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- UJI -

2. L'ANTI ERR-6

Mélissa TERRIER

melissa.ponsart@hotmail.fr – 06 50 19 32 46

1Bis route du Buquet 14310 VILLY BOCAGE

Méli
1

Rêve éveillé

Les yeux de Silhaée s'ouvrirent brusquement. Son souffle haletait, son cœur palpitait, des

gouttes de sueurs perlaient sur son front. On aurait dit qu'elle venait de se réveiller d'un mauvais

rêve. Pendant une bonne minute, elle regarda fixement le plafond au-dessus d'elle qui n'avait pas la

même allure que d'habitude. Le blanc rutilant de sa résidence avait laissé place à un plafond gris

pâle, rainuré, aux multiples spots incrustés. Immobile dans un premier temps, Silhaée finit par se

passer les mains sur le visage avant d'inspirer et expirer lentement. Puis elle prit appui et passa de la

position allongée à assise. En un coup d’œil, elle découvrit un tout nouvel environnement autour

d'elle. On l'avait installé dans le lit d'une chambre qu'elle ne connaissait pas. Les volets étaient clos

mais l'ouverture d'une porte au loin offrait la possibilité d'entrevoir un parquet en bois clair et des

murs aux teintes chaudes. Cet endroit n'avait rien à voir avec l'Expéria. Tout n'était pas aussi neutre

et bien rangé que dans sa résidence. La température de la pièce était différente de ce qu'elle avait

connu jusqu'alors… Il faisait presque chaud mais un vent frais s'engouffrait par la fameuse porte

ouverte. Cette sensation, Silhaée ne l'avait jamais côtoyé en vingt-et-un ans d'existence dans le

dôme aseptisé.

En voulant poser ses mains sur ses jambes, la pulpe de ses doigts entra en contact avec la

douceur des draps qui la recouvraient partiellement. Presque intimidée, elle saisit le tout et

l'approcha de son visage jusqu'à en humer l'agréable odeur qui venait lui chatouiller les narines

depuis son réveil. « De la lessive », pensa-t-elle en se souvenant de ce qu'on lui avait raconté sur la

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vie à l'extérieur. Dans le centre, les draps, les tenues et encore bien d'autres éléments à usage unique

étaient confectionnés en une matière recyclable (proche du tissu) qui n'avait aucune autre odeur que

le plastique de leurs emballages. Silhaée relâcha ensuite les draps et regarda le reste de l'espace. Un

placard incrusté dans un mur, une table de chevet cubique, des bottines pour homme rangées dans

un coin de la pièce et une sorte de bomber bicolore déposé sur un bureau. Rien de tout cela n'avait

de sens. Tout était comme sorti d'un rêve…

Vaseuse mais néanmoins curieuse, la jeune femme finit par descendre prudemment du lit et

s'approcha dans un premier temps de la porte de placard recouverte en partie d'un fin miroir ovale.

En observant son reflet, elle eut l'impression d'y voir une autre personne : on avait recouvert sa

casaque jetable d'un long pull pour homme lui descendant jusqu'aux cuisses et ses pieds d'une paire

de chaussettes épaisse qu'elle défit pour sentir la texture boisée du sol sous ses pas. Elle coiffa

ensuite sa longue chevelure noire sur l'arrière de son crâne, de sorte à en dégager les mèches

trempées de sueur collées sur son front et se frotta une nouvelle fois le visage.

 « Ça ne devrait plus tarder », entendit-elle soudainement.

Une voix masculine et grave venait de raisonner dans le salon, couvrant la voix d'une autre

personne, plus douce mais tout aussi masculine. D'abord surprise, Silhaée se plaqua contre un mur

puis s'approcha pas-à-pas des voix jusqu'à s'arrêter au plus près de la porte de la chambre. De là, il

lui fallut quelques secondes pour s’accommoder à la lumière naturelle dans laquelle baignait le reste

de la demeure.

Elle aperçut ensuite deux hommes dans une grande pièce de vie, tous deux dos à elle. L'un

était assis dans un fauteuil face à un écran, les coudes en appuis sur les genoux, le regard rivé sur

une chaîne d'informations en direct. L'autre manipulait nerveusement son compagnon, debout

derrière ce même fauteuil, concentré de la même façon sur les images défilantes. Silhaée ne prit

qu'une seconde pour contempler les deux hommes, puis son regard se détourna en un instant jusqu'à

se figer sur ce qui s’apparentait pour elle à un rêve éveillé.

Soudain, sans ne plus prêter aucune attention aux individus présents dans la pièce, la jeune

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femme sortit de la chambre et marcha d'un pas léger sur le plancher de la salle. Elle semblait voler,

glisser sur le sol, guidée par une voix intérieure prônant l'envie, le désir, la curiosité plus que jamais.

Trop absorbés par le défilé d'informations, Jayden et Dean ne virent pas la jeune femme

passer derrière eux. Ils ne se rendirent compte de sa présence que lorsqu'un vent frais accompagna

l'ouverture de la porte d'entrée.

 Qu'est-ce que c’est ?! bondit Dean en repliant brusquement son compagnon.

Jayden se leva lui-aussi d'un bon du fauteuil. Ils virent alors que la porte d'entrée était

désormais grande ouverte mais que personne n'attendait devant. Ni une ni deux, les deux hommes

se jetèrent sur cette dernière en craignant une visite importune. Mais ils s'arrêtèrent tout aussi

soudainement sur le pas de porte en réalisant leur méprise.

 Non, il ne faut pas… réagit Dean en voyant la fine silhouette de Silhaée marcha d'un pas

lent droit devant elle.

Mais il fut brusquement interrompu par Jayden qui lui fit signe de rester silencieux un

instant et regarda avec bienveillance et empathie la jeune femme face à lui.

Silhaée progressa lentement vers l'extérieur avant de s'immobiliser. Ses yeux étaient pour

l'instant rivés sur ses pieds nus dans l'herbe. Elle remua ses doigts de pieds, tenta d'enfoncer ses

talons dans la matière avant de poser lourdement ses genoux au sol. La chute lui fit d'abord un peu

mal mais la découverte de cette texture, si différente de la gomme de l'Expéria, était tellement

incroyable qu'elle n'en eut que faire de la douleur ressentie. Ses mains se plongèrent ensuite dans

l'herbe fraîche et la caressèrent lentement. Puis elle en arracha quelques poignées qu'elle huma

généreusement avant de tout relâcher pour creuser du bout des doigts un peu de terre qu'elle

frictionna entre ses paumes jusqu'à en libérer la poudre formée. Ses yeux parme lorgnèrent les

différents éléments au sol avant de grimper progressivement, centimètres par centimètres, jusqu'à

atteindre ce qu'elle n'avait osé imaginer jusqu'alors...

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Un magnifique lever de soleil orange feu, incendié, éclatait au milieu d'un ciel bleu aux

teintes roses-violines. De somptueuses collines soulignaient l'horizon d'une verdure toujours plus

revitalisante. La bouche de Silhaée, déjà entrouverte, s'agrandit encore un peu plus, comme ses

yeux qui s'arrondirent au point d'en faire disparaître presque complètement ses paupières

supérieures. L'aube se refléta ainsi dans ses iris cristallins qui se tapissèrent de larmes, des larmes

qui s'écoulèrent finalement sur ses joues dès lors qu'elle fronça les sourcils. Il était difficile de

savoir si le soulagement ou l'angoisse était en train de la submerger.

 Bienvenue parmi nous… murmura-t-on derrière elle.

Jayden venait de la rejoindre. Il lui tendit une main qu'elle saisit avec douceur avant de se

redresser lentement. Dean s'approcha d'elle à son tour et lui adressa un franc sourire qu'elle lui

rendit en se remémorant leur rencontre dans le véhicule, quelques minutes avant qu'elle ne perde

connaissance. Puis elle se tourna de nouveau vers Jayden et reconnut également son visage. Il

ressemblait tellement à Wayen qu'il était difficile d'ignorer leurs liens de sang.

 Où suis-je ? … dit-elle enfin.

 En sécurité, répondit Jayden le regard rivé vers l'horizon.

Silhaée le regarda encore un instant silencieusement puis se tourna elle-aussi vers les lueurs

de l'aube qu'elle contempla encore de longues minutes en priant pour que tout ceci ne soit pas qu'un

rêve.

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2

Sous conditions

 Nous y sommes, dit un passeur assis à l'arrière du véhicule de transport de personnes.

Le fourgon venait de franchir la grande porte de l'Expéria et s'était arrêté comme toujours

sur le zébra à quelques mètres de celle-ci. Eyrin gonfla alors ses poumons lentement puis expira de

la même façon avant de jeter un œil en direction de ses deux homologues dont la tristesse était sans

égal. Ils étaient trois à entrer ce jour dans le centre ; trois malheureux dont la vie était désormais

condamnée, à quelques jours à peine de l'instauration du vaccin qui aurait pu les épargner. Cette

situation était difficile à admettre, difficile à vivre. Pourtant Eyrin n'avait disposé que de quelques

minutes pour réaliser ce qu'il lui arrivait. Comme le stipulait le règlement, chaque intégration d'un

porteur défaillant dans l'Expéria devait être faite sur le convoi d'intégration le plus proche de

l'annonce. Et dans son cas, l'annonce lui avait été faite une heure avant le départ du dernier convoi,

soit le temps qu'il avait fallu pour passer en sas de décontamination, réaliser une batterie d'examens

et enfiler sa tenue de patient-testeur. Dans tout ce fatras, il n'avait même pas eu le temps de dire au

revoir à ses proches… D'embrasser sa sœur… Et encore moins le temps de prévenir Jayden et tous

les autres de ce revirement de situation…

 Suivez-moi, leur indiqua le passeur en ouvrant les portes du véhicule.

Eyrin laissa descendre les deux autres personnes avant de les suivre et de redécouvrir

l'intérieur du centre. Quelques patients-testeurs les regardèrent au loin mais firent demi-tour dès

qu'ils constatèrent qu'ils ne connaissaient personne parmi les nouveaux arrivants.

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 Bienvenue dans l'Expéria, leur dit leur passeur en souriant chaleureusement. Vous trouverez

ici tout ce dont vous avez besoin. Toute demande spécifique sera à faire auprès des équipes

médicales présentes pour vous vingt-quatre heures sur vingt-quatre…

S'en suivit ensuite la longue présentation des conditions de vie dans le dôme qui désintéressa

totalement Eyrin au point de tâter ses poches à la recherche de Teep.

 Ah c'est vrai… dit-il en hochant la tête de gauche à droite.

En réflexe bête, il cherchait son compagnon qui lui avait été retiré à l'annonce de son

affectation dans le centre. C'était étrange pour lui… Il le possédait depuis son plus jeune âge et ne

s'en était jamais vraiment séparé. Mais désormais il n'avait plus le choix, il allait falloir apprendre à

vivre sans…

 Aller suivez-moi. Je vais vous affecter dans vos résidences respectives.

Le passeur parcourut plusieurs allées parmi les blocs d'habitations et s'arrêta devant deux

résidences où il affecta respectivement les deux premiers patients-testeurs arrivants. Puis il reprit

son chemin, suivi par Eyrin, avant de ralentir soudainement pour marcher à sa hauteur.

 Excuse-moi mais tu étais du groupe ?... lui demanda-t-il un peu gêné.

 Oui… répondit Eyrin tout aussi mal à l'aise.

 Il me semblait bien t'avoir déjà croisé dans le Transiteur…

Eyrin ne répondit rien, se contentant de le suivre dans les différentes allées du dôme.

 Je suis désolé pour toi, lui dit sincèrement le passeur. C'est vraiment terrible ce qui t'arrive et

crois-moi je compatis complètement… Alors si je pouvais faire quelque chose pour toi,

enfin des choses dans le règlement bien sûr, n’hésite pas.

 Tu pourrais prévenir quelqu'un pour moi ? rebondit Eyrin.

 Euh oui si tu veux, répondit-il un peu surpris.

 Il faut que tu contactes Jayden le plus vite possible et que tu lui dises que je viens d'être

envoyé dans le centre. C'est important, insista-t-il.

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 Oui, OK, je le ferai.

 Rapidement ?

 Dès que possible.

 Merci, répondit-il comme soulagé de cette nouvelle.

Soudain le passeur s'arrêta et se tourna vers un gigantesque bâtiment qu'Eyrin connaissait

bien pour l'avoir observé de nombreuses fois sur la vidéosurveillance : le centre de soins continus.

 Bon… C'est ici que je te laisse, annonça le passeur presque désolé.

 Mais… Je suis pour l'instant porteur inactif, fit remarquer Eyrin. Je ne comprends pas…

 Je n'en sais pas plus, c'est en tout cas ce qui est indiqué sur mon listing...

Sur ces mots, ils virent une curatrice sortir du centre de soins et s'approcher d'eux, un sourire

bienveillant sur les lèvres.

 Eyrin Hederling ? dit-elle de sa petite voix fine.

 Oui, répondit-il désarçonné.

 Suivez-moi je vous prie.

Puis elle fit demi-tour et se dirigea tranquillement vers l'intérieur du centre de soins. Eyrin

jeta alors un coup d’œil au passeur qui le salua de la main avant de reculer progressivement.

