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AFRICAINS
Philippe Hugon
La Découverte | « Hérodote »
Philippe Hugon*
Les relations entre guerres et ressources naturelles ont conduit à une écologie
politique de la guerre analysant les guerres de ressources, environnementales,
de pillage ou de sécession liées aux ressources naturelles. Un État détenteur de
ressources en hydrocarbures a neuf fois plus de risques d’être le théâtre de conflits
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Les conflits armés diffèrent selon leur intensité, leur durée et leur extension
territoriale. Ils peuvent être infranationaux, internationaux ou régionaux. On peut
distinguer les guerres civiles et les insurrections, la violence criminelle, les conflits
intra-armées et le terrorisme. En 2009, l’Afrique représente près d’un tiers des
conflits infranationaux mondiaux. Même s’ils tendent plutôt à se réduire et à se
déplacer de l’Afrique de l’Ouest vers l’Est, ils concernent notamment le Soudan
et le Darfour, la Somalie, la RDC.
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LE RÔLE DES RESSOURCES NATURELLES DANS LES CONFLITS ARMÉS AFRICAINS
Les conflits africains diffèrent selon leur dimension territoriale : les guerres
opposent rarement des armées nationales, exception faite entre l’Érythrée et
l’Éthiopie où il s’agit de guerres westphaliennes avec guerres de tranchées et de
blindés et revendications territoriales. Internes aux États, ils s’articulent aux réseaux
régionaux et internationaux, notamment à la mondialisation criminelle ; il y a
emboîtement d’échelles du local au global. Tel est le cas des trois grands conflits
du Darfour, de la Somalie et de la RDC. Selon leur mobilité : les conflits séden-
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Les acteurs des conflits sont multiples et ne sont pas réductibles aux armées
nationales s’affrontant ou aux oppositions entre les forces gouvernementales et
les rebelles. De nouveaux acteurs apparaissent avec une démultiplication et une
permanente recomposition-décomposition des acteurs de la violence. Les acteurs
sont privés (mercenaires, milices, enfants soldats), les acteurs communautaires
sociétés secrètes (partis des chasseurs, sectes religieuses...), et publics (armées
nationales, polices, troupes de maintien de la paix).
1. Revolutionary United Front, groupe armé ayant, en 1991, déclenché la guerre civile dans
ce pays.
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LE RÔLE DES RESSOURCES NATURELLES DANS LES CONFLITS ARMÉS AFRICAINS
paix. Elle permet, en l’absence d’État de droit, de profiter d’octrois le long des
routes ou de prébendes sur la contrebande ou sur les différents bakchichs. Troisiè-
mement, analyser les liens entre les violences infranationales et leur caractère
transnational et régional, que ce soit par l’appui d’États voisins ou par l’apparte-
nance à des groupes transfrontaliers (ethniques, claniques, de réfugiés...). Les
conflits armés sont transfrontaliers, d’où la nécessité d’actions de prévention
et de résolution aux niveaux sous-régionaux. La fragilité et la vulnérabilité
des États sont en interrelation avec la vulnérabilité des régions et notamment des
espaces transfrontaliers. Les conflits ont un caractère nomade et se caracté-
risent par des contagions. Le conflit du Liberia s’est ainsi déplacé en Côte-
d’Ivoire du fait notamment de la mobilisation des soldats désœuvrés. À proximité,
les 100 000 réfugiés en Guinée constituent une véritable menace de conflit dans ce
pays. La Guinée-Bissau, ensuite, est déstabilisée par la rébellion casamançaise qui
y a organisé sa base arrière.
L’analyse des conflits armés est rendue très difficile du fait de l’enchevêtre-
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Les conflits sont selon des degrés différents une combinatoire des quatre
configurations. Le Kivu est à la fois une guerre environnementale et de pillage, le
Darfour une guerre environnementale et énergétique. Au Kivu, une économie
militaire et criminelle s’organise autour des filières du coltan, de l’or et de l’étain.
