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IMPASSE OU RÉVOLUTION ?
Jean-Paul PONS
Avec la participation d’Henri MOREL
THEME DE RECHERCHE
Présenté à l’
PRÉFACE
Les Universités du Temps Libre sont une aventure humaine extrêmement riche. Si la première Université
de ce type, nous la devons au Professeur Pierre VELLAS de Toulouse en 1973, montrant en cela
l’implication forte du monde universitaire, l’ensemble des UTL (Universités du Temps Libre), UTA,
(Universités Tous Âges), UIA (Universités Inter Âges), UP (Universités Permanentes) , UTT (Universités
du tiers Temps) et U3A (Universités du 3ième Âge) ne sauraient fonctionner sans l’implication admirable
de nombreux bénévoles à qui il faut rendre hommage. Certaines de ces universités ont choisi de se
regrouper dans une Union Nationale, l’UFUTA (Union Française des Universités Tous Âges) qui impose
à chaque structure qui souhaite y adhérer d’avoir un lien organique avec une Université ou un
Établissement d’Enseignement Supérieur lorsque ladite structure n’est pas directement issue de
l’Université. Fortement marquée par le monde universitaire, l’UFUTA dispose d’un comité scientifique
qui décerne le prix de la recherche, ou les plumes d’or et d’argent aux structures lui présentant les
travaux de ses étudiants.
Jean-Paul PONS est l’un de ces bénévoles qui permettent à nos structures locales de fonctionner sans
dysfonctionnements majeurs, en se mettant au service de tous. Il est administrateur de l’UTL34 et était
jusqu’à très récemment Vice-Président adjoint du site de Sète, ville bien connue entres autres, des
poètes, artistes et des sportifs.
Dans le cadre du cours d’économie où il est un étudiant assidu, il a souhaité se lancer dans la rédaction
d’un thème de recherche lié aux cryptomonnaies en général et au bitcoin en particulier. Si le sujet peut
apparaître pour le profane comme répondant à un effet de mode, il en n’est rien assurément. C’est
essentiellement un sujet d’actualité qui intéresse les économistes d’aujourd’hui au plus haut point, car
les risques que font courir les cryptoactifs sur l’ensemble de l’économie mondiale sont loin d’être
négligeables, mettant en lumière la nécessité d’une régulation qui commence à venir.
Avec beaucoup de ténacité et de courage, et avec l’aide amicale d’Henri MOREL, un autre
administrateur de l’UTL34, Jean Paul PONS est parti à la découverte de la technologie de la blockchain
(qui sera sans doute utilisée dans d’autres domaines que l’économie) en s’appuyant sur ses
connaissances économiques acquises au fil du temps dans l’UTL34, en particulier sur les monnaies.
Au fil des pages, le lecteur pourra découvrir une partie de la personnalité de Jean-Paul. Passionné de
culture, qu’il a mise au service de l’économie et de ce travail, Jean Paul est curieux du monde qui nous
entoure, cherche à comprendre le monde de demain tout en utilisant son expérience pour réfléchir sans
cesse à rendre celui-ci meilleur. À travers lui, je tiens à rendre hommage à l’ensemble des séniors qui
viennent dans toutes les Universités, quel que soit leur nom, avec la soif de connaissance, l’envie de
découvrir de nouveaux horizons, à la rencontre, ne l’oublions jamais, de professeurs remarquables qui
partagent leurs passions et leurs savoirs.
Jean-Paul a réussi un travail académique à portée pédagogique. Le profane apprendra beaucoup sur la
monnaie, outil qu’il utilise tous les jours sans se poser la moindre question et comprendra sans
problème les enjeux des cryptomonnaies. Ni la matière souvent perçue comme mystérieuse ou austère,
ni le titre de cet ouvrage ne doivent le rebuter. Je ne doute pas du plaisir qu’il aura à parcourir ces pages
au-delà de son résumé. L’étudiant en économie y trouvera matière à parfaire sa réflexion sur les
monnaies, sur le rôle des banques, en particulier centrales, ainsi que sur une technologie en devenir. Il
peut faire confiance à la rigueur scientifique de l’étude.
Cet ouvrage est donc remarquable à plus d’un titre. Qu’il me soit permis de dire ici ma fierté d’en avoir
été le directeur de recherche et mon admiration profonde pour son auteur qui, au fil du temps de cette
aventure humaine dont je parlais avec émotion, est devenu un ami. C’est cela aussi les Universités du
temps libre.
Fait à Agde le 24 janvier 2019 - Stéphane RAVAILLE, Agrégé d’économie-gestion
A Michel STAIB
qui m’a donné le goût de l’analyse
RÉSUMÉ
Les monnaies qui se sont développées au cours des siècles possèdent toutes l’une, au
moins, des trois caractéristiques suivantes, fondements de la confiance (dans ses
trois composantes méthodique, hiérarchique et éthique) dont elles bénéficient : une
valeur intrinsèque; une contrepartie sous forme d’actif physique ou financier ; un
soutien public s’exprimant par le cours légal. Le bitcoin et les très nombreux actifs
virtuels à vocation monétaire apparus à sa suite ne possèdent aucun de ces attributs.
Sans lien avec la monnaie centrale, ils se présentent comme de nouvelles unités de
compte en concurrence avec l’unité de compte légale. Le lien social est rompu au
profit d’un lien communautaire entre leurs seuls utilisateurs. La mission de maintien
de la stabilité économique et financière, singulièrement la maîtrise de l’inflation,
dévolue aux Banques centrales pourrait être compromise si ces cryptoactifs prenaient
une place importante dans les instruments de paiement, laissant le régulateur avec
des moyens d’action réduits pour le contrôle de la masse monétaire.
Ces actifs ont toutefois du mal à remplir les fonctions d’une monnaie. Comme unités
de compte, ils sont incertains ; comme intermédiaires des échanges, ils sont
imparfaits ; et comme réserves de valeur, ils sont risqués. Limités, énergivores et sans
sous-jacents, ils s’apparentent à des actifs spéculatifs à la valeur volatile, la confiance
qu’ils peuvent inspirer ne reposant que sur les qualités intrinsèques qui sont
attribuées au protocole qui les sous-tend (la blockchain dans la plupart des cas).
Les autorités politiques (du G20 aux gouvernements nationaux) et monétaires (de la
Banque des Règlements Internationaux aux Banques centrales) ont mis les
cryptoactifs sous surveillance. Elles ont commencé à réguler les zones de plus grands
risques (les offres de jetons virtuels - ICO et les plateformes d’échanges) et ont durci
les mesures contre le blanchiment d’argent.
La blockchain quant à elle (qui n’en est qu’à ses débuts et qui poursuivra son évolution
technique, comme avant elle Internet), si elle ne mérite sans doute pas le qualificatif
de « quatrième révolution industrielle », est porteuse d’applications prometteuses
qui modifieront à l’avenir, dans beaucoup de domaines, l’organisation industrielle et
la gestion des organisations.
L’effet de mode semble passé pour les cryptomonnaies « libres ». Le monde sans
banque, rêvé par les anticapitalistes libertaires ou le monde sans Banque centrale,
souhaité par les néolibéraux libertariens, ne paraissent pas devoir émerger de la
« technologie » des registres distribués.
__________________________________________________________________________
PRÉFACE __________________________________________________________________ 5
RÉSUMÉ __________________________________________________________________ 9
TABLE DES MATIÈRES ______________________________________________________ 11
TABLE DES FIGURES ET DES ILLUSTRATIONS_____________________________________ 15
TABLE DES ENCADRES ______________________________________________________ 17
INTRODUCTION ___________________________________________________________ 19
PREMIÈRE PARTIE : L’IRRUPTION DU BITCOIN DANS L’UNIVERS DE LA MONNAIE ______ 23
Chapitre 1 : QU’EST-CE QU’UNE MONNAIE ? ____________________________________ 25
A - Petite histoire de la monnaie _____________________________________________________ 25
Au commencement était le troc ? _________________________________________________________ 25
La monnaie marchandise ________________________________________________________________ 26
De la pièce sonnante et trébuchante à la monnaie électronique _________________________________ 27
B - Fonctions et caractéristiques de la monnaie ________________________________________ 37
Les trois fonctions de la monnaie __________________________________________________________ 37
Les caractéristiques essentielles de la monnaie _______________________________________________ 38
C - Création et régulation monétaires_________________________________________________ 40
Le rôle des banques commerciales _________________________________________________________ 40
Le rôle des banques centrales ____________________________________________________________ 42
La Banque Centrale Européenne (BCE) ______________________________________________________ 48
D- Fondements de la monnaie_______________________________________________________ 50
« La Monnaie entre violence et confiance »__________________________________________________ 50
Nature de la monnaie ___________________________________________________________________ 52
E - Crise de confiance ?_____________________________________________________________ 54
Les monnaies inquiètent-elles ? ___________________________________________________________ 55
Des monnaies de substitution ? ___________________________________________________________ 58
Chapitre 2 : NAISSANCE DU BITCOIN ET DE LA BLOCKCHAIN _______________________ 63
A - Une utopie en marche ? _________________________________________________________ 63
Apparition du bitcoin et essai de définition __________________________________________________ 63
Une réponse libertaire à une défiance envers l’État ___________________________________________ 64
L’école autrichienne et la banque libre _____________________________________________________ 64
B - Le « nœud » de la question : la blockchain __________________________________________ 65
Le registre ____________________________________________________________________________ 65
Les principes de fonctionnement de la blockchain ____________________________________________ 66
Le minage et les mineurs ________________________________________________________________ 67
la blockchain inviolable ? ________________________________________________________________ 69
Le bitcoin, une monnaie décentralisée ______________________________________________________ 71
Une monnaie limitée et sans sous-jacent ____________________________________________________ 71
INTRODUCTION
Contexte, objectifs, méthodologie et structure
du thème de recherche
On ne sait qui est SATOSHI NAKAMOTO, ni s’il est japonais, ni même s’il existe ou si sous ce nom se cache
un collectif de chercheurs en informatique. Ce que l’on sait c’est qu’en novembre 2008 une note
technique signée SATOSHI NAKAMOTO décrivait, dans une publication en ligne peu courue consacrée à la
cryptographie*1, un objet informatique non identifié à la fois, pour faire court, protocole d’échange
d’informations, livre de compte infalsifiable, mécanisme de confiance sans tiers de confiance*, unité de
compte et moyen de paiement émis sans intervention d’une banque centrale ou commerciale.
Novembre 2008. La date n’est pas anodine. On était alors dans les rudes soubresauts de la crise de 2007
dite des subprimes*. Beaucoup penseront par la suite que l’invention de SATOSHI NAKAMOTO pouvait être
une réponse aux excès de la finance néolibérale*. En ce début 2008, tel ne pouvait être le dessein direct
de l’inventeur : la gestation de l’invention avait sans doute débuté suffisamment longtemps avant la
crise pour que celle-ci ne puisse être considérée comme un élément causal de la brusque apparition de
cet objet informatique double : bitcoin* et blockchain*2.
Objet informatique double. Initialement le Bitcoin / bitcoin (avec un B majuscule, il s’agit du protocole
informatique ; avec un b minuscule, il s’agit de la « monnaie »3 engendrée grâce à ce protocole) et la
blockchain qui est la technologie qui la sous-tend, sont inséparables. Plus tard, avec l’apparition de très
nombreux concurrents au bitcoin, réunis sous l’appellation de cryptomonnaies*, plus ou moins
tributaires de la même technologie, on distinguera les deux notions.
La matière est incertaine, évolutive. Les observateurs les plus avertis avouent leur incapacité à prévoir,
avec un degré de fiabilité suffisant, quel sera l’avenir des cryptomonnaies ou même si elles ont un
avenir. Il faut tenter de s’abstraire à la fois de l’enthousiasme des laudateurs (souvent recrutés dans les
mouvements qui contestent les institutions ou chez les « geeks ») et du pessimisme des détracteurs
(souvent recrutés dans les cercles académiques ou de pouvoir).
Ensuite, la matière est complexe. Elle est monétaire en même temps que technologique. Le parti a été
pris ici de privilégier l’aspect monétaire (les cryptomonnaies) par rapport à l’aspect technologique (la
blockchain). Ce second aspect mériterait des développements plus substantiels que les descriptions
succinctes de la technologie ou que l’interrogation conclusive sur la quatrième révolution industrielle.
Au cœur de notre réflexion sur l’aspect monétaire, la notion de confiance est une forme de paradigme.
JEAN-PIERRE LANDAU, ancien sous-gouverneur de la Banque de France et actuel enseignant à Princeton, a
été chargé par le Ministre de l’Économie d’une mission sur les cryptomonnaies. (Son rapport a été remis
au ministre le 5 juillet 2018 : nous en reparlerons). En 2014, il écrivait un article dans le Financial Time
dont la rédaction du site internet Bitcoin4 a donné une traduction d’où nous tirons cet extrait :
« La véritable identité de l’inventeur du Bitcoin reste l’objet de spéculations parmi les
aficionados de la monnaie virtuelle. Mais une chose est sûre, c’est que Satoshi Nakamoto est
1 Un mot* ou un groupe de mots qui figure (par ordre alphabétique) au glossaire (en annexe à la fin d’ouvrage) est mis en gras
et suivi d’un astérisque la première fois qu’il apparaît dans le texte.
2 Nous préférons conserver le mot anglais plutôt que le franciser en un improbable « blockchaine » ou le traduire par « bloc*
de chaîne ». De manière plus générale, nous utiliserons dans ce mémoire des termes anglo-américain (en donnant leur
définition dans le glossaire) lorsqu’ils sont consacrés par l’usage de notre matière.
3 Les guillemets illustrent l’interrogation qui sera au cœur des développements : le bitcoin et ses concurrents sont-ils des
monnaies ?
4 Bitcoin.fr, mardi 16 janvier 2018. Le ton du billet de Bitcoin est critique sur la nomination de J.-P. Landau : confier une mission
effet de mode ? Ou au contraire initient-ils une nouvelle révolution industrielle portée par la technologie
de la blockchain ?
Lorsque nécessaire, des notes explicatives en bas de page éclairent, commentent ou développent un
aspect particulier du texte.
Des annexes complètent l’exposé : un glossaire, une bibliographie sélective, la liste des 100 premières
cryptomonnaies et le livre blanc de S. NAKAMOTO (traduction bitcoin.org).
"La confiance est une institution invisible qui régit le développement économique"
Kenneth ARROW
(1921-2017) – A enseigné l’économie à Stanford et à Harvard. « Prix Nobel » d’économie en 1972
5
5Il s’agit du « Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel », communément surnommé
« prix Nobel » d’économie. Par commodité nous adoptons ici cette dernière dénomination.
LES CRYPTOMONNAIES : IMPASSE OU RÉVOLUTION ? 24
Chapitre 1 :
QU’EST-CE QU’UNE MONNAIE ?
Comment échangeait-on des biens dans les sociétés primitives ? En faisant du troc, enseignent les
économistes depuis au moins ADAM SMITH au XVIIIe siècle. Je dispose une chose A dont tu as besoin, tu
disposes d’une chose B dont j’ai besoin : troquons. Pour que le troc soit possible, il faut une double
coïncidence des disponibilités et des besoins.
Telle n’est pas l’observation des anthropologues. DAVID GRAEBER (2013)6 écrit :
« Cela fait maintenant des siècles que les explorateurs essaient de découvrir le fabuleux pays
du troc. Aucun n’y a réussi. Adam Smith a situé son histoire dans l’Amérique du nord aborigène
[…]. Mais au milieu du 19ème siècle les études de Lewis Henry Morgan sur les six Nation des
Iroquois […] expliquaient clairement que la principale institution économique des nations
iroquoise était la « maison longue », où la plupart des biens étaient empilés puis alloués par
le conseil des femmes, et que personne, jamais, n’avait échangé des têtes de flèches contre
des morceaux de viande. […]. L’ouvrage d’anthropologie définitif sur le troc rédigé par
Caroline Humphrey de Cambridge pourrait difficilement être plus tranchant dans ses
conclusions : « C’est bien simple : aucun exemple d’économie de troc n’a jamais été décrit,
sans parler d’en faire émerger la monnaie ; toute la recherche ethnographique existante
suggère qu’il n’y en a jamais eu. »
Le troc primitif serait donc une fable, un mythe.
« Cette fable décrit de façon imaginaire les origines uniquement commerciales de la monnaie
et suppose que la monnaie naît des inconvénients d’une absence d’intermédiaire lors du
développement des relations marchandes ». [JEAN-MICHEL SERVET (2001)]
Le mythe, en tout cas, est universel. De l’Europe aux Amériques et de l’Asie au pôle Nord, c’est la même
histoire que l’on raconte : au commencement était le troc ; La division du travail s’élargissant au fur et
à mesure que les sociétés évoluent, la double coïncidence est de plus en plus difficile à réaliser ; apparaît
alors un intermédiaire privilégié des échanges, qui peu à peu devient monnaie.
Le mythe sert la vision classique de l’économie dans laquelle la mesure des biens échangés est la valeur
assise sur la quantité de travail nécessaire pour produire le bien, indépendante d’un pouvoir politique
qui imposerait une unité de compte. ADAM SMITH, unanimement reconnu comme le père de cette vision
6 Un NOM D’AUTEUR en PETITES MAJUSCULES suivi d’une (année de parution) entre parenthèse renvoie à un ouvrage ou à un article
cité dans la bibliographie en annexe.
classique (libérale), l’a exprimé dès 1776 dans « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des
nations » :
« Ce qu’on achète avec de l’argent ou des marchandises est acheté par du travail, aussi bien
que ce que nous acquérons à la sueur de notre front. Cet argent et ces marchandises nous
épargnent, dans les faits, cette fatigue » [ADAM SMITH (2015)7].
Pour MICHEL AGLIETTA (2016), au contraire, c’est la monnaie qui « institue la valeur parce que c’est une
norme qui vaut pour tous ».
Toutefois dans la cour des écoles primaires, ou lorsque la monnaie se raréfie (guerres) ou lorsque la
confiance se réduit (crises économiques) ou encore dans certains échanges internationaux (pétrole
contre nourriture en Irak) le troc n’est plus un mythe, mais devient bien une réalité.
On voit qu’une réflexion sur le troc conduit directement à une réflexion sur la nature de la monnaie (voir
plus bas, « nature de la monnaie »).
La monnaie marchandise
La monnaie-marchandise circulante
Quelle marchandise choisir comme monnaie de compte ? Une marchandise connue, précieuse ou
symbolique. Ce peut être du sel, du blé, des fèves de cacao ou du bétail (pecus en latin, qui donnera
pécuniaire en français). Ce peut-être aussi des coquillages ou des perles. Dans tous les cas, la monnaie
prend la forme d’un bien (d’une marchandise) ayant en lui-même une valeur.
Les monnaies marchandises, lorsqu’elles sont transportables, sont directement utilisées dans les
échanges : pour ce morceau de tissu que je te donne, tu me donnes un poids de sel.
La réalité de ce schéma où la monnaie de compte et la dette apparaissent préalablement à la monnaie
objet circulante est attestée par l’anthropologie et l’archéologie. Les tablettes mésopotamiennes ou les
papyrus égyptiens en témoignent.
Ce type de « pièces » se répand dans toute la Grèce antique, en Perse, en macédoine puis dans le monde
romain et en Gaule où elles sont attestées dès le IVe siècle av. J.-C.
Les pièces romaines, as (en bronze) et deniers (en argent, valant 10 as), ont une grande longévité, leur
apparence et leur poids variant cependant au cour du temps : elles survivent même à la chute de
l’empire Romain en 476.
En Chine, dans le monde musulman, partout la monnaie métallique sert dans les échanges.
L’exemple de la France
La monnaie métallique est la monnaie de paiement en France du Moyen Âge au XIXe siècle, à partir
duquel elle partage cette fonction avec d’autres formes de monnaie.
La monnaie métallique en or ou en argent est dite sonnante et trébuchante : pour en éprouver la
loyauté, on faisait sonner la pièce ou on la pesait au trébuchet, petite balance de précision.
Au Moyen Âge les Seigneurs et le Roi sont en concurrence (et en conflit) pour la création monétaire. En
1262, Louis IX (Saint-Louis) impose par l’ordonnance de Charte le monopole royal sur la frappe de la
monnaie. Dès lors la monnaie royale a cours légal* (c'est-à-dire que nul, sur son territoire, ne peut la
refuser) et cours forcé* (c’est-à-dire que chacun doit l’accepter pour sa valeur nominale) sur l’ensemble
du territoire.
Désormais, c’est le Roi qui garantit la quantité de métal (or ou argent) incorporé dans les pièces. Mais
les souverains se livrent constamment à des manipulations monétaires en diminuant la teneur en métal
des pièces sans changer leur valeur faciale*.
Pour payer sa rançon aux Anglais, JEAN-LE-BON fait frapper, en 1360, le « franc à cheval » (franc, c'est-à-
dire libre) et se porte garant de sa stabilité.
Fig. 2 Double Louis d’or au soleil (Louis XIV). Source : site BNF
Le franc germinal
(Ce paragraphe doit beaucoup à J.M. JEANNENEY, 1988)
Un décret de thermidor an II (1795) avait défini le franc recréé comme une pièce d’argent de cinq
grammes au titre de neuf cents millièmes de fin. Une loi de germinal de l’an IV (1796) avait édicté qu’une
pièce d’argent de cinq grammes valait cinq livres un sou trois deniers tournois, établissant par là une
continuité monétaire avec l’Ancien Régime. Une autre loi de germinal, cette fois de l’an XI (1803), prise
à l’initiative du premier consul Bonaparte, définit le franc par un poids de 5 grammes d’argent (0,32258
g d’or) et établit un rapport de 15,5 entre la valeur en franc d’un gramme d’or et d’un gramme d’argent.
En 1867, Napoléon III convoque une conférence monétaire réunissant une vingtaine d'États. Le principe
de l'étalon-or est arrêté. En 1868, la convention de Vienne adopte le franc comme unité de compte
internationale. Le franc germinal est devenu la monnaie commune d'une partie de l'Europe.
Le bimétallisme sera supprimé en 1876 au profit de l’or. À ce moment-là les pièces d’or en circulation
étaient de 100 F, 50 F, 20 F (la plus usitée, le fameux louis d’or) et 10 F. A côté de ces pièces d’or
circulaient des pièces divisionnaires en argent de 5 F (l’écu ou cent sous), 1,5 F et 20 centimes et en
bonze de 10, 5, 2 et 1 centimes.
La stabilité du franc germinal se maintiendra jusqu’en 1914.
Les pièces d’or et les écus constituaient 68 % de la masse monétaire, en 1880 et 38 % seulement, en
1913 : la monnaie fiduciaire* et la monnaie scripturale* prennent de plus en plus leur place.
Le franc germinal perdra 80% de sa valeur entre 1918 et 1928, année où Raymond Poincaré définira le
franc comme 65,5 milligrammes d’or au titre de 900 /1000 de fin.
(Le site de l’INSEE met à disposition un convertisseur francs - euros. Selon ce convertisseur un
franc germinal de 1913 a le pouvoir d’achat de 309 € de 2017 et un franc Poincaré de 1928 a
le pouvoir d’achat de 62 € de 2017).
La monnaie fiduciaire
En latin fiducia veut dire confiance. La confiance est le principe premier de la monnaie fiduciaire. C’est
qu’elle est matérialisée par du papier dont la valeur intrinsèque* est proche de zéro : sans la confiance
que l’on a en sa valeur attribuée, la monnaie-papier ne vaut rien. Nous analyserons la notion de
confiance dans le paragraphe consacré aux fondements de la monnaie.
Fig. 3 Billet de crédit émis par la Stockholm Banco. Source : site musée Banque de
Belgique
La confiance dans la monnaie-papier est étayée par le pouvoir avec l’autorisation duquel elle est émise :
le Prince (on dirait aujourd’hui l’État) la déclare comme ayant cours légal et cours forcé.
La convertibilité* en or, lorsqu’elle est possible, contribue bien évidemment à la confiance dans la
monnaie fiduciaire. Mais lorsque cette confiance fait subitement défaut, chacun se précipite dans les
banques pour échanger ses billets contre de l’or : c’est la faillite du système.
L’exemple de la France
L’expérience malheureuse de l’écroulement du système Law sous la Régence écorne pour longtemps
en France la confiance dans la monnaie-papier.
« Alors qu’au lendemain de la mort de Louis XIV, la banqueroute menace, le régent Philippe
d’Orléans suit les idées de l’écossais JOHN LAW (1672-1729), pour qui les échanges et la
confiance sont le nœud de la crise financière, non la dette en elle-même. Créée par LAW le
9Lorsque nous ne précisons pas, il s’agit d’un siècle de notre ère (après J.-C.) ; dans le cas contraire nous indiquons « av. J.-C.
», avant J.-C.
2 mai 1716, la Banque Générale devient une banque royale par la déclaration du 4 décembre
1718. Seul l’État en détient les actions. La Compagnie d’Occident, que fonde LAW, est le
deuxième pilier de son « système ». […]. La spéculation aidant, ses actions s’arrachent. […]
L’euphorie est telle que LAW peut lancer un emprunt, multiplier les émissions de papier-
monnaie tout en baissant les taux d’intérêt servis. […] On est en pleine bulle spéculative. […]
En 1720, la panique succède à l’euphorie collective. La foule qui se presse s’affole, des
agioteurs meurent écrasés, car chacun se rue sur les bureaux de la compagnie pour vendre à
tout prix. Menacé, Law se cache, puis obtient d’émigrer à Bruxelles ». (PIERRE -YVES BEAUREPAIRE,
la faillite du système Law, L’histoire par l’image, 2013)
Le souvenir de la faillite du système Law n’empêche toutefois pas de rééditer une expérience analogue
à la Révolution, celle des assignats.
En 1789, les finances royales sont catastrophiques, TALLERAND propose de confisquer les biens
du clergé, ce que décrète l’Assemblée nationale constituante le 2 novembre 1789. Les biens
confisqués deviennent nationaux et sont destinés à être vendus au profit de l’État. Le 6
décembre 1790, l’Assemblée, devant l’urgence, crée une « caisse de l’extraordinaire » et fait
fabriquer des billets dont la valeur est « assignée » (on dirait aujourd’hui « gagée ») sur les
biens du clergé : l’assignat est né. La vente des assignats doit permettre de faire rentrer de
l’argent dans la « caisse extraordinaire ». En 1791, l’assignat est transformé en papier-
monnaie qui a cours légal et cours forcé à partir de 1793. La machine s’emballe. L’assignat
perd de plus en plus de sa valeur et s’écroule. (D’après : les assignats, monnaie de la
Révolution française, site musée Banque de Belgique)
Le 18 mars 1796, l’assignat est retiré de la circulation contre un nouveau billet, le mandat territorial, qui
connaît rapidement le même sort et est retiré à son tour de la circulation en février 1797.
La monnaie sonnante et trébuchante reprend sa place.
(« la grande dépression »). En 1936, le front populaire déclare la non-convertibilité. La Seconde Guerre
Mondiale emporte tout.
Après la Seconde Guerre Mondiale le franc est rétabli dans sa souveraineté. La convertibilité du franc
en or est définitivement abandonnée. Le dollar, (qui garde sa convertibilité en or jusqu’en 1971) devient
la monnaie de référence au plan international (accords de Bretton Woods). Jusqu’à l’apparition du
« nouveau franc » en 1958, le franc subit plusieurs dévaluations. Le franc nouveau, (qui a repris sa
dénomination de « franc » en 1963), toujours inconvertible, se maintiendra jusqu’à son remplacement
par l’euro en 2002, en application du Traité de Maastricht de 1992.
L’euro
11Jacques Rueff (1896-1978) est un haut fonctionnaire et économiste français qui joue un rôle majeur dans la préparation des
réformes économiques réalisées sous la présidence du général de Gaulle à partir de 1958.
Certains, comme JOSEPH STIGLITZ12, considèrent même l’euro comme nocif à l’Union européenne : «
comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe » (Les Liens qui Libèrent, 2016). Le
raisonnement de JOSEPH STIGLITZ fait écho à la théorie des zones monétaires optimales du canadien
ROBERT MUNDELL, « prix Nobel » d’économie en 1999, qui pose qu’une monnaie unique doit réunir des
préconditions pour être constituée : une forte mobilité des facteurs de production (capital et travail)
dans la zone, une concordance des cycles économiques entre les pays de la zone, des transferts
budgétaires significatifs, la proximité avec les préférences collectives des citoyens. Clairement, ces
conditions n’étaient pas toutes réunies lors de la création de l’euro et ne le sont toujours pas totalement
aujourd’hui. Mais aucune zone ne répondra jamais à de tels critères, si ce n’est celle qui disposerait
d’une monnaie unique depuis des décennies (en fait, les États-Unis).
Quoi qu’il en soit de ces controverses, l’euro est la monnaie légale dans les pays qui l’ont adopté et les
billets de banque en euros (500 €, 200 €,10 0 €, 50 €, 20 €, 10 €, 5 €) ainsi que les pièces divisionnaires
ont cours forcé dans le territoire ainsi constitué.
« La monnaie de la France est l’euro », dispose l’art. L111-1 du Code monétaire et financier.
Refuser des euros expose en France à une amende de 150 €.
Les pouvoirs publics se méfient de la monnaie fiduciaire (les espèces, le liquide, le cash) dont l’utilisation
ne laisse aucune trace. Les paiements en espèces favorisent l’économie souterraine, l’évasion fiscale et
les trafics en tout genre. C’est pourquoi de nombreux pays limitent les transactions en espèces à celles
de faible montant.
En France, les paiements en liquide à des professionnels (commerçants, artisans, entreprises) ne
peuvent excéder 1000 € depuis le 1er septembre 2015 (c’était 3000 € auparavant). Les salaires ne
peuvent être payés en espèces qu’à concurrence de 1500 €. Entre particuliers toutefois les paiements
en espèces ne sont limités que pour les transactions immobilières (3000 €). Les paiements en espèces
par des non-résidents fiscaux ou à des notaires bénéficient de régimes un peu moins contraignants.
Enfin, les transactions concernant les métaux (l’or et l’argent mais aussi des métaux ferreux tel le fer,
l’acier, la fonte et des métaux non-ferreux tel le plomb, le zinc, l’aluminium, le cuivre) ne peuvent être
effectuées en espèces, quel que soit leur montant.
D’autres pays appartenant à l’UE comme l’Allemagne ou l’Autriche n’imposent aucune limite au
paiement en espèces.
La BCE a décidé de ne plus émettre de billet de 500 € à partir de fin 2018 pour des raisons de lutte contre
le crime organisé. Cette décision a été très critiquée en Allemagne.
12 Joseph Stiglitz, né en 1943, est un économiste américain nouveau keynésien, célèbre pour ses travaux sur l’asymétrie
d’information, « prix Nobel » d’économie en 2001.
Encadré N°1
La monnaie scripturale
La monnaie scripturale (du latin scriptura, l’écriture) est celle qui est inscrite dans les comptes des
banques (ou des établissements assimilés). Elle est constituée par les dépôts à vue des agents
économiques non financiers (ANF) dans ces établissements.
Les formes primitives de la monnaie scripturale sont les « monnaies de compte » apparues, comme
nous l’avons vu, avant l’invention des monnaies physiques.
Une innovation importante a été la lettre de change inventée au XIVe siècle dans les règlements à
distance des échanges. La généralisation de la lettre de change, particulièrement à l’occasion des foires,
va créer un système de compensation dans lequel des intermédiaires spécialisés, les banquiers, jouent
un rôle essentiel.
Aujourd’hui, l’écriture est effectuée informatiquement.
Tout comme la monnaie fiduciaire la monnaie scripturale repose sur la confiance, à un degré encore
plus élevé à cause de son immatérialité. Lorsque, en temps de crise, la confiance est altérée, on peut
voir se constituer des files d’attente devant les établissements bancaires pour retirer des espèces13,
c'est-à-dire convertir la monnaie scripturale en monnaie fiduciaire. C’est le « bank run » dont on a vu
des exemples, en 2008, en Grèce de manière aiguë. Pour tenter d’éviter ces mouvements de panique
qui peuvent créer l’illiquidité bancaire, l’État garantit les dépôts bancaires, en France, par le biais du
Fonds de Garantie des Dépôts et de Résolution (FGDR), à hauteur de 100 000 € par déposant et par
établissement14.
