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La finance islamique

Kaouther Jouaber-Snoussi

 Année : 2012
 Pages : 128
 Collection : Repères
 Éditeur : La Découverte
 ISBN : 9782707169846
 Site internet

Présentation

La finance islamique s'appuie sur un modèle d'intermédiation bancaire à taux


zéro. C'est par conséquent une finance dite libre d'intérêt. Elle nécessite en
outre l'adossement de toutes les transactions à un actif tangible tout en étant
fondée sur le partage des profits et des pertes. Née au VIIe siècle, elle est
ancestrale dans ses principes, mais a connu un renouveau au XX e siècle grâce
à un certain nombre d'innovations. Cet ouvrage pose sans détour les questions
fondamentales qui préoccupent les gestionnaires et les économistes
concernant cette finance alternative : que recouvre l'expression « finance
islamique » ? Quels en sont les défis et les opportunités ? Quelle place peut-
elle occuper dans l'industrie financière mondiale ? Quelles alternatives en
matière de gestion d'actifs propose-t-elle ? Qu'est-ce qui distingue une banque
islamique d'une banque conventionnelle ? Quels sont les risques liés à cette
activité ? Telles sont quelques-unes des questions qui sont abordées dans ce
livre.

Sommaire (la pagination ci-dessous renvoie à l'ouvrage paru dans la


collection)
Page 1 à 2
Pages de début
Page 3 à 4
Introduction
Page 5 à 34
I. Un panorama de l'industrie de la finance islamique

Page 35 à 46
II. Les caractéristiques des banques islamiques

Page 47 à 68
III. Les risques dans la banque islamique
Page 69 à 94
IV. La gestion d'actifs en finance islamique

Page 95 à 112

1
V. Les sukuk

Page 113 à 116


Conclusion
Page 117 à 120
Repères bibliographiques
Page 121 à 128
Pages de fin

Plan détaillé (la pagination renvoie au texte en fichier word ci-dessous):

Introduction
Chapitre I. Un panorama de l’industrie de la finance islamique 4-26

1. Les sources de la finance islamique


1. Le Coran
2. La Sunna
3. L'ijtihad
2. Les principes de la finance islamique
1. L'interdiction de l'usure
2. Le partage des profits et des pertes
3. L'interdiction de l'incertitude et de la spéculation
4. L'adossement à un actif tangible
5. L'interdiction de certains produits et activités
3. Une mise en perspective historique de la finance islamique
1. Les origines : les textes sacrés de l'islam
2. La (re)naissance de la finance islamique : la décolonisation, 1950-1970
3. Un système qui devient crédible : le boom pétrolier, 1970-1990
4. Le temps de la normalisation, 1990-2000
5. L'internationalisation depuis les années 2000
6. La crise des subprimes et après
4. Les instruments et les contrats financiers islamiques
5.
1. Les transactions de vente et de location de base
2. Les instruments de financement
3. Les financements participatifs
4. Les instruments de bienfaisance
5. Les services d'intermédiation payants
6. Les institutions de la finance islamique
1. Les banques islamiques
2. Les compagnies takaful d'assurance islamique
3. Les fondations waqf
7. Les principales instances de la finance islamique
1. AAOIFI (Accounting and Auditing Organization for Islamic Financial Institutions)
2. IIFM (International Islamic Financial Market)
3. CIBAFI (General Council for Islamic Banks and Financial Institutions)
4. IFSB (Islamic Financial Services Board)
5. LMC (Liquidity Management Centre)
6. IIRA (Islamic International Rating Agency)
7. IICRA (International Islamic Center for Reconciliation and Arbitration)

Chapitre II. Les caractéristiques des banques islamiques 26-37

1. Le conseil de conformité à la charia (sharia board)


2. La structure du bilan d'une banque islamique
1. Les ressources : le passif du bilan
2. Les emplois : l'actif du bilan

2
3. La structure du bilan d'une banque islamique
4. Le bilan d'une banque islamique dans la pratique
3. La rentabilité des banques islamiques

Chapitre III / Les risques dans la banque islamique 37-49


Chapitre IV. La gestion d’actifs en finance islamique 49-69

1. Le processus d'investissement
2.
1. L'allocation d'actifs
2. Les actifs éligibles
3. Les opérations de marché
4. Les revenus et le processus de purification
3. La structuration des fonds islamiques
4.
1. La relation de gestion et la rémunération du gestionnaire
2. Les principaux types de fonds par type de contrat d'investissement
3. Les principaux types de fonds par classe d'actifs
4. La gestion de la liquidité
5. Le processus de conformité
6. Les indices islamiques
7. Les fonds indiciels islamiques
8. L'industrie des fonds d'investissement islamiques
9.
1. La répartition géographique des fonds islamiques
2. Les principaux investisseurs en fonds islamiques
10. La performance des investissements en actifs islamiques
11.
1. Analyse théorique de la performance des fonds d'investissement islamiques
2. Principaux résultats empiriques

Chapitre V. Les sukuk 69-81

1. Que sont les sukuk ?


2. Les fonctions des sukuk
3. Les structures de sukuk
4.
1. Des constantes dans la structuration des sukuk
2. Le niveau de garantie des sukuk
3. Les différentes structures de sukuk
5. Le marché des sukuk
6. Sukuk versus obligations
7.
1. La rentabilité
2. Le risque
3. Comment le marché perçoit-il les sukuk ?

Conclusion 81-83

Repères bibliographiques

Introduction 3-4

3
1 La finance islamique s’appuie sur un modèle d’intermédiation bancaire à taux zéro. C’est par
conséquent une finance dite libre d’intérêt. Elle nécessite en outre l’adossement de toutes les
transactions à un actif tangible tout en étant fondée sur le partage des profits et des pertes. Elle
regroupe toutes les techniques qui permettent de mettre des fonds à la disposition d’un agent
économique pour répondre à ses besoins à court ou à long terme, sans violer l’interdiction
absolue de recevoir une rémunération sous forme d’intérêts, ni les autres principes
fondamentaux édictés par le droit musulman.
2
Cette finance née au VIIe siècle après J.-C. est ancestrale dans ses principes, mais a connu un
renouveau au XXe siècle grâce à un certain nombre d’innovations. Développée à l’origine
pour répondre aux besoins d’une communauté musulmane qui se sentait exclue du système
financier conventionnel jugé contraire aux principes de l’islam, elle est depuis les années
2000 l’objet de toutes les attentions. En effet, la finance islamique véhicule des principes
moraux et éthiques universels, et ouvre des perspectives à tous les opérateurs. Par ailleurs, elle
a semblé mieux résister aux turbulences qui ont secoué le secteur financier conventionnel en
2007-2008 et a continué d’afficher un taux de croissance à deux chiffres après la crise
des subprimes.
3
Le périmètre de la finance islamique couvre les activités historiques d’un marché financier.
Les banques y jouent un rôle important et leur intermédiation reste prédominante dans la
collecte de l’épargne et le financement des projets. L’appel public à l’épargne passe par le
marché des sukuk alors que le marché monétaire est encore embryonnaire. L’épargne des
particuliers est de plus en plus captée par une offre croissante de fonds d’investissement
islamiques et par le développement de benchmarks sous forme d’indices islamiques.
4
La littérature sur la finance islamique est rare et parfois peu accessible. Les travaux existants
se positionnent souvent du point de vue religieux ou juridique alors que les problématiques
financières, elles, restent peu explorées. En outre, la technicité des opérations financières
islamiques rend celles-ci difficilement intelligibles. Cet ouvrage a pour ambition de dresser
une image compréhensible de cette finance et de répondre aux questionnements d’ordre
financier à son sujet. Il tente de familiariser le lecteur avec ce modèle qui est appelé à devenir
l’un des éléments clés du système économique contemporain.
5
Avec une approche résolument financière, ce livre pose sans détour les questions
fondamentales qui préoccupent les économistes et les financiers concernant cette nouvelle
finance : que recouvre l’expression« finance islamique » ? Quels en sont les défis et les
opportunités ? Quelle place peut-elle occuper dans l’industrie financière mondiale ? Qu’est-ce
qui distingue une banque islamique d’une banque conventionnelle ? Quels sont les risques
inhérents aux activités financières islamiques ? Quelles alternatives en matière de gestion
d’actifs propose-t-elle ? Quel rôle les sukuk peuvent-ils jouer sur les marchés internationaux
de capitaux ? Telles sont quelques-unes des questions qui sont abordées dans cet ouvrage.
6
Le cheminement proposé au lecteur part d’un panorama de l’industrie de la finance islamique
(chapitre I) permettant de comprendre les acteurs et les produits qui constituent ce modèle.

4
Les banques islamiques, fer de lance du système financier islamique, sont au centre de cette
industrie financière. Leurs caractéristiques sont étudiées (chapitre II) ainsi que les risques
auxquels elles font face (chapitre III). À côté de l’intermédiation financière, les marchés des
capitaux islamiques prennent de plus en plus d’ampleur avec des solutions en matière de
gestion d’actifs (chapitre IV) ainsi que de certificats d’investissement sukuk (chapitre V). En
conclusion, nous reviendrons sur les limites et les défis de ce modèle.
Pour citer cet article
Jouaber-Snoussi Kaouther , La finance islamique, La découverte « Repères », 2012, p. 3-4.
URL : www.cairn.info/la-finance-islamique--9782707169846-page-3.htm.

Vous consultez
I. Un panorama de l’industrie de la finance islamique
1
ien que cet ouvrage ne vise pas l'étude des fondements religieux sur lesquels reposent les instruments

B
financiers islamiques, il demeure indispensable d'aborder ici quelques spécificités importantes du droit
musulman. Cette nécessité permettra de mieux comprendre les fondements de la finance islamique qui se
traduisent dans la pratique par cinq principes essentiels ayant accompagné la croissance de l'industrie depuis sa
naissance. La mise en pratique de ces principes a permis de faire émerger des instruments financiers spécifiques
déployés par les institutions financières islamiques.

Les sources de la finance islamique

L'islam repose sur un large corpus de règles, que l'on nomme la charia, destinées à encadrer tous les aspects de la
vie des hommes, y compris ceux touchant à l'économie et la finance.

Sur le plan juridique, la doctrine musulmane repose sur une hiérarchie des textes et des sources qui alimentent la
jurisprudence islamique. Ces sources constituent l'origine du droit musulman, une partition de règles qui
instaurent ce qui est permis et ce qui ne l'est pas. Elles sont donc aussi l'origine des fondements de la finance
islamique qui se doit de respecter les préceptes religieux. Le Coran et la Sunna constituent les bases essentielles
du droit musulman qui reste ouvert aux interprétations et développements à travers l'Ijtihad.

Le Coran

Livre saint de l'islam, le Coran se place au premier rang du droit musulman. Il constitue la base juridique du droit
musulman et sa première source, sans aucune possibilité de doute, de changement, de modification ou de tri.

La Sunna

Le droit musulman s'alimente en deuxième position de la Sunna. Celle-ci englobe l'ensemble des enseignements
transmis par le prophète Mahomet via ses paroles, ses expressions, ses actes et son approbation tacite. Ces

5
enseignements ont été recueillis par voie de transmission pour constituer depuis une source très importante dans
l'édification des textes et des règles.

L'ijtihad

À côté du Coran et de la Sunna, l'ijtihad joue un rôle central dans l'élaboration du droit musulman. Il s'agit de
l'effort de réflexion personnelle des juristes musulmans, visant à proposer des solutions à des problèmes qui se
posent aux musulmans. L'évolution permanente de la société est à l'origine de problématiques nouvelles, qui ne
sont pas nécessairement traitées de manière explicite dans les textes sacrés de l'islam. L'ijtihad s'appuie sur les
principes généraux de l'islam pour promulguer de nouvelles règles en réponse à ces questions pressantes.
Pratiqué généralement par les juristes (muftis) ou les savants (mujtahidine), il est exercé à travers l'ijmaa,
le qiyas, l'istihsan, la maslaha et l'urf [Iqbal et Mirakhor, 2007][1] Les références entre crochets renvoient à la
bibliographie... [1] .
L'ijmaa. — Il traduit le consensus général des théologiens musulmans, parmi les spécialistes, sur un sujet donné.
Dans la pratique, il fait office de preuve si aucun élément du Coran ou de la Sunna ne permet de trancher sur un
cas. Nécessairement, toute règle établie selon ce procédé ne peut contredire ni le Coran ni la Sunna.
Le qiyas. — C'est le raisonnement par analogie utilisé par les juristes musulmans et permettant d'appliquer à un
fait présent la règle juridique extraite des trois premières sources et rattachée à un événement passé présentant
une analogie avec le fait étudié.
L'istihsan. — C'est la préférence que peut exprimer un juriste musulman pour une solution donnée, alors qu'il en
a identifié d'autres. Cette préférence peut donc s'exercer sans qu'il existe nécessairement un argument explicite
en faveur de l'une ou de l'autre des alternatives identifiées.
La maslaha. — Elle vise à promouvoir l'utilité publique lors de la promulgation des règles, le tout en se gardant
de porter préjudice à l'intérêt général.
L'urf. — Il fait référence aux coutumes dominantes dans une communauté donnée.
À travers le temps, des écoles de pensée ont émergé pour donner lieu à des approches et à des méthodes qui
peuvent parfois diverger sur une interprétation. Il en existe plusieurs en islam, à l'instar des écoles Hanafi,
Maliki, Shafi'i, Hanbali ou encore Jafari.
Les éventuelles divergences qui peuvent exister entre ces écoles sont essentiellement dues au poids donné par
chacune aux différentes sources du droit musulman. Par exemple, le raisonnement par analogie (qiyas) n'est pas
accepté par l'école Jafari comme source à part entière du droit musulman. Cette école donne en revanche plus de
poids à l'ijtihad de manière générale dans la recherche de réponses appropriées aux problématiques actuelles.

Les principes de la finance islamique

L'islam, tout comme la philosophie libérale, encourage l'esprit entrepreneurial et le commerce, autorise la prise
de risque et cautionne le profit [Jouini et Pastré, 2008]. La spécificité réside dans le fait qu'il prend en compte,
dans sa définition de la rationalité économique, la notion plus large d'intérêt général. Il en découle que la finance
islamique moderne est régie par un ensemble de règles applicables aux relations économiques et commerciales
que les théoriciens regroupent dans cinq principes fondamentaux.

6
L'interdiction de l'usure

L'interdiction de l'usure (riba) se traduit le plus souvent par une interdiction de l'intérêt. Aussi la grande majorité
des penseurs musulmans ne font aucune distinction entre l'usure et l'intérêt, étant tout deux le fruit de
l'écoulement du temps et non de la rentabilité d'un projet sous-jacent. C'est la raison pour laquelle ils sont
prohibés, considérés comme des sources potentielles d'une mauvaise allocation des ressources au niveau de la
société.

Le partage des profits et des perte

Si la pratique de l'intérêt est interdite, le prêt en soi ne l'est pas. Toutefois, toute rémunération du prêteur doit être
fonction des résultats du projet qu'il finance. Ce principe implique que le pourvoyeur de fonds et celui qui les
utilise doivent partager le risque économique de manière équitable. Pour une banque islamique, cela signifie que
les dépositaires, la banque et les emprunteurs partagent tous les risques et les revenus des projets financés par les
dépôts relevant de ce principe.

L'interdiction de l'incertitude et de la spéculation

La prise de risque n'est pas interdite en islam, au contraire, elle est même encouragée car, en l'absence de taux
d'intérêt, c'est la seule source reconnue de rentabilité. Cependant, l'aléa (maysir) et la dissymétrie dans les termes
d'un contrat (gharar) le sont, ces derniers pouvant aboutir à l'incertitude sur l'objet du contrat et à la spéculation.
Il est ainsi interdit d'acheter ou de vendre un bien dont le prix ou les caractéristiques seraient définis
ultérieurement. C'est la raison pour laquelle les contrats d'assurance traditionnels et les produits dérivés par
exemple sont considérés comme non conformes aux principes de la finance islamique.

L'adossement à un actif tangible

L'argent, instrument concourant à créer de la valeur et à faciliter les échanges, ne peut en soi faire l'objet d'un
échange. Le rôle attribué à l'argent en islam est très bien explicité. L'idée principale est qu'il n'a aucune utilité
intrinsèque. Iqbal et Mirakhor [2007] par exemple rappellent que l'argent n'est qu'un capital potentiel et ne
deviendra réel qu'après son association avec une autre ressource, en l'occurrence le travail et l'effort, afin
d'entreprendre une activité productive. Il ne représente qu'un moyen d'échange, sans qu'il puisse en soi en être
l'objet. Il ne remplit donc pas ce rôle de transfert intertemporel de valeur qui lui est reconnu dans les économies
occidentales. L'interdiction du commerce d'argent écarte par conséquent tout profit tiré d'une transaction
purement financière.
Ainsi, toute opération financière nécessite d'être adossée à un actif tangible. C'est là une garantie de l'existence
d'un bien réel et clairement identifié comme faisant l'objet de la transaction, ce qui au final en garantit la
traçabilité.

L'interdiction de certains produits et activités

La finance islamique obéit non seulement à l'interdiction de l'intérêt et de toute spéculation, mais également à
une obligation de responsabilité sociale. Ainsi, quelle que soit la forme prise par les modes de financement,

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certains secteurs d'activité, répréhensibles du point de vue éthique et religieux, sont exclus. C'est le cas des jeux
de hasard, du tabac, de l'alcool, de l'élevage porcin, de l'armement ou encore de la pornographie.

Une mise en perspective historique de la finance islamique

Les origines : les textes sacrés de l'islam

E
Dès l'avènement de l'islam au VII siècle, la finance islamique trouve ses origines dans les injonctions tirées du
Coran ainsi que dans les faits et dires du prophète Mahomet (hadith). Le droit musulman formule un ensemble
de règles applicables, entre autres, aux relations économiques et commerciales. L'intérêt et la spéculation sont
des exemples des interdictions issues des textes sacrés de l'islam. Le prophète Mahomet, étant commerçant, avait
d'ores et déjà financé ses expéditions commerciales selon le principe de partage des profits et des pertes, sans
recours au prêt à intérêt.
Jusqu'à la période coloniale et depuis lors, les pratiques financières interdites en islam étaient évitées, et les
règles souvent respectées par les musulmans. Dans les pays concernés, l'absence d'un système bancaire et
financier au sens moderne du terme a favorisé les transactions financières de gré à gré, où chaque partie disposait
d'une certaine aisance à respecter ses convictions et ses principes, notamment religieux. Les premières banques à
capitaux proprement arabes n'ont en effet vu le jour qu'au cours des années 1920 [Siagh, 2001].
La colonisation européenne des terres de l'islam a largement contribué à la diffusion des pratiques occidentales
de l'économie et de la finance. Les injonctions islamiques en la matière se sont peu à peu éclipsées à cette époque
pour laisser place à des systèmes financiers et des modèles économiques inspirés des systèmes et modèles
occidentaux.
Pendant cette période, si le commun des citoyens composait avec ces systèmes financiers, la plupart des savants
musulmans s'en méfiaient et émettaient des réserves plus ou moins prononcées. En 1890, certains d'entre eux
déclaraient que la pratique de l'intérêt sous toutes ses formes constituait du riba et était interdite. Cette
interdiction vient sur fond de critiques adressées par les savants musulmans à l'encontre de la filiale ouverte en
Égypte par Barclays Bank et concernant le financement de la construction du canal de Suez. Une nouvelle
décision juridique (fatwa) a été également émise en 1903 à l'encontre d'un fonds versant des intérêts en Égypte.
Parallèlement, sur le plan opérationnel, l'époque coloniale a aussi connu les premiers prêts à taux zéro accordés
dès les années 1890 par des associations de musulmans dans le Sud de l'Inde et financés par des donations.

La (re)naissance de la finance islamique : la décolonisation, 1950-1970

Kuran [1997] date les débuts de la finance islamique de la fin de la période coloniale en Inde. Il attribue à Sayyid
Abu'l-A'la Mawdudi, un leader politique musulman de l'époque, la promotion de l'idée d'un système économique
musulman. L'initiative de Mawdudi est motivée par la volonté de protéger l'identité religieuse et culturelle des
minorités musulmanes du pays tout en préservant l'unité de la nation.
Cette période est aussi marquée par la redécouverte par les musulmans de tous pays de leur religion, ce qui a
alimenté une vision critique sur les systèmes financiers importés des pays occidentaux. Le dénigrement des
institutions financières conventionnelles et la recherche d'alternatives respectant le modèle islamique s'inscrivent
en cette période dans une démarche de recherche identitaire.
Les réserves et les critiques vis-à-vis des institutions bancaires conventionnelles qui commencent à s'installer
dans les pays musulmans se sont peu à peu transformées en exploration d'alternatives en accord avec la religion

8
musulmane. Sur le plan de la recherche scientifique, les penseurs commencent progressivement à échafauder les
bases d'une économie islamique. Ainsi, pendant les années 1950, sont publiés les premiers modèles économiques
décrivant le mode de fonctionnement possible et réaliste d'une intermédiation bancaire islamique [Iqbal et
Mirakhor, 2007].
La (re)naissance de la finance islamique date de la période postcoloniale. La première expérience de banque
islamique vit le jour en 1963 en Égypte, la Mit Ghamr Local Savings Bank, proposant des comptes d'épargne
rémunérée selon le principe du partage des profits et des pertes. L'expérience fut courte, avant que la banque ne
soit intégrée dans la Nasser Social Bank quelques années plus tard. La même année, en Malaisie, est créé un
système d'épargne spécial pèlerinage, The Pilgrims Saving Corporation, qui devient en 1969, après sa fusion
avec The Pilgrims Affair Office, The Pilgrims Management and Fund Board, plus connu sous le nom de Tabung
Haji.

Un système qui devient crédible : le boom pétrolier, 1970-1990

La profusion de richesses issues de l'exploitation du pétrole a marqué un tournant dans la finance islamique. La
fin du colonialisme et la montée de la religiosité peuvent avoir suscité la renaissance de la finance islamique,
mais la grande richesse engendrée par le boom pétrolier a alimenté sa croissance [Vogel et Hayes, 1998].
Après avoir été pensée comme une alternative à un système conventionnel critiqué par des penseurs musulmans,
elle obtient une légitimité grâce à une demande de plus en plus forte et qui la tire en avant. Les services
d'intermédiation qu'elle offre sont dans un premier temps réservés à une élite d'investisseurs fortunés avant de se
populariser. Il y avait alors une grande nécessité de recycler les importants surplus publics et privés de
pétrodollars dans la région du golfe Arabo-persique. Le modèle bancaire islamique devient crédible, et ses
principes cohérents, ce qui ouvre la voie à l'innovation financière.
Cette période a connu une croissance du nombre d'institutions financières islamiques et une extension
géographique en Asie et en Afrique. Le Royaume du Bahreïn et la Malaisie commencent alors à développer un
système financier islamique parallèlement au système conventionnel. Les économies de la région commencent à
se réorganiser. L'Organisation de la conférence islamique, regroupant quarante-quatre pays musulmans, est créée
en 1970 et la première conférence internationale en économie islamique s'est tenue à La Mecque en Arabie
saoudite en 1976.
Le véritable départ de l'industrie bancaire islamique fut donné avec la création, sous l'égide de l'Organisation de
la conférence islamique, de la Banque islamique du développement (IDB) en 1974. Basée en Arabie saoudite,
celle-ci a pour objectif de promouvoir le développement économique dans les pays musulmans selon les
principes de la finance islamique. Sa création a été suivie par le lancement en 1975 aux Émirats arabes unis de la
Dubai Islamic Bank, première banque islamique privée. La même année voit aussi la naissance de la Kuwait
Finance House et de la Bahrain Islamic Bank. L'Organisation de la conférence islamique crée alors l'Association
internationale des banques islamiques en 1977.
Des décisions politiques importantes sont prises dès 1979, date de la révolution iranienne. En 1979, le Pakistan
entreprend de transformer tout son système financier en un système entièrement islamique. Le Soudan et l'Iran
suivront en 1983 avec plus ou moins de réussite.

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Le temps de la normalisation, 1990-2000

La croissance entamée grâce à l'argent du pétrole contribue à faire émerger certains problèmes qui entravent
l'industrie de la finance islamique et appellent alors une organisation du secteur. En 1990 est créée au Bahreïn
l'Accounting and Auditing Organization for Islamic Financial Institutions (AAOIFI), un organisme ayant pour
mission la normalisation comptable et chariatique des opérations financières islamiques.
Le phénomène s'accélère quand des banques occidentales s'y intéressent. Les établissements conventionnels
prennent part à cette croissance en ouvrant des fenêtres islamiques dans la région, à l'instar de la Citi Islamic
Investment Bank, détenue par la Citibank et créée au Bahreïn en 1996, ou encore de HSBC Amanah, fenêtre
islamique de HSBC créée en 1998 à Dubaï.
L'effort de régulation et de normalisation se poursuit pour donner lieu à la création en 2002 de l'Islamic Financial
Services Board (IFSB), une agence dédiée à ce secteur et chargée de produire des normes en matière de
régulation, de contrôle et de gouvernance pour les acteurs du système financier islamique.
La période est également marquée par l'innovation. De nouveaux produits sont lancés pour répondre à une
demande croissante, comme l'assurance islamiquetakaful. En 1999, le premier indice islamique, le Dow Jones
Islamic Markets Index, est lancé. Les premiers fonds islamiques et les premiers sukuk datent aussi de cette
période. Celle-ci est également marquée par le développement de la banque de détail qui amène un nouveau
souffle à l'industrie et marque l'ouverture vers la clientèle des petits épargnants.
Le secteur vit alors une période de foisonnement intellectuel. Le FMI finance des recherches sur le système
économique islamique. Des recherches sont également produites par des centres de recherche dédiés, comme
l'IRTI, un institut de recherche rattaché à la Banque islamique du développement, ou encore le centre de
recherche en économie islamique à l'université King Abdul Aziz de Djeddah en Arabie saoudite.

L'internationalisation depuis les années 2000

La croissance ne faiblit pas et la finance islamique commence à explorer des territoires hors de ses frontières
historiques et culturelles. Jusque-là considérée comme un épiphénomène laissé à quelques places financières du
Golfe, du Pakistan ou de Malaisie, mais avec une forte croissance, la finance islamique apparaît comme recelant
un énorme potentiel qui intéresse de plus en plus les pays occidentaux. Elle s'exporte en Europe et aux
Amériques. Des banques islamiques voient le jour en Grande-Bretagne, au Luxembourg, en Suisse et à New
York.
Encadré 1. Des dates clés dans l'histoire de la finance islamique

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11
En réalité, la présence de la finance islamique aux États-Unis est perceptible dès 1987, avec la création à Los
Angeles de l'American Finance House, une institution financière non bancaire islamique. Mais la véritable
implantation de la banque islamique en Occident peut être datée de 2004, quand fut créée en Grande-Bretagne
l'Islamic Bank of Britain, première banque privée de détail, totalement islamique, du pays.

