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resses universitaires de la Méditerranée --- Une question? Un problème?

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Figures du clown,
sur scène, en piste et à l’écran
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Collection « Cirque »

La collection « Cirque » des PULM fondée et dirigée par Philippe Goudard,


a pour objectif la publication de travaux scientifiques dans le vaste domaine
des arts du cirque, dans lequel l’université Paul-Valéry Montpellier 3 a pris
position depuis 1995 en développant des recherches académiques inédites.
Cette collection accueille dans une approche collective et interdisciplinaire
qui caractérise les arts du cirque, des ouvrages, études et essais issus des
recherches du programme « Cirque : histoire, imaginaires, pratiques » du
centre de recherche RIRRA 21 (EA 4209), qui concernent les arts et notam-
ment ceux du spectacle, la littérature, les médias et l’esthétique, mais
aussi l’histoire, les sciences humaines et sociales, les études culturelles, les
sciences de l’éducation, des activités physiques, cognitives ou encore la
médecine.
Directeur de collection : Philippe Goudard.
Comité scientifique : François Amy de la Bretèque (Cinéma, UPVM), Valé-
rie Arrault (Arts plastiques, UPVM), Denis Barrault (Médecine, ex-
médecin chef de l’INSEP), Luc Boucris (Scénographie, Grenoble), Alix de
Morant (Études chorégraphiques, UPVM), Philippe Goudard (Cirque,
UPVM), Dominique Jando (Circopedia, San Francisco), Gérard Lieber (Arts
du spectacle, UPVM), Yvan Nommick (Musicologie, UPVM), Thérèse Perez-
Roux (Sciences de l’éducation, UPVM), Philippe Perrin (STAPS, Nancy),
Béatrice Picon-Vallin (Histoire du spectacle et de la mise en scène, CNRS
Paris), Gabriele Sofia (Sciences cognitives, Rome/Grenoble), Marie Ève
Thérenthy (Littérature, UPVM), Nathalie Vienne-Guerrin (Études élisa-
béthaines, UPVM), Emmanuel Wallon (Sciences politiques, Paris X).
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Collection « Cirque »

Figures du clown,
sur scène, en piste et à l’écran
Ouvrage dirigé par
Philippe Goudard et Nathalie Vienne-Guerrin

2020
Presses universitaires de la Méditerranée
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Mots-clés : cirque, clown, comique, écran, rire, scène.

Illustration de couverture : Photomontage Pulm, 2020. Affiche pour Ctibor


Turba, Jiří Sopko, c. 1980, D.R.

ISBN 978-2-36781-332-5
Tous droits réservés, PULM, 2020.
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À tous les clowns, intentionnels ou non.


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Sommaire

Remerciements 13
Philippe Goudard et Nathalie Vienne-Guerrin
Les clowns ne sont pas des rigolos : entrée 15

1 Le clown élisabéthain
Yan Brailowsky
« Where’s my knave, my fool? » : à la recherche du clown élisa-
béthain 23
Nathalie Vienne-Guerrin
Le « clown » et ses clones dans le théâtre shakespearien :
approche lexicale 41
Yan Brailowsky
Shakespeare et les femmes clowns au xxe siècle : adaptations
et révélations 61
Florence March
Le clown shakespearien sur la scène contemporaine : l’héritage
élisabéthain revisité au Festival d’Avignon 79
Nathalie Vienne-Guerrin
La femme (du) Clown : Audrey dans Comme il vous plaira 95
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Sommaire

Nathalie Vienne-Guerrin
Les clowns élisabéthains : entre corps et esprit 109

2 Femmes clowns : fantasme, fiction, réalité


Filippos Katsanos
Écrire les femmes de cirque entre pratiques culturelles et dis-
cours sociaux : la clownesse Lulu de Félicien Champsaur 115
Franck Leblanc
Clowns, figures instables : photographies de Cindy Sherman et
Roni Horn 135
Béatrice Picon-Vallin
Les femmes clowns au Théâtre du Soleil 149
Amélie Chabrier
Nez à nue : quand le clown rencontre la sensualité 175
Sandy Sun (Catherine Dagois)
Zouc, clowne de théâtre 191

3 Les clowns au tournant du xxe siècle


Krizia Bonaudo
Les clowns dans l’avant-garde théâtrale française entre 1900
et 1924 199
François Amy de la Bretèque, Christian Rolot & Francis
Ramirez (†)
Clowns au cinéma, clowns de cinéma (1895-1926) 213

4 Figures de clowns
Marie-Ève Thérenty
Medrano (Boum-Boum) : construction d’une figure médiatique 229
Gérard Noiriel
Chocolat : le premier artiste noir du cirque français 245

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Sommaire

Philippe Goudard
Les Fratellini, clowns et figures de modernité 255
Oliver M. Meyer
Disparu mais présent : où est passé Grock ? 267
Francis Ramirez (†)
Comique et beauté : la ligne Keaton 271
Guy Freixe
Jacques Lecoq et l’enseignement du clown 285
Ctibor Turba
Les Clowneries du Cirque Alfred 299
Kateřina Vlčková
Notes sur la création de « Klaunerie » du Cirque Alfred 317
Béatrice Picon-Vallin
Slava Polounine : le clown et la théâtralisation de la vie 329
Béatrice Picon-Vallin
L’école russe des clowns 351