Contrairement à la monnaie fiduciaire qui peut être directement utilisée, la monnaie scripturale
nécessite des outils pour pouvoir l’être. Ces instruments de paiement sont divers et leur importance
relative varie selon les pays, les époques, les techniques et le type d’utilisateurs (personne privée ou
entreprise). Ce sont principalement :
Le virement
Le prélèvement
Le chèque
La lettre de change
La monnaie électronique
Il faut souligner que, contrairement à une croyance populaire, ces instruments ne constituent pas de la
monnaie : il s’agit seulement de moyens matériels commodes pour donner l’ordre au banquier (le tiers
de confiance) de faire circuler, pour le compte du donneur d’ordre, une forme de monnaie (la monnaie
scripturale) qu’il est seul à créer et à manipuler.
La monnaie électronique
Définie officiellement comme « une valeur monétaire qui est stockée sous une forme électronique, y
compris magnétique, représentant une créance sur l'émetteur, qui est émise contre la remise de fonds
aux fins d'opérations de paiement définies à l'article L. 133-3 et qui est acceptée par une personne
physique ou morale autre que l'émetteur de monnaie électronique » (art. L. 315-1 du code monétaire et
financier), la monnaie électronique (ou monétique) n’est pas une nouvelle forme de monnaie mais un
moyen moderne de mobiliser la monnaie scripturale.
Les instruments relevant de cette catégorie sont en constante et rapide évolution. Ce sont :
Les cartes de paiement (ou cartes bancaires) devenues en France le moyen de paiement le plus utilisé.
Les cartes prépayées multi-prestataires (« porte-monnaie électronique » de type Moneo).
Les paiements sans contact qui permettent de payer des montants peu élevés à l’aide d’une carte ou
d’un téléphone mobile sans saisir de code.
Les portefeuilles électroniques de type PayPal qui permettent d’effectuer des paiements sur Internet.
Les industriels du secteur se livrent à une concurrence sévère pour imposer leurs standards. Parmi les
critères de différenciation entre les solutions proposées, la facilité d’utilisation et la modicité des coûts
de transaction sont deux éléments déterminants.
L’extension de la monétique devrait se traduire par une disparition progressive des chèques et par une
réduction plus ou moins drastique des paiements en espèces. Elle induit certainement une
transformation des relations des banques avec leur clientèle.
13 Les montants possibles des retraits d’espèces (par cartes bancaires ou au guichet) figurent à la convention de compte liant
la banque et le titulaire du compte.
14 Ce montant est relevé à 500 000 € pour des « dépôts à caractère exceptionnel et temporaire » provenant, par exemple, de
la vente d’un bien d’habitation, d’une indemnité de licenciement, d’une réparation d’un dommage, etc.
Il ne faut surtout pas confondre monnaie électronique et cryptomonnaies. Ces dernières sont, certes
basées sur des technologies utilisant l’électronique, mais elles se veulent une nouvelle forme de
monnaie totalement déconnectée de la monnaie fiduciaire (émise par les Banques centrales) et de la
monnaie scripturale (émise par les banques commerciales).
2005 2015
Monnaie fiduciaire 15% 11%
Monnaie scripturale 85% 89%
Fig. 4. Monnaie fiduciaire et monnaie scripturale dans la zone euro en 2005 et en 2015 (en %)
Ainsi que nous venons de le décrire tout au long de cette petite histoire de la monnaie, le processus de
dématérialisation des signes monétaires est constant tout au long des siècles. Apparaît d’abord la
monnaie-marchandise (hyperréelle et matérielle), puis la monnaie métallique (dont le poids d’or ou
d’argent pouvait, déjà, être trafiqué), puis la monnaie fiduciaire (dont la valeur intrinsèque tend vers
zéro), puis la monnaie scripturale (virtuelle et donc dématérialisée, mais dont la contre-valeur est
constituée par l’actif bancaire). Les cryptomonnaies (totalement dématérialisées et sans contre-valeur)
sont-elles un aboutissement disruptif* de ce processus ? La fig. 6 propose un tableau synthétique de
l’histoire des monnaies en Europe où apparaît in fine l’invention de la blockchain et l’irruption des
cryptomonnaies.
Le FMI résume l’évolution des formes de la monnaie dans une infographie, reproduite ci-dessous, au
caractère ludique inattendu. Le Bitcoin qui paraît sauter dans la main de l’homme peut être trompeur :
le FMI dénie aux « cryptomonnaies » (qu’il dénomme « cryptoactifs ») le caractère de monnaie…
Fig. 5 . Infographie du FMI sur l’évolution des formes de monnaie. (Source : site imf.org)
Fig. 6. Tableau synthétique des formes de la monnaie, de l’Antiquité à nos jours en Europe.
Trois fonctions sont classiquement attribuées à la monnaie. C’est une unité de compte, un intermédiaire
des échanges et une réserve de valeur. Les deux premières fonctions sont essentielles. La troisième est
considérée comme seconde. La distinction de ces fonctions ne doit pas faire oublier l’unicité profonde
de la monnaie : les trois fonctions sont indissociables. Elles définissent toute monnaie.
Unité de compte
La monnaie sert en premier lieu à évaluer le prix de tous les biens. C’est la fonction primaire de la
monnaie.
Elle ramène les multiples évaluations possibles d’un bien en termes d’un autre bien (prix réel
ou relatif) à une seule évaluation en monnaie (prix nominal ou absolu) [DOMINIQUE PLIHON
(2017)]
Elle mesure les flux et les stocks (singulièrement la dette) et permet le calcul économique et la
comptabilité.
De l’antiquité à la Révolution française, des monnaies dites « idéales » ou « monnaies de compte »,
dépourvues de toute forme matérielle et uniquement utilisées comme mesure des valeurs, coexistent
avec des monnaies dites « réelles » qui circulent de mains en mains. À partir de la Révolution les
monnaies idéales et réelles se confondent en une seule unité monétaire.
« L'Ancien Régime utilisait, comme l'on sait, des monnaies consistant en pièces métalliques
d'or, d’argent ou de cuivre. Il s'agissait là des monnaies dites réelles. On connaissait aussi une
monnaie dite idéale ou monnaie de compte, la livre tournois 15, qui était dépourvue de toute
forme matérielle. Un louis, un écu valait un certain nombre de livres. À l'origine, la livre était
définie par son propre poids d'argent, en fait 490 grammes sous Charlemagne. Mais on n'avait
jamais vu un objet tangible appelé livre et pesant 490 grammes. Au 1er septembre 1715, la
valeur de la livre, en grammes d'argent, est de 7,90, mais il n'existe pas davantage d'objet
appelé livre et que l'on puisse se passer de main en main. » [E DGAR FAURE (1977)]
Aujourd’hui toutes les formes de monnaie se réfèrent à une même unité monétaire.
Réserve de valeur
C’est la capacité de transférer du pouvoir d’achat dans le temps. De nombreux biens (les actifs) peuvent
être réserves de valeur : un bien immobilier, une œuvre d’art, des lingots d’or, des actifs financiers*, la
monnaie…
Les actifs réserves de valeur constituent la richesse des agents économiques. Parmi ces actifs, la
monnaie est le plus liquide.
La réserve de valeur peut être nécessaire pour deux raisons : le décalage dans le temps entre les recettes
et les dépenses d’une part et l’incertitude sur les recettes futures d’autre part.
KEYNES a analysé la préférence pour la liquidité des agents économiques. Il distingue quatre motifs
poussant à conserver de la monnaie16 plutôt qu’à consommer : le motif de revenu (1), le motif
professionnel (2), le motif de précaution (3) et le motif de spéculation (4)
(1) « Une première raison de conserver de la monnaie est de combler l’intervalle entre
l’encaissement et le décaissement du revenu. Dans (la) décision […] ce motif intervient avec
une force qui dépend principalement du montant du revenu et de la longueur normale de
l’intervalle… »
(2) « De même, on conserve de la monnaie pour combler l’intervalle entre l’époque où on
assume les frais professionnels et celle où on encaisse le produit de la vente. L'intensité de
cette sorte de demande dépend principalement de la valeur de la production courante (i.e. du
revenu courant) et du nombre de mains entre lesquelles elle passe »
(3) « Le souci de parer aux éventualités qui exigent des dépenses inopinées, l'espoir de
profiter d'occasions imprévues pour réaliser des achats avantageux, et enfin le désir de
conserver une richesse d'une valeur monétaire immuable pour faire face à une obligation
future stipulée en monnaie sont autant de nouveaux motifs à conserver de l'argent liquide. ».
« La puissance de ces trois sortes de motifs dépend en partie du coût et de la sécurité des
méthodes qui permettent d’obtenir de l’argent en cas de besoin. »
« Il existe dans l’esprit du public une inclinaison potentielle à détenir plus d’argent liquide que
n’en requièrent le motif de transaction et le motif de précaution. »
(4) « Reste le motif de spéculation. Ce motif appelle une étude plus détaillée, d'abord parce
qu'il est moins bien compris que les autres, et ensuite à raison du rôle particulièrement
important qu'il joue en transmettant les effets d'un changement de la quantité de monnaie.
».
[JOHN MEYNARD KEYNES (2016)]
Des qualités nécessaires distinguent la monnaie. Depuis l’Antiquité, on sait qu’elle doit être divisible (on
ajoute fongible), portable (on ajoute liquide), acceptable, durable et dotée d’une valeur intrinsèque. La
valeur intrinsèque de la monnaie fiduciaire est aujourd’hui sans commune mesure avec sa valeur
faciale ; elle n’est plus considérée comme une caractéristique de la monnaie.
Divisibilité et fongibilité
Pour permettre d’établir des comptes les plus exacts possible ou d’assurer des échanges équitables au
plus près de la valeur des biens, la monnaie doit pouvoir être divisible en petites unités. S’il n’existait
que des billets de dix euros, comment payer une baguette de pain ?
16La monnaie peut être conservée sous sa forme fiduciaire (Les billets) ou sous sa forme scripturale (l’argent sur son compte
en banque). Il existe des actifs financiers immédiatement liquidables qui se rapprochent de la monnaie scripturale.
Des choses fongibles sont des choses interchangeables (tel le blé ou l’huile), qui se règlent par nombre,
poids ou mesure. « Les instruments monétaires sont des biens éminemment fongibles malgré leur
hétérogénéité matérielle » (Doyen CARBONNIER) : ce ne sont pas les choses monétaires en elles-mêmes
qui sont considérées être la monnaie, mais les unités idéales. Un billet de dix euros est interchangeable
avec un autre billet de dix euros ou avec deux billets de cinq euros ou avec dix pièces d’un euro, etc…
La divisibilité est une condition de la fonction de compte de la monnaie ainsi que de sa fonction
d’échange. La fongibilité est une condition de la fonction d’échange.
Portabilité et liquidité
La portabilité de la monnaie fiduciaire (billets de banque et pièces divisionnaires) en fait le moyen le
plus simple d’utilisation dans les transactions courantes.
La portabilité de la monnaie scripturale est assurée aujourd’hui pour la plus grande part par les
instruments de paiement informatisés (carte bancaire, virements, prélèvements automatiques) que
l’usager peut lui-même actionner grâce à un code d’accès.
La disponibilité immédiate sans coût de transaction définit la liquidité parfaite. Cette liquidité parfaite
est limitée par la réglementation (les espèces sont réservées aux transactions de faible montant), les
conventions de compte (frais bancaires, plafonds de retraits, préavis obligatoire pour les retraits d’un
montant élevé, etc.) ou les usages.
Acceptabilité
Dans les sociétés modernes, la monnaie fiduciaire (émise par les Banques centrales) a cours légal et
cours forcé. Son acceptabilité est en lien direct avec la confiance qui cristallise ses trois fonctions
indissociables. L’acceptabilité de la monnaie scripturale est induite par celle de la monnaie fiduciaire
dans laquelle elle est convertible et qui fait office de monnaie de compte. Dans des cas extrêmes, la
monnaie « officielle » est mal acceptée et les transactions se font dans des monnaies qui inspirent plus
de confiance. Le dollar joue souvent ce rôle de substitution (C’est toujours le cas à… Cuba).
L’acceptabilité est la condition primordiale de la fonction de moyen de paiement.
Durabilité
L’importance de la monnaie découle essentiellement du fait qu’elle constitue un lien entre le
présent et l’avenir J.- M. KEYNES,
La monnaie doit pouvoir être conservée pour servir ultérieurement : la durabilité est la condition de sa
fonction de réserve de valeur.
Les premières choses monétaires étaient périssables. Le blé pouvait pourrir, le sel fondre, le fer rouiller.
C’est ce qui a fait vite préférer l’argent et surtout l’or à ces marchandises. La monnaie doit se retrouver
physiquement intacte après avoir subi l’épreuve du temps.
Dans l’absolu, la durabilité implique que la valeur de la monnaie ne devrait pas varier. Mais le
phénomène de l’inflation vient détériorer cette valeur, parfois de manière brutale en période de crise :
la monnaie perd du pouvoir d’achat, les prix montent. Seule la valeur faciale de la monnaie est durable.
Et encore cette valeur faciale n’est durable que dans le pays d’émission de la monnaie : c’est la stabilité
monétaire interne. La stabilité externe n’est généralement pas assurée, les monnaies fluctuant les unes
par rapport aux autres dans le système monétaire international actuel.
La durabilité est une condition des trois fonctions de la monnaie. Cette caractéristique n'est pleinement
remplie que si les prix sont globalement stables.
Les banques de dépôt, ou banques commerciales, sont des établissements de crédit, « personnes
morales qui effectuent à titre de profession habituelle des opérations de banque » comprenant « la
réception de fonds du public, les opérations de crédit, ainsi que les services bancaires de paiement »17
Les banques commerciales détiennent un pouvoir extraordinaire, celui de créer de la monnaie à partir
de rien (ex nihilo), sinon de leur propre décision et de la confiance de leurs clients.
« La monnaie est créée par les banques lors d’une demande satisfaite de crédit bancaire par
des agents non-bancaires » 18
L’intermédiation bancaire
La banque19 tient le registre - le compte - des opérations effectuées par son intermédiaire. Elle centralise
les écritures. C’est un tiers de confiance central.
La banque a créé 1000 € de monnaie scripturale qui vient alimenter le dépôt à vue de l’entreprise dans
la banque. Cette monnaie scripturale circulera par l’intermédiaire des différents instruments (chèques,
cartes, virements …) que l’entreprise utilisera pour effectuer ses paiements.
Le remboursement du crédit par l’entreprise aboutira de façon symétrique à une destruction de
monnaie en diminuant à la fois l’actif et le passif du bilan bancaire.
La monnaie scripturale est du passif bancaire circulant. La masse monétaire s’accroît lorsque les flux
de remboursements sont inférieurs aux flux de crédits nouveaux.
En période de croissance économique, les opérations de crédits nouveaux sont supérieures aux
opérations de remboursements des crédits anciens. La masse monétaire a tendance à augmenter. Au
contraire en période de crise économique, les remboursements des crédits des périodes précédentes
sont supérieurs aux nouveaux crédits. La masse monétaire a tendance à diminuer.
commerciale(s) ».
Une banque commerciale produit de la monnaie sans se soucier des besoins de l’économie mais en
fonction de ses seuls intérêts. La création de monnaie est pour une banque commerciale ce que la
production d’un bien (ou d’un service) est pour une entreprise non bancaire : la banque s’enrichit en
produisant de la monnaie qu’elle vend, le prix de vente étant le taux d’intérêt.
L’étendue effective du pouvoir illimité de création monétaire d’une banque commerciale ne dépend
que de l’importance du circuit monétaire qu’elle gère. La régulation institutionnelle tend à endiguer ce
pouvoir en fonction des intérêts collectifs.
La création monétaire est un privilège des banques. Celles-ci créent de la monnaie scripturale en
émettant des dettes qui ont comme particularité d’être acceptées comme moyen de paiement.
Le circuit monétaire
La circulation de la monnaie peut être représentée par un schéma simplifié (voir ci-dessous) comprenant
trois pôles : les banques, les entreprises et les ménages. Un quatrième pôle, le « reste du monde »
(pour employer la terminologie de la Comptabilité nationale et de l’INSEE), ne figure pas dans ce schéma
qui ne prend pas en compte la circulation monétaire internationale.
Premier temps (en foncé) : 1 les banques accordent des prêts aux entreprises (création de monnaie
scripturale) pour leur permettre d’engager la production. 2 les entreprises payent les salaires aux
salariés (« les ménages »). 3 les ménages laissent leurs salaires en dépôt dans les banques.
Deuxième temps (en clair) : 4 les ménages utilisent les dépôts bancaires comme moyen de paiement
pour 5 acheter des biens et des services aux entreprises qui 6 remboursent leurs emprunts : le circuit
est bouclé par la destruction de la monnaie créée au départ.
Le schéma montre que les banques ont une double fonction : elles financent les agents économiques et
elles gèrent les moyens de paiement
Banques
4 Moyens 6 Remboursements
de paiements
3 Dépôts 1 Prêt
Ménages Entreprises
2 Salaires
5 consommation
Les banques apparaissent au XIXe siècle et leur nombre ne cesse de croître pendant le XXe siècle,
comme le montre, le tableau ci-dessous (Fig. 6).
« Les fonctions et le caractère des banques centrales modernes sont, dans une certaine
mesure, un reflet de l’histoire. La plupart d’entre elles, cependant, sont relativement récentes,
puisqu’elles ont été créées par les pouvoirs publics pour remplir diverses tâches correspondant
à un concept de gestion économique du milieu du XXe siècle. De plus, leurs anciennes fonctions
clés, telles que la politique monétaire, sont aujourd’hui assez différentes de ce qu’elles étaient
à l’origine. […] Au XIXe siècle, les discussions sur les banques centrales soulignaient de plus en
plus leur impact sur le bien-être national. […] La transformation des banques centrales en
organes de politique publique s’est achevée au début du XXe siècle, sous l’effet des crises
économiques de l’entre-deux-guerres, de l’effondrement de l’étalon-or et de l’évolution des
mentalités au sujet du rôle de l’État dans la gestion économique.» [BRI (2009)]
Organismes privés à leur origine, la grande majorité des banques centrales sont aujourd’hui des
organismes publics. Leurs statuts organisent notamment leurs relations avec l’État.
Dès 1806 la Banque de France est un établissement à caractère hybride, privé par son capital, mais dirigé
par un gouverneur et deux sous-gouverneurs nommés par l’État. Elle ne deviendra un véritable service
public qu’à sa nationalisation en 1945.
plus faibles que les autres depuis trente ans, certains soulignent que c’est justement parce
que ces pays sont prédisposés à une stabilité du niveau des prix qu’ils ont choisi une telle
organisation de leurs institutions et que la clé de la faible inflation est à chercher ailleurs. De
plus, alors que le modèle prédit que le banquier central conservateur est enclin à laisser
fluctuer la production, pourvu que l’inflation reste faible, il apparaît que les pays ayant une
banque centrale indépendante n’ont pas subi de fluctuations plus importantes que les autres.
[BENJAMIN VIGNOLLES, (2012)]
Cette indépendance n’est toutefois pas absolue.
Tout d’abord, c’est le pouvoir exécutif qui nomme les membres de ces organes, sous le contrôle du
pouvoir législatif (par exemple, « confirmation » par le Sénat des États-Unis de la nomination proposée
par le Président). Cela crée pour le moins une certaine connivence d’« entre-soi ».
Ensuite, les Banques centrales doivent respecter le mandat qui leur est assigné par la loi et par leur
statut et, dans les démocraties modernes, leurs dirigeants sont régulièrement auditionnés par les
commissions parlementaires compétentes.
Les statuts des banques centrales définissent les objectifs de leur action. Ces objectifs peuvent être
larges, la Banque centrale a alors le pouvoir de favoriser par ses actions la croissance économique (c’est
le cas de la FED aux États-Unis). Ces objectifs peuvent être, au contraire, strictement définis, la Banque
centrale a alors un pouvoir limité au contrôle de l’inflation (c’est le cas de la BCE, mais pour faire face
aux conséquences de la crise économique de 2007 les obligations statutaires ont été interprétées
extensivement par ses dirigeants).
Encadré N° 2
Elle peut également engager des politiques monétaires non conventionnelles de type assouplissement
quantitatif (« quantitative easing » – QE) qui consiste à racheter massivement et dans la durée des titres
de dettes aux acteurs financiers. Le QE se traduit par un gonflement du bilan de la Banque Centrale, la
monnaie émise étant une contrepartie de la dette :
20
Plus exactement, M3 qui mesure la totalité de la masse monétaire en circulation : billets et pièces en circulation + dépôts en
comptes-courants [=M1] + comptes sur livrets et crédits à moins de deux ans [= M2] + certains titres du marché monétaire
[=M3].
Les crises rappellent périodiquement qu’une création monétaire excessive par les banques peut
engendrer des désordres économiques graves. L’excès dans l’attribution de prêts est dangereux pour
les banques prêteuses qui peuvent être acculées à la faillite par les défauts de remboursements de leurs
créanciers. La crise bancaire qui en résulte peut se transformer rapidement en une crise économique
généralisée (crise mondialisée dans une économie globalisée) comme l’a encore montré en 2007 la crise
des subprimes.
L’observation montre que la régulation par les marchés est impuissante à canaliser l’expansion
monétaire qu’engendre la grande imagination des banques dans l’innovation financière. Une régulation
« prudentielle » des banques est donc organisée, plus ou moins exigeante selon les pays, les époques
et l’intensité du lobbying bancaire (souvent présenté comme la défense de la « libre entreprise »).
C’est en premier lieu les Banques centrales qui sont chargées de cette régulation bancaire. Une
régulation mondiale est également est mise en place, sous l’égide de la Banque des règlements
internationaux (BRI), la « Banque des Banques centrales » et, de plus en plus, sous l’impulsion des
grandes conférences internationales (« G7 », « G20 »).
Le G20 de Londres en 2009 a créé le Conseil de stabilité financière (FSB21), décrit comme un organisme
de surveillance et de recommandations pour le système financier mondial 22.
La BRI, dont le siège est à Bâle, en Suisse, abrite le FSB et le « comité de Bâle sur le contrôle bancaire »
dont on a pris l’habitude de désigner les propositions sous l’appellation Bâle 1, 2 ou 3 (le dernier en
date).
Le Comité de Bâle rassemble les superviseurs de 27 pays (et de l’Union européenne) pour
renforcer la solidité du système financier mondial en améliorant l’efficacité du contrôle
prudentiel et la coopération entre régulateurs bancaires.
Les règles établies par le Comité de Bâle (appelé "standards" en anglais) définissent des
exigences minimales que les banques et superviseurs doivent respecter. Le principal standard
en vigueur élaboré par le Comité de Bâle est la réforme dite de "Bâle 3" (qui complète à partir
de 2010 la réforme de "Bâle 2"). Derrière cette appellation unique est regroupé tout un
ensemble de règles élaborées et enrichies au fil du temps.
Les standards du Comité de Bâle ne sont pas directement contraignants juridiquement.
Néanmoins, les membres du Comité ont un engagement moral de les mettre en œuvre dans
leur dispositif législatif et réglementaire. Au sein de l’UE, les standards du Comité de Bâle sont
le plus souvent intégrés à la législation européenne (directives ou règlements). (Source :
Banque de France)
21 Financial Stability Board. Le FSB « favorise la stabilité financière mondiale en coordonnant l’élaboration de politiques de
réglementation, de surveillance et d’autres politiques du secteur financier. »
22 Une session du G20, présidée par l’Argentine a eu lieu en 2018 à Buenos Aires et a pris des décisions concernant les
cryptoactifs qui sont décrites au chapitre 4. Un malheureux hasard des choses fait que dans la même période l’Argentine fait
face à une crise économique d’envergure. Un symbole du dérèglement de la finance internationale ?
Parmi ces standards, les Ratios (qui donnent des objectifs chiffrés de gestion) jouent un rôle essentiel.
Au travers de la réglementation se joue une lutte de pouvoir entre Banques centrales, garantes des
équilibres économiques, qui doivent contrôler l’émission de monnaie, et banques, soucieuses de la
maximalisation de leurs profits, qui souhaitent émettre de la monnaie sans contrainte.
De leur côté les législateurs nationaux veillent avec difficulté à l’intérêt général national face à la
puissance de la finance mondialisée, tandis que les organes internationaux tentent d’assurer l’ordre
monétaire planétaire face à l’égoïsme des États…
Le contrôle prudentiel bancaire s’exerce dans le cadre du Mécanisme de surveillance unique (MSU)
institué en 2013. La BCE assure la surveillance directe des établissements bancaires « importants »
(« Significant Institutions ») et la surveillance indirecte des « banques d’importance moindre » (« Less
Significant Institution ») dont la responsabilité repose en premier chef sur les autorités nationales
compétentes. En France, c’est L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) qui est chargé
du contrôle prudentiel.
Encadré N° 3
Compte rendu de la réunion de politique Premièrement, en ce qui concerne les mesures non
monétaire du Conseil des gouverneurs de conventionnelles de politique monétaire, le Conseil
des gouverneurs continuera de procéder à des achats
la Banque centrale européenne qui s’est nets dans le cadre de l’APP au rythme mensuel actuel
tenue à Riga le mercredi 13 et le jeudi 14 de 30 milliards d’euros jusque fin septembre 2018. Le
juin 2018 Conseil des gouverneurs prévoit que, après
[…] septembre 2018, si les données lui parvenant
confirment ses perspectives d’inflation à moyen
Décisions de politique monétaire : terme, le rythme mensuel des achats nets des actifs
Compte tenu des discussions qui se sont déroulées sera réduit à 15 milliards d’euros jusque fin décembre
entre les membres, et sur proposition du président, le 2018, date à laquelle les achats nets arriveront à leur
Conseil des gouverneurs a décidé que le taux terme. Deuxièmement, le Conseil des gouverneurs
d’intérêt des opérations principales de refinancement entend poursuivre sa politique de réinvestissement
ainsi que ceux de la facilité de prêt marginal et de la des remboursements au titre du principal des titres
facilité de dépôt demeureront inchangés à, arrivant à échéance acquis dans le cadre de l’APP
respectivement, 0,00 %, 0,25 % et – 0,40 % pendant une période prolongée après la fin des
Le Conseil des gouverneurs prévoit que les taux achats nets d’actifs et, en tout cas, aussi longtemps
d’intérêt directeurs de la BCE resteront à leurs que nécessaire pour maintenir des conditions de
niveaux actuels au moins jusqu’à l’été 2019 et, en tout liquidité favorables et un degré élevé de soutien
cas, aussi longtemps que nécessaire pour assurer monétaire.
une évolution de l’inflation conforme aux anticipations
actuelles d’un ajustement durable.
D- FONDEMENTS DE LA MONNAIE
Monnaie et violence
Selon RENE GIRARD26, le problème fondamental auquel est confronté l’ordre social est de canaliser la
violence née du mimétisme d’appropriation. L’homme, au-delà de ses besoins, désire intensément, sans
trop savoir quoi, et en vient à désirer ce que l’autre désire, prêt à utiliser la violence pour l’exclure du
bien convoité. A rapprocher :
« L’homme est une création du désir, et pas une création du besoin" (GASTON BACHELARD)
Pour MICHEL AGLIETTA ET ANDRE ORLEAN (2012), dans une vision institutionnaliste héritière de la tradition
chartaliste27, la monnaie canalise cette violence mimétique et fonde l’économie marchande : la monnaie
est première dans les échanges.
La « monnaie centrale » est dénommée aux États-Unis « fiat28 money », définie comme une monnaie
non adossée et non convertible ayant cours légal du fait d’un acte souverain 29. L’expression a le mérite
de marquer que la contrainte d’État est inhérente à la monnaie fiduciaire.
Cette contrainte est juridiquement sanctionnée. La monnaie centrale a cours légal dans le territoire
défini par l’autorité émettrice (le plus souvent un État, plusieurs États pour l’euro), c'est-à-dire qu’elle
ne peut être refusée dans les transactions, et cours forcé, c'est-à-dire qu’elle doit être acceptée à sa
valeur nominale.
Pour les chartalistes, la monnaie fiduciaire est un avoir, un coupon, dont la valeur découle des taxes
qu’il permet d’acquitter. L’État crée la monnaie en dépensant et détruit la monnaie en taxant. La fiscalité
est un outil essentiel au maintien de la valeur d’échange de la monnaie.
Impôts, cours légal et cours forcé sont les marques d’une « violence » étatique. Des mouvements
libertariens* ou anarchiques s’opposent (parfois violemment …) à cette violence étatique ou, pour le
moins, expriment une défiance fondamentale envers le système monétaire institutionnalisé.
La contrainte étatique ne suffirait pas à rendre la monnaie acceptable par tous. Comme nous l’avons
déjà marqué, la monnaie repose avant tout sur la confiance des utilisateurs ; pour reprendre
l’expression de Jean-Pierre Landau, « la conserver et l’utiliser implique un acte de foi ».
Monnaie et confiance
En 1366, NICOLAS ORESME, précurseur de l’économie politique, souligne dans son Traité des monnaies
que le Prince, en modifiant la teneur en métal des monnaies, détruit la confiance et provoque la hausse
des prix. Il avance que le Prince n’est pas propriétaire de la monnaie qui appartient en réalité à la
collectivité qui l’utilise.
début du XXe siècle, qui pose que la monnaie résulte d’actes souverains.
28 Aux Etats-Unis les actes délivrés par une autorité judiciaire ou administrative débutent généralement par l’expression latine
« FIAT », qu’il soit fait – let it be done). Par extension le mot « fiat » désigne l’acte lui-même (citation à comparaître, décision
judiciaire, décret de l’administration fédérale ou de l’administration de l’Etat).
29 Fiat money: “in American, currency made legal tender by fiat and neither backed by, nor necessarily convertible into, gold
« On a souvent tendance à penser que cette notion de confiance est une sorte de disposition
psychologique. En réalité, la confiance est un lien social, structurant, qui nous relie à autrui.
Elle est capitale dans le système monétaire ». (MICHEL AGLIETTA, entretien in Deloitte, équation
de la confiance (2018)
La confiance dans la monnaie s’organise en trois formes constitutives :
La confiance méthodique est liée à la routine des comportements quotidiens qui fait admettre la
monnaie dans la circulation des dettes et des créances sans qu’il soit besoin d’une validation formelle
de sa légitimité.
« Ce type de confiance exprime une dimension sécuritaire par adhésion commune à la règle
explicitée. C’est une armature de repères et de rôles où se moulent les agents privés. Elle est
le fruit de la régularité ». [MICHEL AGLIETTA, ANDRE ORLEAN (2012)]
La confiance hiérarchique est celle qui découle de la légitimité des institutions et fait apparaître le
système des paiements comme une structure hiérarchisée (agents économiques, banques, banque
centrale, état) qui « assure le fonctionnement de la société comme un tout » (MICHEL AGLIETTA, entretien
cité) et permet la continuité dans le temps.
La confiance éthique. Pour que l’ordre monétaire soit reconnu et ne soit pas capté ou manipulé (par
l’État ou les acteurs privés) la monnaie doit être subordonnée à une confiance éthique qui structure la
confiance méthodique et la confiance hiérarchique. C’est le ciment qui tient tout.
« La souveraineté tient un rôle central dans la confiance car, si la souveraineté est légitime,
la confiance dans la monnaie est assurée, la confiance méthodique étant garantie par la
confiance hiérarchique et celle-ci par la confiance éthique ». [BRUNOT THERET (2008)]
La souveraineté dans les sociétés démocratiques résulte de l’ordre constitutionnel, lui-même produit
immédiat ou lointain de principes et de normes éthiques ainsi que d’une symbolique de cultures et de
croyances collectives. MICHEL AGLIETTA résume les sources de confiance dans la monnaie dans les
sociétés démocratiques par un schéma synthétique parlant :
Souveraineté Légitimité
Garantit le capital
de la BC
BANQUE
ÉTAT
Garantit la CENTRALE
prédominance
de la dette publique
Impôts et Demande
dette de
publique Système monnaie
Fournit de ultime
paiement Garantit
Le
la liquidité
capital
collectif
SOCIÉTÉ CIVILE
Fig. 9. Les sources de confiance dans la monnaie dans les sociétés démocratiques
D’après MICHEL AGLIETTA, 2016
Nature de la monnaie
Ces économistes, bien que leurs points de vue soient très divers, réfutent l’hypothèse de la neutralité
de la monnaie.
Ainsi, KEYNES, pour qui « la monnaie joue dans le mécanisme économique un rôle primordial et d’ailleurs
très particulier », prônera-t-il la relance de l’économie par l’injection de monnaie.
Pour ces économistes, la monnaie a une dimension économique, elle n’est pas neutre.
SOUVERAINETÉ
RÈGLES CONSTITUTIVES
MONNAIE
DETTE CONFIANCE
E - CRISE DE CONFIANCE ?