Ces filières ont elles-mêmes des ramifications régionales et internationales. Une
économie criminelle se constitue autour du travail des enfants sous contrôle des
militaires ou sociétés de sécurité, acheteurs et courtiers, exportateurs clandestins
jusqu’à ce qu’au niveau international ces produits rentrent dans la légalité.
Les richesses naturelles essentiellement du sous-sol permettent le financement
des conflits tout en en étant l’un des principaux enjeux [Bannon, Collier, 2003].
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Les groupes rebelles doivent contrôler des secteurs économiques lucratifs, leur
financement peut alors résulter du contrôle des ressources naturelles, des diasporas
(la part de la population émigrée est souvent corrélée avec l’occurrence d’une
guerre), de l’appui financier par des tierces parties, des transferts volontaires (coti-
sations) ou non volontaires (pillages, impôts forcés), du détournement de l’aide ou
de leurs activités économiques de fournisseurs de services (exemple de l’Eritrean
People’s Liberation Front qui assure des services médicaux, vétérinaires et judi-
ciaires en Érythrée).
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Le produit criminel brut mondial est estimé à 1 200 milliards de dollars corres-
pondant à 15 % du commerce mondial. Le FMI évalue les flux financiers crimi-
nels entre 700 et 1 750 milliards de dollars, soit entre 2 et 5 % du PIB mondial.
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Quatre cinquièmes de ces flux sont réinvestis dans l’économie légale. Le finance-
ment est assuré « par le haut » (banques, États, ingénierie financière sophistiquée
où interviennent des offshore et des paradis fiscaux). Il l’est également « par le
bas » avec le rôle des diasporas, des impôts religieux, des ONG, des activités
informelles, allant de la petite délinquance jusqu’à la grande criminalité.
On estime le commerce de la drogue à 8 % du commerce mondial et son
chiffre d’affaires à 400 milliards de dollars [ONU, 2007]. Le chiffre d’affaires de
la contrefaçon est estimée entre 150 et 350 milliards de dollars. Cette économie
parallèle internationale est à la fois une source de rentes et un facteur de conflits
et de décomposition/recomposition des États. L’Afrique est également un lieu
de recyclage des capitaux permettant le blanchiment de l’argent, le financement
des partis politiques étrangers ou les surfacturations, sources de rentes privées
et publiques. Elle sert de déversoir de médicaments frelatés ou de décharge
de produits toxiques par le biais de circuits reliant les ports francs (Maurice,
Zanzibar) et les circuits mafieux localisés à Dubaï, dans les paradis fiscaux ou
en Suisse.
Un nouveau commerce triangulaire illégal intègre l’Afrique exportatrice de
matières premières vers l’Europe et l’Asie, les pays de l’Est et de l’Asie exporta-
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Transporteurs internationaux
Hérodote, n° 134, La Découverte, 3e trimestre 2009.
Transformateurs au Nord,
tailleurs de diamants Banques
Fondeurs d’or,
transformation de tantale
Zone blanche
Transformation finale
(bijoutiers, fabricants d’ordinateurs, de téléphones portables)
Consommateurs finaux
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de certification est entré en vigueur le 1er janvier 2003. Font partie du processus
les États, les organisations régionales, les professionnels et la société civile. Alors
qu’en 1999 la Sierra Leone exportait officiellement 1,5 million de dollars, elle se
situe après le processus de Kimberley près de 100 millions même si le contrôle
libanais et la corruption demeurent. Les flux de diamants illicites seraient passés
de 15 à 5 %. Les systèmes de surveillance périodique, indépendants des méca-
nismes nationaux, restent insuffisants. Il demeure d’énormes différences entre
les capacités de production de pays tels le Ghana, la Côte-d’Ivoire, le Congo, la
Centrafrique, la RDC, le Zimbabwe, le Liberia ou la Guinée et leurs exporta-
tions. Il est de notoriété que le Burkina Faso fait commerce illicite des diamants
de la guerre. Des brèches apparaissent au niveau des tailleurs et des polisseurs.
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