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Jean-Luc Rossignol
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Cornptabilité et f.scalité :
chronique d'une relation
( i-périeuse D
Jean-Luc Rosstcxor
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Selon Esnault er Hoarau (1998), les finalités diverses de la comptabilité se sont accumulées dans
l'histoire. Ces auteurs en distinguent aujourd'hui six principales :
- fournir un moyen de preuve ;
- permertre le contrôle (du parage des richesses, de I'assiette de I'impôt, pour surveiller et
punir) ;
- aider à la prise de décision ;
Tel n était pas le cas à I'origine ; historiquement, la compabilid était essentiellement un moyen
de preuve et de contrôle. Selon Fourastié (réédition de 1995),la comptabilité est apparue ainsi dans
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l^a finalité fiscale fut (et reste encore), quânt à elle, I'objet de débats passionnants, passionnés et
parfois même passionnels. Ia compabilité détermine le résultat imposable qualifié d'isotope du
résulat comptable par Anjuère (1993) et appofte l'outil de contrôle indispensable aux services
fiscarx. Lexistence de tels liens entre la comptabilité et la fiscalité constitue I'un des déterminants de
classemenr des pratiques comptables entre groupes de pays selon Gray (1980 et 1988), qui rappelle,
par le biais d. liopporition entre prudence et optimisme, la prépondérance du rôle de l'Éat dans le
cadre du processus comptable normatif de certains pâ)rs. Le système fiscd est l'un des éléments qui
srruccurent le système des normes compables (avec le système juridique, les sources de financement
des entreprises et le développement du marché financier, I'importance de la profession comptable)
(Flower, 1997) n.
I^a fiscalité o(erce une double influence sur la comptabilité : une influence directe par les règles
qui visent les écritures, une influence indirecte qui pèse sur les décisions de gestion et par là même
sur leur enregistrement compgble t. En France, les nombreux arricles et ouvrages des années 1980
témoignent de cette omniprésence, du fait des liens théoriques impérieux, selon l'expression de
Culmann (1980), qui unissent compabilité et fiscalité. D'après Fourastié (1995),I'histoire de la
compabilité est, d'ailleurs, I'histoire de I'influence réciproque de la technique budgéaire étatique
6. t
sur la technique comptâble prMe Elle participe, en fait, de plusieurs histoires dont celle du droit
7
et donc du droit fiscal ; aussi, retracer leur évolution historique de l'époque anrique à nos jours ainsi
que ses incidences ne peut êue que source d'enseignement t.
h
Première Guerre mondiale aux années 1960 : la
ffi,-lÏ.ffi-ëffi De crâtion
officielle du lien comptabilité-fis calité tz
D'après Cané (196ù, la comptabilité, avant 1917, rievut pas de rapport étroit avec la fiscalité en
raison de la nature des impôtrde l'époque. La Première Guerre mondiale obligea I'Eat à mettre en
place de nouvelles dispositions pour financer les déficits publics. En appuyant certaines de ces dispo-
ritiottr sur la compabilité, les relations entre la compabilité et la fiscalité devinrent alors officielles.
Ainsi, la loi dite .i loi C"illaun du 15 juillet 1914, loi qui est à I'origine du rystème fiscal acnrel,
18,
insraura I'impôt annuel sur le revenu. Joseph Caillaux eui avait proposé dès 1898 de substituer
(
aux quatre vieilles u un impôt sur le capital eu teux unifié de I o/o etun impôt sur le revenu' en est
(
son promoteur. Ces quatre vieilles >, impôts dont I'assieme était ésblie en fonction de signes extê
rieurs ou d'après un forfait, n'étaient autres que la contribution foncière, la personnelle mobilière, la
parente créées par la Constituante durant la Révolution auxquelles s'ajoutait I'impôt sur les Portes et
fenêtres établi par le Directoire. la loi de l9l4 institua ainsi un impôt générd sur le revenu établi
d'après le montant total du revenu net annuel dont disposait chaque contribuable, en excluant des
règles de détermination de I'assiete les méthodes indiciaires ou forfaitaires. Appliqué pour la
première fois en 1916, l'impôt général sur le revenu venait s'ajouter aux impôts directs et indirecrs
préexistants et qui riavaient pas été abrogés. Il fallut amendre le 31 juillet 1917 pour que cette situa-
tion de double imposition soit supprimée.