De la crise des tulipes (Pays-Bas, 1637) qui voit le cours spéculatif des bulbes de tulipes s’effondrer
brusquement et provoquer la ruine de nombreux spéculateurs, à la nouvelle crise financière en
Argentine (après celle de 2001) qui voit en cette fin d’ été 2018, le peso s’effondrer et l’inflation
avoisiner 40 %, les observateurs ne comptent pas moins d’une soixantaine de crises financières
marquantes ayant affecté l’économie mondiale, dont une quarantaine depuis l’abandon du système de
Breton Woods en 1971. Encore cet inventaire n’est-il pas exhaustif, particulièrement pour ce qui
concerne les périodes historiques plus lointaines.
30
Complexe : Tout constitué de parties indissociables et interdépendantes. Par exemple, en chimie un complexe est une entité
moléculaire ou ionique formée par l’association de plusieurs entités moléculaires ou ioniques constituantes.
Deux crises émergent par leurs conséquences : celle de 1929, dont on peut dire que la conséquence
ultime fut la Seconde Guerre Mondiale, et celle de 2007 dont beaucoup pensent que ses conséquences
continuent à se développer, une grave « montée des périls » de tous ordres se poursuivant depuis lors.
Toutes les crises reposent sur un mécanisme commun : l’endettement (donc la création monétaire
corrélative) et le défaut de paiement consécutif, dont les occurrences sont bien antérieures au
capitalisme boursier.
Dans leur ouvrage de référence CARMEN REINHART ET KENNETH ROGOFF (2013) distinguent six sortes de
crises financières réparties en deux grands types :
Les crises définies par des seuils quantitatifs : les crises d’inflation (bon important et inattendu des prix)
et les crises monétaires (crises du taux de change de la devise nationale).
Les crises définies par des événements : les crises de la dette extérieure (crises de la dette souveraine),
les crises de la dette intérieure, les crises bancaires (insolvabilité avérée ou supposée d’une partie
significative du secteur bancaire) et les crises boursières.
L’accumulation de dettes excessives, qu’elles soient publiques, bancaires, des ménages ou des
entreprises, est la cause initiale des crises, aggravée par le syndrome du « cette fois, c’est différent »,
les acteurs économiques et les pouvoirs publics nourrissant la conviction que cette fois-ci l’expansion
monétaire se fait sur des bases saines, les crises c’est le passé.
On se souvient des déclarations optimistes d’ALAN GREENSPAN, président de la FED de 1987 à 2006, c'est-
à-dire dans la période précédant la crise de 2007. Et c’est ROBERT LUCAS, prix Nobel d’économie, qui
déclarait en 2003 : « le principal problème de la dépression a été résolu en pratique ».31 Avec le recul,
ces déclarations paraissent empreintes, au choix, de suffisance, d’ignorance ou de légèreté.
Aujourd’hui, le discours a changé. Les spécialistes, dans une sorte de révérence fataliste aux cycles
économiques, prédisent une nouvelle crise financière en 2019. Certains la voient encore plus forte que
celle de 2007-2008…
La mémoire longue collective enregistre ces coups de boutoir à la confiance. La défiance s’installe
comme réflexe.
Cette défiance concerne l’ensemble des institutions politiques et économiques et atteint la monnaie.
Cependant la stabilité externe des monnaies reste incertaine, soit que les marchés sanctionnent eux-
mêmes les monnaies, soit que les gouvernements décident d’une dévaluation.
Et les monnaies subissent toujours les atteintes de l’inflation.
« L’inflation a depuis fort longtemps été l’arme privilégiée des souverains endettés ».
[REINHART ET ROGOFF (2013)]
L’INSEE définit l’inflation comme "la perte de pouvoir d’achat de la monnaie qui se traduit par une
augmentation générale et durable des prix » Le taux d’inflation est évalué par l’indice des prix à la
consommation (IPC), une mesure incomplète pour rendre totalement compte du phénomène
inflationniste qui couvre un champ plus large que celui de la consommation des ménages.
On distingue classiquement quatre types d’inflation : l’inflation par les coûts (le prix de fabrication d’un
produit ou celui des matières premières augmente), l’inflation par la demande (la demande de produits
et services augmente, mais l’offre ne parvient pas à s’adapter), l’inflation importée (hausse des prix des
produits importés, souvent du fait de la dépréciation de la monnaie nationale par rapport aux monnaies
de facturation) et l’inflation par excès de la masse monétaire.
Lorsque, en effet, le stock de monnaie en circulation est excessif par rapport à la quantité de biens et
services offerte par la production, l’inflation s’installe. L’excès monétaire peut être le fait d’un
financement du déficit public par la Banque centrale ou le fait d’un financement laxiste de l’économie
par la monnaie-dette émise par les banques commerciales.
32 Économiste et physicien français (1911-2010), « prix Nobel » d’économie en 1983, il dénonce la déréglementation financière
et prône un certain protectionnisme, à l’encontre des consensus d’alors.
33 HENRI STERDYNIAK, Monnaie pleine, la votation du 10 juin 2018, le blog de l’OFCE, 1er juin 2018.
Dans les périodes récentes, la spéculation s’est par ailleurs développée à partir des produits financiers
dérégulés plutôt qu’à partir des dépôts à vue, si bien que le contrôle de la masse monétaire laisse
largement sans réponse la question de la régulation de la banque financiarisée.
La confiance continue de se fragiliser. D’autant plus que la question des inégalités qui se creusent et les
comportements impudiques d’une certaine élite politico-financière mettent dangereusement à mal le
pilier éthique.
Encadré N° 4
Cette prédominance du dollar, d’autres parlent de « dictature », dispense les États-Unis de discipline
budgétaire et encourage la prise de risques, ce qui déstabilise l’économie mondiale.
En outre, les États-Unis s’arrogent un privilège de juridiction. Dès lors qu’une entreprise utilise le dollar
dans ses transactions, elle doit se plier aux injonctions des tribunaux américains. « L’intention est
d’utiliser le droit à des fins d’imperium économique et politique dans l’idée d’obtenir des avantages
économiques et stratégiques » (Rapport d’information de la commission des affaires étrangères de
l’Assemblée nationale sur l’exterritorialité de la législation américaine, 2016).
Il aura fallu les deux amendes colossales infligées en 2014 à BNP Paribas (8,9 milliards de dollars, environ
8,4 milliards d’euros) et à Alstom (772 millions de dollars, environ 730 millions d’euros) pour que
dirigeants et médias français prennent conscience de la volonté des États-Unis d’imposer leur modèle
juridique et leurs lois aux autres pays, fussent-ils leurs plus proches alliés. (Le Monde diplomatique,
2017)
On retrouve la même problématique dans les sanctions décrétées en 2018 par l’administration Trump
contre l’Iran qui interdisent de facto à toute société, de quelque nationalité qu’elle soit, de commercer
avec ce pays. On verra au chapitre 6 que l’Iran tente de desserrer cet étau en promouvant une
cryptomonnaie centrale.
La monnaie dollar plus près de la violence que de la confiance ?
*
**
Une crise de confiance envers les monnaies, diffuse ou exprimée, s’installe peu à peu et suscite des
stratégies de contournement.
Des monnaies apparaissent en dehors du système bancaire dominant. Certaines sont complémentaires
à ce système sans le mettre en cause. D’autres se veulent une alternative de rupture.
En France, la loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire (ESS) a donné une base légale
aux monnaies locales complémentaires. Son article 16 reconnaît les monnaies locales comme titres de
paiement, « si ces titres sont émis par des entreprises de l'économie sociale et solidaire et que ces
monnaies respectent l'encadrement fixé par le code monétaire et financier » (source : économie.gouv).
Les objectifs des promoteurs des MLC sont une réappropriation des échanges par les citoyens et la
relocalisation de l’activité économique sur un territoire : créer du lien social, favoriser les circuits courts
et respecter l’environnement.
Ces caractéristiques font des monnaies complémentaires des « communs* ». Les communs désignent
des formes d’usage et de gestion collective d’une ressource par une communauté d’individus. Trois
éléments constitutifs des communs : une ressource, une communauté, une pratique (des règles d’accès
et de partage).
Selon les sources, la France compte entre une quarantaine et une soixantaine de MLC, aux noms souvent
pittoresques : l’abeille à Villeneuve-sur-Lot (la première MLC, apparue en 2010), le radis en Alsace, la
violette à Toulouse, la pêche à Montreuil (et maintenant également à Paris) …
Comme leur dénomination l’indique, les MLC sont des monnaies complémentaires à l’euro. Elles ne
visent pas à remplacer la monnaie officielle. Elles sont émises par des associations à parité avec l’euro.
Les utilisateurs potentiels achètent avec des euros (1 MLC = 1 €) des MLC qu’ils dépensent chez des
commerçants agréés. L’utilisation des MLC est limitée : elles n’ont pas cours légal.
La confiance dans les MLC prend sa source dans la parité avec les monnaies officielles et dans l’esprit
de solidarité communautaire qui anime ses utilisateurs. Le fondement éthique de la confiance prime
l’aspect procédural et efface l’aspect hiérarchique.
L’eusko, dans le pays Basque, est la plus importante des MLC en France. Elle compte plus de 3 000
adhérents particuliers et 700 professionnels ou associations. Quelque 750 000 eusko sont en circulation.
Le maire de Bayonne voulait que sa ville puisse utiliser l’eusko pour certains de ses paiements. La cour
administrative d’appel de Bordeaux le lui a interdit, faisant droit aux observations du Préfet selon
lesquelles « les règles de la comptabilité publique ne prévoient pas de payer dans une autre monnaie
que nationale ». Le maire s’est pourvu en cassation devant le Conseil d’Etat.
Dans le monde on compterait, selon les sources, entre 2 500 et 5 000 MLC. Le grand ancêtre est suisse :
le wir (du nom d’une banque coopérative), une monnaie interentreprises née en 1934 et toujours très
active.
La multiplication des MLC est sans doute en lien avec les récentes crises financières :
« Il y a historiquement et logiquement un lien entre monnaies locales et désordres financiers
globaux : quand ceux-ci attirent l'économie dans la déflation et le chômage de masse, alors
que celles-là entendent agir comme palliatif, voire comme remède, en soutenant les échanges
locaux et, partant, aidant au travail (voire à l'emploi). » [MAGNEN ET FOURNEL (2015)]
Les monnaies locales sont avant tout intermédiaires des transactions. Le rôle de monnaie de compte
reste dévolu aux monnaies officielles, puisque les MLC sont en parité de valeur avec celles-ci. Et il y a
chez les promoteurs des monnaies locales l’ambition d’effacer le rôle de réserve de valeur afin de
supprimer tout effet spéculatif et de faire circuler rapidement les MLC dans leur aire d’action.
L’impact des MLC sur l’économie reste très modeste. Les MLC sont souvent imprimés en 10 000 ou
20 000 unités (avec 750 000 unités, l’eusko fait figure de mammouth !). Et la mise en place d’une
monnaie locale par une association demande des moyens financiers et surtout humains qui s’avèrent
souvent difficiles à mobiliser dans la durée.
L’utilisation par les MLC d’un support électronique (carte ou smartphone) au lieu du support papier
traditionnel pourrait faciliter et majorer leur utilisation.
Le phénomène MLC est récent (en France les plus anciennes expériences ont moins de dix ans) et il est
difficile d’augurer de son avenir. Il paraît néanmoins plausible que l’impact économique restera faible,
quel que soit, par ailleurs, l’intérêt social du phénomène.
Les MLC ne paraissent pas en tout cas être en mesure de constituer une alternative significative aux
monnaies souveraines.
D’autres pistes ?
À l’autre bout du spectre des possibles monnaies alternatives, se placeraient des monnaies
déterritorialisées et globalisées. Les moyens de paiement électroniques ont montré ce que la
technologie peut faire, mais ils restent liés à la monnaie de banque. Le temps est-il venu de monnaies,
basées sur les technologies de l’informatique, totalement déconnectées du système bancaire ?
Le bitcoin « apatride », virtuel et en réseau est-il l’annonciateur de ce temps nouveau ?
Encadré N° 5
La Normandie se dote d'une monnaie Normands pourront ensuite régler leurs achats via
leur smartphone ou avec leur carte de paiement sans
locale et numérique, une première en contact. Une application dédiée leur permettra par
France ailleurs de géolocaliser les professionnels partenaires
Le figaro .fr 11 juillet 2018 du projet.
Depuis quelques jours, les habitants de la ville de Favoriser les circuits courts et les produits bio
Saint-Lô, dans la Manche, peuvent régler leurs achats À l'instar des autres monnaies locales, la vocation du
avec des Rollons. Cette monnaie locale et numérique Rollon est d'encourager le commerce de proximité.
sera bientôt mise en circulation dans toute la Puisqu'ils ne peuvent dépenser cette monnaie qu'à
Normandie. l'intérieur de la région, ses utilisateurs sont en effet
La «Pêche» à Paris, «l'Eusko» au Pays basque, la poussés à consommer localement et recourir aux
«Gonette» à Lyon, le «Sol-violette» à Toulouse… et circuits courts. L'objectif est de créer un cercle
maintenant le «Rollon» en Normandie. Le président vertueux, en incitant les commerçants partenaires à
de la région, Hervé Morin (Les Centristes), l'avait régler à leur tour leurs fournisseurs en Rollons.
promis en juin 2016, c'est désormais chose faite: la L'initiative se veut «éco-responsable»: pour intégrer
Normandie tient elle aussi sa monnaie locale. Pour le réseau Rollon, les entreprises devront respecter
l'heure, cette alternative régionale à l'euro, une certains critères, comme des conditions de travail
première en France à cette échelle, est circonscrite à décentes ou l'utilisation de produits locaux ou bio.
la ville de Saint-Lô, où le Rollon a été mis en La création de monnaies locales a été rendue
circulation le 29 juin. Elle sera progressivement possible par la loi de juillet 2014 relative à l'économie
étendue à toute la Normandie au cours de l'été et sociale et solidaire (ESS). Ce texte reconnaît les
l'automne. Dans la préfecture de la Manche, 80 monnaies dites «complémentaires» comme moyen
commerçants (brasserie, librairie, épicerie…) sont de paiement à condition qu'une structure de l'ESS en
d'ores et déjà portés volontaires pour accepter cette soit à l'origine. C'est dans cette logique qu'a été créée
monnaie. fin 2017 l'association de la monnaie normande
Autre originalité par rapport à la plupart de la citoyenne (AMNC) pour soutenir le Rollon. Le choix
quarantaine de monnaies locales que compte du nom de cette devise numérique est toutefois
l'Hexagone, le Rollon sera 100% numérique. Sur une revenu aux Normands: consultés sur les réseaux
application mobile, les utilisateurs pourront s'en sociaux, ils ont choisi de rendre hommage à Rollon,
procurer contre des euros à un taux de change à le chef viking à l'origine du duché de Normandie au
parité: un Rollon vaudra un euro. Les euros ainsi IXe siècle.
convertis seront déposés au sein d'une banque
partenaire, le Crédit Agricole Normandie Seine. Les
Chapitre 2 :
NAISSANCE DU BITCOIN ET DE LA BLOCKCHAIN
Un dénommé SATOSHI NAKAMOTO fait enregistrer en août 2008 le nom de domaine bitcoin.org et publie
en octobre 2008 un livre blanc dans lequel il décrit le système de monnaie électronique en réseau qu’il
propose et utilise le terme « Bitcoin » pour référencer ce système. Un peu plus tard il édite la première
version du logiciel du système bitcoin (Bitcoin-Qt 0.1).
« Ce dont nous avons besoin, c’est d’un système de paiement électronique […] qui permettrait
à deux parties qui le souhaitent de réaliser des transactions directement entre elles sans avoir
recours à un tiers de confiance ». [NAKAMOTO (2008)].
Le 3 janvier 2009, SATOSHI NAKAMOTO lance le bitcoin
S. NAKAMOTO s’est inspiré pour son « invention » des propositions de WEI DAI sur le b-money (1998) et
de NICK SZABO sur le bitgold (2005).
Personne ne sait qui est SATOSHI NAKAMOTO. Il aurait affirmé (dans une interview écrite, sur Internet bien
sûr) être japonais et être né le 5 avril 1975. Mais la qualité de l’anglais qu’il emploie et l’absence de
toute publication en japonais font douter de cette origine. La communauté Bitcoin s’accorde
généralement à dire que SATOSHI NAKAMOTO est un pseudonyme sous lequel se cache un groupe de
chercheurs en informatique et en cryptographie. Certains croient que NICK SZABO fait partie de ce
groupe.
Si l’on ne sait pas vraiment qui est à l’origine du bitcoin, on connaît l’origine du nom : il vient de bit,
unité de mesure en informatique et de coin, qui signifie monnaie en anglais.
Le bitcoin est une monnaie virtuelle, donc sans support physique (pas de billets ni de pièces émis), qui
repose sur un réseau informatique où chaque utilisateur joue le rôle de serveur et de client 34. C’est un
réseau dit de pair à pair*(peer to peer ou P2P), sans autorité centrale.
Pour permettre une accessibilité la plus large possible, le bitcoin (1 BTC) est fractionnable en très petites
unités, jusqu’au 8ème chiffre après la virgule. Cette dernière unité (0,000 000 01 BTC) est appelée un
satoshi. Autres unités : 1mBTC = 1 millibitcoin = 0,001 bitcoin, 1µBTC = 1 microbitcoin = 0,000 001
bitcoin.
Cet omni, objet monétaire non identifié, passe longtemps inaperçu du plus grand nombre et même des
spécialistes des monnaies. L’engouement qu’il suscite peu à peu dans les cercles Internet puis qui
s’amplifie pour devenir un phénomène de société dérange l’ordonnancement séculaire des monnaies.
Le bitcoin est avant tout un phénomène de société. Il a éclos dans les milieux libertaires hostiles à l’ordre
établi, comme le soulignent ADLI TAKKAL BATAILLE et JACQUES FAVIER :
« On ne peut rien comprendre à Bitcoin […] si l'on oublie […], qu'il fut conçu par et pour des
gens opposés à l'autoritarisme des gouvernements, refusant la censure et la possibilité de la
censure, refusant la surveillance de masse, souhaitant conserver la propriété de leurs données
personnelles, pensant que pour cela l'anonymisation de leurs correspondances, de leurs
données et de leurs transactions est un droit, que les logiciels libres sont plus sûrs que les
logiciels propriétaires, aux sources fermées, et qu'une monnaie libre par rapport aux États et
aux banques est une chose désirable et utile ». [BATAILLE ET FAVIER (2017)]
Le lien entre le bitcoin et la société de son temps ne surprendra que ceux qui ne voient en la monnaie
qu’un instrument des échanges alors qu’elle est création sociale (voir chapitre 1). Cependant le bitcoin
est en lien non pas avec la société dans son ensemble ou même dans sa majorité sociologique mais avec
sa partie contestataire. La genèse du bitcoin est idéologique :
« La majorité des expériences ou articles dédiés au sujet de la monnaie numérique proviennent
(sans surprise) de personnes aux valeurs crypto anarchistes et libertaires affichés. […] on ne
saurait proclamer la neutralité de la technologie comme nous l'entendons régulièrement. Ici,
le code est, à sa genèse même, déjà puissamment idéologique. On serait tenté de dire Code is
Law et de poursuivre l'adage en rappelant que ceux qui font la loi sont rarement dépourvus
d’idéologie ». [BATAILLE ET FAVIER (2017)]
Eclos dans les milieux libertaires, le bitcoin est par la suite adopté par les milieux libertariens. Ce courant
politique, que l’on peut qualifier d’ultralibéral, prône la réduction de l’Etat à ses fonctions régaliennes
minimales et promeut une société individualiste régie par un capitalisme extrême. Du coup le bitcoin
paraît tomber dans un autre camp idéologique, celui pour lequel le personnel efface le collectif et le
marché efface l’action publique.
Ce que résume la plume alerte de MICHEL AGLIETTA :
« Si l'on se réfère aux thèses crypto anarchistes et libertariennes qui inspirent le bitcoin, il
séduit ses utilisateurs car il leur donne l'illusion qu'ils s'approprient la monnaie et se
débarrassent de l'intervention jugée nocive des acteurs qui sont censés la contrôler (États,
banques centrales et banques). […] Le bitcoin dévoile ainsi sa vraie nature : être une « monnaie »
virtuelle anonyme, anti-souveraineté, anti-banque, anti-Etat et, partant, une monnaie anti-
communs. » [MICHEL AGLIETTA (2016)].
Les libéraux considèrent que pour préserver la neutralité de la monnaie, son émission doit être
contrôlée. Et pour que la monnaie soit neutre, la politique monétaire doit également être neutre : l’Etat
doit intervenir le moins possible et la régulation, confiée à un organisme indépendant, la Banque
centrale, doit être limitée à l’édiction des règles d’émission et au contrôle de leur respect.
L’école autrichienne réfute, elle, toute régulation, fût-elle neutre.
Dans son ouvrage au titre-programme « Pour une vraie concurrence des monnaies » (1976), le plus
éminent représentant de cette école, FRIEDRICH VON HAYEK, soutient qu’aucune politique monétaire n’est
possible ni souhaitable et propose de rendre l’offre de monnaie concurrentielle en supprimant toute
autorité monétaire régulatrice.
Pour HAYEK comme pour les libéraux classiques l’inflation est le mal économique absolu. Mais alors que
les libéraux proposent de la contenir par le contrôle de l’émission de la monnaie, HAYEK voit dans la
Chaque bitcoin n’existe que par une écriture numérique sur un registre informatique distribué, la
blockchain.
Nous allons tenter de décrire ce qu’est la blockchain en commençant par définir ce qu’est un registre.
Le registre
Le développement des échanges et l’organisation sociale ont, depuis la nuit des temps, été rendus
possibles par l’enregistrement, l’inscription dans un registre, des faits dont on voulait garder une trace
(un contrat, un inventaire, une dette, un événement ...).
Le registre a été longtemps manuscrit. On écrivait sur tout support constituant une surface plane et lisse
à l’aide d’instruments pouvant y laisser une trace. Comme support, les tablettes, les papyrus et les
parchemins ont fait place au papier (constitué de fibres de cellulose trempées puis séchées), en Chine
dès le VIIIe siècle av. J.-C., dans le monde arabe au VIIIe siècle ap. J.-C. et en Europe à partir du XIIe
siècle.
L’imprimerie permet ensuite une diffusion plus large de l’information contenue dans le registre.
L’impression manuelle (sur des supports tels que la soie) est relevée en Chine dès le VIIe siècle, puis
apparaît le support papier. L’industrialisation du processus d’impression vient au XVe siècle en Europe
avec GUTENBERG. Dès lors les capacités de conservation et de diffusion de l’information contenue dans
le registre deviennent très vastes.
Avec l’invention de l’ordinateur au XXe siècle, on entre dans une nouvelle ère. Le registre est numérisé.
Les capacités de conservation et de diffusion de l’information changent totalement d’échelle.
Ces trois évolutions majeures (le papier, l’imprimerie, l’ordinateur) laissent néanmoins sans réponse deux
limites du registre : l’impossibilité de le mettre à jour de manière collaborative et l’impossibilité de garantir
absolument son inaltérabilité et son inviolabilité.
Le tiers de confiance, celui qui tient le registre (le notaire pour un transfert de propriété ou la banque
pour une transaction financière), a eu au cours de l’histoire comme rôle de pallier ces deux limites. Avec
en contrepartie des coûts de transaction et des délais de réalisation.
La blockchain de ce début du XXIe siècle est disruptive35 par rapport à ce long passé : dans ses principes
constitutifs elle permet (avec des coûts de transaction faibles 36 et des délais de réalisation courts) la
tenue et la mise à jour collaborative du registre (le tiers de confiance séculaire disparaît) et elle garantit
l’inaltérabilité et l’inviolabilité (la confiance en découle, hors de toute institution).
La blockchain sous-tend le bitcoin, « monnaie »37 d’un type nouveau, virtuelle et décentralisée.
35 Nous n’employons pas le terme disruptif pour nous plier à la mode de son usage, mais parce qu’il convient : il indique à la
fois l ’innovation drastique qu’est la blockchain mettant en cause les principes jusque-là admis et la rupture sociétale générant
une perte de repères que son apparition induit.
36 Si l’on ne prend pas en compte les coûts énergétique
37 On verra au chapitre 3 que la nature monétaire du bitcoin et des autres crypto-monnaies est discutée.
Une blockchain peut être définie comme un registre distribué, chronologique, vérifiable et protégé.
Le minage* est le procédé par lequel les transactions sur la blockchain sont sécurisées : les mineurs*
effectuent avec leur matériel informatique des calculs mathématiques de type cryptographique.
Comme récompense pour leur service ils reçoivent les bitcoins nouvellement créés et perçoivent (en
bitcoin) une rémunération sur les transactions qu’ils confirment.
Les nœuds considèrent toujours la chaîne de blocs la plus longue comme la plus légitime.
Tous les utilisateurs du réseau ne minent pas. Seuls ceux des pairs dotés d’ordinateurs très puissants
(les nœuds), participent à l’opération de minage, ce qui fait de celle-ci un processus décentralisé et non
totalement distribué.
« Ce résultat inévitable d’une « course aux armements » entre mineurs a cependant permis
que le réseau Bitcoin puisse fonctionner correctement, bien qu’il ait perdu un peu
d’horizontalité par rapport à la vision d’origine. » [BATAILLE ET FAVIER (2017)]
Les mineurs sont en concurrence et leurs revenus sont proportionnels à la puissance de calcul qu’ils
peuvent déployer. C’est pourquoi certains s’organisent en coopératives pour mobiliser ensemble une
puissance de calcul supérieure. Surtout, des « fermes », qui minent pour le compte de leurs mandants,
ont vu le jour partout dans le monde ; beaucoup sont en Chine, un peu en France (voir encadré N°6).
Ces fermes, dont les visées sont avant tout lucratives, éloignent le fonctionnement de la blockchain des
idéaux crypto-anarchistes d’origine. Elles interrogent sur la sécurité des blockchains comme nous le
verrons au chapitre 4.
Encadré N° 6
Dans la plus grande ferme à bitcoins de l'intérieur par le sol, la pièce baigne dans une
France ambiance tropicale.
la blockchain inviolable ?
(la signature - au sens informatique du terme - figurant sur le schéma résulte de l’utilisation de la
cryptographie asymétrique - clé publique /clé privée -)
Fig. 12 Schéma de la suite des bloc authentifiés par PoW (d’après : GILLE BAILLY MAITRE, Qu’est-ce que
la blockchain, youtube.com/watch ?v=SccvFbyDaUI )
En théorie une coalition de mineurs pourrait permettre une falsification de la blockchain. Les conditions
d’une telle coalition paraissent impossibles à réunir tant la puissance de calcul nécessaire, la moitié de
la puissance du réseau Bitcoin, aux milliers de nœuds, semble inatteignable.
Comme le souligne Nakamoto lui-même dans son livre blanc, si la majorité du réseau est contrôlé par
des nœuds honnêtes, la chaîne légitime se sécurise exponentiellement à chaque bloc ajouté :
« Si la majorité de la puissance de calcul du réseau est contrôlée par des nœuds honnêtes, la
chaîne légitime progresse le plus rapidement et distance les chaînes concurrentes. Afin de
modifier un ancien bloc, un attaquant devrait recalculer les preuves de travail du bloc modifié
et de tous les blocs suivants, pour rattraper et dépasser le travail fourni par les nœuds
honnêtes. Nous démontrerons par la suite que la probabilité qu’un attaquant disposant de
moins de puissance de calcul puisse rattraper diminue exponentiellement à chaque nouveau
bloc ajouté ». [NAKAMOTO (2008)]
La vulnérabilité du bitcoin est, en fait, située aux interfaces (portefeuilles électroniques et surtout
plateformes d’échange), comme on le verra au chapitre 4.
système permettant aux participants de s’accorder sur une histoire unique de l’ordre dans
lequel elles ont été reçues ». [NAKAMOTO, (2008)]
L’anonymat des transactions est garanti par le processus cryptographique. Cet anonymat n’est
cependant pas aussi strict que celui assuré par le paiement en liquide. Les participants opèrent en fait
sous un pseudonyme, l’adresse qui peut être connue de tous ; l’appariement entre le pseudonyme et
l’identité réelle est théoriquement impossible, mais l’on sait le talent des casseurs de code (hackers)…
Par ailleurs, tout ce qui se passe dans la blockchain Bitcoin est transparent, ce qui rend les transactions
traçables.
A A
B B
Le registre Bitcoin est distribué entre tous les participants à la blockchain. Dans les faits la distribution
sur le réseau Bitcoin concerne les seuls mineurs.
Ces deux caractéristiques rendent le bitcoin très particulier dans l’univers des monnaies et peuvent
induire des interrogations sur sa qualification de monnaie.
40Deux registres si l’expéditeur et le destinataire n’ont pas la même banque, ce qui ne change rien au principe : le système est
toujours centralisé.
Le sulfureux bitcoin fête ses dix ans Grâce à elle, il est possible de crypter, d'échanger et
[…] Outil de trafics en tout genre pour les uns, de valider des données sans intermédiaire. Certaines
révolution technologique pour les autres, le bitcoin, blockchains inspirées de celles de Satoshi Nakamoto
reine des cryptomonnaies, s'apprête à souffler ses dix permettent de tracer des denrées alimentaires du
bougies. Le 19 août 2008, son créateur, dissimulé producteur au consommateur. D'autres, d'effectuer
derrière le pseudonyme Satoshi Nakamoto, réservait des transferts d'argent plus rapidement que par le
le nom de domaine bitcoin.org, avant de développer système financier classique, ou de certifier des
son invention sur la Toile. " D'abord prisé par contrats sans l'aide d'un notaire.
quelques cercles d'initiés, il a peu à peu fait son […] Difficile, dans cette profusion un peu chaotique,
entrée dans la finance et auprès du grand public, de distinguer les innovations réellement
avant de connaître un emballement fin 2017 prometteuses de celles qui feront un flop, ruinant au
", rappelle le journaliste Stéphane Loignon, auteur de passage une myriade d'investisseurs. " Cela rappelle
l'essai Big Bang Blockchain, la seconde révolution un peu la bulle des valeurs technologiques, en 2001,
d'Internet (Tallandier, 2017). lorsque des start-up Internet pas toujours solides
" Un écosystème de start-up s'est développé autour, levaient des sommes folles ", remarque Ludovic
mais pas seulement. Il existe aujourd'hui plus de 1000 Desmedt, économiste à l'université de Bourgogne. De
autres cryptodevises ", précisent Martin Della Chiesa, l'aveu même des personnes concernées, le secteur
François Hiault et Clément Tequi, du cabinet de manque de maturité. " On voit encore des arnaques.
conseil Accuracy. En juin, la capitalisation du bitcoin C'est le début, mais le marché s'autorégule à mesure
atteignait les 109 milliards d'euros et celle de l'ether, que de grands acteurs y entrent ", note Claire Balva,
la deuxième plus grosse cryptomonnaie, 50 milliards de Blockchain Partner, une start-up qui accompagne
d'euros. Et, consécration, vendredi 3 août, la maison les entreprises souhaitant expérimenter la
mère du New York Stock Exchange (NYSE) a blockchain.
annoncé le lancement d'une plateforme spécialisée Pour l'instant, aucune de ces applications n'est assez
dans les cryptodevises. simple pour se diffuser largement parmi le grand
Tenter de comprendre le fonctionnement de ces public. L'une d'entre elles bouleversera peut-être un
technologies offre la garantie d'une bonne migraine. jour notre quotidien. Mais un autre scénario est
L'émission du bitcoin n'est contrôlée par personne – possible. Celui où des acteurs – des nouveaux venus
ni Etat ni banque centrale –, mais dépend d'un ou les banques traditionnelles – concentreraient
algorithme informatique reposant sur la blockchain, progressivement la technologie et ses usages, un peu
une chaîne de transactions cryptées et décentralisées comme les GAFA (Google, Apple, Facebook,
recensant tous les échanges de bitcoin réalisés Amazon) avec Internet. On serait alors bien loin de
depuis sa création. Les nouveaux bitcoins sont émis l'esprit libertarien et décentralisé dont rêvait Satoshi
pour récompenser les passionnés d'informatique – Nakamoto.
les " mineurs " – mettant leur ordinateur au service du En attendant, les régulateurs financiers se penchent
réseau pour effectuer les calculs (très gourmands en sur le sujet. Cryptoactifs, monnaie privée, placement
électricité) constituant la blockchain. ou nouvelle technologie : ils sont encore désarmés
Celle-ci est inviolable, puisqu'il faudrait intervenir sur face à la nature hybride du bitcoin et de ses petits
tous les ordinateurs simultanément pour la modifier. frères. " Une réglementation directe n'est pas
Les bitcoins, eux, peuvent être stockés sur souhaitable, car elle obligerait à définir, classer et
l'équivalent d'une clé USB, ou sur une plateforme donc rigidifier des objets essentiellement mouvants et
spécifique en ligne – où ils ne sont pas à l'abri des encore non identifiés ", soulignait début juillet un
vols. rapport commandé par Bercy à Jean-Pierre Landau,
un ancien sous-gouverneur de la Banque de France.
