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2. L'ANTI ERR-6
Mélissa TERRIER
melissa.ponsart@hotmail.fr – 06 50 19 32 46
Méli
1
Rêve éveillé
Les yeux de Silhaée s'ouvrirent brusquement. Son souffle haletait, son cœur palpitait, des
gouttes de sueurs perlaient sur son front. On aurait dit qu'elle venait de se réveiller d'un mauvais
rêve. Pendant une bonne minute, elle regarda fixement le plafond au-dessus d'elle qui n'avait pas la
même allure que d'habitude. Le blanc rutilant de sa résidence avait laissé place à un plafond gris
pâle, rainuré, aux multiples spots incrustés. Immobile dans un premier temps, Silhaée finit par se
passer les mains sur le visage avant d'inspirer et expirer lentement. Puis elle prit appui et passa de la
position allongée à assise. En un coup d’œil, elle découvrit un tout nouvel environnement autour
d'elle. On l'avait installé dans le lit d'une chambre qu'elle ne connaissait pas. Les volets étaient clos
mais l'ouverture d'une porte au loin offrait la possibilité d'entrevoir un parquet en bois clair et des
murs aux teintes chaudes. Cet endroit n'avait rien à voir avec l'Expéria. Tout n'était pas aussi neutre
et bien rangé que dans sa résidence. La température de la pièce était différente de ce qu'elle avait
connu jusqu'alors… Il faisait presque chaud mais un vent frais s'engouffrait par la fameuse porte
ouverte. Cette sensation, Silhaée ne l'avait jamais côtoyé en vingt-et-un ans d'existence dans le
dôme aseptisé.
En voulant poser ses mains sur ses jambes, la pulpe de ses doigts entra en contact avec la
douceur des draps qui la recouvraient partiellement. Presque intimidée, elle saisit le tout et
l'approcha de son visage jusqu'à en humer l'agréable odeur qui venait lui chatouiller les narines
depuis son réveil. « De la lessive », pensa-t-elle en se souvenant de ce qu'on lui avait raconté sur la
étaient confectionnés en une matière recyclable (proche du tissu) qui n'avait aucune autre odeur que
le plastique de leurs emballages. Silhaée relâcha ensuite les draps et regarda le reste de l'espace. Un
placard incrusté dans un mur, une table de chevet cubique, des bottines pour homme rangées dans
un coin de la pièce et une sorte de bomber bicolore déposé sur un bureau. Rien de tout cela n'avait
Vaseuse mais néanmoins curieuse, la jeune femme finit par descendre prudemment du lit et
s'approcha dans un premier temps de la porte de placard recouverte en partie d'un fin miroir ovale.
En observant son reflet, elle eut l'impression d'y voir une autre personne : on avait recouvert sa
casaque jetable d'un long pull pour homme lui descendant jusqu'aux cuisses et ses pieds d'une paire
de chaussettes épaisse qu'elle défit pour sentir la texture boisée du sol sous ses pas. Elle coiffa
ensuite sa longue chevelure noire sur l'arrière de son crâne, de sorte à en dégager les mèches
trempées de sueur collées sur son front et se frotta une nouvelle fois le visage.
Une voix masculine et grave venait de raisonner dans le salon, couvrant la voix d'une autre
personne, plus douce mais tout aussi masculine. D'abord surprise, Silhaée se plaqua contre un mur
puis s'approcha pas-à-pas des voix jusqu'à s'arrêter au plus près de la porte de la chambre. De là, il
lui fallut quelques secondes pour s’accommoder à la lumière naturelle dans laquelle baignait le reste
de la demeure.
Elle aperçut ensuite deux hommes dans une grande pièce de vie, tous deux dos à elle. L'un
était assis dans un fauteuil face à un écran, les coudes en appuis sur les genoux, le regard rivé sur
une chaîne d'informations en direct. L'autre manipulait nerveusement son compagnon, debout
derrière ce même fauteuil, concentré de la même façon sur les images défilantes. Silhaée ne prit
qu'une seconde pour contempler les deux hommes, puis son regard se détourna en un instant jusqu'à
Soudain, sans ne plus prêter aucune attention aux individus présents dans la pièce, la jeune
glisser sur le sol, guidée par une voix intérieure prônant l'envie, le désir, la curiosité plus que jamais.
Trop absorbés par le défilé d'informations, Jayden et Dean ne virent pas la jeune femme
passer derrière eux. Ils ne se rendirent compte de sa présence que lorsqu'un vent frais accompagna
Jayden se leva lui-aussi d'un bon du fauteuil. Ils virent alors que la porte d'entrée était
désormais grande ouverte mais que personne n'attendait devant. Ni une ni deux, les deux hommes
se jetèrent sur cette dernière en craignant une visite importune. Mais ils s'arrêtèrent tout aussi
Non, il ne faut pas… réagit Dean en voyant la fine silhouette de Silhaée marcha d'un pas
Mais il fut brusquement interrompu par Jayden qui lui fit signe de rester silencieux un
Silhaée progressa lentement vers l'extérieur avant de s'immobiliser. Ses yeux étaient pour
l'instant rivés sur ses pieds nus dans l'herbe. Elle remua ses doigts de pieds, tenta d'enfoncer ses
talons dans la matière avant de poser lourdement ses genoux au sol. La chute lui fit d'abord un peu
mal mais la découverte de cette texture, si différente de la gomme de l'Expéria, était tellement
incroyable qu'elle n'en eut que faire de la douleur ressentie. Ses mains se plongèrent ensuite dans
l'herbe fraîche et la caressèrent lentement. Puis elle en arracha quelques poignées qu'elle huma
généreusement avant de tout relâcher pour creuser du bout des doigts un peu de terre qu'elle
frictionna entre ses paumes jusqu'à en libérer la poudre formée. Ses yeux parme lorgnèrent les
différents éléments au sol avant de grimper progressivement, centimètres par centimètres, jusqu'à
teintes roses-violines. De somptueuses collines soulignaient l'horizon d'une verdure toujours plus
revitalisante. La bouche de Silhaée, déjà entrouverte, s'agrandit encore un peu plus, comme ses
yeux qui s'arrondirent au point d'en faire disparaître presque complètement ses paupières
supérieures. L'aube se refléta ainsi dans ses iris cristallins qui se tapissèrent de larmes, des larmes
qui s'écoulèrent finalement sur ses joues dès lors qu'elle fronça les sourcils. Il était difficile de
Jayden venait de la rejoindre. Il lui tendit une main qu'elle saisit avec douceur avant de se
redresser lentement. Dean s'approcha d'elle à son tour et lui adressa un franc sourire qu'elle lui
rendit en se remémorant leur rencontre dans le véhicule, quelques minutes avant qu'elle ne perde
connaissance. Puis elle se tourna de nouveau vers Jayden et reconnut également son visage. Il
ressemblait tellement à Wayen qu'il était difficile d'ignorer leurs liens de sang.
Silhaée le regarda encore un instant silencieusement puis se tourna elle-aussi vers les lueurs
de l'aube qu'elle contempla encore de longues minutes en priant pour que tout ceci ne soit pas qu'un
rêve.
Sous conditions
Le fourgon venait de franchir la grande porte de l'Expéria et s'était arrêté comme toujours
sur le zébra à quelques mètres de celle-ci. Eyrin gonfla alors ses poumons lentement puis expira de
la même façon avant de jeter un œil en direction de ses deux homologues dont la tristesse était sans
égal. Ils étaient trois à entrer ce jour dans le centre ; trois malheureux dont la vie était désormais
condamnée, à quelques jours à peine de l'instauration du vaccin qui aurait pu les épargner. Cette
situation était difficile à admettre, difficile à vivre. Pourtant Eyrin n'avait disposé que de quelques
minutes pour réaliser ce qu'il lui arrivait. Comme le stipulait le règlement, chaque intégration d'un
porteur défaillant dans l'Expéria devait être faite sur le convoi d'intégration le plus proche de
l'annonce. Et dans son cas, l'annonce lui avait été faite une heure avant le départ du dernier convoi,
soit le temps qu'il avait fallu pour passer en sas de décontamination, réaliser une batterie d'examens
et enfiler sa tenue de patient-testeur. Dans tout ce fatras, il n'avait même pas eu le temps de dire au
revoir à ses proches… D'embrasser sa sœur… Et encore moins le temps de prévenir Jayden et tous
Eyrin laissa descendre les deux autres personnes avant de les suivre et de redécouvrir
l'intérieur du centre. Quelques patients-testeurs les regardèrent au loin mais firent demi-tour dès
ici tout ce dont vous avez besoin. Toute demande spécifique sera à faire auprès des équipes
S'en suivit ensuite la longue présentation des conditions de vie dans le dôme qui désintéressa
En réflexe bête, il cherchait son compagnon qui lui avait été retiré à l'annonce de son
affectation dans le centre. C'était étrange pour lui… Il le possédait depuis son plus jeune âge et ne
s'en était jamais vraiment séparé. Mais désormais il n'avait plus le choix, il allait falloir apprendre à
vivre sans…
Le passeur parcourut plusieurs allées parmi les blocs d'habitations et s'arrêta devant deux
résidences où il affecta respectivement les deux premiers patients-testeurs arrivants. Puis il reprit
son chemin, suivi par Eyrin, avant de ralentir soudainement pour marcher à sa hauteur.
Eyrin ne répondit rien, se contentant de le suivre dans les différentes allées du dôme.
Je suis désolé pour toi, lui dit sincèrement le passeur. C'est vraiment terrible ce qui t'arrive et
crois-moi je compatis complètement… Alors si je pouvais faire quelque chose pour toi,
Il faut que tu contactes Jayden le plus vite possible et que tu lui dises que je viens d'être
Rapidement ?
bien pour l'avoir observé de nombreuses fois sur la vidéosurveillance : le centre de soins continus.
Mais… Je suis pour l'instant porteur inactif, fit remarquer Eyrin. Je ne comprends pas…
Je n'en sais pas plus, c'est en tout cas ce qui est indiqué sur mon listing...
Sur ces mots, ils virent une curatrice sortir du centre de soins et s'approcher d'eux, un sourire
Puis elle fit demi-tour et se dirigea tranquillement vers l'intérieur du centre de soins. Eyrin
jeta alors un coup d’œil au passeur qui le salua de la main avant de reculer progressivement.
Le passeur lui tendit un pouce, accompagné d'un hochement de tête positif puis disparut
Eyrin suivit ensuite la curatrice dans un ascenseur puis dans de longs couloirs qu'ils
traversèrent silencieusement. En franchissant une porte sassée, il lut au-dessus « Aile Ouest –
U.R.M. ».
Cette réponse énigmatique ne l'aiguilla pas davantage. En arrivant enfin dans un plus petit
couloir, la curatrice scanna son badge de service devant une porte contrôlée et entra à l'intérieur en
L'espace découvert était une grande pièce lumineuse pourvue d'un lit, d'un canapé installé
face à un écran emmuré, d'une salle d'eau séparée et d'une petite table ronde accompagnée de deux
chaises. On aurait dit un petit studio d'étudiant à la sauce LEXO qui n'avait rien de désagréable en
apparence.
C'est ici que vous allez résider, lui annonça-t-elle presque contente pour lui.
Le Docteur Erdowel viendra vous voir en fin d'après-midi. Vous verrez avec lui à ce
Puis elle disparut derrière la porte sans lui laisser le temps de répondre quoi que ce soit.
Pendant le quart d'heure qui suivit, Eyrin fit le tour de l'espace en s'appropriant
progressivement chaque élément. Il passa sa main sur les draps du lit (dont la matière était loin
d'être aussi douce que la literie de ses parents), visita la salle d'eau où l'attendait du petit matériel
d'hygiène emballé sous-vide et alluma l'écran de télévision. En faisant défiler les chaînes, il réalisa
qu'il y en avait à peu près six-mille de moins que ce qu'il avait connu jusqu'alors... Vidé de toute
intérieur.
Chambre première classe avec vue sur le centre… dit-il ironique avant d'observer le triste
Logé au deuxième étage du centre, Eyrin avait une vue panoramique sur la quasi-totalité de
l'Expéria, porte d'entrée comprise. Il regarda ainsi quelques patients-testeurs passer à proximité du
centre de soins continus avant de voir plusieurs enfants courir en direction de la garderie. Puis il
leva les yeux et observa avec un maigre sourire les peintures sur le dôme qu'il avait jusqu'alors
associé à un sentiment obscur de fascination... Ou plutôt, était-ce l'une des peintres en herbe qui
l'avait fascinée plus que le reste ? … Durant un court instant, Eyrin tenta de se remémorer les
différents échanges qu'il avait eu avec Silhaée. Il essaya de se souvenir du son de sa voix, ferma les
yeux et redessina les contours de son visage, la douceur de son sourire perceptible jusque dans son
regard translucide. Il toucha même sa joue et simula par le souvenir le contact de sa peau sur la
sienne.
- Shhhh… -
À peine retourné, Eyrin vit sa sœur se jeter sur lui et l'enfermer dans ses bras avec force.
Mey ?! s'exclama-t-il avant d'en faire de même. Mais qu'est-ce que… qu'est-ce que tu fais
là ?!
Non tout s'est bien passé pour elle ! clama-t-elle comme pour souligner l'injustice de la
J’ai cru à une mauvaise blague Eyrin… Je ne voulais pas le croire tant que je n’avais pas lu
ces putains de résultats par moi-même… Et pourtant si, c’est la vérité ; l’ERR-6 vient de se
Puis elle craqua de nouveau et se laissa emporter par un énième sanglot qu’elle tenta tant bien
Non ça ne va pas aller ! explosa-t-elle. Crois-moi ; je vais tout faire pour te sortir de là ! Ils
Il n'y a pas de raison que les choses soient différentes pour moi Meydân, dit-il la gorge
La jeune femme le relâcha avec difficulté avant de faire les cent pas dans l'espace.
Comment as-tu fait pour venir jusqu’ici ? dit-il perplexe. Tu n'as pas le droit de…
Je les emmerde, je les emmerde tous ! lâcha-t-elle furibonde. Qu'ils essaient de me dire
Sa sœur se blottit alors dans ses bras, les larmes coulant toujours abondamment sur son
visage pâlot.
Je vais tout faire pour te sortir de là, réitéra-t-elle les poings serrés.
Non, j'y ai réfléchi, c'est faisable. Il faudra que tu signes une charte de silence, un peu
comme celle qu'on t'a présentée à ton embauche. Mais celle-là concernera ce que tu sais à
propos des décisions prises par LEXO pour le sujet expérimental UJI. Ça réglera le
Mais…
Et tu n'auras ensuite plus qu'à prendre ceci, le coupa-t-elle en sortant de sa blouse une boîte
Qu'est-ce que c’est ?... dit-il en saisissant cette dernière avant de l'ouvrir et de constater
Un stérilisant puissant…
LEXO prétend ne pas pouvoir laisser sortir les patients-testeurs des dômes, même après
porteurs défaillants et de vaccinés anti ERR-6. Comme ils n'ont pas le recul nécessaire pour
savoir si les conséquences seraient nulles ou dramatiques, ils préfèrent ne pas prendre de
risque…
Deux gélules stérilisantes par jour pendant une semaine, couplées à une signature en bas
d'une charte de silence, et tu seras réintégrable à notre société dans les conditions exigées
par LEXO. En plus, grâce à cette chambre isolée, ta présence dans le dôme n'aura pas été
Sur ces mots, Eyrin claqua la boîte de gélules sur la petite table de sa chambre et croisa les
bras.
C'était donc pour ça tous ces privilèges, dit-il en regardant autour de lui.
Pas seulement moi… confia-t-elle. Tu sais, c'est Papa qui a eu l'idée de la chambre et…
Ne dis pas ça, il était tout retourné quand il a su que tu allais entrer dans le dôme.
Non… C'est Maman… Je l'ai appelé pour la prévenir et elle m'a dit que Papa l'en avait déjà
informé... Elle était vraiment mal et il l'était tout autant selon elle.
Mais peu importe, reprit Meydân. Si tu suis ce que je te dis, tout ça ne sera plus que de
l'histoire ancienne…
Tout ça quoi ? l'interrompit-il. Mon intégration ici d'accord mais l'enfermement de tous ces
gens condamnés à mourir ? Tu n'étais pas d'accord avec ça, tu me l'as répété Meydân !
Et qu'est-ce que ça change ? Je suis comme eux maintenant, dans le même état. Je suis
lâcherons rien ! Mais en attendant, il faut que tu reviennes vivre avec nous… Que tu sois
Comme des millions de gens dans ce monde encore enfermés dans ces centres de traitements
alors que plus rien ne sera fait ! Mais pour eux, personne n'a cherché de solution de
stérilisation et de charte de silence. Personne n'a pensé à l'humain avant tout ! Ils ont tous
Ce n'est pas le débat, dit-elle de plus en plus désemparée. Écoute Eyrin, ne sois pas bête.
Pour une fois essaie d'être un peu égoïste, de penser à toi plus qu'aux autres… On ne sait pas
de combien de temps on dispose avant que ton état de santé ne se dégrade... Peut-être
quelques mois, peut-être des années… Dans tous les cas, je vais tout faire pour y remédier
l'activation de ton gène… Alors s'il-te-plaît, fais ce que je te dis... Profite des tiens en sortant
Elle lui tendit ensuite de nouveau la boîte de gélules abandonnée précédemment sur la table
et hocha la tête comme pour s'assurer qu'elle était vraiment convaincante. Eyrin saisit alors le petit
objet, serra son poing autour du plastique la composant avant de la replacer directement dans la
Tu me demandes d'être un peu égoïste… dit-il. Mais je te rappelle que c'est ce que nous
condamnions fermement quand on a fait le choix de sauver Silhaée. Je ne veux pas être un
privilégié plus que je ne le suis déjà. Je n'ai pas envie de m'évader et de bénéficier de
conditions que les autres n'auront pas. En plus tu n'es pas la seule à savoir que je suis entré
ici ; d'autres dans le groupe le savent déjà et en ont peut-être déjà parlé avec leur entourage
au décours d'une simple conversation. Tout le monde ne pourra pas signer cette charte de
silence et je ne pourrais pas rester enfermé éternellement chez Papa et Maman pour
m'assurer de ne croiser personne. Autant rester ici, au moins je n'aurai personne sur le dos
Eyrin s'il-te-plaît…
Et au-delà de ça, l'interrompit-il une dernière fois. Si demain tu trouvais par miracle le
remède que personne n'a su élaborer depuis tout ce temps ; j'aurais provoqué volontairement
ma stérilité, anéanti mes projets d'avenir comme celui de fonder une famille, et pourquoi ?
Pour m'assurer un simple confort de vie en attendant le traitement miracle ? … Non, c'est
n'importe quoi, tu le sais bien… En me proposant cette option, tu admets clairement que si
je fais ce qu'il faut pour sortir de là, tout projet de recherches sur les porteurs défaillants
cessera… Donc tu ne me demandes pas de penser à moi mais de penser à vous, à toi… Et je
ne vois pas pourquoi tes états d'âme devraient primer sur ceux des proches de millions
possible que tu ne la comprennes pas, je vais rester ici. L'intégration du fils du patron mettra
peut-être plus de poids dans la balance en faveur des oubliés du système, qui sait…
Une fois sa tirade terminée, Eyrin embrassa le front de Meydân, tourna les talons et s'en alla
s'allonger sur son lit, face au mur. Désemparée, Meydân regarda son frère s'installer sur son matelas
avant de sentir de grosses larmes brûlantes perler plus encore sur ses joues. Elle l'imagina le visage
dur, les lèvres pincées, fier d'avoir imposé ses idées comme d'habitude.
La tête basse, elle sortit alors sans un mot, quittant la pièce sans se douter un seul instant que
derrière cette silhouette allongée et renfrognée, se cachait le visage d'un homme, dégoulinant de
larmes, poing serré entre les dents pour ne rien laisser transparaître de sa haine autant que de ses
regrets.
L'ascenseur
Silhaée, Jayden et Dean étaient désormais installés dans le canapé de la maison, la chaîne
Tiens, dit Jayden en tendant à Silhaée une tasse de thé. Attention c'est très chaud.
Jayden se rassit ensuite dans le fauteuil face à elle et sortit de sa poche son compagnon qui
La jeune femme haussa un sourcil avant de regarder les petits droïdes se plier et déplier sur
Oh ! s'exclama Silhaée amusée. C'est la première fois que j'en vois un en vrai…
Dean attrapa son compagnon qu'il lui tendit avec plaisir. La jeune femme reposa alors sa
tasse pour saisir le petit droïde qui dansa sur sa main avec ferveur sous le regard séduit de Dean.
- Plit plit ! -
mess. Ni une ni deux, son propriétaire le saisit et ouvrit hâtivement le contenu du message avant de
Silhaée regarda les deux hommes tour à tour et sentit l'inquiétude voire l'angoisse monter
C'est quoi ces conneries ? dit prestement Jayden dès lors que l'interlocuteur décrocha.
T'en connais beaucoup des blonds aux yeux noirs dont on attend des nouvelles depuis hier ?!
Sur ces mots, Dean se leva à son tour du canapé et resta statique devant son ami qui écoutait
OK, je te retrouve, clôtura Jayden. Meala ne devrait plus tarder de toute façon. À tout à
l'heure.
Puis il raccrocha, replia Zoka et écrasa son menton dans sa main sous les regards inquiets de
Dean et Silhaée.
Aaah ! s'exclama Dean avant de comprendre qu'il ne s'agissait peut-être pas d'une si bonne
nouvelle. Et… Où ça ? …
… Dans l'Expéria.
Jayden se pinça nerveusement les lèvres avant de trouver enfin le courage de répondre :
Son gène est défaillant… Il vient d'intégrer le centre en tant que patient-testeur.
Choqué, Dean se laissa retomber lourdement dans le fauteuil derrière lui sous le regard
Celui qui t'a sorti d’ici ? termina Jayden. Si, c'est lui.
Sur ces mots, elle se leva de son fauteuil avec une lenteur reflétant sa sidération.
Il faut que j'y aille, annonça Jayden en consultant l'heure sur la tête en veille de Zoka. Meala
moindre avis de recherche tombe, contactez-moi immédiatement. Idem si vous avez des
T'en fais pas pour ça, le rassura Dean. Tiens-nous au courant toi aussi si tu en sais plus.
Jayden hocha positivement la tête avant de quitter la maison sous le regard à la fois vide et
perturbé de Silhaée.
Sur le chemin le conduisant jusqu'à LEXO, Jayden demanda encore une fois à Zoka de
rappeler Meydân. Mais il se confronta une énième fois directement à sa boîte vocale… Depuis la
veille, ils n'avaient eu aucune nouvelle ni d'Eyrin, ni de Meydân. Pourtant l'un comme l'autre
auraient dû les rejoindre en fin d'après-midi dans le refuge qu'il avait désigné : l'ancienne maison de
campagne de Wayen.
Grâce à Tedd, l'un des passeurs en service la veille, il savait désormais que le silence et
l'absence d'Eyrin n'était qu'un tragique événement qui était venu se greffer sur un plan rondement
Qu'est-ce qu'elle fout… pensa Jayden à voix haute après avoir relancé un dernier appel
Selon son avis, deux options se présentaient à lui : soit il était arrivé quelque chose à la jeune
femme et son compagnon avait en conséquence été désactivé. Soit elle n'était en réalité pas si
UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 18
déterminée que cela et regrettait désormais son implication dans leur projet d'évasion, expliquant
ainsi sa rupture de contact avec eux. Quoi qu'il puisse en être, Jayden devait trouver des réponses
dans la journée au sein de LEXO. Car sans informations supplémentaires et surtout sans l'aide
d'Eyrin, il serait dorénavant bien plus difficile d'organiser la suite des événements.
Que ce soit sur le parking ou dans les vestiaires, Jayden ne croisa personne en arrivant. Au
vu de l'heure tardive cela n'avait rien de surprenant ; l'intégralité des salariés du groupe était déjà en
poste. Une fois changé, il sortit des vestiaires et traversa le hall principal pour rejoindre l'accès au
Transiteur. Mais en avançant vers les portes de son secteur, il commença à ralentir jusqu'à s'arrêter
complètement et lever les yeux en direction des différentes mezzanines vitrées dessinant chaque
gigantesque cube blanc qui n'était autre que le laboratoire de recherches dirigé par Meydân. La
bouche de Jayden se crispa, ses sourcils se froncèrent. Il fit un pas en avant vers le Transiteur puis
brusquement changea d'objectif. « Quitte à être en retard », pensa-t-il en entrant dans l'un des
ascenseurs de service. Il sélectionna ensuite le deuxième étage et commença à monter seul, profitant
de ces quelques secondes de répit pour réfléchir à ce qu'il dirait. Il ne pouvait sciemment pas
demander à déranger Meydân, la cheffe de projet en recherche clinique, sans raison… Il fallait qu'il
trouve une excuse fiable, quelque chose de suffisamment crédible pour ne pas éveiller les soupçons.
quelqu'un d'autre allait le rejoindre. « Pourvu que ce ne soit pas Lilia... » pensa-t-il en sentant son
cœur battre un peu plus vite. En effet ; Lilia Crosfy, sa cheffe de projet, était en charge des secteurs
« préparation » et « distribution », situés respectivement au niveau un et zéro. Il n'y aurait donc rien
- Shhhh… -
Les portes d'ascenseur s'ouvrirent dans un glissement léger et dévoilèrent l'identité de son
Jayden ! s'exclama Meydân en entrant brusquement dans l'ascenseur, un sourire naissant sur
le visage.
Ce dernier pressa sans plus attendre la commande de fermeture de portes puis le bouton «
Mais la longue silhouette de Jayden se rua sur elle, la faisant reculer énergiquement jusqu'à
Attends…
Elle plaqua dans ce même temps ses mains sur le torse de Jayden et lui imposa de reculer
Pour quelqu'un qui n'a eu aucune nouvelle depuis pratiquement vingt-quatre heures,
Je le sais ça, répondit-il tendu. Mais ça, ça ne justifie pas ce pourquoi tu fais la morte depuis
hier !
Si je ne vous ai pas retrouvé hier c'est parce que j'ai passé ma journée à jouer l'inquiète sur la
eu l'annonce de la défaillance du gène d'Eyrin… Tu te doutes bien du coup que j'ai passé le
reste de mon temps à négocier avec mon père, puis avec Eyrin pour essayer de le sortir de
cette merde... Je suis donc repartie tard et je ne me voyais franchement pas faire encore la
route jusqu'à la maison de ton frère pour m'assurer que tout allait bien avant de rentrer chez
moi tard dans la nuit ! Je suis fiancée, j'ai des comptes à rendre moi…
Je ne te reproche pas de ne pas être venue, la reprit Jayden. Nous savions de toute façon que
même par un malheureux T-mess ! Au lieu de ça, tu nous as ignoré, tu as même bloqué les
Jayden ouvrit la bouche avant de la refermer aussi rapidement. Le visage de Meydân était
criant de tristesse, d'indignation. Elle n'avait franchement rien dans ses attitudes ou ses propos qui
pas prévenir la police pour l'instant, comme on s'en était douté. Ils voulaient d'abord mener
une enquête en interne, à leur sauce, avant qu'une éventuelle investigation officielle ne
Dès que la disparition de Silhaée a été confirmée, poursuivit-elle, mon père a fait convoquer
les chefs de projet des différents groupes de travail et nous a demandé de retracer le détail de
définitivement les données vous concernant et de bloquer vos numéros avant de le remettre.
Meydân lui lança un maigre sourire insinuant l'évidence de la situation dans laquelle ils
étaient tous les deux empêtrés. Puis elle posa sa main sur l'épaule basse du jeune homme.
Je suis sincèrement désolé, dit finalement Jayden. J'étais inquiet de ne pas avoir de tes
nouvelles... Et quand je t'ai vu entrer ici, tout sourire, j'ai pensé que tu tentais de masquer un
profond sentiment de malaise, que tu n'avais pas eu d'autres choix que de retourner ta veste...
Jamais, dit-elle. Je ne vous lâcherai pas, crois-moi. Si j'ai retrouvé le sourire en entrant dans
l'ascenseur c'est parce que j'étais soulagée de te voir… De pouvoir enfin t'expliquer la
Hé… Je ne t'en veux pas, le rassura-t-elle. Par contre, si je ne veux pas me faire empoigner
par chacun de vous à tour de rôle, il va falloir que tu expliques tout ça aux autres et surtout
qu'on trouve un autre moyen de communiquer pour envisager la suite… Parce que je ne suis
Tiens d'ailleurs, tilta-t-il. Il faudra que tu me communiques sa référence le plus vite possible.
Pourquoi ? s'étonna-t-elle.
La suppression des données et le blocage des contacts étaient une bonne idée. Dans
l'urgence tu as même très bien réagi. Mais si jamais ton père décidait de confier ton droïde à
des experts, ils ne mettraient qu'une dizaine de minutes avant de retracer les dernières
activités dessus, comme la suppression des données nous concernant par exemple…
Ne t’en fais pas pour ça. Si tu as sa référence, je n'aurai besoin de rien de plus pour lancer un
Black-Reset.
Un Black-Reset ?
Non non, ne t'inquiètes pas. Je séquencerai sa mémoire de sorte à cibler le moment où tu lui
auras demandé d'ajouter des données nous concernant. Le reste sera intact, tu peux me faire
confiance.
Puis sur ces mots plus paisibles, il désactiva le bouton « STOP » et laissa l'ascenseur
reprendre sa montée dans les étages. Meydân pressa à son tour le niveau « quatre » avant de
Un petit rire échappa alors à Meydân qui ne put s'empêcher de dire ce qu'elle avait sur le
toujours eu cette même énergie, cette même impulsivité pour défendre des sujets qui le
touchent profondément…
Oui ? dit-elle.
… Je suis vraiment désolé pour toi et ta famille… Je sais tout ce que représente l'affectation
particulièrement douloureux…
me va droit au cœur…
Puis elle disparut dans les longs couloirs de l'administration sous le regard empathique de
Mot Code
- Toc toc ! -
Le jour commençait à peine à se lever sur l'Expéria, ou du moins les murs s'éclaircissaient
doucement. Eyrin venait de passer sa première nuit dans le centre et n'avait presque pas dormi,
- Shhhh… -
La porte de sa chambre s'ouvrit sur le visage compatissant d'un médecin qu'il ne connaissait
que trop bien pour l'avoir souvent côtoyé chez lui autour d'un bon repas chaud : Jack Erdowel. Plus
que le médecin référent de LEXO, il était aussi un très bon ami de son père. C'est donc tout
naturellement qu'il adopta une attitude plus amicale, voire fraternelle avec le jeune homme dès qu'il
Comment te sens-tu Eyrin ? lui demanda Erdowel en lui serrant chaleureusement la main.
Comme quelqu'un qui vient de voir sa vie basculer, répondit-il malgré lui.
Je n'ai pris connaissance de ton affectation que ce matin, précisa le médecin comme pour
nous ne savions vraiment pas quoi faire au départ... Et puis nous avons eu d'autres soucis à
Nous avons perdu une pièce important pour nos recherches, dit-il volontairement évasif.
Oh je ne préfère pas en parler… Et puis de toute façon nous ne sommes pas là pour ça ; nous
Erdowel s'empressa ensuite de lui détailler les différents éléments de son dossier qui
permettaient de dire que son pronostic était plutôt bon, que l'activation du gène serait certainement
tardive. Puis il glissa sur l'éventualité d'une sortie du centre avec les mêmes conditions que celles
énoncées par Meydân la veille. En entendant ces mêmes explications, Eyrin eut envie de
l'interrompre, de lui dire qu'il n'était pas la peine de lui proposer de solution. Sa réponse resterait la
même : non. Il ne sortirait pas d'ici tant qu'aucune étude ne serait reprise pour tenter de sauver les
(…) mais en attendant il faudra que tu prennes ceci, poursuivait toujours le médecin en se
Il sortit alors une longue boîte blanche rectangulaire qu'il lui tendit avec fierté.
Qu'est-ce que c’est ? demanda Eyrin perplexe en ouvrant la boîte et en y découvrant une
Un traitement-test que nous n'avons pas eu l'occasion de lancer au vu des coûts engendrés
garantir ses résultats mais il sera toujours plus efficace que ceux que nous délivrons aux
Sur ces mots, Eyrin eut envie de jeter la boîte par la fenêtre puis d'entamer de nouveau le
Non c'est sûr… (« alors que des millions d'autres, oui », pensa Eyrin très fort).
Je te ferai parvenir dès ce soir le traitement stérilisant que tu pourras prendre en même temps
que celui-là, expliqua-t-il en pointant du doigt le pilulier. Une gélule matin et soir pour
chaque traitement. Normalement tu auras tout ce qu'il te faut pour une semaine et je ferai en
sorte que ta dotation soit renouvelée hebdomadairement si tu n'es pas sorti d'ici-là.
Bon et bien je repasserai te voir plus tard. Si tu as la moindre question, tu peux solliciter mes
curateurs. Mais sache que je me rendrai disponible dès que possible pour toi.
D'accord, dit Eyrin en regardant le médecin se diriger vers la porte de sortie de sa chambre.
Une dernière chose, tilta Erdowel. Je te demanderai bien évidemment de ne pas sortir d'ici.
Il ne faudrait pas que tu rencontres du monde dans l'Expéria qui viendrait à remarquer ton
Cela va de soit…
Le médecin acquiesça son propos d'un signe de tête et disparut derrière la porte. Durant les
quelques secondes qui suivirent, Eyrin resta planté au milieu de sa chambre, pilulier en main. La
colère vint ensuite fendre son visage, crisper ses mains et lui imposa finalement de jeter violemment
POURRIS ! Tous pourris ! … dit-il le dos voûté, les poings serrés, la mâchoire crispée.
Sa respiration était saccadée, sa haine plus forte encore que ce qu'il avait connu jusqu'alors.
Il n'arrivait pas à réaliser qu'un médecin cautionne une pareille décision, cela relevait quasiment de
l’irréel.
pantin !!
Puis il attrapa un verre de son petit déjeuner qui traînait sur la table et leva son bras en
part. S'il avait pris la décision de feinter la coopération, il fallait qu'il la tienne et ce jusqu’au bout.
De toute façon, il n'avait pas le choix. Son opposition aux décisions aurait eu des conséquences plus
pénibles encore. Connaissant son père, ce dernier aurait été capable de lui affecter un curateur en
surveillance pour ses prises de traitements. Mieux encore, il se serait assuré de recruter le plus
moralisateur de tous pour qu'il puisse lui rappeler sans cesse qu'il n'avait pas à se plaindre, qu'il était
chanceux contrairement aux autres. Eyrin reposa donc son verre sur la table, ramassa le pilulier
miraculeusement intact et s'en alla s'asseoir sur son lit. Bras croisés sous sa tête, il regarda dans un
Après une bonne heure à passer d'endroits en endroits sans but précis, il s'arrêta devant sa
Ses yeux se baladèrent d'abord dans les différents recoins du centre puis se détournèrent vers
monde… » pensa-t-il. Il regarda ensuite de nouveau les patients-testeurs circulant dans le dôme,
discutant les uns avec les autres avant de se tourner une fois encore vers sa porte de chambre avec
envie…
salle de bain. De là, il activa le puissant jet d'eau de sa douche et retraversa la pièce dans toute sa
Puis il la déverrouilla, passa la tête dans l'ouverture de porte et regarda de gauche à droite
avec prudence : pour l'instant, il n'y avait personne. Il continua donc son chemin dans le petit
couloir d'accès en priant pour que personne ne vienne débarrasser son petit-déjeuner à ce moment
précis.
À l'intersection de son couloir et de l'allée principale de l'aile Ouest, Eyrin tendit l'oreille. Il
n'y avait à priori personne de ce côté du bâtiment, ce qui n'avait rien de surprenant puisqu'il avait
été installé dans l'aile de renfort du centre, pour le moment inexploitée. Il continua donc sa
déambulation dans l'allée, tout en restant sur ses gardes, jusqu'à arriver devant les ascenseurs. Il
hésita d'abord à en emprunter un mais finalement se ravisa ; le risque de croiser un soignant était
Chaque bâtiment LEXO étant configuré de la même façon, Eyrin n'eut aucun mal à trouver
une solution bien plus sécurisante. Il contourna donc les ascenseurs et tomba sur ce à quoi il
s’attendait : un escalier de secours qu'il emprunta sans plus attendre. Quand il arriva en bas de la
longue cage d'escalier, il se retrouva face à une porte « standard ». Cette dernière étant destinée à
l'urgence, elle n'était pas automatique, ne comportait aucune glissière électronique. Il s'agissait
d'une simple porte battante qu'Eyrin poussa lentement afin d'y glisser un premier coup d’œil
curieux.
repoussa donc une seconde fois la porte, d'un petit centimètre cette fois, et écouta-observa avec
Je lui dirai que tu veux le voir dès que je le croiserai mais je ne préfère pas m'engager.
Eyrin grimaça. Il était encore témoin de l'une des nombreuses injustices du système.
Je sais qu'il doit être occupé mais je ne demanderai pas à le voir si l'un de vous me donnait
Si nous ne t'en donnons pas c'est que nous n'en n'avons pas non plus, lui précisa-t-elle avant
de commencer à reculer. Mais dès que ce sera le cas, tu peux être sûr que nous te
contacterons.
Puis la soignante s'excusa et entra dans l'un des ascenseurs de service avant de fuir dans les
étages, laissant le jeune homme seul au milieu du hall central. Abasourdi, il resta un instant figé, le
regard vide. Puis il inspira et expira bruyamment avant de sortir du centre de soins continus.
Le cœur d'Eyrin battait la chamade. Même si cela semblait évident, il n'avait encore jamais
pensé aux autres patients-testeurs gravitant autour de Silhaée. Il brûlait donc d'envie de savoir qui
était cet homme par rapport à elle. Tiraillé entre la consigne qui lui avait été donnée de rester caché
et l'envie d'en apprendre davantage, Eyrin hésita… Pendant de longues secondes… Secondes durant
Après avoir vu deux curateurs passer dans le hall, Eyrin poussa la porte battante d'un geste
vif et s'élança droit devant lui, traversant le hall en largeur avant de franchir les portes de sortie sans
oser se retourner. De là, il regarda Brenn marcher d'un pas lent entre les résidences et se mit à le
suivre en conservant quelques mètres de distance entre eux. Il croisa également d'autres patients-
testeurs qui l'observèrent sans grand intérêt. Des nouveaux visages dans l'Expéria, il y en avait
régulièrement, rien de très étonnant. En sentant la confiance monter en lui, Eyrin s'approcha encore
bâtisses.
Seulement, à force de le suivre comme son ombre, Brenn finit par sentir une présence dans
son dos qui l'incita à se retourner furtivement. Il prit alors le jeune homme en flagrant délit de
filature. Le hasard voulut qu'à cet instant précis, personne d'autres que lui ne se trouvait aussi près
La tête d'Eyrin ne lui disait rien et son air ahuri ne pouvait être lié qu'à une nouvelle
intégration.
Ça peut arriver t'inquiètes, tenta de le rassurer Brenn devant le mutisme complet du jeune
répondre, se contentant de rester aussi silencieux qu'immobile. Brenn le regarda alors de haut en bas
puis se retourna, haussa les épaules et reprit son chemin comme si de rien était.
Brenn s'arrêta net. Eyrin sentit alors son cœur frapper brutalement dans sa poitrine dès lors
qu'il le vit se retourner de nouveau vers lui, scruter scrupuleusement le périmètre autour d'eux puis
Eyrin ne se fit pas prier et se mit instantanément à marcher dans ses pas, prenant la direction
de l'allée de résidences « R ».
Mise au point
Lorsque Meydân arriva au quatrième étage des locaux LEXO, elle rejoignit un couloir au
bout duquel trônait une gigantesque porte capitonnée, seul accès vers la plus grande salle de réunion
du groupe. En y entrant, elle y découvrit une assemblée exceptionnelle, déjà installée, qui
n'attendait plus qu’elle : Jodd Altwood, Jack Erdowel et deux autres personnes, un homme et une
femme qu'elle ne connaissait pas, occupaient toute une longueur d'une grande table rectangulaire.
De l'autre côté, étaient alignés de la même façon les chefs de projet des différentes sections : Paolo
Meydân s'excusa donc sans plus tarder pour l'attente et s'installa en hâte sur son fauteuil
avant de lever la tête en direction du bout de table où son père attendait avec une impatience non
Bien, dit enfin Atân en se levant de son siège. Mes amis, l'heure est grave. Comme vous le
savez tous déjà, nous sommes confrontés depuis bientôt vingt-quatre heures à un événement
Où en sont vos recherches Atân ? lança Jodd Alwood manifestement agacé par l'introduction
du propos.
Nos équipes font le nécessaire pour regrouper tous les éléments qui nous permettront de
comprendre ce qu'il s'est passé, se justifia-t-il. Seulement tout cela prend du temps. Le
Ce dernier appartenait au binôme que Meydân ne connaissait pas. À en juger par les traits
finement marqués de son visage, il devait être âgé d'une cinquantaine d'années. Ses cheveux courts
gris métallisé accompagnaient une fine barbe assortie. Ses yeux bleu violine et son teint pâle
couvert de micro-taches de rousseur lui offraient un certain charme qui ne laissait personne
indifférent.
Je ne dis pas le contraire Lenny, répondit Atân piqué au vif. Je rappelle simplement que mes
équipes font ce qu'elles peuvent pour nous apporter des réponses précises.
N'est-ce pas incompatible avec le problème actuel ? souleva Paolo. Il serait peut-être mal
réapparaître ? Imaginez qu'elle sache qu'on ait voulu l'éliminer et qu'elle fasse le lien entre
elle et le vaccin. Si la population venait à apprendre toute cette histoire, nous pourrions
Tout comme l'homme à ses côtés, il était difficile de lui donner un âge ; une quarantaine
d'années, peut-être plus. Sa peau chocolat camouflait toutes ridules et imperfections du temps, lui
offrant ainsi un visage aussi lisse et doux qu'une poupée de porcelaine. Ses cheveux étaient si noirs
qu'ils brillaient sous l'éclairage artificiel et ses iris, si sombres également, qu'ils se confondaient
La campagne de vaccination a attendu des années, elle peut attendre encore quelques jours,
Mais que faire d'autres pour cela ?! dit Lilia à priori catastrophée par la situation. Tous nos
Voyons plus grand, proposa Erdowel jusqu'alors silencieux. Poussons les recherches en
Je pense par exemple à des battues d'investigations dans les villes les plus proches.
Nous ne pouvons décemment pas entrer chez les gens comme ça… fit remarquer Atân. Il
Trouvez n'importe quel motif pour appliquer cela, imposa Jodd Altwood. Il est inadmissible
qu'une erreur de LEXO retarde l'instauration d'un vaccin qui sauvera la planète. Il en va de
que la santé des patients-testeurs commence à décliner, vous en payerez les conséquences...
traitements-test à faible coût a été approuvée par vos soins M. Altwood. Vous étiez d'accord
pour le transfert de budget des porteurs défaillants vers les porteurs sains. Dès lors que nous
vous faisions parvenir nos rapports sur la stabilité des biomolécules créées par Meydân et
Mais ce plan ne prenait pas en compte la libération du sujet expérimental UJI… répondit
Jodd Altwood.
