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LE RÔLE DES RESSOURCES NATURELLES DANS LES CONFLITS ARMÉS

AFRICAINS

Philippe Hugon

La Découverte | « Hérodote »

2009/3 n° 134 | pages 63 à 79


ISSN 0338-487X
ISBN 9782707158444
DOI 10.3917/her.134.0170
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-herodote-2009-3-page-63.htm
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Le rôle des ressources naturelles
dans les conflits armés africains

Philippe Hugon*

Les relations entre guerres et ressources naturelles ont conduit à une écologie
politique de la guerre analysant les guerres de ressources, environnementales,
de pillage ou de sécession liées aux ressources naturelles. Un État détenteur de
ressources en hydrocarbures a neuf fois plus de risques d’être le théâtre de conflits
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armés qu’un État non pourvu. Les ressources naturelles peuvent fournir les
moyens de financer les rébellions motivées par d’autres intérêts que les ressources
elles-mêmes. Elles peuvent, étant concentrées dans un territoire délimité, favo-
riser des tentatives sécessionnistes. Elles conduisent à des comportements rentiers
interdisant ou retardant des institutions fortes. Les ressources naturelles du sous-
sol peuvent, du fait de leur abondance, attiser des contrôles par la violence (colo-
niale, impérialiste, pillage). Les ressources naturelles du sol peuvent, du fait de
leur rareté (eau, terre), aviver les tensions. Il n’y a pas toutefois de lien détermi-
niste même si la malédiction des ressources naturelles est forte. Les guerres envi-
ronnementales sont, elles-mêmes, dépendantes des politiques mises en œuvre
[Le Billon, 2003]. Notre analyse prend pour hypothèse qu’il importe de dépasser
Hérodote, n° 134, La Découverte, 3e trimestre 2009.

à la fois les analyses universalistes des économistes et particularistes des anthro-


pologues-politistes en construisant des typologies. En prenant le cas des conflits
armés africains, nous différencierons dans cet article : 1/l’enchevêtrement des
facteurs et des acteurs de la conflictualité ; 2/l’économie politique des conflits et
3/les différents types de conflits liés aux ressources naturelles.

* Professeur émérite Paris-X-Nanterre, IRIS.

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HÉRODOTE

L’enchevêtrement des facteurs et des acteurs des conflits armés

Les conflits armés diffèrent selon leur intensité, leur durée et leur extension
territoriale. Ils peuvent être infranationaux, internationaux ou régionaux. On peut
distinguer les guerres civiles et les insurrections, la violence criminelle, les conflits
intra-armées et le terrorisme. En 2009, l’Afrique représente près d’un tiers des
conflits infranationaux mondiaux. Même s’ils tendent plutôt à se réduire et à se
déplacer de l’Afrique de l’Ouest vers l’Est, ils concernent notamment le Soudan
et le Darfour, la Somalie, la RDC.

Nouveauté des formes de violence armée ?

La question se pose de savoir quelle est la nouveauté des formes de violence


armée. Traditionnellement, les conflits internes (guerres civiles, rébellion) se
différencient des conflits externes (guerres internationales) mais la plupart des
polémologues considèrent que cette distinction a perdu beaucoup de sa pertinence
depuis la chute du Mur de Berlin. Les partisans de l’opposition entre les anciennes
et les nouvelles formes de guerre considèrent que les anciennes étaient plutôt
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idéologiques, centralisées et caractérisées par les doléances alors que les nouvelles
formes de guerre sont plus décentralisées et davantage caractérisées par des déter-
minants ethniques, le pillage et la prédation [Collier, Hoeffler 2000]. Aux conflits
de la période de la guerre froide, caractérisés par des oppositions idéologiques
et le soutien des grands blocs, ont succédé des guérillas multiformes davantage
intranationales avec retrait partiel des grandes puissances [Clapham, 2000]. Ces
thèses de la nouveauté des conflits armés sont controversées, soit niées [Kalivas,
2001], soit fortement nuancées [Marchal, Messiant, 2002 ; de Montclos, 2007].
Elles agrégeraient des conflits de natures différentes et renverraient à trois courants
hétérogènes : néoconservateur américain, développant la thèse du chaos généra-

Hérodote, n° 134, La Découverte, 3e trimestre 2009.


lisé, de guerres où se mêlent gangs, conflits ethniques et trafics, et chocs civilisa-
tionnels ; économiciste, avec Collier en particulier, au sein de la Banque mondiale,
mettant en avant l’avidité des rebelles et légitimant ainsi les pouvoirs en place ;
politiste [Kaldor, 1999] enfin, privilégiant la fin de la guerre froide et agrégeant
des conflits de nature diverses. Marchal et Messiant refusent toute théorie globa-
lisante évacuant le politique, le social et l’historique ; ils différencient au contraire
les conflits politiques au caractère identitaire marqué (Balkans, Rwanda) et les
prédations peu motivées politiquement (Sierra Leone, Liberia).