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Ces nouveaux entrants amènent une nouvelle forme de concurrence et poussent à une prise de conscience du
caractère fragmenté du marché. Les critiques et les interrogations par les penseurs musulmans, mais aussi par les
clients, sont désormais adressées à l'industrie bancaire islamique elle-même. Cette dernière est souvent accusée
de trop se rapprocher du modèle conventionnel. La mise en pratique des principes qui la sous-tendent est sujette
à de fortes interrogations.

La crise des subprimes et après

Les institutions financières islamiques n'ont pas été totalement épargnées par la crise des subprimes, même si
elles ont été touchées bien après et de façon moins importante que les établissements conventionnels. L'effet de
la crise a été différé jusqu'au moment où la sphère réelle, visée de prédilection des flux financiers islamiques, a
été entraînée. L'absence d'opérations purement spéculatives et de produits porteurs d'intérêt, celle de subprimes,
la traçabilité des opérations adossées à des actifs tangibles et le filtrage islamique, en plus des vertus des produits
de partage des risques, sont les principales raisons de la relative résilience du système islamique. Les
conséquences ont également été moindres car le système n'a pas connu de faillite similaire au système
conventionnel. Son lien étroit avec l'économie réelle ne l'a pourtant pas complètement mis à l'abri. On a
notamment observé une diminution de l'émission de sukuk ainsi qu'une baisse des cours des fonds
d'investissement.

Les instruments et les contrats financiers islamiques

Les principes de la finance islamique se traduisent dans la pratique notamment par un ensemble d'instruments
financiers rendus incontournables et nécessaires à la viabilité du système financier dans son ensemble.

Les transactions de vente et de location de base

Il s'agit de contrats conçus pour faciliter l'échange, la vente et le commerce des biens et des services. Les
transactions concernées peuvent être immédiates ou différées. Les principaux contrats sont le bay', l'ijara et
l'istisna.
Le bay'. — C'est la vente d'un bien mobilier ou immobilier impliquant un transfert de propriété du vendeur vers
l'acheteur, moyennant le versement d'un prix de vente.
Les contrats de vente portent un nom différent suivant la nature du sous-jacent. Ainsi, le sarf désigne le change
de devises, le bay' al-dayn, la vente de dette ou de passif. L'échange de devises et de dettes ne peut avoir lieu que
sur le marché au comptant. Pour ce type de sous-jacent, aucun différé de paiement n'est permis, alors que cela est
possible pour d'autres sous-jacents.
48
La vente à terme combinant un paiement et une livraison à l'échéance n'existe pas dans le système financier
islamique. Il est toutefois possible de différer soit le paiement, soit la livraison.

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Tableau 1. Échéances de paiement et de livraison pour les principales opérations de vente bay

49
La vente avec paiement différé porte le nom de bay' al-muajjil. Ce contrat permet la vente à
tempérament avec plusieurs versements programmés ou forfaitaires. Dans ces cas, le prix de
vente est convenu entre l'acheteur et le vendeur, et ne peut supporter des frais pour le différé
de paiement. La vente à crédit est possible avec le contrat mourabaha et sera traitée avec les
instruments de financement.
50
Lorsque la vente prévoit le paiement d'une avance sur le prix de vente, elle est qualifiée
de bay' al-arbun. Dans ce cas, le vendeur n'est pas tenu de restituer l'avance à l'acheteur si
celui-ci rompt le contrat.
51
Deux contrats de vente couvrent la livraison différée. Ils sont souvent utilisés dans le cas où le
produit objet de la vente n'existe pas encore ou qu'il doit être manufacturé. Le premier contrat
est bay' al-salam, appelé aussi salam, qui prévoit un paiement immédiat en contrepartie d'une
livraison future. Ce contrat constitue une exception au principe d'interdiction du gharar. Il est
toutefois encadré par un certain nombre de conditions limitant tout abus possible. Ainsi, seuls
les biens dont la quantité et la qualité peuvent être parfaitement définies au moment de la
transaction sont éligibles à un contrat bay' al-salam. Ce contrat trouve plusieurs applications,
notamment pour le financement des PME ou encore dans le domaine agricole.
Encadré 2. Comparaison des opérations salam, istisna et vente à terme
Bay' al-salam et bay' al-istisna sont les deux instruments financiers islamiques qui prévoient une livraison
différée du sous-jacent. Par application de ces deux contrats, le bien objet de la transaction peut être acquis avant
même qu'il existe. Toutefois, quatre points distinguent ces deux contrats. Dans le cadre d'une opération istisna, le
bien doit être à construire ou à fabriquer, le prix ne doit pas obligatoirement être payé entièrement à la
conclusion du contrat, le contrat peut être annulé avant le début du processus de production, et enfin la date de
livraison peut être flexible. Ces quatre points ne s'appliquent pas pour le contrat salam.
Salam et istisna sont les deux opérations financières islamiques les plus proches de la transaction à terme. En
effet, dans un contrat à terme, le vendeur s'engage à livrer l'actif sous-jacent à une date future fixée d'avance, en
même temps que l'acheteur s'engage à en payer le prix à la réception. Le contrat salam engage l'acheteur à payer

14
immédiatement le prix entier du bien acquis. En contrepartie, le vendeur s'engage à livrer le bien à une date
future fixée d'avance.
Le contrat à terme et les contrats salam et istisna remplissent ainsi une même fonction économique permettant
aux utilisateurs de disposer des biens acquis à une date différée, sans être exposés aux fluctuations des prix. Il
s'agit avant tout d'instruments de couverture contre le risque de volatilité des prix, car ils permettent de fixer au
moment de la conclusion du contrat les prix des biens qui seront livrés ultérieurement. Dans les deux cas, il s'agit
d'un engagement ferme et définitif de la part des deux cocontractants.
Ce qui différencie le salam de la vente à terme, ce sont les dates du paiement, différées et concomitantes à la
livraison dans le contrat à terme alors qu'elles sont immédiates dès la signature du contrat de bay' al-salam. Le
vendeur, dans le cadre du dernier contrat, dispose ainsi du prix de la vente qu'il pourra utiliser à escient alors que
l'acheteur devra débloquer immédiatement le financement. De même que la plus grande flexibilité d'un
contrat istisna le différencie d'une vente à terme.
52
Le deuxième contrat avec livraison différée est le bay' al-istisna. Souvent appeléeistisna, cette opération couvre
la vente d'un produit fait sur commande.
53
L'istisna. — Le bay' al-istisna est particulièrement indiqué pour faciliter la construction ou la fabrication de
biens à la demande de l'acheteur. Ce dernier se met d'accord avec l'industriel sur le prix de vente et sur les
caractéristiques du produit à manufacturer. Si, au moment de la livraison, le produit final n'est pas conforme,
l'acheteur a la possibilité d'annuler le contrat. Le rythme de paiement du prix est très flexible et est convenu d'un
commun accord entre l'acheteur et le vendeur. Ce contrat est souvent utilisé pour le financement de projets dans
plusieurs secteurs tels que la construction d'infrastructures, l'industrie aéronautique ou navale.
54
L'ijara. — Le contrat de base, connu sous le nom d'ijara tachghilia, est un contrat de location avec un transfert
de l'usufruit en contrepartie du paiement d'un loyer. Il est différent de la location conventionnelle dans la mesure
où celui qui met le bien en location doit impérativement en être le propriétaire pendant toute la durée de la
location. Il est ainsi chargé de l'entretien et de l'assurance du bien contre tout dommage. Dans la pratique, il est
possible de mandater le locataire pour tous les aspects relatifs à la gestion courante du bien loué. De même, en
cas de retard de paiement du loyer ou de défaut, le propriétaire ne peut exiger des pénalités ou des frais de la part
du locataire. Il peut toutefois révoquer le contrat et exiger le paiement des sommes couvrant le reste de la
période. Il peut également réclamer une compensation pour les dommages causés au bien à la suite de la
négligence du locataire.
55
Deux variantes de ce contrat existent. La première est l'ijara muntahia bittamlik, définie dans la norme 9 des
standards charia de l'AAOIFI. Elle est assimilable en nombre de points au contrat de crédit-bail. En effet, est
rattachée au contrat de location une option d'achat à la fin du bail. Ainsi, le locataire a le droit d'acheter le bien à
la fin de la durée de location, moyennant le versement d'une prime prédéterminée, ou simplement de le rendre au
propriétaire.
56
Dans la seconde variante, ijara wa iqtina, le droit d'acquérir le bien loué est exercé au fur et à mesure des
paiements des loyers, majorés alors d'une partie du prix d'acquisition convenu. Le locataire s'engage donc à
verser le loyer aux dates convenues. Il est cependant possible de prévoir dans le contrat de location des loyers
fluctuants de façon à mieux correspondre aux besoins et à la capacité de paiement du locataire.
57

15
Dans la pratique, les banques islamiques font appel aux contrats ijaraessentiellement comme instrument de
financement. Il est souvent associé à d'autres contrats dans la structuration de produits plus complexes. En effet,
l'obligation pour le bailleur de posséder le bien loué a tendance à le sortir de son rôle d'intermédiaire financier
pour en faire un propriétaire et gérant de biens. C'est la raison pour laquelle les banques sont souvent réticentes à
signer ce type de contrat.
58
La flexibilité de ce contrat en fait l'un des plus utilisés dans la structuration des produits sophistiqués dans des
opérations de financement à échéances longues, tels que les sukuk.

Les instruments de financement

59
Le tableau 2 réunit les principales opérations du financeur et du bénéficiaire du financement dans les principaux
contrats de financement.

16
- Tableau 2. Les opérations du financeur et du bénéficiaire du financement dans les principaux contrats
de financement

60
La mourabaha. — C'est l'un des contrats les plus populaires et les plus utilisés dans l'industrie bancaire
islamique. Son principe est celui de l'achat-revente avec marge. En effet, ce concept suppose que le financeur
achète un actif donné pour le compte d'un client final ne disposant pas des moyens pour le faire lui-même. Dans

17
un deuxième temps, le financeur revend cet actif au client à un prix incluant une marge convenue d'avance entre
les deux cocontractants. Le paiement du prix de la revente est effectué à un rythme négocié avec échelonnement
sur une période donnée.
61
Historiquement, la mourabaha a été conçue pour financer les opérations commerciales. Sa flexibilité et son
adaptabilité ont fait d'elle l'un des instruments les plus utilisés par les institutions financières islamiques. Dans la
pratique, les banques islamiques jouent souvent le rôle du financeur dans des montages financiers plus ou moins
complexes, destinés au financement de l'achat par les utilisateurs finaux de matières premières, d'actifs
immobiliers, ou encore dans le financement de projets. Elle est également utilisée par les banques islamiques
pour placer leur trésorerie dans des instruments liquides à court terme, équivalents islamiques des créances
interbancaires.
62
Le contrat de bay' bithamin ajil est une variante du contrat mourabaha utilisée essentiellement en Malaisie et
dans d'autres pays du Sud-Est asiatique. Les principales différences entre ces deux contrats résident dans
l'échéance des paiements par le client, à plus long terme pour le bay' bithamin ajil, et dans la possibilité pour le
financeur dans ce dernier cas de ne pas révéler le montant de sa marge bénéficiaire.
63
Le tawarruq. — Également appelé mourabaha inversée, le tawarruq est un mécanisme de financement qui
nécessite la mise en place de deux transactions. Par cet instrument, une personne ayant un besoin de financement
achète à crédit et avec une marge un bien auprès du financeur qui l'aurait acquis au comptant. Une fois le bien
acheté, il est immédiatement revendu sur le marché au comptant à un tiers à un prix plus bas.
64
En termes financiers, cela revient à recevoir un flux immédiat contre le paiement d'un montant supérieur étalé
dans le temps. D'aucuns y voit une manière, un subterfuge permettant d'emprunter de l'argent sous le couvert de
deux contrats en accord avec les principes financiers islamiques. C'est pour cette raison que cette pratique ne fait
pas l'unanimité des acteurs des marchés financiers islamiques. Elle est particulièrement décriée quand le vendeur
initial et l'acheteur final se trouvent être la même personne, qui par ce moyen prête de l'argent à l'emprunteur, ou
encore lorsque le même bien est revendu à plusieurs reprises pour financer des personnes différentes. La pratique
du tawarruq date des années 2000 dans les pays du Moyen-Orient, spécialement en Arabie saoudite.
Encadré 3. Comparaison d'une opération mourabaha avec un emprunt classique
Le contrat mourabaha a souvent été critiqué en tant qu'instrument financier islamique et qualifié d'emprunt
classique déguisé. La confusion qui peut exister entre les deux opérations a été alimentée par le fait que les
banques islamiques utilisent souvent des taux d'intérêt du marché monétaire comme référence lors du calcul de
leur marge bénéficiaire. Ce recours est justifié par l'absence de benchmark pouvant indiquer le coût du capital
opportun, et par conséquent le taux de rentabilité exigé sur ce type d'opérations. Le contrat a été rapproché d'une
obligation zéro-coupon et la marge bénéficiaire confondue avec de l'intérêt. Pourtant, plusieurs points permettent
de les distinguer clairement :
 dans le cas d'un contrat mourabaha, le prix est majoré en contrepartie d'un échelonnement du paiement. Dans
le cas de l'emprunt, la dette est majorée en contrepartie d'un échelonnement du remboursement ;
 aucune somme d'argent n'est empruntée dans le cas du contratmourabaha, seul un actif déterminé est financé
pour le compte du client. La fonction de financement est reconnue aux deux instruments, mais elle est
adossée à un actif réel et défini dans le cas de la mourabaha ;
 la mourabaha doit obligatoirement servir à financer une opération originelle et ne pas venir pallier le
financement d'une opération existante ;

18
 le financeur doit acheter le produit à financer et en devenir le propriétaire effectif dans la première phase du
contrat. Ainsi, le contrat est adossé à un actif réel et s'apparente plus à une opération commerciale de vente à
crédit ;
 dans le cas d'une dette classique, le financeur est exposé seulement à un risque de crédit, alors que, dans le
cas de la mourabaha, il est aussi exposé à un risque de prix entre le moment où le bien est acheté et le
moment où il est vendu au client final ;
 la différence entre le prix d'achat et le prix de vente se définit comme une marge commerciale ou encore une
commission, et ne fait pas référence explicite à un taux d'intérêt. Cette rémunération du financeur vient
compenser un service rendu et non pas la mise à disposition d'une somme d'argent. Elle dépend de la nature
du produit financé, de la garantie, de la qualité du client, de l'échelonnement du paiement ;
 une fois définie, la marge du financeur est fixée et ne peut varier durant le délai de paiement accordé. Ainsi,
en cas de défaut de paiement par le client final, le financeur n'a pas la possibilité de réclamer des pénalités.
Une assurance ou des garanties peuvent toutefois être prévues dans le contrat initial. Il peut s'agir du sous-
jacent lui-même ou d'autres actifs que le financeur pourrait récupérer en cas de défaut de paiement.
65
Il existe deux variantes de cet instrument dans lesquelles il n'est pas fait appel à un tiers pour revendre le bien. Il
s'agit d'abord de bay' al-ina qui suit le même schéma avec l'agent qui, ayant besoin du financement, achète un
bien à crédit auprès du financeur et le lui revend au comptant à un prix plus bas. Le second instrument est
dénommé bay' al-wafa, pour lequel le prix de revente au comptant est égal au prix d'achat initial. Ces
instruments sont essentiellement utilisés pour la gestion de la liquidité sur le marché interbancaire malaisien et
sont décriés par un certain nombre de jurisconsultes musulmans dans le reste du monde, y compris dans les pays
du Golfe. Ainsi, une décision juridique, ou fatwa, rendue par l'International Council of Fiqh Academy en 2009,
autorise le tawarruq« classique », mais interdit ces variantes qualifiées de tawarruq organisé ou inversé et les
considère comme des tromperies.

Les financements participatifs

66
Ils s'apparentent à du capital-risque. Deux instruments entrent dans ce cadre et permettent notamment d'organiser
le financement et l'intermédiation bancaire.
67
La moudharaba. — Il s'agit d'une opération dans laquelle un investisseur (rab el mal) fournit le capital à un
entrepreneur (moudharib) qui lui fournit son expertise et où les deux s'associent dans le profit.
68
Dans cette structure financière, la responsabilité de la gestion de l'activité repose entièrement sur l'entrepreneur
qui agit en tant qu'agent de l'investisseur. À la fin du contrat, les bénéfices engrangés sont partagés entre les deux
parties prenantes selon un ratio de partage convenu à l'avance lorsque l'investisseur a recouvré son capital et que
les frais de gestion de l'entrepreneur ont été acquittés. En revanche, l'intégralité de la perte, quand elle se produit,
incombe à l'investisseur, l'entrepreneur ne perdant que la rémunération de son travail de gestion de l'affaire.
Toutefois, en cas de négligence ou d'erreur de gestion, l'entrepreneur pourra être tenu pour responsable et devra
supporter les pertes.
69
De manière générale, l'investisseur désigne l'entrepreneur comme agent et n'a par conséquent pas le droit de
contrôler ou de participer à la prise de décision de ce dernier. En d'autres termes, l'entrepreneur est libre de

19
choisir le projet dans lequel investir et la manière de le faire. Toutefois, dans certains cas, il est possible pour le
financeur d'exercer un certain contrôle sur le choix du projet ou sur la manière d'investir.
70
Lorsqu'il est appliqué au domaine agricole, le contrat moudharaba est désigné
comme mouzara'a ou mousakat en fonction de la nature des cultures et selon que la terre nécessite ou pas un
effort d'irrigation supplémentaire. Dans ces contrats de partage spécifiques, le financement prend la forme d'une
mise à disposition des terres agricoles, avec le cas échéant ses plantations. L'agriculteur, lui, participe par son
effort et son travail. Les frais liés à la production peuvent être avancés par l'exploitant et remboursés à la fin
après les récoltes. À l'échéance, le partage porte sur le produit de la terre. À noter qu'il existe un autre contrat
d'investissement dans le milieu agricole, la mougharasa, mais qui s'apparente plutôt au contrat moucharaka,
traité plus loin.
71
Ce contrat a contribué au lancement de l'intermédiation bancaire islamique. LesSharia scholars ont très tôt
permis la conclusion de contrats moudharaba à plusieurs volets (multiple tiers). Ainsi, d'une part, il est possible
pour l'entrepreneur d'étendre le partenariat afin de collecter des fonds auprès de plusieurs investisseurs, d'autre
part, il lui est également possible de devenir à son tour financeur avec les mêmes fonds dans un ou plusieurs
autres contratsmoudharaba conclus avec des entrepreneurs. Cette structure flexible permet aux banques de jouer
simultanément le rôle d'investisseur pour la collecte et la gestion des fonds dans le passif, et celui d'entrepreneur
pour financer les projets du côté de leur actif. Elle reste néanmoins sous-utilisée par les banques islamiques
contemporaines, au profit d'autres produits moins risqués, telle lamourabaha.
72
La moucharaka. — C'est une forme de partenariat dans lequel deux ou plusieurs investisseurs participent au
financement d'un projet et en partagent les profits et les pertes, et où ils ont les mêmes droits et engagements. Les
partenaires sont donc associés à la fois dans le capital et dans le profit. Ils ont tous par ailleurs la possibilité de
participer à la gestion du projet s'ils le désirent, à moins que la gestion ne soit déléguée à une tierce personne. Il
est unanimement accepté que le partage des pertes suive la participation de chacun et qu'il soit limité à celle-ci.
Toutefois, un ratio de partage des profits doit être négocié ex ante entre les partenaires et pourrait par conséquent
être différent de la part de chacun dans le financement.
Encadré 4. Les problématiques d'agence dans les contrats moudharaba et moucharaka
Les contrats de partage des profits et des pertes placent la banque dans la position d'un partenaire actionnaire, et
l'exposent ainsi aux risques qui sont rattachés à la relation liant un principal et son agent. Ces risques sont surtout
présents dans les contrats liant le banquier agissant en tant que principal à l'entrepreneur qu'il finance et qui joue
alors le rôle d'agent ; la relation entre les déposants et la banque, quant à elle, est plus cadrée et moins sujette à
ces problématiques.
Dans une relation d'agence, la théorie postule souvent que le principal tend à amener l'agent à agir dans son
intérêt et met tout en œuvre afin que ce dernier lui dévoile toute information pertinente dont il disposerait. Face à
lui, l'agent n'est pas toujours enclin à dévoiler ses informations et viserait plutôt à maximiser ses bénéfices
privés.
Appliquée au contexte des contrats de partage des profits et des pertes dans les banques islamiques, la théorie
d'agence permet d'expliquer et de poser un cadre théorique à la relation qui lie le banquier financeur à
l'entrepreneur, actionnaire ou non, qui gère le projet d'investissement.
Les risques dans ces contrats se retrouvent à trois niveaux. D'abord, une asymétrie d'information entre le
banquier d'une part et l'entrepreneur d'autre part peut exister de manière volontaire ou non. L'entrepreneur peut

20
en effet ne pas dévoiler toute l'information concernant le projet avant ou après l'obtention du financement et le
lancement du projet. Ainsi,
les états financiers peuvent être manipulés, ou encore des décisions importantes peuvent être prises sans
concertation.
Ensuite, le choix même de l'entrepreneur devant être financé peut poser un problème de sélection adverse (ou
antisélection). En cas de forte asymétrie d'information concernant la qualité de l'entrepreneur, le banquier peut
accepter d'accorder, sans le savoir, un financement à un mauvais gestionnaire.
Enfin, le banquier peut également être confronté à un problème d'aléa moral qui surgirait une fois le financement
accordé. L'entrepreneur pourrait ainsi changer de comportement et ne pas respecter les termes de l'accord passé
avec la banque. Il peut agir de manière à maximiser ses propres intérêts au détriment de ceux de l'entreprise qu'il
gère, et donc de ceux du banquier actionnaire. Ce problème est d'autant plus présent que les contrats se déroulent
dans la durée.
Afin de réduire ces risques, le banquier actionnaire devra mettre en place un dispositif de surveillance ou
d'incitation afin de limiter les dérives potentielles ou avérées de l'entrepreneur. Il va sans dire que cette situation
lui fait supporter des coûts supplémentaires, appelés coûts d'agence.
Les risques liés à ces contrats influencent par ailleurs le niveau du ratio de partage entre banquier et
entrepreneur. Ce dernier peut également constituer un moyen d'incitation et de pression sur l'entrepreneur à la
disposition du banquier.
73
Les pertes enregistrées sur une période peuvent être reportées aux exercices suivants afin d'être couvertes par les
bénéfices subséquents. Dans la pratique, des comptes de réserves sont créés et alimentés par les bénéfices
constatés afin de faire face à toute éventualité de perte future.
74
Des formes différentes de cet instrument assez flexible dans sa définition existent. La mufawada est une forme
de moucharaka dans laquelle toutes les parties prenantes à l'association ont la même contribution initiale,
jouissent des mêmes privilèges et reçoivent la même part dans les pertes et les profits. L'inan, lui, prévoit une
contribution initiale différente des associés ; leurs droits et leur part dans le bénéfice sont également différents,
proportionnels ou non à leur participation initiale.
75
Ce contrat est utilisé en matière d'intermédiation bancaire pour la collecte des dépôts et également pour le
financement de projet. Toutefois, comme lamoudharaba, il reste marginal face à des instruments comme
la mourabaha. Dans le financement immobilier, il est souvent fait appel à une variante de ce contrat,
dénommée moucharaka moutanaqisa ou moucharaka dégressive. Il s'agit d'une opération qui prévoit une part
dégressive de l'un des associés, lui permettant de sortir du capital. Cette part est progressivement rachetée par les
autres associés.
76
Dans le domaine agricole, l'association entre un propriétaire terrien qui apporte sa terre et un agriculteur qui
apporte des arbres fruitiers qu'il plante et cultive peut être traitée dans le cadre d'un contrat, la mougharasa.

Les instruments de bienfaisance

77
Ce sont des contrats conclus entre les individus et la société afin de promouvoir le bien-être général. Leur
application s'étend aussi à l'intermédiation financière.
78

21
Le qard hassan. — C'est un prêt de bienfaisance devant être remboursé par l'emprunteur sans aucun intérêt ni
surplus. L'emprunteur peut toutefois décider, à sa guise et à condition que cela ne soit pas stipulé dans le contrat,
de verser un surplus qui prendrait alors la forme de don.
79
Outre son intérêt pour les actes de bienfaisance, cet instrument trouve aussi une utilisation comme mode de
refinancement des banques islamiques sur le marché interbancaire, notamment en Malaisie, ou encore dans la
gestion du risque de change, quand il en est conclu deux simultanément dans deux devises différentes.
80
La wadia. — C'est un contrat par lequel sont confiés à un agent des sommes d'argent ou des actifs d'une certaine
valeur, avec la permission donnée par le déposant de les investir. L'agent a l'obligation de restituer l'ensemble du
dépôt à une échéance convenue, et ce sans aucune contrepartie. Il est toutefois possible de verser une part des
profits qui prendrait là encore la forme de don. La wadiaest également utilisée comme mode de refinancement
des banques islamiques sur le marché interbancaire.
81
La zakat. — Il s'agit d'un impôt obligatoire instauré comme étant le cinquième pilier de l'islam. Cet impôt porte
un taux de 2,5 % applicable au patrimoine non productif dès que ce dernier dépasse une certaine limite.
La zakat peut se traduire par aumône ou dîme purificatrice légale. Les sommes ainsi collectées sont destinées
aux plus démunis pour leur permettre de subvenir à leurs besoins. C'est aussi une façon pour les croyants
disposant de ressources au-delà d'un certain seuil de purifier leurs richesses en en redistribuant une partie aux
nécessiteux. Ils ont alors le choix, quand ils traitent avec une banque islamique, de déléguer à celle-ci le
prélèvement à la source et la redistribution de cet impôt selon des modalités explicitement définies.
82
Le waqf. — C'est un instrument permettant d'immobiliser des donations venant des particuliers. Le waqf qualifie
les legs faits du vivant du donateur à des fondations pieuses ou à des œuvres charitables. Les biens ainsi collectés
sont immobilisés et deviennent inaliénables. Leurs revenus continueront à bénéficier à la fondation de manière
perpétuelle.

Les services d'intermédiation payants

83
Les banques islamiques offrent également à leurs clients une panoplie de services d'intermédiation payants. Il
s'agit de services traditionnellement remplis par les institutions financières, à l'instar de la garantie (ou kifala), la
garde (ou amana) ou encore la représentation (ou wakala).

