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Dans les « 

Ruines du futur » Don Delillo, l’auteur de Falling Man , écrit «  il n'y a pas de possible
représentation de l'événement »
Le 11 septembre ne peut être comparé à rien.
Il faut donc trouver un autre moyen de représenter un événement traumatisant car c’est bien de cela
dont il s’agit. Comment continuer à vivre après un traumatisme tel que le 11 septembre, tel qu’un
attentat, tel qu’un génocide ?
C’est la question à laquelle tente de répondre Don DeLillo dans Falling man. Le roman de Don
Delillo s’éloigne du cliché, du flot médiatique immédiat, de l’histoire officielle du 11 septembre
pour se concentrer sur l’intime, sur l’impression durable que l’événement a eu sur les gens.
L’extrait que nous allons étudier se situe au tout début du chapitre VII. Il est fait référence à l’un des
tableaux de Morandi ( 1890-1964 ), peintre italien dont les natures mortes ordonnées et
géométriques constituent la majorité de son œuvre. Cette œuvre que l’on retrouve à plusieurs
reprises dans le roman de Don Delillo est souvent le point de départ de nombreuses discussions
divergentes entre Nina ( la mère de Lianne ) et Martin ( l’amant de Nina ). Ces divergences portent
principalement sur les raisons qui ont poussé les terroristes du 11 septembre à commettre un acte
aussi odieux et indicible. Lianne est présente lors cet échange.
Comment un événement traumatique peut-il modifier ou remettre en question notre perception du
monde en faisant ressurgir notre moi intime ?
Nous allons voir dans une première partie l’étrangeté perceptible de cet extrait, dans une deuxième
le rôle de la peinture de Morandi et nous terminerons par la vision et l’analyse différente que font
Nina, américaine, et Martin, européen au passé trouble, de l’attentat du 11 septembre.

Tout le roman de Don Delillo est baigné d’étrangeté, de non-dits, de phrases inachevées, de
temporalité bouleversée qui laisse planer une sorte de menace latente. Le lecteur est sans cesse en
quête d’indices qui pourraient l’aider à déchiffrer la complexité des situations, des personnages.
L’extrait proposé à l’étude n’échappe pas à cette ambiance pesante, même brièvement…
Ainsi Lianne, personnage clé du roman, en proie au doute, à la réflexion, plus témoin
qu’actrice, voit « the room itself as a still life, briefly » après qu’elle a contemplé la nature morte de
Morandi. Cela nous interpelle et on se demande si les personnages existants, Martin et Nina, sont
toujours vivants après un tel traumatisme, vivants comme ils l’étaient avant l’événement ou si une
partie d’eux n’est pas morte ou altérée avec l’attentat… Le temps semble s’être figé, un court
instant, laissant les survivants dans un état léthargique, un état de sidération qui va durer jusqu’à ce
qu’ils réussissent à s’approprier l’événement.
L’utilisation de termes généraux sans être explicités et des sous-entendus qui restent en suspens
participent également à cette notion d’étrangeté.
« these pictures are what I’ll look at when I’ve stopped looking at everything else ». Qu’est-ce que
tout le « reste » ?...Le reste de l’après 11 septembre ? Les ruines du monde d’après ? Le deuil du
monde d’avant ?
De même quand Martin, répondant à la question de Lianne sur ce qui orne ses murs, dit que «  My
walls are bare », Nina le corrige en disant « Not completely ». Ce à quoi Martin répond « Not
completely » sans donner d’explication. La forme en -ing « She was looking at him » laisse
supposer que Nina en sait long sur Martin mais que ce n’est pas à elle de dévoiler son passé. On
apprendra plus loin dans le roman que Martin a appartenu dans sa jeunesse à un groupe terroriste
allemand, la bande à Baader. Sur les murs de son appartement figuraient des affiches des personnes
ayant appartenu à ce groupe et recherchées par Interpole... Lianne se souvient dans un autre extrait
du roman ( page 147 ): “He showed me a poster once, a few years ago, when I saw him in Berlin.
He keeps an apartment there. A wanted poster. German terrorists of the early seventies. Nineteen
names and faces. […] Wanted for murder, bombings, bank robberies”.
La tension qui règne dans cet extrait semble disparaître, un temps, par un retour à des réalités
quotidiennes beaucoup plus prosaïques : «  I’m going to smoke a cigarette now » dit Nina. Mais
aussitôt les relations entre les personnages, préexistantes à l’événement, s’exacerbent avec lui.
L'événement a un pouvoir révélateur sur l'ordinaire, le commun, le quotidien. Lianne reproche à sa
mère de trop fumer « You had a cigarette twenty minutes ago » alors que Nina lui pose une question
sur son petit-fils. On sent une animosité entre la mère et la fille et une relation privilégiée entre la
grand-mère et son petit-fils : « Justin and I » qui exclut à la fois Lianne et Keith dont on sait que
Nina n’a jamais approuvé l’union. On ne sait pas si cela est voulu par l’auteur mais le fait que
Keith récupère Justin à la sortie de l’école « in two hours » fait étrangement penser aux two
towers...comme si tout était intrinsèquement lié par « l’événement » indicible qui se glisse dans les
détails les plus anodins du quotidien.
La complicité qui lie Nina à Justin, ou que Nina voit comme tel est traduite de manière
énigmatique. L’ancienne professeur d’art rejoint le néophyte dans un registre qui échappe à Lianne
et au lecteur : «  Where we see flesh, he sees white » dit Lianne, ce à quoi Nina rétorque : «  He’s
thinking paper, not flesh ». Nina semble ainsi laisser sous-entendre à Lianne qu’elle a une relation
privilégiée avec Justin et qu’elle comprend sa démarche. Mais que signifie sa phrase : «  He’s
thinking very white. Like paper »… L’utilisation de l’adjectif « white » en tant qu’adverbe traduit
l’obsession de Nina pour la blancheur… Le blanc c’est le visible, c’est l’Occident par opposition au
sombre c’est à dire l’Autre, le terroriste étranger.
Le blanc est également l’une des couleurs de base des matériaux de prédilection des peintres,… Le
peintre doit alors imaginer, visualiser, projeter ce qu’il a en tête sur ce fond blanc ou le laisser tel
quel pour permettre aux autres d’y projeter leur subjectivité, leur vision, leur tableau. Un mur, tout
comme le papier peut être un support. Nina était une professeur d’art à l’université. La matière à
donc une importance pour elle, importance qu’elle partage avec Justin mais également l’art abstrait
qui ramènent l’œuvre vers ses composantes essentielles : peinture, matière, surface et profondeur.