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LE RÔLE DES RESSOURCES NATURELLES DANS LES CONFLITS ARMÉS AFRICAINS

TABLEAU 1. – « ANCIENNES » ET « NOUVELLES » GUERRES

Anciennes guerres Nouvelles guerres


Causalité idéologique : nationalisme, marxisme Haines religieuses, tribales, ethniques
Soutien populaire Absence de soutiens populaires
Violence contrôlée : centralisation de la guerre Violence décentralisée et transfrontalière
Revendications Activités, pillages

Différenciations des conflits

Les conflits africains diffèrent selon leur dimension territoriale : les guerres
opposent rarement des armées nationales, exception faite entre l’Érythrée et
l’Éthiopie où il s’agit de guerres westphaliennes avec guerres de tranchées et de
blindés et revendications territoriales. Internes aux États, ils s’articulent aux réseaux
régionaux et internationaux, notamment à la mondialisation criminelle ; il y a
emboîtement d’échelles du local au global. Tel est le cas des trois grands conflits
du Darfour, de la Somalie et de la RDC. Selon leur mobilité : les conflits séden-
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taires font place aujourd’hui aux conflits nomades et transfrontaliers ; les conta-
gions résultent des déplacements des populations, des identités transfrontalières.
Selon Doyle et Sambanis [2000], un pays a trois fois plus de risques d’être confronté
à une guerre civile si ses voisins sont en conflit. Selon leur financement : par
des États sponsors (wahhabisme par l’Arabie saoudite, chiisme par l’Iran, Églises
évangéliques par les États-Unis), des diasporas, et surtout par des contrôles de
ressources naturelles (nerf de la guerre). Selon leurs mobiles : les guerres de séces-
sion diffèrent des guerres de libération nationale, idéologiques (haines religieuses,
ethniques), ou d’accès à des ressources. La dimension religieuse peut jouer soit
par le biais des luttes d’influence des États ou diasporas sponsors, soit par l’ins-
Hérodote, n° 134, La Découverte, 3e trimestre 2009.

trumentalisation du religieux par le pouvoir, soit par la volonté de défendre ou de


se battre pour des valeurs.
Les guerres africaines sont ainsi à la fois préwestphaliennes (enchevêtrement
de facteurs et d’acteurs, allégeances, milices et mercenaires) et postmodernes
(insertion dans une économie mondiale criminelle). Elles sont à la fois infra-
nationales, transfrontalières et internationales (trafics d’armes, rôle des États et
diasporas sponsors, débouchés des produits, entrelacs d’intermédiaires au sein
des filières avec des ramifications régionales et internationales). Elles s’insèrent
au niveau national dans des réseaux de pouvoirs politiques liés à des mafias et des
réseaux criminels.

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HÉRODOTE

L’enchevêtrement des acteurs

Les acteurs des conflits sont multiples et ne sont pas réductibles aux armées
nationales s’affrontant ou aux oppositions entre les forces gouvernementales et
les rebelles. De nouveaux acteurs apparaissent avec une démultiplication et une
permanente recomposition-décomposition des acteurs de la violence. Les acteurs
sont privés (mercenaires, milices, enfants soldats), les acteurs communautaires
sociétés secrètes (partis des chasseurs, sectes religieuses...), et publics (armées
nationales, polices, troupes de maintien de la paix).

L’emboîtement des échelles

L’analyse des violences suppose de se placer à trois niveaux : premièrement,


repérer, à la base, les racines des conflits en termes de rapports de pouvoir, de
structures sociales concernant notamment les accès différenciés aux emplois
rémunérés, aux ressources naturelles et au foncier des jeunes. La quasi-totalité des
conflits renvoie à des jeunes, sans emploi, ne pouvant accéder à des revenus
licites ou à des migrants « allogènes » ou « autochtones » se heurtant à l’accès à
ces ressources. Les raisons sont multiples : par exemple, le contrôle des ressources
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par les « aînés », la priorité donnée aux autochtones ou, tout simplement, la rareté
de ces ressources. Ainsi, la question de l’accès à la terre et aux ressources natu-
relles afférentes (eau, pâturages...) est un des facteurs essentiels de la dynamique
des conflits. En Sierra Leone, le RUF 1 n’a pas seulement recruté des prolétaires
urbains mais également des jeunes ruraux se heurtant au contrôle de la terre par
les aînés. En Côte-d’Ivoire, la loi foncière de 1998 supprimant le droit à la terre
pour ceux qui la cultivent a mis le feu aux poudres. Dans un contexte de raréfac-
tion de la terre et de crise économique, il y a eu conflit entre les jeunes urbains
revendiquant des droits ancestraux et les migrants bénéficiant de terres louées
dans le cadre d’accords de tutorat. Deuxièmement, prendre en compte l’insertion

Hérodote, n° 134, La Découverte, 3e trimestre 2009.


des sociétés rurales et urbaines dans des circuits mafieux et criminels (diamants,
narcodollars, trafics d’armes, détournement de l’aide alimentaire, siphonnage du
pétrole, argent de la corruption...) qui touchent aussi bien des membres des États
criminalisés, des mafias contrôlées par des seigneurs de guerre que des filières
internationales. La victoire peut ne pas être souhaitable pour se partager les rentes
(cas de la Sierra Leone ou de la Côte-d’Ivoire actuellement). La guerre permet
de légitimer des actions qui seraient considérées comme des crimes en période de