5 Tragique : l’autre côté du clown


Philippe Goudard
Rigoletto clown tragique 357
Marion Poirson-Dechonne
Larmes de clown 369
Florent Christol
Le clown maléfique au cinéma et dans la culture américaine :
généalogie 385

6 Rire
Paul Bouissac
Quand et pourquoi le spectateur rit-il ? 401

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Sommaire

Éric Smadja
Le rire, un exemple de la complexité humaine : une approche
pluri et interdisciplinaire 413
Philippe Goudard
Faire rire : le clown à l’œuvre 425
Notices biographiques 457
Table des illustrations 467

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Remerciements

Les directeurs de ce volume tiennent à adresser leurs plus sincères


remerciements :
— À toutes celles et ceux qui ont accepté de contribuer à cet ouvrage,
pour leur patience, leur confiance et leur disponibilité ;
— À toutes celles et ceux qui ont participé à actualiser la recherche sur
les clowns pendant les colloques « Figures du clown sur scène, en piste et
à l’écran » organisé en 2012 et « Femmes clowns » en 2014 ;
— À leurs collègues des centres de recherche RIRRA 21 (EA 4209) et IRCL
(UMR 5186 CNRS) de l’université Paul-Valéry Montpellier 3 pour leur
soutien scientifique et logistique ;
— Au Théâtre La Vignette et à l’université Paul-Valéry Montpellier 3 et
au CNRS, pour l’accueil de ces colloques ;
— À Luc Boucris, professeur émérite en Arts du spectacle à l’univer-
sité Grenoble-Alpes et Jean-François Dusigne, professeur en études
théâtrales à l’université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, pour leurs
expertises bienveillantes et généreuses du projet éditorial ;
— À toute l’équipe des Presses universitaires du Languedoc et de la
Méditerranée pour leur aide précieuse et leur patience dans leur
accompagnement de ce projet.
Pour leurs autorisations gracieuses de reproductions des documents,
photographies et articles qu’ils nous ont confiés, ils adressent toute leur
gratitude :
— À Ctibor Turba, Maxim Turba, Jiří Sopko, Linda K. Sedláková (Gale-
rie Gema), Sabrina Maillé et Serge Irlinger de la Compagnie Terre
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Figures du clown, sur scène, en piste et à l’écran

Sauvage, Daniel Margreth — Les clichés éparpillés, Amélie Cha-


brier, Guy Freixe, Meriem Menant-Emma La Clown et Wahib, Valérie
Fratellini-Fonds Fratellini, Marc Ginot, Didier Chaix, Maripaule B.,
Oliver Matthias Meyer, Cirkus Alfred, Divadlo Alfred, Vojtěch Písařík,
Miroslav Pokorný, Daniela Horníčkova, Jan Malý, Zdenièk Merta, Bea-
trice Picon-Vallin, Slava Polounine, Sophie Moscoso, Max Douchin,
Jean-Claude Penchenat, Georges Bonnaud, Joséphine Derenne, Le
théâtre du Soleil ;
— À la Bibliothèque nationale de France à Paris ;
— Au Centre de ressources et de recherche du CNAC / Centre national
des arts du cirque à Châlons-en-Champagne ;
— Aux Éditions Balland ;
— À HorsLesMurs Centre national de ressources pour les arts du cirque
et de la rue et ARTCENA Centre national des arts du cirque, de la rue
et du théâtre ;
— Au professeur André Helbo, directeur de la revue de sémiotique
Degrés ;
— À Dominique Jando de Circopedia.
Les directeurs de ce volume adressent enfin tous leurs remerciements,
pour leur soutien financier :
— À l’université Paul-Valéry Montpellier 3 ;
— Au centre de recherche RIRRA 21 (EA 4209) ;
— À l’IRCL, Institut de recherche sur la Renaissance, l’âge Classique et les
Lumières, UMR 5186 du CNRS, université Paul-Valéry Montpellier 3 ;
— Au CNAC / Centre national des arts du cirque à Châlons-en-Champagne ;
— À l’association Aries et Scorpio — Recherches et créations.

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Le clown maléfique au cinéma et dans


la culture américaine : généalogie
Florent Christol
Université Paul-Valéry Montpellier 3, RIRRA 21 (EA 4209)

D
epuis les années 1980, le clown maléfique ou terrifiant est devenu
une figure iconique de la culture populaire américaine. Com-
ment un personnage originellement associé au rire et à des rites
comiques libérateurs est-il devenu un personnage monstrueux ? Pour-
quoi est-ce essentiellement dans la culture américaine que cette figure
a émergé ? Ce texte, en partant du domaine cinématographique, tente
d’apporter quelques réponses à ces questions.
Si la figure protéiforme du clown 1 traverse les civilisations et les ères
culturelles, c’est essentiellement par la culture nord-américaine que le per-
sonnage du clown criminel et diabolique a émergé et est devenu populaire 2.
1. Nous ne chercherons pas ici à définir ou à tenter de circonscrire la figure du clown,
ni à articuler ses rapports avec des figures connexes comme le fool, le bouffon ou Harlequin ;
d’autres articles de cet ouvrage y sont consacrés. Pour plus de commodités et parce que ces
figures jouent, socialement et structurellement, et à quelques détails près, le même rôle,
nous les emploierons ici comme des synonymes. Pour une généalogie et une exploration
de la figure clownesque, voir par exemple en dehors des contributions au présent ouvrage :
John Townsen, Clowns, New York, Hawhtorn Books Inc, 1976 ; Wolfgang M. Zucker, « The
Image of the clown », The Journal of Aesthetics and Art Criticism, vol. 12, no 3 (Mar., 1954),
p. 310-317 et le chapitre sur le clown rituel dans le livre de Laura Makarius, Le Sacré ou la
violation des interdits (Paris, Payot, 1974).
2. On trouve, certes, des exemples de clowns maléfiques dans d’autres cultures (le gang
criminel des clowns dans le manga japonais Akira, entre autres), mais ce ne sont « que » des
contre exemples, au fond assez isolés, en comparaison à la prégnance de cette figure dans
la culture américaine.
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Florent Christol