l,a loi du 31 juillet l9l7 'o (/O du 1* aott, p. 5975) supprima les u quaue vieilles > 2r. læs revenus
des contribuables étaient désormais imposés de deux façons superposées : un impôt cédulaire
(chaque catégorie de revenu ou cédule est soumise à un impôt propre dont les règles d'assiette er le
taux sont adaptés à la nature des revenus en cause) était ésbli par catégorie de revenu et I'impôt
général sur le revenu atteignait, une seconde fois, les divers revenus ners déjà touchés par I'irnpôt
cédulaire. Initialement, on dénombrait six impôs cédulaires : l'impôt foncier sur les propriétés
bâties et non bâties (taux de 5 o/o), et l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières (6 o/o), issus des
contributions anciennes réformées par la loi de 1914, auxquels s'ajoutaient quatre aurres raxes insti-
tuées en 1917 sur : les traitements et salaires (3,75 o/o),les bénéÊces de I'exploitation agricole
(3,75 o/o),les bénéfices des professions non commerciales (3,75 o/o) et sur les bénéfices industriels et
commerciaux (4,5 o/o), en remplacement de la patente 22.
llanicle 2 dela loi stipulait quu il est éabli un impôt annuel sur les bénéfices des professions
commerciales et industrielles râlisés pendant l'année précédente ou dans la période de douze mois
dont les résultats auront servi à l'établissement du dernier bilan, lorsque ceæe période ne coincide
23,
Pas erlec I'année civile o. Si la comptabilité riest pas née des lois fiscales l'instaurarion de la cédule
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Ces interventions ont fixé un certain nombre d'obligations compnbles et mis en place une véritable
docrine fiscale des comptes 'a parle biais en paniculier de la loi du 31 juillet 1920 qui insraura une
obligation de communication de la comptabilité, mais aussi des lois du 4 avril L926, du 28 féyner
1933,dudécretdu20 juillet lg34,delaloidu 13 janvier l94l,dudécretdugdécembre1948...25
Cela fit, d'ailleurs, dire au doyen Ripert : u Le jour otr le droit commercial voudra obliger les socié-
tés à établir leur bilan suivant des règles légdes, il uouvera le terrain tout préparé et il rfaura plus
qtt'à transformer en règles juridiques les pratiques habituellement suivies. ,
Pour Rives (1965), u si le fisc a pu détourner la comptabilité comme il l'a fait, il y a à cela trois
raisons motivées par trois abandons concomitents.
< Il y a d'abord l'abandnn dzs juristæ. Qo""d on lit les ardcles du Code de commerce sur la tenue
des liwes ou cerr de la loi sur les sociét& anonymes sur le bilan et le compre de proûts er perres, on
ne Peut être que frappé par leur diligence squelettique. Le législateur s'est toujours désintéressé des
nEnfin, il y a eu également l'abandon dzs chef d'entreprhe qui, pendant longtemps et Cest
encore souvenr ls câs se sont attachés à une rentabilité globale sans voir que cette
-
rentabilité
-,
globale cachait des rentabilités partielles et qu il fallait dler plus loin pour les andyser u.
Pour autant, selon Delmas-Marsaletx, u si certains crient au rapt, iétait un raPt incestueux car
dans une large mesure la comptabilité est la fille de la fiscalité et les exigences du fisc se sont ajoutées
aux exigences du commerce pour promouvoir le développement de la comptabilité u. En effet, la
n.