Les institutions de la finance islamique

Les banques islamiques

84
Les banques islamiques sont au centre de l'industrie financière islamique. L'intermédiation financière reste
incontournable dans le développement de l'offre de produits financiers islamique. Al-Jarhi et Iqbal [2001]
définissent la banque islamique comme étant une institution qui reçoit les dépôts et mène toutes les activités
bancaires, à l'exception de l'opération de prêt et d'emprunt avec intérêt.
85

22
Depuis la naissance de la Banque islamique du développement, le secteur n'a cessé de croître et d'attirer de
nouveaux acteurs. Ainsi, à côté des banques islamiques proprement dites, des fenêtres islamiques ont été
ouvertes par des banques internationales conventionnelles.
86
Foncièrement, les métiers de la banque islamique ne diffèrent pas de ceux de la banque conventionnelle. C'est
ainsi que les institutions islamiques se développent suivant les modèles de banques de détail, d'affaires ou encore
de banques universelles.
87
Jouini et Pastré [2008] résument la différence entre banques islamiques et banques conventionnelles en deux
points importants. D'abord, la prise en compte d'une dimension morale dans les décisions financières. Cette
spécificité a pour conséquence de modifier l'organisation interne de la banque, avec notamment la création
d'un sharia board, et d'impliquer un certain nombre d'obligations additionnelles, comme la gestion des fonds
collectés par la zakat. Le second point consiste en la modification, à la suite de l'application du principe de
partage des profits et des pertes, de la relation banque-client telle qu'elle existe dans l'univers de la finance
conventionnelle.

Les compagnies takaful d'assurance islamique

88
La notion takaful peut être traduite comme un « ensemble de personnes qui s'assurent mutuellement » [Jouini et
Pastré, 2008]. Ce modèle d'assurance est fondé sur le principe de l'assistance mutuelle. Les participants mettent
leurs participations volontaires en commun et s'assurent les uns les autres. Le rapport Ernst & Young [2011] sur
le takaful identifie cinq éléments clés distinguant ce modèle d'assurance.
89
La garantie et l'assistance mutuelles. — Les pertes occasionnées par un sinistre sont couvertes par les revenus
d'un fonds créé grâce aux donations des membres d'une compagnie d'assurances takaful. Ces derniers sont à la
fois assureurs et assurés. Ils mutualisent les risques à travers le fonds.
90
Propriété du fonds d'assurance. — Les assurés takaful sont propriétaires du fonds et se partagent les profits et les
pertes.
91
L'absence d'incertitude. — Les donations volontaires n'appellent pas un bénéfice ou un retour sur investissement
prédéterminé.
92
Gestion des fonds. — La plupart des sociétés d'assurances takaful sont gérées selon l'un des
modèles moudharaba ou wakala, ou selon une combinaison des deux.
93
Les contraintes d'investissement. — Les fonds collectés par la compagnie takafuldoivent être gérés et investis en
respectant les principes de la finance islamique.

Les fondations waqf

94
Ce sont des institutions qui collectent et gèrent les dons faits par les particuliers sous forme de waqf. Ces
fondations se chargent de distribuer les ressources pour financer des œuvres charitables et de bienfaisance qui
bénéficient à la communauté. Elles tâchent également de faire fructifier les fonds dont elles disposent car les

23
biens qu'elles collectent sont immobilisés et deviennent inaliénables, et leurs revenus continueront à bénéficier à
la fondation de manière perpétuelle. À travers l'histoire, le waqf a joué un rôle important dans le financement de
l'éducation, de la recherche et de la santé, entre autres.
95
Dans certains pays musulmans comme l'Égypte, le waqf a son administration ou son ministère dédié qui gère les
biens légués et les fait fructifier. En Turquie, une banque spécifique a été créée alors qu'une fondation mondiale
pour le waqfexiste et opère via la Banque islamique du développement.

Les principales instances de la finance islamique

96
Le développement de l'industrie de la finance islamique a été accompagné par la création d'instances
internationales dédiées à ce secteur. Les spécificités de leur activité ont poussé les acteurs à se mobiliser afin de
mettre en place toutes sortes de référentiels améliorant la transparence et facilitant les opérations réalisées par les
différentes institutions financières islamiques. Le Royaume du Bahreïn a joué un rôle central pour propulser
l'organisation du secteur et mettre en place les fondations d'un système harmonisé et régulé. La création depuis
1991 de plusieurs instances sur son territoire consacre le Bahreïn comme un acteur incontournable de l'industrie
financière islamique. Les principales instances sont listées en fonction de leur date de création dans le tableau 3,
et détaillées ci-après.

AAOIFI (Accounting and Auditing Organization for Islamic Financial Institutions)

97
C'est la première instance de la finance islamique créée au Bahreïn en 1991. Face aux spécificités du système
financier islamique, l'objectif de l'AAOIFI est de développer un référentiel de normes contribuant à
l'harmonisation des pratiques du secteur. Cette instance publie et met à jour cinquante-six normes comptables,
d'audit, de gouvernance et charia. Elle joue ainsi un rôle essentiel pour améliorer la clarté et la transparence des
pratiques des institutions financières islamiques.

IIFM (International Islamic Financial Market)

98
Il a été fondé par les banques centrales ou les autorités monétaires du Bahreïn, d'Indonésie, du Soudan, de la
Malaisie, du Brunei et par la Banque islamique du développement. Créé également au Bahreïn, l'IIFM contribue
depuis 2001 au développement d'un marché mondial des capitaux islamiques. Il a pour mission de promouvoir
les flux de commerce et de capitaux dans un cadre réglementé. Ce marché préside à une harmonisation de
certains produits, procédures et documentations.

24
- Tableau 3. Les principales instances de la finance islamique

25
26
CIBAFI (General Council for Islamic Banks and Financial Institutions)

99
Cette institution a vu le jour en 2001 au Bahreïn avec pour objectif la promotion de l'industrie financière
islamique autant sur le plan théorique que pratique. Pour ce faire, elle a pour mission de représenter les
institutions financières islamiques et d'agir pour la protection et le développement de l'industrie. Elle œuvre pour
la compréhension multilatérale entre les institutions financières islamiques et le public. Son action contribue à
améliorer les pratiques, la coopération, le professionnalisme et la transparence des institutions financières
islamiques.

IFSB (Islamic Financial Services Board)

100
C'est en Malaisie qu'a été créé l'IFSB en 2002, avec comme objectif de mettre en place un corpus de normes
prudentielles, de surveillance et de réglementation du système financier islamique. Sa mission consiste donc à
développer un ensemble de standards et de bonnes pratiques qui viendraient en complément des règles de
surveillance dictées par le Comité de Bâle. Depuis sa création, l'IFSB a publié des normes en matière de gestion
des risques, d'adéquation des fonds propres et de gouvernance d'entreprise.

LMC (Liquidity Management Centre)

101
Comme son nom l'indique, cette institution offre depuis 2005 des solutions en matière de gestion de la liquidité
par les institutions financières islamiques ne pouvant accéder au marché interbancaire classique fondé sur le taux
d'intérêt. Le LMC a vu le jour au Bahreïn et a pour ambition de développer un marché interbancaire islamique
actif, avec la création d'un marché secondaire pour les produits de trésorerie à court terme.

IIRA (Islamic International Rating Agency)

102
Il s'agit de l'agence de notation des institutions financières islamiques créée en 2005 au Bahreïn. Ses missions
couvrent la notation de tous les émetteurs, y compris les souverains. Dans ses critères, elle prend également en
compte les qualités charia et de gouvernance. Elle joue notamment un rôle dans la promotion de la transparence
du marché de capitaux islamique, notamment avec la notation qui accompagne l'émission et la cotation
des sukuk.

IICRA (International Islamic Center for Reconciliation and Arbitration)

103
C'est le premier centre de réconciliation et d'arbitrage des contentieux afférant aux contrats financiers islamiques.
Créé à Dubaï en 2005, il intervient depuis sur toutes sortes de différends et de litiges financiers et commerciaux
qui peuvent surgir entre les institutions financières ou commerciales du secteur, ou avec leurs clients ou
partenaires.

27
Notes

[1]
Les références entre crochets renvoient à la bibliographie en fin d’ouvrage.

Plan de l'article

Pour citer cet article


Jouaber-Snoussi Kaouther , La finance islamique, La découverte « Repères », 2012, p. 5-34.
URL : www.cairn.info/la-finance-islamique--9782707169846-page-5.htm.

II. Les caractéristiques des banques islamiques 35-46


1
a banque islamique, avec ses différents métiers, remplit avant tout une fonction d'intermédiation financière.

L
Elle est au centre de l'industrie financière islamique dès lors qu'elle développe et offre des produits, des
instruments et des solutions lui permettant de réaliser les missions qui sont les siennes. Aux contraintes
reconnues au secteur bancaire viennent s'en ajouter de nouvelles, attribuables à la nécessaire prise en compte par
l'institution islamique d'une certaine dimension morale. Il en résulte des caractéristiques spécifiques et un mode
de fonctionnement singulier.

Le conseil de conformité à la charia (sharia board)

2
D'après les standards de l'AAOIFI, chaque banque islamique doit se doter d'un conseil de conformité à la charia,
composé de jurisconsultes et d'experts en finance islamique (sharia scholars) indépendants désignés par
l'assemblée générale des actionnaires de l'établissement.
3
Composé au moins de trois savants, le rôle du sharia board est de valider et de certifier les contrats et les
transactions financières de la banque. Pour ce faire, il est chargé de spécifier les règles de conformité avec les
principes de la jurisprudence islamique et de contrôler leur application. Il doit ainsi procéder à des vérifications
des activités entreprises par la banque, des procédures et de la documentation qui les accompagnent. Il est
également chargé de l'audit charia de la banque et est tenu de publier les résultats de ses investigations. Lors du
lancement de nouveaux produits, ces derniers doivent au préalable obtenir l'aval du comité religieux qui émettra
si nécessaire un avis ou une décision.
4
Le sharia board est donc le garant de la conformité de l'institution financière islamique aux principes moraux
dictés par la jurisprudence islamique. Les jurisconsultes qui composent ces conseils disposent en effet d'une
liberté totale pour fixer le cadre d'action des banques et pour s'assurer de son respect.
5
Leur indépendance, indispensable à la réalisation de cette finalité, est toutefois parfois critiquée. Chaar [2008]
analyse les critères en faveur de cette indépendance et ceux allant à son encontre. Celle-ci serait ainsi favorisée
notamment par une nomination des jurisconsultes directement par les assemblées générales ou par les conseils
d'administration. Elle l'est également grâce à une rémunération indépendante du résultat mais plutôt fonction du

28
nombre d'heures passées par mission. Parallèlement, ces jurisconsultes pourraient se trouver en situation de
conflit d'intérêts car, en représentant les intérêts des clients de la banque, ils peuvent se heurter à ceux des
actionnaires et des conseils d'administration qui les ont nommés. Les convictions spirituelles et le souci de
protéger leur bonne réputation, vertu indispensable dans ce métier, constituent cependant un gage d'impartialité.
6
En outre, la diversité des écoles juridiques peut être à l'origine de divergences dans les avis et interprétations des
différents conseils. Toutefois, cela tend à se résorber par le fait que, par manque d'experts, les ténors de la
profession se retrouvent dans plusieurs conseils et couvrent, par effet de réseau, la plus grande partie du champ.
Cette situation contribue à l'harmonisation des positions et à l'enclenchement d'un processus d'homogénéisation.

La structure du bilan d'une banque islamique

7
Les banques islamiques obéissent aux règles comptables, nationales et internationales applicables à leur secteur
d'activité. Toutefois, et afin de tenir compte de leurs spécificités, l'AAOIFI a développé un système de
comptabilisation adapté, dans lequel de nouvelles rubriques du bilan et du compte du résultat font leur
apparition.

Les ressources : le passif du bilan

8
Les banques islamiques disposent de certaines ressources comparables à celles des banques conventionnelles, et
d'autres qui ne le sont pas (voir tableau 4).
9
Le capital-actions. — Il s'agit du compte de fonds propres réunissant l'apport des actionnaires. Deux principaux
modèles permettent de fonder une banque islamique.
10
Dans le premier, le modèle moudharaba, les actionnaires apportent le capital et ne participent pas à la gestion.
Ce sont des gestionnaires distincts qui se chargent de gérer les opérations courantes de la banque et de prendre
les décisions qui s'imposent. La rémunération des actionnaires et celle des gestionnaires sont négociées selon un
ratio de partage des profits qui implique aussi les déposants.
11
Le second modèle est celui de la moucharaka, dans lequel les actionnaires disposent d'un pouvoir décisionnel et
participent de manière active à la gestion de l'établissement. Leur rémunération est également définie selon un
ratio de partage négocié.
12
Les comptes courants. — Ces dépôts, non rémunérés, revêtent la forme de qard hassan accordé à la banque par
les déposants sans contrepartie. Leur utilisation est laissée à la discrétion de l'établissement bancaire. En
revanche, comme les banques conventionnelles, les banques islamiques doivent garantir les fonds déposés sur
ces comptes. Elles leur affectent donc une partie des fonds propres de l'établissement.
13
En comparaison avec les banques conventionnelles, les dépôts collectés par les banques islamiques sous forme
de comptes courants demeurent faibles, mais stratégiques du point de vue de l'implantation de l'institution sur
son marché. Cette ressource gratuite donne généralement droit aux services traditionnels offerts aux déposants, à
l'instar des cartes de retrait et des chéquiers gratuits.

29
14
Dans la pratique, il est possible de distribuer une rémunération aux détenteurs de ces comptes, à la seule
discrétion de la banque et sans que celle-ci soit exigée par les déposants, auquel cas elle perdrait son caractère
licite.
Tableau 4. Les ressources d'une banque islamique et d'une banque conventionnelle

15
Les comptes d'investissement. — Ce sont des comptes bloqués investis dans des véhicules d'investissement
pouvant être à long terme. Ils représentent la première ressource pour une banque islamique, souvent apportée
par des investisseurs institutionnels ou des clients fortunés. Ils sont plus connus sous le nom de PSIA (profit
sharing investment accounts).
16
Il s'agit de ressources collectées via les techniques de moudharaba et demoucharaka, et pour lesquelles le capital
des déposants n'est pas garanti par la banque. Leur rémunération est variable et provient de la rentabilité réelle
des investissements auxquels se destinent les fonds collectés. La part revenant aux déposants et celle revenant à
la banque sont définies selon un ratio de partage déterminé lors de la signature du contrat.
17
Le risque est par conséquent totalement supporté par les déposants, en théorie du moins. Seul le risque fiduciaire
est imputable à la banque. Dans la pratique, et afin d'offrir une rentabilité suffisante et homogène sur ces

30
comptes, deux types de réserves spéciales sont constitués. Il s'agit des réserves de péréquation des résultats
(profit equalization reserves, ou PER) et des réserves pour risques d'investissement (investment risk reserves, ou
IRR).
18
La banque islamique garantit la traçabilité des fonds et applique les principes de l'investissement islamique dans
la plus grande transparence. Les déposants sont en effet informés des projets financés avec leur argent. En
l'occurrence, ils peuvent, selon le type de compte, intervenir de manière active dans l'affectation de leurs fonds.
Deux types de comptes d'investissement peuvent en effet être mis en place.
19
Les comptes d'investissement restreints donnent la possibilité au déposant d'imposer des restrictions sur
l'utilisation des sommes confiées. Cette particularité oblige la banque à ne pas confondre cet argent avec le reste
de ses ressources et à informer son client en toute transparence de l'ensemble des opérations réalisées.
20
Les comptes d'investissement non restreints laissent à la banque le choix de leur affectation dans le respect des
principes de la finance islamique. Les fonds collectés sur ces comptes sont gérés sans distinction du reste des
ressources de la banque.
21
Le coût de ces ressources pour la banque est variable et dépend de la rentabilité servie aux déposants. C'est là
une différence majeure avec la banque conventionnelle, pour laquelle le coût des comptes d'investissement est
généralement défini d'avance.
22
De manière générale, l'argent collecté sur ces comptes peut être entre autres investi sur les marchés
internationaux de métaux précieux, dans des fonds de matières premières, de leasing ou encore des fonds
immobiliers. La rentabilité dépendra notamment du niveau de risque et du terme défini par le déposant.
23
Les comptes d'épargne. — Ces comptes sont destinés à des placements peu risqués et ayant une échéance
courte. Contrairement aux comptes d'épargne classiques, la rémunération de ces dépôts n'est pas garantie par la
banque islamique et dépend du résultat dégagé par la banque.
24
Dans certains cas, en collectant ces fonds, la banque revêt le rôle d'un agent qui gère les fonds déposés dans le
cadre d'un contrat moudharaba, en contrepartie de frais de gestion et d'une part prédéterminée dans les bénéfices.
Des pertes peuvent alors venir en déduction de la valeur nominale du compte qui n'est pas garantie par la banque.
Les possibilités de retrait sont limitées par la banque en ce qui concerne tant leur montant que leur périodicité.
25
Dans d'autres cas, ces fonds sont mis à la disposition de la banque gratuitement. Leur utilité pour les épargnants
réside dans le fait qu'ils peuvent alors leur ouvrir la voie à des financements gratuits, accordés par la banque sous
forme de qard hassan.
26
Le compte de gestion de la zakat. — Spécifique au système financier islamique, la zakat, cinquième pilier de
l'islam, est un impôt obligatoire à un taux de 2,5 %, applicable au patrimoine non productif dès que celui-ci
dépasse une certaine limite. Le terme zakat peut se traduire par aumône ou dîme purificatrice légale. Les sommes
ainsi collectées doivent être affectées à des utilisations de bienfaisance bien définies. Elles peuvent notamment
être destinées aux plus démunis pour leur permettre de subvenir à leurs besoins. C'est aussi une façon pour les
croyants disposant de ressources au-delà d'un certain seuil de purifier leurs richesses en redistribuant une partie
aux nécessiteux.
27

31
Quand ils traitent avec une banque islamique, les clients et partenaires ont la possibilité de déléguer à celle-ci le
prélèvement à la source et la redistribution de cet impôt selon des modalités explicitement définies. La banque
peut de cette manière collecter la zakat auprès de ses actionnaires, salariés, déposants, ainsi que de toute autre
personne désirant mandater la banque pour la collecte et la redistribution.

Les emplois : l'actif du bilan

28
Grâce à une panoplie d'instruments financiers validés par les conseils de conformité, les banques islamiques sont
à même de proposer quasiment les mêmes services que leurs consœurs du secteur conventionnel. Les fonds
collectés au passif sont ainsi redistribués au niveau de l'actif sur des opérations destinées à financer la
consommation ou à alimenter les investissements.
29
Le financement peut être direct et s'appuyer sur des contrats mourabaha, salam,istisna ou encore ijara. On peut
également mettre en place des financements participatifs sous contrats moucharaka et moudharaba, plus
appropriés pour les investissements dans lesquels la banque acquiert des parts dans les projets financés.
30
Le prêt sans intérêt, qard hassan, peut être accordé par la banque à ses clients en guise de facilité de caisse
gratuite, ou encore à d'autres institutions financières lorsqu'elle traite sur le marché interbancaire.

32
- Tableau 5. Les emplois d'une banque islamique et d'une banque conventionnelle

La structure du bilan d'une banque islamique

31
À la lumière des différences des emplois et des ressources entre les banques islamiques et conventionnelles
mises en évidence plus haut, il est possible de représenter le bilan d'une banque islamique selon la nature des
instruments financiers utilisés (voir tableau 6).
32
Il en ressort trois principaux contrats permettant à l'établissement bancaire de collecter les fonds ; le qard
hassan sur les dépôts exigibles, ainsi que les contrats de moudharaba et de moucharaka alimentant la banque
avec des ressources d'investissement plus stables. À cela s'ajoute l'apport des actionnaires en fonds propres
bancaires.
33
La destination de ces ressources est multiple. Elles peuvent être employées dans des opérations de financement
avec partage des profits et des pertes, où la banque prend des parts dans les actifs financés via des contrats

33
de moudharabaou de moucharaka. Lorsque les financements n'impliquent pas la participation de la banque, ils
doivent impérativement être adossés à des actifs. C'est le cas lorsqu'il s'agit des opérations de mourabaha,
d'ijara, d'istisna ou de salam. Les services bancaires payants constituent également un emploi présent à l'actif de
la banque, lui permettant de percevoir une rémunération sous forme de commissions.
- Tableau 6. Représentation schématique du bilan d'une banque islamique

Le bilan d'une banque islamique dans la pratique

34
La théorie de la finance islamique offre une multitude d'instruments pouvant être utilisés par les banques.
Cependant, les banques sont restées attachées uniquement à quelques-uns au détriment des autres. Ainsi, depuis
les années 1990, les produits de mourabaha semblent dominer l'activité bancaire. C'est d'ailleurs ce que
constatent Chong et Liu [2009] sur les actifs d'un échantillon de banques malaisiennes. Les auteurs vont jusqu'à
conclure qu'il n'existe pas de différence entre les pratiques des banques islamiques et celles des banques
conventionnelles.
35
Dans le même temps, les produits de l'actif bancaire fondés sur le principe de partage des pertes et des profits
restent rares. Certains secteurs semblent aussi privilégiés, en particulier ceux qui se prêtent le plus aux produits à
rémunération fixe, tels que la mourabaha. Pour illustrer ce fait, Warde [2000] donne l'exemple du Soudan, un
pays où la finance islamique ne consacre que 4 % de son financement à l'agriculture, alors que celle-ci occupe
une place dominante et dédie l'essentiel de celui-ci aux activités d'import-export.
36
En plus du faible nombre de travaux théoriques dédiés aux autres instruments, plusieurs raisons peuvent
expliquer les tendances observées dans la pratique. La plus importante est relative à l'exposition au risque des
banques islamiques. Aux risques habituels rattachés à toute activité bancaire s'ajoutent en effet des risques

34
spécifiques à ce secteur et aux contrats proposés par les banques islamiques de manière générale. Le chapitre
suivant reviendra sur tous ces risques.
37
En particulier, les contrats de financement qui reposent sur le principe de partage des pertes et des profits sont à
l'origine de risques importants pour la banque du moment, car c'est elle qui, en tant que financeur, supporte le
risque de perte. La littérature met en avant le fort risque d'aléa moral et de sélection adverse comme principale
entrave au développement de ce type de produits (voir encadré 4). Les banques se trouvent souvent démunies
devant ces risques, car elles n'ont qu'un faible droit de contrôle et d'interférence dans les décisions de
l'entrepreneur, risques auxquels il faudrait ajouter les coûts résultant dumonitoring. Le résultat est une
convergence dans les pratiques avec la finance conventionnelle.

La rentabilité des banques islamiques

38
La formation du résultat de la banque islamique. — Les revenus d'une banque proviennent essentiellement de
ses produits d'exploitation et hors exploitation. La banque perçoit ainsi une rémunération sur les opérations de
financement, d'investissement et de placement. Évidemment, il n'est pas question pour l'établissement islamique
de percevoir des intérêts.
39
Les revenus d'une banque islamique, comme l'indique la figure 1, peuvent avoir quatre sources principales. La
banque perçoit en premier lieu des marges commerciales sur certaines opérations d'achat et de revente, comme
lamourabaha et le salam. Il s'agit de la différence entre les prix d'achat et de revente des biens sous-jacents.
Cette marge commerciale est spécifique aux banques islamiques, alors qu'il est rare d'en trouver parmi les
produits d'une banque conventionnelle.
40
Le profit réalisé sur les opérations de participation dans des contrats moudharabaet moucharaka, et perçu sous
forme de dividendes constitue la deuxième source de revenu. La part de la banque dans les résultats réalisés par
les partenaires financés est dictée par les ratios de partage négociés au préalable. Ces revenus déterminent la part
du résultat distribuable par la suite aux déposants dans les comptes de partage des profits et des pertes en
fonction du ratio de partage contracté avec la banque lors de la constitution des dépôts. C'est la raison pour
laquelle ils doivent être clairement identifiés et séparés du reste des produits de la banque et faire l'objet d'un état
financier distinct et détaillé.
41
Les deux dernières sources de revenu pour la banque sont semblables dans la forme à ce que peut percevoir une
banque conventionnelle, à savoir des commissions sur les différents services payants de la banque et les plus-
values réalisées lors de la revente, notamment d'actifs financiers et de parts.
42
La distribution du résultat. — Tout le revenu brut réalisé par la banque n'est pas totalement distribuable sous
forme de rémunération aux déposants. En effet, la banque doit d'abord déduire ses charges et ses dépenses
directes. Elle conserve ensuite les revenus issus des opérations commerciales qu'elle réalise et sur lesquels elle
perçoit des marges.
43
En outre, la banque ponctionne des provisions et des réserves rendues nécessaires étant donné le caractère
participatif de ses opérations. La rentabilité de ces contrats n'étant pas garantie, elle est dans l'obligation de
constituer des provisions pour faire face aux pertes potentielles sur les opérations d'investissement et de
35
financement qu'elle accorde. De la même manière, la rémunération pouvant être distribuée aux déposants dans le
cadre des comptes de partage des profits et des pertes est corrélée à celle réalisée lors de l'utilisation de ces fonds
par la banque. Cette corrélation est à l'origine d'une volatilité des revenus pouvant être distribués aux déposants.
Afin de lisser ces revenus, la banque constitue des réserves de péréquation des résultats (profit equalization
reserves, ou PER).

36
- Figure 1. Formation et distribution du résultat de la banque islamique

44

37
Après déduction de ces éléments, le résultat obtenu est distribué aux déposants selon deux affectations possibles.
Une part est partagée avec les clients ayant confié leurs fonds à la banque dans le cadre des comptes de partage
des profits et des pertes, les comptes PSIA (profit sharing investment accounts). La répartition de ce résultat se
fait par application du ratio de partage défini lors de la signature du contrat avec le client. Il en résulte une
somme variable qui ne fait l'objet d'aucune garantie de la part de la banque. C'est la raison pour laquelle la
banque utilise un compte de réserves pour risques d'investissement (investment risks reserves, ou IRR) qu'elle
alimente à partir des revenus distribuables aux déposants quand ils sont abondants, ou dans lequel elle puise pour
combler un déficit de revenu. Il faut aussi noter que, en plus de sa part dans les profits réalisés, la banque retient
également les frais qui rémunèrent sa gestion de ces comptes et celle des investissements qu'elle finance grâce à
eux. Cette rémunération est définie de manière contractuelle dans un contrat de moudharaba passé avec les
déposants.
45
Ensuite, la banque peut décider de rémunérer les comptes d'épargne, en principe non rémunérés. Cela peut se
faire seulement après l'obtention d'une autorisation de l'autorité religieuse permettant aux déposants de percevoir
une rétribution sur leurs dépôts. Celle-ci sera alors considérée comme un don que fait la banque au profit de ses
clients.
46
La zakat et la purification des revenus. — Lorsqu'ils traitent avec une banque islamique, les déposants et les
tiers ont la possibilité de déléguer à celle-ci le prélèvement à la source de la zakat qu'ils doivent à la société et la
redistribution de cet impôt selon des modalités explicitement définies.
47
Les banques islamiques mettent également en place des dispositifs dits de purification. Faisant partie intégrante
d'une économie mondiale de laquelle elles ne sont pas déconnectées, elles peuvent s'engager dans des opérations
comportant des aspects non conformes au droit musulman sans lesquels la viabilité d'un projet serait
compromise. L'un des exemples est celui du financement d'un hôtel qui, pour sa survie, se trouverait obligé de
vendre des boissons alcoolisées. La purification se traduit alors par une compensation au travers du financement
d'initiatives visant à promouvoir des valeurs morales (la lutte contre l'alcoolisme par exemple).