C’est dans les années 1980-1990 que cette figure semble la plus fréquente 3.
Citons, en nous limitant au domaine cinématographique, le pantin terri-
fiant qui attaque le fils de la famille Freeling dans Poltergeist (Tobe Hooper,
1982), le serial-killer déguisé en clown de La Corde raide (Richard Tuggle,
1984), ou encore Freddy Krueger, croquemitaine bouffon adepte des jeux
de mots qui « tuent » et dont l’apparence grotesque (chapeau, pull à rayures
délavé...) rappelle la tradition du clown hobo, dans la série Les Griffes de la
nuit inaugurée par Wes Craven en 1984. Dans Clownhouse (Victor Salva,
1988), des psychotiques évadés d’un asile psychiatrique se déguisent en
clown et prennent en chasse trois enfants laissés sans surveillance. Dans
L’arme du clown (Michael Shroeder, 1988), un psychopathe se déguise en
clown et agresse sexuellement des hôtesses d’une ligne de téléphone rose.
Le clown criminel ou maléfique hante aussi l’univers de Tim Burton, depuis
Pee Wee’s Big Adventure (1985) avec ses bouffons terrifiants qui détruisent le
vélo du protagoniste, jusqu’à Batman (1989) et Batman : le retour (1992) avec
le Joker et les clowns criminels du cirque du Pingouin. Pennywise, le clown
monstrueux de It de Stephen King, se voit incarné par Tim Curry en 1990
dans un téléfilm à succès. Un bouffon tueur tient également un rôle impor-
tant dans la série Puppet Masters 4, dont les vilains (des jouets diaboliques)
ont été déclinés en autant de figurines terrifiantes à collectionner.
Dans un article intitulé « Cotton Candy Autopsy : Deconstructing Psycho-
Killer Clowns », le critique culturel Mark Dery repère un sous-genre du film
d’horreur entièrement consacré à la figure du clown maléfique :

[Il existe] un sous-genre méconnu mais florissant du cinéma d’horreur


qui gravite autour du motif du clown maléfique et du thème connexe
[...] du « carnaval terrifiant », dont le symbolisme recoupe celui du clown
psychopathe. Cette veine de films trashs à petit budget inclut les joyaux de
splatter burlesque Clownhouse, The Clown Murders, L’arme du clown, Funland,
Massacre dans le train fantôme, Carnival of Blood, et l’inoubliable Killer Klowns

3. Si le clown criminel apparaît dans quelques slashers dès les années 1970 [pensons à
Michael Myers dans l’ouverture de Halloween (John Carpenter, 1978), ou au tueur de L’ange
du mal (Constantine Gochis, 1978) qui se déguise également en clown], nous excluons ces
films de la discussion car ils relèvent, selon nous, d’un imaginaire diamétralement opposé à
celui qui nous intéresse dans ce texte. En effet, dans ces slashers, le clown apparaît non pas
pour agresser ou abuser des enfants, mais pour les protéger, se substituant à des figures
parentales montrées comme dysfonctionnelles. Sur ces films, voir notre article « La violence
du slasher film : une affaire de morale », Darkness no 15, Besançon, Sin’Art 2014, p. 18-33.
4. Série de films produits par le studio indépendant Full Moon et dont le premier opus,
réalisé par David Schmoeller, date de 1984.

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Le clown maléfique au cinéma et dans la culture américaine : généalogie

from Outer Space, film de série B comique mettant en scène des figures
grotesques au nez en plastique et aux perruques colorées. Le journaliste
du New York Press Jim Knipfel se souvient d’un vidéo club où il travaillait
quand il était plus jeune, où, « même lorsque la quantité était la plus basse,
on proposait au moins 19 films mettant en scène des clowns tueurs 5 ».

Plus récemment, on peut citer les films de Rob Zombie House of 1000 Corpses
(2003), The Devil’s Rejects (2005), Halloween (2007) et 31 (2016), et toute une
série de films sortis pour la plupart directement en vidéos mettant en scène
des clowns tueurs 6. Des clowns maléfiques sont également présents dans
de très nombreux épisodes de séries télévisées et de dessins animés (entre
autres Extreme Ghostbusters 7, Are you Afraid of the Dark 8 ? et The Simpsons 9).
La quatrième saison de la série American Horror Story (octobre 2014-janvier
2015), qui se déroule dans une fête foraine ambulante, figure un clown
criminel particulièrement sadique et terrifiant, et dans la saison 7, Cult, la
figure du clown tueur est exploitée par un groupe politique extrémiste afin
d’instaurer un climat de terreur et affirmer son pouvoir et son emprise
sur la communauté. Sorti en 2019, Joker de Todd Philips, met en scène un
dangereux clown tueur psychotique.