 N'oublie pas pour Jayden, lui rappela-t-il.

Le passeur lui tendit un pouce, accompagné d'un hochement de tête positif puis disparut

entre deux allées.

Eyrin suivit ensuite la curatrice dans un ascenseur puis dans de longs couloirs qu'ils

traversèrent silencieusement. En franchissant une porte sassée, il lut au-dessus « Aile Ouest –

U.R.M. ».

 U.R.M. ? dit-il enfin à la soignante. Qu'est-ce que ça signifie ?

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 « Unité de Renfort Médicalisée », traduit-elle. Mais ne vous en faites pas, ça n'a rien à voir

avec votre état.

Cette réponse énigmatique ne l'aiguilla pas davantage. En arrivant enfin dans un plus petit

couloir, la curatrice scanna son badge de service devant une porte contrôlée et entra à l'intérieur en

invitant Eyrin à en faire de même.

L'espace découvert était une grande pièce lumineuse pourvue d'un lit, d'un canapé installé

face à un écran emmuré, d'une salle d'eau séparée et d'une petite table ronde accompagnée de deux

chaises. On aurait dit un petit studio d'étudiant à la sauce LEXO qui n'avait rien de désagréable en

apparence.

 Bienvenue chez vous, dit enfin la curatrice.

Eyrin exécuta un tour sur lui-même avant de revenir face à elle.

 C'est ici que… balbutia-t-il peu convaincu.

 C'est ici que vous allez résider, lui annonça-t-elle presque contente pour lui.

 Mais… Je ne comprends pas…

 Le Docteur Erdowel viendra vous voir en fin d'après-midi. Vous verrez avec lui à ce

moment-là pour les détails.

 D'accord… répondit Eyrin en traversant la pièce timidement.

 Je reviendrai vous voir dans la soirée, annonça-t-elle. À plus tard.

Puis elle disparut derrière la porte sans lui laisser le temps de répondre quoi que ce soit.

Pendant le quart d'heure qui suivit, Eyrin fit le tour de l'espace en s'appropriant

progressivement chaque élément. Il passa sa main sur les draps du lit (dont la matière était loin

d'être aussi douce que la literie de ses parents), visita la salle d'eau où l'attendait du petit matériel

d'hygiène emballé sous-vide et alluma l'écran de télévision. En faisant défiler les chaînes, il réalisa

qu'il y en avait à peu près six-mille de moins que ce qu'il avait connu jusqu'alors... Vidé de toute

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émotion, il se dirigea ensuite vers la seule fenêtre de cet espace et posa ses coudes sur le rebord

intérieur.

 Chambre première classe avec vue sur le centre… dit-il ironique avant d'observer le triste

décor face à lui.

Logé au deuxième étage du centre, Eyrin avait une vue panoramique sur la quasi-totalité de

l'Expéria, porte d'entrée comprise. Il regarda ainsi quelques patients-testeurs passer à proximité du

centre de soins continus avant de voir plusieurs enfants courir en direction de la garderie. Puis il

leva les yeux et observa avec un maigre sourire les peintures sur le dôme qu'il avait jusqu'alors

associé à un sentiment obscur de fascination... Ou plutôt, était-ce l'une des peintres en herbe qui

l'avait fascinée plus que le reste ? … Durant un court instant, Eyrin tenta de se remémorer les

différents échanges qu'il avait eu avec Silhaée. Il essaya de se souvenir du son de sa voix, ferma les

yeux et redessina les contours de son visage, la douceur de son sourire perceptible jusque dans son

regard translucide. Il toucha même sa joue et simula par le souvenir le contact de sa peau sur la

sienne.

- Shhhh… -

Le glissement soudain de l'ouverture de porte le fit sortir de ses pensées.

 Rini ! s'exclama Meydân en entrant en furie dans la chambre.

À peine retourné, Eyrin vit sa sœur se jeter sur lui et l'enfermer dans ses bras avec force.

 Mey ?! s'exclama-t-il avant d'en faire de même. Mais qu'est-ce que… qu'est-ce que tu fais

là ?!

 Il fallait que je te voie, dit-elle le visage ruisselant de larmes.

 Silhaée ? C'est ça ? Il lui est arrivé quelque chose ?!

 Non tout s'est bien passé pour elle ! clama-t-elle comme pour souligner l'injustice de la

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situation. C’est pour toi que je m’inquiète ! …

 Calme-toi, tenta-t-il de l’apaiser en la saisissant par les épaules.

 J’ai cru à une mauvaise blague Eyrin… Je ne voulais pas le croire tant que je n’avais pas lu

ces putains de résultats par moi-même… Et pourtant si, c’est la vérité ; l’ERR-6 vient de se

retourner contre toi !...

Puis elle craqua de nouveau et se laissa emporter par un énième sanglot qu’elle tenta tant bien

que mal de contenir.

 Ça va aller… tenta-t-il de nouveau.

 Non ça ne va pas aller ! explosa-t-elle. Crois-moi ; je vais tout faire pour te sortir de là ! Ils

n'ont pas le droit de te faire ça, pas à toi !

 Il n'y a pas de raison que les choses soient différentes pour moi Meydân, dit-il la gorge

serrée. Mon gène est défaillant. Le règlement c'est le règlement.

La jeune femme le relâcha avec difficulté avant de faire les cent pas dans l'espace.

 Comment as-tu fait pour venir jusqu’ici ? dit-il perplexe. Tu n'as pas le droit de…

 Je les emmerde, je les emmerde tous ! lâcha-t-elle furibonde. Qu'ils essaient de me dire

quelque chose et je…

 OK OK… l'interrompit Eyrin en la serrant de nouveau tout contre lui.

Sa sœur se blottit alors dans ses bras, les larmes coulant toujours abondamment sur son

visage pâlot.

 Je vais tout faire pour te sortir de là, réitéra-t-elle les poings serrés.

 C'est impossible… répondit Eyrin une fois de plus.

 Non, j'y ai réfléchi, c'est faisable. Il faudra que tu signes une charte de silence, un peu

comme celle qu'on t'a présentée à ton embauche. Mais celle-là concernera ce que tu sais à

propos des décisions prises par LEXO pour le sujet expérimental UJI. Ça réglera le

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problème de divulgation de données évoqué lors du conseil éthique.

 Mais…

 Et tu n'auras ensuite plus qu'à prendre ceci, le coupa-t-elle en sortant de sa blouse une boîte

circulaire blanche qu'elle lui tendit.

 Qu'est-ce que c’est ?... dit-il en saisissant cette dernière avant de l'ouvrir et de constater

qu'elle était remplie de gélules.

 Un stérilisant puissant…

 Quoi ?! s'exclama-t-il interdit.

 LEXO prétend ne pas pouvoir laisser sortir les patients-testeurs des dômes, même après

vaccination de la population mondiale, car il y aurait toujours un risque d'accouplement de

porteurs défaillants et de vaccinés anti ERR-6. Comme ils n'ont pas le recul nécessaire pour

savoir si les conséquences seraient nulles ou dramatiques, ils préfèrent ne pas prendre de

risque…

 Et ?! réagit Eyrin effrayé par ce qu'il était en train de comprendre.

 Deux gélules stérilisantes par jour pendant une semaine, couplées à une signature en bas

d'une charte de silence, et tu seras réintégrable à notre société dans les conditions exigées

par LEXO. En plus, grâce à cette chambre isolée, ta présence dans le dôme n'aura pas été

remarquée donc aucun risque qu'un patient-testeur ne remarque ton absence.

Sur ces mots, Eyrin claqua la boîte de gélules sur la petite table de sa chambre et croisa les

bras.

 C'était donc pour ça tous ces privilèges, dit-il en regardant autour de lui.

 Comprends-nous, nous voulons juste t'aider à sortir de là…

 TU veux m'aider, la corrigea-t-il réaliste.

 Pas seulement moi… confia-t-elle. Tu sais, c'est Papa qui a eu l'idée de la chambre et…

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 Papa ? répéta-t-il en riant jaune. Depuis quand me fait-il des faveurs…

 Ne dis pas ça, il était tout retourné quand il a su que tu allais entrer dans le dôme.

 C'est lui qui te l'a dit ?

 Non… C'est Maman… Je l'ai appelé pour la prévenir et elle m'a dit que Papa l'en avait déjà

informé... Elle était vraiment mal et il l'était tout autant selon elle.

Eyrin sourit amèrement.

 Mais peu importe, reprit Meydân. Si tu suis ce que je te dis, tout ça ne sera plus que de

l'histoire ancienne…

 Tout ça quoi ? l'interrompit-il. Mon intégration ici d'accord mais l'enfermement de tous ces

gens condamnés à mourir ? Tu n'étais pas d'accord avec ça, tu me l'as répété Meydân !

 Mais il ne s'agit pas d'eux, il s'agit de toi… dit-elle fébrile.

 Et qu'est-ce que ça change ? Je suis comme eux maintenant, dans le même état. Je suis

condamné Mey, tu entends ? Il n'y a plus rien à faire.

 Nous allons continuer de chercher, rétorqua-t-elle en pleurant de nouveau. Nous ne

lâcherons rien ! Mais en attendant, il faut que tu reviennes vivre avec nous… Que tu sois

chez toi, près des tiens.

 Comme des millions de gens dans ce monde encore enfermés dans ces centres de traitements

alors que plus rien ne sera fait ! Mais pour eux, personne n'a cherché de solution de

stérilisation et de charte de silence. Personne n'a pensé à l'humain avant tout ! Ils ont tous

pensé à leurs propres intérêts et tu sais qu'ils ont choisi la facilité !

 Ce n'est pas le débat, dit-elle de plus en plus désemparée. Écoute Eyrin, ne sois pas bête.

Pour une fois essaie d'être un peu égoïste, de penser à toi plus qu'aux autres… On ne sait pas

de combien de temps on dispose avant que ton état de santé ne se dégrade... Peut-être

quelques mois, peut-être des années… Dans tous les cas, je vais tout faire pour y remédier

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mais il y a un pourcentage de risque pour que je n’aie pas le temps d'intervenir avant

l'activation de ton gène… Alors s'il-te-plaît, fais ce que je te dis... Profite des tiens en sortant

au moins d'ici… Pour le reste, on avisera...

Elle lui tendit ensuite de nouveau la boîte de gélules abandonnée précédemment sur la table

et hocha la tête comme pour s'assurer qu'elle était vraiment convaincante. Eyrin saisit alors le petit

objet, serra son poing autour du plastique la composant avant de la replacer directement dans la

poche de blouse de Meydân.

 Rini… dit-elle presque suppliante.

 Tu me demandes d'être un peu égoïste… dit-il. Mais je te rappelle que c'est ce que nous

condamnions fermement quand on a fait le choix de sauver Silhaée. Je ne veux pas être un

privilégié plus que je ne le suis déjà. Je n'ai pas envie de m'évader et de bénéficier de

conditions que les autres n'auront pas. En plus tu n'es pas la seule à savoir que je suis entré

ici ; d'autres dans le groupe le savent déjà et en ont peut-être déjà parlé avec leur entourage

au décours d'une simple conversation. Tout le monde ne pourra pas signer cette charte de

silence et je ne pourrais pas rester enfermé éternellement chez Papa et Maman pour

m'assurer de ne croiser personne. Autant rester ici, au moins je n'aurai personne sur le dos

pour me dicter ma conduite.

 Eyrin s'il-te-plaît…

 Et au-delà de ça, l'interrompit-il une dernière fois. Si demain tu trouvais par miracle le

remède que personne n'a su élaborer depuis tout ce temps ; j'aurais provoqué volontairement

ma stérilité, anéanti mes projets d'avenir comme celui de fonder une famille, et pourquoi ?

Pour m'assurer un simple confort de vie en attendant le traitement miracle ? … Non, c'est

n'importe quoi, tu le sais bien… En me proposant cette option, tu admets clairement que si

je fais ce qu'il faut pour sortir de là, tout projet de recherches sur les porteurs défaillants

cessera… Donc tu ne me demandes pas de penser à moi mais de penser à vous, à toi… Et je

ne vois pas pourquoi tes états d'âme devraient primer sur ceux des proches de millions

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d'autres personnes enfermées. Alors même si ma décision est difficile et qu'il est fort

possible que tu ne la comprennes pas, je vais rester ici. L'intégration du fils du patron mettra

peut-être plus de poids dans la balance en faveur des oubliés du système, qui sait…

Une fois sa tirade terminée, Eyrin embrassa le front de Meydân, tourna les talons et s'en alla

s'allonger sur son lit, face au mur. Désemparée, Meydân regarda son frère s'installer sur son matelas

avant de sentir de grosses larmes brûlantes perler plus encore sur ses joues. Elle l'imagina le visage

dur, les lèvres pincées, fier d'avoir imposé ses idées comme d'habitude.

La tête basse, elle sortit alors sans un mot, quittant la pièce sans se douter un seul instant que

derrière cette silhouette allongée et renfrognée, se cachait le visage d'un homme, dégoulinant de

larmes, poing serré entre les dents pour ne rien laisser transparaître de sa haine autant que de ses

regrets.