1. Revolutionary United Front, groupe armé ayant, en 1991, déclenché la guerre civile dans
ce pays.

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LE RÔLE DES RESSOURCES NATURELLES DANS LES CONFLITS ARMÉS AFRICAINS

paix. Elle permet, en l’absence d’État de droit, de profiter d’octrois le long des
routes ou de prébendes sur la contrebande ou sur les différents bakchichs. Troisiè-
mement, analyser les liens entre les violences infranationales et leur caractère
transnational et régional, que ce soit par l’appui d’États voisins ou par l’apparte-
nance à des groupes transfrontaliers (ethniques, claniques, de réfugiés...). Les
conflits armés sont transfrontaliers, d’où la nécessité d’actions de prévention
et de résolution aux niveaux sous-régionaux. La fragilité et la vulnérabilité
des États sont en interrelation avec la vulnérabilité des régions et notamment des
espaces transfrontaliers. Les conflits ont un caractère nomade et se caracté-
risent par des contagions. Le conflit du Liberia s’est ainsi déplacé en Côte-
d’Ivoire du fait notamment de la mobilisation des soldats désœuvrés. À proximité,
les 100 000 réfugiés en Guinée constituent une véritable menace de conflit dans ce
pays. La Guinée-Bissau, ensuite, est déstabilisée par la rébellion casamançaise qui
y a organisé sa base arrière.

L’économie politique des conflits


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Les analyses des conflits

Elles font l’objet de débats entre les disciplines. Les économistes-universalistes


privilégient le comparatisme, les indicateurs normés, les régularités (rôle des
rentes, des « grievances »). Les anthropologues-politistes particularistes mettent
au contraire en avant les spécificités des terrains, des arrangements, ou le jeu des
élites. Les géopoliticiens soulignent le rôle des puissances, des réseaux transfron-
taliers et des stratégies d’acteurs. L’écologie politique insiste sur les facteurs
écologiques et les guerres environnementales. Il y a évidemment enchevêtrement
des facteurs. Il faut distinguer l’économie de guerre (liens entre ressources, armes
et troupes), les économies dans la guerre (contrebande, marché noir) et les acti-
Hérodote, n° 134, La Découverte, 3e trimestre 2009.

vités économiques légitimées par la guerre (pillage).


La guerre doit être financée et elle peut avoir des motivations de captation de
richesses. Certains travaux économétriques décomposent les facteurs explicatifs
alors que d’autres utilisent la méthode systémique.

Les analyses économiques des guerres

Les théories économiques utilitaristes et praxéologiques supposent la ratio-


nalité économique des agents représentatifs et privilégient les facteurs internes
aux États en opposant les gouvernants et les rebelles. Les combattants peuvent
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HÉRODOTE

être traités comme des entrepreneurs de la guerre, c’est-à-dire comme des


agents rationnels faisant des calculs coûts/avantages. Ces travaux utilisent la
théorie des jeux et des séries statistiques internationales pour réaliser des tests
économétriques.
Pour Sandler [2002], les analyses microéconomiques s’appliquent aussi bien
aux actions terroristes qu’aux guerres civiles et la théorie des jeux est particuliè-
rement adaptée à l’étude des comportements stratégiques d’acteurs interdépen-
dants dans une situation d’information asymétrique et imparfaite et la rivalité
sur des ressources rares (eau, air, terre) de plus en plus diverses. L’objectif est de
trouver des lois générales par type de violence grâce à une analyse comparative
et d’étudier les corrélations entre des variables comme la pauvreté, la faillite
de l’État, le degré d’éducation ou de dépenses sociales et les variables telles les
violences politiques, sociales ou les homicides. La guerre et la paix ont des coûts
et des avantages.
Les travaux de la Banque mondiale et notamment ceux de Collier et Hoeffler
[Collier, 2007] opposent la rébellion, forme de criminalité organisée caracté-
risée par l’avidité (greed), et le gouvernement supposé légitime et recevant les
doléances (grievance). Le mouvement rebelle se comporte comme un agent
économique rationnel qui choisira d’entrer en guerre si les bénéfices escomptés
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sont supérieurs aux coûts. Les principaux résultats des tests empiriques reposant
sur des comparaisons internationales sont les suivants.

Les variables les plus significatives sont économiques

La probabilité de conflit se réduit quand le revenu augmente (l’impact du


revenu par habitant est monotone et décroissant mais le revenu au carré est non
significatif).
La part des matières premières dans les exportations est également significa-

Hérodote, n° 134, La Découverte, 3e trimestre 2009.


tive (une part faible ou, à l’inverse, une part très élevée de matières premières
dans les exportations réduisent les probabilités de conflits, les exportations au
carré sont significatives) ; l’effet est non monotone.
Les facteurs géographiques sont également significatifs : l’effet de la taille de
la population est monotone, il favorise l’occurrence de la guerre et sa durée ; la
répartition initiale de la population sur le territoire joue aussi un rôle important.
Les facteurs historiques peuvent jouer et constituent des risques de résurgence de
crises anciennes. La fragmentation ethnique et son carré sont significatifs pour la
durée de la guerre (et plus faiblement pour l’occurrence de la guerre) ; des sociétés
bipolaires (deux groupes ethniques) ou très diversifiées présentent plus de risques
de conflits.
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LE RÔLE DES RESSOURCES NATURELLES DANS LES CONFLITS ARMÉS AFRICAINS