Jusqu'ici, le bitcoin affiche un cours trop volatil – il a
culminé à plus de 15 000 euros mi-décembre avant Celui-ci incite néanmoins l'Etat à agir pour protéger
de replonger brutalement – pour être utilisé comme l'épargne et limiter les risques de contagion. Par
une véritable monnaie. " Mais la blockchain sur exemple, en bâtissant un agrément européen pour les
laquelle il repose est un outil prometteur, offrant plateformes en ligne permettant d'échanger des
d'innombrables possibilités d'application ", relève cryptomonnaies. Et en resserrant la prévention, afin
M. Loignon. d'éviter des escroqueries … M. Charrel, LM 4/08/18
Le protocole blockchain promet des applications révolutionnaires au-delà du bitcoin et des autres
cryptomonnaies. Encore faudra-t-il savoir pleinement mettre à profit cette innovation et maîtriser les
mutations qu’elle induira :
« Pour mettre pleinement à profit une innovation, il faut penser neuf. La technologie de la
blockchain nous y invite, à moins qu’elle ne nous y contraigne. En un mot, il s’agit d’une
nouvelle façon de stocker de l’information, de la préserver sans modification, d’y accéder et
d’intégrer de nouvelles informations qui deviennent infalsifiables. […] On conçoit l’ampleur
des mutations que promet une telle innovation ». [FRANCE STRATEGIE , Les enjeux des
blockchains, Rapport du groupe de travail, 2018]
Dans la grande diversité des usages aujourd’hui imaginés, auxquels s’ajouteront sans aucun doute de
multiples autres usages, une grande catégorie doit être particulièrement distinguée, celle des
applications liées à la tenue d’un registre.
La blockchain pourrait bouleverser les modalités de contrôle des transferts de biens et de sécurisation
des échanges, c'est-à-dire remplacer le registre aujourd’hui centralisé par un registre partagé.
On pense immédiatement à l’authentification des transactions aujourd’hui réalisée par l’intermédiaire
d’un notaire. Mais on peut aussi attendre la blockchain dans le domaine de la traçabilité industrielle
(médicaments, produits alimentaires) ou dans celle de la certification des processus financiers
(transactions sur les titres). Elle pourrait aussi s’appliquer dans l’identification numérique des personnes
et, par exemple, sécuriser le vote en ligne. Les possibilités ouvertes sont innombrables…
Ces bouleversements ne se feront pas sans des bouleversements juridiques parallèles : le droit de la
preuve devra dire la valeur probatoire d’un élément de preuve issue de la blockchain. Faute de quoi
l’insécurité juridique rendra impossible une utilisation « ouverte » de la blockchain et la cantonnera
dans des utilisations « restreintes » à des réseaux spécifiques (Blockchain d’entreprise, par exemple).
Le vaste champ d’applications ouvert par la Blockchain a partout suscité de nombreux projets, souvent
portés par de jeunes « startups » innovantes. Des études réalisées au niveau mondial montrent un faible
taux de survie de ces projets dont peu ont abouti sur des usages commerciaux. Des projets très avancés
dans le domaine de l’assurance se sont, par exemple, heurtés pour leur mise en place à des dilemmes
qui ont été jugés rédhibitoires par les régulateurs, nous y reviendrons plus en détail au chapitre 5.
« L’usage des blockchains publiques pour des activités régulées n’apparaît pas approprié à ce
stade – sauf à concevoir une blockchain publique nativement construite pour répondre aux
problématiques du secteur financier, incluant les enjeux de supervision. » [BEAUDEMOULIN ,
WARZEE ET BEDOIN, réalités industrielles (2017)]
On voit bien que tout se tient. La percée industrielle de la blockchain n’aboutira tout à fait que lorsque
des adaptations réglementaires la faciliteront et ces adaptations ne seront possibles que lorsqu’une
meilleure compréhension de la « révolution Blockchain » en aura dévoilé la nécessité.
LES CRYPTOMONNAIES : IMPASSE OU RÉVOLUTION ? 75
Les déconvenues actuelles de la blockchain, inhérentes à toute technologie de rupture, ne doivent pas
faire douter de son avenir. Il appartient aux responsables politiques et économiques de fournir
l’environnement nécessaire à l’épanouissement futur.
Les pouvoirs publics multiplient les études, et s’apprêtent à prendre des mesures d’accompagnement.
La France, qui possède les capacités de recherche et de développement dans le domaine informatique,
se doit de ne pas laisser échapper la possibilité de figurer aux premiers rangs de la compétition engagée,
face à la puissante force de frappe des États-Unis et de la Chine.
Le marché de la Blockchain est évalué à 10 milliards d’euros d’ici à 2022.
Pour France Stratégie l’innovation blockchain promet des mutations d’ampleur :
« Techniquement, elle pourrait offrir une solution aux fragilités des systèmes centralisés.
Économiquement, elle devrait permettre d’augmenter la productivité en limitant les intermé-
diaires et en automatisant les transactions. Institutionnellement, elle est une réponse à la
défiance dont souffrent les institutions politiques et économiques, avec à la clé une
fluidification des relations économiques et sociales. » [FRANCE STRATEGIE, Les enjeux des
blockchains, Rapport du groupe de travail, 2018]
France Stratégie ne cache pas les interrogations que suscite la blockchain quant à sa sécurité, sa
scalabilité*, son coût énergétique et les dilemmes auxquels elle se heurte mais considère que la France
doit mettre en place une stratégie Blockchain sous peine d’être dépassée :
« Dans le monde du numérique, les « vainqueurs » sont peu nombreux et ils ont tendance à
rafler l’intégralité de la mise. […] Attendre qu’une technologie soit éprouvée pour se lancer,
c’est prendre le risque de partir trop tard, quand les places sont prises. Il en sera peut-être
ainsi pour la blockchain. C’est donc maintenant qu’il faut « sortir du bac à sable » de
l’expérimentation, et mettre en place une stratégie avec pour axes principaux la régulation,
le soutien à l’innovation et la formation. Il est sans doute trop tôt pour prédire l’avenir de la
blockchain et l’ampleur des bouleversements qu’elle amorce, mais l’ignorer n’est pas une
option » [JOËLLE TOLEDANO, Présidente du groupe de travail, FRANCE STRATEGIE , 2018].
La mission d’information sur les chaines de bloc (blockchains) de l’Assemblée Nationale va dans le même
sens : La France doit se donner les moyens de favoriser l’industrie de la blockchain.
« Alors que nos économies connaissent une transformation accélérée grâce à la
dématérialisation croissante des échanges, ainsi qu’à une nouvelle offre de produits et de
services numériques, la France ne saurait demeurer à l’écart de l’étonnant foisonnement
d’initiatives et d’innovation que suscite aujourd’hui l’affirmation du secteur des blockchains ».
Certes, dans certains domaines, les protocoles présentent encore les signes d’une relative
immaturité et bien des questionnements peuvent subsister face à un certain nombre de
projets qui peinent à franchir le stade du concept. […]
Cela étant, […], la technologie permet d’ores et déjà des usages nouveaux, qui ouvrent la
perspective d’un possible renouvellement des organisations, des relations économiques et de
travail, ainsi que des habitudes de consommation ». [ JEAN-MICHEL MIS et LAURE DE LA RAUDIERE,
rapport de la mission d’information sur la chaine de bloc, 2018)
Le Medef, quant à lui, tente de sensibiliser les entreprises françaises sur les opportunités que leur ouvre
la blockchain. Il a diffusé auprès de ses adhérents un livre blanc sur la blockchain assorti d’une injonction
« soyez curieux ! Comprendre et expérimenter ».
Dans son livre blanc le Medef sous-titre un paragraphe : « L’arbre qui cache la forêt41 : bitcoin ou le
premier exemple à grande échelle ». L’arbre bitcoin cache d’abord la forêt des 1600 cryptomonnaies
qui sont nées après lui (voir chap. 3). L’autre forêt, que beaucoup espèrent luxuriante, au-delà des
controverses, est celle des futures applications de la blockchain.
41 « L’arbre qui cache la forêt » est également le titre choisi par HENRI MOREL pour la conférence, qu’il se propose de donner à
l’Université du temps libre du bas Languedoc sur la révolution blockchain.
Encadré N° 8
Carrefour a déployé sa blockchain dans neuf existaient déjà chez nous. […] Ensuite, le caractère
filières cette année immuable et définitif des informations stockées dans
la blockchain a un effet incitatif pour tout le monde :
JOURNAL DU NET Quentin Ebrard, 03/12/18
nous ne pouvons pas la corriger a posteriori. En cas
Où en est le projet du distributeur pour garantir la d'erreur, c'est comme pour l'état civil, il faut une
traçabilité des aliments ? [ … ] Le directeur du mention rectificative qui restera visible.
programme blockchain de Carrefour répond.
Et qui enregistre toutes ces données dans la chaîne
JDN. Depuis l'annonce du plan stratégique Carrefour de blocs ?
2022 en janvier dernier, Alexandre Bompard, PDG de
[…] Aujourd'hui, il y a plusieurs façons de rentrer ces
Carrefour, a fait de la blockchain pour la traçabilité
données dans la blockchain. Tout d'abord, certains
alimentaire l'un de ses chevaux de bataille. […]. Quel
systèmes d'informations échangent entre eux des
dispositif a été mis en place ?
données de manière automatique. Par exemple, un
Emmanuel Delerm. Notre blockchain regroupe producteur d'œuf peut avoir un système d'information
toutes les informations relatives à la production d'un qui communique directement avec notre blockchain.
produit, comme une carte d'identité accessible à tous. Ensuite, le plus souvent, ce sont des exports de
Concrètement, nous apposons un QR code sur les fichiers plus artisanaux. Par exemple, les vétérinaires
produits de certaines de nos filières qualité Carrefour. rentrent les données manuellement en cas de
Une fois scanné par le smartphone des clients, ce QR prescriptions d'antibiotiques, via un portail fait sur-
code ouvre une page Web sur le téléphone portable mesure avec tous les numéros de lots. […]
qui donne une multitude d'informations sur ce produit.
Entre mars et décembre 2018, des dizaines de
Par exemple pour une volaille de notre filière qualité,
milliers de QR codes ont été scannés par nos clients
le client peut alors obtenir la date de naissance et
pour avoir accès à notre blockchain Filière qualité
d'abattage du poulet ou encore quand ce dernier est
poulet d'Auvergne. Au moment de la plus forte
arrivé dans l'atelier de transformation… L'objectif de
exposition médiatique en mars, c'était presque un
cette blockchain est d'améliorer la traçabilité des
poulet vendu sur vingt dont le QR code était scanné.
produits et de mettre en contact le consommateur
avec toute la filière, du distributeur jusqu'au […] Cependant, tout sera systématisé en 2019.
producteur. Chez les puristes, la blockchain permissionnée n'est
Aujourd'hui, nous avons déployé notre blockchain à 9 pas une vraie blockchain car seuls les membres
filières qualité Carrefour au total. En plus du poulet autorisés peuvent la manipuler. Que leur répondez-
d'Auvergne en France, nous avons mis en production vous ?
la tomate Cauralina, les œufs fermiers de Loué, un Quand on parle à des experts, la réponse n'est jamais
poulet en Italie, le Pomelo Chinois, un autre poulet en simple. Certes, ils ont raison de dire que
Belgique, la poularde de Noël, l'orange en Espagne la blockchain publique est le saint graal de la
et un poulet en Espagne. D'ici 2022, nous visons 300 blockchain. Cependant, nous manipulons des
filières. […] informations sensibles.[…] Voilà pourquoi nous avons
Comment vous assurez-vous que les informations opté pour une blockchain permissionnée. Elle est
entrées dans la blockchain sont exactes ? celle qui assure les meilleures performances en
même temps que le respect de la propriété des
Il y a deux éléments de réponse. Tout d'abord, nous
données à forte valeur économique pour leurs
avons mainenu les mécanismes de validation qui
émetteurs.
« Aucun progrès n’a jamais été réalisé sans qu’il y ait eu controverse »
Lyman BEECHER
(1775-1863) Ecclésiastique américain
Chapitre 3 :
UNE PROLIFÉRATION QUI POSE QUESTION
Au 31 juillet 2018 le site Internet spécialisé FORBINO.com/fr dénombrait 1630 cryptomonnaies dont la
capitalisation s’établissait entre 117,4 milliards d’euros pour la première (le bitcoin) …0 euro à partir de
la 1419ème, .
Il est difficile de se retrouver ce foisonnement des cryptomonnaies, très différentes entres elles, sans
tenter de les classifier. Encore faut-il trouver des critères de classification pertinents. Trois critères
semblent possibles : le critère du processus, le critère des utilisateurs potentiels et le critère des
fonctionnalités.
Le critère du processus
Les cryptomonnaies sont sous-tendues par un processus de base comportant un protocole
cryptographique spécifique.
On peut distinguer (voir fig. 14, 15 et 16) :
a) les cryptomonnaies dont le processus de base est la Blockchain : virtuelles, cryptées et
décentralisées, elles comportent deux sous-groupes :
i) Les blockchains dont le processus de validation est ouvert à tous les nœuds (registre
distribué sans autorisation d’attribution 42) : chaque nœud conserve un exemplaire
complet et actualisé de l’ensemble du registre et tous les nœuds tentent de valider
toute modification au registre au moyen d’un processus de consensus algorithmique.
Le processus est de type « preuve de travail » - Proof of Work - PoW : à chaque nœud
un mineur doit résoudre un problème mathématique dont la difficulté est ajustée afin
que les blocs soient toujours émis à intervalles réguliers (10 mn dans le cas du bitcoin).
Le processus est complexe, lent et dépense beaucoup d’énergie. Mais il est sûr.
A B
F C
E D
Fig. 14 Représentation schématique d’un registre distribué sans autorisation
d’attribution : Les transactions entre A, B, C, D, E, F sont validées par tous les nœuds.
42 La terminologie est celle utilisé par BRI (2018) à qui le présent paragraphe doit beaucoup.
Les cryptomonnaies sans autorisation d’attribution fondées sur la blockchain comptent deux types
d’intervenants : les « mineurs », qui tiennent le registre, et les « utilisateurs », qui souhaitent effectuer
des transactions dans la cryptomonnaie. Les mineurs sont, bien entendu, également utilisateurs.
ii) Les blockchains dont le processus de validation est réservé à certains nœuds (registre
distribué avec autorisation d’attribution) : ces nœuds doivent obtenir l’autorisation
d’une entité centrale (ou être désignés par un algorithme) pour accéder au réseau et
modifier le registre. Le processus est de type « preuve d’enjeu* » - Proof of Stake -
PoS43 : la sélection du mineur est effectuée en fonction de la quantité de
cryptomonnaie possédée par celui-ci. Le processus de consensus s’en trouve allégé, est
plus rapide et dépense moins d’énergie. Mais il est moins sûr.
A B
F C
E D
Fig. 15 Représentation schématique d’un registre distribué avec
autorisation d’attribution : Les transactions entre A, B, C, D, E, F sont validées par
les nœuds autorisés (ici A, B, C, D, E, F pour simplifier la représentation).
Pour comparaison, nous avons représenté ci-dessous un schéma où le registre (le compte) est centralisé
chez un tiers de confiance (la banque)
A B
F C
E D
43D’autres type de processus existent: PoI: Proof of Importance, PoA: Prof of Activity, PoC: Proof of Correctness. Chaque
méthode a ses avantages et ses inconvénients au regard du rapport efficacité/sécurité. Et Il est possible de combiner plusieurs
protocoles.
Les cryptomonnaies à technologie blockchain forment pour le moment la très grande majorité des
cryptomonnaies.
b) Les cryptomonnaies dont le processus de base n’est pas la Blockchain : toujours virtuelles,
cryptées et décentralisées, elles veulent se libérer de la lourdeur du processus de validation de
la Blockchain.
L’iota est la première cryptomonnaie de ce type.
Son registre distribué, Tangle, se compose de plusieurs couches de données superposées qui ne
sont pas regroupées en blocs. Le système prend la forme d’un « graphe orienté acyclique »
(DAG), chaque opération étant reliée aux autres sans qu’il soit besoin, pour les sécuriser, d’un
processus qui implique des nœuds particuliers : il n’y a pas de distinction entre mineur et
utilisateur.
Comme la blockchain, la DAG permet la décentralisation du registre mais avec une efficacité
supérieure en termes de rapidité et de coût.
Actuellement très minoritaires, les cryptomonnaies « non-blockchain » constituent peut-être
l’avenir des cryptomonnaies.
Le schéma ci-dessous résume cette première typologie assise sur le protocole utilisé :
bitcoin
Validation par bitcoin cash
tous les nœuds ethereum
litecoin
namecoin
dash
monero
Blockchain …
ripple
Validation par
tradecoin (MIT)
certains nœuds cardano
neo (chinoix)
Cryptomonnaies eos
nem
…
Ce foisonnement interpelle et donne des indications sur ce que sont ou ne sont pas aujourd’hui les
cryptomonnaies. Ce qu’elles pourraient être dans l’avenir fera l’objet de la troisième partie du mémoire.
Un polymorphisme prometteur
Le polymorphisme dont font preuve les cryptomonnaies, souligné dans l’essai de classifications que
nous avons proposé, est un signe supplémentaire de cette jeunesse. On peut y voir une confirmation
d’une inaptitude actuelle à être de vraies monnaies ou, au contraire, y voir le signe de leurs grandes
potentialités opérationnelles.
Ce polymorphisme est assurément prometteur d’avenir. Mais, encore une fois, sans que l’on puisse
affirmer où exactement se situe cet avenir : dans le domaine monétaire, dans celui des services, dans
les deux ?
L’analyse des caractéristiques des cryptomonnaies aidera à mieux cerner leur nature.
Dans leur grande diversité, les cryptomonnaies ont des caractéristiques communes : ce sont des
monnaies virtuelles, déconnectées de l’environnement socio-institutionnel, qui utilisent la
cryptographie et dont le fonctionnement est décentralisé. Le bitcoin, décrit au chapitre 2, en est
l’archétype. Nous n’analyserons ici que les grandes caractéristiques qui s’appliquent à toutes les
cryptomonnaies.
Fig. 18 Monnaie électronique et monnaie virtuelle (adapté de BCE 2012 et de BRI 2018)
Au fonctionnement décentralisé
Conformément à la logique Internet, les cryptomonnaies sont des outils de désintermédiation. Leur
fonctionnement, qui ne dépend d’aucune autorité, repose sur le principe du consensus distribué.
Les cryptomonnaies fonctionnent dans un système où l’information est transmise simultanément aux
participants (et traitée par eux) sans intervention d’un agent central. Ce sont des monnaies acéphales
[TAKKAL ET FAVIER (2017)] - sans tête, sans chef.
On a vu que l’information peut être également distribuée (chaque nœud conserve un exemplaire
complet du registre ; PoW dans la blockchain) ou distribuée avec autorisation d’attribution (seuls
certains nœuds peuvent accéder au registre ; PoS dans la Blockchain).
Dans le cas d’un registre distribué avec autorisation d’attribution une entité centrale (ou un algorithme
dédié) doit décider quels nœuds accèdent au registre.
Fig. 19 Nombre de transactions par seconde pour différentes cryptomonnaies (source CRYPTOAST)
Ces limitations sont en partie liées au caractère énergivore de la technologie, comme exposé plus bas.
« Une unique transaction Bitcoin consomme autant d’énergie qu’une maison en une semaine »
(Motherboard, 3 nov. 2017) ; « Bitcoin consomme autant d’énergie que l’Irlande (voir encadré) : les
titres de nombreux articles soulignent un problème majeur du bitcoin (et de manière moins massive
des autres cryptomonnaies), la consommation en électricité.
Deux chiffres éloquents donnent la mesure de la question. Une transaction Bitcoin consomme 767 KWh
alors que 100 000 transactions VISA consomment 169 KWh. Visa consomme 400 000 fois moins
d’électricité par transaction que bitcoin !
La consommation de la blockchain Bitcoin n’a cessé d’augmenter. Selon digiconomist.com, elle est
passée en un an (1er mars 2017/28 février 2018) d’une dizaine de TWh45 à une cinquantaine de TWh :
Si ces chiffres sont parfois contestés (il est assez ardu d’évaluer la consommation des transactions)
personne ne conteste que Bitcoin soit particulièrement énergivore.
JEAN-PAUL DELAHAYE46 montre dans une étude pour France-Stratégie que c’est le protocole par preuve de
travail -PoW qui est très coûteux en énergie, les autres protocoles (PoS, par exemple) l’étant beaucoup
moins. En confrontant trois méthodes d’évaluation, il situe la consommation annuelle actuelle de
Bitcoin entre 100 TWh (pessimiste) et 30 TWh (optimiste).
« Le problème de la consommation électrique des cryptomonnaies est celui des preuves de
travail ». [DELAHAYE (2018)]
50 TWh, c’est la consommation annuelle de 5 millions de foyers américains. Ce qui représente un coût
(purement indicatif et à la signification incertaine) d’environ 7,5 milliards de dollars.
Le caractère très énergivore des cryptomonnaies basées sur le protocole par preuve de travail (PoW)
condamne celles-ci à une utilisation dans des communautés limitées et les rend très peu aptes à
devenir de véritables monnaies de substitution.
45 Térawattheure. 1 TWh = 1012 Wh (Un Wattheure (Wh) correspond à l’énergie consommée ou délivrée par un système d’une
puissance d’un Watt pendant une heure).
46 Professeur à l’Université de Lille, Centre de recherche en informatique, signal et automatique (CNRS)
Encadré N° 9
Absence de sous-jacent
Ce qui a été dit au chapitre 2 à propos du bitcoin s’applique à l’ensemble des cryptomonnaies : Elles ne
s’appuient sur aucun sous-jacent, ni sur l’économie d’un territoire (elles ne sont pas des monnaies
souveraines), ni sur la dette privée comme le souligne la BRI :
« Bien qu’elles [les cryptomonnaies] soient créées de manière privée, elles ne sont le passif de
personne en particulier : elles ne peuvent pas être remboursées et leur valeur tient
uniquement au fait que l’utilisateur s’attend à ce que d'autres utilisateurs continueront de les
accepter. À cet égard, les cryptomonnaies ressemblent aux monnaies marchandises (bien
qu’elles ne renferment aucune valeur intrinsèque »). [BRI (2018)]
La BRI fait figurer sur un diagramme les caractéristiques des cryptomonnaies : au cœur du diagramme
les cryptomonnaies apparaissent comme une monnaie électronique émise sans attribution de passif
et qui s’échange entre pairs (sans l’intervention d’un tiers de confiance).
Fig. 21 La cryptomonnaie selon la BRI (Rapport du Comité sur les paiements et les infrastructures de marché, 2015)
Cryptomonnaies et confiance
L’environnement socio-institutionnel fonde la confiance dans les monnaies standard en amalgamant
trois types de confiance, la méthodique, la hiérarchique et l’éthique, comme nous l’avons exposé au
chapitre 1.
Ce qui forme la confiance dans les cryptomonnaies semble être essentiellement méthodique : un
mimétisme des comportements, un « phénomène de mode » dit abruptement la BRI (2018).
La confiance hiérarchique, liée aux institutions, fait par nature défaut, sauf à considérer la révérence à
la technologie comme une soumission à un nouvel impérium.
C’est, en fait, une forme particulière de confiance qui est ici en œuvre : la notoriété des auteurs du
process, la robustesse des protocoles cryptographiques, la validation par les nœuds, la transparence des
opérations, forgent une confiance intrinsèque au système.
Cette confiance intrinsèque peut être fragilisée par tout événement venant mettre en cause ses
constituants. À cet égard le phénomène de bifurcation (« forking* ») que nous analyserons au chapitre
4 constitue une source particulière de fragilité.
Enfin, il faut un brin d’optimisme pour déceler la confiance éthique comme un constituant de la
confiance dans les cryptomonnaies, particulièrement spéculatives.
Les « afficionados » (pour parler comme JEAN-PIERRE LANDAU) des cryptomonnaies se réfèrent aux
« valeurs de la communauté Internet ». Mais quelles sont ces valeurs ? Une solidarité d’appartenance ?
Un goût de la liberté ? Un individualisme sourcilleux (si tant est que l’individualisme soit une valeur) ?
A moins que la défiance envers la monnaie centrale et la monnaie de banque soit un ciment éthique.
Les cryptomonnaies paraissent être le fruit de l’idéologie antilibérale, qui rejette la société capitaliste.
Comme les monnaies « classiques », qui viennent pourtant de la nuit des temps, ont fini par être
considérées comme le fruit de l’idéologie libérale.
Les cryptomonnaies peuvent également apparaître comme le fruit de l’idéologie libertarienne qui
rejette toute contrainte étatique. L’ultralibéralisme libertarien, d’essence individualiste, rejoint ainsi
l’antilibéralisme libertaire, d’essence communautaire, dans la méfiance envers les institutions.
Variabilité
Convertibilité de la valeur Circulation
Type Valeurs avec les par rapport dans la
de monnaie sociales monnaies aux sphère
standards monnaies marchande
standards
Locale
OUI OUI NON OUI
complémentaire
Fig. 22 Critères de différenciation entre cryptomonnaies et monnaies locales (Inspiré de TICHIT ET AL., 2018)
Les cryptomonnaies ne présentent pas les valeurs sociales qui sont la caractéristique des monnaies
complémentaires ; et leur valeur monétaire varie par rapport aux monnaies standard.
Comme toujours, il faut nuancer : certaines cryptomonnaies « restreintes » sont utilisées, dans des
communautés défendant des valeurs sociales ou environnementales, comme marqueur d’une volonté
de se différencier de la société marchande qui néglige ces valeurs ; et le tether (USDT) est conçu pour
conserver une parité fixe avec le dollar : 1 USDT=1$ (en fait on constate une légère variabilité du cours).
Comme pour toutes les classes d’actifs, ceux qui en détiennent beaucoup, les whales – baleines dans le
jargon des traders, ont la tentation de se concerter afin de peser sur les cours et de dégager des profits
conséquents. La jeunesse du marché des cryptomonnaies et l’absence de régulation efficace accentuent
la tentation.
L’asymétrie de l’information est flagrante entre gros et petits détenteurs.
Des groupes, illégaux, de « pump and dump » ont été décelés. Leurs membres se concertent pour faire
gonfler artificiellement le prix d’une cryptomonnaie avant de vendre et de prendre leur bénéfice. Le
cours s’effondre ensuite, au détriment des petits détenteurs. En l’état, les régulateurs traditionnels ne
sont pas armés pour contrer ces actions frauduleuses dont l’impact sur les marchés des cryptomonnaies
paraît significatif. Une étude réalisée par Wall Street Journal, cité par Crypto France début Août 2018,
évalue à 825 millions de dollars les profits ainsi réalisés au premier semestre de 2018.
Ces phénomènes ne sont pas différents de ce qui se passe dans les marchés de capitaux à un stade
précoce. Ils rapprochent le marché des cryptomonnaies de celui des actifs financiers spéculatifs.
47La masse des bitcoins en circulation est inférieure à la masse des bitcoins répertoriée du fait à la fois d’une thésaurisation
spéculative et de la perte de leur clef privée par certains utilisateurs qui ne peuvent plus, de ce fait, effectuer de transactions.
LES CRYPTOMONNAIES : IMPASSE OU RÉVOLUTION ? 94
15,7 % 0,73 %
0,01 – 0,1 3 844 346 121 356
(90,3%) (0,85%)
6,9 % 3,24%
0,1 - 1 1 689 729 541 926
(97,2%) (4,09%)
0,55 % 26,51 %
10 - 100 134 491 4 431 645
(2,77%) (35,19%)
0,01 % 20,32 %
1000 – 10 000 1 560 3 397 398
(2,85%) (78,21%)
Ns 16,2 %
10 000 – 100 000 109 2 707 646
(2,85%) (94,41%)
Fig. 23 Distribution des bitcoins (BTC) par adresses (source : Bitcoin Rich List de bitinfoCarts, Crypto France, déc. 2017)
(En italique : les 97,2 % d’adresses détenant 4,09 % des bitcoins ; en gras : les 2,85 % d’adresses
détenant 95,9 % des bitcoins)
Encadré N° 10
Au 31 juillet 2018 les 100 premières cryptomonnaies 49 (classées par ordre de capitalisation)
représentaient une capitalisation totale de 232 milliards d’euros, avec une moyenne à 2,3 millions
d’euros et une médiane de 182 millions d’euros. Une seule, le bitcoin, avait une capitalisation
supérieure à 100 milliards d’euros, la capitalisation de quatre d’entre elles dépassait 10 milliards d’euros
(bitcoin, ethereum, ripple, bitcoin cash), et celle de dix-huit d’entre elles était supérieure à 1 milliard
d’euros.
Il faut rapprocher ces chiffres de deux capitalisations boursières significatives. La plus forte
capitalisation boursière au monde, celle d’Apple avoisinait, le 31 juillet 2018, les 850 milliards d’euros ;
la plus forte capitalisation d’une entreprise française, LVMH, avoisinait 117 milliards d’euros… Le total
de la capitalisation boursière mondiale avoisinait les 85 000 milliards d’euros !
Ces chiffres relativisent le poids boursier des cryptomonnaies.
Le tableau ci-dessous décrit les douze premières cryptomonnaies au 31 décembre 2018 en tentant d’en
donner les caractéristiques principales.
Cours Cours
(rang Capitalisation
Sigle au 1er au 31
31/12/18) Protocole au 31 Dec.
Crypto- Année de 2018 janvier Dec. Autres caractéristiques
de base
lancement 201850 2018 (%)
monnaie (Mds €)
(€) (€)
Ouverte, rapidité : *
BTC BLOCKCHAIN Limitée à 21 millions51 (en 2148)
1 Bitcoin 56,9 11391 3259,6 -71%
2009 PoW uniquement monétaire
ICO : non
Ouverte, rapidité : ***
XRP BLOCKCHAIN Limitée à 100 millions
2 Ripple 12,6 1,48 0,308 -79%
2012 PoS monétaire, transferts internationaux,
ICO : non
Ouverte, rapidité : ***
ETH BLOCKCHAIN Limitée à 12 millions / an
3 Ethereum 12,1 717,2 116,4 -84%
2015 PoW puis PoS monétaire et non monétaire
ICO : oui
Fork52 de Bitcoin,
Ouverte, rapidité *
4 Bitcoin BCH BLOCKCHAIN
2,3 2115,4 133,2 -93% Limitée à 21 millions (en 2148)
Cash 2017 PoW
uniquement monétaire
ICO : non
Ouverte, rapidité *****
EOS BLOCKCHAIN Limitée à 1 million monétaire et
5 Eos 2,0 1,05* 2,2 +109%
2017 PoS + PoW non monétaire
ICO : oui
Ouverte, rapidité : ****
BLOCKCHAIN
XLM Non limitée
6 Stellar PoS 1,9 0,014* 0,10 +614%
2014 monétaire, transferts internationaux,
spécifique
ICO : non
Fork de Bitcoin
Ouverte, rapidité : ***
USDT BLOCKCHAIN
7 Tether 1,6 0,85 0,88 +3% Non, limité, 1USDT=1$
2014 PoW
uniquement monétaire
ICO : non
Fork de Bitcoin
Ouverte, rapidité ***
LTC BLOCKCHAIN
8 Litecoin 1,6 191.4 26,7 -86% Limitée à 84 millions
2011 PoW
uniquement monétaires
ICO : non
Fork de Bitcoin cash
Ouverte, rapidité ***
BCHSV BLOCKCHAIN
9 Bitcoin sv 1,3 88,30* 75,0 -15% Uniquement monétaire
2018 PoW
Limitée à 21 millions / an
ICO : non
Restreinte (industrie du divertissement)
TRX BLOCKCHAIN Limitée à 100 millions
10 Tron 1,1 0 ,012* 0,016 +33%
2017 PoS Monétaire et non monétaire
ICO : non
Ouverte, rapidité : ***
ADA BLOCKCHAIN Limitée à 45 milliards
11 Cardano 0,92 0,021* 0,036 +71%
2018 PoS monétaire et non monétaire
ICO : oui
Ouverte, rapidité ***
MIOTA Limitée à 2,8 milliards
12 IOTA DAG 0,86 3,22 0,31 -90%
2015 monétaires et non monétaires
ICO : non
Fig. 25 Description de quelques cryptomonnaies et évolution de leur cours
50 Ou premier cours : eos, février 2018 ; stellar, février 2018 ; cardano, oct 2018 ; tron, sept 2018 ; bitcoin sv, nov. 2018
51Les limitations d’émission sont données en nombre de jetons émis.