Bien évidemment qu'il ne… Attendez, il ne s'agit pas d'une « libération » mais d'un
kidnapping, le reprit Atân. Vous n'oseriez quand même pas insinuer qu'il s'agissait là d'un
Un silence pesant se fit alors sentir sur toute l'assemblée puis des regards emplis de gêne se
croisèrent.
responsabilité de cet événement, aussi désagréable soit-il. Il nous faut être unis pour mener à
bien cet immense projet qu'est la vaccination de l'anti ERR-6. Je propose donc que nous
nous chargions des deux problèmes de façon simultanée. Déployons d'un côté des équipes
lançons la fabrication des vaccins, préparons les plannings d'appels des civils et créons les
postes d'injections. Quand tout cela sera fait, nous n'aurons plus qu'à appliquer les décisions
comme elles avaient été fixées et tout rentrera enfin dans l'ordre.
constituèrent ensuite ensemble les différents plans d'attaques à mener. La réunion dura en tout trois
heures, trois heures durant lesquelles Meydân ne dit pas un mot. Elle se contenta à plusieurs reprises
de hocher positivement la tête dès que l'un d'eux suggérait quelque chose... Mais elle n'avait pas la
force de faire mieux. Tout ceci la scandalisait, la dégouttait même. Le temps de l'ignorance et des
yeux clos était terminé pour sa part. Elle ne pouvait plus se résoudre à accepter toutes les décisions
prises par ces hommes et femmes se présentant comme les sauveurs du monde de demain. Elle
l'avait fait pendant plusieurs années, elle avait tout accepté, tout façonné pour mener à bien les
grandes idées de son père et de ses acolytes. Mais aujourd'hui les choses avaient changé : Atân avait
trahi sa parole vis-à-vis de la survie de Silhaée, Eyrin l'avait poussé à exploser son capital
conscience en s'indignant des comportements inhumains de LEXO et enfin des millions de patients-
Elle signa alors tous les documents récapitulatifs de leurs futures actions et se leva de son
fauteuil comme tous ses autres compères présents autour de la table. La réunion était désormais
terminée ; chacun allait reprendre ses activités principales en intégrant à leurs agendas les nouvelles
celle de Jodd Altwood qu'il ne remercia pas d'être venu comme il l'aurait fait habituellement) puis il
Meydân ? dit-il à l'intention de sa fille qui s'apprêtait à fermer la marche derrière ses
Cette dernière laissa alors la porte se refermer devant elle et revint sur ses pas en expirant
discrètement son ras-le-bol. Puis elle se réinstalla dans son siège comme son père l'avait fait
précédemment et attendit, bras croisés, qu'il daigne bien retrouver l'usage de la parole :
Meydân le regarda sans comprendre, lui faisant sous-entendre par un haussement de sourcil
C'est tout ce que tu avais à dire pour une réunion aussi cruciale que celle-là ? dit-il pour
Il n'y avait rien à ajouter, répondit-elle sans fournir le moindre effort. Tout a été dit.
Son père l'observa avec insistance pendant une longue minute, s'efforçant de lire dans son
Qu'est-ce que tu me caches ? lui demanda-t-il son regard fondant dans le sien.
Dressée dans son fauteuil, Meydân hocha horizontalement la tête avant d'écraser de nouveau
Est-ce que tu te souviens de nos vacances à Rio ? lui demanda alors son père. Tu avais à
Eyrin était encore très énergique à l'époque, il te suivait partout… Où que tu ailles, quoi que
Ta mère et moi nous te pensions suffisamment responsable à l'époque et nous t'avions confié
Dans un camp de vacances, vous ne risquiez rien après tout. Et c'est alors que tu avais
décidé avec ta bande de copains de sortir du camp, d'aller explorer les environs. Mais
comment pouvais-tu faire avec un petit frère de cinq ans dans les pattes ? Il risquait de tout
Meydân était de nouveau droite comme un « i », les poings serrés posés sur la grande table
face à elle.
Tu avais alors eu la bonne idée de le laisser seul dans le camp de vacances en imaginant que
les maîtres-nageurs autour de la piscine seraient de parfaits baby-sitters pour lui, poursuivit
Atân. Mais c'était sans compter sur l'énergie et l'entêtement d'Eyrin, bien décidé à te suivre
Quand nous étions allés signaler sa disparition au commissariat, c'est ce que tu avais
Tu as dû dire ça pendant… une bonne heure disons, avant de craquer et d'avouer ta bêtise.
Ça a tout à voir, rétorqua Atân. Tu as beau avoir quinze ans de plus aujourd'hui, je
reconnaîtrai entre mille cette expression sur ton visage… Celle du mensonge, du regret…
Ça suffit.
La jeune femme venait de se lever de son siège, manifestement retournée par la colère.
Ce n'est pas parce qu'on t'a accusé à tort d'être responsable de la disparition de Silhaée Uji
d'accord avec l'avis de la commission d'éthique sur sa suppression, mais je ne serai jamais
allée contre les décisions de LEXO. Je n'ai rien à voir avec ça, ça ne me ressemble pas et tu
le sais.
Atân la regarda silencieusement sans faillir jusqu'à ce qu'un sourire en demi-teinte se dessine
… Mais si j’apprenais un jour que tu m'avais menti pour tes propres intérêts, je ne
t'accorderais aucun privilège. Et crois-moi, tes déboires devant la justice auraient des
conséquences bien plus lourdes qu'un simple interrogatoire d'intimidation adressé à une
Puis sur ces mots, il se leva de son fauteuil, contourna la table et sortit de la salle de réunion
sans un regard pour sa fille, restée silencieuse au milieu de cette gigantesque pièce vide.
Nouveaux alliés
Brenn déverrouilla la porte de sa résidence et y entra sans plus tarder avant de faire signe à
Eyrin de le suivre. Ce dernier s'exécuta en refermant la porte derrière lui. En comprenant qu'ils
étaient seuls entre ces quatre murs, un sentiment d'appréhension le saisit à la gorge.
Je… hésita-t-il.
Qui es-tu ? lui demanda enfin Brenn sans rien laisser transparaître.
Puis il s'affala dans l'un des canapés sans inviter le jeune homme à en faire de même.
suis un patient-testeur au même titre que vous, mais qui travaillait auparavant pour LEXO,
c'est vrai.
Je t'ai entendu dans le hall du centre de soins continus. Tu demandais des nouvelles de
Oui…
Sur ces mots, le jeune homme bondit de son canapé et s'élança sur Eyrin, le saisissant
Brenn serra alors le poing comme s'il s'agissait d'une victoire. Eyrin lui adressa en retour un
sourire compatissant avant de s'approcher plus encore comme pour intimer la conversation :
Installe-toi, l'invita-t-il en lui indiquant les fauteuils de la pièce de vie. J'en ai pour deux
minutes.
Puis il quitta la résidence au pas de course, laissant Eyrin seul et perplexe face aux intentions
de son hôte.
Une curatrice du centre de soins continus toqua et entra dans la chambre particulière d'Eyrin
afin d'y récupérer son petit-déjeuner. En passant la porte, elle y trouva son plateau terminé déposé
Elle n'eut comme unique réponse que le ruissellement continu du jet d'eau dans la douche.
Elle savait par expérience que les patients-testeurs entrants dans l'Expéria n'étaient pas
tellement bavards. Elle imagina donc sans mal que sa situation de « fils de » devait être bien plus
complexe à appréhender et préféra en conséquence ne pas insister davantage. Elle retourna alors à
son travail après avoir passé un rapide coup de lingette désinfectante sur la petite table.
Comme convenu, Brenn revint à sa résidence quelques minutes après son départ,
accompagné de Rix et Gaële. Il lui avait semblé important que les co-résidents et amis de Silhaée
soient présents pour recevoir les informations de leur invité de luxe. Chacun d'eux s'était d'abord
présenté en bonne et due forme avant de décrire leurs arrivées dans l'Expéria et dans le cas d'Eyrin
Dis-nous ce que tu sais pour Silha, lui demanda Brenn impatient. Son intervention s'est bien
passée ?
Disons que je suis vraiment confus face à toutes les décisions prises par LEXO et je vous
demanderai de me laisser raconter ce qu'il s'est passé jusqu'au bout afin d'éviter les
confusions.
moelle de Silhaée. Ils prirent alors connaissance avec effarement de la décision de LEXO : sa mort
provoquée dès validation des résultats du prélèvement. Cette annonce fit bondir Brenn comme
jamais. Ils comprirent que pendant des années, la survie « extraordinaire » de leur amie n'était qu'un
terrible mensonge, un parfait complot étudié avec finesse dans l'espoir qu'un jour ils puissent se
servir d'elle. Rix en était révolté, Brenn retourné et Gaële ne trouvait plus les mots pour exprimer sa
colère. Eyrin enchaîna ensuite avec le rôle de sa sœur au sein de LEXO. Il expliqua ce que le ras-le-
bol de cette dernière, couplé à son indignation, avaient provoqué. Il décrivit les trois phases qu'ils
avaient échafaudées et situa le rôle de chacun de ses collègues ayant pris part à la « rébellion secrète
Puisque personne ne se doutait de rien à ce moment-là, nos deux amis ont réussi à quitter le
parking de LEXO avec elle sans éveiller le moindre soupçon. Ils ont ensuite pris la route en
Et ?
Malheureusement je ne peux pas vous en dire plus parce que j'ai été emmené vers l'Expéria
Il faut relativiser, lui conseilla alors Rix. L'important aujourd'hui c'est de savoir Silha en
sécurité. Qu'on ne sache pas où et avec qui, cela importe peu. Il vaut mieux la savoir en vie
et en sûreté que six pieds sous terre avec pour excuse « une intervention chirurgicale qui a
De toute façon tu n'as pas à t'en faire, le rassura Eyrin. Je suis quasiment sûr d'avoir bientôt
de ses nouvelles.
Tu comptes écrire à tes amis au prochain envoi de courriers ? lui demanda Gaële.
Brenn, Rix et Gaële prirent un air ahuri puis se regardèrent mutuellement avec une
Je sais que tout ceci n'est pas juste, rebondit-il alors. Mais…
passe-droits...
Je le sais ça mais…
Est-ce que tu sais combien de fois j'ai pu prendre ma fille dans mes bras depuis que je suis
Non mais…
Tes conditions d'inclusion au centre devraient être les mêmes que les nôtres, ajouta Brenn en
Brenn et Gaële s'arrêtèrent donc un instant tout en affichant le regard de ceux qui
Merci, dit enfin Eyrin à l'intention de Rix. Je suis désolé si je vous ai blessé mais je ne
pensais pas à mal. Si je vous ai parlé de la visite de Meydân, c'était pour vous faire
comprendre que nous n'étions pas seuls… Je ne voulais en aucun cas vous rendre envieux et
TU n'es pas seul, fit remarquer Brenn. Il s'agit de TA sœur. Nous elle ne nous apportera
rien...
Non c'est faux, répondit-il cette fois irrité plus que désolé. Pour le coup je te trouve injuste
de penser comme ça. Meydân a risqué sa place, voire même bien plus pour empêcher
l'élimination de Silhaée.
Bien sûr, mais sans Mey rien n'aurait été possible. C'est elle qui a retardé la remise des
résultats du vaccin, elle qui s'est procurée les produits pour les perles anesthésiantes dont
nous avons eu besoin pour échapper à la vigilance des soignants. C'est elle aussi qui a dû
Les lèvres pincées de Gaële se détendirent progressivement, tout comme son visage dont les
Malgré tout je ne vais pas vous mentir, termina Eyrin. Meydân est venue me voir hier pour
me dire qu'elle cherchait à me faire sortir d'ici par tous les moyens. Et pour ne rien vous
cacher, elle avait même déjà négocié avec Erdowel les accords préalables. Mais pourquoi
voulait-elle faire ça ? Au-delà de l'amour d'une sœur pour un frère, elle avait aussi
certainement conscience qu'elle ne pourrait pas tout gérer toute seule. Mes collègues…
Amis (se corrigea-t-il) sont de très bons soutiens mais ils ne connaissent pas mon père… Ils
ne savent pas de quoi il est capable et ne peuvent donc pas aider Meydân comme il le
faudrait. Elle a plus que jamais besoin de moi ; pour aider Silhaée, pour veiller sur elle et
enfin pour vous sortir d'ici avant que vos noms et votre situation ne tombent dans l'oubli.
Alors pourquoi es-tu toujours là ? finit par dire Brenn avec méfiance. Si j'avais une sœur qui
pouvait me faire sortir et des motivations comme les tiennes, je n'hésiterais pas une seule
Eyrin esquissa un sourire en demi-teinte et regarda leurs trois visages éprouvés, l'un après
Si demain je devais sortir, je serais condamné à rester cloîtré chez moi, caché de tous,
puisque mon nom figure dorénavant sur les registres d'affectation de l'Expéria. Pas question
alors de croiser qui que ce soit à l'extérieur. Donc contrairement à l'idée que vous pouviez
vous en faire, je suis finalement plus libre dans ce dôme qu'à l'extérieur. D'ici, grâce à ma
suite des choses sans que personne ne se doute de rien. Mais ça, Meydân ne le voit pas
encore. La peur l'aveugle mais je finirai bien par lui faire entendre raison, ça ne m'inquiète
pas.
Le sourire d'Eyrin, jusqu'alors mesuré, se mit finalement à briller de mille feux en percevant
Et… voilà ! s'exclama Meala en tendant les mains en direction d'une porte entrouverte.
Après quelques secondes d'hésitation, Silhaée sortit enfin de la seule chambre de la petite
maison de campagne de Wayen. Elle avait troqué sa casaque jetable et le gros pull de Jayden contre
une tenue prêtée par Meala. Pour la première fois de sa vie, la jeune femme portait un jean (dont la
texture semblait la perturber à la manière dont elle passait ses mains sur ses cuisses), un chemisier
crème à l'encolure aussi large que ses épaules et un gilet sans manche à la coupe asymétrique.
Tu… Tu es… superbe, balbutia Dean dont les joues commençaient à rosir bien malgré lui.
Merci… Merci beaucoup, répondit Silhaée manifestement touchée par leur bienveillance.
T'en ferais tourner des têtes dans cette tenue, lui dit Meala. Si on sortait, je paraîtrais bien
Si on sortait ? répéta-t-elle.
Son manque d'expérience sur les activités de la vie « normale » ne lui permettait pas de
Ben si on allait boire un verre en ville ou si on sortait faire un peu de shopping par exemple,
lui précisa-t-on.
Attendez, les interrompit Silhaée. Qu'on se le dise ; vous ne m'avez pas sorti du dôme pour
m'enfermer des mois voire des années dans un espace de vie cent fois plus petit que le
Meala et Dean furent instantanément pris au dépourvu. Le regard soudainement plus sombre
de leur protégée venait de leur faire réaliser une chose : son désir de vivre était bien plus intense que
Ce dernier venait d'apercevoir par l'une des fenêtres de la maison un véhicule inconnu
Les filles s’exécutèrent sans plus attendre tandis qu'il s'approchait lentement de la porte
d'entrée de la maison.
Et alors que les deux femmes retenaient désormais leurs respirations, le tintement de la
sonnette raisonna à leurs oreilles… Dans les secondes qui suivirent, elles n'entendirent que de brefs
échanges verbaux, assourdis par l'épaisseur des murs. Puis la voix de Dean se fit bien plus audible,
Là ! murmura Meala en indiquant à Silhaée un petit espace entre la tête de lit et le mur du
fond, soit juste ce qu'il fallait pour que la jeune femme puisse s'y glisser discrètement.
Mais avant même qu'elle ait eu le temps de rejoindre l'endroit indiqué, la porte de la
Mlle Hederling ! s'exclama cette dernière soulagée. Vous êtes enfin venue…
Dans ce même temps, Silhaée observa la nouvelle arrivante avec une utile curiosité. Ses
cheveux blonds, presque blancs, aux reflets argentés et cette peau pâle lui rappelèrent sans aucun
doute les traits de celui pour qui elle avait désormais énormément de reconnaissance.
Tu n'as pas de craintes à avoir, je suis de votre côté, dit-elle comme pour tenter de diminuer
Je crois savoir qui vous êtes, l'interrompit Silhaée. La cheffe de projet en recherche clinique,
Meydân sembla quelque peu décontenancée devant l’étalage de son propre curriculum vitae.
Cette dernière avait appris le lien familial qui unissait Meydân et Eyrin grâce aux multiples
Oui Eyrin, répondit Silhaée sans un trémolo dans la voix. J'espère sincèrement pour vous
qu'il va bien.
Les yeux de Meydân s'arrondirent devant le ton impérieux pris par la jeune femme.
Il faut l'excuser Mlle Hederling, elle a cru comme nous que vous aviez quitté le navire… lui
expliqua Meala.
Bien sûr, dit Meydân en affichant une moue indescriptible. Eyrin vient d'être affecté à
l'Expéria, Silhaée est tout aussi en danger qu'elle ne l'était chez LEXO et moi, dans tout ça,
Meydân ! Appelez-moi Meydân ! bondit-elle. C'est terminé les « vous », les « Mlle
Dean et Meala ne surent plus quoi répondre, où poser leurs regards. Silhaée, elle, semblait
Nous n'avons pas seulement sauvé une âme ! dit Meydân en pointant Silhaée du doigt. Nous
sommes en train de porter un projet bien plus grand, bien plus lourd de sens… de
Les yeux de la jeune femme hurlaient son angoisse autant que son envie de se battre, ce qui
Le visage tendu de Meydân se lissa alors progressivement jusqu'à ce que la contrariété cède
sa place au soulagement.
J'en conclue que vous êtes maintenant prêts à entendre ce que je suis venue vous dire ?
rebondit-elle. Parce que j'ai peu de temps devant moi et une quantité importante
conversation.
Puis il s'écarta de l'ouverture de porte et fit signe aux filles de retourner s'installer dans le
séjour.
Meydân leur expliqua dans un premier temps le contenu de la réunion à laquelle elle avait
assisté le matin-même, aux côtés des hauts dirigeants de LEXO et de leur NUPE. Puis elle en vint
Ce qui est sûr en tout cas c'est qu'il va chercher en ce sens, répondit Meydân. Et qu'il est
Non c'est impossible, la contredit-il. Votre plan à Eyrin et toi était indécelable. Vous aviez
pensé à tout.
Et Jayden avait tout bouclé pour qu'on ne retrouve rien : aucune image, aucune donnée,
compléta Meala.
Oui c'est vrai… reconnut la cheffe de projet. Mais l'absence inattendue de mon frère aura
Sur ces mots, elle se redressa et se réinstalla convenablement dans le fauteuil dans lequel
elle s'était enfoncée au fil de la conversation. D'une main délicate, elle saisit ensuite l'un des biscuits
que Dean avait mis à leur disposition et le grignota en deux crocs. Puis elle tamponna du bout du
doigt les quelques miettes éparses qu'elle avait abandonné maladroitement sur la table en verre.
Silhaée pointa du doigt les traces laissées par la pulpe de l'index de Meydân sur le verre de
la table.
Je n'ai pas pris part directement à ton sauvetage, la rassura cette dernière. Je suis restée du
Toi oui mais ce n'est pas le cas de ton frère… fit-elle remarquer. Et si votre père a des doutes
Dans un sens tu as raison, mais même dans le cas où nous retrouverions des empreintes
d'Eyrin, je ne pense pas que l'on puisse faire le lien avec toi… avoua-t-elle. Nous nous
étions fixés pour objectif strict de ne laisser aucune trace de ton passage en dehors de la salle
drap de transport de ton brancard. Ils devaient te glisser dans la bouche d'évacuation sans
Bien sûr, j'entends tout ça, l'interrompit Silhaée. Je sais que vous avez pris toutes les
précautions qu'il fallait prendre. Mais si ton père avait des doutes sur ton implication dans
ma disparition et qu'il venait à faire le lien avec Eyrin, il lancerait peut-être des démarches
de pistage de ses empreintes à lui. Non pas dans le but d'essayer de trouver les miennes
auprès des siennes, mais plutôt dans le but de retracer le listing des pièces où Eyrin a pu
Si ton père songeait à explorer cette piste, termina Silhaée, il ne mettrait malheureusement
pas longtemps à faire le lien entre ma sortie programmée et la présence d'Eyrin à proximité
Le compagnon de Dean se mit soudainement à danser sur la table basse, affichant sur sa tête
cubique le nom de « Jayden ». Sans plus attendre, Dean décrocha et enclencha dans ce même temps
Je n'ai surtout pas eu le choix, dit-elle. Il fallait que je vous transmette les dernières
nouvelles. J'espérais te croiser au réfectoire ce midi pour te parler mais je ne t'y ai pas vu.
« J’ai préféré manger sur le pouce vu mon retard du matin. Mais tu aurais pu descendre au
Transiteur ?»
J'ai préféré éviter. Mon père a de sérieux doutes sur mon implication dans l'enlèvement de
Silhaée et il me l'a fait savoir après la réunion de ce matin. J'ai préféré du coup éviter
d'éveiller davantage les soupçons en venant te rendre visite dans un secteur où je ne mets
« Qu’est-ce que ton père t'a dit exactement ? Et la réunion, qu'est-ce ça a donné ?»
C'est un peu long. Dean, Meala et Silhaée te feront le debrief de notre conversation. Il va
falloir que j'y aille. Ça fait déjà plus d'une heure que je devrais être rentrée chez moi. J'ai
prétexté un mal de ventre pour pouvoir m'éclipser du travail pour la demi-journée restante. Il
« Ça marche. Bonne route alors et surtout pense bien à activer le programme sur ton auto-
traqueur ».
L'auto-traqueur n'était rien d'autre qu'un logiciel GPS intégré dans chaque véhicule, retraçant
Visioconférence.
1
voiture de chacun des collaborateurs du sauvetage de Silhaée, un programme qu'il leur fallait activer
quand ils décidaient de rejoindre la maison de Wayen. Ainsi, l'auto-traqueur enregistrait une route
s'approchant au plus près d'un trajet habituel (type maison-travail) et protégeait informatiquement le
« Bien. Dean, Meala, je serai de retour comme prévu en fin de journée. Disons, d'ici une
heure… Une heure et demie max. Vous pourrez ensuite rentrer chez vous comme nous
l'avions prévu. »
Aller cette fois il faut que j'y aille, annonça Meydân en se levant de son fauteuil. Merci de
Je vais faire mon maximum, dit-elle. Mais sans mon compagnon, je ne vous promets rien.
Elle sortit de sa poche un post-it sur lequel était inscrite la référence de son compagnon,
celle nécessaire à Jayden pour réaliser le Black-Reset dont il lui avait parlé.
Transmettez ça à Jayden. Il est crucial qu'il puisse détruire toutes traces des données vous
Compte sur nous, répondit Dean en récupérant le papier avant de raccompagner la jeune
comme une forme d'appréhension. C'était comme si elle arpentait une pièce nue, plongée dans
l'obscurité la plus totale tout en sachant que l'espace demeurerait complètement vide ; il lui était
impossible d'avancer autrement qu'à petits pas, bras tendus, gorge serrée. Comme si quoi qu'elle en
sache, la crainte déraisonnée d'un obstacle imaginaire sur son passage lui imposait de devoir être en
attendant de voir son fiancé rentrer du travail quand elle tenta de tordre le cou à une angoisse
montante… Elle ne pouvait s'empêcher de ressentir comme une sorte de « mauvais pressentiment »,
Après une petite heure de route, Meydân arriva enfin chez elle. La grande maison était
entourée d'une cour l'encerclant de moitié. La jeune femme s'en alla donc garer sa voiture à l'arrière
de celle-ci, là où deux larges garages accueillaient les véhicules du couple, puis rejoignit l'entrée
secondaire à l'arrière de la maison. Tout en fouillant dans son sac à main, Meydân grimpa un
magnifique escalier extérieur sculpté la conduisant directement sur une belle terrasse ensoleillée.
Elle s'arrêta ensuite devant la porte vitrée d'accès à l'intérieur et leva la tête.
Coucou ma chérie.
La présence inattendue de sa mère, assise sur l'un des fauteuils du salon de jardin de la
Meydân plaqua sa main sur sa poitrine. Son cœur battait la chamade comme jamais.
Je ne l'ai même pas remarqué, j'avais l'esprit ailleurs en arrivant, dit-elle en abandonnant son
Les deux femmes s'étreignirent avant de s'installer de nouveau dans les fauteuils du salon
Oui mais tu admettras que c'est un peu difficile de te joindre depuis qu'on t'a réquisitionné
Café noisette !
Meydân se pencha alors sur la table basse du salon de jardin, posa sa main sur un disque
sombre en son centre et attendit que les contours clignotent pour commander oralement :
Puis elle se réinstalla dans le fond de son fauteuil et laissa un silence un peu étrange
Bon je vais être honnête avec toi, se lança Rosamine. J'ai eu Papa au téléphone tout à l'heure
qui m'a dit que tu étais souffrante. Il avait l'air inquiet pour toi.
Ton père n'a pas besoin de me demander ça Trésor, rétorqua sa mère. Si je suis là c'est que je
le veux bien. Et dès que j'ai su que ma fille n'allait pas bien, je me suis sentie obligée de lui
rendre visite.
Cette réponse n'avait malheureusement rien d'éclairant. Il fallait donc que Meydân trouve un
autre angle d'attaque pour lui permettre d'ôter ce terrible doute qui commençait à la ronger.
ignorait l'heure à laquelle elle avait quitté LEXO, ce qui lui laissait carte blanche sur la narration de
Rosamine sourit timidement avant de poser une main sur le genou de sa fille.
Eyrin me manque à moi aussi… Je n'arrive pas à me faire à son affectation… À réaliser…
Rosamine avait tiré des conclusions par elle-même. Elle associait l'état de sa fille à
l'affectation d'Eyrin dans l'Expéria. L'idée n'avait rien de saugrenue, elle était même plutôt logique
C'est comme s'il était parti en vacances pour le moment… renchérit alors Meydân.
… Comme s'il allait rentrer dans quelques jours… quelques semaines tout au plus…
compléta sa mère.
Au même moment le disque sombre au centre de la table basse émit un léger tintement puis
se fendit en deux pour laisser place à la montée d'un petit plateau de service. Les deux cafés noisette
venaient de leur être servis par le préparateur automatique en cuisine. Meydân saisit alors les tasses,
ôta les couvercles de protection et en tendit une à sa mère qui la saisit d'une main tremblante.
réconforter qui que ce soit au vu de ses actuelles préoccupations. Elle se leva donc à son tour et prit
Sa mère ne répondit rien, ou du moins pas directement. Son visage logé dans le cou de sa
fille, elle sembla murmurer quelque chose du bout des lèvres, comme si elle répétait le début d'un
Le regard de Rosamine était bas, sa bouche pincée. Elle semblait comme tiraillée entre deux
feux.
Mais sa mère n'en fit rien et préféra l'embrasser furtivement avant de disparaître, emportant
avec elle d'éventuels secrets qu'elle n'avait pas sus lui dévoiler.
Box Huit
Le départ de sa chambre privée n'avait pas posé beaucoup de problèmes à Eyrin. Tout n'avait
été qu'une question de timing et de discrétion. Son retour vers le centre de soins continus n'allait en
Si vous ne me revoyez pas demain, n'oubliez pas ce qu'on s'est dit, précisa Eyrin à Brenn,
Ses nouveaux complices approuvèrent une fois encore l'information et le laissèrent partir
seul de leur résidence. Il fallait être discret, limiter les risques de les apercevoir ensemble. Eyrin
retraversa donc avec prudence le dôme en prenant le soin d'adopter une attitude des plus naturelles.
Son pas était décontracté, son regard tranquillisé jusqu'à ce qu'il entre dans le hall du centre de soins
continus et disparaisse furtivement dans les escaliers de secours du bâtiment. Une fois encore il
n'avait croisé personne dans l'entrée, ce qui lui permettait de regagner ses quartiers sans la moindre
inquiétude.
En franchissant enfin la porte de sa chambre, un sourire malicieux barra son visage avant de
Te voilà enfin, dit Erdowel assis sur l'une des chaises de son espace de vie.
Jack… s'exclama Eyrin tout en sentant le sang lui monter aux joues.
Tu as conscience que tu encours de grands risques à transgresser les consignes que nous
t'avons donnée ? Il ne faut pas que tu sortes de cette chambre si tu veux espérer pouvoir
besoin.
pouvais pas sonner pour demander à un curateur de rester avec moi, ça n'aurait eu aucun
sens. Alors j'ai choisi de sortir d'ici pour observer les autres, en me faisant le plus discret
possible sachez-le.
compréhension qu'il transforma en une tape amicale dans le dos du jeune homme.
J'entends tout ça, dit-il. Mais il m'est impossible d'autoriser cette demande. Il faut que tu
comprennes que si qui que ce soit venait à te croiser et remarquait ton absence par la suite à
Oui je le sais, acquiesça Eyrin. Mais comme nous ne savons pas quand ma sortie aura lieu,
ni même si elle aura lieu, je ne me vois pas rester seul ici jusqu'à ce que la maladie s'empare
Ça n'arrivera pas, rassure-toi. Je passais justement à la base pour te dire que les articles de ta
charte de silence étaient en cours de rédaction. Nous vérifierons bientôt l'efficacité de ton
quotidien aux côtés de son père. Mais face à l'amitié fidèle que les deux hommes se vouaient depuis
Bien, clôtura Erdowel. Je suis désolé mais j'ai déjà perdu un bon quart d'heure à te chercher
dans le centre, dix minutes encore à t'attendre dans ta chambre, alors maintenant il faut que
j'y aille.
Nous faisons notre maximum pour toi Eyrin, dit-il avec sincérité. Alors s'il-te-plaît, fais-moi
Le jeune homme afficha une moue embêtée. L'idée d'être limité dans ses déplacements
Est-ce que je pourrai au minimum me promener dans les secteurs du centre de soins
continus ? tenta-t-il de négocier. Les patients-testeurs actifs sont dans un tel état qu'ils ne
Les actifs non, mais leurs visiteurs, les patients-testeurs inactifs, oui, précisa-t-il. En
conséquence, tout ceci me paraît un peu périlleux vois-tu… Et nous avons déjà trop de
Mais les heures de visites sont limitées non ? rebondit Eyrin. Je pourrais peut-être circuler
Erdowel fronça légèrement les sourcils avant de faire rouler ses lèvres l'une sur l'autre.
Écoute je vais tâcher d'y réfléchir mais je ne te promets rien, dit-il. Encore une fois je ne
Je comprends, acquiesça Eyrin. Mais de la même façon, à mon tour, je ne vous promets rien
Je vais tâcher de rester dans cette chambre, comme vous me l'avez demandé, mais sachez
qu'il n'est pas impossible que mes envies l'emportent sur ma raison.
Surpris de ce revers inattendu, Erdowel plongea alors son regard dans celui d'Eyrin et lut en
un instant sa détermination, cette même détermination qu'il avait l'habitude de retrouver dans les
Bien… dit-il.
Puis il quitta enfin la chambre en peinant à masquer les traits du tracas sur son visage.
Atân n'avait pas quitté son bureau depuis le matin, débordant de travail comme un débutant.
Il fallait dire que la multiplicité de ses missions ne lui facilitait pas la tâche.
- Toc Toc -
Maddy… répondit Atân glacial. Vous comptez me déranger comme ça toutes les heures ?
C'est important…
TOUT est systématiquement important avec vous, s'emporta-t-il. Alors maintenant vous
allez me faire le plaisir de trier les problèmes et ne frapper à cette porte que si vous jugez
La jeune femme hocha positivement la tête sans pour autant faire demi-tour.
l’Orateur : Monsieur Altwood attend encore votre rapport définitif sur les accords de
fabrications des vaccins anti ERR-6. Sa secrétaire m'a transmis les différents documents de
lancement des campagnes vaccinales sur l'intégralité des NUPE. De leur côté… ils sont
prêts.
Quoi ?! C'est tout à fait ridicule ! s'emporta-t-il. Je n'ai pas encore obtenu les accords
définitif ?!
Maddy resta silencieuse, le regard bas. Elle le savait ; dans ces moments-là, il ne valait
Répondez-leur que de notre côté, nous ne sommes pas prêts, dit-il sèchement. Et rappelez
également à Jodd Altwood que la fabrication de milliards de doses prend légèrement plus de
Maddy acquiesça l'information d'un signe de tête et disparut de nouveau derrière la porte.
Atân quant à lui se réinstalla convenablement dans le fond de son fauteuil, les coudes solidement
appuyés sur son bureau, avant d'inspirer et d'expirer bruyamment. Puis il reprit le travail sur lequel
Après le départ d'Erdowel, Eyrin s'était allongé quelques instants sur son lit. Épuisé par ses
dernières émotions, il avait fini par s'endormir sans même s'en rendre compte.
La voix fine d'une femme lui fit rouvrir brusquement les yeux. Une curatrice se tenait là,
affaiblie.
19h30…
Je suis désolée mais il faut que vous mangiez. Je n'ai pas osé vous réveiller ce midi mais là
je n'ai plus le choix. Le règlement de l'Expéria impose la prise minimum de deux repas par
jour sinon il faudra faire un signalement au médecin. Et comme vous n'avez presque pas
Oui oui je comprends, dit-il en se frottant le visage pour accélérer le processus de réveil.
Merci Mademoiselle.
La jeune femme lui sourit puis repartit en direction de la porte de chambre avant de se
Ah oui et je vous ai déposé ceci, dit-elle en lui indiquant un paquet rectangulaire déposé sur
une chaise.
Une tenue de curateur de la part du Docteur Erdowel. Vous avez son autorisation pour
circuler avec dans les couloirs du centre de soins continus entre minuit et quatre heures du
matin uniquement.
Sur ces mots, les yeux noirs d'Eyrin s'arrondirent. Le médecin avait entendu sa demande et
répondu en partie à cette dernière. Bien entendu il ne l'autorisait pas à quitter sa chambre au grès de
ses envies, mais il lui offrait une brèche non négligeable qui lui permettrait peut-être de continuer
Il m'a dit que vous auriez cette réaction et qu'il vous demandait de respecter vos
La curatrice lui adressa alors un sourire satisfait avant de quitter la pièce en silence. Et ce
n'est que lorsque la porte se referma complètement qu'Eyrin bondit de joie sans plus aucune retenue.
Quand minuit arriva, Eyrin revêtit comme prévu sa tenue de curateur et sortit de sa chambre
avec précaution avant de se souvenir qu'il n'avait pas de raison de se comporter de cette façon grâce
à son accoutrement. Il marcha alors d'un pas plus sûr dans les différents couloirs du centre, croisant
à plusieurs reprises les curateurs de nuit qui semblaient avoir tous été informés de cette situation des
plus particulières. Assez hasardeusement, il entra donc dans les îlots des différents pôles du centre
de soins continus, se baladant d'espace en espace sans réellement s'arrêter quelque part.
Officiellement, sa demande de sortie n'était motivée que par un seul désir : « celui de voir du monde
». Il fallait donc qu'il se fasse voir pour être crédible, que son comportement soit en parfaite
Bonsoir, dit un curateur alors qu'il franchissait de nouveau la porte d'un énième îlot de
surveillance.
Vous pouvez entrer, l'invita une autre curatrice en lui indiquant un fauteuil près d'elle.
Cette dernière semblait se montrer plutôt sympathique avec lui tandis que les autres
oscillaient entre une parfaite neutralité et un comportement flirtant avec l'amertume. Il fallait dire
que tous étaient au courant de sa position de « fils du grand patron ». Ils avaient donc une idée bien
précise de l'origine de ses passe-droits et savaient également que sa sortie était envisageable,
envisagée voire imminente ; détail qui n'avait de cesse d'amplifier l'injustice et l’écœurement chez
les autres.
Puis la curatrice tapota à plusieurs reprises sur ses écrans de contrôles afin d'enregistrer les
Elle était la première à le tutoyer, la première à engager un départ de conversation avec lui.
Ne te méprends pas ; je n'ai pas le béguin pour toi, ajouta-t-elle en souriant de toutes ses
dents.
Je suis simplement une ancienne copine d'école de ta sœur, précisa-t-elle enfin. Quand tu es
entré dans le dôme, Meydân m'a demandé de m'assurer que tout allait bien pour toi. Sauf
que je n'avais pas ta chambre dans mon secteur de surveillance, donc difficile pour moi de
Je comprends mieux…
Tu peux rester ici jusqu'à la fin de ta perm' si tu veux, ta sœur n'en sera que plus rassurée.
La curatrice ne put cependant pas s'attarder sur leur conversation car son travail lui
demandait une extrême concentration. De plus, un second curateur (dit « détaché ») venait toutes les
demi-heures s'assurer que sa collègue n'avait besoin de rien. Difficile en conséquence d'entretenir
une réelle conversation. Eyrin décida donc de s'occuper comme il le pouvait. Il commença d'abord
par griffonner sur une feuille de papier sans but précis puis il posa des calculs, toujours sans la
scrutant les scopes avec attention, regardant la curatrice enregistrer les données les unes après les
Je peux me dégourdir un peu les jambes ? finit-il par demander en pointant du doigt les
Oui mais ne fait pas de bruit, ils ont tous besoin de repos.
Il marcha ensuite autour de l'îlot de surveillance, passant tranquillement devant chaque box.
Sur les dix lits présents, huit étaient occupés. Il y avait tous les sexes, tous les âges. Chaque porte
était habillée par une fiche identitaire numérisée récapitulant les informations du patient, de sa date
de naissance à son « traitement en cours ». Eyrin prit donc le temps de lire chaque pancarte et
d'observer chaque patient-testeur en leur promettant intérieurement qu'il ferait son maximum pour
En s'arrêtant sur le dernier lit, sa réaction fut cependant très différente. Comme pour les
autres, Eyrin lut la pancarte présente sur la porte avant d'observer le visage de la patiente endormie.
Eyrin jeta alors un second coup d’œil sur la pancarte identitaire, puis sur la cellule de soins
Est-ce que je peux entrer dans cette pièce ? demanda-t-il en pointant le box convoité.
Hum… Et bien… Je suis désolée mais comme il faut que tu limites tes apparitions auprès
des patients-testeurs…
ma présence… rétorqua-t-il. Et je ne serai pas long… Je veux juste vérifier quelque chose,
Eyrin hocha la tête positivement puis trottina dans la direction opposée. Il entra alors à pas
de velours dans la cellule de soins et s'approcha de la même façon de la capsule dans laquelle une
jeune femme avait été installée. Une veilleuse bleutée éclairait le visage figé de cette dernière,
caressant ses traits fins avec douceur. Il n'en fallut pas plus à Eyrin pour reconnaître sans mal celle
qu'il avait côtoyée pendant tant d'années. La bouche grande ouverte, il resta immobile devant la
ressortir.
surveillance.
Je connais cette personne dans le box numéro huit. Il s'agit de Torana Filenn. Et il est écrit
Cette fille est une amie à moi, une amie de longue date, expliqua Eyrin. Et le nom sur la
Je regrette mais il ne semble pas y avoir d'erreur, rétorqua la curatrice en tournant son écran
Il vit alors défiler le dossier de la patiente-testeuse sur lequel était affichée la photo de la
Je suis désolée mais il est impossible qu'il s'agisse d'une erreur. Tu l'as vécu toi-même à
l'entrée dans l’Expéria : nous réalisons de multiples contrôles identitaires très stricts. Alors
même si ça te paraît impensable, c'est sans doute toi qui fais erreur.
Eyrin ne répondit rien. Il observa encore un instant le dossier sur l'écran de contrôle puis se
leva de son fauteuil. L'air incompris, il marcha en direction du box huit et s'arrêta devant ce dernier.
Il regarda alors encore une fois le visage endormi de la patiente-testeuse, puis la pancarte identitaire
de sa porte et hocha négativement la tête. Non c'était impossible qu'il fasse erreur. Il était sûr de lui :
la personne allongée dans cette capsule, cette même personne avec qui il avait passé la majeure
partie de son enfance, était ici dans l'Expéria, référencée sous une autre identité. Son amie de
toujours, la jeune femme qu'il avait vu grandir au même titre qu'un membre de sa famille, était
entrée ici sans qu'il n'en sache rien. Et la raison n'était pas difficile à deviner ; Torana Filenn avait
« Téziri Dalone ».
Les Outsiders
Silhaée était accoudée sur le rebord d'une fenêtre et observait un soleil de feu se coucher
derrière les collines dressées face à la maison de campagne de Wayen. Elle ne se lassait pas de
sentir les derniers rayons du jour réchauffer son visage. Elle en avait tellement rêvé, elle avait si
souvent tenté d'imaginer ces instants que les vivre aujourd'hui lui semblait relever du domaine de
l'irréel.
C'est magnifique n'est-ce pas ? dit soudainement Jayden en sortant de la salle de bain, une
Il était en train de nouer sur sa tête sa chevelure brun violine, dégageant le reste de son crâne
rasé et étirant encore un peu plus ses yeux déjà à demi bridés.
C'est… indescriptible, répondit Silhaée émue. Je n'arrive pas à croire ce que je vois…
Jayden arriva jusqu'à la jeune femme et posa à son tour ses coudes sur le rebord de la fenêtre
Quand je pense qu'il y a à peine deux jours, j'étais encore enfermée dans l'Expéria… ajouta-
t-elle.
abasourdi.
Depuis sa sortie de LEXO, Silhaée avait pu poser de très nombreuses questions dont la base
UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 69
principale fut « Pourquoi ».
« Pourquoi… »
Jayden et les autres n'avaient pas eu toutes les réponses mais ils avaient pris le temps de lui
J'ai été un cobaye pendant vingt-et-un ans… ajouta Silhaée. J'ai été leur chose, leur
Tu t'en sortiras, la coupa Jayden. Ça te prendra du temps, de l'énergie mais un jour tu leur
pardonneras. Tu leur pardonneras parce que tu réaliseras que ta séquestration a sauvé la vie
de milliards d'êtres humains. Et tu leur pardonneras parce que tu te seras élevée au-dessus de
tout ça, au-dessus de LEXO et de leurs méthodes plus que douteuses. Les conséquences
positives de leurs mauvais choix seront tellement plus grandes qu'elles surpasseront leurs
Silhaée détourna son regard du soleil couchant pour adresser un sourire tendre à Jayden. Elle
regarda cet homme qu'elle ne connaissait pas vraiment et se perdit un instant dans son regard.
De le revoir ?
Wayen.
La simple évocation du nom de son frère fit monter instantanément les larmes aux yeux de
Jayden.
Tu lui ressembles tellement, poursuivit-elle. Les traits de ton visage… Tes attitudes… Et
partagions la même mission de relayeurs. À l'époque j'étais encore une adolescente et lui un
jeune adulte réfléchi. Brenn, l'ami dont je t'ai parlé, était dans une mauvaise passe à ce
moment-là. Le moral n'était pas bon… Wayen a su trouver les mots pour l'aider, pour
m'aider à l'aider.
