il était encore sous l'influence de
la matière. Sa vengeance, tout inoffensive qu'elle était, dénote des sentiments peu élevés. Si
donc on veut bien se reporter à notre tableau de la classification des Esprits, il ne sera pas
difficile de lui assigner son rang ; l'absence de méchanceté réelle l'écarte naturellement de la
dernière classe, celle des Esprits impurs ; mais il tenait évidemment des autres classes du
même ordre ; rien chez lui ne pourrait justifier un rang supérieur.
Une chose digne de remarque, c'est la succession des différents modes par lesquels il a
manifesté sa présence. C'est le jour même et au moment de sa mort qu'il se fait entendre pour
la première fois, et cela au milieu d'un joyeux souper. De son vivant, il voyait mademoiselle
Clairon par la pensée, entourée de l'auréole que prête l'imagination à l'objet d'une passion
ardente ; mais une fois l'âme débarrassée de son voile matériel, l'illusion fait place à la réalité.
Il est là, à ses côtés, il la voit entourée d'amis, tout devait exciter sa jalousie ; elle semble, par
sa gaîté et par ses chants, insulter à son désespoir, et son désespoir se traduit par un cri de rage
qu'il répète chaque jour à la même heure, comme pour lui reprocher son refus d'avoir été le
consoler à ses derniers moments. Aux cris succèdent des coups de fusil, inoffensifs, il est vrai,
mais qui n'en dénotent pas moins une rage impuissante et l'envie de troubler son repos. Plus
tard, son désespoir prend un caractère plus calme ; revenu sans doute à des idées plus saines,
il semble avoir pris son parti ; il lui reste le souvenir des applaudissements dont elle était
l'objet, et il les répète. Plus tard enfin, il lui dit adieu en faisant entendre des sons qui
semblaient comme l'écho de cette voix mélodieuse qui l'avait tant charmé de son vivant.

-4-
Revue spirite 1858

L'Esprit frappeur de Bergzabern (introduction)

Nous avions déjà entendu parler de certains phénomènes spirites qui firent beaucoup de bruit
en 1852 dans la Bavière rhénane, aux environs de Spire, et nous savions qu'une relation
authentique en avait été publiée dans une brochure allemande. Après des recherches
longtemps infructueuses, une dame, parmi nos abonnés d'Alsace, et qui a déployé en cette
circonstance un zèle et une persévérance dont nous lui savons un gré infini, est enfin parvenue
à se procurer cette brochure, qu'elle a bien voulu nous adresser. Nous en donnons la
traduction in extenso ; on la lira sans doute avec d'autant plus d'intérêt que c'est, parmi tant
d'autres, une preuve de plus que les faits de ce genre sont de tous les temps et de tous les pays,
puisque ceux dont il s'agit se passaient à une époque où l'on commençait à peine à parler des
Esprits.

-5-
AVANT-PROPOS

Un événement étrange est depuis plusieurs mois le sujet de toutes les conversations de notre
ville et des environs. Nous voulons parler du Frappeur, comme on l'appelle, de la maison du
maître tailleur Pierre Sanger.
Jusqu'alors nous nous sommes abstenus de toute relation dans notre feuille (Journal de
Bergzabern) sur les manifestations qui se sont produites dans cette maison depuis le 1° janvier
1852 ; mais comme elles ont excité l'attention générale à un tel point que les autorités crurent
devoir demander au docteur Beutner une explication à ce sujet, et que le docteur Dupping, de
Spire, se rendit même sur les lieux pour observer les faits, nous ne pouvons différer plus
longtemps de les livrer au public.
Nos lecteurs n'attendent pas de nous un jugement sur la question, nous en serions très
embarrassés ; nous laissons ce soin à ceux qui, par la nature de leurs études et leur position,
sont plus aptes à se prononcer, ce que d'ailleurs ils feront sans difficulté s'ils parviennent à
découvrir la cause de ces effets. Quant à nous, nous nous bornerons au simple récit des faits,
principalement de ceux dont nous avons été témoin ou que nous tenons de personnes dignes
de foi, laissant au lecteur se former une opinion.
F.-A. BLANCK,
Rédacteur du Journal de Bergzabern.

-6-
Mai 1852

L'Esprit frappeur de Bergzabern (première article)

Le 1er janvier de cette année (1852), la famille Pierre Sanger, à Bergzabern, entendit dans la
maison qu'elle habitait et dans une chambre voisine de celle où l'on se tenait ordinairement,
comme un martèlement qui commença d'abord par des coups sourds paraissant venir de loin,
puis qui devint successivement plus fort et plus marqué. Ces coups semblaient être frappés
contre le mur près duquel était placé le lit où dormait leur enfant, âgé de onze ans.
Habituellement c'était entre neuf heures et demie et dix heures et demie que le bruit se faisait
entendre. Les époux Sanger n'y firent point attention d'abord, mais comme cette singularité se
renouvelait chaque soir, ils pensèrent que cela pouvait venir de la maison voisine où un
malade se serait amusé, en guise de passe-temps, à battre le tambour contre le mur. On se
convainquit bientôt que ce malade n'était pas et ne pouvait être la cause de ce bruit. On remua
le sol de la chambre, on abattit le mur, mais sans résultat. Le lit fut transporté au côté opposé
de la chambre ; alors, chose étonnante, c'est de ce côté que le bruit eut lieu, et aussitôt que
l'enfant était endormi. Il était clair que l'enfant était pour quelque chose dans la manifestation
du bruit, et on supposa, après que toutes les recherches de la police n'eurent rien fait
découvrir, que ce fait devait être attribué à une maladie de l'enfant ou à une particularité de
conformation. Cependant rien jusqu'alors n'est venu confirmer cette supposition. C'est encore
une énigme pour les médecins.
En attendant, la chose ne fit que se développer ; le bruit se prolongea au-delà d'une heure et
les coups frappés avaient plus de force. L'enfant fut changé de chambre et de lit, le frappeur se
manifesta dans cette nouvelle chambre, sous le lit, dans le lit et dans le mur. Les coups
frappés n'étaient pas identiques ; ils étaient tantôt forts, tantôt faibles et isolés, tantôt enfin ils
se succédaient rapidement, et suivant le rythme des marches militaires et des danses.
L'enfant occupait depuis quelques jours la susdite chambre, lorsqu'on remarqua que, pendant
son sommeil, il émettait des paroles brèves, incohérentes. Les mots devinrent bientôt plus
distincts et plus intelligibles ; et il semblait que l'enfant s'entretenait avec un autre être sur
lequel il avait de l'autorité. Parmi les faits qui se produisaient chaque jour, l'auteur de cette
brochure en rapportera un dont il fut témoin : L'enfant était dans son lit, couché sur le côté
gauche. A peine fut-il endormi, que les coups commencèrent et qu'il se mit à parler de la
sorte : « Toi, toi, bats une marche. » Et le frappeur battit une marche qui ressemblait assez à
une marche bavaroise. Au commandement de « Halte ! » de l'enfant, le frappeur cessa.
L'enfant dit alors : « Frappe trois, six, neuf fois, » et le frappeur exécuta l'ordre. Sur un nouvel
ordre de frapper 19 coups, 20 coups s'étant fait entendre, l'enfant, tout endormi, dit : « Pas
bien, ce sont 20 coups, » et aussitôt 19 coups furent comptés. Ensuite l'enfant demanda 30
coups ; on entendit 30 coups. « 100 coups. » On ne put compter que jusqu'à 40, tant les coups
se succédaient rapidement. Au dernier coup, l'enfant dit : « Très bien ; maintenant 110. » Ici
l'on ne put compter que jusqu'à 50 environ. Au dernier coup, le dormeur dit : « Ce n'est pas
cela, il n'y en a que 106, » et aussitôt 4 autres coups se firent entendre pour compléter le
nombre de 110. L'enfant demanda ensuite : « Mille ! » Il ne fut frappé que 15 coups. « Eh
bien, allons ! » Il y eut encore 5 coups et le frappeur s'arrêta. Il vint alors à l'idée des assistants
de commander eux-mêmes au frappeur, et il exécuta les ordres qu'ils lui donnèrent. Il se
taisait au commandement de : « Halte ! silence ! paix ! » Puis, de lui-même et sans ordre, il
recommença à frapper. L'un des assistants dit, tout bas, dans un coin de la chambre, qu'il
voulait commander, seulement par la pensée, de frapper 6 fois. L'expérimentateur se plaça
alors devant le lit et ne dit pas un seul mot : on entendit 6 coups. On commanda encore par la
pensée 4 coups : 4 coups furent frappés. La même expérience a été tentée par d'autres
personnes, mais elle n'a pas toujours réussi. Aussitôt l'enfant étendit les membres, rejeta la
couverture et se leva.

-7-
Lorsqu'on lui demanda ce qui lui était arrivé, il répondit avoir vu un homme grand et de
mauvaise mine qui se tenait devant son lit et lui serrait les genoux. Il ajouta qu'il ressentait
aux genoux une douleur quand cet homme frappait. L'enfant s'endormit de nouveau et les
mêmes manifestations se reproduisirent jusqu'au moment où la pendule de la chambre sonna
onze heures. Tout à coup le frappeur se tut, l'enfant rentra dans un sommeil tranquille, ce que
l'on reconnut à la régularité de la respiration, et ce soir-là il ne se fit plus rien entendre. Nous
avons remarqué que le frappeur battait, sur l'ordre qu'il en recevait, des marches militaires.
Plusieurs personnes affirment que lorsqu'on demandait une marche russe, autrichienne ou
française, elle était battue très exactement.
Le 25 février, l'enfant étant endormi dit : « Tu ne veux plus frapper maintenant, tu veux
gratter, eh bien ! je veux voir comment tu feras. » Et, en effet, le lendemain 26, au lieu de
coups frappés, on entendit un grattement qui paraissait venir du lit et qui s'est manifesté
jusqu'à ce jour. Les coups se mêlèrent au grattement, tantôt en alternant, tantôt simultanément,
de telle sorte que dans les airs de marche ou de danse, le grattement fait la première partie, et
les coups la seconde. Selon la demande, l'heure du jour, l'âge des personnes présentes sont
indiqués par des grattements ou des coups secs. A l'égard de l'âge des personnes, il y a
quelquefois erreur ; mais elle est rectifiée à la 2° ou 3° fois, quand on a dit que le nombre de
coups frappés n'est pas exact. Maintes fois, au lieu de répondre à l'âge demandé, le frappeur
exécute une marche.
Le langage de l'enfant, pendant son sommeil, devint de jour en jour plus parfait. Ce qui n'était
d'abord que de simples mots ou des ordres très brefs au frappeur se changea, par la suite, en
une conversation suivie avec ses parents. Ainsi un jour il s'entretint avec sa sœur aînée de
sujets religieux et dans un ton d'exhortation et d'instruction, en lui disant qu'elle devrait aller à
la messe, dire ses prières tous les jours, et montrer de la soumission et de l'obéissance à ses
père et mère. Le soir, il reprit les mêmes sujets d'entretien ; dans ses enseignements, il n'y
avait rien de théologique, mais seulement quelques notions que l'on apprend à l'école.
Avant ses entretiens, on entendait, au moins durant une heure, des coups et des grattements,
non seulement pendant le sommeil de l'enfant, mais même quand celui-ci était à l'état de
veille. Nous l'avons vu boire et manger pendant que les coups et les grattements se
manifestaient, et nous l'avons vu aussi, à l'état de veille, donner au frappeur des ordres qui
tous furent exécutés.
Samedi soir, 6 mars, l'enfant ayant dans la journée, et tout éveillé, prédit à son père que le
frappeur apparaîtrait à neuf heures, plusieurs personnes se réunirent dans la maison de Sanger.
A neuf heures sonnantes, quatre coups si violents furent frappés contre le mur que les
assistants en furent effrayés. Aussitôt, et pour la première fois, les coups furent frappés sur le
bois de lit et extérieurement ; tout le lit en fut ébranlé. Ces coups se manifestèrent de tous les
côtés du lit, tantôt à un endroit, tantôt à un autre. Les coups et le grattement alternèrent sur le
lit. Sur l'ordre de l'enfant et des personnes présentes, les coups se faisaient entendre soit à
l'intérieur du lit, soit à l'extérieur. Tout à coup le lit se souleva en sens différents, pendant que
les coups étaient frappés avec force. Plus de cinq personnes essayèrent, mais en vain, de faire
retomber le lit soulevé ; l'ayant alors abandonné, il se balança encore quelques instants, puis
reprit sa position naturelle. Ce fait avait eu lieu déjà une fois antérieurement à cette
manifestation publique.
Chaque soir aussi l'enfant faisait une sorte de discours. Nous allons en parler très
succinctement.
Avant toutes choses il faut remarquer que l'enfant, aussitôt qu'il laissait tomber sa tête, était
endormi, et que les coups et le grattement commençaient. Aux coups, l'enfant gémissait,
agitait ses jambes et paraissait mal à son aise. Il n'en était pas de même au grattement.
Lorsque le moment de parler était venu, l'enfant se couchait sur le dos, sa figure devenait pâle,
ainsi que ses mains et ses bras. Il faisait signe de la main droite et disait : « Allons ! viens
devant mon lit et joins les mains, je vais te parler du Sauveur du monde. » Alors les coups et

-8-
le grattement cessaient, et tous les assistants écoutaient avec une attention respectueuse le
discours du dormeur.
Il parlait lentement, très intelligiblement et en pur allemand, ce qui surprenait d'autant plus
que l'enfant était moins avancé que ses camarades dans ses classes, ce qui provenait surtout
d'un mal d'yeux qui l'empêchait d'étudier. Ses entretiens roulaient sur la vie et les actions de
Jésus depuis sa douzième année, de sa présence dans le temple avec les scribes, de ses
bienfaits envers l'humanité et de ses miracles ; ensuite il s'étendait sur le récit de ses
souffrances, et blâmait sévèrement les Juifs d'avoir crucifié Jésus malgré ses bontés
nombreuses et ses bénédictions. En terminant, l'enfant adressait à Dieu une fervente prière
« de lui accorder la grâce de supporter avec résignation les souffrances qu'il lui avait
envoyées, puisqu'il l'avait choisi pour entrer en communication avec l'Esprit. » Il demandait à
Dieu de ne pas le laisser encore mourir, qu'il n'était qu'un jeune enfant et qu'il ne voulait pas
descendre dans la tombe noire. Ses discours terminés, il récitait d'une voix solennelle le Pater
noster, après quoi il disait : « Maintenant tu peux revenir, » et aussitôt les coups et le
grattement recommençaient. Il parla encore deux fois à l'Esprit, et, à chaque fois, l'Esprit
frappeur s'arrêtait. Il disait encore quelques mots et puis : « Maintenant tu peux t'en aller, au
nom de Dieu. » Et il se réveillait.
Pendant ces discours les yeux de l'enfant étaient bien fermés ; mais ses lèvres remuaient ; les
personnes qui étaient le plus rapprochées du lit purent remarquer ce mouvement. La voix était
pure et harmonieuse.
A son réveil, on lui demandait ce qu'il avait vu et ce qui s'était passé. Il répondait : « L'homme
qui vient me voir. - Où se tient-il ? - Près de mon lit, avec les autres personnes. - As-tu vu les
autres personnes ? - J'ai vu toutes celles qui étaient près de mon lit. »
On comprendra facilement que de pareilles manifestations trouvèrent beaucoup d'incrédules,
et qu'on supposa que toute cette histoire n'était qu'une mystification ; mais le père n'était pas
capable de jonglerie, surtout d'une jonglerie qui aurait exigé toute l'habileté d'un
prestidigitateur de profession ; il jouit de la réputation d'un brave et honnête homme.
Pour répondre à ces soupçons et les faire cesser, on transporta l'enfant dans une maison
étrangère. A peine y fut-il que les coups et les grattements s'y firent entendre. De plus,
quelques jours avant, l'enfant était allé avec sa mère dans un petit village nommé Capelle, à
une demi-lieue de là, chez la veuve Klein ; il se dit fatigué ; on le coucha sur un canapé et
aussitôt le même phénomène eut lieu. Plusieurs témoins peuvent affirmer le fait. Bien que
l'enfant parût bien portant, il devait néanmoins être affecté d'une maladie, qui serait prouvée
sinon par les manifestations relatées ci-dessus, du moins par les mouvements involontaires
des muscles et des soubresauts nerveux.
Nous ferons remarquer, en terminant, que l'enfant a été conduit, il y a quelques semaines,
chez le docteur Beutner, où il devait rester, pour que ce savant pût étudier de plus près les
phénomènes en question. Depuis lors, tout bruit a cessé dans la maison de Sanger et il se
produit dans celle du docteur Beutner.
Tels sont, dans toute leur authenticité, les faits qui se sont passés. Nous les livrons au public
sans émettre de jugement. Puissent les hommes de l'art en donner bientôt une explication
satisfaisante.
BLANCK.

-9-
Considérations sur l'Esprit frappeur de Bergzabern

L'explication sollicitée par le narrateur que nous venons de citer est facile à donner ; il n'y en
a qu'une, et la doctrine spirite seule peut la fournir. Ces phénomènes n'ont rien
d'extraordinaire pour quiconque est familiarisé avec ceux auxquels nous ont habitués les
Esprits. On sait quel rôle certaines personnes font jouer à l'imagination ; sans doute si l'enfant
n'avait eu que des visions, les partisans de l'hallucination auraient beau jeu ; mais ici il y avait
des effets matériels d'une nature non équivoque qui ont eu un grand nombre de témoins, et il
faudrait supposer que tous étaient hallucinés au point de croire qu'ils entendaient ce qu'ils
n'entendaient pas, et voyaient remuer des meubles immobiles ; or il y aurait là un phénomène
plus extraordinaire encore. Il ne reste aux incrédules qu'une ressource, celle de nier ; c'est plus
facile, et cela dispense de raisonner.
En examinant la chose au point de vue spirite, il demeure évident que l'Esprit qui s'est
manifesté était inférieur à celui de l'enfant, puisqu'il lui obéissait ; il était même subordonné
aux assistants, puisque eux aussi pouvaient lui commander. Si nous ne savions par la doctrine
que les Esprits dits frappeurs sont au bas de l'échelle, ce qui s'est passé en serait une preuve.
On ne concevrait pas, en effet, qu'un Esprit élevé, pas plus que nos savants et nos philosophes,
vînt s'amuser à battre des marches et des valses, à jouer, en un mot, le rôle de jongleur, ni se
soumettre aux caprices d'êtres humains. Il se présente sous les traits d'un homme de mauvaise
mine, circonstance qui ne peut que corroborer cette opinion ; le moral se reflète en général sur
l'enveloppe. Il est donc avéré pour nous que le frappeur de Bergzabern est un Esprit inférieur,
de la classe des Esprits légers, qui s'est manifesté comme tant d'autres l'ont fait et le font tous
les jours.
Maintenant, dans quel but est-il venu ? La notice ne dit pas qu'on le lui ait demandé ;
aujourd'hui, qu'on est plus expérimenté sur ces sortes de choses, on ne laisserait pas venir un
visiteur si étrange sans s'informer de ce qu'il veut. Nous ne pouvons donc qu'établir une
conjecture. Il est certain qu'il n'a rien fait qui dévoilât de la méchanceté ou une mauvaise
intention ; l'enfant n'en a éprouvé aucun trouble ni physique ni moral ; les hommes seuls
auraient pu troubler son moral en frappant son imagination par des contes ridicules, et il est
heureux qu'ils ne l'aient point fait. Cet Esprit, tout inférieur qu'il était, n'était donc ni mauvais
ni malveillant ; c'était simplement un de ces Esprits si nombreux dont nous sommes sans
cesse entourés à notre insu. Il a pu agir en cette circonstance par un simple effet de son
caprice, comme aussi il a pu le faire à l'instigation d'Esprits élevés en vue d'éveiller l'attention
des hommes et de les convaincre de la réalité d'une puissance supérieure en dehors du monde
corporel.
Quant à l'enfant, il est certain que c'était un de ces médiums à influence physique, doués à leur
insu de cette faculté, et qui sont aux autres médiums ce que les somnambules naturels sont
aux somnambules magnétiques. Cette faculté dirigée avec prudence par un homme
expérimenté dans la nouvelle science eût pu produire des choses plus extraordinaires encore
et de nature à jeter un nouveau jour sur ces phénomènes, qui ne sont merveilleux que parce
qu'on ne les comprend pas.

- 10 -
Revue 1858

L'Esprit frappeur de Bergzabern (deuxième article)

Nous extrayons les passages suivants d'une nouvelle brochure allemande, publiée en 1853, par
M. Blanck, rédacteur du journal de Bergzabern, sur l'Esprit frappeur dont nous avons parlé
dans notre numéro du mois de mai. Les phénomènes extraordinaires qui y sont relatés, et dont
l'authenticité ne saurait être révoquée en doute, prouvent que nous n'avons rien à envier, sous
ce rapport, à l'Amérique. On remarquera dans ce récit le soin minutieux avec lequel les faits
ont été observés. Il serait à désirer qu'on apportât toujours, en pareil cas, la même attention et
la même prudence. On sait aujourd'hui que les phénomènes de ce genre ne sont point le
résultat d'un état pathologique, mais ils dénotent toujours chez ceux en qui ils se manifestent
une excessive sensibilité facile à surexciter. L'état pathologique n'est point la cause efficiente,
mais il peut être consécutif. La manie de l'expérimentation, dans les cas analogues, a plus
d'une fois causé des accidents graves qui n'auraient point eu lieu si l'on eût laissé la nature à
elle-même. On trouvera dans notre Instruction pratique sur les manifestations spirites, les
conseils nécessaires à cet effet. Nous suivons M. Blanck dans son compte rendu.
« Les lecteurs de notre brochure intitulée les Esprits frappeurs ont vu que les manifestations
de Philippine Senger ont un caractère énigmatique et extraordinaire. Nous avons raconté ces
faits merveilleux depuis leur début jusqu'au moment où l'enfant fut conduite au médecin royal
du canton. Maintenant nous allons examiner ce qui s'est passé depuis jusqu'à ce jour.
Lorsque l'enfant quitta la demeure du docteur Bentner pour entrer à la maison paternelle, le
frappement et le grattement recommencèrent chez le père Senger ; jusqu'à cette heure, et
même depuis la guérison complète de la jeune fille, les manifestations ont été plus marquées,
et ont changé de nature2. Dans ce mois de novembre (1852), l'Esprit commença à siffler ;
ensuite on entendit un bruit comparable à celui de la roue d'une brouette tournant sur son axe
sec et rouillé ; mais le plus extraordinaire de tout, c'est sans contredit le bouleversement des
meubles dans la chambre de Philippine, désordre qui dura pendant quinze jours. Une courte
description des lieux me paraît nécessaire. Cette chambre a environ 18 pieds de long sur 8 de
large ; on y arrive par la chambre commune. La porte qui fait communiquer ces deux pièces
s'ouvre à droite. Le lit de l'enfant était placé à droite ; au milieu une armoire, et dans le coin
de gauche la table de travail de Senger, dans laquelle sont pratiquées deux cavités circulaires,
fermées par des couvercles.
Le soir où commença le remue-ménage, madame Senger et sa fille aînée Francisque étaient
assises dans la première chambre, près d'une table, et occupées à écosser des haricots ; tout à
coup un petit rouet lancé de la chambre à coucher tomba près d'elles. Elles en furent d'autant
plus effrayées qu'elles savaient que personne autre que Philippine, alors plongée dans le
sommeil, ne se trouvait dans la chambre ; de plus, le rouet avait été lancé du côté gauche,
tandis qu'il se trouvait sur le rayon d'un petit meuble placé à droite. S'il fût parti du lit, il aurait
dû rencontrer la porte et s'y arrêter ; il demeurait donc évident que l'enfant n'était pour rien
dans ce fait. Pendant que la famille Senger exprimait sa surprise sur cet événement, quelque
chose tomba de la table sur le sol : c'était un morceau de drap qui, auparavant, trempait dans
une cuvette pleine d'eau. A côté du rouet gisait aussi une tête de pipe, l'autre moitié était
restée sur la table. Ce qui rendait la chose encore plus incompréhensible, c'est que la porte de
l'armoire où était le rouet avant d'être lancé se trouvait fermée, que l'eau de la cuvette n'était
point agitée, et qu'aucune goutte n'avait été répandue sur la table. Tout à coup l'enfant,
toujours endormie, crie de son lit : Père, va-t'en, il jette ! Sortez ! il vous jetterait aussi. Ils

2 Nous aurons occasion de parler de l'indisposition de cette enfant ; mais


puisqu'après sa guérison les mêmes effets se sont produits, c'est une
preuve évidente qu'ils étaient indépendants de son état de santé.
- 11 -
obéirent à cette injonction ; à peine furent-ils dans la première chambre que la tête de pipe y
fut lancée avec une grande force, sans pourtant qu'elle se brisât. Une règle dont Philippine se
servait à l'école prit le même chemin. Le père, la mère et leur fille aînée se regardaient avec
effroi, et, comme ils réfléchissaient au parti à prendre, un long rabot de Senger et un très gros
morceau de bois furent lancés de son établi dans l'autre chambre. Sur la table de travail, les
couvercles étaient à leur place, et malgré cela les objets qu'ils recouvraient avaient
pareillement été jetés au loin. Le même soir, les oreillers du lit furent lancés sur une armoire
et la couverture contre la porte.
Un autre jour, on avait mis aux pieds de l'enfant, sous la couverture, un fer à repasser du poids
de six livres environ ; bientôt il fut jeté dans la première pièce ; la poignée en était enlevée, et
on la retrouva sur une chaise de la chambre à coucher.
Nous fûmes témoins que des chaises placées à trois pieds du lit environ furent renversées, et
des fenêtres ouvertes, bien qu'elles fussent fermées auparavant, et cela à peine nous avions
tourné le dos pour rentrer dans la première pièce. Une autre fois, deux chaises furent
transportées sur le lit, sans déranger la couverture. Le 7 octobre, on avait solidement fermé la
fenêtre et tendu devant un drap blanc. Dès que nous eûmes quitté la chambre, on frappa à
coups redoublés et avec tant de violence, que tout en fut ébranlé, et que des gens qui passaient
dans la rue s'enfuirent épouvantés. On accourut dans la chambre : la fenêtre était ouverte, le
drap jeté sur la petite armoire à côté, la couverture du lit et les oreillers par terre, les chaises
culbutées, et l'enfant dans le lit, protégée par sa seule chemise. Pendant quatorze jours la
femme Senger ne fut occupée qu'à réparer le lit.
Une fois on avait laissé un harmonica sur un siège : des sons se firent entendre ; étant entré
précipitamment dans la chambre, on trouva, comme toujours, l'enfant tranquille dans son lit ;
l'instrument était sur la chaise, mais ne vibrait plus. Un soir, le père Senger sortait de la
chambre de sa fille quand il reçut dans le dos le coussin d'un siège. Une autre fois, c'est une
paire de vieilles pantoufles, des souliers qui étaient sous le lit, des sabots, qui viennent à sa
rencontre. Maintes fois aussi la chandelle allumée, placée sur la table de travail, fut soufflée.
Les coups et le grattement alternaient avec cette démonstration du mobilier. Le lit semblait
être mis en mouvement par une main invisible. Au commandement de : « Balancez le lit », ou
« Bercez l'enfant », le lit allait et venait, en long et en large, avec bruit ; au commandement
de : « Halte ! » il s'arrêtait. Nous pouvons affirmer, nous qui avons vu, que quatre hommes
s'assirent sur le lit, et même s'y suspendirent, sans pouvoir arrêter le mouvement ; ils étaient
soulevés avec le meuble. Au bout de quatorze jours le bouleversement du mobilier cessa, et à
ces manifestations en succédèrent d'autres.
Le 26 octobre au soir, se trouvaient entre autres personnes, dans la chambre, MM. Louis
Soëhnée, licencié en droit, le capitaine Simon, tous deux de Wissembourg, ainsi que M.
Sievert, de Bergzabern. Philippine Senger était à ce moment plongée dans le sommeil
magnétique3. M. Sievert présenta à celle-ci un papier renfermant des cheveux, pour voir ce
qu'elle en ferait. Elle ouvrit le papier, sans cependant mettre les cheveux à découvert, les
appliqua sur ses paupières closes, puis les éloigna, comme pour les examiner à distance et dit :
« Je voudrais bien savoir ce que contient ce papier... Ce sont des cheveux d'une dame que je
ne connais pas... Si elle veut venir, qu'elle vienne... Je ne puis pas l'inviter, je ne la connais
pas. » Aux questions que lui adressa M. Sievert, elle ne répondit pas ; mais ayant placé le
papier dans le creux de sa main, qu'elle étendait et retournait, il y resta suspendu. Elle le plaça
ensuite au bout de l'index et fit décrire à sa main pendant assez longtemps un demi-cercle, en
disant : « Ne tombe pas », et le papier resta au bout du doigt ; puis, au commandement de :
« Maintenant tombe », il se détacha sans qu'elle fît le moindre mouvement pour déterminer la
3 Une somnambule de Paris avait été mise en rapport avec la jeune
Philippine, et, depuis lors, celle-ci tombait elle-même spontanément en
somnambulisme. Il s'est passé à cette occasion des faits remarquables
que nous rapporterons une autre fois. (Note du traducteur.)
- 12 -
chute. Soudain, se tournant du côté du mur, elle dit : « A présent, je veux t'attacher au mur » ;
elle y appliqua le papier, qui y resta fixé environ 5 à 6 minutes, après quoi elle l'enleva. Un
examen minutieux du papier et du mur n'y fit découvrir aucune cause d'adhérence. Nous
croyons devoir faire remarquer que la chambre était parfaitement éclairée, ce qui nous permit
de nous rendre un compte exact de toutes ces particularités.
Le lendemain soir on lui donna d'autres objets : des clefs, des pièces de monnaie, des porte-
cigares, des montres, des anneaux d'or et d'argent ; et tous, sans exception, restaient suspendus
à sa main. On a remarqué que l'argent y adhérait plus que les autres matières, car on eut de la
peine à en enlever les pièces de monnaie, et cette opération lui causait de la douleur. Un des
faits les plus curieux en ce genre est le suivant : Le samedi 11 novembre, un officier qui était
présent lui donna son sabre avec le ceinturon, et le tout, qui pesait 4 livres, d'après
constatation, resta suspendu au doigt médium en se balançant assez longtemps. Ce qui n'est
pas moins singulier, c'est que tous les objets, quelle qu'en fût la matière, restaient également
suspendus. Cette propriété magnétique se communiquait par le simple contact des mains aux
personnes susceptibles de la transmission du fluide ; nous en avons eu plusieurs exemples.
Un capitaine, M. le chevalier de Zentner, en garnison à cette époque à Bergzabern, témoin de
ces phénomènes, eut l'idée de mettre une boussole près de l'enfant, pour en observer les
variations. Au premier essai, l'aiguille dévia de 15 degrés, mais aux suivants elle resta
immobile, quoique l'enfant eût la boîte dans une main et la caressât de l'autre. Cette
expérience nous a prouvé que ces phénomènes ne sauraient s'expliquer par l'action du fluide
minéral, d'autant moins que l'attraction magnétique ne s'exerce pas sur tous les corps
indifféremment.
D'habitude, lorsque la petite somnambule se disposait à commencer ses séances, elle appelait
dans la chambre toutes les personnes qui se trouvaient là. Elle disait simplement : « Venez !
venez ! » ou bien « Donnez ! donnez ! » Souvent elle n'était tranquille que lorsque tout le
monde, sans exception, était près de son lit. Elle demandait alors avec empressement et
impatience un objet quelconque ; à peine le lui avait-on donné, qu'il s'attachait à ses doigts. Il
arrivait fréquemment que dix, douze personnes et plus étaient présentes, et que chacune
d'elles lui remettait plusieurs objets. Pendant la séance elle ne souffrait pas qu'on lui en reprît
aucun ; elle paraissait surtout tenir aux montres ; elle les ouvrait avec une grande adresse,
examinait le mouvement, les refermait, puis les plaçait près d'elle pour examiner autre chose.
A là fin, elle rendait à chacun ce qu'on lui avait confié ; elle examinait les objets les yeux
fermés, et jamais ne se trompait de propriétaire. Si quelqu'un tendait la main pour prendre ce
qui ne lui appartenait pas, elle le repoussait. Comment expliquer cette distribution multiple à
un si grand nombre de personnes sans erreur ? On essayerait en vain de le faire soi-même les
yeux ouverts. La séance terminée et les étrangers partis, les coups et le grattement,
momentanément interrompus, recommençaient. Il faut ajouter que l'enfant ne voulait pas que
personne se tînt au pied de son lit près de l'armoire, ce qui laissait entre les deux meubles un
espace d'environ un pied. Si quelqu'un s'y mettait, elle le renvoyait du geste. S'y refusait-on,
elle montrait une grande inquiétude et ordonnait par des gestes impérieux de quitter la place.
Une fois elle engagea les assistants à ne jamais se tenir à l'endroit défendu, parce qu'elle ne
voulait pas, dit-elle, qu'il arrivât malheur à quelqu'un. Cet avertissement était si positif, que
nul à l'avenir ne l'oublia.
A quelque temps de là, au frappement et au grattement se joignit un bourdonnement que l'on
peut comparer au son produit par une grosse corde de basse ; un certain sifflement se mêlait à
ce bourdonnement. Quelqu'un demandait-il une marche ou une danse, son désir était satisfait :
le musicien invisible se montrait fort complaisant. A l'aide du grattement, il appelle
nominativement les gens de la maison ou les étrangers présents ; ceux-ci comprennent
facilement à qui il s'adresse. A l'appel par le grattement, la personne désignée répond oui,
pour donner à entendre qu'elle sait qu'il s'agit d'elle : alors il exécute à son intention un
morceau de musique qui donne parfois lieu à des scènes plaisantes. Si une autre personne que

- 13 -
celle appelée répondait oui, le gratteur faisait comprendre par un non exprimé à sa manière
qu'il n'avait rien à lui dire pour le moment. C'est le soir du 10 novembre que ces faits se sont
produits pour la première fois, et ils ont continué à se manifester jusqu'à ce jour.
Voici maintenant comment l'Esprit frappeur s'y prenait pour désigner les personnes. Depuis
plusieurs nuits, on avait remarqué qu'aux diverses invitations de faire telle ou telle chose il
répondait par un coup sec ou par un grattement prolongé. Aussitôt que le coup sec était donné,
le frappeur commençait à exécuter ce qu'on désirait de lui ; quand, au contraire, il grattait, il
ne satisfaisait pas à la demande. Un médecin eut alors l'idée de prendre pour un oui le premier
bruit, et le second pour un non, et depuis lors cette interprétation a toujours été confirmée. On
remarqua aussi que par une série de grattements plus ou moins forts l'Esprit exigeait certaines
choses des personnes présentes. A force d'attention, et en remarquant la manière dont le bruit
se produisait, on put comprendre l'intention du frappeur. Ainsi, par exemple, le père Senger a
raconté que le matin, au point du jour, il entendait des bruits modulés d'une certaine façon ;
sans y attacher d'abord aucun sens, il remarqua qu'ils ne cessaient que lorsqu'il était hors du
lit, d'où il comprit qu'ils signifiaient : « Lève-toi. » C'est ainsi que peu à peu on se familiarisa
avec ce langage, et qu'à certains signes les personnes désignées purent se reconnaître.
Arriva l'anniversaire du jour où l'Esprit frappeur s'était manifesté pour la première fois ; des
changements nombreux s'opérèrent dans l'état de Philippine Senger. Les coups, le grattement
et le bourdonnement continuèrent, mais à toutes ces manifestations se joignit un cri
particulier, qui ressemblait tantôt à celui d'une oie, tantôt à celui d'un perroquet ou de tout
autre gros oiseau ; en même temps on entendit une sorte de picotement contre le mur,
semblable au bruit que ferait un oiseau en becquetant. A cette époque, Philippine Senger
parlait beaucoup pendant son sommeil, et paraissait surtout préoccupée d'un certain animal,
qui ressemblait à un perroquet, se tenant au pied du lit, criant et donnant des coups de bec
contre le mur. Sur le désir d'entendre crier le perroquet, celui-ci jetait des cris perçants. On
posa diverses questions auxquelles il fut répondu par des cris du même genre ; plusieurs
personnes lui commandèrent de dire : Kakatoès, et l'on entendit très distinctement le mot
Kakatoès comme s'il eût été prononcé par l'oiseau lui-même. Nous passerons sous silence les
faits les moins intéressants, et nous nous bornerons à rapporter ce qu'il y eut de plus
remarquable sous le rapport des changements survenus dans l'état corporel de la jeune fille.
Quelque temps avant Noël, les manifestations se renouvelèrent avec plus d'énergie ; les coups
et le grattement devinrent plus violents et durèrent plus longtemps. Philippine, plus agitée que
de coutume, demandait souvent à ne plus coucher dans son lit, mais dans celui de ses parents ;
elle se roulait dans le sien en criant : « Je ne peux plus rester ici ; je vais étouffer : ils vont me
loger dans le mur ; au secours ! » Et son calme ne revenait que lorsqu'on l'avait transportée
dans l'autre lit. A peine s'y trouvait-elle, que des coups très forts se faisaient entendre d'en
haut ; ils semblaient partir du grenier, comme si un charpentier eût frappé sur les poutres ; ils
étaient même quelquefois si vigoureux, que la maison en était ébranlée, que les fenêtres
vibraient, et que les personnes présentes sentaient le sol trembler sous leurs pieds ; des coups
semblables étaient également frappés contre le mur, près du lit. Aux questions posées, les
mêmes coups répondaient comme d'habitude, alternant toujours avec le grattement. Les faits
suivants, non moins curieux, se sont maintes fois reproduits.
Lorsque tout bruit avait cessé et que la jeune fille reposait tranquillement dans son petit lit, on
la vit souvent se prosterner tout à coup et joindre les mains tout en ayant les yeux fermés ;
puis elle tournait la tête de tous côtés, tantôt à droite, tantôt à gauche, comme si quelque chose
d'extraordinaire eût attiré son attention. Un sourire aimable courait alors sur ses lèvres ; on eût
dit qu'elle s'adressait à quelqu'un ; elle tendait les mains, et à ce geste on comprenait qu'elle
serrait celles de quelques amis ou connaissances. On la vit aussi, après de semblables scènes,
reprendre sa première attitude suppliante, joindre de nouveau les mains, courber la tête jusqu'à
toucher la couverture, puis se redresser et verser des larmes. Elle soupirait alors et paraissait
prier avec une grande ferveur. Dans ces moments, sa figure était transformée ; elle était pâle

- 14 -
et avait l'expression d'une femme de 24 à 25 ans. Cet état durait souvent plus d'une demi-
heure, état pendant lequel elle ne prononça que des ah ! ah ! Les coups, le grattement, le
bourdonnement et les cris cessaient jusqu'au moment du réveil ; alors le frappeur se faisait
entendre de nouveau, cherchant l'exécution d'airs gais propres à dissiper l'impression pénible
produite sur l'assistance. Au réveil, l'enfant était très abattue ; elle pouvait à peine lever les
bras, et les objets qu'on lui présentait ne restaient plus suspendus à ses doigts.
Curieux de connaître ce qu'elle avait éprouvé, on l'interrogea plusieurs fois. Ce n'est que sur
des instances réitérées quelle se décida à dire qu'elle avait vu conduire et crucifier le Christ
sur le Golgotha ; que la douleur des saintes femmes prosternées au pied de la croix et le
crucifiement avaient produit sur elle une impression qu'elle ne pouvait rendre. Elle avait vu
aussi une foule de femmes et de jeunes vierges en robes noires, et des jeunes gens en longues
robes blanches parcourir processionnellement les rues d'une belle ville, et enfin elle s'était
trouvée transportée dans une vaste église, où elle avait assisté à un service funèbre.
En peu de temps l'état de Philippine Senger changea de façon à donner des inquiétudes sur sa
santé, car à l'état de veille elle divaguait et rêvait tout haut ; elle ne reconnaissait ni son père,
ni sa mère, ni sa soeur, ni aucune autre personne, et cet état vint encore s'aggraver d'une
surdité complète qui persista pendant quinze jours. Nous ne pouvons passer sous silence ce
qui eut lieu durant ce laps de temps.
La surdité de Philippine se manifesta de midi à trois heures, et elle-même déclara quelle
resterait sourde pendant un certain temps et qu'elle tomberait malade. Ce qu'il y a de singulier,
c'est que parfois elle recouvrait l'ouïe pendant une demi-heure, ce dont elle se montrait
heureuse. Elle prédisait elle-même le moment où la surdité devait la prendre et la quitter. Une
fois, entre autres, elle annonça que le soir, à huit heures et demie, elle entendrait clairement
pendant une demi-heure ; en effet, à l'heure dite, l'ouïe était revenue, et cela dura jusqu'à neuf
heures.
Pendant sa surdité ses traits étaient changés ; son visage prenait une expression de stupidité
qu'il perdait aussitôt qu'elle était rentrée dans son état normal. Rien alors ne faisait impression
sur elle ; elle se tenait assise, regardant les personnes présentes d'un oeil fixe et sans les
reconnaître. On ne pouvait se faire comprendre que par des signes auxquels le plus souvent
elle ne répondait pas, se bornant à fixer les yeux sur celui qui lui adressait la parole. Une fois
elle saisit tout à coup par le bras une des personnes présentes et lui dit en la poussant : Qui es-
tu donc ? Dans cette situation, elle restait quelquefois plus d'une heure et demie immobile sur
son lit. Ses yeux étaient à demi ouverts et arrêtés sur un point quelconque ; de temps à autre
on les voyait se tourner à droite et à gauche, puis revenir au même endroit. Toute sensibilité
paraissait alors émoussée en elle ; son pouls battait à peine, et lorsqu'on lui plaçait une
lumière devant les yeux, elle ne faisait aucun mouvement : on l'eût dit morte.
Il arriva pendant sa surdité qu'un soir, étant couchée, elle demanda une ardoise et de la craie,
puis elle écrivit : « A onze heures je dirai quelque chose, mais j'exige qu'on se tienne
tranquille et silencieux. » Après ces mots elle ajouta cinq signes qui ressemblaient à de
l'écriture latine, mais qu'aucun des assistants ne put déchiffrer. On écrivit sur l'ardoise qu'on
ne comprenait pas ces signes. En réponse à cette observation, elle écrivit : « N'est-ce pas que
vous ne pouvez pas lire ! » Et plus bas : « Ce n'est pas de l'allemand, c'est une langue
étrangère. » Ensuite ayant retourné l'ardoise, elle écrivit sur l'autre côté : « Francisque (sa
sœur aînée) s'assiéra à cette table et écrira ce que je lui dicterai. » Elle accompagna ces mots
de cinq signes semblables aux premiers, et rendit l'ardoise. Remarquant que ces signes
n'étaient pas encore compris, elle redemanda l'ardoise et ajouta : « Ce sont des ordres
particuliers. »
Un peu avant onze heures, elle dit : « Tenez-vous tranquilles, que tout le monde s'assoie et
prête attention ! » et au coup de onze heures, elle se renversa sur son lit et tomba dans son
sommeil magnétique ordinaire. Quelques instants après elle se mit à parler, ce qui dura sans
discontinuer pendant une demi-heure. Entre autres choses, elle déclara que dans le courant de

- 15 -
l'année il se produirait des faits que personne ne pourrait comprendre, et que toutes les
tentatives faites pour les expliquer resteraient infructueuses.
Pendant la surdité de la jeune Senger, le bouleversement du mobilier, l'ouverture inexpliquée
des fenêtres, l'extinction des lumières placées sur la table de travail, se renouvelèrent plusieurs
fois. Il arriva un soir que deux bonnets accrochés à un portemanteau de la chambre à coucher
furent lancés sur la table de l'autre chambre, et renversèrent une tasse pleine de lait, qui se
répandit à terre. Les coups frappés contre le lit étaient si violents, que ce meuble en était
déplacé ; quelquefois même il était dérangé avec fracas sans que les coups se fissent entendre.
Comme il y avait encore des gens incrédules, ou qui attribuaient ces singularités à un jeu de
l'enfant, qui, selon eux, frappait ou grattait avec ses pieds ou ses mains, bien que les faits
eussent été constatés par plus de cent témoins, et qu'il fût avéré que la jeune fille avait les bras
étendus sur la couverture pendant que les bruits se produisaient, le capitaine Zentner imagina
un moyen de les convaincre. Il fit apporter de la caserne deux couvertures très épaisses qu'on
mit l'une sur l'autre, et dont on enveloppa les matelas et les draps de lit ; elles étaient à longs
poils, de telle sorte qu'il était impossible d'y produire le moindre bruit par le frottement.
Philippine, vêtue d'une simple chemise et d'une camisole de nuit, fut mise sur ces
couvertures ; à peine placée, le grattement et les coups eurent lieu comme auparavant, tantôt
contre le bois du lit, tantôt contre l'armoire voisine, selon le désir qui était exprimé.
Il arrive souvent que, lorsque quelqu'un fredonne ou siffle un air quelconque, le frappeur
l'accompagne, et les sons que l'on perçoit semblent provenir de deux, trois ou quatre
instruments : on entend gratter, frapper, siffler et gronder en même temps, suivant le rythme
de l'air chanté. Souvent aussi le frappeur demande à l'un des assistants de chanter une
chanson ; il le désigne par le procédé que nous connaissons, et, quand celui-ci a compris que
c'est à lui que l'Esprit s'adresse, il lui demande à son tour s'il doit chanter tel ou tel air ; il lui
est répondu par oui ou par non. L'air indiqué étant chanté, un accompagnement de
bourdonnements et de sifflements se fait entendre parfaitement en mesure. Après un air
joyeux, l'Esprit demandait souvent l'air : Grand Dieu, nous te louons, ou la chanson de
Napoléon I°. Si on lui disait de jouer tout seul cette dernière chanson ou toute autre, il la
faisait entendre depuis le commencement jusqu'à la fin.
Les choses allèrent ainsi dans la maison de Senger, soit le jour, soit la nuit, pendant le
sommeil ou dans l'état de veille de l'enfant, jusqu'au 4 mars 1853, époque à laquelle les
manifestations entrèrent dans une autre phase. Ce jour fut marqué par un fait plus
extraordinaire encore que les précédents. »
(La suite au prochain numéro.)
Remarque. - Nos lecteurs ne nous sauront pas mauvais gré sans doute de l'étendue que nous
avons donnée à ces curieux détails, et nous pensons qu'ils en liront la suite avec non moins
d'intérêt. Nous ferons remarquer que ces faits ne nous viennent pas des contrées
transatlantiques, dont la distance est un grand argument pour certains sceptiques quand
même ; ils ne viennent même pas d'outre-Rhin, car c'est sur nos frontières qu'ils se sont
passés, et presque sous nos yeux, puisqu'ils ont à peine six ans de date.
Philippine Senger était, comme on le voit, un médium naturel très complexe ; outre l'influence
qu'elle exerçait sur les phénomènes bien connus des bruits et des mouvements, elle était
somnambule extatique. Elle conversait avec des êtres incorporels qu'elle voyait ; elle voyait
en même temps les assistants, et leur adressait la parole, mais ne leur répondait pas toujours,
ce qui prouve qu'à certains moments elle était isolée. Pour ceux qui connaissent les effets de
l'émancipation de l'âme, les visions que nous avons rapportées n'ont rien qui ne puisse
aisément s'expliquer ; il est probable que, dans ces moments d'extase, l'Esprit de l'enfant se
trouvait transporté dans quelque contrée lointaine, où il assistait, peut-être en souvenir, à une
cérémonie religieuse. On peut s'étonner de la mémoire qu'il en gardait au réveil, mais ce fait
n'est point insolite ; du reste, on peut remarquer que le souvenir était confus, et qu'il fallait
insister beaucoup pour le provoquer.

- 16 -
Si l'on observe attentivement ce qui se passait pendant la surdité, on y reconnaîtra sans peine
un état cataleptique. Puisque cette surdité n'était que temporaire, il est évident qu'elle ne tenait
point à l'altération des organes de l'ouïe. Il en est de même de l'oblitération momentanée des
facultés mentales, oblitération qui n'avait rien de pathologique, puisque, à un instant donné,
tout rentrait dans l'état normal. Cette sorte de stupidité apparente tenait à un dégagement plus
complet de l'âme, dont les excursions se faisaient avec plus de liberté, et ne laissaient aux sens
que la vie organique. Qu'on juge donc de l'effet désastreux qu'eût pu produire un traitement
thérapeutique en pareille circonstance ! Des phénomènes du même genre peuvent se produire
à chaque instant ; nous ne saurions, dans ce cas, recommander trop de circonspection ; une
imprudence peut compromettre la santé et même la vie.

- 17 -
Revue spirite 1858

L'Esprit frappeur de Bergzabern (troisième article)

Nous continuons à citer la brochure de M. Blanck, rédacteur du Journal de Bergzabern4.


« Les faits que nous allons relater eurent lieu du vendredi 4 au mercredi 9 mars 1853 ; depuis,
rien de semblable ne s'est produit. Philippine à cette époque ne couchait plus dans la chambre
que l'on connaît : son lit avait été transféré dans la pièce voisine où il se trouve encore
maintenant. Les manifestations ont pris un tel caractère d'étrangeté, qu'il est impossible
d'admettre l'explication de ces phénomènes par l'intervention des hommes. Ils sont d'ailleurs
si différents de ceux qui furent observés antérieurement, que toutes les suppositions premières
ont été renversées.
On sait que dans la chambre où couchait la jeune fille, les chaises et les autres meubles
avaient souvent été bouleversés, que les fenêtres s'étaient ouvertes avec fracas sous des coups
redoublés. Depuis cinq semaines elle se tient dans la chambre commune, où, une fois la nuit
venue et jusqu'au lendemain, il y a toujours de la lumière ; on peut donc parfaitement voir ce
qui s'y passe. Voici le fait qui fut observé le vendredi 4 mars.
Philippine n'était pas encore couchée ; elle était au milieu d'un certain nombre de personnes
qui s'entretenaient de l'Esprit frappeur, lorsque tout à coup le tiroir d'une table très grande et
très lourde, placée dans la chambre, fut tiré et repoussé avec un grand bruit et une promptitude
extraordinaire. Les assistants furent fort surpris de cette nouvelle manifestation ; dans le
même moment la table elle-même se mit en mouvement dans tous les sens, et s'avança vers la
cheminée près de laquelle Philippine était assise. Poursuivie pour ainsi dire par ce meuble,
elle dut quitter sa place et s'enfuir dans le milieu de la chambre ; mais la table revint dans
cette direction et s'arrêta à un demi-pied du mur. On la remit à sa place ordinaire, d'où elle ne
bougea plus ; mais des bottes qui se trouvaient dessous, et que tout le monde put voir, furent
lancées au milieu de la chambre, au grand effroi des personnes présentes. L'un des tiroirs
recommença à glisser dans ses coulisses, s'ouvrant et se refermant par deux fois, d'abord très
vivement, puis de plus en plus lentement ; lorsqu'il était entièrement ouvert, il lui arrivait
d'être secoué avec fracas. Un paquet de tabac laissé sur la table changeait de place à chaque
instant. Le frappement et le grattement se firent entendre dans la table. Philippine, qui
jouissait alors d'une très bonne santé, se tenait au milieu de la réunion et ne paraissait
nullement inquiète de toutes ces étrangetés, qui se renouvelaient chaque soir depuis le
vendredi ; mais le dimanche elles furent encore plus remarquables.
Le tiroir fut plusieurs fois violemment tiré et refermé. Philippine, après avoir été dans son
ancienne chambre à coucher, revint subitement prise du sommeil magnétique, se laissa tomber
sur un siège, où le grattement se fit plusieurs fois entendre. Les mains de l'enfant étaient sur
ses genoux et la chaise se mouvait tantôt à droite, tantôt à gauche, en avant ou en arrière. On
voyait les pieds de devant du siège se lever, tandis que la chaise se balançait dans un équilibre
étonnant sur les pieds de derrière. Philippine ayant été transportée au milieu de la chambre, il
fut plus facile d'observer ce nouveau phénomène. Alors, au commandement, la chaise
tournait, avançait ou reculait plus ou moins vite, tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre.
Pendant cette danse singulière, les pieds de l'enfant, comme paralysés, traînaient à terre ;
celle-ci se plaignit de maux de tête par des gémissements et en portant à diverses reprises la
main à son front ; puis, s'étant réveillée tout à coup, elle se mit à regarder de tous côtés, ne
pouvant comprendre sa situation : son malaise l'avait quittée. Elle se coucha ; alors les coups

4 Nous devons à l'obligeance d'un de nos amis, M. Alfred Pireaux,


employé à l'administration des postes, la traduction de cette
intéressante brochure.
- 18 -
et le grattement qui s'étaient produits dans la table se firent entendre dans le lit avec force et
d'une façon joyeuse.
Quelque temps auparavant, une sonnette ayant fait entendre des sons spontanés, on eut l'idée
d'en attacher une au lit, aussitôt elle se mit à tinter et à s'agiter. Ce qu'il y eut de plus curieux
dans cette circonstance, c'est que, le lit étant soulevé et déplacé, la sonnette resta immobile et
muette. Vers minuit environ tout bruit cessa, et l'assemblée se retira.
Le lundi soir, 15 mai, on fixa au lit une grosse sonnette ; aussitôt elle fit entendre un bruit
assourdissant et désagréable. Le même jour, dans l'après-midi, les fenêtres et la porte de la
chambre à coucher s'étaient ouvertes, mais silencieusement.
Nous devons rapporter aussi que la chaise sur laquelle Philippine s'était assise le vendredi et
le samedi, ayant été portée par le père Senger au milieu de la chambre, paraissait beaucoup
plus légère que de coutume : on eût dit qu'une force invisible la soutenait. Un des assistants,
voulant la pousser, n'éprouva aucune résistance : la chaise paraissait glisser d'elle-même sur le
sol.
L'Esprit frappeur resta silencieux pendant les trois jours : jeudi, vendredi et samedi saints. Ce
ne fût que le jour de Pâques que ses coups recommencèrent avec le son des cloches, coups
rythmés qui composaient un air. Le 1° avril les troupes, changeant de garnison, quittèrent la
ville musique en tête. Lorsqu'elles passèrent devant la maison Senger, l'Esprit frappeur
exécuta à sa manière, contre le lit, le même morceau qu'on jouait dans la rue. Quelque temps
avant on avait entendu dans la chambre comme les pas d'une personne, et comme si l'on eût
jeté du sable sur les planches.
Le gouvernement du Palatinat s'est préoccupé des faits que nous venons de rapporter, et
proposa au père Senger de placer son enfant dans une maison de santé à Frankenthal,
proposition qui fut acceptée. Nous apprenons que dans sa nouvelle résidence, la présence de
Philippine a donné lieu aux prodiges de Bergzabern, et que les médecins de Frankenthal, pas
plus que ceux de notre ville, n'en peuvent déterminer la cause. Nous sommes informés en
outre que les médecins ont seuls accès auprès de la jeune fille. Pourquoi a-t-on pris cette
mesure ? Nous l'ignorons, et nous ne nous permettrons pas de la blâmer ; mais si ce qui y a
donné lieu n'est pas le résultat de quelque circonstance particulière, nous croyons qu'on aurait
pu laisser pénétrer près de l'intéressante enfant, sinon tout le monde, au moins les personnes
recommandables. »
Remarque. - Nous n'avons eu connaissance des différents faits que nous avons rapportés que
par la relation qu'en a publiée M. Blanck ; mais une circonstance vient de nous mettre en
rapport avec une des personnes qui ont le plus figuré dans toute cette affaire, et qui a bien
voulu nous fournir à ce sujet des documents circonstanciés du plus haut intérêt. Nous avons
également eu, par l'évocation, des explications fort curieuses et fort instructives sur cet Esprit
frappeur lui-même qui s'est manifesté à nous. Ces documents nous étant parvenus trop tard,
nous en ajournons la publication au prochain numéro.

- 19 -
Revue spirite 1858

Entretiens familiers d’outre-tombe


Le Tambour de la Bérésina

Quelques personnes étant réunies chez nous à l'effet de constater certaines manifestations, les
faits suivants se produisirent pendant plusieurs séances et donnèrent lieu à l'entretien que nous
allons rapporter, et qui présente un haut intérêt au point de vue de l'étude.
L'Esprit se manifesta par des coups frappés, non avec le pied de la table, mais dans le tissu
même du bois. L'échange de pensées qui eut lieu en cette circonstance entre les assistants et
l'être invisible ne permettait pas de douter de l'intervention d'une intelligence occulte. Outre
les réponses faites à diverses questions, soit par oui et par non, soit au moyen de la typtologie
alphabétique, les coups battaient à volonté une marche quelconque, le rythme d'un air,
imitaient la fusillade et la canonnade d'une bataille, le bruit du tonnelier, du cordonnier,
faisaient l'écho avec une admirable précision, etc. Puis eut lieu le mouvement d'une table et sa
translation sans aucun contact des mains, les assistants se tenant écartés ; un saladier ayant été
placé sur la table, au lieu de tourner, se mit à glisser en ligne droite, également sans le contact
des mains. Les coups se faisaient entendre pareillement dans divers meubles de la chambre,
quelquefois simultanément, d'autres fois comme s'ils se fussent répondus.
L'Esprit paraissait avoir une prédilection marquée pour les batteries de tambour, car il y
revenait à chaque instant sans qu'on les lui demandât ; souvent à certaines questions, au lieu
de répondre, il battait la générale ou le rappel. Interrogé sur plusieurs particularités de sa vie,
il dit s'appeler Célima, être né à Paris, mort depuis quarante-cinq ans, et avoir été tambour.
Parmi les assistants, outre le médium spécial à influences physiques qui servait aux
manifestations, il y avait un excellent médium écrivain qui put servir d'interprète à l'Esprit, ce
qui permit d'obtenir des réponses plus explicites. Ayant confirmé, par la psychographie, ce
qu'il avait dit au moyen de la typtologie sur son nom, le lieu de sa naissance et l'époque de sa
mort, on lui adressa la série des questions suivantes, dont les réponses offrent plusieurs traits
caractéristiques et qui corroborent certaines parties essentielles de la théorie.
1. Ecris-nous quelque chose, ce que tu voudras ? - R. Ran plan plan, ran plan plan.
2. Pourquoi écris-tu cela ? - R. J'étais tambour.
3. Avais-tu reçu quelque instruction ? - R. Oui.
4. Où as-tu fait tes études ? - R. Aux Ignorantins.
5. Tu nous parais être jovial ? - R. Je le suis beaucoup.
6. Tu nous as dit une fois que, de ton vivant, tu aimais un peu trop à boire ; est-ce vrai ? - R.
J'aimais tout ce qui était bon.
7. Etais-tu militaire ? - R. Mais oui, puisque j'étais tambour.
8. Sous quel gouvernement as-tu servi ? - R. Sous Napoléon le Grand.
9. Peux-tu nous citer une des batailles auxquelles tu as assisté ? - R. La Bérésina.
10. Est-ce là que tu es mort ? - R. Non.
11. Etais-tu à Moscou ? - R. Non.
12. Où es-tu mort ? - R. Dans les neiges.
13. Dans quel corps servais-tu ? - R. Dans les fusiliers de la garde.
14. Aimais-tu bien Napoléon le Grand ? - R. Comme nous l'aimions tous, sans savoir
pourquoi.
15. Sais-tu ce qu'il est devenu depuis sa mort ? - R. Je ne me suis plus occupé que de moi
depuis ma mort.
16. Es-tu réincarné ? - R. Non, puisque je viens causer avec vous.

- 20 -
17. Pourquoi te manifestes-tu par des coups sans qu'on t'ait appelé ? - R. Il faut faire du bruit
pour ceux dont le cœur ne croit pas. Si vous n'en avez pas assez, je vais vous en donner
encore.
18. Est-ce de ta propre volonté que tu es venu frapper, ou bien un autre Esprit t'a-t-il forcé de
le faire ? - R. C'est de ma bonne volonté que je viens ; il y en a bien un que vous appelez
Vérité qui peut m'y forcer aussi ; mais il y a longtemps que j'avais voulu venir.
19. Dans quel but voulais-tu venir ? - R. Pour m'entretenir avec vous ; c'est ce que je voulais ;
mais il y avait quelque chose qui m'en empêchait. J'y ai été forcé par un Esprit familier de la
maison qui m'a engagé à me rendre utile aux personnes qui me demanderaient de faire des
réponses. - Cet Esprit a donc beaucoup de pouvoir, puisqu'il commande ainsi aux autres
Esprits ? - R. Plus que vous ne croyez, et il n'en use que pour le bien.
Remarque. L'Esprit familier de la maison se fait connaître sous le nom allégorique de la
Vérité, circonstance ignorée du médium.
20. Qu'est-ce qui t'en empêchait ? - R. Je ne sais pas ; quelque chose que je ne comprends pas.
21. Regrettes-tu la vie ? - R. Non, je ne regrette rien.
22. Laquelle préfères-tu de ton existence actuelle ou de ton existence terrestre ? - R. Je préfère
l'existence des Esprits à l'existence du corps.
23. Pourquoi cela ? - R. Parce qu'on est bien mieux que sur la terre ; c'est le purgatoire sur la
terre, et tout le temps que j'y ai vécu, je désirais toujours la mort.
24. Souffres-tu dans ta nouvelle situation ? - R. Non ; mais je ne suis pas encore heureux.
25. Serais-tu satisfait d'avoir une nouvelle existence corporelle ? - R. Oui, parce que je sais
que je dois monter.
26. Qui te l'a dit ? - R. Je le sens bien.
27. Seras-tu bientôt réincarné ? - R. Je ne sais pas.
28. Vois-tu d'autres Esprits autour de toi ? - R. Oui, beaucoup.
29. Comment sais-tu que ce sont des Esprits ? - R. Entre nous, nous nous voyons tels que
nous sommes.
30. Sous quelle apparence les vois-tu ? - R. Comme on peut voir des Esprits, mais non par les
yeux.
31. Et toi, sous quelle forme es-tu ici ? - R. Sous celle que j'avais de mon vivant ; c'est-à-dire
en tambour.
32. Et les autres Esprits, les vois-tu sous la forme qu'ils avaient de leur vivant ? - R. Non, nous
ne prenons une apparence que lorsque nous sommes évoqués, autrement nous nous voyons
sans forme.
33. Nous vois-tu aussi nettement que si tu étais vivant ? - R. Oui, parfaitement.
34. Est-ce par les yeux que tu nous vois ? - R. Non ; nous avons une forme, mais nous n'avons
pas de sens ; notre forme n'est qu'apparente.
Remarque. - Les Esprits ont assurément des sensations, puisqu'ils perçoivent, autrement ils
seraient inertes ; mais leurs sensations ne sont point localisées comme lorsqu'ils ont un corps :
elles sont inhérentes à tout leur être.
35. Dis-nous positivement à quelle place tu es ici ? - R. Je suis près de la table, entre le
médium et vous.
36. Quand tu frappes, es-tu sous la table, ou dessus, ou dans l'épaisseur du bois ? - R. Je suis à
côté ; je ne me mets pas dans le bois : il suffit que je touche la table.
37. Comment produis-tu les bruits que tu fais entendre ? - R. Je crois que c'est par une sorte
de concentration de notre force.
38. Pourrais-tu nous expliquer la manière dont se produisent les différents bruits que tu imites,
les grattements, par exemple ? - R. Je ne saurais trop préciser la nature des bruits ; c'est
difficile à expliquer. Je sais que je gratte, mais je ne puis expliquer comment je produis ce
bruit que vous appelez grattement.