L’effet combiné de ces variables est important : un pays regroupant les


conditions les plus favorables vis-à-vis des risques d’occurrence de la guerre ;
un revenu élevé par tête, des ressources naturelles en quantité suffisante, une très
forte fragmentation ethnique et une population faible, est en situation de risque
très faible, voire quasi nul qu’advienne un conflit en son sein. À l’inverse, le
risque de déclenchement d’un conflit ou d’une guerre civile sera très élevé dans
un pays regroupant les conditions les plus défavorables (pays très peuplé où le
revenu par habitant est faible, les ressources en quantité relativement réduite et
la société bipolarisée).
Dans d’autres tests, les principaux facteurs des guerres civiles africaines sont
les faibles taux de croissance du PIB, l’importance des ressources naturelles, la
durée de la paix, le fractionnement social et le nombre d’habitants [Anyanwu,
2002]. Pour d’autres, les matières premières minérales ne jouent pas un rôle spéci-
fique dans la probabilité des conflits [Humphreys, 2003 ; Ross, 2004].

Les limites des analyses économiques

L’analyse des conflits armés est rendue très difficile du fait de l’enchevêtre-
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ment des facteurs explicatifs et de la spécificité des différentes configurations.
L’analyse factorielle ou multivariée cherchant à décomposer analytiquement et
à hiérarchiser les facteurs explicatifs ne peut intégrer les enchaînements et inter-
actions conduisant à des processus non régulés. La cause initiale de déclenche-
ment peut être mineure alors que, une fois déclenchés, les conflits violents peuvent
devenir incontrôlables. La violence engendre la pauvreté, l’exclusion et l’absence
d’institutions qui, elles-mêmes, nourrissent les conflits. Les guerres de pauvreté
s’expliquent largement par le sous-développement et par l’exclusion. Elles sont,
à leur tour, des facteurs d’insécurité et de sous-développement traduisant l’exis-
tence de trappes à sous-développement et à conflits.
Hérodote, n° 134, La Découverte, 3e trimestre 2009.

Ces modèles ont le mérite de chercher à hiérarchiser les facteurs explicatifs


et à tester empiriquement certaines hypothèses. Ils réduisent toutefois la réalité
complexe à de seules motivations utilitaristes ou praxéologiques (adéquation des
moyens aux fins). Les phénomènes sociaux sont mesurés par des indicateurs
replacés dans une fonction mathématiquement testable au lieu d’être appré-
hendés comme des processus résultant d’interactions complexes. Les indicateurs
statiques et statistiques correspondent à des périodes prédéterminées et ne peuvent
ainsi intégrer les processus dans lesquels se déroulent les conflits, ni prendre en
compte les interdépendances entre les facteurs internes et les facteurs internationaux
ni les asymétries de pouvoirs. L’utilisation d’agents représentatifs ne peut intégrer
les dimensions d’action collective qui se trouvent derrière les conflits armés.
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HÉRODOTE

L’analyste, recherchant une certaine intelligibilité du désordre et une compré-


hension des processus complexes, doit ainsi intégrer à la fois le jeu des intérêts
économiques, des facteurs plus psychologiques et des décisions politiques répon-
dant à des enjeux politiques ou géopolitiques plus larges. Les décisions belligènes
sont prises en situation d’incertitude radicale et non de risque probabilisable. Le
coût de la mort afférent à la guerre ne peut être évalué économiquement. Il importe
également de contextualiser les conflits et de dégager les facteurs spécifiques aux
économies africaines dans un nouveau contexte de fin de la guerre froide.
Plus un pays est pauvre et plus la probabilité de conflits augmente. La réces-
sion économique peut également être un facteur de tensions. Plusieurs raisons
peuvent expliquer cela. L’impossibilité matérielle des processus démocratiques
à réguler les conflits sociopolitiques tout d’abord, mais aussi l’absence de moyens
matériels pour financer/acheter la paix, une probabilité accrue de victoires pour
les opposants au pouvoir central. En revanche, on n’observe pas de lien signifi-
catif entre conflit et inégalité.
Dominent en Afrique comme facteurs économiques explicatifs :
– des guerres de pauvreté (chômage des jeunes, pressions démographiques,
exclusions) où les trappes à conflit sont liées à des trappes à pauvreté avec récur-
rence. 80 % des PMA (Pays les moins avancés) ont connu un conflit armé au cours
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des quinze dernières années. Les conflits sont liés à des tensions sur des ressources
rares, à des inégalités et exclusions porteuses de vulnérabilité, frustrations.
– des guerres d’abondance. Certaines guerres de convoitise sont d’abon-
dance sur des ressources convoitées par les grandes puissances, des milices ou
des oligopoles.