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3

L'ascenseur

Silhaée, Jayden et Dean étaient désormais installés dans le canapé de la maison, la chaîne

d'information diffusant en boucle les dernières nouvelles.

 Tiens, dit Jayden en tendant à Silhaée une tasse de thé. Attention c'est très chaud.

 Merci, dit-elle en saisissant le tout puis en soufflant sur le liquide fumant.

Jayden se rassit ensuite dans le fauteuil face à elle et sortit de sa poche son compagnon qui

se déplia en un geste avant de danser dans sa main.

 Alors c'est à ça que ressemble un compagnon, dit Silhaée le regard rond.

 Exact, répondit Dean en sortant également le sien de sa poche.

La jeune femme haussa un sourcil avant de regarder les petits droïdes se plier et déplier sur

la table basse, formant toutes sortes de formes pour épater la belle.

 Oh ! s'exclama Silhaée amusée. C'est la première fois que j'en vois un en vrai…

Dean attrapa son compagnon qu'il lui tendit avec plaisir. La jeune femme reposa alors sa

tasse pour saisir le petit droïde qui dansa sur sa main avec ferveur sous le regard séduit de Dean.

 Il est mignon, dit-elle tout sourire.

 Il s'appelle Malo, précisa-t-il en affichant dans son regard un désir de proximité.

- Plit plit ! -

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Zoka, le compagnon de Jayden, venait d'afficher sur sa tête cubique la réception d'un T-

mess. Ni une ni deux, son propriétaire le saisit et ouvrit hâtivement le contenu du message avant de

se dresser d'un bon de son fauteuil.

 Qu'est-ce qui se passe ? lui demanda Dean.

 Appelle Tony, ordonna Jayden à Zoka sans répondre à son ami.

Silhaée regarda les deux hommes tour à tour et sentit l'inquiétude voire l'angoisse monter

progressivement dans la pièce.

 C'est quoi ces conneries ? dit prestement Jayden dès lors que l'interlocuteur décrocha.

Son regard s'était considérablement durci, sa voix assombrie.

 T'en connais beaucoup des blonds aux yeux noirs dont on attend des nouvelles depuis hier ?!

cracha-t-il. Bien sûr que c'est lui, putain !

Sur ces mots, Dean se leva à son tour du canapé et resta statique devant son ami qui écoutait

avec attention les dernières explications de Tony.

 OK, je te retrouve, clôtura Jayden. Meala ne devrait plus tarder de toute façon. À tout à

l'heure.

Puis il raccrocha, replia Zoka et écrasa son menton dans sa main sous les regards inquiets de

Dean et Silhaée.

 On a retrouvé Eyrin… dit-il enfin.

 Aaah ! s'exclama Dean avant de comprendre qu'il ne s'agissait peut-être pas d'une si bonne

nouvelle. Et… Où ça ? …

 … Dans l'Expéria.

 Comment ça « dans l’Expéria » ? répéta-t-il pas sûr de comprendre.

Jayden se pinça nerveusement les lèvres avant de trouver enfin le courage de répondre :

 Son gène est défaillant… Il vient d'intégrer le centre en tant que patient-testeur.

Choqué, Dean se laissa retomber lourdement dans le fauteuil derrière lui sous le regard

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hésitant de Silhaée.

 « Eyrin » … dit-elle en se remémorant ce prénom. Ce n'est pas…

 Celui qui t'a sorti d’ici ? termina Jayden. Si, c'est lui.

Sur ces mots, elle se leva de son fauteuil avec une lenteur reflétant sa sidération.

 Il faut que j'y aille, annonça Jayden en consultant l'heure sur la tête en veille de Zoka. Meala

ne devrait plus tarder. Continuez à surveiller les informations et si la moindre annonce ou le

moindre avis de recherche tombe, contactez-moi immédiatement. Idem si vous avez des

nouvelles de Meydân avant moi.

 T'en fais pas pour ça, le rassura Dean. Tiens-nous au courant toi aussi si tu en sais plus.

Jayden hocha positivement la tête avant de quitter la maison sous le regard à la fois vide et

perturbé de Silhaée.

Sur le chemin le conduisant jusqu'à LEXO, Jayden demanda encore une fois à Zoka de

rappeler Meydân. Mais il se confronta une énième fois directement à sa boîte vocale… Depuis la

veille, ils n'avaient eu aucune nouvelle ni d'Eyrin, ni de Meydân. Pourtant l'un comme l'autre

auraient dû les rejoindre en fin d'après-midi dans le refuge qu'il avait désigné : l'ancienne maison de

campagne de Wayen.

Grâce à Tedd, l'un des passeurs en service la veille, il savait désormais que le silence et

l'absence d'Eyrin n'était qu'un tragique événement qui était venu se greffer sur un plan rondement

bien mené. Mais pour sa sœur, le mystère était encore entier.

 Qu'est-ce qu'elle fout… pensa Jayden à voix haute après avoir relancé un dernier appel

infructueux vers le compagnon de Meydân.

Selon son avis, deux options se présentaient à lui : soit il était arrivé quelque chose à la jeune

femme et son compagnon avait en conséquence été désactivé. Soit elle n'était en réalité pas si
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déterminée que cela et regrettait désormais son implication dans leur projet d'évasion, expliquant

ainsi sa rupture de contact avec eux. Quoi qu'il puisse en être, Jayden devait trouver des réponses

dans la journée au sein de LEXO. Car sans informations supplémentaires et surtout sans l'aide

d'Eyrin, il serait dorénavant bien plus difficile d'organiser la suite des événements.

Que ce soit sur le parking ou dans les vestiaires, Jayden ne croisa personne en arrivant. Au

vu de l'heure tardive cela n'avait rien de surprenant ; l'intégralité des salariés du groupe était déjà en

poste. Une fois changé, il sortit des vestiaires et traversa le hall principal pour rejoindre l'accès au

Transiteur. Mais en avançant vers les portes de son secteur, il commença à ralentir jusqu'à s'arrêter

complètement et lever les yeux en direction des différentes mezzanines vitrées dessinant chaque

niveau du bâtiment. De là, il observa le deuxième étage : on pouvait y apercevoir un angle du

gigantesque cube blanc qui n'était autre que le laboratoire de recherches dirigé par Meydân. La

bouche de Jayden se crispa, ses sourcils se froncèrent. Il fit un pas en avant vers le Transiteur puis

brusquement changea d'objectif. « Quitte à être en retard », pensa-t-il en entrant dans l'un des

ascenseurs de service. Il sélectionna ensuite le deuxième étage et commença à monter seul, profitant

de ces quelques secondes de répit pour réfléchir à ce qu'il dirait. Il ne pouvait sciemment pas

demander à déranger Meydân, la cheffe de projet en recherche clinique, sans raison… Il fallait qu'il

trouve une excuse fiable, quelque chose de suffisamment crédible pour ne pas éveiller les soupçons.

Sa réflexion fut soudainement interrompue par l'arrêt de l'ascenseur au premier étage ;

quelqu'un d'autre allait le rejoindre. « Pourvu que ce ne soit pas Lilia... » pensa-t-il en sentant son

cœur battre un peu plus vite. En effet ; Lilia Crosfy, sa cheffe de projet, était en charge des secteurs

« préparation » et « distribution », situés respectivement au niveau un et zéro. Il n'y aurait donc rien

eu de surprenant à la voir arriver du premier pour rejoindre son bureau au quatrième.

- Shhhh… -

Les portes d'ascenseur s'ouvrirent dans un glissement léger et dévoilèrent l'identité de son

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 19


futur accompagnant qui fit un bond autant que lui dès lors que leurs regards se croisèrent.

 Jayden ! s'exclama Meydân en entrant brusquement dans l'ascenseur, un sourire naissant sur

le visage.

Ce dernier pressa sans plus attendre la commande de fermeture de portes puis le bouton «

STOP » d'urgence qui bloqua brusquement le mécanisme dans sa montée.

 Qu'est-ce que… commença-t-elle.

Mais la longue silhouette de Jayden se rua sur elle, la faisant reculer énergiquement jusqu'à

ce que son dos se plaque contre l'une des parois de l'ascenseur.

 Oh oh !! s'exclama-t-elle prise de panique.

 À quoi tu joues ? lâcha Jayden, son visage à quelques centimètres du sien.

 Attends…

 Et n'essaies pas de te débiner cette fois.

 Mais je ne me débine pas ! rétorqua-t-elle cette fois-ci en colère.

Elle plaqua dans ce même temps ses mains sur le torse de Jayden et lui imposa de reculer

d'un pas pour décoller son dos de la paroi.

 Non mais ça ne va pas la tête ?! dit-elle. Tu te prends pour qui ?!

 Pour quelqu'un qui n'a eu aucune nouvelle depuis pratiquement vingt-quatre heures,

répondit-il sèchement. Toi qui ne réponds pas, Eyrin qui disparaît…

 Il est dans l'Expéria Jayden, pensa-t-elle lui annoncer.

 Je le sais ça, répondit-il tendu. Mais ça, ça ne justifie pas ce pourquoi tu fais la morte depuis

hier !

 Je ne fais pas la morte ! bondit-elle de nouveau.

 Ah bon ? Et tu appelles ça comment toi alors ?

 Mais merde, laisse-moi au moins le temps de me justifier !

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Le jeune homme gonfla ses poumons, passa ses mains sur son visage et expira lentement

avant de reculer plus encore.

 Je t'écoute, dit-il enfin.

 Si je ne vous ai pas retrouvé hier c'est parce que j'ai passé ma journée à jouer l'inquiète sur la

disparition de Silhaée, à devoir montrer pattes blanches à ma direction. Et puis après il y a

eu l'annonce de la défaillance du gène d'Eyrin… Tu te doutes bien du coup que j'ai passé le

reste de mon temps à négocier avec mon père, puis avec Eyrin pour essayer de le sortir de

cette merde... Je suis donc repartie tard et je ne me voyais franchement pas faire encore la

route jusqu'à la maison de ton frère pour m'assurer que tout allait bien avant de rentrer chez

moi tard dans la nuit ! Je suis fiancée, j'ai des comptes à rendre moi…

 Je ne te reproche pas de ne pas être venue, la reprit Jayden. Nous savions de toute façon que

ça n'était qu'hypothétique. En revanche, je ne vois pas ce qui t'empêchait de nous contacter,

même par un malheureux T-mess ! Au lieu de ça, tu nous as ignoré, tu as même bloqué les

appels vers nos compagnons !

 Et tu ne t'es pas demandé pourquoi ?! s'indigna-t-elle.

Jayden ouvrit la bouche avant de la refermer aussi rapidement. Le visage de Meydân était

criant de tristesse, d'indignation. Elle n'avait franchement rien dans ses attitudes ou ses propos qui

trahissait un quelconque sentiment de regret.

 À la disparition de Silhaée, reprit-elle un ton en dessous, la direction a pris la décision de ne

pas prévenir la police pour l'instant, comme on s'en était douté. Ils voulaient d'abord mener

une enquête en interne, à leur sauce, avant qu'une éventuelle investigation officielle ne

démarre et que des rumeurs au sujet de cette patiente ne risquent de circuler.

Jayden acquiesça d'un signe de tête attentif.

 Dès que la disparition de Silhaée a été confirmée, poursuivit-elle, mon père a fait convoquer

les chefs de projet des différents groupes de travail et nous a demandé de retracer le détail de

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nos dernières journées, puis de lui remettre nos compagnons.

 Non ?! s'exclama Jayden en pensant aux conséquences de cette nouvelle.

 Rassure-toi ; j'ai juste eu le temps d'ordonner à Finn, mon compagnon, de supprimer

définitivement les données vous concernant et de bloquer vos numéros avant de le remettre.

 D'accord… répondit Jayden l'air presque embêté désormais. Je comprends mieux…

Meydân lui lança un maigre sourire insinuant l'évidence de la situation dans laquelle ils

étaient tous les deux empêtrés. Puis elle posa sa main sur l'épaule basse du jeune homme.

 Je suis sincèrement désolé, dit finalement Jayden. J'étais inquiet de ne pas avoir de tes

nouvelles... Et quand je t'ai vu entrer ici, tout sourire, j'ai pensé que tu tentais de masquer un

profond sentiment de malaise, que tu n'avais pas eu d'autres choix que de retourner ta veste...

 Jamais, dit-elle. Je ne vous lâcherai pas, crois-moi. Si j'ai retrouvé le sourire en entrant dans

l'ascenseur c'est parce que j'étais soulagée de te voir… De pouvoir enfin t'expliquer la

situation dans laquelle je me trouvais...

 Oui ça me semble évidemment maintenant…

 Hé… Je ne t'en veux pas, le rassura-t-elle. Par contre, si je ne veux pas me faire empoigner

par chacun de vous à tour de rôle, il va falloir que tu expliques tout ça aux autres et surtout

qu'on trouve un autre moyen de communiquer pour envisager la suite… Parce que je ne suis

pas sûre de récupérer mon compagnon avant un bon moment...

 Tiens d'ailleurs, tilta-t-il. Il faudra que tu me communiques sa référence le plus vite possible.

 Pourquoi ? s'étonna-t-elle.