- 21 -
39. Pourrais-tu produire les mêmes bruits avec tout médium quelconque ? - R. Non, il y a des
spécialités dans tous les médiums ; tous ne peuvent pas agir de la même façon.
40. Vois-tu parmi nous quelqu'un, autre que le jeune S... (le médium à l'influence physique
par lequel cet Esprit se manifeste), qui pourrait t'aider à produire les mêmes effets ? - R. Je
n'en vois pas pour le moment ; avec lui je suis très disposé à le faire.
41. Pourquoi avec lui plutôt qu'avec un autre ? - R. Parce que je le connais davantage, et
qu'ensuite il est plus apte qu'un autre à ce genre de manifestations.
42. Le connaissais-tu d'ancienne date ; avant son existence actuelle ? - R. Non ; je ne le
connais que depuis peu de temps ; j'ai été en quelque sorte attiré vers lui pour en faire mon
instrument.
43. Quand une table se soulève en l'air sans point d'appui, qu'est-ce qui la soutient ? - R. Notre
volonté qui lui a ordonné d'obéir, et aussi le fluide que nous lui transmettons.
Remarque. - Cette réponse vient à l'appui de la théorie qui nous a été donnée, et que nous
avons rapportée dans les n° 5 et 6 de cette Revue, sur la cause des manifestations physiques.
44. Pourrais-tu le faire ? - R. je le pense ; j'essayerai lorsque le médium sera venu. (Il était
absent en ce moment.)
45. De qui cela dépend-il ? - R. Cela dépend de moi, puisque je me sers du médium comme
instrument.
46. Mais la qualité de l'instrument n'est-elle pas pour quelque chose ? - R. Oui, elle m'aide
beaucoup, puisque j'ai dit que je ne pouvais le faire avec d'autres aujourd'hui.
Remarque. - Dans le courant de la séance on essaya l'enlèvement de la table, mais on ne
réussit pas, probablement parce qu'on n'y mit pas assez de persévérance ; il y eut des efforts
évidents et des mouvements de translation sans contact ni imposition des mains. Au nombre
des expériences qui furent faites, fut celle de l'ouverture de la table à l'endroit des rallonges ;
cette table offrant beaucoup de résistance par sa mauvaise construction, on la tenait d'un côté,
tandis que l'Esprit tirait de l'autre et la faisait ouvrir.
47. Pourquoi, l'autre jour, les mouvements de la table s'arrêtaient-ils chaque fois que l'un de
nous prenait la lumière pour regarder dessous ? - R. Parce que je voulais punir votre curiosité.
48. De quoi t'occupes-tu dans ton existence d'Esprit, car enfin tu ne passes pas ton temps à
frapper ? - R. J'ai souvent des missions à remplir ; nous devons obéir à des ordres supérieurs,
et surtout lorsque nous avons du bien à faire par notre influence sur les humains.
49. Ta vie terrestre n'a sans doute pas été exempte de fautes ; les reconnais-tu maintenant ? -
R. Oui, je les expie justement en restant stationnaire parmi les Esprits inférieurs ; je ne pourrai
me purifier davantage que lorsque je prendrai un autre corps.
50. Quand tu faisais entendre des coups dans un autre meuble en même temps que dans la
table, est-ce toi qui les produisais ou un autre Esprit ? - R. C'était moi.
51. Tu étais donc seul ? - R. Non, mais je remplissais seul la mission de frapper.
52. Les autres Esprits qui étaient là t'aidaient-ils à quelque chose ? - R. Non pour frapper,
mais pour parler.
53. Alors ce n'étaient pas des Esprits frappeurs ? - R. Non, la Vérité n'avait permis qu'à moi de
frapper.
54. Les Esprits frappeurs ne se réunissent-ils pas quelquefois en nombre afin d'avoir plus de
puissance pour produire certains phénomènes ? - R. Oui, mais pour ce que je voulais faire je
pouvais suffire seul.
55. Dans ton existence spirite, es-tu toujours sur la terre ? - R. Le plus souvent dans l'espace.
56. Vas-tu quelquefois dans d'autres mondes, c'est-à-dire dans d'autres globes ? - R. Non dans
de plus parfaits, mais dans des mondes inférieurs.
57. T'amuses-tu quelquefois à voir et à entendre ce que font les hommes ? - Non ; quelquefois
pourtant j'en ai pitié.
58. Quels sont ceux vers lesquels tu vas de préférence ? - R. Ceux qui veulent croire de bonne
foi.

- 22 -
59. Pourrais-tu lire dans nos pensées ? - R. Non, je ne lis pas dans les âmes ; je ne suis pas
assez parfait pour cela.
60. Cependant tu dois connaître nos pensées, puisque tu viens parmi nous ; autrement
comment pourrais-tu savoir si nous croyons de bonne foi ? - R. je ne lis pas, mais j'entends.
Remarque. - La question 58 avait pour but de lui demander quels sont ceux vers lesquels il va
de préférence spontanément, dans sa vie d'Esprit, sans être évoqué ; par l'évocation il peut,
comme Esprit d'un ordre peu élevé, être contraint de venir même dans un milieu qui lui
déplairait. D'un autre côté, sans lire à proprement parler dans nos pensées, il pouvait
certainement voir que les personnes n'étaient réunies que dans un but sérieux, et, par la nature
des questions et des conversations qu'il entendait, juger que l'assemblée était composée de
personnes sincèrement désireuses de s'éclairer.
61. As-tu retrouvé dans le monde des Esprits quelques-uns de tes anciens camarades de
l'armée ? - R. Oui, mais leurs positions étaient si différentes que je ne les ai pas tous reconnus.
62. En quoi consistait cette différence ? - R. Dans l'ordre heureux ou malheureux de chacun.
62. Que vous êtes-vous dit en vous retrouvant ? - R. Je leur disais : Nous allons monter vers
Dieu qui le permet.
63. Comment entendais-tu monter vers Dieu ? - R. Un degré de plus de franchi, c'est un degré
de plus vers lui.
64. Tu nous as dit que tu es mort dans les neiges, par conséquent tu es mort de froid ? - R. De
froid et de besoin.
65. As-tu eu immédiatement la conscience de ta nouvelle existence ? - R. Non, mais je n'avais
plus froid.
66. Es-tu quelquefois retourné vers l'endroit où tu as laissé ton corps ? - R. Non, il m'avait
trop fait souffrir.
67. Nous te remercions des explications que tu as bien voulu nous donner ; elles nous ont
fourni d'utiles sujets d'observation pour nous perfectionner dans la science spirite ? - R. Je
suis tout à vous.
Remarque. - Cet Esprit, comme on le voit, est peu avancé dans la
hiérarchie spirite : il reconnaît lui-même son infériorité. Ses connaissances
sont bornées ; mais il y a chez lui du bon sens, des sentiments honorables
et de la bienveillance. Sa mission, comme Esprit, est assez infime,
puisqu'il remplit le rôle d'Esprit frappeur pour appeler les incrédules à la
foi ; mais, au théâtre même, l'humble costume de comparse ne peut-il
couvrir un cœur honnête ? Ses réponses ont la simplicité de l'ignorance ;
mais, pour n'avoir pas l'élévation du langage philosophique des Esprits
supérieurs, elles n'en sont pas moins instructives comme étude de mœurs
spirites, si nous pouvons nous exprimer ainsi. C'est seulement en étudiant
toutes les classes de ce monde qui nous attend, qu'on peut arriver à le
connaître, et y marquer en quelque sorte d'avance la place que chacun de
nous peut y occuper. En voyant la situation que s'y sont faite par leurs
vices et leurs vertus les hommes qui ont été nos égaux ici-bas, c'est un
encouragement pour nous élever le plus possible dès celui-ci : c'est
l'exemple à côté du précepte. Nous ne saurions trop le répéter, pour bien
connaître une chose et s'en faille une idée exempte d'illusions, il faut la
voir sous toutes ses faces, de même que le botaniste ne peut connaître le
règne végétal qu'en l'observant depuis l'humble cryptogame caché sous la
mousse jusqu'au chêne qui s'élève dans les airs.

- 23 -
Revue spirite 1858

Esprits imposteurs
Le faux P. Ambroise

Un des écueils que présentent les communications spirites est celui des Esprits imposteurs qui
peuvent induire en erreur sur leur identité, et qui, à l'abri d'un nom respectable, cherchent à
faire passer les plus grossières absurdités. Nous nous sommes, en maintes occasions,
expliqués sur ce danger, qui cesse d'en être un pour quiconque scrute à la fois la forme et le
fond du langage des êtres invisibles avec lesquels il est en communication. Nous ne pouvons
répéter ici ce que nous avons dit à ce sujet ; qu'on veuille bien le lire attentivement dans cette
Revue, dans le Livre des Esprits et dans notre Instruction pratique 5, et l'on verra que rien n'est
plus facile que de se prémunir contre de pareilles fraudes, pour peu qu'on y mette de bonne
volonté. Nous reproduisons seulement la comparaison suivante que nous avons citée quelque
part : « Supposez que dans une chambre voisine de celle où vous êtes soient plusieurs
individus que vous ne connaissez pas, que vous ne pouvez voir, mais que vous entendez
parfaitement ; ne serait-il pas facile de reconnaître à leur conversation si ce sont des ignorants
ou des savants, d'honnêtes gens ou des malfaiteurs, des hommes sérieux ou des étourdis ; des
gens de bonne compagnie ou des rustres ?
Prenons une autre comparaison sans sortir de notre humanité matérielle : supposons qu'un
homme se présente à vous sous le nom d'un littérateur distingué ; à ce nom, vous le recevez
d'abord avec tous les égards dus à son mérite supposé ; mais, s'il s'exprime comme un
crocheteur, vous reconnaîtrez tout de suite le bout de l'oreille, et le mettrez à la porte comme
un imposteur.
Il en est de même des Esprits : on les reconnaît à leur langage ; celui des Esprits supérieurs est
toujours digne et en harmonie avec la sublimité des pensées ; jamais la trivialité n'en souille la
pureté. La grossièreté et la bassesse des expressions n'appartiennent qu'aux Esprits inférieurs.
Toutes les qualités et toutes les imperfections des Esprits se révèlent par leur langage, et on
peut, avec raison, leur appliquer cet adage d'un écrivain célèbre : Le style, c'est l'homme.
Ces réflexions nous sont suggérées par un article que nous trouvons dans le Spiritualiste de la
Nouvelle-Orléans du mois de décembre 1857. C'est une conversation qui s'est établie par
l'entremise d'un médium, entre deux Esprits, l'un se donnant le nom de père Ambroise, l'autre
celui de Clément XIV. Le père Ambroise était un respectable ecclésiastique, mort à la
Louisiane dans le siècle dernier ; c'était un homme de bien, d'une haute intelligence, et qui a
laissé une mémoire vénérée.
Dans ce dialogue, où le ridicule le dispute à l'ignoble, il est impossible de se méprendre sur la
qualité des interlocuteurs, et il faut convenir que les Esprits qui l'ont tenu ont pris bien peu de
précautions pour se déguiser ; car, quel est l'homme de bon sens qui pourrait un seul instant
supposer que le P. Ambroise et Clément XIV aient pu s'abaisser à de telles trivialités, qui
ressemblent à une parade de tréteaux ? Des comédiens du plus bas étage, qui parodieraient ces
deux personnages, ne s'exprimeraient pas autrement.
Nous sommes persuadés que le cercle de la Nouvelle-Orléans, où le fait s'est passé, l'a
compris comme nous ; en douter serait lui faire injure ; nous regrettons seulement qu'en le
publiant on ne l'ait pas fait suivre de quelques observations correctives, qui eussent empêché
les gens superficiels de le prendre pour un échantillon du style sérieux d'outre-tombe. Mais
hâtons-nous de dire que ce cercle n'a pas que des communications de ce genre : il en a d'un

5 Ouvrage épuisé, remplacé par le Livre des médiums.


- 24 -
tout autre ordre, où l'on retrouve toute la sublimité de la pensée et de l'expression des Esprits
supérieurs.
Nous avons pensé que l'évocation du véritable et du faux P. Ambroise pourrait offrir un utile
sujet d'observation sur les Esprits imposteurs ; c'est en effet ce qui a eu lieu, ainsi qu'on en
peut juger par l'entretien suivant :
1. Je prie Dieu tout-puissant de permettre à l'Esprit du véritable P. Ambroise mort à la
Louisiane le siècle dernier, et qui y a laissé une mémoire vénérée, de se communiquer à nous.
- R. Je suis là.
2. Veuillez nous dire si c'est vous réellement qui avez eu, avec Clément XIV, l'entretien
rapporté dans le Spiritualiste de la Nouvelle-Orléans, et dont nous avons donné lecture dans
notre dernière séance ? - R. Je plains les hommes qui étaient dupes des Esprits, que je plains
également.
3. Quel est l'Esprit qui a pris votre nom ? - R. Un Esprit bateleur.
4. Et l'interlocuteur, était-il réellement Clément XIV ? - R. C'était un Esprit sympathique à
celui qui avait pris mon nom.
5. Comment avez-vous pu laisser débiter de pareilles choses sous votre nom, et pourquoi
n'êtes-vous pas venu démasquer les imposteurs ? - R. Parce que je ne puis pas toujours
empêcher les hommes et les Esprits de se divertir.
6. Nous concevons cela pour les Esprits ; mais quant aux personnes qui ont recueilli ces
paroles, ce sont des personnes graves et qui ne cherchaient point à se divertir ? - R. Raison de
plus : elles devaient bien penser que de telles paroles ne pouvaient être que le langage
d'Esprits moqueurs.
7. Pourquoi les Esprits n'enseignent-ils pas à la Nouvelle-Orléans des principes de tout point
identiques à ceux qu'ils enseignent ici ? - R. La doctrine qui vous est dictée leur servira
bientôt ; il n'y en aura qu'une.
8. Puisque cette doctrine doit y être enseignée plus tard, il nous semble que, si elle l'eût été
immédiatement, cela aurait hâté le progrès et évité, dans la pensée de quelques-uns, une
incertitude fâcheuse ? - R. Les voies de Dieu sont souvent impénétrables ; n'y a-t-il pas
d'autres choses qui vous paraissent incompréhensibles dans les moyens qu'il emploie pour
arriver à ses fins ? Il faut que l'homme s'exerce à distinguer le vrai du faux, mais tous ne
pourraient recevoir la lumière subitement sans en être éblouis.
9. Veuillez, je vous prie, nous dire votre opinion personnelle sur la réincarnation. - R. Les
Esprits sont créés ignorants et imparfaits : une seule incarnation ne peut leur suffire pour tout
apprendre ; il faut bien qu'ils se réincarnent, pour profiter des bontés que Dieu leur destine.
10. La réincarnation peut-elle avoir lieu sur la terre, ou seulement dans d'autres globes ? - R.
La réincarnation se fait selon le progrès de l'Esprit, dans des mondes plus ou moins parfaits.
11. Cela ne nous dit pas clairement si elle peut avoir lieu sur la terre. - R. Oui, elle peut avoir
lieu sur la terre ; et si l'Esprit le demande comme mission, cela doit être plus méritoire pour
lui que de demander d'avancer plus vite dans des mondes plus parfaits.
12. Nous prions Dieu tout-puissant de permettre à l'Esprit qui a pris le nom du P. Ambroise de
se communiquer à nous. - R. Je suis là ; mais vous ne voulez pas me confondre.
13. Es-tu véritablement le P. Ambroise ? Au nom de Dieu, je te somme de dire la vérité. - R.
Non.
14. Que penses-tu de ce que tu as dit sous son nom ? - R. Je pense comme pensaient ceux qui
m'écoutaient.
15. Pourquoi t'es-tu servi d'un nom respectable pour dire de pareilles sottises ? - R. Les noms,
à nos yeux, ne sont rien : les oeuvres sont tout ; comme on pouvait voir ce que j'étais à ce que
je disais, je n'ai pas attaché de conséquence à l'emprunt de ce nom.
16. Pourquoi, en notre présence, ne soutiens-tu pas ton imposture ? - R. Parce que mon
langage est une pierre de touche à laquelle vous ne pouvez vous tromper.

- 25 -
Remarque. - Il nous a été dit plusieurs fois que l'imposture de certains Esprits est une épreuve
pour notre jugement ; c'est une sorte de tentation que Dieu permet, afin que, comme l'a dit le
P. Ambroise, l'homme puisse s'exercer à distinguer le vrai du faux.
17. Et ton camarade Clément XIV, qu'en penses-tu ? - R. Il ne vaut pas mieux que moi ; nous
avons tous les deux besoin d'indulgence.
18. Au nom de Dieu tout-puissant, je le prie de venir. - R. J'y suis depuis que le faux P.
Ambroise y est.
19. Pourquoi as-tu abusé de la crédulité de personnes respectables pour donner une fausse
idée de la doctrine spirite ? - R. Pourquoi est-on enclin aux fautes ? c'est parce qu'on n'est pas
parfait.
20. Ne pensiez-vous pas tous les deux qu'un jour votre fourberie serait reconnue, et que les
véritables P. Ambroise et Clément XIV ne pouvaient s'exprimer comme vous l'avez fait ? - R.
Les fourberies étaient déjà reconnues et châtiées par celui qui nous a créés.
21. Etes-vous de la même classe que les Esprits que nous appelons frappeurs ? - R. Non, car il
faut encore du raisonnement pour faire ce que nous avons fait à la Nouvelle-Orléans.
22. (Au véritable P. Ambroise.) Ces Esprits imposteurs vous voient-ils ici ? - R. Oui, et ils
souffrent de ma vue.
23. Ces Esprits sont-ils errants ou réincarnés ? - R. Errants ; ils ne sont pas assez parfaits pour
se dégager s'ils étaient incarnés.
24. Et vous, P. Ambroise, dans quel état êtes-vous ? - R. Incarné dans un monde heureux et
innommé par vous.
25. Nous vous remercions des éclaircissements que vous avez bien voulu nous donner ; serez-
vous assez bon pour venir d'autres fois parmi nous, nous dire quelques bonnes paroles et nous
donner une dictée qui puisse montrer la différence de votre style avec celui qui avait pris votre
nom ? - R. Je suis avec ceux qui veulent le bien dans la vérité.

- 26 -
Revue spirite 1858

L'Esprit frappeur de Dibbelsdorf (Basse-saxe)

L'histoire de l'Esprit frappeur de Dibbelsdorf renferme à côté de sa partie comique une partie
instructive, ainsi que cela ressort des extraits de vieux documents publiés en 1811 par le
prédicateur Capelle.
Dans le dernier mois de l'année 1761, le 2 décembre, à six heures du soir, une sorte de
martèlement paraissant venir d'en bas se fit entendre dans une chambre habitée par Antoine
Kettelhut. Celui-ci l'attribuant à son domestique qui voulait s'égayer aux dépens de la
servante, alors dans la chambre des fileuses, sortit pour jeter un seau d'eau sur la tête du
plaisant ; mais il ne trouva personne dehors. Une heure après, le même bruit recommence et
l'on pense qu'un rat peut bien en être la cause. Le lendemain donc on sonde les murs, le
plafond, le parquet, et pas la moindre trace de rats.
Le soir, même bruit ; on juge alors la maison dangereuse à habiter, et les servantes ne veulent
plus rester dans la chambre aux veillées. Bientôt après le bruit cesse, mais pour se reproduire
à cent pas de là, dans la maison de Louis Kettelhut, frère d'Antoine, et avec une force inusitée.
C'était dans un coin de la chambre que la chose frappante se manifestait.
A la fin cela devint suspect aux paysans, et le bourgmestre en fit part à la justice qui d'abord
ne voulut pas s'occuper d'une affaire qu'elle regardait comme ridicule ; mais, sur les
pressantes instances des habitants, elle se transporta, le 6 janvier 1762, à Dibbelsdorf pour
examiner le fait avec attention. Les murs et les plafonds démolis n'amenèrent aucun résultat,
et la famille Kettelhut jura qu'elle était tout à fait étrangère à la chose.
Jusqu'alors on ne s'était pas encore entretenu avec le frappeur. Un individu de Naggam
s'armant de courage demande : Esprit frappeur, es-tu encore là ? Et un coup se fit entendre. -
Peux-tu me dire comment je m'appelle ? Parmi plusieurs noms qu'on lui désigna l'Esprit
frappa à celui de l'interrogateur. - Combien y a-t-il de boutons à mon vêtement ? 36 coups
furent frappés. On compte les boutons, il en a juste 36.
A partir de ce moment, l'histoire de l'Esprit frappeur se répandit dans les environs, et tous les
soirs des centaines de Brunswickois se rendaient à Dibbelsdorf, ainsi que des Anglais et une
foule de curieux étrangers ; la foule devint telle que la milice locale ne pouvait la contenir ;
les paysans durent renforcer la garde de nuit et l'on fut obligé de ne laisser pénétrer les
visiteurs que les uns après les autres.
Ce concours de monde parut exciter l'Esprit à des manifestations plus extraordinaires, et il
s'éleva à des marques de communication qui prouvaient son intelligence. Jamais il ne fut
embarrassé dans ses réponses : désirait-on savoir le nombre et la couleur des chevaux qui
stationnaient devant la maison ? il l'indiquait très exactement ; ouvrait-on un livre de chant en
posant à tout hasard le doigt sur une page et en demandant le numéro du morceau de chant
inconnu même de l'interrogateur, aussitôt une série de coups indiquait parfaitement le numéro
désigné. L'Esprit ne faisait pas attendre sa réponse, car elle suivait immédiatement la question.
Il annonçait aussi combien il y avait de personnes dans la chambre, combien il y en avait
dehors, désignait la couleur des cheveux, des vêtements, la position et la profession des
individus.
Parmi les curieux se trouvait un jour un homme de Hettin, tout à fait inconnu à Dibbelsdorf et
habitant depuis peu Brunswick. Il demanda à l'Esprit le lieu de sa naissance, et, afin de
l'induire en erreur, lui cita un grand nombre de villes ; quand il arriva au nom de Hettin un
coup se fit entendre. Un bourgeois rusé, croyant mettre l'Esprit en défaut, lui demanda
combien il avait de pfennigs dans sa poche ; il lui fut répondu 681, nombre exact. Il dit à un
pâtissier combien il avait fait de biscuits le matin, à un marchand combien il avait vendu
d'aunes de rubans la veille ; à un autre la somme d'argent qu'il avait reçue l'avant-veille par la
poste. Il était d'humeur assez gaie, battait la mesure quand on le désirait, et quelquefois si fort

- 27 -
que le bruit en était assourdissant. Le soir, au moment du repas, après le bénédicité, il frappa à
Amen. Cette marque de dévotion n'empêcha pas qu'un sacristain, revêtu du grand costume
d'exerciseur, n'essayât de déloger l'Esprit de son coin : la conjuration échoua.
L'Esprit ne redoutait rien, et il se montra aussi sincère dans ses réponses au duc régnant
Charles et à son frère Ferdinand qu'à toute autre personne de moindre condition. L'histoire
prend alors une tournure plus sérieuse. Le duc charge un médecin et des docteurs en droit de
l'examen du fait. Les savants expliquèrent le frappement par la présence d'une source
souterraine. Ils firent creuser à huit pieds de profondeur, et naturellement trouvèrent l'eau,
attendu que Dibbelsdorf est situé dans un fond ; l'eau jaillissante inonda la chambre, mais
l'Esprit continua à frapper dans son coin habituel. Les hommes de science crurent alors être
dupes d'une mystification, et ils firent au domestique l'honneur de le prendre pour l'Esprit si
bien instruit. Son intention, disaient-ils, est d'ensorceler la servante. Tous les habitants du
village furent invités à rester chez eux à un jour fixe ; le domestique fut gardé à vue, car,
d'après l'opinion des savants, il devait être le coupable ; mais l'Esprit répondit de nouveau à
toutes les questions. Le domestique, reconnu innocent, fut rendu à la liberté. Mais la justice
voulait un auteur du méfait ; elle accusa les époux Kettelhut du bruit dont ils se plaignaient,
bien que ce fussent des personnes très bienveillantes, honnêtes et irréprochables en toutes
choses, et que les premiers ils se fussent adressés à l'autorité dès l'origine des manifestations.
On força, par des promesses et des menaces, une jeune personne à témoigner contre ses
maîtres. En conséquence ceux-ci furent mis en prison, malgré les rétractations ultérieures de
la jeune fille, et l'aveu formel que ses premières déclarations étaient fausses et lui avaient été
arrachées par les juges. L'Esprit continuant à frapper, les époux Kettelhut n'en furent pas
moins tenus en prison pendant trois mois, au bout desquels on les renvoya sans indemnité,
bien que les membres de la commission eussent résumé ainsi leur rapport : « Tous les moyens
possibles pour découvrir la cause du bruit ont été infructueux ; l'avenir peut-être nous
éclairera à ce sujet. » - L'avenir n'a encore rien appris.
L'Esprit frappeur se manifesta depuis le commencement de décembre jusqu'en mars, époque à
laquelle il cessa de se faire entendre. On revint à l'opinion que le domestique, déjà incriminé,
devait être l'auteur de tous ces tours ; mais comment aurait-il pu éviter les pièges que lui
tendaient des ducs, des médecins, des juges et tant d'autres personnes qui l'interrogeaient ?
Remarque. - Si l'on veut bien se reporter à la date où se passaient les choses que nous venons
de rapporter, et les comparer à celles qui ont lieu de nos jours, on y trouvera une identité
parfaite, dans le mode des manifestations et jusque dans la nature des questions et des
réponses. L'Amérique et notre époque n'ont donc pas découvert les Esprits frappeurs, non plus
que les autres, ainsi que nous le démontrerons par d'innombrables faits authentiques plus ou
moins anciens. Il y a pourtant entre les phénomènes actuels et ceux d'autrefois une différence
capitale : c'est que ces derniers étaient presque tous spontanés, tandis que les nôtres se
produisent presque à la volonté de certains médiums spéciaux. Cette circonstance a permis de
les mieux étudier et d'en approfondir la cause. A cette conclusion des juges : « L'avenir peut-
être nous éclairera à ce sujet, » l'auteur ne répondrait pas aujourd'hui : L'avenir n'a rien appris.
Si cet auteur vivait, il saurait que l'avenir, au contraire, a tout appris, et la justice de nos jours,
plus éclairée qu'il y a un siècle, ne commettrait pas, à propos des manifestations spirites, des
bévues qui rappellent celles du moyen âge. Nos savants eux-mêmes ont pénétré trop avant
dans les mystères de la nature pour ne pas savoir faire la part des causes inconnues ; ils ont
trop de sagacité pour s'exposer, comme ont fait leurs devanciers, à recevoir les démentis de la
postérité au détriment de leur réputation. Si une chose vient à poindre à l'horizon, ils ne se
hâtent pas de dire : « Ce n'est rien, » de peur que ce rien ne soit un navire ; s'ils ne le voient
pas, ils se taisent et attendent : c'est la vraie sagesse.

- 28 -
Revue spirite 1858

Des Obsédés et des Subjugués

On a souvent parlé des dangers du Spiritisme, et il est à remarquer que ceux qui se sont le plus
récriés à cet égard sont précisément ceux qui ne le connaissent guère que de nom. Nous avons
déjà réfuté les principaux arguments qu'on lui oppose, nous n'y reviendrons pas ; nous
ajouterons seulement que si l'on voulait proscrire de la société tout ce qui peut offrir des
dangers et donner lieu à des abus, nous ne savons trop ce qui resterait, même des choses de
première nécessité, à commencer par le feu, cause de tant de malheurs, puis les chemins de
fer, etc., etc. Si l'on croit que les avantages compensent les inconvénients, il doit en être de
même de tout ; l'expérience indique au fur et à mesure les précautions à prendre pour se
garantir du danger des choses qu'on ne peut éviter.
Le Spiritisme présente en effet un danger réel, mais ce n'est point celui que l'on croit, et il faut
être initié aux principes de la science pour le bien comprendre. Ce n'est point à ceux qui y
sont étrangers que nous nous adressons ; c'est aux adeptes mêmes, à ceux qui pratiquent,
parce que le danger est pour eux. Il importe qu'ils le connaissent, afin de se tenir sur leurs
gardes : danger prévu, on le sait, est à moitié évité. Nous dirons plus : ici, pour quiconque est
bien pénétré de la science, il n'existe pas ; il n'est que pour ceux qui croient savoir et ne savent
pas ; c'est-à-dire, comme en toutes choses, pour ceux qui manquent de l'expérience nécessaire.
Un désir bien naturel chez tous ceux qui commencent à s'occuper du Spiritisme, c'est d'être
médium, mais surtout médium écrivain. C'est en effet le genre qui offre le plus d'attrait par la
facilité des communications, et qui peut le mieux se développer par l'exercice. On comprend
la satisfaction que doit éprouver celui qui, pour la première fois, voit se former sous sa main
des lettres, puis des mots, puis des phrases qui répondent à sa pensée. Ces réponses qu'il trace
machinalement sans savoir ce qu'il fait, qui sont le plus souvent en dehors de toutes ses idées
personnelles, ne peuvent lui laisser aucun doute sur l'intervention d'une intelligence occulte ;
aussi sa joie est grande de pouvoir s'entretenir avec les êtres d'outre-tombe, avec ces êtres
mystérieux et invisibles qui peuplent les espaces ; ses parents et ses amis ne sont plus
absents ; s'il ne les voit pas par les yeux, ils n'en sont pas moins là ; ils causent avec lui, il les
voit par la pensée ; il peut savoir s'ils sont heureux, ce qu'ils font, ce qu'ils désirent, échanger
avec eux de bonnes paroles ; il comprend que sa séparation d'avec eux n'est point éternelle, et
il hâte de ses vœux l'instant où il pourra les rejoindre dans un monde meilleur. Ce n'est pas
tout ; que ne va-t-il pas savoir par le moyen des Esprits qui se communiquent à lui ! Ne vont-
ils pas lever le voile de toutes choses ? Dès lors plus de mystères ; il n'a qu'à interroger, il va
tout connaître. Il voit déjà l'antiquité secouer devant lui la poussière des temps, fouiller les
ruines, interpréter les écritures symboliques et faire revivre à ses yeux les siècles passés.
Celui-ci, plus prosaïque, et peu soucieux de sonder l'infini où sa pensée se perd, songe tout
simplement à exploiter les Esprits pour faire fortune. Les Esprits qui doivent tout voir, tout
savoir, ne peuvent refuser de lui faire découvrir quelque trésor caché ou quelque secret
merveilleux. Quiconque s'est donné la peine d'étudier la science spirite ne se laissera jamais
séduire par ces beaux rêves ; il sait à quoi s'en tenir sur le pouvoir des Esprits, sur leur nature
et sur le but des relations que l'homme peut établir avec eux. Rappelons d'abord, en peu de
mots, les points principaux qu'il ne faut jamais perdre de vue, parce qu'ils sont comme la clef
de voûte de l'édifice.
1° Les Esprits ne sont égaux ni en puissance, ni en savoir, ni en sagesse. N'étant autre chose
que les âmes humaines débarrassées de leur enveloppe corporelle, ils présentent encore plus
de variété que nous n'en trouvons parmi les hommes sur la terre, parce qu'ils viennent de tous
les mondes ; et que parmi les mondes, la terre n'est ni le plus arriéré, ni le plus avancé. Il y a
donc des Esprits très supérieurs, et d'autres très inférieurs ; de très bons et de très mauvais, de

- 29 -
très savants et de très ignorants ; il y en a de légers, de malins, de menteurs, de rusés,
d'hypocrites, de facétieux, de spirituels, de moqueurs, etc.
2° Nous sommes sans cesse entourés d'un essaim d'Esprits qui, pour être invisibles à nos yeux
matériels, n'en sont pas moins dans l'espace, autour de nous, à nos côtés, épiant nos actions,
lisant dans nos pensées, les uns pour nous faire du bien, les autres pour nous faire du mal,
selon qu'ils sont plus ou moins bons.
3° Par l'infériorité physique et morale de notre globe dans la hiérarchie des mondes, les
Esprits inférieurs y sont plus nombreux que les Esprits supérieurs.
4° Parmi les Esprits qui nous entourent, il en est qui s'attachent à nous, qui agissent plus
particulièrement sur notre pensée, nous conseillent, et dont nous suivons l'impulsion à notre
insu ; heureux si nous n'écoutons que la voix de ceux qui sont bons.
5° Les Esprits inférieurs ne s'attachent qu'à ceux qui les écoutent, auprès desquels ils ont
accès, et sur lesquels ils trouvent prise. S'ils parviennent à prendre de l'empire sur quelqu'un,
ils s'identifient avec son propre Esprit, le fascinent, l'obsèdent, le subjuguent et le conduisent
comme un véritable enfant.
6° L'obsession n'a jamais lieu que par les Esprits inférieurs. Les bons Esprits ne font éprouver
aucune contrainte ; ils conseillent, combattent l'influence des mauvais, et si on ne les écoute
pas, ils s'éloignent.
7° Le degré de la contrainte et la nature des effets qu'elle produit marquent la différence entre
l'obsession, la subjugation et la fascination.
L'obsession est l'action presque permanente d'un Esprit étranger, qui fait qu'on est sollicité par
un besoin incessant d'agir dans tel ou tel sens, de faire telle ou telle chose.
La subjugation est une étreinte morale qui paralyse la volonté de celui qui la subit, et le
pousse aux actes les plus déraisonnables et souvent les plus contraires à ses intérêts.
La fascination est une sorte d'illusion produite, soit par l'action directe d'un Esprit étranger,
soit par ses raisonnements captieux, illusion qui donne le change sur les choses morales,
fausse le jugement et fait prendre le mal pour le bien.
8° L'homme peut toujours, par sa volonté, secouer le joug des Esprits imparfaits, parce qu'en
vertu de son libre arbitre, il a le choix entre le bien et le mal. Si la contrainte est arrivée au
point de paralyser sa volonté, et si la fascination est assez grande pour oblitérer son jugement,
la volonté d'une autre personne peut y suppléer.
On donnait jadis le nom de possession à l'empire exercé par de mauvais Esprits, lorsque leur
influence allait jusqu'à l'aberration des facultés ; mais l'ignorance et les préjugés ont souvent
fait prendre pour une possession ce qui n'était que le résultat d'un état pathologique. La
possession serait, pour nous, synonyme de la subjugation. Si nous n'adoptons pas ce terme,
c'est pour deux motifs : le premier, qu'il implique la croyance à des êtres créés pour le mal et
perpétuellement voués au mal, tandis qu'il n'y a que des êtres plus ou moins imparfaits qui
tous peuvent s'améliorer ; le second, qu'il implique également l'idée d'une prise de possession
du corps par un Esprit étranger, une sorte de cohabitation, tandis qu'il n'y a que contrainte. Le
mot subjugation rend parfaitement la pensée. Ainsi, pour nous, il n'y a pas de possédés dans le
sens vulgaire du mot, il n'y a que des obsédés, des subjugués et des fascinés.
C'est par un motif semblable que nous n'adoptons pas le mot démon pour désigner les Esprits
imparfaits, quoique ces Esprits ne valent souvent pas mieux que ceux qu'on appelle démons ;
c'est uniquement à cause de l'idée de spécialité et de perpétuité qui est attachée à ce mot.
Ainsi, quand nous disons qu'il n'y a pas de démons, nous ne prétendons pas dire qu'il n'y a que
de bons Esprits ; loin de là ; nous savons pertinemment qu'il y en a de mauvais et de très
mauvais, qui nous sollicitent au mal, nous tendent des pièges, et cela n'a rien d'étonnant
puisqu'ils ont été des hommes ; nous voulons dire qu'ils ne forment pas une classe à part dans
l'ordre de la création, et que Dieu laisse à toutes ses créatures le pouvoir de s'améliorer.
Ceci étant bien entendu, revenons aux médiums. Chez quelques-uns les progrès sont lents,
très lents même, et mettent souvent la patience à une rude épreuve. Chez d'autres ils sont

- 30 -
rapides, et en peu de temps le médium arrive à écrire avec autant de facilité et quelquefois
plus de promptitude qu'il ne le fait dans l'état ordinaire. C'est alors qu'il peut se prendre
d'enthousiasme, et là est le danger, car l'enthousiasme rend faible, et avec les Esprits il faut
être fort. Dire que l'enthousiasme rend faible, semble un paradoxe ; et pourtant rien de plus
vrai. L'enthousiaste, dira-t-on, marche avec une conviction et une confiance qui lui font
surmonter tous les obstacles, donc il a plus de force. Sans doute ; mais on s'enthousiasme pour
le faux aussi bien que pour le vrai ; abondez dans les idées les plus absurdes de l'enthousiaste
et vous en ferez tout ce que vous voudrez ; l'objet de son enthousiasme est donc son côté
faible, et par là vous pourrez toujours le dominer. L'homme froid et impassible, au contraire,
voit les choses sans miroitage ; il les combine, les pèse, les mûrit et n'est séduit par aucun
subterfuge : c'est ce qui lui donne de la force. Les Esprits malins qui savent cela aussi bien et
mieux que nous, savent aussi le mettre à profit pour subjuguer ceux qu'ils veulent tenir sous
leur dépendance, et la faculté d'écrire comme médium les sert merveilleusement, car c'est un
moyen puissant de capter la confiance, aussi ne s'en font-ils pas faute si l'on ne sait se mettre
en garde contre eux ; heureusement, comme nous le verrons plus tard, le mal porte en soi son
remède.
Soit enthousiasme, soit fascination des Esprits, soit amour-propre, le médium écrivain est
généralement porté à croire que les Esprits qui se communiquent à lui sont des Esprits
supérieurs, et cela d'autant mieux que ces Esprits, voyant sa propension, ne manquent pas de
se parer de titres pompeux, prennent au besoin et selon les circonstances des noms de saints,
de savants, d'anges, de la Vierge Marie même, et jouent leur rôle, comme des comédiens
affublés du costume des personnages qu'ils représentent ; arrachez-leur le masque, et ils
deviennent Gros-Jean comme devant ; c'est là ce qu'il faut savoir faire avec les Esprits comme
avec les hommes.
De la croyance aveugle et irréfléchie en la supériorité des Esprits qui se communiquent, à la
confiance en leurs paroles, il n'y a qu'un pas, toujours comme parmi les hommes. S'ils
parviennent à inspirer cette confiance, ils l'entretiennent par les sophismes et les
raisonnements les plus captieux, dans lesquels on donne souvent tête baissée. Les Esprits
grossiers sont moins dangereux : on les reconnaît tout de suite, et ils n'inspirent que de la
répugnance ; ceux qui sont le plus à craindre, dans leur monde, comme dans le nôtre, sont les
Esprits hypocrites ; ils ne parlent jamais qu'avec douceur, flattent les penchants ; ils sont
câlins, patelins, prodigues de termes de tendresse, de protestations de dévouement. Il faut être
vraiment fort pour résister à de pareilles séductions. Mais où est le danger, dira-t-on, avec des
Esprits impalpables ? Le danger est dans les conseils pernicieux qu'ils donnent sous
l'apparence de la bienveillance, dans les démarches ridicules, intempestives ou funestes qu'ils
font entreprendre. Nous en avons vu faire courir certains individus de pays en pays à la
poursuite des choses les plus fantastiques, au risque de compromettre leur santé, leur fortune
et même leur vie. Nous en avons vu dicter, avec toutes les apparences de la gravité, les choses
les plus burlesques, les maximes les plus étranges. Comme il est bon de mettre l'exemple à
côté de la théorie, nous allons rapporter l'histoire d'une personne de notre connaissance qui
s'est trouvée sous l'empire d'une fascination semblable.
M. F..., jeune homme instruit, d'une éducation soignée, d'un caractère doux et bienveillant,
mais un peu faible et sans résolution prononcée, était devenu promptement très habile
médium écrivain. Obsédé par l'Esprit qui s'était emparé de lui et ne lui laissait aucun repos, il
écrivait sans cesse ; dès qu'une plume, un crayon lui tombaient sous la main, il les saisissait
par un mouvement convulsif et se mettait à remplir des pages entières en quelques minutes. A
défaut d'instrument, il faisait le simulacre d'écrire avec son doigt, partout où il se trouvait,
dans les rues, sur les murs, sur les portes, etc. Entre autres choses qu'on lui dictait, était celle-
ci : « L'homme est composé de trois choses : l'homme, le mauvais Esprit et le bon Esprit.
Vous avez tous votre mauvais Esprit qui est attaché au corps par des liens matériels. Pour
chasser le mauvais Esprit, il faut briser ces liens, et pour cela il faut affaiblir le corps. Quand

- 31 -
le corps est suffisamment affaibli, le lien se rompt, le mauvais Esprit s'en va, et il ne reste que
le bon. » En conséquence de cette belle théorie, ils l'ont fait jeûner pendant cinq jours
consécutifs et veiller la nuit. Lorsqu'il fut exténué, ils lui dirent : « Maintenant l'affaire est
faite, le lien est rompu ; ton mauvais Esprit est parti, il ne reste plus que nous, qu'il faut croire
sans réserve. » Et lui, persuadé que son mauvais Esprit avait pris la fuite, ajoutait une foi
aveugle à toutes leurs paroles. La subjugation était arrivée à ce point, que s'ils lui eussent dit
de se jeter à l'eau ou de partir pour les antipodes, il l'aurait fait. Lorsqu'ils voulaient lui faire
faire quelque chose à quoi il répugnait, il se sentait poussé par une force invisible. Nous
donnons un échantillon de leur morale ; par là on jugera du reste.
« Pour avoir les meilleures communications, il faut : 1° Prier et jeûner pendant plusieurs
jours, les uns plus, les autres moins ; ce jeûne relâche les liens qui existent entre le moi et un
démon particulier attaché à chaque moi humain. Ce démon est lié à chaque personne par
l'enveloppe qui unit le corps et l'âme. Cette enveloppe, affaiblie par le manque de nourriture,
permet aux Esprits d'arracher ce démon. Jésus descend alors dans le cœur de la personne
possédée à la place du mauvais Esprit. Cet état de posséder Jésus en soi est le seul moyen
d'atteindre toute la vérité, et bien d'autres choses.
« Quand la personne a réussi à remplacer le démon par Jésus, elle n'a pas encore la vérité.
Pour avoir la vérité, il faut croire ; Dieu ne donne jamais la vérité à ceux qui doutent : ce
serait faire quelque chose d'inutile, et Dieu ne fait rien en vain. Comme la plupart des
nouveaux médiums doutent de ce qu'ils disent ou écrivent, les bons Esprits sont forcés, à leur
regret, par l'ordre formel de Dieu, de mentir, et ne peuvent que mentir tant que le médium
n'est pas convaincu ; mais vient-il à croire fermement un de ces mensonges, aussitôt les
Esprits élevés s'empressent de lui dévoiler les secrets du ciel : la vérité tout entière dissipe en
un instant ce nuage d'erreurs dont ils avaient été forcés de couvrir leur protégé.
« Le médium arrivé à ce point n'a plus rien à craindre ; les bons Esprits ne le quitteront
jamais. Qu'il ne croie point cependant avoir toujours la vérité et rien que la vérité. De bons
Esprits, soit pour l'éprouver, soit pour le punir de ses fautes passées, soit pour le châtier des
questions égoïstes ou curieuses, lui infligent des corrections physiques et morales, viennent le
tourmenter de la part de Dieu. Ces Esprits élevés se plaignent souvent de la triste mission
qu'ils accomplissent : un père persécute son fils des semaines entières, un ami son ami, le tout
pour le plus grand bonheur du médium. Les nobles Esprits disent alors des folies, des
blasphèmes, des turpitudes même. Il faut que le médium se raidisse et dise : Vous me tentez ;
je sais que je suis entre les mains charitables d'Esprits doux et affectueux ; que les mauvais ne
peuvent plus m'approcher. Bonnes âmes qui me tourmentez, vous ne m'empêcherez pas de
croire ce que vous m'aurez dit et ce que vous me direz encore.
« Les catholiques chassent plus facilement le démon (ce jeune homme est protestant), parce
qu'il s'est éloigné un instant le jour du baptême. Les catholiques sont jugés par Christ, et les
autres par Dieu ; il vaut mieux être jugé par Christ. Les protestants ont tort de ne pas admettre
cela : aussi faut-il te faire catholique le plus tôt possible ; en attendant, va prendre de l'eau
bénite : ce sera ton baptême. »
Le jeune homme en question étant guéri plus tard de l'obsession dont il était l'objet, par les
moyens que nous relaterons, nous lui avions demandé de nous en écrire l'histoire et de nous
donner le texte même des préceptes qui lui avaient été dictés. En les transcrivant, il ajouta sur
la copie qu'il nous a remise : Je me demande si je n'offense pas Dieu et les bons Esprits en
transcrivant de pareilles sottises. A cela nous lui répondîmes : Non, vous n'offensez pas
Dieu ; loin de là, puisque vous reconnaissez maintenant le piège dans lequel vous étiez tombé.
Si je vous ai demandé la copie de ces maximes perverses, c'est pour les flétrir comme elles le
méritent, démasquer les Esprits hypocrites, et mettre sur ses gardes quiconque en recevrait de
pareilles.
Un jour ils lui font écrire : Tu mourras ce soir ; à quoi il répond : Je suis fort ennuyé de ce
monde ; mourons s'il le faut, je ne demande pas mieux ; que je ne souffre pas, c'est tout ce que

- 32 -
je désire. - Le soir il s'endort croyant fermement ne plus se réveiller sur la terre. Le lendemain
il est tout surpris et même désappointé de se trouver dans son lit ordinaire. Dans la journée il
écrit : « Maintenant que tu as passé par l'épreuve de la mort, que tu as cru fermement mourir,
tu es comme mort pour nous ; nous pouvons te dire toute la vérité ; tu sauras tout ; il n'y a rien
de caché pour nous ; il n'y aura non plus rien de caché pour toi. Tu es Shakespeare réincarné.
Shakespeare n'est-il pas ta bible à toi ? (M. F... sait parfaitement l'anglais, et se complaît dans
la lecture des chefs-d’œuvre de cette langue.)
Le jour suivant il écrit : Tu es Satan. - Ceci devient par trop fort, répond M. F... - N'as-tu pas
fait... n'as-tu pas dévoré le Paradis perdu ? Tu as appris la Fille du diable de Béranger ; tu
savais que Satan se convertirait : ne l'as-tu pas toujours cru, toujours dit, toujours écrit ? Pour
se convertir, il se réincarne. - Je veux bien avoir été un ange rebelle quelconque ; mais le roi
des anges... ! - Oui, tu étais l'ange de la fierté ; tu n'es pas mauvais, tu es fier en ton cœur ;
c'est cette fierté qu'il faut abattre ; tu es l'ange de l'orgueil, et les hommes l'appellent Satan,
qu'importe le nom ! Tu fus le mauvais génie de la terre. Te voilà abaissé... Les hommes vont
prendre leur essor... Tu verras des merveilles. Tu as trompé les hommes ; tu as trompé la
femme dans la personnification d'Eve, la femme pécheresse. Il est dit que Marie, la
personnification de la femme sans tache, t'écrasera la tête ; Marie va venir. - Un instant après
il écrit lentement et comme avec douceur : « Marie vient te voir ; Marie, qui a été te chercher
au fond de ton royaume de ténèbres, ne t'abandonnera pas. Elève-toi, Satan, et Dieu est prêt à
te tendre les bras. Lis l'Enfant prodigue. Adieu. »
Une autre fois il écrit : « Le serpent dit à Eve : Vos yeux seront ouverts et vous serez comme
des dieux. Le démon dit à Jésus : Je te donnerai toute puissance. Toi, je te le dis, puisque tu
crois à nos paroles : nous t'aimons ; tu sauras tout... Tu seras roi de Pologne.
« Persévère dans les bonnes dispositions où nous t'avons mis. Cette leçon fera faire un grand
pas à la science spirite. On verra que les bons Esprits peuvent dire des futilités et des
mensonges pour se jouer des sages. Allan Kardec a dit que c'était un mauvais moyen de
reconnaître les Esprits, que de leur faire confesser Jésus en chair. Moi je dis que les bons
Esprits confessent seuls Jésus en chair et je le confesse. Dis ceci à Kardec. »
L'Esprit a pourtant eu la pudeur de ne pas conseiller à M. F... de faire imprimer ces belles
maximes ; s'il le lui eût dit, il l'eût fait sans aucun doute, et c'eût été une mauvaise action,
parce qu'il les eût données comme une chose sérieuse.
Nous remplirions un volume de toutes les sottises qui lui furent dictées et de toutes les
circonstances qui s'ensuivirent. On lui fit, entre autres choses, dessiner un édifice dont les
dimensions étaient telles que les feuilles de papier nécessaires, collées ensemble, occupaient
la hauteur de deux étages.
On remarquera que dans tout ceci il n'y a rien de grossier, rien de trivial ; c'est une suite de
raisonnements sophistiques qui s'enchaînent avec une apparence de logique. Il y a, dans les
moyens employés pour circonvenir, un art vraiment infernal, et si nous avions pu rapporter
tous ces entretiens, on aurait vu jusqu'à quel point était poussée l'astuce, et avec quelle adresse
les paroles mielleuses étaient prodiguées à propos.
L'Esprit qui jouait le principal rôle dans cette affaire prenait le nom de François Dillois, quand
il ne se couvrait pas du masque d'un nom respectable. Nous sûmes plus tard ce que ce Dillois
avait été de son vivant, et alors rien ne nous étonna plus dans son langage. Mais au milieu de
toutes ces extravagances il était aisé de reconnaître un bon Esprit qui luttait en faisant
entendre de temps à autre quelques bonnes paroles pour démentir les absurdités de l'autre ; il y
avait combat évident, mais la lutte était inégale ; le jeune homme était tellement subjugué, que
la voix de la raison était impuissante sur lui. L'Esprit de son père lui fit notamment écrire
ceci : « Oui, mon fils, courage ! Tu subis une rude épreuve qui est pour ton bien à venir ; je ne
puis malheureusement rien en ce moment pour t'en affranchir, et cela me coûte beaucoup. Va
voir Allan Kardec ; écoute-le, et il te sauvera. »

- 33 -
M. F... vint en effet me trouver ; il me raconta son histoire ; je le fis écrire devant moi, et, dès
l'abord, je reconnus sans peine l'influence pernicieuse sous laquelle il se trouvait, soit aux
paroles, soit à certains signes matériels que l'expérience fait connaître et qui ne peuvent
tromper. Il revint plusieurs fois ; j'employai toute la force de ma volonté pour appeler de bons
Esprits par son intermédiaire, toute ma rhétorique, pour lui prouver qu'il était le jouet d'Esprits
détestables ; que ce qu'il écrivait n'avait pas le sens commun, et de plus était profondément
immoral ; je m'adjoignis pour cette oeuvre charitable un de mes collègues les plus dévoués,
M. T..., et, à nous deux, nous parvînmes petit à petit à lui faire écrire des choses sensées. Il
prit son mauvais génie en aversion, le repoussa, par sa volonté, chaque fois qu'il tentait de se
manifester, et peu à peu les bons Esprits seuls prirent le dessus. Pour détourner ses idées, il se
livra du matin au soir, d'après le conseil des Esprits, à un rude travail qui ne lui laissait pas le
temps d'écouter les mauvaises suggestions. Dillois lui-même finit par s'avouer vaincu et par
exprimer le désir de s'améliorer dans une nouvelle existence ; il confessa le mal qu'il avait
voulu faire, et en témoigna du regret. La lutte fut longue, pénible, et offrit des particularités
vraiment curieuses pour l'observateur. Aujourd'hui que M. F... se sent délivré, il est heureux ;
il lui semble être soulagé d'un fardeau ; il a repris sa gaieté, et nous remercie du service que
nous lui avons rendu.
Certaines personnes déplorent qu'il y ait de mauvais Esprits. Ce n'est pas en effet sans un
certain désenchantement qu'on trouve la perversité dans ce monde où l'on aimerait à ne
rencontrer que des êtres parfaits. Puisque les choses sont ainsi, nous n'y pouvons rien : il faut
les prendre telles qu'elles sont. C'est notre propre infériorité qui fait que les Esprits imparfaits
pullulent autour de nous ; les choses changeront quand nous serons meilleurs, ainsi que cela a
lieu dans les mondes plus avancés. En attendant, et tandis que nous sommes encore dans les
bas-fonds de l'univers moral, nous sommes avertis : c'est à nous de nous tenir sur nos gardes
et de ne pas accepter, sans contrôle, tout ce que l'on nous dit. L'expérience, en nous éclairant,
doit nous rendre circonspects. Voir et comprendre le mal est un moyen de s'en préserver. N'y
aurait-il pas cent fois plus de danger à se faire illusion sur la nature des êtres invisibles qui
nous entourent ? Il en est de même ici-bas, où nous sommes chaque jour exposés à la
malveillance et aux suggestions perfides : ce sont autant d'épreuves auxquelles notre raison,
notre conscience et notre jugement nous donnent les moyens de résister. Plus la lutte aura été
difficile, plus le mérite du succès sera grand : « A vaincre sans péril, on triomphe sans
gloire. »
Cette histoire, qui malheureusement n'est pas la seule à notre connaissance, soulève une
question très grave. N'est-ce pas pour ce jeune homme, dira-t-on, une chose fâcheuse d'avoir
été médium ? N'est-ce pas cette faculté qui est cause de l'obsession dont il était l'objet ? En un
mot, n'est-ce pas une preuve du danger des communications spirites ?
Notre réponse est facile, et nous prions de la méditer avec soin.
Ce ne sont pas les médiums qui ont créé les Esprits, ceux-ci existent de tout temps, et de tout
temps ils ont exercé leur influence salutaire ou pernicieuse sur les hommes. Il n'est donc pas
besoin d'être médium pour cela. La faculté médianimique n'est pour eux qu'un moyen de se
manifester ; à défaut de cette faculté ils le font de mille autres manières. Si ce jeune homme
n'eût pas été médium, il n'en aurait pas moins été sous l'influence de ce mauvais Esprit qui lui
aurait sans doute fait commettre des extravagances que l'on eût attribuées à toute autre cause.
Heureusement pour lui, sa faculté de médium permettant à l'Esprit de se communiquer par des
paroles, c'est par ses paroles que l'Esprit s'est trahi ; elles ont permis de connaître la cause d'un
mal qui eût pu avoir pour lui des conséquences funestes, et que nous avons détruit, comme on
l'a vu, par des moyens bien simples, bien rationnels, et sans exorcisme. La faculté
médianimique a permis de voir l'ennemi, si on peut s'exprimer ainsi, face à face et de le
combattre avec ses propres armes. On peut donc dire avec une entière certitude, que c'est elle
qui l'a sauvé ; quant à nous, nous n'avons été que les médecins, qui, ayant jugé la cause du
mal, avons appliqué le remède. Ce serait une grave erreur de croire que les Esprits n'exercent

- 34 -
leur influence que par des communications écrites ou verbales ; cette influence est de tous les
instants, et ceux qui ne croient pas aux Esprits y sont exposés comme les autres, y sont même
plus exposés que d'autres, parce qu'ils n'ont pas de contre-poids. A combien d'actes n'est-on
pas poussé pour son malheur, et que l'on eût évités si l'on avait eu un moyen de s'éclairer ! Les
plus incrédules ne croient pas être si vrais quand ils disent d'un homme qui se fourvoie avec
obstination : C'est son mauvais génie qui le pousse à sa perte.
Règle générale. Quiconque a de mauvaises communications spirites écrites ou verbales est
sous une mauvaise influence ; cette influence s'exerce sur lui qu'il écrive ou n'écrive pas, c'est-
à-dire qu'il soit ou non médium. L'écriture donne un moyen de s'assurer de la nature des
Esprits qui agissent sur lui, et de les combattre, ce que l'on fait encore avec plus de succès
quand on parvient à connaître le motif qui les fait agir. S'il est assez aveuglé pour ne pas le
comprendre, d'autres peuvent lui ouvrir les yeux. Est-il besoin d'ailleurs d'être médium pour
écrire des absurdités ? Et qui dit que parmi toutes les élucubrations ridicules ou dangereuses,
il n'en est pas auxquelles les auteurs sont poussés par quelque Esprit malveillant ? Les trois
quarts de nos mauvaises actions et de nos mauvaises pensées sont le fruit de cette suggestion
occulte.
Si M. F... n'avait pas été médium, demandera-t-on, auriez-vous pu de même faire cesser
l'obsession ? Assurément ; seulement les moyens eussent différé selon les circonstances ; mais
alors les Esprits n'eussent pas pu nous l'adresser comme ils l'ont fait, et il est probable qu'on se
serait mépris sur la cause, s'il n'y avait pas eu de manifestation spirite ostensible. Tout homme
qui en a la volonté, et qui est sympathique aux bons Esprits, peut toujours, avec l'aide de
ceux-ci, paralyser l'influence des mauvais. Nous disons qu'il doit être sympathique aux bons
Esprits, car s'il en attire lui-même d'inférieurs, il est évident que c'est vouloir chasser des
loups avec des loups.
En résumé, le danger n'est pas dans le spiritisme en lui-même, puisqu'il peut, au contraire,
servir de contrôle, et préserver de celui que nous courons sans cesse à notre insu ; il est dans
la propension de certains médiums à se croire trop légèrement les instruments exclusifs
d'Esprits supérieurs, et dans l'espèce de fascination qui ne leur permet pas de comprendre les
sottises dont ils sont les interprètes. Ceux mêmes qui ne sont pas médiums peuvent s'y laisser
prendre. Nous terminerons ce chapitre par les considérations suivantes :
1° Tout médium doit se défier de l'entraînement irrésistible qui le porte à écrire sans cesse et
dans les moments inopportuns ; il doit être maître de lui-même et n'écrire que quand il le
veut ;
2° On ne maîtrise pas les Esprits supérieurs, ni même ceux qui, sans être supérieurs, sont bons
et bienveillants, mais on peut maîtriser et dompter les Esprits inférieurs. Quiconque n'est pas
maître de soi-même ne peut l'être des Esprits ;
3° Il n'y a pas d'autre critérium pour discerner la valeur des Esprits que le bon sens. Toute
formule donnée à cet effet par les Esprits eux-mêmes est absurde, et ne peut émaner d'Esprits
supérieurs ;
4° On juge les Esprits comme les hommes, à leur langage. Toute expression, toute pensée,
toute maxime, toute théorie morale ou scientifique qui choque le bon sens, ou ne répond pas à
l'idée qu'on se fait d'un Esprit pur et élevé, émane d'un Esprit plus ou moins inférieur ;
5° Les Esprits supérieurs tiennent toujours le même langage avec la même personne et ne se
contredisent jamais ;
6° Les Esprits supérieurs sont toujours bons et bienveillants ; il n'y a jamais, dans leur
langage, ni acrimonie, ni arrogance, ni aigreur, ni orgueil, ni forfanterie, ni sotte présomption.
Ils parlent simplement, conseillent, et se retirent si on ne les écoute pas ;
7° Il ne faut pas juger les Esprits sur la forme matérielle et la correction de leur langage, mais
en sonder le sens intime, scruter leurs paroles, les peser froidement, mûrement et sans
prévention. Tout écart de bon sens, de raison et de sagesse, ne peut laisser de doute sur leur
origine, quel que soit le nom dont s'affuble l'Esprit ;

- 35 -
8° Les Esprits inférieurs redoutent ceux qui scrutent leurs paroles, démasquent leurs
turpitudes, et ne se laissent pas prendre à leurs sophismes. Ils peuvent quelquefois essayer de
tenir tête, mais ils finissent toujours par lâcher prise quand ils se voient les plus faibles ;
9° Quiconque agit en toutes choses en vue du bien, s'élève par la pensée au-dessus des vanités
humaines, chasse de son cœur l'égoïsme, l'orgueil, l'envie, la jalousie, la haine, pardonne à ses
ennemis et met en pratique cette maxime du Christ : « Faire aux autres ce qu'on voudrait qui
fût fait à soi-même, » sympathise avec les bons Esprits ; les mauvais le craignent et s'écartent
de lui.
En suivant ces préceptes on se garantira des mauvaises communications, de la domination des
Esprits impurs, et, profitant de tout ce que nous enseignent les Esprits vraiment supérieurs, on
contribuera, chacun pour sa part, au progrès moral de l'humanité.

- 36 -
Revue spirite 1858

Le mal de la peur

Problème physiologique adressé à l'Esprit de saint Louis, dans la séance de la Société


parisienne des études spirites du 14 septembre 1858.
On lit dans le Moniteur du 26 novembre 1857 :
« On nous communique le fait suivant, qui vient confirmer les observations déjà faites sur
l'influence de la peur.
« M. le docteur F..., rentrait hier chez lui après avoir fait quelques visites à ses clients. Dans
ses courses on lui avait remis, comme échantillon, une bouteille d'excellent rhum venant
authentiquement de la Jamaïque. Le docteur oublia dans la voiture la précieuse bouteille.
Mais quelques heures plus tard il se rappelle cet oubli et se rend à la remise, où il déclare au
chef de la station qu'il a laissé dans un de ses coupés une bouteille d'un poison très violent, et
l'engage à prévenir les cochers de faire la plus grande attention à ne pas faire usage de ce
liquide mortel.
« Le docteur F..., était à peine rentré dans son appartement, qu'on vint le prévenir en toute
hâte que trois cochers de la station voisine souffraient d'horribles douleurs d'entrailles. Il eut
le plus grand mal à les rassurer et à leur persuader qu'ils avaient bu d'excellent rhum, et que
leur indélicatesse ne pouvait avoir de suites plus graves qu'une sévère mise à pied, infligée à
l'instant même aux coupables. »
1. - Saint Louis pourrait-il nous donner une explication physiologique de cette transformation
des propriétés d'une substance inoffensive ? Nous savons que, par l'action magnétique, cette
transformation peut avoir lieu ; mais dans le fait rapporté ci-dessus, il n'y a pas eu émission de
fluide magnétique ; l'imagination a seule agi et non la volonté.
R. - Votre raisonnement est très juste sous le rapport de l'imagination. Mais les Esprits malins
qui ont engagé ces hommes à commettre cet acte d'indélicatesse, font passer dans le sang,
dans la matière, un frisson de crainte que vous pourriez appeler frisson magnétique, lequel
tend les nerfs, et amène un froid dans certaines régions du corps. Or, vous savez que tout froid
dans les régions abdominales peut produire des coliques. C'est donc un moyen de punition qui
amuse en même temps les Esprits qui ont fait commettre le larcin, et les fait rire aux dépens
de celui qu'ils ont fait pécher. Mais, dans tous les, cas, la mort ne s'ensuivrait pas : il n'y a que
leçon pour les coupables et plaisir pour les Esprits légers. Aussi se hâtent-ils de recommencer
toutes les fois que l'occasion s'en présente ; ils la cherchent même pour leur satisfaction. Nous
pouvons éviter cela (je parle pour vous), en nous élevant vers Dieu par des pensées moins
matérielles que celles qui occupaient l'esprit de ces hommes. Les Esprits malins aiment à rire ;
prenez-y garde : tel qui croit dire en face une saillie agréable aux personnes qui l'environnent,
tel qui amuse une société par ses plaisanteries ou ses actes, se trompe souvent, et même très
souvent, lorsqu'il croit que tout cela vient de lui. Les Esprits légers qui l'entourent s'identifient
avec lui-même, et souvent tour à tour le trompent sur ses propres pensées, ainsi que ceux qui
l'écoutent. Vous croyez dans ce cas avoir affaire à un homme d'esprit, tandis que ce n'est
qu'un ignorant. Descendez en vous-même, et vous jugerez mes paroles. Les Esprits supérieurs
ne sont pas, pour cela, ennemis de la gaieté ; ils aiment quelquefois à rire aussi pour vous être
agréables ; mais chaque chose a son temps.
Remarque. En disant que dans le fait rapporté il n'y avait pas d'émission de fluide magnétique,
nous n'étions peut-être pas tout à fait dans le vrai. Nous hasardons ici une supposition. On
sait, comme nous l'avons dit, quelle transformation des propriétés de la matière peut s'opérer
par l'action du fluide magnétique dirigé par la pensée. Or, ne pourrait-on pas admettre que, par
la pensée du médecin qui voulait faire croire à l'existence d'un toxique, et donner aux voleurs
les angoisses de l'empoisonnement, il y a eu, quoique à distance, une sorte de magnétisation
du liquide qui aurait acquis ainsi de nouvelles propriétés, dont l'action se serait trouvée

- 37 -
corroborée par l'état moral des individus, rendus plus impressionnables par la crainte. Cette
théorie ne détruirait pas celle de saint Louis sur l'intervention des Esprits légers en pareille
circonstance ; nous savons que les Esprits agissent physiquement par des moyens physiques ;
ils peuvent donc se servir, pour accomplir leurs desseins, de ceux qu'ils provoquent, ou que
nous leur fournissons nous-mêmes à notre insu.