Justin est, depuis le début du roman un enfant énigmatique qui scrute le ciel la recherche d’un
certain Bill Lawton, qui tout à tour s’exprime par monosyllabes ou tombe dans le mutisme, qui
pense que les tours ne sont pas tombées pour de vrai, qui taille avec frénésie ses crayons, etc. Le fait
qu’il associe la «  chair » au blanc signifie-t-il qu’il est dans le déni de l’attentat en référence aux
morceaux de chairs incrustées dans la peau et les vêtements de Keith même s’il n’a pas vu son père
juste après l’attentat? Justin fait comme si la Tour était encore debout. Il vit dans un monde fictif, le
monde précédent. Il sait que ce n'est pas la réalité mais cela lui a permis d’inventer des histoires
pour traverser la catastrophe. Il a construit des rituels. Il fait semblant même s'il sait que les tours
sont tombées. Là encore le lecteur se retrouve face à des propos énigmatiques et essaie de procéder
à des recoupements, de formuler des hypothèses pour tenter de comprendre le processus
d’appropriation du traumatisme par les personnages. L’utilisation du « we » pour parler de ce que
voit les autres et du « he » pour ce que perçoit Justin accentue la singularité de l’enfant qui,
contrairement aux adultes ne peut conceptualiser l’indicible et qui préfère peut-être plutôt nier que
de savoir.

Taleb désigne par l’expression « narrative fallacy » ce penchant qui pousse l’être humain à
réagencer le chaos dans le but de pouvoir rendre compte de l’événement improbable. C’est notre
nature que de générer des histoires, de reconnaître des schémas et de produire des enchaînements
causaux là où se manifestent rupture et déréliction.