Les types de conflits liés aux ressources naturelles

De nombreux travaux montrent le rôle spécifique des ressources naturelles

Hérodote, n° 134, La Découverte, 3e trimestre 2009.


dans la conflictualité. En 2004, Collier et Hoeffler [2002] analysent cinquante-
deux guerres civiles entre 1960 et 1999. Ils montrent que la dépendance écono-
mique envers les ressources naturelles augmente les risques de guerre civile
pendant les cinq années qui suivent l’amplification de cette dépendance. La rela-
tion n’est pas linéaire. De même Fearon et Laitin [2003] démontrent que le risque
de guerre civile dans un pays exportateur de pétrole est de 19,1 % contre 9,2 %
pour un pays non doté en ressources pétrolières. Reynal-Querol [2002] analyse le
lien entre l’abondance de ressources naturelles et l’occurrence de conflits civils
interethniques. Pour 138 pays entre 1960 et 1995, l’abondance en ressources natu-
relles est un des facteurs essentiels. Enfin, Doyle et Sambanis [2000] montrent que
les guerres civiles sont plus longues pour les pays dotés en ressources naturelles.
70
LE RÔLE DES RESSOURCES NATURELLES DANS LES CONFLITS ARMÉS AFRICAINS

Une typologie des conflits liés aux ressources naturelles

On peut différencier le rôle des ressources naturelles selon le double critère de


concentration et d’espace (filières nationales et internationales).
TABLEAU 2. – RÔLE DIFFÉRENCIÉ DES RESSOURCES NATURELLES
DANS LA CONFLICTUALITÉ

Filières Concentration Dissémination


territoriales
Internationales/ Guerres énergétiques : Guerres de pillage minier, filières
régionales hydrocarbures. artisanales : diamant, coltan, or.
État rentier et investissements Économie de guerre militarisée,
lourds. Liens oligopoles/appareils main-d’œuvre élevée ; armées
d’État. Opposition gouvernement/ et milices à base ethnique et
rebelles. Enjeux des puissances. nationale. Rôle des réseaux.
Sécession ou autonomie Liberia, Sierra Leone, RDC
(Casamance, Ogaden, delta (Kivu, Katanga)
du Niger)
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Angola, Congo, Niger, Nigeria,
Soudan, Tchad
Nationales/ Guerres environnementales ; Guerres de trafic, commerce illicite :
locales ressources rares du sol : eau, drogue, rançons. Seigneurs de la
terres arables, forêts, pâturages, guerre, réseaux terroristes.
allogènes/autochtones. Milices Économie de marché de guerre,
bases régionales. Darfour État failli (non-droit, fiscalité,
(+ pétrole), Côte-d’Ivoire, Rwanda douane, contrôle territoire).
Ex. : Somalie
Hérodote, n° 134, La Découverte, 3e trimestre 2009.

Les conflits sont selon des degrés différents une combinatoire des quatre
configurations. Le Kivu est à la fois une guerre environnementale et de pillage, le
Darfour une guerre environnementale et énergétique. Au Kivu, une économie
militaire et criminelle s’organise autour des filières du coltan, de l’or et de l’étain.
Ces filières ont elles-mêmes des ramifications régionales et internationales. Une
économie criminelle se constitue autour du travail des enfants sous contrôle des
militaires ou sociétés de sécurité, acheteurs et courtiers, exportateurs clandestins
jusqu’à ce qu’au niveau international ces produits rentrent dans la légalité.
Les richesses naturelles essentiellement du sous-sol permettent le financement
des conflits tout en en étant l’un des principaux enjeux [Bannon, Collier, 2003].
71
HÉRODOTE

Déterminés à l’origine par la captation de ressources, les conflits s’auto-entretiennent.


Les rentes minières permettent l’achat d’armes et le recrutement de rebelles. On peut
ainsi différencier les guerres liées au pétrole dénommé au Nigeria « la merde du
diable » (Angola, Casamance, Congo, République centrafricaine, Ogaden, Soudan,
delta du Niger au Nigeria, Tchad), au diamant (Angola, Guinée, Liberia, Nord Côte-
d’Ivoire, République démocratique du Congo, Sierra Leone), aux métaux précieux
(or, coltan [columbite-tantale] ayant la couleur du bitume, l’odeur de l’argent et
le goût du sang) au Kivu en République démocratique du Congo, à l’uranium
(Touareg au contrôle de l’eau, riverains du Niger et fleuve Sénégal), aux narcodol-
lars, au contrôle des ressources agricoles (coton au nord de la Côte-d’Ivoire, café
et cacao au sud), des ressources forestières ou des terres (Burundi, Côte-d’Ivoire,
Darfour, Rwanda), aux espaces surdensifiés en voie de stress hydrique et de déserti-
fication (Sahel, Corne de l’Afrique, Afrique australe), au contrôle des routes mari-
times et à la piraterie (mer Rouge, golfe d’Aden, golfe de Guinée).
Les conflits pour contrôler les ressources s’auto-entretiennent en permettant les
achats d’armes, les recrutements de miliciens. Tel est le cas au Kivu des contrôles
des mines de coltan, d’or, d’étain par les rebelles hutus, tutsis, les troupes de
Kabila ou de Kagamé (cf. article de Jacquemot, p. 38). Entrelacs d’intermédiaires
au sein des filières avec des ramifications régionales et internationales. Les conflits
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impliquent des acteurs régionaux et internationaux. On a vu ainsi se développer
en République démocratique du Congo de nouvelles configurations conglomé-
rales correspondant à des pratiques déloyales face aux règles anciennes mises en
place par les grands oligopoles. Ces nouveaux conglomérats résultent de joint-
ventures entre des sociétés liées aux armées ougandaises ou zimbabwéennes, ainsi
que des intérêts israéliens [Bayart, Hibou, Ellis, 1997]. L’économie de pillage est
assurée par un consortium d’hommes d’affaires, de mercenaires, de vendeurs
d’armes de compagnies de sécurité face à la défaillance des États. On observe
également autour de la drogue tout un circuit mafieux source de violence.