- 38 -
Théorie du mobile de nos actions

M. R..., correspondant de l'Institut de France, et l'un des membres les plus éminents de
la Société parisienne des Etudes Spirites, a développé les considérations suivantes, dans
la séance du 14 septembre, comme corollaire de la théorie qui venait d'être donnée à
propos du mal de la peur, et que nous avons rapportée plus haut :
« Il résulte de toutes les communications qui nous sont faites par les Esprits, qu'ils
exercent une influence directe sur nos actions, en nous sollicitant, les uns au bien, les
autres au mal. Saint Louis vient de nous dire : « Les Esprits malins aiment à rire ;
prenez-y garde ; tel qui croit dire en face une saillie agréable aux personnes qui
l 'environnent, tel qui amuse une société par ses plaisanteries ou ses actes, se trompe
souvent, et même très souvent lorsqu 'il croit que tout cela vient de lui. Les Esprits légers
qui l'entourent s'identifient avec lui-même, et souvent tour à tour le trompent sur ses
propres pensées, ainsi que ceux qui l'écoutent ». Il s'ensuit que ce que nous disons ne
vient pas toujours de nous ; que souvent nous ne sommes, comme les médiums parlants,
que les interprètes de la pensée d'un Esprit étranger qui s'est identifié avec le nôtre. Les
faits viennent à l'appui de cette pensée qui nous est suggérée. L'homme qui fait mal cède
donc à une suggestion, quand il est assez faible pour ne pas résister, quand il ferme
l 'oreille à la voix de la conscience qui peut être la sienne propre, ou celle d 'un bon Esprit
qui combat en lui, par ses avertissements, l'influence d'un mauvais Esprit.
« Selon la doctrine vulgaire, l'homme puiserait tous ses instincts en lui-même ; ils
proviendraient soit de son organisation physique dont il ne saurait être responsable, soit
de sa propre nature, dans laquelle il peut chercher une excuse à ses propres yeux, en
disant que ce n'est pas sa faute s'il est créé ainsi. La doctrine spirite est évidemment plus
morale ; elle admet chez l'homme le libre arbitre dans toute sa plénitude ; et en lui disant
que s'il fait mal, il cède à une mauvaise suggestion étrangère, elle lui en laisse toute la
responsabilité, puisqu'elle lui reconnaît le pouvoir de résister, chose évidemment plus
facile que s'il avait à lutter contre sa propre nature. Ainsi, selon la doctrine spirite, il n'y
a pas d'entraînement irrésistible. L'homme peut toujours fermer l'oreille à la voix occulte
qui le sollicite au mal dans son for intérieur, comme il peut la fermer à la voix matérielle
de celui qui lui parle ; il le peut par sa volonté, en demandant à Dieu la force nécessaire,
et en réclamant à cet effet l'assistance des bons Esprits. C'est ce que Jésus nous apprend
dans la sublime prière du Pater, quand il nous fait dire : « Ne nous laissez pas
succomber à la tentation, mais délivrez-nous du mal ».
Lorsque nous avons pris pour texte d 'une de nos questions la petite anecdote que nous
avons rapportée, nous ne nous attendions pas aux développements qui allaient en
découler. Nous en sommes doublement heureux, par les belles paroles qu'elle nous a
values de saint Louis et de notre honorable collègue. Si nous n'étions édifiés depuis
longtemps sur la haute capacité de ce dernier, et sur ses profondes connaissances en
matière de Spiritisme, nous serions tentés de croire qu 'il a été lui-même l'application de
sa théorie, et que saint Louis s 'est servi de lui pour compléter son enseignement. Nous
allons y joindre nos propres réflexions :
Cette théorie de la cause excitante de nos actes ressort évidemment de tout
l'enseignement donné par les Esprits ; non seulement elle est sublime de moralité, mais
nous ajouterons qu'elle relève l'homme à ses propres yeux ; elle le montre libre de
secouer un joug obsesseur, comme il est libre de fermer sa maison aux importuns ; ce
n'est plus une machine agissant par une impulsion indépendante de sa volonté, c'est un
être de raison, qui écoute, qui juge et qui choisit librement entre deux conseils.
Ajoutons que, malgré cela, l'homme n'est point privé de son initiative ; il n'en agit pas
moins de son propre mouvement, puisqu'en définitive il n'est qu'un Esprit incarné qui
conserve, sous l'enveloppe corporelle, les qualités et les défauts qu'il avait comme

- 39 -
Esprit. Les fautes que nous commettons ont donc leur source première dans
l 'imperfection de notre propre Esprit qui n 'a pas encore atteint la supériorité morale qu 'il
aura un jour, mais qui n 'en a pas moins son libre arbitre ; la vie corporelle lui est donnée
pour se purger de ses imperfections par les épreuves qu'il y subit, et ce sont précisément
ces imperfections qui le rendent plus faible et plus accessible aux suggestions des autres
Esprits imparfaits, qui en profitent pour tâcher de le faire succomber dans la lutte qu'il a
entreprise. S'il sort vainqueur de cette lutte, il s 'élève ; s'il échoue, il reste ce qu'il était,
ni plus mauvais, ni meilleur : c'est une épreuve à recommencer, et cela peut durer
longtemps ainsi. Plus il s 'épure, plus ses côtés faibles diminuent, et moins il donne de
prise à ceux qui le sollicitent au mal ; sa force morale croît en raison de son élévation, et
les mauvais Esprits s'éloignent de lui.
Quels sont donc ces mauvais Esprits ? Sont-ce ce qu'on appelle les démons ? Ce ne sont
pas des démons dans l'acception vulgaire du mot, parce qu 'on entend par là une classe
d'êtres créés pour le mal, et perpétuellement voués au mal. Or, les Esprits nous disent
que tous s'améliorent dans un temps plus ou moins long, selon leur volonté ; mais tant
qu'ils sont imparfaits, ils peuvent faire le mal, comme l'eau qui n 'est pas épurée peut
répandre des miasmes putrides et morbides.
Dans l'état d'incarnation, ils s'épurent s'ils font ce qu 'il faut pour cela ; à l'état d'Esprits,
ils subissent les conséquences de ce qu 'ils ont fait ou n'ont pas fait pour s'améliorer,
conséquences qu'ils subissent aussi sur terre, puisque les vicissitudes de la vie sont à la
fois des expiations et des épreuves. Tous ces Esprits, plus ou moins bons, alors qu'ils
sont incarnés, constituent l'espèce humaine, et, comme notre terre est un des mondes les
moins avancés, il s 'y trouve plus de mauvais Esprits que de bons, voilà pourquoi nous y
voyons tant de perversité. Faisons donc tous nos efforts pour n 'y pas revenir après cette
station et pour mériter d'aller nous reposer dans un monde meilleur, dans un de ces
mondes privilégiés où le bien règne sans partage, et où nous ne nous souviendrons de
notre passage ici-bas que comme d'un mauvais rêve.

- 40 -
Revue spirite 1858

Entretiens familiers d’outre-tombe


Une veuve du Malabar

Nous avions le désir d'interroger une de ces femmes de l'Inde qui sont dans l'usage de se
brûler sur le corps de leur mari. N'en connaissant pas, nous avions demandé à saint Louis s'il
voudrait nous en envoyer une qui fût en état de répondre à nos questions d'une manière un peu
satisfaisante. Il nous répondit qu'il le ferait volontiers dans quelque temps. Dans la séance de
la Société du 2 novembre 1858, M. Adrien, médium voyant, en vit une toute disposée à parler
et dont il fit le portrait suivant :
Yeux grands, noirs, teinte jaune dans le blanc ; figure arrondie ; joues rebondies et grasses ;
peau jaune safran bruni ; cils longs, sourcils arqués, noirs, nez un peu fort et légèrement
aplati ; bouche grande et sensuelle ; belles dents, larges et plates ; cheveux plats, abondants,
noirs et épais de graisse. Corps assez gros, trapu et gras. Des foulards l'enveloppent en laissant
la moitié de la poitrine nue. Bracelets aux bras et aux jambes.
1. Vous rappelez-vous à peu près à quelle époque vous viviez dans l'Inde, et où vous vous êtes
brûlée sur le corps de votre mari ? - R. Elle fait signe qu'elle ne se le rappelle pas. - Saint
Louis répond qu'il y a environ cent ans.
2. Vous rappelez-vous le nom que vous portiez ? - R. Fatime.
3. Quelle religion professiez-vous ? - R. Le mahométisme.
4. Mais le mahométisme ne commande pas de tels sacrifices ? - R. Je suis née musulmane,
mais mon mari était de la religion de Brahma. J'ai dû me conformer à l'usage du pays que
j'habitais. Les femmes ne s'appartiennent pas.
5. Quel âge aviez-vous quand vous êtes morte ? - R. J'avais, je crois environ vingt ans.
Remarque. - M. Adrien fait observer qu'elle en paraît avoir au moins vingt-huit à trente ; mais
que dans ce pays les femmes vieillissent plus vite.
6. Vous êtes-vous sacrifiée volontairement ? - R. J'aurais préféré me marier à un autre.
Réfléchissez bien, et vous concevrez que nous pensons toutes de même. J'ai suivi la coutume ;
mais au fond j'aurais préféré ne pas le faire. J'ai attendu plusieurs jours un autre mari, et
personne n'est venu ; alors j'ai obéi à la loi.
7. Quel sentiment a pu dicter cette loi ? - R. Idée superstitieuse. On se figure qu'en se brûlant
on est agréable à la Divinité ; que nous rachetons les fautes de celui que nous perdons, et que
nous allons l'aider à vivre heureux dans l'autre monde.
8. Votre mari vous a-t-il su gré de votre sacrifice ? - R. Je n'ai jamais cherché à revoir mon
mari.
9. Y a-t-il des femmes qui se sacrifient ainsi de gaîté de cœur ? - R Il y en a peu ; une sur
mille, et encore, au fond, elles ne voudraient pas le faire.
10. Que s'est-il passé en vous au moment où la vie corporelle s'est éteinte ? - R. Le trouble ;
j'ai eu un brouillard, et puis je ne sais ce qui s'est passé. Mes idées n'ont été débrouillées que
bien longtemps après. J'allais partout, et cependant je ne voyais pas bien ; et encore
maintenant, je ne suis pas entièrement éclairée ; j'ai encore bien des incarnations à subir pour
m'élever ; mais je ne brûlerai plus... Je ne vois pas la nécessité de se brûler, de se jeter au
milieu des flammes pour s'élever..., surtout pour des fautes que l'on n'a pas commises ; et puis
on ne m'en a pas su plus de gré... Du reste je n'ai pas cherché à le savoir. Vous me ferez plaisir
en priant un peu pour moi ; car je comprends qu'il n'y a que la prière pour supporter avec
courage les épreuves qui nous sont envoyées... Ah ! si j'avais la foi !

- 41 -
11. Vous nous demandez de prier pour vous ; mais nous sommes chrétiens, et nos prières
pourraient-elles vous être agréables ? - R. Il n'y a qu'un Dieu pour tous les hommes.
Remarque. - Dans plusieurs des séances suivantes, la même femme a été vue parmi les Esprits
qui y assistaient. Elle a dit qu'elle venait pour s'instruire. Il paraît qu'elle a été sensible à
l'intérêt qu'on lui a témoigné, car elle nous a suivis plusieurs fois dans d'autres réunions et
même dans la rue.

- 42 -
Revue spirite 1859

Écueils des médiums

La médiumnité est une faculté très multiple, et qui présente une variété de nuances dans ses
moyens et dans ses effets. Quiconque est apte à recevoir ou à transmettre les communications
des Esprits est, par cela même, médium, quel que soit le mode employé ou le degré de
développement de la faculté, depuis la simple influence occulte jusqu'à la production des
phénomènes les plus insolites. Toutefois, dans l'usage ordinaire, ce mot a une acception plus
restreinte et se dit généralement des personnes douées d'une puissance médiatrice assez
grande, soit pour produire des effets physiques, soit pour transmettre la pensée des Esprits par
l'écriture ou par la parole.
Quoique cette faculté ne soit pas un privilège exclusif, il est certain qu'elle trouve des
réfractaires, du moins dans le sens qu'on y attache ; il est certain aussi qu'elle n'est pas sans
écueils pour ceux qui la possèdent ; qu'elle peut s'altérer, se perdre même, et souvent être une
source de graves mécomptes. C'est sur ce point que nous croyons utile d'appeler l'attention de
tous ceux qui s'occupent de communications spirites, soit directement, soit par intermédiaire.
Nous disons par intermédiaire, parce qu'il importe aussi à ceux qui se servent de médiums de
pouvoir apprécier leur valeur et la confiance que méritent leurs communications.
Le don de médiumnité tient à des causes qui ne sont pas encore parfaitement connues et
auxquelles le physique paraît avoir une grande part. Au premier abord il semblerait qu'un
don si précieux ne doit être le partage que des âmes d'élite ; or, l'expérience prouve le
contraire, car on trouve de puissants médiums chez des personnes dont le moral laisse
beaucoup à désirer, tandis que d'autres, estimables à tous égards, en sont privés. Celui qui
échoue malgré son désir, ses efforts et sa persévérance, n'en doit rien conclure de
défavorable pour lui, et ne pas se croire indigne de la bienveillance des bons Esprits ; si cette
faveur ne lui est pas accordée, il en a d'autres sans doute qui peuvent lui offrir une ample
compensation. Par la même raison, celui qui en jouit ne saurait s'en prévaloir, car elle n'est
chez lui le signe d'aucun mérite personnel. Le mérite n'est donc pas dans la possession de la
faculté médiatrice qui peut être donnée à tout le monde, mais dans l'usage que l'on en peut
faire ; là est une distinction capitale qu'il ne faut jamais perdre de vue : la bonté du médium
n'est pas dans la facilité des communications, mais uniquement dans son aptitude à n'en
recevoir que de bonnes ; or, c'est là que les conditions morales dans lesquelles il se trouve
sont toutes puissantes ; là aussi se rencontrent pour lui les plus grands écueils.
Pour se rendre compte de cet état de choses et comprendre ce que nous allons dire, il faut se
reporter à ce principe fondamental, que parmi les Esprits il y en a de tous les degrés en bien et
en mal, en science et en ignorance ; que les Esprits pullulent autour de nous, et que lorsque
nous croyons être seuls, nous sommes sans cesse environnés d'êtres qui nous coudoient, les
uns avec indifférence comme des étrangers, les autres qui nous observent avec des intentions
plus ou moins bienveillantes selon leur nature.
Le proverbe : Qui se ressemble s'assemble, a son application parmi les Esprits comme parmi
nous, et plus encore parmi eux, si c'est possible, parce qu'ils ne sont pas comme nous sous
l'influence des considérations sociales. Toutefois si, parmi nous, ces considérations
confondent quelquefois les hommes de mœurs et de goût très différents, cette confusion n'est,
en quelque sorte, que matérielle et transitoire ; la similitude ou la divergence des pensées sera
toujours la cause des attractions et des répulsions.
Notre âme qui n'est, en définitive, qu'un Esprit incarné, n'en est pas moins Esprit ; s'il est
momentanément revêtu d'une enveloppe matérielle, ses relations avec le monde incorporel,
quoique moins faciles qu'à l'état de liberté, n'en sont pas interrompues pour cela d'une
manière absolue ; la pensée est le lien qui nous unit aux Esprits, et par cette pensée nous
attirons ceux qui sympathisent avec nos idées et nos penchants. Représentons-nous donc la

- 43 -
masse des Esprits qui nous environnent comme la foule que nous rencontrons dans le
monde ; partout où nous allons de préférence, nous trouvons des hommes attirés par les
mêmes goûts et les mêmes désirs ; dans les réunions qui ont un but sérieux, vont les
hommes sérieux ; dans celles qui ont un but frivole, vont les hommes frivoles ; partout aussi
se trouvent des Esprits attirés par la pensée dominante. Si nous jetons un coup d'œil sur
l'état moral de l'humanité en général, nous concevrons sans peine que, dans cette foule
occulte, les Esprits élevés ne doivent pas être en majorité ; c'est une des conséquences de
l'état d'infériorité de notre globe.
Les Esprits qui nous entourent ne sont point passifs ; c'est un peuple essentiellement remuant,
qui pense et agit sans cesse, qui nous influence à notre insu, qui nous excite ou nous dissuade,
qui nous pousse au bien ou au mal, ce qui ne nous ôte pas plus notre libre arbitre que les
conseils bons ou mauvais que nous recevons de nos semblables. Mais quand les Esprits
imparfaits sollicitent quelqu'un à faire une chose mauvaise, ils savent très bien à qui ils
s'adressent et ne vont pas perdre leur temps où ils voient qu'ils seront mal reçus ; ils nous
excitent selon nos penchants ou selon les germes qu'ils voient en nous et nos dispositions à les
écouter : voilà pourquoi l'homme ferme dans les principes du bien ne leur donne pas prise.
Ces considérations nous ramènent naturellement à la question des médiums. Ces derniers
sont, comme tout le monde, soumis à l'influence occulte des Esprits bons ou mauvais ; ils
les attirent ou les repoussent selon les sympathies de leur esprit personnel, et les Esprits
mauvais profitent de tout travers, comme d'un défaut de cuirasse, pour s'introduire auprès
d'eux et s'immiscer à leur insu dans tous les actes de leur vie privée. Ces Esprits trouvant en
outre dans le médium un moyen d'exprimer leur pensée d'une manière intelligible et
d'attester leur présence, se mêlent aux communications, les provoquent, parce qu'ils espèrent
avoir plus d'influence par ce moyen, et finissent par y dominer en maîtres. Ils se regardent
comme chez eux, en écartent les Esprits qui pourraient les contrecarrer, et au besoin
prennent leurs noms et même leur langage pour donner le change ; mais ils ne peuvent
longtemps soutenir leur rôle, et pour peu qu'ils aient affaire à un observateur expérimenté et
non prévenu, ils sont bien vite démasqués. Si le médium se laisse aller à cette influence, les
bons Esprits s'éloignent de lui, ou ils ne viennent pas du tout quand on les appelle, ou ils ne
viennent qu'avec répugnance, parce qu'ils voient que l'Esprit qui s'est identifié avec le
médium, qui a en quelque sorte élu domicile chez lui, peut altérer leurs instructions. Si nous
avons à choisir un interprète, un secrétaire, un mandataire quelconque, il est évident que
nous choisirons non seulement un homme capable, mais en outre digne de notre estime, et
que nous ne confierons pas une mission délicate et nos intérêts à un homme taré ou
fréquentant une société suspecte. Il en est de même des Esprits ; les Esprits supérieurs ne
choisiront pas pour transmettre des instructions sérieuses un médium qui a des accointances
avec les Esprits légers, A MOINS QU'IL N'Y AIT NECESSITE ET QU'ILS N'EN AIENT PAS D'AUTRES A
LEUR DISPOSITION POUR LE MOMENT , à moins encore qu'ils ne veuillent donner une leçon au
médium lui-même, ce qui arrive quelquefois ; mais alors ils ne s'en servent
qu'accidentellement, et le quittent dès qu'ils trouvent mieux, le laissant à ses sympathies s'il y
tient. Le médium parfait serait donc celui qui ne donnerait aucun accès aux mauvais Esprits
par un travers quelconque. Cette condition est bien difficile à remplir ; mais si la perfection
absolue n'est pas donnée à l'homme, il lui est toujours donné d'en approcher par ses efforts, et
les Esprits tiennent surtout compte des efforts, de la volonté et de la persévérance.
Le médium parfait n'aurait ainsi que des communications parfaites de vérité et de moralité ; la
perfection n'étant pas possible, le meilleur sera celui qui aura les meilleures communications :
c'est à l'œuvre qu'on peut le juger. Des communications constamment bonnes et élevées, et où
ne percerait aucun indice d'infériorité, seraient incontestablement une preuve de la supériorité
morale du médium, parce qu'elles attesteraient d'heureuses sympathies. Par cela même que le
médium ne saurait être parfait, des Esprits légers, fourbes et menteurs, peuvent se mêler à ses
communications, en altérer la pureté et l'induire en erreur, lui et ceux qui s'adressent à lui.

- 44 -
C'est là le plus grand écueil du spiritisme et nous ne nous en dissimulons pas la gravité. Peut-
on l'éviter ? Nous disons hautement : oui, on le peut ; le moyen n'est pas difficile, il ne
demande que du jugement.
Les bonnes intentions, la moralité même du médium ne suffisent pas toujours pour le
préserver de l'immixtion des Esprits légers, menteurs ou faux savants dans ses
communications ; outre les défauts de son propre Esprit, il peut leur donner prise par d'autres
causes dont la principale est la faiblesse de son caractère et une trop grande confiance dans
l'invariable supériorité des Esprits qui se communiquent à lui ; cette confiance aveugle tient à
une cause que nous expliquerons tout à l'heure. Si l'on ne veut pas être dupe de ces Esprits
légers, il faut les juger, et pour cela nous avons un critérium infaillible : le bon sens et la
raison. Nous savons les qualités du langage qui caractérisent parmi nous les hommes vraiment
bons et supérieurs, ces qualités sont les mêmes pour les Esprits ; nous devons les juger à leur
langage. Nous ne saurions trop répéter ce qui caractérise celui des Esprits élevés : il est
constamment digne, noble, sans forfanterie ni contradiction, pur de toute trivialité, empreint
d'une inaltérable bienveillance. Les bons Esprits conseillent ; ils ne commandent pas ; ils ne
s'imposent pas ; sur ce qu'ils ignorent, ils se taisent. Les Esprits légers parlent avec la même
assurance de ce qu'ils savent et de ce qu'ils ne savent pas, ils répondent à tout sans se soucier
de la vérité. Nous en avons vu, dans une dictée soi-disant sérieuse, placer avec un
imperturbable aplomb César au temps d'Alexandre ; d'autres affirmer que ce n'est pas la terre
qui tourne autour du soleil. En résumé toute expression grossière ou simplement
inconvenante, toute marque d'orgueil et d'outrecuidance, toute maxime contraire à la saine
morale, toute hérésie scientifique notoire, est, chez les Esprits, comme chez les hommes, un
signe incontestable de mauvaise nature, d'ignorance ou tout au moins de légèreté. D'où il suit
qu'il faut peser tout ce qu'ils disent et le faire passer au creuset de la logique et du bon sens ;
c'est une recommandation que nous font sans cesse les bons Esprits. « Dieu, nous disent-ils,
ne vous a pas donné le jugement pour rien ; servez-vous-en donc pour savoir à qui vous avez
affaire. » Les mauvais Esprits redoutent l'examen ; ils disent : « Acceptez nos paroles et ne les
jugez pas. » S'ils avaient la conscience d'être dans le vrai, ils ne craindraient pas la lumière.
L'habitude de scruter les moindres paroles des Esprits, d'en peser la valeur, (au point de vue
de la pensée, et non de la forme grammaticale, dont ils ont peu de souci,) éloigne forcément
les Esprits malintentionnés qui ne viennent point alors perdre inutilement leur temps,
puisqu'on rejette tout ce qui est mauvais ou d'une origine suspecte. Mais lorsqu'on accepte
aveuglément tout ce qu'ils disent, qu'on se met pour ainsi dire à genoux devient leur prétendue
sagesse, ils font ce que feraient les hommes, ils en abusent.
Si le médium est maître de lui, s'il ne se laisse pas dominer par un enthousiasme irréfléchi, il
peut faire ce que nous conseillons ; mais il arrive souvent que l'Esprit le subjugue au point de
le fasciner et de lui faire trouver admirables les choses les plus ridicules, et il s'abandonne
d'autant plus à cette pernicieuse confiance que, fort de ses bonnes intentions et de ses bons
sentiments, il croit que cela suffit pour écarter les mauvais Esprits ; non, cela ne suffit pas, car
ces Esprits sont enchantés de le faire tomber dans le piège en profitant de sa faiblesse et de sa
crédulité. Que faire alors ? En référer à un tiers désintéressé qui, jugeant avec sang-froid et
sans prévention, pourra voir une paille là où il ne voyait pas une poutre.
La science spirite exige une grande expérience qui ne s'acquiert, comme dans toutes les
sciences philosophiques et autres, que par une étude longue, assidue et persévérante, et par
de nombreuses observations. Elle ne comprend pas seulement l'étude des phénomènes
proprement dits, mais aussi et surtout celle des mœurs, si nous pouvons nous exprimer ainsi,
du monde occulte, depuis le plus bas jusqu'au plus haut degré de l'échelle. Il serait trop
présomptueux de se croire suffisamment éclairé et passé maître après quelques essais. Une
telle prétention ne serait pas d'un homme sérieux ; car quiconque jette un coup d'œil
scrutateur sur ces mystères étranges, voit se dérouler devant lui un horizon si vaste que des
années suffisent à peine pour l'atteindre ; et il y en a qui prétendent le faire en quelques jours !

- 45 -
De toutes les dispositions morales, celle qui donne le plus de prise aux Esprits imparfaits, c'est
l'orgueil. L'orgueil est pour les médiums un écueil d'autant plus dangereux qu'ils ne se
l'avouent pas. C'est l'orgueil qui leur donne cette croyance aveugle dans la supériorité des
Esprits qui s'attachent à eux, parce qu'ils sont flattés de certains noms qui leur imposent ; dès
qu'un Esprit leur dit : Je suis un tel, ils s'inclinent et se gardent bien d'en douter, car leur
amour-propre souffrirait de trouver sous ce masque un Esprit de bas étage ou de mauvais aloi.
L'Esprit qui voit le côté faible en profite ; il flatte son prétendu protégé, lui parle d'origines
illustres qui le gonflent encore davantage, lui promet un avenir brillant, les honneurs, la
fortune, dont il semble être le dispensateur ; au besoin il affecte avec lui une tendresse
hypocrite ; comment résister à tant de générosité ? En un mot, il le berne et le mène, comme
on dit vulgairement, par le bout du nez ; son bonheur est d'avoir un être sous sa dépendance.
Nous en avons interrogé plus d'un sur les motifs de leur obsession ; l'un d'eux nous répondit
ceci : Je veux avoir un homme qui fasse ma volonté ; c'est mon plaisir. Lorsque, nous lui
dîmes que nous allions mettre tout en œuvre pour déjouer ses artifices et dessiller les yeux de
son opprimé, il dit : Je lutterai contre vous, et vous ne réussirez pas, car je ferai tant qu'il ne
vous croira pas. C'est en effet une des tactiques de ces Esprits malfaisants ; ils inspirent de la
défiance et de l'éloignement pour les personnes qui peuvent les démasquer et donner de bons
conseils. Jamais pareille chose n'arrive de la part des bons Esprits. Tout Esprit qui souffle la
discorde, qui excite l'animosité, entretient les dissentiments, révèle par cela même sa
mauvaise nature ; il faudrait être aveugle pour ne pas le comprendre et pour croire qu'un bon
Esprit puisse pousser à la mésintelligence.
L'orgueil se développe souvent chez le médium à mesure que grandit si faculté ; elle lui
donne de l'importance ; on le recherche, et il finit par se croire indispensable ; de là
quelquefois chez lui un ton de jactance et de prétention, ou des airs de suffisance et de
dédain incompatibles avec l'influence d'un bon Esprit. Celui qui tombe dans ce travers est
perdu, car Dieu lui a donné sa faculté pour le bien et non pour satisfaire sa vanité ou en faire
le marchepied de son ambition. Il oublie que ce pouvoir dont il est fier peut lui être retiré et
que souvent il ne lui a été donné que comme épreuve, de même que la fortune pour certaines
gens. S'il en abuse, les bons Esprits l'abandonnent peu à peu, et il devient le jouet des
Esprits légers qui le bercent de leurs illusions, satisfaits d'avoir vaincu celui qui se croyait
fort. C'est ainsi que nous avons vu s'annihiler et se perdre les facultés les plus précieuses qui,
sans cela, eussent pu devenir les plus puissants et les plus utiles auxiliaires. Ceci s'applique à
tous les genres de médiums, qu'ils soient pour les manifestations physiques ou pour les
communications intelligentes. Malheureusement l'orgueil est un des défauts qu'on est le moins
disposé à s'avouer à soi-même et qu'on peut le moins avouer aux autres, parce qu'ils ne le
croient pas. Allez donc dire à un de ces médiums qu'il se laisse mener comme un enfant, il
vous tournera le dos en disant qu'il sait se conduire et que vous ne voyez pas clair. Vous
pouvez dire à un homme qu'il est ivrogne, débauché, paresseux, maladroit, imbécile, il en rira
ou en conviendra ; dites-lui qu'il est orgueilleux, il se fâchera : preuve évidente que vous
aurez dit vrai. Les conseils, dans ce cas, sont d'autant plus difficiles que le médium évite les
personnes qui pourraient les lui donner, fuit une intimité qu'il redoute. Les Esprits, qui sentent
que les conseils sont des coups portés à leur pouvoir, le poussent au contraire vers celles qui
l'entretiennent dans ses illusions. Il se prépare bien des déceptions, dont son amour-propre
aura plus d'une fois à souffrir ; heureux encore s'il n'en résulte rien de plus grave pour lui.
Si nous avons longuement insisté sur ce point, c'est que l'expérience nous a démontré en
maintes occasions que là est une des grandes pierres d'achoppement pour la pureté et la
sincérité des communications des médiums. Il est presque inutile, après cela, de parler des
autres imperfections morales, telles que l'égoïsme, l'envie, la jalousie, l'ambition, la cupidité,
la dureté de cœur, l'ingratitude, la sensualité, etc. Chacun comprend qu'elles sont autant de
portes ouvertes aux Esprits imparfaits, ou tout au moins des causes de faiblesse. Pour
repousser ces derniers, il ne suffit pas de leur dire de s'en aller ; il ne suffit même pas de le

- 46 -
vouloir et encore moins de les conjurer : il faut leur fermer sa porte et ses oreilles, leur
prouver qu'on est plus fort qu'eux, et on l'est incontestablement par l'amour du bien, la charité,
la douceur, la simplicité, la modestie et le désintéressement, qualités qui nous concilient la
bienveillance des bons Esprits ; c'est leur appui qui fait notre force, et s'ils nous laissent
quelquefois aux prises avec les mauvais, c'est une épreuve pour notre foi et notre caractère.
Que les médiums ne s'effraient pas trop cependant de la sévérité des conditions dont nous
venons de parler ; elles sont logiques, on en conviendra, mais on aurait tort de se rebuter.
Les communications mauvaises que l'on peut avoir sont bien, il est vrai, l'indice de quelque
faiblesse, mais non toujours un signe d'indignité ; on peut être faible et bon. C'est dans tous
les cas un moyen de reconnaître ses propres imperfections. Nous l'avons dit dans un autre
article, on n'a pas besoin d'être médium pour être sous l'influence de mauvais Esprits qui
agissent dans l'ombre ; avec la faculté médiatrice, l'ennemi se montre et se trahit ; on sait à
qui l'on a affaire et on peut le combattre ; c'est ainsi qu'une mauvaise communication peut
devenir une utile leçon si l'on sait en profiter.
Il serait injuste, du reste, de mettre toutes les mauvaises communications sur le compte du
médium ; nous avons parlé de celles qu'il obtient par lui-même en dehors de toute autre
influence, et non de celles qui se produisent dans un milieu quelconque ; or, tout le monde sait
que les Esprits attirés par ce milieu peuvent nuire aux manifestations, soit par la diversité des
caractères, soit par le défaut de recueillement. C'est une règle générale que les meilleures
communications ont lieu dans l'intimité et dans un cercle recueilli et homogène. Dans toute
communication plusieurs influences sont en jeu : celle du médium, celle du milieu et celle de
la personne qui interroge. Ces influences peuvent réagir sur les autres, se neutraliser ou se
corroborer : cela dépend du but que l'on se propose, et de la pensée dominante. Nous avons vu
d'excellentes communications obtenues dans des cercles et avec des médiums qui ne
réunissaient pas toutes les conditions désirables ; dans ce cas les bons Esprits venaient pour
une personne en particulier, parce que cela était utile ; nous en avons vu de mauvaises
obtenues par de bons médiums, uniquement parce que l'interrogateur n'avait pas des intentions
sérieuses et attirait des Esprits légers qui se moquaient de lui. Tout cela demande du tact et de
l'observation, et l'on conçoit aisément la prépondérance que doivent avoir toutes les
conditions réunies.

- 47 -
Revue spirite 1859

Les Esprits tapageurs ; moyen de s'en débarrasser

On nous écrit de Gramat (Lot) :


« Dans une maison du hameau de Coujet, commune de Bastat (Lot), des bruits extraordinaires
se font entendre depuis environ deux mois. C'étaient d'abord des coups secs et assez
semblables au choc d'une massue sur des planches qu'on entendait de tous côtés : sous les
pieds, sur la tête, dans les portes, à travers les meubles ; puis bientôt les pas d'un homme qui
marche pieds nus, le tapotement des doigts sur les vitres. Les habitants de la maison
s'effrayèrent et firent dire des messes ; la population inquiète se porta dans le hameau et
entendit ; la police intervint, fit plusieurs perquisitions, et le bruit augmenta. Bientôt ce furent
des portes ouvertes, des objets renversés, chaises projetées dans l'escalier, des meubles
transportés du rez-de-chaussée au galetas. Tout ce que je vous raconte, attesté par un grand
nombre de personnes, se passe en plein jour. La maison n'est pas une antique masure sombre
et noire dont l'aspect seul fait rêver fantômes ; c'est une maison nouvellement bâtie, qui est
riante ; les propriétaires sont de bonnes gens incapables de vouloir tromper personne, et
malades de peur. Cependant bien des personnes ne pensent pas qu'il y ait rien de surnaturel, et
tâchent d'expliquer, soit par la physique, soit par de mauvaises intentions qu'ils prêtent aux
habitants de la maison, tout ce qui s'y passe d'extraordinaire. Pour moi, qui ai vu et qui crois,
j'ai résolu de m'adresser à vous pour savoir quels sont les Esprits qui font ce tapage, et
connaître le moyen, si toutefois il y en a un, de les faire taire. C'est un service que vous
rendrez à ces bonnes gens, etc.. »
Les faits de cette nature ne sont pas rares ; ils se ressemblent tous à peu de chose près et ne
diffèrent en général que par leur intensité et leur plus ou moins de ténacité. On s'en inquiète
peu quand ils se bornent à quelques bruits sans conséquence, mais ils deviennent une véritable
calamité quand ils acquièrent certaines proportions. Notre honorable correspondant nous
demande quels sont les Esprits qui font ce tapage. La réponse n'est pas douteuse : on sait que
des Esprits d'un ordre très inférieur en sont seuls capables.
Les Esprits supérieurs, pas plus que parmi nous les hommes graves et sérieux, ne s'amusent à
donner des charivaris. Nous en avons souvent fait venir pour leur demander le motif qui les
porte à troubler ainsi le repos. La plupart n'ont d'autre but que de s'amuser ; ce sont des Esprits
plutôt légers que méchants, qui se rient des frayeurs qu'ils occasionnent, et des recherches
inutiles que l'on fait pour découvrir la cause du tumulte. Souvent ils s'acharnent après un
individu qu'ils se plaisent à vexer et qu'ils poursuivent de demeure en demeure ; d'autres fois
ils s'attachent à un local sans autre motif que leur caprice. C'est quelquefois aussi une
vengeance qu'ils exercent comme nous aurons occasion de le voir. Dans certains cas, leur
intention est plus louable ; ils veulent appeler l'attention et se mettre en rapport, soit pour
donner un avertissement utile à la personne à laquelle ils s'adressent, soit pour demander
quelque chose pour eux-mêmes. Nous en avons souvent vu demander des prières, d'autres
solliciter l'accomplissement en leur nom d'un vœu qu'ils n'avaient pu remplir, d'autres enfin
vouloir, dans l'intérêt de leur propre repos, réparer une mauvaise action commise par eux de
leur vivant. En général, on a tort de s'en effrayer ; leur présence peut être importune, mais non
dangereuse. On conçoit du reste le désir qu'on a de s'en débarrasser et l'on fait généralement
pour cela tout le contraire de ce qu'il faudrait. Si ce sont des Esprits qui s'amusent, plus on
prend la chose au sérieux, plus ils persistent, comme des enfants espiègles qui harcèlent
d'autant plus ceux qu'ils voient s'impatienter, et qui font peur aux poltrons. Si l'on prenait le
sage parti de rire soi-même de leurs mauvais tours, ils finiraient par se lasser et par rester
tranquilles. Nous connaissons quelqu'un qui, loin de s'irriter, les excitait, les mettait au défi de
faire telle ou telle chose, si bien qu'au bout de quelques jours ils ne revinrent plus. Mais,
comme nous l'avons dit, il y en a dont le motif est moins frivole. C'est pourquoi il est toujours

- 48 -
utile de savoir ce qu'ils veulent. S'ils demandent quelque chose, on peut être certain qu'ils
cesseront leurs visites dès que leur désir sera satisfait. Le meilleur moyen d'être renseigné à
cet égard c'est d'évoquer l'Esprit par l'intermédiaire d'un bon médium écrivain ; à ses réponses
on verra tout de suite à qui l'on a affaire, et l'on agira en conséquence ; si c'est un Esprit
malheureux, la charité veut qu'on le traite avec les égards qu'il mérite. Si c'est un mauvais
plaisant, on peut agir envers lui sans façon ; s'il est malveillant, il faut prier Dieu de le rendre
meilleur. En tout état de cause, la prière ne peut toujours avoir qu'un bon résultat. Mais la
gravité des formules d'exorcisme les fait rire et ils n'en tiennent aucun compte. Si l'on peut
entrer en communication avec eux, il faut se défier des qualifications burlesques ou
effrayantes qu'ils se donnent quelquefois pour s'amuser de la crédulité.
La difficulté, dans beaucoup de cas, est d'avoir un médium à sa disposition. Il faut alors
chercher à le devenir soi-même, ou interroger directement l'Esprit en se conformant aux
préceptes que nous donnons à ce sujet dans notre Instruction pratique sur les manifestations.
Ces phénomènes, quoique exécutés par des Esprits inférieurs, sont souvent provoqués par des
Esprits d'un ordre plus élevé, dans le but de convaincre de l'existence des êtres incorporels et
d'une puissance supérieure à l'homme. Le retentissement qui en résulte, l'effroi même que cela
cause, appellent l'attention, et finiront par faire ouvrir les yeux des plus incrédules. Ceux-ci
trouvent plus simple de mettre ces phénomènes sur le compte de l'imagination, explication
très commode et qui dispense d'en donner d'autres ; pourtant quand des objets sont bousculés
ou vous sont jetés à la tête, il faudrait une imagination bien complaisante pour se figurer que
pareilles choses sont quand elles ne sont pas. On remarque un effet quelconque, cet effet a
nécessairement une cause ; si une froide et calme observation nous démontre que cet effet est
indépendant de toute volonté humaine et de toute cause matérielle, si de plus il nous donne
des signes évidents d'intelligence et de libre volonté, ce qui est le signe le plus caractéristique,
on est bien forcé de l'attribuer à une intelligence occulte. Quels sont ces êtres mystérieux ?
c'est ce que les études spirites nous apprennent de la manière la moins contestable, par les
moyens qu'elle nous donne de communiquer avec eux. Ces études nous apprennent en outre à
faire la part de ce qu'il y a de réel, de faux ou d'exagéré dans les phénomènes dont nous ne
nous rendons pas compte. Si un effet insolite se produit : bruit, mouvement, apparition même,
la première pensée que l'on doit avoir, c'est qu'il est dû à une cause toute naturelle, parce que
c'est la plus probable ; il faut alors rechercher cette cause avec le plus grand soin, et
n'admettre l'intervention des Esprits qu'à bon escient ; c'est le moyen de ne pas se faire
illusion.

- 49 -
Revue spirite 1859

Etude sur les médiums

Les différentes variétés de médiums reposent sur des aptitudes spéciales, et jusqu'à présent on
ne sait trop quel en est le principe. Au premier abord, et pour les personnes qui n'ont pas fait de
cette science une étude suivie, il ne semble pas plus difficile à un médium d'écrire des vers que
de la prose ; s'il est mécanique surtout, l'Esprit, dira-t-on, peut tout aussi bien le faire écrire dans
une langue étrangère, le faire dessiner ou lui dicter de la musique. Il n'en est rien pourtant. Bien
que l'on voie à chaque instant des dessins, des vers, de la musique faits par des médiums qui,
dans leur état normal, ne sont ni dessinateurs, ni poètes, ni musiciens, tous ne sont pas aptes à
produire ces choses. Malgré leur ignorance, il y a en eux une faculté intuitive, une flexibilité
qui en fait des instruments plus dociles. C'est ce qu'a très bien exprimé Bernard Palissy quand
on lui a demandé pourquoi il avait choisi, pour faire ses admirables dessins, M. Victorien
Sardou, qui ne sait pas dessiner ; c'est parce que, a-t-il dit, je le trouve plus souple. Il en est de
même des autres aptitudes ; et chose bizarre, nous avons vu des Esprits se refuser à dicter des
vers à des médiums qui connaissaient la poésie, et en donner de charmants à des personnes
qui n'en savaient pas les premières règles ; ce qui prouve une fois de plus que les Esprits ont
leur libre arbitre, et que c'est en vain que nous voudrions les soumettre à nos caprices.
Il résulte des observations précédentes qu'un médium doit suivre l'impulsion qui lui est
donnée selon son aptitude ; qu'il doit tâcher de perfectionner cette aptitude par l'exercice, mais
qu'il chercherait inutilement à acquérir celle qui lui manque, ou tout au moins que ce serait au
préjudice de celle qu'il possède. Ne forçons point notre talent, nous ne ferions rien avec grâce,
a dit La Fontaine ; nous pouvons ajouter : nous ne ferions rien de bon. Lorsqu'un médium
possède une faculté précieuse avec laquelle il peut se rendre vraiment utile, qu'il s'en contente,
et ne cherche pas une vaine satisfaction d'amour-propre dans une variété qui serait
l'affaiblissement de la faculté primordiale ; si celle-ci doit être transformée, ce qui arrive
souvent, ou s'il doit en acquérir une nouvelle, cela aura lieu spontanément et non par un effet
de sa volonté.
La faculté de produire des effets physiques forme une catégorie bien tranchée qui s'allie
rarement avec les communications intelligentes, surtout avec celles d'une haute portée. On sait
que les effets physiques sont dévolus aux Esprits de bas étage, comme chez nous les tours de
force aux saltimbanques ; or, les Esprits frappeurs appartiennent à cette classe inférieure ; ils
agissent le plus souvent pour leur propre compte, pour s'amuser ou vexer, mais quelquefois
aussi par l'ordre d'Esprits élevés qui s'en servent, comme nous nous servons de manœuvres ; il
serait absurde de croire que des Esprits supérieurs vinssent s'amuser à faire tourner ou frapper
des tables. Ils se servent de ces moyens, disons-nous, par des intermédiaires, soit dans le but
de convaincre, soit pour communiquer avec nous quand nous n'en avons pas d'autres ; mais ils
les abandonnent du moment qu'ils peuvent agir par un moyen plus rapide, plus commode et
plus direct, comme nous avons abandonné le télégraphe aérien, dès que nous avons eu le
télégraphe électrique. Les effets physiques ne sont point à dédaigner, parce que, pour
beaucoup de gens, c'est un moyen de conviction ; ils offrent d'ailleurs un précieux sujet
d'étude sur les forces occultes ; mais il est remarquable que les Esprits les refusent en général
à ceux qui n'en ont pas besoin, ou que tout au moins ils leur conseillent de ne pas s'en occuper
d'une manière spéciale. Voilà ce qu'écrivait à ce sujet l'Esprit de saint Louis à la Société
parisienne des Etudes spirites :
« On s'est moqué des tables tournantes, on ne se moquera jamais de la philosophie, de la
sagesse et de la charité qui brillent dans les communications sérieuses. Ce fut le vestibule de
la science ; c'est là qu'en entrant on doit laisser ses préjugés, comme on laisse son manteau. Je
ne puis trop vous engager à faire de vos réunions un centre sérieux : qu'ailleurs on fasse des
démonstrations physiques, qu'ailleurs on voie, qu'ailleurs on entende, que chez vous on

- 50 -
comprenne et qu'on aime. Que pensez-vous être aux yeux des Esprits supérieurs quand vous
avez fait tourner une table ? Des ignorants. Le savant passe-t-il son temps à repasser l'a b c de
la science ? Tandis qu'en vous voyant rechercher les communications intelligentes et
instructives, on vous considère comme des hommes sérieux en quête de la vérité. »
Il est impossible de résumer d'une manière plus logique et plus précise le caractère des deux
genres de manifestations. Celui qui a des communications élevées le doit à l'assistance des
bons Esprits : c'est une marque de leur sympathie pour lui ; y renoncer pour rechercher les
effets matériels, c'est quitter une société choisie pour une plus infime ; vouloir allier les deux
choses, c'est appeler autour de soi des êtres antipathiques, et dans ce conflit il est probable que
les bons s'en iront et que les mauvais resteront. Loin de nous de mépriser les médiums à
influences physiques ; ils ont leur raison d'être, leur but providentiel ; ils rendent
d'incontestables services à la science spirite ; mais lorsqu'un médium possède une faculté qui
peut le mettre en rapport avec des êtres supérieurs, nous ne comprenons pas qu'il l'abdique, ou
même qu'il en désire d'autres, autrement que par ignorance ; car souvent l'ambition de vouloir
être tout, fait que l'on finit par n'être rien.

- 51 -
Revue spirite 1859

Médiums intéressés

Dans notre article sur les écueils des médiums, nous avons placé la cupidité au nombre des
travers qui peuvent donner prise sur eux aux Esprits imparfaits. Quelques développements sur
ce sujet ne seront pas inutiles. Il faut placer au premier rang des médiums intéressés ceux qui
pourraient faire un métier de leur faculté, en donnant ce qu'on appelle des consultations ou
séances rétribuées. Nous n'en connaissons pas, en France du moins, mais comme tout peut
devenir un sujet d'exploitation, il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'on voulût un jour exploiter
les Esprits ; reste à savoir comment ils prendraient la chose, si jamais une telle spéculation
tentait de s'introduire. Sans être complètement initié au spiritisme, on comprend ce qu'elle
aurait d'avilissant ; mais quiconque connaît tant soit peu les conditions difficiles dans
lesquelles les bons Esprits se communiquent à nous, combien il faut peu de chose pour les
éloigner, leur répulsion pour tout ce qui est d'intérêt égoïste, ne pourra jamais admettre que
des Esprits supérieurs soient au caprice du premier venu qui les ferait venir à tant par heure ;
le simple bon sens repousse une pareille supposition. Ne serait-ce pas aussi une profanation
d'évoquer son père, sa mère, son enfant ou son ami par un pareil moyen ? Sans doute on peut
avoir ainsi des communications, mais Dieu sait de quelle source ! Les Esprits légers,
menteurs, espiègles, moqueurs et toute la cohue des Esprits inférieurs viennent toujours ; ils
sont toujours prêts à répondre à tout ; Saint-Louis nous disait l'autre jour à la société :
Evoquez un rocher, il vous répondra. Celui qui veut des communications sérieuses, doit
s'édifier avant tout sur la nature des sympathies du médium avec les êtres d'outre-tombe ; or,
celles que peut donner l'appât du gain ne peuvent inspirer qu'une fort médiocre confiance.
Les médiums intéressés ne sont pas uniquement ceux qui pourraient exiger une rétribution
fixe ; l'intérêt ne se traduit pas toujours par l'espoir d'un gain matériel, mais aussi par les vues
ambitieuses de toute nature sur lesquelles on peut fonder des espérances personnelles ; c'est
encore là un travers que savent très bien saisir les Esprits moqueurs et dont ils profitent avec
une adresse, une rouerie vraiment remarquable, en berçant de trompeuses illusions ceux qui se
mettent ainsi sous leur dépendances. En résumé, la médiumnité est une faculté donnée pour le
bien, et les bons Esprits s'éloignent de quiconque prétendrait s'en faire un marchepied pour
arriver à quoi que ce soit qui ne répondrait pas aux vues de la Providence. L'égoïsme est la
plaie de la société ; les bons Esprits le combattent, on ne peut supposer qu'ils viennent le
servir. Cela est si rationnel qu'il serait inutile d'insister davantage sur ce point.
Les médiums à effets physiques ne sont pas dans la même catégorie ; ces effets étant produits
par des Esprits inférieurs peu scrupuleux sur les sentiments moraux, un médium de cette
catégorie qui voudrait exploiter sa faculté, pourrait donc en avoir qui l'assisteraient sans trop
de répugnance ; mais là encore se présente un autre inconvénient. Le médium à effets
physiques, pas plus que celui à communications intelligentes, n'a reçu sa faculté pour son
plaisir : elle lui a été donnée à la condition d'en faire un bon usage, et s'il en abuse, elle peut
lui être retirée, ou bien tourner à son détriment, parce qu'en définitive les Esprits inférieurs
sont aux ordres des Esprits supérieurs. Les Esprits inférieurs aiment bien à mystifier, mais ils
n'aiment pas être mystifiés ; s'ils se prêtent volontiers à la plaisanterie, aux choses de
curiosité, ils n'aiment pas plus que les autres à être exploités, et ils prouvent à chaque instant
qu'ils ont leur volonté, qu'ils agissent quand et comme bon leur semble, ce qui fait que le
médium à effets physiques est encore moins sûr de la régularité des manifestations que le
médium écrivain. Prétendre les produire à jours et heures fixes, serait faire preuve de la plus
profonde ignorance. Que faire alors pour gagner son argent ? Simuler les phénomènes ; c'est
ce qui peut arriver non seulement à ceux qui en feraient un métier avoué, mais même à des
gens simples en apparence, et qui se bornent à recevoir une rétribution quelconque des
visiteurs. Si l'Esprit ne donne pas, on y supplée : l'imagination est si féconde quand il s'agit de

- 52 -
gagner de l'argent ; c'est une thèse que nous développerons dans un article spécial afin de
mettre en garde contre la fraude.
De tout ce qui précède, nous concluons que le désintéressement le plus absolu est la meilleure
garantie contre le charlatanisme, car il n'y a pas de charlatans désintéressés ; s'il n'assure pas
toujours la bonté des communications intelligentes, il enlève aux mauvais Esprits un puissant
moyen d'action et ferme la bouche à certains détracteurs.

- 53 -
Revue spirite 1859

Des procédés pour écarter les mauvais Esprits

L'immixtion des Esprits trompeurs dans les communications écrites est une des plus grandes
difficultés du Spiritisme ; on sait par expérience qu'ils ne se font aucun scrupule de prendre
des noms supposés, et même des noms respectables ; y a-t-il des moyens de les écarter ? là est
la question. Certaines personnes emploient à cet effet ce qu'on pourrait appeler des procédés,
c'est-à-dire, soit des formules particulières d'évocation, soit des sortes d'exorcismes, comme
de leur faire jurer au nom de Dieu qu'ils disent la vérité, de leur faire écrire certaines choses,
etc. Nous connaissons quelqu'un qui, à chaque phrase, sommait l'Esprit de signer son nom ;
s'il était le vrai, il écrivait le nom sans peine ; s'il était le faux, il s'arrêtait court au beau milieu
sans pouvoir l'achever ; nous avons vu cette personne avoir les communications les plus
ridicules de la part d'Esprits qui signaient un nom d'emprunt avec un aplomb parfait. D'autres
personnes pensent qu'un moyen efficace c'est de faire confesser Jésus en chair, ou autres
vérités de la religion. Eh bien ! nous déclarons que, si quelques Esprits, un peu plus
scrupuleux, sont arrêtés par l'idée d'un parjure ou d'une profanation, il en est qui jurent tout ce
qu'on veut, qui signent tous les noms, qui se rient de tout, et bravent la présence des signes les
plus vénérés, d'où nous concluons que, parmi ce qu'on peut appeler des procédés, il n'est
aucune formule, aucun expédient matériel qui puisse servir de préservatif efficace.
En ce cas, dira-t-on, il n'y a qu'une chose à faire, c'est de cesser d'écrire. Ce moyen ne serait
pas meilleur ; loin de là, il serait pire dans beaucoup de cas. Nous l'avons dit, et nous ne
saurions trop le répéter, l'action des Esprits sur nous est incessante, et elle n'en est pas moins
réelle, parce qu'elle est occulte. Si elle doit être mauvaise, elle sera plus pernicieuse encore
par cela même que l'ennemi sera caché ; par les communications écrites, il se révèle, se
démasque, on sait à qui l'on a affaire, et on peut le combattre. - Mais s'il n'y a aucun moyen
de l'évincer, que faire alors ? - Nous n'avons pas dit qu'il n'y eût aucun moyen, mais
seulement que la plupart de ceux que l'on emploie sont impuissants ; c'est la thèse que nous
nous proposons de développer.
Il ne faut pas perdre de vue que les Esprits constituent tout un monde, toute une population
qui remplit l'espace, qui circule à nos côtés, qui se mêle à tout ce que nous faisons. Si le voile
qui nous les dérobe venait à se lever, nous les verrions, autour de nous, aller, venir, nous
suivre ou nous éviter selon le degré de leur sympathie ; les uns indifférents, véritables flâneurs
du monde occulte, les autres très occupés, soit d'eux-mêmes, soit des hommes auxquels ils
s'attachent, dans un but plus ou moins louable, selon les qualités qui les distinguent. Nous
verrions en un mot la doublure du genre humain avec ses bonnes et ses mauvaises qualités,
ses vertus et ses vices. Cet entourage, auquel nous ne pouvons échapper, car il n'est pas
d'endroit si caché qu'il soit inaccessible aux Esprits, exerce sur nous et à notre insu une
influence permanente ; les uns nous poussent au bien, les autres au mal, et nos déterminations
sont bien souvent le résultat de leurs suggestions ; heureux quand on a assez de jugement pour
discerner la bonne ou la mauvaise voie dans laquelle ils cherchent à nous entraîner. Puisque
les Esprits ne sont autre chose que les hommes mêmes dépouillés de leur grossière enveloppe,
que les âmes qui survivent au corps, il en résulte qu'il y a des Esprits depuis qu'il y a des êtres
humains dans l'univers ; c'est une des puissances de la nature, et ils n'ont pas attendu qu'il y
eût des médiums écrivains pour agir, et la preuve en est, c'est que, de tout temps, les hommes
ont commis des inconséquences ; voilà pourquoi nous disons que leur influence est
indépendante de la faculté d'écrire ; cette faculté est un moyen de connaître cette influence, de
savoir quels sont ceux qui rôdent autour de nous, qui s'attachent à nous. Croire qu'on peut s'y
soustraire en s'abstenant d'écrire, c'est faire comme les enfants qui croient échapper à un
danger en se bouchant les yeux. L'écriture, en nous révélant ceux que nous avons pour
acolytes, pour amis ou pour ennemis, nous donne par cela même une arme pour combattre ces

- 54 -
derniers, et nous devons en remercier Dieu ; à défaut de la vue pour reconnaître les Esprits,
nous avons les communications écrites ; par là, ils révèlent ce qu'ils sont ; c'est pour nous un
sens qui nous permet de les juger ; le repousser, c'est se complaire à rester aveugle, et vouloir
demeurer exposé à la tromperie sans contrôle.
L'immixtion des mauvais Esprits dans les communications écrites n'est donc pas un danger du
Spiritisme, puisque, s'il y danger, le danger existe sans cela, et qu'il est permanent ; voilà ce
dont on ne saurait trop se persuader : c'est simplement une difficulté, mais dont il est aisé de
triompher si l'on s'y prend convenablement.
On peut d'abord poser en principe que les mauvais Esprits ne vont que là où quelque chose les
attire ; donc, quand ils se mêlent aux communications, c'est qu'ils trouvent des sympathies
dans le milieu où ils se présentent, ou tout au moins des côtés faibles dont ils espèrent
profiter ; en tout état de cause, c'est qu'ils ne trouvent pas une force morale suffisante pour les
repousser. Parmi les causes qui les attirent, il faut placer en première ligne les imperfections
morales de toute nature, parce que le mal sympathise toujours avec le mal ; en second lieu, la
trop grande confiance avec laquelle on accueille leurs paroles. Lorsqu'une communication
accuse une mauvaise origine, il serait illogique d'en inférer une parité nécessaire entre l'Esprit
et les évocateurs ; on voit souvent les personnes les plus honorables exposées aux fourberies
des Esprits trompeurs, comme on voit dans le monde des honnêtes gens trompés par des
fripons ; mais lorsqu'on se tient sur ses gardes, les fripons n'ont que faire ; c'est ce qui arrive
aussi avec les Esprits. Lorsqu'une personne honnête est trompée par eux, cela peut tenir à
deux causes : la première est une confiance trop absolue qui la dissuade de tout examen ; la
seconde, que les meilleures qualités n'excluent pas certains côtés faibles qui donnent prise aux
mauvais Esprits, ardents à saisir les moindres défauts de cuirasse. Nous ne parlons pas de
l'orgueil et de l'ambition, qui sont plus que des travers, mais d'une certaine faiblesse de
caractère, et surtout des préjugés que ces Esprits savent habilement exploiter en les flattant, et,
à cet égard, ils prennent tous les masques pour inspirer plus de confiance.
Les communications franchement grossières sont les moins dangereuses, parce qu'elles ne
peuvent tromper personne ; celles qui le sont le plus sont celles qui n'ont qu'un faux-semblant
de sagesse ou de gravité, en un mot, celles des Esprits hypocrites et des faux savants ; les uns
peuvent se tromper de bonne foi, par ignorance ou par fatuité, les autres n'agissent que par
astuce. Voyons donc le moyen de s'en débarrasser.
La première chose est d'abord de ne pas les attirer, et d'éviter tout ce qui peut leur donner
accès.
Les dispositions morales sont, comme nous l'avons vu, une cause prépondérante ; mais,
abstraction faite de cette cause, le mode employé n'est pas sans influence. Il y a des
personnes qui ont pour principe de ne jamais faire d'évocations et d'attendre la première
communication spontanée qui se présente sous le crayon du médium ; or, si l'on veut bien se
rappeler ce que nous avons dit sur la foule très mélangée des Esprits qui nous entourent, on
concevra sans peine que c'est se mettre à la discrétion du premier venu, bon ou mauvais ; et
comme dans cette foule il y en a plus de mauvais que de bons, il y a plus de chance d'en
avoir de mauvais, absolument comme si vous ouvrez votre porte à tous les passants de la rue ;
tandis que par l'évocation vous faites votre choix, et en vous entourant de bons Esprits, vous
imposez silence aux mauvais, qui pourront bien, malgré cela, chercher quelquefois à se
faufiler, - les bons même le permettront pour exercer votre sagacité à les reconnaître, - mais
ils seront sans influence. Les communications spontanées ont une grande utilité quand on est
certain de la qualité de son entourage, alors on a souvent à se féliciter de l'initiative laissée
aux Esprits ; l'inconvénient n'est que dans le système absolu qui consiste à s'abstenir de l'appel
direct et des questions.
Parmi les causes qui influent puissamment sur la qualité des Esprits qui fréquentent les cercles
spirites, il ne faut pas omettre la nature des choses dont on s'occupe. Ceux qui se proposent un
but sérieux et utile attirent par cela même les Esprits sérieux ; ceux qui n'ont en vue que de

- 55 -
satisfaire une vaine curiosité ou leurs intérêts personnels, s'exposent tout au moins à des
mystifications, s'ils n'ont pas pis. En résumé, on peut tirer des communications spirites les
enseignements les plus sublimes, les plus utiles, lorsqu'on sait les diriger ; toute la question est
de ne pas se laisser prendre aux ruses des Esprits moqueurs ou malveillants ; or, pour cela,
l'essentiel est de savoir à qui l'on a affaire. Ecoutons d'abord à ce sujet les conseils que l'Esprit
de saint Louis donnait à la Société parisienne des études Spirites par l'entremise de M. R… un
de ses bons médiums. Ceci est une communication spontanée qu'il reçut un jour chez lui, avec
mission de la lui transmettre.
« Quelle que soit la confiance légitime que vous inspirent les Esprits qui président à vos
travaux, il est une recommandation que nous ne saurions trop répéter, et que vous devriez
toujours avoir présente à la pensée quand vous vous livrez à vos études : c'est de peser et
mûrir, c'est de soumettre au contrôle, de la raison la plus sévère toutes les communications
que vous recevez ; de ne pas négliger, dès qu'une réponse vous paraît douteuse ou obscure, de
demander les éclaircissements nécessaires pour vous fixer.
« Vous savez que la révélation a existé dès les temps les plus reculés, mais elle a toujours été
appropriée au degré d'avancement de ceux qui la recevaient. Aujourd'hui, il n'est plus question
de vous parler par figures et par paraboles : vous devez recevoir nos enseignements d'une
manière claire, précise, et sans ambiguïté. Mais il serait trop commode de n'avoir qu'à
questionner pour être éclairés ; ce serait d'ailleurs sortir des lois progressives qui président à
l'avancement universel. Ne soyez donc pas étonnés si, pour vous laisser le mérite du choix et
du travail, et aussi pour vous punir des infractions que vous pouvez commettre contre nos
conseils, il est quelquefois permis à certains Esprits, ignorants plus que malintentionnés, de
répondre dans quelques cas à vos questions. Ceci, au lieu d'être pour vous une cause de
découragement, doit être un puissant excitant à rechercher le vrai avec ardeur. Soyez donc
bien convaincus qu'en suivant cette route vous ne pouvez manquer d'arriver à des résultats
heureux. Soyez unis de cœur et d'intention ; travaillez tous ; cherchez, cherchez toujours, et
vous trouverez. »
LOUIS.
Le langage des Esprits sérieux et bons a un cachet auquel il est impossible de se méprendre
pour peu qu'on ait du tact, du jugement et l'habitude de l'observation. Les mauvais Esprits, de
quelque voile hypocrite qu'ils couvrent leurs turpitudes, ne peuvent jamais soutenir leur rôle
indéfiniment ; ils montrent toujours le bout de l'oreille par quelque coin, autrement, si leur
langage était sans tache, ils seraient de bons Esprits. Le langage des Esprits est donc le
véritable critérium par lequel nous pouvons les juger ; le langage étant l'expression de la
pensée, a toujours un reflet des qualités bonnes ou mauvaises de l'individu. N'est-ce pas aussi
par le langage que nous jugeons les hommes que nous ne connaissons pas ? Si vous recevez
vingt lettres de vingt personnes que vous n'avez jamais vues, est-ce qu'en les lisant vous ne
serez pas impressionné diversement ? Est-ce que, par les qualités du style, par le choix des
expressions, par la nature des pensées, par certains détails de forme même, vous ne
reconnaîtrez pas, dans celui qui vous écrit, un homme bien élevé d'un rustre, un savant d'un
ignorant, un orgueilleux d'un homme modeste ? Il en est absolument de même des Esprits.
Supposez que ce soient des hommes qui vous écrivent, et jugez-les de la même manière ;
jugez-les sévèrement, les bons Esprits ne s'offensent nullement de cette investigation
scrupuleuse, puisque ce sont eux-mêmes qui nous la recommandent comme moyen de
contrôle. Nous savons que nous pouvons être trompés, donc notre premier sentiment doit être
celui de la défiance ; les mauvais Esprits qui cherchent à nous induire en erreur peuvent seuls
redouter l'examen, car ceux-là, loin de le provoquer, veulent être crus sur parole.
De ce principe découle tout naturellement et tout logiquement le moyen le plus efficace
d'écarter les mauvais Esprits, et de se prémunir contre leurs fourberies. L'homme qui n'est pas
écouté cesse de parler ; celui qui voit constamment ses ruses découvertes va les porter
ailleurs ; le fripon qui sait qu'on est sur le qui-vive ne fait pas de tentatives inutiles. De même

- 56 -
les Esprits trompeurs quittent la partie là où ils voient qu'ils n'ont rien à faire, et où ils ne
trouvent que des gens sur leurs gardes qui rejettent tout ce qui leur paraît suspect.
Il nous reste, pour terminer, à passer en revue les principaux caractères qui décèlent l'origine
des communications spirites.
1. Les Esprits supérieurs ont, comme nous l'avons dit en maintes circonstances, un langage
toujours digne, noble, élevé, sans mélange d'aucune trivialité ; ils disent tout avec simplicité et
modestie, ne se vantent jamais, ne font jamais parade de leur savoir ni de leur position parmi
les autres. Celui des Esprits inférieurs ou vulgaires a toujours quelque reflet des passions
humaines ; toute expression qui sent la bassesse, la suffisance, l'arrogance, la forfanterie,
l'acrimonie, est un indice caractéristique d'infériorité, ou de supercherie si l'Esprit se présente
sous un nom respectable et vénéré.
2. Les bons Esprits ne disent que ce qu'ils savent ; ils se taisent ou confessent leur ignorance
sur ce qu'ils ne savent pas. Les mauvais parlent de tout avec assurance, sans se soucier de la
vérité. Toute hérésie scientifique notoire, tout principe qui choque la raison et le bon sens,
montre la fraude si l'Esprit se donne pour un Esprit éclairé.
3. Le langage des Esprits élevés est toujours identique, sinon pour la forme, du moins pour le
fond. Les pensées sont les mêmes, quels que soient le temps et le lieu ; elles peuvent être plus
ou moins développées selon les circonstances, les besoins et les facilités de communiquer,
mais elles ne seront pas contradictoires. Si deux communications portant le même nom sont
en opposition l'une avec l'autre, l'une des deux est évidemment apocryphe, et la véritable sera
celle où RIEN ne dément le caractère connu du personnage. Une communication porte-t-elle
de tout point le caractère de la sublimité et de l'élévation, sans aucune tache, c'est qu'elle
émane d'un Esprit élevé, quel que soit son nom ; renferme-t-elle un mélange de bon et de
mauvais, c'est d'un Esprit ordinaire, s'il se donne pour ce qu'il est ; d'un fourbe, s'il se pare
d'un nom qu'il ne sait pas justifier.
4. Les bons Esprits ne commandent jamais ; ils ne s'imposent pas : ils conseillent, et si on ne
les écoute pas, ils se retirent. Les mauvais sont impérieux : ils donnent des ordres, et veulent
être obéis. Tout Esprit qui s'impose trahit son origine.
5. Les bons Esprits ne flattent point ; ils approuvent quand on fait bien, mais toujours avec
réserve ; les mauvais donnent des éloges exagérés, stimulent l'orgueil et la vanité tout en
prêchant l'humilité, et cherchent à exalter l'importance personnelle de ceux qu'ils veulent
capter.
6. Les Esprits supérieurs sont au-dessus des puérilités de la forme en toutes choses ; pour
eux la pensée est tout, la forme n'est rien. Les Esprits vulgaires seuls peuvent attacher de
l'importance à certains détails incompatibles avec des idées véritablement élevées. Toute
prescription méticuleuse est un signe certain d'infériorité et de supercherie de la part d'un
Esprit qui prend un nom imposant.
7. Il faut se défier des noms bizarres et ridicules que prennent certains Esprits qui veulent
imposer à la crédulité ; il serait souverainement absurde de prendre ces noms au sérieux.
8. Il faut également se défier de ceux qui se présentent trop facilement sous des noms
extrêmement vénérés, et n'accepter leurs paroles qu'avec la plus grande réserve ; c'est là
surtout qu'un contrôle sévère est indispensable, car c'est souvent un masque qu'ils prennent
pour faire croire à de prétendues relations intimes avec des Esprits hors ligne. Par ce moyen
ils flattent la vanité, et en profitent pour induire souvent à des démarches regrettables ou
ridicules.
9. Les bons Esprits sont très scrupuleux sur les démarches qu'ils peuvent conseiller ; elles
n'ont jamais, dans tous les cas, qu'un but sérieux et éminemment utile. On doit donc regarder
comme suspectes toutes celles qui n'auraient pas ce caractère, et mûrement réfléchir avant de
les entreprendre.
10. Les bons Esprits ne prescrivent que le bien. Toute maxime, tout conseil qui n'est pas
strictement conforme à la pure charité évangélique ne peut être l'œuvre de bons Esprits ; il en

- 57 -
est de même de toute insinuation malveillante tendant à exciter ou à entretenir des sentiments
de haine, de jalousie ou d'égoïsme.
11. Les bons esprits ne conseillent jamais que des choses parfaitement rationnelles ; toute
recommandation qui s'écarterait de la droite ligne du bon sens ou des lois immuables de la
nature accuse un Esprit borné et encore sous l'influence des préjugés terrestres, et par
conséquent peu digne de confiance.
12. Les Esprits mauvais, ou simplement imparfaits, se trahissent encore par des signes
matériels auxquels on ne saurait se méprendre. Leur action sur le médium est quelquefois
violente, et provoque dans son écriture des mouvements brusques et saccadés, une agitation
fébrile et convulsive qui tranche avec le calme et la douceur des bons Esprits.
13. Un autre signe de leur présence, est l'obsession. Les bons Esprits n'obsèdent jamais ; les
mauvais s'imposent à tous les instants ; c'est pourquoi tout médium doit se défier du besoin
irrésistible d'écrire qui s'empare de lui dans les moments les plus inopportuns. Ce n'est jamais
le fait d'un bon Esprit, et il ne doit pas y céder.
14. Parmi les Esprits imparfaits qui se mêlent aux communications, il en est qui se glissent pour
ainsi dire furtivement, comme pour faire une espièglerie, mais qui se retirent aussi facilement qu'ils
sont venus, et cela à la première sommation ; d'autres, au contraire, sont tenaces, s'acharnent
après un individu, et ne cèdent qu'à la contrainte et à la persistance ; ils s'emparent de lui, le
subjuguent, le fascinent au point de lui faire prendre les plus grossières absurdités pour des
choses admirables, heureux quand des personnes de sang froid parviennent à lui dessiller les
yeux, ce qui n'est pas toujours facile, car ces Esprits ont l'art d'inspirer de la défiance et de
l'éloignement pour quiconque peut les démasquer ; d'où il suit que l'on doit tenir pour suspect
d'infériorité ou de mauvaise intention tout Esprit qui prescrit l'isolement, et l'éloignement de
quiconque peut donner de bons conseils. L'amour-propre vient à leur aide, car il en coûte
souvent d'avouer qu'on a été dupe d'une mystification, et de reconnaître un fourbe en celui
sous le patronage duquel on se faisait gloire de se placer. Cette action de l'Esprit est
indépendante de la faculté d'écrire ; à défaut de l'écriture, l'Esprit malveillant a cent moyens
d'agir et de circonvenir ; l'écriture est pour lui un moyen de persuasion, mais ce n'est pas une
cause ; pour le médium, c'est un moyen de s'éclairer.
En passant toutes les communications spirites au contrôle des considérations précédentes, on
en reconnaîtra facilement l'origine, et l'on pourra déjouer la malice des Esprits trompeurs qui
ne s'adressent qu'à ceux qui se laissent bénévolement tromper ; s'ils voient qu'on se met à
genoux devant leurs paroles, ils en profitent, comme feraient de simples mortels ; c'est donc à
nous de leur prouver qu'ils perdent leur temps. Ajoutons que, pour cela, la prière est d'un
puissant secours ; par elle on appelle à soi l'assistance de Dieu et des bons Esprits, on
augmente sa propre force ; mais on connaît le précepte : Aide-toi, le ciel t'aidera ; Dieu veut
bien nous assister, mais à la condition que nous fassions de notre côté ce qui est nécessaire.
Au précepte ajoutons un exemple. Un monsieur, que je ne connaissais pas, vint un jour me
voir, et me dit qu'il était médium ; qu'il recevait des communications d'un Esprit très élevé qui
l'avait chargé de venir auprès de moi me faire une révélation au sujet d'une trame qui, selon
lui, s'ourdissait contre moi, de la part d'ennemis secrets qu'il désigna. « Voulez-vous, ajouta-t-
il, que j'écrive en votre présence ? Volontiers, répondis-je ; mais je dois vous dire, tout
d'abord, que ces ennemis sont moins à craindre que vous ne croyez. Je sais que j'en ai ; qui
est-ce qui n'en à pas ? et les plus acharnés sont souvent ceux à qui on a fait le plus de bien. J'ai
pour moi la conscience de n'avoir fait volontairement de mal à personne ; ceux qui m'en
feront ne pourront pas en dire autant, et Dieu sera juge entre nous. Voyons toutefois l'avis que
votre Esprit veut bien me donner. » Là-dessus ce monsieur écrivit ce qui suit :
« J'ai ordonné à C… (le nom du monsieur) qui est le flambeau de la lumière des bons Esprits,
et qui a reçu d'eux la mission de la répandre parmi ses frères, de se rendre chez Allan Kardec
qui devra croire aveuglément ce que je lui dirai, parce que je suis au nombre des élus préposés
par Dieu pour veiller au salut des hommes, et que je viens lui annoncer la vérité… »

- 58 -
En voilà assez, lui dis-je, ne prenez pas la peine de poursuivre. Cet exorde suffit pour me
montrer à quel Esprit vous avez affaire ; je n'ajouterai qu'un mot, c'est que pour un Esprit qui
veut faire le rusé, il est bien maladroit.
Ce monsieur parut assez scandalisé du peu de cas que je faisais de son Esprit, qu'il avait la
bonté de prendre pour quelque archange, ou tout au moins pour quelque saint du premier
ordre, venu tout exprès pour lui. « Mais, lui dis-je, cet Esprit montre le bout de l'oreille par
chacun des mots qu'il vient d'écrire, et il faut convenir qu'il sait bien peu cacher son jeu.
D'abord il vous ordonne : donc il veut vous tenir sous sa dépendance, ce qui est le propre des
Esprits obsesseurs ; il vous appelle le flambeau de la lumière des bons esprits, langage
passablement emphatique et amphigourique, bien loin de la simplicité qui caractérise celui
des bons Esprits, et par là il flatte votre orgueil, exalte votre importance, ce qui seul suffirait
pour le rendre suspect. Il se place sans façon au nombre des élus préposés par Dieu : jactance
indigne d'un Esprit véritablement supérieur. Enfin il me dit que je dois le croire aveuglément ;
ceci couronne l'œuvre. C'est bien là le style de ces Esprits menteurs qui veulent qu'on les croie
sur parole, parce qu'ils savent qu'ils ont tout à perdre à un examen sérieux. Avec un peu plus
de perspicacité, il aurait dû savoir que je ne me paie pas de belles paroles, et qu'il s'adressait
mal en me prescrivant une confiance aveugle. D'où je conclus que vous êtes le jouet d'un
Esprit qui vous mystifie et abuse de votre bonne foi. Je vous engage à y faire sérieusement
attention, parce que, si vous n'y prenez garde, il pourra vous jouer quelque tour de sa façon. »
Je ne sais si ce monsieur a profité de l'avertissement, car je ne l'ai jamais revu, non plus que
son Esprit. Je n'en finirais pas si je racontais toutes les communications de ce genre qu'on
est venu me soumettre, quelquefois très sérieusement, comme émanant des plus grands
saints, de la vierge Marie, et même du Christ, et il était vraiment curieux de voir les
turpitudes qui se débitaient sous ces noms vénérés ; il faut être aveugle pour se méprendre
sur leur origine, alors que souvent un seul mot équivoque, une seule pensée contradictoire,
suffisent pour faire découvrir la supercherie à quiconque se donne la peine de réfléchir.
Comme exemples remarquables à l'appui, nous engageons nos lecteurs à vouloir bien se
reporter aux articles publiés dans les n° de la Revue spirite des mois de juillet et d'octobre
1858.