nécessitl de mettre fin aux errements dont la compabilité était l'objet lui permit de se déveloPqer
Ainsi, il esr inconresable que certaines prescriptions fiscales (reprenant d'ailleurs des dispositions
antérieures et d'application plus resueinte) ont fait progresser la technique comptable ; dès 1924,
I'article 1743I'du Code général des impôts de l'époque punit d'amende ou de prison (jusqu à cinq
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Selon Carré (1969), < I'instauration des dispositions fiscales a fait prendre conscience Petit à Petit
aux dirigeanrs et aux chefs d'enueprise de l'importance de la comptabilité. Ils ont découvert Progres-
sivemenr qdelle était nécessaire, tout d'abord pour pouvoir répondre aux exigences de l'administra-
tion er, par la suite, pour leur obtenir les élémena chiffrés indispensables à la gestion et à la
prévision. C'est pourquoi on ne saurait nier qu'originùement l'influence des règles fiscales sur la
àn"tg do compres a été largement positive et a montré que, pour en assurer la régularité, il conve-
nait de définir des règles compables. la rigueur fiscale et les contrôles dont elle est assortie consti-
ruent l'un des garants d'une certaine sincérité u. D'après Vitrolles 'e, u rul ne Peut nier que la
fiscalité a participé, ô combien activement, à l'élaboration des principes er des règles comptables ;
[...] l'institution de l'impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux a été en France la cause
déterminante dans le développement de la comptabilité dans le monde des affaires r. Pour
Du Pontavice (1989, p. 863), la création de cette cédule qui a obligé les commerçants à tenir une
comptabilité est < un bienfait du droit fiscal, même si cette origine a considérablement pesé sur
l'évolution du droit compable longtemps conçu comme un simple insrrument du fisc ou encore
explique la r&istance au fisc ou la dissimulation des profits réels à la fois aux acionnaires et au fisc u.
Dès 1948, Horace avait d'ailleurs indiqué que iéait rendre un bien mauvais service à la compabi-
lité que de la lier, dans I'esprit du public et dans les textes eux-mêmes, à la réglementation fiscale.
[.a période de l'entre-deux-guenes donna lieu à quelques textes fiscaux à incidences comptables.
La loi de 1928 sur la dévalorisation du franc au cinquième de sa valeur en donne une bonne illustra-
tion car il conduisit l'administration fiscale à prévoir des mesures d'ajustemenr sous forme de rééva-
luation des bilans {. En L94l,I'Administration établit, en outre, des règles eyânt une incidence
directe sur les écritures compables; I'ordonnance du 3l mars subordonna ainsi la déductibilité des
provisions à leur enregistrement.
Si I'instauration de la cédule commerciale et les textes qui ont suivi ont apporré rigueur et
promotion législative à la compabilité, ils ont joué un rôle non négligeable dans la généralisation de
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Ladministration fiscde estima qu'il convenait que soient édictées per ses soins les nouvelles
dispositions d'ordre compable. Elle établit un décret qui institua un cemain nombre de règles de
compabiliré et de présenation de documents comptables. Ces règles s'appliquaient aux entreprises
rfayant pas révisé leurs bilans. Iæ décret ignorait superbement le plan de 1957 (qui n était encore
obligatoire que pour très peu d'entreprises) et obligeait en pratique beaucoup d'entreprises à se
conformer à des directives conuadictoires. Il présentait un mélange à la fois de dispositions comP-
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En effet, grâce à un dialogue très franc entre I'Ordre et la DGI et à des protestâtions de la confé-
dération des PME, I'Administration comprit son erreur; tout en déclarant qu'elle ne se chargerait
plus de d&elopper l'adoption du plan comptable général, elle publia l'année suivante un nouveau
décret se substituant aux précédents, evant même que celui de 1964 n ait pu &re mis en application.
u Avant même que le plan comptable général soit imposé à toutes les entreprises, alors que l'éla-
boration des plans compables professionnels se poursuit, le législateur impose en fair, par le biais
des obligations fiscales, des modèles uniformes et obligatoires de comptabilité. Pour la généralité des
entreprises,il ne s'agit pas seulement d'un mode de présenation des déclarations fiscales, mais
d'obligations relatives à I'articulation des comptes, qui ne sauraienr être respectées si le plan lui-
même des comptes n'est pas conforme aux modèles imposés [...]. Alors qu'en matière de plan
comptable général le législateur avait pris des précautions d'adaptation et de délai pour rendre ce
Il
est vrai que, même si I'administration fisele s'est largement Éférée à la loi et au décret de
1983 pour éablir ces telces, elle demeure tou.jours I'un des protagonistes du droit comptable fran-
Cais (Richard, I996),1'une de ses sources (lagarrigue et Pavie, 1984) et la comptabilité un moyen
puissant de contrôle de l'administration fiscale (Fxnault et Hoarau, 1998). En définissant des règles
qui obligent à suivre en comptabilité des principes fiscaux sous peine de ne pas pouvoir profiter
d'économies d'impôt, la fiscdité imprègne les méthodes comphbles (Esnault er Hoerau, 1998),
Prenant le risque de causer des répercussions imporantes sur la présenation des comptes et d'affec-
ter le comportement du concepteur des comptes annuels (Casta, 1997).