Hérodote, n° 134, La Découverte, 3e trimestre 2009.


Le rôle des ressources naturelles dans le financement des groupes rebelles

Les groupes rebelles doivent contrôler des secteurs économiques lucratifs, leur
financement peut alors résulter du contrôle des ressources naturelles, des diasporas
(la part de la population émigrée est souvent corrélée avec l’occurrence d’une
guerre), de l’appui financier par des tierces parties, des transferts volontaires (coti-
sations) ou non volontaires (pillages, impôts forcés), du détournement de l’aide ou
de leurs activités économiques de fournisseurs de services (exemple de l’Eritrean
People’s Liberation Front qui assure des services médicaux, vétérinaires et judi-
ciaires en Érythrée).
72
LE RÔLE DES RESSOURCES NATURELLES DANS LES CONFLITS ARMÉS AFRICAINS

Parallèlement, les avantages économiques attendus de la guerre civile sont,


pour les rebelles, le pillage, la protection moyennant rémunération, les profits liés
au commerce des armes, des aliments ou des narcodollars, l’exploitation de la main-
d’œuvre (captation d’esclaves), le contrôle des terres, le vol de l’aide étrangère
ou les avantages des combattants « se payant sur la bête ». Ces conflits de capta-
tions de rentes ne sont pas réductibles aux seuls rebelles prédateurs ; ils peuvent
tenir aux gaspillages de la part de gouvernements non légitimes ou d’oligopoles
privés internationaux. Les guérillas, les rebelles ou les soldats perdus vivent de
soutiens extérieurs, de prédation sur les productions ou sur les aides extérieures,
de captation des ressources naturelles. Il importe, ainsi, de prendre en compte les
enchevêtrements (straddling) entre les intérêts économiques des acteurs privés,
des firmes et des réseaux et les intérêts des oligopoles de la violence bénéficiant
du marché de la violence, contrôlant les rentes de manière officielle, ou non, et les
forces politiques et militaires officielles ou parallèles. Paradoxalement, les forces
de maintien de la paix peuvent elles-mêmes, dans certains cas, bénéficier d’avan-
tages financiers liés à leur solde voire à leur participation à ces partages de rentes
et favoriser une durabilité des conflits ouverts de ni guerre ni paix.

TABLEAU 3. – ACCESSIBILITÉ DES FORCES REBELLES


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AUX RESSOURCES NATURELLES

Ressources Exploitation Vol Extorsion Prix (euro/kg)


Diamants alluvionnaires + + 20-500 000
Bois précieux 0 0 + 0,1
Produits agricoles 0 0 0 1,5 (café)
Pétrole en terre - 0 + 0,12
Diamants kimberlétiques - 0 0 500 000
Hérodote, n° 134, La Découverte, 3e trimestre 2009.

Minéraux industriels - - 0 2 (cuivre)


Pétrole en mer - - - 0,12

+ forte ; 0 moyenne ; - faible.


Source : Le Billon [2003].

L’insertion dans une mondialisation criminelle

Le produit criminel brut mondial est estimé à 1 200 milliards de dollars corres-
pondant à 15 % du commerce mondial. Le FMI évalue les flux financiers crimi-
nels entre 700 et 1 750 milliards de dollars, soit entre 2 et 5 % du PIB mondial.
73
HÉRODOTE

Quatre cinquièmes de ces flux sont réinvestis dans l’économie légale. Le finance-
ment est assuré « par le haut » (banques, États, ingénierie financière sophistiquée
où interviennent des offshore et des paradis fiscaux). Il l’est également « par le
bas » avec le rôle des diasporas, des impôts religieux, des ONG, des activités
informelles, allant de la petite délinquance jusqu’à la grande criminalité.
On estime le commerce de la drogue à 8 % du commerce mondial et son
chiffre d’affaires à 400 milliards de dollars [ONU, 2007]. Le chiffre d’affaires de
la contrefaçon est estimée entre 150 et 350 milliards de dollars. Cette économie
parallèle internationale est à la fois une source de rentes et un facteur de conflits
et de décomposition/recomposition des États. L’Afrique est également un lieu
de recyclage des capitaux permettant le blanchiment de l’argent, le financement
des partis politiques étrangers ou les surfacturations, sources de rentes privées
et publiques. Elle sert de déversoir de médicaments frelatés ou de décharge
de produits toxiques par le biais de circuits reliant les ports francs (Maurice,
Zanzibar) et les circuits mafieux localisés à Dubaï, dans les paradis fiscaux ou
en Suisse.
Un nouveau commerce triangulaire illégal intègre l’Afrique exportatrice de
matières premières vers l’Europe et l’Asie, les pays de l’Est et de l’Asie exporta-
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teurs d’armes et de mercenaires et les États de l’Ouest, de l’Est et de l’Asie par des
relations financières parallèles. L’accroissement du nombre d’États à souveraineté
limitée, sous tutelle, sous protectorat ou sous perfusion, d’États en collapsus
(collapsed states) ou défaillants (failed states), d’États voyous ou parias (rogue
states) résulte largement de l’insertion dans une économie mondiale criminelle.
Celle-ci se traduit par la grande corruption, les trafics d’armes, le blanchiment
de l’argent dans les offshore ou les réseaux mondialisés de la drogue, la traite
des organes, le commerce sexuel, le trafic de diamants et le pillage des mines.
Le pétrole ou le commerce des stupéfiants sont devenus des sources de richesse
déterminantes (Angola, Côte-d’Ivoire, pays du golfe de Guinée, République démo-