- 59 -
Revue spirite 1860

Manifestations physiques spontanées


Le Boulanger de Dieppe

Plusieurs journaux, et entre autres l'Opinion nationale du 14 février dernier, et le Journal de


Rouen du 12 du même mois, rapportent le fait suivant, d'après la Vigie de Dieppe. Voici
l'article du Journal de Rouen :
« La Vigie de Dieppe contient la lettre suivante, que lui adresse son correspondant des
Grandes-Ventes. Nous avons déjà signalé, dans notre numéro de vendredi, une partie des faits
relatés aujourd'hui dans ce journal ; mais l'émotion excitée dans la commune par ces
événements extraordinaires nous engage à donner les nouveaux détails contenus dans cette
correspondance.
« Nous nous rions aujourd'hui des histoires plus ou moins fantastiques du bon vieux temps, et,
de nos jours, les prétendus sorciers ne sont pas précisément en bien grande vénération. On n'y
croit pas plus aux Grandes-Ventes qu'ailleurs ; mais, cependant, nos vieux préjugés populaires
ont encore quelques adeptes parmi nos bons villageois, et la scène vraiment extraordinaire
dont nous venons d'être témoin est bien faite pour fortifier leur croyance superstitieuse.
« Hier matin, M. Goubert, un des boulangers de notre bourg, son père, qui lui sert d'ouvrier, et
un jeune apprenti de seize à dix-sept ans, allaient commencer leur travail ordinaire, quand ils
s'aperçurent que plusieurs objets quittaient spontanément la place qui leur est assignée pour
s'élancer dans le pétrin. C'est ainsi qu'ils eurent à débarrasser successivement la farine qu'ils
travaillaient de plusieurs morceaux de charbon, de deux poids de différente grosseur, d'une
pipe et d'une chandelle. Malgré leur extrême surprise, ils continuèrent leur besogne, et ils en
étaient arrivés à tourner leur pain, quand tout à coup un morceau de pâte de deux
kilogrammes, s'échappant des mains du jeune mitron, s'élança à une distance de plusieurs
mètres. Ce fut là le prélude et comme le signal du plus étrange désordre. Il était alors neuf
heures environ, et, jusqu'à midi, il fut positivement impossible de rester dans le four et dans la
cave attenante. Tout fut bouleversé, renversé et brisé ; le pain, lancé au milieu de l'atelier avec
les planches qui le soutenaient, parmi les débris de toutes sortes, fut complètement perdu ;
plus de trente bouteilles pleines de vin se cassèrent successivement, et, pendant que le treuil
de la citerne tournait seul avec une vitesse extrême, les braisières, les pelles, les tréteaux et les
poids sautaient en l'air et exécutaient des évolutions du plus diabolique effet.
« Vers midi, le vacarme cessa peu à peu, et quelques heures après, quand tout fut rentré dans
l'ordre et les ustensiles replacés, le chef de la maison put reprendre ses travaux habituels.
« Ce bizarre événement a causé à M. Goubert une perte de 100 fr. au moins. »
A ce même récit, l'Opinion nationale ajoute les réflexions suivantes :
« Ce serait faire injure à nos lecteurs, en reproduisant cette singulière pièce, que de les inviter
à se tenir en garde contre les faits surnaturels qu'elle relate. Voilà, nous le savons
parfaitement, une histoire qui n'est pas de notre époque, et qui pourra bien scandaliser plus
d'un des doctes lecteurs de la Vigie ; mais, tout invraisemblable qu'elle paraît, elle n'en est pas
moins vraie, et cent personnes pourraient, au besoin, en certifier l'exactitude. »
Nous avouons ne pas trop comprendre les réflexions du journaliste qui nous semble se
contredire ; d'un côté, il dit à ses lecteurs de se tenir en garde contre les faits surnaturels que
cette lettre relate, et il termine en disant que « tout invraisemblable que paraisse cette histoire,
elle n'en est pas moins vraie, et que cent personnes pourraient, au besoin, la certifier. » De
deux choses l'une, ou elle est vraie, ou elle est fausse ; si elle est fausse, tout est dit ; mais si
elle est vraie, comme l'atteste l'Opinion nationale, le fait révèle une chose assez grave pour

- 60 -
mériter d'être traitée un peu moins légèrement. Mettons de côté la question des Esprits, et n'y
voyons qu'un phénomène physique ; n'est-il pas assez extraordinaire pour mériter l'attention
des observateurs sérieux ? Que les savants se mettent donc à l'œuvre, et, fouillant dans les
archives de la science, nous en donnent une explication rationnelle, irréfutable, rendant raison
de toutes les circonstances. S'ils ne le peuvent pas, il faut bien convenir qu'ils ne connaissent
pas tous les secrets de la nature ; et si la science spirite donne seule cette solution, il faudra
bien opter entre la théorie qui explique et celle qui n'explique rien.
Lorsque des faits de cette nature sont rapportés, notre premier soin est, avant même de nous
enquérir de la réalité, d'examiner s'ils sont ou non possibles, d'après ce que nous connaissons
de la théorie des manifestations spirites. Nous en avons cité dont nous avons démontré
l'impossibilité absolue, notamment l'histoire que nous avons racontée dans notre numéro de
février 1859, d'après le Journal des Débats, sous le titre de : Mon ami Hermann, et à laquelle
certains points de la doctrine spirite auraient pu donner une apparence de probabilité. A ce
point de vue, les phénomènes qui se sont passés chez le boulanger des environs de Dieppe
n'ont rien de plus extraordinaire que beaucoup d'autres qui sont parfaitement avérés et dont la
science spirite donne la solution complète. Donc, à nos yeux, si le fait n'était pas vrai, il était
possible. Nous avons prié un de nos correspondants de Dieppe, en qui nous avons toute
confiance, de vouloir bien s'enquérir de la réalité. Voici ce qu'il nous répond :
« Je puis aujourd'hui vous donner tous les renseignements que vous désirez, m'étant informé à
bonne source. Le récit fait dans la Vigie est l'exacte vérité ; inutile d'en relater tous les faits. Il
paraît que plusieurs hommes de science sont venus d'assez loin pour se rendre compte de ces
faits extraordinaires qu'ils n'auront pu expliquer s'ils n'ont aucune notion de la science spirite.
Quant aux gens de nos campagnes, ils sont interdits ; les uns disent : Ce sont des sorciers ; les
autres : c'est parce que le cimetière a été changé de place et qu'on a bâti dessus ; et les plus
malins, ceux qui passent parmi les leurs pour tout connaître, surtout s'ils ont été militaires,
finissent par dire : Ma foi ! je ne sais pas trop comment cela peut arriver. Inutile de vous dire
qu'on ne manque pas de faire dans tout cela une large part au diable. Pour faire comprendre
aux gens du peuple tous ces phénomènes, il faudrait entreprendre de les initier à la science
spirite vraie ; ce serait le seul moyen de déraciner parmi eux la croyance aux sorciers et toutes
les idées superstitieuses qui seront longtemps encore le plus grand obstacle à leur
moralisation. »
Nous terminerons par une dernière remarque.
Nous avons entendu des personnes dire qu'elles ne voudraient pas s'occuper de Spiritisme
dans la crainte d'attirer les Esprits, et de provoquer des manifestations du genre de celle que
nous venons de rapporter.
Nous ne connaissons pas le boulanger Goubert, mais nous croyons pouvoir affirmer que ni
lui, ni son fils, ni son mitron ne se sont jamais occupés des Esprits. Il est même à remarquer
que les manifestations spontanées se produisent de préférence chez les personnes qui n'ont
aucune idée du Spiritisme, preuve évidente que les Esprits viennent sans être appelés ; nous
disons plus, c'est que la connaissance éclairée de cette science est le meilleur moyen de se
préserver des Esprits importuns, parce qu'elle indique la seule manière rationnelle de les
écarter.
Notre correspondant est parfaitement dans le vrai en disant que le Spiritisme est un remède
contre la superstition. N'est-ce pas, en effet, une idée superstitieuse de croire que ces
phénomènes étranges sont dus au déplacement du cimetière ? La superstition ne consiste pas
dans la croyance à un fait, quand le fait est avéré ; mais dans la cause irrationnelle attribuée à
ce fait. Elle est surtout dans la croyance à de prétendus moyens de divination, à l'effet de
certaines pratiques, à la vertu des talismans, aux jours et heures cabalistiques, etc., toutes
choses dont le Spiritisme démontre l'absurdité et le ridicule.

- 61 -
Revue spirite 1860

Superstition

On lit dans le Siècle du 6 avril 1860 :


« Le sieur Félix N…, jardinier des environs d'Orléans, passait pour avoir le talent de faire
exempter les conscrits du tirage, c'est-à-dire de leur faire avoir un bon numéro. Il promit au
sieur Frédéric Vincent P…, jeune vigneron de St-Jean-de-Braye, de lui faire avoir le numéro
qu'il voudrait, moyennant 60 fr. dont 30 payés d'avance, et 30 après le tirage. Le secret
consistait à dire trois Pater et trois Ave pendant neuf jours. En outre, le sorcier affirma que,
grâce à ce qu'il ferait de son côté, ça travaillerait peut-être bien le conscrit, et l'empêcherait de
dormir pendant la dernière nuit, mais qu'il serait exempt. Malheureusement le charme n'opéra
pas ; le conscrit dormit comme d'habitude et amena le numéro 31 qui en fait un soldat. Ces
faits renouvelés deux fois encore n'ont pu être tenus secrets, et ont amené le sorcier Félix N…
devant la justice. »
Les adversaires du Spiritisme l'accusent de réveiller les idées superstitieuses ; mais qu'y a-t-
il de commun entre la doctrine qui enseigne l'existence du monde invisible, communiquant
avec le monde visible, et des faits de la nature de celui que nous rapportons, qui sont les
vrais types de la superstition ? Où a-t-on vu que le Spiritisme ait jamais enseigné de
pareilles absurdités ? Si ceux qui l'attaquent sous ce rapport s'étaient donnés la peine de
l'étudier avant de le juger si légèrement, ils sauraient que, non seulement il condamne toutes
les pratiques divinatoires, mais qu'il en démontre la nullité. Donc, comme nous l'avons dit
bien souvent, l'étude sérieuse du Spiritisme tend à détruire les croyances vraiment
superstitieuses. Dans la plupart des croyances populaires, il y a presque toujours un fond de
vérité, mais dénaturé, amplifié ; ce sont les accessoires, les fausses applications qui
constituent, à proprement parler, la superstition. C'est ainsi que les contes de fées et de génies
reposent sur l'existence d'Esprits bons ou mauvais, protecteurs ou malveillants ; que toutes les
histoires de revenants ont leur source dans le phénomène très réel des manifestations Spirites,
visibles et même tangibles ; ce phénomène, aujourd'hui parfaitement avéré et expliqué, rentre
dans la catégorie des phénomènes naturels qui sont une conséquence des lois éternelles de la
création. Mais l'homme rarement se contente du vrai qui lui paraît trop simple ; il l'affuble de
toutes les chimères créées par son imagination, et c'est alors qu'il tombe dans l'absurde. Puis
viennent ceux qui ont intérêt à exploiter ces mêmes croyances auxquelles ils ajoutent un
prestige fantastique propre à servir leurs vues ; de là cette tourbe de devins, de sorciers, de
diseurs de bonne aventure, contre lesquels la loi sévit avec justice. Le Spiritisme vrai,
rationnel, n'est donc pas plus responsable de l'abus que l'on en peut faire, que la médecine ne
l'est des ridicules formules et pratiques employées par des charlatans ou des ignorants. Encore
une fois, avant de le juger, donnez-vous la peine de l'étudier.
On conçoit le fond de vérité de certaines croyances, mais on demandera peut-être sur quoi
peut reposer celle qui a donné lieu au fait ci-dessus, croyance très répandue dans nos
campagnes, comme on le sait. Elle nous paraît d'abord avoir son principe dans le sentiment
intuitif des êtres invisibles auxquels on est porté à attribuer une puissance que souvent ils
n'ont pas. L'existence des Esprits trompeurs qui pullulent autour de nous, par suite de
l'infériorité de notre globe, comme les insectes nuisibles dans un marais, et qui s'amusent aux
dépens des gens crédules en leur prédisant un avenir chimérique, toujours propre à flatter
leurs goûts et leurs désirs, est un fait dont nous avons tous les jours la preuve par nos
médiums actuels ; ce qui se passe sous nos yeux a eu lieu à toutes les époques par les moyens
de communication en usage selon les temps et les lieux, voilà la réalité. Le charlatanisme et la
cupidité aidant, la réalité est passée à l'état de croyance superstitieuse.

- 62 -
Revue spirite 1861

Le Livre des Médiums

Cet ouvrage annoncé depuis longtemps, mais dont la publication a été retardée par son
importance même, paraîtra du 5 au 10 janvier chez MM. Didier et Cie, libraires-éditeurs, quai
des Augustins, n° 356. Il forme le complément du Livre des Esprits et renferme la partie
expérimentale du Spiritisme, comme le premier en contient la partie philosophique.
Nous avons cherché, dans ce travail, fruit d'une longue expérience et de laborieuses études, à
éclairer toutes les questions qui se rattachent à la pratique des manifestations ; il contient,
d'après les Esprits, l'explication théorique des divers phénomènes et des conditions dans
lesquelles ils peuvent se produire ; mais la partie concernant le développement et l'exercice de
la médiumnité a surtout été de notre part l'objet d'une attention toute spéciale.
Le Spiritisme expérimental est entouré de beaucoup plus de difficultés qu'on ne le croit
généralement, et les écueils qu'on y rencontre sont nombreux : c'est ce qui cause tant de
déceptions chez ceux qui s'en occupent sans avoir l'expérience et les connaissances
nécessaires. Notre but a été de prémunir contre ces écueils qui ne sont pas toujours sans
inconvénients pour quiconque s'aventure avec imprudence sur ce terrain nouveau. Nous ne
pouvions négliger un point si capital, et nous l'avons traité avec un soin égal à son importance.
Les inconvénients naissent presque toujours de la légèreté avec laquelle on traite une aussi
grave question. Les Esprits, quels qu'ils soient, sont les âmes de ceux qui ont vécu, et au
milieu desquelles nous serons infailliblement d'un instant à l'autre ; toutes les manifestations
Spirites, intelligentes ou autres, ont donc pour objet de nous mettre en rapport avec ces
mêmes âmes ; si nous respectons leurs restes mortels, à plus forte raison devons-nous
respecter l'être intelligent qui survit et qui en est la véritable individualité ; se faire un jeu des
manifestations, c'est manquer à ce respect que nous réclamerons peut-être pour nous-mêmes
demain, et que l'on ne viole jamais impunément.
Le premier moment de la curiosité causée par ces phénomènes étranges est passé ; aujourd'hui
qu'on en connaît la source, gardons-nous de la profaner par des plaisanteries déplacées, et
efforçons-nous d'y puiser l'enseignement propre à assurer notre bonheur à venir ; le champ est
assez vaste, et le but assez important, pour captiver toute notre attention. C'est à faire entrer le
Spiritisme dans cette voie sérieuse que tous nos efforts ont tendu jusqu'à ce jour ; si ce nouvel
ouvrage, en le faisant mieux connaître encore, peut contribuer à l'empêcher de dévier de sa
destination providentielle, nous serons largement payé de nos soins et de nos veilles.
Ce travail, nous ne nous le dissimulons pas, soulèvera plus d'une critique de la part de ceux
que gène la sévérité des principes, et de ceux qui, voyant la chose à un autre point de vue,
nous accusent déjà de vouloir faire école dans le Spiritisme. Si c'est faire école que de
chercher dans cette science un but utile et profitable pour l'humanité, nous aurions lieu d'être
flatté de ce reproche ; mais une telle école n'a pas besoin d'autre chef que le bon sens des
masses et la sagesse des bons Esprits, qui l'eussent créée sans nous ; c'est pourquoi nous
déclinons l'honneur de l'avoir fondée, heureux nous-même de nous ranger sous sa bannière, et
n'aspirant qu'au modeste titre de propagateur ; s'il lui faut un nom, nous inscrirons sur son
frontispice : Ecole du Spiritisme moral et philosophique, et nous y convions tous ceux qui ont
besoin d'espérances et de consolations.
ALLAN KARDEC.

6 On le trouve également au bureau de la Revue Spirite, rue Sainte-


Anne n° 59, passage Sainte-Anne. Un volume grand in-18 de 500
pages ; Paris, 3 fr. 50 ; franco par la poste, 4 fr.
- 63 -
Revue spirite 1861

L'Esprit frappeur de l'Aube

Un de nos abonnés nous transmet des détails fort intéressants sur des faits de manifestation
qui se sont passés, et se passent encore en ce moment, dans une localité du département de
l'Aube, dont nous tairons le nom, attendu que la personne chez qui ces phénomènes ont lieu
ne se soucie nullement d'être assaillie par la visite des nombreux curieux qui ne manqueraient
pas de se porter chez elle : ces manifestations bruyantes lui ayant déjà attiré plus d'un
désagrément ; du reste, notre correspondant nous rapporte les faits comme témoin oculaire, et
nous le connaissons assez pour savoir qu'il mérite toute confiance. Nous extrayons les
passages les plus intéressants de sa relation :
« Il y a quatre ans (en 1856), il se passa chez M. R…, de la ville que j'habite, des faits de
manifestation qui rappellent, jusqu'à un certain point, ceux de Bergzabern ; je ne connaissais
pas alors ce monsieur, et ce n'est que plus tard que je fus en rapport avec lui, de sorte que c'est
par ouï-dire que j'appris ce qui se passa à cette époque. Les manifestations ayant cessé depuis
longtemps, M. R… s'en croyait débarrassé, mais depuis peu elles ont recommencé comme
autrefois, et j'ai pu en être témoin pendant plusieurs jours de suite ; je vous raconterai donc ce
que j'ai vu de mes propres yeux.
« La personne qui est l'objet de ces manifestations est le fils de M. R…, âgé de seize ans, et
qui n'en avait par conséquent que douze lorsqu'elles se produisirent pour la première fois.
C'est un garçon d'une intelligence excessivement bornée, qui ne sait ni lire ni écrire, et sort
très rarement de la maison. Quant aux manifestations qui ont eu lieu en ma présence, à
l'exception du balancement du lit et de la suspension magnétique, l'Esprit imita à peu près en
tout celui de Bergzabern ; les coups, les grattements furent les mêmes ; il sifflait, imitait le
bruit de la lime et de la scie, et lança à travers la chambre des morceaux de charbon qui
vinrent on ne sait d'où, car il n'y en avait pas dans la pièce où nous étions. Les phénomènes se
produisent généralement dès que l'enfant est couché et commence à s'endormir. Pendant son
sommeil il parle à l'Esprit avec autorité, et prend le ton du commandement d'un officier
supérieur à s'y méprendre, quoiqu'il n'ait jamais assisté à aucun exercice militaire ; il simule
un combat, commande la manœuvre, remporte la victoire, et se croit nommé général sur le
champ de bataille. Quand il ordonne à l'Esprit de frapper un certain nombre de coups, il arrive
quelquefois que celui-ci en frappe plus qu'il n'en a demandé ; l'enfant lui dit alors : Comment
vas-tu faire pour ôter ceux que tu as frappés de trop ? Alors l'Esprit se met à gratter, comme
s'il effaçait. Quand l'enfant commande il est dans une grande agitation, et crie parfois si fort
que sa voix s'éteint dans une espèce de râle. Au commandement l'Esprit bat toutes les marches
françaises et étrangères, même celles des Chinois ; je n'ai pu en vérifier l'exactitude, ne les
connaissant pas ; mais il est souvent arrivé à l'enfant de dire : Ce n'est pas ça, recommencez ;
et l'Esprit obéissait. Je dois vous dire en passant que pendant son sommeil l'enfant est très
grossier en commandant.
« Un soir que j'assistais à une de ces scènes, il y avait déjà cinq heures que le fils R… était
dans une grande agitation ; j'essayai de le calmer par quelques passes magnétiques, mais
aussitôt il devint furieux et bouleversa son lit. Le lendemain il se coucha à mon arrivée, et
comme d'habitude s'endormit au bout de quelques minutes ; alors les coups et les grattements
commencèrent ; tout à coup il dit à l'Esprit : Mets-toi là, je vais t'endormir ; et à notre grande
surprise il le magnétisa, et cela malgré la résistance de l'Esprit qui paraissait s'y refuser, à ce
que je crus comprendre d'après la conversation qu'ils avaient ensemble ; puis il le réveilla en
le dégageant comme aurait pu le faire un magnétiseur exercé. Je m'aperçus alors qu'il semblait
ramasser son fluide en un tas, puis il me le lança en m'apostrophant et en m'injuriant. Quand il
se réveille, il n'a aucun souvenir de ce qui s'est passé.

- 64 -
« Les faits, loin de se calmer, s'aggravent chaque jour d'une manière affligeante par
l'exaspération de l'Esprit, qui craint sans doute de perdre l'empire qu'il a pris sur ce jeune
homme ; j'ai voulu lui demander son nom et ses antécédents, mais je n'ai obtenu que
mensonges et blasphèmes. Je dois dire ici que quand il parle, c'est par la bouche du jeune
homme, qui lui sert de médium parlant. J'ai vainement cherché à le ramener à de meilleurs
sentiments par de bonnes paroles ; il me répond que la prière ne peut rien sur lui ; qu'il a
essayé de monter vers Dieu, mais qu'il n'a trouvé que glaces et brouillards ; alors il me traite
de bigot, et quand je prie mentalement, je remarque toujours qu'il devient furieux et frappe à
coups redoublés. Tous les jours il apporte des objets assez volumineux, du fer, du cuivre, etc.
Quand je lui demande où il va les chercher, il répond qu'il les prend à des gens qui ne sont pas
honnêtes. Si je lui fais de la morale, il se met en fureur. Un soir il me dit que tant que je
viendrais il casserait tout, et qu'il ne s'en irait pas avant Pâques, puis il me cracha au visage.
Lui ayant demandé pourquoi il s'attachait ainsi au fils R…, il répondit : Si ce n'était pas lui, ce
serait un autre. Le père lui-même n'est pas exempt des atteintes de cet Esprit malfaisant ;
souvent il est arrêté dans son travail, parce qu'il est frappé, tiré par ses habits en tous sens, et
même piqué jusqu'au sang.
« J'ai fait ce que j'ai pu, mais je suis à bout de ressources ; j'ajoute qu'il est d'autant plus
difficile d'obtenir de bons résultats, que M. et Mme R…, malgré leur désir d'en être délivré,
car il a été cause pour eux d'un véritable préjudice, étant obligés de travailler pour vivre, ne
me secondent pas, leur foi en Dieu n'ayant pas une grande consistance. »
Nous avons omis une foule de détails qui ne feraient que corroborer ceux que nous avons
rapportés ; toutefois nous en avons dit assez pour montrer qu'on peut dire de cet Esprit,
comme de certains malfaiteurs, qu'il est de la pire espèce.
Dans la séance de la Société, du 9 novembre dernier, les questions suivantes furent adressées
à saint Louis à ce sujet :
1. Auriez-vous la bonté de nous dire quelque chose sur l'Esprit qui obsède le jeune R… ? - R.
L'intelligence de ce jeune homme est des plus faibles, et quand l'Esprit s'empare de lui, il est
alors dans une hallucination complète, d'autant mieux que son corps est plongé dans le
sommeil. La raison ne peut donc rien sur son cerveau, et alors il est livré à l'obsession de cet
Esprit turbulent.
2. Un Esprit relativement supérieur peut-il exercer sur un autre Esprit une action magnétique
et paralyser ses facultés ? - R. Un bon Esprit ne peut quelque chose sur un autre que
moralement, mais non physiquement. Pour paralyser par le fluide magnétique, il faut agir sur
la matière, et l'Esprit n'est pas une matière semblable à un corps humain.
3. Comment se fait-il alors que le jeune R… prétende magnétiser l'Esprit et l'endormir ? - R. Il
le croit, et l'Esprit se prête à l'illusion.
4. Le père désire savoir s'il n'y aurait pas moyen de se débarrasser de cet hôte importun, et si
son fils sera encore longtemps soumis à cette épreuve ? - R. Quand ce jeune homme est
réveillé, il faudrait, avec lui, évoquer de bons Esprits, afin de le mettre en rapport avec eux, et,
par ce moyen, écarter les mauvais qui l'obsèdent pendant son sommeil.
5. Pourrions-nous agir d'ici en évoquant, par exemple, cet Esprit pour le moraliser, ou peut-
être l'Esprit même du jeune homme ? - R. Ce n'est guère possible à présent : ils sont tous deux
trop matériels ; il faut agir directement sur le corps de l'être vivant, par la présence des bons
Esprits qui viendront vers lui.
6. Nous ne comprenons pas bien cette réponse. - R. Je dis qu'il faut appeler le concours de
bons Esprits qui pourront rendre le jeune homme moins accessible aux impressions du
mauvais Esprit.
7. Que pouvons-nous faire pour lui ? - R. Le mauvais Esprit qui l'obsède ne s'en ira pas
facilement, n'étant fortement repoussé par personne. Vos prières, vos évocations sont une
arme faible contre lui ; il faudrait agir directement et matériellement sur le sujet qu'il
tourmente. Vous pouvez prier, car la prière est toujours bonne ; mais vous n'arriverez pas par

- 65 -
vous-mêmes, si vous n'êtes secondés par ceux qui y sont le plus intéressés, c'est-à-dire par le
père et la mère ; malheureusement, ils n'ont pas cette foi en Dieu qui centuple les forces, et
Dieu n'écoute pas ceux qui ne s'adressent pas à lui avec confiance. Ils ne peuvent donc se
plaindre d'un mal qu'ils ne font rien pour éviter.
8. Comment concilier la sujétion de ce jeune homme sous l'empire de cet Esprit, avec
l'autorité qu'il exerce sur lui, puisqu'il commande et que l'Esprit obéit ? - R. L'esprit de ce
jeune homme est peu avancé moralement, mais il l'est plus qu'on ne le croit en intelligence.
Dans d'autres existences il a abusé de son intelligence qui n'était pas dirigée vers un but
moral, mais, au contraire, par des vues ambitieuses ; il est maintenant en punition dans un
corps qui ne lui permet pas de donner un libre cours à son intelligence, et le mauvais Esprit
profite de sa faiblesse ; il se laisse commander pour des choses sans conséquence, parce qu'il
le sait incapable de lui ordonner des choses sérieuses : il l'amuse. La terre fourmille d'Esprits
qui sont en punition dans des corps humains, c'est pourquoi il y a tant de maux de toutes
sortes.
Remarque. L'observation vient à l'appui de cette explication. Pendant son sommeil, l'enfant
montre une intelligence incontestablement supérieure à celle de l'état normal, ce qui prouve
un développement antérieur, mais réduit à l'état latent sous cette enveloppe grossière ; ce n'est
que dans les moments d'émancipation de l'âme, dans ceux où elle ne subit plus autant
l'influence de la matière, que son intelligence se déploie, et c'est aussi le moment où il exerce
une espèce d'autorité sur l'être qui le subjugue ; mais rendu à l'état de veille, ses facultés
s'annihilent sous l'enveloppe matérielle qui la comprime. N'est-ce pas là un enseignement
moral pratique ?
On témoigne le désir d'évoquer cet Esprit, mais aucun des médiums présents ne se soucie de
lui servir d'interprète. Mlle Eugénie, qui avait aussi montré de la répugnance, saisit tout à
coup le crayon par un mouvement involontaire, et écrivit :
1. Tu ne veux pas ? Eh bien ! tu écriras. Oh ! tu crois que je ne te dompterai pas ; si fait. Me
voici ; mais tu ne t'effraies guère ; je te ferai voir mes forces.
Nota. Ici l'Esprit fait frapper au médium un grand coup de poing sur la table, et casse
plusieurs crayons.
2. Puisque vous êtes ici, dites-nous pour quelle raison vous vous êtes attaché au fils de M.
R… ? - R. Il faudrait, je crois, vous faire des confidences ! D'abord, sachez que j'ai un besoin
très grand de tourmenter quelqu'un.
Un médium qui serait raisonnable me repousserait ; je m'attache à un idiot qui ne m'oppose
aucune résistance.
3. Nota. Quelqu'un fait la réflexion que, malgré cet acte de lâcheté, cet Esprit ne manque pas
d'intelligence. Il répond sans qu'il lui soit adressé de question directe :
Un peu ; je ne suis pas si bête que vous croyez.
4. Qu'étiez-vous de votre vivant ? - R. Pas grand chose ; un homme qui a fait plus de mal que
de bien, et qui est d'autant plus puni.
5. Puisque vous êtes puni pour avoir fait du mal, vous devriez comprendre la nécessité de
faire du bien. Est-ce que vous ne voulez pas chercher à vous améliorer ? - R. Si vous vouliez
m'aider, je perdrais moins de temps.
6. Nous ne demandons pas mieux, mais il faut que vous en ayez la volonté ; priez avec nous,
cela vous aidera. - R. (Ici l'Esprit fait une réponse blasphématoire).
7. Assez ! nous ne voulons pas en entendre davantage ; nous espérions éveiller en vous
quelques bons sentiments, c'est dans ce but que nous vous avons appelé ; mais puisque vous
ne répondez à notre bienveillance que par de vilaines paroles, vous pouvez vous retirer. - R.
Ah ! là s'arrête votre charité ! parce j'ai pu un peu résister, je vois que cette charité s'arrête
court : c'est que vous ne valez pas mieux. Oui, vous pourriez me moraliser mieux que vous ne
pensez si vous saviez vous y prendre ; d'abord dans l'intérêt de l'idiot qui en souffre, du père
qui ne s'en effraie que trop, puis du mien si cela vous plaît.

- 66 -
8. Dites-nous votre nom, afin que nous puissions désigner. - R. Oh ! mon nom vous importe
peu ; appelez-moi si vous voulez l'Esprit du jeune idiot.
9. Si nous avons voulu vous faire cesser, c'est parce que vous avez dit une parole sacrilège. -
R. Ah ! ah ! monsieur a été choqué ! Pour savoir ce qu'il y a dans la boue, il faut la remuer.
10. Quelqu'un dit : Cette figure est digne de l'Esprit : elle est ignoble. - R. Vous voulez du
poétique, jeune homme ? en voici : Pour connaître l'odeur de la rose il faut la sentir.
11. Puisque vous avez dit que nous pouvions vous aider à vous améliorer, un de ces messieurs
s'offre de vous instruire ; voulez-vous aller avec lui quand il vous évoquera ? - R. Il faut
d'abord que je voie s'il me convient. (Après quelques instants de réflexion il ajoute :) Oui,
j'irai.
12. Pourquoi le fils de M. R… se mettait-il en fureur quand M. L… voulait le magnétiser ? -
R. Ce n'est pas lui qui était en colère, c'était moi.
13. Pourquoi cela ? - R. Je n'ai aucun pouvoir sur cet homme qui m'est supérieur, c'est
pourquoi je ne puis le sentir. Il veut m'arracher celui que je tiens sous ma dépendance, et c'est
ce que je ne veux pas.
14. Vous devez voir autour de vous des Esprits qui sont plus heureux que vous ; savez-vous
pourquoi ? - R. Oui, je le sais ; ils sont meilleurs que moi.
15. Comprenez-vous alors que si, au lieu de faire le mal, vous faisiez le bien, vous seriez
heureux comme eux ? - R. Je ne demanderais pas mieux ; mais c'est difficile de faire le bien.
16. C'est peut-être difficile pour vous, mais ce n'est pas impossible. Comprenez-vous que la
prière peut avoir une grande influence pour votre amélioration ? - R. Je ne dis pas non ; j'y
réfléchirai. Appelez-moi quelquefois.
Remarque. Cet Esprit, comme on le voit, n'a pas démenti son caractère ; cependant il s'est
montré moins récalcitrant sur la fin, ce qui prouve qu'il n'est pas tout à fait inaccessible au
raisonnement. Il y a donc chez lui de la ressource, mais il faudrait pour le dominer
entièrement un concours de volontés qui n'existe pas. Ceci doit être un enseignement pour les
personnes qui pourraient se trouver dans un cas analogue.
Cet Esprit est sans doute très mauvais, et appartient au bas-fond du monde Spirite ; mais on
peut dire qu'il est brutalement mauvais, et chez de pareils êtres il y a plus de ressources que
chez ceux qui sont hypocrites ; ils sont à coup sûr beaucoup moins dangereux que les Esprits
fascinateurs qui, à l'aide d'une certaine dose d'intelligence et d'un faux semblant de vertu,
savent inspirer à certaines personnes une aveugle confiance dans leurs paroles ; confiance
dont tôt ou tard elles sont victimes, car ces Esprits n'agissent jamais en vue du bien : ils ont
toujours une arrière-pensée. Le Livre des Médiums aura pour résultat, nous l'espérons, de
mettre en garde contre leurs suggestions, ce dont, assurément, ils ne nous sauront pas bon
gré ; mais, comme on le pense bien, nous nous inquiétons tout aussi peu de leur mauvais
vouloir, que de celui des Esprits incarnés qu'ils exciteront contre nous. Les mauvais Esprits,
pas plus que les hommes, ne voient avec plaisir ceux qui, en démasquant leurs turpitudes, leur
ôtent les moyens de nuire.

- 67 -
Revue spirite 1862

Épidémie démoniaque en Savoie

Les journaux ont parlé, il y a quelque temps, d'une monomanie épidémique qui s'est déclarée
dans une partie de la Haute-Savoie, et contre laquelle ont échoué tous les secours de la
médecine et de la religion. Le seul moyen qui ait produit des résultats un peu satisfaisants,
c'est la dispersion des individus dans différentes villes. Nous recevons à ce sujet la lettre
suivante du capitaine B…, membre de la Société spirite de Paris, en ce moment à Annecy.
Annecy, 7 mars 1862.
« Monsieur le président,
« Pensant me rendre utile à la Société, j'ai l'honneur de vous envoyer une brochure que m'a
remise un de mes amis, M. le docteur Caille, chargé par le ministre de suivre l'enquête faite
par M. Constant, inspecteur des maisons d'aliénés, sur les cas très nombreux de démonomanie
observés dans la commune de Morzines, arrondissement de Thonon (Haute-Savoie). Cette
malheureuse population est encore aujourd'hui sous l'influence de l'obsession, malgré les
exorcismes, les traitements médicaux, les mesures prises par l'autorité, l'internement dans les
hôpitaux du département ; les cas ont un peu diminué, mais non cessé, et le mal existe pour
ainsi dire à l'état latent. Le curé, voulant exorciser ces malheureux, pour la plupart enfants, les
avait fait amener à l'église, conduits par des hommes vigoureux. A peine avait-il prononcé les
premières paroles latines, qu'une scène épouvantable se produisit : cris, bonds furieux,
convulsions, etc., à tel point qu'on dut envoyer quérir la gendarmerie et une compagnie
d'infanterie pour mettre le bon ordre.
« Je n'ai pu me procurer tous les renseignements que je voudrais pouvoir vous donner dès
aujourd'hui, mais ces faits me semblent assez graves pour mériter votre examen. M. le docteur
aliéniste Arthaud, de Lyon, a lu un rapport à la Société médicale de cette ville, rapport qui est
imprimé dans la Gazette médicale de Lyon, et que vous pourrez vous procurer par votre
correspondant. Nous avons, dans l'hôpital de cette ville, deux femmes de Morzines qui sont en
traitement. M. le docteur Caille conclut à une affection nerveuse épidémique qui échappe à
toute espèce de traitement et d'exorcisme ; l'isolement seul a produit de bons résultats. Tous
ces malheureux obsédés prononcent dans leurs crises des paroles ordurières ; ils font des
bonds prodigieux par-dessus les tables, grimpent sur les arbres, sur les toits, et prophétisent
quelquefois.
« Si ces faits se sont présentés au seizième et au dix-septième siècle, dans les couvents et dans
les pays de labour, il n'en est pas moins vrai que dans notre dix-neuvième siècle ils nous
offrent, à nous Spirites, un sujet d'étude au point de vue de l'obsession épidémique, se
généralisant et persistant pendant des années, puisqu'il y a près de cinq ans que le premier cas
a été observé.
« J'aurai l'honneur de vous envoyer tous les documents et renseignements que je pourrai me
procurer.
« Agréez, etc. « B… »
Les deux communications suivantes nous ont été données à ce sujet, dans la Société de Paris,
par nos Esprits habituels.
« Ce ne sont pas des médecins, mais des magnétiseurs, des spiritualistes ou des spirites qu'il
faudrait envoyer pour dissiper la légion des mauvais Esprits égarés dans votre planète. Je dis
égarés, car ils ne feront que passer. Mais longtemps la malheureuse population, souillée par
leur contact impur, souffrira dans son moral et dans son corps. Où est le remède ? demandez-
vous. Il surgira du mal, car les hommes, effrayés par ces manifestations, accueilleront avec
transport le contact bienfaisant des bons Esprits qui leur succéderont comme l'aube succède à
la nuit. Cette pauvre population, ignorante de tout travail intellectuel, aurait méconnu les
communications intelligentes des Esprits, ou plutôt ne les aurait pas même perçues.

- 68 -
L'initiation et les maux qu'entraîne cette tourbe impure ouvrent les yeux fermés, et les
désordres, les actes de démence, ne sont que le prélude de l'initiation, car tous doivent
participer à la grande lumière spirite. Ne vous récriez pas sur la cruelle façon de procéder :
tout a un but, et les souffrances doivent féconder comme font les orages qui détruisent la
moisson d'un pays, tandis qu'ils fertilisent d'autres contrées.
GEORGES (Médium, madame Costel).
« Les cas de démonomanie qui se produisent aujourd'hui en Savoie se produisent également
dans beaucoup d'autres contrées, notamment en Allemagne, mais plus principalement en
Orient. Ce fait anomal est plus caractéristique que vous ne le pensez. En effet, il révèle pour
l'observateur attentif une situation analogue à celle qui s'est manifestée dans les dernières
années du paganisme. Personne n'ignore que lorsque Christ, notre maître bien-aimé, s'incarna
en Judée sous les traits du charpentier Jésus, cette contrée avait été envahie par des légions de
mauvais Esprits qui s'emparaient, par la possession, comme aujourd'hui, des classes sociales
les plus ignorantes, des Esprits incarnés les plus faibles et les moins avancés, en un mot, des
individus qui gardaient les troupeaux ou qui vaquaient aux occupations de la vie des champs.
N'apercevez-vous pas une analogie très grande entre la reproduction de ces phénomènes
identiques de possession ? Ah ! il y a là un enseignement bien profond ! et vous devez en
conclure que les temps prédits approchent de plus en plus, et que le Fils de l'homme reviendra
bientôt chasser de nouveau cette tourbe d'Esprits impurs qui se sont abattus sur la terre, et
raviver la foi chrétienne en donnant sa haute et divine sanction aux révélations consolantes et
aux enseignements régénérateurs du Spiritisme. Pour en revenir aux cas actuels de
démonomanie, il faut se rappeler, que les savants, que les médecins du siècle d'Auguste
traitèrent, suivant les procédés hippocratiques, les malheureux possédés de la Palestine, et que
toute leur science se brisa devant cette puissance inconnue. Eh bien ! aujourd'hui encore, tous
vos inspecteurs d'épidémies, tous vos aliénistes les plus distingués, savants docteurs en
matérialisme pur, échoueront de même devant cette maladie toute morale, devant cette
épidémie toute spirituelle. Mais qu'importe ! mes amis, vous que la grâce nouvelle a touchés,
vous savez combien ces maux passagers sont guérissables par ceux qui ont la foi. Espérez
donc, attendez avec confiance la venue de Celui qui a déjà racheté l'humanité ; l'heure est
proche ; l'Esprit précurseur est incarné déjà ; à bientôt donc l'épanouissement complet de cette
doctrine qui a pris pour devise : « Hors de la charité, pas de salut ! »
ÉRASTE (Médium, M. d'Ambel).
De ce qui précède, il faudrait conclure qu'il ne s'agit point ici d'une affection organique, mais
bien d'une influence occulte. Nous avons d'autant moins de peine à le croire, que nous avons
eu de nombreux cas identiques isolés dus à cette même cause ; et ce qui le prouve, c'est que
les moyens enseignés par le Spiritisme ont suffi pour faire cesser l'obsession. Il est démontré
par l'expérience que les Esprits malveillants agissent non seulement sur la pensée, mais aussi
sur le corps, avec lequel ils s'identifient, et dont ils se servent comme si c'était le leur ; qu'ils
provoquent des actes ridicules, des cris, des mouvements désordonnés ayant toutes les
apparences de la folie ou de la monomanie. On en trouvera l'explication dans notre Livre des
Médiums, au chapitre de l'Obsession, et dans un prochain article nous citerons plusieurs faits
qui le démontrent d'une manière incontestable. C'est bien, en effet, une sorte de folie,
puisqu'on peut donner ce nom à tout état anomal où l'esprit n'agit pas librement ; à ce point de
vue, l'ivresse est une véritable folie accidentelle.
Il faut donc distinguer la folie pathologique de la folie obsessionnelle. La première est
produite par un désordre dans les organes de la manifestation de la pensée. Remarquons que,
dans cet état de choses, ce n'est pas l'Esprit qui est fou ; il conserve la plénitude de ses
facultés, ainsi que le démontre l'observation ; seulement, l'instrument dont il se sert pour se
manifester étant désorganisé, la pensée, ou plutôt l'expression de la pensée est incohérente.
Dans la folie obsessionnelle, il n'y a pas de lésion organique ; c'est l'Esprit lui-même qui est
affecté par la subjugation d'un Esprit étranger qui le domine et le maîtrise. Dans le premier

- 69 -
cas, il faut essayer de guérir l'organe malade ; dans le second, il suffit de délivrer l'Esprit
malade d'un hôte importun, afin de lui rendre sa liberté. Les cas semblables sont très
fréquents, et l'on a souvent pris pour de la folie ce qui n'était en réalité qu'une obsession, pour
laquelle il fallait employer des moyens moraux et non des douches. Par les traitements
physiques, et surtout par le contact des véritables aliénés, on a souvent déterminé une vraie
folie là où elle n'existait pas.
Le Spiritisme, qui ouvre des horizons nouveaux à toutes les sciences, vient donc aussi éclairer
la question si obscure des maladies mentales, en signalant une cause dont, jusqu'à ce jour, on
n'avait tenu aucun compte ; cause réelle, évidente, prouvée par l'expérience, et dont on
reconnaîtra plus tard la vérité. Mais comment faire admettre cette cause par ceux qui sont tout
prêts à envoyer aux Petites-Maisons quiconque a la faiblesse de croire que nous avons une
âme, que cette âme joue un rôle dans les fonctions vitales, qu'elle survit au corps et peut agir
sur les vivants ? Dieu merci ! et pour le bien de l'humanité, les idées spirites font plus de
progrès parmi les médecins qu'on ne pouvait l'espérer, et tout fait prévoir que, dans un avenir
peu éloigné, la médecine sortira enfin de l'ornière matérialiste.
Les cas isolés d'obsession physique ou de subjugation étant avérés, on comprend que,
semblable à une nuée de sauterelles, une troupe de mauvais Esprits peut s'abattre sur un
certain nombre d'individus, s'en emparer et produire une sorte d'épidémie morale.
L'ignorance, la faiblesse des facultés, le défaut de culture intellectuelle, leur donnent
naturellement plus de prise ; c'est pourquoi ils sévissent de préférence sur certaines classes,
quoique les personnes intelligentes et instruites n'en soient pas toujours exemptes. C'est
probablement, comme le dit Éraste, une épidémie de ce genre qui régnait du temps du Christ,
et dont il est si souvent parlé dans l'Évangile. Mais pourquoi sa parole seule suffisait-elle pour
chasser ce que l'on appelait alors des démons ? Cela prouve que le mal ne pouvait être guéri
que par une influence morale ; or, qui peut nier l'influence morale du Christ ? Cependant,
dira-t-on, on a employé l'exorcisme, qui est un remède moral, et il n'a rien produit ? S'il n'a
rien produit, c'est que le remède ne vaut rien, et qu'il en faut chercher un autre ; cela est
évident. Étudiez le Spiritisme, et vous en comprendrez la raison. Le Spiritisme seul, en
signalant la véritable cause du mal, peut donner les moyens de combattre les fléaux de cette
nature. Mais quand nous disons de l'étudier, nous entendons qu'il faut le faire sérieusement, et
non dans l'espoir d'y trouver une recette banale à l'usage du premier venu.
Ce qui arrive en Savoie, en appelant l'attention, hâtera probablement le moment où l'on
reconnaîtra la part d'action du monde invisible dans les phénomènes de la nature ; une fois
entrée dans cette voie, la science possédera la clef de bien des mystères, et verra s'abaisser la
plus formidable barrière qui arrête le progrès : le matérialisme, qui rétrécit le cercle de
l'observation, au lieu de l'élargir.

- 70 -
Revue spirite 1862

Etude sur les possédés de Morzines


Les causes de l'obsession et les moyens de la combattre

Les observations que nous avons faites sur l'épidémie qui a sévi et sévit encore sur la
commune de Morzines, dans la Haute-Savoie, ne nous laissent aucun doute sur sa cause ;
mais, pour appuyer notre opinion, il nous faut entrer dans quelques explications préliminaires
qui feront mieux ressortir l'analogie de ce mal avec les cas analogues dont l'origine ne saurait
être douteuse pour quiconque est familiarisé avec les phénomènes spirites et reconnaît l'action
du monde invisible sur l'humanité. Il est nécessaire pour cela de remonter à la source même
du phénomène et d'en suivre la gradation depuis les cas les plus simples, et d'expliquer en
même temps la manière dont il s'opère ; nous en déduirons beaucoup mieux les moyens de
combattre le mal. Quoique nous ayons déjà traité ce sujet dans le Livre des Médiums, au
chapitre de l'obsession, et dans plusieurs articles de cette Revue, nous y ajouterons quelques
considérations nouvelles qui rendront la chose plus facile à concevoir.
Le premier point dont il importe de se pénétrer, c'est de la nature des Esprits au point de vue
moral. Les Esprits n'étant que les âmes des hommes, et les hommes n'étant pas tous bons, il
n'est pas rationnel d'admettre que l'Esprit d'un homme pervers se transforme subitement,
autrement il n'y aurait pas besoin de châtiment dans la vie future. L'expérience vient
confirmer cette théorie ou, pour mieux dire, cette théorie est le fruit de l'expérience. Les
rapports avec le monde invisible nous montrent, en effet, à côté des esprits sublimes de
sagesse et de savoir, d'autres Esprits ignobles ayant encore tous les vices et toutes les passions
de l'humanité. L'âme d'un homme de bien sera, après sa mort, un bon Esprit ; de même un bon
Esprit en s'incarnant fera un homme de bien ; par la même raison un homme pervers, en
mourant, donne au monde invisible un Esprit pervers, et un mauvais Esprit, en s'incarnant, ne
peut faire un homme vertueux, et cela tant que l'Esprit ne se sera pas épuré ou n'aura pas
éprouvé le désir de s'améliorer ; car, une fois entré dans la voie du progrès, il dépouille peu à
peu ses mauvais instincts ; il s'élève graduellement dans la hiérarchie des Esprits, jusqu'à ce
qu'il ait atteint la perfection accessible à tous, Dieu ne pouvant avoir créé des êtres voués au
mal et au malheur pour l'éternité. Ainsi le monde visible et le monde invisible se déversent
incessamment et alternativement l'un dans l'autre, si l'on peut s'exprimer ainsi, et s'alimentent
mutuellement, ou, pour mieux dire, ces deux mondes n'en font en réalité qu'un seul, dans deux
états différents. Cette considération est très importante pour comprendre la solidarité qui
existe entre eux.
La terre étant un monde inférieur, c'est-à-dire peu avancé, il en résulte que l'immense majorité
des Esprits qui le peuplent, soit à l'état errant, soit comme incarnés, doit se composer d'Esprits
imparfaits qui produisent plus de mal que de bien ; de là la prédominance du mal sur la terre ;
or, la Terre étant en même temps un monde d'expiation, c'est le contact du mal qui rend les
hommes malheureux ; car si tous les hommes étaient bons, tous seraient heureux. C'est un état
où n'est point encore arrivé notre globe, et c'est vers cet état que Dieu veut le conduire. Toutes
les tribulations que les hommes de bien éprouvent ici-bas, soit de la part des hommes, soit de
celle des Esprits, sont la conséquence de cet état d'infériorité. On pourrait dire que la Terre est
le Botany-Bay des mondes : on y rencontre la sauvagerie primitive et la civilisation, la
criminalité et l'expiation.
Il faut donc se représenter le monde invisible comme formant une population innombrable,
compacte, pour ainsi dire, qui enveloppe la Terre et s'agite dans l'espace. C'est une sorte
d'atmosphère morale dont les Esprits incarnés occupent les bas-fonds, et s'y agitent comme

- 71 -
dans la vase. Or, de même que l'air des lieux bas est lourd et malsain, cet air moral est aussi
malsain, car il est corrompu par les miasmes des Esprits impurs ; il faut pour y résister des
tempéraments moraux doués d'une grande vigueur.
Disons, comme parenthèse, que cet état de choses est inhérent aux mondes inférieurs ; mais
ces mondes suivent la loi du progrès, et quand ils ont atteint l'âge voulu, Dieu les assainit en
en expulsant les Esprits imparfaits, qui ne s'y réincarnent plus et sont remplacés par des
Esprits plus avancés, qui font régner entre eux le bonheur, la justice et la paix. C'est une
révolution de ce genre qui se prépare en ce moment.
Examinons maintenant le mode réciproque d'action des Esprits incarnés et désincarnés.
Nous savons que les Esprits sont revêtus d'une enveloppe vaporeuse formant pour eux un
véritable corps fluidique, auquel nous donnons le nom de périsprit, et dont les éléments sont
puisés dans le fluide universel ou cosmique, principe de toutes choses. Lorsque l'Esprit s'unit
à un corps, il y existe avec son périsprit, qui sert de lien entre l'Esprit proprement dit et la
matière corporelle ; c'est l'intermédiaire des sensations perçues par l'Esprit. Mais ce périsprit
n'est pas confiné dans le corps comme dans une boîte ; par sa nature fluidique, il rayonne au
dehors et forme autour du corps une sorte d'atmosphère, comme la vapeur qui s'en dégage.
Mais la vapeur qui se dégage d'un corps malsain est également malsaine, âcre et nauséabonde,
ce qui infecte l'air des lieux où sont rassemblées beaucoup de personnes malsaines. De même
que cette vapeur est imprégnée des qualités du corps, le périsprit est imprégné des qualités,
c'est-à-dire de la pensée de l'Esprit, et fait rayonner ces qualités autour du corps.
Ici une autre parenthèse pour répondre immédiatement à une objection que quelques-uns
opposent à la théorie que le Spiritisme donne de l'état de l'âme ; ils l'accusent de matérialiser
l'âme, tandis que, selon la religion, l'âme est purement immatérielle. Cette objection, comme
la plupart de celles qu'on fait, proviennent d'une étude incomplète et superficielle. Le
Spiritisme n'a jamais défini la nature de l'âme, qui échappe à nos investigations ; il ne dit
point que le périsprit constitue l'âme : le mot périsprit dit positivement le contraire, puisqu'il
spécifie une enveloppe autour de l'Esprit. Que dit le Livre des Esprits à ce sujet ? « Il y a en
l'homme trois choses : l'âme, ou Esprit, principe intelligent ; le corps, enveloppe matérielle ;
le périsprit, enveloppe fluidique semi-matérielle, servant de lien entre l'Esprit et le corps. »
De ce qu'à la mort du corps l'âme conserve l'enveloppe fluidique, ce n'est pas à dire que cette
enveloppe et l'âme soient une seule et même chose, pas plus que le corps ne fait qu'un avec
l'habit, pas plus que l'âme ne fait qu'un avec le corps. La doctrine spirite n'ôte donc rien à
l'immatérialité de l'âme, seulement elle lui donne deux enveloppes au lieu d'une pendant la vie
corporelle, et une après la mort du corps, ce qui est, non une hypothèse, mais un résultat
d'observation, et à l'aide de cette enveloppe elle en fait mieux concevoir l'individualité et
explique mieux son action sur la matière.
Revenons à notre sujet.
Le périsprit, par sa nature fluidique, est essentiellement mobile, élastique, si l'on peut
s'exprimer ainsi ; comme agent direct de l'Esprit, il est mis en action et projette des rayons par
la volonté de l'Esprit ; par ces rayons il sert à la transmission de la pensée, parce qu'il est en
quelque sorte animé par la pensée de l'Esprit. Le périsprit étant le lien qui unit l'Esprit au
corps, c'est par cet intermédiaire que l'Esprit transmet aux organes, non la vie végétative, mais
les mouvements qui sont l'expression de sa volonté ; c'est aussi par cet intermédiaire que les
sensations du corps sont transmises à l'Esprit. Le corps solide détruit par la mort, l'Esprit
n'agit plus et ne perçoit plus que par son corps fluidique, ou périsprit, c'est pourquoi il agit
plus facilement et perçoit mieux, le corps étant une entrave. Tout ceci est encore un résultat
d'observation.
Supposons maintenant deux personnes près l'une de l'autre, enveloppées chacune de leur
atmosphère périspritale, - qu'on nous passe encore ce néologisme. - Ces deux fluides vont se
mettre en contact, se pénétrer l'un l'autre ; s'ils sont de nature antipathique, ils se repousseront,
et les deux individus éprouveront une sorte de malaise à l'approche l'un de l'autre, sans s'en

- 72 -
rendre compte ; sont-ils au contraire mus par un sentiment bon et bienveillant, ils porteront
avec eux une pensée bienveillante qui attire. Telle est la cause pour laquelle deux personnes
se comprennent et se devinent sans se parler. Un certain je ne sais quoi dit souvent que la
personne qu'on a devant soi doit être animée de tel ou tel sentiment ; or, ce je ne sais quoi,
c'est l'expansion du fluide périsprital de la personne en contact avec le nôtre, sorte de fil
électrique, conducteur de la pensée. On comprend dès lors que les Esprits, dont l'enveloppe
fluidique est bien plus libre qu'à l'état d'incarnation, n'ont plus besoin de sons articulés pour
s'entendre.
Le fluide périsprital de l'incarné est donc mis en action par l'Esprit ; si, par sa volonté, l'Esprit
darde pour ainsi dire des rayons sur un autre individu, ces rayons le pénètrent ; de là l'action
magnétique plus ou moins puissante selon la volonté, plus ou moins bienfaisante selon que
ces rayons sont d'une nature plus ou moins bonne, plus ou moins vivifiante ; car, par leur
action, ils peuvent pénétrer les organes, et, dans certains cas, rétablir l'état normal. On sait
quelle est l'influence des qualités morales chez le magnétiseur.
Ce que peut faire l'Esprit incarné en dardant son propre fluide sur un individu, un Esprit
désincarné peut le faire également, puisqu'il a le même fluide, c'est-à-dire qu'il peut
magnétiser, et, selon qu'il est bon ou mauvais, son action sera bienfaisante ou malfaisante.
On se rend compte facilement ainsi de la nature des impressions que l'on reçoit selon les
milieux où l'on se trouve. Si une assemblée est composée de personnes animées de mauvais
sentiments, elles remplissent l'air ambiant du fluide imprégné de leurs pensées ; de là, pour les
âmes bonnes, un malaise moral analogue au malaise physique causé par les exhalaisons
méphitiques : l'âme est asphyxiée. Les personnes, au contraire, ont-elles des intentions pures,
on se trouve dans leur atmosphère comme dans un air vivifiant et salubre. L'effet sera
naturellement le même dans un milieu rempli d'Esprits selon qu'ils sont bons ou mauvais.
Ceci étant bien compris, nous arrivons sans difficulté à l'action matérielle des Esprits errants
sur les Esprits incarnés, et de là à l'explication de la médiumnité.
Un Esprit veut-il agir sur un individu, il s'en approche et l'enveloppe pour ainsi dire de son
périsprit comme d'un manteau ; les fluides se pénétrant, les deux pensées et les deux volontés
se confondent, et l'Esprit peut alors se servir de ce corps comme du sien propre, le faire agir
selon sa volonté, parler, écrire, dessiner, etc. ; tels sont les médiums. Si l'Esprit est bon, son
action est douce, bienfaisante, il ne fait faire que de bonnes choses ; est-il mauvais, il en fait
faire de mauvaises ; est-il pervers et méchant, il l'étreint comme dans un filet, paralyse jusqu'à
sa volonté, son jugement même, qu'il étouffe sous son fluide, comme on étouffe le feu sous
une couche d'eau ; le fait penser, parler, agir par lui, le pousse malgré lui à des actes
extravagants ou ridicules, en un mot il le magnétise, le cataleptise moralement, et l'individu
devient un instrument aveugle de ses volontés. Telle est la cause de l'obsession, de la
fascination et de la subjugation qui se montrent à des degrés d'intensité très divers. C'est le
paroxysme de la subjugation, que l'on appelle vulgairement possession. Il est à remarquer que,
dans cet état, l'individu a très souvent la conscience que ce qu'il fait est ridicule, mais il est
contraint de le faire, comme si un homme plus vigoureux que lui faisait mouvoir contre son
gré ses bras, ses jambes et sa langue. En voici un exemple curieux.
Dans une petite réunion de Bordeaux, au milieu d'une évocation, le médium, jeune homme
d'un caractère doux et d'une parfaite urbanité, se met tout à coup à frapper sur la table, se lève,
les yeux menaçants, montrant les poings aux assistants, leur disant les plus grossières injures,
et voulant leur jeter l'encrier à la tête. Cette scène, d'autant plus effrayante qu'on était loin de
s'y attendre, dura environ dix minutes, après lesquelles le jeune homme reprit son calme
habituel, s'excusant de ce qui venait de se passer, en disant qu'il savait très bien avoir fait et
dit des choses inconvenantes, mais qu'il n'avait pu s'en empêcher. Le fait nous ayant été
rapporté, nous en demandâmes l'explication dans une séance de la Société de Paris, et il nous
fut répondu que l'Esprit qui l'avait provoqué était plutôt farceur que mauvais, et qu'il avait
voulu simplement s'amuser de la frayeur des assistants. Ce qui prouve la vérité de cette