5. Mark Dery, « Cotton Candy Autopsy : Deconstructing Psycho-Killer Clowns », The


Pyrotechnic Insanitarium. American Culture on the Brink, New York, Grove Press, 1999, p. 73.
Nous traduisons.
6. Citons, entre autres, The Clown at Midnight (Jean Pellerin, 1998), Camp Blood (Brad
Sykes, 1999), S.I.C.K (Serial Insane Clown Killer) (Bob Willems, 2003), Dead Clowns (Steve Sessions,
2003), Fear of Clowns (Kevin Kangas, 2004), Mr Jingles (Tommy Brunswick, 2006), 100 Tears
(Marcus Koch, 2007), Secrets of the Clown (Ryan Badalamenti, 2007) Clown (Robert Newmann,
2007), Burger Kill (Brendan Cowles, 2007), Amusement (John Simpsons, 2008), The Hole (Joe
Dante, 2009), Clownstrophobia (Geraldine Winters, 2009), Laughter (Adam Dunning, 2012),
Sloppy the Psychotic (Mike O’Mahony, 2012), All Hallows Eve (Damien Leone, 2013), Clown
(John Watts, 2014), Cannibal Clown Killers (Patrick Andrew Higgins, 2015), Torment (Steve
Sessions, 2008), Jingles the Clown (Tommy Brunswick, 2009), Dark Clown (Conor McMAhon,
2012), Laughter (Adam Dunning, 2012), ou encore Gingerclown 3D (Balázs Hatvani, 2013). Voir
le dossier sur le sujet dans la revue Mad Movies (« Fini de rire ! Les plus affreux clowns de
cinéma », Mad Movies 274, mai 2014, p. 52-57).
7. Un épisode de Extreme Ghostbusters figure des clowns surnaturels qui se nourrissent
du rire de leur victime. « Killjoys », Épisode 9, saison 1. Novembre 1997, réalisé par Tim
Eldred.
8. « The Tale of the Crimson Clown », épisode 38, avril 1994, réalisé par Ron Oliver ;
« The Tale of Laughing in the Dark », épisode 2, réalisé par Ron Oliver, août 1992.
9. Dans l’épisode « Clown Without Pity » (Treehouse of Horror 3, octobre 1992, réalisé
par Carlos Baeza), la poupée de Krusty le clown est animée d’intentions criminelles.

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Florent Christol

En corrélation ou en réaction phobique à cette représentation, la « coul-


rophobie » (la peur des clowns), est souvent représentée dans la culture
populaire. Lors d’une fête d’Halloween, Frasier (Kelsey Grammer), dans la
série éponyme, se déguise en clown pour faire peur à son père, qui finit
à l’hôpital victime d’une crise cardiaque 10. Dans la série Seinfeld, Kramer
(Michael Richards) souffre également de coulrophobie 11. Dans l’épisode
des Simpsons « Lisa’s First Word », Homer essaie de construire un lit pour Bart
après qu’il a dépassé l’âge d’être dans un landau et il sculpte le sommier en
forme de clown. Mais ce dernier génère des insomnies chez Bart, qui ne
cesse de répéter « Can’t sleep, clown will eat me 12 ».
Si la figure du clown maléfique existe dans la culture américaine depuis
longtemps 13, elle semble avoir acquis au cours des années 1980-1990 une
place centrale dans l’imaginaire gothique américain, ainsi qu’une forme de
légitimité culturelle, comme en témoigne l’entrée que lui consacre Clive
Barker dans son dictionnaire de l’horreur 14. Cette figure pour le moins
paradoxale a déjà suscité l’intérêt de chercheurs qui l’ont appréhendée
dans des textes d’inspiration essentiellement esthétique et psychanaly-
tique 15. À l’inverse de ces approches, nous ne chercherons pas ici à savoir
ce qui fait qu’un clown peut provoquer la peur, devenir l’objet d’une pho-
bie, ou se prêter si facilement à un traitement horrifique 16. Notamment
parce que cette question nous paraît d’entrée de jeu faussée, les clowns
ayant toujours été, à certains niveaux, des êtres anxiogènes en ce qu’ils
brisent les tabous. Les questions qui nous préoccuperont se situent plutôt
sur le terrain de l’anthropologie et de l’histoire culturelle : comment un

10. « Boo ! », épisode 16, saison 16, réalisé par Kathy Garretson.
11. « The Opera », épisode 9, saison 4, novembre 1992, réalisé par Tom Cherones.
12. Épisode 10, saison 4, décembre 1992, réalisé par Mark Kirkland.
13. Pour une étude sur l’apparition de cette figure avant les années 1980, voir Patrick
Peccate, « L’origine des clowns agressifs dans la culture populaire », http://dejavu.
hypotheses.org/2010 (consulté le 1er juin 2018). La revue Pop en Stock a également consa-
cré un dossier très passionnant aux clowns terrifiants : http://popenstock.ca/dossiers
(consulté le 1er juin 2018).
14. Stephen Jones (éd.), Clive Barker A-Z to Horror, Chapitre « H for Harlequinade »,
London, HarperPrism, 1997.
15. Voir notamment Noël Carroll, « Horror and Humor », The Journal of Aesthetics and
Art Criticism, vol. 57, no 2, Aesthetics and Popular Culture (Spring, 1999), p. 145-160 ; Mark Dery,
op. cit. ; ou en France les travaux du psychologue Yann Leroux.
16. Sur la peur fondamentale suscitée par le clown, voir Elsie Clews Parsons and
Ralph L. Beals, « The Sacred Clowns of the Pueblo and Mayo-Yaqui Indians », American
Anthropologist, New Series, vol. 36, no 4 (oct.-déc., 1934), p. 491-514. Consulté le 1er juin 2018.