Hérodote, n° 134, La Découverte, 3e trimestre 2009.


cratique du Congo, Sierra Leone, Liberia, Guinée, Burkina Faso). L’accès aux
richesses minières ou pétrolières conduit à des chevauchements entre le pouvoir
politique, les milieux d’affaires et les oligopoles. La contrebande, la contrefaçon
(Maurice, Nigeria), les pavillons de complaisance (Liberia), le trafic de bois
(République centrafricaine, République démocratique du Congo) procurent des
ressources importantes. Les cultures de drogues sont présentes au Lesotho, en
Côte-d’Ivoire ou au Ghana, le Sénégal, le Cap-Vert et le Mozambique participent
du trafic de transit. La drogue alimente la criminalité locale et la corruption du
politique (Nigeria, RDC, Afrique du Sud) ou les conflits (Liberia, Sierra Leone,
Casamance, Guinée-Bissau, Congo).

74
LE RÔLE DES RESSOURCES NATURELLES DANS LES CONFLITS ARMÉS AFRICAINS

Le cas des filières économiques des diamants de la guerre

Il faut repérer le long des diverses opérations complémentaires les stratégies


d’acteurs, les modes de coordination et de transaction, localiser les nœuds straté-
giques où se déploient des pouvoirs. L’analyse de filière ou de mésosystème ainsi
particulièrement opérationnelle pour les pays en développement caractérisés non
seulement par des défaillances de marché, market failures, mais aussi par des non-
constitutions de marchés (des facteurs de production de la terre, du travail ou du
crédit) et par des défaillances des États et des règles, states and rules failures. Elle
prend en compte les articulations entre les échelles locale et globale et permet
notamment de voir les concurrences ou les complémentarités entre les filières de
produits importés et les filières locales, régionales ou nationales. Cette analyse des
filières suppose de lier les zones grises de l’économie criminelle ou occulte et
blanches de l’économie officielle ou visible. Interviennent dans ces filières des entre-
prises, des armées, des transporteurs (avec prolifération depuis la dérégulation), des
vendeurs et des trafiquants d’armes, des banques, des circuits financiers illégaux
ainsi que des intermédiaires de toutes sortes. Certains appartiennent directement à
des mafias, d’autres ont la respectabilité d’entreprises à double face (sociétés écrans).
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SCHÉMA 1. – LES FILIÈRES CRIMINELLES LIÉES À L’ÉCONOMIE DE GUERRE
(COLTAN, DIAMANT, OR)

Prospecteurs multinationaux et petits clandestins en Afrique

Marchands sur place Militaires sur place

Zone grise Marchands internationaux

Transporteurs internationaux
Hérodote, n° 134, La Découverte, 3e trimestre 2009.

Transformateurs au Nord,
tailleurs de diamants Banques

Fondeurs d’or,
transformation de tantale
Zone blanche
Transformation finale
(bijoutiers, fabricants d’ordinateurs, de téléphones portables)

Consommateurs finaux

75
HÉRODOTE

De l’extraction au commerce de taille, au polissage et à la vente au détail, la


filière diamant occupe des centaines de milliers de personnes. Les diamants ont
ainsi un potentiel de développement mais ils sont dans les pays pauvres plutôt une
malédiction. Les filières diamantifères vont des lieux de production avec une foule
de petits producteurs jusqu’aux tailleurs d’Anvers qui contrôlent 80 % des pierres
brutes. Les filières du diamant et celles de l’armement sont étroitement liées avec
intervention de circuits israéliens et libanais notamment. Le diamant est facile
à transporter, a un prix élevé pour de faibles poids et volume. Sa valeur dépend
des trois C (cut, taille, carat, poids et color, couleur). Ces filières ont financé les
guerres du Liberia ou de Sierra Leone et jouent un rôle dans le conflit ivoirien
et de la République démocratique du Congo. La gemmocratie est liée à la foule de
petits producteurs, au paiement en liquidités, à la porosité des frontières, à la corrup-
tion endémique [Vallée, Missen, 1999]. On estime que les diamants de la guerre
correspondent à 4 % de la production mondiale et à 10 à 15 % des diamants de
qualité. Soixante pour cent des diamants viennent d’Afrique. Longtemps, la compa-
gnie De Beers a fait partie de la filière des diamants de la guerre. La De Beers
correspond à deux tiers du commerce (5,2 milliards de dollars de chiffre d’affaires
en 2000). Elle a perdu une partie de son monopole avec l’arrivée de sociétés russes,
israéliennes. L’économie de pillage est assurée par un consortium d’hommes
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d’affaires, de mercenaires, de vendeurs d’armes, de compagnies de sécurité face
aux défaillances des États. Les conglomérats sont multiformes : le consortium
diamantifère ORYX Natural resources, installé dans les îles Caïmans, est en liaison
à la fois avec des entreprises zimbabwéennes et des militaires de ce même pays (par
Operation Sovereign Legitimacy, branche économique de l’armée zimbabwéenne)
ou liée à Petra Diamonds. Cosleg est une joint-venture entre Osleg et Comex (liée
à Kabila). Les prédateurs criminels sont africains et étrangers.
Les diamants ont été et demeurent une source importante de la conflictualité en
Afrique [Orruj, Pelon, Gentilhomme, 2007]. Le diamant a joué un rôle déterminant
dans les conflits de Sierra Leone, du Liberia (pays de transit) et de Côte-d’Ivoire.