- 73 -
explication, c'est que le fait ne s'est pas renouvelé, et que le médium n'en continua pas moins à
recevoir d'excellentes communications comme par le passé. Il est bon de dire ce qui avait
probablement excité la verve de cet Esprit loustic. Un ancien chef d'orchestre du théâtre de
Bordeaux, M. Beck, avait éprouvé, pendant plusieurs années avant sa mort, un singulier
phénomène. Chaque soir en sortant du théâtre, il lui semblait qu'un homme lui sautait sur le
dos, se mettait à califourchon sur ses épaules, et s'y cramponnait jusqu'à ce qu'il fût arrivé à la
porte de chez lui ; là, le prétendu individu sautait à terre, et M. Beck se trouvait débarrassé.
Dans cette réunion, on voulut évoquer M. Beck pour lui demander une explication ; c'est alors
que l'Esprit farceur trouva plaisant de se substituer à lui et de faire jouer une scène diabolique
au médium, en qui il trouva sans doute les dispositions fluidiques nécessaires pour le
seconder.
Ce qui n'a été qu'accidentel dans cette circonstance prend quelquefois un caractère de
permanence quand l'Esprit est mauvais, car l'individu devient pour lui une véritable victime à
laquelle il peut donner l'apparence d'une véritable folie. Nous disons apparence, car la folie
proprement dite résulte toujours d'une altération des organes cérébraux, tandis que, dans ce
cas, les organes sont aussi intacts que ceux du jeune homme dont nous venons de parler ; il
n'y a donc pas folie réelle, mais folie apparente contre laquelle les remèdes de la thérapeutique
sont impuissants, ainsi que le prouve l'expérience ; bien plus, ils peuvent produire ce qui
n'existe pas. Les maisons d'aliénés contiennent beaucoup de malades de ce genre auxquels le
contact des autres aliénés ne peut être que très préjudiciable, car cet état dénote toujours une
certaine faiblesse morale. A côté de toutes les variétés de folies pathologiques, il convient
donc d'ajouter la folie obsessionnelle, qui requiert des moyens spéciaux ; mais comment un
médecin matérialiste pourra-t-il jamais faire cette différence, ou même l'admettre ?
Bravo ! vont s'écrier nos adversaires ; on ne peut pas mieux démontrer les dangers du
Spiritisme, et nous avons bien raison de le défendre.
Un instant ; ce que nous avons dit prouve précisément son utilité.
Croyez-vous que les mauvais Esprits, qui pullulent au milieu de l'humanité, ont attendu qu'on
les appelât pour exercer leur influence pernicieuse ? Puisque les Esprits ont existé de tout
temps, de tout temps aussi ils ont joué le même rôle, parce que ce rôle est dans la nature, et la
preuve en est dans le grand nombre de personnes obsédées, ou possédées, si vous le voulez,
avant qu'il ne fût question des Esprits, ou qui, de nos jours, n'ont jamais entendu parler de
Spiritisme ni de médiums. L'action des Esprits, bons ou mauvais, est donc spontanée ; celle
des mauvais produit une foule de perturbations dans l'économie morale et même physique
que, par ignorance de la cause véritable, on attribuait à des causes erronées. Les mauvais
Esprits sont des ennemis invisibles d'autant plus dangereux qu'on ne soupçonnait pas leur
action. Le Spiritisme, en les mettant à découvert, vient révéler une nouvelle cause à certains
maux de l'humanité ; la cause connue, on ne cherchera plus à combattre le mal par des
moyens que l'on sait désormais inutiles, on en cherchera de plus efficaces. Or, qui est-ce qui a
fait découvrir cette cause ? La médiumnité ; c'est par la médiumnité que ces ennemis occultes
ont trahi leur présence ; elle a fait pour eux ce que le microscope a fait pour les infiniment
petits : elle a révélé tout un monde. Le Spiritisme n'a point attiré les mauvais Esprits ; il les a
dévoilés, et a donné les moyens de paralyser leur action, et par conséquent de les éloigner. Il
n'a donc point apporté le mal, puisque le mal existait de tout temps ; il apporte au contraire le
remède au mal en en montrant la cause. Une fois l'action du monde invisible reconnue, on
aura la clef d'une foule de phénomènes incompris, et la science, enrichie de cette nouvelle loi,
verra s'ouvrir devant elle de nouveaux horizons. Quand y arrivera-t-elle ? Quand elle ne
professera plus le matérialisme, car le matérialisme l'arrête dans son essor et lui pose une
barrière infranchissable.
Avant de parler du remède, expliquons un fait qui embarrasse beaucoup de Spirites, dans les
cas d'obsession simple surtout, c'est-à-dire dans ceux, très fréquents, où un médium ne peut se
débarrasser d'un mauvais Esprit qui se communique obstinément à lui par l'écriture ou

- 74 -
l'audition ; celui, non moins fréquent, où, au milieu d'une bonne communication, un Esprit
vient s'immiscer pour dire de mauvaises choses. On se demande alors si les mauvais Esprits
sont plus puissants que les bons.
Reportons-nous à ce que nous avons dit en commençant de la manière dont agit l'Esprit, et
représentons-nous un médium enveloppé, pénétré par le fluide périsprital d'un mauvais
Esprit ; pour que celui d'un bon puisse agir sur le médium, il faut qu'il pénètre cette
enveloppe, et l'on sait que la lumière pénètre difficilement un épais brouillard. Selon le degré
de l'obsession, ce brouillard sera permanent, tenace ou intermittent, et par conséquent plus ou
moins facile à dissiper.
Notre correspondant de Parme, M. Superchi, nous a envoyé deux dessins faits par un médium
voyant, qui représentent parfaitement cette situation. Dans l'un on voit la main du médium
écrivant environnée d'un nuage obscur, image du fluide périsprital des mauvais Esprits,
traversé par un rayon lumineux allant éclairer la main ; c'est le bon fluide qui la dirige et
s'oppose à l'action du mauvais. Dans l'autre, la main est dans l'ombre ; la lumière est autour du
brouillard, qu'elle ne peut pénétrer. Ce que ce dessin borne à la main doit s'entendre de toute
la personne.
Reste toujours la question de savoir si le bon Esprit est moins puissant que le mauvais. Ce
n'est pas le bon Esprit qui est plus faible, c'est le médium qui n'est pas assez fort pour secouer
le manteau qu'on a jeté sur lui, pour se dégager de l'étreinte des bras qui l'enlacent et dans
lesquels, il faut bien le dire, quelquefois il se complaît. Dans ce cas, on comprend que le bon
Esprit ne puisse avoir le dessus, puisqu'on lui en préfère un autre. Admettons maintenant le
désir de se débarrasser de cette enveloppe fluidique dont la sienne est pénétrée, comme un
vêtement est pénétré par l'humidité, le désir ne suffira pas, la volonté même ne suffit pas
toujours.
Il s'agit de lutter contre un adversaire ; or, quand deux hommes luttent corps à corps, c'est
celui qui a les muscles les plus forts qui terrasse l'autre. Avec un Esprit il faut lutter, non corps
à corps, mais d'Esprit à Esprit, et c'est encore le plus fort qui l'emporte ; ici, la force est dans
l'autorité que l'on peut prendre sur l'Esprit, et cette autorité est subordonnée à la supériorité
morale. La supériorité morale est comme le soleil, qui dissipe le brouillard par la puissance de
ses rayons. S'efforcer d'être bon, de devenir meilleur si l'on est déjà bon, se purifier de ses
imperfections, en un mot, s'élever moralement le plus possible, tel est le moyen d'acquérir le
pouvoir de commander aux Esprits inférieurs pour les écarter, autrement ils se moquent de
vos injonctions. (Livre des Médiums, nos 252 et 279.)
Cependant, dira-t-on, pourquoi les Esprits protecteurs ne leur enjoignent-ils pas de se retirer ?
Sans doute ils le peuvent et le font quelquefois ; mais, en permettant la lutte, ils laissent aussi
le mérite de la victoire ; s'ils laissent se débattre des personnes méritantes à certains égards,
c'est pour éprouver leur persévérance et leur faire acquérir plus de force dans le bien ; c'est
pour elles une sorte de gymnastique morale.
Voici la réponse que nous avons faite à un colonel d'état-major autrichien, en Hongrie, M.
P…, qui nous consultait sur une affection qu'il attribuait aux mauvais Esprits, s'excusant de
nous donner le titre d'ami, quoiqu'il ne nous connût que de nom :
« Le Spiritisme est le lien fraternel par excellence, et vous avez raison de penser que ceux qui
partagent cette croyance peuvent, sans se connaître, se traiter d'amis ; je vous remercie d'avoir
eu de moi une assez bonne opinion pour me donner ce titre.
« Je suis heureux de trouver en vous un adepte sincère et dévoué de cette consolante doctrine ;
mais par cela même qu'elle est consolante, elle doit donner la force morale et la résignation
pour supporter les épreuves de la vie, qui, le plus souvent, sont des expiations ; la Revue
spirite vous en fournit de nombreux exemples.
« En ce qui concerne la maladie dont vous êtes atteint, je n'y vois pas de preuve évidente de
l'influence de mauvais Esprits qui vous obséderaient. Admettons-le pourtant, par hypothèse ;
il n'y aurait qu'une force morale à opposer à une force morale, et elle ne peut venir que de

- 75 -
vous. Contre un Esprit il faut lutter d'Esprit à Esprit, et c'est l'Esprit le plus fort qui l'emporte.
En pareil cas, il faut donc s'efforcer d'acquérir la plus grande somme possible de supériorité
par la volonté, l'énergie et les qualités morales pour avoir le droit de lui dire : Vade retrò. Si
donc vous avez affaire à l'un d'eux, ce n'est pas avec votre sabre de colonel que vous le
vaincrez, mais avec l'épée de l'ange, c'est-à-dire la vertu et la prière. L'espèce de frayeur et
d'angoisse que vous éprouvez dans ces moments-là est un signe de faiblesse dont l'Esprit
profite. Surmontez cette crainte, et avec la volonté vous y parviendrez. Prenez donc le dessus
résolument, comme vous le faites devant l'ennemi, et croyez-moi votre tout dévoué et
affectionné,
« A. K. »
Certaines personnes préféreraient sans doute une autre recette plus facile pour chasser les
mauvais Esprits : quelques mots à dire ou quelques signes à faire, par exemple, ce qui serait
plus commode que de se corriger de ses défauts. Nous en sommes fâchés, mais nous ne
connaissons aucun procédé plus efficace pour vaincre un ennemi que d'être plus fort que lui.
Quand on est malade, il faut se résigner à prendre une médecine, quelque amère qu'elle soit ;
mais aussi, quand on a eu le courage de boire, comme on se porte bien, et combien l'on est
fort ! Il faut donc bien se persuader qu'il n'y a, pour atteindre ce but, ni paroles sacramentelles,
ni formules, ni talismans, ni signes matériels quelconques. Les mauvais Esprits s'en rient et se
plaisent souvent à en indiquer qu'ils ont toujours soin de dire infaillibles, pour mieux capter la
confiance de ceux qu'ils veulent abuser, parce qu'alors ceux-ci, confiants dans la vertu du
procédé, se livrent sans crainte.
Avant d'espérer dompter le mauvais Esprit, il faut se dompter soi-même. De tous les moyens
d'acquérir la force pour y parvenir, le plus efficace est la volonté secondée par la prière, la
prière de cœur s'entend, et non des paroles auxquelles la bouche a plus de part que la pensée.
Il faut prier son ange gardien et les bons Esprits de nous assister dans la lutte ; mais il ne suffit
pas de leur demander de chasser le mauvais Esprit, il faut se souvenir de cette maxime : Aide-
toi, le ciel t'aidera, et leur demander surtout la force qui nous manque pour vaincre nos
mauvais penchants qui sont pour nous pire que les mauvais Esprits, car ce sont ces penchants
qui les attirent, comme la corruption attire les oiseaux de proie. En priant aussi pour l'Esprit
obsesseur, c'est lui rendre le bien pour le mal, et se montrer meilleur que lui, et c'est déjà une
supériorité. Avec de la persévérance, on finit le plus souvent par le ramener à de meilleurs
sentiments, et de persécuteur en faire un obligé.
En résumé, la prière fervente, et les efforts sérieux pour s'améliorer, sont les seuls moyens
d'éloigner les mauvais Esprits qui reconnaissent leurs maîtres dans ceux qui pratiquent le bien,
tandis que les formules les font rire ; la colère et l'impatience les excitent. Il faut les lasser en
se montrant plus patient qu'eux.
Mais il arrive quelquefois que la subjugation arrive au point de paralyser la volonté de
l'obsédé, et qu'on ne peut attendre de lui aucun concours sérieux. C'est alors surtout que
l'intervention de tiers devient nécessaire, soit par la prière, soit par l'action magnétique ; mais
la puissance de cette intervention dépend aussi de l'ascendant moral que les intervenants
peuvent prendre sur les Esprits ; car s'ils ne valent pas mieux, leur action est stérile. L'action
magnétique, dans ce cas, a pour effet de pénétrer le fluide de l'obsédé d'un fluide meilleur, et
de dégager celui de l'Esprit mauvais ; en opérant, le magnétiseur doit avoir le double but
d'opposer une force morale à une force morale, et de produire sur le sujet une sorte de réaction
chimique, pour nous servir d'une comparaison matérielle, chassant un fluide par un autre
fluide. Par là, non seulement il opère un dégagement salutaire, mais il donne de la force aux
organes affaiblis par une longue et souvent vigoureuse étreinte. On comprend, du reste, que la
puissance de l'action fluidique est en raison, non seulement de l'énergie de la volonté, mais
surtout de la qualité du fluide introduit, et, d'après ce que nous avons dit, que cette qualité
dépend de l'instruction et des qualités morales du magnétiseur ; d'où il suit qu'un magnétiseur
ordinaire qui agirait machinalement pour magnétiser purement et simplement, produirait peu

- 76 -
ou point d'effet ; il faut de toute nécessité un magnétiseur Spirite agissant en connaissance de
cause, avec l'intention de produire, non le somnambulisme ou une guérison organique, mais
les effets que nous venons de décrire. Il est en outre évident qu'une action magnétique dirigée
dans ce sens ne peut être que très utile dans les cas d'obsession ordinaire, parce qu'alors, si le
magnétiseur est secondé par la volonté de l'obsédé, l'Esprit est combattu par deux adversaires
au lieu d'un.
Il faut dire aussi qu'on charge souvent les Esprits étrangers de méfaits dont ils sont très
innocents ; certains états maladifs et certaines aberrations que l'on attribue à une cause
occulte, tiennent simplement parfois à l'Esprit de l'individu lui-même. Les contrariétés, que le
plus ordinairement on concentre en soi-même, les chagrins amoureux surtout, ont fait
commettre bien des actes excentriques qu'on aurait tort de mettre sur le compte de l'obsession.
On est souvent son propre obsesseur.
Ajoutons enfin que certaines obsessions tenaces, surtout chez les personnes méritantes, font
quelquefois partie des épreuves auxquelles elles sont soumises. « Il arrive même parfois que
l'obsession, quand elle est simple, est une tâche imposée à l'obsédé qui doit travailler à
l'amélioration de l'obsesseur, comme un père à celle d'un enfant vicieux. »
Nous renvoyons pour plus de détails au Livre des Médiums.

- 77 -
Revue spirite 1863

Etude sur les possédés de Morzines


Les causes de l'obsession et les moyens de la combattre (Deuxième article)

Dans notre précédent article7, nous avons exposé la manière dont s'exerce l'action des Esprits
sur l'homme, action pour ainsi dire matérielle. Sa cause est tout entière dans le périsprit,
principe non seulement de tous les phénomènes spirites proprement dits, mais d'une foule
d'effets moraux, physiologiques et pathologiques incompris avant la connaissance de cet
agent, dont la découverte, si l'on peut s'exprimer ainsi, ouvrira des horizons nouveaux à la
science quand celle-ci voudra bien reconnaître l'existence du monde invisible.
Le périsprit, comme on l'a vu, joue un rôle important dans tous les phénomènes de la vie ; il
est la source d'une multitude d'affections dont le scalpel cherche en vain la cause dans
l'altération des organes, et contre lesquelles la thérapeutique est impuissante. Par son
expansion, s'expliquent encore les réactions d'individu à individu, les attractions et les
répulsions instinctives, l'action magnétique etc. Chez l'Esprit libre, c'est-à-dire désincarné, il
remplace le corps matériel ; c'est l'agent sensitif, l'organe à l'aide duquel il agit. Par la nature
fluidique et expansive du périsprit, l'Esprit atteint l'individu sur lequel il veut agir, l'entoure,
l'enveloppe, le pénètre et le magnétise. L'homme vivant au milieu du monde invisible est
incessamment soumis à ces influences comme à celles de l'atmosphère qu'il respire, et cette
influence se traduit par des effets moraux et physiologiques dont il ne se rend pas compte, et
qu'il attribue souvent à des causes toutes contraires. Cette influence diffère naturellement
selon les qualités bonnes ou mauvaises de l'Esprit, ainsi que nous l'avons expliqué dans notre
précédent article. Celui-ci est-il bon et bienveillant, l'influence, ou si l'on veut l'impression, est
agréable, salutaire : c'est comme les caresses d'une tendre mère qui enlace son enfant dans ses
bras ; est-il mauvais et malveillant, elle est dure, pénible, anxieuse et parfois malfaisante : elle
n'embrasse pas, elle étreint. Nous vivons dans cet océan fluidique, incessamment en butte à
des courants contraires, que nous attirons, que nous repoussons, ou auxquels nous nous
abandonnons selon nos qualités personnelles, mais au milieu desquels l'homme conserve
toujours son libre arbitre, attribut essentiel de sa nature, en vertu duquel il peut toujours
choisir sa route.
Ceci, comme on le voit, est tout à fait indépendant de la faculté médianimique telle qu'on la
conçoit vulgairement. L'action du monde invisible, étant dans l'ordre des choses naturelles,
s'exerce sur l'homme, abstraction faite de toute connaissance spirite ; on y est soumis comme
on l'est à l'influence de l'électricité atmosphérique sans savoir la physique, comme on est
malade sans savoir la médecine. Or, de même que la physique nous apprend la cause de
certains phénomènes, et celle de la médecine, la cause de certaines maladies, l'étude de la
science spirite nous apprend la cause des phénomènes dus aux influences occultes du monde
invisible, et nous explique ce qui, sans cela, nous paraissait inexplicable. La médiumnité est le
moyen direct d'observation ; le médium — qu'on nous passe cette comparaison — est
l'instrument de laboratoire par lequel l'action du monde invisible se traduit d'une manière
patente ; et, par la facilité qu'il nous donne de répéter les expériences, il nous permet d'étudier
le mode et les diverses nuances de cette action ; c'est de cette étude et de ces observations
qu'est née la science spirite.
Tout individu qui subit d'une manière quelconque l'influence des Esprits est, par cela même,
médium, et c'est à ce titre qu'on peut dire que tout le monde est médium ; mais c'est par la

7 Voy. décembre 1862.


- 78 -
médiumnité effective, consciente et facultative qu'on est arrivé à constater l'existence du
monde invisible, et par la diversité des manifestations obtenues ou provoquées qu'on a pu
s'éclairer sur la qualité des êtres qui le composent, et sur le rôle qu'ils jouent dans la nature ; le
médium a fait pour le monde invisible ce que le microscope a fait pour le monde des
infiniment petits.
C'est donc une nouvelle force, une nouvelle puissance, une nouvelle loi, en un mot, qui nous
est révélée. Il est vraiment inconcevable que l'incrédulité en repousse même l'idée, parce que
cette idée suppose en nous une âme, un principe intelligent survivant au corps. S'il s'agissait
de la découverte d'une substance matérielle et inintelligente, ils l'accepteraient sans difficulté ;
mais une action intelligente en dehors de l'homme, c'est pour eux de la superstition. Si, de
l'observation des faits qui se produisent par la médiumnité, on remonte aux faits généraux, on
peut, par la similitude des effets, conclure à la similitude des causes ; or, c'est en constatant
l'analogie des phénomènes de Morzines avec ceux que la médiumnité met tous les jours sous
nos yeux, que la participation d'Esprits malfaisants nous paraît évidente dans cette
circonstance, et elle ne le sera pas moins pour ceux qui auront médité sur les nombreux cas
isolés rapportés dans la Revue Spirite. Toute la différence est dans le caractère épidémique de
l'affection ; mais l'histoire rapporte plus d'un fait semblable, parmi lesquels figurent ceux des
religieuses de Loudun, des convulsionnaires de Saint-Médard, des camisards des Cévennes et
des possédés du temps du Christ ; ces derniers surtout ont une analogie frappante avec ceux
de Morzines ; et une chose digne de remarque, c'est que partout où ces phénomènes se sont
produits, l'idée qu'ils étaient dus à des Esprits a été la pensée dominante et comme intuitive
chez ceux qui en étaient affectés.
Si l'on veut bien se reporter à notre premier article, à la théorie de l'obsession contenue dans le
Livre des Médiums, et aux faits relatés dans la Revue, on verra que l'action des mauvais Esprits
sur les individus dont ils s'emparent, présente des nuances extrêmement variées d'intensité et de
durée selon le degré de malignité et de perversité de l'Esprit, et aussi selon l'état moral de la
personne qui leur donne un accès plus ou moins facile. Cette action n'est souvent que
temporaire et accidentelle, plus malicieuse et désagréable que dangereuse, comme dans le fait
que nous avons relaté dans notre précédent article. Le fait suivant appartient à cette catégorie.
M. Indermühle, de Berne, membre de la Société Spirite de Paris, nous a raconté que, dans sa
propriété de Zimmerwald, son fermier, homme d'une force herculéenne, se sentit une nuit
saisir par un individu qui le secouait vigoureusement. C'était un cauchemar, dira-t-on ; non,
car cet homme était si bien éveillé qu'il se leva et lutta quelque temps contre celui qui
l'étreignait ; lorsqu'il se sentit libre, il prit son sabre accroché à côté de son lit, et se mit à
sabrer dans l'ombre, mais sans rien atteindre. Il alluma sa chandelle, chercha partout et ne
trouva personne ; la porte était parfaitement close. A peine recouché, le jardinier, qui était
dans la chambre à côté, se mit à appeler au secours en se débattant et en criant qu'on
l'étranglait. Le fermier court chez son voisin, mais, comme chez lui, on ne trouve personne.
Une servante qui couchait dans le même bâtiment avait entendu tout ce tapage. Tous ces gens
effrayés vinrent le lendemain rendre compte à M. Indermühle de ce qui s'était passé. Celui-ci,
après s'être enquis de tous les détails et s'être assuré qu'aucun étranger n'avait pu s'introduire
dans les chambres, fut d'autant plus porté à croire à un mauvais tour de quelque Esprit, que
depuis quelque temps des manifestations physiques non équivoques et de diverse nature se
produisaient dans sa propre maison. Il tranquillisa ses gens et leur dit d'observer avec soin ce
qui se passerait, si pareille chose se renouvelait. Comme il est médium, ainsi que sa femme, il
évoqua l'Esprit perturbateur, qui convint du fait, et s'excusa en disant : « Je voulais vous
parler, parce que je suis malheureux et que j'ai besoin de vos prières ; depuis longtemps je fais
tout ce que je peux pour appeler votre attention ; je frappe chez vous ; je vous ai même tiré
par l'oreille (M. Indermühle se rappela la chose) : rien n'y a fait. Alors j'ai pensé qu'en faisant
la scène de la nuit dernière, vous songeriez à m'appeler ; vous l'avez fait, je suis content ; mais
je vous assure que je n'avais aucune mauvaise intention. Promettez-moi de m'appeler

- 79 -
quelquefois et de prier pour moi. » M. Indermühle lui fit une verte semonce, renouvela
l'entretien, lui fit de la morale qu'il écoutait avec plaisir, pria pour lui, dit à ses gens d'en faire
autant, ce qu'ils firent en gens pieux qu'ils sont, et depuis lors tout est resté dans l'ordre.
Malheureusement tous ne sont pas d'aussi bonne composition ; celui-ci n'était pas mauvais ;
mais il en est dont l'action est tenace, permanente, et peut même avoir des conséquences
fâcheuses pour la santé de l'individu, nous dirons plus : pour ses facultés intellectuelles, si
l'Esprit parvient à subjuguer sa victime au point de neutraliser son libre arbitre, et de la
contraindre à dire et à faire des extravagances. Tel est le cas de la folie obsessionnelle, bien
différente dans ses causes, sinon dans ses effets, de la folie pathologique.
Nous avons vu, dans notre voyage, le jeune obsédé dont il est parlé dans la Revue de janvier
1861 sous le titre de l'Esprit frappeur de l'Aube, et nous avons acquis de la bouche du père et
de témoins oculaires la confirmation de tous les faits. Ce jeune homme a présentement seize
ans ; il est frais, grand, parfaitement constitué, et cependant il se plaint de maux d'estomac et
de faiblesse dans les membres, ce qui, dit-il, l'empêche de travailler. A le voir on peut croire
aisément que la paresse est sa principale maladie, ce qui n'ôte rien à la réalité des phénomènes
qui se sont produits depuis cinq ans, et qui rappellent, à beaucoup d'égards, ceux de
Bergzabern (Revue : mai, juin et juillet 1858). Il n'en est pas ainsi de sa santé morale ; étant
enfant il était très intelligent et apprenait à l'école avec facilité ; depuis lors ses facultés ont
sensiblement faibli. Il est bon d'ajouter que ce n'est que depuis peu que lui et ses parents ont
connaissance du Spiritisme, et encore par ouï-dire et très superficiellement, car ils n'ont
jamais rien lu ; auparavant, jamais ils n'en avaient entendu parler ; on ne saurait donc y voir
une cause provocatrice. Les phénomènes matériels ont à peu près cessé, ou du moins sont plus
rares aujourd'hui, mais l'état moral est le même, ce qui est d'autant plus fâcheux pour les
parents qu'ils ne vivent que de leur travail. On connaît l'influence de la prière en pareil cas ;
mais comme on ne peut rien attendre de l'enfant sous ce rapport, il faudrait le concours des
parents ; ils sont bien persuadés que leur fils est sous une mauvaise influence occulte, mais leur
croyance ne va guère au-delà, et leur foi religieuse est des plus faibles. Nous dîmes au père qu'il
faudrait prier, mais prier sérieusement et avec ferveur. « C'est ce qu'on m'a déjà dit, a-t-il
répondu ; j'ai prié quelquefois, mais ça n'a rien fait. Si je savais qu'en priant une bonne fois
pendant vingt-quatre heures et que ça soit fini, je le ferais bien encore. » On voit par-là de quelle
manière on peut être secondé dans cette circonstance par ceux qui y sont le plus intéressés.
Voici la contre-partie de ce fait, et une preuve de l'efficacité de la prière quand elle est faite
avec le cœur et non avec les lèvres.
Une jeune femme, contrariée dans ses inclinations, avait été unie à un homme avec lequel elle
ne pouvait sympathiser. Le chagrin qu'elle en conçut amena un dérangement dans ses facultés
mentales ; sous l'empire d'une idée fixe elle perdit la raison, et l'on fut obligé de la séquestrer.
Cette dame n'avait jamais entendu parler du Spiritisme ; si elle s'en fût occupée, on n'aurait
pas manqué de dire que les Esprits lui avaient tourné la tête. Le mal provenait donc d'une
cause morale accidentelle toute personnelle, et, en pareil cas, on conçoit que les remèdes
ordinaires ne pouvaient être d'aucun secours ; comme il n'y avait aucune obsession apparente,
on pouvait douter également de l'efficacité de la prière.
Un membre de la Société Spirite de Paris, ami de la famille, crut devoir interroger à son sujet
un Esprit supérieur, qui répondit : « L'idée fixe de cette dame, par sa cause même, attire
autour d'elle une foule d'Esprits mauvais qui l'enveloppent de leur fluide, l'entretiennent dans
ses idées, et empêchent les bonnes influences d'arriver à elle. Les Esprits de cette nature
abondent toujours dans les milieux semblables à celui où elle se trouve, et sont souvent un
obstacle à la guérison des malades. Cependant vous pouvez la guérir, mais il faut pour cela
une puissance morale capable de vaincre la résistance, et cette puissance n'est pas donnée à un
seul. Que cinq ou six spirites sincères se réunissent tous les jours, pendant quelques instants,
et prient avec ferveur Dieu et les bons Esprits de l'assister ; que votre ardente prière soit en
même temps une magnétisation mentale ; vous n'avez pas, pour cela, besoin d'être auprès

- 80 -
d'elle, au contraire ; par la pensée, vous pouvez porter sur elle un courant fluidique salutaire
dont la puissance sera en raison de votre intention et augmentée par le nombre ; par ce moyen,
vous pourrez neutraliser le mauvais fluide qui l'environne. Faites cela ; ayez foi et confiance
en Dieu, et espérez. »
Six personnes se dévouèrent à cette œuvre de charité, et ne faillirent pas un seul jour, pendant
un mois, à la mission qu'elles avaient acceptée. Au bout de quelques jours la malade était
sensiblement plus calme ; quinze jours après, l'amélioration était manifeste, et aujourd'hui
cette femme est rentrée chez elle dans un état parfaitement normal, ignorant encore, ainsi que
son mari, d'où lui est venue sa guérison.
Le mode d'action est ici clairement indiqué, et nous ne saurions rien ajouter de plus précis à
l'explication donnée par l'Esprit. La prière n'a donc pas seulement l'effet d'appeler sur le
patient un secours étranger, mais celui d'exercer une action magnétique. Que ne pourrait donc
pas le magnétisme secondé par la prière ! Malheureusement, certains magnétiseurs font trop, à
l'exemple de beaucoup de médecins, abstraction de l'élément spirituel ; ils ne voient que
l'action mécanique, et se privent ainsi d'un puissant auxiliaire. Nous espérons que les vrais
spirites verront dans ce fait une preuve de plus du bien qu'ils peuvent faire dans une pareille
circonstance.
Une question d'une grande importance se présente naturellement ici : L'exercice de la
médiumnité peut-il provoquer le dérangement de la santé et des facultés mentales ?
Il est à remarquer que cette question ainsi formulée est celle que posent la plupart des
antagonistes du Spiritisme, ou, pour mieux dire, au lieu d'une question, ils formulent le
principe en axiome en affirmant que la médiumnité pousse à la folie ; nous parlons de la folie
réelle et non de celle, plus burlesque que sérieuse, dont on gratifie les adeptes. On concevrait
cette question de la part de celui qui croirait à l'existence des Esprits et à l'action qu'ils
peuvent exercer, parce que, pour eux, c'est quelque chose de réel ; mais pour ceux qui n'y
croient pas, la question est un non-sens, car, s'il n'y a rien, ce rien ne peut pas produire
quelque chose. Cette thèse n'étant pas soutenable, ils se retranchent sur les dangers de la
surexcitation cérébrale que, selon eux, peut causer la seule croyance aux Esprits. Nous ne
reviendrons pas sur ce point déjà traité, mais nous demanderons si l'on a fait le dénombrement
de tous les cerveaux tournés par la peur du diable et les effrayants tableaux des tortures de
l'enfer et de la damnation éternelle, et s'il est plus malsain de croire qu'on a près de soi des
Esprits bons et bienveillants, ses parents, ses amis et son ange gardien, que le démon.
La question formulée de la manière suivante est plus rationnelle et plus sérieuse, dès lors
qu'on admet l'existence et l'action des Esprits : L'exercice de la médiumnité peut-il provoquer
chez un individu l'invasion de mauvais Esprits et ses conséquences ?
Nous n'avons jamais dissimulé les écueils que l'on rencontre dans la médiumnité, c'est
pourquoi nous avons multiplié les instructions à ce sujet dans le Livre des Médiums, et nous
n'avons cessé d'en recommander l'étude préalable avant de se livrer à la pratique ; aussi,
depuis la publication de ce livre, le nombre des obsédés a sensiblement et notoirement
diminué, parce qu'il épargne une expérience que les novices n'acquièrent souvent qu'à leurs
dépens. Nous le disons encore, oui, sans expérience, la médiumnité a des inconvénients dont
le moindre serait d'être mystifié par des Esprits trompeurs ou légers ; faire du Spiritisme
expérimental sans étude, c'est vouloir faire des manipulations chimiques sans savoir la chimie.
Les exemples si nombreux de personnes obsédées et subjuguées de la manière la plus
fâcheuse, sans avoir jamais entendu parler de Spiritisme, prouvent surabondamment que
l'exercice de la médiumnité n'a pas le privilège d'attirer les mauvais Esprits ; bien plus,
l'expérience prouve que c'est un moyen de les écarter, en permettant de les reconnaître.
Toutefois, comme il y en a souvent qui rôdent autour de nous, il peut arriver que, trouvant une
occasion de se manifester, ils en profitent, s'ils rencontrent dans le médium une prédisposition
physique ou morale qui le rende accessible à leur influence ; or, cette prédisposition tient à
l'individu et à des causes personnelles antérieures, et ce n'est pas la médiumnité qui la fait

- 81 -
naître ; on peut dire que l'exercice de la faculté est une occasion et non une cause ; mais si
quelques individus sont dans ce cas, on en voit d'autres qui offrent aux mauvais Esprits une
résistance insurmontable, et auxquels ces derniers ne s'adressent pas. Nous parlons des Esprits
réellement mauvais et malfaisants, les seuls vraiment dangereux, et non des Esprits légers et
moqueurs qui se glissent partout.
La présomption de se croire invulnérable contre les mauvais Esprits a plus d'une fois été punie
d'une manière cruelle, car on ne les brave jamais impunément par l'orgueil ; l'orgueil est la
porte qui leur donne l'accès le plus facile, parce que nul n'offre moins de résistance que
l'orgueilleux quand on le prend par son côté faible. Avant de s'adresser aux Esprits, il convient
donc de se cuirasser contre l'atteinte des mauvais, comme lorsqu'on marche sur un terrain où
l'on craint la morsure des serpents. On y parvient d'abord par l'étude préalable qui indique la
route et les précautions à prendre, puis par la prière ; mais il faut bien se pénétrer de vérité que
le seul préservatif est en soi, dans sa propre force, et jamais dans les choses extérieures, et qu'il
n'y a ni talismans, ni amulettes, ni paroles sacramentelles, ni formules sacrées ou profanes qui
puissent avoir la moindre efficacité si l'on ne possède pas en soi les qualités nécessaires ; c'est
donc ces qualités qu'il faut s'efforcer d'acquérir.
Si l'on était bien pénétré du but essentiel et sérieux du Spiritisme, si l'on se préparait toujours
à l'exercice de la médiumnité par un appel fervent à son ange gardien et à ses Esprits
protecteurs, si l'on s'étudiait soi-même en s'efforçant de se purifier de ses imperfections, les
cas d'obsessions médianimiques seraient encore plus rares ; malheureusement, beaucoup n'y
voient que le fait des manifestations ; non contents des preuves morales qui surabondent
autour d'eux, ils veulent à tout prix se donner la satisfaction de communiquer eux-mêmes avec
les Esprits, en poussant au développement d'une faculté qui souvent n'existe pas en eux,
guidés en cela plus souvent par la curiosité que par le désir sincère de s'améliorer. Il en résulte
qu'au lieu de s'envelopper d'une atmosphère fluidique salutaire, de se couvrir des ailes
protectrices de leurs anges gardiens, de chercher à dompter leurs faiblesses morales, ils
ouvrent à deux battants la porte aux Esprits obsesseurs qui les eussent peut-être tourmentés
d'une autre façon et dans un autre temps, mais qui profitent de l'occasion qui leur est offerte.
Que dire alors de ceux qui se font un jeu des manifestations et n'y voient qu'un sujet de
distraction ou de curiosité, ou qui n'y cherchent que les moyens de satisfaire leur ambition,
leur cupidité ou des intérêts matériels ? C'est dans ce sens qu'on peut dire que l'exercice de la
médiumnité peut provoquer l'invasion des mauvais Esprits. Oui, il est dangereux de jouer
avec ces choses-là. Que de personnes lisent le Livre des Médiums uniquement pour savoir
comment on s'y prend, parce que la recette ou le procédé est la chose qui les intéresse le plus !
Quant au côté moral de la question, c'est l'accessoire. Il ne faut donc pas imputer au
Spiritisme ce qui est le fait de leur imprudence.

L'étude des phénomènes de Morzines n'offrira pour ainsi dire aucune difficulté quand on se
sera bien pénétré des faits particuliers que nous avons cités, et des considérations qu'une étude
attentive a permis d'en déduire. Il nous suffira de les relater pour que chacun en trouve soi-
même l'application par analogie. Les deux faits suivants nous aideront encore à mettre le
lecteur sur la voie. Le premier nous est transmis par M. le docteur Chaigneau, membre
honoraire de la Société de Paris, président de la Société spirite de Saint-Jean d'Angély.
« Une famille s'occupait d'évocations avec une ardeur effrénée, poussée qu'elle était par un
Esprit qui nous fut signalé comme très dangereux ; c'était un de leurs parents, décédé après
une vie peu honorable, terminée par plusieurs années d'aliénation mentale. Sous un nom
d'emprunt, par des épreuves mécaniques surprenantes, de belles promesses et des conseils
d'une moralité sans reproches, il était parvenu à fasciner tellement ces gens trop crédules, qu'il
les soumettait à ses exigences et les contraignait aux actes les plus excentriques. Ne pouvant
plus satisfaire tous ses désirs, ils nous demandèrent conseil, et nous eûmes beaucoup de peine
à les dissuader, et à leur prouver qu'ils avaient affaire à un Esprit de la pire espèce. Nous y

- 82 -
parvînmes cependant, et nous pûmes obtenir d'eux que, pour quelque temps du moins, ils
s'abstiendraient. De ce moment l'obsession prit un autre caractère : l'Esprit s'emparait
complètement du plus jeune enfant, âgé de quatorze ans, le réduisait à l'état de catalepsie, et,
par sa bouche, sollicitait encore des entretiens, donnait des ordres, proférait des menaces.
Nous avons conseillé le mutisme le plus absolu ; il fut rigoureusement observé. Les parents se
livraient à la prière et venaient chercher l'un de nous pour les assister ; le recueillement et la
force de volonté nous en ont toujours rendus maîtres en peu de minutes.
« Aujourd'hui tout est à peu près cessé. Nous espérons que, dans la maison, l'ordre succédera
au désordre. Loin de se dégoûter du Spiritisme, on y croit plus que jamais, mais on y croit
plus sérieusement ; on en comprend maintenant le but et les conséquences morales. Tous
comprennent qu'ils ont reçu une leçon ; quelques-uns une punition, peut-être méritée. »
Cet exemple prouve une fois de plus l'inconvénient de se livrer aux évocations sans
connaissance de cause et sans but sérieux. Grâce aux conseils de l'expérience que ces
personnes ont bien voulu écouter, elles ont pu se débarrasser d'un ennemi peut-être
redoutable.
Il en ressort un autre enseignement non moins important. Aux yeux de gens étrangers à la
science spirite, ce jeune garçon eût passé pour fou ; on n'aurait pas manqué de lui appliquer un
traitement en conséquence, qui eût peut-être développé une folie réelle ; par les soins d'un
médecin spirite, le mal, attaqué dans sa véritable cause, n'a eu aucune suite.
Il n'en a pas été de même dans le fait suivant. Un monsieur de notre connaissance, qui habite
une ville de province assez réfractaire aux idées spirites, fut pris subitement d'une sorte de
délire dans lequel il dit des choses absurdes. Comme il s'occupait de Spiritisme, tout
naturellement il parla des Esprits. Son entourage effrayé, sans approfondir la chose, n'eut
rien de plus pressé que d'appeler des médecins, qui le déclarèrent atteint de folie, à la grande
satisfaction des ennemis du Spiritisme, et l'on parlait déjà de le mettre dans une maison de
santé. Ce que nous avons appris des circonstances de cet événement prouve que ce monsieur
s'est trouvé sous l'empire d'une subjugation subite momentanée, favorisée peut-être par
certaines dispositions physiques. C'est la pensée qui lui vint ; il nous en écrivit, et nous lui
répondîmes dans ce sens ; malheureusement notre lettre ne lui parvint pas à temps, et il n'en
eut connaissance que beaucoup plus tard. « Il est très fâcheux, nous dit-il depuis, que je
n'aie pas reçu votre consolante lettre ; à ce moment elle m'eût fait un bien immense en me
confirmant dans la pensée que j'étais le jouet d'une obsession, ce qui m'eût tranquillisé ;
tandis que j'entendais si souvent répéter autour de moi que j'étais fou, que je finis par le
croire ; cette idée me torturait au point que si cela eût continué, je ne sais ce qui serait
arrivé. » — Un Esprit consulté à ce sujet répondit : « Ce monsieur n'est point fou ; mais, à la
manière dont on s'y prend, il pourrait le devenir ; bien plus, on pourrait le tuer. Le remède à
son mal est dans le Spiritisme même, et on le prend à contre-sens. » — Dem. Pourrait-on agir
sur lui d'ici ? — Rép. — Oui, sans doute ; vous pouvez lui faire du bien, mais votre action est
paralysée par le mauvais vouloir de ceux qui l'entourent.
Des cas analogues se sont présentés à toutes les époques, et l'on a enfermé plus d'un fou qui
ne l'était pas du tout.
Un observateur expérimenté sur ces matières peut seul les apprécier, et comme il se trouve
aujourd'hui beaucoup de médecins spirites, il est utile d'avoir recours à eux en pareille
circonstance. L'obsession sera un jour rangée parmi les causes pathologiques, comme l'est
aujourd'hui l'action des animalcules microscopiques dont on ne soupçonnait pas l'existence
avant l'invention du microscope ; mais alors on reconnaîtra que ce n'est ni par les douches ni
par les saignées qu'on peut les guérir. Le médecin qui n'admet et ne cherche que les causes
purement matérielles, est aussi impropre à comprendre et à traiter ces sortes d'affections qu'un
aveugle l'est de discerner les couleurs.
Le second fait nous est rapporté par un de nos correspondants de Boulogne-sur-Mer.

- 83 -
« La femme d'un marin de cette ville, âgée de quarante-cinq ans, est depuis quinze ans sous
l'empire d'une triste subjugation. Presque chaque nuit, sans même en excepter ses moments de
grossesse, vers le milieu de la nuit, elle est réveillée, et aussitôt elle est prise de tremblements
dans les membres, comme s'ils étaient agités par une pile galvanique, elle a l'estomac étreint
comme dans un cercle de fer, et brûlé comme par un fer rouge ; le cerveau est dans un état
d'exaltation furieuse, et elle se sent jetée hors de son lit, puis, quelquefois, à moitié habillée,
elle est poussée hors de sa maison et forcée de courir la campagne ; elle marche sans savoir où
elle va pendant deux ou trois heures, et ce n'est que quand elle peut s'arrêter qu'elle reconnaît
l'endroit où elle se trouve. Elle ne peut prier Dieu, et, dès qu'elle se met à genoux pour le faire,
ses idées sont de suite traversées par des choses bizarres et parfois même sales. Elle ne peut
entrer dans aucune église ; elle en a bonne envie et un grand désir ; mais, lorsqu'elle arrive à la
porte, elle sent comme une barrière qui l'arrête. Quatre hommes ont cherché à la faire entrer
dans l'église des Rédemptoristes, et n'ont pu y parvenir ; elle criait qu'on la tuait, qu'on lui
écrasait la poitrine.
« Pour se soustraire à cette terrible position, cette pauvre femme a essayé plusieurs fois de
s'ôter la vie sans pouvoir y parvenir. Elle a pris du café dans lequel elle avait fait infuser des
allumettes chimiques ; elle a bu de l'eau de javel, et en a été quitte pour des souffrances ; elle
s'est jetée deux fois à l'eau, et chaque fois elle a surnagé à la surface jusqu'à ce qu'on soit venu
la secourir. Hors les moments de crise dont j'ai parlé, cette femme a tout son bon sens, et
encore, dans ces moments elle a parfaitement conscience de ce qu'elle fait, et de la force
extérieure qui agit sur elle. Tout son voisinage dit qu'elle a été frappée par un maléfice ou un
sort. »
Le fait de subjugation ne saurait être mieux caractérisé que dans ces phénomènes qui, bien
certainement, ne peuvent être l'œuvre que d'un Esprit de la pire espèce. Dira-t-on que c'est le
Spiritisme qui l'a attiré vers elle, ou qui lui a troublé le cerveau ? Mais il y a quinze ans il n'en
était pas question ; et d'ailleurs, cette femme n'est point folle, et ce qu'elle éprouve n'est pas
une illusion.
La médecine ordinaire ne verra dans ces symptômes qu'une de ces affections auxquelles elle
donne le nom de névrose, et dont la cause est encore pour elle un mystère. Cette affection est
réelle, mais à tout effet il y a une cause ; or, quelle est la cause première ? Là est le problème
sur la voie duquel peut mettre le Spiritisme en démontrant un nouvel agent dans le périsprit, et
l'action du monde invisible sur le monde visible. Nous ne généralisons point, et reconnaissons
que, dans certains cas, la cause peut être purement matérielle, mais il en est d'autres où
l'intervention d'une intelligence occulte est évidente, puisqu'en combattant cette intelligence
on arrête le mal, tandis qu'en n'attaquant que la cause matérielle présumée, on ne produit rien.
Il y a un trait caractéristique chez les Esprits pervers, c'est leur aversion pour tout ce qui tient
à la religion. La plupart des médiums, non obsédés, qui ont eu des communications d'Esprits
mauvais, ont maintes fois vu ceux-ci blasphémer contre les choses les plus sacrées, se rire de
la prière ou la repousser, s'irriter même quand on leur parle de Dieu. Chez le médium
subjugué, l'Esprit, empruntant en quelque sorte le corps d'un tiers pour agir, exprime ses
pensées, non plus par l'écriture, mais par les gestes et les paroles qu'il provoque chez le
médium ; or, comme tout phénomène spirite ne peut se produire sans une aptitude
médianimique, on peut dire que la femme dont on vient de parler est un médium spontané,
inconscient et involontaire. L'impossibilité où elle s'est trouvée de prier et d'entrer à l'église
vient de la répulsion de l'Esprit qui s'en est emparé, sachant que la prière est un moyen de lui
faire lâcher prise. Au lieu d'une personne, supposez-en, dans une même localité, dix, vingt,
trente et plus en cet état, et vous aurez la reproduction de ce qui s'est passé à Morzines.
Si ce qu'on appelle la possession de Morzines n'est que temporaire, c'est qu'elle tient à une
cause accidentelle. M. Constant dit que ses observations ne lui ont révélé aucune cause
surnaturelle ; mais lui, qui ne croit qu'à des causes matérielles, est-il apte à juger des effets
qui résulteraient de l'action d'une puissance extra-matérielle ? a-t-il étudié les effets de cette

- 84 -
puissance ? Sait-il en quoi ils consistent? à quels symptômes on peut les reconnaître ? Non, et
dès lors il se les figure tout autres qu'ils ne sont, croyant sans doute qu'ils consistent en
miracles et en apparitions fantastiques. Ces symptômes, il les a vus, il les a décrits dans son
mémoire, mais n'admettant pas de cause occulte, il l'a cherchée ailleurs, dans le monde
matériel, où il ne l'a pas trouvée. Les malades se disaient tourmentés par des êtres invisibles,
mais comme il n'a vu ni lutins ni farfadets, il en a conclu que les malades étaient fous, et ce
qui le confirmait dans cette idée, c'est que ces malades disaient parfois des choses notoirement
absurdes, même aux yeux du plus ferme croyant aux Esprits ; mais pour lui tout devait être
absurde. Il devrait pourtant savoir, lui médecin, qu'au milieu même des divagations de la folie,
il se trouve parfois des révélations de la vérité. Ces malheureux, dit-il, et les habitants en
général, sont imbus d'idées superstitieuses ; mais qu'y a-t-il là d'étonnant dans une population
rurale, ignorante et isolée au milieu des montagnes ? Quoi encore de plus naturel que ces
gens, terrifiés par ces phénomènes étranges, les aient amplifiés? Et parce qu'à leurs récits il
s'est mêlé des faits et des appréciations ridicules, partant de son point de vue, il en a conclu
que tout devait être ridicule, sans compter qu'aux yeux de quiconque n'admet pas l'action du
monde invisible, tous les effets résultant de cette action sont relégués parmi les croyances
superstitieuses. A l'appui de cette dernière thèse il insiste beaucoup sur un fait raconté dans le
temps par les journaux, sur le récit sans doute de quelque imagination effrayée, exaltée ou
malade, et selon lequel certains malades grimpaient avec l'agilité des chats sur des arbres de
quarante mètres, marchaient sur les branches sans les faire plier, se posaient sur la cime
flexible les pieds en l'air, et redescendaient ainsi la tête en bas sans se faire aucun mal. Il
discute longuement pour prouver l'impossibilité de la chose, et démontrer que, selon la
direction du rayon visuel, l'arbre signalé ne pouvait être aperçu des maisons d'où l'on disait
avoir vu le fait. Tant de peine était inutile, car dans le pays on nous a dit que le fait n'était pas
vrai, et se réduisait à un jeune garçon qui, en effet, avait grimpé sur un arbre d'une taille
ordinaire, mais sans faire aucun tour d'équilibriste.

Nous empruntons au rapport de M. Arthaud, médecin en chef des Aliénés de Lyon, les
observations suivantes :
« Ces enfants parlent la langue française pendant leurs crises avec une facilité étonnante,
même celles qui, hors de là, n'en savent que quelques mots.
« Ces enfants, une fois dans leurs crises, perdent complètement toute réserve envers qui que
ce soit ; elles perdent aussi complètement toute affection de famille.
« La réponse est toujours si prompte et si facile, qu'on dirait qu'elle vient au-devant de
l'interrogation ; cette réponse est toujours ad rem, excepté quand le parleur répond par des
bêtises, par des insultes ou un refus affecté.
« Pendant la crise, le pouls reste calme, et, dans la plus grande fureur, le personnage a l'air de
se posséder, comme quelqu'un qui appellerait la colère à son commandement, sans ressembler
aux personnes exaltées ou prises d'un accès de fièvre.
« Nous avons remarqué pendant les crises une insolence inouïe qui passe toute expression,
dans des enfants qui, hors de là, sont douces et timides.
« Pendant la crise, il y a dans toutes ces enfants un caractère d'impiété permanent porté au
delà de toutes les limites, dirigé contre tout ce qui rappelle Dieu, les mystères de la religion,
Marie, les saints, les sacrements, la prière, etc. ; le caractère dominant de ces moments
affreux, c'est la haine de Dieu et de tout ce qui s'y rapporte.
« Il nous est bien constaté que ces enfants révèlent des choses qui arrivent au loin, ainsi que
des faits passés dont elles n'avaient aucune connaissance ; elles ont aussi révélé à plusieurs
personnes leurs pensées.
« Elles annoncent quelquefois le commencement, la durée et la fin des crises, ce qu'elles
feront plus tard et ce qu'elles ne feront pas.

- 85 -
« Nous savons qu'elles ont donné des réponses exactes à des questions adressées en langues à
elles inconnues, allemand, latin, etc.
« Ces enfants ont, dans l'état de crise, une force qui n'est pas proportionnée à leur âge,
puisqu'il faut trois ou quatre hommes pour tenir, pendant les exorcismes, des petites filles de
dix ans.
« Il est à remarquer que, pendant la crise, les enfants ne se font aucun mal, ni par les
contorsions qui semblent de nature à disloquer leurs membres, ni par les chutes qu'elles font,
ni par les coups qu'elles se donnent en frappant avec violence.
« Il y a toujours invariablement dans leurs réponses, la distinction de plusieurs personnages :
la fille et lui, le démon et le damné.
« Hors de la crise, ces enfants n'ont aucun souvenir de ce quelles ont dit ou de ce qu'elles ont
fait ; soit que la crise ait duré même toute une journée, soit qu'elles aient fait des ouvrages
prolongés ou des commissions données dans l'état de crise.
« Pour conclure nous dirons :
« Que notre impression à nous est que tout cela est surnaturel, dans la cause et dans les effets ;
d'après les règles de la saine logique, et d'après tout ce que la théologie, l'histoire
ecclésiastique et l'Evangile nous enseignent et nous racontent,
« Nous déclarons que, selon nous, il y a une véritable possession du démon.
« En foi de quoi, Signé : ***.
« Morzines, 5 octobre 1857. »
Voici comment M. Constant décrit l'état de crise des malades, d'après ses propres
observations :
« Au milieu du calme le plus complet, rarement la nuit, il survient tout à coup des bâillements,
des pandiculations, quelques tressaillements, de petits mouvements saccadés et d'aspect
choréique dans les bras ; peu à peu, et dans un très court espace de temps, comme par l'effet
de décharges successives, ces mouvements deviennent plus rapides, ensuite plus amples, et ne
paraissent bientôt plus qu'une exagération des mouvements physiologiques ; la pupille se
dilate et se resserre tour à tour, et les yeux participent aux mouvements généraux.
« A ce moment, les malades, dont l'aspect avait d'abord paru exprimer la frayeur, entrent dans
un état de fureur qui va toujours croissant, comme si l'idée qui les domine produisait deux
effets presque simultanés : de la dépression et de l'excitation tout aussitôt.
« Elles frappent sur les meubles avec force et vivacité, commencent à parler, ou plutôt à
vociférer ; ce qu'elles disent toutes à peu près, quand on ne les surexcite pas par des questions,
se réduit à ces mots indéfiniment répétés : « S… nom ! s… ch… gne ! s… rouge ! » (Elles
appellent rouges ceux à la piété desquels elles ne croient pas.) Quelques-unes ajoutent des
jurements.
« Si près d'elles ne se trouve aucun spectateur étranger ; s'il ne leur est pas fait de questions,
elles répètent sans cesse la même chose sans rien ajouter ; si c'est le contraire, elles répondent
à ce que dit le spectateur, et même aux pensées qu'elles lui prêtent, aux objections qu'elles
prévoient, mais sans s'écarter de leur idée dominante, en y rapportant tout ce qu'elles disent.
Ainsi c'est souvent : « Ah ! tu crois, b… d'incrédule, que nous sommes folles, que nous
n'avons qu'un mal d'imagination ! Nous sommes des damnées, s… n… de D… ! Nous
sommes des diables de l'enfer ! »
« Et comme c'est toujours un diable qui parle par leur bouche, le prétendu diable raconte
quelquefois ce qu'il faisait sur la terre, ce qu'il a fait depuis en enfer, etc.
« Devant moi elles ajoutaient invariablement :
« Ce ne sont pas tes s… médecins qui nous guériront ! Nous nous f… bien de tes médecines !
Tu peux bien les faire prendre à la fille, elles la tourmenteront, elles la feront souffrir ; mais à
nous, elles ne nous feront rien, car nous sommes des diables ! Ce sont de saints prêtres, des
évêques qu'il nous faut, etc. »

- 86 -
« Ce qui ne les empêche point d'insulter les prêtres quand il s'en présente, sous prétexte qu'ils
ne sont pas assez saints pour avoir action sur les démons. Devant le maire, des magistrats,
c'était toujours la même idée, mais avec d'autres paroles.
« A mesure qu'elles parlent, toujours avec la même véhémence, toute leur physionomie n'a
d'autre caractère que celui de la fureur. Quelquefois le cou se gonfle, la face s'injecte ; chez
d'autres, elle pâlit, tout comme il arrive aux personnes ordinaires qui, selon leur constitution,
rougissent ou pâlissent pendant un violent accès de colère ; les lèvres sont souvent souillées
de salive, ce qui a fait dire que les malades écumaient.
« Les mouvements, bornés d'abord aux parties supérieures, gagnent successivement le tronc et
les membres intérieurs ; la respiration devient haletante ; les malades redoublent de fureur,
deviennent agressives, déplacent les meubles et lancent chaises, tabourets, tout ce qui leur
tombe sous la main, sur les assistants ; se précipitent sur eux pour les frapper, aussi bien leurs
parents que les étrangers ; se jettent à terre, toujours continuant les même cris ; se roulent,
frappent les mains sur le sol, se frappent elles-mêmes sur la poitrine, le ventre, sur la partie
antérieure du cou, et cherchent à arracher quelque chose qui semble les gêner en ce point.
Elles se tournent et se retournent d'un bond ; j'en ai vu deux qui, se relevant comme par la
détente d'un ressort, se renversaient en arrière, de telle façon que leur tête reposait sur le sol
en même temps que leurs pieds.
« Cette crise dure plus ou moins, dix, vingt minutes, une demi-heure, selon la cause qui l'a
provoquée. Si c'est la présence d'un étranger, d'un prêtre surtout, il est très rare qu'elle finisse
avant que la personne se soit éloignée ; dans ce cas les mouvements convulsifs ne sont
cependant pas continus ; après avoir été très violents, ils s'affaiblissent et s'arrêtent pour
recommencer immédiatement, comme si la force nerveuse épuisée prenait un moment de
repos pour se réparer.
« Pendant la crise, le pouls, les battements du cœur, ne sont nullement accélérés, c'est même
le plus ordinairement le contraire : le pouls se concentre, devient petit, lent, et les extrémités
se refroidissent ; malgré la violence de l'agitation, les coups furieux frappés de tous côtés, les
mains restent glacées.
« Contrairement à ce qui s'est vu souvent dans des cas analogues, aucune idée érotique ne se
mêle ou ne paraît s'ajouter à l'idée démoniaque ; j'ai même été frappé de cette particularité,
parce qu'elle est commune à toutes les malades : aucune ne dit le moindre mot ou ne fait le
moindre geste obscène : dans leurs mouvements les plus désordonnés, jamais elles ne se
découvrent, et si leurs vêtements se relèvent un peu quand elles se roulent à terre, il est très
rare qu'elles ne les rabattent presque aussitôt.
« Il ne paraît point qu'il y ait ici lésion de la sensibilité génitale ; aussi il n'a jamais été question
d'incubes, de succubes ou de scènes du sabbat ; toutes les malades appartiennent, comme
démonomanes, au second des quatre groupes indiqués par M. Macario ; quelques-unes
entendent la voix des diables, beaucoup plus généralement ils parlent par leur bouche.
« Après le grand désordre, les mouvements deviennent peu à peu moins rapides ; quelques
gaz s'échappent par la bouche, et la crise est finie. La malade regarde autour d'elle d'un air un
peu étonné, arrange ses cheveux, ramasse et replace son bonnet, boit quelques gorgées d'eau,
et reprend son ouvrage, si elle en tenait un quand la crise a commencé ; presque toutes disent
n'éprouver aucune lassitude et ne pas se souvenir de ce qu'elles ont dit ou fait.
« Cette dernière assertion n'est pas toujours sincère ; j'en ai surpris quelques-unes se
souvenant très bien, seulement elles ajoutaient : « Je sais bien qu'il (le diable) a dit ou fait
telle chose, mais ce n'est pas moi ; si ma bouche a parlé, si mes mains ont frappé, c'était LUI
qui les faisait parler et frapper ; j'aurais bien voulu rester tranquille, mais IL est plus fort que
moi. »
« Cette description est celle de l'état le plus fréquent ; mais entre les extrêmes, il existe
plusieurs degrés, depuis la malade qui n'a que des crises de douleurs gastralgiques, jusqu'à
celle qui arrive au dernier paroxysme de la fureur. Cette réserve faite, je n'ai trouvé, sur toutes

- 87 -
les malades que j'ai visitées, de différences dignes d'être notées que chez quelques-unes
seulement.
« L'une, la nommée Jeanne Br…, quarante-huit ans, non mariée, très vieille hystérique, sent
des bêtes qui ne sont autres que des diables qui lui courent sur la figure et la piquent.
« La femme Nicolas B…, âgée-de trente-huit ans, malade depuis trois ans, aboie pendant ses
crises ; elle attribue sa maladie à un verre de vin qu'elle a bu en compagnie d'un de ceux qui
donnent le mal.
« Jeanne G…, âgée de trente-sept ans, non mariée, est celle dont les crises diffèrent le plus.
Elle n'a point de ces mouvements cloniques généraux qui se voient chez toutes les autres, et
elle ne parle presque jamais. Dès qu'elle sent venir sa crise, elle va s'asseoir et se met à
balancer la tête d'arrière en avant ; les mouvements, lents et peu étendus d'abord, vont
toujours s'accélérant, et finissent par faire parcourir à la tête, avec une incroyable rapidité, un
arc de cercle de plus en plus étendu, jusqu'à ce qu'elle vienne alternativement et régulièrement
frapper le dos et la poitrine. Par intervalles le mouvement s'arrête un instant, et les muscles
contractés maintiennent la tête fixée dans la position où elle se trouvait au moment du temps
d'arrêt, sans qu'il soit possible, même avec des efforts, de la redresser ou de la fléchir.
« Victoire V…, âgée de vingt ans, devint malade l'une des premières, à l'âge de seize ans. Son
père raconte ainsi ce qu'elle a éprouvé :
« Elle n'avait jamais rien ressenti, quand le mal la prit un jour à la messe ; pendant les deux ou
trois premiers jours, elle ne faisait que sauter un peu. Un jour elle m'apportait mon dîner à la
cure où je travaillais, l'Angélus sonna comme elle arrivait sur le pont ; elle se mit aussitôt à
sauter, et se jeta par terre en criant et en gesticulant, jurant après le sonneur. Le curé de
Montriond se trouva là par hasard, elle l'injuria, l'appela s… ch… de Montriond. M. le curé de
Morzines vint aussi près d'elle au moment où la crise finissait, mais elle recommença aussitôt,
parce qu'il lui fit un signe de croix sur le front. On l'avait exorcisée souvent, mais voyant que
rien ne la guérissait, pas plus les exorcismes qu'autre chose, je la conduisis à Genève chez M.
Lafontaine (le magnétiseur) ; elle y est restée un mois, et est revenue bien guérie : elle a été
tranquille près de trois ans.
« Il y a six semaines elle a été reprise, mais elle n'avait plus de crise ; elle ne voulait voir
personne et s'enfermait à la maison ; elle ne mangeait que quand j'avais quelque chose de bon
à lui donner, autrement elle ne pouvait avaler. Elle ne pouvait se tenir sur ses jambes, ni à
peine remuer les bras ; j'ai essayé plusieurs fois de la mettre debout, mais elle ne se sentait
pas, et tombait dès que je ne la tenais plus. Je me suis décidé à la reconduire chez M.
Lafontaine ; je ne savais comment l'emmener ; elle me dit : « Quand je serai sur la commune
de Montriond, je marcherai bien. » Aidé d'un de mes voisins, nous l'avons portée plutôt
qu'elle n'a marché jusqu'à Montriond. Mais aussitôt de l'autre côté du pont, elle a marché toute
seule et ne se plaignit plus que d'un goût horrible dans la bouche. Après deux séances chez
M. Lafontaine, elle était mieux, et maintenant elle est placée comme domestique. »
« Il a été généralement remarqué, dit M. Constant, que dès qu'elles sont hors de la commune,
les malades n'ont que très rarement des crises.
« Un jour, le maire, qui m'accompagnait, fut surpris par une malade et violemment frappé
avec une pierre au visage ; presque au même instant une autre malade se précipitait sur lui,
armée d'un gros morceau de bois, pour le frapper aussi ; voyant venir celle-ci, il lui présenta le
bout aigu de son bâton ferré, la menaçant de l'en percer si elle avançait ; elle s'arrêta, laissa
tomber son morceau de bois et se contenta de dire des injures.
« Malgré les courses, les sauts, les mouvements violents et désordonnés des malades, malgré
les coups qu'elles se donnent, leurs terreurs ou leurs divagations, on ne cite point de tentative
de suicide ou d'accident grave arrivé à aucune d'entre elles ; elles ne perdent donc point toute
conscience, l'instinct de conservation au moins subsiste.
« Si, au commencement d'une crise, une femme tient son enfant dans ses bras, il arrive
souvent qu'un diable moins méchant que celui qui va la travailler lui dise : « Laisse cet

- 88 -
enfant, il (l'autre diable) lui ferait du mal. » Il en est de même quelquefois quand elles
tiennent un couteau ou tout autre instrument susceptible d'occasionner une blessure.
« Les hommes ont subi comme les femmes l'influence de la croyance qui les déprime tous à
divers degrés, mais chez eux les effets ont été moindres et assez différents. Il en est en effet
qui ressentent absolument les mêmes douleurs que les femmes ; comme elles, ils ont des
suffocations, éprouvent un sentiment de strangulation et accusent la sensation de la boule
hystérique, mais aucun n'est allé jusqu'aux convulsions ; et s'il y a eu quelques rares exemples
d'accidents convulsifs, ils peuvent presque toujours être attribués à un état morbide antérieur
et différent. L'unique représentant du sexe masculin qui paraisse avoir eu réellement des crises
de la même nature que celles des filles, est le jeune T… Ce sont généralement les jeunes filles
de quinze à vingt-cinq ans qui ont été atteintes ; dans l'autre sexe, au contraire, à l'exception
de cet enfant T…, ce ne sont à peu près, dans la mesure que je viens de dire, que des hommes
d'un âge mûr, auxquels les vicissitudes de la vie ont bien pu apporter d'autres préoccupations
préexistantes, ou à ajouter à celles causées par la maladie. »
Après avoir discuté la plupart des faits extraordinaires racontés au sujet des malades de
Morzines, et essayé de prouver l'état de dégénérescence physique et morale des habitants par
suite d'affections héréditaires, M. Constant ajoute :
« Il faut donc se tenir pour bien assuré que tout ce qui s'est dit à Morzines, une fois ramené à
la vérité, se trouve considérablement réduit ; chacun a fait son conte et a voulu surpasser les
autres conteurs. Ces exagérations se retrouvent dans toutes les relations des épidémies de ce
genre. Quand bien même quelques faits seraient réels de tous points et échapperaient à toute
interprétation, serait-ce un motif pour leur chercher une explication au delà des lois
naturelles ? Autant vaudrait dire que tous les agents dont le mode d'action reste à découvrir,
tout ce qui échappe à notre analyse est nécessairement surnaturel.
« Tout ce qui s'est vu à Morzines, tout ce qui s'est raconté surtout, pourra bien, pour quelques
personnes, rester le signe manifeste d'une possession, mais c'est aussi très certainement celui
de cette maladie complexe qui a reçu le nom d'hystéro-démonomanie. »
Nous dirons avec M. Constant, qu'il n'est nul besoin d'aller chercher dans le surnaturel
l'explication des effets inconnus ; nous sommes parfaitement d'accord avec lui sur ce point.
Pour nous, les phénomènes spirites n'ont rien de surnaturel ; ils nous révèlent une des lois, une
des forces de la nature que l'on ne connaissait pas et qui produit des effets jusqu'alors
inexpliqués. Cette loi, qui ressort des faits et de I'observation, est-elle donc plus déraisonnable
parce qu'elle a pour promoteurs des êtres intelligents plutôt que des bêtes ou la matière brute ?
Est-il donc si insensé de croire à des intelligences actives au delà de la tombe, quand surtout
elles se manifestent d'une manière ostensible ? La connaissance de cette loi, en ramenant
certains effets à leur cause véritable, simple et naturelle, est le meilleur antidote des idées
superstitieuses.