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Le clown maléfique au cinéma et dans la culture américaine : généalogie

personnage originellement associé au rire et à des rites comiques libéra-


teurs devient-il monstrueux ? Pourquoi la culture américaine a-t-elle fait
émerger et popularisé cette figure ? L’amorce d’une réponse à ces questions
est, selon nous, à chercher du côté du rapport de l’Amérique à la culture
carnavalesque.

1 Le clown et ses antécédents carnavalesques en Europe


La figure du clown puise ses racines dans l’univers du carnaval, rituel d’in-
version sociale qui existe dans toutes les civilisations et ères culturelles sous
une forme ou une autre (Saturnales et Kalendes romaines, Sacées babylo-
niennes, fête des fous médiévale, etc.). Lors du carnaval, ce qui, socialement
et hiérarchiquement, se trouvait « en bas » ou relégué à la marge passait
symboliquement « en haut » ou au centre, donnant au peuple l’occasion
d’accéder à une sorte d’utopie sociale sans inquiéter les pouvoirs officiels 17.
Les règles du monde officiel étaient suspendues et les représentants du pou-
voir — Église et Roi — se voyaient remplacés par un « Fou » (authentique ou
acteur comique) intronisé roi de carnaval, dont le règne burlesque durait
jusqu’à la fin des festivités. Celles-ci se terminaient par le jugement et le
sacrifice du personnage grotesque intronisé roi de carnaval. Une effigie à
ses traits pouvait alors faire office de victime de substitution 18.
Le fou, à la manière de ce roi grotesque qui régnait sur la fête, met-
tait symboliquement le monde à l’envers et prenait en charge la trans-
gression rituelle des interdits dont tout individu vivant dans des carcans
sociaux plus ou moins normatifs ressent le désir. Son déguisement désin-
hibant permettait aux groupes et aux personnes socialement marginali-
sées d’assumer temporairement une forme de pouvoir symbolique. Sous
le masque du bouffon de cour (jester), le fou avait l’autorisation de criti-
17. Sur la question de la dimension subversive ou conservatrice du carnaval existe une
littérature considérable. Nous renvoyons au livre d’Allon White et Peter Stallybrass
(The Politics and Poetics of Transgression, Cornell University Press, New York, Ithaca, 1986) qui
contient une bibliographie très riche sur le sujet.
18. En Alsace par exemple, le roi de Carnaval prenait l’aspect d’un mannequin vêtu de
paille qui était traîné au bout d’une corde dans les rues, injurié, fouetté et, finalement,
noyé dans une mare. Voir Roland Auguet, Fêtes et spectacles populaires, Paris, Flammarion,
1974. Sur le rôle du clown comme bouc émissaire, voir William Willeford, The Fool and his
Scepter, A Study in Clowns and Jesters and Their Audience, Evanston, Northwestern University
Press, 1969 ; et Lucien Scubla, « Roi sacré, victime sacrificielle et victime émissaire », dans
Revue du MAUSS 2/2003 (no 22), p. 197-221.

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quer et ridiculiser les autorités sans peur des représailles. Il se moquait


des conventions, dénonçait les comportements immoraux, et humiliait
les puissants. Cependant, loin d’être uniquement subversive la figure du
fou renforçait le pouvoir en place car la contestation se trouvait d’emblée
déplacée dans le domaine du ridicule et du grotesque. Exhibant tout ce
que la société refoule, le fou permettait la satisfaction des désirs inter-
dits et pulsions diverses, provoquant le rire et suscitant (idéalement) une
catharsis, une forme de soulagement psychique 19. Le fou et le carnaval
jouaient ainsi un rôle primordial dans la gestion de l’agressivité (en parti-
culier l’agressivité juvénile), permettant de vivre dans un cadre ritualisé
des fantasmes œdipiens régressifs pour mieux les exorciser, les stigmatiser
ou les court-circuiter 20.
Cette figure permettait également d’introduire les jeunes hommes à des
prérogatives sociopolitiques leur conférant un poids symbolique important
dans le tissu social. Dans le charivari organisé par les Sociétés Joyeuses
(inspirées par la Fête des fous médiévale), les jeunes célibataires, dégui-
sés en bouffons, sanctionnaient les comportements transgressifs mettant
réellement ou symboliquement en péril l’équilibre de la communauté (en
général des infractions à la morale sexuelle). Le « coupable » devenait le
sujet de satires burlesques ; une effigie grotesque à son image était prome-
née puis brûlée sous ses fenêtres dans une atmosphère de fête sacrificielle.
Ce châtiment prenait également la forme de tribunaux burlesques qui
se réunissaient à un jour fixé, le mardi gras ou le premier mai, ou bien
s’improvisaient en fonction des événements. Malgré (ou de par) sa dimen-
sion humiliante, le charivari avait pour fonction première de réintégrer la
personne dans la communauté et non de l’exclure 21.
Si la figure du fou était un puissant vecteur de socialisation et de pacifica-
tion des conflits en Europe, elle pouvait aussi légitimer la révolte contre le
pouvoir en place. La « folie » carnavalesque incarnée par les jeunes gens des
Abbayes de Folie et autres Confréries joyeuses pouvait en effet se retourner
19. Sur la dimension psychologiquement cathartique du clown, voir Lucille Hoerr
Charles, « The Clown’s Function », The Journal of American Folklore, vol. 58 no 227, 1945, et
William Willeford, op. cit.
20. Voir Jean-Thierry Maertens, « Le masque primitif et la sexualité », in Aslan Odette,
Bablet Denis (dir.), Le Masque, du rite au théâtre, Paris, CNRS Éditions, 1999, p. 34, et Daniel
Fabre, « Le triangle des masques », Le Monde à l’envers. Carnavals et mascarades d’Europe et de
Méditerranée, Paris, Flammarion, 2014, p. 147-181.
21. Voir les actes du colloque sur le Charivari, Jacques Le Goff, Jean-Claude Schmitt
(éd.), École des hautes études en sciences sociales, Paris, Mouton éditeur, 1981.