52 Blockchain dérivée d’une autre blockchain
La possession d’une cryptomonnaie est « matérialisée » (si l’on ose dire) par les écritures inscrites sur
le registre de la blockchain. L’utilisateur accède à ces écritures à l’aide de ses clefs de chiffrement
publiques et privées qui lui permettent de signer les transactions qu’il souhaite effectuer. La perte par
un utilisateur de la clef privée équivaut à la perte des bitcoins qu’il possède 53. Les clefs de chiffrement
peuvent être conservées dans des portefeuilles (wallets) qui existent sous plusieurs formes :
53Certains estiment à près du tiers des bitcoins « émis » la masse des bitcoins « désactivés » du fait de la perte de leur clef
privée par des détenteurs de bitcoins.
Répondre à cette question est une gageure. La difficulté première est de s’abstraire de ce que l’on sait
des monnaies. D’évidence, les cryptomonnaies ne s’apparentent ni à une monnaie fiduciaire centrale
(pas de banque centrale émettant des billets) ni à une monnaie scripturale de banque (pas de tiers de
confiance ni d’adossement à une dette). Est-ce suffisant pour dénier aux cryptomonnaies un caractère
monétaire ?
« Un obstacle à la compréhension du Bitcoin vient de l’incapacité des analystes à s’abstraire
de ce qu’ils connaissent déjà : la monnaie bancaire, unitaire et centralisée, garantie en dernier
ressort par l’État. Or, Internet et les crypto-monnaies remettent en cause cette conception
traditionnelle de la monnaie et interrogent la théorie sur sa capacité à penser leur spécificité.
[…] In fine, c’est toujours la question de la nature de la monnaie qui se trouve être en suspens :
est-elle une marchandise dotée d’une valeur propre, une institution sociale ou une pure
créature de la loi ? » [LAKOMSKI-LAGUERRE ET DESMET (2015)
L’autre difficulté est l’extrême diversité et l’évolution constante des cryptomonnaies qui rendent
malaisée une réponse globale et pérenne.
également nécessaires pour assurer cette qualification. Les analyses semblent montrer que les règles et
méthodes qui accompagnent les cryptomonnaies sont moins robustes qu’elles ne paraissent.
Comme unités de compte, les cryptomonnaies sont incertaines.
*
**
La réponse à l’interrogation en tête de paragraphe « est-ce bien des monnaies ? » paraît donc, en
l’état, devoir être négative. Les cryptomonnaies ne sont pas aujourd’hui des monnaies au sens
moderne du terme.
Mais alors que sont-elles ? des actifs financiers ? des actifs non financiers ?
Selon la Banque de France, ce que l’on désigne sous le nom de « cryptomonnaies » doit être qualifié de
« cryptoactifs ».
Un actif est un élément du patrimoine ayant une valeur positive :
« Un actif est un élément identifiable du patrimoine ayant une valeur économique positive
pour l’entité, c’est-à-dire un élément générant une ressource que l’entité contrôle du fait
d’événements passés et dont elle attend des avantages économiques futurs». (art. 211.1 du
plan comptable général français)
Dit sans le jargon comptable : les actifs ont une valeur d’usage et/ou une valeur anticipée.
On distingue classiquement les actifs corporels (les marchandises, les machines, etc.), les actifs
incorporels (les logiciels, les brevets, etc.) et les actifs financiers (les dépôts bancaires, les actions, les
obligations, etc.).
Une juste définition des cryptomonnaies n’est pas seulement une satisfaction pour l’esprit. D’elle
découle une série de conséquences juridiques, fiscales et réglementaires bien concrètes.
Selon qu’ils sont corporels, incorporels ou financiers, les actifs sont soumis à des régimes juridiques
(concernant par exemple les successions), fiscaux (concernant par exemple les taux d’imposition), ou
réglementaires (concernant par exemple la régulation) différents, voire opposés.
En France le Conseil d’État dans un arrêt du 26 avril 2018 estime que le bitcoin a « le caractère de biens
meubles incorporels » et que « les profits tirés de leur cession par des particuliers relèvent en principe
du régime des plus-values de cession de biens meubles54 ». Lorsque les gains réalisés sont « la
contrepartie de la participation à la création ou au fonctionnement du système d’unité de compte
virtuelle55 », Ils sont assujettis au régime des Bénéfices Non Commerciaux 56. Et lorsqu’ils sont réalisés
« dans les conditions caractérisant l’exercice d’une profession commerciale, ils sont imposables dans la
catégorie des Bénéfices Industriels et commerciaux »).
Le classement des cryptomonnaies dans la catégorie des actifs financiers aurait pour conséquence
d’officialiser leur aptitude à entrer dans des produits de placement. Mais l’extrême volatilité des
cryptomonnaies et leur liquidité limitée rendraient les produits qui les intégreraient particulièrement
risqués57.
Dans son rapport au Ministre de l’Économie, JEAN-PIERRE LANDAU, qui est hostile à une réglementation
directe des Cryptoactifs, se refuse à « définir, à classer et donc à rigidifier des objets essentiellement
mouvants et encore non identifiés » au risque d’obérer l’avenir.
Le choix d’une non-définition aurait donc, dans l’état actuel incertain des choses, l’avantage de ne pas
contrarier les évolutions que l’on sent possibles sinon probables.
Ce choix laissera néanmoins perplexes les esprits juridiques qui penseraient avec BOILEAU (poète mais
aussi juriste) que « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ».
Pour eux nous tenterons une définition de ces « objets mouvants », purement descriptive et
actuelle, celle d’ « actifs virtuels à vocation monétaire » qui dit ce que sont les cryptomonnaies (des
actifs virtuels) et ce qu’elles voudraient être sans y parvenir tout à fait en l’état des protocoles utilisés
(des monnaies).
54 Imposition, au taux fixe de 19% plus 17,2 % de prélèvement sociaux, des plus-values sur les cessions de plus de 5 000 €,
abattement de 5% pour chaque année de détention au-delà de la deuxième. Exonération au bout de 22 ans.
55 Cette périphrase décrit le « minage ».
57 Les conséquences de telle ou telle définition sur la régulation seront examinées au chapitre 4.
Chapitre 4 :
RÉGLEMENTER, QUELLES NECESSITES ?
Les autorités monétaires, et, de manière plus générale, les autorités politiques et les instances
internationales chargées de la régulation, expriment vis-à-vis des cryptomonnaies des inquiétudes que
nous avons classées en inquiétudes à court terme et inquiétudes à long terme, celles-ci étant plutôt
d’ordre macro-économique. Au long cours, les deux types d’inquiétudes ne sont pas exclusives l’une de
l’autre.
Les risques doivent cependant être relativisés. Le poids des monnaies virtuelles est aujourd’hui infime
rapporté à l’ensemble des instruments monétaires :
Virtuelles
0,5%
Immatérielles
89,5%
Scripturales
89%
Monnaies
100%
Billets
10,3%
Matérielles
10,5%
Pièces
0,2%
La question de l’anonymat
Les cryptomonnaies sont anonymes. Ou plus exactement « pseudo-anonymes » : les transactions sont
totalement transparentes, mais ne révèlent pas l’identité des acteurs, cachée derrière leur adresse
(« pseudonyme ») sur le registre.
Cette caractéristique induit deux conséquences : i) L’anonymisation facilite les échanges illicites
(évasion fiscale) voire criminels (trafics et terrorisme). ii) mais la transparence de l’adresse pourrait
permettre, par des procédés informatiques sophistiqués, de retrouver l’identité qui se cache derrière
elle ; certaines cryptomonnaies ont été pensées pour pallier cette éventuelle faille. (Voir encadré ci-
dessous).
La lutte contre l’évasion fiscale, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme sont un
souci constant des autorités politiques et monétaires. La BCE a cessé de fabriquer les billets de 500 € et
les législations nationales prévoient généralement que les transactions supérieures à un certain
montant doivent obligatoirement être réalisées par des moyens de paiement traçables.
De ce seul point de vue les cryptomonnaies ne peuvent qu’engendrer la méfiance des autorités envers
elles. La question fait l’objet de nombreuses discussions au niveau de toutes les instances concernées.
Elle peut aussi apparaître comme le prétexte commode pour combattre une nouveauté perçue comme
un danger pour l’ordre monétaire établi.
Quoiqu’il en soit des motifs réels ou supposés, les premières mesures allant dans le sens de
l’encadrement des cryptomonnaies ont été prises ou sont sur le point de l’être pour contrecarrer les
conséquences de leur anonymat. Nous illustrerons par la démarche en cours dans l’Union européenne.
La directive européenne 2015-849, transposée en droit français par l’ordonnance 2016-1635, fait
obligation à un certain nombre de personnes physiques ou morales (Notaires, établissements financiers,
agents immobiliers, prestataires du secteur des jeux, experts comptables, gestionnaires de fonds, etc. )
d’effectuer des diligences prudentielles – notamment de relever l’identité du client et/ou du
bénéficiaire, concernant les transactions qui dépassent un certain seuil ou sont d’une certaine nature
ou concernent certaines personnes (les Personnes Politiquement Exposées – PPE).
Ainsi, les produits de monnaies électroniques (les cartes bancaires, par exemple) sont soumis aux
obligations LCB-FT sauf pour les transactions courantes de faible montant.
Cette directive, qui ne comportait aucune disposition spécifique aux cryptomonnaies, a été révisée par
la nouvelle directive du 30 mai 2018. La liste des personnes soumises aux obligations LCB-FT est
complétée par « les prestataires de services d’échange entre monnaies virtuelles et monnaies
légales » et « les prestataires de services de portefeuilles de conservation » pour les transactions
impliquant des «monnaies virtuelles, représentations numériques d’une valeur qui ne sont émises ou
garanties ni par une banque centrale ni par une autorité publique, qui ne sont pas nécessairement liées
non plus à une monnaie établie légalement et qui ne possèdent pas le statut juridique de monnaie ou
d’argent, mais qui sont acceptées comme moyen d’échange par des personnes physiques ou morales et
qui peuvent être transférées, stockées et échangées par voie électronique ».
La transcription de cette nouvelle directive dans les droits nationaux entrainera la fin de l’anonymat
des transactions en cryptomonnaie passant par les plateformes d’échange ou par les portefeuilles
(« soft wallet ») en ligne. Cet anonymat est cependant dès aujourd’hui relatif : certaines plateformes
demandent déjà l’identité du souscripteur. Aux États-Unis des mesures analogues ont déjà été prises. À
terme bref, les entreprises effectuant des transactions en cryptomonnaie, installées dans les pays qui
auront se seront doté de nouvelles législations LCB-FT, devront mettre en place les dispositifs classiques
en trois temps : connaître son client (Know Your Customer - KYC), effectuer des diligences raisonnables
(Customer Due Diligences - CDD) et contrôler les flux.
Encadré N° 11
SELON LA BRIGADE DES STUPS AMERICAINE, SEULES Retrouver les criminels grâce au données disponibles
10% DES TRANSACTIONS BITCOIN SERAIENT LIEES A DES sur la blockchain
ACTIVITES CRIMINELLES
Lilita Infante a également rappelé que si les crypto-
CRYPTOFRANCE AOÛT 2018 transactions étaient impossibles à interdire, les
organes de répression avaient la possibilité
[…] Dans un entretien accordé à Bloomberg, Lilita d’analyser les données de la blockchain pour
Infante, une agent de la DEA, a déclaré que seules remonter la trace des criminels.
10% des transactions Bitcoin seraient désormais liées « La blockchain offre en fait de nombreux outils pour
à des activités criminelles. Une proportion en chute permettre d’identifier des individus», a-t-elle déclaré.
libre : elle aurait atteint un pic à 90% en 2013, juste En effet, la blockchain du Bitcoin est
avant le démantèlement de la place de marché « pseudonyme ». Il est ainsi possible, dans certains
darknet Silk Road. cas, de lier une adresse BTC à un individu. Certaines
Mais cela ne signifierait pas pour autant que les sociétés, comme Chainalysis ou Bitfury, se sont
criminels se seraient détournés du Bitcoin. Mme d’ailleurs spécialisées dans la « dé-anonymisation »
Infante déclare que le volume de crypto-transactions du réseau, et s’efforcent de retrouver l’identité de
illicites a « augmenté de manière spectaculaire », certains propriétaires d’adresses Bitcoin. En janvier
mais que leur part dans l’ensemble des mouvements dernier, Bitfury avait révélé être parvenue « dé-
a diminué, au fur et à mesure de la démocratisation anonymiser » plusieurs millions de transactions et
des crypto-monnaies. d’adresses.
Les activités illicites auraient ainsi été remplacées par Mme Infante explique que si des crypto-monnaies
un autre cas d’usage : la spéculation. anonymes comme le Monero ou le Zcash peuvent
« Les volumes ont fortement augmenté, le nombre et constituer des alternatives attractives, leurs marchés
la valeur des transactions liées à des activités seraient encore trop restreints ou trop peu liquides
criminelles ont grimpé de manière exponentielle ces pour qu’elles puissent véritablement devenir les
dernières années, mais leur part a diminué», a-t-elle instruments privilégiés d’une entreprise criminelle.
déclaré au média. La majorité des transactions sont Elle ajoute que les agents de la DEA « disposent de
désormais liées à de la spéculation ». moyens leur permettant de tracer » ces transactions –
sans pour autant évoquer précisément les méthodes
[…] qui seraient utilisées.
Références : Trustnodes, CCN
nombre de nœuds peut faire craindre des manipulations, notamment lorsque le consensus résulte d’un
protocole PoS.
58 Dans le système préconisé par Hayek les banques commerciales émettent également de la monnaie-papier.
puissance d’instruments monétaires totalement déconnectés d’un système régulé amoindrirait le lien
social et perturberait l’action économique.
La question principale qui se poserait concernant l’action économique en présence d’une baisse de la
demande de monnaie centrale est la capacité des banques centrales à contrôler les taux d’intérêt. Si les
cryptomonnaies étaient utilisées pour une part importante de l’activité économique, la politique
monétaire de la banque centrale perdrait en efficacité, et, in fine, deviendrait inopérable.
« On peut établir une analogie avec la dollarisation de l’économie dans certains pays en développe-
ment. Quand un pan important du système financier national fonctionne avec une monnaie
étrangère, la politique monétaire formulée pour la monnaie locale finit par être déconnectée
de l’économie locale ». [DONG HE (2018])
Les cryptomonnaies ne peuvent en tout cas remplir les fonctions d’un système monétaire : la lutte
contre l’inflation59, la protection contre la déflation, l’adaptation du volume monétaire à la demande du
circuit économique, le rôle de préteur en dernier ressort, etc. .
La répétition de crises économiques ne plaide cependant pas en faveur de l’efficacité du système
monétaire tel qu’il est.
La première réponse aux risques que les cryptomonnaies pourraient faire courir aux équilibres
économiques serait d’améliorer l’efficacité du système monétaire notamment en mettant au service
d’une régulation moderne toutes les ressources technologiques disponibles et en améliorant la
coopération internationale, plutôt qu’en cédant aux charmes délétères du « chacun pour soi » …
La deuxième réponse vient naturellement : encadrer l’utilisation des cryptomonnaies, au moins pour
leur ôter les avantages concurrentiels déloyaux.
L’irruption des cryptoactifs dans l’univers de la monnaie peut être une incitation supplémentaire à
mieux penser l’action économique dans ses différents niveaux, national et mondial. C’est en tout cas
le message que DONG HE tente de faire passer dans sa note.
59 Comme on l’a vu au chapitre 3, les cryptomonnaies, dont le volume d’émission est limité, ne sont pas par elles-mêmes
inflationnistes.
Tant que la capitalisation des cryptoactifs en dollars ou en euros restera marginale par rapport au total
des capitalisations financières et tant que ces crypto-actifs seront cantonnés à leur sphère spécifique,
l’éclatement de la bulle spéculative constituée par les cryptomonnaies ne pourra avoir de graves
répercussions sur l’économie.
La mise sous surveillance des cryptoactifs semble être, pour le moment, suffisante pour circonscrire
les risques concernant la bulle spéculative.
Les cryptomonnaies sont les premiers termes d’une innovation, moins populairement connue mais tout
aussi disruptive : la digitalisation des actifs sous forme de jetons virtuels désignés sous l’appellation
anglaise de « tokens* ». Les tokens peuvent circuler et être échangés de pair à pair sur internet. Tout
actif peut être, par ce vecteur, transformé en instrument liquide. On conçoit que les risques de cette
digitalisation (qui n’est pas sans rappeler, sous certains aspects, la classique titrisation d’actifs) sont
grands pour les investisseurs. Une réglementation spécifique est réclamée, parfois confondue avec une
éventuelle réglementation des cryptomonnaies.
« Grâce à la digitalisation, tout actif matériel ou immatériel (brevets, œuvres d’art, droits
d’auteur, etc.) peut potentiellement être transformé en instruments liquides et échangeables.
Toutefois les risques d’abus sont importants : le développement de la technologie devra
reposer sur un cadre juridique rigoureux et des systèmes de gouvernance sans faille ». [LANDAU
(2018)]
Une ICO est une levée de fonds souscrite en cryptomonnaie par l’intermédiaire d’une plateforme
internet. Elle est une forme de financement participatif (« crowfunding »).
60 Initial Coins-Offering. Nous avons adopté la traduction du ministère de l’économie « offre de jetons virtuels » (on pourrait
aussi traduire par offre initiale de jetons, à rapprocher de : initial public offering – IPO = offre publique initiale = émission initiale
= introduction en bourse). Dans la suite du développement nous utilisons le sigle ICO qui est entré dans le vocabulaire courant
de la matière y compris dans les textes officiels.
« Les ICO (Initial Coin Offerings) illustrent bien les opportunités et les ambiguïtés de la
digitalisation de la valeur. |…]. Elles cumulent deux grandes innovations : dans la procédure
d’appel à l’épargne, en dehors de toute formalité réglementaire, sur la base d’informations
de qualité variable ; et dans les droits conférés qui sont très variés (propriété, usage,
avantages divers) mais souvent d’une grande ambiguïté. Ce mode d’émission préfigure sans
doute l’avenir, mais n’offre aujourd’hui aucune garantie réelle aux souscripteurs. Les ICO sont
donc des produits risqués, mais néanmoins fréquemment « cotés » dès l’émission sur des
plateformes d’échange ». (LANDAU, 2018)
Risques du mécanisme
Les promoteurs des ICO vantent un mécanisme d’avenir, qui met en relation directe l’entrepreneur et
l’investisseur, particulièrement dynamique puisque libéré des contraintes de la centralisation.
Leurs détracteurs soulignent les risques de la décentralisation (et de l’absence d’un tiers de confiance
soumis à des obligations réglementaires) qui laisse sans protection l’investisseur, isolé face à l’entreprise
levant les fonds.
Le formalisme de l’appel public à l’épargne classique protège l’épargnant, c’est sa raison d’être.
L’information est rigoureusement contrôlée et les procédures sont rigoureusement définies. Les ICO,
elles, ont longtemps échappé à toute réglementation, laissant une place aux excès les plus risqués voire
les plus malhonnêtes.
61ICO Mentor donne un exemple fictif : Le souscripteur à une IPO initiée par Air France recevrait, en contrepartie d’euros, des
actions de la Compagnie ; le souscripteur à une ICO initiée par Air France recevrait, en contrepartie de bitcoins (ou d’autres
cryptomonnaies), des tokens figurant des Miles.
Le flou de certains projets ayant fait l’objet d’ICO, à l’issue problématique, interroge. Le paiement par
le souscripteur est souvent seul certain, les prestations futures (parfois volontairement mal définies)
étant de réalisation plus qu’aléatoire et les tokens n’ayant de valeur qu’hypothétique. Certains
montages évoquent ceux « à la Ponzi62 ».
Au plan macro-économique, les économistes s’inquiètent de la captation (qu’il craignent excessive dans
un futur plus ou moins proche) des financements de l’économie réelle aux risques largement évaluables
à défaut d’être tous maîtrisés, au profit d’une économie virtuelle aux risques largement inconnus et
donc ni maîtrisables ni évaluables. Ils redoutent en outre la constitution de bulles spéculatives dont
l’éclatement pourrait entraîner par contagion une crise généralisée.
Les ICO sont des produits risqués qui nécessitent une régulation, quoi qu’en disent les adeptes du
laissez faire.
Compte tenu des risques connus des ICO, les législateurs et les régulateurs mondiaux travaillent à
l’élaboration de mesures visant à assurer la protection des investisseurs.
La première à réglementer a été la Securities Exchange Commission (SEC) américaine qui, le 25 juillet
2017, a émis un avis assimilant les tokens aux valeurs mobilières (securities) ce qui revient en pratique
à soumettre les ICO au droit de l’appel public à l’épargne.
A la suite de la SEC, vingt-huit pays ont proposé ou promulgué une législation sur les ICO. La Chine, elle,
a abruptement interdit les ICO.
En Allemagne, l’autorité régulatrice, la BAFIN, a édicté dans une note de février 2018 des règles proches
de celles édictées par la SEC.
En France, le gouvernement a proposé dans son projet de loi PACTE une réglementation plus souple :
les initiateurs d’une ICO pourront volontairement soumettre leur projet au visa de l’Autorité des
62 Le système de Ponzi (ou pyramide de Ponzi), du nom de son initiateur, Charles Ponzi à Boston dans les années 1920, consiste
à rémunérer (ou rembourser) les fonds des investisseurs anciens par les fonds procurés par de nouveaux investisseurs : la
pyramide s’écroule lorsque l’impossibilité de rembourser, inéluctable, finit par apparaître et emporte tout. Bernard Madoff
avait créé un lucratif (pour lui) système de Ponzi qui a fonctionné entre 1960 et 2008, année où il s’est écroulé. Le génie de
Madoff est d’avoir tenu ce système pendant plus de quarante ans ! On se souviendra que Madoff a présidé pendant plusieurs
années le NASDAQ, marché électronique dans lequel sont cotées en particulier les valeurs des nouvelles technologies…
marchés financiers (voir fig. ci-dessous). Le consommateur qui investirait sur une ICO dépourvue de visa
prendrait alors consciemment des risques.
Fig. 28 Le projet de réglementation pour les ICO proposé dans le projet de loi PACTE (source : Le portail
de l’Économie, des Finances, de l’Action et des Comptes Publics)
Les pouvoirs publics français tentent de concilier la protection de l’investisseur avec la liberté d’innover,
dans le droit fil du rapport Landau : contrôler sans injurier l’avenir.
Les interfaces des cryptomonnaies sont de deux sortes : les portefeuilles (wallets) et les plateformes
d’échange*. Nous traiterons ici des plateformes d’échange (qui proposent également des portefeuilles
en ligne - soft wallets).
Les plateformes d’échange (dans l’acception générale du terme) sont de purs produits d’Internet. Il
s’agit d’une famille de sites web mis en place pour favoriser l’échange et le partage de données. Le
même vocable recouvre des applications très diverses. Ce peut être un outil interne à une entreprise,
un blog, une gestion électronique de documents (GED), un réseau collaboratif, etc… Le point commun
des plateformes d’échange est que la « technologie » web permet un accès facile à tout utilisateur
désirant se connecter à la plateforme.
Une plateforme d’échange de cryptomonnaies (« exchange ») est un site web où l’on peut échanger des
cryptomonnaies entre elles ou encore acheter ou vendre des cryptomonnaies en contrepartie de
monnaies ayant cours légal. Certains sites permettent d’échanger des tokens contre de la
cryptomonnaie ou de la monnaie légale.
On dénombrait fin juin 2018 quelque 175 plateformes d’échange dans le monde.
Risques du mécanisme
La pression de l’urgence et l’absence ou l’insuffisance des contrôles font douter de la sécurité offerte
aux investisseurs par les plateformes d’échange. Elles présentent souvent des défauts prudentiels et des
failles dans la protection des données.
Nous ne reviendrons pas sur les questions de l’anonymat et de l’intégrité des cryptomonnaies, qui
rejaillissent naturellement sur la gestion des plateformes d’échange. Nous ne mentionnerons ici que
quelques problèmes spécifiques aux plateformes.
Le premier de ces problèmes est le choix, parfois exotique, du siège de la plateforme. On constate un
tropisme pour les places où les autorités sont supposées être moins sourcilleuses sur la protection des
investisseurs ou plus ouvertes aux innovations financières. En cas de difficulté les recours possibles y
sont malaisés et aléatoires.
Les autres problèmes tiennent à la mentalité de « start-up » des entrepreneurs à l’origine des
plateformes et à la rude concurrence à laquelle ils se livrent entre eux. Le souci prudentiel n’est ni dans
les gènes « Internet » qu’ils ont en héritage, ni dans l’effervescence novatrice dans laquelle ils agissent,
ni, encore moins, dans le contexte spéculatif dans lequel ils se meuvent.
On constate ici des imprécisions dans les notices concernant la rémunération de l’intervention ; là une
grande proximité des dirigeants de la plateforme avec les gros détenteurs de telle ou telle
cryptomonnaie (souvent leurs « inventeurs ») ce qui fait douter de leur neutralité dans les transactions
; là encore l’absence de la classique interdiction faite aux membres du personnel des intermédiaires
financiers d’agir pour leur propre compte. Bref, l’éthique fait souvent défaut.
Des pratiques inacceptables (telle celle appelée « pump and dump », voir chap. 3) sont presque
devenues monnaie courante.
Ce tableau rappelle la jungle des places de marchés du XIXe siècle et du début du XXe dont les pratiques
n’ont été (relativement) assainies que par de lents et constants efforts des autorités régulatrices pour
imposer des règles.
Une régulation des plateformes d’échange est donc tout à fait nécessaire, elle est demandée par
toutes les instances financières et a commencé à être mise en place dans certains pays,
particulièrement aux Etats-Unis.
L’investisseur potentiel a, quant à lui, tout intérêt à choisir prudemment une plateforme d’échange qui
bénéficie de l’agrément d’une autorité reconnue.
Les piratages réussis de plateformes d’échange se sont multipliés ces dernières années, provoquant
parfois un dévissage du cours de la cryptomonnaie concernée. Il faut redire que l’intégrité de la
blockchain elle-même n’est pas atteinte lors de ces piratages.
Le plus grand « crypto-hack » à ce jour a concerné la plateforme tokyoïte coincheck qui s’est fait dérober
en janvier 2018 l’équivalent de 530 millions de dollars à partir de son soft wallet XEM (la cryptomonnaie
du réseau NEM).
Depuis janvier 2018 Les plateformes Bithumb (Corée du sud), Coinrail (Corée du sud), Zaif (Japon) ont
été piratées pour des montants inférieurs à 100 millions de dollars. Et la plateforme Binance (Thaïlande)
a déclaré avoir déjoué une attaque.
Auparavant la plateforme MtGox (Japon), aujourd’hui disparue, avait subi un piratage original : le pirate
avait volé une copie du fichier du portefeuille MtGox chez un auditeur et avait pu ainsi accéder pendant
plusieurs années au portefeuille en ligne de la plateforme.
Le point commun de ces piratages réussis est l’insuffisance des mesures de protection informatique,
parfois surprenante, ces plateformes étant généralement pilotées par experts pointus qui n’ignorent
rien des techniques de « hackage ». Mais mettre en place des mesures efficaces demande du temps et
consomme des moyens financiers. Les promoteurs des plateformes sont pressés et préfèrent parfois
affecter leurs moyens à un marketing intense. Signes de l’époque…
Comme pour les ICO, c’est la SEC qui la première est intervenue pour tenter de réguler les plateformes
d’échange en exigeant un agrément pour celles installées sur le territoire américain.
En France l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution – ACPR a mis en garde les investisseurs dès
janvier 2014 en soulignant l’absence de protection réglementaire des plateformes et leur fragilité à
l’égard des attaques informatiques. Elle publie une liste des « établissements de paiement et
établissements de monnaie électronique habilités à exercer en France » (au nombre de seulement cinq
au premier janvier 2018) et deux « listes noires » (beaucoup plus longues !), celles des sites proposant
« d’investir dans des biens divers (cryptoactifs, diamants, vins, etc.) » et celles des sites proposant « des
produits dérivés sur crypto-actifs ».
La France semble s’orienter vers l’imposition d’un visa obligatoire pour les plateformes d’échange (et
non vers un visa optionnel comme prévu dans le projet de loi Pacte pour les ICO).
Allant un peu plus loin dans le détail, la CET américaine a lancé en septembre 2018 une série d’audit sur
pièces concernant le système de protection des données de certaines plateformes. Le thaïlandais
Binance, interrogé, a refusé de répondre, arguant qu’il n’était pas soumis à une juridiction américaine.
La CET a fait valoir que dès lors que des échanges sur Binance concernaient des personnes physiques ou
des sociétés sous juridiction des États-Unis, elle était en droit d’examiner la sécurité qu’offrait la
plateforme (nouvelle illustration l’impérialisme juridique américain).
Quoi qu’il en soit de l’état des législations nationales, l’internationalisation des plateformes demande
une réponse concertée au niveau international. Le FMI, à plusieurs reprises, a appelé les gouvernements
à se mettre d’accord sur une position commune concernant la régulation non seulement des
plateformes et des ICO mais aussi des cryptomonnaies elles-mêmes.
La régulation des plateformes d’échange est en voie de concrétisation partout dans le monde même
si manque encore le dénominateur commun d’un accord international.
La régulation des plateformes d’échange et celle des ICO sont en cours de mise en place. Première étape
(indispensable) à une régulation des cryptomonnaies proprement dites ?
Les préconisations du G20 de Buenos Aires (30 nov. - 1er déc. 2018)
En amont du G20 de Buenos Aires, le FSB63 avait publié en juin 2018 un cadre de surveillance pour le
marché des cryptomonnnaies :
“Le FSB estime que les crypto-actifs ne constituent pas un risque important pour la stabilité
financière mondiale à l’heure actuelle, il reconnaît la nécessité d’une surveillance suivant
l’évolution du marché.”
Le G20 a marqué sa volonté d’atténuer les risques des cryptomonnaies :
« Nous intensifierons nos efforts pour que les avantages de la technologie dans le secteur
financier puissent être exploités tout en atténuant les risques. Nous réglementerons les actifs
cryptographiques pour la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme
conformément aux normes du GAFI et nous envisagerons d’autres solutions, si nécessaire »
En outre le G20 s’est mis d’accord sur la nécessité de mettre en place un cadre spécifique pour la
taxation des activités liées aux cryptomonnaies. Il s’est donné rendez-vous en 2019, à Osaka, pour
arrêter une réponse efficace aux conséquences de la digitalisation de l’économie sur le système fiscal
international.
Les Pouvoirs publics et les autorités de régulation sont confrontés à un dilemme : d’un côté
cryptomonnaies et blockchain sont des « technologies » prometteuses qu’il faut soutenir pour ne pas
risquer d’être à terme dépassé dans la concurrence économique qu’elles engendrent, d’un autre côté
ces « technologies » présentent des risques et des incertitudes qu’il faut circonscrire dès à présent.
Bref, il s’agit de contrôler sans injurier l’avenir.
En France, les pouvoirs publics sont attentifs à « offrir un cadre juridique clair, compréhensible et
protecteur » aux activités basées sur les cryptomonnaies et les blockchains afin d’ « attirer les
innovateurs du monde entier ».
Ils assoient leurs propositions d’intervention législative et réglementaire (qui devraient comporter outre
le volet ICO de la loi PACTE, un volet plateforme d’échange et un volet fiscal concernant les
cryptomonnaies et les tokens) sur le « rapport au Ministre de l’économie et des finances » que Jean-
PIERRE LANDAU, en collaboration avec ALBAN GENAIS, a remis le 4 juillet 2018.
Le Rapport Landau
Nous donnons ici quelques extraits de la conclusion de ce rapport nuancé et équilibré, qui a reçu un
accueil plutôt favorable jusque dans les milieux promouvant les cryptomonnaies. (Dans les extraits, la
typographie est de notre fait).
« Malgré les interrogations qu’elles suscitent, il n’est pas proposé de réguler directement les
crypto-monnaies. Ce n’est aujourd’hui ni souhaitable, ni nécessaire.