Comme toi, lui renvoya-t-elle. Tu as un grand cœur et je le vois. Sans toi, ta détermination,
ton envie d'aider ton prochain, je n'en serai pas là… Je ne serai plus là…
Je te remercie pour tous ces compliments. Ils me vont droit au cœur. En revanche, en ce qui
concerne ta survie, je ne suis qu'un pion dans toute cette histoire. Eyrin est celui qui est à
J'ai bien conscience de ça, dit-elle. D'ailleurs je voulais te parler de lui. Meala et Dean n'ont
pas tellement été capables de m'en parler au-delà de l'organisation de mon sauvetage. Ils
m'ont dit qu'il était déterminé à me sortir de l'Expéria, qu'il ne voyait plus que part ça ces
derniers temps.
Puis il fit signe à Silhaée de le suivre et se dirigea vers la cuisine en poursuivant ses
explications.
Silhaée acquiesça d'un signe de tête et s'installa sur l'une des chaises de la cuisine.
Tu connais maintenant les intentions de son père et jusqu'où il est prêt à aller pour la gloire,
continua-t-il. Dis-toi donc qu'Eyrin, lui, ne jure que par l'inverse de tout ça. Il a peut-être
suivi un parcours scolaire exemplaire, visant à rejoindre son père et sa sœur dans les grands
projets du groupe. Mais au fond, il n'avait envie que d'une chose : donner un sens à sa vie.
la voir pour l'entretien pré-interventionnel. Il était si fébrile quand il avait recueilli ses informations.
Elle avait au départ pensé à de la timidité, mais elle ignorait à ce moment-là qu'il s'apprêtait à jouer
Oui… Je ne suis même pas sûr à l'heure actuelle qu'il réalise la portée de ses actes… Tout
comme le fait que je ne réalise pas que Silhaée Uji soit ici, dans la cuisine de mon frère…
Un sourire puis un rire leur échappèrent alors que Jayden sortait de quoi faire un bon petit
plat.
J'espère ne pas être obligée de rester ici trop longtemps d'ailleurs… plaça-t-elle.
Je sais que tu meurs d'envie de découvrir le monde extérieur, dit-il. Mais il faut que tu
comprennes que…
Combien de temps vais-je devoir rester ici ? l'interrompit Silhaée en perdant brusquement
son sourire.
Pour le moment je l'ignore… Les choses sont trop instables en l'état actuel....
boire un verre dans un bar ou d'aller me baigner dans l'océan. J'ai vécu vingt-et-un ans sans
J'ai des amis dans l'Expéria, dit-elle. Meala et Dean m'ont parlé des projets de LEXO pour
Non tu te trompes. Elle fait tout ce qu'elle peut pour sortir Eyrin mais elle ne pourra rien
faire de plus pour les autres. Il faut en avoir conscience, il faut que tu en aies conscience.
LEXO abandonnera les recherches sur ses patients-testeurs et les laissera mourir dans
Jayden se mordilla nerveusement la lèvre, ne sachant quoi répondre à des propos qu'il jugea
plutôt réalistes.
Je sais que tu ne fais pas parti de ces gens qui pensent qu'ils continueront à les traiter,
renchérit-elle. Ce n'est pas moi qui vais te l’apprendre ; à cause du coût engendré par la
vaccination, ils n'ont plus l'argent, ils ne feront plus rien pour eux… Et le pire dans tout ça,
c'est qu'ils ne laisseront même pas ces pauvres gens rentrer chez eux pour autant…
Bien sûr que si ; jamais ils ne prendront le risque de les laisser sortir et de voir s'accoupler
des porteurs défaillants du gène ERR-6 avec de nouveaux vaccinés. Les répercutions
seraient trop incertaines et ils ne veulent plus de scandale… Non, ils ne prendront jamais un
tel risque et tu le sais. Vous en avez tous conscience, vous me l'avez tous fait comprendre.
L'odeur émanant du four préchauffé rappela à Jayden qu'il était temps de s'occuper du repas.
Il commença alors à préparer le tout en prenant quelques minutes pour réfléchir aux propos de
Silhaée.
… Et qu'est-ce que tu comptes faire en sortant d’ici ? lui demanda-t-il finalement. Parce que
si tu penses qu'un simple coup de poing sur le bureau d'Atân Hederling suffira à faire
changer les choses, tu fais erreur. Tu retourneras illico dans l'Expéria où ils te feront chanter
de toutes les manières jusqu'à ce que tu craches les noms de ceux qui t'ont fait sortir du
dôme. Puis après tu verras tes amis mourir un par un du gène ERR-6 avant d'être toi-même
placées et n'hésitera pas à nous envoyer derrière les barreaux, qu'il s'agisse de Meala, Dean,
Tony ou moi… Même Meydân, sa propre fille… Cet homme est sans pitié.
S'il faut faire le sacrifice de ma propre vie pour sauver le peu de temps qu'il reste à des
… Tu ne comptes quand même pas te rendre ? répondit-il estomaqué. Dis-moi que nous
S'il faut que je serve de monnaie d'échange pour laisser ces hommes et femmes regagner
leurs familles, je le ferai. Je le ferai pour eux, pour mes amis Rix et Gaële. Je le ferai pour
Brenn… Et je le ferai pour Eyrin, pour que son plan ait fini par servir à quelque chose.
Le jeune homme semblait quelque peu perturbé par cette annonce. À mi-chemin entre la
compréhension et le désarroi, il finit par enfourner son plat et se laissa retomber lourdement sur
Imagine un instant que Wayen soit encore en vie, là dans ce dôme… dit-elle. Que tu le
saches condamné à finir sa vie entre ces murs car de mauvaises décisions ont été prises par
gâchis… Que ferais-tu ? … Tu resterais là, dans cette maison, parce que « les choses pour le
Jayden resta mutique un instant, regardant la nuit tombée par la seule fenêtre de la cuisine. Il
pesa d'abord le pour et le contre puis se repassa l'un après l'autre les arguments de la jeune femme
Silhaée haussa un sourcil comme pour lui faire comprendre que tout cela manquait
cruellement de précision.
Ça ne se fera pas en deux jours, il faut que tu en aies conscience, dit-il enfin. Mais nous
le sourire du compétiteur, mieux, celui de l’outsider qui s’apprêtait à détrôner magistralement le dit
LEXO.
Affaire de famille
Brenn entra tranquillement dans le centre de soins continus, jeta un coup d’œil à droite puis
à gauche et s'enfonça furtivement dans l'escalier de secours. De là il grimpa les marches quatre à
quatre pour accéder au deuxième étage, puis trottina jusqu'au premier couloir gauche de l'U.R.M.2.
Il jeta ensuite un nouveau coup d’œil autour de lui : aucun curateur ne semblait se trouver dans cette
zone du bâtiment. Rien d'étonnant puisque aucun patient-testeur n'y avait été officiellement installé.
Rassuré, Brenn se tourna vers l'intérieur du couloir et s'en alla toquer discrètement à la seule
porte au bout de ce dernier. Il n'eut à attendre que quelques secondes avant de découvrir le visage
Personne ne t’a vu ? dit Eyrin en verrouillant la porte puis en se retournant brusquement vers
lui.
Parfait !
On s'inquiétait avec Rix et Gaële de ne pas avoir de tes nouvelles et comme tu nous avais dit
Tu as bien fait de venir jusqu'ici, le rassura Eyrin. Très bien fait même.
Il invita ensuite Brenn à s'asseoir sur le canapé et se lança dans la narration des derniers
événements :
Quand je suis revenu de votre résidence l'autre jour, Erdowel était là… dans ma chambre.
Comme tu dis… Il m'a rappelé une nouvelle fois que je n'avais pas le droit de sortir de ma
chambre, tout ça… J'ai essayé d'insister, de négocier, mais je n'ai obtenu qu'un droit de sortie
En guise de réponse, le jeune homme hocha positivement la tête avant de s'asseoir à son
tour.
Bref venons-en au fait, dit-il ensuite. L'un des curateurs m'a dit ce matin que j'allais être
convoqué par Erdowel pour prendre connaissance des clauses de ma charte de silence.
Celle là-même.
Non pas encore, expliqua Eyrin. Pour pouvoir sortir d'ici il faudrait que je combine la prise
Je croyais que ta sœur t'en avait apporté à ton entrée dans l’Expéria ?
Oui c'est vrai, confirma-t-il. Mais ce n'est pas pour autant que j'ai décidé de les prendre. J'ai
Je le sais, répondit Brenn. Et c'est très honorable de ta part mais je ne suis pas sûr que tes
ambitions soient tout à fait réalistes. Tu veux relancer les recherches pour nous les patients-
testeurs condamnés, nous faire sortir de ces murs. Tu veux sauver Silhaée, dénoncer la
grande machination mise en place par LEXO depuis des années. Tout ça depuis ta chambre,
dans l'Expéria…
Je serai toujours plus efficace qu'en dehors, chez mes parents sans aucune marge de
manœuvre. Ici je peux faire chanter n'importe qui, je peux être une menace pour mon père
en faisant pression sur tous ceux qui m'entourent. J'ai tout un panel d'idées qu'il me faut
Eyrin jeta de nouveau un coup d’œil sur le boîtier de verrouillage de la porte. Ce dernier
Quand il verra les résultats de ma dernière prise de sang, Erdowel saura que je n'ai pas avalé
un seul de ces comprimés stérilisants. Je m'attends donc à ce qu'il vienne me demander des
explications. Je lui demanderai alors de me mettre en contact avec mon père dès que
possible en prétextant un problème à régler de toute urgence sans vouloir lui en dire
davantage.
Et ? le relança Brenn.
Je dirai ensuite à mon père que je ne sortirai d'ici que sous deux conditions. La première ; si
la vaccination est un succès, il faudra qu'ils abattent les murs de l'Expéria et de ses antennes
partout dans le monde. Et la seconde ; ils devront poursuivre leurs recherches pour les
patients porteurs défaillants du gène ERR-6. Nous appartenons à un système qui vise l'équité
pensé à l'hypothèse que ton père, ce même homme qui t'as enfermé ici sans scrupule,
pourrait refuser d'exaucer tes souhaits pour ta simple liberté ? Je sais que tu es son fils et
qu'en théorie il serait tout à fait logique qu'il accepte… Mais il s'agit d'Atân Hederling, fils
de Darwin Hederling, tous deux connus comme étant capables des décisions les plus
Je le sais et je me suis posé la question de nombreuses fois, confia-t-il. Mais grâce à Meydân
et ma mère, il est impossible aujourd'hui que les choses tournent aussi mal pour moi. Elles
se battraient pour faire plier mon père, pour me voir sortir d'ici.
Brenn ouvrit la bouche mais n'eut pas le temps de prononcer le moindre mot.
Je sais ce que tu t'apprêtes à dire, poursuivit Eyrin. « Ton père pourrait malgré tout ne pas
céder. Vu la gloire qui l'attend avec la vaccination anti ERR-6, quel serait l'intérêt pour lui de
se soucier du destin des condamnés dont fait partie un fils qui le déteste ?».
Le regard de Brenn s'arrondit tant les propos d'Eyrin étaient proches de ceux auxquels il
avait pensé. Il hocha alors positivement la tête et lui fit signe de terminer.
Et bien si mon père s'entêtait à penser comme ça, s'il refusait mon deal malgré le soutien
Sur ces mots, Eyrin regarda fixement Brenn. C'était comme s'il tentait par la pensée de lui
transmettre son idée, celle qu'il avait en tête depuis le départ, depuis le jour où il avait décidé de
Je lui dirai que celui qui a anéanti l'équilibre de tout son travail pour lui faire passer de
terribles nuits blanches, celui qui a tenté de prendre des risques avec son projet pour n'y
laisser aucune victime, celui qui a sorti Silhaée Uji de l'Expéria… C'est moi.
*
UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 79
Paolo ! interpella Atân depuis le fond d'un couloir du quatrième étage.
Non, rien ne va non, répondit-il tendu. Mais tout va de pair ici donc cela n'a rien d'étonnant.
Que se passe-t-il ?
Les accords de principe concernant la fabrication des vaccins anti ERR-6 ont été réévalués,
réajustés en fonction des derniers rapports de comptes qui sont absolument scandaleux.
Nous savions que les contrôles du prélèvement du sujet expérimental UJI allaient nous
Et comme si cela ne suffisait pas, poursuivit Atân, Altwood me met une pression folle. Il se
Mais rien n'est prêt ! s'exclama Paolo. Il faudra encore un bon moment pour
compter sur la disparition du sujet expérimental UJI… D'ailleurs pour les battues, qu'est-ce
que ça donne ?
Elles ont commencé hier dans les premières villes périphériques de LEXO.
Et pour l’instant ?
Rien, pas le moindre indice, ni témoin, annonça Atân. Quand je dis que rien ne va en ce
C'est sans surprise pour les battues, fit remarquer Paolo. Nous savions qu'il était peu
probable que ses kidnappeurs l'aient caché à proximité d'ici. Et les contrôles caméras alors ?
Nous sommes en attente des images de la vidéosurveillance de la ville mais le maire fait du
notre demande.
difficilement refuser ?
Je n'ai pas besoin de lui pour obtenir une banale bande vidéo… pesta le directeur du bout
des lèvres.
Pour l'amour du ciel Atân ! bondit Paolo. Il faut savoir mettre sa fierté, son orgueil, de côté.
Le groupe n'a jamais été autant déchiré entre succès et détresse. Nous sommes aux portes de
la gloire tant recherchée, à deux doigts de la réussite que nos prédécesseurs ont toujours
visée. Tu ne vas quand même pas tout mettre en péril pour un concours de virilité mal
placé ? Si le sujet expérimental UJI venait à réapparaître, que toute son histoire venait à se
savoir, le tapage serait tel que nous pourrions être obligé de tout stopper.
Paolo le regarda se mordiller la lèvre avec nervosité puis posa une main compatissante sur
son épaule. Trop fier, Atân se dégagea sèchement du geste de son collaborateur et entreprit de
N'en fais pas une affaire personnelle… lui conseilla alors Paolo.
Déjà à quelques mètres de lui, Atân s'arrêta net puis se retourna lentement.
Et de quoi s'agit-il ? répondit-il enfin avec froideur. Mon père a fondé LEXO, c'est lui qui a
termine ce que nous espérons réaliser depuis des années : la survie de l'espèce humaine face
donner les moyens de lutter contre l'ERR-6. Nous avons tout donné ; notre argent, notre
temps, notre famille pour le monde, pour les autres. Alors excuse-moi Paolo mais si ;
En voyant Atân revenir dans ses quartiers, Maddy sa secrétaire, toujours sagement installée
derrière son bureau, inspira une grande bouffée d'air. Ses lèvres s'arrondirent ensuite légèrement
comme pour s'apprêter à prononcer le début d'une phrase. Mais en croisant le regard noir de son
patron, elle s'interrompit brusquement, se contentant dans l'instant de lisser la rondeur de sa bouche
jusqu'à ne plus former qu'un timide sourire. Sans un mot pour elle, Atân passa son badge devant le
lecteur d'accès à son bureau et disparut à l'intérieur telle une tornade. Maddy avait visé juste ; le
moment était mal choisi pour lui transmettre des nouvelles trop contrariantes. Elle remit donc à plus
tard le dernier message qui venait de lui être transmis par le laboratoire ; à savoir les derniers
résultats sanguins de son fils, Eyrin. Elle classa tout ça en sachant qu'il faudrait tôt ou tard l'en
informer. Mais en imaginant son patron face à la nouvelle, la secrétaire fut parcourue d'un intense
frisson... Quelle serait la réaction d'Atân en apprenant que la stérilisation d'Eyrin était un échec, ou
plus exactement en découvrant que ce dernier s'obstinait à refuser les conditions de sortie
exceptionnelle de l’Expéria ? …
Femmes
Silhaée ouvrit un premier placard, puis un second, avant de trouver une boîte de céréales et
une tasse. Elle se servit ensuite un peu de lait végétal et s'en alla s'installer devant les informations
défilant en boucle sur l'écran mural du séjour. Elle était désormais seule en journée dans la maison
de Wayen. Les activités chez LEXO avaient repris à un rythme normal, visant à la fois la constance
du fonctionnement de l'Expéria et de ses antennes mais également la fabrication des futurs vaccins
anti ERR-6. L'allégement des plannings des employés n'avait donc été que de courte durée, le temps
Silhaée s'installa donc comme chaque jour devant la télévision, observant sans discontinuer
les informations en direct. Jayden et Meydân avaient insisté pour qu'elle y prête une attention toute
particulière, surtout depuis les dernières nouvelles. Altwood avait en effet fait annoncer
publiquement le succès dit « miraculeux » des recherches menées par LEXO et la prochaine
instauration du vaccin anti ERR-6. Mais comme Jayden et les autres s'en étaient doutés, rien
jusqu'alors n'avait fuité sur la disparition de leur sujet expérimental UJI, rien non plus sur les battues
d'investigation. Difficile donc pour eux d'évaluer les risques réels actuels. De plus, Meydân s'était
vue limitée l'accès aux données informatisées sur son unique secteur. C'était une contrariété
supplémentaire puisqu'elle était jusqu'ici la seule à pouvoir leur fournir des informations plus
précises de par son statut de cheffe de projet. Les doutes d'Atân sur l'implication de sa fille dans la
délicieuses céréales avant d'engloutir le tout avidement. Depuis sa sortie de l'Expéria, elle prenait un
plaisir fou à s'alimenter, à se laver, à regarder la télévision… Bref, à vivre. Ici, à l'extérieur, tout
était plus intense. Le goût des aliments n'avait pas cette saveur si particulière, celle des emballages
protecteurs. Les couleurs, sublimées par la véritable lumière du jour, prenaient à la fois plus de
profondeur, plus de densité. Chaque personne ici possédait sa propre odeur, entremêlant à la fois
son parfum, son savon mais également l'odeur de ses murs, de sa maison. C'était incroyable de se
réapproprier à ce point tous ses sens, c'était comme s'ils avaient fonctionné au ralenti pendant toutes
ces années.
Silhaée plongea une fois encore sa cuillère dans son bol de céréales et releva la tête. Mais
cette fois son regard bifurqua très nettement vers la fenêtre du séjour. Instantanément, sa cuillère
retomba dans le bol qu'elle posa d'un geste lent sur la table basse. Un véhicule non identifié aux
vitres teintées venait d'entrer dans la cour. D'abord prise au dépourvu, Silhaée resta immobile dans
le fond de son fauteuil. Son cœur s'était mis à tambouriner fort dans sa poitrine en un dixième de
seconde. Le stress l'avait envahi, elle n'arrivait plus à penser, plus à se souvenir des consignes de
Jayden. Elle vit ensuite trois silhouettes, trois hommes, sortir du véhicule et jeter un œil autour
d'eux. Ils regardèrent d'abord les alentours, s'intéressant aux habitations voisines (plutôt lointaines)
avant de revenir vers la maison. C'est à ce moment précis que Silhaée se leva d'un bon de son
fauteuil et se mit à reculer brusquement. Les vitres des habitations ne possédaient pas de rideaux
mais des filtres protecteurs permettant à la personne à l'intérieur de voir sans être vu. Silhaée le
savait ça, on le lui avait expliqué, mais elle eut le réflexe de s'en éloigner quand même.
Quand la sonnette d'entrée retentit, la jeune femme sursauta, laissant ses yeux s'écarquiller
plus encore. « Ils vont partir, ils vont partir » ne cessa-t-elle de penser. Deuxième sonnerie, elle
tenta en vain de se souvenir de ce que Jayden lui avait dit si un tel incident se produisait en son
absence… Mais tout se mélangeait dans sa tête. La seule chose dont elle était sûre c'était des mises
en garde du jeune homme sur les moyens dont disposait la police ou les enquêteurs pour
Silhaée vit la diode au-dessus de la porte clignoter en orange… Quelqu'un à l'extérieur était en train
contrôle et lui permit en un instant de décrocher un petit boîtier mural avant de disparaître dans
Après quelques manipulations informatiques, les trois hommes entrèrent dans la maison.
Interpellés par la mélodie d'un spot publicitaire, ils virent directement l'écran de télévision laissé
allumer et s'échangèrent un regard intrigué avant d'arpenter l'espace. Leurs yeux curieux se posèrent
un peu partout mais leurs recherches s'interrompirent bien vite quand l'un d'eux releva un détail
pour le moins intriguant. Il venait d'apercevoir le bol délaissé sur la table basse et constata en
remuant dans le liquide que les céréales n'étaient pas vraiment imbibées. Quelqu'un avait été
interrompu dans son repas... Ils se jetèrent alors un second regard plus convaincu et se dirigèrent
vers les quatre portes intérieures. L'une les conduisit sur un WC, l'autre sur la salle de bain où rien
de bien intéressant ne traînait. Les deux autres pièces furent découvertes au même moment, à savoir
Hé ! s'exclama l'un des hommes en entrant brusquement dans la dite chambre officielle.
La fenêtre était grande ouverte et puisque cette dernière donnait sur la cour, ils savaient tous
les trois que ce n'était pas le cas à leur arrivée. L'homme en question se jeta alors sur la fenêtre
La porte de garage était désormais grande ouverte, ce qui n'était pas le cas non plus à leur
arrivée.
Appelez des renforts, il faut faire ratisser le secteur ! ordonna-t-il en sortant à son tour de la
Les trois hommes abandonnèrent ensuite les lieux sans plus attendre, sautant dans leur
respiration. Une main sur sa bouche, l'autre sur le boîtier de commandes des portes et fenêtre de la
maison, elle ne réalisait toujours pas son exploit. Grâce à Jayden, elle avait miraculeusement
échappé à la vigilance de ces hommes. Fébrile, elle resta encore de longues minutes dans le fond du
bureau avant de se décider à en sortir. Elle retourna ensuite dans la pièce de vie, referma la porte
Appelle Zoka, ordonna-t-elle au droïde fixe qui lança derechef un appel vers le compagnon
de Jayden.
Il ne fallut que deux brèves sonneries avant que le jeune homme ne décroche :
« Oui dis-moi ?» dit-il brusquement sans prendre la peine de masquer son inquiétude.
Jusqu'alors jamais Silhaée n'avait eu besoin de le tenir informé de quoi que ce soit avant son
retour du travail.
« Ça y est, ils en ont enfin parlé publiquement ?» répondit Jayden en faisant référence aux
informations télévisées.
derrière elle.
Mlle Hederling ?
Cette dernière se retourna et vit Jayden arriver vers elle d'un pas pressé.
Il faut que je vous voie ; il me semble qu'il y a une erreur de stock sur les livraisons
médicamenteuses de l'Expéria, mentit-il tout en lui signifiant du regard qu'il était urgent
qu'ils se voient.
Ils descendirent ensemble jusqu'au deuxième étage sans échanger la moindre parole. LEXO
grouillait de monde, il était trop risqué de débuter une conversation « privée » avec autant de
témoins aux alentours. Ce n'est qu'une fois entrés dans le bureau de Meydân qu'ils purent enfin
échanger.
Les battues d'investigation ont commencé, annonça Jayden sans plus masquer son
inquiétude.
Ils sont arrivés jusque chez Wayen ! l'interrompit-il encore tout retourné de cette nouvelle.
Quoi ?!
Silha m'a contacté pour me prévenir ; ils sont venus fouiller la maison !
Non heureusement… Elle a appliqué les consignes à la lettre et tout s'est bien passé pour
elle.
En revanche nous savons maintenant qu'ils ont réussi à obtenir des pistes sérieuses pour être
Je ne pense pas non, la contredit-il. Tu sais comme moi que nous avions choisi de nous
installer chez Wayen car c'était l'endroit le plus isolé, le plus neutre que nous connaissions. Il
y a plusieurs dizaines de kilomètres qui séparent cette maison de LEXO, elle ne devait donc
pas être notée dans leurs lieux d'investigation prioritaires… Comment se fait-il alors qu'ils y
Meydân resta dans un premier temps immobile, mutique. Son regard rivé sur le sol, elle
semblait vouloir se remettre en mémoire un instant précis qu'elle avait peut-être jusqu'alors négligé.
Il faut que je vérifie quelque chose, précisa-t-elle. En attendant il faut que tu retournes à ton
poste. S'ils ont déjà des soupçons sur nous, autant ne pas leur donner de preuves
supplémentaires. Dès que j'ai obtenu les réponses que je cherche, je t'en fais part.
Et pour Silha… dit-il encore soucieux de la posture inconfortable dans laquelle la jeune
femme se trouvait.
Pour l'instant on ne change rien, statua Meydân. Il ne sert à rien de prendre des décisions
dans la précipitation. Qu'elle reste cachée jusqu'à ce que je te donne des nouvelles, je ne
Jayden acquiesça la consigne de la jeune femme et déverrouilla enfin la porte de son bureau.
Je vous ferai parvenir dans la journée le nouveau listing des traitements manquants, feinta-t-
Meydân le salua d'un signe de tête et retourna dans son bureau. Dès que la porte fut
avant de décrocher.
Seule ?
« Avec Grett bien sûr mais c'est tout. Pourquoi, qu'y a-t-il ?»
Je vais passer te voir sur ma coupure, annonça-t-elle. Disons dans une demi-heure environ…
Durant les quelques secondes qui séparèrent ses mots de la réponse de sa mère, Meydân
ressentit comme un léger flottement, comme une sorte de malaise qui ne l'étonna pas franchement.
« Bien… Je vais demander à Grett de nous concocter un bon repas », feinta Rosamine avec
Puis elle raccrocha et se plongea dans de longues minutes de réflexion avant de se décider à
Silhaée attendit pendant une bonne heure l'appel de Jayden mais ce dernier ne la rappela pas.
Elle savait qu'il devait voir Meydân pour l'informait au plus vite de sa nouvelle conduite à tenir face
à cette visite impromptue. Mais plus le temps passait et moins elle se sentait rassurée. Ces trois
hommes étaient repartis parce qu'elle avait réussi à leur faire croire qu'elle en avait fait autant. Mais
qu'arriverait-il quand ils ne trouveraient aucune trace d’elle ? … Aurait-il l'idée de revenir fouiner
dans la maison de Wayen ? … Quand Silhaée imaginait ce qu'il pourrait se passer dans une telle
situation, son cœur se mettait à battre avec intensité. Il lui fallait alors cinq bonnes minutes avant de
parvenir à retrouver son calme. À plusieurs reprises, elle hésita à rappeler Jayden mais le jeune
homme lui avait formellement interdit d'en abuser, craignant de se faire repérer. Tant qu'elle n'était
pas en danger, il fallait qu'elle patiente et surtout qu'elle reste calme. C'est donc ce qu'elle fit
pendant la première heure avant d'être interpellée par un nouveau flash info, bien plus intéressant
« Le lancement de la campagne de vaccination anti ERR-6 tend à se préciser. Selon nos sources,
l'Orateur de la NUPE 1, Jodd Altwood, aurait fait valider les accords de fabrication après
renégociations des coûts. Le dirigeant du groupe LEXO, Atân Hederling, a précisé ce matin en
conférence de presse qu'il serait raisonnable de viser dix à quinze jours d'approvisionnement avant
d'ouvrir les premiers postes de vaccinations. Ce dernier se félicite de la rapidité avec laquelle ses
équipes ont su s'organiser pour permettre à LEXO et ses antennes de débuter la fabrication des
Jusqu'alors cachée dans le débarras, Silhaée arriva sans plus attendre dans la pièce
face à l'écran. C'est alors qu'elle vit pour la première fois le visage de celui qui avait cherché à
vaccinale », dit-il.
Silhaée observa avec intensité le regard ambitieux de cet homme. Si elle ne le savait pas
déjà, elle aurait pu deviner qu'il s'agissait du père d'Eyrin tant la ressemblance entre les deux
hommes était frappante. Cependant, elle n'eut aucun mal à imaginer les différences profondes qui
les séparaient. Quand elle avait rencontré Eyrin, elle lui avait tout de suite trouvé quelque chose de
rassurant, de bienveillant. Il respirait la gentillesse et l'envie de bien faire, ce qui n'était pas le cas de
« Et pour les patients-testeurs restés dans l'Expéria et ses antennes ? Que leur réservez-
« Et bien les choses sont simples », dit-il avec toujours autant de fausseté. « Les tests ont
révélé que le vaccin anti ERR-6 était inefficace sur les porteurs du gène défaillant, qu'ils
soient actifs ou inactifs. Mais nous avons beaucoup d'espoir sur la conception d'un
murs tomber ?» le relança le journaliste avec toute la curiosité que l'on pouvait attendre de
lui.
« Ils tomberont, c'est une certitude », répondit Atân. « Mais nous ne devons pas nous laisser
tenter par la simplicité. Si nous faisons sortir nos patients-testeurs de ces murs aujourd'hui,
il sera difficile pour nous de les traiter correctement et de réaliser les essais que nous avons
d'ores et déjà planifiés. Cela fait des décennies que nous luttons contre ce gène, je pense
donc que nous pouvons encore patienter quelques semaines, quelques mois et leur assurer
Grâce à tes splendides placebos ils seront tous morts dans quelques mois ! s'écria Silhaée. Il
ne te restera plus qu'à dire que votre tentative de traitement a échoué et vous serez tous
Prise par les nerfs, elle envoya d'un revers de la main le bol de céréales contre un mur avant
de faire les cent pas dans le salon. En théorie, elle n'avait jamais été aussi libre de penser, d'agir
comme bon lui semblait. Mais en pratique, elle n'avait jamais été aussi impuissante. Enfermée entre
quatre murs dont la sécurité était finalement bien plus que douteuse, elle n'était plus en capacité de
venir en aide à ceux qui comptaient le plus pour elle : ses amis Rix, Gaële, Téziri… Et Brenn. Elle
se trouvait également très injuste lorsqu'elle pensait à Eyrin, désormais enfermé dans le dôme,
condamné à y mourir au même titre que les autres. Lui avait tout tenté pour la sortir de l'Expéria, il
avait risqué gros pour lui permettre de vivre enfin normalement… Et elle, aujourd'hui, ne devait
La discussion qu'elle avait eue précédemment à ce sujet avec Jayden lui avait permis de
comprendre que ce dernier projetait tout comme elle de faire bouger les choses. Mais la prudence de
Meydân ne faisait que ralentir leurs ambitions alors même que les décisions de LEXO ne cessaient
ramassa le bol et nettoya le lait et les céréales jonchant le sol. En passant un coup de produit
ménager à l'endroit même où elle avait causé des dégâts, elle s'arrêta net… Une idée folle venait de
lui traverser l'esprit. Inspirée, elle délaissa un instant sa lavette, réalisa un tour complet de la maison
communication fixe. À la simple présence de sa main au-dessus du socle, le petit robot s'activa,
affichant un point d'interrogation automatique sur sa face circulaire. Mais Silhaée ne le saisit pas
pour autant, s'accordant encore un petit temps de réflexion… En y réfléchissant bien, il n'était pas
dit que Jayden ou Meydân cautionneraient son idée qui pourtant était de loin le moyen le plus sûr
d'aboutir à quelque chose… Mais il n'était pas dit non plus qu'ils en trouveraient une meilleure d'ici
que ces étrangers soient amenés à lui rendre une seconde petite visite surprise…
délaissa le droïde pour revenir vers son spray ménager. Elle s'était enfin décidée à prendre les
devants car si tout fonctionnait comme elle l'imaginait, elle pourrait à la fois se mettre à l’abri, aider
ses amis de l'Expéria, innocenter ceux de l'extérieur et faire trembler les plus grands dirigeants de ce
monde.
Identité(s)
Cela faisait désormais deux jours que le prélèvement sanguin d'Eyrin, celui révélant l'échec
de sa stérilisation, avait logiquement été transmis à Erdowel. Pourtant, jusque-là, personne n'était
venu le sermonner ou le questionner à ce propos. Eyrin ne savait donc pas quoi penser de tout ça et
n'avait de cesse de s'interroger sur les raisons d'un tel silence. Les équipes médicales n'étaient-elles
pas étonnées d'un pareil résultat ? Fallait-il en théorie plus de temps au traitement pour démontrer
volontairement son traitement stérilisant et voulaient-elles lui montrer que sa rébellion ne les
importait pas ? Venant de son père, c'était tout à fait possible. Mais Erdowel, lui avait
fondamentalement plus de conscience, quoi qu'influencé par son dirigeant, tout était possible. Il n'y
Lorsqu'une curatrice vint lui retirer son plateau repas du midi, Eyrin se dit qu'il était temps
pour lui d'arrêter de jouer à l'enfant sage. Il n'avait aucunement l'envie d'obéir docilement aux
Comme nous vous le répétons depuis plusieurs jours, il est très occupé en ce moment et
votre état est stable, répondit la curatrice. Il n'a donc aucune raison de venir vous rendre
Puis elle quitta la chambre sans faillir sous le regard haineux du jeune homme. Maintenant
que son repas lui avait été desservi, il disposait d'environ trois heures avant le prochain « tour de
surveillance ». Et bien qu'Eyrin se soit engagé auprès d'Erdowel à ne pas sortir de son espace
personnel en dehors des heures autorisées, il l'avait également prévenu qu'il n'était pas dit qu'il s'y
tiendrait strictement. De plus, Brenn n'était venu le voir qu'une seule fois. Il aurait dû repasser le
lendemain de sa visite mais Eyrin n'avait revu personne. Le jeune homme avait donc mené sa
propre enquête auprès de Joa, la sympathique curatrice de nuit, et avait appris que les patients-
testeurs visiteurs étaient désormais accompagnés jusqu'aux box des actifs. C'était l'une des dernières
réglementations visant soi-disant à « réguler les visites devenues trop intempestives ». Eyrin n'en
avait bien sûr pas cru un mot. Lui savait surtout qu'Erdowel ne souhaitait pas faire de vagues à son
sujet et craignait à raison que le fils Hederling ne tienne pas sa promesse. Eyrin savait donc
dorénavant qu'il serait moins facile pour lui de sortir des soins continus mais surtout bien plus
difficile, voire impossible, d'y revenir sans être vu. Mais qu'importe, il avait découvert de nouveaux
éléments, de nouvelles zones d'ombres qu'il lui fallait éclaircir. Et pour cela, il était impératif qu'il
Déterminé, il finit donc par quitter une nouvelle fois sa chambre et emprunta le même
escalier de secours que lors de sa première évasion du centre de soins continus. En arrivant en bas
de celui-ci, il observa avec discrétion l'intérieur du hall d'entrée depuis la porte battante d'accès.
Deux curateurs étaient postés derrière un bureau fraîchement installé. Eyrin les observa pendant
quelques minutes, le temps pour lui de comprendre leur organisation qui se révélait être plutôt
efficace malheureusement : lorsqu'un patient-testeur entrait dans le centre de soins continus, l'un
d'eux l'accompagnait jusqu'au box souhaité tandis que l'autre restait en surveillance. Si un autre
visiteur arrivait dans la foulée, le curateur restant attendait que son collègue revienne au bureau
d'accueil pour accompagner le suivant. Il n'y avait donc aucune possibilité d'échapper à leur
dans un premier temps de ne se concentrer que sur ça. En voyant passer une patiente-testeuse
visiteuse qui quittait le centre en pleurant, il eut une idée. Il remonta donc l'escalier de secours
jusqu'au premier étage et attendit patiemment que le coin se désertifie pour sortir sur le palier. Il prit
ensuite l'ascenseur seul, descendit au niveau zéro et à l'ouverture des portes, couvrit son visage de
ses mains pour feinter la crise de larmes. Il quitta ainsi le hall incognito tout en continuant sa mise
en scène sur plusieurs mètres, le temps pour lui de disparaître entre deux bâtisses. Fraîchement
dissimulé, il regarda enfin du coin de l’œil l'entrée des soins continus et s'aperçut qu'aucun des deux
curateurs ne semblaient avoir réellement prêté attention à son passage. Il reprit donc son chemin en
Pour avoir observé l'Expéria de nombreuses fois via la vidéosurveillance, Eyrin n'eut aucun
mal à retrouver la résidence de Brenn. Il y arriva donc rapidement et frappa discrètement à la porte
tout en regardant prudemment autour de lui. Après quelques secondes, il fut forcé de constater que
personne ne venait lui ouvrir. Il se décida donc à sonner et sentit son cœur battre plus fort encore
quand il se confronta une nouvelle fois à cette porte close. Ennuyé par la présence de patients-
testeurs à proximité de la résidence, Eyrin s'éclipsa finalement entre deux bâtisses pour réfléchir
efficacement… « Où pouvaient-ils être ?» pensa-t-il. Rix et Gaële avaient pour habitude de passer
une bonne partie de leur temps libre auprès des enfants du centre. Seulement la garderie grouillait
de curateurs, impossible donc pour lui de s'y rendre. Brenn lui… il n'en avait aucune idée… Quoi
qu'en y repensant bien, il se souvint de les avoir vu régulièrement lui et Silhaée dans la salle
d'études de l'Expéria. Peut-être s'y rendait-il toujours malgré l'absence de la jeune femme ? Eyrin fit
alors demi-tour et tenta de prendre le chemin le plus court et le plus sûr pour s'y rendre. Il emprunta
des allées plus ou moins grandes selon s'il traversait un même groupement de résidences ou s'il
changeait de secteur. Puis il arriva enfin face à un bâtiment qu'il reconnut sans mal car il ne portait
pas une lettre et un chiffre, comme les résidences, mais le logo de LEXO.
d'études ou la bibliothèque. Mais également tout ce qui touchait aux loisirs, aux activités sportives,
aux hobbies auxquels chacun d'eux pouvait s'adonner dans la limite de ce qui leur était proposé bien
sûr. Eyrin fut donc soulagé de parvenir à trouver le Réseau mais hésita à y entrer. Il savait qu'il n'y
avait logiquement pas de curateurs dans ce bâtiment, mais il n'avait pas la certitude que ce
règlement n'ait pas changé lui-aussi. Tapi entre deux résidences, il attendit donc quelques minutes et
finit par prendre son courage à deux mains avant de trottiner jusqu'à la porte d'accès. Mais alors
qu'il ne lui restait plus qu'une dizaine de mètres à parcourir, Eyrin vit les portes du Réseau s'ouvrir
et deux curateurs en sortir. Ni une ni deux, il réalisa un demi-tour aussi sec et pria pour qu'on ne le
remarque pas. Tous les curateurs ne le connaissaient pas bien sûr, mais il ressemblait tellement à son
père qu'il n'était pas difficile d'imaginer son identité ou du moins d'avoir de sérieux doutes. Eyrin
retourna donc se fondre manu militari entre deux groupements de résidences parmi les plus proches
adossé.
C'est moi qui suis désolé, répondit Eyrin tout en voyant les curateurs disparaître au loin.
Non… non, répondit-il en tentant un rire peu convaincant. C'est que… Je…
Tu ? le relança l'inconnu.
L'homme en question n'eut l'air que partiellement convaincu de son histoire mais ne sembla
Hey, c'est des potes à moi ! Nous réceptionnons les caisses ensemble le mardi. Je ne savais
pas qu'ils avaient accueilli un nouvel arrivant, les petits cachottiers. Ils t'ont peut-être déjà
Euh… Non désolé, répondit Eyrin en zyeutant de tous les côtés. Hum je suis désolé mais il
Sur ces mots, il commença à reprendre son chemin entre les différentes allées.
Eyrin s'arrêta un instant. En une fraction de seconde il pesa le pour et le contre de l'incidence
Après être retourné une seconde fois à la résidence R-14 sans résultat, Eyrin se décida
malheureusement à rebrousser chemin. Il était trop risqué de rester plus longtemps dans les allées de
l'Expéria au vu du nombre de curateurs circulants. Il regarda donc au loin les portes du centre de
soins continus et se demanda enfin comment il allait s'y prendre pour y retourner. « En courant »
avait-il songé avant de partir. Il passerait devant les curateurs tête basse et n'aurait alors plus qu'à se
jeter sur les portes de secours. Il monterait ensuite les marches quatre à quatre et retournerait
s'enfermer dans sa chambre où il feinterait l'endormissement depuis des heures, vautré comme
jamais dans son canapé. Mouai… L'idée n'était pas glorieuse mais c'était à son sens la plus simple et
surtout la seule qu'il avait eu. Après quelques secondes de réflexion et une montée de stress quand
un curateur passa tout près de sa planque, Eyrin se décida à agir. Il s'arrangea pour emprunter le
chemin lui permettant d'être le moins visible le plus longtemps possible et se mit soudainement à
portes automatiques du centre de soins le capteraient suffisamment tôt pour qu'il ne s'écrase pas
comme un moustique sur un carreau. Plus que quelques mètres avant de réaliser le sprint de sa vie
devant le bureau d’accueil des curateurs… Eyrin baissa alors brusquement le front pour s'apprêter à
foncer tête baissée dans le hall jusqu'à ce que ses mains rencontrent les portes battantes de l'escalier
de secours…
Surpris mais pas assez rapide pour corriger le tir, Eyrin releva brusquement la tête avant
d'entrer en collision avec un patient-testeur qui sortait tout juste du centre de soins continus.
- BLANG ! -
Mais il n'eut ni le temps de se justifier, ni même d'essayer d'ouvrir un œil. Une main
puissante venait de le saisir et lui imposait désormais de courir rapidement jusqu'aux résidences.
C'est alors qu'il parvint enfin à ouvrir plus nettement les yeux et découvrit avec stupéfaction
T'es vraiment bizarre comme mec ! répondit ce dernier de la même façon. Ça y est t'y vois
clair ? Parce qu’il ne faut pas qu'on reste là, on a déjà trop attiré l'attention. Viens !
Puis il reprit son chemin en trottinant prestement vers sa résidence, suivi de près par Eyrin.
En entrant dans la résidence R-14, les deux hommes restèrent silencieux un instant avant
Puis il raconta au jeune homme son escapade et ses recherches dans le dôme. Il ne lui
épargna aucun détail, pas même sa rencontre avec Carl et l'usurpation hasardeuse de son identité
pour noyer le poisson. Cela leur valut encore un bon fou rire qu'ils finirent tout de même par
Ça fait deux jours que j'essaie de remonter dans ta chambre, lui expliqua Brenn. Mais les
curateurs ont reçu des nouvelles consignes. C'est pire que des flics maintenant !
Je sais, répondit Eyrin. C'est pour ça que je me suis décidé à sortir de ma prison dorée. Il
fallait qu'on trouve une solution pour communiquer plus facilement. Et surtout il fallait que
je te parle d'autre chose. Ça n'a rien à voir avec tout ce qu'on s'est dit depuis le départ mais
Pendant l'une de mes sorties nocturnes, j'ai découvert quelque chose d'étrange. Au départ j'ai
cru que j'hallucinais, donc je ne t'en ai pas parlé quand tu es venu me voir. Mais après
À quel propos ?
Bon… C'était le premier soir où j'ai commencé à me balader dans les différentes ailes du
centre de soins. J'observais un peu sans but les différents patients-testeurs dans les cellules
de soins et j'ai fini par m'arrêter sur un box. Sur la pancarte identitaire j'ai reconnu la photo
d'une fille, une amie de longue date. J'ai d'abord été surpris de ne pas savoir qu'elle était
entrée dans le dôme puisque mes parents et les siens sont de très bons amis. Et puis j'ai fini
C'est ce que je me suis dit au début ; que je devais faire erreur. Alors je suis entré dans la
cellule pour aller voir la patiente de mes propres yeux et là… Je l'ai reconnu. Cette fois
Brenn fronça plus encore les sourcils tout en l'incitant du regard à poursuivre ses
explications.