Plan de l'article

Jouaber-Snoussi Kaouther , La finance islamique, La découverte « Repères », 2012, p. 35-46.


URL : www.cairn.info/la-finance-islamique--9782707169846-page-35.htm.

III / Les risques dans la banque islamique


La banque est souvent présentée comme un portefeuille de risques. La banque islamique ne
fait pas exception face à cette conception. De manière générale, le risque provient de l’impact
adverse sur le résultat que pourrait avoir un événement ou une action interne ou externe à la
banque. Cet impact adverse pour­rait se présenter sous la forme d’un moindre profit, voire
d’une perte, ou de contraintes entravant la banque dans la réalisation de ses objectifs. La
banque islamique est confrontée à une panoplie de risques communs à l’ensemble du secteur
bancaire. Elle fait de plus face à quantité de risques qui lui sont propres et qui sont inhérents à
son caractère islamique. La figure 2 présente les risques auxquels est confrontée la banque
islamique. Elle est construite à partir de la représentation du risque bancaire par Van Greuning
et Brajovic Bratanovic [2004], à laquelle nous avons ajouté les risques spécifiques aux
banques islamiques. En général, les risques bancaires se classent dans quatre caté-gories : les
risques financiers, les risques opérationnels, les risques d’exploitation et les risques
38
accidentels.À ces risques s’ajoutent pour la banque islamique des risques qui lui sont
spécifiques. Comment la banque islamique vit-elle les principaux risques liés à l’activité
bancaire de manière générale ? Quelle est son exposition aux risques qui lui sont propres

Figure 2. Les risques dans la banque islamique

EXPOSITION AUX RISQUES BANCAIRES

Risques
spécifiques aux
Risques Risques Risques Risques banques
financiers opérationnels d'exploitation accidentels islamiques

Structure de Fraude Politique Risque de


bilan interne macroéconomique Politique référence

Struct/rentabilité Risque
du compte de Fraude Infrastructure d'investissement
résultat externe financière Contagion spécifique
Risques en
mat d'emploi Risque
Adéquation de et scurité du Infrastructure Crise commercial
fonds propres lieu de travail légale bancaire translaté
Clients,
produits et Autres
service Responsabilité riques
Crédit d'affaires civile exogènes Risque religieux
Dégradation
des actifs Respect de la
Illiquidité physiques réglementation
Interrupt
d'activité et
défaill du Réputation et
système (risq rique
Taux technologiq) fiduciaire
Exécution,
livraion et
gestion du
Change processus Risque pays
Prix

Les établissements islamiques face aux risques bancaires


Le risque de crédit
Le risque de crédit est aussi souvent qualifié de risque de contrepartie ou de signature. C’est
l’un des risques les plus importants pour une institution bancaire dont la mission prin-cipale
39
est l’intermédiation. Il provient de la probabilité de retard, de délai ou de défaut de paiement
d’une contrepartie sur laquelle est détenu une créance ou encore un engagement hors bilan
assimilable à une créance. Plusieurs contrats islamiques sont touchés par le risque de crédit, et
ce à plusieurs stades de leur exécution. De manière générale, la banque islamique s’expose au
risque de crédit dans tous les contrats stipulant un paiement échelonné, tels que les « contrats
mourabaha, salam et istisna, ou encore sur les loyers dans un contrat ijara. Ce risque est
également présent lorsqu’il s’agit de la livraison d’actifs sous-jacents à différents contrats. Par
exemple, dans la première phase d’un contrat mourabaha, la banque s’expose à un risque de
contrepartie sur la livraison du bien acquis pour le compte de son client. Une fois le bien
acheté, elle s’expose au risque que le bénéficiaire du contrat ne le reprenne pas. Dans la
dernière phase du contrat mourabaha, le bien est revendu avec échelonnementdu paiement.
Un risque de crédit estalors perceptibleàce stadeetexposelabanqueàla probabilitéde défaillance
de sa contrepartie. La concentration de la clientèle des banques islamiques pour-rait
contribuer à l’exacerbation du risque de crédit. Les finance-ments et les services bancaires de
manière générale sont souvent concentrés sur un secteur d’activité ou sur une population en
particulier.
Les risques de marché : taux, change et prix
Les risques de marché englobent à la fois les risques de taux d’intérêt, de change, du prix des
matières premières et du prix ou de la valeur des actions. Ils naissent de la probabilité de perte
à la suite de mouvements défavorables des taux d’intérêt, des taux de change, des prix des
matières premières et des valeurs des actions. La détention de portefeuille pour
sonproprecomptese répand au sein des banques de manière générale. Elle est incon-tournable
dans les banques islamiques, étant donné la nécessité d’adossement à un actif tangible dictée
par la nature des opéra-tions réalisées. Cette spécificité a pour effet d’augmenter la part des
produits de marché au détriment des marges d’intermédia-tion classiques. Le risque de taux,
plutôt central dans les banques de manière générale, revêt un caractère différent au sein des
banques isla­miques. En effet, le recours au taux d’intérêt et aux produits de taux étant
prohibé et remplacé par une marge commerciale fixe, ou encore par un partage des profits et
des pertes, les opérations financières islamiques sont théoriquement exclues du champ des
expositions à ce risque. En réalité, le risque de taux prend une forme différente car, si le taux
d’intérêt n’est pas pratiqué par les banques islamiques, celles-ciy recourent comme référence
pour définir leurs marges. Le risque de référence sera abordé plus loin. Le risque de change
apparaît lorsqu’une partie des revenus ou des avoirs et engagements de la banque sont libellés
en devise étrangère. Tous les contrats financiers islamiques sont potentiel-lement exposés aux
variations des taux de change, dès lors qu’ils sont libellés en devise étrangère. Le risque de
prix des actions concerne la valorisation par les marchés des actifs détenus par la banque. Une
perte pourrait être enregistrée par la banque en cas de dépréciation de la valeur de ses
investissements. Ce risque est souvent présent lorsque la banque tient le rôle d’actionnaire ou
de capital-risqueur, comme c’est le cas dans les contrats de moudharaba et de moucharaka. Le
risque de prix des matières premières affecte la valeur et les flux financiers portant sur des
matières premières, notamment les contrats mourabaha, salam et istisna. Les risques de
marché sont présents dans tous les contrats isla-miques dont les sous-jacents ont une valeur
volatile. C’est le cas des contrats mourabaha pouvant porter sur différents produits et matières
premières, parfois libellés en devise étrangère. C’est aussi le cas des contrats ijara portant sur
un bien propriété de la banque, dont la valeur de marché est variable et sur lequel un loyer est
exigé. Le tableau 7 présente une matrice des risques de marché sur les principaux contrats
islamiques. Tableau 7. Matrice des risques de marché
sur les principaux contrats islamiques

40
de prix des risque de
Risque/ taux de matières risque de prix des
Contrat rentabilité premières change actions
Mourabaha X X X X
Ijara X X
Salam X X X
Istisna X X X
Moudharaba X
Moucharaka X X

Source : Mrad [2010].

Le risque d’illiquidité
« La nature même de l’activité bancaire, qui consiste à trans­former des dépôts à court terme
en des financements à long terme, l’expose à un risque d’illiquidité. À cause de ce décalage
dans les échéances entre les emplois et les ressources, la banque peut se retrouver dans
l’incapacité de rembourser des dettes à court terme alors que les actifs qu’elle détient sont à
plus long terme. Le risque d’illiquidité peut découler de trois situations différentes. Il peut
d’abord s’agir d’un risque intrinsèque lié à la structure du bilan, un déséquilibre entre les
échéances des actifs et celles du passif. La banque peut ainsi subir les échéances sur certaines
composantes de son bilan sans avoir la possibilité d’intervenir, comme c’est le cas des dépôts
des clients et des crédits qui leur sont accordés. Elle choisit dans d’autres cas des échéances
plus ou moins longues et ce dans un souci de rentabilité qui se traduit par la recherchede
ressourcesà faibles coûtsou par l’allongement de la durée des placements. Sur un deuxième
plan, l’établissement bancaire peut être confronté à des difficultés à assurer ses missions dès
lors que la confiance que lui prêtent les agents économiques est ébranlée. Le risque
d’illiquidité dépend en effet de l’attitude des agents économiquesà l’égard de la banque.
Celle-ci détermine les conditions pour la collecte des ressources et la distribution des
financements. Une perte de confiance peut être à l’origine de difficultés majeures pour
l’établissement, notammentd’un retrait massif. Ce risque est d’autant plus présent qu’une
certaine catégorie de déposants courent le risque de perdre leurs avoirs, car leurs fonds
peuvent ne pas être couverts par le système de garantie des dépôts en vigueur, et ce en raison
de leur nature au moins partiellement associative. Les agences de notation jouent un rôle
déterminant sur ce plan car elles permettent d’assurer une visibilité sur le marché. En outre,
les autorités de surveillance, en imposant des ratios de solvabilité et en mettant en placeun
suivi régulier, peuvent contribuerà dissiper les rumeurs et à rétablir la confiance. Enfin, la
liquidité de la banque peut être étroitement liée à la liquidité des marchés financiers de
manière générale, sur lesquels sont revendus les titres financiers détenus dans le bilan. Il peut
ainsi être difficile de revendre les actifs financiers dans un « délairaisonnableetsanssubir
unedécotesubstantielle surle prix de revente. Les circonstances dans lesquelles ces opéra-tions
de marché peuvent être réalisées ont un impact direct sur la liquidité du bilan bancaire. Le
risque d’illiquidité est particulièrement présent dans les banques islamiques. En effet, le degré
d’exposition à ce risque est lié à la concentration des dépôts provenant d’un groupe
rela-tivement homogène de clients, agissant souvent de concert. En outre, les emprunts à
intérêts étant prohibés, il n’est pas possible pour les banques de se refinancer sur le marché

41
monétaire conventionnel. En l’absence d’un marché monétaire dédié, hormis en Malaisie, les
problématiques de liquidité prennent rapidement de l’ampleur. Ce risque est aussi lié à la
difficulté pour certains établissements d’accéder au refinancement de la banque centrale. En
outre, les produits de la banque islamique l’amènent souvent à investir dans des actifs réels,
assez éloignés du métier classique de la banque. C’est ainsi le cas des instru­ments istisna,
ijara, moucharaka ou encore moudharaba. Quand la banque finance un projet via l’un de ses
produits, elle se trouve propriétaire des actifs financés. Ces pratiques contribuent à déformer
le bilan bancaire pour le rapprocher de celui d’une entreprise qui investit en actifs
immobilisés, d’autant plus à long terme. Le risque opérationnel Il est défini par le comité de
Bâle comme étant le « risque de pertes directes ou indirectes d’une inadéquation ou d’une
défail-lance attribuable à des procédures, personnels, systèmes internes ou événements
extérieurs ». Cette définition regroupe plusieurs volets. Le premier est celui des risques
inhérents aux personnes et aux relations entre les personnes. Il s’agit des pertes pouvant être
causées, de manière intentionnelle ou pas, par les collaborateurs ou par les relations avec les
tiers clients, actionnaires ou autres. Ce volet englobe aussi le risque juridique lié aux sanctions
régle-mentairesde certains actes et agissementsde cet ordre. Les risques inhérents aux
procédures constituent un deuxième volet du risque opérationnel. Ils existent dès que la
continuité de trai-tement des opérations et des dossiers est menacée par une défail-lance des
processus de l’institution. Ils sont aussi liés aux outils « de travail nécessaires à la bonne tenue
des opérations. Le troi-sième volet est celui des risques inhérents aux systèmes, notam-ment à
la suite de problèmes d’ordre technique ou touchant à l’infrastructure, comme le stockage des
données. Les risques inhérentsaux tiersrecouvrentles conséquences dues à des éléments
extérieurs, tels que la fraude externe, la dégradation des actifs physiques ou encore les
changements de la réglementation. La banque islamique est exposée au risque opérationnel
autant que les banques conventionnelles.Toutefois, étant donné la jeunesse de l’industrie
financière islamique, le risque opérationnel se manifeste aussi par le manque de personnel
compétent et qualifié pour travailler dans ce domaine. Les compétences requises sont assez
spécifiques et doivent réunir à la fois des qualifications dans les disciplines classiques
requises en banque (finance, droit…) et des connaissances assez pointues en jurisprudence
commerciale islamique (fiqh al-mouamalat). De même, le manque d’outils informatiques sur
le marché corres-pondant aux critères de la finance islamique renforce le risque opérationnel
pour ces institutions. Les spécificités des contrats financiers islamiques n’aidant pas, les
banques islamiques ont tendance à manquer de flexibilité et à se caractériser par une lourdeur
dans les procédures menant à l’exécution des contrats. Ainsi, le risque opérationnel est un
élément incontournable de la gestion des risques en banque islamique. Le risque de référence
ou de taux de rentabilité Les fluctuations des taux d’intérêt peuvent être à l’origine d’un
risque pour les institutions financières islamiques alors même que la riba, pratique du taux
d’intérêt, est prohibée sur toutes les opérations qu’elles sont amenées à réaliser. En effet, à
défaut de taux de marché spécifiques aux contrats isla­miques, les taux d’intérêt servent de
référence pour définir le taux de rentabilité exigé sur différentes opérations bancaires. Le
recours au taux d’intérêt comme taux de référence dans ce cas est justifié sur le plan de la
doctrine musulmane par la « néces­sité » (dharura), car, en l’absence de benchmark islamique,
l’utili-sation du taux d’intérêt semble incontournable. Les variations constatées sur les taux de
référence ont inévitablement un effet direct sur les performances et les gains des banques.
« l apparaît donc que la performance est souvent mesurée par rapport aux benchmarks
conventionnels.Par conséquent, une variation des taux d’intérêt sur le marché peut être à
l’origine d’une perte ou d’un coût d’opportunité pour la banque isla­mique. C’est par exemple
le cas dans les opérations de moura­baha lorsqu’il est ainsi souvent fait référence au Libor
(London Inter Bank Offer Rate) additionné d’une prime de risque pour fixer, ex ante et pour
toute la durée du contrat, la marge bénéfi-ciaire de la banque. Les variations ultérieures du

42
taux de réfé­rencepeuvent parconséquentêtreàl’originedepertes, mais probablement aussi de
gains, pour la banque. Bien que réel, ce risque semble toutefois être atténué dans la mesure où
il ne concerne pas directementles opérations de partage des profits et des pertes. Pour le reste,
les banques isla-miques ont tendanceà privilégierdes opérationsà courte échéance telles que
les mourabaha. Dans d’autres cas, elles ont la possibilité d’insérer dans les contrats des
clauses permettant une indexation régulière des prix, comme dans les contrats ijara par
exemple. En outre, face à la pénurie de modèles d’évaluation spéci-fiques, les instruments et
les produits financiers islamiques sont souvent évalués en recourant aux formules et modèles
conven­tionnels faisant appel aux taux d’intérêt du marché. C’est le cas des contrats istisna et
des contrats salam, pour lesquels une évaluation des actifssous-jacentsest nécessaire.Ilen est
de même lors de l’évaluation des sukuk et de leur niveau de risque. Celle-ci repose surles
méthodologies classiques en finance, nécessitant le recoursau tauxdu marché du momentpour
l’actualisation des flux futurs. Le choix de cette référence déter-mine inévitablement le niveau
de profit ou de perte lors de la revente de l’actif à l’échéance du contrat. Pour remédier à cette
nécessité récurrente de recourir au taux d’intérêt du marché en guise de référence, certains
acteurs de l’industrie financière islamique commencent à avancer l’idée d’indices de référence
islamiques permettant le calcul des taux de rentabilité des opérations en question et à en
proposer. Le risque juridique Il s’agit d’un risque d’exploitation pour la banque. Les facteurs
juridiques et réglementaires participent à définir l’environnement « dans lequel évolue une
institution financière et participent par conséquent à bâtir ses conditions d’exploitation. Ce
risque est d’autant plus présent au sein de la banque isla­mique que les produits qu’elle
propose sont particulièrement spécifiques et lui sont propres. Ils nécessitent l’établissement de
contrats juridiques très pointus. Se pose alors la question de la documentation de ces contrats,
de leur mise en application et de leur compatibilitéavecles législations nationalesoù est
implantée la banque. Plusieurs facteurs peuvent être à l’origine d’un risque juri­dique pour la
banque islamique. Celle-ci étant avant tout une institution financière, elle doit de ce fait
respecter la réglemen-tation en vigueur pour exercer son activité. Or, dans certains centres
financiers où les banques islamiques et convention-nelles cohabitent, le cadre légal et
réglementaire peut ne pas être adapté. Dans ces conditions, un conflit peut subsister entre les
exigences réglementaires islamiques et conventionnelles. Chaque banque appréhende les
diverses contraintes réglemen-taires auxquelles elle est confrontée selon sa propre perception
des lois et selon ses besoins et ses intérêts. Concrètement,le risquejuridique se matérialise par
le manque d’uniformisation des contrats correspondant aux diffé­rents produits. L’existence
de cadres juridiques hétérogènes ne facilite pas la résolution des conflits potentiels et vient
exacerber les risques juridiques inhérents aux engagements contractuels des banques
islamiques.

Les risques spécifiques aux banques islamiques


Le risque religieux ou de non-conformité
Les écoles de pensée musulmanes se rejoignent dans l’inter-prétation de la plupart des textes
religieux et dans la promulga-tion de la quasi-majorité des opinions juridiques. Cependant, il
n’est pas exclu que certaines d’entre elles émettent un avis différent concernant un même
questionnement juridique ou qu’elles produisent des décisions divergentes. Ces situations sont
rares mais peuvent, quand elles se produisent, entraver par exemple le lancement d’un produit
par une institution finan-cière islamique.
En effet, la place de plus en plus croissante laissée à l’ijtihad permet une perception
différente des problématiques nouvelles que pose la finance islamique ainsi qu’une certaine
flexibilité dans la conception contemporaine du droit musulman. Il naît alors un risque de
divergence d’interprétation entre les écoles de pensée et par ricochet entre les membres du
comité de conformité à la charia de la banque. Une difficulté à atteindre un compromis au sein

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du sharia board met la banque isla-mique face à un risque de divergence des interprétations du
droit musulman concernant les produits et les contrats qu’elle conçoit. L’exemple du
tawarruq, admis par les banques malai-siennes mais refusé dans la plupart des autres places
financières islamiques, illustre bien une telle situation. Le risque religieux se manifeste
également par une possibilité de disqualification ex post par une autorité religieuse de
transac-tions considérées a priori comme islamiques. Ce risque, redouté par les institutions
financières islamiques, est difficile à circons­crire en l’absence de normes religieuses
intégralement et univer­sellement reconnues. Il se concrétise par son impact sur l’image de la
banque isla-mique et sur sa crédibilité auprès de ses clients sensibles à la preuve religieuse
opposée à toute opération financière. Une fois sa crédibilité entamée, l’institution islamique
court le risque d’un retrait massif la privant de ses principales ressources. Cela l’expose
également à une non-acceptation de ses produits par les autres institutions financières
islamiques avec lesquelles elle est amenée à traiter. Ainsi, certains sukuk, destinés aux
marchés financiers dans leur ensemble, n’ont pas rencontré le succès attendu à cause de la
réputation et du manque de crédibilité de l’émetteur. Ce risque est toutefois atténué grâce à la
mixité des sharia boards et à l’ouverture de leurs membres à la pluralité des écoles. Le
dialogue qui en résulte et la répétition de celui-ci sont propices au rapprochement des
opinions et à l’émergence des compromis. De même, le recours à des services extérieurs
proposés par certains organismes de conseil charia opère pour une normalisation dans ce
domaine. Certaines voix s’élèvent aussi pour appeler à la création d’une structure universelle
chargée de la promulgation des normes portant sur les avis et les décisions en matière de droit
musulman. D’aucuns proposent l’instauration d’un organisme de coordination et de dialogue
« des banques de la place, une sorte de Banque de règlements internationaux islamique, tout
en accordant moins de poids aux sharia boards implantés au sein même de chaque banque
islamique.
Le risque d’investissement spécifique
Pour remplir leur mission dans le cadre du respect des exigences du droit musulman, les
banques se retrouvent à assurer des métiers qui ne sont pas classiquement reconnus à ce
secteur. Le financement de l’activité économique nécessite de leur part une implication
différente de celle d’une banque classique. Cette situation les expose à des risques nouveaux,
habituellement réservés auxactionnaires et auxsociétés de capital-risque plutôt qu’aux
détenteurs de titres de dette. Par exemple, financer des projets selon le principe du partage des
profits et des pertes place les banques islamiques dans un rôle de partenaire-actionnaire plutôt
que dans un rôle de prêteur conventionnel. L’institution financière est propriétaire des actifs
du projet à hauteur de son financement. Elle n’a cependant pas forcement les compétences et
l’expertise nécessaires pour gérer des affaires, qui plus est pouvant toucher à des domaines
divers et variés. Elle est souvent amenée à mandater l’entrepreneur pour la gérance du projet
qu’elle finance. Outre l’exposition de la banque aux aléas de la rentabilité économique du
projet, qu’elle subira en cas de perte, elle doit faire face à des risques liés à la sélection des
candidats au financement, notamment des problèmesd’agencesuscitéspar l’asymétrie
d’information (sélection contraire et aléa moral). Ces situations nécessitent un suivi et un
monitoring spécifiques et coûteux pour la banque. De plus, le banquier doit négocier dans
chaque contrat un ratio de partage des profits et des pertes avec ses partenaires dans le projet.
Ces risques spécifiques existent aussi dans d’autres contrats islamiques, tel que l’ijara, où la
banque finance l’achat sur le marché de produits spécifiés avant de les louer au destinataire
final. Elle se retrouve ainsi à investir dans ces produits qui deviennent sa propriété et qu’elle
doit gérer et entretenir afin qu’ils ne perdent pas de la valeur avec l’usure opérée par le client
locataire. Un exemple qui pourrait illustrer cette situation est celuid’une banque saoudienne
qui, là où une banque « conventionnelle aurait accordé un crédit auto et aurait fixé son taux
d’intérêt, finance les voitures de ses clients sous contrat ijara. Au final, elle se retrouve

44
propriétaire d’un parc automobile au sein de ses immobilisations. Cependant, face à
l’insolvabi-lité de certains de ses clients, la revente de ces biens ne peut se faire qu’avec une
large décote, faute d’entretien des voitures louées. En effet, le personnel de la banque venant
essentielle­ment du secteur conventionnel, il n’a pas anticipé ce type de risque
d’investissement spécifique et n’a pas su le prévenir.
Le risque commercial translaté
Les produits offerts par les banques islamiques à leurs dépo-sants ont la particularité de ne
pas proposer de rémunération connue à l’avance sous la forme d’un taux d’intérêt, comme
c’est le cas dans les banques conventionnelles. La rémunéra­tion, quand elle existe, est définie
selon le principe de partage des profits et des pertes, sans que l’institution financière soit
capable d’annoncer à l’avance quel sera son niveau. Cette parti­cularité expose les déposants
à un risque de volatilité du taux de rentabilité de leurs placements, celui-ci étant corrélé à la
renta-bilité des projets sous-jacents financés par la banque par l’apport des épargnants. La
banque s’expose alors à un risque de retrait massif des dépôts lorsque la rentabilité réalisée
n’est pas satisfaisante en comparaison des taux du marché. En pratique et afin de réduire la
volatilité sur les dépôts, les banques islamiques s’efforcent de lisser la rentabilité dans le
temps. Dans certaines situations où le taux de rentabilité est faible, l’institution financière
devra effectuer un transfert des bénéfices des actionnaires pour rémunérer les déposants et
ainsi éviter des situations de crise de liquidité. Le risque s’en trouve alors translaté des
déposants vers les actionnaires. Le risque commercial translaté naît alors du fait que la banque
islamique, par crainte d’une crise de liquidité et pressée par la concurrence en matière de
placement en provenance notam­ment des banques conventionnelles, s’efforce d’offrir des
taux de rentabilité compétitifs à ses déposants, au détriment de ses actionnaires dont les
bénéfices seront ponctionnés. Hassoune [2010] identifie quatre mécanismes à la disposition
de la banque, permettant de pallier un taux de rentabilité faible à distribuer aux déposants et
par là même de se prémunir contre « le risque commercial translaté. Ainsi, à chaque fois
qu’elle prévoit des pertes potentielles, la banque constitue des réserves pour risques
d’investissement(investment risk reserves, ou IRR). Lorsqu’elle doit faire face à des pertes
inattendues, la banque islamique a la possibilité de constituer des réserves de péréquation des
résultats (profit equalization reserves, ou PER). Elle peut également décider d’abandonner sa
commission de gestion au profit des déposants. Dans les cas extrêmes, elle mobilisera une
part des fonds propres, et ainsi le risque commercial translaté se concrétisera.