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Le clown maléfique au cinéma et dans la culture américaine : généalogie

violemment contre les autorités lorsque celles-ci étaient perçues comme


abusives et illégitimes. Comme l’écrit Yves-Marie Bercé :
Les sanctions coutumières dont les chefs de jeunesse et les fous devenus
rois appuyaient leurs prérogatives — tribunaux comiques, charivaris, che-
vauchées de l’âne et exécutions figuratives — comportaient des aspects
agressifs évidents. Tout cet arsenal burlesque pouvait offrir des passages
de la fête à la révolte et recéler une dynamique subversive 22.

Pour ces raisons, les autorités redoutaient les figures et les pratiques carna-
valesques, conscientes qu’elles pouvaient servir de catalyseur à la révolte.

2 Refoulement et diabolisation du clown en Amérique


du Nord
L’articulation entre expérience symbolique de la folie, socialisation/régu-
lation des pulsions et initiation à la vie politique se trouve progressivement
érodée puis sublimée aux xvie et xviie siècles. Au cours du xvie siècle,
les compagnies joyeuses et leurs fêtes burlesques inquiètent les autorités
et font l’objet d’interdictions 23. Comme le montrent N. Z. Davis et Yves
Bercé, l’État acquiert progressivement le monopole de la violence phy-
sique légitime et tolère de moins en moins de voir la justice appliquée par
des groupes sociaux perçus comme non-légitimes. En outre, les autorités
morales deviennent de plus en plus conscientes que le fait de revêtir le
déguisement du bouffon risquait de pousser à la débauche, voire à la cri-
minalité, et d’entraîner des révoltes contre les autorités au pouvoir 24. La
Réforme en Angleterre marque du sceau de la superstition et de la suspicion
un grand nombre de pratiques héritées du Moyen Âge (et, en définitive,
des temps antiques ou païens). L’Église entend imposer une nouvelle forme
de piété, silencieuse, pudique, étroitement soumise au magistère ecclésias-
tique 25. Ce refoulement, bien étudié par Norbert Elias dans son travail sur
22. Yves-Marie Berce, Fête et révolte. Des mentalités populaires du xvie au xviiie siècle, Paris,
Hachette, 1976, p. 16.
23. Voir Peter Burke, Popular Culture in Early Modern Europe, New York, Harper, Torch-
books, 1978, p. 210-213.
24. Voir Y. M. Berce, op. cit., et N. Z. Davis, « The Reasons of Misrule », in Society and
Culture in Early Modern France, Cambridge, Polity Press, 2007.
25. Voir François Laroque, Shakespeare et la fête, Essai d’archéologie du spectacle dans
l’Angleterre élisabéthaine, Paris, Presses universitaires de France, 1988, p. 163-164.

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le processus de civilisation, va de pair avec la volonté de la bourgeoisie de


se couper d’un folklore et de rituels perçus comme vulgaires, voire abjects,
qu’elle souhaite dorénavant associer exclusivement aux classes populaires
afin de s’en différencier 26.
Cette attaque contre les rites bouffons du carnaval et cette diabolisation
des figures carnavalesques résultant de la conjonction du protestantisme
et l’essor de la bourgeoisie prend des formes radicales en Amérique du
Nord pour des raisons à la fois historiques et idéologiques. En arrivant sur
le Nouveau Monde, les Puritains voient les fêtes et rites carnavalesques qui
rythmaient la vie des communautés en Europe d’un très mauvais œil ;
l’ordre régnant dans les colonies est au départ fragile et les Puritains
craignent que la dimension potentiellement anarchique des fêtes carnava-
lesques introduise un désordre réel. Thomas Morton, colon subversif qui
pratiquait les rites païens de Mai dans sa colonie de Wollaston, fut ainsi
condamné et sommé de retourner en Angleterre, où il fut jugé et condamné
en 1627 27. Comme Penthée condamnant le culte de Dionysos chez Euripide
(Les Bacchantes), les Puritains n’auront de cesse de censurer ou épurer les
différentes festivités, entre autres les célébrations bachiques d’Halloween
et de Noël, en les transformant en fêtes pour enfants par exemple 28.
La culture américaine reconduit ainsi et radicalise le refoulement du
carnaval démarré en Europe. Avec son comportement inversé, son hostilité
vis-à-vis de l’ordre établi et son exhibition de tout ce que la société refoule
(à commencer par l’appétit sexuel), le clown, figure provenant du théâtre
élisabéthain et du cirque équestre anglais mais qui récupère en partie
l’héritage du fou carnavalesque 29, est progressivement appréhendé comme
une figure obscène, voire diabolique.