Hérodote, n° 134, La Découverte, 3e trimestre 2009.


Les enjeux de la guerre n’étant pas la victoire mais la réalisation de bénéfices
provenant d’activités lucratives sous couvert de la guerre. Selon Lansana Gberie
[2007], « les diamants ont été les pivots des affaires libanaises ». Le rapport des
Nations unies sur la contrebande des richesses minérales (décembre 2003), constate
également l’implication de firmes d’armement et de groupes terroristes, les réseaux
israéliens et libanais étant en concurrence dans la filière diamant.
En conclusion, le processus de prévention des conflits et de paix et sécurité
durables passe évidemment par une combinaison d’actions politiques, diploma-
tiques et militaires. Il s’agit notamment de construire la citoyenneté, de renforcer
les fonctions régaliennes des États, de réguler les tensions sociales, de mettre en
œuvre des politiques de redistribution et de protection sociale. Sur le plan militaire
76
LE RÔLE DES RESSOURCES NATURELLES DANS LES CONFLITS ARMÉS AFRICAINS

les DDR (désarmement, démobilisation et réinsertion) sont des préalables néces-


saires bien que très difficiles à mettre en œuvre.
Les stratégies préventives sont également d’ordre économiques en permet-
tant le passage d’économies de rente en économies d’accumulation et la
montée en gamme de produits par transformation des ressources naturelles. Les
actions doivent être différenciées selon les types de conflits liés aux ressources
naturelles :
– les guerres de trafics supposent un État de droit et un contrôle des trafics ;
– les guerres environnementales impliquent des droits de propriété ou de
possession accordés aux allogènes, une préservation et une valorisation du « capital
naturel », une coopération régionale sur les migrations et les réfugiés du climat ;
– la prévention des guerres énergétiques impose la transparence des comptes
(« publiez ce que vous payez »), un partage plus égal des rentes, la mise en
œuvre de l’Initiative de transparence des industries extractives (ITIE), la
gestion des instabilités et des chocs notamment par des fonds de stabilisation
intergénérationnels.
– les guerres de pillage minier supposent la réintégration des milices dans
des armées, la réaffectation des ressources minières aux investissements collec-
tifs, le contrôle des filières internationales (trafiquants, courtiers, contrebandiers).
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L’action par l’aval allant des consommateurs aux tailleurs de diamant utilisateurs
de coltan est prioritaire.
Le processus de Kimberley a été amorcé par le gouvernement de l’Afrique du
Sud en mai 2000. Les guerres alimentées par les diamants en Angola, en Sierra
Leone et en République démocratique du Congo nuisaient au commerce légitime
d’autres pays. C’est un régime international de certification des diamants bruts
dont la convention définitive a été signée le 1er janvier 2003 par 74 pays produc-
teurs, exportateurs et importateurs parmi lesquels on retrouve les plus gros impor-
tateurs (Union européenne, États-Unis et Canada), soit aujourd’hui près de
98 % de la production et du commerce mondial de diamants bruts. Le système
Hérodote, n° 134, La Découverte, 3e trimestre 2009.

de certification est entré en vigueur le 1er janvier 2003. Font partie du processus
les États, les organisations régionales, les professionnels et la société civile. Alors
qu’en 1999 la Sierra Leone exportait officiellement 1,5 million de dollars, elle se
situe après le processus de Kimberley près de 100 millions même si le contrôle
libanais et la corruption demeurent. Les flux de diamants illicites seraient passés
de 15 à 5 %. Les systèmes de surveillance périodique, indépendants des méca-
nismes nationaux, restent insuffisants. Il demeure d’énormes différences entre
les capacités de production de pays tels le Ghana, la Côte-d’Ivoire, le Congo, la
Centrafrique, la RDC, le Zimbabwe, le Liberia ou la Guinée et leurs exporta-
tions. Il est de notoriété que le Burkina Faso fait commerce illicite des diamants
de la guerre. Des brèches apparaissent au niveau des tailleurs et des polisseurs.
77
HÉRODOTE

Le processus de Kimberley paraît, malgré ses insuffisances, un modèle qui pour-


rait s’appliquer à d’autres filières comme le coltan ou l’or.

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