 La suppression des données et le blocage des contacts étaient une bonne idée. Dans

l'urgence tu as même très bien réagi. Mais si jamais ton père décidait de confier ton droïde à

des experts, ils ne mettraient qu'une dizaine de minutes avant de retracer les dernières

activités dessus, comme la suppression des données nous concernant par exemple…

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 22


 Merde ! s'exclama-t-elle.

 Ne t’en fais pas pour ça. Si tu as sa référence, je n'aurai besoin de rien de plus pour lancer un

Black-Reset.

 Un Black-Reset ?

 Une synchronisation un peu spéciale qui écrase définitivement la mémoire du droïde.

 Mais je ne veux pas que Finn oublie qui je suis, tiqua-t-elle.

 Non non, ne t'inquiètes pas. Je séquencerai sa mémoire de sorte à cibler le moment où tu lui

auras demandé d'ajouter des données nous concernant. Le reste sera intact, tu peux me faire

confiance.

Puis sur ces mots plus paisibles, il désactiva le bouton « STOP » et laissa l'ascenseur

reprendre sa montée dans les étages. Meydân pressa à son tour le niveau « quatre » avant de

s'apercevoir que la touche du « deux » était illuminée.

 Tu allais… commença-t-elle hésitante.

 Te voir au laboratoire, confirma-t-il un peu bête avant de désactiver la touche. Je vais

attendre qu'il redescende maintenant…

Un petit rire échappa alors à Meydân qui ne put s'empêcher de dire ce qu'elle avait sur le

cœur avant que l'ascenseur ne la dépose au quatrième :

 Ta détermination et ton investissement me font penser à mon frère… avoua-t-elle. Il a

toujours eu cette même énergie, cette même impulsivité pour défendre des sujets qui le

touchent profondément…

Puis les portes de l'ascenseur s'ouvrirent et elle en sortit en souriant sincèrement.

 Meydân… l’interpella Jayden en bloquant un instant la fermeture automatique de la porte.

 Oui ? dit-elle.

 … Je suis vraiment désolé pour toi et ta famille… Je sais tout ce que représente l'affectation

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d'un proche dans l'Expéria… Et à quel point les premiers instants peuvent être

particulièrement douloureux…

 Merci beaucoup… répondit-elle manifestement touchée. Merci pour ta compassion… Elle

me va droit au cœur…

Puis elle disparut dans les longs couloirs de l'administration sous le regard empathique de

Jayden, disparaissant à son tour derrière les portes de l'ascenseur.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 24


4

Mot Code

- Toc toc ! -

 Oui ? acquiesça Eyrin en quittant le rebord de sa fenêtre.

Le jour commençait à peine à se lever sur l'Expéria, ou du moins les murs s'éclaircissaient

doucement. Eyrin venait de passer sa première nuit dans le centre et n'avait presque pas dormi,

comme il s'y attendait.

- Shhhh… -

La porte de sa chambre s'ouvrit sur le visage compatissant d'un médecin qu'il ne connaissait

que trop bien pour l'avoir souvent côtoyé chez lui autour d'un bon repas chaud : Jack Erdowel. Plus

que le médecin référent de LEXO, il était aussi un très bon ami de son père. C'est donc tout

naturellement qu'il adopta une attitude plus amicale, voire fraternelle avec le jeune homme dès qu'il

entra dans la pièce.

 Comment te sens-tu Eyrin ? lui demanda Erdowel en lui serrant chaleureusement la main.

 Comme quelqu'un qui vient de voir sa vie basculer, répondit-il malgré lui.

 Je n'ai pris connaissance de ton affectation que ce matin, précisa le médecin comme pour

justifier de la tardiveté de sa visite. Mais j'ai d'ores et déjà commencé à organiser ta

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 25


prochaine sortie. Ta mère était furibonde que nous te fassions entrer dans l'Expéria. Mais

nous ne savions vraiment pas quoi faire au départ... Et puis nous avons eu d'autres soucis à

régler après ça…

 D'autres soucis ? répéta Eyrin en jouant l'ignorant à la perfection. Rien de grave ? …

 Nous avons perdu une pièce important pour nos recherches, dit-il volontairement évasif.

 Ah… Papa devait être complètement furax…

 Oh je ne préfère pas en parler… Et puis de toute façon nous ne sommes pas là pour ça ; nous

sommes là pour toi.

Erdowel s'empressa ensuite de lui détailler les différents éléments de son dossier qui

permettaient de dire que son pronostic était plutôt bon, que l'activation du gène serait certainement

tardive. Puis il glissa sur l'éventualité d'une sortie du centre avec les mêmes conditions que celles

énoncées par Meydân la veille. En entendant ces mêmes explications, Eyrin eut envie de

l'interrompre, de lui dire qu'il n'était pas la peine de lui proposer de solution. Sa réponse resterait la

même : non. Il ne sortirait pas d'ici tant qu'aucune étude ne serait reprise pour tenter de sauver les

condamnés dont il faisait finalement partie maintenant.

 (…) mais en attendant il faudra que tu prennes ceci, poursuivait toujours le médecin en se

voulant le plus convaincant possible.

Il sortit alors une longue boîte blanche rectangulaire qu'il lui tendit avec fierté.

 Qu'est-ce que c’est ? demanda Eyrin perplexe en ouvrant la boîte et en y découvrant une

quinzaine de comprimés rangés dans des cases à la manière d'un pilulier.

 Un traitement-test que nous n'avons pas eu l'occasion de lancer au vu des coûts engendrés

par la fabrication du futur vaccin anti ERR-6. Tu es le seul à l'essayer… Je ne peux te

garantir ses résultats mais il sera toujours plus efficace que ceux que nous délivrons aux

autres patients-testeurs dans l'Expéria…

Sur ces mots, Eyrin eut envie de jeter la boîte par la fenêtre puis d'entamer de nouveau le

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 26


couplet qu'il avait déjà récité à Meydân… Mais après quelques secondes de réflexion, il se ravisa et

tendit la main à Erdowel.

 Merci, dit-il enfin en y joignant une poignée de main.

 C'est normal, on ne pouvait pas te laisser comme ça, répondit le médecin.

 Non c'est sûr… (« alors que des millions d'autres, oui », pensa Eyrin très fort).

 Je te ferai parvenir dès ce soir le traitement stérilisant que tu pourras prendre en même temps

que celui-là, expliqua-t-il en pointant du doigt le pilulier. Une gélule matin et soir pour

chaque traitement. Normalement tu auras tout ce qu'il te faut pour une semaine et je ferai en

sorte que ta dotation soit renouvelée hebdomadairement si tu n'es pas sorti d'ici-là.

 Bien sûr… répondit-il, son sang-froid mit à rude épreuve.

 Bon et bien je repasserai te voir plus tard. Si tu as la moindre question, tu peux solliciter mes

curateurs. Mais sache que je me rendrai disponible dès que possible pour toi.

 D'accord, dit Eyrin en regardant le médecin se diriger vers la porte de sortie de sa chambre.

 Une dernière chose, tilta Erdowel. Je te demanderai bien évidemment de ne pas sortir d'ici.

Il ne faudrait pas que tu rencontres du monde dans l'Expéria qui viendrait à remarquer ton

absence par la suite.

 Cela va de soit…

Le médecin acquiesça son propos d'un signe de tête et disparut derrière la porte. Durant les

quelques secondes qui suivirent, Eyrin resta planté au milieu de sa chambre, pilulier en main. La

colère vint ensuite fendre son visage, crisper ses mains et lui imposa finalement de jeter violemment

la boîte contre la porte avant de frapper la table de ses deux poings.

 POURRIS ! Tous pourris ! … dit-il le dos voûté, les poings serrés, la mâchoire crispée.

Sa respiration était saccadée, sa haine plus forte encore que ce qu'il avait connu jusqu'alors.

Il n'arrivait pas à réaliser qu'un médecin cautionne une pareille décision, cela relevait quasiment de

l’irréel.

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 Reste ici… Prends tes gélules… Signe la charte… énuméra-t-il avec rage. Je ne suis pas un

pantin !!

Puis il attrapa un verre de son petit déjeuner qui traînait sur la table et leva son bras en

direction de la porte avant de se raviser progressivement. Un tel comportement ne le mènerait nulle

part. S'il avait pris la décision de feinter la coopération, il fallait qu'il la tienne et ce jusqu’au bout.

De toute façon, il n'avait pas le choix. Son opposition aux décisions aurait eu des conséquences plus

pénibles encore. Connaissant son père, ce dernier aurait été capable de lui affecter un curateur en

surveillance pour ses prises de traitements. Mieux encore, il se serait assuré de recruter le plus

moralisateur de tous pour qu'il puisse lui rappeler sans cesse qu'il n'avait pas à se plaindre, qu'il était

chanceux contrairement aux autres. Eyrin reposa donc son verre sur la table, ramassa le pilulier

miraculeusement intact et s'en alla s'asseoir sur son lit. Bras croisés sous sa tête, il regarda dans un

premier temps fixement le plafond avant de se redresser et de vaquer dans sa chambre à la

recherche d'une occupation digne de ce nom.

Après une bonne heure à passer d'endroits en endroits sans but précis, il s'arrêta devant sa

fenêtre et observa « l’extérieur » avec curiosité.

 Un privilège d'être ici… pensa-t-il à voix haute en riant jaune.

Ses yeux se baladèrent d'abord dans les différents recoins du centre puis se détournèrent vers

l'intérieur de la chambre et fixèrent longuement la porte. « Si je pouvais sortir encore, voir du

monde… » pensa-t-il. Il regarda ensuite de nouveau les patients-testeurs circulant dans le dôme,

discutant les uns avec les autres avant de se tourner une fois encore vers sa porte de chambre avec

envie…

Après quelques secondes de réflexion, il quitta le rebord de sa fenêtre et s'éclipsa dans la

salle de bain. De là, il activa le puissant jet d'eau de sa douche et retraversa la pièce dans toute sa

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longueur jusqu'à se positionner devant la porte d'entrée de celle-ci.

 Pas longtemps, s'imposa-t-il à voix haute.

Puis il la déverrouilla, passa la tête dans l'ouverture de porte et regarda de gauche à droite

avec prudence : pour l'instant, il n'y avait personne. Il continua donc son chemin dans le petit

couloir d'accès en priant pour que personne ne vienne débarrasser son petit-déjeuner à ce moment

précis.

À l'intersection de son couloir et de l'allée principale de l'aile Ouest, Eyrin tendit l'oreille. Il

n'y avait à priori personne de ce côté du bâtiment, ce qui n'avait rien de surprenant puisqu'il avait

été installé dans l'aile de renfort du centre, pour le moment inexploitée. Il continua donc sa

déambulation dans l'allée, tout en restant sur ses gardes, jusqu'à arriver devant les ascenseurs. Il

hésita d'abord à en emprunter un mais finalement se ravisa ; le risque de croiser un soignant était

vraiment trop grand.

Chaque bâtiment LEXO étant configuré de la même façon, Eyrin n'eut aucun mal à trouver

une solution bien plus sécurisante. Il contourna donc les ascenseurs et tomba sur ce à quoi il

s’attendait : un escalier de secours qu'il emprunta sans plus attendre. Quand il arriva en bas de la

longue cage d'escalier, il se retrouva face à une porte « standard ». Cette dernière étant destinée à

l'urgence, elle n'était pas automatique, ne comportait aucune glissière électronique. Il s'agissait

d'une simple porte battante qu'Eyrin poussa lentement afin d'y glisser un premier coup d’œil

curieux.

 Wop… murmura-t-il en la refermant aussitôt avant d'inspirer lentement.

Il venait d'apercevoir deux personnes discutant vivement à un mètre à peine de lui. Il

repoussa donc une seconde fois la porte, d'un petit centimètre cette fois, et écouta-observa avec

prudence la discussion en cours.

 Rien qu'une minute ? … négociait un jeune homme à la chevelure flammée.

 Je ne peux rien te garantir Brenn, répondit la curatrice manifestement agacée de se répéter.

Je lui dirai que tu veux le voir dès que je le croiserai mais je ne préfère pas m'engager.

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 C'est incroyable ! s'exclama ce dernier en plaquant ses mains sur le dessus de son crâne. In-

cro-yable ! Ça fait vingt-quatre heures qu'on me dit ça…

Eyrin grimaça. Il était encore témoin de l'une des nombreuses injustices du système.

 Le Docteur Erdowel a de multiples obligations Brenn et tu le sais, lui rappela la curatrice.

 Je sais qu'il doit être occupé mais je ne demanderai pas à le voir si l'un de vous me donnait

enfin des nouvelles de Silhaée…

À la simple prononciation de ce nom, les yeux noirs d'Eyrin s'arrondirent.

 Si nous ne t'en donnons pas c'est que nous n'en n'avons pas non plus, lui précisa-t-elle avant

de commencer à reculer. Mais dès que ce sera le cas, tu peux être sûr que nous te

contacterons.

Puis la soignante s'excusa et entra dans l'un des ascenseurs de service avant de fuir dans les

étages, laissant le jeune homme seul au milieu du hall central. Abasourdi, il resta un instant figé, le

regard vide. Puis il inspira et expira bruyamment avant de sortir du centre de soins continus.