C'était l'amie dont je te parlais, il y avait bien une erreur d'identité. Alors je suis ressorti de la
Comme toi ; que c'était impossible. Que les contrôles identitaires très stricts de l'Expéria ne
pouvaient pas laisser passer une telle erreur, que je devais confondre. Mais j'y suis retourné
hier soir et cette fois j'en suis sûr à 200%. La patiente-testeuse dans ce lit est bien mon amie
de toujours, Torana Filenn et non « Téziri Dalone » ou je ne sais quel autre nom.
Non non, le nom sur la pancarte que tu as vu. C'est bien « Téziri…
Qui ? Torana ?
Non Téziri. Enfin celle que tu penses connaître sous le nom de Torana, moi je l'ai rencontré
sous celui de Téziri. C'est elle que j'étais parti voir cet après-midi au centre de soins continus
Tu es bien sûr qu'il s'agit de ton amie Torana ? lui demanda Brenn.
Pendant un bon moment, les deux hommes ne surent quoi penser. Puis ils eurent une idée :
confronter les histoires de vie de Torana et Téziri. Brenn fut le premier à retracer l'histoire de Téziri,
ou du moins ce qu'il en avait retenu. Il savait qu'elle avait été adoptée par un couple qui ne pouvait
pas avoir d'enfant mais qui par le plus grand bonheur en avait finalement eu un. Il se rappelait
également qu'elle était atteinte d'une maladie dont le nom lui échappait, mais qu'il s'agissait d'une
Eyrin semblait extrêmement concentré, comme s'il cherchait à tout prix une explication
cellules, un traitement anti ERR-6 remplacé par des placebos et pourtant rien qui ne laisse
présager qu'elle se dégrade plus rapidement que n'importe quel autre patient-testeur ?
pas quel intérêt elle aurait eu à nous mentir… Et puis c'était si précis… Ça n'avait vraiment
Eyrin acquiesça d'un signe de tête lui signifiant qu'il avait confiance en lui, qu'il prenait en
À ton tour maintenant, l'invita Brenn. Raconte-moi ce que tu sais de l'histoire de Torana.
Et bien comme je te le disais précédemment, c'est une très bonne amie, la fille d'un couple
d'amis de longue date de mes parents. Nous avons passé toute notre enfance ensemble avant
d'être séparés à l'adolescence. Elle a suivi ses parents sur la NUPE 3 et moi je suis restée ici.
Ses parents étaient de grands économistes, ils n'avaient donc pas d'autres choix que de
Oh si… Torana est malheureusement… malade, dit-il enfin. Ses parents revenaient donc une
à deux fois l'année pour son suivi médicale sur la NUPE référente en santé, la nôtre quoi.
C'est sur ces périodes-là généralement que nous prenions le temps de nous revoir autour d'un
bon repas.
C'est précisément ça qui m'intrigue tu vois… avoua Eyrin. Torana est atteinte d'une anémie
hémolytique chronique non étiquetée, autrement dit une destruction spontanée et anarchique
des globules rouges qui met son organisme constamment en danger. Mais il ne s'agit pas
régulières.
C'est bizarre… lui accorda Brenn. C'est à la fois presque similaire et si différent…
histoire.
Torana avait bien intégré l'Expéria, nous serions déjà plus avancés.
Torana est dans l'Expéria, c'est elle, insista Eyrin. Je n'ai pas besoin de demander
confirmation à Meydân, je sais que Téziri est Torana. Et puis de toute façon ma sœur ne m'a
pas rendu visite depuis plusieurs jours… Je crois que les choses sont en train de se corser à
l'extérieur…
Eyrin, je sais que tu es convaincu de l'identité de ton amie mais tu ne te bases que sur ce que
tu as vu, fit remarquer Brenn. Moi j'ai parlé avec elle, j'ai parlé avec Tizi et je peux t'assurer
de la même manière qu'il ne s'agit pas de ta Torana. Et puis si je suis ce que tu me dis, ton
amie est sensée vivre dans la NUPE 3 aujourd'hui… Alors pourquoi n'a-t-elle pas intégré
son dôme-référent, celui de l'antenne de sa NUPE ? Pourquoi aurait-elle été intégrée ici, si
Sur ces mots, Eyrin fit une moue qui ne résumait rien d'autre qu'un scepticisme sur fond de
contrariété.
Écoute, il faut que tu trouves un moyen d'être fixé, lui demanda Brenn. Je ne sais pas, écris
une lettre à ta sœur par exemple ? Le prochain envoi de courrier est dans deux jours, nous
Brenn le regarda se redresser sans rien ajouter. Il semblait aussi désolé que lui.
Il va falloir que je rentre, le prévint Eyrin. Cela fait déjà plus de deux heures que je suis parti
du centre.
Non reste ici, c'est plus sûr. Nous avons suffisamment été vus ensemble. Tu salueras Rix et
Compte sur moi, dit-il. Et sois prudent… Enfin essaie de ne pas défigurer quelqu'un cette
fois...
Un franc sourire échappa à Eyrin qui après une amicale poignée de main, se dirigea vers la
porte de la résidence.
Je ne sais pas si je pourrais revenir vous voir, dit-il avant de partir. Si Erdowel apprend que
j'ai de nouveau fugué, il est possible cette fois qu'il m'enferme pour de bon dans les soins
continus…
Puis il laissa le jeune homme quitter sa résidence en espérant qu'à son retour au centre, les
L'esprit embué par cette intrigante histoire, Eyrin reprit le chemin du centre de soins
continus. Plus le temps passé et plus il avait l'impression que tous les éléments, les gens autour de
lui, ne faisaient partie que d'une gigantesque machination destinée à le rendre fou. Après avoir
traversé la quasi-totalité du dôme, il entra finalement dans le centre de soins continus sans se
Monsieur Hederling ! s'exclama l'une des curatrices en poste derrière le bureau d'accueil.
dans un mutisme complet, négligeant toutes les questions qui lui étaient posées au même titre que
les conséquences qu'un tel comportement pourrait avoir sur ses conditions de vie au sein de
l'Expéria.
Dessert surprise
Comme prévu, Meydân arriva chez sa mère une demi-heure après son appel. Elle fut
accueillie par le sourire aimant de cette dernière, quoi qu'un peu pincé à y regarder de plus près.
Grett, leur gouvernante, la prit quant à elle dans ses bras avec toute la tendresse qu'elle avait
toujours su leur offrir. Puis elle saisit une pile de linges repassés et disparut dans le couloir d'accès
Meydân s'exécuta sans rien dire, décortiquant dans ce même temps les moindres faits et
gestes de sa mère, les plus subtiles tonalités de sa voix trahissant un malaise qu'elle peinait à
masquer.
Bien, dit Rosamine en déposant sur la table basse une carafe de vin et deux verres à pied.
Meydân ne répondit pas dans l'instant. Elle semblait chercher la meilleure façon de tourner
son idée.
C'est ça ! s'exclama Meydân au point d'en faire presque sursauter sa mère. C'est exactement
Les mots que tu cherchais ? dit-elle en versant lentement un peu de vin dans chacun des
verres.
UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 106
« Qu’y a-t-il de si difficile à dire » ? répéta-t-elle à son tour.
Mais Meydân ne le saisit pas pour autant. La naissance de ses doigts agités dans le
Tu vois, c'est cette question à laquelle je m'attendais quand je t'ai appelé tout à l'heure,
débuta Meydân. Depuis que je me suis mise en ménage avec Malone, je n'ai jamais fait ça :
connais aurait été inquiétée par ce comportement. Elle m'aurait noyé de questions, m'aurait
demandé si tout allait bien et n'aurait pas raccroché sans que je lui dise ce qui ne tournait pas
rond… Mais à la place de ça, tu m'as simplement dit que tu allais faire préparer un bon repas
et tu as raccroché.
J'ai senti dans ta voix qu'il s'agissait de quelque chose d'important mais pas de grave, se
sachant au travail, j'ai préféré reporter notre petite conversation à plus tard.
Meydân hocha la tête de gauche à droite avant d'avaler finalement une bonne gorgée de vin.
Elle sentait qu'elle allait en avoir besoin durant les prochaines minutes.
Écoute, je ne vais pas passer par quatre chemins, écourta-t-elle. Si je suis venue te voir c'est
Je te l'ai déjà dit ; ton père m'avait appelé pour me dire que tu étais repartie plus tôt du
travail parce que tu ne te sentais pas bien… Je suis donc venue m'assurer que tu n'avais
bienveillance à mon égard mais j'ai l'impression que quelque chose d'autre motivait ta visite.
Cette fois-ci Rosamine ne répondit rien. Elle observa sa fille quelques instants sans rien
laisser transparaître, puis finalement se leva de son fauteuil tout en replaçant délicatement son
Je n'aime pas du tout ce ton suspicieux avec lequel tu as décidé de me parler aujourd'hui, dit-
elle enfin.
Je ne fais qu'interpréter ton comportement, rétorqua Meydân presque aussi scandalisée que
sa mère.
Mon comportement ? Parce que je ne t'ai pas demandé quelles étaient les raisons de ta venue
alors que nous allions nous voir dans la demi-heure qui suivait ?
Entre autres mais pas seulement, se défendit-elle. Quand tu es venue me rendre visite la
Quand tu allais partir, tu m'as pris dans tes bras et tu as… murmuré quelque chose…
Mais quand je t'ai demandé de me dire ce qui n'allait pas, tu n'as rien répondu et tu es
J'allais… débuta Rosamine avant d'écraser son poing contre son menton.
Elle semblait au bord du sanglot, chose que Meydân visait à contre cœur depuis le départ.
Mais il n'y avait que comme ça qu'elle obtiendrait des réponses de sa part.
s'écouler quelques larmes. J'allais te dire des horreurs que je ne pensais pas… Parce que j'en
voulais profondément à LEXO de m'avoir arraché mon fils… J'en voulais à ton père et à la
dureté de son règlement, je t'en voulais à toi de ne pas pouvoir le sauver… Alors oui, j'ai
préféré partir et ne rien te dire car je savais que j'aurais regretté mes propos.
Puis elle contourna les fauteuils du salon pour rejoindre pudiquement le couloir d'accès à la
suite parentale.
Excuse-moi, répondit Rosamine en lui faisant comprendre d'un signe de la main qu'elle
Meydân resta donc immobile dans le fond de son fauteuil. Elle ne savait plus quoi penser. Le
comportement de sa mère avait jusqu'alors manqué de « normalité », ce qui accentuait fortement ses
suspicions. Mais tout ce qu'elle venait de lui raconter tenait la route et ses larmes témoignaient de la
complexité de ses sentiments… Meydân eut donc des doutes et se trouva finalement plutôt injuste,
Après avoir rangé sa dernière pile de linges, Grett se décida à redescendre au rez-de-
chaussée pour aller surveiller les derniers préparatifs de son droïde d'assistance culinaire. Mais en
arrivant dans le couloir menant au salon, la voix pincée de Rosamine provenant de l'un des bureaux
attenants à la suite parentale l’interpella. Grett laissa alors glisser son regard vers l'ouverture
donnant sur le salon et vit les jambes croisées de Meydân, toujours assise dans son fauteuil, battre la
chamade. Il s'était manifestement passé quelque chose. Ne se sentant pas l'envie de retraverser le
salon s'en comprendre les raisons d'une telle tension dans cette maison, Grett s'approcha
discrètement du bureau où Rosamine s'était enfermée. De là, elle tendit l'oreille pour espérer
entendre des bribes de conversation qui lui permettraient de cibler au minimum la gravité de la
situation.
entendue. (…) « Non, non, elle ne m'a rien dit à ce sujet. » (…) « Atân je t'assure que si elle
découvre ton traceur sous sa voiture, je ne pourrais pas faire l'ignorante encore bien
longtemps. »
Grett ouvrit de grands yeux. Elle ne comprenait pas un mot de cette conversation mais
certaines informations l'alertèrent. « Un traceur sous une voiture » ? Chaque véhicule en était
équipé d'un à sa fabrication, c'était donc étrange qu'il faille en apposer un autre. Le couple
« Ce n'est pas à moi de lui dire ça », ajouta Rosamine contrariée. « Si tu veux la livrer aux
enquêteurs, c'est toi qui t'en charges. » (…) « Non Atân, on m'a enlevé mon fils, je ne veux
pas perdre ma fille à son tour. En tout cas tu ne peux pas me demander ça à moi… »
Meydân fit sursauter Grett sans le vouloir en reposant un peu trop brusquement son verre de
vin sur la table basse. C'est à ce moment-là que la gouvernante se décida à retourner dans le salon,
Aah Grett, s'exclama Meydân en la voyant sortir du couloir. Ce que tu nous as préparé doit-
Merci ma Chouquette, répondit-elle dans un sourire bien moins lumineux qu'à son habitude.
La jeune femme suivit alors du regard la gouvernante jusqu'à la voir disparaître dans sa
Consciente qu'elle s'était peut-être égarée dans sa réflexion, Meydân reprit finalement une
conversation plus légère avec sa mère. Après tout, Atân n'était pas du genre à déléguer des missions
trop importantes et l'idée que Rosamine ait pu l'espionner à un moment donné pour son compte était
soupçons : l'attitude de Grett durant le repas. La gouvernante ne décrocha pas un mot du service,
pas une petite attention, rien de tout cela. Elle qui d'habitude était si bavarde, si présente, s'était
pourtant contentée du strict minimum cette fois. Meydân la vit même lever les yeux au ciel quand
Rosamine dit à sa fille, au décours d'une conversation, qu'elle et Atân «ne seraient rien sans elle ».
Après une bonne heure de repas, Meydân dut s'excuser. Sa pause devait déjà être terminée, il
Tu n'auras pas pu profiter du succulent dessert de Grett… regretta Rosamine alors que sa
Oh mais elle ne va pas s'en tirer comme ça, dit la gouvernante en sortant de la cuisine une
petite boîte cartonnée en main. J'ai fait des muffins à la myrtille, tes préférés. Il aurait été
Elle embrassa sa mère, puis la gouvernante qui lui remit la boîte et rejoignit enfin sa voiture.
Elle s'apprêtait à réaliser un demi-tour dans la cour quand elle vit Grett revenir vers elle, agitant
Tiens, dit-elle en lui tendant des serviettes en papier. Si tu veux commencer à grignoter un
muffin sur la route, autant que tu aies de quoi t'essuyer les babines avant d'arriver au travail.
Sur ces mots, Grett ouvrit de grands yeux. On aurait dit que l'idée qu'elle ne soit pas seule
Je te conseille d'en croquer au moins un avant ce soir, compléta cette dernière. Ils sont
Puis elle retourna vers la demeure Hederling d'où Rosamine devait certainement les épier
depuis la fenêtre du séjour. Perplexe, Meydân la regarda disparaître à l'intérieur de la maison. Une
nouvelle vague d'incompréhension la submergeait mais au vu de l'heure déjà bien avancée, elle se
Sur le chemin la conduisant jusqu'à LEXO, Meydân se dit qu'il était temps de rendre des
comptes à Jayden.
Jay…
Mais en détournant un instant son regard de la route, Meydân retomba sur la boîte cartonnée
Puis elle souleva finalement le couvercle et découvrit quatre beaux muffins toujours aussi
gourmands… Mais pas seulement. Un morceau de papier replié sur lui-même avait été placé entre
les quatre gâteaux. Meydân le saisit aussitôt, dépliant avec énergie le malheureux petit bout de
Grett
- Miiiip ! -
La voiture de derrière venait de klaxonner nerveusement face au feu vert brillant devant eux.
La jeune femme leva alors la main en signe d'excuses et reposa le morceau de papier dans la boîte
avant de poursuivre sa route. Cette fois, ça y est : elle avait la preuve qu'elle attendait. Sa mère lui
mentait ouvertement et n'avait rien trouvé de mieux que de la faire culpabiliser pour se débarrasser
de ses questions.
Putain la garce ! ragea-t-elle alors qu'elle arrivait sur la dernière portion de route la menant
sur LEXO.
Sur les derniers mètres, elle hésita à appeler Jayden mais préféra finalement attendre. Il
fallait d'abord qu'elle vérifie l'authenticité des propos de Grett. C'est donc une fois arrivée sur le
parking du groupe, sa voiture rangée entre deux autres, qu'elle en descendit et fit semblant de faire
tomber son badge de travail. De là elle se baissa, jeta un rapide coup d’œil sous sa voiture et n'eut
pas plus grosse qu'une pièce de monnaie, aux pourtours lumineux. Meydân glissa donc son bras
jusqu'au petit objet et chercha dans un premier temps à l'arracher de l'habitacle avant d'appuyer en
son centre, libérant finalement les petites pointes agrippées dans le métal. Elle enfouit ensuite le
traceur dans son sac à main et se redressa calmement avant de rejoindre le groupe. Son visage était
des plus inexpressifs, son attitude on ne peut plus normale. Mais au fond d'elle son sang
bouillonnait, son cœur frappait fort dans sa poitrine et sa rage devenait malgré elle quasi
incontrôlable.
Cela faisait maintenant plus de deux heures que Jayden attendait des nouvelles de Meydân.
L'attente était pour lui insupportable, il imaginait donc sans mal ce que cela devait représenter pour
Silhaée. Il hésitait désormais à remonter dans le bureau de Meydân mais risquait cette fois d'éveiller
réellement les soupçons. Une cheffe de projet dérangée deux fois dans la même journée par un
agent d'un secteur qui n'était même pas le sien… Non c'était trop gros.
Depuis que LEXO lui avait retiré son compagnon, il était difficile de communiquer de
manière sécurisée avec elle. Seuls les droïdes fixes ou les navigateurs des véhicules leur
permettaient désormais de se tenir informés. Mais comme pour tout le reste, ils n'étaient pas à l'abri
d'une surveillance des communications via un piratage des lignes. Les échanges devaient donc être
Jayden, je peux te confier les deux dernières échelles ? lui demanda Dean en faisant roulant
Non…
Je vous rappelle qu'il faut qu'on ait terminé la mise en citerne des deux cents nouvelles
caisses de vaccins avant ce soir ! Et que l'Expéria attend encore ses caisses de matériel
Les passeurs acquiescèrent les consignes avant de poursuivre leurs missions avec un regain
d'énergie adéquat. Dean comprit dans l'attitude de Jayden qu'il ne souhaitait pas que ses collègues
remarquent que quelque chose n'allait pas. Il adopta donc la même stratégie et reprit son travail sans
rien ajouter.
Jayden venait de refermer et valider le contenu d'une première citerne quand il vit au loin
Meydân entrer dans le Transiteur. Ni une ni deux, il délaissa tout ce qu'il était en train de faire et
Non, s'opposa-t-elle. Je me fous de ce qu'on pourra penser ou dire, de toute façon nous
Quoi ?! s'exclama Jayden en l'incitant quand même à le suivre vers un coin plus reculé du
Transiteur.
J'ai vérifié la chose en question dont je te parlais tout à l'heure, lui expliqua Meydân. Mes
parents, ils ont compris que j'avais quelque chose à voir avec l'enlèvement de Silhaée.
La jeune femme lui raconta dans les grandes lignes ce qui l'avait motivé à aller rendre visite
gouvernante et le petit mot dans la boîte de muffins qui avait changé la donne.
Disons qu'elle a toujours été très attentionnée et aimante envers mon frère et moi-même…
Et je crois qu'elle n'a pas plus confiance en mes parents que nous…
Sur ces mots, Meydân sortit de la poche de sa blouse un pot stérile, récipient de laboratoire
Il est dedans, répondit-elle en faisant référence au traceur. Désactivé bien sûr. Il faut
absolument que tu l'étudies, que tu pistes l'identité de son acheteur. S'il s'agit de mon père,
considère que nous sommes piégés. Sinon… Nous n'avons qu'un sursis. Je suis quasiment
certaine que si mon père ne trouve rien à propos de Silhaée dans les heures qui viennent, je
serai livrée aux mains de ses enquêteurs comme suspect numéro un. Alors il faudra que tu
prennes les bonnes décisions parce qu'à ce moment-là j'aurais les mains liées pour un temps
indéterminé.
Jayden sembla soudainement bien plus préoccupé, ce qui inquiéta immédiatement Meydân.
Non non non, dit-elle alors. Ne prends pas l'air de celui qui n'a plus de solution à me
Meydân… Je sais que nous avons fait les bons choix jusque-là mais nous n'allons pas
pouvoir fuir indéfiniment. Il va falloir arrêter de subir tout ça et agir plus « directement » à
un moment donné…
Ça ne te va pas de côtoyer Silhaée H24… dit-elle. Quand j'ai parlé avec Eyrin de notre plan
de sauvetage, nous avions convenu de la garder cachée un moment pour pouvoir faire
pression sur les autorités et espérer grâce à ça qu'ils conserveraient les travaux de recherches
de mon père ; au mieux il nous donnerait l'illusion qu'il est compréhensif pour finalement
récupérer Silhaée et l'enfermer de nouveau dans le dôme. Au pire il nous ferait arrêter puis
irait la chercher par lui-même et la tuerait de ses mains pour régler tous les problèmes.
J'entends tout ça mais il faut être réaliste, nous ne réalisons aucune pression depuis qu'elle
est sortie du dôme, fit remarquer Jayden. La campagne de vaccination anti ERR-6 va bientôt
être lancée et l’étau se resserre sur nous d'heures en heures. Nous risquons de tout perdre et
tu le sais…
Cette fois Meydân resta silencieuse. Tout ce que Jayden venait de dépeindre était vrai mais
aussi très pessimiste. Et même s'ils avaient l'impression de tomber progressivement dans un trou
Bon… dit-elle après réflexion. Essaie de partir plus tôt pour rejoindre Silhaée au plus vite. Il
va falloir qu'on s'organise dès ce soir pour trouver un nouveau plan qui la protégera plus
Tu m'as dit qu'à la fouille de la maison, notre plan B avait fonctionné à merveilles. Ils
doivent donc penser qu'elle s'est échappée, ce qui est parfait dans l'immédiat.
… J'aimerais voir les choses comme ça… répondit Jayden en repartant vers le centre du
hangar.
Meydân fit alors une moue largement plus sceptique que les précédentes avant de quitter le
Transiteur.
Dans l’ascenseur la ramenant sur son secteur, elle eut une pensée pour Eyrin. Depuis que son
père avait appris qu'elle était allée lui rendre visite en secret, Meydân n'avait plus le droit d'entrer
dans l'Expéria. Elle n'avait donc plus la possibilité de le voir et encore moins de lui demander
conseils… Pourtant tout aurait été tellement plus simple s'il avait pu les aider. Les bonnes idées, les
Transmissions secrètes
bondit de son lit. Une énième curatrice venait lui apporter son plateau repas comme trois fois par
jour.
Je regrette Monsieur Hederling mais encore une fois nous ne le voyons que très peu en ce
prochaine visite.
La curatrice lui tendit une grande enveloppe qu'Eyrin s'empressa de saisir et de décacheter. Il
découvrit alors un épais dossier de plusieurs dizaines de pages sur lequel était inscrit en gros
caractères :
DE M. HEDERLING E. »
À la lecture de ces mots, un rire nerveux échappa à Eyrin qui froissa légèrement le dossier
Monsieur Hederling, tenta de reprendre la curatrice. Le Docteur Erdowel a insisté pour que
vous lisiez ce document calmement et que vous preniez le temps de vous en imprégner avant
Cette fois Eyrin se mit à rire franchement, comme si les propos tenus par la soignante face à
Non… dit-elle manifestement mal à l'aise. Mais toutes ces informations sont
Ah vous croyez ?
Non non non, dit-il avec la lueur d'un fou dans le regard. Ce n'est pas parce que vous avez
décidé de m'enfermer ici depuis deux jours que je n'ai pas le droit de parler un minimum
La soignante fit alors glisser sa main vers un petit badge qu'elle avait d'accroché à sa blouse,
un badge d'urgence qu'il lui était possible d'activer pour appeler des renforts.
Si j'étais vous je ne ferais pas ça, lui dit Eyrin en interrompant son geste dans ce même
temps. Je ne veux pas vous faire de mal et encore moins vous faire peur. Je veux simplement
La curatrice relâcha alors son badge et se fit plus attentive, répondant davantage à la
Merci, dit-il enfin en tentant de retrouver son calme. Comme son nom l’indique : ce
document est une charte de silence individualisée, rédigée par mon père Atân Hederling, le
Docteur Erdowel bien entendu et Jodd Altwood. Elle a été conçue pour me permettre de
quitter le dôme dans le plus grand des secrets si je m'engage en contrepartie à ne pas
ma sortie du dôme, il faudra impérativement que je sois assigné à résidence chez mes
parents, pour ne pas encourir le risque que qui que ce soit ne me croise dans la rue alors que
je ne suis plus sensé m'y trouver. Et enfin, elle est là pour me rappeler que dans un souci de
flou thérapeutique total, il faut que je sois stérilisé pour envisager une sortie. Et oui, car dans
le cas où il me viendrait à l'idée de fuguer de chez moi pour aller me reproduire, il serait
dommageable d'encourir le risque de faire un bébé avec une personne vaccinée contre
La curatrice semblait impressionnée mais pas surprise. Eyrin n'en fut cependant pas
vraiment étonné puisqu'il s'agissait en fin de compte de l'un de ces soignants qui acceptaient
d'administrer des placebos pour la forme à des patients qu'ils savaient en conséquence condamnés.
Moi je pense que vous avez de la chance quelque part qu'on ne vous laisse pas pourrir ici,
avoua-t-elle enfin. J'ai perdu un ami et un oncle de l'ERR-6 et j'aurais aimé qu'on leur
accorde les mêmes privilèges que les vôtres. Je suis sûre qu'ils n'en auraient pas fait toute
une histoire, qu'ils auraient signé cette charte et pris ce traitement stérilisant pour peu qu'ils
pensant qu'à moi et ma famille, cela voudrait dire que je renoncerais à me battre pour toutes
celles et ceux qui n'ont pas eu ce privilège. Cela voudrait dire que je laisserais LEXO
emprisonner ces hommes et femmes jusqu'à leur mort pour ne pas qu'ils prennent le risque
de s'accoupler avec des futurs vaccinés… Ou peut-être aussi pour ne pas qu'ils parlent de
Silhaée Uji… La disparue du dôme, la survivante de l'anti ERR-6 qui n'est jamais revenue
de son « intervention » …
Cette fois la curatrice n'eut plus les arguments pour défendre les idées que le groupe prônait
magistralement.
Vous voyez Mademoiselle… termina Eyrin. Ce n'est pas si simple que ça.
N'y a-t-il vraiment aucune chance pour que j’aie le droit d'écrire un courrier à mes proches ?
N'importe quel patient-testeur ici à ce droit, je ne vois pas pourquoi les choses seraient si
Depuis votre seconde fugue, le Docteur Erdowel a été clair : porte verrouillée, pas de
La réponse il la connaissait déjà mais elle la contraria une fois de plus. Eyrin jeta alors avec
force la charte contre un mur qui s’effeuilla au vol. Puis il s'écarta de la porte pour laisser la
soignante continuer son travail. Cette dernière ne demanda pas son reste et quitta la pièce
prestement après lui avoir accordé un dernier regard à mi-chemin entre l'empathie et la pitié.
Oooaaaah ! bailla un curateur assis derrière son îlot de surveillance. Punaise il n'est que trois
Je vais aller me chercher un café, je t'en ramène un ? proposa la deuxième curatrice en poste.
Ah ouaip !
Elle sortit alors de leur aile et se dirigea vers la salle de pause réservée aux soignants du
centre de soins continus. En arrivant devant la machine à café, elle constata que les recharges
étaient vides.
Blasée, elle s'en alla jusqu'à la réserve du centre de soins, se jurant que c'était bien la
couloir principal avec un adjacent, la curatrice s'arrêta. Si elle se souvenait bien, c'était ici qu'Eyrin
avait été installé : dans l'ancienne chambre de garde. La soignante hésita un instant… puis reprit son
chemin… avant de faire finalement deux pas en arrière. À cette heure-ci il n'y avait pas grand risque
qu'elle rencontre quelqu'un, surtout à ce niveau du centre. Elle s'éclipsa donc dans le renfoncement
convoité et badgea à la seule porte existante au bout de ce dernier. En entrant, elle y découvrit une
pièce plongée dans la pénombre. Les volets automatiques de la chambre n'avaient été que
partiellement clos, laissant ainsi pénétrer la lumière bleutée de l'heure en rétroéclairage sur les
parois du dôme. Grâce à ça, elle put distinguer tous les éléments qui jonchaient le sol, à commencer
par le plateau repas dont les différentes assiettes avaient été propulsées telles des frisbees contre les
murs. En avançant encore elle remarqua que le sol était également couvert d'une multitude de
morceaux de papiers déchirés. Intriguée, elle finit par en ramasser quelques-uns et tenta de savoir de
quoi il s'agissait. Elle crut reconnaître les termes d'un contrat dans lesquels elle retrouva à de
multiples reprises le mot « interdit ». Elle contourna comme ça divers éléments, papiers et draps
Eyrin y était allongé, tête dans l'oreiller. Le sommeil semblait enfin avoir eu raison de sa
colère. La soignante hésita d'abord à le réveiller et finit par se lancer car elle ne savait pas si et
Eyrin bougea d'abord lentement, abandonnant sa position latérale pour se remettre sur le dos
En un coup d’œil, Eyrin avait reconnu le visage longiligne de l'une des curatrices de nuit
moment hein ? …
Après une longue inspiration, Eyrin se lança dans la narration de ce qu'il s'était passé avec la
curatrice précédente au moment du dîner. Il fit le même speech à Joa, lui détailla les mêmes
éléments, lui avança les mêmes arguments. Et ce qui lui fit le plus plaisir c'est les réactions de cette
dernière lorsqu'elle lui fit part de son admiration face à des convictions aussi fermes.
Et est-ce que toi tu penses que tu pourrais me permettre de voir Erdowel ? tenta Eyrin.
Oh non ça je ne crois pas malheureusement… En cinq ans de travail pour LEXO, je n'ai dû
le rencontrer qu'une fois. Je travaille de nuit tu vois alors bon, c'est délicat…
Je suis désolée…
Tu ferais ça ?
ne veux pas devenir ton compagnon de substitution. Je veux bien lui donner de tes nouvelles
Je ne t'en aurais pas demandé plus, rétorqua-t-il en retrouvant peu à peu le sourire. Est-ce
que tu pourrais simplement lui dire que si je ne lui écris pas c'est parce que je n'ai pas le
On voit que tu ne le connais pas… dit-il en hochant la tête de gauche à droite. Donc est-ce
Super, répondit-il en joignant ses mains l'une contre l'autre. Bon maintenant je vais te
Oulà… Je veux bien t'aider un peu parce que j'ai de la sympathie pour toi, mais encore une
En fait ça nécessite que tu reviennes me voir quand tu pourras… Parce que concrètement je
n'ai pas grand-chose à dire à Meydân... mais plutôt plein de questions à lui poser.
Sauf que je ne suis pas sûre de pouvoir revenir… dit-elle avec franchise. Si je suis là c'est
parce qu'il n'y avait plus de café dans notre machine et qu'il a fallu que j'aille en chercher à
Si tu ne reviens pas tant pis mais si tu reviens j'aimerais que ce soit avec des réponses…
Bon… Dis toujours, céda-t-elle. Mais dépêche-toi. Ça fait déjà un quart d'heure que je suis
Dans l'urgence, Eyrin n'avait pas trouvé d'autre façon d'anonymiser l'identité de Silhaée tout
C'est quoi ça, un code secret ? rétorqua Joa en visant dans le mille sans le savoir.
Non non c'est une amie à nous, répondit Eyrin en feintant l'aisance. C'est comme ça que
Et est-ce que tu pourrais lui demander de prendre aussi des nouvelles de Torana ?
… Bon donc des nouvelles de votre petite protégée et Torana, énuméra-t-elle. C'est bon ?
Je ne te promets rien encore une fois, le prévint-elle de nouveau en se levant de son lit.
Oui oui, je sais. Mais dis-toi que ça me ferait un bien fou de savoir ça…
Désormais occupée à sortir d'ici, Joa contourna dans l'autre sens le bazar au sol avant de se
N'essaie pas d'exacerber ma sensibilité… dit-elle empathique malgré tout. Je ferai tout ce
Oui ?
Merci, dit Eyrin. Au-delà du service rendu, je te remercie d'être passée me voir… Ça m'a fait
beaucoup de bien…
… Prends soin de toi, dit-elle dans un sourire bienveillant avant de disparaître derrière le
À l'image des autres employés du groupe, la secrétaire d'Atân avait quitté son bureau depuis
plus d'une heure maintenant. En arrivant dans les quartiers de la direction, Erdowel fut en
conséquence accueilli par un bureau vide et dérangea donc Atân par lui-même.
- Toc Toc -
D'un coup de badge, il déverrouilla la porte et tomba sur le directeur encore installé dans le
Erdowel s'exécuta, avançant jusqu'au bureau avant d'échanger avec lui une franche poignée
de main.
Ne t'en fais pas pour ça, le rassura Atân. J'avais encore une montagne de choses à régler. Je
Bon alors venons-en au fait, tronqua-t-il soudainement moins enjoué. Si j'ai demandé à te
voir c'est pour que l'on discute de mon fils. J'aimerais savoir comment se passe son
Oui de fait… répondit Erdowel. Mais il demande à me voir chaque jour, plusieurs fois par
jour… Mes soignants ne savent plus quoi inventer pour justifier mon absence…
J'ai confiance en eux, ils continueront à te trouver des excuses crédibles, l'interrompit-il. Et
Atân enfonça encore un peu plus son dos dans son fauteuil de bureau, entremêlant ses doigts
Je n'en attendais pas moins de lui, dit-il avec évidence. Et ses derniers résultats ?
Bien, poursuivit-il en faisant rouler ses pouces l'un sur l'autre. Tout ceci m'amène à penser
que nous avons pris la bonne décision le concernant. Pas de contact, pas de privilège tant
Il attend peut-être simplement de nous qu'on discute avec lui de vive voix…
Mon fils est une tête de lard, l'interrompit-il. Il attend de moi que je donne la même chance
que la sienne à tous les patients-testeurs. Mais ce qu'il ne comprend pas c'est que
premièrement ; nous ne pouvons pas prendre le risque de créer une nouvelle génération
Deuxièmement : le coût que représenterait la production d'un traitement stérilisant pour des
millions de personnes dépasserait de loin le budget accordé aujourd'hui pour l'Expéria et ses
antennes. Et enfin troisièmement : pour les patients-testeurs vivant déjà depuis un bon
moment dans les dômes, il y aurait beaucoup trop d'incohérence entre le contenu des lettres
écrites à leurs proches et les reformulations faites par le secteur de la « retranscription ». Ils
risqueraient donc de parler, de se poser des questions, de nous poser des questions, bref : ils
voudraient des réponses… Et ça, ça serait la pire chose qui puisse arriver à LEXO.
Pourquoi ne pas expliquer tout ça à Eyrin tout simplement ? fit remarquer Erdowel. Peut-
Il sait tout ça. Mon fils est une tête de lard, pas un idiot, rétorqua Atân agacé. Seulement il
refuse d'entendre que nous n'avions pas d'autres solutions que celle que nous avons prise.
Et c'est mal connaître vos patients Docteur, ironisa-t-il. J'ai eu de longues discussions avec
ma fille à ce sujet et comme tu le sais, elle a fini par nous suivre même si elle n'était pas en
accord avec tout. Eyrin, lui, n'est pas aussi malléable. Il a même plutôt tendance à faire le
contraire de ce que je lui demande. Si je dis blanc, il dira noir et vice versa.
Atân ne répondit rien, se contentant de sourire un peu malgré lui, tournant ses pouces dans
Disons que la défaillance de son gène est tombée à pic, avoua-t-il. Je savais que tôt ou tard
Eyrin comprendrait la finalité de mon projet concernant les dômes et qu'il me donnerait du
fil à retordre sur le sujet. Son affectation dans l'Expéria a donc réglé un de mes problèmes.
Alors pourquoi vouloir le faire sortir ? Pourquoi tout ce cinéma avec la charte de silence, la
stérilisation…
Voyons Jack… Tu n'es pas attentif ? dit-il un sourire naissant sur le visage. Si je dis blanc, il
dit noir…
Bien évidemment. Les termes du contrat sont si éloignés de ses convictions personnelles
Tu… Tu ne vas quand même pas abandonner ton fils au même titre que les autres patients-
Non, bien sûr que non, rétorqua-t-il. Ma femme ne me le pardonnerait jamais. Non, disons
que je vais d'abord m'assurer que LEXO connaîtra la gloire qu'il mérite. Je vais lancer les
cesse de critiquer son travail. Et ce n'est que lorsque j'aurai accompli tout ça que je serai
enfin tranquille et à même de m'occuper de mon fils. Lui, d'ici là bien sûr, il sera fatigué de
toute cette captivité et n'aspirera plus qu'à une chose : sortir de sa chambre, quel qu'en soit le
prix.
Je vois… répondit Erdowel le regard vide. Et dans ton plan rudement bien ficelé, as-tu pris
Paolo ne te l'a pas dit ? s'étonna Atân. Nous avons une piste très sérieuse, un employé d'ici…
Un certain « Jayden Williams », enfin plus exactement « Jayden Siller ». Nous avons
découvert qu’il avait délivré une fausse identité pour être embauché par LEXO.
Paolo ne m'en a pas parlé. Mais nous ne nous sommes pas vus depuis deux jours cela dit.
Atân pianota un instant sur son pavé tactile et retourna d'un geste de la main le faisceau de
lumière lui servant d'écran. Il afficha ainsi la fiche profil de l'employé en détaillant grossièrement
Ancien ingénieur en informatique, petit génie du réseau, il est l'élément idéal pour pirater un
des employés sélectionnés le jour du prélèvement pour brancarder la patiente. Comme tous
les autres employés présents le jour J, il a été interrogé par mes enquêteurs. Il a dit être
rentré chez lui le soir de la disparition et assure avoir repris ses petites habitudes depuis.
Pourtant ses voisins disent ne pas l'avoir vu depuis plusieurs jours. Nous avons donc fait
placer un traceur sous sa voiture et avons enregistré le chemin qu'il a pris chaque jour depuis
d'aller dans la maison de son frère ? Ça ne me semble pas être un argument suffisant pour en
faire un suspect…
Sauf si le traceur de base, celui intégré à la fabrication de sa voiture, a été piraté pour éviter
qu'on ne le piste.
Comme tu dis, confirma Atân. Heureusement le nôtre n'a pas été repéré, il n'a donc pas
cherché à le désactiver et c'est grâce à ça que nous pouvons aujourd'hui en faire une cible
principale.
Mais alors pourquoi ne pas l'avoir fait arrêter ? fit remarquer Erdowel.
Parce que mes enquêteurs m'ont certifié que s'il était en partie responsable du kidnapping, il
était en revanche impossible qu'il ait agi seul. Nous voulons donc d'abord trouver ses
complices avant de l'arrêter. Et quoi de plus simple pour trouver les autres qu'en ne les
inquiétant pas le moins du monde. J'ai donc fait placer un traceur sur la totalité des véhicules
des employés présents le jour du prélèvement et nous avons analysé leurs trajets. Parmi tous,
seuls quatre d'entre eux se sont rendus au moins une fois dans la fameuse maison du frère de
Jayden Siller : trois employés du secteur de la préparation, autrement dit de potentiels amis
Elle est étiquetée sur les comptes-rendus de recherches comme l'instauratrice du vaccin anti
ERR-6. Tant que la campagne de vaccination n'est pas lancée, je ne peux rien faire. Si
j'engageais une procédure contre elle et qu'elle ne pouvait en conséquence pas se présenter à
futures interviews, les gens se poseraient trop de questions. Les médias risqueraient de
D'accord, acquiesça Erdowel. Mais en attendant il faut quand même que nous retrouvions la
Ma femme devait tâcher de gagner la confiance de notre fille pour essayer de lui soutirer des
informations sur le sujet expérimental UJI mais elle n'est pas parvenue à trouver les bons
Atân ouvrit la bouche, comme pour se lancer dans de nouvelles explications, mais se ravisa
finalement.
Tu sais quoi… dit-il malicieux. Puisque tu m'as dit ne pas pouvoir rester longtemps et que je
n'ai pas encore obtenu le compte-rendu de mes enquêteurs, je ne vais pas t'en dire plus. Mais
je te propose que nous déjeunions ensemble demain midi. Ainsi les nouvelles seront
fraîches.
Mais rassure-toi mon ami, clôtura-t-il. Dans le meilleur des cas je t'annoncerai que nous
avons retrouvé le sujet expérimental UJI. Ou dans le pire, que nous avons enfin coincé ses
détenteurs…
Nouvelle escale
ne put partir plus tôt de LEXO. Ayant fait le choix de la discrétion après le passage notable de
Meydân, il ne recontacta pas Silhaée avant d'être sorti de son lieu de travail. Ce n'est qu'une fois en
voiture qu'il tenta à plusieurs reprises d'appeler la jeune femme mais n'obtint aucune réponse de sa
part. Ignorant la raison de son silence, il pressa davantage l'accélérateur à mesure que les kilomètres
confirmèrent. Trois véhicules sombres y étaient garés les uns derrière les autres. Leurs propriétaires
Non non non non ! répéta vivement Jayden en écrasant encore un peu plus l'accélérateur.
En franchissant le portail, une partie des personnes présentes s'agglutina autour de son
L'un des hommes lui fit cependant barrage, lui demandant avec insistance de reculer.
Mais qu'est-ce que vous foutez chez moi ?! se révolta-t-il en voyant plusieurs attroupements
Reculez, insista l'un d'eux. Le chargé de mission va venir vous expliquer la situation.
consigne, sinuant de droite à gauche à la recherche de celle pour qui tout était en train de basculer :
Silhaée…
Un homme à l'uniforme moins sombre que les autres arriva jusqu'à lui, tablette en main.
Alors vous allez me faire le plaisir de demander à vos agents de dégager de chez moi !
Jayden saisit alors le petit objet et constata qu'un mandat de perquisition exceptionnelle, sur
accord de Jodd Altwood, avait été délivré aux enquêteurs afin de procéder à certaines « vérifications
Qu'est-ce que c'est que cette connerie ? … dit-il en peinant à feinter la surprise. Mon frère
est décédé depuis plusieurs années, pourquoi aurait-on un mandat contre lui ? …
Ce n'est pas contre votre frère que ce mandat est dirigé Mr Siller. C'est contre vous, depuis le
Jayden n'arrivait plus à anticiper ce qu'il pouvait dire ou faire pour tenter de sauver le peu de
Et quels sont les faits qui me sont reprochés ? dit-il tant bien que mal.
Certaines données importantes appartenant au groupe LEXO ont été dérobées il y a quelques
Il venait de tilter quelque chose : comment les enquêteurs avaient-ils su pour sa nouvelle
domiciliation puisqu'il avait pris le soin de trafiquer le traceur intégré de sa voiture (au même titre
que celui de ses complices) ? Par qui ou plutôt « comment » l'avaient-ils su ? Il se souvint
soudainement du pot que Meydân lui avait confié, celui-là même qui contenait un traceur espion. Il
détourna alors un instant son regard pour le poser sur son véhicule et tilta. Il avait été d'une naïveté
sans nom.