Les banques islamiques sont-elles confrontées à plus de risques que les banques
conventionnelles ?
Les préoccupations d’ordre éthique sont le moteur de la finance islamique. C’est grâce à la
mise en avant de ses prin-cipes éthiques que cette industrie bancaire échappe à un certain
nombre de risques souvent présents dans la finance convention-nelle. Parallèlement, un
ensemble de facteurs viennent exacerber le niveau d’exposition aux risques
traditionnelle­ment rattachés à l’activité d’intermédiation. Àcela s’ajoutent les risques
spécifiques qui naissent de la mise en œuvre des opéra­tions financières islamiques.
Des risques en moins
Les principes de la finance islamique mettent cette dernière à l’abri de certaines dérives que
peut connaître un système financier conventionnel. Ainsi, dans la mesure où certains types
d’opérations, en particulier spéculatives, sont exclus, la finance islamique peut être présentée
comme moins exposée à certains risques. La panoplie des expositions auxquelles la finance
islamique est confrontée est plus réduite grâce à plusieurs facteurs. D’abord, en plus des
critères financiers, les investisseurs appliquant les préceptes de la doctrine musulmane
attachent beaucoup d’importance aux critères extra financiers. Ces derniers se traduisent en
particulier par l’exclusion du champ des investissements possibles de certains secteurs

45
économiques, tels que les industries du jeu, du tabac, de l’armement ou encore de l’alcool,
ainsi que des entreprises à fort levier d’endettement.
« L’interdiction de la spéculation comme principe sous-jacent de la finance islamique vient
également réduire l’exposition de cette industrie aux risques du marché. C’est par application
de ce principe que l’investissement doit se faire dans la durée et sur des actifs tangibles,
garantissant ainsi la traçabilité des flux financiers. De même sont exclues les ventes à
découvert et les opérations sur les produits dérivés, qui peuvent dévier de l’objectif originel de
couverture vers des positions spéculatives. Par extension, la généralisation des principes de la
finance islamique milite pour une réduction du risque systémique. Certains observateurs
soutiennent l’idée que, en appliquant la finance islamique, le monde n’aurait pas connu de
crise des subprimes (voir par exemple l’éditorial du 11 septembre 2008 sur Challenges.fr).
Ces titres n’auraient pas pu être conçus car, en plus d’être porteurs d’intérêt, ils sont fortement
spéculatifs et ne se prêtent pas aux exigences de traçabilité. Un système financier où le taux
d’intérêt n’est pas central et qui est fondé sur le partage des risques n’est d’ailleurs pas
l’apanage de la théorie financière islamique. Des solutions adop-tant ce schéma ont par le
passé été proposées dans l’objectif d’assurer la stabilité du système financier, notamment en
temps de crise. Khan [1976] démontre la proximité entre la finance islamique et le modèle
économique proposé par Metzler en 1951, dans lequel les contrats seraient adossés à des actifs
plutôt qu’à des dettes. L’auteur assure même que des variantes d’un tel système apparaissaient
déjà dans les écrits de Fisher en 1945, Simons en 1948 ou encore Friedman en 1969. En effet,
les théories et modèles développés par ces auteurs visaient à conce-voir un système financier
stable et résistant à certains chocs. Après la crise financière de 2008, certains auteurs ont
proposé des solutions qui s’appuient sur un système de rémunération exempted’intérêt et
prônantle partage des risques pour prévenir des crises financières semblables à celle des
subprimes de 2008. Le rapport Dodd-Frank du 2 décembre2009 par exemple suggère
l’émission d’obligations convertibles en actions dès la réalisation d’un risque systémique.
Ainsi, l’obligataire deviendrait actionnaire afin de partager le risque auquel est confronté
l’émetteur. De manière analogue, Kamstra et Shiller [2009] recommandent au gouvernement
américainde se financer via les trills, une nouvelle classe de titres dont la parti-cularité serait
leur rémunération décorrélée des taux d’intérêt et « égale à un trillionnième du PIB américain.
Avec une maturité longue, idéalement perpétuelle, les trills ont des caractéristiques permettant
un partage du risque aussi bien intergénérationnel qu’international. Même si elles n’ont pas
été épargnéespar la crisedes subprimes , les institutions financières islamiquesont été touchées
bien après et dans des proportions moindres que les établissements conventionnels.L’effet de
la crisea été différé jusqu’au moment où la sphère réelle, visée de prédilection des flux
financiers islamiques, a été entraînée. Les principales raisonsde la relative résiliencedu
système islamique sont l’absence d’opérations purement spéculatives et des produits porteurs
d’intérêt, encore moins des subprimes, la traçabilité des opérations adossées à des actifs
tangibles et le filtrage isla-mique, en plus des vertus des produits de partage des risques. Les
conséquences ont également été moindres car le système n’a pas connu de faillite similaire au
système conventionnel. Son lien étroit avec l’économie réelle ne l’a pourtant pas
complète­ment mis à l’abri. On a toutefois observé une diminution de l’émission de sukuk
ainsi qu’une baisse des cours des fonds d’investissement.
Des garanties naturelles
L’obligation d’adossementde toute opération à des actifs tangibles confère souvent à la
banque islamique la qualité d’un marchand de biens. Pour ses opérations de financement et
d’investissement, elle se trouve forcément impliquée dans des transactions commerciales
portant sur des biens dont elle est propriétaire de manière définitive ou temporaire. Cette
posi­tion, bien qu’à l’origine d’autres risques pour la banque, lui offre une garantie réelle sur

46
ses transactions et une sûreté naturelle de ses portefeuilles susceptible de réduire par là même
ses coûts en matière de fonds propres exigés par la réglementation internationale.
Des risques spécifiques
Aux risques habituels s’ajoutent un certain nombre de risques spécifiques à la finance
islamique, comme le risque de taux de référence, le risque d’investissement spécifique,le
risque « religieux et le risque commercial translaté. Ces risques appel-lent une gestion adaptée
et innovatrice, dans la mesure où ils sont nouveaux dans le métier bancaire. Les constats font
état d’une insuffisance des formations ciblées alors que les recrute­ments se font souvent dans
le secteur conventionnel. De là naît un manque palpable de compétences spécialisées au sein
des services bancaires, ce qui n’est pas pour améliorer l’appréhen-sion de ces risques. Le
développement de la recherche porte l’espoir de l’amélioration de la compréhension de ces
risques, prérequis pour une gestion efficace.
Des risques bancaires exacerbés
La finance islamique est exposée, à des degrés variables, aux risques bancaires habituels : les
risques financiers, les risques opérationnels, les risques d’exploitation et les risques
acci­dentels. Ces risques semblent être exacerbés lorsqu’ils touchent la banque islamique et
cela pour plusieurs raisons. L’enchevêtrement des risques des contrats financiers isla­miques.
— Dans la banque conventionnelle, il n’est pas rare de se confronter à une multitude de
risques sur la même opération financière. Il suffit par exemple de libeller un crédit en devise
étrangère pour que la transaction véhicule en même temps un risque de change couplé au
risque de contrepartie. L’enchevê-trement des risques dans une même opération est, cela va
sans dire, consommateur de fonds propres réglementaires. Cependant, ce cas de figure est plus
fréquent lorsqu’il s’agit d’instruments financiers islamiques. La complexité de certains
contrats et la multiplication des étapes de leur réalisation sont à l’origine d’un enchevêtrement
des risques, notamment de crédit et de marché lorsque la banque est à la fois bailleur des
fonds et propriétaire des biens financés. Par leur nature, ces contrats financiers sont souvent
des produits structurés donnant lieu à des transactions commer-ciales pouvant avoir lieu les
unes après les autres à des moments bien déterminés. Ainsi, selon l’étape de l’opération à
laquelle on se place, les risques d’une banque islamique sont différents. Àchaque risque qui
s’ajoute au fil des transactions, une nouvelle mobilisation de fonds propres est exigée sur
l’instrument financier.

C’est de cette manière que, dans un contrat mourabaha,la banque est d’abord acquéreur du
bien, ce qui l’expose au risque de prix. Après livraison du bien au client final, elle s’expose à
un risque de crédit sur les paiements attendus du client. À cela peut encore s’ajouter un risque
de change si l’une de ces étapes appelle un règlement en devise étrangère. À chaque risque
correspondent une affectation de fonds propres de la banque et une gestion spécifique.
« Le manque de transparence. — L’enchevêtrement des risques dû à la complexité de certains
instruments financiers islamiques entraîne parfois un manque de transparence sur la nature
des risques rattachés à ces produits. Il devient alors difficile d’iden-tifier précisément
l’exposition au risque, de la mesurer et de la gérer. Le manque de transparence sur les risques
encourus dans les transactions islamiques est également dû à l’absence d’un cadre juridique
clair et sécurisé. La menace de défaut de Dubaï sur l’émission de sukuk Nakheel en 2009 a
renouvelé les interroga-tions sur les droits des porteurs [Dabadie, 2010]. La garantie de
l’émirat n’a pas fonctionné dans ce cas alors que, de manière générale, c’est de la qualité du
garant que dépend essentielle-ment la notation d’une titrisation. La menace de défaut a été
écartée après que l’émirat a été secouru par son voisin Abu Dhabi. Une telle situation
maintient l’incertitude juridique sur la sécurité des porteurs de sukuk, incertitude pouvant être
aggravée dans certains pays qui interdisent la cession d’actifs immobiliers à des étrangers,
comme par exemple l’Arabie saoudite. Le contexte historique et régional. — Le contexte dans

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lequel évoluent les institutions financières islamiques joue un rôle majeur dans la perception
des risques et leur gestion. L’industrie financière islamique est relativement jeune et bénéficie
d’un recul limité à seulement quelques dizaines d’années. Les banques islamiques n’ont pas
encore acquis l’expé-rience et l’expertise de leurs consœurs conventionnelles à cause de leur
faible enracinement dans le paysage financier mondial. Leur environnement est aussi marqué
par un manque de compé­tences humaines, nécessaires au développement de l’industrie
financière islamiqueet à son appréhension des différents « risques. Dans ces conditions, peu
de banques du secteur ont pu atteindre une taille ou une masse critique qui leur confère un
poids suffisant sur le marché pour concurrencer réellement les institutions conventionnelles.
La répartition géographique des institutions du secteur révèle une localisation plus importante
dans des pays émergents. Natu-rellement, ces banques vont ainsi à la rencontre de leur
clientèle de prédilection, mais cette implantation les pousse à s’impré-gner des pratiques
locales en matière de transparence, de gouver-nance et de gestion des risques, ces pratiques
présentant encore une marge de progrès. Le degré d’exposition des banques islamiques à
certains risques, notamment financiers, dépend des dispositions prises à un niveau
institutionnel. Il s’agit par exemple du degré de développement du marché monétaire, de
l’existence ou non d’une réglementation par la banque centrale sur les exigences de fonds
propres et de ratios de liquidité pour les banques isla­miques. D’après Siddiqui [2008], les
banques islamiques en Malaisie seraient moins exposées aux risques de crédit et de liquidité,
mais supporteraient plus de risques de taux d’intérêt par rapport aux banques
conventionnelles. Le niveau moindre d’exposition au risque de liquidité des banques
islamiques en Malaisie est, selon How et al. [2005], dû à la possibilité qui leur est offerte de
recourir à la banque centrale comme prêteur en dernier ressort. La concentration de l’activité.
— L’industrie financière isla­mique est également marquée par une concentration de l’acti-
vité sur des secteurs de prédilection, tel l’immobilier, ou sur des produits et des métiers au
détriment d’autres. Àquelques excep­tions près, les banques exerçant cette activité demeurent
impli-quées sur des marchés relativement étroits. Il en résulte une moindre diversification qui
se traduit par une plus forte exposi-tion aux risques.

Les banques islamiques et la réglementation internationale sur les risques


L’objectif de la régulation bancaire est d’accroître la stabilité du système bancaire en
obligeant les banques à ne pas prendre « des risques surdimensionnés par rapport à leur taille
et, par ce biais, de réduire le risque de faillite. Pour ce faire, les régulateurs veillent à ce que
les banques soient suffisamment capitalisées au regard des risques liés à leurs activités. C’est
ainsi que les banques de manière générale sont tenues de satisfaire les règles édictées par le
comité de Bâle (voir encadré 5). Les normes Bâle II et les banques islamiques Comme pour
une banque conventionnelle, les banques islamiques sont tenues, selon l’approche standard
définie par Bâle II, de couvrir les actifs risqués à hauteur de 8 % de fonds propres minimums
selon le ratio suivant : Fonds propres éligibles /
RWArisque de crédit + RWArisque de marché + RWArisque opérationnel ]≥ à 8%
Ou encore
Fonds propres éligibles / Somme des RWA ≥ 8%
Avec RWA représentant les actifs pondérés par les risques (risk weighted assets) de crédit, de
marché et opérationnels.

Pour les banques islamiques, les fonds propres éligibles ne présentent aucune différence avec
ceux des autres banques. Les risques couverts par ces fonds propres sont lesrisques de
marché, de crédit et opérationnel, risques qu’elles ont en commun avec les banques
conventionnelles, tels que définis dans le pilier 1 de Bâle II. Toutefois, les risques spécifiques
aux banques islamiques ne sont pas pris en compte dans la réglementation Bâle II. C’est le cas

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des risques religieux et de non-conformité par exemple. En outre, la mise en pratique du pilier
1 semble plus délicate pour la banque islamique. La concentration et l’enchevêtrement de
risques différents dans un seul contrat financier islamique ne sont pas pris en compte dans
cette réglementation. Les calculs et le suivi des exigences de fonds propres deviennent plus
complexes pour les instruments financiers islamiques. De même, la multiplication des
expositions pour un seul instrument se traduit par une mobilisation plus importante et non
optimale de fonds propres en comparaison avec les instruments ayant les mêmes finalités dans
une banque conventionnelle.

Encadré 5. Un aperçu de Bâle II


Après les accords de Bâle I en 1988, le comité de Bâle a instauré en 1999 de nouvelles
règles, connues sous le nom de Bâle II. Ces règles ont été révisées à deux reprises, en janvier
2001 et en avril 2003. À a suite de la crise de 2008, plusieurs propositions ont été avancées
par le comité de Bâle. Elles appellent de nouvelles améliorations pour donner lieu à Bâle III.
La réglementation Bâle II exige que les banques détiennent des fonds propres suffisants pour
couvrir leurs risques. Elle se décompose en trois piliers :
Le pilier 1 de Bâle II instaure le en fonds propres bancaires pour trois types de risques : le
risque de crédit, le risque de marché et le risque opérationnel. Trois approches sont proposées
pour le calcul du capital requis minimal pour le risque de crédit du portefeuille de prêt. La
première est l’approche standard, dans aquelle chaque actif et engagement est pondéré selon
son niveau de risque de crédit par applica-tion de coefficients allant de 0 à 150 % suivant la
nature de ’émetteur (souve-rain, banque ou entreprise) et la nota-tion de ce dernier. La
pondération peut être révisée à la baisse dans le cas où l’actif bénéficie d’une garantie
hypo­thécaire ou d’une sûreté. L’accord exige que les banques détiennent des fonds propres
égaux à au moins 8 % de leurs actifs pondérés. La deuxième approche proposée aux banques
en matière de risque de crédit est la nota-tion interne ou IRB (fondation fondation internal
ratings based approach). Selon cette approche, e capital requis est égal à la VaR (value at
risk) au seuil de 99,9 % à un an, diminuée des pertes espérées, considérées comme étant déjà
couvertes par a tarification de la banque. La troisième approche est qualifiée de IRB avancée.
Le capital requis pour e risque de marché est calculé selon une approche standard qui permet
de couvrir en « fonds propres à hauteur de 8 % chaque produit, qu’il s’agisse d’une
obligation, d’une action, d’une posi­tion de change, de matières premières ou d’options.
Toutefois, Bâle II auto-rise les banques à utiliser une approche selon des modèles internes de
calcul de la VaR à dix jours. Une formule permet de convertir le résultat de ces modèles
internes en capital requis. Par rapport à Bâle I, Bâle II instaure une nouvelle exigence pour
couvrir le risque opérationnel. L’accord permet le choix entre trois approches possibles,
selon le niveau de sophistication de la banque. L’approche d’indicateur de base définit un
facteur multiplicatif de 0,15 devant être appliqué au niveau moyen du revenu brut des trois
dernières années afin d’obtenir le montant du capital requis. Dans l’approche standard, le
facteur multipli-catif est défini à un niveau différent. La troisième approche est celle de la
mesure avancée qui permet à la banque d’appliquer un modèle interne pour mesurer la perte
à un an attribuable au risque opérationnel et de prendreencomptel’assurancedansle calcul du
capital requis. Le pilier 2 de Bâle II définit le processus de surveillance prudentielle qui
appelle les banques à mettre en place des processus d’évaluation de l’adéquation de leurs
fonds propres à leur risque, et les régulateurs à évaluer les stratégies des banques et à
surveiller leur capacité à contrôler et à assurer la conformité des ratios utilisés. Les banques
doivent égale-ment détenir des fonds propres au-delà du minimum exigé. Les régu-lateurs
sont tenus de veiller à ce que ce soit le cas et d’intervenir dès les premiers signes afin de
s’assurer de la reconstitution et du maintien du niveau de fonds propres. Le pilier 3 de Bâle II
porte sur la disci-plinedemarché. Il encourageles banques à améliorer leur transparence et à

49
communiquer au marché les procédures qu’elles ont adoptées pour l’évaluation des risques et
le calcul des exigences en fonds propres.

« Les ajustements par l’IFSB


C’est la concentration et l’enchevêtrement de risques différents dans un seul contrat financier
islamique qui ont amené l’IFSB à repenser les exigences en fonds propres et à les aborder de
manière matricielle pour chaque contrat en fonction des risques qu’il provoque. Il s’agit en
réalité d’adapter les exigences en fonds propres de Bâle II aux instruments financiers
islamiques. De cette manière, l’IFSB attire l’attention des banques islamiques sur l’évolution
du montant de fonds propres à mobiliser tout au long de la durée de vie des contrats, dès lors
qu’il est primordial de prendre en compte le fait que le risque se transforme et qu’il change de
nature à chaque stade du contrat. Dans un contrat ijara par exemple, la banque doit d’abord
acheter le bien, ce qui l’expose à un risque de prix. À cela vient s’ajouter un risque de crédit
lors de la location. C’est de cette « manière que l’exigence en fonds propres varie selon la
nature du contrat et selon le stade d’exécution auquel il se trouve. L’IFSB définit une matrice
permettant le calcul de ces exigences pour chaque instrument financier selon une pondération
adaptée. De plus, face aux exigences en fonds propres définies par Bâle II, l’IFSB préconise
de tempérer ces exigences afin de prendre en compte le fait que la banque islamique ne
supporte pas seule les risques de crédit et de marché, mais qu’ils sont partagés avec les
déposants dans le cadre des comptes PSIA. Le risque opérationnel, quant à lui, incombe
toujours à la banque. C’est ainsi que l’IFSB, à travers sa norme IFSB-2 dédiée aux exigences
de fonds propres pourles institutions offrant des services financiers islamiques, autres que les
institutions d’assu-rances, réduit le dénominateur du ratio de fonds propres régle-mentaires de
la manière suivante :

Fonds propres éligibles


∑RWA – RWA(PSIAr) –(1– α) RWA(PSIAnr) – αRWA(PER + IRR)
≥ 8%

Ce ratio doit être supérieur ou égal à 8 % avec :


— RWA : les actifs pondérés par les risques (risk weighted assets);
— RWAPSIAr : les fonds d’investissement en PSIA restreints pondérés par les risques de
crédit et de marché ;
— RWAPSIAnr: les fondsd’investissement en PSIAnon restreints pondérés par les risques de
crédit et de marché ;
— PER : réserves de péréquation des résultats ;
— IRR : réserves pour risques d’investissement ;
— α : un facteur d’ajustement compris entre 0 et 100 %, et laissé à la discrétion du régulateur
national. Le facteur α reflète la capacité des comptes de PSIA et des réserves qui leur sont
dédiées à absorber les pertes potentielles dues aux risques de crédit et de marché. Un facteur α
faible reflète le fait que le régulateur qui a décidé de sa valeur est confiant dans la capacité des
PSIA et de leurs réserves à absorber les pertes. Par conséquent, ces derniers ne nécessiteraient
pas une mobilisation importante de fonds propres. Le facteur a serait égal à 100 % pour des
dépôts conventionnels.
Avec ce ratio, l’IFSB tient compte du fait que les comptes PSIA viennent réduire le risque
pour la banque et ses actionnaires pour le transférer en partie aux déposants. Ils sont par
consé-quent déduits du montant des actifs pondérés par les risques. Il en est de même pour les
réserves de péréquation des résultats et les réserves pour risques d’investissement. Celles-ci
sont spéci-fiques aux banques islamiques et sont constituées afin de faire face aux risques

50
particuliers des comptes de partage, notamment le risque commercial translaté. Par ce biais,
l’IFSB reconnaît l’expertise des banques isla­miques pour définir elles-mêmes les exigences
en matière de fonds propres qui prennent en compte leurs spécificités. Il en découle que les
exigences réglementaires en fonds propres sont abaissées pour les banques islamiques, en
même temps que ces dernières se constituent des réserves spécifiques pour contrer les risques
inhérents aux comptes PSIA.
(Kaouther Jouaber-Snoussi , La finance islamique, La Découverte « Repères », 2012, p. 47 à
68)

IV. La gestion d’actifs en finance islamique 69-94

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1
e premier fonds islamique a été lancé en Malaisie en 1968 sous la dénomination Dana Al-Aiman. Comme il

L
apparaît dans le tableau 8, mis à part quelques exceptions, ce n'est que dans les années 1990 que l'industrie
financière islamique commence sérieusement à développer des fonds. En 1996, on pouvait dénombrer vingt-neuf
fonds islamiques pour une valeur totale de 800 millions de dollars [Hussein, 2005]. Le retard de développement
de ce secteur peut s'expliquer, du moins en partie, par les exigences spécifiques sur ce type de fonds.
Tableau 8. Les premiers fonds islamiques

Source : adapté d'Al-Rifai [2003].•


2

51
En effet, Usmani [2001] rappelle que deux exigences conditionnent la validité d'un actif islamique. La première
est qu'aucune rentabilité fixe ne puisse être promise, encore moins obtenue. Par conséquent, le profit des
investisseurs est plutôt strictement et directement lié à la performance des actifs en portefeuille. La seconde
condition impose que les titres inclus dans le portefeuille soient acceptables du point de vue du droit musulman.
Sont ainsi définis des critères d'exclusion qui doivent être en permanence respectés.
3
L'application de ces conditions est contrôlée par les conseils de la charia des différents fonds. Le trait distinctif
des fonds d'investissement islamiques réside dans les contraintes sur le processus d'investissement et dans les
critères de sélection des titres composant leurs actifs. Ces derniers restent toutefois également soumis aux
exigences en matière de risque et de rentabilité.

Le processus d'investissement

L'allocation d'actifs

4
L'univers des titres existants est soumis à une présélection suivant des critères religieux. Les jurisconsultes
musulmans admettent l'investissement en actifs financiers, cotés ou non, à condition de respecter certains critères
qui, faute d'éliminer, visent à minimiser l'implication dans des activités non conformes. Cette démarche amène le
gestionnaire du fonds à définir des critères aussi bien qualitatifs que quantitatifs, dont l'implémentation permettra
de s'assurer de la conformité du portefeuille final au droit musulman. L'éligibilité des actions passe par le respect
de ces critères.
5
Les critères qualitatifs. — Ils sont relatifs à l'activité principale de la firme qui fait l'objet de l'analyse et à la
manière dont elle est financée et dont elle investit ses excédents de liquidité.
6
Pour que son titre soit retenu, les activités principales de la firme doivent être reconnues comme étant licites. De
cette manière sont exclues les activités conventionnelles de banque et d'assurance du fait de leur lien intime avec
les taux d'intérêt. C'est également le cas pour les entreprises ayant trait à l'alcool, au tabac, aux jeux de hasard, à
l'industrie porcine, à la fabrication et au commerce des armes, ou encore à toute activité jugée offensante envers
l'islam. Comme le montrent les dernières lignes du tableau 9, les sharia scholars tendent à exclure les secteurs
et les entreprises dont le revenu opérationnel est significativement affecté par les précédents interdits au-delà
d'un seuil de 5 %.
7
Dans certains cas, l'activité peut être conforme à ces restrictions, mais l'entreprise peut être engagée dans des
emprunts ou placements à intérêt. Usmani [2001] prône alors l'activisme des actionnaires et leur reconnaît le
devoir moral de déposer des résolutions à l'assemblée générale afin de condamner publiquement ce
comportement, rappelant ainsi l'activisme des actionnaires en finance responsable.
8
Les critères quantitatifs. — Les titres issus de l'application du premier filtre des critères qualitatifs sont ensuite
soumis à une sélection selon des critères quantitatifs ayant trait au niveau d'endettement, aux actifs et passifs
portants intérêt, au niveau des créances et des liquidités. Ces critères se traduisent par la nécessité de maintenir
un certain nombre de ratios financiers en dessous d'une limite prédéfinie. Comme le montre le tableau 9,

52
plusieurs méthodologies de calcul de ces ratios existent selon les fonds, mais un consensus semble exister quant
à leur valeur limite.
9
Le premier de ces critères fixe une proportion à ne pas dépasser d'actifs liquides dans le bilan des entreprises
composant le portefeuille. L'interdiction de la thésaurisation est le fondement de la condamnation de la détention
de liquidités excédentaires. De plus, un niveau minimum d'actifs illiquides est exigé afin d'éviter l'assimilation
des opérations d'achat et de vente d'actions au commerce interdit de la monnaie.
10
Les ratios utilisés pour calculer le niveau de liquidité du bilan varient selon les fournisseurs d'indices et de fonds.
Tous englobent les créances à recevoir en y ajoutant parfois le cash disponible et les placements à court terme.
Ces liquidités sont rapportées tantôt au total de l'actif et tantôt à la capitalisation boursière de la firme.
11
Le seuil d'actifs liquides autorisés est sujet à controverse. Certains jurisconsultes musulmans défendent un ratio
minimum d'actifs illiquides de 51 %. D'autres estiment qu'une proportion de 33 % est suffisante. Enfin, la vision
de l'école hanafite s'abstient de fixer un seuil pour exiger d'une part une proportion considérable d'actifs
illiquides et d'autre part une valeur de marché globale supérieure à la seule valeur de la quantité de liquidité
[Usmani, 2001].

53
Tableau 9. Critères quantitatifs et seuils d'exclusion des principaux ratios boursiers et de certains fonds
d'investissements islamiques

Source : adapté de Derigs et Marzban [2008].•


12
Le recours à l'intérêt est en principe interdit. Toutefois, dans la mesure où les entreprises sont souvent amenées à
traiter avec les banques, une certaine souplesse est introduite dans l'application de ce principe. C'est la solution
retenue afin de constituer un vivier suffisant permettant d'alimenter les fonds et les indices islamiques en titres, à
condition de procéder par la suite aux purifications nécessaires des revenus.
13
Ainsi, le deuxième critère définit un niveau d'endettement maximum. La limitation du niveau d'endettement est
conséquente à l'interdiction de la riba en islam. Un consensus semble exister pour définir un ratio de 33,33 %
comme seuil maximum pour l'endettement. Le choix de ce niveau est justifié par référence à deux hadith du
prophète [Elgari, 2002]. Cependant, des modes de calcul différents peuvent exister selon les indices et les fonds.