Le cœur d'Eyrin battait la chamade. Même si cela semblait évident, il n'avait encore jamais

pensé aux autres patients-testeurs gravitant autour de Silhaée. Il brûlait donc d'envie de savoir qui

était cet homme par rapport à elle. Tiraillé entre la consigne qui lui avait été donnée de rester caché

et l'envie d'en apprendre davantage, Eyrin hésita… Pendant de longues secondes… Secondes durant

lesquelles il vit progressivement ce fameux « Brenn » le distancer…

« … Et puis merde » pensa-t-il.

Après avoir vu deux curateurs passer dans le hall, Eyrin poussa la porte battante d'un geste

vif et s'élança droit devant lui, traversant le hall en largeur avant de franchir les portes de sortie sans

oser se retourner. De là, il regarda Brenn marcher d'un pas lent entre les résidences et se mit à le

suivre en conservant quelques mètres de distance entre eux. Il croisa également d'autres patients-

testeurs qui l'observèrent sans grand intérêt. Des nouveaux visages dans l'Expéria, il y en avait

régulièrement, rien de très étonnant. En sentant la confiance monter en lui, Eyrin s'approcha encore

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un peu plus de Brenn pour s'assurer que ce dernier ne le sèmerait pas involontairement entre deux

bâtisses.

Seulement, à force de le suivre comme son ombre, Brenn finit par sentir une présence dans

son dos qui l'incita à se retourner furtivement. Il prit alors le jeune homme en flagrant délit de

filature. Le hasard voulut qu'à cet instant précis, personne d'autres que lui ne se trouvait aussi près

de sa personne, ce qui l’amena à penser (à raison) qu'on tentait de le suivre.

 Tu as perdu le chemin de ta résidence ? lui demanda Brenn.

La tête d'Eyrin ne lui disait rien et son air ahuri ne pouvait être lié qu'à une nouvelle

intégration.

 Ça peut arriver t'inquiètes, tenta de le rassurer Brenn devant le mutisme complet du jeune

homme. Tu connais ta référence d’affectation ?

Complètement partagé entre panique et excitation, Eyrin ne parvenait toujours pas à

répondre, se contentant de rester aussi silencieux qu'immobile. Brenn le regarda alors de haut en bas

puis se retourna, haussa les épaules et reprit son chemin comme si de rien était.

 Connais-tu la famille Edia ? finit-il par dire.

Brenn s'arrêta net. Eyrin sentit alors son cœur frapper brutalement dans sa poitrine dès lors

qu'il le vit se retourner de nouveau vers lui, scruter scrupuleusement le périmètre autour d'eux puis

l'observer avec un œil neuf :

 … Suis-moi, lui dit enfin Brenn.

Eyrin ne se fit pas prier et se mit instantanément à marcher dans ses pas, prenant la direction

de l'allée de résidences « R ».

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5

Mise au point

Lorsque Meydân arriva au quatrième étage des locaux LEXO, elle rejoignit un couloir au

bout duquel trônait une gigantesque porte capitonnée, seul accès vers la plus grande salle de réunion

du groupe. En y entrant, elle y découvrit une assemblée exceptionnelle, déjà installée, qui

n'attendait plus qu’elle : Jodd Altwood, Jack Erdowel et deux autres personnes, un homme et une

femme qu'elle ne connaissait pas, occupaient toute une longueur d'une grande table rectangulaire.

De l'autre côté, étaient alignés de la même façon les chefs de projet des différentes sections : Paolo

Amorio à la retranscription, Lilia Crosfy à la préparation/distribution et un fauteuil vide qui

n'attendait plus qu’elle ; la cheffe de projet en recherche clinique.

Meydân s'excusa donc sans plus tarder pour l'attente et s'installa en hâte sur son fauteuil

avant de lever la tête en direction du bout de table où son père attendait avec une impatience non

dissimulée dans le regard.

 Bien, dit enfin Atân en se levant de son siège. Mes amis, l'heure est grave. Comme vous le

savez tous déjà, nous sommes confrontés depuis bientôt vingt-quatre heures à un événement

indésirable majeur : la disparition inexpliquée du sujet expérimental UJI…

 Où en sont vos recherches Atân ? lança Jodd Alwood manifestement agacé par l'introduction

du propos.

 Nos équipes font le nécessaire pour regrouper tous les éléments qui nous permettront de

comprendre ce qu'il s'est passé, se justifia-t-il. Seulement tout cela prend du temps. Le

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kidnapping avait l'air d'avoir été très bien préparé.

 Nous ne disposons pas de temps, l'interrompit un homme aux côtés d'Altwood.

Ce dernier appartenait au binôme que Meydân ne connaissait pas. À en juger par les traits

finement marqués de son visage, il devait être âgé d'une cinquantaine d'années. Ses cheveux courts

gris métallisé accompagnaient une fine barbe assortie. Ses yeux bleu violine et son teint pâle

couvert de micro-taches de rousseur lui offraient un certain charme qui ne laissait personne

indifférent.

 Je ne dis pas le contraire Lenny, répondit Atân piqué au vif. Je rappelle simplement que mes

équipes font ce qu'elles peuvent pour nous apporter des réponses précises.

 En attendant il serait peut-être judicieux de se pencher sur le lancement de notre prochaine

campagne de vaccination anti ERR-6, rétorqua Jodd Altwood.

 N'est-ce pas incompatible avec le problème actuel ? souleva Paolo. Il serait peut-être mal

venu de démarrer la vaccination obligatoire si le sujet expérimental UJI venait à

réapparaître ? Imaginez qu'elle sache qu'on ait voulu l'éliminer et qu'elle fasse le lien entre

elle et le vaccin. Si la population venait à apprendre toute cette histoire, nous pourrions

provoquer un scandale d'une ampleur sans égal depuis des décennies…

 Il a raison, répondit la femme du duo énigmatique.

Tout comme l'homme à ses côtés, il était difficile de lui donner un âge ; une quarantaine

d'années, peut-être plus. Sa peau chocolat camouflait toutes ridules et imperfections du temps, lui

offrant ainsi un visage aussi lisse et doux qu'une poupée de porcelaine. Ses cheveux étaient si noirs

qu'ils brillaient sous l'éclairage artificiel et ses iris, si sombres également, qu'ils se confondaient

avec la couleur de ses pupilles.

 La campagne de vaccination a attendu des années, elle peut attendre encore quelques jours,

dit-elle. Le plus important aujourd'hui, c'est de retrouver la patiente.

 Mais que faire d'autres pour cela ?! dit Lilia à priori catastrophée par la situation. Tous nos

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locaux ont été fouillés, nos agents sont en train d'être interrogés, le système de

vidéosurveillance est inexploitable…

 Voyons plus grand, proposa Erdowel jusqu'alors silencieux. Poussons les recherches en

dehors de nos murs…

 À quoi pensez-vous ? lui demanda alors Altwood.

 Je pense par exemple à des battues d'investigations dans les villes les plus proches.

 Nous ne pouvons décemment pas entrer chez les gens comme ça… fit remarquer Atân. Il

faut un motif valable…

 Trouvez n'importe quel motif pour appliquer cela, imposa Jodd Altwood. Il est inadmissible

qu'une erreur de LEXO retarde l'instauration d'un vaccin qui sauvera la planète. Il en va de

ma réputation et de la vôtre également. Si nous ne lançons pas très rapidement ce vaccin et

que la santé des patients-testeurs commence à décliner, vous en payerez les conséquences...

 Par « vous », dois-je comprendre que j'endosserai seul la responsabilité de ce choix-tactique

si la résultante en était mauvaise ? tiqua ce dernier. La décision de réinstaurer des

traitements-test à faible coût a été approuvée par vos soins M. Altwood. Vous étiez d'accord

pour le transfert de budget des porteurs défaillants vers les porteurs sains. Dès lors que nous

vous faisions parvenir nos rapports sur la stabilité des biomolécules créées par Meydân et

ses équipes, nous obtenions votre aval pour cette stratégie.

 Mais ce plan ne prenait pas en compte la libération du sujet expérimental UJI… répondit

Jodd Altwood.

 Bien évidemment qu'il ne… Attendez, il ne s'agit pas d'une « libération » mais d'un

kidnapping, le reprit Atân. Vous n'oseriez quand même pas insinuer qu'il s'agissait là d'un

complot de notre part ?...

Un silence pesant se fit alors sentir sur toute l'assemblée puis des regards emplis de gêne se

croisèrent.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 34


 Tâchons de garder la tête froide, dit Erdowel. Personne ici ne doit endosser seule la

responsabilité de cet événement, aussi désagréable soit-il. Il nous faut être unis pour mener à

bien cet immense projet qu'est la vaccination de l'anti ERR-6. Je propose donc que nous

nous chargions des deux problèmes de façon simultanée. Déployons d'un côté des équipes

pour réaliser des battues d'investigation en définissant un motif valable. Et de l'autre,

lançons la fabrication des vaccins, préparons les plannings d'appels des civils et créons les

postes d'injections. Quand tout cela sera fait, nous n'aurons plus qu'à appliquer les décisions

comme elles avaient été fixées et tout rentrera enfin dans l'ordre.

Erdowel fit l'unanimité. Tous autour de la table approuvèrent l'idée du médecin et

constituèrent ensuite ensemble les différents plans d'attaques à mener. La réunion dura en tout trois

heures, trois heures durant lesquelles Meydân ne dit pas un mot. Elle se contenta à plusieurs reprises

de hocher positivement la tête dès que l'un d'eux suggérait quelque chose... Mais elle n'avait pas la

force de faire mieux. Tout ceci la scandalisait, la dégouttait même. Le temps de l'ignorance et des

yeux clos était terminé pour sa part. Elle ne pouvait plus se résoudre à accepter toutes les décisions

prises par ces hommes et femmes se présentant comme les sauveurs du monde de demain. Elle

l'avait fait pendant plusieurs années, elle avait tout accepté, tout façonné pour mener à bien les

grandes idées de son père et de ses acolytes. Mais aujourd'hui les choses avaient changé : Atân avait

trahi sa parole vis-à-vis de la survie de Silhaée, Eyrin l'avait poussé à exploser son capital

conscience en s'indignant des comportements inhumains de LEXO et enfin des millions de patients-

testeurs s'apprêtaient à mourir dans l'ignorance la plus totale du reste du monde.

 Meydân ? l’interpella Lilia en lui tendant une tablette.

 Oh euh oui pardon, répondit-elle en sortant instantanément de ses pensées.

Elle signa alors tous les documents récapitulatifs de leurs futures actions et se leva de son

fauteuil comme tous ses autres compères présents autour de la table. La réunion était désormais

terminée ; chacun allait reprendre ses activités principales en intégrant à leurs agendas les nouvelles

missions qu'ils s'étaient vus confier.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 35


Posté à la sortie de la salle, Atân serra chaleureusement la main de ses invités (un peu moins

celle de Jodd Altwood qu'il ne remercia pas d'être venu comme il l'aurait fait habituellement) puis il

se réinstalla dans son fauteuil.

 Meydân ? dit-il à l'intention de sa fille qui s'apprêtait à fermer la marche derrière ses

collègues. J'ai à te parler.

Cette dernière laissa alors la porte se refermer devant elle et revint sur ses pas en expirant

discrètement son ras-le-bol. Puis elle se réinstalla dans son siège comme son père l'avait fait

précédemment et attendit, bras croisés, qu'il daigne bien retrouver l'usage de la parole :

 Et bien ? dit-il alors à son attention.

Meydân le regarda sans comprendre, lui faisant sous-entendre par un haussement de sourcil

que sa question n'était pas franchement évidente.

 C'est tout ce que tu avais à dire pour une réunion aussi cruciale que celle-là ? dit-il pour

l'instant plutôt calme.

 Il n'y avait rien à ajouter, répondit-elle sans fournir le moindre effort. Tout a été dit.

Son père l'observa avec insistance pendant une longue minute, s'efforçant de lire dans son

regard les vérités qu'elle ne voulait pas dire.

 Quoi ? dit-elle finalement, agacée par son attitude.

 Qu'est-ce que tu me caches ? lui demanda-t-il son regard fondant dans le sien.

 Mais rien du tout ! répondit-elle presque scandalisée par cette accusation.

Dressée dans son fauteuil, Meydân hocha horizontalement la tête avant d'écraser de nouveau

ses épaules contre le dossier.

 Est-ce que tu te souviens de nos vacances à Rio ? lui demanda alors son père. Tu avais à

l'époque douze ans je crois.

 Treize, le corrigea Meydân en voyant immédiatement où il voulait en venir.

 Eyrin était encore très énergique à l'époque, il te suivait partout… Où que tu ailles, quoi que

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 36


tu fasses, il était là. Pour ton plus grand malheur…

 C'était un accident, tenta-t-elle de l'interrompre.

 Ta mère et moi nous te pensions suffisamment responsable à l'époque et nous t'avions confié

sa garde pour l'après-midi, le temps de profiter de quelques soins de bien-être, poursuivit-il.

Dans un camp de vacances, vous ne risquiez rien après tout. Et c'est alors que tu avais

décidé avec ta bande de copains de sortir du camp, d'aller explorer les environs. Mais

comment pouvais-tu faire avec un petit frère de cinq ans dans les pattes ? Il risquait de tout

nous raconter le soir venu…

Meydân était de nouveau droite comme un « i », les poings serrés posés sur la grande table

face à elle.