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Ce panicularisme du droit fiscal se justifiait par les exigences spéciales de l'application de I'impôt :
&
n la loi fiscale vise essentiellement à procurer des ressources; elle suit une morale d'efficacité o.
Depuis, la normalisation compeble se renforçant, cette autonomie s'est restreinte. Ainsi, si la crème
continue à être régulièrement fouettée (Durand, 1994),le Conseil d'Eat tend aujourd'hui à choisir,
conformément au principe d'alignement posé par I'aricle 38 quater de I'annexe III, de ffansposer en
droit fiscd la solution comptable (cf larêt du 27 juin 1994 en matière de charges de sous-activité).
Le juge ûscal répugne désormais, lorsque la solution d'une question fiscale met en jeu d'aurres
droits, à donner des définitions spécifiques au droit tscal en s'écartant de celles qui sont habituelle-
menr données par le droit compable, le droit des affaires ou le droit civil. il ne le fait que lorsqu'un
texte exprès le lui impose ou que la nature même de I'impôt I'y contraint (Fouquet, 1994). Selon
Turot (iggl), u d'une manière générale, c'est un des traits marquants de la modernisation de la
fiscdité de I'entreprise que de se rapprocher le plus possible du droit comptable; toute divergence
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Pour Burlaud et aL (1998), en définitive, aujourd'hui la fiscalité n'est pas autonome : certaines
de ses bases proviennent de la comptabilité; la compabilité n'est pas non plus rcut à fait
autonome : elle doit tenir compte de la fiscalité; comptabilité et fiscalité sont liées. Les deux droits
ne peuvent être disjoints, quoi qu'il arrive, ne seraiÈce qu'en fonction de I'importance de la fiscalité
dans les choix économiques de I'enueprise, d'otr la formule : l'indépendance dans I'interdépendance.
Cette relation devait dors déboucher sur la mise en place d'une pratique fiscalo-compable des
entreprises.
Selon Camé (1969),la comptabilité en tant que technique élaborée pour enregistrer les diverses
manifestations de la vie de I'entreprise, en tirer les rôultats et dresser périodiquement des siruations
se trouve de ce fait affectée en premier lieu par des dispositions fiscales nées en 1917. Ces disposi-
tions ont ainsi conduit, selon I'expression de Perochon (1979), à une forte pollution fiscale de la
compabilité parce qdil s'agissait au dépan d'une solution de facilité; cene pollution a perduré car,
en fait, elle satisfait un grand nombre d'entreprises et même de professionnels de la compabilité en
permettant de transformer en bouc émissaire l'Administration (Haddou,1997).Il est indubiable,
en effet, que la comptabilité est trop souvent tenue exclusivement selon I'optique fiscale, c'est-à-dire
Pour un utilisateur extérieur à I'entreprise et conformément à un droit particulier qui traduit des
opportunités étrangères à la réalité économique. C'est pourquoi de nombreuses écritures se trouvent
faussées de leur résultat économique du fait de I'existence d'un torte fiscd impérial (Plagnet, 1974).
Selon du Pontavice (1939), de nombreuses enueprises continuenr à considérer le droit fiscal comme
seul utile et par conséquent présentent à leurs associ& et déposent au greffe du tribunal de
commerce les comptes annuels dans les formes prévues par le droit fiscal e.
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la signification des données et de leur utilisation à des fins de gestion sans risque de biais plus ou
moins grave. l,es documents financiers sont souvent conçus et perçus dans une perspective fiscale, ce
qui est médiocrement compatible avec un objectif d'information économique. Iæ droit ûscal inter-
vient toujours dans la détermination des règles d'évaluation comptable et les méthodes de pr&enta-
tion des comptes, du fait même des interventions du législateur et de I'administration fiscale qui ont
parfois tendance à déÊnir des règla qui obligent à suivre en comptabilité des principes fiscaux, à
peine de ne pes pouvoir profiter d'un régime de âveur sur le plan fiscal (Delessalle, 1994, p. 99).
ks règles fiscales exercent ainsi une influence importante, tant sur les écritures que sur la strucnrre
même de I'entreprise, par le biais de ses décisions de gestion. Aussi, selon Jean Schmidt at, < les
entreprises Peuvent subir I'impôt en se bornant à remplir les imprimés adminisuatifs et en acquit-
tant les sommes dues au Tésor ; elles ont également la possibilité de pr&oir I'impôt et d'utiliser au
maximum les moyens fournis par un droit fiscal qui offre des choix multiples. Iæs entreprises consi-
dèrent alors I'impôt comme une charge dont il importe de prévoir les incidences financières. Elles
pratiquent la gestion fiscale, qui est aussi étroitement liée à la gestion tnancière de I'entreprise u.