Hé ! Qu'est-ce que vous faites ?! bondit brusquement Jayden en voyant les enquêteurs sortir
certains meubles de la maison. Ce sont des affaires privées ça ! Elles appartenaient à mon
Il accourut alors vers la porte d'entrée et fut d'abord surpris par la vive odeur de produits
ménagers, avant de l'être plus encore par la quantité d'agents relevant des empreintes et
photographiant les moindres détails suspects. Au fond de la pièce principale, il vit ensuite la porte
du dit « bureau-débarras » grande ouverte, dévoilant quelque chose qui le laissa bien plus perplexe
encore que toute cette histoire. La fenêtre de cette pièce semblait avoir été brisée depuis l'extérieur.
Des morceaux de verres couvraient le parquet du bureau, accompagnés d'un parpaing appartenant
certainement au tas de briques près du garage, abandonné là depuis de trop nombreuses années.
Cette fenêtre était-elle déjà brisée ce matin avant que vous ne vous rendiez à votre travail ?
… Non… répondit-il en approchant plus encore avant qu'on ne l'incite une fois de plus à
reculer.
Monsieur ? interpella une enquêtrice, faisant ainsi revenir vers elle le chargé de missions.
Jayden tendit alors une oreille indiscrète vers eux tout en continuant d'observer les
Les collègues qui avaient effectué le premier passage ici n'avaient pas eu le temps de visiter
cette pièce, rapporta la jeune femme. Ils disent avoir suspecté une présence dans la chambre
principale et s'être en conséquence détournés du reste de la fouille. Ils ne sont donc pas en
mesure de savoir si l'effraction dans le bureau était déjà d'actualité lors de leur premier
passage.
grossièrement, puis de plus en plus précisément, le scénario suivant l'appel de Silhaée. La jeune
femme venait de se protéger tout en les innocentant par la même occasion. Elle avait eu LE coup de
La jeune femme était assise en voiture depuis une petite heure maintenant, aux côtés d'un
conducteur âgé d'une trentaine d'années à peine. Plus tôt dans la journée, alors qu'elle s'était
encapuchonnée et marchait d'un pas pressé mais hasardeux sur le bord de la route, ce dernier avait
répondu à son pouce tendu et l'avait pris en stop. Elle lui avait alors demandé de rejoindre le plus
rapidement possible la fabrique de bonbons « Carly Sugar ». Cette destination n'était pas vraiment
sur son chemin… Mais manifestement charmé par le regard cristallin de la jeune femme, il s'était
Merci encore, dit Silhaée en couvrant de nouveau sa tête avec la capuche du sweat emprunté
à Jayden.
Le jeune homme faisait référence à leur deal : il avait accepté de l'amener jusqu'à la fabrique
Le conducteur ne sembla pas la croire. Personne ne sortait plus cette excuse aujourd'hui.
Tout le monde avait un compagnon depuis sa plus tendre enfance, il était donc difficile d'imaginer
… Prends au moins les miennes si tu ne veux pas me donner les tiennes, la supplia-t-il du
La main sur la portière, Silhaée eut envie de se mettre à courir, échappant ainsi à la gêne
occasionnée par l'instant. Mais elle se dit finalement qu'elle lui devait au moins ça puisqu'il avait
tout de même accepté de lui rendre service qui lui avait très certainement sauvé la mise.
As-tu de quoi noté pour moi ? dit-elle finalement. Je n'ai pas mon compagnon sur moi…
Triomphant, le conducteur attrapa dans l'un des rangements du véhicule un vieux stylo de
dépannage. Il arracha ensuite le coin d'un emballage alimentaire et y griffonna ses coordonnées.
Tiens, dit-il enfin à la jeune femme en la suppliant une seconde fois du regard. Merci…
Recontacte-moi…
J'essaierai c'est promis, dit-elle en refermant la portière puis en s'écartant du véhicule pour le
laisser repartir.
Elle attendit un instant que son conducteur d'un jour disparaisse de son champ de vision puis
se retourna vers le lieu qu'elle avait tant espéré pouvoir rejoindre sans encombre : la fabrique «
Carly Sugar ». Rix et Gaële en avaient parlé tant de fois que même sans l'avoir jamais vu, elle eut
l'impression de reconnaître l'endroit. Silhaée regarda avec soulagement ce grand bâtiment ovale rose
pâle et huma à plusieurs reprises les notes aussi fruitées que caramélisées du fond de l'air.
« Carly Sugar » était une fabrique de bonbons réputée, la meilleure du secteur dans la NUPE
Gaële, elle, avait emménagé juste à côté de la fabrique avec son mari et sa fille peu de temps avant
que la défaillance de son gène ne la contraigne à rejoindre l'Expéria. Elle prenait donc parfois plaisir
à raconter le souvenir de ses quelques réveils sucrés, se remémorant le sublime parfum caramélisé
des fonds de cuves à l'ouverture de ses fenêtres. Silhaée n'aurait jamais imaginé que ces anecdotes
Une fois devant la fabrique, elle réalisa un tour d'horizon et localisa deux lotissements à
proximité. Elle en choisit un, celui qui lui semblait le plus proche, et commença à réaliser son tour
d'inspection. Elle scruta avec minutie les boîtes de dépôt3 de chaque habitation, jetant en
systématique un œil sur leurs noms avant de passer à la suivante jusqu'à ce que sa recherche soit
concluante. Elle réalisa ainsi une demi-heure de recherches infructueuses avant de tomber enfin sur
D'abord soulagée, Silhaée afficha un immense sourire qu'elle ne parvint pas à conserver
quand elle dut se lancer. Après quelques secondes d'hésitation, nécessaires à la gestion de ses
émotions, elle inspira un grand coup, s'approcha du portail et s'arrêta devant l'interphone. D'un doigt
tremblant, elle pressa la touche d'appel et espéra de tout cœur que le mari de Gaële serait chez lui.
Cette dernière leur avait expliqué que son conjoint travaillait dans la publicité et effectuait la
majeure partie de son travail au domicile. Il fallait donc espérer que les choses n'aient pas changé
depuis...
« C’est moi-même ».
J'aurais besoin de vous voir… En privé… précisa-t-elle en s'assurant que son visage était
C'est compliqué…
Non non, attendez, l'interrompit-elle. Bon écoutez, ce que je veux vous demander est un peu
Un semblant de rire échappa à l'homme derrière l'interphone. N'ayant pas l'air de la prendre
Gaële est en danger, lâcha-t-elle brusquement. Les dirigeants de LEXO sont en train de
prendre des décisions qui vont la condamner à mourir pour rien et ce dans la plus grande
ignorance…
Il faut que vous me laissiez entrer Mr Torelli… acheva-t-elle. Mon insistance est à la hauteur
de l'urgence de la situation…
Après quelques secondes de silence révélant une profonde réflexion, Silhaée entendit le
verrou du portail face à elle se rétracter et vit la porte d'entrée de la maison s'ouvrir au loin.
« Allô ?»
Jayden était assis dans son séjour depuis une bonne heure quand le chargé de missions lui
Une convocation à notre bureau vous sera transmise très prochainement, lui annonça ce
Jayden ne répondit rien, se contentant désormais de remettre en place tout ce qui avait été
Bien… approuva l'agent en rejoignant la sortie. Ah, j'allais oublier : si vous aviez omis de
nous mentionner certains détails pouvant nous aider à retrouver les « données perdues »,
sachez qu'il est possible, via LEXO, de nous recontacter à n'importe quel moment…
Ne se sentant toujours pas obligé de répondre, Jayden se baissa pour ramasser un énième
Si vous nous aidiez à faire avancer l'enquête sachez que nous serions prêts à vous en
récompenser, termina le chargé de missions. Entendez par là que nous fermerions les yeux
sur certains éléments qui vous incombent au profit de ceux qui pourraient nous être utiles…
Puis il quitta la maison sans espérer cette fois de réponse de la part du jeune homme. Ce
dernier avait cependant bien entendu et compris ses sous-entendus. Mais dans l'instant, Jayden était
UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 139
préoccupé par bien d'autres choses qu'il lui fallait gérer en priorité. Il attendit donc patiemment que
les trois véhicules quittent enfin sa cour et se jeta sur Zoka sans plus attendre.
Le droïde s'exécuta, sonnant à deux reprises avant de laisser la voix doucereuse d'une
« Bienvenue sur le site mère du groupe LEXO, que puis-je faire pour vous ?»
Bonjour, j'aimerais joindre la cheffe de projet en recherche clinique, dit-il. Je suis l'un de ses
agents.
Jayden patienta une petite minute avant d'entendre de nouveau la voix de la standardiste.
« Je suis désolée mais il semblerait que Mademoiselle Hederling ait quitté nos locaux »,
annonça-t-elle. « Je peux peut-être prendre un message ? Elle l'aura dès demain, à son
arrivée. »
Non non… répondit Jayden déçu. Je verrai ça directement avec elle… Je vous remercie
quand même.
fantôme »4.
Avec un peu de chance, la jeune femme se trouvait encore dans son véhicule, terminant le
trajet la ramenant chez elle. Il ne lui fallut qu'une courte sonnerie pour en obtenir la réponse :
« Fais vite, je viens d'arriver chez moi. Malone est rentré, il risque de se poser des questions
Non non détrompe-toi : c'est la meilleure chose qui nous soit arrivée ! rétorqua-t-il
vivement.
Les enquêteurs sont revenus chez moi cet après-midi. Ils m'attendaient pour un
interrogatoire. Silhaée avait déjà disparu quand ils sont arrivés, ils ne sont donc pas tombés
sur elle. Mais ils ne sont pas arrivés dans une maison vide pour autant…
« C’est-à-dire ?»
Je pense qu'en ne se sachant plus en sécurité chez Wayen et sans nouvelles de notre part,
Silhaée a dû réfléchir à mille et une façons d'agir si les enquêteurs étaient amenés à revenir.
Elle a donc imaginé une façon de sauver sa peau tout en faisant en sorte de nous innocenter
Lors de leur première visite, les enquêteurs n'ont pas eu le temps de visiter le bureau
puisqu'ils ont quitté précipitamment la maison grâce à la simulation de fuite que nous avions
mise au point. Après leur passage, Silhaée aurait à priori eu l'idée de simuler une effraction
en jetant depuis l'extérieur une brique à travers la fenêtre du bureau, de sorte à ce que l'on
croit que quelqu'un s'était introduit de force. Elle avait en amont procédé à un nettoyage
quasi professionnel de toute la maison en s'assistant du droïde ménager pour éradiquer les
plus petites traces de son passage chez moi. Et enfin elle s'est s'enfuie. Au début je ne voyais
pas l'utilité d'une telle organisation mais après réflexion j'ai compris : puisque aucun
enquêteur n'était entré dans le bureau lors de leur première visite, ils ne pouvaient pas savoir
de quand datait l'effraction. Avait-elle eu lieu avant ou après leur première visite ?
moi lors de leur premier passage. Tout portait à croire qu'il s'agissait plutôt d'un cambrioleur,
voire d'un squatteur qui aurait voulu trouver refuge dans cette maison de campagne quelque
peu abandonnée... !
« Incroyable… »
« Et maintenant où est-elle ?»
Ça malheureusement je n'en sais rien… avoua-t-il. Et je ne suis pas sûr qu'elle nous ait laissé
le moindre indice dans la maison. Les enquêteurs auraient pu tomber dessus, c'était trop
risqué.
« Rah ça craint !»
Et bien figure-toi que je pensais la même chose au départ avant de réaliser qu'en fin de
Par cette mise en scène, Silhaée a provoqué trois choses. La première, elle m'a fourni un
alibi béton dont je vais me servir : il s'agit d'une effraction dont j'ai été la victime, c'est tout.
Pour le reste ils ont fait fausse route. La deuxième : elle t'a couverte toi aussi.
Par ricochet, confirma-t-il. Mais pour que ton alibi fonctionne, il faut que tu continues de
venir régulièrement chez Wayen, tout comme moi, pour donner l'illusion que si tu
empruntais ce chemin c'était pour venir me voir moi et non pas pour jeter un œil sur Silha, tu
comprends ?
« Oula !» s'exclama-t-elle.
C'est le prix à payer pour nous innocenter définitivement Meydân. Il faut qu'ils pensent
qu'ils se sont trompés de piste et que tous les indices qu'ils ont trouvés jusque-là sur notre
« C’est une solution dangereuse à mon sens… Je te rappelle que mon père est à la tête de
Nous n'avons pas tellement le choix pour le moment si nous voulons être enfin tranquilles…
« Et du coup la troisième chose ? Tu ne m'as pas parlé de la troisième chose selon toi que la
Elle nous a innocenté, ça c'est un fait, mais elle s'est également protégée par la même
occasion. Nous ne savons pas où elle se trouve à l'heure actuelle, nous ne sommes donc pas
conduire les enquêteurs jusqu'à sa cachette. Finalement, moins nous en savons, mieux sait.
En tout cas au moins le temps que tous les soupçons qui pèsent sur nous soient levés.
« … Je ne sais pas vraiment quoi penser de tout ça… Je n'arrive pas comme toi à me dire
Je n'ai pas dit que c'était une bonne solution, j'ai simplement dit que pour le moment c'était
astucieux, rectifia-t-il.
« Oui… C'est sûr… Bon je suis désolée Jayden mais il va vraiment falloir que je te laisse. »
Puis il raccrocha et relâcha Zoka qui dansa sur lui-même avant de ne redevenir qu'un simple
cube sans face. Jayden balaya ensuite les quelques débris de verre toujours présents dans le bureau
puis replaça la brique où elle avait été prise. Il ramena également les nombreux cartons et meubles
qui avaient été déplacés dans le séjour pour les besoins de l'enquête et cloua une planche sur la
fenêtre brisée. Une fois tout cela fait, il se servit un verre de soda frais, s'assit dans son canapé et
alluma sa télévision.
Tiens ? s'exclama-t-il en constatant que la dernière chaîne regardée avait été mise sur «
pause ».
Silhaée l'avait volontairement interrompu sur une publicité vantant les délices d'une célèbre
marque de bonbons « Carly Sugar ». À défaut de pouvoir être plus explicite, elle espérait que cela
les aiguillerait sur sa nouvelle destination. Seulement, loin d'être en capacité d'établir un lien avec le
domicile de Gaële, Jayden n'y vit rien de plus qu'une mauvaise manipulation de la part de la jeune
femme. Il fit donc un retour au direct et reprit la diffusion des programmes actuels sans se poser
davantage de questions.
En rentrant chez elle, Meydân fut rassurée d'entendre le ruissellement du jet d'eau sur les
parois de la douche. Malone n'était donc pas derrière une fenêtre à attendre bien sagement qu'elle
La réponse de Malone fut beaucoup moins audible que la sienne. Meydân se débarrassa
Aaah enfin, dit-il en essuyant le shampooing qui lui glissait sur le front. J'ai reçu un appel
Une amie à moi que tu ne connais pas ? Tu dois faire erreur, fit-elle remarquer.
Ah Joa, je n'avais pas pensé à elle… C'est une vieille amie d'école qui travaille pour LEXO
maintenant. Elle est postée de nuit sur l'Expéria. Si elle a essayé d'appeler c'est qu'il y a eu
Malone perçut la détresse dans la voix de sa fiancée et essuya la buée sur la paroi de douche
J'ai pris les coordonnées de son logement LEXO si tu veux essayer de la joindre, précisa-t-il.
J'arrive, la prévint Malone en plaçant une nouvelle fois sa tête sous le jet d'eau.
Puis elle quitta la salle de bain et redescendit vivement les marches de l'escalier jusqu'à
Appelle le poste de Joa, indiqua-t-elle au droïde fixe installé sur son socle de charge à
l'entrée du séjour.
Ni une ni deux, l'appareil lança la manœuvre, sonnant par trois fois avant que la jeune
« C’est dur pour lui, je ne t'apprends rien… L'isolement ne lui va pas du tout… »
« Tu l'ignorais donc », conclut Joa en repensant aux doutes d'Eyrin sur le sujet. « Depuis
qu'il a outrepassé ses permissions nocturnes en sortant en journée dans le dôme, Erdowel a
Oh non… Eyrin…
« Je suis désolée de te l'apprendre… Je pensais que ton père t'en aurais parlé. »
Mon père est la dernière personne qui me tiendrait informée de pareilles décisions…
« Quoi qu'il en soit ne t'en fais pas, Eyrin tient le coup. Mais comme nous tous, il a besoin
de contact. Et c'est justement pour ça qu'il m'a demandé de te joindre, il voulait que tu lui
« Il voulait savoir comment allaient votre « petite protégée » et Torana ?» dit-elle fièrement.
Meydân se trouva brusquement déstabilisée par cette question. Elle ne s'attendait pas à ça, à
rien de tout ça. Il lui fallut donc quelques secondes pour analyser les informations qui en
découlaient.
s'en doutait… Tu pourras lui dire aussi qu'elle a préféré prendre son envol par elle-même
mais que le contexte était tel qu'il n'y avait pas d'autres solutions…
« Oula attend je vais prendre des notes », répondit Joa. « Et pour Torana ?»
Euh écoute il va falloir que je me renseigne pour Tora parce que je n'ai pas eu de nouvelles
depuis un bon moment… À la limite est-ce que je peux te mettre en attente, je vais essayer
de l'appeler rapidement.
Meydân interrompit provisoirement son appel, s'empressant d'en lancer un autre vers le
compagnon de Torana.
« J’allais partir à l’Université », dit-elle. « Mais j'ai toujours cinq minutes pour toi ».
Ah oui… Je n'ai même pas tenu compte du décalage horaires... tilta-t-elle désolée.
Meydân s'apprêtait à lui dire qu'elle l'appelait de la part d'Eyrin mais se souvint juste à temps
que tout le monde ignorait son affectation dans l'Expéria. Il n'était pas question d'en informer qui
que ce soit si elle voulait revoir son frère un jour en dehors du dôme.
Hum euh je voulais savoir si tu allais revenir dans notre NUPE prochainement ?
pas de nécessité de revenir pour le moment… Mais je peux toujours voir avec mes parents
pour que l'on vous rende une petite visite entre deux ?»
Non non, s'exclama Meydân en réalisant qu'elle risquait de provoquer le pire. Je ne veux
surtout pas vous faire faire de dépenses pour si peu. Nous nous reverrons lors de ton
prochain suivi médical, ça sera plus simple. Écoute, je ne vais pas te retenir plus longtemps
rappellerai plus tard pour qu'on discute plus longuement… Et promis cette fois je ferai
« Haha pas de problème », l'excusa une nouvelle fois Torana. « En attendant je te dis à
Oh euh oui… répondit Meydân en riant malgré elle. Je lui dirai… Mais s'il ne te répond pas,
ne t'en fais pas. Il a beaucoup de boulot en ce moment… Bonne journée à toi Tora, à bientôt.
« Pas de souci », répondit la curatrice. « Par contre j'espère que tu n'as pas un pavé à me
raconter au sujet de votre amie parce qu'il va quand même falloir que j'aille manger avant
Non non, ça va être très court, la rassura-t-elle. Comme je ne savais pas exactement ce
qu'Eyrin voulait, je ne savais pas trop quoi lui demander. Mais écoute tu lui diras qu'elle va
bien, que la santé c'est stable et qu'elle est toujours à l'Université à priori. S'il voulait d'autres
informations tu me rediras.
« Euh je ne sais pas si je pourrais faire de nouveau la navette entre vous deux », l'arrêta Joa.
Bon… Et bien si tu peux au moins lui faire un retour sur les questions qu'il t'a posé ce serait
« Ça marche », répondit Joa. « Je suis désolée mais il faut vraiment que j'y aille cette fois.
Pas de problème je t'en prie. Bon courage et merci encore… Merci pour Eyrin aussi, tu
gères.
À bientôt.
Puis elle raccrocha sous le regard interrogatif de Malone, resté en retrait derrière la porte du
séjour.
Ton amie, Joa… Elle ne te servirait pas de pigeon voyageur par hasard ? …
Elle me donne des nouvelles d'Eyrin, c'est tout, dit-elle en rejoignant la cuisine.
Malone ne la laissa pas se débiner pour autant et la suivit comme son ombre.
Elle te donne des nouvelles d'Eyrin mais elle lui en transmet à lui aussi non ?
Peut-être mais c'est… Attends… Comment est-ce que tu sais qu'il en est privé ?
Nous en avons discuté ton père et moi un midi en déjeunant ensemble. Il m'a demandé ce
Un rire nerveux échappa à Meydân qui le repoussa finalement de la main avant de passer
devant lui.
Et est-ce que je peux savoir ce que mon fiancé a dit à mon père dans mon dos ?
Ton frère a toujours donné du fil à retordre à ton père… Vu le contexte actuel, il est plus
sage à mon sens qu'Eyrin ne fasse pas de vague. Pour ton père, il n'en sera que plus serein.
mettre à mal un si beau projet. Et pour Eyrin… Si tu comptes le revoir un jour dans votre
maison familiale, il est certainement plus simple qu'on l'empêche de commettre des impairs,
tu ne crois pas ?
Meydân ne répondit pas dans l'instant. Elle se contenta d'abord de regarder Malone de haut
en bas avant d'écraser ses lèvres l'une sur l'autre jusqu'à les faire blanchir :
Plus les années passent Malone et plus tu ressembles à mon père… dit-elle enfin. Et tu sais,
j'ai du respect pour le dirigeant qu'il est et pour la fonction qu'il assume sans faillir depuis
des années. Mais l'homme et les valeurs qui l'accompagnent… Je les déteste…
Puis elle grimpa l'escalier en silence sans attendre de réponse de la part de son fiancé.
Failles
Depuis plusieurs jours maintenant, des messages étaient diffusés en boucle via tous les
moyens de communication possibles, à destination des milliards d'êtres humains peuplant cette
planète. Chacun savait désormais que la campagne de vaccination anti ERR-6 allait démarrer. Les
millions de centres vaccinaux éphémères étaient tous pourvus de stocks de vaccins adéquats, les
soignants réquisitionnés pour l'occasion. Ne restait donc plus qu'à informer le monde de l'ouverture
LEXO après concertation avec les membres du G75. Cette journée serait la première d'une série de
trois jours où chacun devrait se rendre dans le poste de vaccinations qui lui avait été attribué.
Ce sujet fut abordé sans discontinuer dans les couloirs de LEXO. Le jour de l'annonce, tout
Écoute ça Paolo… dit Atân depuis la mezzanine du premier étage. Entends leur impatience,
Oui, je sais bien, rétorqua le chef de projet. Je n'en ai jamais douté d'ailleurs… Je disais
simplement qu'il m'aurait semblé plus prudent de clore le dossier UJI avant de lancer la
campagne vaccinale...
Groupe composé des sept NUPE, représentées respectivement par leurs Orateurs et leurs Ordres Consultatifs respectifs.
5
Atân. Non, ce n'était pas la solution. Nous ne lâcherons rien dans nos recherches mais elles
n'entraveront pas notre mission principale. Il faut arrêter l'ERR-6 au plus vite, le reste passe
Sur ces mots, les deux hommes continuèrent d'observer le hall principal en tendant l'oreille
en direction des différents groupements d'employés. Certains exprimaient leur soulagement sur la
pharmaceutique standard, sans pression, sans crainte de l'échec. Chacun semblait y trouver son
compte.
Et pour ce qui est des potentiels employés qui ont commis le kidnapping ? fit remarquer
Paolo. Tu ne crains pas leurs agissements maintenant qu'ils sont en position de force ?
Ils ne sont pas en position de force ; ils s'imaginent seulement l'être, répondit Atân serein.
Crois-moi, il est impossible aujourd'hui que cette affaire se retourne contre nous… En tout
cas pas tant que certains « détails » de cette histoire resteront secrets.
Des détails ?
Que même toi tu ignores Paolo, oui… répondit Atân le ton grave. Aujourd'hui, sur le site
LEXO, seuls Jack Erdowel et moi-même en sommes informés. Et en tout nous sommes
quatre à échelle mondiale à connaître la genèse de toute cette histoire. Alors autant te dire
que je dors sur mes deux oreilles quant aux éventuelles menaces de délation d'une poignée
Cette précision dévoilée, les deux hommes reprirent leur chemin en direction du bureau du
Dans ce même temps, tapi dans un recoin du premier étage, Tony l'un des passeurs et amis
de Jayden reprit lui-aussi son chemin. En s'en allant rejoindre son secteur, il avait aperçu les deux
dirigeants et s'était arrêté un instant pour les écouter discuter. Leur conversation n'était pas
UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 152
compréhensible pour quiconque passait par là et tentait de s'y intéresser. Mais Tony faisait partie de
l'équipe qui avait participé au sauvetage de Silhaée. Il comprit donc l'essentiel de la conversation
malgré tous les cryptages associés et en conclut finalement une chose : l'affaire Silhaée Uji était
peut-être bien plus complexe qu'ils ne l'avaient imaginé. Il retrouva donc sans plus tarder Dean,
Meala et Jayden dans le Transiteur et leur fit part de ce qu'il venait d'entendre.
Il faut absolument en parler à Meydân, dit Jayden une fois son résumé terminé. Elle pourra
Parce que tu penses qu'elle aurait des explications à nous fournir ? fit remarquer Meala. Je
Je confirme, dit Tony. Mr Hederling a bien précisé qu'il n'était que deux sur LEXO à
connaître la genèse de toute cette histoire : lui et le Docteur Erdowel. C'est donc sûr qu'elle
Que tu pirates le système pour essayer d'obtenir le dossier complet de Silhaée ? proposa
Les enquêteurs risquent d'être sur les dents maintenant… Je ne peux plus faire ce que je
Il y a bien une possibilité de consulter l'intégralité de la banque de données LEXO sans être
Certaines applications sont en accès très limité, expliqua Jayden. Seuls les chefs de projet et
quelques hauts dirigeants ont les droits. Les recueils médicaux des patients-testeurs sont
inclus dans une application appelée « synthèses médicales » qu'il est presque impossible de
hacker… En tout cas je n'y suis jamais parvenu et ce n'est pas dans le contexte actuel que je
Attendez, les interrompit Tony soudainement porté par une malice indescriptible. J'ai peut-
L'heure de midi arrivait à grands pas quand Maddy, la secrétaire d'Atân, entendit son nom
résonner au bout du couloir face à son bureau. Elle leva alors les yeux et tomba sur l'agréable regard
de celui qui faisait battre son cœur en secret depuis plusieurs mois :
La même chose que toi : je travaille pour LEXO, répondit-il taquin en arrivant jusqu'à elle.
Que je… Euh non, enfin je pensais aller manger au réfectoire comme d'habitude.
Toi et moi ? Enfin je veux dire rien que tous les deux ? …
Non non au contraire, l'interrompit Maddy les joues virant cette fois au rouge vif. Je trouve
Alors allons-y ?
Elle rejoignit alors le bureau du directeur en y entrant d'un pas prudent, comme si elle
circulaire autour de lui puis se plaça sans plus tarder derrière le bureau de Maddy. En un geste furtif,
il intervertit son badge avec celui de la jeune femme dans le lecteur incrusté du bureau et
déverrouilla sa session en apposant la pulpe de son doigt sur l'écran. Il plaça ensuite le badge de
Maddy dans le dernier tiroir de son bureau et reprit sa place initiale. Une fraction de seconde plus
tard, la jolie secrétaire réapparaissait, sortant du bureau d'Atân en souriant de toutes ses dents.
Mr Hederling m'a accordé une heure et demi de coupure, dit-elle. Je ne sais pas où tu voulais
aller manger mais en tout cas nous avons le temps de nous éloigner un peu d'ici.
Génial, s'exclama Tony en voyant la jeune femme contournait son bureau pour regrouper ses
Je n'en avais pas l'intention, dit-elle en saisissant sa veste et en s'inclinant vers son bureau.
Les deux préfaces « logiciel » étant strictement similaires, Maddy ne perçut aucune
différence entre la sienne et celle de Tony. Il aurait fallu que sa session LEXO soit ouverte pour
s'apercevoir que les applications disponibles n'étaient pas les mêmes. Mais cela n'était plus le cas
Aller aller, insista Tony une fois de plus pour détourner son attention.
J'arrive, dit-elle en déconnectant rapidement le badge du lecteur avant de le glisser aussi sec
Puis elle contourna le bureau et saisit le bras de son cavalier avec hâte, se retenant de
pousser un cri de joie tant l'invitation lui procurait un bonheur immense. Tony conduisit ensuite son
invitée jusqu'aux ascenseurs et redescendit avec elle les quatre étages du bâtiment avant de s'arrêter
dans le hall d'entrée. De par sa fonction, Maddy était déjà en civile. Mais le poste de passeur de
Tony lui imposait le port d'une tenue de travail qu'il lui fallait abandonner pour sortir d'ici.
Tony répondit par un clin d’œil et s'éclipsa sans plus attendre vers les vestiaires centraux. Il
arpenta ensuite les multiples allées de casiers avant de s'engouffrer dans la sienne.
C'est bon ! acquiesça Tony manifestement content de lui. Le badge est dans le dernier tiroir,
celui de gauche.
Tout en se déshabillant et rhabillant, il lui fit par du temps qu'il lui restait pour agir avant le
Puis il s'empressa de retourner dans les locaux de LEXO avant que la foule d'employés en
Sois prudent, lui rappela Tony en se dirigeant de son côté vers la porte de sortie du groupe.
contrecourant face à la foule d'employés affamés. En entrant dans l'un des ascenseurs, il croisa
Meydân aux côtés de Lilia Crosfy qui en sortaient. Comme convenu, les deux compères s'ignorèrent
mais Jayden sentit quand même l’œil intrigué de Meydân peser sur lui. Il n'y prêta cependant
En arrivant sur le palier du quatrième, il se dirigea sans plus attendre vers les quartiers du
directeur et remonta le couloir jusqu'au bureau de Maddy. Ne sachant pas si leur patron était encore
dans les locaux ou s'il venait lui aussi de partir en pause, il préféra s’agenouiller derrière le bureau
de la secrétaire au cas où Atân viendrait à sortir du sien. Jayden s'était fixé maximum cinq minutes
de présence dans ce secteur pour minimiser les risques d'être vu. Il savait que l'intégralité des locaux
était couverte par une vidéosurveillance mais misa sur l'idée que seules les zones dites actuellement
surveillées. Il était donc plus prudent de tenter d'agir rapidement dans une zone faiblement
UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 156
surveillée sur un temps creux comme la pause repas, plutôt que d'essayer de pirater les caméras au
risque de se faire épingler. Grâce aux informations de Tony, Jayden retrouva en un rien de temps le
badge de Maddy qu'il inséra dans le lecteur à la place de celui de son complice. Il sortit ensuite
Zoka de sa poche et saisit d'une main prudente le galet sur le bureau avant de le confier à son
compagnon. Les compétences de Jayden en informatique lui avaient permis de compléter les
fonctions principales de son droïde. Ainsi, Zoka possédait désormais de multiples applications dont
certaines avaient été créées spécifiquement par son propriétaire. L'une d'elle lui permit donc
d'analyser les empreintes digitales de Maddy sur le galet de contrôle et d'en réaliser une copie.
Logiquement il n'avait besoin que de quelques minutes si les empreintes étaient assez belles, ce qui
avait l'air d'être le cas puisque Maddy était à priori la seule à se servir de ce poste de travail.
- Shhhh… -
Au son du glissement de porte sur les gonds, Jayden se tapit plus encore sous le bureau de la
réalisa l'apnée du siècle quand il entendit le directeur passer devant le bureau de Maddy pour
rejoindre le couloir d'accès aux ascenseurs. Il attendit ensuite encore de longues secondes avant de
passer la tête au-dessus du bureau pour s'assurer que personne ne traînait plus dans le secteur.
- Plit ! -
Zoka venait de lui signaler qu'il avait terminé son travail. Jayden s'empressa donc de saisir le
compagnon qu'il présenta devant l'écran de contrôle du bureau jusqu'à ce que la session analyse
secrétaire. Comme Tony l'avait très justement imaginé : la secrétaire du directeur du groupe avait
forcément accès à l'intégralité des applications LEXO. Sans ça, il était difficile de l'imaginer
Bon maintenant il va falloir qu'on stocke des données, dit Jayden au droïde.
Ni une ni deux Zoka se replia et déplia jusqu'à se rendre compatible avec les ports de
connexion du matériel informatique. Jayden n'eut ensuite plus qu'à le connecter et effectua une
recherche très ciblée dans l'application « Synthèses médicales » - Rubrique : « Projets personnels ».
Un cercle lumineux scintilla pendant quelques secondes sur l'écran avant de laisser place à
l'immédiat. Il laissa donc son compagnon copier l'intégralité du dossier et pria encore quelques
secondes pour que personne ne s'intéresse à la caméra de surveillance positionnée juste à sa gauche.
Le droïde couina comme pour laisser entendre qu'il allait au plus vite puis il s'illumina de
déconnecta le badge de Maddy qu'il jeta volontairement au sol afin de laisser croire à la secrétaire
qu'elle l'avait maladroitement fait tomber à côté de son sac. Puis il se redressa d'un bon et fonça tête
basse vers les ascenseurs en priant pour ne croiser personne. Sans surprise sa prière fut exaucée,
puisqu'à cette heure-là personne ne traînait encore dans les bureaux. Le cœur battant, Jayden
redescendit sans plus attendre au niveau zéro. Il n'arrivait toujours pas à croire que leur idée avait
fonctionné. Quand il arriva dans le grand hall, il croisa les derniers employés qui se rendaient tous
au réfectoire pour l'ultime service du midi. Il n'eut donc plus qu'à se fondre dans la masse et reprit
Atân venait d'entrer dans une petite salle privée où l'attendait Erdowel, assis derrière une
table. Un repas chaud venait de leur être servi et n'attendait plus que lui.
Atân se frotta les mains avant de soulever les trois cloches face à lui, découvrant ainsi le
Erdowel en fit de même, dégustant ainsi le contenu de son entrée avant de se recentrer sur la
Je n'irais pas jusque-là. Mais disons qu'ils ne correspondent pas vraiment à ce que j'avais
Tu pensais au mieux retrouver le sujet expérimental UJI, au pire ses détenteurs, resitua
Erdowel.
Et je n'ai retrouvé ni l'un ni l'autre, conclut Atân. Mes enquêteurs devaient effectuer une
Pour ce faire, ils devaient intervenir pendant ses heures de travail afin de pouvoir capturer
aisément le sujet expérimental UJI si toute fois elle était vraiment chez lui. Ils sont donc
entrés dans le domicile une heure après le départ du suspect. Ils ont d'abord eu l'impression
de sentir une présence et ont fouillé la maison jusqu'à se rendre compte que quelqu'un avait
Rien n'est sûr, rétorqua-t-il. Mes enquêteurs ont affirmé ne pas avoir eu le temps de voir la
personne qui avait fugué. Ils se sont simplement rendus compte de l'évasion d'un intrus en
constatant que l'une des fenêtres et la porte du garage avaient été ouvertes, deux éléments
qui étaient avec certitude clos à leur arrivée. Il y avait donc quelqu'un dans cette maison à la
fuite ?
Selon mes enquêteurs, le garage du domicile devait abriter un véhicule qui aurait servi à la
personne.
Ah… tiqua Erdowel. Silhaée Uji n'a jamais conduit de sa vie. Il me semble donc difficile
d'imaginer qu'elle ait pu fuir seule à bord d'un véhicule. Ou en tout cas pas aussi
rapidement…
Tu as tout à fait raison Jack, fit remarquer Atân. J'ai donc fait éclaircir tout ça en leur
Et infructueuses…
Malheureusement, acquiesça-t-il. Ils sont donc retournés au domicile des Siller pour
terminer leur fouille et ont découvert quelque chose que je n'avais pas anticipé.
leur repas.
Dans le bureau, resitua Atân, l'une pièce de la maison que mes agents n'avaient pas eu le
temps de fouiller avant leur course poursuite : l'une des fenêtres avait été brisée.
Précisément.
C'est bien là tout le problème, admit Atân. Comme cette pièce n'avait pas été visitée lors de
leur premier passage, personne n'était en mesure de certifier quoi que ce soit.
Nous sommes d'accord, dit-il. La conclusion de l'enquête me laisse donc perplexe : ils
pensent qu'une personne se serait introduite dans la maison peu de temps après le départ de
Mr Siller en brisant une vitre. Puis, à l'arrivée inattendue des enquêteurs, prise de panique
Tes enquêteurs opteraient donc plus pour… une effraction évoquant l'attitude d'un…
squatteur ?
Pas vraiment… répondit Atân à priori contrarié. Mais ils pensent tout de même que nous
avons fait fausse route, que je les ai dirigé vers une mauvaise piste…
Une mauvaise piste ? s'exclama Erdowel surpris. Et que représentent tous ces indices alors ;
de la vitre brisée aux habitudes de vie modifiées de Mr Siller ? … Et c'est sans parler du
Ils ont pris en compte tous ces éléments crois-moi, répondit Atân avec froideur. Ils en ont
Dis-moi…
Je t'avais dit que je souhaitais surveiller les activités de Meydân qui soulevaient beaucoup
trop de questions à mon goût. Comme pour Mr Siller, j'avais donc fait installer un traceur
sous sa voiture.
Et c'est ce traceur qui aurait révélé la piste principale que les enquêteurs ont privilégiée.
Erdowel hocha la tête de gauche à droite comme pour laisser entendre qu'il ne voyait pas où
il voulait en venir.
Ils opteraient pour l'instant pour une toute autre conclusion, dévoila enfin Atân. Celle de
l'adultère.
Le médecin manqua de faire tomber le verre à pied qu'il tenait d'une main moite depuis
plusieurs minutes.
Tous les éléments poussent à croire que notre suspect, Jayden Siller, n'était autre que l'amant
de ma fille, dit Atân en retenant de plus en plus difficilement sa colère. L'un comme l'autre
avaient piraté les traceurs intégrés de leurs voitures pour ne pas être suivis. Mais les traceurs
espions que nous avions fait installer ont révélé qu'ils s'étaient retrouvés tous les deux dans
ce domicile, à plusieurs reprises sur une même période toujours très brève…
Je vois…
manipulation avait été faite pour écraser certaines données enregistrées récemment dessus.
Nous n'avons malheureusement pas réussi à récupérer ces données. Mais nous avons réussi à
Jayden Siller ».
… D'accord, il est vrai que tout cela peut faire penser à une relation secrète mais il reste les
éléments retrouvés dans la maison, rétorqua Erdowel. Je ne vois pas le rapport entre une
Les enquêteurs ont pensé à un scénario de type « vengeance sentimentale » qui n'a pas eu le
temps d'aboutir. Selon eux, il serait possible qu'une petite amie ou ex-petite amie se soit
rendue jusqu'au domicile en question après avoir eu vent de la relation naissante de Meydân
et Mr Siller. Elle aurait ainsi brisé une fenêtre pour s'introduire chez lui et aurait recherché
des éléments prouvant sa culpabilité, comme des vêtements de femme par exemple. Bref, en
voyant les enquêteurs arriver la femme en question aurait interrompu ses petits projets, puis
Erdowel ouvrit la bouche comme pour contredire une nouvelle fois cette théorie mais aucun
Non je crois qu'il faut l'admettre, abdiqua Atân. Leurs déductions sont intéressantes et
Erdowel regarda ensuite son dirigeant picorer le contenu de son plat principal avant de
l'échanger contre son dessert, comme pour écourter la gêne qu'imposait ce moment.
Et… hésita le médecin en en faisant de même avec ses propres assiettes. En ce qui concerne
Meydân…
Est-ce que je compte parler de tout ça avec elle ? le devança Atân. Et bien figure-toi que je
me suis posé la question à la minute-même où j'ai fini de lire les conclusions du rapport
d'enquête…
Anticipant d'ores et déjà la réponse de ce dernier, Erdowel n'osa plus le regarder directement
Triple avancée
- Papaaaa ! -
Le mari de Gaële monta ensuite l'escalier en vitesse, laissant seule son invitée du moment.
Silhaée profita de cet instant pour se lever à son tour et s'approcha du cadre numérique posé sur l'un
des meubles de la salle. De nombreuses photos défilaient sur le petit écran, affichant tout le bonheur
qui avait été arraché à cette si jolie famille. En voyant le sourire éclatant de Gaële sur l'une de ses
photos de mariage défilant parmi les autres, Silhaée ressentit un petit pincement au cœur.
Il tenait dans ses bras une petite silhouette recroquevillée sur elle-même, encore enveloppée
Ah ! Nous avons de la compagnie, dit alors Silhaée en revenant vers son hôte.
Je te présente Alice, lui dit Colin en pivotant sur lui-même de sorte à rendre visibles les traits
délicieux de sa fille.
Silhaée s'approcha encore un peu plus du duo et aperçut dans le creux de la nuque de son
papa, le doux visage rose et tiède d'une jolie petite fille se réveillant à peine de sa sieste. Ses longs
cheveux bouclés roux-blond hérités de son père lui tombaient sur les yeux. Silhaée déplaça donc
UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 165
quelques mèches, dégageant juste ce qu'il fallait pour que la petite ouvre de grands yeux bleu ciel,
Un grand sourire amusé échappa à la petite Alice qui se replia quand même contre son papa.
Hé, depuis quand tu joues à la timide ? dit Colin en se dirigeant vers la salle. Il faut dire
La petite couina en saisissant plus encore le cou de son père. Colin invita donc Silhaée à
Votre fille est magnifique… reconnut cette dernière en regardant la petite se défaire du pull.
Alice regarda alors la jeune femme face à eux et lui adressa de nouveau un grand sourire.
Je fais en sorte que ça le soit le moins possible, dit Colin. On essaie de ne rien lui cacher, de
Ouuui, répondit la petite en patouillant le t-shirt de son père de ses petites mains potelées.
Oui c'est ça, elle se fait soigner et aide pour fabriquer des nouveaux médicaments, acquiesça
son père.
sa fille. Elle le trouvait très courageux mais également très mature et responsable.
Est-ce que tu veux ton goûter ? lui demanda son père. Ou est-ce que tu préfères jouer
d’abord ?
La petite marqua une pause durant laquelle elle se rendit intéressante au travers de grimaces
Jouer !
Puis elle se trémoussa pour descendre de ses genoux et rejoignit son espace de jeux dans la
pièce de vie.
N'importe qui voudrait avoir une fille comme elle, dit Silhaée manifestement amusée par la
petite Alice.
Sans elle je ne serai plus rien, lui confia Colin soudainement plus terne.
Silhaée regarda alors le visage douloureux du mari de Gaële et sous-pesa chacun de ses mots
avant de se lancer :
Je suis désolée d'arriver comme ça dans votre vie avec mes histoires… dit-elle.
Constatant que Colin luttait pour conserver un semblant d'équilibre basé sur la fatalité des
événements, elle réalisait désormais qu'elle venait peut-être de tout détruire en deux heures de
conversation.
Ce ne sont pas « tes » histoires dès lors que les conséquences empiètent sur l'existence de
Oui c'est vrai… Mais je ne veux pas pour autant que cela te perturbe.
compte plus rien faire pour elle et tu penses seulement aux conséquences que cette nouvelle
pourrait avoir sur moi ? Moi je n'y pense même plus, c'est Gaële maintenant qui me
préoccupe.