On peut également assimiler l’absence de sens de certains passages et dialogues à l’absence des
tours qui envahit tout le récit. « Certain forms of reality can only be present when linguistically
absent, » écrit Derrida

À la première lecture, le récit paraît délié, car il y manque le ciment narratif qui viendrait colmater
les brèches entre les différentes pièces du puzzle. Cette structure déstructurée évoque les vestiges
architecturaux des tours, sortes de cages thoraciques ne ceignant plus que du vide.
L’étrangeté du récit est amplifiée par la construction narrative : au travers de dialogues inachevés
«All right not completely » (..) « You tell us to forget God », d’absence de transitions : on passe du
tableau de Morandi, à la confrontation de deux systèmes, au portrait que Justin doit réaliser sans
transition ; au travers de l’abondance des répétitions «  something deeper than things or shapes of
things », « He likes white », « He’s thinking very white », « he sees white », des anadiplosis: «If
you call it God, then it’s God. God is whatever God allows ». Certaines phrases sont destructurées,
la syntaxe malmenée : «  It’s the thing that happens among men ,the blood that happens when an
idea begins to travel, whatever blind force or blunt force or violent need. » l’abondance de virgules
et d’appositions, traduit le désordre de la pensée : « Then the human figures appear, Mother and
Lover, with Nina still in the armchair, thinking remotely of something, and Martin hunched on the
sofa now, facing her ».Cela accentue la tension de la pensée complexe des personnages qui
cherchent leurs mots, leurs repères et traduit toute la difficulté du procédé cathartique après un
traumatisme.
L’écriture ne repose pas sur un principe narratif visible. Ou plutôt, c’est sur cette visibilité de
l’absence que l’auteur s’appuie pour représenter la désertion de la réalité.

L’événement, l’absence est à ce point envahissant que le quotidien est perçu au travers de la vision
spectrale de cet événement. C’est le cas, par exemple à travers le tableau de Morandi.

Le tableau de Morandi, a été acheté par Martin, marchand d’arts, bien avant l’effondrement
des tours. Il ne s’agissait alors que d’un tableau représentant des objets de cuisines. Ces objets sont
anodins et relèvent du quotidien :  « the white bottle, the huddled boxes. ».
Le principe de la nature morte, dont nous reviendrons ultérieurement, suggère l’évidence et installe
un rapport serré entre le réel et la représentation qui va, pour ainsi dire, de soi. Cependant la
peinture de Morandi tend vers l’abstraction, le dépouillement : simplification des formes, quasi-
planéité de l’ensemble fond et forme, opalescence des tonalités. Cela contribue à marquer une
distance par rapport au réel et ouvre une fenêtre à l’interprétation même si Morandi déclare « Rien
n’est plus abstrait que ce que nous voyons ».
C’est Martin, le premier, qui a dissociée le signifiant du signifié et qui a vu les tours dans l’œuvre
de Morandi, telles des fantômes surgissant du tableau. Les tours ne sont pas explicites, elles ne sont
pas là en tant que telles mais en tant que réminiscence de quelque chose. Derrida created the word
hauntology (a portmanteau of haunting and ontology) which is a concept referring to the return or
persistence of elements from the past, as in the manner of a ghost. The towers are haunting
everybody, everything.
C’est comme s’il y avait une perturbation de l’ancien ordre, une défamiliarisation: tout ce qui
semblait familier semble maintenant inconnu. Des éléments ordinaires subsistent et pourtant ils ont
été totalement défamiliarisés par la perturbation de l'événement. L’ordinaire a été défiguré .Même
les êtres proches subissent cette défamiliarisation. Alors que Lianne contemple le tableau elle est à
ce point absorbée par « The two dark objects »  qu’elle ne distingue plus la représentation du réel.
Il y a, même « briefly », une confusion de deux mondes: « Then the human figures appear, Mother
and Lover, and Nina » au sein d’une « nature morte ». Lianne évoque sa mère et son amant de
manière totalement détachée, comme si elle présentait les personnages d’une pièce de théâtre, une
sorte de didascalie.
L’ordinaire est devenu inconnu. L’attentat a modifié la perception du monde et Nina, en référence
au tableau, y voit « it’s all about mortality ». Lianne donne un autre point de vue «  Being human »
qui laisse entrevoir un espoir.
Nina n’arrive plus à réintégrer le monde d’avant, elle a une vision pessimiste, morbide, elle parle
d’un «  another time enterely, another century ». There is no before world, no next. The future is is
already absorbed in this kind of haunting present, a present haunting by the absent presence of the
towers. DeLillo didn’t suggest that there is no future but that there is no going back.
Nina est dans le dénie « Office towers, no ». Elle ne partagent pas la vision de Lianne et Martin des
tours jumelles. Comme elle le dit précédement dans le livre we cannot see the tower because he was
removed about everything which was political, history, current events. The object are
only“Architecture”. She has a very formalist reading of Morandi who, she thinks, was neutral. Ce
qui n’est pas vrai car Morandi share a political message through his art. Morandi’s painting are
related to resistance to Mussolini dictatorship, fascism. Ainsi même dans l’art, le contexte et
l’histoire sont important.