Une réglementation directe n’est pas souhaitable, car elle obligerait à définir, à classer et
donc à rigidifier des objets essentiellement mouvants et encore non identifiés. Le danger est
triple : celui de figer dans les textes une évolution rapide de la technologie ; celui de se tromper
sur la nature véritable de l’objet que l’on réglemente ; celui d’orienter l’innovation vers
l’évasion réglementaire. Au contraire, la réglementation doit être technologiquement neutre
et, pour ce faire, s’adresser aux acteurs et non aux produits eux-mêmes.
À l’exception essentielle de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, une
réglementation directe n’est pas non plus nécessaire, car les risques sont aujourd’hui
circonscrits. Les en-cours de crypto-monnaies, élevés dans l’absolu, restent très faibles au
regard de la taille des systèmes financiers mondiaux : 1,5 % seulement de la capitalisation de
marché de l’indice S&P500 et 5,5 % de la valeur totale du marché de l’or. […]
L’écosystème des crypto-monnaies a toutefois un côté sombre évident. L’anonymat peut en
faire le support naturel des activités criminelles, du blanchiment et du financement du
terrorisme. Il est proposé de renforcer l’efficacité internationale de la lutte anti-blanchiment
en transformant les actuelles lignes directrices du GAFI en véritables recommandations
obligeant les États membres à se soumettre à un mécanisme d’évaluation par les pairs. La
coopération internationale doit permettre d’éviter que la concurrence réglementaire ne
conduise à des abus.
Au-delà, il faut dissocier l’innovation technologique, qu’il faut encourager et stimuler, de
l’innovation monétaire et financière, qui doit être considérée avec prudence. Dans la phase
actuelle, la bonne approche est de laisser les crypto-monnaies – et les innovations qu’elles
portent – se développer dans l’espace virtuel qu’elles occupent. Mais, en parallèle, il faut
éviter et circonscrire toute contagion. L’effort réglementaire doit donc se concentrer sur les
interfaces entre le monde des crypto-monnaies et le système monétaire et financier.
Ces interfaces sont les suivantes :
Les plateformes d’échange, pour lesquelles des principes minimaux de transparence,
d’intégrité et de robustesse pourraient être définis au plan mondial. Il est proposé, pour la
France et l’Europe, d’expérimenter, pour quelques années, un régime d’agrément unique (une
« Euro Bit License ») dans lequel les gestionnaires s’engageraient à respecter les obligations
existantes dans les divers statuts correspondant à leurs activités ;
Les banques, dont les activités pour compte propre en crypto-monnaies devraient être
fermement dissuadées ;
Les gestionnaires d’actifs, pour lesquelles des orientations rapides et claires sont nécessaires.
Il existe un danger immédiat de voir les crypto-monnaies pénétrer les portefeuilles de
placement des organismes de placement collectif. Elles acquéraient par ce biais une liquidité
et un statut, ouvrant la voie à de nombreux développements (construction d’indices, de
produits dérivés, de fonds dédiés) propres à l’apparition d’un risque systémique. Toutes ces
évolutions se manifestent d’ores et déjà aujourd’hui à l’intérieur de l’espace des crypto-
monnaies. Il est important qu’elles y restent cantonnées. Conceptuellement, ce serait un
Les cryptomonnaies bousculent le paysage monétaire. Leur réglementation directe ne paraît pas en
l’état nécessaire à condition que les interfaces (plateformes d’échange, banques et gestionnaires
d’actifs) soient sous contrôle, que l’appel à l’investissement (ICO) soit réglementé et que ces actifs
virtuels restent confinés dans leur sphère, c'est-à-dire ne soit pas considérés comme des actifs
financiers. La mise en place de dispositions concertées au plan international est nécessaire et urgente.
Bref, la liberté des cryptomonnaies est conditionnelle, en l’attente du verdict définitif.
"La seule fonction de la prévision économique, c’est de rendre l’astrologie respectable "
John Kenneth GALBRAITH
(1908-2006) A enseigné à Havard et à Princeton. Conseiller économique de J. F. KENNEDY et de L. B. JOHNSON
LES CRYPTOMONNAIES : IMPASSE OU RÉVOLUTION ? 120
Chapitre 5 :
SÉLECTION DARWINIENNE OU EFFONDREMENT ?
Actifs virtuels à vocation monétaire, les cryptomonnaies, telles qu’on les connaît aujourd’hui,
évolueront-elles suffisamment, l’inventivité du domaine informatique ayant prouvé ses ressources,
pour devenir de véritables monnaies ?
Leurs tares actuelles (elles sont limitées, énergivores et volatiles ; leur gouvernance est incertaine)
seront-elles surmontées par toutes ? Ou certaines d’entre-elles, plus adaptées à remplir les fonctions
fondamentales d’une monnaie (unité de compte, intermédiaire des échanges, réserve de valeur)
gagneront-elles la bataille d’une rude sélection ?
La liberté revendiquée (décentralisation, absence de tiers de confiance, déconnexion des institutions –
la confiance est intrinsèque) sortira-elle intacte de cette évolution ?
Ou bien la caractéristique principale des cryptomonnaies (la décentralisation) les confronte-t-elles à des
dilemmes impossibles à surmonter et les amène-t-elles dans une impasse ?
C’est la problématique que le présent chapitre se propose d’aborder avec humilité : la matière est trop
mouvante pour se risquer à des prédictions. Nous tenterons simplement de décrire quelques-unes des
pistes qui sont actuellement explorées. D’autres viendront peut-être qui rendront ces développements
obsolètes …
Par cryptomonnaies libres nous entendons des monnaies virtuelles, décentralisées, déconnectées de
toute institution et régies par des protocoles cryptographiques tels que le protocole blockchain.
Les innovations pour rendre les cryptomonnaies libres plus aptes à remplir les fonctions monétaires se
multiplient. Elles visent dans un premier temps à accélérer le processus de validation décentralisé, puis
à renforcer la sécurité des transactions et la stabilité des cours, enfin à améliorer la gouvernance.
Dans les cryptomonnaies basées sur des protocoles blockchain, le processus de validation décentralisé
est entre les mains des « nœuds » de la blockchain.
Nous avons vu au chapitre 3 que la validation pouvait être le fait de l’ensemble des nœuds (preuve de
travail, PoW) ou de certains nœuds (preuve d’enjeu, PoS), cette dernière configuration étant plus rapide
et moins énergivore.
Pour mieux rivaliser avec les cryptomonnaies PoS, certaines cryptomonnaies PoW ont diversifié les
nœuds en les spécialisant. Des nœuds « complets » valident la blockchain, des nœuds « légers »
propagent simplement les têtes de blocs (headers) ce qui accélère le processus. Bitcoin qualifie ces
derniers nœuds de SPV « Simplified Payment Verification ». Ethereum propose un système plus
sophistiqué avec trois sortes de nœuds : les nœuds complets validant, les nœuds légers propageant et
un troisième type de nœuds, les nœuds « shard », validant la portion la plus récente de la blockchain et
propageant le reste.
Cette diversification des nœuds a pour corollaire une limitation des fonctionnalités de la plus grande
partie d’entre eux. Les nœuds « complets » validant et propageant sont en nombre restreint, ce qui
rapproche les blockchains PoW des blockchains PoS.
La question est de savoir qui contrôle les nœuds complets. On peut craindre que ces nœuds ne soient
réservés aux systèmes informatiques les plus puissants. Dans le cas d’Ethereum il semble qu’un nombre
de plus en plus restreint de nœuds complets valideront la Blockchain et que la majorité de ces nœuds
seront gérés par une seule entreprise.
Nœuds propageant
Nœuds validant et
propageant
Nœuds propageant,
partiellement validant
(« shard »)
Fig. 30 Diversification des nœuds Ethereum (source : journal du coin, juin 2018)
Avec la diversification des nœuds la décentralisation est mise à mal. On assiste à une recentralisation
des blockchains (ou d’une grande partie d’entre elles), c'est-à-dire, en somme, à la réinvention du tiers
de confiance. Avec la particularité que celui-ci est occulte ou en tout cas inconnu des utilisateurs, ce qui
paraît à tout le moins contradictoire avec la notion de confiance intrinsèque censée étayer les
cryptomonnaies.
Une intéressante étude de Cryptocompare64 (octobre 2018) montre que seulement 37% des
cryptomonnaies (« payment tokens ») seraient véritablement décentralisées. Près des deux tiers des
cryptomonnaies seraient donc centralisées, totalement (41%) ou partiellement (22%).
Cette recentralisation pose question. Outre qu’elle contredit l’essence même des cryptoactifs, elle
s’effectue en dehors de tout contrôle et pourrait nourrir la suspicion de manipulation dont souffrent
déjà les cryptomonnaies.
Surtout elle semble défier la rationalité des choix. Comme moyen de paiement, la logique voudrait que
l’on choisisse les monnaies fiat pour la sécurité (relative) que le système institutionnel assure, ou bien
que l’on choisisse les cryptomonnaies pour la liberté qu’offre leur décentralisation. Choisir en
connaissance de cause comme moyen de paiement une cryptomonnaie qui serait centralisée sans offrir
la sécurité institutionnelle ne paraît pas rationnel 65. La contradiction illustre un des dilemmes
64 Cryptocompare est un agrégateur des données mondiales sur les cryptoactifs qui fait référence.
65
Il est vrai que l’Homo economicus, informé de tout et aux choix rationnels, se porte bien mal aujourd’hui. Et
même, selon JEAN TIROLE, « [il] a vécu, remplacé par un humain plus complexe, plus aléatoire, plus difficile à
La technologie des surcouches (Layers) a fait ses preuves un peu partout pour accélérer des processus
informatisés en effectuant des calculs en dehors du programme principal. Le cœur des téléphones
portables, exemple parmi mille autres, est pourvu d’un tel dispositif.
Bitcoin a fait le choix de la surcouche Lightning Network pour améliorer les caractéristiques de sa
blockchain. Nous avons vu au chapitre 4 que cette décision, considérée par certains comme une atteinte
à l’intégrité de Bitcoin, a créé une scission au sein de la communauté Bitcoin avec la création d’un bitcoin
cash orthodoxe (totalement on chain).
La surcouche Lightning se présente comme un protocole qui permet à des utilisateurs de Bitcoin
d’échanger librement entre eux hors blockchain (transactions « off chain »). Seules la transaction
d’ouverture (qui fixe le volume global des futures transactions off chain) et la transaction de fermeture
(qui acte le résultat des transactions off chain) sont inscrites sur le registre Bitcoin.
Lightning repose sur le protocole cryptographique HTCL qui assure la sécurité des échanges du canal off
chain.
Le schéma ci-dessous donne un aperçu du système. Ici, le volume global des transactions futures off
chain est de 10 BTC (transaction d’ouverture) et le résultat des trois transactions off chain est de 8 BTC
(transaction de fermeture). Le schéma est simplifié à l’extrême ; on pourrait, par exemple, imaginer que
Pierre partage un deuxième canal off chain avec Jacques et que Pierre, Paul et Jacques effectuent
ensemble de transactions croisées avant d’en acter le résultat sur la blockchain.…
comprendre et à étudier, mais aussi plus réaliste ». (JEAN TIROLE : l’Homo economicus a vécu, Le Monde, 6 octobre
2018). Sans doute est-ce cet humain complexe qui utilise les cryptomonnaies …
66
Il faut prendre ce chiffre avec circonspection : le « sharding » vient à peine d’être implanté dans la Blockchain
Ethereum en même temps qu’une autre innovation qui rapproche encore plus cette blockchain de la
« technologie » PoS.
On se souvient (voir chapitre 3) que la cryptomonnaie tether (USDT) présente une originalité, sa parité
fixe avec le dollar. La Commodity Futures Trading Commission (CFTC, un des organismes de régulation
aux États-Unis) a récemment ordonné une enquête sur la réalité des contreparties en dollar des USDT
émis : il semble que tous les doutes ne soient pas totalement levés, malgré un audit favorable mené par
un cabinet indépendant…
Trois nouvelles cryptomonnaies, adossées au dollar, Paxos standard (PAX), Gemini dollar (GUSD) et
CarbonUSD (CUSD), ont fait leur apparition au deuxième semestre 2018 et d’autres (adossées au dollar
ou à d’autres monnaies standard, notamment le yen) sont annoncées pour 2019. Par ailleurs une start-
up suisse, Eidoo, annonce le lancement d’une cryptomonnaie adossée à l’or.
Ce type de cryptomonnaie adossée est dénommé « stablecoin ».
Les quatre nouveaux « stablecoins » évoqués ont des points communs : ils sont construits à partir de
protocoles cryptographiques de type « contrats intelligents » ; ils s’appuient sur la blockchain
Ethereum ; et ils se coulent dans la structure du jeton numérique standard ERC20 développé par la
fondation Ethereum.
PAX et GUSD bénéficient d’un agrément du New York Department of Financial Services (NYDFS) qui a
imposé l’observance de règles strictes, notamment en matière de lutte contre le blanchiment d’argent
et contre le terrorisme et en matière de protection de l’investisseur.
« Le dollar Gemini est une part de notre mission pour construire l’argent du futur […] C’est le
chaînon manquant entre le système bancaire traditionnel et la crypto-économie. » [TYLER
WINKLEVOSS , cofondateur de Gemini)]
« Avec Paxos Standard, nous espérons permettre une économie mondiale sans friction en
offrant un jeton stable, rapide, remboursable, audité et, surtout, approuvé et réglementé. Il
s’agit d’un jeton numérique auquel on peut faire confiance. » [CHARLES CASCARILLA, Président
de Paxos]
Il semble que les stablecoins vont se multiplier et devenir une catégorie à part entière de cryptoactifs.
Ces nouvelles cryptomonnaies trouveront-elles leur public et quelle place tiendront-elles dans
l’écosystème cryptographique ? Il est un peu tôt pour donner une réponse étayée ; tout au plus peut-
on observer que ce type de cryptomonnaie s’éloigne du concept initial dont bitcoin est l’archétype.
Particulièrement, l’agrément d’une autorité monétaire dont certaines bénéficient, s’il peut être perçu
comme sécurisant par des investisseurs, pourrait apparaître comme un contresens aux yeux des
adeptes de l’antiétatisme qui prospèrent dans la communauté des utilisateurs des monnaies virtuelles.
Toutes les innovations que nous avons présentées jusque-là s’appuient sur une blockchain spécifique
(le plus souvent Bitcoin ou Ethereum). Un projet se propose de rendre possible l’interopérabilité entre
plusieurs blockchains.
Metronome (MTN) est une cryptomonnaie de dernière génération qui présente plusieurs originalités :
- Elle n’est pas limitée : un système d’enchères décroissantes quotidiennes est prévu pour assurer
une longue durabilité. (comme la cadence continue d’un métronome – d’où le choix de son
nom).
- Elle est autogouvernée, les fondateurs n’ayant pas la possibilité d’influencer les décisions.
- Surtout, elle est portable sur plusieurs blockchains (aujourd’hui sur Bitcoin et Ethereum). C’est
la première cryptomonnaie à ne pas être liée à une seule Blockchain.
Ces innovations sont rendues possibles par des protocoles cryptographiques portant quatre « contrats
intelligents » autonomes dont l’un permet l’interaction avec la blockchain choisie.
Cette architecture originale est présentée par ses inventeurs comme permettant des temps de
validation courts (15 secondes ?), une sécurité des transactions, et une réduction de la spéculation (du
fait des enchères à prix décroissants). Le peu de recul depuis son lancement (février 2018) ne permet
pas d’évaluer l’effectivité des caractéristiques annoncées.
Un bouleversement possible ?
Les pistes évoquées d’évolution des caractéristiques des cryptoactifs, et d’autres encore (voir encadré
ci-dessous), ne sont pas toutes convergentes ; pour certaines elles sont mêmes exclusives les unes des
autres. Nul ne sait dans quelles directions l’effervescence des innovations portera finalement les actifs
numériques. On peut néanmoins penser que les handicaps actuels des cryptomonnaies seront sans
doute peu à peu surmontés.
Suffisamment pour bouleverser le paysage des monnaies ? Pour reprendre la formulation déjà citée de
DONG HE « les cryptoactifs pourraient à terme devenir de nouveaux moyens de paiement, voire des unités
de compte ». Le conditionnel est encore de mise et l’impasse est d’autant moins exclue que les
cryptomonnaies ont des difficultés à surmonter les dilemmes auxquelles elles sont exposées. En outre
leur foisonnement pose en soi question.
Encadré N° 12
Pourquoi les cryptomonnaies sont En plus des échanges marchands, les contrats
révolutionnaires mais doivent se intelligents peuvent être utilisés dans de nombreux
perfectionner domaines.[…] Si les exemples sont encore peu
nombreux, il est tout à fait possible que ce système
L'ADN, LE 18 SEPT. 2018
puisse à terme bouleverser des secteurs
Vu de loin, l’univers des cryptomonnaies ressemble à entiers de l’économie comme les banques, les
un gigantesque terrain de jeu pour boursicoteurs assurances, la médecine […]
amateurs de sensations fortes. La plupart des
Si l’Ethereum et les cryptomonnaies de seconde
informations que l’on perçoit viennent des cours […]
génération offrent la possibilité de changer le monde
qui montent ou qui descendent parfois
et l'économie, elles gardent un problème de
brutalement. Pourtant, peu de personnes savent
taille. Comme le Bitcoin, elles sont difficilement
qu’elles portent en elles une petite révolution et
gouvernables. […] Pour prendre les décisions
qu’elles ont connu en 10 ans de grandes évolutions
importantes, la communauté de mineurs doit se
pour résoudre leurs problèmes techniques. […] le
mettre d’accord, ce qui n’est pas toujours
Bitcoin a été pensé comme un système monétaire
évident. […] À terme, ces soucis de gouvernance
décentralisé permettant d’échapper au contrôle des
peuvent créer des problèmes de crédibilité. […].
États et des banques centrales.
Voilà pourquoi les nouvelles générations [de
[…] Alors que le Bitcoin a de quoi réjouir les cryptomonnaies] veulent jouer sur les deux tableaux.
libertariens du monde entier avec son système Elles proposent un système fiable sur le long terme et
monétaire sans contrôle central, il n’est pas exempt une gouvernance plus classique, censée éviter les
de défauts. En effet, plus la blockchain est utilisée, crises.
plus elle complexifie ses opérations et plus son
fonctionnement ralentit. Aujourd’hui, une C’est notamment le cas de l’Ada […]. Pour assurer
transaction en Bitcoin peut prendre entre 16 minutes sa stabilité, l’Ada repose sur le système Cardano
et 30 heures en fonction des congestions du réseau. qui accumule deux couches de blockchains
C’est le fameux problème de la mise à l’échelle ou « indépendantes. Une s’occupe des transactions et
scabilité* » du Bitcoin qui finit par ne plus pouvoir l’autre des smart contracts pour rester plus fluide sur
répondre à une demande de masse. le long terme. De plus Cardano offre un système de
gouvernance plus transparent à travers trois
Pour résoudre ces problèmes et apporter de
organisations bien identifiées : la Cardano
nouvelles fonctionnalités, une deuxième génération
Foundation, qui gère la régulation et les questions
de cryptomonnaies a vu le jour vers 2014. La plus
juridiques, l’Input Output Hong Kong (IOHK), une
connue est l’Ethereum, imaginée par Vitalik Buterin,
société qui fait de la recherche sur les
un programmeur russo-canadien. Considérée comme
cryptomonnaies, et enfin Emurgo, un partenaire qui
le concurrent le plus sérieux du Bitcoin, l’Ethereum
promouvra l’adoption de la blockchain.
est capable de traiter plusieurs opérations en
parallèle ce qui augmente la vitesse de minage d’un Côté décisionnel, plutôt que de viser le vote et
bloc qui s’élève à 14 secondes, contre 10 minutes l’obtention de la majorité, Cardano [a choisi une
pour le Bitcoin. En théorie, le système est donc plus solution technique] à savoir la révision et la correction
rapide et supporte mieux les mises à l’échelle. […] de protocole par des chercheurs spécialisés sur les
cryptos. Forte des erreurs de ses prédécesseurs,
Au-delà de l’amélioration technique, Ehereum change
l’Ada de Cardano pourra donc compter sur un avenir
la donne grâce à l’introduction de contrats intelligents.
plus stable. De quoi éviter les congestions et
[…]. Ethereum sécurise les échanges à l’aide de
crises à l’avenir, mais pas forcément la
contrats intelligents contenant des conditions
spéculation.
préétablies. Tant que ces dernières ne sont pas
remplies, la transaction est bloquée.
B – L’HYPOTHESE DE L’IMPASSE
La décentralisation est l’essence même des cryptomonnaies, en rupture avec les systèmes monétaires
existants. Mais concilier décentralisation et sécurité est ardu. Le processus de validation décentralisé
est lourd et coûteux en ressources. La robustesse de la cryptomonnaie se construit au détriment de
l’efficacité.
Le triangle d’incompatibilité
« L’expérience semble dégager un enseignement fondamental. Il est impossible à un système
monétaire et de paiement de concilier pleinement les trois objectifs de (1) sécurité, (2) rapidité
et (3) décentralisation. Un choix est nécessaire. Cette intuition 67 est illustrée dans le « triangle
d’incompatibilité » » [LANDAU (2018)]
EFFICACITE
DECENTRALISATION SECURITE
A degré de sécurité comparable, le choix de la décentralisation nuit à l’efficacité alors que le choix de
la centralisation la facilite : les monnaies centralisées seront toujours plus efficaces que les monnaies
décentralisées.
Pour certains auteurs, les caractéristiques mêmes de la blockchain, à la fois ouverte et décentralisée,
posent des difficultés qui pourraient être insurmontables pour son application dans tout domaine
financier.
Chapitre 6 :
UNE RÉCUPÉRATION INSTITUTIONNELLE ?
La « technologie » de la blockchain (et les technologies voisines), malgré les incertitudes sur leur
sécurité et leur pérennité toujours pendantes, possèdent des caractéristiques qui ne pouvaient pas
laisser indifférentes les institutions financières. Des banques centrales et des banques commerciales se
sont engagées dans des études pour tester la faisabilité de projets qui vont de l’émission de
cryptomonnaies par les Banques centrales, pour les plus révolutionnaires, à des applications dans le
domaine des transferts de fonds internationaux, pour les plus utilitaires.
La Banque des règlements internationaux (BRI) consacre un chapitre de son rapport trimestriel de
septembre 2017 à répondre à la question : « des cryptomonnaies émises par les banques centrales ? ».
Le rapport note tout d’abord que
« S’il semble peu probable que le bitcoin ou ses cousins prennent la place des monnaies
souveraines, ils ont prouvé la viabilité de la chaîne de blocs, ou technologie de registre
distribué (DLT), qui les sous-tend. […] Blogueurs, banquiers centraux et universitaires sont
d’avis que ces évolutions technologiques perturberont ou transformeront les modes de
paiement, l’activité des banques et le système financier au sens large. Dernièrement, les
banques centrales sont entrées dans la danse, plusieurs d’entre elles annonçant qu’elles étudiaient ou
expérimentaient la DLT et la perspective de voir des banques centrales émettre leur propre monnaie
numérique, ou crypto-monnaie, suscite un intérêt considérable. »
« De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque des crypto-monnaies émises par les banques centrales
(CBCC)69 ? ». Le rapport propose une taxinomie* des monnaies fondée sur l’émetteur (banque centrale
ou autre), la forme (physique ou électronique), l’accessibilité (universelle ou limitée) et le mécanisme
de transfert (centralisé ou décentralisé70). Il établit une différence entre deux formes possibles de
CBCC : i) un instrument de paiement largement disponible (universel) destiné aux paiements de détail
et ii) un jeton de règlement numérique à accès réservé (limité) destiné aux paiements de gros71.
transfert d’argent, prélèvement automatique ou règlement par carte. Les paiements de gros renvoient à des transactions
prioritaires de grande valeur, comme les transferts interbancaires » BRI (2017).
Nous avons vu aux chapitres précédents que certaines cryptomonnaies privées, les stablecoins, (telle
tether ou gemini dollar) sont déjà émises à parité avec une monnaie souveraine (le dollar pour les deux
cryptomonnaies citées). Si des e-mcu voyaient le jour, la concurrence entre celles-ci et les stablecoins
poserait question.
S’agissant des e-mcr l’amélioration de l’efficacité et la réduction des coûts de transaction sont
essentiels. L’émission de jetons numériques achetés ou remboursés par la banque centrale permet le
transfert d’argent entre la monnaie centrale et l’application e-mcr. Les simulations montrent que la
monnaie centrale peut être transférée par une e-mcr pratiquement en temps réel et à moindre coût.
En conclusion de son étude la BRI se montre prudente :
« Toutes les banques centrales pourraient à terme devoir décider si l’émission d’une CBCC de
gros ou de détail est pertinente, en fonction du contexte local. Il leur faudrait alors tenir
compte non seulement des préférences des consommateurs en termes de protection de la vie
privée, et des gains potentiels d’efficacité (en termes de paiement, compensation et
règlement), mais aussi des risques potentiels pour le système financier et l’économie au sens
large, ainsi que de toute conséquence sur la politique monétaire. Certains risques sont
aujourd’hui difficiles à apprécier : ainsi, la question de la cyber-résilience 72 des CBCC […] reste
largement à explorer. »
Le mouvement, prévu par la BRI, des Banques centrales vers les e-monnaies centrales semble cependant
devoir se développer rapidement.
On ne sera pas étonné de constater que parmi les premiers projets de création d’une e-mcu figurent
ceux des États qui, comme le Venezuela ou l’Iran, s’efforcent de rompre l’isolement imposé par des
sanctions internationales ou qui, comme l’Inde, la Chine ou la Turquie, veulent se donner de nouveaux
moyens face à la « dictature » du dollar. En dehors de ces considérations que l’on qualifiera de
géopolitiques, des banques centrales (mais pas la BCE), un peu partout dans le monde, étudient
l’éventualité de la création d’une e-mcu dans l’objectif de moderniser les moyens de paiement.
Nous donnons ci-dessous quelques illustrations d’un mouvement général : qu’elles s’attachent à
imaginer une e-mcu ou au contraire à l’exclure, la plupart des Banques centrales regardent de près les
conditions et les conséquences de cette éventualité.
72 La cyber-résilience est la gestion de la sécurité informatique en tenant compte des individus, du processus et de la
technologie impliqués.
réalisées par une personne de nationalité américaine ou résidant au sein des États-Unis qui finance, fournit un
logiciel ou tout autre aide pour n’importe quelle crypto-monnaie ou jeton numérique qui a été créé par ou pour le
Gouvernement du Venezuela sont interdites. »
Petro parviendra-t-il à relâcher l’étau financier qui contraint le Venezuela et emportera-t-il la confiance
de la population vénézuélienne ? Le scepticisme prévaut, la crise économique vénézuélienne étant si
profonde que le moyen de la création d’une e-monnaie pour en sortir paraît dérisoire.
groupe de travail sur l’e-monnaie a lui-même fait l’objet d’échanges polémiques entre le Ministère des
finances indien et la Banque centrale.
La Turquie s’engage dans une démarche analogue, rendue incertaine par une déclaration des autorités
religieuses considérant comme illicites les cryptomonnaies.
… Mais certains pays de l’UE semblent tentés par la création d’une e-monnaie
nationale
La BCE est d’autant plus attentive que certains pays de l’union européenne semblent envisager la
création d’une e-monnaie nationale à l’encontre du caractère de monnaie unique conféré par les traités
à l’euro.
L’Estonie, pays de l’Union européenne le plus « connecté » (et l’un des moins peuplés), envisageait de
créer une e-mcu nationale, l’estcoin, jusqu’au moment (en mai 2018) où la BCE lui a rappelé fermement
qu’aucun pays membre de l’Union européenne ne pouvait créer sa propre cryptomonnaie. La Banque
centrale estonienne s’est empressée de déclarer qu’un projet d’estcoin national n’avait jamais été
programmé. Il semble cependant qu’un estcoin « privé » verra bien le jour.
Malte (également l’un des pays les moins peuplés de l’UE) paraît avoir également renoncé à créer la e-
mcu nationale qui avait été un moment envisagée : elle a opté pour une législation particulièrement
favorable aux cryptomonnaies, aux plateformes d’échange et aux ICO.
L’Italie (il s’agit cette fois d’un pays peuplé de plus de 60 millions d’habitants), toute à son bras de fer76
avec la Commission européenne concernant son budget 2019, laisse dire qu’elle pourrait créer une e-
lire. « Info ou intox ? », pour s’exprimer à la manière journalistique. Le surprenant attelage de la droite
nationaliste et de la gauche libertaire à la tête de l’Italie ne semblant pas être arrêté dans ses choix par
les règles européennes, il est très probable que le projet soit effectivement à l’étude. S’il allait à son
terme, la création d’une e-lire, l’euro ne serait plus une monnaie unique mais seulement une monnaie
commune : certains (et pas seulement en Italie) imaginent déjà, avec horreur ou avec délectation, que
ce serait la fin de l’Union européenne. L’avenir incertain …
On peine à imaginer que la réserve fédérale ne conduise pas de réflexion sur un sujet qui agite à peu
près toutes les Banques centrales au monde.
Au Canada le projet Jasper de e-mcr a vu sa troisième phase d’étude conclue en octobre 2018 par un
« rapport démontrant la faisabilité de la compensation et du règlement de valeurs à l’aide de
la technologie du grand livre distribué (TGLG) »
« Nous sommes ravis des résultats de la phase III […] obtenus grâce aux membres de
l'écosystème des marchés financiers du Canada, notamment le TMX, les institutions
financières et la Banque du Canada. Nos résultats démontrent la nécessité de continuer à
élargir la portée du projet Jasper et d'explorer activement les possibilités et les défis que la
TGLD pourrait offrir à l'économie canadienne. » [ANDREW M CCORMACK, chef des systèmes
d'information chez Paiements Canada 77, oct. 2018].
L’expérimentation avait débuté en 2016 par l’émission test d’une pseudo e-mcr, le CAD-Coin et s’était
poursuivie par la création d’une plateforme de paiement pilote. Les résultats positifs de cette
expérimentation encouragent les responsables à poursuivre l’étude jusqu’à son aboutissement.
A Singapour le projet Ubin, piloté par l’autorité monétaire de Singapour (MAS) associée au consortium
R378, à l’essai depuis mars 2017, en est à sa deuxième phase d’expérimentation. Il est modelé à partir
d’une blockchain Ethereum.
La Banque d’Angleterre a de son côté estimé fin 2017 que la technologie des registres distribués n’était
pas encore assez mûre pour être adoptée comme e-mcr.
Mais à l’instar de la Banque centrale du Canada et de celle de Singapour, qui semblent plus avancées
dans leurs études, la plupart des Banques centrales réfléchissent à cette technologie pour moderniser
leur infrastructure de paiement.
Les e-mcr seraient dans leur conception et, au moins partiellement dans leur utilisation, proches de
certaines cryptomonnaies « privées » qui proposent des services de transfert internationaux de fonds
et dont des banques commerciales de plus en plus nombreuses utilisent ou s’approprient la technologie.
Pour leurs échanges internationaux, les banques utilisent des systèmes informatisés sophistiqués dont
le plus important est le réseau SWIFT 79. Ses solutions sont utilisées par quelque 11 000 clients dans 200
pays. Il s’agit d’un réseau crypté offrant une diversité de services à ses adhérents, notamment un service
de virements transfrontières.
Bien que récemment rénové (le réseau a plus de 45 ans) le système est relativement lent : une opération
transitant par SWIFT peut prendre entre un et trois jours (de nouvelles améliorations de la rapidité sont
77 Paiements Canada est l’organisme qui exploite l’infrastructure de compensation et de règlement des paiements au Canada.
78 Le consortium R3 regroupe de nombreux établissements financiers du monde entier pour mener conjointement des travaux
sur la Blockchain.
79 SWIFT (prompt, rapide en anglais) est l’acronyme de Society for Worldwide Interbank Financial Communication, société
en cours d’implémentation). En outre, le système a présenté quelques failles de sécurité ces dernières
années. Surtout, son utilisation dépend des décisions du consortium au sein duquel les établissements
des Etats-Unis sont très influents. C’est ainsi que les banques iraniennes ont été déconnectées du
système au début de septembre 2018. On comprend que certains pays, notamment la Russie et la Chine
cherchent des solutions alternatives.
C’est dans ce contexte que Ripple propose une solution de transfert de fonds basée sur protocole
Blockchain.