26. Voir Peter Stallybrass et Allon White, op. cit., p. 188, et John fiske, « Offen-
sive Bodies and Carnival Pleasures », Understanding Popular Culture, Londres, Routledge,
2010. Sur la continuation de ce processus d’édulcoration du clown à l’époque contempo-
raine, voir Martine Maleval, « Le Clown : une figure transgressive ? », dans Jean-Marc
Lachaud et Olivier Neveux (dir.), Une Esthétique de l’outrage?, Paris, L’harmattan, « Ouver-
ture philosophique », série Arts vivants, 2012, p. 197-208.
27. Sur ce sujet, voir Lauric Guillaud, Frontières Barbares, L’espace imaginaire américain de
C. B. Brown à Jim Morrison, Paris, e-dite, 2000, p. 27.
28. Voir Stephen Nissenbaum, The Battle for Christmas, New York, Vintage Books, 1996, et
Halloween, and Other Festivals of Death and Life, ed. Jack Santino, The University of Tennessee
Press, Knoxville, 1994.
29. Nous renvoyons aux divers textes sur l’histoire du clown cités plus haut et aux autres
contributions du présent ouvrage.

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Le clown maléfique au cinéma et dans la culture américaine : généalogie

Les fêtes collectives carnavalesques font place au spectacle du cirque,


dont l’essor au xviiie siècle contribua d’une manière décisive à véhiculer
les valeurs idéologiques de la nation américaine 30. Privé de toute fonction
sociale ou politique d’une nature similaire à celle des figures qui l’ont
précédé dans les rites carnavalesques européens, le clown se transforme en
figure burlesque « purement » spectaculaire, à une forme d’anarchie mise
à distance. À l’inverse du carnaval, qui cultive l’écroulement de la frontière
entre spectacle et spectateur, le cirque et le freak show reposent en effet sur
l’érection de frontières entre le « phénomène » exhibé et les spectateurs.
Il est important de saisir les conséquences politiques de ce changement :
alors que, dans la culture européenne, le clown incarne une figure permet-
tant d’intégrer l’altérité (à la manière de Dionysos dans la Grèce antique),
il se retrouve dans la culture américaine dominante (bourgeoise et patriar-
cale) plutôt associé à des figures radicalement sauvages et inassimilables.
Par son aspect physique monstrueux et son côté ridicule, et parce qu’il
occupe une position liminale, interstitielle, le clown peut stigmatiser méta-
phoriquement tel individu ou telle minorité (sociale, raciale, genrée) qui
se trouve par cette association rejetée du champ social et politique 31. Dans
le freak show, les « sauvages » (pygmées, tribus « cannibales »...) sont ainsi
souvent représentés comme des clowns 32. Dans le théâtre de blackface mins-
trelsy, les blancs se grimaient en clowns pour évoquer les Afro-Américains 33.
Loin de ne constituer qu’une source de divertissement pour le public blanc,
30. Voir Janet Davis, The Circus Age Culture and Society Under the American Big Top, Chapel
Hill, The University of North Carolina Press, 2002.
31. Comme l’écrit Barbara Lewis, « Le port du masque clownesque [...] possède une
dimension politique. [...] Il détermine qui rit et qui sert de souffre-douleur. Il fixe également
dans l’esprit du public les images acceptables et exagérées d’altérité, ce qui est perçu
comme clownesque et inférieur, empoté et inepte » (Barbara Lewis, « An American Circus :
the Lynch Victim as Clown », in Clowns, Fools and Picaros. Popular Forms in Theatre, Fiction and
Film, ed. David Robb, New York, Rodopi, 2007, p. 90). Nous traduisons.
32. Voir Leonard Cassuto, The Inhuman Race : The Racial Grotesque in American Literature
and Culture, New York, Columbia University Press, 1997.
33. Janet Davis a souligné les liens unissant le clown à des stéréotypes raciaux : « les
clowns incarnaient des stéréotypes raciaux inconscients qui contribuaient à renforcer
les normes sociales. Des affiches de cirque représentaient souvent des portraits de clown
maquillés en blackface, avec d’énormes bouches rouges et des yeux globuleux [...] mais
la plupart du temps le blackface de l’auguste était métaphorique. Il créait son identité
raciale à travers le maquillage blanc. Sa blancheur et des zones corporelles exagérées —
grosse bouche rouge, yeux encerclés de peinture, gros nez, grosses oreilles et grands pieds
factices — lui donnaient l’air très proche du clown blackface » (J. Davis, op. cit., p. 174). Nous
traduisons. Janet Davis étudie également la façon dont la figure du clown a pu servir à