Elle, le grand professeur d’art, ne trouve pas les mots : « these shapes are not translatable to modern
towers, twin towers ». La répétition du terme « tower » montre à quel point le traumatisme est grand
et imprègne l’individu dans sa perception du monde et son intimité. Nina précise d’ailleurs «  It
takes you inward, down it ». C’est une plongée en elle-même, «  something deeper than things or
shapes of things », c’est un long travail de réappropriation de l’événement et de ses conséquences
qu’il lui faudra faire. L’art peut l’aider et c’est vers l’art qu’elle se tournera quand elle aura « 
stopped looking at everything else. Le fantôme des tours aura alors disparu et elle pourra de
nouveau voir «  bottles and jars ». Et lorsqu’elle sera « too frail » son imagination prendra le relai.
C'est la perception d'une image faisant référence à l'image précédente qui va permettre au
personnage de récupérer peut-être l'événement d'origine, la première image. Ce qui appartenait à
l'ancien ordre n'a plus de sens maintenant.

Le 11 septembre est abordé à travers la peinture de Morandi, à travers des traces. Le tableau peut
également être vu comme une tentative d'empêcher la suppression du souvenir de ce qui s'est passé
lors des attentats. L’événement est tellement indicible et intraduisible qu’il ne peut être appréhendé
que de manière oblique, à travers des traces. C’est une approche spectrale de la réalité.
Mais les autres personnages de l’histoire ne voient pas forcément les tours. En ce qui concerne
Lianne, elle voit la même chose que Martin parce que Martin l'a déjà vu.«  She saw what he saw ».
C’est comme une communion. Il y a une trajectoire de la confrontation de point de vue à
l'expérience esthétique commune. Mais la révélation passe par l'autre.

Si en français et en italien, les termes « nature morte » et « natura morta » mettent en avant l’aspect
inerte et inanimé des objets représentés, l’anglais : « still life » laisse entendre que la nature n’est
pas totalement morte, qu’il y a un encore, un toujours, une continuité. C’est quelque chose qui
continue, qui présente l'absence de quelque chose de toujours en vie. Les termes prennent alors un
tout autre sens si nous les entendons comme la trace de ce qui reste, de ce qui est encore là, cette
part infime de vie qui persiste malgré le retrait de toute forme de vie. La nature morte devient alors
ces deux tours en feu, prêtes à s’écrouler, qui n’existent plus désormais, mais que les personnages
continuent à voir dans des objets quotidiens. Il est intéressant de préciser que Don Dillo avait
choisi le titre de « Still life » dans la première ébauche de son roman parue dans « The New
Yorker », c’est dire l’importance du tableau et donc de la capacité à l’art de faire sens et de
permettre le travail de catharsis après un traumatisme.
Cependant on peut se poser la question de savoir si l’art est suffisant pour permettre cette catharsis
dans le sens où le terrorisme infecte et affecte l’art : Martin, puis Lianne voient l’attaque des tours
au travers du tableau de Morandi...
Ainsi cette altération de la perception de la réalité dont sont victimes les personnages, que l’on
retrouve en filigrane dans tout le roman montre à quel point les personnages ne sont plus en
harmonie avec le quotidien tel qu’ils le connaissaient avant que l’événement ne vienne créer en
eux une brisure irréversible.
Mais peut-on justifier l’injustifiable ? Y a t-il un ou plusieurs coupables à cette émergence d’un
nouveau monde, du monde d’après ?