54
Le niveau d'endettement est calculé par rapport au total de l'actif, dans certains cas, et par rapport à la
capitalisation boursière, dans d'autres.
14
La limitation des revenus provenant des intérêts reçus constitue un autre critère de sélection quantitatif. Cela
concerne les intérêts en provenance des placements à court ou à long terme. Deux types de ratios sont appliqués.
Il s'agit soit de limiter les revenus d'intérêt eux-mêmes à 5 % du chiffre d'affaires, soit de maintenir les
investissements rapportant des intérêts en deçà d'un seuil allant de 30 à 33,33 % selon le fonds ou l'indice
islamique.

Les actifs éligibles

15
Une fois l'émetteur sélectionné, quels sont les instruments financiers admis pour être intégrés dans un fonds
islamique ?
16
Les actions. — Les actions ordinaires ont été admises comme un instrument d'investissement par le Council of
the Islamic Fiqh Academy en 1993. Ce n'est toutefois pas le cas des actions de préférence qui garantissent le
montant de dividende.
17
Les obligations. — Il est évident que les obligations ne peuvent constituer un véhicule d'investissement
islamique, étant donné leur rémunération sous forme d'un taux d'intérêt.
18
Les sukuk. — Ils constituent des véhicules d'investissement privilégiés. Ils seront abordés avec plus de détails
dans le chapitre V.
19
Les produits dérivés. — Les contrats à terme et les options ne peuvent constituer de véhicule d'investissement
pour les fonds islamiques. Par application du principe de l'interdiction du hasard, un contrat ne peut être
admissible que lorsque la livraison et le paiement ont lieu tous deux à une date future.
20
Les matières premières. — Les contrats physiques sur matières premières constituent des véhicules
d'investissement de choix. Cela intègre les transactions au comptant, mais exclut toutefois les transactions à
terme.
21
Les actifs immobiliers. — Ce sont des produits de prédilection pour la finance islamique, car ils répondent
aisément à toutes les exigences. Leur caractère d'actifs tangibles et leur compatibilité avec les limites
d'endettement en font une activité licite, tant que l'activité de l'occupant est conforme.

Les opérations de marché

22
Les transactions ordinaires sur le marché au comptant ne posent aucun problème de conformité. Toutefois,
certaines opérations doivent être évitées.
23
La vente à découvert. — Elle n'est pas admise car le droit musulman interdit de vendre ce que l'on ne possède
pas. C'est également une opération qui comporte un risque jugé excessif.
24

55
Le trading sur marge. — Il consiste à emprunter pour investir. Cette opération est prohibée à cause de son
association avec l'intérêt.
25
La vente à terme. — Cette opération n'est pas admise par le droit musulman, à l'instar des autres produits
dérivés. Seules sont autorisées les opérations salam etistisna comme contrats stipulant une livraison différée des
biens échangés.
26
La spéculation. — La finance islamique interdit la spéculation et prône plutôt l'investissement dans la durée,
sans que la recherche de profit soit une finalité en soi.

Les revenus et le processus de purification

27
Une certaine tolérance vis-à-vis des titres inclus dans le fonds a été soulignée dans le paragraphe consacré à
l'allocation d'actifs, notamment en ce qui concerne les ratios financiers et les taux de revenu opérationnel affectés
par les secteurs illicites. De même, l'application des critères de sélection nécessite un contrôle et une mise à jour
continus des instruments financiers éligibles au fonds. Un changement dans l'activité ou dans les ratios financiers
des entreprises émettrices des titres retenus amène à un réexamen de leur éligibilité au fonds d'investissement
islamique.
28
Par conséquent, certains revenus du fonds islamique sont susceptibles d'être entachés de non-conformité car
provenant de titres ou d'activités devenus à un moment donné illicites. Un processus de purification est alors
instauré afin d'extraire cette part de revenu. Le traitement est plus ou moins consensuel selon que le revenu du
fonds provient de dividendes distribués par les sociétés émettrices des actions retenues dans le fonds, ou de plus-
values réalisées lors de la revente de titres composant le fonds.
29
Les revenus de dividendes. — Un consensus semble exister quant à la purification du revenu provenant des
dividendes distribués sur les actions composant le fonds. D'après Usmani [2001], une certaine portion du
dividende correspondant à la proportion d'intérêt reçu par l'entreprise doit être donnée à des œuvres de charité.
30
Les plus-values de cession. — Le traitement de ces revenus est source de divergence entre les sharia scholars.
Les gains en capital réalisés par la revente de titres à un prix supérieur à leur prix d'achat nécessitent pour
certains d'être purifiés au même titre que les dividendes. Ils argumentent que la valorisation des titres par le
marché tient compte de l'ensemble des actifs de la firme, y compris ceux en lien avec le taux d'intérêt. De ce
point de vue, la purification des plus-values s'impose.
31
En revanche, pour d'autres, les gains en capitaux n'ont pas lieu d'être purifiés car il serait difficile, voire
impossible d'affecter la part de la plus-value attribuable à d'éventuels actifs liés au taux d'intérêt. Par ailleurs, si
le titre en question a été sélectionné selon les critères qualitatifs et quantitatifs dictés par le droit musulman, il ne
peut être contaminé par des actifs illicites que dans des proportions négligeables. Le prix global du titre peut
alors être considéré comme reflétant la valeur des actifs licites majoritaires.
32
Usmani [2001] cite deux arguments en faveur d'un traitement unique pour les revenus issus des dividendes et
pour ceux issus des plus-values de cession des titres. Il souligne d'abord que la purification des plus-values est
plus précautionneuse et moins sujette au doute. Elle est en plus équitable vis-à-vis des investisseurs, notamment

56
dans les fonds d'investissement à capital variable (open-end funds). Chaque détenteur de parts ayant la possibilité
de vendre ses parts à tout moment, le prix sera affecté à la baisse de manière mécanique par la distribution de
dividendes. Dans le cas où seuls les revenus de dividendes seraient soumis au processus de purification, celui qui
vendrait ses parts avant la distribution de dividendes serait moins ponctionné que celui qui le ferait après. En
même temps, il pourrait profiter d'une plus-value plus importante. Une égalité de traitement en matière de
purification entre dividendes et revenu du capital rétablirait l'égalité entre les investisseurs indépendamment du
moment auquel ils céderaient leurs parts.
33
Le processus de purification. — Le gestionnaire du fonds est dans l'obligation d'identifier la part de revenu issue
d'opérations prohibées. Deux alternatives sont alors possibles.
34
La purification peut avoir lieu au niveau du fonds et être opérée par le gestionnaire qui déduit la part illicite du
revenu avant toute distribution aux investisseurs. Les investisseurs toucheraient dans ce cas un dividende net.
35
Il est également possible de distribuer la totalité du revenu en l'accompagnant de la publication des ratios
nécessaires à l'entreprise de purification par les investisseurs eux-mêmes. Cette option permet au gestionnaire de
publier une rentabilité brute plus élevée et d'attirer également des investisseurs non attachés à l'aspect islamique
du fonds et qui auraient été pénalisés par le processus de purification.
36
Dans ces deux cas, la purification se traduit par la remise à des organismes de bienfaisance de la part de
dividendes attribuable à des activités non conformes aux principes de la finance islamique.

La structuration des fonds islamiques

37
Les fonds islamiques sont souvent structurés en application du principe de partage des profits et des pertes entre
le gestionnaire du fonds et les investisseurs. Le contrat le plus répandu est celui de la moudharaba.

La relation de gestion et la rémunération du gestionnaire

38
La relation entre l'investisseur et le gestionnaire du fonds est définie différemment selon le type de contrat qui la
régit. Deux contrats peuvent être utilisés.
39
Le contrat moudharaba. — Dans cette structure, l'investisseur confie ses fonds au gestionnaire qui apporte son
expertise pour faire fructifier les sommes confiées. Le gestionnaire est alors considéré comme un partenaire
apportant un savoir-faire, sans aucun apport de capital. À ce titre, sans qu'il soit directement rémunéré pour la
gestion, le gestionnaire est rémunéré par un partage des profits engendrés par le fonds, suivant un ratio défini
d'avance dans le contratmoudharaba. Il sera par conséquent rémunéré seulement en cas de bénéfices, mais ne
recevra aucune compensation en cas de perte. Celle-ci reste à la seule charge de l'investisseur, excepté dans le
cas d'un abus ou d'une négligence de la part du gestionnaire, auquel cas ce dernier sera aussi exposé aux pertes.
Cela signifie également que le revenu du gestionnaire du fonds n'est pas connu d'avance et qu'il est fonction des
gains réalisés.
40

57
Le contrat wakala. — Ce contrat donne au gestionnaire du fonds la qualité d'agent. Il est alors rémunéré pour la
gestion du fonds selon des modalités définies qui peuvent par exemple prendre la forme de frais de gestion
corrélés ou non à la performance (management fees ou performance fees).
41
Quel que soit le mode de gestion et de rémunération du gestionnaire choisi, il doit être dès le lancement spécifié
dans le prospectus du fonds afin de recueillir le consentement de tous les investisseurs.

Les principaux types de fonds par type de contrat d'investissement

42
D'après Keigher et Bauer [2000], il existe quatre principaux contrats utilisés dans la structuration des fonds
islamiques.
43
Les fonds mourabaha. — L'activité du fonds consiste à acquérir des biens sur le marché pour le compte de
clients et à les revendre avec une marge bénéficiaire. Le paiement du prix du bien est alors en général échelonné.
44
Les fonds ijara. — Ces fonds investissent dans des biens locatifs, les loyers constituant l'essentiel des revenus.
45
Les fonds istisna. — Ils s'appuient sur des contrats d'acquisition de biens par prescription ou par ordonnance,
pour lesquels le paiement du prix est étalé en fonction de la progression des travaux.
46
Les fonds moudharaba. — Ils ont pour objet de financer des opérations avec partage des profits et des pertes.

Les principaux types de fonds par classe d'actifs

47
L'éventail des possibilités d'investissement des fonds islamiques ne cesse de s'élargir depuis 1995, comme le
montre le tableau 10. Aussi bien les classes d'actifs traditionnelles que les véhicules d'investissement spécifiques
comme lessukuk sont accessibles pour ces fonds.
48
Les fonds actions et private equity. — L'éligibilité des actions passe par le respect d'un ensemble de critères
aussi bien qualitatifs que quantitatifs cités plus haut. Les premiers prônent l'exclusion de certains secteurs
d'activité jugés illicites en islam, tels que l'alcool, les jeux de hasard, etc. Les critères quantitatifs se traduisent
par la nécessité de maintenir un certain nombre de ratios financiers en dessous d'une limite prédéfinie. Les
principaux ratios ont trait à l'endettement, au niveau de liquidités, aux créances, aux revenus fixes, etc. Plusieurs
méthodologies de calcul de ces ratios existent selon les fonds.

58
Tableau 10. Évolution de la gamme des fonds d'investissement islamiques

Source : Calyx Financial.•


49
Les revenus proviennent soit des dividendes distribués sur les actions composant le fonds, soit des plus-values
réalisées lors de la revente de titres. Un processus de purification doit être mis en place par le gestionnaire du
fonds et communiqué aux détenteurs de parts.
50
Les fonds fixed income. — Ce terme renvoie le plus souvent au fonds structuré sous forme de sukuk, titres
financiers qui seront développés dans le chapitre V.
51
Les fonds matières premières (commodities). — Ces fonds s'appuient sur les opérations de mourabaha pour
acheter des matières premières sur le marché pour le compte de clients et les revendre à ces derniers. Leur
revenu provient donc essentiellement de la marge bénéficiaire réalisée lors de la revente.
52
Pour être conforme, le fonds optant pour la structuration mourabaha doit être fermé (closed-end fund). De plus,
les parts du fonds ne doivent pas être négociables sur un marché secondaire [Usmani, 2001]. La raison en est que
la revente avec plus-value de ce type de produit s'apparente à une revente avec plus-value de liquidité, opération
non admise en finance islamique. En effet, le fonds mourabaha ne reste pas longtemps propriétaire des matières
premières achetées. Son actif est par conséquent la plupart du temps composé soit de liquidités, soit de créances
clients avec peu d'actifs tangibles.
53
Les métaux non précieux ainsi que la plupart des matières premières peuvent constituer un support
d'investissement pour ces fonds. Les métaux précieux restent toutefois soumis à certaines restrictions et ne sont
admis que sous conditions.
54
Les fonds monétaires. — Il ne s'agit pas ici d'investir dans des titres monétaires conventionnels. Ces fonds
s'appuient sur des contrats mourabaha et sur des sukukà court terme.
55
Les fonds immobiliers. — Ils s'appuient essentiellement sur des contrats ijara etistisna. Dans ce cas, les revenus
proviennent de la location des biens propriété du fonds. Le plus souvent, les investissements ont lieu dans

59
l'immobilier tertiaire (bureaux, murs commerciaux, entrepôts), mais aussi dans l'immobilier industriel. Des
certificats d'investissement sukuk peuvent être remis aux participants au fonds.
56
Les fonds mixtes. — Ce sont des fonds qui investissent avec des proportions variables dans différents supports
tels que les actions et les matières premières. Selon la plupart des jurisconsultes musulmans, pour que les parts
de ce fonds soient négociables, ses actifs doivent être composés en majorité de 51 % d'éléments tangibles.
Autrement, le fonds doit adopter une structure fermée (closed-end fund) et ne doit pas être coté.
57
Les autres fonds. — Il s'agit essentiellement des fonds indiciels qui seront discutés plus loin.

La gestion de la liquidité

58
Afin de faire face à d'éventuels retraits de la part des participants, il est souvent nécessaire de garder dans le
fonds une part d'actifs liquides. Confrontés à un marché monétaire islamique faiblement développé et à une offre
limitée de produits de placement libres d'intérêt, les gestionnaires de fonds sont parfois contraints de garder une
somme disponible non investie. Cette contrainte a inéluctablement un impact sur la rentabilité du fonds.

Le processus de conformité

59
Un sharia board doit être créé par le sponsor du fonds ou par le gestionnaire. Les conditions de sa constitution
sont les mêmes que pour les institutions financières islamiques. La sélection des membres est souvent
déterminante dans la réputation et la crédibilité du fonds. Le conseil de la charia valide l'allocation d'actifs dans
le fonds et continue à s'assurer de la conformité des titres après le lancement du fonds. Il veille également à la
mise en place et à l'application du processus de purification des revenus.

Les indices islamiques

60
Comme dans l'industrie des fonds conventionnels, les gestionnaires de fonds islamiques ont besoin de comparer
leur performance à celle d'indices boursiers couvrant un univers similaire à celui des fonds qu'ils gèrent. Au-delà
de la motivation religieuse, les investisseurs qui choisissent ces fonds sont aussi à la recherche de la
performance. C'est pour eux un moyen de concilier leurs principes éthiques avec des produits de marché
performants. Aussi bien les gestionnaires que les investisseurs ont besoin de benchmarks islamiques. La création
de ces indices permet en outre de lancer des fonds indiciels, ou trackersislamiques, qui constituent autant de
possibilités nouvelles d'investissement.
61
Les premiers indices islamiques remontent à fin 1998-début 1999 [Hussein, 2005]. En effet, vers la fin du mois
de décembre 1998, le fournisseur d'indices FTSE a lancé le premier indice FTSE islamique, Global Islamic
Index Series (GIIS). Cet indice est valorisé en dollar américain et est calculé avec une fréquence quotidienne.
Peu après, en février 1999, le Dow Jones lance son premier indice islamique, le Dow Jones Islamic Market Index
(DJIMI). D'autres fournisseurs d'indices ont également développé une gamme d'indices islamiques. Tel est le cas
de S&P et de MSCI par exemple.
62

60
La composition de ces indices islamiques est définie par application de critères de sélection qualitatifs et
quantitatifs permettant de leur donner le caractère islamique. Pour chaque indice islamique, l'univers de sélection
est étendu à celui de l'équivalent conventionnel. Ainsi, un indice FTSE islamique est dérivé du FTSE générique.
Le tableau 9 reprend les ratios retenus par les quatre fournisseurs d'indices les plus connus, à savoir Dow Jones,
FTSE, S&P et MSCI, ainsi que les seuils de tolérance retenus par chacun. La sélection est là aussi validée par
un sharia board propre à chaque fournisseur d'indices.
63
Des différences existent quant aux filtres appliqués par les différents fournisseurs d'indices. La composition est
revue par le sharia board avec une fréquence régulière de trois mois pour le DJIM, alors qu'elle est de six mois
pour le FTSE. Selon les critères de sélection appliqués, il en résulte un nombre plus ou moins important d'actions
retenues par chaque indice. Des indices sectoriels et régionaux sont également proposés par les différents
fournisseurs d'indices.

Les fonds indiciels islamiques

64
Un fonds indiciel reproduit la composition d'un indice boursier et « traque » sa valeur. Communément
appelé exchange traded fund (ETF) ou tracker, il offre une rentabilité provenant des plus-values de cession et
des dividendes distribués par les actions qui le composent.
65
Le premier fonds indiciel islamique ayant pour sous-jacent un indice mondial a vu le jour en 2007. C'est ainsi
que, en février 2007, EasyETF, plate-forme commune de BNP Paribas et AXA Investment Managers, a lancé le
premier fonds indiciel EasyETF DJ Islamic Market Titans 100 sur la bourse suisse, SWX Zürich. Cet ETF
islamique traquant un indice mondial offre la possibilité d'investir sur les actions asiatiques, européennes et
américaines conformes au droit musulman. Le fonds applique le même processus de sélection et réplique l'indice
qui lui est sous-jacent. En décembre 2007, c'est au tour d'iShares (Barclays Global Investors) de lancer sur le
segment principal du London Stock Exchange ses trois premiers ETF conformes aux principes de la finance
islamique.
66
En janvier 2008, i-VCAP a lancé sur la Bourse de Malaisie le premier trackerislamique en Asie, MyETF Dow
Jones Islamic Market Malaysia Titans 25 (MyETF-DJIM25). Des trackers d'indices islamiques sont également
cotés sur les marchés boursiers mondiaux en Europe et au Moyen-Orient.
67
Il ne suffit pas d'avoir une composition semblable à celle d'un indice islamique pour qu'un fonds indiciel soit
reconnu conforme au droit musulman. Il doit également satisfaire les conditions de la finance islamique en
matière de conformité des opérations boursières et de distribution des revenus. C'est la raison pour laquelle
chaque ETF islamique doit pouvoir compter sur les conseils et recommandations d'un sharia board qui veille à
la conformité et qui procède aux audits nécessaires pour la validation du fonds et de toutes ses opérations.
68
En réalité, il n'existe pas d'étude scientifique permettant de juger de la performance à long terme de ces fonds
indiciels. Néanmoins, ces derniers semblent connaître un réel succès eu égard à leur performance comparée à
celle des indices sous-jacents en période de crise. Comme le souligne le rapport de Price Waterhouse Coopers
[2008], la transparence des fonds indiciels et leurs coûts de gestion modérés, couplés avec une forte liquidité et
une bonne diversification des risques, sont autant d'atouts incontestables. C'est à la lumière des résultats de

61
certaines études de la performance des indices islamiques que Hayat et Kraeussl [2011] recommandent
l'investissement dans des ETF islamiques, tant les fonds islamiques sous-performent et les indices islamiques
semblent surperformer leurs équivalents conventionnels.

L'industrie des fonds d'investissement islamiques

69
Partout dans le monde, les marchés financiers et les instruments qu'ils proposent deviennent de plus en plus
incontournables. Les instruments de gestion d'actifs islamiques sont nés en réponse à une demande croissante
pour des produits d'investissement collectifs. Les liquidités disponibles au Moyen-Orient et l'amélioration de la
qualité de vie et du niveau d'éducation, associés à la prise de conscience des croyances religieuses dans la région,
ont fait émerger ce besoin pour des véhicules d'investissement collectifs conformes à la doctrine musulmane.
Cette demande est renforcée par la baisse des coûts des produits islamiques et leur alignement sur leurs
homologues conventionnels.
70
Les fonds islamiques ont connu une croissance fulgurante durant la seconde moitié des années 1990. Cette
période coïncide avec la reconnaissance du caractère licite de l'investissement en actions ordinaires dans une
décision émise par le Council of the Islamic Fiqh Academy en 1993. Les investissements islamiques en actions
étaient alors passés de 9 fonds actions en 1994 à près de 280 en 2008. Sur la même période, les actifs gérés sont
passés d'une valeur totale de 800 millions de dollars à approximativement 20 milliards de dollars [Hayat et
Kraeussl, 2011] et étaient gérés par des maisons d'investissement de premier ordre [Forte et Miglietta, 2007].
71
Cette croissance s'explique en partie par le développement que connaissent les marchés et les institutions
financières dans les pays du Golfe. Des banques saoudiennes ont été pionnières au début des années 1990 dans le
lancement des premiers fonds islamiques. Le rapprochement avec les banques d'investissement occidentales et
l'ouverture de fenêtres islamiques dans la région ont eux aussi contribué à l'essor de la gestion d'actifs
islamiques. L'expertise de ces institutions financières non islamiques en matière de gestion d'actifs a pu profiter à
l'industrie de manière générale. Les plus grandes banques d'investissement occidentales, à l'instar de UBS,
HSBC, AXA, Citigroup, Merrill Lynch ou encore Deutsche Bank, gèrent également des fonds islamiques.
72
Les fonds islamiques sont amenés à jouer un rôle croissant pour drainer une épargne dormante et alimenter les
marchés financiers. L'arrivée de nouveaux acteurs sur le marché et le lancement de nouveaux produits devraient
continuer à soutenir le développement de ce segment.
73
Durant les années 1990, plusieurs fonds actions avaient investi dans des valeurs technologiques, à la fois
attractives et pouvant facilement satisfaire les critères de sélection. L'éclatement de la bulle Internet en 2000 a
cependant été à l'origine d'un transfert des investissements en actions vers les secteurs les plus défensifs, comme
les biens de consommation non cycliques, notamment la santé [Hayat et Kraeussl, 2011].
74
La plupart des fonds actions adoptent une structure de fonds communs de placement à capital ouvert et proposent
un horizon d'investissement à moyen et long termes. Plutôt que des dividendes, l'essentiel de leur rentabilité
provient des plus-values en capital réalisées lors de la revente des titres en portefeuille.
75
Les fonds actions sont souvent proposés par des maisons d'investissement locales, mais aussi par quelques
grandes banques d'investissement mondiales comme UBS, Citigroup, HSBC ou encore Merrill Lynch.
62
76
Certains fonds s'adressent particulièrement à des grosses fortunes (high net worth individuals) du Moyen-Orient
et exigent une mise minimale allant de 1 à 5 millions de dollars [Hayat et Kraeussl, 2011].

La répartition géographique des fonds islamiques

77
Si l'industrie des fonds islamiques s'étend sur les cinq continents, elle est surtout concentrée sur les pays du
Conseil de coopération du Golfe (GCC) et la Malaisie [Ernst & Young, 2010]. D'après la figure 3, les fonds
islamiques sont surtout présents dans les centres financiers islamiques, tels que la Malaisie qui en accueille 184
au premier trimestre 2010, l'Arabie saoudite qui en accueille 174, ou encore le Royaume du Bahreïn. Un nombre
relativement important de ces fonds sont aussi présents dans d'autres centres présentant des avantages fiscaux
certains.
Figure 3. Nombre de fonds gérés sur les principaux centres financiers au premier trimestre 2010

Source : Ernst & Young [2010].•


78
Quelques pays de la région manquent encore de structure viable pour accueillir les fonds d'investissement. Des
fonds en provenance de pays comme le Koweït choisissent alors de se faire lister sur le marché malaisien. La
place de Singapour attire également des fonds étrangers.
79
Au premier trimestre 2010, l'Arabie saoudite accueille la plus importante part d'actifs sous gestion pour un
montant total de 22,7 milliards de dollars. Comme le montre la figure 4, ce montant dépasse la valeur des actifs
gérés dans tous les autres centres financiers réunis.

63
Figure 4. Actifs sous gestion (en milliards de dollars) dans les principaux centres financiers au premier
trimestre 2010

Source : Ernst & Young [2010].•


80
En France, l'offre de fonds islamiques a été réglementée depuis juillet 2007, date à laquelle l'Autorité des
marchés financiers (AMF) a publié des recommandations concernant l'agrément de ce type d'OPCVM. Ce texte
pose le cadre permettant l'obtention de l'avis d'un sharia board, tout en respectant l'autonomie de la société de
gestion, et autorisant la possibilité de distribuer une partie des revenus à des fins de purification. Une seconde
publication en juillet 2008 a permis la création d'un compartiment pour les sukuk sur le marché NYSE Euronext.
Concrètement, certaines sociétés de gestion françaises gèrent des fonds islamiques non domiciliés en France, ce
qui représente des actifs sous gestion de 4 millions de dollars américains au premier trimestre 2010 [Ernst &
Young, 2010].

Les principaux investisseurs en fonds islamiques

81
L'intérêt grandissant pour les fonds d'investissement islamiques s'est beaucoup renforcé à la suite de la crise
financière des subprimes en 2008. Ces derniers attirent toutes sortes d'investisseurs sur les marchés financiers
internationaux. D'après les estimations du rapport Ernst & Young [2010], de l'ensemble de l'épargne disponible
des particuliers et des investisseurs institutionnels, l'industrie aurait attiré approximativement en 2009 entre 360
et 480 milliards de dollars.
82
Conformément à la figure 5, les investisseurs individuels et les fondations waqfreprésentent à eux seuls près de
76 % du marché, alors que les grandes et très grandes fortunes (UNWI/UHNWI) apportent 13,13 % de
l'investissement. La quasi-totalité du reste est répartie entre les fonds de pension pour 8,42 % et les compagnies
d'assurances islamiques takaful. Quant aux fonds souverains, leur participation à cette industrie reste très
marginale. Ces constatations mettent en évidence le potentiel de développement de ce secteur et la nécessité de
déployer de nouveaux produits répondant aux attentes des investisseurs.