SWIFT et Ripple, mais également d’autres acteurs émergents, sont désormais engagés dans une
concurrence sévère sur le marché stratégique des transferts transfrontières.
La société Ripple fondée en 2012 à San Francisco par CHRIS LARSEN et JED MCCALEB, s’est donné comme
objectif de mettre à disposition de tous un système de transaction financières sécurisé, rapide et à faible
coût.
Elle a imaginé des solutions à plusieurs niveaux : une cryptomonnaie ouverte, le ripple (XRP), destiné
aux transactions entre particuliers et un système de paiement restreint, XCurrent, destiné aux transfert
entre établissements financiers ; Xcurrent utilise un jeton numérique spécifique et non la
cryptomonnaie ripple (XRP). Entre les deux, des solutions intermédiaires, utilisant XRP mais restreintes,
(dénommées xRapid et xVia) destinées aux fournisseurs de services de paiement ou aux entreprises.
Ripple est modelé sur une blockchain dont le processus de consensus est spécifique. Dénommé Protocol
Consensus Algorithm (RPCA), ce consensus de type PoC (Proof of Correctness – preuve d’exactitude)
permet de valider les transactions par un système de votes. Ripple est rapide, le temps de transaction
est estimé à 5 secondes (contre plusieurs minutes à une heure pour Bitcoin) et il supporte 1 500
transactions par seconde (6 pour Bitcoin).
Le système XCurrent s’intégrerait dans la corolle des monnaies de la BRI sous la dénomination
« cryptomonnaie de gros », des monnaies électroniques s’échangeant entre pairs (les banques ou les
très grandes entreprises).
Une centaine d’établissements financiers ou assimilés dans le monde ont adopté la solution xCurrent
proposée par Ripple. Nous pouvons citer par exemple : Aeon Bank, American-Express, Australia and new
Zeland Banking Group, Royal Bank of Scotland, Nomura Trust, Uni Crédit, Western Union et très
récemment le groupe malaisien CIMB. D’autres, comme Crédit Agricole, sont en phase
d’expérimentation avancée.
Le Crédit Agricole a choisi de faire porter son expérimentation sur les transferts de salaires en francs
suisses :
Les clients des Caisses régionales frontalières et de Crédit Agricole next bank (CANB) en Suisse pourront
transférer leur salaire en francs suisses vers leur compte bancaire français en quelques minutes
seulement, contre trois jours actuellement. Ce transfert pourra être piloté directement via une
application mobile.
« La Blockchain permettra en outre un règlement des transactions en temps réel, une plus
grande transparence du taux de change appliqué à l'opération et la réduction des coûts
structurels. Ce test se déroulera pendant 6 mois avant une généralisation de l’offre sur
l’ensemble du territoire ». [Communiqué du CA, janv. 2018].
A notre connaissance le CA n’a pas communiqué sur les résultats de cette expérimentation.
Sur les sites Internet dédiés aux cryptomonnaies, les commentaires sur les e-monnaies centrales ou de
banque sont peu nombreux et peu prolixes. On sent leurs auteurs partagés entre deux sentiments : la
satisfaction de la reconnaissance ainsi donnée à la « technologie » qu’ils promeuvent, le dépit provoqué
par cette récupération institutionnelle si étrangère à la conception initiale.
Du côté des institutions la prudence est de mise.
D’une part, les conséquences de l’introduction d’une e-monnaie centrale, à coté ou à la place de la
monnaie fiduciaire, ne sont pas toutes cernées.
D’autre part, au plan de la faisabilité technique, si les expérimentations en cours sont plutôt positives,
la question de la cyber résilience est loin d’être résolue : personne ne semble en mesure de garantir
absolument la sécurité informatique d’une e-monnaie.
En outre, les conditions particulières de l’introduction dans certains pays (le Venezuela, l’Iran …) d’une
e-mcu en réponse à l’isolement économique ne paraissent pas constituer un test probant sur leur
opérabilité.
Enfin, l’utilisation d’un système de paiement basé sur la blockchain pour les échanges internationaux,
d’ores et déjà opérationnel, est trop récente pour rassurer complètement.
La récupération des cryptomonnaies par les Banques centrales et par les banques est pourtant très
engagée.
Banques centrales et banques commerciales succomberaient-elles à un effet de mode ou se livreraient-
elles à un marketing agressif en surfant sur la vague des cryptomonnaies ? Le plus probable est que ces
institutions suivent la réaction de tout acteur économique : lorsqu’une nouvelle technologie émerge, il
faut en tester la faisabilité dans sa sphère sous peine, à défaut de le faire, d’être dépassé par elle.
Réflexion qui nous amène à la conclusion de cette étude.
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
La notion de « révolution industrielle » est peu scientifique. Elle qualifie une innovation majeure qui
conduit à une avancée qualitative telle que le nom de « révolution » lui est attribué a postériori par les
historiens de l’économie.
Le changement n’est pas aussi brutal que le terme le laisse supposer : le processus d’innovation
demande un long murissement et il faut plusieurs décennies pour que l’innovation se déploie dans le
système de production. Plutôt que de révolutions il vaut mieux parler d’ères industrielles.
Une ère industrielle n’efface pas complètement les acquis de l’ère précédente : en ce début du XXIe
siècle (à la fin de la troisième ère industrielle ?) le charbon (qui a marqué la première ère) est encore
une source d’énergie et le moteur à explosion (qui a marqué la deuxième ère) est toujours d’actualité.
Trois « révolutions industrielles » sont en tout cas dénombrées jusqu’ alors.
La première révolution industrielle est celle de la mécanisation dont la machine à vapeur (DENIS PAPIN,
1690 ; JAMES WATT, 1769) est l’invention déterminante et le charbon la principale source d’énergie. L’ère
s’étale du début du XVIIIe au début XIXe siècle : l’industrie devient le fondement de la structure
économique à la place de l’agriculture.
La deuxième révolution industrielle est celle de la mutation énergétique, avec l’apparition du gaz, de
l’électricité et du pétrole. Une innovation-phare, le moteur à explosion (ÉTIENNE LENOIR, 1859 ; RUDOLF
DIESEL, 1897), en est l’emblème. L’ère s’étale du milieu du XIXe au milieu du XXe siècle et voit se
développer la sidérurgie, la mécanique et la chimie dans une organisation industrielle productiviste
(taylorisme et fordisme). Le téléphone, l’automobile, les engrais, l’avion sont autant d’inventions qui
scandent la période.
La troisième révolution industrielle est celle de l’avènement de l’électronique, concomitant avec
l’apparition d’une nouvelle source d’énergie, le nucléaire. L’ère commence au milieu du XXe siècle et se
poursuit jusqu’à nos jours. Elle voit l’arrivée du transistor, du microprocesseur (FEDERICO FAGGIN, 1968),
des télécommunications et de l’informatique. Elle se traduit par l’automatisation de la production
permise par les automates programmables puis par les robots. Le moteur à réaction, les fusées, la
conquête spatiale marquent l’époque.
Une quatrième révolution industrielle est-elle en train de se produire en ce début du XXIe siècle et
quelle est-elle ? Le foisonnement des inventions et la fusion des technologies entre les domaines
physique, numérique et même biologique laissent prévoir une transformation en profondeur des
systèmes de production et de gestion. Dans le même temps une nouvelle mutation énergétique se
développe avec l’apparition de l’électricité solaire et éolienne, tandis que la question écologique
interroge l’avenir.
La blockchain, à elle seule, est-elle le marqueur de cette nouvelle (et encore hypothétique) révolution
industrielle ?
La blockchain n’est pas à proprement parler une technologie nouvelle. C’est un protocole informatique,
une base de données ( un registre ) distribuée, transparente et sécurisée permettant la transmission et
la conservation d’informations sans organe central de contrôle (pair à pair).
La blockchain n’est au demeurant pas le seul protocole informatique répondant à cette définition,
même si son utilisation est massivement majoritaire dans les applications récentes à registre distribué :
la base de donnée Tangle qui met en œuvre un protocole différent y répond également.
On peine donc à voir dans la blockchain une innovation majeure, comme l’invention de la machine à
vapeur ou le remplacement du charbon par l’énergie électrique.
La Blockchain n'est pas une nouvelle technologie mais une nouvelle « conception ». Les deux
apports de la Blockchain sont la résistance à la censure et le transfert de responsabilité aux
utilisateurs, permettant la gestion des ressources numériques rares entre des acteurs
indépendants. [SEBASTIEN MEUNIER80, La Tribune, oct. 2018]
Certains qualifient la blockchain non pas de quatrième révolution industrielle mais de seconde
révolution internet. Il est vrai que le protocole blockchain est en filiation directe avec Internet et
qu’Internet, qui a tout changé dans les techniques de l’information, peut être un bon candidat pour la
qualification de révolutionnaire.
Plutôt que de nourrir une vaine querelle sur la réalité actuelle d’une quatrième révolution industrielle
(les historiens trancheront plus tard la question), il paraît plus pertinent d’examiner en quoi les
applications de la blockchain pourraient faire entrer l’industrie dans une nouvelle ère.
Par industrie il faut comprendre les systèmes de production des biens et des services (y compris des
services administratifs).
La blockchain est d’ores et déjà riche de développements innovants. Tout d’abord, né dans le même
temps que la blockchain, le célèbre bitcoin (« l’arbre qui cache la forêt »), puis à la suite du bitcoin,
l’ensemble des cryptomonnaies au cœur de notre étude. Mais aussi des applications multiples qui sont
une nouvelle conception de l’authentification, du stockage et de la circulation de l’information. Ses
promoteurs la voient omniprésente dans le futur.
Contrats intelligents
Implémenté dans le protocole blockchain, le « contrat intelligent » (smart contract) est présenté comme
une avancée majeure. Le smart contrat définit les conditions d’un accord entre des parties ; l’exécution
80Sébastien Meunier, Harvard, École polytechnique, École nationale supérieure des techniques avancées, est directeur au
cabinet de conseil en management Chappuis Halder et Cie spécialisé dans les services financiers.
du contrat est automatiquement déclenchée lorsque les conditions sont remplies, sans l’intervention
d’un tiers de confiance (banque, notaire, etc) : « code is law ». Il peut s’agir d’une condition simple (si X
est vrai, alors le contrat est exécuté) ou de conditions multiples.
Le qualificatif intelligent apposé au terme contrat est trompeur81. Le très classique « si… alors - si X1, X2,
…Xn sont vrais, alors Y est vrai - décrit une relation conditionnelle mais n’a rien de véritablement
intelligent, l’automaticité de la réalisation étant de mise dès lors que les conditions sont remplies. Cette
exécution mécanique du contrat peut être une source de difficultés en cas d’anomalie ou de piratage
informatique.
D’autre part, si la blockchain garantit bien l’authenticité des informations inscrites sur le registre,
comment garantir la véracité des données exogènes qui doivent y être introduites pour permettre
l’exécution du contrat intelligent ? Les promoteurs de la blockchain Ethereum inventent pour ce faire
un prestataire de service neutre qu’ils nomment oracle, dont la mission est de fournir des données
certifiées à la blockchain. Bref, un tiers de confiance est réinventé pour faire le lien entre la blockchain
et son environnement réel.
81
Il faut se méfier du qualificatif intelligent accolé aux machines (ou aux processus). Les machines dites « intelligentes » ne
font que développer à l’extrême une seule compétence spécialisée. La capacité de l’intelligence humaine de transférer les
compétences acquises dans un domaine à un autre domaine fait défaut à l’intelligence artificielle. Et la machine ne comprend
pas ce qu’elle fait. La puissance des futurs ordinateurs quantiques et les progrès des programmes d’apprentissage
bouleverseront-ils le tableau ?
numériques sans intervention d’un tiers de confiance. Pour les puristes, ce sont les seules vraies
blockchains.
Les blockchains « restreintes » (c'est-à-dire disponibles pour des utilisateurs en nombre limité – l’accès
est soumis à une autorisation ), sont le plus souvent recentralisées. Du fait de ces deux caractéristiques
(autorisation et centralisation) les blockchains restreintes (S. MEUNIER les nomme « pseudo-
blockchains ») présentent des fonctionnalités qui ne sont pas très éloignées de celles qu’offrent les
systèmes de registre classiques (centralisés) nécessitant l’intervention d’un tiers de confiance (banquier,
notaire, etc.). Ce que résume la figure suivante :
Fig.36 Blockchain publique82, pseudo-blockchain et système centralisé (source : S. MEUNIER, La Tribune, 2018)
Utilité
La médiatisation de la «technologie» blockchain par les réseaux Internet a créé de nombreuses attentes
qui ne peuvent être toutes satisfaites. La déception qui semble poindre est partiellement la
conséquence d’une médiatisation excessive.
Au-delà de cet effet déceptif artificiel, des études font apparaitre une utilité relative des blockchains
face aux systèmes centralisés ou soulignent l’absence de données étayées sur leur opérabilité.
Dans un papier très technique qu’ils intitulent « Blockchain Economics », JOSEPH ABADI et MARKUS
BRUNNERMEIER83 étudient les conditions de concurrence entre registres décentralisés (blockchain PoW)
et registres centralisés ainsi qu’entre blockchains issues de bifurcations – « hard forks ». Ils démontrent
qu’aucun registre ne pouvant satisfaire simultanément les trois propriétés du trilemme
exactitude/décentralisation/efficacité économique, les registres centralisés sont souvent plus efficaces
que les registres décentralisés et que la concurrence entre « forks » peut engendrer des difficultés de
stabilité et de coordination pour les utilisateurs.
JOHN BURG84 a piloté une étude portant sur 43 implémentations de registres distribués dans le secteur
de l’aide au développement. Si ces expériences étaient abondamment et positivement décrites dans
82 Nous préférons utiliser les termes « blockchain ouverte » pour éviter toute confusion avec une blockchain qui serait initiée
par une autorité publique.
83
Department of Economics, Princeton University, Août 2018.
84
Agence des Etats-Unis pour le développement (USAID), Septembre 2018..
des articles publiés sur Internet, aucune preuve de leur efficacité opérationnelle ni aucune publication
sur leurs résultats n’ont été trouvées par les chercheurs.
Pour NOURIEL ROUBINI85, qui manie facilement la formule polémique,
« La blockchain a été annoncée comme une possible panacée à tous les maux existants, de la
pauvreté à la famine en passant par le cancer. Il s’agit en réalité de la technologie la plus
surfaite - et la moins utile - de toute l’histoire humaine. […] En pratique, la blockchain ne
constitue rien de plus qu'une feuille de calcul que l'on aurait glorifiée [...] Il est révélateur
d'observer que toutes les blockchains « décentralisées » finissent tôt ou tard par devenir des
bases de données centralisées, nécessitant un droit d'accès, lorsqu'elles sont effectivement
mises en application. » [ ROUBINI, Global Economics et Project Syndicate 2018, Les Echos, 30
oct. 2018]
Bien évidemment, les promoteurs des registres distribués soutiennent que leurs détracteurs ne
comprennent rien aux technologies numériques ou qu’ils mènent des combats d’arrière-garde dans
l’objectif de faire perdurer la rente des teneurs de registres centralisés (les banques notamment).
L’Idéologie qui leur fait exécrer toute forme de contrainte centrale les amènent inévitablement à
conclure à la supériorité des systèmes décentralisés.
Coûts
Les promoteurs de la blockchain vantent ses coûts de transaction faibles. Cette assertion paraît
optimiste ou erronée pour plusieurs raisons.
Tout d’abord les systèmes distribués sont couteux en ressources (notamment en ressource
énergétique). Ces coûts ne peuvent être écartés dans les calculs comme ils le sont le plus souvent par
les promoteurs de ces systèmes.
Ensuite les systèmes distribués ont un fonctionnement complexe qui rendront les opérations de
contrôle coûteuses à réaliser. En théorie la nécessité de ces contrôles n’apparaît pas mais ils seront sans
doute inévitables dans de nombreux cas :
Même dans l'utopie de la comptabilité universelle fondée sur la Blockchain, on ne pourra
jamais se débarrasser de tous les contrôles et rapprochements. Les organisations devront
toujours faire face à la mauvaise qualité des données et aux humains, qui comme on le sait
trichent, mentent ou simplement font des erreurs. [S. MEUNIER, ibidem]
Enfin la multiplicité des blockchains rendra nécessaire un système d’interfaçage entre elles qui sera en
lui-même couteux.
*
**
En l’état actuel des techniques, on peut déduire de ces observations que, lorsque existent sur un marché
des mécanismes centralisés qui ont la confiance des utilisateurs et qui répondent à leurs besoins, la
blockchain est peu pertinente et le restera tant que son efficacité économique n’aura pas été nettement
améliorée.
85NOURIEL ROUBINI, professeur d’économie à l’université de New York, doit sa réputation de Cassandre (ou de sage) au fait qu’il
a été un des rares économistes à avoir prédit, dans des termes assez exacts, la crise qui adviendra en 2007-2008. Depuis, il ne
cesse d’annoncer « la prochaine crise » (celle de la Grèce, celle de la dette publique américaine, celle de la dette privée
américaine, celle de l’euro, celle des économies émergentes, …) . Si les prédictions de N. ROUBINI ne se réalisent heureusement
pas toujours, ses analyses sont toujours percutantes et excitent la réflexion.
Les registres distribués peuvent cependant, et c’est déjà beaucoup, susciter de nouveaux usages ou
conquérir de nouveaux marchés pour lesquels la désintermédiation et les contrats intelligents sont des
atouts déterminants de différenciation.
La blockchain ne mérite peut-être pas d’être qualifiée de quatrième révolution industrielle, mais elle ne
mérite sans doute pas non plus la qualification de technologie la moins utile de l’humanité. Le processus
blockchain (ou tout autre processus à registre distribué) est prometteur d’applications qui modifieront,
à termes plus ou moins longs, l’organisation de la production dans les domaines où la conservation et
la transmission d’informations doit être effectuée de manière rapide, sécurisée, transparente. Certaines
de ces applications sont déjà en cours d’expérimentation (à défaut d’être pleinement opérationnelles).
La « technologie » est jeune et doit encore convaincre en surmontant les obstacles que sont
principalement l’incertitude sur son intégrité, les failles dans sa sécurité et l’absence d’un cadre
réglementaire adapté.
86
Des défauts, le rapport THERY en avait, en 1994, trouvé suffisamment à Internet pour lui nier tout
avenir commercial :
« Son mode de fonctionnement coopératif n’est pas conçu pour offrir des services
commerciaux. Sa large ouverture à tous types d’utilisateurs et de services fait apparaître ses
limites, notamment son inaptitude à offrir des services de qualité en temps réel de voix ou
d’images. » […] « Ce réseau est donc mal adapté à la fourniture de services commerciaux […]
il ne saurait, dans le long terme, constituer à lui tout seul, le réseau d’autoroutes mondial. »
On sait ce qui est (très vite) advenu.
Ne concluons donc pas, de ces incertitudes actuelles, à une incapacité de la blockchain d’évoluer et de
remplir ses promesses. Il faudra sans doute des années de murissement pour qu’elle trouve
efficacement sa place, des applications se greffant peu à peu sur l’infrastructure de base, elle-même
évoluant pour pallier les défauts aujourd’hui constatés. Les multiples variantes ainsi obtenues
s’éloigneront sans doute encore un peu plus de l’architecture idéale initiale.
A terme, le marché tranchera la question de l’efficacité économique en faveur du système de registre
(centralisé ou décentralisé) qui proposera le meilleur rapport utilité/coût pour chaque type de
demande, quelle que soit la vision que l’on peut exprimer aujourd’hui de l’avenir des bases de données
distribuées.
*
**
Toutefois les incertitudes soulignées contribuent à rendre très hypothétique, dans un avenir prévisible,
l’émergence comme monnaie des actifs virtuels à vocation monétaire dont le support est la blockchain
(ou tout autre processus à registre distribué) et pour lesquelles se posent en outre des questions
spécifiques qui paraissent rédhibitoires.
86Rapport au Premier ministre sur les autoroutes de l’information, par GERARD THERY, ALAIN BONNAFE et MICHEL GUIEYSSE. G. THERY,
ancien élève de l’école Polytechnique et ingénieur général des télécommunications, a été l’inventeur de Transpac (réseau de
données en commutation de paquet) et du minitel. Le biais identitaire (juger à partir de ce que l’on connaît) avait sans doute
obscurci le raisonnement des très éminents auteurs du rapport. De la difficulté de prédire …
Aux formes de monnaies connues (la fiduciaire et la scripturale, celle-ci avec des différents moyens de
mise à disposition), s’ajoute-t-il une nouvelle forme de monnaie, la monnaie numérique
(cryptomonnaie), émise de manière privée (nous l’appelons ici cryptomonnaie libre) ou émise par les
Banques centrales ?
Les monnaies qui se sont développées au cours des siècles possèdent toutes l’une, au moins, des trois
caractéristiques suivantes, fondements de la confiance dont elles bénéficient : une valeur intrinsèque;
une contrepartie sous forme d’actif physique ou financier ; un soutien public s’exprimant par le cours
légal. Les cryptomonnaies (du moins les cryptomonnaies libres87) ne possèdent aucun de ces attributs.
C’est, plus peut-être que leur décentralisation, ce qui les rend principalement disruptives par rapport
aux monnaies fiduciaires et scripturales.
Ces objets monétaires non identifiés, que nous avons nommés actifs virtuels à vocation monétaire ont
du mal à remplir les fonctions d’une monnaie. Comme unités de compte, ils sont incertains ; comme
intermédiaires des échanges, ils sont imparfaits ; et comme réserves de valeur, ils sont risqués88.
Limités, énergivores et sans sous-jacents, ils s’apparentent à des actifs spéculatifs dont la valeur ne
serait due qu’à l’idée qu’on s’en fait. Or, au fondement d’une monnaie réside toujours la confiance dans
la stabilité de sa valeur.
AUGUSTIN CARSTENS, directeur de la BRI, est, sans surprise du fait de sa fonction, le contempteur le plus
incisif des cryptomonnaies :
87 En fait, la grande majorité des cryptomonnaies libres : certaines cryptomonnaies récentes sont assises sur un sous-jacent
ou liées à une monnaie officielle. Les cryptomonnaies émises par les Banques centrales auraient, elles, un soutien public.
88 Nous ne reprenons ici que les conclusions des analyses figurant au chapitre 3 paragraphe C « est-ce bien des monnaies ? ».
89
Comme nous l’avons vu au chapitre 5, quelques cryptomonnaie sont toutefois liées à une monnaie centrale.
ne rêvent pas d’un monde sans banque centrale) , c'est-à-dire ceux qui croient à la nécessité du lien
social et qui pensent que la monnaie contribue à forger ce lien, répondent négativement à la question.
Ce que soulignent A. LAURENT et V. MONVOISIN :
« Compte tenu du caractère de bien public de l’unité de compte, les gouvernements et les
Banques Centrales pourront-ils permettre à l’avenir que la fonction de moyen de paiement
soit séparée de la fonction d’unité de compte ? »
Gouvernements, Banques centrales et organismes de régulation internationaux ne sont pas, en effet,
restés inertes. Leurs actions ou leurs projets d’actions contribuent à ce que les cryptomonnaies libres
soient dans une impasse et à ce que des cryptomonnaies institutionnelles soient probablement bientôt
opérationnelles.
Le contexte spéculatif des cryptomonnaies entraine-il leur chute après avoir fabriqué
leur succès ?
Entre le 1er janvier et le 31 décembre 2018 la quasi-totalité des cryptomonnaies ont lourdement chuté.
Par rapport au dollar, bitcoin perd 71 %, ripple 79 %, ethereum 84 % pour ne citer que les trois premières
cryptomonnaies par leur capitalisation.
Pour employer la terminologie boursière, les cryptomonnaies sont « à la recherche de leur plancher ».
Certains analystes considèrent qu’en cette fin décembre 2018 ce plancher n’est pas atteint, d’autres au
contraire prédisent un léger rebond ces prochains mois.
Les craintes sur l’accroissement de leur régulation et sur le durcissement de leur fiscalité, les fragilités
des différentes plateformes d’échange et les débats sur leur légitimité sont les causes conjuguées de
cette chute : l’effet de mode est passé, les annonces concertées des autorités monétaires et politiques
ont fait le reste.
La multiplication des cryptomonnaies est-elle le signe de leur échec plutôt que de leur
triomphe ?
En Janvier 2018 on comptait quelque 1400 cryptomonnaies. En juillet elles étaient plus de 1600 et elles
seraient en cette fin décembre plus de 2100. Le maquis des cryptomonnaies s’épaissit.
Cette inflation peut attester de la vitalité des cryptomonnaies ou être interprétée comme une forme
d’indicateur de l’échec des cryptoactifs déjà existants à remplir les fonctions monétaires auxquelles ils
prétendent. Échec du bitcoin en premier lieu, d’une certaine manière étouffée par cette luxuriance.
Parmi ces 2100 cryptomonnaies, les plus nombreuses, et de loin, sont des cryptomonnaies restreintes,
souvent dotées de fonctionnalités spécifiques, en usage dans de petites communautés d’utilisateurs.
L’augmentation du nombre de cryptomonnaies ne modifie pas sensiblement le poids (qui reste très
faible) de celles-ci dans l’univers de la monnaie. L’anarchie monétaire numérisée ne semble pas pour
demain, même si la crainte est sérieuse et justifie la mise sous surveillance des cryptoactifs.
La multiplication des cryptoactifs ne signe donc pas une percée de ceux-ci comme instruments
monétaires et ne lève en rien les interrogations qu’ils suscitent.
*
**
L’analyse froide, dépouillée des éléments idéologiques qui l’obscurcissent, conduit à conclure que les
actifs virtuels à vocation monétaire sont dans l’impasse comme monnaie. Pour en sortir, il faudrait que
les dilemmes auxquels se heurte la « technologie » blockchain soient surmontés et que les questions
spécifiques au caractère monétaire trouvent réponse. En l’état rien n’indique que ce soit possible, sinon
l’optimisme. En outre, l’utilité des cryptomonnaies, même guéries de leurs défauts, reste à démontrer.
90
En utilisant l’expression « troc numérique » le MIT dénie au bitcoin la qualité de monnaie.
le réseau social développerait un système - basé sur un jeton numérique indexé sur le dollar - de
transfert de fonds entre utilisateurs de Whatsap ; première étape d’un projet plus vaste ?
La deuxième des voies décrites par le MIT, la multitude de cryptomonnaies, n’est-elle pas déjà en
place ?
La première des voies décrites, celle d’une récupération institutionnelle, paraît sur le point d’advenir.
La récupération des cryptomonnaies par les banques centrales pour émettre une monnaie digitale soit
universelle (que nous avons dénommée e-mcu), soit restreinte à certaines utilisations (que nous avons
dénommée e-mcr), ou même par les banques commerciales pour émettre une monnaie digitale
destinée aux transfert de fonds internationaux, est d’ores et déjà en cours.
CHRISTINE LAGARDE, directrice du FMI, a fait sensation en déclarant fin 2018 que les banques centrales
devraient envisager la possibilité d’émettre de la monnaie numérique.
“Je crois que nous devrions envisager la possibilité d’émettre de la monnaie numérique. L’État
pourrait peut-être fournir de l’argent à l’économie digitale. Cette monnaie pourrait répondre
à des objectifs de politique publique, tels que l’inclusion financière, la sécurité et la protection
des consommateurs ainsi que proposer ce que le secteur privé ne peut pas : la confidentialité
des paiements. […] Ce n’est pas de la science fiction. Diverses banques centrales du monde
entier envisagent sérieusement ces idées comme le Canada, la Chine, la Suède et l’Uruguay”
[C. LAGARDE , discours au Singapour Fintech Festival, novembre 2018],
C. LAGARDE n’a pas cité le Venezuela (politiquement délicat, sans doute). Ce pays s’est pourtant déjà doté
d’une e-mcu, le petro, qui semble toutefois avoir de la peine à trouver sa place.
Beaucoup de questions restent à résoudre concernant l’opérabilité des e-mcu, dont celles déjà
évoquées concernant les blockchains. En outre les modalités de la régulation en présence de e-mcu font
débat et des craintes s’expriment sur la stabilité monétaire et, partant, sur l’économie tout entière.
De leur côté, les banques commerciales ont développé des projets de jetons numériques pour assurer
le transfert de fonds internationaux. Dans ce domaine une concurrence est installée entre les systèmes
traditionnels qui se modernisent, les systèmes à base de blockchains développées par des entreprises
du secteur et les systèmes à base de blockchains développées spécifiquement par les banques
commerciales. Cette concurrence pourrait s’élargir aux e-mcr qui pourraient être développées par les
Banques centrales. Le temps donnera le verdict de cette concurrence.
On peut raisonnablement penser que l’installation dans le paysage monétaire de cryptomonnaies
institutionnelles est très probable, loin des utopies libertaires qui ont présidé à la naissance du bitcoin.
*
**
Au terme de cette analyse, la perplexité tend à gagner l’esprit. Les doutes sur le présent des
cryptomonnaies libres et les incertitudes sur leur avenir, concrètement dus aux interrogations sur les
« technologies » et aux effets de la spéculation, et fondamentalement dus à la difficulté d’appréhender
quelle place les cryptomonnaies pourraient prendre dans l’organisation sociale, n’effacent pas la
conviction que le numérique, qui partout change la donne, va changer la donne en matière monétaire,
particulièrement par l’appropriation institutionnelle. Nous ne pouvons qu’adhérer à la formulation de
JEAN-PIERRE LANDAU :
Blockchain et cryptomonnaies renvoient une image de l’époque et de ses contradictions. Nous donnons
ici, pêle-mêle, quelques brefs traits de cette image.
L’ individualisme
Blockchains et cryptomonnaies sont assises sur des idéologies qui font de l’individu le fondement de la
société et qui prônent l’autonomie de la personne face aux institutions. Les formations sociales (la
famille, la société, l’Etat, etc.) sont niées comme entités indépendantes des individus qui la composent.
Les historiens de la sociologie font remonter l’éclosion de l’individualisme à l’invention de l’imprimerie
qui a favorisé l’activité de la lecture solitaire. Aujourd’hui c’est la « lecture » d’Internet qui nourrit
l’individualisme.
L’individualisme sous-tend des doctrines aussi divergentes que l’anarcho-individualisme et
l’individualisme libertarien et, tout au moins dans le monde occidental, infuse dans la société tout
entière.
Le refus de l’autorité
Le refus de tout contrôle hiérarchique caractérise blockchain et cryptomonnaies, traduisant les
idéologies libertaire ou libertarienne qui les sous-tendent, en écho de la méfiance vis-à-vis des
institutions qui traverse toute la société.
« Voulant par-dessus tout échapper à la surveillance des Etats, refusant des instances
dépositaires de l’autorité, les promoteurs du crypto-anarchisme ont progressivement élaboré
les conditions informatiques d’un monde où il serait impossible d’identifier les agents mais
aussi le contenu de leurs actions. […] Ainsi se dessine une sorte de liberté négative, en ce sens
que chacun peut échapper à toute forme de surveillance, qu’elle soit étatique, juridique ou
bancaire, et ainsi reconquérir, du moins en théorie, les fondements de sa liberté ». [THIBAUT
GRESS 91, L’obs, septembre 2018]
Le refus de l’autorité est-il vraiment une reconquête de la liberté ou ne traduit-elle pas plutôt la négation
de la société ? La cohésion sociale souffre du délitement de la confiance qui exacerbe l’individualisme.
Une société « de pair à pair » est-elle encore une société ?
La philosophe CATHERINE MALABOU92 voit dans l’irruption des cryptomonnaies l’avènement d’un nouvel
âge du capitalisme, l’anarcho-capitalisme :
« la guerre des Etats et des banques contre les cryptomonnaies ne s'oppose pas comme celles
entre le mal et le bien ou même entre l'injustice et la justice. Il s'agit d'une guerre du dedans.
Les ennemis sont frères. On assiste en effet aujourd'hui à un conflit interne au capitalisme,
lequel entre dans une nouvelle phase. Le capitalisme amorce aujourd'hui son tournant
anarchiste. Monnaie dénationalisée, fin du monopole étatique, obsolescence de la médiation
bancaire, décentralisation des échanges et transactions… Comment l'appeler autrement ? »
[C. MALABOU , Cryptomonnaies, stade anarchiste du capitalisme, Le Monde, juin 2018]
91 Agrégé et docteuren philosophie Thibaut Gress a collaboré à la rédaction de Blockchain : vers de nouvelles chaines de valeur,
Éditions Accuracy, 2018
92
Catherine Malabou enseigne la philosophie à l’université de Kingston (UK) et à l’université de Californie.
La transparence
Dans le même temps, plus de transparence est réclamée à tous et particulièrement aux acteurs publics.