Ainsi qu'on a pu le remarquer, M. Constant est arrivé à Morzines avec l'idée que la cause du
mal était purement physique ; il pouvait avoir raison, car il serait absurde de supposer à priori
une influence occulte à tout effet dont la cause est inconnue. Selon lui, cette cause est tout
entière dans les conditions hygiéniques, climatériques et physiologiques des habitants. Nous
sommes loin de prétendre qu'il aurait dû venir avec une opinion contraire tout arrêtée, ce qui
n'eût pas été plus logique ; nous disons simplement qu'avec son idée préconçue il n'a vu que
ce qui pouvait s'y rapporter, tandis que s'il eût été dans ses opinions d'admettre seulement la
possibilité d'une autre cause, il aurait vu autre chose.
Quand une cause est réelle, elle doit pouvoir expliquer tous les effets qu'elle produit ; si
certains effets viennent la contredire, c'est qu'elle est fausse ou qu'elle n'est pas unique, et
alors il faut en chercher une autre. C'est incontestablement la marche la plus logique ; et la
justice, dans ses investigations pour la recherche de la criminalité, ne procède pas autrement.
S'il s'agit de constater un crime, arrive-t-elle avec l'idée qu'il a dû être commis de telle ou telle

- 89 -
manière, par tel moyen ou telle personne ? Non ; elle observe les plus petites circonstances,
et, remontant des effets aux causes, elle écarte celles qui sont inconciliables avec les effets
observés, et, de déduction en déduction, il est rare qu'elle n'arrive pas à la constatation de la
vérité. Il en est de même dans les sciences ; lorsqu'une difficulté reste insoluble, le plus sage
est de suspendre son jugement. Toute hypothèse est permise alors pour essayer de la
résoudre ; mais si celte hypothèse ne résout pas tous les cas de la difficulté, c'est qu'elle est
fausse : elle n'a le caractère d'une vérité absolue que si elle donne raison à tout. C'est ainsi
qu'en Spiritisme, par exemple, toute constatation matérielle à part, en remontant des effets aux
causes, on arrive au principe de la pluralité des existences, comme conséquence inévitable,
parce que seul il explique clairement ce qu'aucun autre n'a pu expliquer.
En appliquant cette méthode aux faits de Morzines, il est aisé de voir que la cause unique
admise par M. Constant est loin de tout expliquer. Il constate, par exemple, que les crises
cessent généralement dès que les malades sont hors du territoire de la commune. Si donc le
mal tient à la constitution lymphatique et à la mauvaise nourriture des habitants, comment
cette cause cesse-t-elle d'agir quand ils ont franchi le pont qui les sépare de la commune
voisine ? Si les crises nerveuses n'étaient accompagnées d'aucun autre symptôme, nul doute
qu'on pût, selon toute apparence, les attribuer à un état constitutionnel, mais il est des
phénomènes que cet état seul ne saurait expliquer.
Le Spiritisme nous offre ici une comparaison frappante. Au début des manifestations,
lorsqu'on vit les tables tourner, frapper, se dresser, se soulever dans l'espace sans point
d'appui, la première pensée fut que ce pouvait être par l'action de l'électricité, du magnétisme,
ou d'un fluide inconnu ; cette supposition n'avait rien de déraisonnable, au contraire : elle
offrait toute probabilité. Mais lorsqu'on vit ces mêmes mouvements donner des signes
d'intelligence, manifester une volonté propre, spontanée et indépendante, la première
hypothèse ne pouvant résoudre cette phase du phénomène, dut être abandonnée, et il fallut
bien reconnaître dans un effet intelligent une cause intelligente. Quelle était cette
intelligence ? C'est encore par la voie de l'expérimentation qu'on y est arrivé, et non par un
système préconçu.
Citons un autre exemple. Lorsque Newton, observant la chute des corps, remarqua qu'ils
tombaient tous dans la même direction, il en chercha la cause et fit une hypothèse ; cette
hypothèse, résolvant tous les cas du même genre, devint la loi de gravitation universelle, loi
purement mécanique, parce que tous les effets étaient mécaniques. Mais supposons qu'en
voyant tomber une pomme, celle-ci eût obéi à sa volonté ; qu'à son commandement, au lieu de
descendre elle eût monté, fût allée à droite ou à gauche, se fût arrêtée ou mise en mouvement ;
qu'elle eût, par un signe quelconque, répondu à sa pensée, il eût bien été forcé de reconnaître
autre chose qu'une loi mécanique, c'est-à-dire que la pomme n'étant pas intelligente par elle-
même, elle devait obéir à une intelligence. Ainsi en a-t-il été des tables tournantes ; ainsi en
est-il des malades de Morzines.
Pour ne parler que des faits observés par M. Constant lui-même, nous demanderons comment
une mauvaise nourriture et un tempérament lymphatique peuvent produire l'antipathie
religieuse chez des gens naturellement religieux et même dévots ? Si c'était un fait isolé, ce
pourrait être une exception, mais on reconnaît qu'il est général et que c'est un des caractères
de la maladie là et ailleurs ; voilà un effet, cherchez-en la cause ; vous ne la connaissez pas ?
soit ; avouez-le, mais ne dites pas qu'il tient à ce que les habitants mangent des pommes de
terre et du pain noir, ni à leur ignorance et à l'étroitesse de leur intelligence, car on vous
opposera le même effet chez des gens qui vivent dans l'abondance et ont reçu de l'instruction.
S'il suffisait du confortable pour guérir de l'impiété, on s'étonnerait de trouver tant d'impies et
de blasphémateurs parmi les gens qui ne se refusent rien.
Le régime hygiénique expliquera-t-il mieux cet autre fait non moins caractéristique et général
du sentiment de la dualité qui se traduit d'une manière non équivoque dans le langage des
malades ? Certainement non. C'est toujours un tiers qui parle ; toujours une distinction entre

- 90 -
lui et la fille, fait constant chez les individus dans le même cas, à quelque classe de la société
qu'ils appartiennent. Les remèdes sont inefficaces par une bonne raison, c'est qu'ils sont bons,
comme ce tiers le dit, pour la fille, c'est-à-dire pour l'être corporel, mais non pour l'autre, celui
qu'on ne voit pas, et qui pourtant la fait agir, la contraint, la subjugue, la terrasse, et se sert de
ses membres pour frapper et de sa bouche pour parler. Il dit n'avoir rien vu qui justifie l'idée
de la possession, mais les faits étaient devant ses yeux, il les cite lui-même. Peuvent-ils
s'expliquer par la cause qu'il leur attribue ? Non ; donc cette cause n'est pas la véritable ; il
voyait des effets moraux, il fallait chercher une cause morale.
Un autre médecin, le docteur Chiara, qui, lui aussi, a visité Morzines, et a publié son
appréciation8, constate les mêmes phénomènes et les mêmes symptômes que M. Constant ;
mais pour lui, comme pour ce dernier, les Esprits malins sont dans l'imagination des malades.
Nous trouvons dans sa relation le fait suivant, à propos d'une malade :
« L'accès commence par un hoquet et des mouvements de déglutition, par la flexion et le
redressement alternatifs de la tête sur le tronc ; puis après plusieurs contorsions qui donnent
à sa figure si douce une expression effrayante : «S… médecin, s'écrie-t-elle, je suis le
diable…, tu veux me faire sortir de la fille, je ne te crains pas… viens !… il y a quatre ans
que je la possède : elle est à moi, j'y resterai. - Que fais-tu dans cette fille ? - Je la
tourmente. - Et pourquoi, malheureux, tourmentes-tu une personne qui ne t'a fait aucun
mal ? - Parce qu'on m'y a mis pour la tourmenter ? - Tu es un scélérat. » Ici je m'arrête,
abasourdi par une avalanche d'injures et d'imprécations. »
En parlant d'une autre malade, il dit :
« Après quelques instants d'une scène muette, d'une pantomime plus ou moins expressive,
notre possédée se met à pousser des jurons horribles. Écumante de rage, elle nous injurie tous
avec une fureur sans pareille. Mais, disons-le tout de suite, ce n'est pas la fille qui s'exprime
ainsi, c'est le diable qui la possède et qui, se servant de son organe, parle en son nom propre.
Quant à notre énergumène, elle n'est qu'un instrument passif chez qui la notion du moi est
entièrement abolie. Si on l'interpelle directement, elle reste muette : Belzébuth seul répondra.
« Enfin, après trois minutes environ, ce drame effrayant cesse tout à coup comme par
enchantement. La fille B… reprend l'air le plus calme, le plus naturel du monde, comme si
rien ne se fût passé. Elle tricotait avant, la voilà qui tricote après, sans qu'elle paraisse avoir
interrompu son travail. Je l'interroge ; elle me répond n'éprouver aucune fatigue, et ne se
souvient de rien. Je lui parle des injures qu'elle nous a dites : elle les ignore ; mais elle paraît
en être contrariée et nous fait ses excuses.
« Chez toutes ces malades, la sensibilité générale est complètement abolie. On a beau les
pincer, les piquer, les brûler, elles ne ressentent rien. A l'une d'elles je fis un pli à la peau que
je traversai de part en part avec une aiguille ordinaire ; le sang coula, mais elle ne sentit rien.
« A Morzines j'ai encore vu plusieurs de ces malades hors l'état de crise ; c'étaient des jeunes
filles, grosses et fraîches, jouissant de la plénitude de leurs facultés physiques et morales. A
les voir, il était impossible de supposer chez elle l'existence de la moindre affection. »
Ceci contraste avec l'état rachitique, malingre et souffreteux que M. Constant a cru remarquer.
Quant au phénomène de l'insensibilité pendant les crises, ce n'est pas, comme on a pu le voir,
le seul rapprochement que ces faits présentent avec l'état cataleptique, le somnambulisme et la
double vue.
De toutes ses observations, le docteur Chiara conclut à cette définition du mal :
« C'est un ensemble morbide, formé de différents symptômes, pris un peu dans tout le cadre
pathologique des maladies nerveuses et mentales ; en un mot, c'est une affection sui generis, à
laquelle je conserverai, attachant peu d'importance aux dénominations, le nom d'hystéro-
démonie qu'on lui a déjà donné. »
C'est le cas de dire : « Que celui qui a des oreilles entende. » C'est un mal particulier, formé
de différentes parties, et qui a sa source un peu partout. Autant valait dire tout net : « C'est un
8 Les Diables de Morzines, chez Mégret, quai de l'Hôpital, 51, à Lyon.
- 91 -
mal que je ne comprends pas. » C'est un mal sui generis ; nous sommes d'accord ; mais quel
est ce genre auquel vous ne savez même quel nom donner ?
Nous pourrions prouver l'insuffisance d'une cause purement matérielle pour expliquer le mal
de Morzines, par bien d'autres rapprochements, mais que nos lecteurs feront eux-mêmes.
Qu'ils veuillent donc se reporter à nos précédents articles sur le même sujet, à ce que nous
disons de la manière dont s'opère l'action des Esprits obsesseurs, des phénomènes qui
résultent de cette action, et l'analogie en ressortira avec la dernière évidence. Si, pour les
Morzinois, le tiers intervenant est le diable, c'est qu'on leur a dit que c'était le diable, et qu'ils
ne connaissent que cela. On sait d'ailleurs que certains Esprits de bas étage s'amusent à
prendre des noms infernaux pour effrayer. A ce nom, substituez dans leur bouche le mot
Esprit, ou mieux mauvais Esprits, et vous aurez la reproduction identique de toutes les scènes
d'obsession et de subjugation que nous avons rapportées. Il est incontestable que, dans un
pays où dominerait l'idée du Spiritisme, une épidémie pareille survenant, les malades se
diraient sollicités par de mauvais Esprits, et alors ils passeraient aux yeux de certaines gens
pour des fous ; ils disent que c'est le diable : c'est une affection nerveuse. C'est ce qui serait
arrivé à Morzines si la connaissance du Spiritisme y eût précédé l'invasion de ces Esprits, et
c'est alors que ses adversaires auraient crié haro ! sur lui ; mais la Providence n'a pas voulu
leur donner cette satisfaction passagère ; elle a voulu au contraire prouver leur impuissance à
combattre le mal par les moyens ordinaires.
En fin de compte, on a eu recours à l'éloignement des malades que l'on a dirigés sur les
hôpitaux de Thonon, Chambéry, Lyon, Mâcon, etc. Le moyen était bon ; car, quand ils
furent tous transportés, on put se flatter de dire qu'il n'y en avait plus dans le pays. Cette
mesure pouvait être fondée sur un fait observé, celui de la cessation des crises hors de la
commune, mais elle paraît l'avoir été sur une autre considération : l'isolement des malades.
Du reste, l'opinion de M. Constant est catégorique ; il dit : « Il devrait y avoir une sorte de
lazaret où l'on pourrait enfouir, aussitôt qu'ils se montrent, les désordres moraux et nerveux
dont la propriété contagieuse est établie, a dit mon ancien ami le docteur Bouchut. En
attendant mieux, ce lazaret est tout trouvé, c'est l'asile d'aliénés ; c'est le seul lieu vraiment
convenable pour le traitement rationnel et complet des malades qui m'occupent, soit que l'on
admette que leur maladie est bien une forme, une variété de l'aliénation, et quand bien même
encore on ne voudrait pas qu'elles fussent, à aucun titre, prises pour des aliénées ; il faut
produire sur elles un certain degré d'intimidation, occuper leur esprit de manière à laisser le
moins de temps possible à leurs préoccupations par d'autres préoccupations ; les soustraire
absolument à toute influence religieuse irréfléchie et non mesurée, aux conversations, avis ou
observations susceptibles d'entretenir leur erreur, qu'il faut au contraire combattre tous les
jours ; leur donner un régime approprié ; les obliger enfin à se soumettre aux prescriptions
qu'il pourrait être utile d'associer à un traitement purement moral et avoir les moyens
d'exécution. Où trouver réunies toutes ces conditions nécessaires, essentielles, ailleurs que
dans un asile ? On a craint pour ces malades le contact avec de vraies aliénées ; ce contact eût
été moins fâcheux qu'on ne l'a pensé, et il eût été facile, après tout, de consacrer
provisoirement un quartier aux seules malades de Morzines. Si leur agglomération avait eu
quelques inconvénients, on aurait pu trouver des compensations dans la réunion elle-même, et
je reste convaincu que le nom d'asile, de maison de fous, eût peut-être seul amené plus d'une
guérison, et qu'il se fût rencontré peu de diables qu'une douche n'eût mis en fuite. »
Nous sommes loin de partager l'optimisme de M. Constant sur l'innocuité du contact des
aliénés et l'efficacité des douches en pareil cas ; nous sommes persuadés, au contraire, qu'un
tel régime peut produire une folie véritable là où il n'y a qu'une folie apparente ; or, remarquez
bien qu'en dehors des crises, les malades ont tout leur bon sens et sont sains de corps et
d'esprit ; il n'y a donc chez eux qu'un trouble passager qui n'a aucun des caractères de la folie
proprement dite. Leur cerveau, nécessairement affaibli par les secousses fréquentes qu'il
éprouve, serait encore plus facilement impressionné par la vue des fous et par l'idée seule

- 92 -
d'être avec des fous. M. Constant attribue le développement et l'entretien de la maladie à
l'imitation, à l'influence des conversations que les malades ont entre eux, et il conseille de les
mettre avec des fous ou de les parquer dans un quartier d'hôpital ! N'est-ce pas une
contradiction évidente, et est-ce là ce qu'il entend par traitement moral ?
Selon nous, le mal est dû à une tout autre cause et doit requérir des moyens curatifs tout
différents. Il a sa source dans la réaction incessante qui existe entre le monde visible et le
monde invisible qui nous entoure et au milieu duquel nous vivons, c'est-à-dire entre les
hommes et les Esprits, qui ne sont autres que les âmes de ceux qui ont vécu et parmi lesquels
il y en a de bons et de mauvais. Cette réaction est une des forces, une des lois de la nature, et
produit une foule de phénomènes psychologiques, physiologiques et moraux incompris, parce
que la cause était inconnue ; le Spiritisme nous fait connaître cette loi, et dès lors que des
effets sont soumis à une loi de la nature, ils n'ont rien de surnaturel. Vivant au milieu de ce
monde, qui n'est point aussi immatériel qu'on se le figure, puisque ces êtres, quoique
invisibles, ont des corps fluidiques semblables aux nôtres, nous en ressentons l'influence ;
celle des bons Esprits est salutaire et bienfaisante, celle des mauvais est pernicieuse comme le
contact des gens pervers dans la société.
Nous disons donc qu'à Morzines, une nuée de ces êtres invisibles malfaisants s'est
momentanément abattue sur cette localité, comme cela a eu lieu en beaucoup d'autres, et ce
n'est ni avec des douches, ni avec une nourriture succulente qu'on les chassera. Les uns les
appellent diables ou démons ; nous les appelons simplement mauvais Esprits ou Esprits
inférieurs, ce qui n'implique point une meilleure qualité, mais ce qui est très différent pour les
conséquences, attendu que l'idée attachée aux démons est celle d'êtres à part, en dehors de
l'humanité, et perpétuellement voués au mal, tandis qu'ils ne sont autres que les âmes
d'hommes qui ont été mauvais sur la terre, mais qui finiront par s'améliorer un jour ; en venant
dans cette localité, ils font, comme Esprits, ce qu'ils auraient fait s'ils y fussent venus de leur
vivant, c'est-à-dire le mal que ferait une bande de malfaiteurs. Il faut donc les chasser comme
on chasserait une troupe d'ennemis.
Il est dans la nature de ces Esprits d'être antipathiques à la religion, parce qu'ils en redoutent
la puissance, comme les criminels sont antipathiques à la loi et aux juges qui les condamnent,
et ils expriment ces sentiments par la bouche de leurs victimes, véritables médiums
inconscients qui sont strictement dans le vrai quand ils disent n'être que des échos ; le patient
est réduit à un état passif ; il est dans la situation d'un homme terrassé par un ennemi plus fort,
qui le contraint à faire sa volonté ; le moi de l'Esprit étranger neutralise momentanément le
moi personnel ; il y a subjugation obsessionnelle et non possession.
Quelle absurdité ! diront certains docteurs. Absurdité, tant que vous voudrez, mais qui n'en est
pas moins aujourd'hui tenue pour une vérité par un grand nombre de médecins. Un temps
viendra, moins éloigné qu'on ne pense, où, l'action du monde invisible étant généralement
reconnue, l'influence des mauvais Esprits sera rangée parmi les causes pathologiques ; il sera
tenu compte du rôle important que joue le périsprit dans la physiologie, et une nouvelle voie
de guérison sera ouverte pour une foule de maladies réputées incurables.
S'il en est ainsi, dira-t-on, d'où vient l'inutilité des exorcismes ? Cela prouve une chose, c'est
que les exorcismes tels qu'ils sont pratiqués ne valent pas mieux que les médecines, et cela
parce que leur efficacité n'est pas dans l'acte extérieur, dans la vertu des paroles et des signes,
mais dans l'ascendant moral exercé sur les mauvais Esprits. Les malades ne disaient-ils pas :
« Ce ne sont pas des remèdes qu'il nous faut, mais de saints prêtres ; » et ils insultaient ceux-ci
disant qu'ils n'étaient pas assez saints pour avoir action sur les démons. Etait-ce la nourriture
de pommes de terre qui les faisait parler ainsi ? Non, mais bien l'intuition de la vérité.
L'inefficacité de l'exorcisme en pareil cas est constatée par l'expérience ; et pourquoi cela ?
parce qu'il consiste dans des cérémonies et des formules dont se rient les mauvais Esprits,
tandis qu'ils cèdent à l'ascendant moral qui leur impose ; ils voient qu'on veut les maîtriser par

- 93 -
des moyens impuissants, et ils veulent se montrer les plus forts ; ils sont comme le cheval
ombrageux qui jette par terre le cavalier inhabile, tandis qu'il plie quand il a trouvé son maître.
« Dans une de ces cérémonies, dit le docteur Chiara, il y eut dans l'église où l'on avait réuni
tous les malades un affreux tumulte. Toutes ces femmes tombèrent en crise simultanément,
renversant, brisant les bancs de l'église et se roulant par terre, pêle-mêle avec les enfants et les
hommes, qui s'efforçaient vainement de les contenir. Elles profèrent des jurements
effroyables, inouïs ; interpellent le prêtre dans les termes les plus injurieux. »
Les cérémonies publiques d'exorcisme cessèrent de ce moment, mais on alla exorciser à
domicile, à toute heure du jour et de la nuit, ce qui ne produisit pas de meilleurs résultats, et y
fit définitivement renoncer.
Nous avons cité plusieurs exemples de la puissance morale en pareil cas, et quand nous n'en
aurions pas eu maintes preuves sous les yeux, il suffirait de rappeler celle qu'exerçait le Christ
qui, pour chasser les démons, n'avait qu'à leur commander de se retirer. Comparez, dans
l'Evangile, les possédés de son temps avec ceux de nos jours, et vous verrez une frappante
similitude. Jésus les guérissait par des miracles, direz-vous ; soit, mais voici un fait que vous
appellerez d'autant moins miraculeux qu'il s'est passé chez les schismatiques.
M. A…, de Maseau, qui n'avait point lu notre relation, nous racontait, il y a peu de jours, que
dans ses propriétés les habitants d'un village furent atteints d'un mal en tout semblable à celui de
Morzines ; mêmes crises, mêmes convulsions, mêmes blasphèmes, mêmes injures contre les
prêtres, mêmes effets de l'exorcisme, même impuissance de la science médicale. Un de ses
oncles, M. R…, de Moscou, puissant magnétiseur, homme de bien par excellence, très pieux par
le cœur, étant venu visiter ces malheureux, arrêtait les convulsions les plus violentes par la seule
imposition des mains qu'il accompagnait toujours d'une fervente prière. En réitérant cet acte il
finit par les guérir presque tous radicalement.
Cet exemple n'est pas le seul ; comment l'expliquer, si ce n'est par l'influence magnétique
secondée par la prière, remède dont usent peu nos matérialistes, parce qu'il ne se trouve ni
dans le codex ni dans nos pharmacies ? remède puissant cependant quand il part du cœur et
non des lèvres, et qu'il s'appuie sur une foi vive et un ardent désir de faire le bien. En
décrivant l'obsession dans nos premiers articles, nous avons expliqué l'action fluidique qui
s'exerce en cette circonstance, et nous en concluons, par analogie, que c'eût été un puissant
auxiliaire à Morzines.
Ne croyez à la vertu d'aucun talisman, d'aucune amulette, d'aucun signe, d'aucune parole pour
écarter les mauvais Esprits ; la pureté du cœur et de l'intention, l'amour de Dieu et de son
prochain, voilà le meilleur talisman, parce qu'il leur ôte tout empire sur nos âmes.
Voici la communication qu'a donnée sur ce sujet l'Esprit de saint Louis, guide spirituel de la
Société spirite de Paris :
« Les possédés de Morzines sont réellement sous l'influence des mauvais Esprits attirés dans cette
contrée par des causes que vous connaîtrez un jour, ou, mieux, que vous reconnaîtrez un jour
vous-mêmes. La connaissance du Spiritisme y fera prédominer la bonne influence sur la
mauvaise ; c'est-à-dire que les Esprits guérisseurs et consolateurs, attirés par les fluides
sympathiques, remplaceront la maligne et cruelle influence qui désole cette population. Le
Spiritisme est appelé à rendre de grands services ; il sera le guérisseur de ces maux dont on ne
connaissait pas la cause auparavant, et devant lesquels la science demeure impuissante ; il
sondera les plaies morales, et leur prodiguera le baume réparateur ; en rendant les hommes
meilleurs, il écartera d'eux les mauvais Esprits attirés par les vices de l'humanité. Si tous les
hommes étaient bons, les mauvais Esprits s'en éloigneraient, parce qu'ils sauraient ne pouvoir
les induire au mal. La présence des hommes de bien les fait fuir, celle des hommes vicieux les
attire, tandis que c'est le contraire pour les bons Esprits. Soyez donc bons si vous voulez
n'avoir que de bons Esprits autour de vous. » (Médium, Madame Costel.)

- 94 -
revue spirite 1864

Nouveaux détails sur les possédés de Morzines

Le Magnétiseur, journal du magnétisme animal, publié à Genève par M. Lafontaine, dans son
numéro du 15 mai 1864, en donne le récit détaillé ci-après :
« L'épidémie démoniaque qui règne depuis 1857 dans le bourg de Morzines et les hameaux
voisins, situés au milieu des montagnes de la Haute-Savoie, n'a pas encore cessé ses ravages.
Le gouvernement français, depuis que la Savoie lui appartient, s'en est ému. Il a envoyé sur
les lieux des hommes spéciaux, intelligents et capables, inspecteurs des maisons d'aliénés,
etc., pour étudier la nature et observer la marche de cette maladie. Ils ont pris quelques
mesures, ils ont essayé du déplacement, et ont fait transporter ces filles malades à Chambéry,
à Annecy, à Evian, à Thonon, etc. ; mais les résultats de ces tentatives n'ont point été
satisfaisants ; malgré les traitements médicaux qu'on a jugé convenable d'y joindre, les
guérisons ont été peu nombreuses ; et lorsque les malheureuses filles sont revenues au pays,
elles sont retombées dans le même état de souffrance. Après avoir atteint d'abord les enfants,
les jeunes filles, cette épidémie s'est étendue aux mères de famille et aux femmes âgées. Peu
d'hommes en ont ressenti l'influence ; cependant, il en est un auquel elle a coûté la vie ; ce
malheureux s'était glissé dans un espace étroit, entre un poêle et un mur, dont il prétendait ne
pouvoir sortir ; il est resté là pendant un mois, sans vouloir prendre aucune nourriture ; il y est
mort d'épuisement et d'inanition, victime de son imagination frappée.
« Les envoyés du gouvernement français ont fait des rapports, dans l'un desquels M. Constant,
entre autres, déclarait que le petit nombre de guérisons accomplies chez cette population
étaient dues au magnétisme employé par moi, à Genève, sur les filles et sur les femmes qu'on
m'avait amenées en 1858 et 1859.
« Nos lecteurs savent que ce fléau, attribué par les bons paysans de Morzines, et, ce qui est
plus fâcheux, par leurs conducteurs spirituels, à la puissance du démon, se manifeste chez
ceux qu'il saisit par des convulsions violentes accompagnées de cris, de maux d'estomac et
des faits de la plus étonnante gymnastique, sans parler des jurements et autres procédés
scandaleux dont les malades se rendent coupables sitôt qu'on les contraint à entrer dans une
église.
« Nous sommes parvenus à guérir plusieurs de ces malades, qui n'ont subi aucune autre
attaque tant qu'ils ont habité loin des influences fâcheuses de la contagion et des esprits
frappés de leur pays ; mais à Morzines le mal horrible n'a pas cessé de faire des ravages parmi
cette malheureuse population, et le nombre de ses victimes est au contraire allé croissant ; en
vain a-t-on prodigué les prières et les exorcismes, en vain a-t-on transporté les malades dans
les hôpitaux de différentes villes éloignées, le fléau, qui s'attache en général aux jeunes filles
dont l'imagination est plus vive, s'est acharné sur sa proie, et les seules guérisons que l'on ait
pu constater sont celles que nous avons opérées et dont nous avons rendu compte dans notre
journal.
« Enfin, à bout de moyens, on a voulu tenter un grand coup ; Mgr Maguin, évêque d'Annecy,
fit annoncer dernièrement qu'il se rendrait à Morzines, tant pour confirmer ceux des habitants
qui n'avaient pas encore reçu ce sacrement, que pour aviser aux moyens de vaincre la terrible
maladie. Les bonnes gens du village espéraient merveilles de cette visite.
« Elle a eu lieu samedi 30 avril et dimanche 1er mai, et voici les circonstances qui l'ont
signalée.
« Samedi, vers quatre heures, le prélat s'est approché du village. Il était à cheval, accompagné
d'un grand nombre d'ecclésiastiques. On avait cherché à réunir les malades dans l'église ; on
en avait contraint quelques-unes à s'y rendre. « Dès que l'évêque eut mis le pied sur les terres
de Morzines, dit un témoin oculaire, les possédées, sentant qu'il s'approchait, furent saisies
des convulsions les plus violentes ; et en particulier, celles qui étaient renfermées dans l'église

- 95 -
poussèrent des cris et des hurlements qui n'avaient rien d'humain. Toutes les jeunes filles qui,
à diverses époques, avaient été atteintes de la maladie, en subirent le retour, et l'on en vit
plusieurs, qui depuis cinq ans n'en avaient reçu aucune atteinte, tomber en proie au paroxysme
le plus effrayant de ces horribles crises. » L'évêque lui-même pâlit à l'ouïe des hurlements qui
accueillirent son arrivée ; néanmoins il continua à s'avancer vers l'église, malgré les
vociférations de quelques malades, qui avaient échappé aux mains de leurs gardiens pour
s'élancer au-devant de lui et l'injurier. Il mit pied à terre à la porte du temple et y pénétra avec
dignité. Mais à peine y fut-il entré, que le désordre redoubla ; ce fut alors une scène
véritablement infernale.
« Les possédées, au nombre d'environ soixante et dix, avec un seul jeune homme, juraient,
rugissaient, bondissaient en tous sens ; cela dura plusieurs heures, et lorsque le Prélat voulut
procéder à la confirmation, leur fureur redoubla, s'il est possible ; on dut les traîner près de
l'autel ; sept, huit hommes durent plusieurs fois réunir leurs efforts pour vaincre la résistance
de quelques-unes ; les gendarmes leur prêtèrent main-forte. L'évêque devait partir à quatre
heures ; à sept heures du soir il était encore dans l'église, où l'on ne pouvait venir à bout de lui
amener trois malades ; on parvint à en traîner deux, haletantes, l'écume à la bouche, le
blasphème aux lèvres, jusqu'aux pieds du prélat. La dernière résista à tous les efforts ;
l'évêque, brisé de fatigue et d'émotion, dut renoncer à lui imposer les mains ; il sortit de
l'église, tremblant, bouleversé, les jambes couvertes de contusions reçues des possédées tandis
qu'elles se démenaient sous sa bénédiction.
« Il quitta le village en laissant aux habitants de bonnes paroles, mais sans leur cacher
l'impression profonde de stupeur qu'il avait éprouvée en présence d'un mal qu'il ne pouvait se
représenter aussi grand. - Il termina en avouant « qu'il ne s'était pas trouvé assez fort pour
conjurer la plaie qu'il était venu guérir, et en promettant de revenir au plus tôt muni de
pouvoirs plus étendus. »
« Nous ne faisons aujourd'hui aucune réflexion ; nous nous bornons à relater ces faits
déplorables. Peut-être dirons-nous dans le prochain numéro tout ce qu'ils ont provoqué de
pénible en nous. »
CH. LAFONTAINE.
On demandera peut-être pourquoi les Spirites, puisqu'ils sont convaincus de la cause du mal et
des moyens de la combattre, ne se sont pas rendus à Morzines pour y opérer leurs miracles ?
D'abord, les Spirites ne font point de miracles ; l'action curative qu'on peut exercer en pareil cas
n'a rien de merveilleux ni de surnaturel ; elle repose sur une loi de nature : celle des rapports du
monde visible et du monde invisible, loi qui, en rendant raison de certains phénomènes
incompris faute de la connaître, vient reculer les bornes du merveilleux, au lieu de les étendre.
En second lieu, il faudrait se demander si leur concours eût été accepté ; s'ils n'eussent pas
rencontré une opposition systématique ; si, loin d'être secondés, ils n'eussent pas été entravés
par ceux mêmes qui ont échoué ; s'ils n'eussent pas été livrés aux insultes et aux mauvais
traitements d'une population surexcitée par le fanatisme, accusés de sorcellerie auprès des
malades eux-mêmes, et d'agir au nom du diable, ainsi qu'on en a vu des échantillons dans
certaines localités. Dans les cas individuels et isolés, ceux qui se dévouent au soulagement des
affligés sont généralement secondés par les familles et l'entourage, souvent par les malades eux-
mêmes, sur le moral desquels il faut agir par de bonnes et encourageantes paroles, qu'il faut
exciter à la prière. De pareilles cures ne s'obtiennent point instantanément ; ceux qui les
entreprennent ont besoin du calme et d'un profond recueillement ; dans les circonstances
actuelles, ces conditions seraient-elles possibles à Morzines ? C'est plus que douteux. Lorsque
le moment sera venu d'arrêter le mal, Dieu y pourvoira.
Au reste, les faits de Morzines et leur prolongation ont leur raison d'être, de même que les
manifestations du genre de celles de Poitiers ; ils se multiplieront soit isolément, soit
collectivement, afin de convaincre d'impuissance les moyens employés jusqu'à ce jour pour y

- 96 -
mettre un terme, et de forcer l'incrédulité à reconnaître enfin l'existence d'une puissance extra-
humaine.
Pour tous les cas d'obsession, de possession et de manifestations désagréables quelconques,
nous appelons l'attention sur ce qui est dit à ce sujet dans le Livre des Médiums, chap. de
l'obsession ; sur les articles de la Revue relatifs à Morzines et rappelés ci-dessus ; sur nos
articles des mois de février, mars et juin 1864, relatifs à la jeune obsédée de Marmande ; enfin
sur les nos 325 à 335 de l'Imitation de l'Evangile. On y trouvera les instructions nécessaires
pour se guider dans les circonstances analogues.

- 97 -
Revue spirite 1864

Un cas de possession
Mademoiselle Julie

Nous avons dit qu'il n'y avait pas de possédés dans le sens vulgaire du mot, mais des
subjugués ; nous revenons sur cette assertion trop absolue, car il nous est démontré
maintenant qu'il peut y avoir possession véritable, c'est-à-dire substitution, partielle toutefois,
d'un Esprit errant à l'Esprit incarné. Voici un premier fait qui en est la preuve, et qui présente
le phénomène dans toute sa simplicité.
Plusieurs personnes se trouvaient un jour chez une dame somnambule-médium. Tout à coup
celle-ci prend des allures toutes masculines, sa voix change, et, s'adressant à l'un des
assistants, s'écrie : « Ah ! mon cher ami, que je suis content de te voir ! » Surpris, on se
demande ce que cela signifie. La dame reprend : « Comment ! mon cher, tu ne me reconnais
pas ? Ah ! c'est vrai ; je suis tout couvert de boue ! Je suis Charles Z… » A ce nom, les
assistants se rappelèrent un monsieur mort quelques mois auparavant, frappé d'une attaque
d'apoplexie au bord d'une route ; il était tombé dans un fossé d'où l'on avait retiré son corps
couvert de boue. Il déclare que, voulant causer avec son ancien ami, il a profité d'un moment
où l'Esprit de madame A…, la somnambule, était éloigné de son corps, pour se mettre en son
lieu et place. En effet, cette scène s'étant renouvelée plusieurs jours de suite, madame A…
prenait chaque fois les poses et les manières habituelles de M. Charles, se renversant sur le
dos du fauteuil, croisant les jambes, se frisant la moustache, passant les doigts dans ses
cheveux, de telle sorte que, sauf le costume, on aurait pu croire avoir M. Charles devant soi ;
toutefois il n'y avait pas transfiguration, comme nous l'avons vu en d'autres circonstances.
Voici quelques-unes de ses réponses :
D. Puisque vous avez pris possession du corps de madame A…, pourriez-vous y rester ? –
R. Non, mais ce n'est pas la bonne envie qui me manque.
D. Pourquoi ne le pouvez-vous pas ? – R. Parce que son Esprit tient toujours à son corps. Ah !
si je pouvais rompre ce lien, je lui jouerais le tour.
D. Que fait pendant ce temps l'Esprit de madame A… ? – R. Il est là, à côté, qui me regarde et
qui rit de me voir dans ce costume.
Ces entretiens étaient très amusants ; M. Charles avait été un joyeux vivant, il ne démentait
pas son caractère ; adonné à la vie matérielle, il était peu avancé comme Esprit, mais
naturellement bon et bienveillant. En s'emparant du corps de madame A…, il n'avait aucune
mauvaise intention ; aussi cette dame ne souffrait-elle nullement de cette situation, à laquelle
elle se prêtait volontiers. Il est bon de dire qu'elle n'avait point connu ce monsieur, et ne
pouvait être au fait de ses manières. Il est encore à remarquer que les assistants ne songeant
point à lui, la scène n'a point été provoquée, et qu'il est venu spontanément.
La possession est ici évidente et ressort encore mieux des détails, qu'il serait trop long de
rapporter ; mais c'est une possession innocente et sans inconvénient. Il n'en est pas de même
quand elle est le fait d'un Esprit mauvais et mal intentionné ; elle peut alors avoir des suites
d'autant plus graves que ces Esprits sont tenaces, et qu'il devient souvent très difficile d'en
délivrer le patient dont ils font leur victime. En voici un exemple récent, que nous avons pu
observer nous-même, et qui a été pour la société de Paris l'objet d'une étude sérieuse.
Mademoiselle Julie, domestique, née en Savoie, âgée de vingt-trois ans, d'un caractère très
doux, sans aucune espèce d'instruction, était depuis quelque temps sujette à des accès de
somnambulisme naturel qui duraient des semaines entières ; dans cet état elle vaquait à son
service habituel sans que les personnes étrangères se doutassent de sa situation ; son travail

- 98 -
même était beaucoup plus soigné. Sa lucidité était remarquable ; elle décrivait les lieux et les
événements à distance avec une parfaite exactitude.
Il y a six mois environ, elle devint en proie à des crises d'un caractère étrange qui avaient
toujours lieu pendant l'état somnambulique, devenu en quelque sorte l'état normal. Elle se
tordait, se roulait à terre comme si elle se débattait sous les étreintes de quelqu'un qui
cherchait à l'étrangler, et, en effet, elle avait tous les symptômes de la strangulation ; elle
finissait par terrasser cet être fantastique, le prenait par les cheveux, l'accablait ensuite de
coups, d'injures et d'imprécations, l'apostrophant sans cesse du nom de Frédégonde, infâme
régente, reine impudique, vile créature souillée de tous les crimes, etc. Elle trépignait comme
si elle la foulait aux pieds avec rage, lui arrachait ses vêtements et ses parures. Chose bizarre,
se prenant elle-même pour Frédégonde, elle se frappait à coups redoublés sur les bras, la
poitrine et le visage, en disant : « Tiens ! tiens ! en as-tu assez, infâme Frédégonde ? Tu veux
m'étouffer, mais tu n'en viendras pas à bout ; tu veux te mettre dans ma boîte, mais je saurai
bien t'en chasser. » Ma boîte était le terme dont elle se servait pour désigner son corps. Rien
ne saurait peindre l'accent frénétique avec lequel elle prononçait le nom de Frédégonde, en
grinçant des dents, ni les tortures qu'elle endurait dans ces moments-là.
Un jour, pour se débarrasser de son adversaire, elle saisit un couteau et s'en frappa elle-même,
mais on put l'arrêter à temps pour empêcher un accident. Chose non moins remarquable, c'est
que jamais elle n'a pris aucune des personnes présentes pour Frédégonde ; la dualité était
toujours en elle-même ; c'est contre elle qu'elle dirigeait sa fureur quand l'Esprit était en elle,
et contre un être invisible quand elle s'en était débarrassée ; pour les autres, elle était douce et
bienveillante dans les moments même de sa plus grande exaspération.
Ces crises, vraiment effrayantes, duraient souvent plusieurs heures et se renouvelaient
plusieurs fois par jour. Quand elle avait fini par terrasser Frédégonde, elle tombait dans un
état de prostration et d'accablement dont elle ne sortait qu'à la longue, mais qui lui laissait une
grande faiblesse et un embarras dans la parole. Sa santé en était profondément altérée ; elle ne
pouvait rien manger et restait parfois huit jours sans prendre de nourriture. Les meilleurs
aliments avaient pour elle un goût affreux qui les lui faisait rejeter ; c'était, disait-elle, l'œuvre
de Frédégonde, qui voulait l'empêcher de manger.
Nous avons dit plus haut que cette jeune fille n'a reçu aucune instruction ; dans l'état de veille,
elle n'a jamais ouï parler de Frédégonde, ni de son caractère, ni du rôle que celle-ci a joué.
Dans l'état de somnambulisme, au contraire, elle le sait parfaitement, et dit avoir vécu de son
temps. Ce n'était point Brunehaut, comme on l'avait d'abord supposé, mais une autre personne
attachée à sa cour.
Une autre remarque, non moins essentielle, c'est que, lorsque commencèrent ces crises,
mademoiselle Julie ne s'était jamais occupée de Spiritisme, dont le nom même lui était
inconnu. Encore aujourd'hui, dans l'état de veille, elle y est étrangère, et n'y croit pas. Elle ne
le connaît que dans l'état de somnambulisme, et seulement depuis qu'on a commencé à la
soigner. Tout ce qu'elle a dit a donc été spontané.
En présence d'une situation aussi étrange, les uns attribuaient l'état de cette jeune fille à une
affection nerveuse ; d'autres à une folie d'un caractère spécial, et il faut convenir qu'au
premier abord cette dernière opinion avait une apparence de réalité. Un médecin a déclaré
que, dans l'état actuel de la science, rien ne pouvait expliquer de pareils phénomènes, et qu'il
ne voyait aucun remède. Cependant des personnes expérimentées en Spiritisme reconnurent
sans peine qu'elle était sous l'empire d'une subjugation des plus graves et qui pouvait lui
devenir fatale. Sans doute, celui qui ne l'aurait vue que dans les moments de crise, et n'eût
considéré que l'étrangeté de ses actes et de ses paroles, aurait dit qu'elle était folle, et lui aurait
infligé le traitement des aliénés qui eût, sans aucun doute, déterminé une folie véritable ; mais
cette opinion devait céder devant les faits. Dans l'état de veille, sa conversation est celle d'une
personne de sa condition et en rapport avec son défaut d'instruction ; son intelligence même
est vulgaire ; il en est tout autrement dans l'état de somnambulisme : dans les moments de

- 99 -
calme elle raisonne avec beaucoup de sens, de justesse et une véritable profondeur ; or, ce
serait une singulière folie que celle qui augmenterait la dose d'intelligence et de jugement. Le
Spiritisme seul peut expliquer cette anomalie apparente. Dans l'état de veille, son âme ou
Esprit est comprimé par des organes qui ne lui permettent qu'un développement incomplet ;
dans l'état de somnambulisme, l'âme, émancipée, est en partie affranchie de ses liens et jouit
de la plénitude de ses facultés. Dans les moments de crise, ses actes et ses paroles ne sont
excentriques que pour ceux qui ne croient pas à l'action des êtres du monde invisible ; ne
voyant que l'effet, et ne remontant pas à la cause, voilà pourquoi tous les obsédés, subjugués
et possédés passent pour des fous. Dans les maisons d'aliénés, il y a eu dans tous les temps de
prétendus fous de cette nature, et que l'on guérirait facilement si l'on ne s'obstinait à ne voir en
eux qu'une maladie organique.
Sur ces entrefaites, comme mademoiselle Julie était sans ressources, une famille de vrais et
sincères Spirites consentit à la prendre à son service, mais dans sa position elle devait être
bien plus un embarras qu'une utilité, et il fallait un véritable dévouement pour s'en charger.
Mais ces personnes en ont été bien récompensées, d'abord par le plaisir de faire une bonne
action, et ensuite par la satisfaction d'avoir puissamment contribué à sa guérison, aujourd'hui
complète ; double guérison, car non seulement mademoiselle Julie est délivrée, mais son
ennemie est convertie à de meilleurs sentiments.
C'est là que nous avons été témoin d'une de ces luttes effrayantes qui ne dura pas moins de
deux heures, et que nous avons pu observer le phénomène dans les plus minutieux détails,
phénomène dans lequel nous avons immédiatement reconnu une analogie complète avec ceux
des possédés de Morzines. La seule différence est qu'à Morzines les possédés se livraient à
des actes contre les individus qui les contrariaient, et qu'ils parlaient du diable qu'ils avaient
en eux, parce qu'on leur avait persuadé que c'était le diable. Mademoiselle Julie, à Morzines,
eût appelé Frédégonde le Diable.
Dans un prochain article, nous exposerons avec détail les différentes phases de cette guérison
et les moyens employés à cet effet ; nous rapporterons en outre les remarquables instructions
que les Esprits ont données à ce sujet, ainsi que les importantes observations auxquelles il a
donné lieu touchant le magnétisme.

- 100 -
Revue spirite 1864

Mademoiselle Julie (deuxième article)

Dans notre précédent article, nous avons décrit la triste situation de cette jeune fille, et les
circonstances qui prouvaient chez elle une véritable possession. Nous sommes heureux de
confirmer ce que nous avons dit de sa guérison aujourd'hui complète. Après avoir été délivrée
de son Esprit obsesseur, les violentes secousses qu'elle avait éprouvées pendant plus de six
mois avaient apporté une grave perturbation dans sa santé ; maintenant elle est tout à fait
remise, mais elle n'est pas sortie de son état somnambulique, ce qui ne l'empêche pas de
vaquer à ses travaux habituels. Nous allons exposer les circonstances de cette guérison.
Plusieurs personnes avaient entrepris de la magnétiser, mais sans beaucoup de succès, sauf
une légère et passagère amélioration dans son état pathologique ; quant à l'Esprit, il était de
plus en plus tenace, et les crises avaient atteint un degré de violence des plus inquiétants. Il
aurait fallu là un magnétiseur dans les conditions que nous avons indiquées dans l'article
précédent pour les médiums guérisseurs, c'est-à-dire pénétrant la malade d'un fluide assez pur
pour éliminer le fluide du mauvais Esprit. S'il est un genre de médiumnité qui exige une
supériorité morale, c'est sans contredit dans le cas d'obsession, parce qu'il faut avoir le droit
d'imposer son autorité à l'Esprit. Les cas de possession, selon ce qui est annoncé, doivent se
multiplier avec une grande énergie d'ici à quelque temps, afin que l'impuissance des moyens
employés jusqu'à présent pour les combattre soit bien démontrée. Une circonstance même,
dont nous ne pouvons encore parler, mais qui a une certaine analogie avec ce qui s'est passé
au temps du Christ, contribuera à développer cette sorte d'épidémie démoniaque. Il n'est donc
pas douteux qu'il surgira des médiums spéciaux ayant le pouvoir de chasser les mauvais
Esprits, comme les apôtres avaient celui de chasser les démons, soit parce que Dieu met
toujours le remède à côté du mal, soit pour donner aux incrédules une nouvelle preuve de
l'existence des Esprits.
Pour mademoiselle Julie, comme dans tous les cas analogues, le magnétisme simple, quelque
énergique qu'il fût, était donc insuffisant ; il fallait agir simultanément sur l'Esprit obsesseur
pour le dompter, et sur le moral de la malade ébranlé par toutes ces secousses ; le mal
physique n'était que consécutif ; c'était un effet et non la cause ; il fallait donc traiter la cause
avant l'effet ; le mal moral détruit, le mal physique devait disparaître de lui-même. Mais pour
cela il faut s'identifier avec la cause ; étudier avec le plus grand soin et dans toutes ses
nuances le cours des idées, pour lui imprimer telle ou telle direction plus favorable, car les
symptômes varient selon le degré d'intelligence du sujet, le caractère de l'Esprit et les motifs
de l'obsession, motifs dont l'origine remonte presque toujours aux existences antérieures.
L'insuccès du magnétisme sur mademoiselle Julie a fait que plusieurs personnes ont essayé ;
dans le nombre s'est trouvé un jeune homme doué d'une assez grande puissance fluidique,
mais qui, malheureusement, manquait totalement de l'expérience, et, surtout, des
connaissances nécessaires en pareil cas. Il s'attribuait un pouvoir absolu sur les Esprits
inférieurs qui, selon lui, ne pouvaient résister à sa volonté ; cette prétention, poussée à l'excès
et fondée sur sa puissance personnelle et non sur l'assistance des bons Esprits, devait lui attirer
plus d'un mécompte. Cela seul aurait dû suffire pour montrer aux amis de la jeune fille qu'il
manquait de la première des qualités requises pour lui être d'un secours efficace. Mais ce qui,
par-dessus tout, aurait dû les éclairer, c'est qu'il professait sur les Esprits en général une
opinion complètement fausse. Selon lui, les Esprits supérieurs sont d'une nature fluidique trop
éthérée pour pouvoir venir sur la terre communiquer avec les hommes et les assister ; cela
n'est possible qu'aux Esprits inférieurs en raison de leur nature plus grossière. Cette opinion,
qui n'est autre que la doctrine de la communication exclusive des démons, il avait le tort très
grave de la soutenir devant la malade, même dans les moments de crise. Avec cette manière
de voir, il devait ne compter que sur lui-même, et ne pouvait invoquer la seule assistance qui

- 101 -
aurait du le seconder, assistance dont, il est vrai, il croyait pouvoir se passer ; la conséquence
la plus fâcheuse était pour la malade qu'il décourageait, en lui ôtant l'espoir de l'assistance des
bons Esprits. Dans l'état d'affaiblissement où était son cerveau, une telle croyance, qui donnait
toute prise à l'Esprit obsesseur, pouvait devenir fatale pour sa raison, pouvait même la tuer.
Aussi répétait-elle sans cesse dans les moments de crise : « Fou… fou…, il me rendra fou…
tout à fait fou… je ne le suis pas encore, mais je le deviendrai. » En parlant de son
magnétiseur, elle dépeignait parfaitement son action en disant : « Il me donne la force du
corps, mais il ne me donne pas la force de l'esprit. » Cette parole était profondément
significative, et cependant personne n'y attachait d'importance.
Lorsque nous vîmes mademoiselle Julie, le mal était à son apogée, et la crise dont nous fûmes
témoin fut une des plus violentes ; c'est au moment même où nous nous appliquions à
remonter son moral, où nous cherchions à lui inculquer la pensée qu'elle pouvait dompter ce
mauvais Esprit avec l'assistance des bons et de son ange gardien dont il fallait invoquer
l'appui, c'est à ce moment, disons-nous, que le jeune magnétiseur, qui se trouvait présent, par
une circonstance providentielle sans doute, vint, sans provocation aucune, affirmer et
développer sa théorie, détruisant d'un côté ce que nous faisions de l'autre. Nous dûmes lui
exposer avec énergie qu'il commettait une mauvaise action, et assumait sur lui la terrible
responsabilité de la raison et de la vie de cette malheureuse jeune fille.
Un fait des plus singuliers, que tout le monde avait observé, mais dont personne n'avait déduit
les conséquences, se produisait dans la magnétisation. Quand elle avait lieu pendant la lutte
avec le mauvais Esprit, ce dernier seul absorbait tout le fluide qui lui donnait plus de force,
tandis que la malade se trouvait affaiblie et succombait sous ses étreintes. On doit se rappeler
qu'elle était toujours en état de somnambulisme ; elle voyait, par conséquent, ce qui se passait,
et c'est elle-même qui a donné cette explication. On ne vit dans ce fait qu'une malice de
l'Esprit, et l'on se contenta de s'abstenir de magnétiser dans ces moments-là et de rester
spectateur de la lutte. Avec la connaissance de la nature des fluides, on peut aisément se
rendre compte de ce phénomène. Il est évident, d'abord, qu'en absorbant le fluide pour se
donner de la force au détriment de la malade, l'Esprit voulait convaincre le magnétiseur
d'impuissance à l'égard de sa prétention ; s'il y avait malice de sa part, c'était contre le
magnétiseur, puisqu'il se servait de l'arme même avec laquelle ce dernier prétendait le
terrasser ; on peut dire qu'il lui prenait le bâton des mains. Il était non moins évident que sa
facilité à s'approprier le fluide du magnétiseur dénotait une affinité entre ce fluide et le sien
propre, tandis que des fluides d'une nature contraire se fussent repoussés comme l'eau et
l'huile. Ce fait seul suffirait pour démontrer qu'il y avait d'autres conditions à remplir. C'est
donc une erreur des plus graves, et nous pouvons dire des plus funestes, de ne voir dans
l'action magnétique qu'une simple émission fluidique, sans tenir compte de la qualité intime
des fluides. Dans la plupart des cas, le succès repose entièrement sur ces qualités, comme
dans la thérapeutique il dépend de la qualité du médicament. Nous ne saurions trop appeler
l'attention sur ce point capital, démontré à la fois par la logique et par l'expérience.
Pour combattre l'influence de la doctrine du magnétiseur qui, déjà, avait influé sur les idées de
la malade, nous dîmes à celle-ci : « Mon enfant, ayez confiance en Dieu ; regardez autour de
vous ; ne voyez-vous pas de bons Esprits ? - C'est vrai, dit-elle ; j'en vois de lumineux que
Frédégonde n'ose pas regarder. - Eh bien ! ce sont ceux qui vous protègent, et qui ne
permettront pas que le mauvais Esprit ait le dessus ; implorez leur assistance ; priez avec
ferveur ; priez surtout pour Frédégonde. – Oh ! pour cela, jamais je ne le pourrai. - Prenez
garde ! voyez à ce mot les bons Esprits s'éloigner. Si vous voulez leur protection, il faut la
mériter par vos bons sentiments, en vous efforçant surtout d'être meilleure que votre ennemie.
Comment voulez-vous qu'ils vous soutiennent, si vous ne valez pas mieux qu'elle ? Songez
que dans d'autres existences vous avez eu aussi des reproches à vous faire ; ce qui vous arrive
est une expiation ; si vous voulez la faire cesser, il faut vous améliorer, et pour prouver vos
bonnes intentions, il faut commencer par vous montrer bonne et charitable pour vos ennemis.

- 102 -
Frédégonde elle-même en sera touchée, et peut-être ferez-vous entrer le repentir dans son
cœur. Réfléchissez. - Je le ferai. – Faites-le tout de suite, et dites avec moi : « Mon Dieu, je
pardonne à Frédégonde le mal qu'elle m'a fait ; je l'accepte comme une épreuve et une
expiation que j'ai méritées ; pardonnez-moi mes propres fautes, comme je lui pardonne les
siennes ; et vous, bons Esprits qui m'entourez, ouvrez son cœur à de meilleurs sentiments, et
donnez-moi la force qui me manque. » Promettez-vous de prier tous les jours pour elle ? - Je
le promets. - C'est bien ; de mon côté je vais m'occuper de vous et d'elle ; ayez confiance. –
Oh ! merci ! quelque chose me dit que cela va bientôt finir. »
Ayant rendu compte de cette scène à la Société, les instructions suivantes y furent données à
ce sujet :
« Le sujet dont vous vous occupez a ému les bons Esprits eux-mêmes qui veulent, à leur tour,
venir en aide à cette jeune fille par leurs conseils. Elle présente un cas d'obsession en effet fort
grave, et parmi ceux que vous avez vus et que vous verrez encore, on peut mettre celui-ci au
nombre des plus importants, des plus sérieux, et surtout des plus intéressants par les
particularités instructives qu'il a déjà présentées et qu'il vous offrira de nouveau.
« Comme je vous l'ai déjà dit, ces cas d'obsession se renouvelleront fréquemment, et
fourniront deux sujets distincts d'utilité, pour vous d'abord, et pour ceux qui les subiront
ensuite.
« Pour vous d'abord, en ce que, de même que plusieurs ecclésiastiques ont contribué
puissamment à répandre le Spiritisme parmi ceux qui y étaient parfaitement étrangers, de
même aussi ces obsédés, dont le nombre deviendra assez important pour que l'on s'en occupe
d'une manière non point superficielle, mais large et approfondie, ouvriront assez les portes de
la science pour que la philosophie spirite puisse avec eux y pénétrer, et occuper, parmi les
gens de science et les médecins de tout système, la place à laquelle elle a droit.
« Pour eux ensuite, en ce qu'à l'état d'Esprit, avant de s'incarner parmi vous, ils ont accepté
cette lutte que leur procure la possession qu'ils subissent, en vue de leur avancement, et cette
lutte, croyez-le bien, fait cruellement souffrir leur propre Esprit qui, lorsque leur corps n'est en
quelque sorte plus leur, a parfaitement conscience de ce qui se passe. Selon qu'ils auront
supporté cette épreuve, dont vous pouvez leur abréger puissamment la durée par vos prières,
ils auront progressé plus ou moins ; car, soyez en certains, malgré cette possession, toujours
momentanée, ils gardent une suffisante conscience d'eux-mêmes pour discerner la cause et la
nature de leur obsession.
« Pour celle qui vous occupe, un conseil est nécessaire. Les magnétisations que lui fait
endurer l'Esprit incarné dont vous avez parlé lui sont funestes sous tous les rapports. Cet
Esprit est systématique ; et quel système ! Celui qui ne rapporte point toutes ses actions à la
plus grande gloire de Dieu, qui tire vanité des facultés qui lui ont été accordées, sera toujours
confondu ; les présomptueux seront abaissés, dans ce monde souvent, infailliblement dans
l'autre. Tâchez donc, mon cher Kardec, que ces magnétisations cessent complètement, ou les
inconvénients les plus graves résulteraient de leur prolongation, non seulement pour la jeune
fille, mais encore pour l'imprudent qui pense avoir sous ses ordres tous les Esprits des
ténèbres et leur commander en maître.
« Vous verrez, dis-je, ces cas de possession et d'obsession se développer pendant une certaine
période de temps, parce qu'ils sont utiles au progrès de la science et du Spiritisme ; c'est par là
que les médecins et les savants ouvriront enfin les yeux et apprendront qu'il est des maladies
dont les causes ne sont pas dans la matière, et qui ne doivent pas être traitées par la matière.
Ces cas de possession vont également ouvrir au magnétisme des horizons tout nouveaux et lui
faire faire un grand pas en avant par l'étude, jusqu'à présent si imparfaite, des fluides ; aidé de
ces nouvelles connaissances, et par son alliance intime avec le Spiritisme, il obtiendra les plus
grandes choses ; malheureusement, dans le magnétisme, comme dans la médecine, il y aura
longtemps encore des hommes qui croiront n'avoir plus rien à apprendre. Ces obsessions
fréquentes auront aussi un fort bon côté, en ce qu'étant pénétré par la prière et la force morale

- 103 -
on peut les faire cesser et acquérir le droit de chasser les mauvais Esprits, chacun cherchera,
par l'amélioration de sa conduite, à acquérir ce droit que l'Esprit de Vérité, qui dirige ce globe,
conférera lorsqu'il sera mérité. Ayez foi et confiance en Dieu, qui ne permet point que l'on
souffre inutilement et sans motif. »
HAHNEMANN (Médium, M. Albert).
« Je serai bref. Il sera très facile de guérir cette malheureuse possédée ; les moyens en étaient
implicitement contenus dans les réflexions qui ont été émises tout à l'heure par Allan Kardec.
Il faut non seulement une action matérielle et morale, mais encore une action purement
spirituelle. A l'Esprit incarné qui se trouve, comme Julie, en état de possession, il faut un
magnétiseur expérimenté et parfaitement convaincu de la vérité Spirite ; il faut qu'il soit en
outre d'une moralité irréprochable et sans présomption. Mais, pour agir sur l'Esprit obsesseur,
il faut l'action non moins énergique d'un bon Esprit désincarné. Ainsi donc, double action :
action terrestre, action extra-terrestre ; incarné sur incarné, désincarné sur désincarné ; voilà la
loi. Si jusqu'à cette heure cette action n'a pas été accomplie, c'est justement pour vous amener à
l'étude et à l'expérimentation de cette intéressante question ; c'est à cet effet que Julie n'a pas été
plus tôt délivrée : elle devait servir à vos études.
« Ceci vous démontre ce que vous aurez à faire désormais dans les cas de possession
manifeste ; il est indispensable d'appeler à votre aide le concours d'un Esprit élevé, jouissant
en même temps d'une puissance morale et fluidique, comme par exemple l'excellent curé
d'Ars, et vous savez que vous pouvez compter sur l'assistance de ce digne et saint Vianney.
Au surplus, notre concours est acquis à tous ceux qui nous appelleront à leur aide avec pureté
de cœur et foi véritable.
« Je me résume : Quand on magnétisera Julie, il faudra d'abord procéder par la fervente
évocation du curé d'Ars et des autres bons Esprits qui se communiquent habituellement parmi
vous, en les priant d'agir contre les mauvais Esprits qui persécutent cette jeune fille, et qui
fuiront devant leurs phalanges lumineuses. Il ne faut pas oublier non plus que la prière
collective a une très grande puissance, quand elle est faite par un certain nombre de personnes
agissant de concert, avec une foi vive et un ardent désir de soulager. »
ERASTE (Médium, M. d'Ambel).
Ces instructions ont été suivies ; plusieurs membres de la Société se sont entendus pour agir
par la prière dans les conditions voulues. Un point essentiel était d'amener l'Esprit obsesseur à
s'amender, ce qui devait nécessairement faciliter la guérison. C'est ce que l'on a fait en
l'évoquant et en lui donnant des conseils ; il a promis de ne plus tourmenter mademoiselle
Julie, et il a tenu parole. Un de nos collègues a été spécialement chargé par son guide spirituel
de son éducation morale, et il a lieu d'en être satisfait. Cet Esprit, aujourd'hui, travaille
sérieusement à son amélioration et demande une nouvelle incarnation pour expier et réparer
ses fautes.
L'importance de l'enseignement qui découle de ce fait et des observations auxquelles il a
donné lieu, n'échappera à personne, et chacun y pourra puiser d'utiles instructions selon
l'occurrence. Une remarque essentielle que ce fait a permis de constater, et que l'on
comprendra sans peine, c'est l'influence du milieu. Il est bien évident que si l'entourage
seconde par une communauté de vue, d'intention et d'action, le malade se trouve dans une
sorte d'atmosphère homogène de fluides bienfaisants, ce qui doit nécessairement faciliter et
hâter le succès ; mais s'il y a désaccord, opposition ; si chacun veut agir à sa manière, il en
résulte des tiraillements, des courants contraires qui paralysent forcément, et parfois annulent,
les efforts tentés pour la guérison. Les effluves fluidiques, qui constituent l'atmosphère
morale, si elles sont mauvaises, sont tout aussi funestes à certains individus que les
exhalaisons des pays marécageux.