64
La performance des investissements en actifs islamiques

83
Selon Hayat et Kraeussl [2011], les fonds d'investissement islamiques ne sont pas au maximum de leur potentiel,
puisque de nombreuses réserves font obstacle à leur croissance. Il s'agit en l'occurrence du manque de liquidité,
du rythme faible d'innovation [Zaher et Hassan, 2001] et de la faible sensibilisation des clients potentiels
[Rammal et Zurbruegg, 2007]. De même, il n'existe pas de réel consensus sur les critères de sélection des actifs à
intégrer. Ces constatations seraient d'ailleurs valables pour toute l'industrie financière islamique. Quelles
conséquences tout cela peut-il avoir sur la performance des fonds d'investissement islamiques ?
Figure 5. Les investisseurs en fonds islamiques

Source : Ernst & Young [2010].•

Analyse théorique de la performance des fonds d'investissement islamiques

84
Le risque systématique des fonds islamiques. — L'obligation pour les gestionnaires d'appliquer l'ensemble des
critères qualitatifs et quantitatifs lors de la sélection des titres, et aussi de manière invariable tout au long de la
durée de vie du fonds islamique géré, apporte une certaine homogénéité dans les styles de gestion. Les filtres
islamiques restreignent l'univers des activités admissibles et réduisent le nombre de titres éligibles. Ces critères
réunissent en effet l'ensemble des gestionnaires, ce qui n'est pas le cas des fonds conventionnels.
85

65
Cette caractéristique pourrait avoir un impact sur le niveau de risque systématique des fonds islamiques. Leur
bêta mesuré par rapport à un indice islamique tendrait à être plus faible que celui des fonds conventionnels
mesuré par rapport à un indice conventionnel.
86
De plus, la valeur du bêta des fonds islamiques devrait être plus faible en raison du niveau limité d'endettement
des firmes éligibles. Le taux d'endettement est en effet associé dans la littérature financière à un risque de levier
d'autant plus élevé que le niveau de la dette est fort.
87
Les fonds islamiques auraient également tendance à privilégier l'investissement dans de petites capitalisations.
La plus forte disposition des entreprises de grande taille à exercer dans des secteurs non tolérés ou à recevoir des
revenus issus d'activités prohibées serait en effet à l'origine d'un risque de non-conformité plus important
[Hoepner et al., 2010].
88
De la même manière, les titres composant les fonds islamiques auraient tendance à surpondérer les valeurs de
croissance au détriment des valeurs de rendement, réputées avoir un plus fort levier d'endettement [Hoepner et
al., 2010].
89
Pourquoi la performance des fonds islamiques devrait-elle être inférieure à celle des fonds conventionnels ? —
L'application des critères de sélection aux fonds islamiques restreint l'univers des investissements possibles et
réduit les opportunités d'investissement. Cette limite à la diversification fait émerger des risques spécifiques qui
n'ont pas toujours leur contrepartie en termes de rentabilité. Une moindre performance pourrait alors en résulter.
90
D'abord, un univers d'investissement plus étroit devrait handicaper la diversification des fonds et les exposer à un
risque idiosyncratique plus important comparé à celui des fonds conventionnels. Toutefois, les protagonistes de
la finance islamique réfutent cet argument et mettent en avant le champ d'investissement assez large malgré les
filtres et présentant des possibilités offertes dans plusieurs secteurs d'activité. Pourtant, d'un point de vue
empirique, les observations tendent à démontrer que les fonds d'investissement en actions islamiques sont moins
diversifiés que leurs équivalents conventionnels. C'est par exemple le cas de l'étude d'Abdullah et al.[2007],
portant sur un échantillon de fonds malaisiens.
91
Par ailleurs, l'application d'un taux d'endettement maximum lors de la sélection pourrait amener à retenir les
titres d'entreprises ayant une structure de financement sous-optimale du point de vue de la théorie financière.
Cette condition pourrait également être à l'origine de la sélection d'entreprises confrontées à des difficultés
financières, d'entreprises en détresse, de petites capitalisations ou encore d'entreprises en croissance.
92
Dans le même ordre d'idées, l'exigence d'investissement dans des entreprises ne disposant pas d'importantes
créances dans leurs actifs amène à privilégier les titres de firmes confrontées à un risque de liquidité. C'est le cas
dès lors que le niveau des créances détermine aussi bien les ratios de liquidité que le niveau du besoin en fonds
de roulement.
93
Les fonds d'investissement islamiques doivent aussi sélectionner les titres qui n'engendrent pas ou peu de
revenus issus des taux d'intérêt. Par conséquent, les entreprises retenues auront tendance à ne pas disposer de
trésorerie importante dans leurs actifs. La théorie financière offre plusieurs explications pour un faible niveau de
la trésorerie détenue par les firmes. Cela pourrait être la preuve d'une bonne gouvernance par des gestionnaires
évitant de dilapider les liquidités de la firme. Il peut également refléter un niveau de risque économique assez

66
faible, ne nécessitant pas de détenir par précaution d'importants actifs de trésorerie, comme il pourrait être le
résultat de la présence dans les actifs de projets d'investissement ayant une valeur actuelle nette (VAN) négative
et qui engendrent peu de flux de trésorerie. Le risque existe donc pour les fonds islamiques de détenir les titres
de firmes qui surinvestissent dans des projets peu ou pas rentables.
94
Le souci permanent de respecter l'ensemble des critères de sélection des titres oblige les gestionnaires de fonds à
être vigilants en cas de changement dans les données financières des firmes retenues. Chaque décision prise au
niveau de la firme a potentiellement des conséquences sur l'éligibilité ou non de ses titres. Cette veille
permanente pourrait se traduire par des ajustements fréquents de la composition du portefeuille et être à l'origine
de frais de transaction supplémentaires, mais aussi de moins-values forcées. C'est particulièrement le cas en
période baissière, car une chute de la valeur des fonds propres augmente mécaniquement le ratio d'endettement.
Les actions ainsi devenues non éligibles seront vendues à perte. Ces gestionnaires auront parfois du mal à
appliquer dans ces conditions, comme leurs homologues des fonds conventionnels, une stratégie de buy-and-
hold. Certaines études, comme celles de Hayat et Kraeussl [2011] et Annuar et al. [1997], montrent en effet que
les gestionnaires des fonds islamiques sont de mauvais market timers.
95
Une autre conséquence de la limitation de l'univers des investissements possibles se situe plutôt au niveau des
stratégies d'investissement à mettre en œuvre. En effet, l'existence d'interdits handicape les gestionnaires de
fonds et les empêche de profiter à un moment donné d'une forte rentabilité attendue sur certains actifs financiers
susceptibles de booster la performance du fonds géré. Les gestionnaires de fonds n'auraient alors pas toujours la
possibilité d'exploiter la qualité de leur information sur le marché. L'exclusion de certains secteurs ou titres plus
ou moins attractifs pourrait ainsi se traduire par une moindre capacité à battre le marché.
96
Les gestionnaires sont également contraints par l'interdiction de certaines pratiques courantes en gestion d'actifs,
telles que les ventes à découvert, les opérations à effet de levier ou encore les opérations de spéculation. Cela
limite leur capacité d'exploiter une information privilégiée sur un produit ou un actif financier, et de conquérir
certains nouveaux marchés, comme le feraient les gestionnaires de fonds conventionnels.
97
En outre, les exigences de conformité de toutes les opérations réalisées par le gestionnaire de fonds et leur mise
en pratique constituent autant de tâches supplémentaires à accomplir. Le gestionnaire est en permanence
préoccupé par la conformité du fonds et ne pourrait se mobiliser pour réaliser la meilleure performance, comme
le ferait le gestionnaire d'un fonds conventionnel. C'est d'autant plus le cas que, dans l'éthique musulmane, la
recherche de profit ne devrait pas constituer une finalité en soi. Un parallèle pourrait être fait avec les fonds
socialement responsables, pour lesquels certains auteurs font valoir que les préoccupations concernant la
responsabilité seraient préjudiciables à la performance financière [Geczy et al., 2005].
98
De plus, les gestionnaires sont confrontés au risque de changement des règles de conformité. Ce risque existe dès
lors que des divergences, même minimes, dans l'interprétation de certains textes issus des sources de la doctrine
musulmane ont toujours existé. Certains critères quantitatifs, comme le taux d'endettement ou le taux de revenu
attribuable à des activités non conformes, ne font pas l'unanimité des penseurs musulmans ou risquent d'être
revus. D'ailleurs, les fournisseurs d'indices boursiers islamiques utilisent des taux différents pour décider de
l'éligibilité ou non d'un titre (voir tableau 9).
99
Les fonds islamiques semblent également souffrir des conditions des marchés dans lesquels ils sont
commercialisés. Certains pays musulmans ne disposent pas encore d'un système financier suffisamment
67
concurrentiel et développé. La réglementation est parfois insuffisante pour cadrer une activité viable de gestion
d'actifs. Les mesures visant à protéger les investisseurs nécessitent encore d'être mieux élaborées, notamment en
matière d'information. À cet égard, Ahmad [2001] pointe le manque de transparence de certains fonds
islamiques. Ainsi, avant la diffusion des indices boursiers islamiques, il n'existait aucune référence adéquate
pour évaluer la performance affichée de ces fonds.
100
Pourquoi la performance des fonds islamiques devrait-elle être supérieure à celle des fonds conventionnels ? —
D'autres arguments viennent soutenir l'idée que l'exclusion des titres non conformes aurait un effet favorable sur
la performance des fonds islamiques. Le bannissement des titres des secteurs prohibés tels que l'alcool et le tabac
permettrait de meilleures performances [Hong et Kacperczyk, 2009]. En outre, certains auteurs considèrent que
la sélection, aboutissant notamment à l'élimination du secteur financier, constitue en soi une étape préalable dans
la gestion des risques liés à l'investissement [Lee et Faff, 2009]. L'exclusion de titres comme Enron, Tyco et
Worldcom du Dow Jones Islamic Market Index, avant même l'éclatement des scandales les concernant, en serait
une preuve [Ghoul et Karam, 2007]. Pour certains, l'application des critères de l'investissement islamique aurait
également tendance à limiter les dommages généralement imputables aux gestionnaires des fonds [Abdullah et
al., 2007].
101
Le niveau de performance serait par ailleurs lié à la localisation géographique des fonds islamiques. Ces produits
sont susceptibles d'être mieux valorisés par les agents qui adhèrent à leurs valeurs. Ceci devrait se refléter dans
leur fonction d'utilité. Par conséquent, les fonds d'investissement islamiques devraient connaître une meilleure
performance dans les économies à prédominance musulmane comparées aux autres [Hoepner et al., 2010].
102
En outre, les gestionnaires de fonds ont tendance à tirer profit de leur localisation dans un centre financier avec
une certaine densité d'intermédiaires financiers et de concurrents. Ce cadre est propice à la disponibilité d'une
information de meilleure qualité et à l'apparition de mécanismes d'entraînement et d'un effet d'apprentissage. Tel
pourrait aussi être le cas dans les centres financiers islamiques situés dans certaines économies de pays
musulmans.

Principaux résultats empiriques

103
Peu d'études empiriques ont été consacrées à ce sujet. Ceci s'explique essentiellement d'une part par la relative
jeunesse de l'industrie, qui ne permet pas de disposer d'historiques longs, et d'autre part par des problèmes de
disponibilité des données sur les bases de données les plus accessibles aux chercheurs.
Les benchmarks islamiques permettant de juger de la performance des fonds islamiques sont encore plus récents.
Cela rend difficile la restitution des schémas d'évolution de la performance des fonds lors de circonstances
particulières de marché, en cas de crise ou de mouvement haussier ou baissier par exemple.
104
De plus, les publications existantes manquent souvent d'encadrement académique et peuvent parfois souffrir de
problèmes de validité statistique, tant les tests de significativité et de robustesse ne sont pas systématiquement
menés. Les articles les plus sérieux portent aussi bien sur la performance des indices islamiques que sur celle des
fonds islamiques. L'étude des indices boursiers islamiques permet de mesurer l'impact sur la performance des
critères de sélection et des contraintes imposées sur les firmes retenues. La performance d'un indice n'est affectée

68
ni par le style d'investissement ni par l'objectif du fonds ou le timing. La performance des fonds est estimée à
partir de données boursières. Elle est donc calculée en valeur brute, avant prise en compte des frais de gestion.
105
Il semble ne pas y avoir de consensus quant aux résultats obtenus.
106
Pas de différence de performance entre les investissements islamiques et conventionnels. — Albaity et Ahmad
[2008] trouvent que les indices islamiques ne surperforment pas de manière significative les indices
conventionnels. En outre, Hoepner et al. [2010] analysent deux cent soixante-cinq fonds d'investissements en
actions islamiques de vingt pays. Au niveau global, l'étude ne met pas en évidence de différences significatives
en termes de performance avec le marché actions de manière générale. Toutefois, les auteurs constatent que les
fonds situés dans les régions où la finance islamique est la plus développée, i.e. les pays du GCC et la Malaisie,
exhibent un niveau de performance concurrentiel, voire surperforment les benchmarks internationaux. Ce qui
n'est pas forcément le cas des fonds islamiques établis dans d'autres pays, notamment à culture chrétienne.
107
Une meilleure performance pour les investissements islamiques. — Par ailleurs, Abdullah et al. [2007], dans
une étude portant sur soixante-cinq fonds malaisiens dont quatorze islamiques, trouvent que les deux types de
fonds sous-performent légèrement l'indice boursier de référence. Toutefois, l'échantillon de fonds islamiques
semble mieux performer que les fonds conventionnels en période de baisse, alors que l'inverse est observé en
période haussière. De leur côté, Annuaret al. [1997] étudient trente et un fonds d'investissement malaisiens à
majorité islamique. Les résultats montrent que ces fonds surperforment l'indice boursier Kuala Lumpur
Composite Index sur la période 1990-1995.
108
Une moindre performance pour les investissements islamiques. — En revanche, Hayat et Kraeussl [2011]
s'intéressent à cent quarante-cinq fonds d'investissement en actions islamiques sur la période allant de 2000 à
2009. Ils trouvent que, dans l'ensemble, ils sous-performent aussi bien les indices de référence islamiques que
conventionnels. La sous-performance des fonds islamiques semble être pire pendant la crise de 2008-2009,
probablement à cause d'un mauvais market timing.

Plan de l'article

Pour citer cet article


Jouaber-Snoussi Kaouther , La finance islamique, La découverte « Repères », 2012, p. 69-94.
URL : www.cairn.info/la-finance-islamique--9782707169846-page-69.htm.

V. Les sukuk 95-112

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1
es sukuk constituent le produit phare de l'industrie financière islamique. Leur développement est à l'origine

L
de la croissance du marché de capitaux islamique. Ils offrent une alternative compatible avec les valeurs
musulmanes aux obligations classiques, au point que d'aucuns les qualifient d'obligations islamiques. Ils donnent
en effet la possibilité de souscrire à des certificats d'investissement et de les échanger par la suite sur un marché

69
secondaire. Dessukuk sont cotés sur plusieurs Bourses internationales, à l'instar du NASDAQ Dubai et du
London Stock Exchange. Nyse Euronext est depuis 2008 prêt à accueillir ces titres sur un compartiment dédié.

Que sont les sukuk ?

2
L'AAOIFI, dans sa norme charia 17, définit les sukuk comme étant des certificats ayant une valeur égale et
représentant des parts indivises de propriété d'actifs tangibles, d'usufruits et de services, ou encore de propriété
d'un projet particulier ou d'une activité d'investissement spécifique.
3
Les sukuk sont donc des produits financiers adossés à des actifs tangibles ou à leur usufruit, à échéance fixe, et
qui engendrent des flux financiers permettant la rémunération des porteurs de ces titres. L'émission de ces
certificats revient dans les faits à une opération de titrisation. Chaque titre représente une quote-part indivise de
propriété sur les actifs sous-jacents générateurs de flux financiers. L'investisseur détenteur du titre est par
conséquent théoriquement associé aux risques inhérents à ces actifs. En contrepartie, il perçoit une part des
profits attachés au rendement de l'actif sous-jacent. La vente du sous-jacent ou son rachat permet à l'échéance de
rembourser les investisseurs.
4
Des sukuk souverains sont émis par les États, mais il existe aussi des émissions corporate, à l'initiative de
sociétés ou de banques. Ces titres d'investissement adossés à des actifs réels se caractérisent par une grande
flexibilité et une large diversité, tant en ce qui concerne les actifs servant de sous-jacents que dans les montages
et les niveaux de garantie. C'est la raison pour laquelle ces titres sont devenus un produit attractif pour différentes
sortes d'émetteurs à la recherche d'une vaste palette de sources de financement plus ou moins sophistiquées. Ils
offrent également la possibilité de mobiliser une épargne à la recherche d'opportunités d'investissement à long
terme.
5
Ainsi, conformément aux principes de la finance islamique, la rémunération ne prend pas la forme d'un taux
d'intérêt. De même, l'actif tangible sous-jacent est obligatoirement licite. Malgré cette restriction, les panoplies
d'actifs pouvant être titrisés restent très larges et les possibilités de montage nombreuses.

Les fonctions des sukuk

6
Les sukuk sont essentiellement conçus pour permettre le financement des entreprises, des banques et des
émetteurs souverains. Il s'agit d'un instrument de financement de projets, d'actifs ou encore d'opérations
financières islamiques. Le financement est assuré lors de l'émission des sukuk sur le marché primaire. La
maturité longue qui peut caractériser certains de ces titres en fait un instrument de financement de plus en plus
populaire. Une fois émis, les sukukcotés constituent des véhicules d'investissement pour les porteurs qui peuvent
alors les revendre sur les marchés financiers.
7
C'est également un instrument de gestion des risques à la disposition notamment des banques islamiques qui
peuvent s'en servir pour équilibrer leurs bilans ou pour titriser leurs créances. Leur flexibilité en fait en outre un
outil privilégié dans la gestion du risque de liquidité. Ils peuvent aussi constituer une garantie offerte par la
banque en contrepartie d'un risque de crédit par exemple.

70
Les structures de sukuk

8
Selon l'AAOIFI, on dénombre actuellement quatorze modalités possibles de structuration des sukuk. Cependant,
dans la pratique, seulement quatre d'entre elles sont les plus courantes. Ces modèles reposent sur les instruments
financiers présentés dans la première partie de cet ouvrage.

Des constantes dans la structuration des sukuk

9
Lors de la structuration de sukuk, le premier impératif consiste à analyser l'activité de l'initiateur de l'opération et
à identifier clairement les actifs ou les opérations qui seront financés par les titres à émettre. En effet, lorsqu'un
acteur financier souhaite procéder à l'émission de sukuk, il doit garantir les conditions de traçabilité des revenus
reversés aux titulaires de parts. Ainsi, il est tenu de clairement identifier les emplois auxquels sont affectés les
fonds collectés lors de l'émission de ces titres et de les gérer de manière indépendante du reste de ses actifs.
10
Pour ce faire, il est le plus souvent fait appel à une entité ad hoc ou SPV (special purpose vehicle), qui remplit le
rôle du fiduciaire et qui procédera alors à l'émission des titres à l'endroit de l'initiateur de l'opération. À travers
cette entité, la propriété des actifs sous-jacents est transférée, selon l'instrument financier utilisé, aux
investisseurs conjointement ou non avec l'initiateur. Ce dernier charge l'entité ad hoc de la collecte des fonds, de
la gestion des actifs ou des opérations qui constitueront le sous-jacent aux sukuk et de la distribution des revenus
aux détenteurs de titres. C'est aussi au niveau de l'entité ad hoc qu'est organisée la liquidation des sukuk à
l'échéance. Lorsque c'est prévu dans les contrats, le rachat des actifs sous-jacents par l'initiateur auprès des
détenteurs de parts marque le terme des sukuk. La figure 6 illustre dans un schéma générique les flux financiers
échangés entre les parties prenantes dans la structuration de sukuk.
11
Dans certaines juridictions et pour des émissions assez particulières, il est possible de se passer de l'entité ad hoc.
C'est par exemple le cas au Bahreïn où la banque centrale émet des sukuk sans passer par un SPV au nom du
gouvernement qui garantit le paiement des loyers aux détenteurs de parts et qui rachètera les actifs à maturité
[Storck et Cekici, 2011].

71
Figure 6. Représentation générique des flux financiers dans une structuration de sukuk

12
Dans tous les cas, un sharia board doit procéder à un examen approfondi de la structure proposée et veiller à la
conformité des sukuk lors de leur structuration, mais également pour toutes les opérations qu'ils suscitent tout au
long de leur durée de vie. C'est ainsi que la négociation sur un marché secondaire de certaines structures
de sukuk n'offrant pas une propriété entière des porteurs sur les actifs sous-jacents est exclue. Tel est le cas
des sukuk al-mourabaha et des sukuk al-salam, car leurs actifs sous-jacents respectifs sont assimilés à des
instruments de dette et ne peuvent par conséquent être transférés. Le rôle des jurisconsultes s'est renforcé depuis
que l'AAOIFI a émis en 2008 un avis juridique (une fatwa) déclarant non conformes un nombre important
de sukuk et engageant dans cela la responsabilité des sharia boards.
13
La structuration de sukuk doit être formalisée par un ensemble de documents contractuels, établis en respect des
règles de la finance islamique. Selon Storck et Cekici [2011], on en dénombre entre vingt et trente par émission.

72
Il s'agit par exemple de l'acte de constitution de l'entité ad hoc (empruntant souvent le schéma du trust anglais ou
de la fiducie), du contrat de mandat de gestion ou encore des promesses d'achat et/ou de vente à l'échéance. En
particulier doivent être établis les contrats liant l'entité ad hoc avec d'une part l'initiateur de l'opération et d'autre
part les investisseurs. Ces contrats matérialisent l'instrument financier islamique sous-jacent mis en place par
l'initiateur, financé par les investisseurs et qui permettra à ces derniers de toucher les revenus des sukuk après
déduction des frais de gestion et de l'éventuelle rémunération de l'initiateur. Cet instrument peut prendre des
formes différentes, comme l'istisna, l'ijara, la mourabaha, etc. C'est la nature de cet instrument mais aussi le
niveau de garantie offert aux investisseurs qui déterminent la structure finale des sukuk.

Le niveau de garantie des sukuk

14
Les sukuk peuvent être garantis ou non par l'initiateur.
15
Les sukuk non garantis (asset-backed sukuk). — Dans ce cas, une vente des actifs sous-jacents a lieu entre
l'initiateur de sukuk et l'entité ad hoc, de sorte que les détenteurs de sukuk soient légalement propriétaires de ces
actifs et en supportent totalement les risques. Ils n'ont par conséquent aucune possibilité de recours à l'encontre
de celui qui a été à l'origine de l'émission. Ainsi, dans le cas d'une rémunération jugée insuffisante, les porteurs
de sukuk ne peuvent se retourner contre l'initiateur. Leur seul interlocuteur est l'entité ad hoc, à laquelle la
propriété des actifs sous-jacents a été totalement transférée. Ils ne bénéficient ainsi d'aucune garantie quant aux
flux attendus comme rémunération de leur investissement en sukuk.
16
Les sukuk garantis (asset-based sukuk). — La garantie vient du fait que la propriété légale des actifs sous-
jacents n'est pas d'emblée reconnue aux détenteurs de sukuk. Bien que, en ce qui concerne la conformité au droit
musulman, il puisse paraître assez paradoxal d'octroyer des garanties aux détenteurs de sukuk, il existe
néanmoins une multitude de mécanismes et d'instruments à même de répliquer de manière acceptable les
garanties pouvant être fournies par l'initiateur.
17
Plusieurs observateurs tendent à rapprocher les sukuk garantis des titres d'obligations non subordonnées de
l'émetteur, tandis que les sukuk non garantis sont souvent traités comme des titres de fonds propres.