Parmi les trois personnages présents dans l’extrait seul Martin n’est pas américain, mais
européen. Or, suite au 11 septembre, et à la déclaration de guerre à l’Afghanistan puis à l’Irak par le
président Georges W. Bush, l’Europe, en partie opposée à cette guerre, a développé un
certain anti-américanisme. Martin, incarne le regard à la fois détaché, lucide et supérieur de
l’Européen. Par ailleurs, il est étranger au fort sentiment de patriotisme dont sont imprégnés
les Américains (plus particulièrement Nina et Lianne), et n’est pas une victime directe de
l’événement. Il est implanté au cœur de la famille américaine, mais une partie de lui échappe,
comme une ombre insaisissable, à Lianne et Nina: il est figé dans son statut d’étranger à
l’Amérique. Il est Martin Ridnour, marchand d’arts, mais aussi cet «Ernst Hechinger» qui a
deux noms, deux vies, deux identités, l’une acceptable, et l’autre non. Ernst Hechinger faisait
autrefois partie d'un mouvement terroriste en Allemagne, la Kommun. Bien qu'il ne fût pas l'un des
dix-neuf membres du groupe recherchés pour attentats à la bombe, vols de banque et meurtre, il a
appartenu à ce mouvement. Cette histoire façonne le point de vue de Martin sur les terroristes
islamiques. Bien qu'il ne tolère probablement pas leurs actes, il comprend leurs frustrations. Il fait
référence à «  lost land, failed states, foreign intervention, money, empire, oil the narcissistic heart
of the West ». Par ces mots Martin donne sa vision ‘européenne’ et politique de l’impérialisme
américain.
Le discours de Martin sur les territoires perdus aurait pu être tenu par les terroristes (Hammad et
Amir). Les terroristes sont d’ailleurs en lutte contre cette empire hégémonique et financier et
utilisent cet argument pour justifier leur action. Amir tient ces propos similiares à ceux de Martin:
« There was the feeling of lost history. They were too long in isolation. This is what they talked
about, being crowded out by other cultures, other futures, the all-enfolding will of capital markets
and foreign policies”.
Les terroristes frappent l’Amérique dans tout ce qu’elle représente. DeLillo écrivait d’ailleurs dans
les Ruines du future : the primary target of the men who attacked the Pentagon and the World Trade
Centre was not the global economy. It was America that drew their fury. It was the high gloss of our
modernity. It was the thrust of our technology. It was our perceived godlessness. It was the blunt
force of our foreign policy. It was the power of American culture to penetrate every wall, home, life
and mind.
A l’instar de la plupart des mouvements terroristes, le procédé des acteurs du 11 septembre est le
même «  First they kill you, then you try to understand them ». Il faut passer par le meurtre pour
faire connaître ses revendications et attirer l’attention... Il ne pense pas que les terroristes soient
motivés par un objectif religieux. Il a une perception beaucoup plus rationnelle que Nina. «  You
tell us to forget God » «  You tell us history » lui dit Nina. L’anaphore « You tell us » et l’utilisation
des pronoms «  You » et « us » accentue le côté accusateur et l’exclusion dont Martin est victime.
Le « you » contraste avec le « us » patriotique et unitaire. Martin incarne ainsi le xénos, celui qui est
étranger à la cité. Il boit d’ailleurs une bière, boisson bien plus consommée en Allemagne qu’aux
USA. Il reste donc un étranger même dans ses gestes du quotidien.
En faisant référence à l’histoire Martin refuse de poser les Américains en victimes et contextualise
l’attentat : « You’re denying all human grievance against others, every force of history that places
people in conflict ».
Martin place donc l’événement dans son contexte «terrestre», rationnel, et non métaphysique: il
n’envisage pas le facteur divin, qui n’a aucune crédibilité , d’ailleurs «  Islam renounces this »... En
dépit de nombreux musulmans qui vivent aux Etats Unis, la plupart des Américains ne connaissent
pas l’islam et après les attentats ils vont avoir tendance à assimiler islam et terrorisme. Mais Martin
a étudié l’histoire, les religions. Même Lianne qui est dotée d’une bonne culture fait
inconsciemment cette association et participe à cette obsession de la culture musulmane. Elle ne
peut ainsi pas supporter la musique orientale provenant de l’appartement voisin d’Elena…
Il est important de relever la proximité phonétique mais surtout étymologique des prénoms des 2
femmes, Lianne et Elena. Cette proximité de nom tend à sous-entendre que la violence de Lianne
tient surtout d’une confrontation avec elle-même. Elle se débat avec ses propres préjugés. Comme
elle le confie à Keith après l’altercation, elle ne reconnait pas cette partie négative d’elle-même.
Elena confronte Lianne à la culture, la langue et la religion de l’autre.