La blockchain, alors même qu’elle préserve l’anonymat, interdit la dissimulation du passé à tous ses
participants. L’impossibilité d’échapper au passé traverse tout l’Internet et ses réseaux sociaux (face
book et autres tweeter). L’individu est nu.
« Comme tout système humain, la blockchain n’échappe guère à nombre de paradoxes, pour
ne pas dire de contradictions. D’une part, il est évident que celle-ci s’insère également de
plain-pied dans l’idéologie de la transparence […]. Car la certification du réseau garantit
précisément la traçabilité intégrale des données, ce qui vient nettement contrebalancer l’idée
d’anonymat et de dissimulation au cœur de la philosophie crypto-anarchiste. Aucune
modification ou dissimulation du passé n’est possible, et si l’utilisateur échappe ainsi à un
contrôle hiérarchique, il s’aliène du même geste à son passé transactionnel ». [THIBAUT
GRESS, ibidem]
La transparence peut s’opposer aux libertés individuelles, les algorithmes de traitement des données
permettant de percer et d’exploiter les habitudes d’une vie.
C’est ainsi que dans une chronique parue dans Le Monde en octobre 2018, les chercheurs SOLENE
MORVANT-ROUX et JEAN-MICHEL SERVET estiment que la fin du cash peut être un péril pour les libertés
individuelles, les traces des transactions électroniques étant « une mine d’or pour les algorithmes ».
Transparence d’autant plus redoutable que ce qu’elle révèle peut être mis sur la place publique par les
effets de la médiatisation que permet Internet et ses réseaux sociaux.
La globalisation
Blockchains et cryptomonnaies illustrent à leur manière le concept de globalisation : elles enjambent
les limites territoriales des États.
Le mot Globalisation est un américanisme ("globalization") apparu dans les années 80. Dans son sens
premier, il décrit l’élargissement d’un concept, initialement limité à une entité réduite, à une entité plus
large qui peut être le monde entier : rendre "global" ce qui était "local".
Dans un monde globalisé l’influence des États se réduit. Les réglementations étatiques
(particulièrement la fiscalité) perdent en efficacité, renvoyant à la nécessité d’une hypothétique entente
internationale.
La globalisation peut être vue comme le pendant de l’individualisme : l’anarchie (au sens étymologique
d’absence de pouvoir) en découle.
La compression du temps
Les blockchains ne laissent aucun « temps au temps », illustrant l’immédiateté de l’époque qui
« traduit le fait que de plus en plus de choses doivent être accomplies dans la même unité de
temps, et l’accélération du temps correspond au sentiment que le temps passe de plus en plus
vite, qu’il nous pressure et nous emporte, nous enserrant dans une obligation d’accélérer
nous-mêmes toujours plus dans l’accomplissement de nos tâches », [NICOLE AUBERT, @la
recherche du temps, Erès, 2018]
Internet, déjà, était au service de cette compression du temps. La blockchain inscrit irrémédiablement
les événements dès qu’ils adviennent et les « contrats intelligents » qu’elle porte automatisent les
actions sans répit possible.
A l’ère du trading automatique, la milliseconde devient l’unité de temps de référence …
L’ère du numérique
Blockchain et cryptomonnaie sont des purs produits du numérique.
Le mot numérique traduit l’anglais digital93. Du latin numerus (nombre), l’adjectif signifie
« représentation par nombres » et s’oppose à analogique ; le substantif désigne les technologies de
l’information.
Le numérique est désormais partout : dans votre ordinateur, bien sûr, mais aussi dans votre téléphone
portable, votre réfrigérateur, votre téléviseur, votre voiture ; dans l’Internet, ses réseaux et ses
boutiques en ligne; dans les robots industriels, les imprimantes 3D, les automates de la Poste (qui vous
ont créé beaucoup de soucis pour envoyer un simple mandat à votre petite fille) ou dans le jouet de
votre enfant de quatre ans…
Gare à ceux qui ne seraient pas à l’aise avec le numérique ! L’incompréhension de la
technologie numérique a un nom : l’Illectronisme (ou « illettrisme numérique ») qui désigne l’absence
de maîtrise ou la maîtrise insuffisante des techniques numériques (en particulier d’Internet et des
applications dont il est le support). On parle de fracture numérique qui toucherait 25% de la population
française…
93
L’anglicisme digital est souvent employé directement en français, usage que l’Académie réprouve. Notons au passage que
pour nommer le même concept, le français préfère l’abstrait « numérique » et l’anglo-américain le concret « digital » :
différence culturelle significative.
*
**
Nous ne sommes finalement pas certains d’avoir su tirer ici entièrement profit de l’avertissement
formulé par J. M. KEYNES : « la difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper
aux idées anciennes ». Nous n’avons pas en tout cas échappé à l’idée que, pour contribuer à assurer les
équilibres économiques, un mécanisme institutionnel de pilotage monétaire est indispensable. Dit
autrement, la monnaie a une fonction sociale et cette fonction n’est pas compatible avec l’anarchie.
Nous pourrions en formuler ainsi la conséquence : le système monétaire centralisé est le plus mauvais
système monétaire, à l’exception de tous les autres.
Les mânes de WINSTON CHURCHILL nous pardonneront la paraphrase de son aphorisme célèbre : « la
démocratie est la pire forme de gouvernement, à l’exception de toutes celles qui ont été essayées au fil
du temps94 ».
L’évocation de la démocratie en guise de dernier mot n’est au demeurant pas inopportune …
ANNEXES
LES CRYPTOMONNAIES : IMPASSE OU RÉVOLUTION ? 160
GLOSSAIRE
Actif financier : titre ou contrat, généralement transmissible et négociable donnant droit à des revenus
(ou à des gains) futurs certains ou aléatoires.
Adresse : identité numérique d’un utilisateur de cryptomonnaie, comparable à numéro de compte
IBAN.
Bitcoin : de bit, unité de mesure en informatique et de coin, monnaie en anglais. Première
cryptomonnaie* apparue en 2008 en même temps que son support, la blockchain*.
Blocs : composants de base de la blockchain regroupant plusieurs transactions effectuées par les
utilisateurs du réseau.
Blockchain : base de donnée numérique, registre distribuée en réseau pair-à-pair* dont les
informations sécurisées par cryptographie sont groupées en blocs* formant une chaîne
informatique particulièrement robuste.
Communs : Ressources naturelles ou matérielles dont on ne peut exclure personne et dont l’utilisation
par les uns ne doit pas réduire l’utilisation par les autres. Les communs échappent aux lois du
marché.
Contrat intelligent : protocole informatique (du type « si… alors ») qui permet l’exécution automatique
de contrats lorsque les conditions prédéfinies sont réalisées.
Convertibilité : capacité d’une monnaie d’être convertie en une autre monnaie ou en or.
Caractéristiques de la monnaie : qualités nécessaires qui distinguent la monnaie. Depuis l’Antiquité la
monnaie doit être durable, portable (on ajoute liquide), divisible (on ajoute fongible),
acceptable.
Cours forcé : Règle juridiquement sanctionnée obligeant d’accepter une monnaie à sa valeur nominale
et la rendant non convertible en monnaie métallique ou en or (l’assignat avait cours forcé
pendant la révolution).
Cours légal : Règle juridiquement sanctionnée obligeant d’accepter les moyens de paiement officiels en
circulation sur un territoire donné (Avant la création de l’euro, le franc français avait cours légal
sur le territoire français ; l’euro a cours légal sur le territoire de la zone euro).
Cryptoactif : actif numérique reposant sur des mécanismes cryptographiques* qui interdisent la
falsification et le double paiement et s’échangeant sur un réseau décentralisé, en pair à pair. On
nie au Cryptoactif la qualité de monnaie.
Cryptomonnaie : monnaie numérique reposant sur des mécanismes cryptographiques* qui interdisent
la falsification et le double paiement et s’échangeant sur un réseau décentralisé, en pair à pair.
Cryptographie, cryptographique : du préfixe crypto : caché et du suffixe graphie : écriture. Technique
permettant d’assurer l’authenticité, l’intégrité et la confidentialité d’un message à l’aide de clés
de chiffrement en rendant ce message incompréhensible à quiconque ne possédant pas les clés
de déchiffrement.
Disruption, disruptif : du latin disruptum (dis -préfixe indiquant la séparation, l’intensité ; ruptum -supin
de rumpere, rompre) : rupture brutale. Ex. en géologie : disruption des roches. En économie :
innovation drastique remettant en cause des principes économiques jusque-là admis ; stratégie
de rupture. En psycho-sociologie : accélération ou rupture sociétale générant une perte de
repères.
Preuve d’enjeu ou preuve d’intérêt (« Proof of Stake » PoS) : protocole alternatif à la preuve de travail
(proof of work) selon lequel les mineurs doivent prouver qu’ils possèdent une certaine quantité
de crypto-monnaie pour pouvoir valider des nouveaux blocs dans la blockchain. Le PoS est
moins énergivore que le PoW.
Preuve de travail (« Proof of Work » PoW) : algorithme de consensus, permettant de valider un bloc
qui sera ajouté à la chaine des blocs (« blockchain ») , basée sur la résolution d’un problème
mathématique exigeant une grande puissance de calcul (et donc dépensant beaucoup
d’énergie). La difficulté de ce travail varie pour garder un temps de validation constant (10
minutes sur la blockchain Bitcoin).
Règles de consensus : mécanisme (protocole) par lequel les mineurs s’accordent pour valider un bloc.
Réseau pair-à-pair / peer-to-peer (ou P2P) : Réseau numérique sans agent central où chaque
utilisateur, en relation directe avec un autre utilisateur (un « pair »), joue à la fois le rôle de
serveur et de client.
Scalabilité : Capacité d’un système (notamment d’un système informatique) à s’adapter à un
changement d’ordre de grandeur.
Sous-jacent : Référence profonde mais non explicite sur laquelle repose la valeur d’un instrument
financier.
Smart contract : voir contrat intelligent
Subprimes : Aux Etats-Unis, emprunts plus risqués (et à taux d’intérêt élevés) que les emprunts
« primes» aux risques minimes mais aux rendements faibles. Les Subprimes prennent
généralement la forme de crédits hypothécaires (« mortage »). La crise des subprimes entraîna
la grande crise financière de 2007-2008 dont les effets se sont prolongés de longues années sur
l’économie mondiale.
Taxinomie : Science des lois de la classification ou classification elle-même dans un système hiérarchisé.
Titrisation : Technique financière permettant de transformer des créances en titres négociables.
L'intérêt est de transférer aux détenteurs de ces titres le risque de la créance. Les détenteurs
des titres perçoivent en contrepartie un taux d'intérêt lié au niveau du risque.
Tiers de confiance : personne ou organisme (une banque, par exemple) habilité à garantir l’authenticité
et l’exactitude d’un document (papier ou, aujourd’hui, le plus souvent numérique) ou d’une
transaction.
Troc : Opération économique par laquelle chaque participant cède la propriété d’un bien et reçoit
concomitamment un autre bien.
Token : jeton numérique, représentation digitale de valeur émise et échangeable sur la blockchain*.
Valeur intrinsèque : valeur de la matière dans laquelle la monnaie est fabriquée.
Valeur faciale : valeur attribuée par une autorité monétaire à un instrument de paiement. La valeur
faciale est généralement inférieure à la valeur intrinsèque de la monnaie, même pour les pièces
d’or.
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages
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MICHEL AGLIETTA en collaboration avec PEPITA OULD AHMED ET JEAN-FRANÇOIS PONSOT, la monnaie entre dettes et
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SUZANNE BEDARD, la cryptomonnaie, une monnaie libre, Amazon Distribution, 1918
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BERNARD CHAVANCE, L’économie institutionnelle, La Découverte, 2012 et 2016
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IVO MAES, la genèse du système international actuel, reflet et perspectives de la vie économique, 2010
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PEPITA OULD AHMED ET JEAN-FRANÇOIS PONSOT, contestations monétaires : une économie politique de la monnaie,
Revue de la régulation, 2015
JEAN-MICHEL SERVET, La fable du troc, Revue numismatique, volume 157, 2001
JEAN-MICHEL SERVET ET SOPHIE SWATON, Penser la dimension de commun de la monnaie à partir de l’exemple des
monnaies complémentaires locales, Revue Interventions économiques, 2018
BRUNO THERET, les trois état de la monnaie. Approche interdisciplinaire du fait monétaire, Revue économique,
vol.59, n° 4, 2008.
JEAN-MARIE THIEVAUD, Monnaie universelle, unique, unitaire, cosmopolite, internationale … : petite anthologie de
quelques siècles de projets monétaires entre utopie et réalité, Revue d’économie financière, n°36, 1996.
ARIANE TICHIT, PASCAL LAFOURCADE ET VINCENT MAZENOD, Les monnaies virtuelles décentralisées sont-elles des
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BANQUE CENTRALE EUROPEENNE, virtual currency schemes, a further analysis, 2015
BANQUE DE FRANCE, L’émergence du bitcoin et autres crypto actifs, enjeux, risques et perspectives, focus N°16, 2018
BANQUE DES REGLEMENTS INTERNATIONAUX, Les enjeux de la gouvernance des banques centrales, Rapport, 2009
BANQUE DES REGLEMENTS INTERNATIONAUX, Cryptomonnaies : au-delà du phénomène de mode, Rapport, 2018
FRANCE-STRATEGIE, les enjeux des blockchains, Rapport, 2018
MISSION MONNAIES LOCALES COMPLEMENTAIRES, Rapport, 2015
MEDEF (AVEC LE BOSTON CONSULTING GROUP), La blockchain, soyez curieux ! Livre blanc, 2017
UCHANGE, Comprendre la blockchain, Livre blanc, 2016
Articles de presse
Les nombreux articles de presse concernant les cryptomonnaies et la blockchain consultés ne sont pas
tous répertoriés. Certains figurent dans des encadrés (voir table des encadrés). Lorsqu’ils sont cités, leurs
références sont mentionnées dans le corps du texte ou en note.
Sources internet
Les sources internet consultées ne sont pas répertoriées. Lorsqu’elles sont citées, leurs références sont
mentionnées dans le corps du texte ou en note.
www.cryptoencyclopedie.com
On y trouve quatre rubriques : 1- Actualités, avec le journal du coin, 2- Comprendre, , 3- investir, 4- Liste des
cryptomonnaies.
Variation Variation
Monnaie Prix Valeur
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Variation Variation
Monnaie Prix Valeur
(24h) (7 jours)
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Monnaie Prix Valeur
(24h) (7 jours)
Variation Variation
Monnaie Prix Valeur
(24h) (7 jours)
Variation Variation
Monnaie Prix Valeur
(24h) (7 jours)
Résumé. Une version d'un système de paiement purement pair-à-pair permettrait des paiements en
ligne directs d'une partie à l'autre sans passer par une institution financière. Les signatures digitales
fournissent une partie de la solution, mais les principaux bénéfices sont perdus si un tiers de confiance
est encore nécessaire pour éviter les doubles dépenses. Nous proposons une solution au problème de
la double dépense en utilisant un réseau pair-à-pair. Le réseau horodate les transactions en les hachant
en une chaîne continue de preuves-de-travail, formant un enregistrement de données qui ne peut pas
être changé sans avoir à refaire la preuve-de-travail. La chaîne la plus longue non seulement sert de
preuve par témoignage de la séquence des événements, mais prouve qu'elle est issue du plus grand
groupe de puissance CPU. Aussi longtemps que la majorité de la puissance CPU est contrôlée par des
nœuds non participant à une attaque du réseau, ils engendreront la plus longue chaîne et surpasseront
les attaquants. Le réseau en lui-même exige une structure minimale. Les messages sont diffusés au
mieux et les nœuds peuvent quitter et rejoindre le réseau à leur gré, en acceptant la plus longue chaîne
de preuve-de-travail créée en leur absence.
1. Introduction
Le commerce sur Internet en est venu à reposer presque exclusivement sur les institutions financières
agissant comme tiers de confiance afin de traiter les paiements électroniques. Alors que le système
fonctionne suffisamment bien pour la plupart des transactions, il souffre de faiblesses inhérentes au
modèle de confiance. Les transactions totalement irréversibles ne sont pas réellement possibles, car les
institutions financières ne peuvent pas éviter les conflits de médiation. La coût de la médiation
augmente les coûts de transaction, en limitant le montant minimum de la transaction et coupant ainsi
la possibilité de transactions courantes à petit montant. De plus, il y a un coût plus important dans la
perte de la capacité à faire des paiements irréversibles pour les services irréversibles. Avec la possibilité
de réversibilité, la nécessité de la confiance s'étend. Les commerçants doivent se méfier de leurs clients,
et les ennuyer en leur demandant plus d’information dont ils n’auraient pas besoin en procédant
autrement. Un certain pourcentage de fraude est accepté comme inévitable. Ces coûts et incertitudes
dans les paiements peuvent être évités par la présence et l’argent physiques, mais aucun mécanisme
n’existe pour faire des paiements à travers un canal de communication sans un tiers de confiance.
Le besoin est d’avoir un système de paiement électronique basé sur une preuve cryptographique au lieu
de la confiance, permettant à deux parties volontaires de réaliser entre elles des transactions sans le
besoin d’un tiers de confiance. Des transactions calculatoirement incommodes à inverser protégeraient
les vendeurs de la fraude, et des mécanismes habituels de dépôt pourraient être aisément implémentés
pour protéger les acheteurs. Dans ce papier, nous proposons une solution au problème de la double
dépense en utilisant un serveur d’horodatage distribué pair-à-pair afin d’engendrer calculatoirement la
preuve de la chronologie des transactions. Le système 1 est sûr tant que les nœuds honnêtes contrôlent
collectivement plus de puissance CPU que celle de chacun des groupes de nœuds d’attaquants
coopérants.
2. Transactions
Nous définissons une pièce (de monnaie) électronique comme une chaîne de signatures électroniques.
Chaque propriétaire transfère la pièce au suivant en signant le hachage de la transaction précédente,
de la clef publique du prochain propriétaire et en ajoutant tout cela à la fin de la pièce. Un bénéficiaire
peut vérifier les signatures pour vérifier la chaîne de propriété.
Le problème évidemment est que le bénéficiaire ne peut pas vérifier qu’un des propriétaires n’a pas
dépensé deux fois la même pièce. Une solution commune est d’introduire une autorité de confiance,
ou émetteur de monnaie, qui vérifie chaque transaction concernant la double-dépense. Après chaque
transaction, la pièce doit être renvoyée à l’émetteur de monnaie pour émettre une nouvelle pièce, et
seules les pièces émises par l’émetteur sont réputées non dépensées deux fois. Le problème avec cette
solution est que le destin de tout le système monétaire dépend de la société qui émet la monnaie, avec
chaque transaction devant passer par elle, tout comme une banque.
Nous avons besoin d’un moyen pour le bénéficiaire de savoir que les précédents propriétaires n’ont pas
signé de transactions précédentes. Pour nos fins, la transaction effectuée le plus tôt est celle qui compte,
ainsi nous pouvons ignorer les tentatives suivantes de double-dépense. Le seul moyen pour confirmer
l’absence d’une transaction est d’être au courant de toutes les transactions. Dans le modèle d’un
émetteur central de monnaie, ce dernier était au courant de toutes les transactions et décidait qui
arrivait en premier. Pour accomplir pareille tâche sans un tiers de confiance, les transactions doivent
être annoncées publiquement et nous avons besoin d’un système permettant aux participants de
s’accorder sur une histoire unique de l’ordre dans lequel elles ont été reçues. Le bénéficiaire a besoin
de la preuve qu’au moment de chaque transaction, la majorité des nœuds était d’accord sur le fait
qu’elle était la première reçue.
3. Serveur d’horodatage
La solution que nous proposons commence avec un serveur d’horodatage. Un serveur d’horodatage
fonctionne en prenant l’empreinte numérique d’un bloc d’items à horodater et à la publier largement,
tel que dans un journal ou un forum sur Internet [2-5]. L’horodate prouve que les données ont dû exister
à l’instant de l’horodatage, évidemment, pour pouvoir obtenir leur empreinte numérique. Chaque
horodate inclut l’horodate précédente dans son empreinte, formant une chaîne, avec chaque nouvelle
horodate renforçant celles-là précédant.
4. Preuve-de-travail
Pour implémenter un serveur d’horodatage distribué en pair-à-pair, nous avons besoin d’une preuve-
de-travail similaire à celle d’Adam Back “Hashcash” plutôt que d’un journal ou de publication sur un
forum Internet. La preuve-de-travail implique la recherche d’une valeur qui une fois hachée, tel qu’avec
le SHA-256, donne une empreinte numérique commençant par un nombre donné de bits à zéro. Le
travail moyen demandé est exponentiel en fonction du nombre de bits à zéro exigés et peut être vérifié
en exécutant un hachage unique.
Pour notre réseau d’horodatage, nous implémentons la preuve-de-travail par incrémentation d’une
valeur d’ajustement dans le bloc jusqu’à trouver une valeur qui donne une empreinte avec le nombre
de zéros requis. Une fois que la charge CPU a été dépensée pour satisfaire la preuve-de-travail, le bloc
ne peut plus être changé sans refaire le travail. Étant donné que les blocs sont chaînés après le bloc
considéré, le travail pour changer le bloc devrait inclure de refaire tous les blocs postérieurs.
Pour compenser l’augmentation de la vitesse du matériel et modifier l’intérêt de l’usage des nœuds au
fil du temps, la difficulté de la preuve-de-travail est déterminée par une moyenne mobile ciblant un
nombre moyen de blocs calculés par heure. S’ils sont engendrés trop rapidement, la difficulté
augmente.
5. Réseau
3) Chaque nœud travaille pour trouver une preuve-de-travail difficile pour son bloc.
4) Quand un nœud trouve une preuve-de-travail, il diffuse le bloc à tous les nœuds.
5) Les nœuds acceptent le bloc seulement si toutes les transactions sont valides et pas déjà dépensées.
6) Les nœuds expriment leur acceptation du bloc en travaillant à créer le prochain bloc de la chaîne, en
utilisant l’empreinte numérique du bloc accepté comme l’empreinte précédente.
Les nœuds considèrent toujours la chaîne la plus longue comme la chaîne valide et continuent à
travailler pour l’étendre. Si deux nœuds diffusent deux versions différentes du prochain bloc
simultanément, les autres nœuds peuvent recevoir l’une ou l’autre en premier. Dans ce cas, ils
travaillent sur la première qu’ils ont reçue, mais sauvent l’autre branche au cas où elle deviendrait plus
longue. Le lien sera rompu quand la prochaine preuve-de-travail est trouvée et une branche devient
plus longue ; les nœuds qui étaient en train de travailler sur les autres branches commuteront alors sur
la plus longue.
Les diffusions des nouvelles transactions n’ont pas besoin d’atteindre nécessairement tous les nœuds.
Tant qu’elles atteignent beaucoup de nœuds, elles seront intégrées dans un bloc avant longtemps. Les
diffusions de blocs sont aussi tolérantes aux pertes de messages. Si un nœud ne reçoit pas un bloc, il le
demandera quand il recevra le prochain bloc et réalisera qu’il lui en manque un.
6. Prime de résultat
Par convention, la première transaction dans un bloc est une transaction spéciale qui commence par
une nouvelle pièce détenue par le créateur du bloc. Cela ajoute une incitation pour les nœuds à
supporter le réseau, et fournit un moyen initial de mettre des pièces en circulation puisqu’il n’y a pas
d’autorité centrale d’émission de monnaie pour le faire. L’ajout stable d’un montant constant de
nouvelles pièces est analogue aux chercheurs d’or dépensant des ressources pour ajouter de l’or en
circulation. Dans notre cas, il s’agit de temps CPU et d’électricité qui sont dépensés.
La prime de résultat peut aussi être financée par des frais de transaction. Si la valeur sortie d'une
transaction est inférieure à sa valeur d'entrée, la différence constitue les frais de transaction qui sont
ajoutés à la prime de résultat du bloc contenant la transaction. Une fois mis circulation un nombre
prédéterminé de pièces, la prime de résultat peut se convertir totalement en frais de transaction et être
totalement non inflationniste.
La prime de résultat peut aider à encourager les nœuds à rester honnêtes. Si un attaquant cupide était
capable de réunir plus de puissance CPU que les nœuds honnêtes, il aurait à choisir entre escroquer les
gens en récupérant frauduleusement ses paiements, ou, engendrer des nouvelles pièces. Il devrait
trouver plus profitable pour jouer dans les règles, ces dernières le favorisant en lui offrant plus de
nouvelles pièces que tout le reste du monde réuni, que de saper le système et la validité de sa propre
fortune.
Une fois que la dernière transaction d’une pièce est enfouie en dessous de suffisamment de blocs, les
transactions de dépenses la précédant peuvent être jetées pour sauver de l’espace disque. Pour faciliter
cela sans casser l’empreinte numérique du bloc, les transactions sont hachées dans un arbre de Merkel
[7][2][5], avec seulement la racine incluse dans l’empreinte numérique du bloc. Les anciens blocs
peuvent alors être compactés par rognage des branches de l’arbre. Les empreintes intérieures de l’arbre
n’ont pas besoin d’être stockées.
Un entête de bloc sans transaction devrait être aux environs de 80 octets. Si nous supposons les blocs
engendrés toutes les dix minutes, 80 octets * 6 * 24 * 365 = 4,2 MOctets par an. Avec les ordinateurs
typiquement vendus avec 2 GOctets de RAM en 2008, et la loi de Moore prédisant une croissance
courante de 1,2 GOctets par an, le stockage ne devrait pas être un problème même si les entêtes de
blocs doivent être gardés en mémoire.
Il est possible de vérifier des paiements sans faire fonctionner un nœud complet du réseau. Un
utilisateur a seulement besoin de garder une copie des entêtes de bloc de la plus longue chaîne assurée
par la preuve-de-travail, qu’il peut obtenir en interrogeant les nœuds du réseau jusqu’à ce qu’il soit
convaincu qu’il a la plus longue chaîne et obtienne la branche de Merkel liant la transaction au bloc
l’horodatant. Il ne peut pas vérifier la transaction pour lui-même, mais en la liant à une place dans la
chaîne, il peut voir que le réseau l’a acceptée, et les blocs ajoutés après le confirment.
En tant que telle, la vérification est fiable tant que les nœuds honnêtes contrôlent le réseau, mais est
plus vulnérable si le réseau est écrasé par la puissance d’un attaquant. Tant que les nœuds peuvent
vérifier les transactions pour eux-mêmes, la méthode de vérification simplifiée peut être bernée par les
transactions fabriquées d’un attaquant aussi longtemps que l’attaquant continue à surpasser le réseau.
Une stratégie pour se protéger contre cela serait d’accepter des alertes des nœuds du réseau qui
détectent un bloc invalide, provoquant le téléchargement du bloc complet et des transactions
suspicieuses par le logiciel utilisateur pour confirmer la divergence. Les entreprises qui reçoivent
fréquemment des paiements voudront probablement faire fonctionner leurs propres nœuds pour une
sécurité plus indépendante et une vérification plus rapide.
Bien qu’il soit possible de manipuler les pièces individuellement, il serait peu commode de faire une
transaction séparée pour chaque centime dans un transfert. Pour autoriser les valeurs à être scindées
ou combinées, les transactions contiennent des entrées et sorties multiples. Normalement il y aura soit
une entrée unique provenant d’une plus grosse et précédente transaction ou plusieurs entrées
combinant des plus petits montants et au moins deux sorties : une pour le paiement, et une pour le
rendu de la monnaie, le cas échéant pour le payeur.
Il doit être noté que la dissémination, où une transaction dépend de plusieurs transactions, et que ces
transactions dépendent de bien plus, n’est pas un problème ici. Il n’y a jamais le besoin d’une copie
complète et autonome de l’histoire des transactions.
Le modèle bancaire traditionnel réalise un niveau de protection de la vie privée en limitant l’accès aux
informations aux personnes concernées et au tiers de confiance. La nécessité d’annoncer toutes les
transactions publiquement écarte cette méthode, mais la protection de la vie privée peut encore être
assurée en rompant le flux d’information à un autre endroit : en gardant les clefs publiques anonymes.
Le public peut voir que quelqu’un est en train d’envoyer un montant à quelqu’un d’autre, mais sans
information liant la transaction à quelqu’un. Ceci est similaire au niveau d’information remis par la
bourse, où les heures et montants des échanges, le “carnet d’ordres”, est publique, mais sans dire qui
sont les parties.
En guise de pare-feu additionnel, une nouvelle paire de clefs pourrait être utilisée pour chaque
transaction afin de les garder non liées à un propriétaire commun. Toutefois, la liaison est inévitable
avec les transactions multi entrées, qui révèlent nécessairement que leurs entrées étaient détenues par
un même propriétaire. Le risque est que si le propriétaire d'une clef est révélé, les liaisons peuvent
révéler d'autres transactions qui ont appartenu au même propriétaire.
11. Calculs
(Non rapportés)
12. Conclusion
Nous avons proposé un système de transactions électroniques se passant de confiance. Nous avons
commencé avec un cadre de fonctionnement ordinaire de pièces de monnaie établies par des signatures
électroniques, qui offre un contrôle puissant de la propriété, mais qui est incomplet sans moyen d’éviter
la double-dépense. Pour résoudre cela, nous avons proposé un réseau pair-à-pair utilisant la preuve-de-
travail pour enregistrer une histoire publique des transactions, qui devient rapidement impraticable à
un attaquant de modifier si les nœuds honnêtes contrôlent la majorité de la puissance CPU. Le réseau
est robuste dans sa simplicité non structurée. Les nœuds travaillent tous ensemble avec peu de
coordination. Ils n’ont pas besoin d’être identifiés, puisque les messages ne sont pas routés vers des
destinations particulières et ont seulement besoin d’être livrés au mieux. Les nœuds peuvent quitter et
rejoindre le réseau à leur gré, en acceptant comme preuve la chaîne de preuve-de-travail de ce qui s’est
passé en leur absence. Ils votent avec leur puissance CPU, exprimant leur acceptation des blocs valides
en travaillant à les étendre et à rejeter les blocs invalides en refusant de travailler dessus. Toutes les
règles et primes de résultat nécessaires peuvent être imposées avec ce mécanisme de consensus.
REMERCIEMENTS
Ma reconnaissance va tout d’abord à L’Université du Temps libre du Bas Languedoc (UTL 34), qui met
en œuvre sa belle devise « le bonheur d’apprendre ensemble » au profit de ceux qui ne se résolvent pas
à voir s’écouler le temps devant leur poste de télévision. Ses animateurs et ses professeurs, tous
bénévoles, sont dignes de considération.
Au cours d’un repas sympathique et convivial à l’issue d’une réunion de travail de l’UTL, en novembre
2017 (nous étions treize à table !), l’un des participants, Henri Morel, a subitement lancé : « Avez-vous
entendu parler du bitcoin ? ». J’étais de ceux qui en ignoraient tout. Ce propos de table a provoqué un
déclic. Merci à Henri de l’avoir lancé. Merci surtout à lui de m’avoir assuré son expertise des systèmes
d’information tout au long de ma recherche sur les cryptomonnaies et de ma rédaction de ce thème.
D’éminents spécialistes ont réfléchi sur la monnaie et sur les cryptomonnaies. Je n’aurais pu, sans la
lecture de leurs analyses savantes, mener à bien cette recherche. Je me suis efforcé de citer
scrupuleusement leurs travaux, les omissions qui pourraient être relevées à cet égard seraient très
involontaires. L’utilisation et l’interprétation de ces sources n’engagent évidemment que moi.
J’adresse à Stéphane Ravaille un triple et grand merci. Merci pour l’énergie qu’il met à présider l’UTL34 ;
merci pour la pédagogie qu’il déploie dans son cours d’économie politique à rendre compréhensible les
mécanismes économiques ; merci pour avoir suscité et attentivement suivi ce thème de recherche sur
les cryptomonnaies. Ses conseils m’ont été précieux et m’ont évité quelques contresens. Sans lui, je
n’aurais pu mener la recherche à son terme. La chaleur qu’il a su mettre dans nos relations m’a été d’un
grand réconfort et m’a permis de dépasser quelques moments de doutes personnels. De cela surtout je
lui suis profondément et indéfectiblement reconnaissant.
Je remercie également vivement Anne Ravaille pour la relecture attentive du manuscrit qu’elle a bien
voulu effectuer sans laquelle ce travail n’aurait pas été présentable.
Je reste bien entendu le seul responsable de la production définitive de ce thème de recherche, des
arguments qu’il avance et des erreurs qu’il comporte sans doute.