Un silence couvert par les rires enfantins d'Alice perdura pendant quelques minutes dans le
séjour.
Silhaée… reprit enfin Colin. Je viens de réaliser que je ne t'avais même pas remercié…
Tu as joué cartes sur table avec moi. Tu as su me faire confiance en m'expliquant tout ce que
tu savais, de A à Z.
C'était la moindre des choses puisque je venais te demander de m'accueillir sous ton toit…
fit-elle remarquer.
Oui bien sûr que tu te devais de me rendre des comptes. Mais tu n'as rien laissé au hasard et
Alice revint au même moment vers son père, déposant un jouet sur ses genoux avant de
contourner la table pour s'arrêter à côté de Silhaée. Elle lui tendit à son tour une petite poupée
interactive puis ses deux bras potelés en gémissant pour être portée.
Tu… Tu veux venir avec moi, balbutia Silhaée en soulevant la petite dans ce même temps.
Une fois installée sur les jambes de la jeune femme, Alice se mit à taper joyeusement des
Alice est vraiment une enfant pleine de vie, commenta Silhaée en coiffant ses cheveux à
Et elle l'est. D'ailleurs je te propose de te faire ton propre avis sur le sujet si c'est toujours ce
que tu veux…
Sur ces mots, la jeune femme leva instantanément les yeux jusqu'à tomber sur le regard
Oui, lui confirma-t-il. J'accepte de t'héberger, de te cacher le temps qu'il faudra pour qu'on
Colin… dit-elle encore surprise par la nouvelle. Je ne sais pas comment te remercier…
… Si je te garde chez moi c'est pour faire avancer les choses. Il faut qu'on trouve un moyen
de faire pression sur LEXO, voire même sur les dirigeants de notre NUPE pour faire tomber
les murs de l'Expéria. Si Dieu t’a guidé jusqu'à moi, c'est qu'il veut me donner une chance de
Silhaée observa alors la petite blottie contre elle, puis Colin et lui transmit dans un regard la
réponse qu'il attendait. Elle se pencha ensuite vers sa fille et lui dit enfin d'une voix douce et
rassurante :
Meala, Jayden, Dean et Tony s'étaient retrouvés dans un parc de la ville pour débriefer des
dernières nouvelles. La fouille des enquêteurs ayant eu lieu la veille de leur week-end, les quatre
compères n'avaient pas eu l'occasion d'en rediscuter au sein de LEXO et Jayden préférait désormais
Elle se cache quelque part, recadra ce dernier. Il faut qu'on lui fasse confiance.
être bien cachée. Sans ça, elle se serait faite pincée et toi aussi par la même occasion.
Exactement, approuva Jayden. Vraiment je pense qu'il faut éviter de chercher à la retrouver
puisqu'il est évident que nous risquerions de la mettre en danger. Meydân a été suivie, j'ai
été suivi, on peut donc imaginer sans mal que n'importe quel employé LEXO puisse être
Essayons de ne pas nous faire remarquer alors, dit Tony. Et concentrons-nous sur les
C'est justement pour ça que je vous ai fait venir aujourd'hui, rebondit Jayden le regard bien
plus brillant. Grâce à ton plan Tony et aux données que nous avons récoltées, j'ai pu obtenir
Ce n'est pas moi qu'il faut remercier ; c'est cette chère Maddy, resitua ce dernier en se
Tsss… siffla Meala en levant les yeux au ciel. La pauvre fille… Et dire qu'elle croit
maintenant avoir ses chances avec toi… Ce n'est vraiment pas bien de jouer avec les
Premièrement j'avais une bonne raison de le faire, la contra Tony. Nous n'avions pas d'autres
féministe », figure-toi que j'ai passé un très bon moment avec elle et que j'envisage de la
Est-ce qu'on peut essayer de se recentrer sur le motif initial de notre venue ici ? proposa
Ses sentiments naissants pour Silhaée trahissaient son impatience autant que ses inquiétudes.
Pardon, s'excusèrent en cœur Meala et Tony avant de se tourner de nouveau vers Jayden.
introduit Jayden. Mais pour être tout à fait franc, j'ai beau être très compétent en ce qui
concerne le piratage de session informatique, il n'en est pas de même pour l'analyse de
documents médicaux…
Je ne sais pas quand je pourrais la revoir pour en parler avec elle, avoua Jayden. Au vu des
derniers événements, il vaut mieux que nous nous évitions dans LEXO et que nous
Pour continuer de fausser les pistes, oui il le faut, répondit-il. Et peut-être qu'à ce moment-là
je pourrais voir avec elle pour étudier les données de Silha plus en profondeur.
En attendant il y a peut-être des éléments que l'on peut essayer de décortiquer sans son
La petite troupe se fit alors bien plus attentive et Jayden jeta un large coup œil autour d'eux.
En constatant qu'ils étaient assez éloignés des autres promeneurs pour pouvoir parler librement, il se
lança :
J'ai découvert un premier élément très troublant, introduit-il en ouvrant les notes de Zoka.
Les premiers documents présents dans le dossier identifiaient Silhaée Uji sous un autre
Mais ce n'est pas tout, poursuivit Jayden. « Silhaée Davis » aurait été conçue via le système
de bulle porteuse6 mais n'aurait pas mené à terme sa croissance. Elle serait ainsi morte à six
C'est presque impossible de ne pas aller au terme d'une gestation artificielle, fit remarquer
Meala. Si les bulles porteuses ont été créées c'est justement pour éviter ça…
Je suis d'accord avec toi, poursuivit Jayden. Mais comme vous devez certainement vous en
douter ; ce document est biaisé. Quelques jours après le soi-disant décès de « Silhaée Davis
», son dossier était étrangement rattaché à celui d'une certaine « Silhaée Uji » …
Cette histoire de mort à six mois et demi c'est du grand n'importe quoi ! s'exclama Tony.
Ils ont simplement camouflé un nom dans un autre, conclut à son tour Meala.
Oui mais pourquoi ? souleva Jayden. Pourquoi avoir fait ça ? … C'est étrange comme
Personne ne sut trop quoi répondre. Il y avait à la fois tant de possibilités et pour autant il
Erdowel venait de finir son tour dans les étages du centre de soins continus quand il se
décida à faire un crochet sur l'aile Ouest. Cela faisait des jours maintenant qu'il devait y aller, des
jours que ses équipes l'incitaient à rendre visite à Eyrin. Son affectation dans le centre devenait un
Système de fécondation et gestation in vitro calqué sur le principe de la mère porteuse. Croissance de l'embryon en
6
milieu synthétique, composé d'une poche de synthèse et d'un liquide de substitution remplaçant respectivement les
apports utérins et placentaires. Connu sous le nom de «bulle porteuse» pour la forme sphérique de la capsule
d'accueil.
Oui Angela ?
Est-ce qu'il serait possible de profiter de votre visite chez Mr Hederling pour lui apporter
Euh… Oui bien sûr, répondit le médecin en saisissant le tout avant de regarder la curatrice
la porte de la chambre d'Eyrin avec bien plus d'appréhension qu'il n'en avait eu jusqu'alors et s'en
approcha tant bien que mal. Après avoir frappé délicatement, le médecin badgea devant le boîtier. Il
déverrouilla ainsi la porte, dévoilant un décor reflétant les propos qu'on lui avait jusqu'alors
Il y avait de tout, partout. La chambre avait été retournée, presque saccagée : les meubles
déplacés, certains objets brisés, d'autres entassés. Erdowel contourna un amas de couvertures
Eyrin ? … dit-il en le cherchant dans la pénombre imposée par les volets semi clos.
Il n'eut aucune réponse et se décida à s'enfoncer encore un peu plus dans ce qui ressemblait à
Ey… réitéra-t-il avant d'entrevoir une forme dans un coin reculé de la pièce. Te voilà…
Le jeune homme était allongé dans un autre amas de couvertures, entouré par
Tu voulais me voir ; je suis là… dit Erdowel pour compléter un vide dérangeant.
tendit le bras vers une pile de feuilles à sa droite et se relança mécaniquement dans une autre
confection.
Je… hésita le médecin. Je sais que tu es en colère… et que tu ne dois probablement pas
comprendre pourquoi nous avons fait le choix d'être aussi durs avec toi…
Mais tu ne nous as pas vraiment laissé le choix, poursuivit Erdowel. Et nous devions gérer
tellement de choses à côté qu'il n'était pas envisageable qu'il se passe quoi que ce soit
Une fois encore, le jeune homme posa sa figure de papier terminée et saisit une nouvelle
feuille.
Eyrin, dit alors le médecin en posant un genou à terre (se mettant ainsi à sa hauteur). Il faut
que tu me parles. Tu as fait des pieds et des mains auprès des équipes soignantes pour me
voir, pour te faire entendre, alors maintenant il faut que tu saisisses ta chance.
visage d'Eyrin.
Mais le jeune homme ne s'expliqua pas davantage, continuant inlassablement son activité.
Bien, dit le médecin en se redressant. Quand tu seras décidé à parler, tu préviendras mes
équipes. J'espère juste qu'à ce moment-là je serai disponible pour toi. Sinon il te faudra peut-
Puis il s'écarta du petit coin reculé dans lequel il s'était cloîtré et rejoignit avec précaution la
porte de la chambre.
peine.
Le conduit d'évacuation des déchets, compléta-t-il. Seule issue non gardée sur LEXO. Il
Puis sur ces mots, Eyrin se leva de son tas de couvertures et disparut dans la salle de bain,
Une fois sa conversation avec Meala, Dean et Tony terminée, Jayden était rentré chez lui. Il
s'était assis dans son canapé pendant plusieurs heures et avait fait défiler encore et encore le contenu
Lorsqu'il se décida à faire une pause, son attention se centra tout naturellement sur l'écran du
salon. Il zappa sur plusieurs chaînes à la recherche d'un programme adéquat et constata sans
surprise que les autorités n'avaient pas lésiné sur les moyens pour lancer la campagne de
vaccination. Sur chaque chaîne, un bandeau défilait en continu dans le bas de l'écran. Il rappelait,
dans le cadre d'un flash spécial, que la campagne vaccinale anti ERR-6 débuterait dès ce lundi et
qu'il ne fallait pas oublier de se rendre dans son poste de vaccination référent. Il précisait également
Le compagnon bipa par deux fois avant de se mettre automatiquement en veille. Jayden put
alors s'approcher lentement de la fenêtre du séjour et aperçut la voiture de Meydân dans la cour.
derrière elle.
Non non, pas vraiment… esquiva-t-elle en enlevant son manteau. Comment tu vas ?
Moi ça va et toi ?
Hm non, dit-il presque désolé pour l’ambivalence de sa réaction. Mais j'ai obtenu des
Jayden prit d'abord le temps de servir une boisson chaude à son invitée avant de s'installer
auprès d'elle.
Zoka annule la dernière manœuvre, demanda-t-il à son droïde afin de déverrouiller l'accès
Bon alors déjà il faut que tu saches que nous avons été obligés de prendre quelques risques
Je sais ; nous avions convenu de ne prendre aucune décision sans se concerter avant. Mais
Tony a surpris une conversation entre ton père et Paolo Amorio. Ils évoquaient de manière
plutôt « cryptée » les conséquences de nos actes ou de la réapparition de Silhaée par rapport
à la campagne de vaccination. Ton père semblait dire que tant que certains détails de toute
Et bien c'est là que comme nous, tu te trompes, rétorqua Jayden. Il aurait dit à Paolo qu'il
s'agissait de détails connus uniquement par quatre personnes sur cette Terre. Quatre
J'en conclus que nous avions raison de penser que tu ne faisais pas partie des deux personnes
Puis il se plongea ensuite dans un flot d'explications, relatant leur propre réflexion basée sur
une seule idée : « Comment récupérer des données que seuls Atân et Erdowel étaient susceptibles de
Qui d'autre que les petites mains du directeur pour espérer obtenir des informations aussi
confidentielles ? dit-il. La session de ton père devait être similaire, pour ne pas dire quasi
Je te passe des détails qu'à coup sûr tu trouverais sordides… Mais oui, nous avons réussis.
Puis il saisit Zoka qui se déplia au contact de sa paume jusqu'à ne plus former qu'une petite
tablette.
Meydân découvrit alors des captures d'écrans relevées dans un dossier médical bien plus que
conséquent.
Après quelques secondes de lecture, la jeune femme hocha négativement la tête tout en
poursuivant son décorticage. Tout comme Jayden, elle tomba sur les étranges données sous le nom
de « Silhaée Davis », puis sur le certificat d'échec de « conception en bulle porteuse » et enfin sur
l'affiliation du dossier à l'identité de « Silhaée Uji ». Jayden ne quitta pas une seule seconde des
yeux le regard vif et intense de Meydân. Son visage oscillait entre surprise et concentration, tout en
affichant une forme de colère plutôt constante. Il ne faisait aucun doute qu'au-delà de la réaction
que pourrait avoir la « fille d’Atân », la chercheuse et grande scientifique se sentait trahie,
profondément trahie.
Oui ? …
Et bien justement nous ne savions pas trop quoi penser de tout ça… avoua-t-il. Nous avions
C'est une falsification, acquiesça Meydân sans le moindre doute. Une façon de faire
disparaître le « corps » des registres officiels pour pouvoir s'en servir sans avoir à justifier de
leurs actes…
Mon père m'a toujours dit que la mère de Silhaée était morte quelques jours après lui avoir
donné la vie. Or il est clairement précisé ici qu'il s'agissait d'une grossesse bulle, autrement
dit d'une naissance artificielle. J'en conclue donc que mon père m'a menti… Reste à
déterminer le « pourquoi ».
Meydân relut rapidement un document qu'elle avait fait épingler par Zoka avant de
poursuivre :
Tu n'es pas sans savoir Jayden que nous avons des lois mondiales qui, depuis l'apparition de
la mutation anti ERR-6, ont été entièrement revues. Avant nous pouvions réaliser des
expériences sur le génome humain pour espérer modifier certaines anomalies rencontrées
par l'organisme. Mais depuis l'apparition de cette mutation indésirable et spontanée induite
Plus de manipulations génétiques pour biaiser les mutations cellulaires, résuma Jayden.
Uniquement des recherches ciblées sur les traitements des pathologies, pas leur genèse.
Exactement, dit-elle. Dès que l'ERR-6 a défailli, mes prédécesseurs ont été contraints de
réaliser des recherches qui se devaient d'être efficaces tout en renonçant au principe de
recherches attestant d'une possibilité de remédier à l'ERR-6 en se basant sur une idée
défaillant.
Je crois que les gens ont eu peur à l'époque de faire pire que ce qui avait déjà été provoqué,
conclut Meydân. Et puis l'équilibre de notre tout nouveau Système Homogène était
tellement fragile que personne n'était plus capable de se mouiller… Plus capable de dire au
avec Silh…
Et soudain, alors qu'il attendait de Meydân un complément d'explications, tous les éléments
développés précédemment vinrent se coller les uns aux autres. Ses yeux s'écarquillèrent, ses lèvres
s'entrouvrirent et son dos se développa jusqu'à ce qu'il se tienne droit face à elle. L'air déconfit, il
finit par plonger son regard dans celui de Meydân et constata qu'elle hochait positivement la tête.
Le prix à payer
J'ai terminé, annonça Grett à l'intention de Rosamine en déposant sur la table du séjour un
Superbe, se réjouit sa patronne en humant les fleurs avant de jeter un œil vers la cuisine.
Bœuf sauce aigre douce, lui dit alors la gouvernante en annonçant le dîner qu'elle leur avait
concocté.
Oh génial, s'exclama Rosamine. Grett, comment vais-je faire encore sans toi pendant ces dix
prochains jours…
Comme d'habitude vous allez très bien vous en sortir, la rassura-t-elle. Et de toute façon,
soyez rassurée ; vous êtes à jour dans votre ménage et votre linge. Vous n'aurez qu'à vous
Rosamine retourna un long sourire à la gouvernante avant de lui offrir une franche poignée
de mains. Puis elle la laissa retirer son tablier et lui ouvrit enfin la porte d'entrée.
Bonnes vacances Ros… Atân ? s'interrompit Rosamine en voyant son mari sortir de sa
voiture.
Mesdames bonjour, dit-il à l'intention des deux femmes en montant les quelques marches le
end. Il ne devait donc rentrer que tard dans la soirée, après sa réunion exceptionnelle visant à
s'assurer que la campagne de vaccination anti ERR-6 serait opérationnelle pour son grand
lancement le lendemain.
Nous sommes prêts, nos équipes sont prêtes, annonça-t-il étonnamment serein. Les
consignes sont remises entre les mains de celles et ceux qui sont concernés. Tout va bien.
Je vais vous laisser, plaça Grett entre deux phrases avant de descendre les quelques marches
d'accès à la demeure.
Et pensez à votre vaccination ma chère, ajouta Atân. Nous ne voudrions pas perdre la
La gouvernante afficha un sourire flatté à l'intention de son patron et de son épouse. Puis elle
se retourna vers la cour et leva les yeux au ciel avant de disparaître dans sa voiture.
Il avait à la main son compagnon qu'il regardait de temps à autre, comme s'il était en attente
de quelque chose.
Ton week-end s'est bien passé donc ? reprit Rosamine en suivant son époux.
Oui très bien, dit-il en saisissant un verre puis une bouteille dans le bar vitré du séjour. Jodd
Altwood est peut-être l'Orateur le plus borné que notre NUPE ait connu, mais il n'en reste
Atân se servit un verre de whisky puis saisit de nouveau son compagnon qu'il déplia et replia
Si « tout va bien » comme tu le dis, qu'est-ce qui te préoccupe encore autant ? remarqua
Hm, lança Atân en avalant une gorgée de whisky. Trois fois rien, ne t'en fais pas.
Mais à en croire son sourire quelque peu malicieux imprimé sur son visage depuis son retour
Mais pas du tout, répondit sèchement Atân surpris par sa réaction. Tu penses bien que je t'en
Rosa tu es pénible.
Cette dernière ne baissa cependant pas la garde. Bras croisés, regard figé, elle semblait bien
Atân Hederling, qu'est-ce qui s'est passé encore ? dit-elle soudainement moins patiente.
Notre dernière réunion s'étant terminée de bonne heure, j'ai profité de ce petit moment pour
Il était en droit de savoir, dit-il abrupt. Je ne vois pas pourquoi ma fille aurait le droit de
s'envoyer en l'air avec un vulgaire passeur sans que son fiancé puisse avoir l’opportunité de
remédier à ça.
Je suis désolée mais nous en avions discuté toi et moi et je t'avais demandé de ne pas
En rentrant de mon week-end, je devais passer chez eux pour parler avec Meydân de la
suis arrivé, elle n'était pas là. Malone était seul et m'a dit qu'elle était partie faire un peu de
Bien sûr, répondit Atân innocemment. Je lui ai demandé depuis combien de temps elle était
partie pour savoir s'il était pertinent que je l'attende ou pas... Et il m'a dit que cela faisait déjà
presque deux heures qu'elle s'était absentée. Tu connais notre fille comme moi, je n'ai donc
pas pu m'empêcher de souligner le fait que j'étais surpris de la durée de son jogging au vu de
son pitoyable passif sportif. Malone m'a dit qu'elle courrait depuis peu pour relâcher la
pression du boulot, mais qu'il trouvait lui-aussi que cela ne lui ressemblait pas vraiment.
Pour lui permettre d'y voir plus clair, je lui ai donc proposé de résoudre le mystère autour de
cette question, poursuivit-il sans faillir. Et je l'ai informé du fait que, dans le cadre d'une
enquête en interne sur la disparition de données importantes, nous avions placé des traceurs
espions sous les véhicules de certains employés de LEXO, dont celui de Meydân.
Atân lui fit comprendre d’un bref haussement de sourcils que ce n'était pas un problème
avec Malone.
Nous avons alors repris ensemble les derniers trajets de Meydân et mon gendre a pu
constater par lui-même que sa fiancée ne se rendait pas au bois blanc mais à une adresse
bien plus éloignée ; une adresse inconnue. Et puis nous avons constaté ensemble que le
traceur espion avait été désactivé récemment, signe d'une méfiance de sa part, ce que
Tu sais à quel point j'adore mon gendre, l'interrompit-il. Tu me penses donc assez bête pour
Ce dernier fit alors le tour de la table et se posta devant la baie du salon, regardant un instant
Je lui ai dit que notre fille était victime depuis quelque temps d'un maître chanteur sur
Rosamine plaqua alors une longue main sur sa bouche fine et étouffa une grande inspiration
tout en observant la raideur du dos de son mari qui ne faisait que camoufler sur l'autre face un
La jeune femme était assise dans le canapé du séjour de Colin, tablette en main. Elle venait
de finir de taper le brouillon d'une sorte de discours qu'ils avaient imaginé ensemble.
Ce dernier était en train de cuisiner le repas du soir, installé derrière l'îlot central de sa
cuisine ouverte.
Bonjour à tous. Je m'appelle Silhaée Uji et je me présente à vous aujourd'hui pour dénoncer
toutes les inhumanités dont le groupe LEXO est responsable depuis maintenant des années.
Ils se sont servis de moi et de mon organisme génétiquement différent pour fabriquer vos
futurs vaccins au détriment des recherches faites pour les patients-testeurs de l'Expéria et de
ses antennes.
faut qu'il soit compréhensible par tous, y compris pour celles et ceux qui ignorent tout de A à
Z.
La veille, Silhaée et Colin s'étaient penchés sur une idée folle, idée qu'ils avaient eu dès leur
toute première conversation : faire trembler le grand LEXO pour faire tomber les murs des dômes.
Pour cela ils avaient imaginé se servir des compétences de Colin, développées dans le cadre de son
métier. Le mari de Gaële réalisait depuis des années des montages vidéos, destinaient à être rachetés
par de grands groupes pour en faire leurs socles publicitaires télévisuels. Ils avaient donc à leur
disposition le matériel nécessaire à la création d'une sorte de vidéo de propagande dans laquelle
Silhaée se mettrait en scène et prendrait enfin, pour la première fois de sa vie, les commandes de
son destin...
Si je veux être plus claire que ça, il faut que je parle plus de trente secondes, rétorqua
tenter de faire de la délation à tout prix en prenant le risque que personne n'y comprenne
rien, on peut essayer plutôt de semer le trouble dans les consciences, d'éveiller les
questionnements…
Oh oui, tu tiens quelque chose là, dit-elle en tapotant énergiquement une nouvelle tournure
de phrase.
Silha ! s'exclama Alice qui tournait autour de la jeune femme avec énergie. Silha !
Alice s'il-te-plaît, la recadra son père. Laisse Silhaée se concentrer, c'est important.
La petite fronça alors les sourcils avant de couiner pour exprimer son mécontentement.
On finit ça Papa et moi et promis après je joue avec toi à Color Cubes, lui proposa Silhaée.
Ouuiiii Color Cubes ! bondit la petite en redescendant du canapé pour aller farfouiller dans
lesquelles ils tentèrent de se recentrer sur l'objectif principal : tourner à temps la vidéo. Car s'ils
n'étaient pas encore tout à fait au point sur le contenu du discours, ce dont ils étaient sûrs c'est qu'il
fallait impérativement que la vidéo soit diffusée sur une journée de grande écoute. Et quoi de plus
pertinent que de choisir le premier jour de lancement de la campagne de vaccination anti ERR-6
Jayden était encore tout retourné de ce qu'il venait de comprendre quand Meydân reposa de
nouveau Zoka sur la table après une énième relecture des documents.
Attends, dit Jayden. Il faut que j’essaie de synthétiser tout ça pour le transmettre à Meala,
Dean et Tony.
Pour faire simple, se lança Meydân ; malgré les lois qui interdisent strictement les
modifications du génome humain, quelqu'un sur LEXO s'est permis il y a vingt ans
d'outrepasser la législation. Ils ont donc falsifié le décès d'un bébé en bulle porteuse pour le
sortir du registre et en faire ce qu'il en voulait. Silhaée Uji n'a donc aux yeux du monde
aucun fichier identitaire, sa personne même n'existe pas dans notre société. C'est comme si
Et donc grâce à cette combine, ils ont pu lui implanter la fameuse prothèse génétique
mentionnant ce détail. En s'y prenant ainsi ils ne prenaient aucun risque... Si leur tentative
était un échec, personne n'en aurait rien su puisque Silha n'était pas répertoriée dans les
Voilà, confirma de nouveau Meydân. J'imagine que l'espoir était tellement infime à
l'implantation de la prothèse que personne n'avait anticipé que ça marcherait... Alors ils se
sont retrouvés pris au piège dans leur propre stratagème, car d'une part le travail réalisé était
issu d'une modification du génome, chose contraire aux lois bioéthiques du Système
Homogène. Et d'autre part, il avait été réalisé sur un bébé sans identité officielle, un crime
Mais je ne comprends pas pourquoi est-ce qu'ils n'ont pas su prendre leur courage à deux
mains et avouer qu'ils avaient trouvé le remède en outrepassant les lois ? Après tout, si les
Pour qu'un résultat soit suffisamment satisfaisant et annoncé comme concluant aux yeux de
la médecine, il faut avoir réalisé l'exploit sur plusieurs cobayes. Et les chercheurs n'étaient
pas à l'abri de découvrir que Silhaée était un cas rare qui tolérait la prothèse mais que cela
n'était pas le cas pour une autre personne. Alors, avant de se lancer à corps perdu dans
l'annonce de l'exploit illégal, il fallait d'abord rendre leur exploit légitime aux yeux de la
science.
Meydân se repencha encore une fois sur le compagnon et relit rapidement quelques données.
élément indésirable était survenu et avait empêché les chercheurs de poursuivre leur travail,
de reproduire l'exploit sur un autre bébé… Il manque une information, c'est certain.
Mais ça on ne le saura jamais, dit Jayden réaliste. Tout cela s'est passé il y a des années
surtout s'il apprenait que j'ai découvert des éléments aussi primordiaux que ceux que tu
viens de me dévoiler, je n'ose même pas imaginer sa réaction… Ce qu'il serait capable de
faire…
Meydân eut un frisson de peur qui provoqua en Jayden un sursaut de colère mêlé à un
On devrait les balancer tous autant qu'ils sont, cracha-t-il avec véhémence. Ne plus avoir
peur d'eux et des conséquences de nos actes et de nos paroles. Ils n'ont pas eu peur, eux, des
conséquences quand ils ont dû faire des choix pour leurs propres convictions !
Mais nous risquerions gros, beaucoup trop gros… rétorqua-t-elle. N'oublie pas que mon père
tire les ficelles de LEXO et qu'il est de mèche avec l'Orateur de notre NUPE… Que veux-tu
qu'il se passe à part que nous nous fassions enfermer dans un dôme ou un asile jusqu'à la fin
de nos jours ?
Sur ces mots, Jayden mordit sa lèvre inférieure jusqu'à la faire blanchir et se leva d'un bon
Je te rappelle qu'on parle de mon père qui a fait le choix d'abandonner lâchement des
pendant toute une vie et d'Altwood qui signe tout ce qu'on lui propose pourvu que son nom
Jayden resta mutique, réalisant au fond que Meydân avait raison. Encore une fois ils ne
pouvaient rien faire, rien de plus que de constater et subir l'impensable. Il se tourna donc vers un
large miroir incrusté dans un mur et lorgna d'un coup d’œil le tatouage qu'il s'était fait il y a
quelques années sur toute la longueur de son avant-bras gauche. Ce dernier représentait un hémi
visage couvert par des tâches grises, significatives de la défaillance ERR-6, dans lequel était gravé
le prénom « Wayen ». Meydân se leva à son tour et s'approcha de Jayden jusqu'à apparaître à ses
UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 189
côtés dans le reflet. Elle regarda ensuite l'hommage artistique qu'il avait rendu et esquissa un sourire
Ça fait des années que je mène ce combat pour mon frère… dit-il ému. J'ai toujours rêvé de
Tu l'auras ta revanche, répondit-elle avec assurance. Je te promets que tu l'auras. Ce n'est pas
parce que nous ne pouvons pas agir maintenant que nous ne pourrons pas agir demain…
Toujours au travers du reflet du miroir, Jayden détacha ses yeux de son avant-bras pour
LEXO a pris ton frère mais il n'aura pas le mien… compléta-t-elle fébrile à son tour.
Cette fois Jayden se tourna vers la jeune femme et plongea directement son regard dans le
sien.
On prendra le temps qu'il faudra mais on trouvera un moyen de récolter les informations
Meydân acquiesça ses propos d'un sourire criant de sincérité que Jayden lui retourna à
l'identique. Ils se regardèrent ensuite pendant de longues secondes en silence avant de sentir les
Oh il va vraiment falloir que j'y aille, dit-elle précipitamment. Malone risque de se poser des
questions.
Oui rentre vite, dit-il en saisissant son manteau sur une chaise avant de le lui tendre.
Meydân le remercia, enfila rapidement son vêtement et se dirigea sans plus tarder vers la
porte d'entrée.
Prends le temps de discuter de tout ce qu'on s'est dit avec les autres, lui conseilla-t-elle juste
avant de partir. Récolte leurs avis, demande leurs conseils, on ne sait jamais que Tony ait de
Jayden se mit à rire et déverrouilla la porte, laissant ainsi Meydân sortir de chez lui pour
N’oublie pas d'aller te faire vacciner, répondit-elle un sourire malicieux sur le visage. J'ai
Compte sur moi, dit-il en appuyant son propos d'un sourire toujours aussi sincère.
Puis il la regarda monter en voiture et quitter la cour avant de disparaître à son tour dans la
maison de Wayen.
Malone était assis au volant de sa voiture depuis bientôt une demi-heure quand il vit le
coupé blanc de Meydân arriver au loin. Garé dans une sorte de fossé en contre-bas, il écrasa son dos
dans le fond de son fauteuil en espérant s'être fait assez discret pour ne pas se faire repérer. Meydân
passa comme prévu devant la voiture de son fiancé mais ne la remarqua pas. La carrosserie noire, le
fossé sombre et le coucher de soleil lui avaient été d'une grande aide. Malone attendit de voir
l'arrière du coupé disparaître dans le virage au loin pour redémarrer nerveusement sa voiture et
prendre le chemin contraire. Grâce aux informations d'Atân, il trouva sans mal le domicile d'où la
jeune femme venait de repartir. En s'approchant de la cour, il lut sur la boîte de dépôt le nom de «
Siller W. » et eut ainsi la confirmation qu'il s'agissait bien de la maison qu'il cherchait.
Jayden venait de débarrasser les tasses qu'il avait sorties pour la venue de Meydân quand il
fut surpris par la mélodie de la sonnette de l'entrée. Comme d'habitude, il jeta un œil par la fenêtre
et aperçut un homme d'une trentaine d'années affublé d'un long manteau noir cintré.
Oh non pas encore… s'exclama-t-il en croyant reconnaître la tenue des enquêteurs qui lui
Il déverrouilla donc la porte d'entrée en priant pour que l'interrogatoire ne soit pas aussi long
- BAM ! -
Dans un geste aussi vif que puissant, Malone lui asséna un coup de poing en pleine face,
faisant ainsi chuter le jeune homme en arrière. Il se jeta ensuite sur lui et lui écrasa violemment ses
phalanges sur le visage à de multiples reprises. Jayden eut beau tenté de lutter, il avait été trop
sonné par le premier coup pour espérer pouvoir se sortir de cette mauvaise passe.
Sale enfoiré ! s'écria Malone en n'ayant de cesse de le frapper. Je vais te crever t’entends ?!
Jayden ne comprenait plus rien, ne pouvait rien faire. Il tentait désespérément de se protéger
de la violence de son agresseur tout en s'assurant de ne pas perdre connaissance. Les quelques
minutes de brutalité lui semblèrent être des heures... Pourtant plus le temps passait et moins il
parvenait à comprendre le motif d'un tel acte au même titre que l'identité de son agresseur.
AaAh… s'exclama Jayden alors que Malone venait d'interrompre son lynchage pour le saisir
par le t-shirt.
Écoute-moi bien petite merde, dit-il en approchant son visage de l'oreille de sa victime. Si tu
t'avisais encore une seule fois de faire chanter ma fiancée, ce ne sont plus mes poings que tu
Jayden était à deux doigts de perdre connaissance quand il sentit son dos retomber
lourdement au sol. Malone venait de le lâcher pour se relever. Il replaçait dorénavant plus
Considère qu'il s'agit d'un avertissement, dit-il. Mais si j'apprends de nouveau que tu as
UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 192
touché, parlé ou même regardé Meydân… t'es mort.
Puis il avança une dernière fois vers Jayden et lui envoya son pied dans les côtes avec la
La douleur était telle qu'elle lui irradiait l'intégralité du corps. Il se mit alors à tousser et
sentit un goût métallique, très significatif, lui arriver en bouche. En serrant les dents pour tenter de
faire face à la douleur, un filet de sang dégoulina du coin de ses lèvres jusqu'à tomber en gouttes à
gouttes au sol. Satisfait du résultat de sa visite, Malone lâcha un petit rire moqueur puis quitta
fièrement le domicile.
Empathie
Colin glissa ses mains sous la tête et le dos d'Alice avant de la soulever délicatement. La
petite était tombée de fatigue et dormait depuis maintenant plus d'une heure sur le canapé.
Pendant ce temps, elle revisionna le montage vidéo qui leur avait pris la quasi-totalité de la
soirée. Le rendu était incroyable ; Colin avait fait un travail fantastique. Le tout tenait en moins de
C'est bon, dit enfin son hôte en revenant en hâte dans le séjour.
C'est vraiment bien, y a pas à dire, conclut une fois encore Silhaée en lui tendant la tablette.
Et donc tu es sûr que ton beau-frère aura le temps de préparer ça pour demain ? demanda
Colin avait obtenu son poste grâce au frère de Gaële, grand patron d'un groupe publicitaire
majeur de leur NUPE. Ce dernier était en charge de la diffusion des spots de publicités intercalés
entre les différents temps de conférence de presse du lendemain. Dans un souci d'application de leur
Ouai Dio c'est moi, répondit Colin quand ce dernier décrocha. Nous avons terminé ça y est.
Silhaée resta suspendue à ses lèvres, espérant qu'il n'y aurait aucune complication.
Je t'ai fait parvenir tout ça par T-mess anonymisé, lui indiqua Colin. Le reste, je te fais
confiance (…) Oui pas de problème (…) On se tient au courant pour la suite.
Colin verrouilla ensuite sa tablette de travail et la posa sur la table avant de s'étirer de toute
son envergure.
Bon… Je suis désolé mais je suis un peu fatigué et la journée de demain risque d'être
Comme chaque soir depuis son arrivée, Silhaée veillait passivement devant la télévision.
Elle s'était instaurée une sorte de rituel avant le coucher où elle joignait ses mains l'une dans l'autre,
repliait ses genoux tout contre elle et fermait les yeux. De là elle pensait à ses amis, ses proches, un
par un. Elle commençait d'abord par Gaële et la remerciait du fond du cœur d'avoir mis Colin sur
son chemin sans même le savoir. Puis elle tentait de se remémorer les senteurs caramélisées
matinales des cuves de l'usine « Carly Sugar » et s'imaginait pouvoir envoyer l'un de ces petits
ballotins gourmands à Rix. Ensuite elle n'avait de cesse d'avoir une pensée pour Téziri, espérant au
plus profond d'elle-même qu'elle aurait le temps de la revoir avant que la maladie ne l'emporte. «
Tizi » … Celle qui avait su animer sa vie. Elle était devenue pour elle le symbole de sa rébellion
intérieure… Une fois ces premières pensées revisitées, Silhaée tentait de s'imaginer ce que Jayden,
Meydân et les autres avaient pensé de sa « fugue ». Avaient-ils compris qu'il était devenu plus que
découvrant la vidéo de propagande ? … Elle l'espérait en tout cas, de tout son cœur elle l'espérait…
Enfin, alors même que le sommeil commençait à lui picoter les yeux, Silhaée offrait les plus
longues minutes de son temps de méditation pour ceux qui comblaient le plus son esprit. Elle serrait
plus encore ses mains l'une contre l'autre et pensait à Brenn qui devait se sentir si seul depuis sa
sortie du dôme… Si abandonné… Elle chuchotait alors vainement quelques mots de soutien,
d’encouragement, comme si elle pouvait les lui transmettre par la pensée et s'imaginait lui caresser
tendrement le visage jusqu'à parvenir à lui arracher un sourire. Flânant dans ses rêveries, elle voyait
ensuite sa main se poser sur le visage d'un autre homme, celui qu'elle considérait désormais comme
son sauveur, son ange gardien : Eyrin. Au souvenir du contact de sa peau sur celle du jeune homme,
le cœur de Silhaée se mettait à battre la chamade. Au souvenir de sa voix au creux de son oreille, un
frisson lui parcourait le corps. La jeune femme gardait toujours cette précieuse pensée pour la fin de
sa méditation. La raison ? Elle l'ignorait. Mais ce dont elle était sûre, c'est qu'elle n'avait jusqu’alors
jamais connu de sentiments plus intenses que ceux qu'Eyrin avait fait naître en elle.
En arrivant chez elle, Meydân constata avec surprise que la maison semblait désespérément
vide.
Personne. En s'approchant du droïde fixe, elle vit qu'un message avait été laissé sur le
– Bip ! -
« Salut Meydân, c'est Joa. Écoute je suis désolée mais je viens de voir ma responsable qui m'a
centre de soins continus… Du coup je… je n'ai pas pu refuser… J'avais vraiment envie de rentrer
chez moi… Je pense que tu peux le comprendre… Malheureusement je n'ai pas pu transmettre ton
message à Eyrin mais j'ai une amie curatrice qui ne devrait plus tarder à démarrer sa mission. Je
lui confierai tout ça, je suis sûre qu'elle n'y verra aucun inconvénient, ne t'inquiète pas… Encore
Puis elle déchaussa ses chaussures, enleva son manteau et se recentra de nouveau sur sa
recherche initiale :
La jeune femme traversa la maison en long et en large avant de se décider à appeler son
fiancé pour comprendre les raisons d'une absence qui n'avait pas lieu d'être.
C'est bizarre, pensa-t-elle à voix haute avant de réfléchir aux possibles activités de ce
pas de porte.
Malone ne répondit rien dans l'instant, se défaisant d'abord de son manteau et de ses
Mon Dieu Malone tu t'es blessé ?! paniqua-t-elle en le regardant sous toutes les coutures.
Ce dernier s'apprêtait à lui répondre quand il vit le visage de sa fiancée changer du tout au
tout. Elle venait de constater que ses mains étaient couvertes des mêmes taches de sang séché que
Malone sembla chercher ses mots mais s'abstint finalement de répondre. Il contourna ensuite
Meydân sembla prise de cours. Elle regarda la mousse blanche du savon rougir entre ses
doigts.
Malone resta mutique une fois de plus, ajoutant encore un peu de savon dans le creux de ses
mains pour être sûr de se débarrasser entièrement du sang logé dans les plissures de ses paumes.
Mais enfin Malone réponds-moi ! s'impatienta-t-elle. Tu sais bien que tu peux tout me
dire ! …
Moi ? …
Alors pourquoi tu ne m'as pas dit qu'on te faisait chanter ? lança-t-il abrupt.
Qu'on me faisait chanter ? répéta-t-elle en fronçant les sourcils. Qu'est-ce que c'est que ces
Ne fais pas l'ignorante s'il-te-plaît, dit-il en se séchant les mains tout en quittant la cuisine.
Meydân le suivit jusque dans leur chambre et le regarda se défaire de sa chemise avant de la
Que je t'explique quoi ?! se braqua-t-il enfin. Qu'un fils de pute abuse de toi en jouant sur ta
La jeune femme écarquilla de grands yeux ronds qui semblèrent agacer au plus haut point
son fiancé.
Arrête putain ! dit-il sans ménagement. Arrête de faire l'idiote, c'est insupportable !
Mais je ne fais pas l’idiote ! s'exclama-t-elle à son tour agacée. Je ne comprends rien du tout
Durant les quelques secondes qui suivirent cet aveu, Meydân réalisa… Elle repensa aux
conclusions potentielles de l'enquête menée chez Wayen et comprit que la piste de l'adultère avait
en effet été privilégiée, comme ils l'avaient imaginé. Elle conclut donc que son père en avait été
informé et comprit enfin avec effarement qu'il avait prévenu Malone dans son dos, au risque de
Ah mais je le sais ça, l'interrompit-il toujours aussi remonté. Ton père m'a tout raconté : le
chantage que ce mec te faisait pour obtenir de toi des faveurs en échange de contacts
clandestins avec Eyrin… Les déplacements incessants qu'il t'imposait jusqu'au domicile de
son frère pour que personne ne sache rien de ses petites affaires…
Quoi ?! s'exclama-t-elle outrée par de tels propos. C'est ce que mon père t'a dit ?
Oui et il n'aurait s'en doute pas dû, répondit-il avec évidence. En tout cas c'est certainement
recentrer sur l'un des éléments, pourtant crucial, qu'elle avait jusqu'alors délaissé :
Malone… dit-elle en saisissant la chemise qu'il avait abandonnée sur le lit. D'où vient tout
ce sang ? …
Ce dernier n'eut pas besoin de répondre : le petit sourire satisfait sur son visage parla de lui-
même.
Cette fois c'est elle qui fut totalement mutique, chaussant dans la foulée une paire de baskets
avec hâte.
Mey ! s'exclama-t-il.
Quand comprendras-tu qu'il ne faut pas croire tout ce que mon père dit ?! éclata-t-elle sans
prévenir.
Je t'ai vu repartir de chez ce mec après y avoir passé plus de deux heures ! contra-t-il énervé
comme jamais. Tu m'avais dit que tu étais partie courir ! Alors qui est-ce que je dois croire
dans tout ça ?! Ton père qui essaie de m'aider ou toi qui me cache la vérité ?!
porte.
C'est peut-être parce que la vérité n'est pas si facile à dire… lâcha-t-elle en marquant
Qu'est-ce que tu veux dire par là ? dit-il intrigué par son sous-entendu.
bien plus difficiles qu'une simple amourette imaginaire. Mais quand il compléta son propos avant
même qu'elle ait pu lui répondre le moindre mot, ses espoirs furent réduits à néant :
Parce que si j'apprenais qu'il ne s'agissait pas d'un chantage mais d'une relation adultère
franchement consentie, je ferai tout mon possible pour ruiner ta carrière, asséna Malone. Et
D'un geste sec, Meydân se défit de son emprise tout en hochant la tête de gauche à droite.
Je pensais que tu avais suffisamment confiance en nous pour ne jamais être pris par de
maintenant pour ne jamais avoir à me menacer de la sorte… Mais tu vois, tout le monde
peut se tromper…
Puis, sans attendre de réponse de sa part, elle sauta dans sa voiture et quitta précipitamment
le domicile conjugal, centrant désormais son attention sur les terribles conséquences du binôme
Atân-Malone.
poche. Ce dernier saisit instantanément le droïde et se leva d'un bon de sa chaise au seul constat du
nom de l'interlocuteur.
Je ne sais pas.
Qui est-ce ?
Puis il s'écarta provisoirement du séjour, s'isolant un instant dans son bureau par habitude.