Cette dernière s'est ainsi détachée de cette vision assimilant la ûscalité à une contrainte pour l'inté-
grer dans sa stratégie afin de mieux la gérer. Un adage bien connu affirme qu'il oriste deux certitudes
dans la vie : la moft et les im$ts; s'il existe une muldtude de manières de mourir, il s'en trouve
certainement autânt d'&re imposé. IÉs entreprises I'ont bien compris, en jouant du fameux jeu
subtil d'options que permet la Êscalité, y compris lorsque cela a des incidences comptables et au
détriment d'une présentetion des comptes permettant de juger les performances économiques
(Esnault et Hoarau, 1993). Elles pratiquent, ainsi, irrésistiblement, ce que l'on pourrait appeler une
comPtabiliÉ fiscalo-crâtive, en retenant la voie qui peut être considérée comme la plus prudente
sur le plan comptable mais qui est suftout la plus favorable sur le plan fiscal, sans s'arêrer à savoir si
elle s'impose du point de vue de la gestion ae.
miner le résulat publié avec prudence remonte à 1916, suite à l'augmentation du taux fédéral. Il en
fut de même avec la taxation des profits excessifs. Cela conduisit les entreprises américaines à recher-
cher des techniques compables permeftant d'éaler les résultats taxables et de réduire la base impo-
sable. Llinfluerrce de la taxation est paniculièrement visible pour l'adoption de méthodes
d'amortissemenr permeffant de maximiser les annuités ainsi que lors de l'apparition de la méthode
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Létablissemenr d'une comptabilité capable de répondre atx nouvelles dispositions fiscales obli-
geait les entreprises à recourir à des professionnels spécialisés en comptabilité. Si les grandes entre-
prises purent se doter de leurs propres comptables salariés, la plupan des auues, au contraire, durent
Frir. à I'aide de personnes proposant leurs services à titre libéral. Ces dernières, se faisant
"pp.l
rémunZier en honoraires, tenaient ainsi, pour plusieurs petites ou moyennes entreprises, la compta-
bilité. C'est pour certe catégorie de comptables (qui se présentaient souvent sous fappellation d'ex-
perrs en comptabilité ou experts-compables) que se posaient le plus de problèmes. Iabsence de
àipb-. et de garanties ne permettait pas d'assurer que les comPtes éaient tenus avec la clané et la
sincérité nécessùes. Et même s'il est vrai qu il y eut en fait peu de fraudes ou de scandales, les
quelques affaires retentissantes d'alors posaient clairement la question. On taxait certains comptables
d'incompétence' on soupçonnait c€ux qui paraissaient trop ingénieux, on se demandait si les malins
ne feignaient pas I'incompétence pour mieux tromper le fisc a. Cela incita le législateur à intervenir,
encouragé d'ailleurs par les éléments sains de la profession qui voyaient dans cette intervention le
moyen d'éliminer ceux des professionnels plus spécialistes de la fraude fiscale que de la compabilité,
en crânt en 1927le brevet d'expert-compable rt.
Pour autant, dès 1929, Penglaou dénonça la fâcheuse habitude de ces comptables de respecrer les
exigences fiscales, hypnotisés par les injonctions d'un droit qui leur faisait oublier les réalirés écono-
miques. Le compable sera d'ailleurs souvent perçu comme un auxiliaire fiscal, un agenr supplétif du
fisc, plus que comme un vériable conseiller de I'entreprise, donnant à sa profession un caracère
particulièrement ambigu s. Cela fit dire à Du Pontavice (1989), qu' u il faudrait modifier les états
d'esprit et habituer les comptables à ne pas raisonner qu'en termes de droit fiscal, comme s'ils igno-
raient l'existence d'un droit comptable autonome ; il est vrai qu'ils riont connu, pendant longtemps,
et la faculté de droit avec eux, la compabilité qu à travers la fiscalité et la comptabilité publique
".-
Il n en demeure pas moins que le développement de la fiscalité a été déterminant sur l'évolution
glanti_tative et qualiative de la profession, qu'il s'agisse des comptables d'entreprise ou des comp-
tables libéraux, et fut ainsi à l'origine de sa normalisation.