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Florent Christol

le clown blackface jouait un rôle central dans la légitimation des violences


raciales, comme dans les lynchages qui tuèrent un très grand nombre
d’Afro-Américains au lendemain de la guerre civile.
Dans la culture américaine, la figure du clown se pare ainsi, en parallèle à
ses dimensions comiques ou « diurnes », d’associations purement négatives,
renvoyant à des idées de transgressions criminelles, de désordre, d’anarchie,
ainsi qu’à des représentations sociales (pauvres), genrées (femmes et gays)
et raciales (afro-américains notamment) envisagées comme « abjectes ».
Les espaces où s’est trouvé refoulé le clown (cirque, fête foraine, parc d’at-
traction, etc.) deviennent associés dans une certaine culture WASP 34 à des
idées de désordre, d’anarchie, de régression et de péché. Le cirque est ainsi
l’objet de nombreuses condamnations de la part des autorités morales (en
particulier de certains groupes religieux) qui lui reprochaient une pro-
pension carnavalesque risquant d’encourager les comportements violents
et subversifs au sein des classes populaires 35. Le Connecticut, berceau de
P. T. Barnum, interdit totalement le cirque jusqu’en 1840. Barnum lui-même
expliqua pourquoi le cirque d’avant la guerre de Sécession méritait d’être
censuré :

À cette époque, le cirque était l’objet de l’animosité de l’Église. [...] Son


aspect ludique reposait sur les gestes vulgaires du clown. Le cirque de cette
époque n’avait aucune vertu éducative. Ses employés étaient des éléments
turbulents [...]. Sa venue était crainte par tous les habitants respectueux des
Lois, qui savaient qu’il provoquerait inévitablement le désordre, l’ivresse
et la panique 36.

3 Pour conclure (et ouvrir)


À l’inverse de la culture européenne qui, par le biais du carnaval ménage
une place politique et symbolique aux figures grotesques, entre homme
et femme, humain et animal, roi et bouffon, les mythes structurants de la
nation américaine s’emploient à tracer une frontière rigide entre norme et

repousser dans le champ de l’infantile ou de la sauvagerie certaines minorités ethniques,


freinant par là leur accès à la démocratie.
34. Acronyme de « White Anglo-Saxon Protestant ».
35. Voir Davis, op. cit.
36. Ibid., p. 86. Nous traduisons.

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Le clown maléfique au cinéma et dans la culture américaine : généalogie

marge, beauté et monstruosité, masculin et féminin, raison et folie, ordre


et sauvagerie, citoyen politique et clown.
Si la généalogie que nous proposons dans ce travail explique en partie
la transformation du clown de figure comique en figure horrifique, elle
n’explique cependant pas sa cristallisation dans le cinéma américain des
années 1980-1990. L’hypothèse qui revient le plus souvent à ce sujet est
que les fictions mettant en scène cette figure constitueraient une forme de
réaction traumatique à l’affaire John Wayne Gacy. Tueur sadique accusé de
la torture et du meurtre de 33 enfants et adolescents autour de Chicago, il
est connu par les Américains sous le sobriquet de « Killer Clown » car il lui
arrivait de se déguiser en clown pour divertir les enfants dans des hôpitaux
ou pour des organisations caritatives. Les exactions de Gacy furent décou-
vertes en 1978 et il fut exécuté en 1994. S’il serait absurde de nier l’impact
de cette affaire extrêmement médiatisée, et dont il est certain qu’elle a
renforcé, dans l’imaginaire collectif, une association entre clown et pédo-
philie qui a sans doute toujours existé de par la proximité (psychologique,
mais aussi physique) avec l’univers de l’enfance 37, réduire la prolifération
de figures clownesques monstrueuses dans le cinéma américain au trauma
de l’affaire Gacy nous paraît trop simpliste. Étant donné la prégnance et
le succès populaire de la scène fantasmatique qui traverse ces fictions (un
criminel clownesque s’en prend à des enfants vulnérables, en général lais-
sés sans supervision parentale), nous pensons que celle-ci était, pour des
raisons sans doute inconscientes, désirée par de nombreux Américains à
l’époque, qu’elle répondait à une envie (sans doute inavouable) et à une ou
des fonctions qu’il s’agit d’éclairer. Ceci sera l’enjeu d’un autre travail.

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37. Comme l’écrit Janet Davis, « Le clown se vautrait dans des comportements et des
plaisirs infantiles. Il prenait du plaisir à être sale, pleurait ouvertement, critiquait les
“adultes”, et faisait des farces à tout le monde, de Monsieur Loyal au public. Lorsqu’il
incarnait un clochard [...] la persona du clown était définie par son rapport à la saleté. Rire
bruyamment de la persona du clown ramenait l’audience aux plaisirs sans limite de leur
enfance collective » (Davis, op. cit., p. 176). Nous traduisons. Jack Morgan consacre des
lignes très intéressantes au rapport de Gacy à l’imaginaire clownesque dans The Biology of
Horror, Gothic Literature and Film, Southern Illinois University Press, Carbondale, 2002, p. 142.

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Collection « Cirque »

Déjà parus

Trente ans de cirque en France (1968-1997). Chroniques de Jacques Richard,


journaliste, Goudard Ph. et Amy de la Bretèque F., 2018.
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Dépôt légal : septembre 2020


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