Emery du bureau d'enquête. Je me permets de vous déranger car nous venons de terminer
« Comme vous le saviez, la maison de Wayen Siller avait été passée au peigne fin par nos
enquêteurs mais nos relevés avaient été perturbés par l'étrange réalisation d'un grand
nettoyage. Nous avions donc pris le temps d'analyser les moindres fragments d'empreintes
« Un cheveu », répondit Coper Emery. « Un cheveu entortillé dans la maille d'un pull que
Et ? dit-il nerveux.
« Nous avons lancé une recherche entre l'ADN relevé et les FIM8», dévoila-t-il enfin. Et
« C’était bien elle chez Mr Siller, cela ne fait aucun doute », acquiesça Coper Emery. « Je
pense donc que tout ce que nous avions constaté jusque-là n'était en réalité qu'une parfaite
mise en scène. Vous aviez raison depuis le départ de penser que cet homme était lié à
Non, s'opposa immédiatement Atân. Attendons d'abord que la campagne de vaccination soit
close. Nous nous occuperons du reste après. Je ne veux rien qui puisse compromettre cette
« Bien sûr Monsieur », répondit-il avec évidence. « Nous profiterons des trois prochains
jours pour reprendre nos pistes et tenter de comprendre ce qu'il s'est réellement passé. Ainsi
Profitez également de ces trois jours pour rechercher les complices du kidnapping. Jayden
« Bien Monsieur ».
Puis les deux hommes se saluèrent et raccrochèrent. Atân retourna ensuite dans la salle à
Ce dernier se mit à sourire de soulagement avant de prendre sa femme par les épaules.
Ils ont retrouvé une trace du sujet expérimental UJI, déclara-t-il triomphant.
Chez Wayen, le frère de Jayden Siller. Comme nous l'imaginions depuis le départ.
Non, les résultats de l'enquête étaient biaisés par une mise en scène rudement bien réalisée.
Mais les analyses ont parlé ; elle se trouvait bien dans cette maison le jour de la perquisition.
Rosamine exprima une fois de plus son contentement avant de se rediriger vers la table à
manger. D'abord tout sourire, elle remplit généreusement leurs verres de vin puis marqua un temps
d'arrêt.
S'il s'agissait d'une mise en scène… cela veut dire que Meydân et Jayden n'entretenaient pas
de relation extra-conjugale ? …
Attends attends, dit Rosamine. Cela veut dire que Malone est allé lui « rendre visite » …
pour rien ? …
Pour rien ? répéta-t-il. Je te rappelle qu'il s'agit de l'employé qui a trahi ma confiance et la
confiance de LEXO en risquant de foutre en l'air le projet d'une vie. Alors qu'il couche avec
ma fille ou pas, il méritait bien qu'on lui donne une petite correction, tu ne penses pas ?
Rosamine ne se prononça pas, elle savait que « d’accord » ou pas, son avis ne pèserait pas
Mangeons, dit-elle alors en remplissant leurs assiettes avant de s'asseoir à table bien
sagement.
Meydân roula à vive allure, écrasant de plus en plus fort l'accélérateur à mesure qu'elle
s'approchait de la maison de Wayen. Son cœur battait à tout rompre dans sa cage thoracique. Elle
avait honte, honte de ce que son père avait dit, de ce que son fiancé avait cru, honte de ce qu'il
s'était passé tout simplement. En arrivant dans la cour, elle serra énergiquement le frein de sa
voiture avant de se précipiter au dehors. Elle sonna ensuite à la porte de la maison et attendit qu'on
lui ouvre… Mais personne ne vint à elle. Meydân sonna encore à deux reprises sans réponse et
Constatant que ses tentatives étaient désespérément vaines, elle se décida à faire le tour de la
maison. À l'arrière de celle-ci, une planche de bois avait été clouée sur la fenêtre brisée. Ni une ni
deux, la jeune femme se jeta dessus et tenta de l'ôter à la seule force de ses bras.
Jayden !! réitéra-t-elle.
Face à la résistance de la planche, Meydân finit par y mettre de grands coups de pieds
jusqu'à voir la matière commencer à céder. Après quelques minutes d'acharnement, elle réalisa un
tour sur elle-même et aperçut les briques près du garage, les mêmes que celles dont Silhaée s'était
servie pour briser la fenêtre. Ne voyant pas d'autre solution, elle s'empara de l'une d'elles et revint
Déjà fatiguée par les multiples coups de pieds, la planche se brisa enfin en deux, lui offrant
Pas de réponse. Elle poursuivit donc son chemin jusque dans le séjour.
En arrivant dans la pièce principale, Meydân tomba sur la silhouette du jeune homme à terre.
Recroquevillé sur lui-même, il avait enroulé ses bras contre son torse.
Non non non ! dit-elle en se ruant sur lui. Jayden ! Jayden est-ce que tu m’entends ?!
sursaut.
Je suis désolée… profondément désolée, dit-elle en se positionnant de sorte à lui faire face.
En le voyant tenter d'ouvrir les yeux, elle fut en partie rassurée. Il n'avait au moins pas perdu
connaissance...
recherche de matériel utile. Elle se saisit ainsi de serviettes, de gazes qu'elle imbiba d'eau froide, de
désinfectant de secours, d'un ciseau et de multiples pansements avant de revenir dans la pièce
principale.
Elle passa dans un premier temps les gazes humides sur son visage avant de désinfecter par
Chuuut chuut… n'eut de cesse de répéter la jeune femme dont les yeux s'embuaient de
Elle tenta ensuite de déplier les bras de Jayden mais ce dernier semblait vouloir conserver sa
Il faut que je regarde, s'excusa-t-elle en lui imposant d'ouvrir davantage ses bras.
bien…
Une fois installé sur le dos, Meydân saisit la paire de ciseaux et découpa le t-shirt de Jayden
pour y voir plus clair. Elle palpa ensuite son torse à la recherche d'un quelconque signe de fracture.
J'ai l'impression qu'il n'y a rien de cassé mais je ne suis pas sûre de moi… avoua-t-elle. Je
Le jeune homme tenta alors de se redresser en prenant appui sur ses bras.
Attends ! Non attends, le supplia-t-elle en venant le soutenir pour ne pas aggraver ses
douleurs.
Mais Jayden retomba lourdement au sol, se repliant de nouveau sur lui-même, mâchoire
crispée, yeux clos. Meydân fut alors prise d'un terrible sanglot qu'elle ne parvint plus à contenir.
Ça va… Ça va… dit-il entre deux crispations avant de poser sa main sur la jambe de la jeune
femme.
Si… Si tu savais ce que je suis désolée… répéta-t-elle en déposant une main sur la sienne,
Jayden fit encore un effort pour rouvrir les yeux, luttant contre l'une de ses arcades qui avait
Tu… Tu m'avais dit que… c'était risqué… comme plan, admit-il entre deux courtes
inspirations.
Mais je n'avais pas pensé à ça… dit-elle en passant de nouveau quelques gazes fraîches sur
son visage. Je ne pensais pas que mon père serait capable de ça…
maintien d'un rythme régulier dans le gonflement et dégonflement de ses poumons lui imposait une
concentration trop importante pour se soucier à l'heure actuelle des préoccupations de Meydân.
Je ne peux pas te laisser comme ça… dit cette dernière en le voyant se replier encore un peu
Sur ces mots, elle se leva du sol et chercha dans la maison le compagnon de Jayden.
- Fuifu ! - (siffla-t-il)
Meydân se dirigea alors vers le droïde abandonné sur l'un des fauteuils du salon et revint
Alors qu'elle s'apprêtait à demander à Zoka de joindre les secours, elle croisa le regard
suppliant du jeune homme qui hocha négativement la tête une fois encore.
Coup(s) de poker
Au petit matin du lancement de la campagne vaccinale, les postes tournaient à plein régime.
Aux quatre coins de la planète, chaque homme - femme - enfant venait y recevoir le très attendu
vaccin anti ERR-6. Les médias, eux, faisaient le pied de grue aux sorties des millions de postes de
vaccination, avides de recueillir les témoignages des nouveaux vaccinés, des témoignages ponctués
Atân Hederling arriva sur le plateau télévisé où devait avoir lieu la grande conférence de
lancement, celle destinée à faire l'étalage des années de dur labeur qui leur avaient permis d'arriver à
ce résultat. Pour ce faire, il avait choisi d'être entouré par le médecin référent du centre ; le très
Je ne sais pas… répondit Erdowel complètement absent. Elle est peut-être en retard tout
simplement…
Tous deux avaient été installés dans une loge du plateau télévisé et n'attendaient plus que
En retard, reprit Atân en levant les yeux au ciel. Le jour le plus important de notre vie… Je
ne crois pas non ! Elle a encore décidé de me faire chier, c'est tout !
désormais que le fils Hederling était à l'origine du kidnapping de Silhaée. Mais en imaginant la
colère noire dans laquelle son père pourrait entrer, il avait jugé bon de traiter les problèmes les uns
après les autres et avait décidé de l'en informer seulement après la campagne vaccinale...
Atân avait son compagnon plaqué contre l'oreille quand Erdowel sortit de ses pensées :
Et bien contacte Malone directement sur son lieu de travail ! hurlait-il sur Rosamine.
Cette dernière venait de lui annoncer que le compagnon de son gendre ne répondait pas et
Puis il raccrocha et aboya un « quelle conne aussi celle-là » avant de quitter la loge sur
Silhaée et Colin avaient allumé la télévision depuis plus d'une heure quand ils virent les
C'est terrible… commenta Silhaée assise dans le fond du canapé aux côtés d'Alice. Je
n'arrive pas à me réjouir entièrement de tout ça… Pourtant je sais qu'il s'agit d'une bonne
nouvelle pour la planète… D'un miracle même… Mais je n'y arrive pas…
Ce ne sont pas les résultats qui sont gênants dans toute cette histoire, répondit Colin. C'est la
Tu crois que les gens vont être sensibles à mon message ? demanda Silhaée manifestement
J'ai envie de te dire que oui… Mais je ne peux pas en être sûr. Je dirais que le contraire serait
chamboulées. Il n'y a pas de raison qu'il n'en soit pas de même pour le reste de la planète.
Tu as sûrement raison… dit-elle en regardant un instant Alice qui tétait avec énergie son
verre à bec.
Sentant l'attention se poser sur elle, la petite leur fit un grand sourire dégoulinant de lait qui
Meydân s'engouffra à pas de velours dans la chambre de Wayen, une tasse de thé à la main.
Les volets à demi-ouverts diffusaient la lumière du soleil levant et dessinaient les contours du
visage marqué de Jayden. En arrivant au plus près de lui, Meydân posa la tasse sur la table de
chevet et s'accroupit à sa hauteur. Le jeune homme était allongé sur le ventre, son bras pendait dans
le vide. Il semblait désormais bien plus paisible et soulagé. Il fallait dire qu'il était bien mieux dans
La veille, Dean et Tony avaient été fabuleux avec lui, le soulevant avec une précaution sans
pareil et le veillant jusque tard dans la soirée. Pour le restant de la nuit, ils avaient laissé Meydân
aux côtés de Meala qui avait fini elle-aussi par quitter la maison mais plus tardivement encore.
En sentant une présence à ses côtés, Jayden ouvrit un œil puis l'autre et tomba sur le visage
souriant de Meydân.
Délicatement, Meydân posa ses doigts sur l'arcade du jeune homme pour en apprécier le
gonflement. L'hématome semblait s'être stabilisé, lui permettant ainsi d'ouvrir l’œil sans trop
souffrir. Jayden à son tour posa sa main sur le visage de Meydân qui, surprise, tressauta légèrement.
… J'ai vraiment eu peur… dit-elle en ne sachant plus tellement où poser son regard.
Tout ça s'est passé à cause de moi, le corrigea-t-elle. Tu n'as même pas à me remercier…
C'est moi qui devrais plutôt m'excuser d'être encore là après tout ça, après tout ce que je t'ai
fait endurer…
Jayden hocha la tête en signe d'aberration et se décida enfin à se redresser en prenant appui
Meydân se dressa derechef sur ses genoux, s'approchant encore un peu plus de lui pour venir
le soutenir. Elle se retrouva ainsi à quelques centimètres de son visage, dessinant le contour des
descente de son cou. En sentant la main du jeune homme la saisir plus encore, elle crut devoir
l'aider à se redresser davantage. Elle tenta donc de se repositionner idéalement avant de déposer
Un battement de cils sépara cet instant du suivant. Et sans même qu'elle puisse avoir le
temps d'y songer, Meydân vit les traits du visage marqué de Jayden s'approcher plus encore du sien.
Au contact de ses lèvres sur les siennes, la jeune femme écarquilla instantanément de grands yeux,
fournissant un effort considérable pour étouffer un sursaut réflexe. N'ayant pas anticipé réellement
ce moment, elle resta parfaitement immobile durant les premières secondes du baiser… Puis,
prenant enfin conscience qu'aucun de ses choix jusque-là n'avait été porté par ses propres envies,
elle se décida enfin à renoncer à l'appel de la raison. Le cœur battant, elle vint à son tour déposer le
plus tendre des baisers sur les lèvres coupées de Jayden, se promettant dans ce même temps que
UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 212
jamais elle n'aurait à le regretter.
Monsieur Hederling nous ne pouvons plus attendre, annonça une assistante, casque à
Il n'avait de cesse de manipuler son compagnon, appelant Rosamine toutes les cinq minutes
sans succès. Meydân n'avait pas redonné signe de vie depuis la veille et Malone refusait de prendre
les appels de ses beaux-parents, manifestement fatigué d'être baladé par tout le monde.
Qu'est-ce qui est incroyable ? demanda Jodd Altwood en arrivant dans les coulisses du
Tant pis, nous ferons sans elle, annonça l'Orateur. Le monde ne peut plus attendre désormais.
Puis il fit signe à l'assistante de lancer le décompte d'entrée sur le plateau avant de voir une
maquilleuse lui tamponner vivement le visage de poudre. Atân lui emboîta le pas, suivi de près par
Il ne va pas falloir qu'il oublie qui je suis… susurra hargneusement Atân au médecin en
3… 2… 1… décompta enfin l'assistante en faisant signe aux invités d'avancer au plus près
possible, lança le présentateur face caméra avant de se tourner vers la porte d'accès.
Dans un élan d'applaudissements, les trois hommes entrèrent sur le plateau, saluant
temps de présenter chacun d'eux dans le détail avant de faire le bilan des années de travail qui
Personne n'y croyait plus, il faut le dire, termina enfin le présentateur. Mais vous l'avez
fait…
Nous nous avons continué d'y croire, répondit Jodd Altwood. Comme nous l'avions dit très
souvent, nous n'étions plus très loin de l'exploit. Il fallait juste se laisser le temps d'atteindre
la perfection. Plus aucune erreur, plus aucun faux pas n'aurait été toléré... Alors il fallait être
Oui, répondit ce dernier fermé comme une huître. Sans elle, nous n'en serions pas là.
Et justement, où est-elle aujourd’hui ? Où est celle qui vient de nous sauver, de sauver nos
du public.
Altwood et Erdowel jetèrent un œil à Atân qui sembla ravaler son agacement pour ne pas
perdre la face.
En ce grand jour, il n'était pas dit qu'elle puisse se libérer, justifia-t-il. Nous pensions
pouvoir vous l'amener pour cette grande conférence de lancement, mais malheureusement
de publicités, le temps pour nous d'accueillir nos prochains invités. À savoir Rodd, Tessy et
L'un des assistants brandit ses doigts et décompta trois secondes avant de clamer :
Ils balancèrent ensuite la publicité qui fut diffusée sur les écrans de fond en attendant la
reprise. Quasi instantanément, Jodd Altwood retrouva ses gardes du corps et fut conduit dans sa
loge. Atân et Erdowel, quant à eux, se firent appeler par le public qui clamait leurs présences pour
immortaliser ce moment en photo. D'abord hésitants, ils finirent quand même par y aller et se
Quand la publicité fut enfin lancée, Silhaée et Colin se réinstallèrent plus convenablement
Chut chut… lui dit son père en la prenant sur ses genoux. Écoute mon Cœur, c'est important.
La petite acquiesça en plaquant son petit doigt sur sa bouche avant de se blottir contre son
père. Silhaée adressa un sourire amusé à la jeune Alice avant de se concentrer de nouveau sur
l'écran.
À la coupure d'une publicité lambda, l'écran scintilla d'une luminosité particulière avant de
se figer sur une image : celle de la silhouette d'une jeune femme, filmée dans la pénombre à la
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UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 215
Atân et Erdowel se prêtaient encore avec plaisir au jeu des selfies quand ils sentirent
Atân se retourna lentement vers les écrans en arrière du plateau et découvrit l'image associée
à cette voix qu'il reconnut quasi instantanément. En apercevant le contour de la silhouette d'une
femme assise derrière une table, filmée en contrejour, il eut confirmation de ce qu'il craignait depuis
des jours :
Les assistants autour du plateau semblèrent pris de court et la raison n'était pas difficile à
deviner : depuis des années maintenant les pages publicitaires étaient gérées par une société
extérieure. Ils n'étaient donc pas en mesure de pouvoir agir, ou tout du moins pas dans l'immédiat.
Tous vos proches qui ont un jour rejoint l'Expéria ou l'une de ses antennes
La concentration du public était maximale. Chacun semblait prendre très au sérieux la vidéo
diffusée, s'échangeant par instant des regards effarés avant de continuer d'observer les écrans avec
attention.
« Vos parents, vos enfants, vos amis, tous n'étaient enfermés dans ces dômes que pour vous
Hors de lui, Atân disparut en coulisse, hurlant sur quiconque se trouvait sur son chemin.
accéder à la régie.
Sur ces derniers mots, la même luminosité scintillante mangea l'image. Le volume sonore
impressionnant couvrit ensuite la totalité du plateau alors qu'Atân hurlait à gorge déployée sur les
régisseurs. Toujours bouche bée devant les écrans géants, Erdowel sentit soudainement le regard des
centaines de personnes présentes dans les gradins se poser sur lui. « Menteurs !» entendit-il
brusquement sur sa gauche, « Escrocs !» s'écria quelqu'un d'autre sur sa droite. En quelques
secondes, des insultes du même genre puis certaines bien plus véhémentes plurent sur le médecin
qui ne trouva pas d'autre alternative que de fuir en coulisses sous les cris de colère et d'indignation
des spectateurs.
À la fin de la vidéo, Colin et Silhaée, jusqu'alors complètement figés, fébriles devant l'écran
Dans l'incompréhension la plus totale, la jeune Alice commença à crier pour qu'on s'intéresse
à elle.
Pardon ma chérie, lui dit alors son père en la prenant à son tour dans ses bras.
regarder son père avec insistance, attendant de lui une explication sur son euphorie du moment.
Un sourire de compassion se dessina sur le visage de Silhaée qui joint ses mains l'une dans
Papa crie de joie mon Bébé... Et si Papa est heureux c'est parce qu'on va bientôt revoir
Rien n'était fait encore, ils en avaient bien conscience... Mais ils y croyaient dur comme fer
maintenant, car malgré tout ils savaient qu'ils venaient de jouer un gros coup, d'adopter une stratégie
Atân était en train de passer un savon aux régisseurs de la chaîne tandis que Jodd Altwood
Vous rendez-vous compte à quel point c'est grave ?! hurlait-il sur l'un des régisseurs. Un
Comme je vous le répète depuis tout à l'heure Mr Hederling, nous n'avons pas la main sur la
diffusion publicitaire, répondit-il. Et le temps pour nous de nous mettre en rapport avec les
Il faut dire qu'elle était extrêmement courte, ajouta une assistante. Notre temps de réaction
Ayant enfin pris connaissance de la vidéo à l'origine du litige, Jodd Altwood put prendre part
à la conversation.
Nous allons faire suivre un communiqué, dit-il calmement. Un démenti tout simplement.
Le public est en ébullition sur le plateau ! éclata Atân. Ils veulent des réponses et je ne crois
Alors nous irons nous justifier nous-même sur ce plateau, rétorqua Altwood. Nous jouerons
les étonnés et accuserons le groupe privé en gestion de la publicité. Nous dirons qu'ils ont
Au moment où Jodd Altwood venait d'évoquer son idée, un assistant entra brusquement dans
la régie.
Les spectateurs sont en furie, prévint-il paniqué. Ils exigent des explications, ils viennent
d'envahir le plateau…
Nous évacuons Monsieur l'Orateur, prévint du tac au tac l'un des gardes du corps d'Altwood
plateau télé, tentant maladroitement de réinstaller les spectateurs dans les gradins. Toujours présents
Il faut faire quelque chose, clama Atân dans toute cette agitation.
Viens, lui dit alors Erdowel en guidant le directeur vers leur loge.
Les deux hommes s'enfermèrent un instant dans la pièce puis Atân passa de nombreux coup
« Trouvez-moi le responsable
du groupe publicitaire !»
Atân ? l'interpella Erdowel à la sortie d'une énième communication. Il faut que je te parle de
quelque chose...
J'imaginais qu'il serait plus simple de régler les problèmes les uns après les autres…
En sentant que le médecin en avait gros sur la conscience, le directeur s'arrêta brusquement
J'ai… Je…
Eyrin est à l'origine de l'évacuation du sujet expérimental UJI, déballa-t-il d'une traite. Il me
Sur ces mots, Atân regarda Erdowel pendant de longues secondes, dessinant
Si quelqu'un peut nous dire où se trouve Silhaée aujourd'hui, c'est lui… compléta
maladroitement Erdowel.
… AAAAAAAH !! hurla Atân en saisissant une table de la loge avant de l'envoyer contre
un mur.
veste du regard. En la voyant par terre dans un coin de la pièce, il se jeta dessus, prit son badge
LEXO dans l'une des poches et sortit avec brutalité des studios, rejoignant le parking sous le regard
catastrophé du médecin.
Meydân et Jayden venaient d'arriver dans le séjour quand ils virent la fin de la vidéo de
Colin et Silhaée.
Silha ?! bondit Meydân en se précipitant vers l'écran. C'est Silhaée j'en suis sûre.
Encore douloureux, Jayden arriva derrière elle plus lentement et établit le même constat.
C'est bien elle, confirma-t-il en voyant la silhouette disparaître de l'écran. C'était bien sa
voix.
Posé sur son socle de charge, Zoka se mit à tinter tout en clignotant frénétiquement.
Le droïde s'exécuta sans plus attendre, lançant les trois appels entrants en une conversation
Vous avez vu la vidéo qui vient d'être diffusée pendant la publicité ?! leur demanda Dean.
Elle a dit qu'ils l'avaient gardé enfermée pendant des années dans l'Expéria pour créer le
vaccin, compléta Meala. Et qu'ils avaient simulé une recherche de traitements pour les
porteurs défaillants alors qu'en réalité il ne se passait plus rien pour eux.
Meydân se tourna brusquement vers Jayden qui plaqua une main ferme sur sa bouche,
On attend de voir ce qui va être dit au retour de publicités, proposa Meydân. Et on avise…
Leurs amis acquiescèrent à tour de rôle avant de raccrocher. La jeune femme reposa alors
Zoka sur son socle de charge et se tourna vers Jayden, les yeux emplis de larmes.
C'est juste que… je me demande ce que les gens vont penser de moi…
Mais tu ne faisais qu'appliquer les directives qu'on t'imposait. Ils comprendront que tu
Meydân hocha positivement la tête mais ne sembla pas vraiment sereine pour autant.
Et puis… un jour ils apprendront que tu t'es dressée contre ton père pour sauver la vie de
Semblant cette fois se satisfaire de cette idée, elle se permit de faire une accolade à Jayden
Et… hésita-t-elle.
Oui ?
… Toi et moi ? dit-elle timidement en relâchant légèrement l'emprise de ses bras pour le
Je crois qu'on en aurait fait une en ignorant l'évidence, répondit-il en la contenant finalement
Rosamine sortait du centre commercial, emplettes en mains, quand elle sentit le regard des
passants se fondre sur elle. Elle crut d'abord être associée au succès de la vaccination, ce qui ne
l'étonna pas au vu du grand événement du jour. Tout le monde ici la connaissait, tout le monde
savait qu'elle était l'épouse du dirigeant de LEXO et elle était respectée pour cela.
Interdite, elle regarda cette étrange personne s'éloigner et reprit sa promenade dans les
ruelles du centre-ville sans se poser plus de questions. Des déséquilibrés, il y en avait partout après
tout.
Femme de meurtrier ! s'exclama un homme sur le trottoir d'en face. Vous devriez avoir
honte !
Cette fois Rosamine comprit qu'il y avait eu un problème. Elle fouilla alors à l'intérieur de
Rendez-nous nos proches ! s'écria une femme accompagnée de ses enfants. Rendez-moi
Sentant la ferveur des passants monter crescendo, Rosamine pressa brusquement le pas
jusqu'à devoir fuir les insultes, les hués, toutes sortes d'abominations auxquelles elle n'avait
Gaële, Rix et Brenn venaient de quitter la cellule de soins de Téziri après y avoir passé une
bonne heure.
J'ai l'impression que c'est stable en ce moment, dit Rix en faisant référence à l'état de santé
de la jeune femme.
Elle n'a pas de nouvelles plaques, compléta-t-il comme pour solidifier son propos. Et elle
La moitié de son corps en est couvert… contra Brenn. Et elle n'est pas « calme », elle est
sédatée…
Depuis la sortie de Silhaée, et plus encore depuis l'isolement forcé d'Eyrin, Brenn était
redevenu continuellement l'homme grincheux et pessimiste qu'il lui arrivait d'être normalement
ponctuellement. Désormais habitués, Rix et Gaële ne relevèrent pas et continuèrent leur chemin
En arrivant dans le hall, les trois compères durent s'écarter pour laisser passer un surprenant
attroupement de curateurs, tous agglutinés autour d'une personne, un homme qui n'avait même pas
revêtu de tenue stérilisée. Il déambulait en costume de ville dans le centre de soins, marchant à vive
allure sans se soucier des appels incessants des soignants autour de lui. « Monsieur le Directeur »
vain.
Il n'avait jusqu'alors jamais aperçu ici le visage du directeur du groupe. De plus, ce dernier
ne faisait que de très rares apparitions dans les médias, ce qui expliquait pourquoi il ne l'avait pas
reconnu immédiatement. Mais au vu de la ressemblance frappante avec son fils, il n'y avait aucun
doute possible.
Qu'est-ce qu'il fait là ? … se demanda Gaële en le voyant s'arrêter devant les ascenseurs.
Quand Atân s'engouffra dans l'un d'eux, Brenn se pencha pour tenter de voir où il comptait
aller.
Les patients-testeurs ici le savaient bien : l'aile Ouest du bâtiment était la seule partie non
exploitée du centre de soins, hormis en cas d'urgence. Il n'y avait donc rien à y voir. Mais Brenn,
Rix et Gaële, eux, savaient qu'Eyrin avait été enfermé dans une chambre de ce secteur, ce qui ne
En arrivant dans l'aile Ouest, Atân se retourna vers le groupe de curateurs qui le suivait
Les curateurs se jetèrent alors un coup d’œil commun, ne sachant pas vraiment s'ils étaient
L'une des curatrices indiqua alors du bout du doigt le long couloir d'accès à la chambre
d'Eyrin avant de faire demi-tour, suivie par l'intégralité des curateurs manifestement effrayés. Atân
s'engouffra alors seul dans le couloir jusqu'à badger nerveusement devant la seule porte au bout de
ce dernier. Il découvrit ainsi la chambre que son habitant avait transformée en débarras.
Atân attendit à peine quelques secondes avant de clamer une seconde fois son prénom :
EY…
arriver de l'espace salle de bain, marchant d'un pas lent jusqu'à s'immobiliser au centre de la pièce.
Ne prends pas ce petit ton méprisant avec moi, le recadra instantanément Atân.
Eyrin esquissa un sourire quasi invisible qui n'échappa pas à son père pour autant. Poings
serrés, ce dernier semblait chercher la meilleure façon, ou plutôt la plus efficace, d'entamer la
haine même.
C'est toi qui parle de « trahison » ? tiqua Eyrin à qui un rire nerveux échappa. J'espère que tu
plaisantes…
Si tu es venu là pour me faire tes petites leçons de morale à la con, tu peux repartir, répondit-
Atân inspira et expira une longue bouffée d'air conditionné avant de joindre ses mains l'une
contre l'autre.
que tu t’entends ?
Tu as ruiné des millions de vies !! répondit-il sur le même ton. Tu l'as oublié ça ?!
La tension entre les deux hommes étaient extrêmes, il n'aurait pas fallu grand-chose pour
Tu ne pouvais pas recevoir aussi facilement la gloire d'un miracle qui n'en était pas vraiment
un ! s'indigna Eyrin. Tu as exploité la vie d'une personne, d'une jeune femme, jusqu'à
Tu te doutes bien que les choses étaient bien plus complexes que ça ?! se défendit Atân. Tu
ne connaissais rien du sujet expérimental UJI, rien qui puisse te permettre de comprendre la
J'en connaissais suffisamment pour savoir qu'on ne pouvait pas donner la mort à quelqu'un
Tu te trouves à des kilomètres de la vérité ! le coupa Atân agacé au plus haut point. Ta petite
manifestation d'empathie nous a en tout cas tous mis dans une merde noire ! Toi tu ignores
tout depuis ta cellule, mais les conséquences de tes actes sont pourtant bien visibles à
l'extérieur…
Eyrin marqua alors une courte pause réflexive. En sentant l'espoir naître dans le regard avide
Je ne sais pas.
Atân shoota alors brusquement dans une table, la faisant tomber au sol dans un bruit de
plastique craqué.
Bon pour le reste OK, je ne dirais pas le contraire, mais il faudra leur préciser que la table en
En voyant son fils se moquer ouvertement de la situation, Atân se jeta sur lui, l'empoignant
Tu as beau être mon fils, je ne reculerai devant rien pour inscrire notre nom dans l'histoire…
Eyrin resta immobile, un sourire provocateur sur le visage. Atân choisit alors de le relâcher
Je te jure que je vais trouver le moyen de te faire parler, dit-il alors en repartant vers la porte.
Si tu veux que je te dise ce que je sais, il faudra d'abord que tu acceptes mes conditions, dit
Eyrin.
Fais tomber les murs des dômes, laisse les patients-testeurs retrouver leurs familles, lui dit
son fils soudainement très sérieux. Poursuis les recherches pour sauver les porteurs
Atân marqua à son tour une courte pause réflexive avant que son visage ne se fende d'un
large sourire.
Je te savais assez sensible pour partager les idées des humanistes… dit-il enfin. Mais je ne te
reprenant son chemin dans le couloir, il entendit un bruit sourd, comme le fracas d'un objet
Agir ou Subir
Depuis l'annonce choc de la vidéo pirate, Jodd Altwood était sollicité de tous les côtés. Les
Orateurs des sept autres NUPE n'avaient de cesse de réclamer des explications, voulant à tout prix
savoir s'il s'agissait d'une info ou d'une intox. Mais Altwood n'était pas en mesure de fournir une
réponse seul.
Messieurs, Dames, lança le présentateur télé qui meublait son émission avec difficulté
depuis presque deux heures. Suite à la vidéo cryptée diffusée précédemment dans la section
publicitaire, Monsieur l'Orateur de la NUPE 1, Jodd Altwood, a tenu à vous prévenir que des
informations complètes vous seront fournies en conférence spéciale dès ce soir, à dix-huit
heures précises.
Il n'y eut aucune réaction, aucun cri de mécontentement sur le plateau, ce qui donna
l'illusion que la nouvelle avait été plutôt bien accueillie par le public. Mais en regardant à l'arrière
spectateurs avaient été évacués une demi-heure plus tôt par la sécurité pour assurer la bonne
continuité de l'émission.
Silhaée attendait patiemment avec Alice dans la chambre de la petite quand Colin réapparut
enfin. Il venait d'avoir un appel de son beau-frère, pour faire l'état des lieux des conséquences de la
Les enquêteurs ont pris le contrôle de la chaîne publicitaire pour réaliser des fouilles, dit-il
avec évidence. Ils ont vu que la vidéo avait été ajoutée hier soir tard, mais Dio nie en bloc
toute implication de ses équipes. Il dit avoir subi un piratage depuis l'extérieur, ce qu'ils sont
en train de vérifier. Ils vont certainement vite se rendre compte que ce n'est pas le cas mais
ça nous laisse un peu de temps pour appréhender la réaction de la population face à ton
annonce.
Pour l'instant il n'en dise pas grand-chose… fit remarquer Silhaée en pointant du doigt le
Silhaée continua quant à elle de jeter un œil sur la chaîne d'informations tout en occupant la
petite qui n'avait de cesse d'innover en matière de jeux. Après à peine quelques minutes d'appel, elle
Qu'est-ce qui se passe ? dit immédiatement Silhaée en se levant d'un bon du sol.
qu'en ville c'est la cohue, les gens ne parlent plus que de ça, tout le monde s'indigne…
Mais c'est bien ça… fit remarquer Silhaée qui ne comprenait pas vraiment pourquoi elle
Oui bien sûr mais ce n'est pas tout. Ma belle-mère vient de me dire que de grandes battues
d'investigation sont en cours dans toutes les villes encerclant l'Expéria. Ils sont en train de
Pas sûr, rétorqua Colin. La moitié des villes environnantes est déjà noire de flics. Ils entrent
Il faut qu'on fasse quelque chose, se reprit Colin en saisissant sa fille au sol. Tu ne seras pas
Silhaée se mordillait les ongles, elle ne savait plus quoi penser, plus quoi faire. « Pourquoi
voulait-il la retrouver avant le grand communiqué de dix-huit heures ?», « Qu’est-ce que cela
Il faut qu'on en parle avec Meydân, dit-elle soudainement. Elle, elle risque de savoir ce que
remarquer Colin.
Non… Mais de toute façon, si les choses n'ont pas changé, elle se l'était fait retirer pour les
Alors il n'y a pas trente-six solutions, il faut que je la trouve, conclut Colin.
Il confia ensuite sa fille aux bras de la jeune femme et s'en alla dans l'entrée de la maison.
Attends, tu ne sais même pas où elle habite, fit remarquer Silhaée avec évidence.
J'irai la trouver directement sur son lieu de travail, dit-il motivé comme jamais.
Non attends ! Il ne faut pas que tu te rendes là-bas comme ça… Le site est hautement
sécurisé, surtout depuis les derniers événements... Tu risquerais de te faire remarquer et nous
Écoute, dit-il. Comme je te l'ai déjà dit, je pensais que ma femme ne pourrait plus jamais
remettre un pied dans cette maison et tu es arrivée… Tu m'as redonné l'espoir, l'envie de
croire que ce rêve n'en était pas un finalement. Alors maintenant que nous tenons enfin les
rênes, maintenant qu'il est possible de faire bouger les choses, je ne peux pas, je ne peux
plus renoncer. Je veux que Gaële revienne dans cette maison, je veux que ma fille grandisse
à ses côtés pendant le temps qu'il lui reste à vivre. Mais si jamais LEXO arrivait à te mettre
la main dessus, nos espoirs seraient réduits à néant. Parce qu'ils n'avoueront publiquement
leurs tords et par conséquent n'ouvriront les dômes que s'ils se sentent menacés par ce que tu
Touchée par la ferveur et la sincérité de ses propos, Silhaée acquiesça de multiples signes de
tête. Colin avait raison, il fallait trouver une solution. Il fallait se persuader qu'ils n'avaient pas fait
Chez Jayden, dit-elle alors. C'est chez Jayden qu'il faut que tu te rendes. Lui pourra te dire
où et comment trouver Meydân et il pourra te conseiller. Après tout, il fait partie de ceux qui
ont su me sortir de l'Expéria, il aura peut-être les idées que nous n'avons pas…
Colin se réjouit de la piste proposée et prit quelques minutes pour rechercher sur son
Papa revient, annonça-t-il enfin à Alice qui semblait s'inquiéter de toute cette agitation. Tu
Je vous appelle quand j'arrive chez Jayden, prévint Colin en ouvrant la porte.
Pas de problème, répondit Silhaée (restée en retrait pour ne pas être vue). Sois prudent.
Debout dans la salle de réunion de LEXO, Erdowel, Lilia et Paolo échangeaient sur la suite
des événements. Depuis la diffusion inopinée de cette vidéo pirate, ils étaient morts d'inquiétude,
c'était indéniable. Quand ils se demandèrent s'ils devaient s'inquiéter de la longueur de l'absence
Sans fournir aucune réponse, le directeur contourna son médecin et ses deux chefs de projets
enfin Atân. Car ici tu es bien le seul qui n'a pas eu le plaisir de rencontrer mon borné de fils.
Et donc non, je n'ai pas obtenu les informations que je cherchais, reprit-il. Je sais
simplement maintenant avec certitude que mon fils est celui que nous cherchions depuis le
départ ; l'employé qui a trahi le groupe pour défendre des convictions aussi infondées
qu'immatures.
Eyrin est intelligent, ajouta Erdowel. On peut peut-être simplement lui expliquer ce qu'il
ignore…
Personne n'osa plus rien dire. Leur directeur était dans un état de nerfs qu'il n'avait constaté
qu'une seule et unique fois en plusieurs dizaines d'années de collaboration : lors de l'enlèvement de
Silhaée.
Non, répéta-t-il une fois encore en feintant grossièrement le calme. Il y a certains éléments
qui doivent rester secrets et qui le resteront coûte que coûte. C'est une donnée non
négociable. Nous ne sommes que quatre dans ce monde à en connaître le contenu, ce n'est
Peut-être as-tu songé à une alternative pour faire dire à Eyrin ce qu'il sait ? imagina Paolo.
même…
Après avoir avalé des dizaines de kilomètres à pleine vitesse, Colin arriva enfin devant la
demeure des Siller. Fébrile, il frappa à la porte en priant pour que le fameux « Jayden » y soit
présent. Il n'eut à attendre que quelques secondes avant de voir la porte d'entrée s'ouvrir. En
découvrant son hôte et les multiples hématomes imprégnant son visage, Colin en eut presque peur.
… Est-ce que je peux entrer ? … lui demanda Colin à deux doigts de regretter une pareille
demande.
Bien embêté par la méfiance du jeune homme, Colin eut envie de rebrousser chemin. Mais il
se trouva bientôt épaulé dans sa demande par une charmante jeune femme, arrivée à l'instant dans le
dos de Jayden.
Je pense qu'on devrait le laisser entrer… trancha Meydân bien décidée à connaître le motif
de sa visite.
Je m'appelle Colin Torelli, je suis le mari de Gaële Torelli, une patiente-testeuse de l'Expéria.
Jayden et Meydân le regardèrent d'abord avec insistance, sans comprendre en quoi cette
J'ai vu arriver chez moi il y a quelques jours une amie de ma femme, dit-il enfin. Une amie
Bien, dit-il. Pour l'instant elle va bien… Mais malheureusement j'ai peur que cela ne dure
pas.
Colin prit ensuite quelques minutes pour raconter leur rencontre. Puis il parla du projet qu'ils
avaient monté ensemble, à savoir la vidéo de propagande. Il détailla chaque fragment de leur plan,
ainsi que les conséquences qu'ils avaient visées et celles qu'ils n'avaient pas su anticiper.
Si j'en crois ce que tu nous dis, reprit Jayden, ta maison se trouve près de l'usine Carly
Sugar, donc relativement loin de LEXO. Autrement dit, elle n'est pas dans le périmètre de
recherche principal : ils n'y arriveront jamais avant la conférence de ce soir. Ils seront donc
obligés de se justifier sur les accusations qui leur ont été faites s'ils ne veulent pas craindre
Bien sûr, on est d'accord, acquiesça Colin. Mais pour la suite ? Devons-nous attendre de voir
ce qu'ils vont annoncer lors du communiqué de ce soir ou faut-il agir dès maintenant ? …
Devons-nous préparer une vidéo de riposte si toutefois nos dirigeants décidaient malgré tout
de nier les faits ? Tout en sachant que nous ne serions pas sûrs cette fois de pouvoir la
Toutes ses questions étaient pertinentes. Aussi, Jayden et Meydân décidèrent de prendre le
temps de regrouper toutes les informations dont ils disposaient pour pourvoir aider efficacement
celui qui était devenu dès à présent leur nouvel allié et soutien direct de Silhaée.
À l'extérieur, plusieurs agents avaient été postés au plus près de la maison des Siller. Ils
avaient pour consignes de surveiller avec la plus grande discrétion tous les faits et gestes du
complices : Jayden et Meydân. L'arrivée du véhicule de Colin dans la cour les avait donc
instantanément mis en alerte. Après avoir effectué un rapide relevé d'immatriculation de sa voiture,
ils avaient lancé une recherche de l'identité du propriétaire via leur base de données. En quelques
minutes à peine, ils obtinrent un nom, « Colin Torelli », et une adresse qu'ils communiquèrent
Dans la demi-heure qui suivit, les agents dépêchés arrivèrent devant la maison des Torelli.
Après avoir levé le verrouillage du portail d'un simple coup de badge multipass, ils entrèrent dans le
jardin et annotèrent absolument tout. La consigne était simple ; il ne fallait négliger aucun détail,
transmettre un compte-rendu des plus détaillés à leur hiérarchie. Alors que l'un des enquêteurs
continuait ses annotations, un autre se dirigea vers la porte d'entrée. Il regarda de nouveau la
Torelli était un homme âgé de trente-deux ans, marié mais isolé de sa femme dont l'ERR-6 avait
défailli, la contraignant à rejoindre l'Expéria. Ils avaient eu ensemble une petite fille, âgée
s'attendait pas à ce qu'on lui ouvre, puisque Colin Torelli avait été repéré à plusieurs kilomètres
- Diiiiing -
chaises.
Silhaée lui emboîta brusquement le pas, courant jusqu'à la fenêtre la plus proche avant de
Oh non ! bondit-elle en reconnaissant les tenues des enquêteurs, les mêmes que celles
Ni une ni deux, Silhaée revint en courant dans l'entrée, saisissant à la volée la petite qui
PAPAAAA ! cria-t-elle alors de toutes ses forces, paniquée par l'attitude de la jeune femme.
C'est pas Papa, chuuut, c'est pas Papa, répéta Silhaée en tentant d'étouffer ses appels tandis
« Papaaa !»
immédiatement. L'agent resté en retrait dans le jardin rejoint d'un saut le pas de porte, saisissant son
L'agent acquiesça d'un signe de tête avant d'entendre les deux tintements du badge puis le «
Échecs
Jodd Altwood venait de raccrocher d'une énième communication avec Paolo Amorio au sujet
du communiqué du soir. Ils étaient en train de tenter d'écrire un discours mêlant à la fois
justifications, sans trop en dévoiler, et excuses, sans trop admettre qu'ils avaient de quoi se faire
pardonner. Cette tâche n'était pas une mince affaire et pour ainsi dire personne n'était réellement
Non ça ne va pas… grommela une fois de plus Altwood en relisant la dernière version de
son discours.
Il ne faut pas perdre de vue l'objectif, rappela l'un de ses plus proches conseillers. Il faut
tenir jusqu'à la fin de la campagne vaccinale. Deux jours seulement pour être sereins. Vous
pourrez bien dire ce que vous voulez une fois tout ce travail terminé. La population pourra
vous reprocher de leur avoir caché certaines choses, mais pas de leur avoir sauvé la vie.