Lianne est témoin de cet échange entre sa mère et Martin mais n’intervient pas, elle observe et
donne au lecteur des indications sur la posture, « one hand gripping in the other » qui témoigne de
la ferveur des convictions de Martin, sur la tension qui règne dans la pièce, elle essaie de
comprendre sa mère, Martin avec qui elle a une réelle complicité « she gave Martin a light poke in
the arm », son fils, Keith.

Nina est en total désaccord avec Martin. « Nina looked at him , she stared hard at Martin, by
accusation ». Elle affirme avec véhémence que c’est bien au nom de Dieu, ou tout du moins sous le
prétexte de Dieu, que les terroristes ont perpétré leurs attentats : « How convenient is to find a
system of belief that justifies these feelings and thes killings ». Elle a une position idéologique et
ne remet pas en question le système, la politique américaine qui, de par son hégémonie, son
interventionnisme peut susciter chez des groupes extrémistes des velléités de vengeance. Le
terroriste c’est forcément l’autre, l’étranger, peu importe sa nationalité, celui qui vient de loin, qui
est extérieur et qui vient sur les terres américaines pour tuer. Elle admet que cela dépasse le pur
problème religieux «  Yes, there’s something else, but it not history ». Mais en tant qu’Américaine
elle se refuse à croire que son pays puisse avoir une quelconque responsabilité dans les attentats.
Elle reprend la doctrine des terroristes qui affirment agir au nom d’Allah : « If you call it God, then
it’s God. God is whatever God allow ». La répétition du terme « God » montre qu’elle a conscience
de l’utilisation de Dieu par les terroristes pour justifier la violence mais elle persiste à croire que
c’est un «  virus » qui « reproduces itself outside history ». Tout comme Hammad dont le désir
d’appartenir à une communauté est plus fort que le dessein religieux « Il priait avec eux, pour être
avec eux. Ils devenaient frères absolus » ( page 100 fin de la 1ère partie), Nina fait référence à ce
que « men fell . It’s the thing what happens among men, the blood that happens when an idea begins
to travel, whatever’s behind it, whatever blind force or blunt force or violent need» à ce besoin de
violence que les hommes partagent. Ce besoin bestial de violence est inhérent à la nature des
hommes. Il n’est donc pas lié à l’histoire ou au contexte.

Son ton accusateur s’adresse ainsi aussi bien aux terroristes qu’au passé terroriste de Martin.

Conclusion
L’étrangeté, les menaces implicites, les non-dits, les fractures du récit, de la syntaxe, une
temporalité et un espace chaotiques, une défamiliarisation de l’ordinaire, tout cela participe à
concrétiser le traumatisme et l’état de sidération dans lequel sont plongées les victimes directes ou
indirectes de l’attentat du 11 septembre. Comment peut-on appréhender le monde d’après ? Chacun
essaie plus ou moins de se reconstruire. La littérature, l’art permettent de dépasser l’immédiateté de
l’événement.
La peinture de Morandi est suffisamment abstraite pour qu’elle puisse laisser place à
l’interprétation, à la subjectivité par le prisme de notre vision politique, au sens large, du monde.
C’est pour cela que Martin est le premier à voir les tours . Martin est un ancien « terroriste » , il a
une vision du monde proche des terroristes islamiques, même s’il ne cautionne pas leurs actes. Don
DeLillo, dans son roman, traite de l’impact d’un événement traumatisant sur les individus et les
moyens dont ils disposent pour se l’approprier, le maîtriser et le dépasser. L’art en est un mais il ne
semble pas suffire. En effet l’une des composantes de l’art est de façonner, d’influencer notre
perception de la réalité. Tout comme le terrorisme... Le fait que Martin et Lianne ( qui n’a pas de
passé terroriste ) perçoivent les tours tels des fantômes au travers du tableau signifie t’il que les
terroristes sont plus forts que les artistes ? Ou que seuls les personnes extérieures au continent
américain ou suffisamment cultivées et ouvertes d’esprit puissent avoir le recul nécessaire pour
percevoir le danger d’un terrorisme endémique  ? Un terrorisme qui utilisera Dieu, encore et encore,
en réaction à une société occidentale jugée trop impérialiste et individualiste ..parce qu’au delà
d’une croyance c’est d’une communauté d’hommes dont il s’agit, les chefs islamistes
charismatiques l’ont bien compris...

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