Les différentes structures de sukuk

18
Les sukuk al-ijara. — Il s'agit des sukuk les plus populaires et les plus répandus dans le monde. Leur popularité
vient probablement de la simplicité de leur structure et de l'accueil favorable dont ils bénéficient auprès
des sharia scholars. L'ijara se prête d'ailleurs facilement à l'exigence d'un revenu distribuable aux porteurs
devant être issu d'un actif tangible.
19
Dans cette structure de sukuk, les sommes récoltées auprès des investisseurs initiaux en sukuk sont mobilisées
pour faire l'acquisition, pour le compte de ces derniers, d'actifs déterminés, et ce dans le but de les mettre en
location. Une fois déduites les éventuelles dépenses engagées pour le maintien de l'actif en état d'être loué, les
loyers collectés permettent de servir un revenu régulier aux propriétaires de parts, avec la souplesse nécessaire
pour l'adapter de façon à engendrer des profits. En contrepartie, les investisseurs sont soumis au risque de pertes
liées à une mauvaise performance des actifs ou une absence de performance. À terme, il est à la fois admis et

73
fréquent d'utiliser un engagement d'achat pour revendre les actifs sous-jacents de façon à ce que le montant
récolté soit reversé aux investisseurs.
20
Autour du modèle de sukuk al-ijara se sont développées plusieurs structures hybrides visant à apporter une
flexibilité supplémentaire. C'est par exemple le cas lorsque le bien objet du contrat de location est encore en
phase de construction. Il est alors fait recours à un contrat istisna, combiné avec une sorte de location à terme.
21
Les sukuk al-moucharaka. — Cette structure offre une solution pour émettre des sukuk alors même qu'un actif
tangible n'est pas forcément identifié. En effet, l'initiateur de sukuk et le fiduciaire mettent en commun leurs
apports en numéraire ou en nature pour participer ensemble à la propriété d'un actif sous-jacent, d'un commerce
ou d'un projet commun engendrant des revenus. Une structure ad hoc est alors créée pour accueillir la
copropriété et gérer ses revenus. C'est aussi elle qui émet les sukuk sur le marché. Les revenus de
la moucharakasont partagés entre l'initiateur de sukuk et le fiduciaire selon un ratio de partage prédéfini, alors
que les pertes sont imputées à chacun des cocontractants en fonction de son apport. Le ratio de partage est fixé
de sorte que la part du fiduciaire permette de servir un revenu plus ou moins régulier aux porteurs desukuk.
22
Lors de l'occurrence d'un événement de défaut ou à la maturité des sukuk, l'initiateur des titres achète au
fiduciaire ses parts dans la moucharaka. Avant 2008, il était courant de fixer le prix d'achat sous la forme d'un
prix d'exercice connu dès l'émission. Depuis, l'AAOIFI préconise toutefois l'application d'un prix égal à la juste
valeur de marché des parts du fiduciaire au moment de la vente. Ce prix est ensuite distribué aux porteurs
de sukuk en tant que valeur de liquidation.
23
Ce modèle connaît une régression depuis que sa structure incluant un engagement d'achat à terme a été critiquée
par l'AAOIFI en 2008. Des solutions ont été imaginées pour pallier le risque pour le fiduciaire, et par ricochet
pour les porteurs de sukuk, de subir une moins-value lors de la vente. Il est ainsi possible de constituer un fonds
de réserve permettant de lisser les revenus des investisseurs et de combler une éventuelle moins-value, comme il
est parfois fait appel à des solutions externes pour gérer les risques de liquidité.
24
Une variante consiste à structurer le sukuk selon le modèle de la diminishing moucharaka,
ou moucharaka dégressive, dans lequel la vente de parts par le fiduciaire s'opère de manière progressive tout au
long de la durée de vie dessukuk.
25
Les sukuk al-moudharaba. — Comme les précédents, les sukuk al-moudharaba ne nécessitent pas qu'un actif
sous-jacent tangible ait été préalablement identifié. Dans ce modèle, les investisseurs financent par leurs apports
l'entité ad hoc qui joue le rôle du financeur (rab al maal) dans l'accord moudharaba, et l'initiateur desukuk le
rôle de l'entrepreneur (moudharib). Les revenus de l'entreprisemoudharaba servent à verser des frais de gestion
et une part dans les profits à l'initiateur, comme ils servent à rémunérer les investisseurs à travers l'entité ad
hoc et selon un ratio de partage prédéterminé. Toutefois, s'il y a perte, elle incombe totalement aux titulaires
de sukuk.
26
À terme, l'entreprise de moudharaba est liquidée et l'initiateur achète la totalité des parts (l'achat se fait au prix
du marché depuis 2008). Le montant collecté est servi aux investisseurs comme valeur de rédemption, après
déduction des frais et différentes rémunérations des parties prenantes.
27

74
Les sukuk al-salam. — L'opération salam implique une livraison différée contre un paiement immédiat. Dans ce
modèle de sukuk, l'entité ad hoc émet les sukuk et reçoit le prix d'émission qui servira à réaliser une opération
d'achat salam auprès de l'initiateur de l'opération. Ce dernier recevant le prix, il n'aura à livrer l'actif sous-jacent
qu'à une date ultérieure prédéfinie. Les revenus engendrés par cet actif une fois livré permettent de verser une
rémunération aux porteurs de sukuk. L'actif pourra être racheté par l'initiateur à la date d'échéance, et le prix de
liquidation reversé aux investisseurs finaux.
28
L'utilisation des opérations salam comme modèle pour structurer des sukuk reste limitée, notamment en raison
des conditions de conformité très strictes que devront satisfaire les modalités de livraison de l'actif sous-jacent.
En outre, une fois émis, les sukuk al-salam ne sont pas négociables, car leur revente reviendrait en réalité à
titriser de la dette, ce qui est totalement interdit en finance islamique et constitue un autre frein au
développement de ces titres.
29
Les sukuk al-istisna. — Dans ce modèle, les sommes collectées auprès des investisseurs finaux viennent
financer, via une entité ad hoc, un bien défini en phase de production ou de construction par l'initiateur de sukuk.
Le décalage entre les sommes récoltées au comptant auprès du public et les sommes payées de manière
échelonnée par l'entité ad hoc à l'initiateur des sukuk peut nécessiter la mise en place d'une gestion de cet
excédent de liquidités disponibles.
30
Pendant la phase de construction, parallèlement au contrat istisna, il est souvent conclu un contrat de location
anticipée à travers lequel des loyers sont encaissés pour être reversés en guise de rémunération aux porteurs
de sukuk. À terme, une fois le bien livré, la location peut continuer un certain temps, ou le bien est revendu et le
bénéfice réalisé sert alors à rémunérer les investisseurs.
31
Les sukuk al-istisna n'ont pas connu la réussite qui leur a été prédite. Leur utilisation est restée limitée
notamment à cause de l'impossibilité de les revendre pendant la période de construction de l'actif sous-jacent.
32
Les sukuk al-mourabaha. — Dans cette structure, aucun actif tangible n'est a priori identifié comme sous-jacent
aux sukuk à émettre. Les fonds collectés par l'entité ad hoc auprès des investisseurs permettent de financer des
opérations mourabaha au profit de l'initiateur. L'entité ad hoc acquiert les matières premières sur le marché et les
revend avec marge à l'initiateur qui aura alors la possibilité de payer le prix en plusieurs fois de manière étalée
dans le temps. La marge ainsi réalisée sert de base pour rémunérer les détenteurs de sukuk.
33
Les sukuk al-istithmar. — Cette structure offre notamment aux institutions financières islamiques la possibilité
de titriser leurs créances du bilan. Il est à noter que, afin de garantir la traçabilité, la titrisation n'est admise en
finance islamique qu'une seule fois. Grâce aux sukuk al-istithmar, une banque islamique peut réunir ses créances
et les revendre à l'entité ad hoc de sorte qu'elles forment le sous-jacent au sukuk vendu aux investisseurs.
34
Autres sukuk. — L'ingénierie financière islamique a imaginé des structures plus ou moins complexes pour
répondre aux besoins des différents opérateurs sur les marchés de capitaux islamiques. Toutes ces structures sont
présentées dans la norme charia 17 de l'AAOIFI. Il existe ainsi des sukuk al-wakala qui reposent non pas sur un
seul actif sous-jacent, mais plutôt sur un portefeuille d'actifs et d'opérations différents. De même, la norme 17
présente aussi les sukuk al-manfa'a, où l'usufruit de l'actif sous-jacent propriété de l'initiateur est octroyé à la
société ad hoc. Certaines autres structures sont spécialement conçues pour financer les activités agricoles. C'est
le cas des sukuk al-mouzara'a, sukuk al-mousakat ou encore sukuk al-mougharasa.

75
Le marché des sukuk

35
En volume cumulé, une estimation par l'IIFM chiffre le marché des sukuk à 136 milliards de dollars au 30 juin
2009. Depuis le premier sukuk émis en Malaisie par la compagnie Shell MDS en 1990, les émissions
de sukuk ont connu une croissance remarquable sur les marchés financiers. Un ralentissement a été toutefois
observé en 2009 à la suite de l'onde de choc provoquée par la crise dessubprimes ainsi que de la publication de
la fatwa de l'AAOIFI en 2008, remettant en cause la conformité de certaines structures de sukuk. Une reprise de
l'activité a marqué le marché des sukuk au premier semestre 2010, avec 98 émissions pour une valeur de
13,7 milliards de dollars, contre 32 émissions pour 7,1 milliards de dollars lors de la même période en 2009, soit
près de deux fois plus. Non loin des trois quarts du volume de la période a été à l'initiative des émetteurs
souverains [Standard and Poor's, 2010].
36
L'Asie, et notamment la Malaisie, tire cette croissance, alors que les pays du Golfe semblent montrer des signes
d'essoufflement. L'Asie réunit plus de 70 % des émissions. En réalité, comme le montre la figure 7, deux pôles
semblent dominer ce marché. Les pays du GCC forment 32 % du marché. À elle seule, la Malaisie a émis 53 %
des titres en 2010 : le marché malaisien demeure en effet le plus profond et le plus dynamique des marchés
de sukuk.
37
La Malaisie semble privilégier son marché domestique en même temps que les pays du GCC menés par le
Bahreïn ont plus développé les émissions sur les marchés internationaux. Ainsi, 83 % des émissions par les pays
du GCC se font sur les marchés internationaux, alors que 66 % des émissions de la Malaisie se font sur son
marché domestique. Parmi les pays du GCC, c'est sur le marché domestique du Bahreïn que se font la plupart
des émissions, notamment par le gouvernement bahreïni lui-même. D'après l'IIFM [2010], les Émirats arabes
unis se positionnent en leader mondial de l'émission de sukuk à l'international, avec 55 % de la valeur totale
des sukuk. 56 % des émissions internationales de sukuksont à l'initiative des entreprises, le reste est partagé entre
les émissions souveraines (26 %) et quasi souveraines (18 %). La première émission souveraine a été lancée par
le gouvernement du Royaume du Bahreïn en septembre 2001 sous la forme d'un sukuk al-ijara ayant une
maturité de cinq ans, pour un montant total de 100 millions de dollars. Plusieurs émissions souveraines ont suivi,
notamment à l'initiative des pays membres du GCC comme le Qatar et l'Arabie saoudite. L'émission du
premier sukuk japonais, en juillet 2010, montre que ce marché ne se cantonne plus aujourd'hui aux limites des
pays abritant une forte population musulmane, mais aspire également à la globalisation.

76
Figure 7. Parts de marché des émissions de sukuk

Source : IIFM [2010].•


38
L'expansion du marché primaire de sukuk depuis 2010 fait face à une liquidité limitée et à une absence de
standardisation. La majorité des sukuk n'accèdent pas à la cote sur un marché secondaire. Ainsi, en 2006,
seulement 20 à 25 % des sukukémis ont été cotés. En outre, lorsqu'ils sont cotés, les sukuk connaissent un
volume et un rythme d'échange souvent faibles. Ainsi, Cakir et Raei [2007] comparent les pourcentages de jours
d'activité pour un échantillon de sukuk et d'obligations cotés sur les mêmes places boursières. Les auteurs
soulignent que, hormis au Bahreïn, les sukuk étudiés sont très peu échangés, avec seulement 23 % de jours
enregistrant des transactions sur le marché malaisien ou encore 12 % au Qatar.
39
En 2006, Dubaï est la place financière où l'on trouve le plus gros volume de sukukcotés, mais le marché
secondaire y est encore peu développé. La place de Londres est en deuxième position et bénéficie d'un marché
secondaire plus actif, avec un volume d'échange sur les sukuk estimé en 2006 à environ 2 milliards de dollars.

77
40
Plusieurs raisons sont à l'origine du manque de liquidité sur le marché secondaire des sukuk. Ces titres sont en
effet émis sur des marchés émergents, où le marché secondaire est souvent embryonnaire. En outre, plusieurs
constatations viennent corroborer l'idée d'une demande souvent supérieure à l'offre de sukuk. Ce manque
d'adéquation entre l'offre et la demande s'expliquerait par la préférence des investisseurs pour une perspective
plutôt de long terme. En effet, conformément à l'esprit des principes de la finance islamique, les détenteurs
de sukuk sont très souvent enclins à garder les titres acquis jusqu'à maturité. De plus, le marché des sukuk semble
souffrir de la pénurie d'émetteurs d'excellente qualité (notés AAA), ce qui ne favorise pas le développement du
marché secondaire.

Sukuk versus obligations

41
Comme les obligations, les sukuk sont des produits financiers ayant une échéance fixée d'avance et pouvant être
cotés. Ils sont d'autant plus comparables à leurs homologues conventionnels qu'ils sont garantis, négociables et
offrent un revenu stable. Mais, quand bien même ils réuniraient des caractéristiques communes avec les
obligations, ils ne sauraient être considérés comme des titres représentatifs de dette. Ils constituent en effet des
certificats de propriété d'un actif tangible. À ce titre, plusieurs caractéristiques distinguent les deux catégories de
titres.

La rentabilité

42
Les revenus des sukuk ne sont pas déterminés par un quelconque intérêt et ils sont, en théorie et par application
du principe de partage des profits et des pertes entre l'émetteur et le détenteur du titre, rarement fixes. La
rémunération des détenteurs dépend en effet des résultats réalisés sur l'actif sous-jacent financé.
43
Outre le risque de crédit, la structuration de ces titres confronte les détenteurs à un risque lié à la rentabilité
volatile des actifs financés. L'émetteur n'est pas tenu de rembourser le porteur d'un sukuk. Cependant, quoi qu'il
advienne, il est tenu à une obligation de bonne gestion du projet et de bonne conduite notamment vis-à-vis de
l'investisseur.
44
D'aucuns comparent les sukuk aux ABS (asset-backed securities), qui se présentent sous la forme de valeurs
mobilières adossées à un portefeuille d'actifs qui en détermine les flux. La titrisation est le principal vecteur de
création de ces titres. En effet, dans le cadre d'opérations de titrisation, les ABS représentent les titres émis par le
véhicule ad hoc afin de lui permettre d'acheter des actifs, comme des stocks ou des créances clients auxquels ils
sont donc adossés. Si un rapprochement dans la structuration peut être fait entre les sukuk et les ABS, les
principales différences résident là aussi au niveau de la nature de la rémunération et dans le fait que,
contrairement aux ABS, les sukuk donnent un droit direct de propriété sur les actifs auxquels ils sont adossés.

Le risque

45

78
Non seulement les détenteurs de sukuk se trouvent sujets aux mêmes principaux risques auxquels sont confrontés
les détenteurs d'obligations conventionnelles, tels que les risques de contrepartie, de réinvestissement et de
liquidité, mais ils soulèvent en plus une série de risques spécifiques.
46
Le risque de crédit. — Le risque de crédit prend différentes formes suivant le contrat financier avec lequel la
structuration des sukuk est opérée. Ainsi, dans un contrat de mourabaha par exemple, l'investisseur s'expose au
risque de non-paiement du prix par l'acheteur. Il s'exposera au risque de non-paiement des loyers par le locataire
dans un contrat d'ijara et au risque de non-remboursement du capital investi ou encore de non-paiement de sa
part de bénéfices dans les contrats moudharaba et moucharaka.
47
Le rééchelonnement de la dette n'étant pas possible en finance islamique en raison de la prohibition de l'intérêt, il
est possible d'imaginer que les contreparties seraient en général plus enclines au défaut. En outre, le principe de
partage des profits comme des pertes expose le détenteur à un risque de contrepartie plus important.
48
En ce qui concerne les financements participatifs, dont les sukuk, on peut dans ce sens être amené à penser que le
risque de contrepartie se trouve accentué du fait que la responsabilité de la contrepartie ne peut être engagée en
cas de perte ou de rendement moindre par rapport à ce qui aurait pu être convenu ou envisagé. Elle le serait
seulement en cas de faute lourde et avérée de l'entrepreneur-émetteur. Il devient ainsi difficile de prouver la faute
du gestionnaire de l'opération et de contrôler la gestion du projet financé. De ce point de vue, il est nécessaire de
distinguer les sukuk garantis des sukuk non garantis.
49
Les sukuk sont structurés de sorte que les investisseurs soient exposés à un risque par rapport à un pool d'actifs
sous-jacents, et non directement par rapport à l'initiateur de ces actifs. Ainsi, dans la plupart des sukuk asset-
based, il existe une multitude de mécanismes et d'instruments à même de répliquer de manière acceptable les
garanties fournies par l'initiateur. Dans ce cas, le risque de crédit sur les sukuk reflète celui de l'initiateur. Les
titres reçoivent un rang équivalent à celui de n'importe quelle émission de ce même initiateur, puisque ce dernier
s'engage à garantir la perception des revenus intermédiaires et le remboursement à échéance de la somme
investie. Économiquement, il n'y a donc pas de différence en matière de risque de contrepartie.
50
Cela dit, dans un souci de meilleure conformité au droit musulman, de plus en plus d'émetteurs servent des
coupons qui reflètent dans une certaine mesure la performance des sous-jacents. Les détenteurs se trouvent ainsi
exposés à plus de risques. Dans de telles structures de sukuk non garantis, la qualité de crédit de l'initiateur
importe relativement peu et c'est davantage celle du pool d'actifs sous-jacents qui prévaut.
51
Les risques de marché. — Ils sont inhérents aux différents types d'actifs auxquels sont adossés les sukuk. C'est
un risque notamment présent lors de la liquidation de l'actif sous-jacent à la date d'échéance.
52
Le risque de taux. — Les sukuk sont indirectement exposés à des fluctuations de taux d'intérêt par l'évaluation
comparative des opérations de financement sous-jacentes.
53
Le risque de taux de rendement. — Il s'agit du risque que le projet financé, ou sous-jacent sur lequel sont
adossés les sukuk, ne délivre pas la performance attendue. Le risque de rendement comprend notamment le
risque de non-paiement de la rémunération attendue à temps. Il se manifeste également à terme par le non-rachat
des actifs sous-jacents par l'initiateur, et par conséquent le non-remboursement à échéance de la valeur
des sukuk.

79
54
Le risque de liquidité. — C'est un risque particulièrement important dans le cas des sukuk, notamment en raison
de l'étroitesse du marché secondaire et des contraintes sur l'échange des sukuk, comme l'interdiction de la
spéculation. Les porteurs dont l'objectif est la détention jusqu'à échéance du titre ne sont pas concernés par un tel
risque de liquidité.
55
Le risque de change. — Les investisseurs en sukuk s'exposent au risque de change dans le cas d'une divergence
entre d'une part la devise dans laquelle sont libellés les actifs sous-jacents et d'autre part la monnaie dans laquelle
sont libellés les fonds sukuk.
56
Le risque de non-conformité. — Comme tous les produits financiers islamiques, les sukuk sont confrontés au
risque d'une éventuelle perte de valeur à la suite d'une non-conformité aux principes du droit musulman. Cette
perte de valeur passe notamment par une dégradation de la réputation de l'émetteur.

Comment le marché perçoit-il les sukuk ?

57
Sur le plan théorique, comme nous l'avons exposé plus haut, plusieurs caractéristiques distinguent les sukuk des
obligations. Toutefois, peu d'études empiriques ont été consacrées à la comparaison de la perception de ces deux
modes de financement par le marché, notamment en raison d'un manque de disponibilité des données.
58
Les principaux travaux empiriques menés tendent à confirmer que les acteurs du marché distinguent clairement
les sukuk des obligations. D'autres proposent des arguments différents défendant une similarité de ces deux titres,
les rendant comparables, pour les investisseurs. Cakir et Raei [2007] étudient un échantillon de sukuk et
d'obligations émanant des mêmes émetteurs souverains, et trouvent une corrélation faible entre les rentabilités
hebdomadaires des deux types de titres. Ce résultat met en évidence un comportement différent entre les prix
dessukuk et ceux des obligations sur le marché secondaire. Par conséquent, l'intégration de sukuk dans un
portefeuille obligataire pourrait conduire à une amélioration du niveau du risque. Quand bien même cette
conclusion serait utile en matière de gestion et de diversification de portefeuille, elle ne suffirait pas pour
affirmer une amélioration de la performance à la suite de l'introduction de sukuk, particulièrement à cause de la
faible liquidité de ces titres.
59
Une réelle différence de perception par le marché entre les sukuk et les obligations est mise en exergue par
Godlewski et al. [2010]. Les auteurs mènent une étude sur un échantillon représentant 170 émissions de titres en
Malaisie, dont 93 obligations conventionnelles et 73 sukuk. Les données utilisées recouvrent la période 2002-
2009. Les traits distinctifs entre les deux catégories d'émissions se situent d'abord au niveau des caractéristiques
des titres eux-mêmes, avec en général une maturité plus courte et un montant moyen par émission inférieur pour
les sukuk en comparaison des obligations conventionnelles. Le taux moyen du coupon des sukuk est plus élevé,
alors que le prix d'émission représente un pourcentage du pair moindre. Ces constatations amènent les auteurs à
envisager que les émetteurs de sukuk lancent leurs titres dans des conditions relativement incitatives, palliant
notamment leur courte maturité et leur risque élevé. Ces titres offrent a priori d'importantes perspectives de
rendement pour le détenteur, et ce sur une courte échéance.
60
Des tests empiriques sur la réaction du marché lors de l'annonce de l'émission montrent que le marché distingue
ces deux types de titres et les perçoit de manière différente. Alors qu'en moyenne la rentabilité anormale cumulée

80
de l'émetteur n'est pas significative à l'annonce de l'émission des obligations conventionnelles étudiées, une
réaction négative est détectée lors de l'annonce de l'émission de sukuk. La qualité de l'émetteur ne semble pas
être à l'origine de cette réaction puisque l'émission de sukuk à elle seule fournit un signal négatif au marché,
quelle que soit la qualité de l'émetteur.
61
Ainsi, le marché aurait tendance à percevoir l'émission de sukuk comme un signal négatif sur la qualité de la
firme émettrice. Ces résultats sont quelque peu appuyés par les caractéristiques des émetteurs décrites par les
auteurs. Comparées aux initiatrices d'obligations conventionnelles, les firmes à l'origine des sukuk tendraient en
effet à être plus petites aussi bien en termes d'actifs au bilan que de valeur de marché. Elles sont également plus
endettées, moins capitalisées et moins rentables. Une émission de sukuk recélerait alors un problème de sélection
adverse quant à la qualité de l'émetteur. Toutefois, selon les auteurs, la réaction négative du marché peut
également trouver sa source dans un excès de demande de sukuk confronté à une offre, hélas, limitée.

Plan de l'article

8. Que sont les sukuk ?


9. Les fonctions des sukuk
10. Les structures de sukuk
11.
1. Des constantes dans la structuration des sukuk
2. Le niveau de garantie des sukuk
3. Les différentes structures de sukuk
12. Le marché des sukuk
13. Sukuk versus obligations
14.
1. La rentabilité
2. Le risque
3. Comment le marché perçoit-il les sukuk ?

Pour citer cet article


Jouaber-Snoussi Kaouther , La finance islamique, La découverte « Repères », 2012, p. 95-112.
URL : www.cairn.info/la-finance-islamique--9782707169846-page-95.htm.

Conclusion
es effets des crises successives qu'a connues l'industrie financière mondiale montrent qu'il y a de la place

L
pour des modèles alternatifs porteurs de solutions nouvelles et complémentaires. La finance islamique véhicule
des principes éthiques issus de la religion musulmane. Elle s'appuie sur un système de valeurs afin de proposer
des produits financiers novateurs. Sa résilience au plus fort de la crise des subprimes l'a érigée en exemple aux
yeux de certains observateurs.
2
La finance islamique est, depuis quelques dizaines d'années, venue s'insérer dans un paysage financier globalisé.
Si elle aspire à jouer un rôle dans le système financier international, elle n'a d'autre choix que de s'adapter à un
environnement déjà organisé. Pour atteindre ses objectifs de développement, c'est d'une manière proactive qu'elle
doit respecter les normes et les réglementations internationales, notamment en matière de gestion des risques et
de gouvernance. Sans extraire les institutions financières islamiques de la réglementation internationale, une
adaptation aux contraintes et aux risques propres à ce secteur devient une nécessité. Elle a en partie été entreprise

81
par certaines instances comme l'IFSB ou l'AAOIFI, mais d'autres efforts restent à faire afin de rassurer
définitivement le marché sur la solidité de cette finance. Le développement de la finance islamique se heurte
parfois aussi à des barrières socioculturelles. Dans certains cas, un effort d'information et de pédagogie est à
fournir.
3
L'innovation reste le point fort de l'industrie financière islamique et lui confère une marge de manœuvre très
importante. Depuis l'avènement de la finance islamique, des produits novateurs plus ou moins sophistiqués ont
été imaginés pour répondre au mieux aux besoins des acteurs du marché. Certes, les instruments proposés sont
devenus incontournables pour les acteurs de ce marché, mais l'offre demeure encore inexistante dans de
nombreux domaines, en raison notamment du manque de profondeur ou de l'absence de produits appropriés à la
demande.
4
Force est de constater que le secteur de la finance islamique n'a pas à ce jour su tirer tous les bénéfices des
solutions offertes par la théorie financière islamique. La complexité de certains instruments financiers, le niveau
d'exposition au risque qu'ils impliquent en l'absence de produits de couverture et de gestion des risques, couplés
à la lourdeur et au manque d'harmonisation des procédures juridiques, font que des produits tels que
la mourabaha sont privilégiés par les praticiens au détriment des produits de partage de pertes et de profits, tels
que la moudharaba et la moucharaka.
5
Certes, la finance islamique a beaucoup à apprendre du système financier conventionnel, riche de son
expérience. Elle a jusqu'à présent largement profité des théories et des instruments développés dans le contexte
de la finance conventionnelle, fondés sur la dette et sur l'intérêt. Toutefois, elle doit continuer à cultiver et à
marquer sa différence pour mériter sa place de système alternatif. À ce niveau, la recherche, qu'elle soit
fondamentale ou appliquée, doit jouer son rôle de précurseur pour imaginer, conceptualiser et promouvoir des
produits authentiques assurant la sécurité, la liquidité et la diversité nécessaires au développement et à l'essor
d'un système financier islamique alternatif. L'ingénierie financière doit donc constituer un axe crucial de
développement. En outre, l'offre de formation aux principes et pratiques de la finance islamique est encore
insuffisante. Le manque de ressources humaines qualifiées a longtemps pesé sur la recherche de solutions
vraiment nouvelles et viables du point de vue tant juridique que religieux ou financier. Il est naturel que la
concurrence avec le secteur bancaire conventionnel pousse les banques islamiques à rechercher une certaine
compétitivité, mais cela ne doit pas être au prix d'un détournement des fondements de cette finance et du
renoncement à ses propres schémas financiers.
6
La démocratisation de la finance islamique ne peut se faire sans une baisse des coûts et une simplification des
procédures. Une harmonisation de certaines opérations financières islamiques peut contribuer à relever ce défi.
Dans la pratique, la finance islamique reste essentiellement une finance de gré à gré, proposant des produits sur
mesure, très souvent illiquides. Bien que rares, des exemples de produits standardisés existent sur certaines
places financières, comme la Malaisie. Ils sont toutefois loin d'être généralisables et souffrent toujours d'un
manque de liquidité. Des critiques émanant de certains sharia scholars appartenant à des écoles de pensée
différentes entachent en effet la plupart de ces produits de marché.
7
Le marché secondaire des actifs islamiques, comme les fonds et les sukuk, demeure très étroit et souffre d'une
faible liquidité. La localisation de ces produits dans des pays émergents, voire en voie de développement, n'est
pas pour favoriser l'émergence et le développement d'un marché boursier actif. De même, le déséquilibre entre

82
une offre limitée de produits cotés et une demande croissante accentue le problème de liquidité. La demande
pour ce type de produits est le plus souvent alimentée par des besoins à long terme et se transforme, par
application des préceptes de la finance islamique, en un investissement dans la durée. Le marché n'en est que
moins profond.
8
Le défi majeur consiste donc à combler le fossé qui peut séparer les valeurs théoriques et les pratiques de la
finance islamique. En puisant dans ses principes fondamentaux, la finance islamique a été capable de proposer
une offre de produits viable et de créer un marché soutenu par l'attachement des acteurs aux valeurs éthiques.
Son succès, notamment lors des périodes de turbulence sur les marchés financiers mondiaux, suscite de plus en
plus l'intérêt de nouveaux acteurs. L'ouverture sur le marché mondial est une nouvelle étape à franchir dans le
développement de cette industrie bancaire et financière. Pour cela, elle a besoin de consolider ses acquis et de
réunir les compétences nécessaires pour continuer à innover et à répondre aux besoins de ses utilisateurs sans
renoncer à son authenticité et aux principes qui l'ont fondée.
Pour citer cet article
Jouaber-Snoussi Kaouther , La finance islamique, La découverte « Repères », 2012, p. 113-116.
URL : www.cairn.info/la-finance-islamique--9782707169846-page-113.htm.
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Pour citer cet article


Jouaber-Snoussi Kaouther , La finance islamique, La découverte « Repères », 2012, p. 117-120.
URL : www.cairn.info/la-finance-islamique--9782707169846-page-117.htm.

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