En constatant que le verre de l'Orateur était vide, le conseiller saisit une carafe de vin et le
Tu as raison Cétra… dit alors Altwood. J'espère seulement maintenant que le monde sera
aussi compréhensif que toi… Qu'ils auront tendance à voir le verre à moitié plein…
Tout en redéposant la carafe sur la table, le conseiller laissa courir quelques secondes de
Si toute fois la population ne parvenait pas à comprendre vos décisions, il faudrait peut-être
Après tout, c'est bel et bien LEXO qui s'est lancé dans un pareil projet… On peut imaginer
que s'ils n'ont pas été honnêtes avec le monde entier, ils ont très bien pu ne pas l'être avec
Mais oui… C'est ça qu'il faudra dire conclut-il en supprimant le discours de Paolo envoyé
précédemment par T-mess. Je ne vois pas pourquoi ce serait à moi d'assumer leurs erreurs !
Il est plus facile d'enfiler le costume de victime que de coupable, confirma le conseiller.
… Merci Cétra, dit-il alors en apposant une main ferme sur son épaule. C'était l'idée qu'il me
manquait.
Eyrin était affalé dans le fond de son canapé quand il entendit la porte de sa chambre
s'ouvrir.
Le Docteur Erdowel vous invite à quitter votre chambre, répéta-t-elle en entrant un grand
Elle traversa ensuite la pièce et alla ouvrir les volets, chose qui n'avait pas eu lui depuis des
Je n'en sais pas plus, répondit-elle en commençant à entasser les nombreux déchets dans son
sac poubelle. Des indications supplémentaires vous attendent dans le hall du centre de soins.
Abasourdi, Eyrin finit alors par franchir maladroitement la porte avant de se mettre à
présence de curateurs avant de constater que deux d'entre eux étaient toujours installés derrière un
Excusez-moi, dit-il en s'approchant d'eux. Il semblerait que l'on ait laissé des indications
Surpris par la démarche, Eyrin saisit maladroitement cette dernière et l'ouvrit en tentant de
percevoir dans le regard des curateurs une quelconque émotion indiquant l'orientation du
message… Mais l'un comme l'autre avaient repris leurs occupations précédentes sans rien laisser
paraître.
B28-06
Merci je le sais ça, la coupa Eyrin. Ce que je veux dire c’est : qu'est-ce que ça signifie ?
Mon père ou Erdowel ont-ils donné des explications qui justifieraient d'un tel revirement de
situation ?
Non, répondit la curatrice en sollicitant son collègue d'un léger coup de coude.
Eyrin regarda alors une nouvelle fois le message puis jeta un œil sur l'extérieur du centre.
Si vous voulez bien circuler, lui demanda-t-on en lui signifiant par le geste qu'ils avaient
Le jeune homme prit donc le chemin de la sortie, mettant enfin officiellement un pied dans
le dôme. Partagé entre deux sentiments, à savoir le contentement et le scepticisme, il traversa les
« C’est un scandale !» entendit-il avant de voir deux patients-testeurs entrer dans l'une des
résidences.
« Je peux te jurer que mon mari le saura au prochain envoi de courriers !» répondit l'autre.
Complètement dépassé par tout ce qui l'entourait, Eyrin poursuivit son chemin, croisant au
fur et à mesure plusieurs attroupements de patients-testeurs qui semblaient tous aussi remontés les
contentement. Puis il réalisa que l'arrivée décontractée d'Eyrin n'avait rien de normale et perdit
Qu'est-ce que tu fais là ? demanda-t-il alors en s'écartant du reste du groupe. Ils t'ont laissé
sortir ?
J'ai joué ma dernière carte, répondit-il en observant avec interrogation la foule face à eux.
Oui, avoua-t-il sans regret. Mais j'ai posé mes conditions. S'ils veulent savoir où elle se
trouve, il faut qu'ils fassent tomber les murs des dômes et qu'ils persévèrent dans les essais
Sur ces mots, Brenn le regarda avec bien plus d'inquiétude encore avant d'être interpellé par
de nouveaux cris de colère. Quelques curateurs venaient de sortir du plus grand poste de soins du
dôme, demandant aux patients-testeurs de s'écarter pour les laisser s'installer au-devant de
l'attroupement.
Une rumeur est en train de se propager dans le dôme… expliqua Brenn en l'invitant à
s'approcher du groupe.
Quelle rumeur ?
Nous autres, les patients-testeurs en charge de la réception des caisses, nous n'avons pas reçu
les livraisons de traitements habituels. On a donc alerté les postes de soins qui n'ont pas
vraiment réagi… Et maintenant, certains d'entre nous disent avoir entendu des curateurs
Votre attention s'il-vous-plaît, dit enfin un curateur logé dorénavant aux devant d'eux, son
Les cris de désapprobations des patients-testeurs suivirent cette terrible annonce. Tous
Vous êtes donc invités dorénavant à vous rendre directement au réfectoire, sans passer
À peine eut-il fini sa phrase que les patients-testeurs se firent plus virulents encore, imposant
aux curateurs de s'engouffrer dans leur poste de soins pour échapper aux cris de colère. Indigné
comme tous les autres, Brenn finit par se tourner vers Eyrin :
Une multitude d'informations venait de lui envahir l'esprit jusqu'à tisser des liens entre elles et
Qui ? demanda-t-il en l'écartant encore une fois du groupe en furie. Qui a gagné ?
Mon père… dit-il fébrile. Il ne distribuera plus de traitements-test tant que je ne lui aurais
Silhaée et Alice venaient de se tapir dans le fond d'un gigantesque dressing quand elles
Cette dernière hocha ensuite négativement la tête à plusieurs reprises avant de se replier sur
Sur ces mots, Alice plaqua ses mains sur sa bouche et susurra un petit "chuuut" avant de se
tapir plus encore contre elle. Dans d'autres circonstances, l'attitude de la petite aurait pu l'amuser.
Mais cette fois, Silhaée resta de marbre. Elle sentait bien que la situation tournait malheureusement
en sa défaveur...
Maintenant qu'Alice était distraite, la jeune femme put se concentrer plus facilement sur le
reste des événements. Elle tendit alors l'oreille avec une extrême attention, essayant de percevoir les
moindres paroles, les moindres mouvements pouvant l'alerter sur la présence des agents dans la
maison. Après quelques minutes (qui lui parurent des heures), elle finit par entendre un
malencontreux bruit de pas, une sorte de grincement boisé que seul un habitué aurait su éviter en
Papa… tenta de chuchoter Alice, amusée par l'idée de jouer avec son père.
Ni une ni deux, Silhaée plaqua sa main sur la bouche de la petite, ne cherchant plus à feindre
l'amusement.
La voix roque de ce dernier fit monter une angoisse immédiate chez la petite, angoisse que
Silhaée tenta de maîtriser tant bien que mal en la cajolant plus encore.
Silhaée plaça alors le visage d'Alice contre sa poitrine en la berçant plus encore. Puis elle
regarda l'ouverture lointaine du placard et enfonça davantage son dos dans l'amas de vêtements
cintrés du couple. Il fallait espérer qu'elles échapperaient ainsi par miracle à la vigilance des
UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 248
agents... Mais en entendant le glissement de l'ouverture de porte du dressing, ses espoirs furent
réduits à néant.
Mamaaan… clama finalement Alice en se dégageant du torse de sa nounou d'un jour pour
Les yeux écarquillés, la bouche bée, Silhaée vit les jambes de l'enquêteur arriver lentement
jusqu'à elles. Une main gantée glissa ensuite entre les vêtements avant d'écarter le tout, dévoilant
enfin le visage dur d'un homme… Un visage qui se fendit instantanément d'un large sourire
galvanisé par la satisfaction. Silhaée le vit ensuite sortir de sa poche un compagnon de fonction qu'il
Jodd Altwood venait d'être installé dans sa loge quand il vit le présentateur du journal du
soir entrer.
Malgré les conseils que Cétra lui avait prodigués, la confiance et la sérénité développées
précédemment n'étaient plus aussi marquées à présent. À quelques minutes de son entrée sur le
plateau, de son devoir de justifications devant la planète entière, Altwood ne s'était jamais senti
Je voulais m'assurer que tout était prêt de votre côté ? lui précisa le présentateur.
Alwood demanda ensuite à ses conseillers d'en faire de même ; il avait besoin de se
fauteuil et commença à faire les cent pas. Tout en traversant la loge d'un bout à l'autre, il se remit en
tête son prochain discours. Bien sûr, il se devait de mettre en lumière tout le travail réalisé par
LEXO pour en être arrivé au succès du jour : le vaccin anti ERR-6. Mais il projetait également de
les incriminer en partie pour leurs éventuels « secrets trop bien gardés » dont il n'avait
officiellement « jamais entendu parler ». Une fois son discours figé dans son esprit, Altwood s'arrêta
de marcher. Il replaça sa cravate au centre de son col, bomba légèrement le torse et s'éclaircit la
Puis il hocha la tête d'un air satisfait et quitta enfin sa loge, prenant la direction des postes de
Jayden.
Alors à ce compte-là autant que je prenne directement Alice avec moi, fit remarquer Colin.
Accompagnés de Meydân toujours, ils tentaient depuis plus d'une heure d'imaginer le
meilleur plan possible pour donner une chance à Silhaée de mener à bien sa tentative de délation. Ils
commençaient à entrevoir des semblants de pistes quand ils furent interrompus par la sonnerie du
compagnon de Colin.
répondre.
Oui allô ?
C'est moi-même.
Quoi ?! bondit Colin en se sentant pâlir de secondes en secondes. Qu'est-ce que c'est que
cette histoire ?
Meydân et Jayden s'échangèrent alors simultanément un regard avant de se lever à leur tour
du canapé.
« Nous venons d'établir une perquisition exceptionnelle à votre domicile », compléta le chef
de brigade. « Cette procédure entre dans le cadre d'une enquête ouverte ce jour pour
privé''. ».
Colin jeta immédiatement un regard criblé d'inquiétude à Jayden et Meydân qui comprirent
« Pour être tout à fait honnête, nous allons vous demander de déléguer cette tâche à un
Pourquoi ?!
« Nous avons besoin de vous auditionner. Nous vous laissons donc un quart d'heure pour
vous rendre au poste de police le plus proche de votre domicile. Dans le cas contraire, nous
nous verrons dans l'obligation d'envoyer une équipe vous chercher et de confier votre fille
à.… »
d'inconnus.
Puis il raccrocha et fournit avec désolation l'information principale qu'il venait d'obtenir de
cet appel :
Angles d'attaque
L'Orateur s'apprêtait à entrer sur le plateau de télévision quand il vit son plus proche
Pas le temps, répondit-il en se laissant tamponner le visage une énième fois par la
maquilleuse.
Sur ces mots, Altwood saisit le petit droïde et le plaqua nerveusement contre son oreille :
Dis-moi vite Atân, répondit-il du tac au tac. J'entre en plateau dans cinq minutes.
grimace de stress sur ses lèvres se transforma en un immense sourire de soulagement. L'annonce
n'avaient plus le choix : il fallait renoncer et se rendre. Colin prit donc le chemin de la maison de sa
belle-mère pour lui permettre de récupérer sa fille au poste et prévint dans la foulée son beau-frère
du revirement de situation. Meydân et Jayden, quant à eux, partirent en trombe vers le seul endroit
Oh putain ! s'exclama Jayden alors qu'ils arrivaient à proximité des locaux du groupe.
Les mains crispées sur le volant, il venait de constater la présence d'une foule
Au premier point de contrôle, elle présenta son badge et se vit ouvrir la route sans aucun
problème.
Attends, ce n'est pas fait encore… tempéra Meydân en pointant du doigt les amas de
Monsieur… dit Maddy en raccrochant d'un précédent appel. Ils ne devraient plus tarder…
Le quatrième étage où il s'était installé par défaut débordait de policiers. Cela avait eu pour
effet de clairsemer la présence des quelques employés LEXO, privilégiés dans leur savoir.
Il vit alors le médecin se dégager d'un groupe de policiers, arrivant jusqu'à lui en hâte.
C'est bien.
Erdowel suivit alors le directeur, quittant l'espace surpeuplé au profit d'un couloir plus
tranquille.
Oui, acquiesça-t-il en s'arrêtant devant une porte blanche gardée par deux policiers
lourdement armés.
Après une simple vérification de l'identité du dirigeant, puis du médecin, les gardes
s'écartèrent.
Non, répondit Atân sans la moindre hésitation. Je pense d'abord qu'une petite mise au point
s'impose.
Sur ces mots, il badgea devant la porte et dévoila les raisons de ses intentions : la voix
cassée, les yeux rougis par la colère, Silhaée se débattait comme une tigresse. Harnachée à sa chaise
depuis son arrivée, elle n'avait de cesse de réclamer sa liberté, criant à qui voulait l'entendre qu'elle
Mesdames et Monsieur, accueillons tout de suite celui que vous attendiez tous… Monsieur
Ce dernier entra avec assurance sur le plateau désert, s'installant aux côtés du présentateur en
le saluant de nouveau.
Au vu du dernier appel qu'il avait reçu, quelques réajustements avaient été jugés plus que
Monsieur Altwood, dit alors le présentateur. Vous n'êtes pas sans savoir que le monde entier
Je le sais, dit-il avec un infini sérieux. Et je compte bien les fournir maintenant que nous
Suite à la diffusion d'une vidéo pirate, à caractère inculpatoire concernant le groupe LEXO,
nous avons lancé une procédure d'urgence pour en trouver les auteurs. Il nous aura fallu à
Sur ces mots, Altwood glissa son doigt sur la tablette de commande incrustée dans la table
face à lui. Il diffusa ainsi sur les écrans géants derrière eux le portrait d'une femme dont la silhouette
pouvait correspondre traits pour traits à celle entraperçue dans la vidéo. Malgré le peu de temps
Emma Vanaven, annonça enfin Altwood. Il s'agit d'une déséquilibrée mentale, logée en
centre de réhabilitation.
à ses derniers traitements, resitua l'Orateur. Elle devait revenir sur son centre hier soir…
Oui comme toujours, avoua Altwood. Mais je vais être honnête avec vous et avec toutes
celles et ceux qui attendent fermement des explications : cette histoire a vite été classée dans
les problèmes secondaires du jour. Une décompensation de trouble psychiatrique chez une
patiente en permission n'était qu'un détail à régler face au surinvestissement que nous
Donc vous reconnaissez avoir été informé de la fuite de cette femme sans avoir agi pour
Non, ce n'est pas ce que j'ai dit, rétorqua l'Orateur. Bien sûr qu'il y avait du monde sur
l'affaire. Seulement, pour ne pas appauvrir nos équipes gardées en renfort dans le cadre du
lancement de la campagne, nous avions confié le dossier à des enquêteurs de seconde zone
dont les moyens étaient limités. Alors forcément, des failles se sont créées…
Cette femme, Emma Vanaven, voulait se faire remarquer, dit-il. Elle était connue pour ça
dans son centre référent ; c'était une exhibitionniste, toujours en quête d'attention. Et ce que
nous n'avons pas su percevoir lors de l'annonce de sa fuite, c'est ce à quel point la campagne
vaccinale était un moment rêvé pour elle, pour tenter d'exister, de s'exhiber plus encore aux
yeux du monde…
travaillé pour une compagnie de diffusion publicitaire. C'est cet élément qui nous a permis
de remonter jusqu'à elle, de faire les liens avec l'enquête et enfin de déployer les équipes
Nous l'avons renvoyé dans son centre référent, en surveillance rapprochée. Elle a été placée
en isolement en attendant une expertise psychiatrique plus poussée. Cette dernière nous
permettra d'analyser la notion de volontariat de ses actes et nous amènera à engager des
Et bien… s'exclama alors le présentateur. En tout cas, ce qu'on peut vous concéder sans mal,
Surtout pour le groupe LEXO et ses dirigeants, précisa-t-il. Ils n'ont jamais été plus peinés
que lorsqu'on les a accusé du pire en sachant qu'ils étaient en train d'offrir le meilleur…
Je pense en effet que nous leur devons nos plus plates excuses, répondit alors le présentateur
La vidéo de cette femme était très convaincante, il était facile de se méprendre, rétorqua
Puis, pour le plus grand soulagement d'Altwood, ils bouclèrent ce « douloureux » sujet sur
quelques politesses avant de bifurquer sur l'excellence des derniers rapports du premier jour de cette
En vue du nombre de contrôles réalisés sur les portes principales de LEXO, ils décidèrent de
se rabattre sur une entrée moins fréquentée à l'arrière du bâtiment. L'accès était tout aussi bien gardé
mais ils purent se présenter d'emblée aux agents de sécurité sans avoir à attendre.
Nous travaillons ici tous les deux, s'exclama Meydân en leur tendant précipitamment son
En arrivant enfin dans le bâtiment, tous deux constatèrent immédiatement que le hall était
complètement désert. Mais en levant la tête pour regarder spontanément les mezzanines en verre de
chaque étage, ils comprirent finalement que l'agitation n'était centrée qu'au quatrième étage.
En arrivant dans les locaux de la direction, ils se confrontèrent à la foule regroupée dans le
petit espace central. Ils se faufilèrent donc entre chaque personne présente jusqu'à arriver devant un
Ce dernier regarda alors son bracelet de service, vérifiant le listing de personnes autorisées à
entrer dans cette partie gardée du bâtiment, avant de hocher négativement de la tête.
En sentant le jeune homme l'embarquer avec lui sans ménagement jusqu'à l'ascenseur,
Si ton père nous a refusé l'accès à cet endroit, il refusera également de nous entendre.
Mais Silhaée…
Personne ne nous laissera plus l'approcher, la coupa Jayden réaliste. Il faut qu'on trouve un
Sur ces mots, les portes de l'ascenseur se rouvrirent, leur offrant ainsi le loisir de traverser le
hall principal toujours aussi désert. Et alors qu'ils trottinaient en direction de la cafétéria pour s'y
Meydân le regarda alors courir vers les vestiaires, lui emboîtant le pas avec perplexité.
Quand elle passa la porte à son tour, elle reçut des mains de Jayden une tenue de passeuse
encore emballée.
J'ai trouvé, s'exclama-t-il en enlevant son t-shirt pour le substituer à sa propre tenue de
passeur.
Un autre angle d'attaque, répondit-il avec évidence. Silhaée est et restera au centre de
l'attention jusqu'à ce qu'on fixe son destin pour elle. Nous ne pourrons donc rien faire si
Tout en écoutant l'idée développée par Jayden, Meydân commença elle-aussi à substituer ses
l'Orateur écouté précédemment dans la voiture. Ils ont réussi à camoufler les propos de
Silhaée derrière une fausse identité, accompagnée d'une fausse histoire. Personne ne mettra
donc en doute ce que le grand Jodd Altwood a annoncé dans un communiqué officiel…
On est d'accord. Mais qui douterait en revanche des propos d'un employé de LEXO ? …
Surtout s'il s'agit à la fois d'un employé, d'un patient-testeur et du fils du grand dirigeant du
J'avais d'abord pensé à toi mais tu me sembles bien trop associée au succès du vaccin anti
ERR-6…
Oui ce serait une erreur, confirma-t-elle. Je ne peux pas dénoncer les agissements de LEXO
tout en valorisant un vaccin qui a été créé en mon nom. Les gens risqueraient de faire
autre…
Donc on est d'accord, conclut Jayden. S'il y en a bien un qui peut faire pencher la balance en
notre faveur sans risquer de mettre en péril la campagne vaccinale, c'est Eyrin.
Galvanisée par l'envie et le courage, Meydân noua avec fermeté un bandana de protection
autour de son crâne puis tendit une main ferme à Jayden qu'il clappa avec hargne avant de sortir du
vestiaire.
Live
Quand Silhaée vit Erdowel entrer dans sa cellule de captivité, sa réaction fut instantanée :
Mais il fut aussitôt interrompu d'un geste de la main par Atân. Ces derniers attendirent alors
en silence pendant quelques minutes, le temps pour la jeune femme de déverser toute sa colère sur
Erdowel. Puis, quand elle sembla aussi essoufflée qu'épuisée, Atân reprit la parole comme s'il ne
Malgré un cortège de dix agents de sécurité autour d'elle, Silhaée ne se laissa pas intimidée
D'accord, en revanche tu n'auras pas d'autres choix que de m'écouter, répondit-il triomphant.
Vos paroles ne sont que du venin dans mes oreilles, répondit-elle en crachant chacun de ses
mots avec dégoût. Je me fous de vos excuses ou de vos justifications sur le sort qui m'est
Vous faites passer ça pour une démonstration de fraternité mais il n'en est rien, rétorqua-t-
elle. Toutes ces recherches n'étaient destinées qu'à inscrire votre nom dans la légende et
redorer la réputation de votre défunt père, considéré depuis toujours comme l'auteur du plus
Sur ces mots, Atân sembla nettement moins patient. Il recula d'un pas en direction du
Vous devriez avoir honte… l'interrompit-elle dans sa réflexion. Peut-être allez-vous sauver
des milliards de gens sur cette planète et ce malgré des motivations plus que douteuses…
Mais vous vous apprêtez à en abandonner des millions d'autres sans aucune autre
considération que celles que vous avez développées pour votre tranquillité et votre argent…
La jeune femme fit alors le choix de ne pas répondre à cette question (qui n'en était pas
Il n'y a que lui pour émettre de vives conclusions sans prendre le temps de se renseigner sur
Je ne l'insulte pas, je constate c'est tout, argumenta-t-il. Eyrin est peut-être mon fils mais il
est un banal être humain avant tout. Il a aussi le droit de faire des erreurs…
Satisfait par la réaction de la jeune femme, le directeur se pencha plus encore vers elle,
prenant un air grave, celui que l'on adopte en souhaitant révéler de trop lourds secrets. Mais au
moment où il allait se lancer, la porte de la cellule de captivité s'ouvrit, laissant ainsi apparaître le
tant avoir des réponses : sois tranquille, elles seront bientôt là.
Meydân et Jayden purent s'engouffrer dans le Transiteur sans aucun problème. Les policiers
en surveillance n'étaient concentrés que sur les entrées du bâtiment et les lieux dits « sensibles » ;
autrement dit le laboratoire et le quatrième étage. De plus, LEXO avait offert des congés
exceptionnels à ses employés durant les trois jours de campagne vaccinale, une façon pour eux de
Monte ! s'exclama Jayden à l'attention de Meydân en pointant l'un des deux fourgons du
hangar.
La jeune femme ne se fit pas prier et grimpa à bord du véhicule cloisonné, celui destiné aux
transports de caisses. Puis elle regarda Jayden se charger de verrouiller les portes d'entrée du
transparence des parois pour regarder au loin les nombreux véhicules à l'arrêt. Voitures de police et
de journalistes se faisaient face devant la grande entrée principale du parking du groupe. Depuis la
fin du discours de l'Orateur, les médias faisaient le pied de grue, attendant la plus petite interview, le
plus petit mot du directeur de LEXO après ce premier jour de campagne vaccinale.
Ce qu'ils peuvent être ridicules à attendre comme ça après les deux pauvres phrases que mon
Peut-être… Mais en attendant ils détournent l'attention des policiers, fit remarquer Jayden.
Sur ces mots, ils sentirent le fourgon de transport ralentir progressivement. Ce dernier allait
Bon alors, se reconcentra Jayden avant de récapituler. On entre, on rejoint le centre de soins
continus. Tu y vas la première, tu checkes, tu me fais le signal, j'entre et je fonce dans l'aile
Ouest.
Moins d'une minute, précisa Meydân. Il n'en faudra pas plus aux curateurs pour se précipiter
Entendu, répondit-il.
Si vous êtes assez rapides pour sortir du centre de soins continus, vous pourrez rejoindre le
fourgon sans encombre, précisa Meydân. Et si de mon côté j'ai été assez discrète pour semer
Jayden acquiesça d'un signe de tête motivé avant de voir la grande porte de l'Expéria s'ouvrir
de bas en haut. Le fourgon s'introduit ensuite dans le dôme et s'arrêta comme à chaque fois dans la
zone zébrée qui lui était réservée. Sous le regard de quelques patients-testeurs curieux en partance
pour le réfectoire, ils sortirent du véhicule et commencèrent à traverser les allées formées par les
Alarme de secours présente dans chaque aile de surveillance, permettant aux curateurs des ailes adjacentes d'être
9
Loin de cette réalité, Meydân et Jayden s'échangèrent un regard avant de répondre par la
négation et de poursuivre leur chemin. Sur toute la distance les séparant du centre de soins continus,
ils sentirent sur eux des regards mitigés. Parfois ils entendirent des cris de colère, d'autres fois ils
En arrivant à l'orée des dernières allées de résidences, ils s’arrêtèrent un instant et jetèrent un
Tout va bien se passer, la rassura Jayden derechef. Si on a pu sortir Silha d'ici, je ne vois pas
Meydân s'emplit alors de ses encouragements et l'enlaça une dernière fois avant de s'élancer
En passant les portes du hall d'entrée, elle fut surprise de constater qu'un étrange bureau
Je… venais voir une patiente-testeuse… Une patiente incluse dans un protocole particulier
qu'il fallait que j'évalue une dernière fois pour boucler un projet d'études, se justifia-t-elle en
N'ayant pas pu anticiper ce moment, Meydân se trouva une nouvelle fois prise au dépourvu
Parfait, dit alors la curatrice. En revanche je vais devoir vous demander de patienter un peu.
permettait pas d'apercevoir le bureau depuis l'endroit où il se trouvait, ce qui faussait complètement
ses interprétations.
Ce sont nos nouvelles directives Mademoiselle Hederling, tenta de lui rappeler la soignante.
Aucun visiteur ne doit entrer dans le centre sans accompagnant. Ma collègue est partie en
pause, je dois donc attendre son retour avant de vous accompagner. Il faut toujours qu'il y ait
En entendant ces explications, Meydân sentit la panique l'envahir peu à peu. Comment
Jayden allait-il faire pour rejoindre l'aile d'hébergement d'Eyrin dans de telles circonstances.
Ah oui c'est vrai… dit-elle en faisant semblant de se souvenir de ce détail. Cela dit c'est très
embêtant…
en prenant un air désolé. Les journalistes m'attendent pour une interview sur le vaccin anti
ERR-6 et je n'aurais pas l'occasion de repasser voir cette patiente avant plusieurs jours… Ce
qui n'exclue pas la possibilité qu'elle soit décédée d'ici là… Et pour être honnête avec toi, ce
… Bon… Après tout, vous n'êtes pas une visiteuse comme les autres, abdiqua-t-elle
finalement.
Meydân lui adressa un sourire plein de reconnaissance, s'attendant à ce qu'elle cède enfin et
l'accompagne dans les étages sans attendre le retour de sa collègue. Mais en lieu et place de cela elle
Non ! dit brusquement Meydân. Euh… Je veux dire non, je ne voudrais pas qu'il t'arrive des
Il pourrait m'en arriver tout autant si on apprenait que j'ai quitté ce bureau sans attendre le
retour de ma collègue, fit-elle remarquer. Non vraiment allez-y, il n'y aura pas de problème.
J'ai une idée : je n'ai qu'à prendre l'escalier, dit alors Meydân en pointant du doigt l'accès de
sécurité donnant sur le hall. Tu n'aurais qu'à me regarder monter jusqu'au premier tout en
restant au rez-de-chaussée. Ainsi tu ne dérogerais pas à tes consignes et moi je n'aurais pas à
Après une brève réflexion, un petit rire échappa à la curatrice qui semblait s'amuser de la «
Si ça peut vous faire plaisir, dit-elle alors en se levant de son fauteuil pour se diriger vers les
portes de l'escalier.
Meydân profita des quelques secondes durant lesquelles la curatrice lui passa devant pour
Ta mission dans l'Expéria prend fin bientôt ? habilla-t-elle en entrant dans la cage d'escalier.
Non, je commence à peine, répondit la curatrice manifestement touchée par l'intérêt portée
par sa supérieure.
Jayden venait d'entrer dans le hall, s'immobilisant un instant, le temps de comprendre les
Il s'engouffra alors sans plus tarder dans un ascenseur en tâchant néanmoins de conserver
toute sa discrétion.
Merci à toi, répondit Meydân en la relâchant pour poursuivre sa montée dans l'escalier.
En voyant la curatrice refermer de nouveau la porte battante sur un sourire compatissant, elle
réalisa avec difficulté à quel point ils avaient failli perdre, tout perdre.
Quand Jayden arriva dans l'aile l'Ouest, il se mit à longer les murs par sécurité. L'endroit
était bien plus que désert, il le savait. Mais au vu du contexte, il préférait jouer la carte de la
prudence. Ses multiples errances sur l'application de vidéosurveillance de l'Expéria lui avaient
permis d'avoir une quasi totale maîtrise des lieux. Il n'eut donc aucune difficulté à trouver la
chambre dans laquelle Eyrin avait été installé. En arrivant devant la porte concernée, Jayden sortit
le tout.
L'endroit était complètement aseptisé, le lit découvert, la chaise retournée sur la petite table
à manger. Refusant d'admettre l'évidence, Jayden poursuivit ses recherches, entrant hâtivement dans
en saisissant son crâne de part et d'autre tant la crainte lui envahissait l’esprit :
Oh non pas déjà ?! s'exclama Jayden pas surpris pour autant par ce tintement fracassant.
Il trépigna alors quelques secondes sur place avant de sortir de la pièce et de se mettre à
courir vers l'escalier de secours. Le moral défait, des interrogations plein la tête, il réalisa un peu
tard qu'il n'avait pas attendu la précieuse minute de battement prévue dans le plan initial... Il croisa
en conséquence de nombreux curateurs qu'il n'aurait pas dû voir. Fort heureusement, sa tenue
d'employé LEXO le fondit à merveilles dans la foule, une foule bien trop préoccupée par l'agitation
générale pour prêter une attention toute particulière à cet intrus. Jayden put donc quitter le centre de
frapper dans un mur. Il n'arrivait pas à comprendre à quel moment ils s'étaient fourvoyés. Pourquoi
Eyrin n'était-il plus dans cette chambre ? Qu'en avaient-ils fait ? Était-il seulement… encore en
vie ? …
« Jayden ?!» entendit-il brusquement dans une allée perpendiculaire à celle qu'il traversait
en courant.
était grande.
Entouré par ses compagnons d'infortune, le principal intéressé se tenait à quelques mètres de
lui.
fourgon.
Qu'est-ce qui se passe et qu'est-ce que tu fais là ? demanda Eyrin sans daigner avancer. Et
Dans l'ignorance la plus totale des événements extérieurs, il ne semblait pas prendre la
mesure de l'instant.
Brenn, Rix et Gaële attendaient auprès de lui, oreilles tendues, bouches bées.
Je ne sais pas, c'est compliqué pour l'instant, s'excusa Jayden toujours aussi speed. Mais si
nous ne sortons pas Eyrin d'ici pour dénoncer les agissements de LEXO, nous sommes
Figé par la surprise, alourdi par la stupeur, Eyrin sembla un instant comme prisonnier de son
corps. Lui qui s'était battu depuis le départ pour ne pas être sorti du dôme sans que l'on accepte ses
conditions, se faisait tout à coup imposer son extraction sans explication, en partant seulement du
L'impulsion de ce dernier interrompit la profonde réflexion d'Eyrin qui s'élança enfin aux
côtés de Jayden, courant dans ses pas en clamant une dernière phrase à l'intention de Brenn, Rix et
Gaële :
heure. La décontraction avait remplacé la nervosité ambiante, à tel point que l'Orateur ne semblait
(…) et c'est ce qui a engendré une économie monstre, termina-t-il en ventant une fois de
plus les dernières décisions qu'il avait su prendre pour soutenir LEXO.
Tout ça est incroyable… répondit le présentateur qui lui passait une fois de plus de la
pommade dans le dos. Ah ! Excusez-moi Monsieur Altwood mais on m'annonce une priorité
au direct.
Les écrans géants en arrière-plan diffusèrent alors le visage d'un journaliste, posant
Ça ne saurait tarder, répondit ce dernier en affichant son plus beau sourire. Comme vous le
savez, Atân Hederling, le dirigeant de LEXO, a promis une interview bouclant le premier
jour de cette incroyable campagne vaccinale. Il a prévenu qu'elle aurait lieu sur le site de son
groupe, dès la fermeture des postes de vaccination. Et nous apprenons à l'instant que le
Si Mr Hederling tient ses engagements, ça ne devrait être l'affaire que de quelques minutes.
En arrivant au fourgon, Jayden fit monter prestement Eyrin dans la partie réservée aux
l'avait imaginé.
Durant les quelques minutes qui les séparèrent de l'arrivée dans le Transiteur, Meydân et
Jayden se racontèrent mutuellement leurs passages dans le centre de soins continus, se surprenant
l'un l'autre par les multiples complications auxquelles ils avaient été confrontés.
Mais qu'est-ce qu'Eyrin faisait dans le dôme avec les autres ? s'exclama Meydân.
Je n'en sais strictement rien, avoua Jayden. Et nous n'avons pas eu le temps d'en parler
davantage.
venaient de revenir. Quand ils furent complètement stationnés dans l'une des places du hangar, ils en
Rini ! s'exclama enfin Meydân en découvrant le visage souriant mais quelque peu creusé de
son frère.
Ils s'étreignirent pendant une bonne minute avant d'être conduits par Jayden dans une zone
Allez-vous enfin m'expliquer ce qu'il se passe ? s'exclama Eyrin sitôt qu'ils furent
retranchés.
Meydân et Jayden se lancèrent derechef dans un résumé efficace des nombreux événements
et rebondissements qui avaient eu lieu depuis son affectation, lui permettant ainsi de comprendre
C'est pour ça qu'il faut qu'on te fasse sortir d'ici, termina Meydân. J'organiserai ensuite une
présenter la maquette du projet anti ERR-6. Mais à la place, je diffuserai ta future vidéo de
aucun problème avec l'idée de dénoncer les mauvais choix de notre père en direct…
Non, trop risqué, dit-elle. Ils ne vont pas tarder dans le dôme à savoir qu'on t'a fait sortir, tu
risques donc d'être vite la cible des agents de Papa. Et même si je connais tes préférences
pour les luttes « frontales », il faut qu'on te garde hors d'atteinte. C'est plus sûr.
On a pensé à de nouveaux endroits plus stratégiques, précisa Jayden. Il faudra que tu restes
caché jusqu'à ce qu'on soit sûrs que la roue ait bien tourné pour nous.
Sentant qu'il n'aurait pas vraiment le choix sur ce coup-là, Eyrin finit par accepter la
proposition. Ils viseraient la prudence plus que l'impulsion, même s'il avait des doutes sur
Tu es sûr ? insista-t-il.
Nous parlerons de ça plus tard, esquiva Meydân elle-aussi. Pour l'instant, il faut
impérativement que l'on soit efficaces si nous voulons nous assurer qu'aucun mal ne sera fait
à Silha.
Sur ces mots, ils quittèrent enfin le Transiteur, empruntant un couloir dont l'ouverture
donnait sur quelques marches précédant le hall principal. En arrivant au bout de celui-ci, ils
point d'arrivée, traversant le hall de part en part. Meydân attendit qu'il passe la porte du vestiaire,
jeta un nouveau coup d’œil circulaire puis s'élança à son tour, rejoignant Jayden en quelques
Eyrin fit alors les mêmes surveillances que sa sœur, jetant un coup d'œil derrière lui puis de
chaque côté du grand hall avant de sortir de sa cachette pour rejoindre la suivante. Seulement, alors
qu'il venait à peine de faire quelques pas, les portes d'entrée principales du grand bâtiment
Oh non ! dit Meydân alors que Jayden refermer sur eux la porte des vestiaires pour ne pas
être vus.
Ni une ni deux, ils empruntèrent le long couloir interne des vestiaires pour arriver devant
Qu'est-ce que c'est que ça encore ? s'exclama Jayden en tentant d'observer le plus
entourant un binôme, un couple plus précisément, qui se dirigeait avec une certaine connaissance
En les voyant appeler les ascenseurs, elle tenta un ultime effort de mémoire.
présentations. Mais je pense qu'il s'agissait encore d'actionnaires majoritaires avec lesquels
Jayden acquiesça d'un signe de tête puis regarda le couple s'engouffrer dans l'ascenseur
Quoi ?! s'exclama-t-elle.
Ce dernier venait de sortir de sa cachette et se dirigeait d'un pas assuré, non pas vers les
Attends, dit-il en pointant du doigt la vitre par laquelle ils observaient depuis tout à l'heure.
Au moment où Eyrin franchissait les portes de sortie du groupe, les policiers escorteurs
Quoi ?! s'exclama Meydân en voyant son frère sortir de LEXO sans filet.
Il est trop tard pour rattraper Eyrin mais pas pour les arrêter eux ! signala-t-il à juste titre en
À défaut de savoir ce qu'Eyrin avait en tête, Meydân et Jayden prirent l'option de distraire
les agents qui s'apprêtaient à sortir. Sans leur intervention, Eyrin allait être pris en étau entre ce
groupe et les autres policiers postés à l'extérieur dont il n'avait à priori pas imaginé la présence.
Ce dernier venait de sortir des vestiaires en titubant, positionnant ses mains sur son visage
Les policiers eurent alors la réaction attendue. Ils se regroupèrent en un bloc avant de courir
vers les vestiaires, armes de service en mains, attention détournée vers une cible imaginaire.
Silhaée n'avait de cesse de remuer sur sa chaise, regardant fixement Erdowel, lui-même assis
dans le fond de la cellule de captivité. Atân, quant à lui, s'était absenté un instant. En apprenant
l'arrivée des principaux intéressés sur le site du groupe, il s'était décidé à aller au-devant d'eux pour
les accueillir.
Il semblait ne plus supporter le regard dégoûté de sa captive qui pesait depuis de longues
Fuyez, c'est tout ce que vous savez faire, lui dit Silhaée les poings serrés.
Je sais que tu nous en veux, que tu m'en veux personnellement, dit-il en se ravisant
finalement. Mais ne sois pas trop médisante, trop injuste… Parce qu'il y a des propos que tu
Erdowel lui adressa alors un sourire… Un sourire en demi-teinte, mêlant à la fois le ridicule
qu'il ressentait face à sa réponse et la peine, l'amertume que lui infligeait la situation.
- Tiip ! -
Le bip du déverrouillage de porte mis enfin un terme à cet échange un peu particulier. Puis
UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 277
les contours de l'ouverture de la cellule s'illuminèrent de bleu avant de laisser apparaître une troupe
Derrière lui, un amas de gardes du corps entourait un couple, un homme et une femme qui
Maintenant je veux que tout le monde sorte, dit enfin Atân en désignant les agents de
sécurité.
Il garda seulement auprès de lui Erdowel et ses deux nouveaux arrivants que Silhaée
décortiqua du regard avec curiosité le temps que l'on procède à l'évacuation des dizaines de
personnes présentes. L'homme avait beaucoup de prestance, un peu à l'image d'Atân, mais il
semblait nettement plus modeste. Il portait une barbe fine gris métallisée grimpant sur ses joues
jusqu'à rejoindre la découpe naturelle de son cheveu court. Il y avait quelque chose de magnétique
chez lui, comme une aura naturelle que Silhaée associa au bleu violine de ses yeux. Elle qui avait de
magnifiques iris parme en savait quelque chose sur le pouvoir attractif qu'un tel regard pouvait
accorder. Elle centra ensuite son attention sur l'autre personne du couple, la femme. Sa magnifique
peau chocolat et ses grands yeux noirs aux longs cils de biche ne pouvaient laisser personne
indifférent, c'était un fait. Silhaée pensa qu'elle avait dû être mannequin par le passé… Mais son
petit air autoritaire et sa démarche de femme d'affaires troublaient en partie ses hypothèses.
Bien, dit Atân quand la porte de la cellule fut enfin refermée. Nous y voilà : Lenny, Asara…
« Votre » tiqua cette dernière. Elle, qui jusqu'alors ne s'était concentrée que sur ce qu'elle
voyait, se fit soudainement la remarque suivante : ce couple n'avait pas eu l'air surpris de la
découvrir…
Atân sembla un peu pris de court par cette demande qui ne répondait pas tellement à ce qu'il
attendait de leur venue… Mais devant le regard appuyé de la femme de ce dernier, il fit signe à
déboucla en un clic les anneaux qui lui maintenaient le buste, les bras et les jambes. Silhaée frotta
ensuite pendant quelques secondes les marques laissées par les points d'attache avant d'observer de
Erdowel regarda alors Atân qui à son tour regarda le couple face à lui dans un silence
révélant toute l'intensité du moment. L'homme, répondant au nom de Lenny, prit la main de sa
Du nouveau Earl ? dit le présentateur à son journaliste, toujours présent devant LEXO.
Ça ne devrait plus tarder, meubla ce dernier. Il semblerait, selon nos sources, qu'Atân
Et alors qu'il s'élançait dans un blabla destiné à faire patienter les téléspectateurs, une
Ni une ni deux, il effectua un rapide zoom avec son DVE10, filmant la scène pour ne rien
Le droïde venait d'effectuer un zoom sur la silhouette en approche, révélant certains détails
Il ne s'agit pas d'Atân Hederling, rectifia-t-il. Pourtant c'est incroyable ce qu'il lui
10
Droïde Volant d'Enregistrements.
Les autres médias sur place commencèrent à leur tour à discuter entre eux de l'identité de cet
En voyant l'homme se faire arrêter à quelques mètres d'eux par les policiers, les journalistes
donnèrent de la voix.
Nous allons tenter d'en savoir plus, dit Earl qui ne pouvait malheureusement pas approcher
Les puissants brouilleurs des véhicules de police noyaient volontairement les récepteurs de
Êtes-vous bien sûr qu'il s'agit d'un patient-testeur ? dit alors le présentateur.
C'est forcément une erreur, rétorqua Jodd Altwood en y joignant un rire jaune.
Attendez ! s'exclama soudainement Earl. Les policiers ne veulent pas le laisser sortir du
groupe mais ils ne sont pas en mesure de lui interdire une interview depuis le portail. Nous
Sitôt dit, il élança son droïde au plus près de la zone décrite et envoya l'image en gros plan
sur les écrans, filmant alors l'inconnu en train de prendre place pour s'exprimer. Les questions
fusaient de partout, l'énergie déployée par chacun des médias pour capter son regard était
Qui suis-je ? … répéta ce dernier avec lenteur. Je vais vous dire « qui je suis », mais
permettez-moi d'abord de vous faire remarquer que la question « Que voulez-vous ? » aurait
D'accord… hésita Earl en sentant que cette interview allait définitivement transformer sa
Eyrin leva alors brusquement les yeux en direction du droïde d’enregistrement volant à
hauteur de son visage et s'adressa ainsi directement aux milliards de téléspectateurs dans le monde :
Je m'apprête à vous révéler toutes les horreurs que LEXO vous cache et vous a caché durant
toutes ces années. Alors soyez bien attentifs, car je n'aurais certainement pas d'autre
occasion de le faire.
1. Rêve éveillé 2
2. Sous conditions 6
3. L'ascenseur 16
4. Mot Code 25
5. Mise au point 32
6. Nouveaux alliés 39
8. Box huit 58
9. Les Outsiders 69
11. Femmes 83
12. Identité(s) 94