 Tu avais alors eu la bonne idée de le laisser seul dans le camp de vacances en imaginant que

les maîtres-nageurs autour de la piscine seraient de parfaits baby-sitters pour lui, poursuivit

Atân. Mais c'était sans compter sur l'énergie et l'entêtement d'Eyrin, bien décidé à te suivre

malgré tes consignes…

 C'est bon, l'interrompit-elle en colère. Où est-ce que tu veux en venir ?

 Quand nous étions allés signaler sa disparition au commissariat, c'est ce que tu avais

répondu à l'agent, tu te souviens ? Il t'avait demandé « Qu’est-ce que tu caches Meydân ?»

en remarquant l'anormalité de ton comportement. Et tu lui avais répondu « Rien du tout ».

Tu as dû dire ça pendant… une bonne heure disons, avant de craquer et d'avouer ta bêtise.

 Ça n'a rien à voir, dit-elle contrariée.

 Ça a tout à voir, rétorqua Atân. Tu as beau avoir quinze ans de plus aujourd'hui, je

reconnaîtrai entre mille cette expression sur ton visage… Celle du mensonge, du regret…

 Ça suffit.

La jeune femme venait de se lever de son siège, manifestement retournée par la colère.

 Ce n'est pas parce qu'on t'a accusé à tort d'être responsable de la disparition de Silhaée Uji

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 37


qu'il faut chercher un coupable pour te dédouaner, dit-elle. Bien sûr que je n'étais pas

d'accord avec l'avis de la commission d'éthique sur sa suppression, mais je ne serai jamais

allée contre les décisions de LEXO. Je n'ai rien à voir avec ça, ça ne me ressemble pas et tu

le sais.

Atân la regarda silencieusement sans faillir jusqu'à ce qu'un sourire en demi-teinte se dessine

sur le coin de ses lèvres.

 D'accord, je te crois… dit-il enfin.

 Merci, répondit-elle manifestement soulagée.

 … Mais si j’apprenais un jour que tu m'avais menti pour tes propres intérêts, je ne

t'accorderais aucun privilège. Et crois-moi, tes déboires devant la justice auraient des

conséquences bien plus lourdes qu'un simple interrogatoire d'intimidation adressé à une

enfant de treize ans.

Puis sur ces mots, il se leva de son fauteuil, contourna la table et sortit de la salle de réunion

sans un regard pour sa fille, restée silencieuse au milieu de cette gigantesque pièce vide.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 38


6

Nouveaux alliés

Brenn déverrouilla la porte de sa résidence et y entra sans plus tarder avant de faire signe à

Eyrin de le suivre. Ce dernier s'exécuta en refermant la porte derrière lui. En comprenant qu'ils

étaient seuls entre ces quatre murs, un sentiment d'appréhension le saisit à la gorge.

 Je… hésita-t-il.

 Qui es-tu ? lui demanda enfin Brenn sans rien laisser transparaître.

Puis il s'affala dans l'un des canapés sans inviter le jeune homme à en faire de même.

 Je m'appelle Eyrin… Et toi, Brenn ? C'est ça ?

 Qui es-tu ? réitéra-t-il. Un patient-testeur comme nous ou un agent infiltré de LEXO ?

 Ah ouai, ça a au moins le mérite d'être direct…lâcha-t-il surpris. Bon et bien aujourd'hui je

suis un patient-testeur au même titre que vous, mais qui travaillait auparavant pour LEXO,

c'est vrai.

 Pourquoi est-ce que tu me suivais ? enchaîna Brenn sur le même ton.

 Je t'ai entendu dans le hall du centre de soins continus. Tu demandais des nouvelles de

Silhaée à une curatrice…

 Parce que tu en as ? … s'exclama soudainement Brenn bien plus fébrile.

 Oui…

Sur ces mots, le jeune homme bondit de son canapé et s'élança sur Eyrin, le saisissant

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 39


vivement par les épaules.

 Est-ce qu'elle va bien ?! dit-il hâtivement.

 Elle a échappé au pire… Mais oui, elle va bien.

Brenn serra alors le poing comme s'il s'agissait d'une victoire. Eyrin lui adressa en retour un

sourire compatissant avant de s'approcher plus encore comme pour intimer la conversation :

 On peut travailler pour LEXO sans en cautionner ses méthodes... dit-il.

Le regard de Brenn changea alors du tout au tout.

 Installe-toi, l'invita-t-il en lui indiquant les fauteuils de la pièce de vie. J'en ai pour deux

minutes.

Puis il quitta la résidence au pas de course, laissant Eyrin seul et perplexe face aux intentions

de son hôte.

Une curatrice du centre de soins continus toqua et entra dans la chambre particulière d'Eyrin

afin d'y récupérer son petit-déjeuner. En passant la porte, elle y trouva son plateau terminé déposé

sur une petite table individuelle et s'en saisit.

 Monsieur Hederling, avez-vous besoin de quelque chose ?

Elle n'eut comme unique réponse que le ruissellement continu du jet d'eau dans la douche.

 N'hésitez pas en tout cas, conclut-elle.

Elle savait par expérience que les patients-testeurs entrants dans l'Expéria n'étaient pas

tellement bavards. Elle imagina donc sans mal que sa situation de « fils de » devait être bien plus

complexe à appréhender et préféra en conséquence ne pas insister davantage. Elle retourna alors à

son travail après avoir passé un rapide coup de lingette désinfectante sur la petite table.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 40


*

Comme convenu, Brenn revint à sa résidence quelques minutes après son départ,

accompagné de Rix et Gaële. Il lui avait semblé important que les co-résidents et amis de Silhaée

soient présents pour recevoir les informations de leur invité de luxe. Chacun d'eux s'était d'abord

présenté en bonne et due forme avant de décrire leurs arrivées dans l'Expéria et dans le cas d'Eyrin

chez LEXO. Puis ils en vinrent au sujet principal : Silhaée.

 Dis-nous ce que tu sais pour Silha, lui demanda Brenn impatient. Son intervention s'est bien

passée ?

 Oui… répondit Eyrin en affichant une moue embêtée.

 Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? s'inquiéta-t-il derechef.

 Disons que je suis vraiment confus face à toutes les décisions prises par LEXO et je vous

demanderai de me laisser raconter ce qu'il s'est passé jusqu'au bout afin d'éviter les

confusions.

Tous acquiescèrent et écoutèrent attentivement toute l'histoire autour du prélèvement de

moelle de Silhaée. Ils prirent alors connaissance avec effarement de la décision de LEXO : sa mort

provoquée dès validation des résultats du prélèvement. Cette annonce fit bondir Brenn comme

jamais. Ils comprirent que pendant des années, la survie « extraordinaire » de leur amie n'était qu'un

terrible mensonge, un parfait complot étudié avec finesse dans l'espoir qu'un jour ils puissent se

servir d'elle. Rix en était révolté, Brenn retourné et Gaële ne trouvait plus les mots pour exprimer sa

colère. Eyrin enchaîna ensuite avec le rôle de sa sœur au sein de LEXO. Il expliqua ce que le ras-le-

bol de cette dernière, couplé à son indignation, avaient provoqué. Il décrivit les trois phases qu'ils

avaient échafaudées et situa le rôle de chacun de ses collègues ayant pris part à la « rébellion secrète

». Puis il en arriva à la finalité tant espérée : l'évacuation secrète de Silhaée.

 Par le conduit de déchets ? s'exclama Gaële manifestement épatée.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 41


 Oui, Dean et Tony attendaient en bas avec un véhicule de livraison, expliqua-t-il. C'est le

moyen le plus discret que nous ayons trouvé.

 Et ensuite ? le relança Brenn avide d'en apprendre davantage.

 Puisque personne ne se doutait de rien à ce moment-là, nos deux amis ont réussi à quitter le

parking de LEXO avec elle sans éveiller le moindre soupçon. Ils ont ensuite pris la route en

direction de l'ancienne maison du frère de Jayden.

 Et ?

 Malheureusement je ne peux pas vous en dire plus parce que j'ai été emmené vers l'Expéria

quelques minutes après tout ça.

 Rah fait chier ! lâcha Brenn.

 Il faut relativiser, lui conseilla alors Rix. L'important aujourd'hui c'est de savoir Silha en

sécurité. Qu'on ne sache pas où et avec qui, cela importe peu. Il vaut mieux la savoir en vie

et en sûreté que six pieds sous terre avec pour excuse « une intervention chirurgicale qui a

mal tourné » ...

 Ouai… C'est sûr, reconnut Brenn.

 De toute façon tu n'as pas à t'en faire, le rassura Eyrin. Je suis quasiment sûr d'avoir bientôt

de ses nouvelles.

 Tu comptes écrire à tes amis au prochain envoi de courriers ? lui demanda Gaële.

 Hein ? Oh non, je vais m'arranger pour voir Meydân bien avant.

 Mais les visites sont interdites, lui rappela-t-elle.

 Elle est déjà venue me voir hier… avoua-t-il.

Brenn, Rix et Gaële prirent un air ahuri puis se regardèrent mutuellement avec une

expression lourde de sens.

 Je sais que tout ceci n'est pas juste, rebondit-il alors. Mais…

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 42


 C'est même cruel, l'interrompit Gaële les lèvres pincées. Personne ici n'a le droit à de tels

passe-droits...

 Je le sais ça mais…

 Est-ce que tu sais combien de fois j'ai pu prendre ma fille dans mes bras depuis que je suis

entrée ici ?... insista-t-elle les larmes aux yeux.

 Non mais…

 Tes conditions d'inclusion au centre devraient être les mêmes que les nôtres, ajouta Brenn en

passant une main tendre dans le dos de Gaële.

 Attendez, les interrompit Rix plus calme. Laissez-le parler.

Brenn et Gaële s'arrêtèrent donc un instant tout en affichant le regard de ceux qui

n'approuvaient pas de pareilles révélations.

 Merci, dit enfin Eyrin à l'intention de Rix. Je suis désolé si je vous ai blessé mais je ne

pensais pas à mal. Si je vous ai parlé de la visite de Meydân, c'était pour vous faire

comprendre que nous n'étions pas seuls… Je ne voulais en aucun cas vous rendre envieux et

me rendre détestable par la même occasion…

 TU n'es pas seul, fit remarquer Brenn. Il s'agit de TA sœur. Nous elle ne nous apportera

rien...

 Non c'est faux, répondit-il cette fois irrité plus que désolé. Pour le coup je te trouve injuste

de penser comme ça. Meydân a risqué sa place, voire même bien plus pour empêcher

l'élimination de Silhaée.

 L'idée de la faire évader était la tienne, fit-il remarquer.

 Bien sûr, mais sans Mey rien n'aurait été possible. C'est elle qui a retardé la remise des

résultats du vaccin, elle qui s'est procurée les produits pour les perles anesthésiantes dont

nous avons eu besoin pour échapper à la vigilance des soignants. C'est elle aussi qui a dû

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affronter la colère et j'imagine les soupçons insupportables de mon père parce qu'il savait à

quel point elle était contre les choix de la commission d'éthique…

Les lèvres pincées de Gaële se détendirent progressivement, tout comme son visage dont les

traits se lissèrent peu à peu.

 Malgré tout je ne vais pas vous mentir, termina Eyrin. Meydân est venue me voir hier pour

me dire qu'elle cherchait à me faire sortir d'ici par tous les moyens. Et pour ne rien vous

cacher, elle avait même déjà négocié avec Erdowel les accords préalables. Mais pourquoi

voulait-elle faire ça ? Au-delà de l'amour d'une sœur pour un frère, elle avait aussi

certainement conscience qu'elle ne pourrait pas tout gérer toute seule. Mes collègues…

Amis (se corrigea-t-il) sont de très bons soutiens mais ils ne connaissent pas mon père… Ils

ne savent pas de quoi il est capable et ne peuvent donc pas aider Meydân comme il le

faudrait. Elle a plus que jamais besoin de moi ; pour aider Silhaée, pour veiller sur elle et

enfin pour vous sortir d'ici avant que vos noms et votre situation ne tombent dans l'oubli.

 Alors pourquoi es-tu toujours là ? finit par dire Brenn avec méfiance. Si j'avais une sœur qui

pouvait me faire sortir et des motivations comme les tiennes, je n'hésiterais pas une seule

seconde. Je serais même déjà dehors.

Eyrin esquissa un sourire en demi-teinte et regarda leurs trois visages éprouvés, l'un après

l'autre, avant de répondre :

 Si demain je devais sortir, je serais condamné à rester cloîtré chez moi, caché de tous,

puisque mon nom figure dorénavant sur les registres d'affectation de l'Expéria. Pas question

alors de croiser qui que ce soit à l'extérieur. Donc contrairement à l'idée que vous pouviez

vous en faire, je suis finalement plus libre dans ce dôme qu'à l'extérieur. D'ici, grâce à ma

sœur toujours, je pourrais me tenir informé de ce qu'il se passe à l'extérieur et orchestrer la

suite des choses sans que personne ne se doute de rien. Mais ça, Meydân ne le voit pas

encore. La peur l'aveugle mais je finirai bien par lui faire entendre raison, ça ne m'inquiète

pas.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 44


Rix hocha la tête de bas en haut avant de regarder Brenn et Gaële avec attention. Ces

derniers semblaient commencer à gagner en admiration pour Eyrin.