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Si, en France, la fiscalité a exercé une action stimulante sur la comptabilité, si elle a contribué
très largement à la diffirsion du plan comptable, elle I'a aussi, dans bien des cas, déformée (Dupont,
dans Ordre des expers-comptebles, 1981). Ainsi, selon Du Pontavice (1984), u le droit compable,
qui ria dt sa naissance qu'aux sollicitudes du fisc [...], est dans une situation ambiguë par rapporr
au droit fiscal, tuteur q'rannique et tatillon d'un ancien pupille devenu adulte ,. Alors que la norma-
lisation internationale est plébiscitée dans le but d'assurer une meilleure comparabilité des comptes,
se Présente sans conteste le délicat problème de la connexion-déconnexion enue comptes sociaux et
consolid&. Mikol (1998) I'indique en ces termes : u Ceftes un état souverain doit disposer d'un
référentiel compable sur lequel calculer l'impôt, mais est-on bien cerain d'avoir besoin pàur les très
grandes entreprises d'un référentiel compable éabli par le législateur quand on sait que cet état
souverain dispose par ailleurs d'un référentiel fiscal uès complet qui plus esr mis à jour chaque
année par la loi de finances ? On pourait très bien imaginer que les très grandes entreprises fran-
çaises établissent un jeu de comprcs basé sur le référentiel fiscal frangis et un deuxième jeu de
comPtes resPectant un référentiel comptable facilianr la comparaison de leurs résultats avec ceux de
très grandes entreprises étrangères. n Il est maintenant reconnu aux entreprises établissant des
6. À cet égard, I'ordonnance de Colbert Peut More (1998) et Funnel et \Tilliams (1999).
d'ailleurs être considérée comme le premier signe 13. Lemarchand (1994, p. 30-31) parle de u fiscalité
de la manifesation étatique dans la normalisa- dissuasive ) car, ( même s'il est difficile d'appré-
tion comptable. cier son impact effectif, l'obligation faite atx
7. Selon Chatfield cité par Colasse (1988). marchands de tenir leurs livres sur du papier
8. Ne seront abordés, ici, que les liens entre la timbré les dissuada de se conformer aux Pres-
comptabilité générale et la fucalité i ces ProPos, criptions du texte o (iest-à-dire de I'ordonnance
au demeurant très généraux, ne sont pas le fruit de 1673).
taux beaucoup plus élwé que I'impôt sur les BIC 36. no 65-566.
(50 o/o); cette contribution exceptionnelle sur les 37. Citée par Colasse (1938).
bénéfices de guerre fut, en fait, le premier impôt 38. En 1920,1. Chaveneau (cité par Haddou, 1997)
à êue assis sur le bénéfice réel. Il porait sur le écrivait : u [...] de nombreux bilans, inépro-
supplément de bénéfice réalisé, à I'occasion du chables au point de vue de I'oractitude matérielle
conflit, par ceraines entreprises industrielles. Il des écritures, ne donnent point une image fidèle
donna lieu à une jurisprudence abondante du de la situation waie des enreprises et font
fait de I'absence de définitions précises des ressoftir, suiyant les cas, des bénéfices atténués
moddit& de son calcul, par méconnaissance des
ou exagérés u. Il ajoutait : u [...] des cheÊ d'en-
notions comptables (Lemarchand 1995, p.2l),
treprise cherchent sciemment à fausser ces résul-
20. JO du l'aott, p.5975. tats (ces écrirures), soit en usant de la latitude
21. Elles sont maintenues seulement pour les contri- laissée par la doctrine et la pratique pour l'éta-
butions locales au profit des communes et des blissement des comptes, soit en usant d'artifices
départements. de comptabilité pour la présentation de ces
Anoavr G. (1971), Histoire dz limpôt,liwe I et livre Dlcr 'W. (1997), u Llimage des performances à
II, Fayard. travers les comptes annuels : le cas de la France et
BannrÈs or, Rtrrren G. (1997), < la nouvelle direc- de l'Allemagne o, thèse de I'université Paris-XII
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