Nous donnons ci-après, les deux communications que l 'Esprit de Frédégonde, faites dans
la Société à un mois d 'intervalle, et qui forment le complément des deux précédents

- 104 -
articles sur la possession de Mademoiselle Julie. Cet Esprit ne s'est point manifesté avec
des signes de violence, mais il écrivait avec une très grande difficulté et fatiguait
extrêmement le médium, qui en fut même indisposé, et dont les facultés semblaient en
quelque sorte paralysées.
Dans la prévision de ce résultat, nous avions eu soin de ne pas confier cette évocation à
un médium trop délicat.
Dans une autre circonstance, un Esprit, interrogé sur le compte de celui-ci, avait dit que,
depuis longtemps, il cherchait à se réincarner, mais que cela ne lui avait pas été permis,
parce que son but n 'était point encore de s'améliorer, son but étant, au contraire, d'avoir
plus de facilité pour faire le mal à l'aide d'un corps matériel. De telles dispositions
devaient rendre sa conversion fort difficile ; elle ne le fut cependant pas autant qu 'on
pouvait le craindre, grâce, sans doute, au concours bienveillant de toutes les personnes
qui y ont participé, et peut-être aussi parce que le temps était venu où cet Esprit devait
entrer dans la voie du repentir.
(16 octobre 1863 — Médium : M. Leymarie).
1. Evocation. — R. Je ne suis pas Frédégonde ; que me voulez-vous ?
2. Qui êtes-vous donc ? — R. Un Esprit qui souffre.
3. Puisque vous souffrez, vous devez désirer ne plus souffrir ; nous vous assisterons,
car nous compatissons avec tous ceux qui souffrent en ce monde et en l'autre ; mais il
faut que vous nous secondiez, et, pour cela, il faut que vous priiez. — R. Je vous en
remercie, mais je ne puis prier.
4. Nous allons prier, cela vous aidera ; ayez confiance en la bonté de Dieu, qui
pardonne toujours à celui qui se repent. — R. Je vous crois ; priez, priez ; peut-être je
pourrai me convertir.
5. Mais il ne suffit pas que nous priions, il faut prier de votre côté. — R. J'ai voulu
prier, et je n'ai pas pu ; maintenant, je vais essayer avec votre aide.
6. Dites avec nous : Mon Dieu, pardonnez-moi, parce que j'ai péché ; je me repens
du mal que j 'ai fait. -- R. Je le dis ; après.
7. Cela ne suffit pas ; il faut l'écrire. — R. Mon... (ici l'Esprit ne peut écrire le mot
Dieu ; ce n'est qu 'après force encouragements qu 'il parvient à terminer la phrase, d'une
manière saccadée et peu lisible).
8. Il ne faut pas dire cela pour la forme ; il faut le penser, et prendre la résolution de
ne plus faire le mal, et vous verrez qu'aussitôt vous serez soulagée. — R. Je vais prier.
9. Si vous avez prié sincèrement, n'en éprouvez-vous pas du mieux. — R. Oh ! si !
10. Maintenant, donnez-nous quelques détails sur votre vie et sur les causes de votre
acharnement contre Julie. — R. Plus tard... je dirai... mais je ne puis aujourd'hui.
11. Promettez-vous de laisser Julie en repos ? Le mal que vous lui faites retombe sur
vous et augmente vos souffrances. — Oui, mais je suis poussée par d'autres Esprits plus
mauvais que moi.
12. C'est une mauvaise excuse que vous donnez là pour vous disculper ; dans tous les
cas, vous devez avoir une volonté, et avec de la volonté, on peut toujours résister aux
mauvaises suggestions. — R. Si j'avais eu de la volonté, je ne souffrirais pas, je suis
punie parce que je n'ai pas su résister.
13. Vous en montriez cependant assez pour tourmenter Julie ; mais vous venez de
prendre de bonnes résolutions, nous vous engageons à y persister, et nous prierons les
bons Esprits de vous seconder.
Remarque. — Pendant cette évocation, un autre médium obtenait de son guide
spirituel une communication, contenant entre autres choses ce qui suit :
« Ne vous inquiétez pas des dénégations que vous remarquez dans les réponses de cet
Esprit : son idée fixe de se réincarner lui fait repousser toute solidarité avec son passé,
bien qu'elle n'en supporte que trop les effets. Elle est bien celle qui a été nommée, mais

- 105 -
elle n'en veut pas convenir avec elle-même ».
13 novembre 1863.
14. Evocation. — R. Je suis prête à répondre.
15. Avez-vous persisté dans la bonne résolution où vous étiez la dernière fois ? — R.
Oui.
16. Comment vous en êtes-vous trouvée ? — R. Très bien, car j 'ai prié et je suis plus
calme, bien plus heureuse.
17. Nous savons en effet que Julie n'a plus été tourmentée. Puisque vous pouvez vous
communiquer plus facilement, voulez-vous nous dire pourquoi vous vous acharniez
après elle ? — R. J'étais oubliée depuis des siècles, et je désirais que la malédiction qui
couvre mon nom cessa un peu, afin qu'une prière, une seule, vint me consoler. Je prie, je
crois en Dieu ; maintenant je puis prononcer son nom, et certes c'est plus que je ne
pouvais attendre du bienfait que vous pouvez m'accorder.
Remarque. — Dans l'intervalle de la première à la seconde évocation, l'Esprit était appelé
tous les jours par celui de nos collègues qui était chargé de l'instruire. Un fait positif, c'est
qu'à partir de ce moment, Mademoiselle Julie a cessé d'être tourmentée.
18. Il est fort douteux que le seul désir d 'obtenir une prière ait été le mobile qui vous
portait à tourmenter cette jeune fille ; vous voulez sans doute encore chercher à pallier
vos torts ; dans tous les cas, c'était un mauvais moyen d'attirer sur vous la compassion
des hommes. — R. Cependant, si je n'avais pas tourmenté fortement Julie, vous n'auriez
pas songé à moi, et je ne serais pas sortie du misérable état où je languissais. Il en est
résulté une instruction pour vous et un grand bien pour moi, puisque vous m'avez ouvert
les yeux.
19. (Au guide du médium). Est-ce bien Frédégonde qui fait cette réponse ? — R. Oui,
c'est elle, un peu aidée, il est vrai, parce qu'elle est humiliée ; mais cet Esprit est
beaucoup plus avancé en intelligence que vous ne croyez ; il lui faut le progrès moral
dont vous l'aidez à faire le premier pas. Elle ne vous dit pas que Julie tirera un grand
profit de ce qui s'est passé pour son avancement personnel.
20. (A Frédégonde). Mademoiselle Julie vivait-elle de votre temps, et pourriez-vous
nous dire ce qu'elle était ? R. Oui ; c'était une de mes suivantes, appelée Hildegarde ;
une âme souffrante et résignée qui a fait ma volonté ; elle subit la peine de ses services
trop humbles et trop complaisants à mon égard.
21. Désirez-vous une nouvelle incarnation ? — R. Oui, je la désire. O mon Dieu ! j'ai
souffert mille tortures, et si j'ai mérité une peine bien juste, hélas ! il est temps que je
puisse, à l'aide de vos prières, recommencer une existence meilleure, afin de me laver de
mes anciennes souillures. Dieu est juste ; priez pour moi. Jusqu'à ce jour, j'avais la vue
voilée et comme le vertige ; mais à présent, je vois, je comprends, je désire le pardon du
Maître avec celui de mes victimes. Mon Dieu, que c'est doux le pardon !
22. Dites-nous quelque chose de Brunehaut. — R. Brunehaut !... Ce nom me donne le
vertige... Elle est la grande faute de ma vie, et j'ai senti ma vieille haine se réveiller à ce
nom !... Mais mon Dieu me pardonnera, et je pourrai désormais écrire ce nom sans
frémir. Plus heureuse que moi, elle est réincarnée pour la deuxième fois, et remplit un
rôle que je désire, celui d'une soeur de charité.
23. Nous sommes heureux de votre changement, nous vous y encouragerons, nous
vous soutiendrons de nos prières. — R. Merci ! merci ! bons Esprits, Dieu vous le
rendra.
Remarque. — Un fait caractéristique chez les mauvais Esprits, c'est l'impossibilité où ils
sont souvent, de prononcer ou d'écrire le nom de Dieu. Cela dénote sans doute une
mauvaise nature, mais en même temps un fond de crainte et de respect que n 'ont pas les
Esprits hypocrites, moins mauvais en apparence ; ces derniers, loin de reculer devant le
nom de Dieu, s'en servent effrontément pour capter la confiance. Ils sont infiniment plus

- 106 -
pervers et plus dangereux que les Esprits franchement méchants ; c'est dans cette classe
qu'on trouve la plupart des Esprits fascinateurs, dont il est bien plus difficile de se
débarrasser que des autres, parce que c’est de l'Esprit même qu'ils s'emparent à l'aide
d'un faux semblant de savoir, de vertu ou de religion, tandis que les autres ne s 'emparent
que du corps. Un Esprit qui, comme celui de Frédégonde, recule devant le nom de Dieu,
est bien plus près de sa conversion que ceux qui se couvrent du masque du bien. Il en est
de même parmi les hommes, où vous retrouvez ces deux catégories d'Esprits incarnés.

- 107 -
Revue spirite 1864

Une tentation

Nous connaissons personnellement une dame médium douée d'une remarquable faculté
typtologique : elle obtient facilement, et, ce qui est fort rare, presque constamment, des choses
de précision, comme noms de lieux et de personnes en diverses langues, dates et faits
particuliers, en présence desquels l'incrédulité a plus d'une fois été confondue. Cette dame,
toute dévouée à la cause du Spiritisme, consacre tout le temps dont elle peut disposer à
l'exercice de sa faculté dans un but de propagande, et cela avec un désintéressement d'autant
plus louable que sa position de fortune touche de plus près à la médiocrité. Comme le
Spiritisme est pour elle une chose sérieuse, elle procède toujours par une prière dite avec le
plus grand recueillement pour appeler le concours des bons Esprits, prier Dieu d'écarter les
mauvais, et termine ainsi : « Si j'étais tentée d'abuser en quoi que ce soit de la faculté qu'il a
plu à Dieu de m'accorder, je le prie de me la retirer, plutôt que de permettre qu'elle soit
détournée de son but providentiel. »
Un jour un riche étranger, - c'est de lui-même que nous tenons le fait, - vint trouver cette dame
pour la prier de lui donner une communication. Il n'avait pas la plus petite notion du
Spiritisme, et encore moins de croyance. Il lui dit, en déposant son portefeuille sur la table :
« Madame, voilà dix mille francs que je vous donne si vous me dites le nom de la personne à
laquelle je pense. » Cela suffit pour montrer où il en était de la connaissance de la doctrine.
Cette dame lui fit à ce sujet les observations que tout vrai Spirite ferait en pareil cas.
Néanmoins, elle essaya et n'obtint absolument rien. Or, aussitôt après le départ de ce
monsieur, elle eut, pour d'autres personnes, des communications bien autrement difficiles et
compliquées que ce qu'il lui avait demandé.
Ce fait devait être pour ce monsieur, ainsi que nous le lui avons dit, une preuve de la sincérité
et de la bonne foi du médium, car les charlatans ont toujours des ressources à leur disposition
quand il s'agit de gagner de l'argent. Mais il en ressort plusieurs enseignements d'une bien
autre gravité. Les Esprits ont voulu lui prouver que ce n'est pas avec de l'argent qu'on les fait
parler quand ils ne le veulent pas ; ils ont prouvé en outre que, s'ils n'avaient pas répondu à sa
demande, ce n'était pas impuissance de leur part, puisqu'après ils ont dit des choses plus
difficiles à des personnes qui n'offraient rien. La leçon était plus grande encore pour le
médium ; c'était lui démontrer son impuissance absolue en dehors de leur concours, et lui
enseigner l'humilité ; car, si les Esprits eussent été à ses ordres, s'il avait suffi de sa volonté
pour les faire parler, c'était le cas ou jamais d'exercer son pouvoir.
C'est là une preuve manifeste à l'appui de ce que nous avons dit dans le numéro de la Revue
de février dernier, à propos de M. Home, sur l'impossibilité où sont les médiums de compter
sur une faculté qui peut leur faire défaut au moment où elle leur serait nécessaire. Celui qui
possède un talent et qui l'exploite est toujours certain de l'avoir à sa disposition, parce qu'il est
inhérent à sa personne ; mais la médianimité n'est pas un talent ; elle n'existe que par le
concours de tiers ; si ces tiers refusent, il n'y a plus de médianimité. L'aptitude peut subsister,
mais l'exercice en est annulé. Un médium sans l'assistance des Esprits est comme un
violoniste sans violon.
Le monsieur en question s'est étonné que, venant pour se convaincre, les Esprits ne s'y fussent
pas prêtés. A cela nous lui avons répondu que, s'il peut être convaincu, il le sera par d'autres
moyens qui ne lui coûteront rien. Les Esprits n'ont pas voulu qu'il pût dire l'avoir été à prix
d'argent, car si l'argent était nécessaire pour se convaincre, comment feraient ceux qui ne
peuvent pas payer ? C'est pour que la croyance puisse pénétrer dans les plus humbles réduits
que la médianimité n'est point un privilège ; elle se trouve partout, afin que tous, pauvres
comme riches, puissent avoir la consolation de communiquer avec leurs parents et amis
d'outre-tombe. Les Esprits n'ont pas voulu qu'il fût convaincu de cette manière, parce que

- 108 -
l'éclat qu'il y eût donné aurait faussé sa propre opinion et celle de ses amis sur le caractère
essentiellement moral et religieux du Spiritisme. Ils ne l'ont pas voulu dans l'intérêt du
médium et des médiums en général, dont ce résultat aurait surexcité la cupidité, car ils se
seraient dit que, si l'on avait réussi en cette circonstance, on le pouvait également dans
d'autres. Ce n'est pas la première fois que des offres semblables ont été faites, que des primes
ont été offertes, mais toujours sans succès, attendu que les Esprits ne se mettent pas au
concours et ne se donnent pas au plus offrant.
Si cette dame eût réussi, aurait-elle accepté ou refusé ? Nous l'ignorons, car dix mille francs
sont bien séduisants, surtout dans certaines positions. Dans tous les cas, la tentation eût été
grande ; et qui sait si un refus n'eût pas été suivi d'un regret qui en eût atténué le mérite ?
Remarquons que, dans sa prière, elle demande à Dieu de lui retirer sa faculté plutôt que de
permettre qu'elle soit tentée de la détourner de son but providentiel ; eh bien ! sa prière a été
exaucée ; sa médianimité lui a été retirée pour ce fait spécial, afin de lui épargner le danger de
la tentation, et toutes les conséquences fâcheuses qui en auraient été la suite, pour elle-même
d'abord, et aussi par le mauvais effet que cela eût produit.
Mais ce n'est pas seulement contre la cupidité que les médiums doivent se tenir en garde ;
comme il y en a dans tous les rangs de la société, la plupart sont au-dessus de cette tentation ;
mais il est un danger bien autrement grand, parce que tous y sont exposés, c'est l'orgueil, qui
en perd un si grand nombre ; c'est contre cet écueil que les plus belles facultés viennent trop
souvent se briser. Le désintéressement matériel est sans profit s'il n'est accompagné du
désintéressement moral le plus complet. Humilité, dévouement, désintéressement et
abnégation sont les qualités du médium aimé des bons Esprits.

- 109 -
Revue spirite 1864

Cure d'une obsession

M. Dombre, le président de la Société spirite de Marmande, nous mande ce qui suit :


« Avec l'aide des bons Esprits, nous avons délivré en cinq jours d'une obsession très violente
et très dangereuse, une jeune fille de treize ans complètement au pouvoir d'un mauvais Esprit
depuis le 8 mai dernier. Chaque jour, à cinq heures du soir, sans manquer un seul jour, elle
avait des crises terribles, pitoyables à voir. Cette enfant demeure dans un quartier reculé, et les
parents, qui considéraient cette maladie comme une épilepsie, n'en parlaient plus. Cependant
un des nôtres, qui habite dans le voisinage, en fut informé, et une observation plus attentive
des faits en fit aisément reconnaître la véritable cause. D'après le conseil de nos guides
spirituels, nous nous sommes mis immédiatement à l'œuvre. Le 11 de ce mois, à huit heures
du soir, nos réunions ont commencé pour évoquer l'Esprit, le moraliser, prier pour l'obsesseur
et la victime, et exercer sur celle-ci une magnétisation mentale. Les réunions ont eu lieu
chaque soir, et le vendredi 15, l'enfant subissait la dernière crise. Il ne lui reste plus que la
faiblesse de la convalescence, suite d'aussi longues et aussi violentes secousses, et qui se
manifeste par la tristesse, la langueur et les larmes, ainsi que cela nous avait été annoncé.
Chaque jour nous étions informés, par les communications des bons Esprits, des différentes
phases de la maladie.
« Cette cure, qu'en d'autres temps les uns eussent regardée comme un miracle, et d'autres
comme un fait de sorcellerie, pour laquelle nous eussions été, selon l'opinion, sanctifiés ou
brûlés, produit une certaine sensation dans la ville. »
Nous félicitons nos frères de Marmande du résultat qu'ils ont obtenu en cette circonstance, et
nous sommes heureux de voir qu'ils ont mis à profit les conseils contenus dans la Revue à
l'occasion des cas analogues qu'elle a rapportés dernièrement. Ils ont ainsi pu se convaincre de
la puissance de l'action collective lorsqu'elle est dirigée par une foi sincère et une ardente
charité.

- 110 -
Revue spirite 1864

La jeune obsédée de Marmande (Suite)

Nous avons rapporté, dans le précédent numéro (page 46), la remarquable guérison obtenue
au moyen de la prière, par les Spirites de Marmande, d'une jeune fille obsédée de cette ville.
Une lettre postérieure confirme le résultat de cette cure, aujourd'hui complète. La figure de
l'enfant, altérée par huit mois de torture, a repris sa fraîcheur, son embonpoint et sa sérénité.
A quelque opinion qu'on appartienne, quelque idée que l'on ait sur le Spiritisme, toute
personne animée d'un sincère amour du prochain a dû se réjouir de voir la tranquillité rentrée
dans cette famille, et le contentement succéder à l'affliction. Il est regrettable que M. le curé
de la paroisse n'ait pas cru devoir s'associer à ce sentiment, et que cette circonstance lui ait
fourni le texte d'un discours peu évangélique dans un de ses prônes. Ses paroles, ayant été
dites en public, sont du domaine de la publicité. S'il se fût borné à une critique loyale de la
doctrine à son point de vue, nous n'en parlerions pas, mais nous croyons devoir relever les
attaques qu'il a dirigées contre les personnes les plus respectables, en les traitant de
saltimbanques, à propos du fait ci-dessus.
« Ainsi, a-t-il dit, le premier décrotteur venu pourra donc, s'il est médium, évoquer le membre
d'une famille honorable, alors que nul dans cette famille ne pourra le faire ? Ne croyez pas à
ces absurdités, mes frères ; c'est de la jonglerie, c'est de la bêtise. Au fait, qui voyez-vous dans
ces réunions ? Des charpentiers, des menuisiers, des charrons, que sais-je encore ?…
Quelques personnes m'ont demandé si j'avais contribué à la guérison de l'enfant. « Non, leur
ai-je répondu ; je n'y suis pour rien ; je ne suis pas médecin. »
« Je ne vois là, disait-il aux parents, qu'une affection organique du ressort de la médecine ; »
ajoutant que, s'il avait cru que des prières pussent opérer quelque soulagement, il en aurait fait
depuis longtemps.
Si M. le curé ne croit pas à l'efficacité de la prière en pareil cas, il a bien fait de n'en pas dire ;
d'où il faut conclure qu'en homme consciencieux, si les parents fussent venus lui demander
des messes pour la guérison de leur enfant, il en aurait refusé le prix, car, s'il l'eût accepté, il
aurait fait payer une chose qu'il regardait comme sans valeur. Les Spirites croient à l'efficacité
des prières pour les maladies et les obsessions ; ils ont prié, ils ont guéri, et ils n'ont rien
demandé ; bien plus, si les parents eussent été dans le besoin, ils auraient donné. « Ce sont,
dit-il, des charlatans et des jongleurs. » Depuis quand a-t-il vu les charlatans faire leur métier
pour rien ? Ont-ils fait porter à la malade des amulettes ? Ont-ils fait des signes
cabalistiques ? Ont-ils prononcé des paroles sacramentelles en y attachant une vertu efficace ?
Non, car le Spiritisme condamne toute pratique superstitieuse ; ils ont prié avec ferveur, en
communion de pensées ; ces prières étaient-elles de la jonglerie ? Apparemment non ;
puisqu'elles ont réussi, c'est qu'elles ont été écoutées.
Que M. le curé traite le Spiritisme et les évocations d'absurdités et de bêtises, il en est le maître,
si telle est son opinion, et nul n'a rien à lui dire. Mais lorsque, pour dénigrer les réunions
spirites, il dit qu'on n'y voit que des charpentiers, des menuisiers, des charrons, etc., n'est-ce pas
présenter ces professions comme dégradantes, et ceux qui les exercent comme des gens avilis ?
Vous oubliez donc, monsieur le curé, que Jésus était charpentier, et que ses apôtres étaient tous
de pauvres artisans ou des pêcheurs. Est-il évangélique de jeter du haut de la chaire le dédain
sur la classe des travailleurs que Jésus a voulu honorer en naissant parmi eux ? Avez-vous
compris la portée de vos paroles quand vous avez dit : « Le premier décrotteur venu pourra
donc évoquer le membre d'une famille honorable ? » Vous le méprisez donc bien, ce pauvre
décrotteur, quand il nettoie vos souliers ? Hé quoi ! parce que sa position est humble, vous ne le
trouvez pas digne d'évoquer l'âme d'un noble personnage ? Vous craignez donc que cette âme
ne soit souillée quand, pour elle, s'étendront vers le ciel des mains noircies par le travail ?
Croyez-vous donc que Dieu fait une différence entre l'âme du riche et celle du pauvre ? Jésus

- 111 -
n'a-t-il pas dit : Aimez votre prochain comme vous-même ? Or, aimer son prochain comme soi-
même, c'est ne faire aucune différence entre soi-même et le prochain ; c'est la consécration du
principe : Tous les hommes sont frères, parce qu'ils sont enfants de Dieu. Dieu reçoit-il avec
plus de distinction l'âme du grand que celle du petit ? celle de l'homme à qui vous faites un
pompeux service, largement payé, que celle du malheureux à qui vous n'octroyez que les plus
courtes prières ? Vous parlez au point de vue exclusivement mondain, et vous oubliez que
Jésus a dit : « Mon royaume n'est pas de ce monde ; là, les distinctions de la terre n'existent
plus ; là, les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers ? » Quand il a dit :
« Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon père, » cela signifie-t-il qu'il y en a une
pour le riche et une pour le prolétaire ? une pour le maître et une pour le serviteur ? Non ;
mais qu'il y en a une pour l'humble et une autre pour l'orgueilleux, car il a dit : « Que celui qui
voudra être le premier dans le ciel soit le serviteur de ses frères sur la terre. » Est-ce donc à
ceux qu'il vous plaît d'appeler profanes de vous rappeler à l'Évangile ?
Monsieur le curé, en toutes circonstances de telles paroles seraient peu charitables, surtout
dans le temple du Seigneur, où ne devraient être prêchées que des paroles de paix et d'union
entre tous les membres de la grande famille ; dans l'état actuel de la société, c'est une
maladresse, car c'est semer des ferments d'antagonisme. Que vous ayez tenu un tel langage à
une époque où les serfs, habitués à plier sous le joug, se croyaient d'une race inférieure, parce
qu'on le leur avait dit, on le concevrait ; mais dans la France d'aujourd'hui, où tout honnête
homme a le droit de lever la tête, qu'il soit plébéien ou patricien c'est un anachronisme.
Si, comme il est probable, il y avait dans l'auditoire des charpentiers, des menuisiers, des
charrons et des décrotteurs, ils ont dû être médiocrement touchés de ce discours ; quant aux
Spirites, nous savons qu'ils ont prié Dieu de pardonner à l'orateur ses imprudentes paroles,
qu'ils ont eux-mêmes pardonné à celui qui leur disait : Racca ; c'est le conseil que nous
donnons à tous nos frères.

- 112 -
Revue spirite 1864

Récit complet de la guérison de la jeune obsédée de Marmande

M. Dombre, de Marmande, nous a transmis le procès-verbal circonstancié de cette


guérison dont nous avons déjà entretenu nos lecteurs ; les détails qu'il renferme sont du
plus haut intérêt au double point de vue des faits et de l 'instruction. C'est tout à la fois,
comme on le verra, un cours d 'enseignement théorique et pratique, un guide pour les cas
analogues, et une source féconde d'observations pour l'étude du monde invisible en
général, dans ses rapports avec le monde visible.
Je fus averti, dit M. Dombre dans sa relation, par un des membres de notre société
spirite, des crises violentes qu 'éprouvait chaque soir, régulièrement depuis huit mois, la
nommée Thérèse B... ; je me rendis, accompagné de M. L..., médium ; le 11 Janvier
dernier, à quatre heures et demie, dans une maison voisine de celle de la malade, pour
chercher à être témoin de la crise qui, selon ce qui avait lieu chaque jour, devait arriver à
cinq heures. Nous rencontrâmes là, la jeune fille et sa mère, en conversation avec des
voisins. La demi-heure fut bientôt écoulée ; nous vîmes tout-à-coup la jeune fille se lever
de son siège, ouvrir la porte, traverser la rue et rentrer chez elle suivie de sa mère qui la
prit et la déposa toute habillée sur son lit. Les convulsions commencèrent ; son corps se
doublait, la tête tendant à joindre les talons ; sa poitrine se gonflait ; en un mot, elle faisait
mal à voir. Le médium et moi, rentrés dans la maison voisine, nous demandâmes à l'Esprit
de Louis David, guide spirituel du médium, si c'était une obsession ou un cas
pathologique. L'Esprit répondit :
« Pauvre enfant ! elle se trouve en effet sous une fatale influence, même bien dangereuse ;
venez-lui en aide. Opiniâtre et méchant, cet Esprit résistera longtemps. Evitez, autant qu'il
sera en votre pouvoir, de la laisser traiter par des médicaments qui nuiraient à l'organisme.
La cause est toute morale ; essayez l'évocation de cet Esprit ; moralisez-le avec ména-
gement, nous vous seconderons. Que toutes les âmes sincères que vous connaissez se
réunissent pour prier et combattre la trop pernicieuse influence de cet Esprit méchant.
Pauvre petite victime d'une jalousie. »
(Louis DAVID).

D. -- Sous quel nom appellerons-nous cet Esprit ? R. — Jules.


Je l'évoquai immédiatement. L'Esprit se présenta d'une manière violente, en nous
injuriant, déchirant le papier, et refusant de répondre à certaines interpellations. Pendant
que nous nous entretenions avec cet Esprit, M. B..., médecin, qui était allé examiner la
crise, arrive près de nous et nous dit avec un certain étonnement : « C'est singulier !
l'enfant a cessé tout-à-coup de se tordre ; elle est maintenant étendue sans mouvement sur
son lit.— Cela ne m'étonne pas lui dis-je, parce que l'Esprit obsesseur est en ce moment
près de nous ». J'engageai M. B... à retourner vers la malade, et nous continuâmes à
interpeller l'Esprit qui, à un moment donné, ne répondit plus. Le guide du médium nous
informa qu'il était allé continuer son oeuvre, il nous recommanda de ne plus l 'évoquer
pendant les crises, dans l'intérêt de l'enfant, parce que retournant auprès d'elle avec plus de
rage, il la torturait d'une manière plus aiguë. Au même instant, le médecin rentra et nous
apprit que la crise venait de recommencer plus forte que jamais. Je lui fis lire l'avis qui
venait de nous être donné, et nous demeurâmes tous frappés de ces coïncidences, qui ne
pouvaient laisser aucun doute sur la cause du mal.
A partir de cette soirée, et sur la recommandation des bons Esprits qui nous assistent dans
nos travaux spirites, nous nous réunîmes chaque soir, jusqu'à complète guérison.
Le même jour, 11 janvier, nous reçûmes la communication suivante de l'Esprit protecteur

- 113 -
de notre groupe :
« Gardienne vigilante de l'enfance malheureuse, je viens m'associer à vos travaux, unir
mes efforts aux vôtres pour délivrer cette jeune fille des étreintes cruelles d'un mauvais
Esprit. Le remède est en vos mains ; veillez, évoquez et priez sans jamais vous lasser
jusqu'à complète guérison.
(PETITE CARITA).

Cet Esprit, qui prend le nom de Petite Carita, est celui d 'une jeune fille que j'ai connue,
morte à la fleur de l 'âge et qui, dès sa plus tendre enfance, avait donné les preuves du
caractère le plus évangélique et d'une bonté rare.
L'évocation de l'Esprit obsesseur ne nous valut que les injures les plus grossières et les
plus ordurières qu'il est inutile de rapporter ; nos exhortations et nos prières glissèrent
sur lui et furent sans effet. « Amis, ne vous découragez point ; il se croit fort parce qu'il
vous voit dégoûtés de son langage grossier. Abstenez-vous de lui parler morale pour le
moment. Causez avec lui familièrement et sur un ton amical ; vous gagnerez ainsi sa
confiance, sauf à revenir au sérieux plus tard. Ami, de la persévérance ».
Vos guides.

Conformément à cette recommandation, nous devînmes légers dans nos interpellations,


auxquelles il répondit sur le même ton.
Le lendemain, 12 janvier, la crise fut aussi longue et aussi violente que celle des jours
précédents ; elle dura à peu près une heure et demie. L 'enfant se dressait sur son lit, elle
repoussait avec force l 'Esprit en lui disant : « Va-t-en ! va-t-en ». La chambre de la
malade était pleine de monde. Nous étions, quelques-uns de nous, auprès du lit pour
observer attentivement les phases de la crise.
A la réunion du soir, nous eûmes la communication suivante :
« Mes amis, je vous engage à suivre, comme vous l'avez fait, pas à pas, cette obsession
qui est un fait nouveau pour vous. Vos observations vous seront d 'un grand secours, car
des cas semblables pourront se multiplier, et où vous aurez à intervenir. Cette obsession,
toute physique d'abord, sera, je le crois, suivie de quelque obsession morale, mais sans
danger. Vous verrez bientôt des moments de joie au milieu de ces tortures exercées par
ce mauvais Esprit. Reconnaissez-y la présence et la main des bons Esprits. Si les tortures
durent encore, vous remarquerez, après la crise, la paralysation complète du corps, et,
après cette paralysation, une joie sereine et une extase qui adouciront la douleur de
l'obsession.
Observez beaucoup ; d'autres symptômes se manifesteront, et vous y trouverez de
nouveaux sujets d'étude.
Le Seigneur a dit à ses anges : Allez porter ma parole aux enfants des hommes. Nous
avons frappé la terre de la verge, et la terre enfante des prodiges. Courbez-vous, enfants.
C'est la toute-puissance de l'Eternel qui se manifeste à vous.
Amis, veillez et priez ; nous sommes près de vous et près du lit des souffrances pour
sécher les larmes ».
(PETITE CARITA).

L'Esprit de Jules évoqué a été moins intraitable que la veille ; à la vérité, nous avons
répondu à ses facéties par des facéties, ce qui lui plaisait. Avant de nous quitter, nous lui
avons fait promettre d 'être moins dur à l 'égard de sa victime. « Je tâcherai de me modérer
», a-t-il dit ; et comme nous lui promettions à notre tour de faire pour lui des prières, il
nous a répondu : « J'accepte, bien que je ne connaisse pas la valeur de cette marchandise
». (A l'Esprit). Puisque vous ne connaissez pas la prière, voulez-vous apprendre à la
connaître, et en écrire une sous ma dictée ? — R. Je le veux bien.

- 114 -
L 'Esprit écrivit sous la dictée la prière suivante : « O mon Dieu ! je promets d 'ouvrir mon
âme au repentir ; veuillez faire pénétrer dans mon coeur un rayon d'amour pour mes
frères, qui seul, peut me purifier ; et, comme garantie de ce désir, je fais ici la promesse
de... » (la fin de la phrase était : Cessez mon obsession ; mais l'Esprit n'a pas écrit ces
trois derniers mots). « Halte-là ! a-t-il ajouté : vous voudriez m'engager sans m'avertir ;
prenez garde ! je n'aime pas les pièges ; vous marchez trop vite »,
Et comme nous voulions savoir l 'origine de sa jalousie et de la vengeance qu'il exerçait,
il reprit : « Ne me parlez jamais de l'enfant ; vous ne feriez que m'éloigner de vous ».
La crise du 13 ne dura qu'une demi-heure, et la lutte avec l'Esprit fut suivie de sourires
de bonheur, d'extase et de larmes de joie ; l'enfant, les yeux grand ouverts, joignant ses
deux mains, se soulevait sur son lit et, regardant le ciel, présentait un tableau ravissant.
Les prédictions de petite Carita se trouvaient en tous points réalisées.
Dans l'évocation qui eut lieu le soir, comme les jours précédents, l'Esprit de Jules se
montra plus doux, plus soumis, et promit de nouveau de se modérer dans ses attaques
contre l'enfant, dont il ne voulut jamais nous dire l'histoire ; il promit même de prier.
Le guide du médium nous dit : « Ne vous fiez pas trop à ses paroles ; elles peuvent être
sincères, mais il pourrait aussi vous donner le change pour se débarrasser de vous ;
restez sur vos gardes ; tenez-lui compte de ses promesses, et si vous aviez plus tard des
reproches à lui adresser, faites-le avec douceur, afin qu'il sente les bons sentiments que
vous avez à son égard ».
(LOUIS DAVID).

Le 14, la crise fut aussi courte que la veille et encore moins vive ; elle fut également
suivie d'extase et de manifestation de joie les larmes qui coulaient le long des joues de
l'enfant, causaient chez tous les assistants, une émotion qu'ils ne pouvaient cacher.
Réunis le soir à huit heures, comme d'habitude, nous reçûmes au début la
communication suivante : « Comme vous avez dû le remarquer, un mieux sensible s'est
produit aujourd'hui chez l'enfant. Nous devons vous dire que notre présence influe
beaucoup sur l'Esprit ; nous lui avons rappelé sa promesse d'hier. La jeune fille a puisé
de nouvelles connaissances dans l 'extase, et elle a essayé de repousser les attaques de
son obsesseur. Dans l'évocation de Jules, ne mettez pas de détours ; évitez les détails qui
fatiguent les uns et les autres ; soyez francs et bienveillants avec lui, vous l 'aurez plus
tôt. Il a fait un grand pas vers son avancement, ce que nous avons pu remarquer dans
cette dernière »
(PETITE CARITA).

Evocation de Jules. — R. Me voilà, Messieurs.


D. Comment sont vos dispositions aujourd'hui ? — R. Elles sont bonnes.
D. Vous avez dû ressentir l'effet de nos prières ? — R. Pas trop.
D. Pardonnez à votre victime, et vous éprouverez une satisfaction que vous ne
connaissez pas ; c'est ce que nous éprouvons dans le pardon des injures. --R. Moi, c 'est
tout le contraire ; je trouvais ma satisfaction dans la vengeance d 'une injure ; j 'appelle
cela payer ses dettes.
D. Mais le sentiment de haine que vous conservez dans votre âme est un sentiment
pénible qui est loin de vous laisser la tranquillité ? — R. Si je vous disais que c'est de
l 'attachement, me croiriez-vous ?
D. Nous vous croyons ; cependant, faites-nous le plaisir de nous expliquer comment
vous conciliez cet attachement avec la vengeance que vous exercez. Qu'était pour vous
l'Esprit de cet enfant dans une autre existence, et que vous a-t-elle fait pour mériter cette
rigueur ? — R. Inutile que vous me le demandiez ; je vous l'ai déjà dit ; ne me parlez pas
de cette enfant.

- 115 -
D. Eh bien ! il n'en sera plus question ; mais nous devons vous féliciter du changement
qui s'est opéré en vous ; nous en sommes heureux. — R. J 'ai fait des progrès à votre
école... Que vont dire les autres ? Ils vont me siffler et me crier : Ah ! tu te fais ermite !
D. Que vous importe leur persiflage, si vous avez les louanges des bons Esprits ? — R.
C'est vrai.
D. Tenez ! pour prouver aux mauvais Esprits, vos anciens compagnons, que vous
rompez complètement avec eux, vous devriez pardonner tout à fait, à compter de ce
jour ; vous montrer généreux et bon en délaissant d'une manière absolue la jeune fille à
laquelle nous nous intéressons. — R. Mon cher Monsieur, c 'est impossible ; cela ne peut
venir d'une manière si prompte. Laissez-moi me défaire peu à peu de ce qui est un besoin
pour moi. Savez-vous ce que vous risqueriez, si je cessais subitement ? De m'y voir
revenir tout à coup. Cependant, je veux vous promettre une chose, c'est de ménager
l 'enfant et de le torturer demain encore moins qu 'aujourd'hui ; mais j 'y mets une condition
: c'est de n 'être point amené ici par la force ; je veux me rendre à votre appel librement,
et si je manque à ma parole, je consens à perdre cette faveur. Je dois vous dire que ce
changement en moi est dû à cette figure riante qui est là, près de vous, et que je vois
aussi près du lit de la jeune fille, tous les jours, au moment de la lutte. On est touché
malgré soi ; sans cela, vous et vos saints, vous auriez du fil à retordre pour quelques
jours (L'Esprit voulait parler de la petite Carita).
D. Elle est donc belle ? — R. Belle, bien belle, oh oui !
D. Mais elle n 'est pas seule auprès de vous pendant les luttes ? — R. Oh non ! Il y a les
autres, les anciens du corps, les amis ; ça ne rit jamais, ça ; mais je me moque bien d'eux,
maintenant.
Remarque. — L'interrogateur voulait sans doute parler des autres bons Esprits, mais
Jules fait allusion aux Esprits mauvais, ses compagnons.
D. Allons ! avant de nous quitter, nous vous promettons de dire pour vous, ce soir, une
prière.
R. J'en demande dix et dites de bon coeur, et vous serez contents de moi demain.
D. Eh bien ! soit, dix. Et puisque vous êtes en si bonnes dispositions, voulez-vous écrire
de coeur une prière de trois mots, sous ma dictée ? — R. Volontiers.
L 'Esprit écrivit : « O mon Dieu, donnez-moi la force de pardonner ».
Le 15 janvier, la crise eut lieu, comme toujours, à cinq heures de l 'après-midi, mais ne
dura qu'un quart d'heure. La lutte fut faible, et fut suivie d'extase, de sourires et de
larmes qui exprimaient la joie et le bonheur.
Dans la réunion du soir, petite Carita nous donna la communication suivante :
« Mes chers protégés, comme nous vous l'avions fait espérer, le phénomène spirite qui se
passe sous vos yeux se modifie, s'améliore chaque jour en perdant son caractère de
gravité. Un conseil d'abord, au point de vue des tortures physiques et d'études morales.
Ne faites point aux yeux du monde de signes extérieurs ; ne dites point de paroles
inutiles. Que vous importe ce que l'on dira ! Laissez la discussion aux oisifs. Que le but
pratique, c'est-à-dire la délivrance de cette jeune enfant et l'amélioration de l'Esprit qui
l'obsède, soit l'élément de vos entretiens intimes et sérieux ; ne parlez pas de guérison à
haute voix ; demandez-la à Dieu dans le recueillement de la prière. Cette obsession, je
suis heureuse de vous le dire, touche à sa fin. L'Esprit de Jules s'est sensiblement
amélioré. J'ai aussi, de tout mon pouvoir, agi sur l'Esprit de l'enfant, afin que ces deux
natures si opposées fussent plus compatibles entre elles. La combinaison des fluides
n'offrira plus aucun danger réel par rapport à l'organisme ; l'ébranlement que ressentait
ce jeune corps au contact fluidique disparaît sensiblement. Votre travail n'est pas fini ; la
prière de tous doit toujours précéder et suivre l'évocation ».
(PETITE CARITA).

- 116 -
Après l'évocation de Jules, et la prière où il est qualifié d'Esprit mauvais, il dit : « Me
voilà ! Je demande, au nom de la justice, la réforme de certains mots dans votre prière.
J'ai réformé mes actes, réformez les qualifications que vous m'adressez ».
D. Vous avez raison ; nous n 'y manquerons pas. Etes-vous venu sans contrainte
aujourd 'hui ? — R. Oui, je suis venu librement ; j'avais tenu mes promesses.
D. Maintenant que vous êtes calme et dans de bons sentiments, vous convient-il de nous
confier les motifs de votre rigueur à l'égard de cet enfant ? — R. Laissez donc le passé,
s'il vous plaît ; quand le mal est cautérisé, à quoi bon raviver la plaie ? Ah ! je sens que
l'homme doit devenir meilleur. J 'ai horreur de mon passé et regarde l 'avenir avec
espérance. Quand une bouche d'ange vous dit : La vengeance est une torture pour celui
qui l'exerce ; l'amour est le bonheur pour celui qui le prodigue ; eh bien ! ce levain qui
aigrit et flétrit le coeur s'évanouit, il faut aimer.
Vous êtes étonnés de mes paroles ? elles ne sont point de mon crû ; on me les a apprises,
et j'ai du plaisir à vous les redire. Ah ! que vous seriez heureux d 'apercevoir seulement
une minute cet ange, rayonnant comme un soleil, bon, doux comme une rosée
rafraîchissante qui tombe en gouttelettes fines sur une plante brûlée par les feux du
jour ! Comme vous le voyez, je ne suis point en peine de causer, je puise à la source.
Un coup d'oeil rapide sur ma vie vagabonde.
Né au sein de la misère soudée au vice, je goûtai de bonne heure les amours grossiers de
la vie. Je suçai avec le lait le breuvage empoisonné que m'offraient toutes les passions.
J'errais sans foi, sans loi, sans honneur. Quand on doit vivre au hasard, tout est bon. La
poule du paysan, comme le mouton du châtelain, servait à nos repas. La maraude était
mon occupation, lorsque le hasard sans doute, car je ne crois pas que la Providence
veille sur de pareils scélérats, me prit et m'équipa. Fier du costume râpé qui remplaçait
mes haillons, la hallebarde au bras, je me rangeai dans une bande de... de mauvais
compagnons, vivant aux dépens d 'un seigneur peureux qui, à son tour, prélevait la taille
sur les campagnards ; mais que nous importait, à nous, la source d'où coulaient dans nos
mains la monnaie et les provisions ! Je n'entrerai pas dans le détail des faits qui me sont
personnels ; ils sont méchants, hideux et indignes d'être racontés. Comprenez-vous
qu'élevé à une pareille école on puisse de tenir un homme de bien ?
La bande, divisée par la mort, alla se reconstituer dans le monde des Esprits. Loin
d'éviter les occasions de faire le mal, nous les cherchions ; dans mes promenades
errantes, j'ai rencontré une prise à faire ; je l'ai faite ; vous savez le reste.
Priez aussi pour la bande, Messieurs, s'il vous plaît. Vous vous étonnez souvent qu'un
pays recèle plus de malfaiteurs que d'autres pays ; c 'est tout simple. Ne voulant point se
séparer, ils s'abattent sur une contrée comme une nuée de sauterelles : aux loups les forêts, aux
pigeons les colombiers.
J'avais vécu de cette existence terrestre sous Louis XIII. Ma dernière existence se passa
sous l'empire. Je fus guerrier ; le tromblon et le chapeau cônique enrubanné me
plaisaient fort. J'aimais le danger, le vol et les prises hasardeuses. Triste goût, direz-vous
; mais que faire ailleurs ? J'étais habitué à vivre dans les bandes. Vous devez être
étonnés de ce changement subit : c'est l'ouvrage d'un ange.
Je ne vous promets rien pour demain ; vous me jugerez à mes actes. Une prière, s 'il vous
plaît ; je vais, de mon côté, en faire une :
Petit ange, ouvre tes ailes ; prends ton essor vers le trône du Seigneur ; demande-lui mon
pardon en mettant à ses pieds mon repentir ».
(JULES).

D. Puisque vous êtes en si bonne voie, priez Dieu pour la pauvre enfant... — R. Je ne
puis... ce serait de la dérision ou de la cruauté que le bourreau embrassât sa victime.
Le lendemain 16 janvier, l 'enfant n'eut point de crise, mais seulement des langueurs

- 117 -
d'estomac. A nos yeux, la délivrance était opérée.
Le soir, à huit heures, l'Esprit de jules, répondant à notre appel, nous donna la
communication suivante :
« Mes amis, permettez-moi ce nom ; moi, l 'Esprit obsesseur, l'Esprit méchant, rusé et
pervers ; moi qui, il y a encore bien peu de jours, croupissais dans le mal et m'y plaisais,
je vais, avec l'aide de l'ange, vous faire de la morale. Je me trouve moi-même surpris de
ce changement ; je me demande si c'est bien moi qui parle.
Je croyais tout sentiment éteint dans mon âme ; une fibre vibrait encore ; l'ange l'a
devinée et l'a touchée ; je commence à voir et à sentir. Le mal me fait horreur. J'ai jeté
un regard sur mon passé, je n 'y ai vu que crimes. Une voix douce m'a dit : Espère ;
contemple la joie et le bonheur des bons Esprits ; purifie-toi ; pardonne au lieu de te
venger ; aime au lieu de haïr. Je t'aimerai aussi, moi, si tu veux aimer, si tu te rends
meilleur. Je me suis senti attendri. Je comprends maintenant le bonheur qu'éprouveront
les hommes, lorsqu'ils sauront pratiquer la charité.
Jeune enfant, (il s'adresse à sa victime présente à la séance), toi que j 'avais choisie pour
ma proie, comme le vautour la douce colombe, prie pour moi, et que le nom de réprouvé
s'efface de ta mémoire. J'ai reçu le baptême d'amour des mains de l'ange du Seigneur, et
aujourd'hui je revêts la robe d'innocence. Pauvre enfant, je désire que tes prières
adressées pour moi au Seigneur me délivrent bientôt du remords qui va me suivre
comme une expiation justement méritée.
Mes amis, veuillez continuer aussi vos prières pour mes misérables compagnons qui me
poursuivent de leur jalousie méchante, parce que je leur échappe. Hier encore, je me
demandais ce qu'ils diraient de moi ; aujourd'hui je leur dis : J'ai vaincu ; mon passé
m 'est pardonné, parce que j'ai su me repentir. Faites comme moi, livrez bataille au mal
qui vous retient captifs dans ce lieu de tourments et de désespoir ; sortez-en vainqueurs.
Si ma main criminelle a trempé comme la vôtre dans le sang, elle vous portera l 'eau
sainte de la prière qui lave les stigmates du réprouvé. Mon Dieu, pardon !
Merci, mes amis, pour le bien que vous m'avez fait. Je vous demanderai à rester près de
vous, à compter d'aujourd'hui, à assister à vos réunions. J'ai besoin de puiser à bonne
source des conseils pour remplir une nouvelle existence que je demanderai à Dieu quand
j'aurai subi l'expiation de mon passé infâme que ma conscience me reproche ».
(JULES).

Le 17 janvier, selon la promesse de Jules, la jeune fille n'éprouve absolument aucun


malaise ni aucune langueur d'estomac. Petite Carita nous annonça qu'elle subirait une
épreuve morale, soit à cinq heures du soir, pendant quelques jours, soit pendant son
sommeil, épreuve qui n'aurait rien de pénible pour elle, et dont les seuls symptômes
seraient des sourires et de douces larmes, ce qui eut lieu, en effet, pendant deux jours. Les
jours suivants, il y eut absence complète du plus petit indice de crise. Nous n'en conti-
nuâmes pas moins à observer l'enfant et à prier.
Le 18 février, petite Carita nous dicta l'instruction suivante :
« Mes bons amis ; bannissez toute crainte ; l’obsession est finie et bien finie ; un ordre de
choses étranges pour vous, mais qui vous paraîtront bientôt toutes naturelles, sera peut-
être la conséquence de cette obsession, mais non l'ouvrage de Jules. Quelques
développements sont nécessaires ici comme enseignement.
L'obsession ou la subjugation de l'être matériel se présente à vos yeux, aujourd 'hui que
vous connaissez la doctrine, non comme un phénomène surnaturel, mais simplement avec
un caractère différent des maladies organiques.
L'Esprit qui subjugue pénètre le périsprit de l 'être sur lequel il veut agir. Le périsprit de
l'obsédé reçoit comme une enveloppe le corps fluidique de l'Esprit étranger et, par ce
moyen, est atteint dans tout son être ; le corps matériel éprouve la pression exercée sur lui

- 118 -
d'une manière indirecte.
Il a paru étonnant que l'âme put agir physiquement sur la matière animée ; c'est elle
pourtant qui est l'auteur de tous ces faits. Elle a pour attributs l'intelligence et la volonté ;
par sa volonté elle dirige, et le périsprit, d'une nature semi-matérielle est l'instrument dont
elle se sert.
Le mal physique est apparent, mais la combinaison fluidique que vos sens ne peuvent
saisir, recèle un nombre infini de mystères qui se révéleront avec le propre de la doctrine
considérée au point de vue scientifique.
Lorsque l'Esprit abandonne sa victime, sa volonté n'agit plus sur le corps, mais l'empreinte
qu'a reçue le périsprit par le fluide étranger dont il a été chargé, ne s'efface pas tout à
coup, et continue encore quelque temps d’influer sur l'organisme. Dans le cas de votre
jeune malade : tristesses, larmes, langueurs, insomnies, troubles vagues, tels sont les effets
qui pourront se produire à la suite de cette délivrance, mais rassurez-vous, rassurez
l'enfant et sa famille, car ses conséquences seront pour elle sans danger.
Mon devoir m'appelle d'une manière spéciale à mener à bonne fin le travail que j'ai
commencé avec vous ; il faut maintenant agir sur l'Esprit même de l'enfant, par une douce
et salutaire influence moralisatrice.
Quant à vous, mes amis, continuez de prier et d'observer attentivement tous ces
phénomènes ; étudiez sans cesse ; le champ est ouvert, il est vaste. Faites connaître et
comprendre toutes ces choses, et les idées spirites se glisseront peu à peu dans l 'esprit de
vos frères que l 'apparition de la doctrine a trouvés incrédules ou indifférents ».
(PETITE CARITA).

Remarque. — Nous devons un juste tribut d 'éloges à nos frères de Marmande, pour le
tact, la prudence et le dévouement éclairé dont ils ont fait preuve en cette circonstance.
Par cet éclatant succès, Dieu a récompensé leur foi, leur persévérance et leur désin-
téressement moral, car ils n'y ont cherché aucune satisfaction d'amour-propre ; il n'en
aurait probablement point été de même si l 'orgueil eut terni leur bonne action. Dieu
retire ses dons à quiconque n 'en use pas avec humilité, sous l'empire de l 'orgueil, les plus
éminentes facultés médianimiques se pervertissent, s 'altèrent et s'éteignent, parce que les
bons Esprits retirent leur concours ; les déceptions, les déboires, les malheurs effectifs
dès cette vie, sont souvent la conséquence du détournement de la faculté de son but
providentiel ; nous en pourrions citer plus d 'une triste exemple parmi les médiums qui
donnaient les plus belles espérances.
A ce sujet, on ne saurait trop se pénétrer des instructions contenues dans l'Evangile selon
le Spiritisme, N°s 285, 326 et suivants, 333, 392 et suivants.
Nous recommandons aux prières de tous les bons Spirites, l 'Esprit ci-devant obsesseur
de Jules, afin de le fortifier dans ses bonnes résolutions, et de lui faire comprendre ainsi
qu'à ses pareils, ce que l'on gagne à faire le bien.
ALLAN KARDEC.

- 119 -
Revue spirite 1864

Instruction des Esprits


Les Esprits en Espagne (Barcelone, 13juin 1864)

« Je viens près de vous pour que vous ayez la bonté de me recommander à Dieu dans vos
prières, parce que je souffre, et je désire que les âmes charitables incarnées aient compassion
d'un pauvre Esprit qui demande à Dieu son pardon. J'ai longtemps croupi dans le mal, mais
aujourd'hui je viens dire aux Esprits qui le font : Cessez, âmes impures dans vos iniquités,
cessez d'être incrédules et de mener une vie errante telle que la vôtre ; cessez donc de faire le
mal, parce que Dieu a dit à ses bons Esprits : « Allez, et purifiez ces âmes perverses qui n'ont
jamais connu le bien ; il faut que le mal cesse, parce que les temps sont proches où la terre
doit être améliorée. Pour qu'elle soit meilleure, il faut que ces âmes souillées, qui chaque jour
viennent la peupler, se purifient, afin d'habiter de nouveau la terre, mais bonnes et
charitables. »
C'est ce que Dieu a dit à ses bons Esprits ; et moi qui étais un des plus cruels dans les
obsessions, je viens aujourd'hui dire à ceux qui font ce que je faisais : Ames égarées, suivez-
moi ; demandez pardon à Dieu et à ces âmes pures qui vous tendent les bras ; implorez, et
Dieu vous pardonnera ; mais pardonnez aussi, vous, et repentez-vous ; le pardon est si doux !
Ah ! si vous le connaissiez, vous ne tarderiez pas un instant à vous retirer de la fange du mal
où vous croupissez ; vous voleriez aussitôt dans les bras des anges qui sont près de vous.
Cessez, cessez, frères, je vous en prie ; cessez et suivez-moi ; repentez-vous.
Mes amis, permettez que je vous donne ce nom, quoique vous ne me connaissiez pas : je suis
un de ces Esprits qui ont tout fait hors le bien ; mais à tout péché miséricorde, et puisque Dieu
m'accorde mon pardon, et que des anges ont bien voulu me donner le nom de frère, j'espère
que vous, qui pratiquez la charité, vous prierez pour moi, car j'ai des épreuves bien dures à
subir ; mais elles sont méritées.
D. Y a-t-il longtemps que vous avez pris le sentier du bien ? - R. Non, mes amis, il y a peu de
temps, car je suis l'Esprit obsesseur de la jeune enfant de Marmande ; je suis Jules, et je viens
auprès des âmes charitables leur demander de prier pour moi, et dire aussi à mes anciens
compagnons : « Arrêtez ! ne faites plus le mal, parce que Dieu pardonne aux pécheurs
repentants ; repentez-vous, et vous serez absous. Je viens vous apporter les paroles de paix ;
recevez de l'ange qui est ici présent le saint baptême, comme je l'ai reçu moi-même. »
Chers amis, je vous quitte en vous recommandant de ne pas m'oublier dans vos bonnes
prières. Adieu.
JULES.

Ayant demandé à l'Esprit si celui de Petite Carita, sa protectrice, l'accompagnait, il répondit


affirmativement. Nous priâmes ce bon Esprit de vouloir bien nous dire quelques bonnes
paroles relativement aux obsessions que nous combattons depuis si longtemps. Voici ce qu'il
nous dit :
« Mes amis, les obsessions qui font le tourment de ces pauvres âmes incarnées sont bien
douloureuses, surtout pour les médiums qui désirent se servir de leur faculté pour faire le
bien, et ne le peuvent, parce que des Esprits malveillants se sont abattus sur eux et ne leur
laissent point de tranquillité ; mais il faut espérer que ces obsessions arrivent à leur fin. Priez
beaucoup, demandez à Dieu, la bonté même, qu'il veuille bien abréger vos souffrances et vos
épreuves. Evoquez, chères âmes, ces Esprits égarés ; priez pour eux ; moralisez-les ;
demandez des conseils aux bons Esprits. Vous êtes bien entourés ; n'avez-vous pas près de

- 120 -
vous plusieurs de ces âmes éthérées qui veillent sur vous et vous protègent, qui cherchent à
vous faire progresser, pour que vous arriviez près de Dieu ; c'est là qu'est leur tâche ; ils
travaillent sans cesse pour vous préparer la vie qui ne finit jamais. Si vous n'êtes pas délivrés,
mes chers amis, c'est sans doute que vous n'êtes pas assez purifiés pour la tâche que vous vous
êtes imposée. Vous avez choisi votre épreuve librement, et vous devez vous efforcer de la
mener à bonne fin, car les Esprits vous guident et vous soutiennent pour vous aider à terminer la
vie terrestre saintement, vous épurant par l'expiation de la souffrance et par la charité.
« Adieu, chers amis ; je vous quitte en priant Dieu pour vous et pour ces pauvres obsédés, et
je lui demande que vous soyez toujours protégés par les Esprits purifiés de votre groupe.
(Voir la Revue de février, mars et juin 1864 : guérison de la jeune obsédée de Marmande.)
PETITE CARITA. »

Voilà deux Esprits qui ont violé la consigne et franchi les Pyrénées sans permission, sans tenir
compte du mandement de Mgr Pantaleon, et, qui plus est, sans avoir été appelés ni évoqués. Il
est vrai que le mandement n'avait pas encore paru ; nous verrons si maintenant ils seront moins
hardis. On pourrait dire que si, dans cette réunion, on ne les a pas appelés, on avait l'habitude
d'en appeler d'autres, et que, trouvant la porte ouverte, ils en ont profité pour entrer ; mais on ne
tardera pas, si ce n'est déjà fait, à en voir s'introduire, là comme ailleurs, comme à Poitiers, par
exemple, chez des gens qui n'auront jamais entendu parler du Spiritisme, et même chez ceux
qui, scrupuleux observateurs de l'ordonnance, leur fermeront l'entrée de leurs maisons, et cela
malgré les alguazils.
Puisque ceux dont il est ici question se sont permis cette incartade, nous demanderons à
Monseigneur ce qu'il y a de ridicule dans ce fait, et où est le cynisme immonde qui, selon lui,
est le fruit du Spiritisme : Une jeune fille de Marmande, qui ni elle ni ses parents ne pensaient
point aux Esprits, qui peut-être même n'y croyaient pas, est atteinte, depuis près d'un an, d'une
maladie terrible, bizarre, devant laquelle échoue la science. Quelques Spirites croient y
reconnaître l'action d'un mauvais Esprit ; ils entreprennent sa guérison sans médicaments, par
la prière et l'évocation de ce mauvais Esprit, et en cinq jours, non seulement ils lui rendent la
santé, mais ils ramènent le mauvais Esprit au bien. Où est le mal ? où est l'absurdité ? Puis, ce
même Esprit vient à Barcelone, sans qu'on le demande, réclamer des prières dont il a besoin
pour achever sa purification ; il se donne pour exemple et invite ses anciens compagnons à
renoncer au mal ; le bon Esprit qui l'accompagne prêche une morale évangélique ; qu'y a-t-il
encore là de ridicule et d'immonde ? Ce qui est ridicule, dites-vous, c'est de croire à la
manifestation des Esprits. Mais qu'est-ce que c'est que ces deux êtres qui viennent de se
communiquer ? Est-ce un effet de l'imagination ? Non, puisqu'on ne songeait ni à eux, ni au
fait dont ils viennent parler. Lorsque vous serez mort, Monseigneur, vous verrez les choses
autrement, et nous prions Dieu qu'il vous éclaire comme il l'a fait pour votre prédécesseur,
aujourd'hui l'un des protecteurs du Spiritisme à Barcelone.
Parmi les communications qu'il a données à la Société spirite de Paris, voici la première qui a
déjà été publiée dans cette Revue ; nous la reproduisons néanmoins pour l'édification de ceux
qui ne la connaîtraient pas. (Voir la Revue d'août 1862, page 231 : Mort de l'évêque de
Barcelone, et, pour les détails de l'autodafé, les numéros de novembre et décembre 1861.)
« Aidé par votre chef spirituel (saint Louis), j'ai pu venir vous enseigner par mon exemple et
vous dire : Ne repoussez aucune des idées annoncées, car un jour, un jour qui durera et pèsera
comme un siècle, ces idées amoncelées crieront comme la voix de l'ange : Caïn, qu'as-tu fait
de ton frère ? Qu'as-tu fait de notre puissance, qui devait consoler et élever l'humanité ?
L'homme qui volontairement vit aveugle et sourd d'esprit, comme d'autres le sont de corps,
souffrira, expiera et renaîtra pour recommencer le labeur intellectuel que sa paresse et son
orgueil lui ont fait éviter ; et cette terrible voix m'a dit : Tu as brûlé les idées, et les idées te
brûleront. Priez pour moi ; priez, car elle est agréable à Dieu la prière que lui adresse le
persécuté pour le persécuteur.

- 121 -
« Celui qui fut évêque et n'est plus qu'un pénitent. »

- 122 -
Revue spirite 1865

Les Esprits en Espagne


Guérison d'une obsédée à Barcelone

Rose N…, mariée en 1850, fut atteinte peu de jours après son mariage d'attaques
spasmodiques qui se répétaient assez souvent et avec violence jusqu'à ce qu'elle fût enceinte.
Pendant sa grossesse elle n'éprouva rien, mais après sa délivrance les mêmes accidents se
renouvelèrent ; les crises duraient souvent trois ou quatre heures, pendant lesquelles elle
faisait toutes sortes d'extravagances, et trois ou quatre personnes suffisaient à peine pour la
contenir. Parmi les médecins qui furent appelés, les uns disaient que c'était une maladie
nerveuse, les autres de la folie. Le même phénomène se renouvela à chaque grossesse ; c'est-
à-dire que les accidents cessaient pendant la gestation et recommençaient après
l'accouchement.
Ceci durait depuis bien des années ; le pauvre ménage était las de consulter les uns et les
autres et de faire des remèdes qui n'amenaient aucun résultat ; ces braves gens étaient à bout
de patience et de ressources, la femme restant quelquefois des mois entiers sans pouvoir
vaquer aux soins de son ménage. Elle éprouvait parfois un mieux qui faisait espérer une
guérison, mais après quelques semaines de répit, le mal reprenait avec une recrudescence
terrible.
Quelques personnes les ayant persuadés qu'un mal aussi rebelle devait être l'œuvre du démon,
ils eurent recours aux exorcismes, et la patiente se rendit à un sanctuaire distant de vingt
lieues, d'où elle revint tranquillisée en apparence ; mais au bout de quelques jours le mal
revint avec une nouvelle intensité. Elle repartit pour un autre ermitage où elle resta quatre
mois pendant lesquels elle fut assez tranquille pour qu'on la crût guérie ; elle revint donc dans
sa famille, joyeuse de la voir enfin délivrée de sa cruelle maladie ; mais après quelques
semaines leurs espérances furent de nouveau déçues ; les accès reparurent avec plus de force
que jamais. Le mari et la femme étaient désespérés.
Ce fut en juillet dernier, 1864, qu'un de nos amis et frère en croyance nous donna
connaissance de ce fait, nous proposant d'essayer de soulager, sinon de guérir cette pauvre
persécutée, car il croyait y voir une obsession des plus cruelles. La malade était alors soumise
à un traitement magnétique qui lui avait procuré un peu de soulagement, mais le magnétiseur,
quoique Spirite, n'avait pas les moyens d'évoquer l'Esprit obsesseur, faute de médium, et ne
pouvait, malgré son bon vouloir, produire l'effet désiré. Nous acceptâmes avec empressement
cette occasion de faire une bonne œuvre ; nous réunîmes plusieurs adeptes sincères, et fîmes
venir la malade.
Quelques minutes suffirent pour reconnaître la cause de la maladie de Rose ; c'était, en effet,
une obsession des plus terribles. Nous eûmes beaucoup de peine à faire venir l'obsesseur à
notre appel. Il fut très violent, nous répondit quelques mots décousus, et s'en fût aussitôt se
jeter comme une furie sur sa victime, à laquelle il donna une crise violente qui fût cependant
bientôt calmée par le magnétiseur.
A la seconde séance, qui eut lieu quelques jours après, nous pûmes retenir plus longtemps
l'Esprit obsesseur, qui se montra cependant toujours rebelle et très cruel pour sa victime. La
troisième évocation fut plus heureuse ; l'obsesseur conversa familièrement avec nous ; nous
lui fîmes comprendre tout le mal qu'il faisait en persécutant cette malheureuse femme, mais il
ne voulait point avouer ses torts et disait qu'il faisait payer une vieille dette. A la quatrième
évocation, il pria avec nous et se plaignit d'être amené près de nous contre son gré ; il voulait
bien venir, mais de sa propre volonté. C'est ce qu'il fit à la séance suivante ; peu à peu, à

- 123 -
chaque nouvelle évocation, nous prenions plus d'ascendant sur lui, et nous avons fini par le
faire renoncer au mal qui, depuis la quatrième séance, avait toujours été en diminuant, et nous
eûmes la satisfaction de voir les crises cesser à la neuvième. Chaque fois une magnétisation
de 12 à 15 minutes calmait totalement Rose et la laissait dans un état parfait de tranquillité.
Depuis le mois d'août, voilà de cela neuf mois, la malade n'a pas eu de crises, et ses
occupations n'ont pas été interrompues. De loin en loin seulement, elle a éprouvé de légères
secousses à la suite de quelques contrariétés qu'elle ne pouvait maîtriser ; mais ce n'étaient
que comme des éclairs sans orage, et pour lui démontrer pratiquement qu'elle ne devait pas
oublier les bonnes habitudes qu'elle avait contractées envers Dieu et ses semblables. Il faut
dire aussi qu'elle a puissamment contribué à sa guérison, par sa foi, sa ferveur, sa confiance
dans le Créateur, et en réprimant son caractère naturellement emporté. Tout ceci a contribué à
ce que l'obsesseur prît de la force sur lui-même, car il n'en avait pas assez pour s'engager
résolument dans la bonne route ; il craignait les épreuves qu'il aurait à subir pour mériter son
pardon. Mais, grâce à Dieu, et avec l'aide puissante de nos bons guides, il est aujourd'hui en
bonne voie et fait tout ce qu'il peut pour être pardonné. C'est lui qui, aujourd'hui, donne de
forts bons conseils à celle qu'il a si longtemps persécutée, et qui est maintenant robuste et gaie
comme si elle n'avait jamais rien eu. Cependant, tous les huit jours, elle vient se soumettre à
une magnétisation, et de temps en temps nous évoquons son ancien persécuteur pour le
fortifier dans ses bonnes résolutions. Voici sa dernière communication ; elle est du 19 avril
1865 :
Me voici. Je viens vous remercier de votre bonne persévérance à mon égard ; sans vous, sans
ces bons et bienveillants Esprits qui sont présents, je n'aurais jamais connu le bonheur que je
ressens maintenant ; je croupirais encore dans mal, dans la misère. Oh ! oui, misère, car on ne
peut être plus malheureux que je n'étais ; toujours faire le mal, et toujours désirer le faire !
Combien de fois, hélas ! vous ai-je dit que je ne souffrais pas ! C'est maintenant que je vois
combien je souffrais. Dans ce même instant je les ressens encore ces souffrances, mais non
comme alors ; aujourd'hui c'est du repentir et non le besoin incessant de faire le mal. Oh non !
que le Dieu de bonté m'en préserve, et que je sois fortifié pour ne plus retomber jamais dans la
peine. Oh ! plus de ces tortures, plus de ces maux cuisants qui ne laissent à l'âme aucun
moment de repos. C'est bien là l'enfer ; il est avec celui qui fait le mal comme je le faisais.
J'ai fait le mal par ressentiment, par vengeance, par ambition ! Que m'en est-il revenu ? Haï,
repoussé des bons Esprits, ne pouvant les comprendre lorsqu'ils s'approchaient de moi et que
j'entendais leurs voix, car il ne m'était pas permis de les voir ; non ! aujourd'hui Dieu me l'a
permis ; c'est pour cela que je ressens un bien-être que je n'ai jamais éprouvé ; car, quoique je
souffre beaucoup, j'entrevois l'avenir, et j'endure mes souffrances avec patience et résignation,
demandant pardon à Dieu, et assistance aux bons Esprits pour celle que j'ai si longtemps
persécutée. Qu'elle me pardonne ; un jour viendra, bientôt peut-être, où je pourrai lui être
utile.
Je termine en vous remerciant, et vous priant de vouloir bien me continuer vos prières et la
bonne amitié que vous m'avez témoignée, et de me pardonner la peine que je vous ai
occasionnée. Oh ! merci, merci ! Vous ne pouvez savoir combien mon Esprit est
reconnaissant du bien que vous m'avez fait. Priez Dieu pour qu'il me pardonne, et les bons
Esprits pour qu'ils soient avec moi afin de m'aider et de me fortifier. Adieu.
PEDRO.