 As-tu déjà pensé à la suite des événements ? se permit Rix.

 Je ne fais que ça depuis que je suis entré ici, répondit-il.

 Comment comptes-tu t'y prendre alors ? enchaîna Gaële.

Le sourire d'Eyrin, jusqu'alors mesuré, se mit finalement à briller de mille feux en percevant

enfin la confiance dans le regard de ses nouveaux alliés.

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7

Entre deux feux

 Et… voilà ! s'exclama Meala en tendant les mains en direction d'une porte entrouverte.

Après quelques secondes d'hésitation, Silhaée sortit enfin de la seule chambre de la petite

maison de campagne de Wayen. Elle avait troqué sa casaque jetable et le gros pull de Jayden contre

une tenue prêtée par Meala. Pour la première fois de sa vie, la jeune femme portait un jean (dont la

texture semblait la perturber à la manière dont elle passait ses mains sur ses cuisses), un chemisier

crème à l'encolure aussi large que ses épaules et un gilet sans manche à la coupe asymétrique.

 Regarde ce qu'elle est belle comme ça ! lâcha Meala satisfaite.

 Tu… Tu es… superbe, balbutia Dean dont les joues commençaient à rosir bien malgré lui.

 Merci… Merci beaucoup, répondit Silhaée manifestement touchée par leur bienveillance.

 T'en ferais tourner des têtes dans cette tenue, lui dit Meala. Si on sortait, je paraîtrais bien

pâle à côté de toi.

 Si on sortait ? répéta-t-elle.

Son manque d'expérience sur les activités de la vie « normale » ne lui permettait pas de

comprendre le sens de cette expression.

 Ben si on allait boire un verre en ville ou si on sortait faire un peu de shopping par exemple,

lui précisa-t-on.

 Ce serait tellement incroyable de faire toutes ces choses ! s'exclama Silhaée.

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 Woh woh, les temporisa Dean. Nous n'en sommes pas encore là. Pour l'instant les sorties

sont proscrites et cette situation risque de durer encore un bon moment.

 On a le droit de rêver un peu en attendant, rétorqua Meala blasée.

 Attendez, les interrompit Silhaée. Qu'on se le dise ; vous ne m'avez pas sorti du dôme pour

m'enfermer des mois voire des années dans un espace de vie cent fois plus petit que le

précédent ? Si c'était l'idée c'est hors de question.

Meala et Dean furent instantanément pris au dépourvu. Le regard soudainement plus sombre

de leur protégée venait de leur faire réaliser une chose : son désir de vivre était bien plus intense que

leurs interdictions, plus intense encore que sa propre raison.

 Écoute… débuta Dean avant de s'interrompre brusquement.

Ce dernier venait d'apercevoir par l'une des fenêtres de la maison un véhicule inconnu

entrant à l'instant dans leur cour privée.

 Dans la chambre, maintenant ! ordonna brusquement Dean.

Les filles s’exécutèrent sans plus attendre tandis qu'il s'approchait lentement de la porte

d'entrée de la maison.

 Qui ça peut-être ? … murmura Silhaée à l'intention de Meala.

 Chuut… répondit-elle à peine.

Et alors que les deux femmes retenaient désormais leurs respirations, le tintement de la

sonnette raisonna à leurs oreilles… Dans les secondes qui suivirent, elles n'entendirent que de brefs

échanges verbaux, assourdis par l'épaisseur des murs. Puis la voix de Dean se fit bien plus audible,

leur permettant ainsi de comprendre que ce dernier se rapprochait rapidement de la chambre.

 Là ! murmura Meala en indiquant à Silhaée un petit espace entre la tête de lit et le mur du

fond, soit juste ce qu'il fallait pour que la jeune femme puisse s'y glisser discrètement.

Mais avant même qu'elle ait eu le temps de rejoindre l'endroit indiqué, la porte de la

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chambre coulissa, dévoilant ainsi le visage soulagé de Dean… Et celui d'une seconde personne que

Meala reconnut instantanément :

 Mlle Hederling ! s'exclama cette dernière soulagée. Vous êtes enfin venue…

 « Meydân », il faut m'appeler « Meydân », dit-elle. Et me tutoyer surtout.

Dans ce même temps, Silhaée observa la nouvelle arrivante avec une utile curiosité. Ses

cheveux blonds, presque blancs, aux reflets argentés et cette peau pâle lui rappelèrent sans aucun

doute les traits de celui pour qui elle avait désormais énormément de reconnaissance.

 Bonjour Silhaée, dit enfin Meydân d'une douce voix.

 Bonjour, répondit cette dernière sur la réserve.

 Tu n'as pas de craintes à avoir, je suis de votre côté, dit-elle comme pour tenter de diminuer

ses inquiétudes. Je me présente, je suis…

 Je crois savoir qui vous êtes, l'interrompit Silhaée. La cheffe de projet en recherche clinique,

fille du directeur du groupe et petite fille du fondateur de LEXO.

Meydân sembla quelque peu décontenancée devant l’étalage de son propre curriculum vitae.

 Oui c'est vrai, acquiesça-t-elle. Mais je…

 Comment va votre frère ? la coupa Silhaée une seconde fois.

Cette dernière avait appris le lien familial qui unissait Meydân et Eyrin grâce aux multiples

conversations qu'elle avait eu avec ses hôtes depuis son réveil.

 Eyrin… dit-elle comme affectée par cette simple pensée.

 Oui Eyrin, répondit Silhaée sans un trémolo dans la voix. J'espère sincèrement pour vous

qu'il va bien.

Les yeux de Meydân s'arrondirent devant le ton impérieux pris par la jeune femme.

 Il va bien, à la hauteur de sa situation, répondit-elle comme vexée par ses insinuations. Je

suis là pour ça d’ailleurs : pour lui, pour lui venir en aide.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 48


 C'est un bon début, dit Silhaée d'un ton toujours égal.

 Il faut l'excuser Mlle Hederling, elle a cru comme nous que vous aviez quitté le navire… lui

expliqua Meala.

 Bien sûr, dit Meydân en affichant une moue indescriptible. Eyrin vient d'être affecté à

l'Expéria, Silhaée est tout aussi en danger qu'elle ne l'était chez LEXO et moi, dans tout ça,

je « quitterais le navire ». C'est logique ça, très logique…

 Ne le prenez pas comme ça Mlle Hederling… dit alors Dean.

 Meydân ! Appelez-moi Meydân ! bondit-elle. C'est terminé les « vous », les « Mlle

Hederling », on en est plus là aujourd’hui ! Avez-vous vraiment conscience de ce qu'il s'est

passé ces dernières vingt-quatre heures ?!…

Dean et Meala ne surent plus quoi répondre, où poser leurs regards. Silhaée, elle, semblait

soudainement bien plus attentive.

 Nous n'avons pas seulement sauvé une âme ! dit Meydân en pointant Silhaée du doigt. Nous

sommes en train de porter un projet bien plus grand, bien plus lourd de sens… de

conséquences… Nous risquons de renverser le système tout entier ! …

Les yeux de la jeune femme hurlaient son angoisse autant que son envie de se battre, ce qui

n'échappa pas à l’œil décortiqueur de Silhaée.

 Merci, dit soudainement cette dernière.

 Merci ? répéta Meydân incomprise.

 D'avoir pris le temps de nous convaincre de ta position, non mieux ; de ta motivation.

Le visage tendu de Meydân se lissa alors progressivement jusqu'à ce que la contrariété cède

sa place au soulagement.

 J'en conclue que vous êtes maintenant prêts à entendre ce que je suis venue vous dire ?

rebondit-elle. Parce que j'ai peu de temps devant moi et une quantité importante

d'informations à vous transmettre.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 49


 Ne perdons plus de temps alors, lança Dean ragaillardi par la tournure que prenait enfin la

conversation.

Puis il s'écarta de l'ouverture de porte et fit signe aux filles de retourner s'installer dans le

séjour.

Meydân leur expliqua dans un premier temps le contenu de la réunion à laquelle elle avait

assisté le matin-même, aux côtés des hauts dirigeants de LEXO et de leur NUPE. Puis elle en vint

au petit aparté imposé par son père.

 Il se doute clairement de quelque chose, c'est indéniable, acquiesça Dean.

 Ce qui est sûr en tout cas c'est qu'il va chercher en ce sens, répondit Meydân. Et qu'il est

possible qu'il arrive à trouver de quoi me faire tomber.

 Non c'est impossible, la contredit-il. Votre plan à Eyrin et toi était indécelable. Vous aviez

pensé à tout.

 Et Jayden avait tout bouclé pour qu'on ne retrouve rien : aucune image, aucune donnée,

compléta Meala.

 Oui c'est vrai… reconnut la cheffe de projet. Mais l'absence inattendue de mon frère aura

fait perdre toute la fluidité à notre plan...

Sur ces mots, elle se redressa et se réinstalla convenablement dans le fauteuil dans lequel

elle s'était enfoncée au fil de la conversation. D'une main délicate, elle saisit ensuite l'un des biscuits

que Dean avait mis à leur disposition et le grignota en deux crocs. Puis elle tamponna du bout du

doigt les quelques miettes éparses qu'elle avait abandonné maladroitement sur la table en verre.

 Des empreintes… dit soudainement Silhaée.

 Des empreintes ? répéta Meala incomprise.

Silhaée pointa du doigt les traces laissées par la pulpe de l'index de Meydân sur le verre de

la table.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 50


 Si ton père faisait faire des relevés d'empreintes dans les locaux et arrivait à remonter jusqu'à

toi ? dit-elle à l'intention de Meydân.

 Je n'ai pas pris part directement à ton sauvetage, la rassura cette dernière. Je suis restée du

début à la fin de l'intervention dans mon laboratoire.

 Toi oui mais ce n'est pas le cas de ton frère… fit-elle remarquer. Et si votre père a des doutes

sur l'un, il suspectera forcément l'autre…

Meydân hocha négativement la tête, la confiance éclairant son visage.

 Dans un sens tu as raison, mais même dans le cas où nous retrouverions des empreintes

d'Eyrin, je ne pense pas que l'on puisse faire le lien avec toi… avoua-t-elle. Nous nous

étions fixés pour objectif strict de ne laisser aucune trace de ton passage en dehors de la salle

de surveillance post-interventionnelle. Les garçons devaient organiser ton transfert dans le

drap de transport de ton brancard. Ils devaient te glisser dans la bouche d'évacuation sans

que tu n'aies besoin de mettre un pied au sol…

 Bien sûr, j'entends tout ça, l'interrompit Silhaée. Je sais que vous avez pris toutes les

précautions qu'il fallait prendre. Mais si ton père avait des doutes sur ton implication dans

ma disparition et qu'il venait à faire le lien avec Eyrin, il lancerait peut-être des démarches

de pistage de ses empreintes à lui. Non pas dans le but d'essayer de trouver les miennes

auprès des siennes, mais plutôt dans le but de retracer le listing des pièces où Eyrin a pu

aller sans y être invité… Comme la salle d'évacuation des déchets…

 Oh putain… lâcha alors Dean spontanément.

Le regard relativement confiant de Meydân sembla se briser brutalement.

 Si ton père songeait à explorer cette piste, termina Silhaée, il ne mettrait malheureusement

pas longtemps à faire le lien entre ma sortie programmée et la présence d'Eyrin à proximité

d'une trappe d'évacuation…

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 51


- Plit Plit Plit -

Le compagnon de Dean se mit soudainement à danser sur la table basse, affichant sur sa tête

cubique le nom de « Jayden ». Sans plus attendre, Dean décrocha et enclencha dans ce même temps

la fonction Face Time1 du compagnon.

 Oui Jayden ? le lança Dean.

 « Comment ça va ? Oh Meydân ! Tu as réussi à venir finalement ?»

 Je n'ai surtout pas eu le choix, dit-elle. Il fallait que je vous transmette les dernières

nouvelles. J'espérais te croiser au réfectoire ce midi pour te parler mais je ne t'y ai pas vu.

 « J’ai préféré manger sur le pouce vu mon retard du matin. Mais tu aurais pu descendre au

Transiteur ?»

 J'ai préféré éviter. Mon père a de sérieux doutes sur mon implication dans l'enlèvement de

Silhaée et il me l'a fait savoir après la réunion de ce matin. J'ai préféré du coup éviter

d'éveiller davantage les soupçons en venant te rendre visite dans un secteur où je ne mets

naturellement jamais les pieds…

Jayden acquiesça d'un signe de tête positif.

 « Qu’est-ce que ton père t'a dit exactement ? Et la réunion, qu'est-ce ça a donné ?»

 C'est un peu long. Dean, Meala et Silhaée te feront le debrief de notre conversation. Il va

falloir que j'y aille. Ça fait déjà plus d'une heure que je devrais être rentrée chez moi. J'ai

prétexté un mal de ventre pour pouvoir m'éclipser du travail pour la demi-journée restante. Il

faut que ce soit crédible.

 « Ça marche. Bonne route alors et surtout pense bien à activer le programme sur ton auto-

traqueur ».