Après cette communication, nous reçûmes de nos guides spirituels celle qui suit :
La guérison touche à sa fin ; remerciez Dieu qui a bien voulu exaucer vos prières et se servir
de vous pour qu'un ennemi acharné soit devenu aujourd'hui un ami ; car soyez sûrs que cet
Esprit fera un jour tout ce qu'il pourra pour cette pauvre famille qu'il a si longtemps
tourmentée. Mais vous, chers enfants, n'abandonnez ni le persécuteur ni la persécutée ; tous
les deux ont encore besoin de votre assistance : l'un pour le soutenir dans la bonne route qu'il

- 124 -
a prise ; en l'évoquant quelquefois, vous augmenterez son courage ; l'autre, pour dissiper
totalement le fluide malsain qui l'a si longtemps enveloppée ; faites-lui de temps en temps une
abondante magnétisation, sans cela elle se trouverait encore exposée à l'influence d'autres
Esprits malveillants, car vous savez qu'il n'en manque pas, et vous en auriez du regret.
Courage donc ; achevez, complétez votre œuvre, et préparez-vous à celles qui vous sont
encore réservées. Soyez fermes ; votre tâche est épineuse, il est vrai, mais aussi, si vous ne
fléchissez pas, combien grande en sera pour vous la récompense !
VOS GUIDES.

Il ne suffit pas de rapporter des faits plus ou moins intéressants ; l'essentiel est d'en tirer une
instruction, sans cela ils sont sans profit. C'est par les faits que le Spiritisme s'est constitué en
science et en doctrine ; mais si l'on se fût borné à les constater et à les enregistrer, nous n'en
serions pas plus avancés que le premier jour. En Spiritisme, comme en toute science, il y a
toujours à apprendre ; or, c'est par l'étude, l'observation et la déduction des faits qu'on
apprend. C'est pour cela que nous faisons, lorsqu'il y a lieu, suivre ceux que nous citons des
réflexions qu'ils nous suggèrent, soit qu'ils viennent confirmer un principe connu, soit qu'ils
servent d'élément à un principe nouveau. C'est, selon nous, le moyen de captiver l'attention
des gens sérieux.
Une première remarque à faire sur la lettre rapportée ci-dessus, c'est qu'à l'exemple de ceux
qui comprennent la doctrine dans sa pureté, ces adeptes font abnégation de tout amour-
propre ; ils ne font point d'étalage et ne cherchent point l'éclat ; ils font le bien sans
ostentation, et sans se vanter des guérisons qu'ils obtiennent, parce qu'ils savent qu'ils ne les
doivent ni à leur talent, ni à leur mérite personnel, et que Dieu peut leur retirer cette faveur
quand il lui plaira ; ce n'est ni une réputation ni une clientèle qu'ils cherchent ; ils trouvent
leur récompense dans la satisfaction d'avoir soulagé un affligé, et non dans le vain suffrage
des hommes. C'est le moyen de se concilier l'appui des bons Esprits qui abandonnent l'orgueil
aux Esprits orgueilleux.
Les faits de guérisons comme celui-ci, comme ceux de Marmande et d'autres non moins
méritants, sont sans doute un encouragement ; ce sont aussi d'excellentes leçons pratiques qui
montrent à quels résultats on peut arriver par la foi, la persévérance, et une sage et intelligente
direction ; mais ce qui n'est pas un moins bon enseignement, c'est l'exemple de la modestie, de
l'humilité et du complet désintéressement moral et matériel. C'est dans les centres animés de
tels sentiments qu'on obtient ces merveilleux résultats, parce que là on est vraiment fort contre
les mauvais Esprits. Il n'est pas moins à remarquer que dès que l'orgueil y pénètre, dès que le
bien n'y est plus fait exclusivement pour le bien, et qu'on y cherche la satisfaction de l'amour-
propre, la puissance décline.
Notons également que c'est dans les centres vraiment sérieux qu'on fait le plus d'adeptes
sincères, parce que les assistants sont touchés de la bonne impression qu'ils reçoivent, tandis
que dans les centres légers et frivoles, on n'est attiré que par la curiosité, qui n'est même pas
toujours satisfaite. C'est comprendre le véritable but de la doctrine que de l'employer à faire le
bien aux désincarnés, comme aux incarnés ; c'est peu récréatif pour certaines gens, il faut en
convenir, mais c'est plus méritoire pour ceux qui s'y dévouent. Aussi sommes-nous heureux
de voir se multiplier les centres qui se livrent à ces utiles travaux ; on s'y instruit tout en
rendant service, et les sujets d'études n'y manquent pas. Ce sont les plus solides soutiens de la
doctrine.
N'est-ce pas un fait bien caractéristique de voir, aux deux extrémités de l'Europe, au nord de
la Russie et au midi de l'Espagne, des réunions spirites animées par la même pensée de faire le
bien, qui agissent sous l'impulsion des mêmes sentiments de charité envers leurs frères ?
N'est-ce pas l'indice de l'irrésistible puissance morale de la doctrine qui vainc tous les
obstacles et ne connaît point de barrières ?

- 125 -
Le fait ci-dessus présente un cas particulier, c'est celui de la suspension des crises pendant la
grossesse. D'où cela vient-il ? Que la science l'explique, si elle le peut ; voici la raison qu'en
donne le spiritisme. La maladie n'était ni une folie, ni une affection nerveuse ; la guérison en
est la preuve : c'était bien une obsession. L'Esprit obsesseur exerçait une vengeance ; Dieu le
permit pour servir d'épreuve et d'expiation à la mère et, en outre, parce que, plus tard, la
guérison de celle-ci devait amener l'amélioration de l'Esprit. Mais les crises, pendant la
grossesse, pouvaient nuire à l'enfant ; Dieu voulait bien que la mère fût punie du mal qu'elle
avait pu faire, mais il ne voulait pas que l'être innocent qu'elle portait en souffrît ; c'est pour
cela que toute liberté d'action fut ôtée, pendant ce temps, à ses persécuteurs.
Que le Spiritisme explique de choses pour celui qui veut étudier et observer ! Quels horizons
il ouvrira à la science, quand celle-ci tiendra compte de l'élément spirituel ! Que ceux qui ne
le voient que dans des manifestations curieuses sont loin de le comprendre !

- 126 -
Revue spirite 1866

Cures d'obsessions

Nous avons cité plusieurs cures de ce genre, notamment dans les mois de février 1864 et
janvier 1865.
Voici un autre fait, non moins caractéristique, obtenu dans le groupe de Marmande.
Dans un village, à quelques lieues de cette ville, était un paysan atteint d'une folie tellement
furieuse, qu'il poursuivait les gens à coups de fourche pour les tuer, et qu'à défaut de gens il
s'attaquait aux animaux de la basse-cour. Il courait sans cesse les champs et ne rentrait plus
chez lui. Sa présence était dangereuse ; aussi obtint-on sans peine l'autorisation de le faire
entrer à la maison des aliénés de Cadillac. Ce n'était pas sans un vif chagrin que sa famille se
vit forcée de prendre ce parti. Avant de l'emmener, un de ses parents ayant entendu parler des
guérisons obtenues à Marmande, dans des cas semblables, vint trouver M. Dombre et lui dit :
« Monsieur, on m'a dit que vous guérissiez les fous, c'est pourquoi je viens vous trouver ; »
puis il lui raconta ce dont il s'agissait, ajoutant : « C'est que, voyez-vous, cela nous fait tant de
peine de nous séparer de ce pauvre J…, que j'ai voulu voir auparavant s'il n'y avait pas moyen
de l'empêcher.
- Mon brave homme, lui dit M. Dombre, je ne sais qui m'a fait cette réputation ; j'ai réussi
quelquefois, il est vrai, à rendre la raison à de pauvres insensés, mais cela dépend de la cause
de la folie. Quoique je ne vous connaisse pas, je vais voir néanmoins si je puis vous être
utile. » S'étant immédiatement rendu avec l'individu chez son médium habituel, il obtint de
son guide l'assurance qu'il s'agissait d'une obsession grave, mais qu'avec de la persévérance il
en viendrait à bout. Là-dessus il dit au paysan : « Attendez encore quelques jours avant de
conduire votre parent à Cadillac ; nous allons nous en occuper ; revenez tous les deux jours
me dire comment il se trouve. »
Dès le jour même ils se mirent à l'œuvre. L'Esprit se montra tout d'abord, comme ses pareils,
peu traitable ; petit à petit, il finit par s'humaniser, et finalement par renoncer à tourmenter ce
malheureux. Un fait assez particulier, c'est qu'il déclara n'avoir aucun sujet de haine contre cet
homme ; que, tourmenté du besoin de faire le mal, il s'en était pris à lui comme à tout autre ;
qu'il reconnaissait maintenant avoir tort et en demandait pardon à Dieu. Le paysan revint au
bout de deux jours, et dit que son parent était plus calme, mais qu'il n'était pas encore rentré
chez lui, et se cachait dans les haies. A la visite suivante, il était revenu à la maison, mais il
était sombre, et se tenait à l'écart ; il ne cherchait plus à frapper personne. Quelques jours
après, il allait à la foire et faisait ses affaires comme d'habitude. Ainsi, huit jours avaient suffi
pour le ramener à l'état normal, et cela sans aucun traitement physique. Il est plus que
probable que si on l'eût enfermé avec des fous, il aurait tout à fait perdu la raison.
Les cas d'obsession sont tellement fréquents, qu'il n'y a aucune exagération à dire que dans les
maisons d'aliénés il y en a plus de la moitié qui n'ont que l'apparence de la folie, et sur
lesquels la médication vulgaire est par cela même impuissante.
Le Spiritisme nous montre dans l'obsession une des causes perturbatrices de l'économie, et
nous donne en même temps le moyen d'y remédier : c'est là un de ses bienfaits. Mais
comment cette cause a-t-elle été reconnue, si ce n'est par les évocations ? Les évocations sont
donc bonnes à quelque chose, quoi qu'en disent leurs détracteurs.
Il est évident que ceux qui n'admettent ni l'âme individuelle, ni sa survivance, ou qui, s'ils
l'admettent, ne se rendent pas compte de l'état de l'Esprit après la mort, doivent regarder
l'intervention d'êtres invisibles, en pareille circonstance, comme une chimère ; mais le fait
brutal du mal et des guérisons est là. On ne saurait mettre sur le compte de l'imagination des
cures opérées à distance, sur des personnes que l'on n'a jamais vues, sans l'emploi d'aucun
agent matériel quelconque. La maladie ne peut être attribuée à la pratique du Spiritisme,
puisqu'elle atteint même ceux qui n'y croient pas, et des enfants qui n'en ont aucune idée. Il

- 127 -
n'y a pourtant ici rien de merveilleux, mais des effets naturels qui ont existé de tout temps,
que l'on ne comprenait pas alors, et qui s'expliquent de la manière la plus simple, maintenant
que l'on connaît les lois en vertu desquelles ils se produisent.
Ne voit-on pas, parmi les vivants, des êtres méchants en tourmenter d'autres plus faibles,
jusqu'à les rendre malades, à les faire mourir même, et cela sans autre motif que le désir de
faire le mal ? Il y a deux moyens de rendre la paix à la victime : la soustraire d'autorité à leur
brutalité, ou développer en eux le sentiment du bien. La connaissance que nous avons
maintenant du monde invisible nous le montre peuplé des mêmes êtres qui ont vécu sur la
terre, les uns bons, les autres mauvais. Parmi ces derniers, il en est qui se complaisent encore
au mal, par suite de leur infériorité morale, et qui n'ont pas encore dépouillé leurs instincts
pervers ; ils sont au milieu de nous comme de leur vivant, avec la seule différence qu'au lieu
d'avoir un corps matériel visible, ils en ont un fluidique invisible ; mais ce n'en sont pas moins
les mêmes hommes, au sens moral peu développé, cherchant toujours les occasions de faire le
mal, s'acharnant sur ceux qui leur donnent prise et qu'ils parviennent à soumettre à leur
influence ; d'obsesseurs incarnés qu'ils étaient, ils sont obsesseurs désincarnés, d'autant plus
dangereux qu'ils agissent sans être vus. Les éloigner par la force n'est pas chose facile, attendu
qu'on ne peut les appréhender au corps ; le seul moyen de les maîtriser, c'est l'ascendant moral
à l'aide duquel, par le raisonnement et de sages conseils, on parvient à les rendre meilleurs, ce
à quoi ils sont plus accessibles à l'état d'Esprit qu'à l'état corporel. Dès l'instant où on les a
amenés à renoncer volontairement à tourmenter, le mal disparaît, si ce mal est le fait d'une
obsession ; or, on comprend que ce ne sont ni les douches, ni les remèdes administrés au
malade qui peuvent agir sur l'Esprit obsesseur. Voilà tout le secret de ces guérisons, pour
lesquelles il n'y a ni paroles sacramentelles, ni formules cabalistiques : on cause avec l'Esprit
désincarné, on le moralise, on fait son éducation, comme on l'eût fait de son vivant. L'habileté
consiste à savoir le prendre selon son caractère, à diriger avec tact les instructions qu'on lui
donne, comme le ferait un instituteur expérimenté. Toute la question se réduit à ceci : Y a-t-il,
oui ou non, des Esprits obsesseurs ? A cela on répond ce que nous avons dit plus haut : Les
faits matériels sont là.
On demande parfois pourquoi Dieu permet aux mauvais Esprits de tourmenter les vivants. On
pourrait avec autant de raison demander pourquoi il permet aux vivants de se tourmenter entre
eux. On perd trop de vue l'analogie, les rapports et la connexité qui existent entre le monde
corporel et le monde spirituel, qui se composent des mêmes êtres sous deux états différents ;
là est la clef de tous ces phénomènes réputés surnaturels.
Il ne faut pas plus s'étonner des obsessions que des maladies et autres maux qui affligent
l'humanité ; elles font partie des épreuves et des misères qui tiennent à l'infériorité du milieu
où nos imperfections nous condamnent à vivre, jusqu'à ce que nous nous soyons suffisamment
améliorés pour mériter d'en sortir. Les hommes subissent ici-bas les conséquences de leurs
imperfections, car s'ils étaient plus parfaits, ils n'y seraient pas.

- 128 -
Revue spirite 1863

Période de la lutte

La première période du Spiritisme, caractérisée par les tables tournantes, a été celle de la
curiosité. La seconde fut la période philosophique, marquée par l'apparition du Livre des
Esprits. Dès ce moment le Spiritisme prit un tout autre caractère ; on en entrevit le but et la
portée, on y puisa la foi et la consolation, et la rapidité de ses progrès fut telle qu'aucune
doctrine philosophique ou religieuse n'en offre d'exemple. Mais, comme toutes les idées
nouvelles, il eut des adversaires d'autant plus acharnés que l'idée était plus grande, parce que
toute grande idée ne peut s'établir sans froisser des intérêts ; il faut qu'elle se place, et les gens
déplacés ne peuvent la voir d'un bon œil ; puis, à côté des gens intéressés sont ceux qui, par
système, sans motifs précis, sont les adversaires-nés de tout ce qui est nouveau.
Dans les premières années, beaucoup doutèrent de sa vitalité, c'est pourquoi ils y donnèrent peu
d'attention ; mais quand on le vit grandir malgré tout, se propager dans tous les rangs de la
société et dans toutes les parties du monde, prendre sa place parmi les croyances et devenir une
puissance par le nombre de ses adhérents, les intéressés au maintien des idées anciennes
s'alarmèrent sérieusement. C'est alors qu'une véritable croisade fut dirigée contre lui, et que
commença la période de la lutte, dont l'autodafé de Barcelone, du 9 octobre 1860, fut en
quelque sorte le signal. Jusque-là, il avait été en butte aux sarcasmes de l'incrédulité qui rit de
tout, surtout de ce qu'elle ne comprend pas, même des choses les plus saintes, et auxquels
aucune idée nouvelle ne peut échapper : c'est son baptême du tropique ; mais les autres ne rirent
pas : ils se mirent en colère, signe évident et caractéristique de l'importance du Spiritisme. Dès
ce moment les attaques prirent un caractère de violence inouïe ; le mot d'ordre fut donné :
sermons furibonds, mandements, anathèmes, excommunications, persécutions individuelles,
livres, brochures, articles de journaux, rien ne fut épargné, pas même la calomnie.
Nous sommes donc en plein dans la période de la lutte, mais elle n'est pas finie. Voyant
l'inutilité de l'attaque à ciel ouvert, on va essayer de la guerre souterraine, qui s'organise et
commence déjà ; un calme apparent va se faire sentir, mais c'est le calme précurseur de
l'orage ; mais aussi à l'orage succède un temps serein. Spirites, soyez donc sans inquiétude,
car l'issue n'est pas douteuse ; la lutte est nécessaire, et le triomphe n'en sera que plus éclatant.
J'ai dit, et je le répète : je vois le but, je sais quand et comment il sera atteint. Si je vous parle
avec cette assurance, c'est que j'ai pour cela des raisons sur lesquelles la prudence veut que je
me taise, mais vous les connaîtrez un jour. Tout ce que je puis vous dire, c'est que de
puissants auxiliaires viendront qui fermeront la bouche à plus d'un détracteur. Pourtant la lutte
sera vive, et si, dans le conflit, il y a quelques victimes de leur foi, qu'elles s'en réjouissent,
comme le faisaient les premiers martyrs chrétiens, dont plusieurs sont parmi vous pour vous
encouragez et vous donner l'exemple ; qu'elles se rappellent ces paroles du Christ :
« Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux
est à eux. Vous serez heureux lorsque les hommes vous chargeront de malédictions, et qu'ils
vous persécuteront, et qu'ils diront faussement toute sorte de mal contre vous à cause de moi.
Réjouissez-vous alors, et tressaillez de joie, parce qu'une grande récompense vous est réservée
dans les cieux ; car c'est ainsi qu'ils ont persécuté les prophètes qui ont été avant vous. »
(Saint-Matthieu, ch. VI, v. 10, 11, 12.)
Ces paroles ne semblent-elles pas avoir été dites pour les Spirites d'aujourd'hui comme pour
les apôtres d'alors ? C'est que les paroles du Christ ont cela de particulier, qu'elles sont de tous
les temps, parce que sa mission était pour l'avenir comme pour le présent.
La lutte déterminera une nouvelle phase du Spiritisme et amènera la quatrième période, qui
sera la période religieuse ; puis viendra la cinquième, période intermédiaire, conséquence
naturelle de la précédente, et qui recevra plus tard sa dénomination caractéristique. La sixième
et dernière période sera celle de la rénovation sociale, qui ouvrira l'ère du vingtième siècle. A

- 129 -
cette époque, tous les obstacles au nouvel ordre de choses voulu par Dieu pour la
transformation de la terre auront disparu ; la génération qui s'élève, imbue des idées nouvelles,
sera dans toute sa force, et préparera la voie de celle qui inaugurera le triomphe définitif de
l'union, de la paix et de la fraternité entre les hommes confondus dans une même croyance par
la pratique de la loi évangélique. Ainsi seront vérifiées les paroles du Christ, qui toutes
doivent recevoir leur accomplissement, et dont plusieurs s'accomplissent à cette heure, car les
temps prédits sont arrivés. Mais c'est en vain que, prenant la figure pour la réalité, vous
chercherez des signes dans le ciel : ces signes sont à vos côtés et surgissent de toutes parts.
Il est remarquable que les communications des Esprits ont eu un caractère spécial à chaque
période : dans la première elles étaient frivoles et légères ; dans la seconde elles ont été graves
et instructives ; dès la troisième ils ont pressenti la lutte et ses différentes péripéties. La
plupart de celles qui s'obtiennent aujourd'hui dans les différents centres ont pour objet de
prémunir les adeptes contre les menées de leurs adversaires. Partout donc des instructions sont
données sur ce sujet, comme partout un résultat identique est annoncé. Cette coïncidence, sur
ce point comme sur beaucoup d'autres, n'est pas un des faits les moins significatifs. La
situation se trouve complètement résumée dans les deux communications suivantes, dont plus
d'un Spirite a déjà pu reconnaître la vérité.

- 130 -
Instruction des Esprits
La guerre sourde

Paris, 14 août 1863.


« La lutte vous attend, mes chers fils ; c'est pourquoi je vous invite tous à imiter les lutteurs
antiques, c'est-à-dire à vous ceindre les reins. Les années qui vont suivre sont pleines de
promesses, mais aussi pleines d'anxiétés. Je ne viens point vous dire : Demain sera le jour de
la bataille ! non, car l'heure du combat n'est pas encore fixée, mais je viens vous avertir, afin
que vous soyez prêts à toutes les éventualités. Le Spiritisme, jusqu'à présent, n'a trouvé qu'une
route facile et presque fleurie, car les injures et les railleries qu'on vous a adressées n'ont
aucune portée sérieuse et sont restées sans effet, tandis que dorénavant les attaques qu'on
dirigera contre vous auront un tout autre caractère : voici venir l'heure où Dieu va faire appel
à tous les dévouements, où il va juger ses serviteurs fidèles pour faire à chacun la part qu'il
aura méritée. On ne vous martyrisera point corporellement comme aux premiers temps de
l'Église, on ne dressera point de bûchers homicides comme au moyen âge, mais on vous
torturera moralement ; on dressera des embûches ; on tendra des pièges d'autant plus
dangereux qu'on y emploiera des mains amies ; on agira dans l'ombre, et vous recevrez des
coups sans savoir par qui ces coups seront portés, et vous serez frappés en pleine poitrine par
les flèches empoisonnées de la calomnie. Rien ne manquera à vos douleurs ; on suscitera des
défaillances dans vos rangs, et de soi-disant Spirites, perdus par l'orgueil et la vanité, se
poseront dans leur indépendance en s'écriant : « C'est nous qui sommes dans le droit
chemin ! » afin que vos adversaires-nés puissent dire : « Voyez, comme ils sont unis ! » On
essayera de semer l'ivraie entre les groupes, en provoquant la formation de groupes
dissidents ; on captera vos médiums pour les faire entrer dans une mauvaise voie ou pour les
détourner d'aller dans les groupes sérieux ; on emploiera l'intimidation pour les uns, la
captation pour les autres ; on exploitera toutes les faiblesses. Puis, n'oubliez pas que quelques-
uns ont vu dans le Spiritisme un rôle à jouer, et un premier rôle, qui éprouvent aujourd'hui
plus d'une déconvenue dans leur ambition. On leur promettra d'un côté ce qu'ils ne peuvent
trouver de l'autre. Puis enfin, avec l'argent, si puissant dans votre siècle arriéré, ne peut-on
trouver des comparses pour jouer d'indignes comédies afin de jeter le discrédit et le ridicule
sur la doctrine ?
« Voilà les épreuves qui vous attendent, mes fils, mais dont vous sortirez victorieux, si vous
implorez du fond du cœur le secours du Tout-Puissant ; c'est pourquoi, je vous le répète de
toute mon âme : mes fils, serrez vos rangs, soyez sur le qui-vive, car c'est votre Golgotha
qu'on élève ; et si vous n'y êtes pas crucifiés en chair et en os, vous le serez dans vos intérêts,
dans vos affections, dans votre honneur ! L'heure est grave et solennelle ; arrière donc toutes
les mesquines discussions, toutes les préoccupations puériles, toutes les questions oiseuses, et
toutes les vaines prétentions de prééminence et d'amour propre ; occupez-vous des grands
intérêts qui sont en vos mains et dont le Seigneur vous demandera compte. Unissez-vous pour
que l'ennemi trouve vos rangs compacts et serrés ; vous avez un mot de ralliement sans
équivoque, pierre de touche à l'aide de laquelle vous pouvez reconnaître vos véritables frères,
car ce mot implique l'abnégation et le dévouement, et résume tous les devoirs du vrai Spirite.
« Courage donc et persévérance, mes enfants ! songez que Dieu vous regarde et vous juge ;
souvenez-vous aussi que vos guides spirituels ne vous abandonneront pas tant qu'ils vous
trouveront dans le droit chemin. D'ailleurs, toute cette guerre n'aura qu'un temps et tournera
contre ceux qui croyaient créer des armes contre la doctrine ; le triomphe, et non plus le
sanglant holocauste, rayonnera du Golgotha spirite.
« A bientôt, mes fils, salut à tous. ERASTE, disciple de saint Paul, apôtre. »

- 131 -
Revue spirite 1863
La communication ci-après développe une des phases de la grave question que nous venons
de traiter, et ne peut manquer de prémunir les Spirites sur les difficultés qui vont s'accumuler
dans cette période.

Les conflits

(Réunion particulière. 25 février 1863. – Médium, M. d'Ambel.)


Il y a dans le moment actuel une recrudescence d'obsession, résultat de la lutte que doivent
inévitablement soutenir les idées nouvelles contre leurs adversaires incarnés et désincarnés.
L'obsession, habilement exploitée par les ennemis du Spiritisme, est une des épreuves les plus
périlleuses qu'il aura à subir avant de s'asseoir d'une manière stable dans l'esprit des
populations, aussi doit-elle être combattue par tous les moyens possibles, et surtout par la
prudence et l'énergie de vos guides spirituels et terrestres.
De toutes parts il surgit des médiums à prétendues missions, appelés, disent-ils, à prendre en
mains la bannière du Spiritisme et à la planter sur les ruines du vieux monde, comme si nous
venions détruire, nous qui ne venons que pour édifier. il n'est pas d'individualité, si médiocre
soit-elle, qui n'ait trouvé, comme Macbeth, un Esprit pour lui dire : « Toi aussi, tu seras roi, »
et qui ne se croie désignée à un apostolat tout particulier ; il est peu de réunions intimes, et
même de groupes de famille qui n'aient compté parmi leurs médiums ou leurs simples
croyants une âme assez infatuée d'elle-même pour se croire indispensable au succès de la
grande cause, trop présomptueuse pour se contenter du modeste rôle d'ouvrier apportant sa
pierre à l'édifice. Hélas ! mes amis, que de mouches du coche !
Presque tous les nouveaux médiums sont soumis, pour leur début, à cette tentation
dangereuse ; quelques-uns y résistent, mais beaucoup y succombent, au moins pour un temps,
jusqu'à ce que des échecs successifs viennent les désabuser. Pourquoi Dieu permet-il une
épreuve aussi difficile, sinon pour prouver que le bien et le progrès ne s'établissent jamais
chez vous sans peine et sans combat, pour rendre le triomphe de la vérité plus éclatant par les
difficultés de la lutte ? Et que veulent certains Esprits de l'erraticité en fomentant parmi les
médiocrités de l'incarnation cette exaltation de l'amour-propre et de l'orgueil, sinon entraver le
progrès ? Sans le vouloir, ils sont les instruments de l'épreuve qui mettra en évidence les bons
et les mauvais serviteurs de Dieu. A celui-ci, tel Esprit promet le secret de la transmutation
des métaux, comme à un médium de R… ; à celui-là, comme à M…, un Esprit révèle de
prétendus événements qui vont s'accomplir, il fixe les époques, précise les dates, nomme les
acteurs qui doivent concourir au drame annoncé ; à tel autre, un Esprit mystificateur enseigne
l'incubation des diamants ; à d'autres on indique des trésors cachés, on promet une fortune
facile, des découvertes merveilleuses, la gloire, les honneurs, etc. ; en un mot, toutes les
ambitions et toutes les convoitises des hommes sont exploitées adroitement par les Esprits
pervers. C'est pourquoi de tous côtés vous voyez ces pauvres obsédés s'apprêter à monter au
Capitole avec une gravité et une importance qui attristent l'observateur impartial. Quel est le
résultat de toutes ces promesses fallacieuses ? Les déceptions, les déboires, le ridicule, parfois
la ruine, juste punition de l'orgueil présomptueux qui se croit appelé à faire mieux que tout le
monde, dédaigne les conseils et méconnaît les véritables principes du Spiritisme.
Autant la modestie est l'apanage des médiums choisis par les bons Esprits, autant l'orgueil,
l'amour-propre et, disons-le, la médiocrité sont les côtés distinctifs des médiums inspirés par
les Esprits inférieurs ; autant les premiers font bon marché des communications qu'ils
reçoivent quand celles-ci s'écartent de la vérité, autant les seconds maintiennent contre tous la
supériorité de ce qui leur est dicté, fût-ce même absurde. Il en résulte que, selon les paroles
prononcées à la Société de Paris par son président spirituel, saint Louis, une véritable tour de
Babel est en train de s'édifier parmi vous. Du reste, il faudrait être aveugle ou abusé pour ne
pas reconnaître qu'à la croisade dirigée contre le Spiritisme par les adversaires-nés de toute

- 132 -
doctrine progressive et émancipatrice, se joint une croisade spirituelle, dirigée par tous les
Esprits faux savants, faux grands hommes, faux religieux et faux frères de l'erraticité, faisant
cause commune avec les ennemis terrestres au moyen de cette multitude de médiums
fanatisés par eux, et auxquels ils dictent tant d'élucubrations mensongères. Mais voyez ce qui
reste de tous ces échafaudages élevés par l'ambition, l'amour-propre ou la jalousie ; combien
n'en avez-vous pas vu crouler, et combien vous en verrez crouler encore ! Je vous le dis, tout
édifice qui n'est pas assis sur la seule base solide : la vérité, tombera, parce que la vérité seule
peut défier le temps et triompher de toutes les utopies. Spirites sincères, ne vous effrayez donc
pas de ce chaos momentané ; le temps n'est pas éloigné où la vérité, débarrassée des voiles
dont on veut la couvrir, en sortira plus radieuse que jamais, et où sa clarté, inondant le monde,
fera rentrer dans l'ombre ses obscurs détracteurs un instant mis en évidence pour leur propre
confusion.
Ainsi donc, mes amis, vous avez à vous défendre non seulement contre les attaques et les
calomnies de vos adversaires vivants, mais aussi contre les manœuvres plus dangereuses
encore de vos adversaires de l'erraticité. Fortifiez-vous donc par de saines études et surtout
par la pratique de l'amour et de la charité, et retrempez-vous dans la prière. Dieu éclaire
toujours ceux qui se consacrent à la propagation de la vérité quand ils sont de bonne foi et
dépourvus de toute ambition personnelle.
Au surplus, Spirites, que vous importent les médiums qui ne sont, après tout, que des
instruments ! Ce qu'il vous faut considérer, c'est la valeur et la portée des enseignements qui
vous sont donnés ; c'est la pureté de la morale qui vous est enseignée ; c'est la netteté et la
précision des vérités qui vous sont révélées ; c'est, enfin, de voir si les instructions qu'on vous
donne répondent aux légitimes aspirations des âmes d'élite et si elles sont conformes aux lois
générales et immuables de la logique et de l'harmonie universelles.
Les Esprits imparfaits qui jouent un rôle d'apôtre près de leurs obsédés ne se font, vous le
savez, aucun scrupule de se parer des noms les plus vénérés ; aussi aurais-je mauvaise grâce,
moi qui ne suis qu'un des derniers et des plus obscurs disciples de l'Esprit de vérité, si je me
plaignais de l'abus que quelques-uns ont fait de mon modeste nom ; aussi, vous répéterai-je
sans cesse ce que je disais à mon médium il y a deux ans : « Ne jugez jamais une
communication médianimique en raison du nom dont elle est signée, mais seulement sur sa
valeur intrinsèque. »
Il est urgent de vous tenir en garde contre toutes les publications d'origine suspecte qui
paraissent ou qui vont paraître, contre toutes celles qui n'auraient pas une allure franche et
nette, et tenez pour certain que plus d'une est élaborée dans les camps ennemis du monde
visible ou du monde invisible en vue de jeter parmi vous des brandons de discorde. C'est à
vous de ne pas vous y laisser prendre ; vous avez tous les éléments nécessaires pour les
apprécier. Mais tenez également pour certain que tout Esprit qui s'annonce lui-même comme
un être supérieur, et surtout comme d'une infaillibilité à toute épreuve n'est, au contraire, que
l'opposé de ce qu'il annonce si pompeusement. Depuis que le pieux Esprit de François-
Nicolas Madeleine a bien voulu me débarrasser d'une partie de mon fardeau spirituel, j'ai pu
considérer l'ensemble de l'œuvre spirite, et faire la statistique morale des ouvriers qui
travaillent à la vigne du Seigneur. Hélas ! si beaucoup d'Esprits imparfaits s'immiscent à
l'œuvre que nous poursuivons, j'ai un bien plus grand regret de constater que parmi nos
meilleurs aides de la terre, beaucoup ont fléchi sous le poids de leur tâche, et ont repris petit à
petit le sentier de leurs anciennes faiblesses, de telle sorte qu'aux grandes âmes éthérées qui
les conseillaient se sont dès lors substitués des Esprits moins purs et moins parfaits. Ah ! je
sais que la vertu est difficile ; mais nous ne voulons ni ne demandons l'impossible. La bonne
volonté nous suffit quand elle est accompagnée du désir de mieux faire. En tout, mes amis, le
relâchement est pernicieux ; car il sera beaucoup demandé à ceux qui, après s'être élevés par
un renoncement généreux à leur propre individualité, seront retombés dans le culte de la
matière, et se seront encore laissé envahir par l'égoïsme et l'amour d’eux-mêmes. Néanmoins,

- 133 -
prions pour eux et ne condamnons personne : car nous devons toujours avoir présent à la
mémoire ce magnifique enseignement du Christ : « Que celui qui est sans péché lui jette la
première pierre ! »
Aujourd'hui, vos phalanges grossissent à vue d'œil, et vos partisans se comptent par millions.
Or, en raison du nombre des adeptes, se glissent sous de faux masques les faux frères dont
votre président temporel vous a entretenus dernièrement. Ce n'est pas que je vienne vous
recommander de n'ouvrir vos rangs qu'aux agneaux sans tache et aux génisses blanches ; non,
parce que, plus que tous autres, les pécheurs ont droit de trouver parmi vous un refuge contre
leurs propres imperfections. Mais ceux dont je vous engage à vous méfier sont ces hypocrites
dangereux auxquels, à première vue, on est tenté d'accorder toute confiance. A l'aide d'une
tenue rigide, sous l'œil observateur des foules, ils conservent cet air grave et digne qui fait dire
d'eux : « Quelles gens respectables ! » tandis que sous cette respectabilité apparente se
dissimulent parfois la perfidie et l'immoralité. Ils sont liants, obséquieux, pleins d'aménité ; ils
se faufilent dans les intérieurs ; fouillent volontiers dans la vie privée ; ils écoutent derrière les
portes et font les sourds pour mieux entendre ; ils pressentent les inimitiés, les attisent et les
entretiennent ; ils vont dans les camps opposés questionnant et interrogeant sur chacun. Que
fait celui-ci ? De quoi vit celui-là ? Quelle est cette personne ? Connaissez-vous sa famille ?
Vous les voyez ensuite aller sourdement distiller dans l'ombre les petites médisances qu'ils ont
pu recueillir, en ayant soin de les envenimer par d'onctueuses calomnies. « Ce sont des bruits,
disent-ils, auxquels on ne croit pas ; » mais cependant, ils ajoutent : « Il n'y a pas de fumée
sans feu, etc., etc. »
A ces tartufes de l'incarnation réunissez les tartufes de l'erraticité, et vous verrez, mes chers
amis, combien j'ai raison de vous conseiller d'agir désormais avec une réserve extrême, et de
vous garder de toute imprudence et de tout enthousiasme irréfléchi. Je vous l'ai dit, vous êtes
dans un moment de crise, rendu plus difficile par la malveillance, mais dont vous sortirez plus
forts avec la fermeté et la persévérance.
Le nombre des médiums est aujourd'hui incalculable, et il est fâcheux de voir que quelques-
uns se croient seuls appelés à distribuer la vérité au monde et s'extasier devant des banalités
qu'ils considèrent comme des monuments. Pauvres abusés qui se baissent en passant sous les
arcs de triomphe ! Comme si la vérité avait attendu leur venue pour être annoncée. Ni le fort,
ni le faible, ni l'instruit, ni l'ignorant, n'ont eu ce privilège exclusif ; c'est par mille voix
inconnues que la vérité s'est répandue, et c'est justement par cette unanimité qu'elle a su se
faire reconnaître. Comptez ces voix, comptez ceux qui les écoutent, comptez surtout ceux
qu'elles frappent au cœur, si vous voulez savoir de quel côté est la vérité. Ah ! si tous les
médiums avaient la foi, je serais le premier à m'incliner devant eux ; mais ils n'ont, la plupart
du temps, que foi en eux-mêmes, tant l'orgueil est grand sur la terre ! Non, leur foi n'est pas
celle qui transporte les montagnes et qui fait marcher sur les eaux ! C'est le cas de répéter ici
cette maxime évangélique qui me servit de thème lorsque je me fis entendre à mon début
parmi vous : beaucoup d'appelés et peu d'élus.
En somme, publications à droite, publications à gauche, publications partout, pour ou contre,
dans tous les sens, sous toutes les formes ; critiques outrées de la part de gens qui n'en savent
pas le premier mot ; sermons fougueux de gens qui le redoutent ; en somme, dis-je, le
Spiritisme est à l'ordre du jour ; il remue tous les cerveaux, agite toutes les consciences,
privilège exclusif des grandes choses ; chacun pressent qu'il porte en lui le principe d'une
rénovation que les uns appellent de leurs vœux, et les autres redoutent. Mais, de tout cela, que
restera-t-il ? De cette tour de Babel que jaillira-t-il ? Une chose immense : la vulgarisation de
l'idée spirite, et comme doctrine, ce qui sera véritablement doctrinal ! Ce conflit est inévitable,
parce que l'homme est entaché de trop d'orgueil et d'égoïsme pour accepter sans opposition
une vérité nouvelle quelconque ; je dis même que ce conflit est nécessaire, parce que c'est le
frottement qui use les idées fausses et fait ressortir la puissance de celles qui résistent. Au

- 134 -
milieu de cette avalanche de médiocrités, d'impossibilités et d'utopies irréalisables, la vérité
splendide s'épanouira dans sa grandeur et sa majesté.
ERASTE

- 135 -
Revue spirite 1868

Séance annuelle commémorative des morts


Société de Paris, 1er novembre 1868

Discours d’ouverture par M. Allan Kardec

Le Spiritisme est-il une religion ?

Chers frères et sœurs spirites,

Nous sommes réunis, en ce jour consacré par l'usage à la commémoration des morts, pour
donner à ceux de nos frères qui ont quitté la terre, un témoignage particulier de sympathie ;
pour continuer les rapports d'affection et de fraternité qui existaient entre eux et nous de leur
vivant, et pour appeler sur eux les bontés du Tout-Puissant. Mais pourquoi nous réunir ? Ne
pouvons-nous faire, chacun en particulier, ce que nous nous proposons de faire en commun ?
Quelle utilité peut-il y avoir à se réunir ainsi à un jour déterminé ?
Jésus nous l'indique par les paroles que nous avons rapportées ci-dessus. Cette utilité est dans
le résultat produit par la communion de pensées qui s'établit entre personnes réunies dans un
même but.
Mais comprend-on bien toute la portée de ce mot : Communion de pensées ? Assurément,
jusqu'à ce jour, peu de personnes s'en étaient fait une idée complète. Le Spiritisme, qui nous
explique tant de choses par les lois qu'il nous révèle, vient encore nous expliquer la cause, les
effets et la puissance de cette situation de l'esprit.
Communion de pensée veut dire pensée commune, unité d'intention, de volonté, de désir,
d'aspiration. Nul ne peut méconnaître que la pensée ne soit une force ; mais est-ce une force
purement morale et abstraite ? Non ; autrement on ne s'expliquerait pas certains effets de la
pensée, et encore moins de la communion de pensée. Pour le comprendre, il faut connaître les
propriétés et l'action des éléments qui constituent notre essence spirituelle, et c'est le
Spiritisme qui nous l'apprend.
La pensée est l'attribut caractéristique de l'être spirituel ; c'est elle qui distingue l'esprit de la
matière : sans la pensée, l'esprit ne serait pas esprit. La volonté n'est pas un attribut spécial de
l'esprit, c'est la pensée arrivée à un certain degré d'énergie ; c'est la pensée devenue puissance
motrice. C'est par la volonté que l'esprit imprime aux membres et au corps des mouvements
dans un sens déterminé. Mais si elle a la puissance d'agir sur les organes matériels, combien
cette puissance ne doit-elle pas être plus grande sur les éléments fluidiques qui nous
environnent ! La pensée agit sur les fluides ambiants, comme le son agit sur l'air ; ces fluides
nous apportent la pensée, comme l'air nous apporte le son. On peut donc dire en toute vérité
qu'il y a dans ces fluides des ondes et des rayons de pensées qui se croisent sans se confondre,
comme il y a dans l'air des ondes et des rayons sonores.
Une assemblée est un foyer où rayonnent des pensées diverses ; c'est comme un orchestre, un
chœur de pensées où chacun produit sa note. Il en résulte une multitude de courants et
d'effluves fluidiques dont chacun reçoit l'impression par le sens spirituel, comme dans un
chœur de musique, chacun reçoit l'impression des sons par le sens de l'ouïe.
Mais, de même qu'il y a des rayons sonores harmoniques ou discordants, il y a aussi des
pensées harmoniques ou discordantes. Si l'ensemble est harmonique, l'impression est
agréable ; s'il est discordant, l'impression est pénible. Or, pour cela, il n'est pas besoin que la
pensée soit formulée en paroles ; le rayonnement fluidique n'existe pas moins, qu'elle soit
exprimée ou non ; si toutes sont bienveillantes, tous les assistants en éprouvent un véritable
bien-être, ils se sentent à l'aise ; mais s'il s'y mêle quelques pensées mauvaises, elles
produisent l'effet d'un courant d'air glacé dans un milieu tiède.

- 136 -
Telle est la cause du sentiment de satisfaction que l'on éprouve dans une réunion
sympathique ; il y règne comme une atmosphère morale salubre, où l'on respire à l'aise ; on en
sort réconforté, parce qu'on s'y est imprégné d'effluves fluidiques salutaires. Ainsi
s'expliquent aussi l'anxiété, le malaise indéfinissable que l'on ressent dans un milieu
antipathique, où des pensées malveillantes provoquent, pour ainsi dire, des courants fluidiques
malsains.
La communion de pensées produit donc une sorte d'effet physique qui réagit sur le moral ;
c'est ce que le Spiritisme seul pouvait faire comprendre. L'homme le sent instinctivement,
puisqu'il recherche les réunions où il sait trouver cette communion ; dans ces réunions
homogènes et sympathiques, il puise de nouvelles forces morales ; on pourrait dire qu'il y
récupère les pertes fluidiques qu'il fait chaque jour par le rayonnement de la pensée, comme il
récupère par les aliments les pertes du corps matériel.
A ces effets de la communion de pensées, s'en joint un autre qui en est la conséquence
naturelle, et qu'il importe de ne pas perdre de vue : c'est la puissance qu'acquiert la pensée ou
la volonté, par l'ensemble des pensées ou volontés réunies. La volonté étant une force active,
cette force est multipliée par le nombre des volontés identiques, comme la force musculaire
est multipliée par le nombre des bras.
Ce point établi, on conçoit que dans les rapports qui s'établissent entre les hommes et les
Esprits, il y a, dans une réunion où règne une parfaite communion de pensées, une puissance
attractive ou répulsive que ne possède pas toujours un individu isolé. Si, jusqu'à présent, les
réunions trop nombreuses sont moins favorables, c'est par la difficulté d'obtenir une
homogénéité parfaite de pensées, ce qui tient à l'imperfection de la nature humaine sur la
terre. Plus les réunions sont nombreuses, plus il s'y mêle d'éléments hétérogènes qui
paralysent l'action des bons éléments, et qui sont comme les grains de sable dans un
engrenage. Il n'en est point ainsi dans les mondes plus avancés, et cet état de choses changera
sur la terre, à mesure que les hommes y deviendront meilleurs.
Pour les Spirites, la communion de pensées a un résultat plus spécial encore. Nous avons vu
l'effet de cette communion d'homme à homme ; le Spiritisme nous prouve qu'il n'est pas
moins grand des hommes aux Esprits, et réciproquement. En effet, si la pensée collective
acquiert de la force par le nombre, un ensemble de pensées identiques, ayant le bien pour but,
aura plus de puissance pour neutraliser l'action des mauvais Esprits ; aussi voyons-nous que la
tactique de ces derniers est de pousser à la division et à l'isolement. Seul, un homme peut
succomber, tandis que si sa volonté est corroborée par d'autres volontés, il pourra résister,
selon l'axiome : L'union fait la force, axiome vrai au moral comme au physique.
D'un autre côté, si l'action des Esprits malveillants peut être paralysée par une pensée
commune, il est évident que celle des bons Esprits sera secondée ; leur influence salutaire ne
rencontrera point d'obstacles ; leurs effluves fluidiques, n'étant point arrêtées par des courants
contraires, se répandront sur tous les assistants, précisément parce que tous les auront attirées
par la pensée, non chacun à son profit personnel, mais au profit de tous, selon la loi de charité.
Elles descendront sur eux en langues de feu, pour nous servir d'une admirable image de
l'Évangile.
Ainsi, par la communion de pensées, les hommes s'assistent entre eux, et en même temps ils
assistent les Esprits et en sont assistés. Les rapports du monde visible et du monde invisible
ne sont plus individuels, ils sont collectifs, et par cela même plus puissants pour le profit des
masses, comme pour celui des individus ; en un mot, elle établit la solidarité, qui est la base
de la fraternité. Chacun ne travaille pas seulement pour soi, mais pour tous, et en travaillant
pour tous chacun y trouve son compte ; c'est ce que ne comprend pas l'égoïsme.
Grâce au Spiritisme, nous comprenons donc la puissance et les effets de la pensée collective ;
nous nous expliquons mieux le sentiment de bien-être que l'on éprouve dans un milieu
homogène et sympathique ; mais nous savons également qu'il en est de même des Esprits, car
eux aussi reçoivent les effluves de toutes les pensées bienveillantes qui s'élèvent vers eux

- 137 -
comme une fumée de parfum. Ceux qui sont heureux éprouvent une plus grande joie de ce
concert harmonieux ; ceux qui souffrent en ressentent un plus grand soulagement.
Toutes les réunions religieuses, à quelque culte qu'elles appartiennent, sont fondées sur la
communion de pensées ; c'est là, en effet, qu'elle doit et peut exercer toute sa puissance, parce
que le but doit être le dégagement de la pensée des étreintes de la matière. Malheureusement
la plupart se sont écartées de ce principe, à mesure qu'elles ont fait de la religion une question
de forme. Il en est résulté que chacun faisant consister son devoir dans l'accomplissement de
la forme, se croit quitte envers Dieu et envers les hommes, quand il a pratiqué une formule. Il
en résulte encore que chacun va dans les lieux de réunions religieuses avec une pensée
personnelle, pour son propre compte, et le plus souvent sans aucun sentiment de confraternité
à l'égard des autres assistants ; il est isolé au milieu de la foule, et ne pense au ciel que pour
lui-même.
Ce n'est certes pas ainsi que l'entendait Jésus quand il dit : « Lorsque vous serez plusieurs
réunis en mon nom, je serai au milieu de vous. » Réunis en mon nom, c'est-à-dire avec une
pensée commune ; mais on ne peut être réunis au nom de Jésus sans s'assimiler ses principes,
sa doctrine ; or, quel est le principe fondamental de la doctrine de Jésus ? La charité en
pensées, en paroles et en actions. Les égoïstes et les orgueilleux mentent quand ils se disent
réunis au nom de Jésus, car Jésus les désavoue pour ses disciples.
Frappés de ces abus et de ces déviations, il est des gens qui nient l'utilité des assemblées
religieuses, et par conséquent des édifices consacrés à ces assemblées. Dans leur radicalisme,
ils pensent qu'il vaudrait mieux construire des hospices que des temples, attendu que le temple
de Dieu est partout, qu'il peut être adoré partout, que chacun peut prier chez soi et à toute
heure, tandis que les pauvres, les malades et les infirmes ont besoin de lieux de refuge.
Mais de ce que des abus sont commis, de ce qu'on s'est écarté du droit chemin s'ensuit-il que
le droit chemin n'existe pas, et que tout ce dont on abuse soit mauvais ? Parler ainsi, c'est
méconnaître la source et les bienfaits de la communion de pensées qui doit être l'essence des
assemblées religieuses ; c'est ignorer les causes qui la provoquent. Que des matérialistes
professent de pareilles idées, on le conçoit ; car, pour eux, ils font en toutes choses abstraction
de la vie spirituelle ; mais de la part de spiritualistes, et mieux encore de Spirites, ce serait un
non-sens.
L'isolement religieux, comme l'isolement social, conduit à l'égoïsme. Que quelques hommes
soient assez forts par eux-mêmes, assez largement doués par le cœur, pour que leur foi et leur
charité n'aient pas besoin d'être réchauffées à un foyer commun, c'est possible ; mais il n'en
est point ainsi des masses, à qui il faut un stimulant, sans lequel elles pourraient se laisser
gagner par l'indifférence. Quel est, en outre, l'homme qui puisse se dire assez éclairé pour
n'avoir rien à apprendre touchant ses intérêts futurs ? assez parfait pour se passer de conseils
dans la vie présente ? Est-il toujours capable de s'instruire par lui-même ? Non ; il faut à la
plupart des enseignements directs en matière de religion et de morale, comme en matière de
science. Sans contredit, cet enseignement peut être donné partout, sous la voûte du ciel
comme sous celle d'un temple ; mais pourquoi les hommes n'auraient-ils pas des lieux
spéciaux pour les affaires du ciel, comme ils en ont pour les affaires de la terre ? Pourquoi
n'auraient-ils pas des assemblées religieuses, comme ils ont des assemblées politiques,
scientifiques et industrielles ? C'est là une bourse où l'on gagne toujours sans rien faire perdre
à personne. Cela n'empêche pas les fondations au profit des malheureux ; mais nous disons de
plus que lorsque les hommes comprendront mieux leurs intérêts du ciel, il y aura moins de
monde dans les hospices.
Si les assemblées religieuses, nous parlons en général, sans faire allusion à aucun culte, se sont
trop souvent écartées du but primitif principal, qui est la communion fraternelle de la pensée ; si
l'enseignement qui y est donné n'a pas toujours suivi le mouvement progressif de l'humanité,
c'est que les hommes n'accomplissent pas tous les progrès à la fois ; ce qu'ils ne font pas dans
une période, ils le font dans une autre ; à mesure qu'ils s'éclairent, ils voient les lacunes qui

- 138 -
existent dans leurs institutions, et ils les remplissent ; ils comprennent que ce qui était bon à
une époque, eu égard au degré de la civilisation, devient insuffisant dans un état plus avancé,
et ils rétablissent le niveau. Le Spiritisme, nous le savons, est le grand levier du progrès en
toutes choses ; il marque une ère de rénovation. Sachons donc attendre, et ne demandons pas à
une époque plus qu'elle ne peut donner. Comme les plantes, il faut que les idées mûrissent
pour en récolter les fruits. Sachons, en outre, faire les concessions nécessaires aux époques de
transition, car rien, dans la nature, ne s'opère d'une manière brusque et instantanée.
Nous avons dit que le véritable but des assemblées religieuses doit être la communion de
pensées ; c'est qu'en effet le mot religion veut dire lien ; une religion, dans son acception large
et vraie, est un lien qui relie les hommes dans une communauté de sentiments, de principes et
de croyances ; consécutivement, ce nom a été donné à ces mêmes principes codifiés et
formulés en dogmes ou articles de foi. C'est en ce sens que l'on dit : la religion politique ;
cependant, dans cette acception même, le mot religion n'est pas synonyme d'opinion ; il
implique une idée particulière : celle de foi consciencieuse ; c'est pourquoi on dit aussi : la foi
politique. Or, des hommes peuvent s'enrôler, par intérêt, dans un parti, sans avoir la foi de ce
parti, et la preuve en est, c'est qu'ils le quittent, sans scrupule, quand ils trouvent leur intérêt
ailleurs, tandis que celui qui l'embrasse par conviction est inébranlable ; il persiste au prix des
plus grands sacrifices, et c'est l'abnégation des intérêts personnels qui est la véritable pierre de
touche de la foi sincère. Toutefois, si le renoncement à une opinion, motivé par l'intérêt, est un
acte de lâcheté méprisable, il est respectable, au contraire, lorsqu'il est le fruit de la
reconnaissance de l'erreur où l'on était ; c'est alors un acte d'abnégation et de raison. Il y a plus
de courage et de grandeur à reconnaître ouvertement qu'on s'est trompé, qu'à persister, par
amour-propre, dans ce que l'on sait être faux, et pour ne pas se donner un démenti à soi-
même, ce qui accuse plus d'entêtement que de fermeté, plus d'orgueil que de jugement, et plus
de faiblesse que de force. C'est plus encore : c'est de l'hypocrisie, parce qu'on veut paraître ce
qu'on n'est pas ; c'est en outre une mauvaise action, parce que c'est encourager l'erreur par son
propre exemple.
Le lien établi par une religion, quel qu'en soit l'objet, est donc un lien essentiellement moral,
qui relie les cœurs, qui identifie les pensées, les aspirations, et n'est pas seulement le fait
d'engagements matériels qu'on brise à volonté, ou de l'accomplissement de formules qui
parlent aux yeux plus qu'à l'esprit. L'effet de ce lien moral est d'établir entre ceux qu'il unit,
comme conséquence de la communauté de vues et de sentiments, la fraternité et la solidarité,
l'indulgence et la bienveillance mutuelles. C'est en ce sens qu'on dit aussi : la religion de
l'amitié, la religion de la famille.
S'il en est ainsi, dira-t-on, le Spiritisme est donc une religion ? Eh bien, oui ! sans doute,
Messieurs ; dans le sens philosophique, le Spiritisme est une religion, et nous nous en
glorifions, parce que c'est la doctrine qui fonde les liens de la fraternité et de la communion de
pensées, non pas sur une simple convention, mais sur les bases les plus solides : les lois
mêmes de la nature.
Pourquoi donc avons-nous déclaré que le Spiritisme n'est pas une religion ? Par la raison qu'il
n'y a qu'un mot pour exprimer deux idées différentes, et que, dans l'opinion générale, le mot
religion est inséparable de celle de culte ; qu'il réveille exclusivement une idée de forme, et
que le Spiritisme n'en a pas. Si le Spiritisme se disait religion, le public n'y verrait qu'une
nouvelle édition, une variante, si l'on veut, des principes absolus en matière de foi ; une caste
sacerdotale avec son cortège de hiérarchies, de cérémonies et de privilèges ; il ne le séparerait
pas des idées de mysticisme, et des abus contre lesquels l'opinion s'est souvent élevée.
Le Spiritisme, n'ayant aucun des caractères d'une religion, dans l'acception usuelle du mot, ne
pouvait, ni ne devait se parer d'un titre sur la valeur duquel on se serait inévitablement
mépris ; voilà pourquoi il se dit simplement : doctrine philosophique et morale.
Les réunions spirites peuvent donc être tenues religieusement, c'est-à-dire avec le
recueillement et le respect que comporte la nature grave des sujets dont on s'y occupe ; on

- 139 -
peut même y dire, à l'occasion, des prières qui, au lieu d'être dites en particulier, sont dites en
commun, sans être pour cela ce qu'on entend par assemblées religieuses. Qu'on ne croie pas
que ce soit là jouer sur les mots ; la nuance est parfaitement claire, et l'apparente confusion ne
vient que faute d'un mot pour chaque idée.
Quel est donc le lien qui doit exister entre les Spirites ? Ils ne sont unis entre eux par aucun
contrat matériel, par aucune pratique obligatoire ; quel est le sentiment dans lequel doivent se
confondre toutes les pensées ? C'est un sentiment tout moral, tout spirituel, tout humanitaire :
celui de la charité pour tous, autrement dit : l'amour du prochain qui comprend les vivants et
les morts, puisque nous savons que les morts font toujours partie de l'humanité.
La charité est l'âme du Spiritisme : elle résume tous les devoirs de l'homme envers lui-même
et envers ses semblables ; c'est pourquoi on peut dire qu'il n'y a pas de vrai Spirite sans
charité.
Mais la charité, c'est encore un de ces mots à sens multiple dont il est nécessaire de bien
comprendre toute la portée ; et si les Esprits ne cessent de la prêcher et de la définir, c'est que,
probablement, ils reconnaissent que cela est encore nécessaire.
Le champ de la charité est très vaste ; il comprend deux grandes divisions que, faute de termes
spéciaux, on peut désigner par les mots : Charité bienfaisante et charité bienveillante. On
comprend facilement la première, qui est naturellement proportionnée aux ressources
matérielles dont on dispose ; mais la seconde est à la portée de tout le monde, du plus pauvre
comme du plus riche. Si la bienfaisance est forcément limitée, rien autre que la volonté ne
saurait poser des bornes à la bienveillance.
Que faut-il donc pour pratiquer la charité bienveillante ? Aimer son prochain comme soi-
même : or, si l'on aime son prochain autant que soi, on l'aimera beaucoup ; on agira envers
autrui comme on voudrait que les autres agissent envers nous ; on ne voudra ni ne fera de mal
à personne, parce que nous ne voudrions pas qu'on nous en fît.
Aimer son prochain, c'est donc abjurer tout sentiment de haine, d'animosité, de rancune,
d'envie, de jalousie, de vengeance, en un mot, tout désir et toute pensée de nuire ; c'est
pardonner à ses ennemis et rendre le bien pour le mal ; c'est être indulgent pour les
imperfections de ses semblables et ne pas chercher la paille dans l'œil de son voisin, alors
qu'on ne voit pas la poutre qu'on a dans le sien ; c'est voiler ou excuser les fautes d'autrui, au
lieu de se complaire à les mettre en relief par esprit de dénigrement ; c'est encore de ne pas se
faire valoir aux dépens des autres ; de ne chercher à écraser personne sous le poids de sa
supériorité ; de ne mépriser personne par orgueil. Voilà la vraie charité bienveillante, la
charité pratique, sans laquelle la charité est un vain mot ; c'est la charité du vrai Spirite
comme du vrai chrétien ; celle sans laquelle celui qui dit : Hors la charité point de salut,
prononce sa propre condamnation, en ce monde aussi bien qu'en l'autre.
Que de choses il y aurait à dire sur ce sujet ! Que de belles instructions nous donnent sans
cesse les Esprits ! Sans la crainte d'être trop long et d'abuser de votre patience, messieurs, il
serait facile de démontrer qu'en se plaçant au point de vue de l'intérêt personnel, égoïste, si
l'on veut, car tous les hommes ne sont pas encore mûrs pour une abnégation complète, pour
faire le bien uniquement pour l'amour du bien, il serait, dis-je, facile de démontrer qu'ils ont
tout à gagner à agir de la sorte et tout à perdre en agissant autrement, même dans leurs
relations sociales ; puis, le bien attire le bien et la protection des bons Esprits ; le mal attire le
mal et ouvre la porte à la malveillance des mauvais. Tôt ou tard l'orgueilleux est châtié par
l'humiliation, l'ambitieux par les déceptions, l'égoïste par la ruine de ses espérances,
l'hypocrite par la honte d'être démasqué ; celui qui abandonne les bons Esprits en est
abandonné, et, de chute en chute, se voit enfin au fond de l'abîme, tandis que les bons Esprits
relèvent et soutiennent celui qui, dans ses plus grandes épreuves, ne cesse de se confier en la
Providence et ne dévie jamais du droit chemin ; celui, enfin, dont les secrets sentiments ne
dissimulent aucune arrière-pensée de vanité ou d'intérêt personnel. Donc, d'un côté, gain

- 140 -
assuré ; de l'autre, perte certaine ; chacun, en vertu de son libre-arbitre, peut choisir la chance
qu'il veut courir, mais ne pourra s'en prendre qu'à lui-même des conséquences de son choix.
Croire en un Dieu tout-puissant, souverainement juste et bon ; croire en l'âme et en son
immortalité ; à la préexistence de l'âme comme seule justification du présent ; à la pluralité
des existences comme moyen d'expiation, de réparation et d'avancement intellectuel et moral ;
à la perfectibilité des êtres les plus imparfaits ; à la félicité croissante avec la perfection ; à
l'équitable rémunération du bien et du mal, selon le principe : à chacun selon ses œuvres ; à
l'égalité de la justice pour tous, sans exceptions, faveurs ni privilèges pour aucune créature ; à
la durée de l'expiation limitée à celle de l'imperfection ; au libre-arbitre de l'homme, qui lui
laisse toujours le choix entre le bien et le mal ; croire à la continuité des rapports entre le
monde visible et le monde invisible ; à la solidarité qui relie tous les êtres passés, présents et
futurs, incarnés et désincarnés ; considérer la vie terrestre comme transitoire et l'une des
phases de la vie de l'Esprit, qui est éternelle ; accepter courageusement les épreuves en vue de
l'avenir plus enviable que le présent ; pratiquer la charité en pensées, en paroles et en actions
dans la plus large acception du mot ; s'efforcer chaque jour d'être meilleur que la veille, en
extirpant quelque imperfection de son âme ; soumettre toutes ses croyances au contrôle du
libre examen et de la raison, et ne rien accepter par la foi aveugle ; respecter toutes les
croyances sincères, quelque irrationnelles qu'elles nous paraissent, et ne violenter la
conscience de personne ; voir enfin dans les découvertes de la science la révélation des lois de
la nature, qui sont les lois de Dieu : voilà le Credo, la religion du Spiritisme, religion qui peut
se concilier avec tous les cultes, c'est-à-dire avec toutes les manières d'adorer Dieu. C'est le
lien qui doit unir tous les Spirites en une sainte communion de pensées, en attendant qu'il
rallie tous les hommes sous le drapeau de la fraternité universelle.
Avec la fraternité, fille de la charité, les hommes vivront en paix, et s'épargneront les maux
innombrables qui naissent de la discorde, fille à son tour de l'orgueil, de l'égoïsme, de
l'ambition, de la jalousie et de toutes les imperfections de l'humanité.
Le Spiritisme donne aux hommes tout ce qu'il faut pour leur bonheur ici-bas, parce qu'il leur
apprend à se contenter de ce qu'ils ont ; que les Spirites soient donc les premiers à profiter des
bienfaits qu'il apporte, et qu'ils inaugurent entre eux le règne de l'harmonie qui resplendira
dans les générations futures.
Les Esprits qui nous entourent ici sont innombrables, attirés par le but que nous nous sommes
proposé en nous réunissant, afin de donner à nos pensées la force qui naît de l'union. Donnons
à ceux qui nous sont chers un bon souvenir et un gage de notre affection, des encouragements
et des consolations à ceux qui en ont besoin. Faisons en sorte que chacun recueille sa part des
sentiments de charité bienveillante dont nous serons animés, et que cette réunion porte les
fruits que tous sont en droit d'en attendre.
ALLAN KARDEC.

- 141 -
TABLE DES MATIÈRES

2.................................................................................Le revenant de mademoiselle Clairon


5.....................................................................L'Esprit frappeur de Bergzabern (introduction)
7................................................................L'Esprit frappeur de Bergzabern (première article)
10..............................................................Considérations sur l'Esprit frappeur de Bergzabern
11.............................................................L'Esprit frappeur de Bergzabern (deuxième article)
18..............................................................L'Esprit frappeur de Bergzabern (troisième article)
20 .............................................................................Entretiens familiers d’outre-tombe
20.............................................................................................Le Tambour de la Bérésina
24 ...................................................................................................Esprits imposteurs
24......................................................................................................Le faux P. Ambroise
27....................................................................L'Esprit frappeur de Dibbelsdorf (Basse-saxe)
29.........................................................................................Des Obsédés et des Subjugués
37..........................................................................................................Le mal de la peur
41 .............................................................................Entretiens familiers d’outre-tombe
41...................................................................................................Une veuve du Malabar
43.....................................................................................................Écueils des médiums
48...............................................................Les Esprits tapageurs ; moyen de s'en débarrasser
50...................................................................................................Etude sur les médiums
52.......................................................................................................Médiums intéressés
54....................................................................Des procédés pour écarter les mauvais Esprits
60 ..........................................................................Manifestations physiques spontanées
60.................................................................................................Le Boulanger de Dieppe
62.................................................................................................................Superstition
63...................................................................................................Le Livre des Médiums
64.............................................................................................L'Esprit frappeur de l'Aube

67.................................................................................................................................
68......................................................................................Épidémie démoniaque en Savoie
71 ............................................................................Etude sur les possédés de Morzines
71.......................................................Les causes de l'obsession et les moyens de la combattre
78 ............................................................................Etude sur les possédés de Morzines

- 142 -
(Les causes de l'obsession et les moyens de la combattre (Deuxième article
78.................................................................................................................................
95...................................................................Nouveaux détails sur les possédés de Morzines
98 ...............................................................................................Un cas de possession
98.......................................................................................................Mademoiselle Julie
101...............................................................................................................Revue spirite 1864
101............................................................................Mademoiselle Julie (deuxième article)
108...............................................................................................................Revue spirite 1864
108.............................................................................................................Une tentation
110...............................................................................................................Revue spirite 1864
110...................................................................................................Cure d'une obsession
111...............................................................................................................Revue spirite 1864
111...........................................................................La jeune obsédée de Marmande (Suite)
113...........................................Récit complet de la guérison de la jeune obsédée de Marmande
120 ...........................................................................................Instruction des Esprits
120..............................................................Les Esprits en Espagne (Barcelone, 13juin 1864)
123 ..........................................................................................Les Esprits en Espagne
123...............................................................................Guérison d'une obsédée à Barcelone
127......................................................................................................Cures d'obsessions
129.......................................................................................................Période de la lutte
131 ...........................................................................................Instruction des Esprits
131.........................................................................................................La guerre sourde
132................................................................................................................Les conflits
136.......................................................................Discours d’ouverture par M. Allan Kardec
136...................................................................................Le Spiritisme est-il une religion ?

- 143 -

Vous aimerez peut-être aussi