L'auto-traqueur n'était rien d'autre qu'un logiciel GPS intégré dans chaque véhicule, retraçant

Visioconférence.
1

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 52


en systématique chaque route empruntée, chaque arrêt effectué. Jayden avait donc créé sur la

voiture de chacun des collaborateurs du sauvetage de Silhaée, un programme qu'il leur fallait activer

quand ils décidaient de rejoindre la maison de Wayen. Ainsi, l'auto-traqueur enregistrait une route

s'approchant au plus près d'un trajet habituel (type maison-travail) et protégeait informatiquement le

secret du point de ralliement.

 Tu peux compter sur ma vigilance à ce sujet-là, le rassura Meydân. Ma position personnelle

est trop inconfortable pour faire une telle erreur.

 « Bien. Dean, Meala, je serai de retour comme prévu en fin de journée. Disons, d'ici une

heure… Une heure et demie max. Vous pourrez ensuite rentrer chez vous comme nous

l'avions prévu. »

Les deux compères acquiescèrent avant de voir Jayden interrompre la conversation.

 Aller cette fois il faut que j'y aille, annonça Meydân en se levant de son fauteuil. Merci de

m'avoir reçu et écouté.

 Merci à toi d'être venue, répondit Meala.

 Tiens-nous au courant quand tu le pourras de la suite des choses, ajouta Dean.

 Je vais faire mon maximum, dit-elle. Mais sans mon compagnon, je ne vous promets rien.

Tiens d'ailleurs j'allais oublier…

Elle sortit de sa poche un post-it sur lequel était inscrite la référence de son compagnon,

celle nécessaire à Jayden pour réaliser le Black-Reset dont il lui avait parlé.

 Transmettez ça à Jayden. Il est crucial qu'il puisse détruire toutes traces des données vous

concernant dans la mémoire de mon compagnon.

 Compte sur nous, répondit Dean en récupérant le papier avant de raccompagner la jeune

femme à l'entrée de la demeure.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 53


Sur le temps de trajet la séparant de chez elle, Meydân ressentit une étrange sensation,

comme une forme d'appréhension. C'était comme si elle arpentait une pièce nue, plongée dans

l'obscurité la plus totale tout en sachant que l'espace demeurerait complètement vide ; il lui était

impossible d'avancer autrement qu'à petits pas, bras tendus, gorge serrée. Comme si quoi qu'elle en

sache, la crainte déraisonnée d'un obstacle imaginaire sur son passage lui imposait de devoir être en

constante vigilance. Elle s'apprêtait à rejoindre sa demeure où elle se reposerait tranquillement en

attendant de voir son fiancé rentrer du travail quand elle tenta de tordre le cou à une angoisse

montante… Elle ne pouvait s'empêcher de ressentir comme une sorte de « mauvais pressentiment »,

inexplicable… mais peut-être pas si déraisonné que cela.

Après une petite heure de route, Meydân arriva enfin chez elle. La grande maison était

entourée d'une cour l'encerclant de moitié. La jeune femme s'en alla donc garer sa voiture à l'arrière

de celle-ci, là où deux larges garages accueillaient les véhicules du couple, puis rejoignit l'entrée

secondaire à l'arrière de la maison. Tout en fouillant dans son sac à main, Meydân grimpa un

magnifique escalier extérieur sculpté la conduisant directement sur une belle terrasse ensoleillée.

Elle s'arrêta ensuite devant la porte vitrée d'accès à l'intérieur et leva la tête.

 Coucou ma chérie.

 WOAW ! bondit brusquement Meydân.

La présence inattendue de sa mère, assise sur l'un des fauteuils du salon de jardin de la

terrasse, venait de lui provoquer un sursaut sans égal.

 Oh excuse-moi je ne voulais pas te faire peur, dit Rosamine en se levant prestement. Je

pensais que tu avais vu ma voiture devant.

Meydân plaqua sa main sur sa poitrine. Son cœur battait la chamade comme jamais.

 Je ne l'ai même pas remarqué, j'avais l'esprit ailleurs en arrivant, dit-elle en abandonnant son

sac à main devant la porte pour retrouver sa mère.

Les deux femmes s'étreignirent avant de s'installer de nouveau dans les fauteuils du salon

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 54


extérieur.

 Que viens-tu faire ici ? lui demanda Meydân.

 Te voir, répondit sa mère avec évidence.

 Tu ne viens jamais sans me prévenir à l'avance, fit-elle remarquer.

 Oui mais tu admettras que c'est un peu difficile de te joindre depuis qu'on t'a réquisitionné

ton compagnon pour l'enquête.

 C'est vrai… dit-elle comme regrettant d'avoir douté de la bienveillance de sa présence.

Hum… Je te serre quelque chose ?

 Café noisette !

Meydân se pencha alors sur la table basse du salon de jardin, posa sa main sur un disque

sombre en son centre et attendit que les contours clignotent pour commander oralement :

 Deux cafés noisette, dit-elle avant de relâcher l'appui.

Puis elle se réinstalla dans le fond de son fauteuil et laissa un silence un peu étrange

s'installer entre elles.

 Bon je vais être honnête avec toi, se lança Rosamine. J'ai eu Papa au téléphone tout à l'heure

qui m'a dit que tu étais souffrante. Il avait l'air inquiet pour toi.

 C'est lui qui t'as demandé de passer me voir ?

 Ton père n'a pas besoin de me demander ça Trésor, rétorqua sa mère. Si je suis là c'est que je

le veux bien. Et dès que j'ai su que ma fille n'allait pas bien, je me suis sentie obligée de lui

rendre visite.

Cette réponse n'avait malheureusement rien d'éclairant. Il fallait donc que Meydân trouve un

autre angle d'attaque pour lui permettre d'ôter ce terrible doute qui commençait à la ronger.

 Depuis combien de temps tu m’attends ? … dit-elle alors.

 Je ne sais pas… Je dirais une vingtaine de minutes peut-être.

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Sur ces mots, la jeune femme souffla intérieurement. Avec un peu de chance, sa mère

ignorait l'heure à laquelle elle avait quitté LEXO, ce qui lui laissait carte blanche sur la narration de

ses dernières activités.

 Alors qu'est-ce qui t’arrive ? demanda enfin Rosamine.

 Oh, rien de bien grave… J'étais barbouillée voilà tout…

Rosamine sourit timidement avant de poser une main sur le genou de sa fille.

 Tu sais c'est difficile pour moi aussi… dit-elle fébrile.

Meydân constata que ses yeux s'étaient emplis de larmes.

 Eyrin me manque à moi aussi… Je n'arrive pas à me faire à son affectation… À réaliser…

Rosamine avait tiré des conclusions par elle-même. Elle associait l'état de sa fille à

l'affectation d'Eyrin dans l'Expéria. L'idée n'avait rien de saugrenue, elle était même plutôt logique

et justifiait surtout parfaitement bien son départ prématuré de LEXO.

 C'est comme s'il était parti en vacances pour le moment… renchérit alors Meydân.

 … Comme s'il allait rentrer dans quelques jours… quelques semaines tout au plus…

compléta sa mère.

Au même moment le disque sombre au centre de la table basse émit un léger tintement puis

se fendit en deux pour laisser place à la montée d'un petit plateau de service. Les deux cafés noisette

venaient de leur être servis par le préparateur automatique en cuisine. Meydân saisit alors les tasses,

ôta les couvercles de protection et en tendit une à sa mère qui la saisit d'une main tremblante.

 Maman… dit alors Meydân en la sentant sur le point de craquer.

 Excuse-moi ma chérie, dit-elle en ravalant sa peine. Je ne voulais pas ajouter ma douleur à la

tienne. C'était une mauvaise idée de passer…

Puis elle but son café en deux longues gorgées et se leva.

 Non tu peux rester… lui dit Meydân.

 Je ne préfère pas… Tu n'es pas en état de supporter ça…

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 56


Meydân n'insista pas davantage. Sa mère avait raison, elle ne se sentait pas la capacité de

réconforter qui que ce soit au vu de ses actuelles préoccupations. Elle se leva donc à son tour et prit

néanmoins quelques secondes pour enlacer tendrement sa mère.

 Merci quand même d'être venue… dit-elle avec sincérité.

Sa mère ne répondit rien, ou du moins pas directement. Son visage logé dans le cou de sa

fille, elle sembla murmurer quelque chose du bout des lèvres, comme si elle répétait le début d'un

discours. Meydân relâcha alors sa mère et la regarda avec curiosité.

 Qu'y a-t-il ? … dit-elle inquiète.

Le regard de Rosamine était bas, sa bouche pincée. Elle semblait comme tiraillée entre deux

feux.

 Dis-moi ? insista Meydân.

Mais sa mère n'en fit rien et préféra l'embrasser furtivement avant de disparaître, emportant

avec elle d'éventuels secrets qu'elle n'avait pas sus lui dévoiler.

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8

Box Huit

Le départ de sa chambre privée n'avait pas posé beaucoup de problèmes à Eyrin. Tout n'avait

été qu'une question de timing et de discrétion. Son retour vers le centre de soins continus n'allait en

revanche pas être aussi simple à orchestrer.

 Si vous ne me revoyez pas demain, n'oubliez pas ce qu'on s'est dit, précisa Eyrin à Brenn,

Rix et Gaële. Aile Ouest, premier couloir à gauche.

Ses nouveaux complices approuvèrent une fois encore l'information et le laissèrent partir

seul de leur résidence. Il fallait être discret, limiter les risques de les apercevoir ensemble. Eyrin

retraversa donc avec prudence le dôme en prenant le soin d'adopter une attitude des plus naturelles.

Son pas était décontracté, son regard tranquillisé jusqu'à ce qu'il entre dans le hall du centre de soins

continus et disparaisse furtivement dans les escaliers de secours du bâtiment. Une fois encore il

n'avait croisé personne dans l'entrée, ce qui lui permettait de regagner ses quartiers sans la moindre

inquiétude.

En franchissant enfin la porte de sa chambre, un sourire malicieux barra son visage avant de

disparaître de la même façon qu'il était né.

 Te voilà enfin, dit Erdowel assis sur l'une des chaises de son espace de vie.

 Jack… s'exclama Eyrin tout en sentant le sang lui monter aux joues.

 Où étais-tu ? lui demanda le médecin en se levant lentement de l'assise.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 58


 Je… je cherchais quelqu'un… un soignant, mentit-il en tentant de faire passer son malaise

pour un mal-être. Je vis mal l'enfermement…

 Tu as conscience que tu encours de grands risques à transgresser les consignes que nous

t'avons donnée ? Il ne faut pas que tu sortes de cette chambre si tu veux espérer pouvoir

sortir du dôme un jour. C'est primordial.

 Oui… je le sais… dit-il faussement désolé.

 Comme chaque patient-testeur ici, tu as une commande d'appel d'urgence si tu en ressens le

besoin.

Erdowel montra du bout du doigt le boîtier présent à côté de sa porte d'entrée.

 Oui, je le sais… mais j'avais seulement besoin de voir du monde, se justifia-t-il. Je ne

pouvais pas sonner pour demander à un curateur de rester avec moi, ça n'aurait eu aucun

sens. Alors j'ai choisi de sortir d'ici pour observer les autres, en me faisant le plus discret

possible sachez-le.

L'agacement sur le visage d'Erdowel laissa progressivement place à une forme de

compréhension qu'il transforma en une tape amicale dans le dos du jeune homme.

 J'entends tout ça, dit-il. Mais il m'est impossible d'autoriser cette demande. Il faut que tu

comprennes que si qui que ce soit venait à te croiser et remarquait ton absence par la suite à

ta sortie du dôme, nous risquerions gros ton père et moi.

 Oui je le sais, acquiesça Eyrin. Mais comme nous ne savons pas quand ma sortie aura lieu,

ni même si elle aura lieu, je ne me vois pas rester seul ici jusqu'à ce que la maladie s'empare

massivement de mon organisme…

 Ça n'arrivera pas, rassure-toi. Je passais justement à la base pour te dire que les articles de ta

charte de silence étaient en cours de rédaction. Nous vérifierons bientôt l'efficacité de ton

traitement de stérilisation et tu seras enfin libre.

 Libre d'être de nouveau enfermé… répondit-il malgré lui.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 59


 Tu seras toujours mieux chez toi qu'ici, rétorqua Erdowel avec optimisme.

Eyrin eut envie de le contredire et de lui dépeindre ce à quoi pouvait ressembler un

quotidien aux côtés de son père. Mais face à l'amitié fidèle que les deux hommes se vouaient depuis

de nombreuses années, il se ravisa.

 Bien, clôtura Erdowel. Je suis désolé mais j'ai déjà perdu un bon quart d'heure à te chercher

dans le centre, dix minutes encore à t'attendre dans ta chambre, alors maintenant il faut que

j'y aille.

 Oui… répondit le jeune homme la mine basse.

Le médecin s'apprêtait à sortir de la chambre quand il s'interrompit encore une seconde.

 Nous faisons notre maximum pour toi Eyrin, dit-il avec sincérité. Alors s'il-te-plaît, fais-moi

plaisir : ne sors pas d'ici.

Le jeune homme afficha une moue embêtée. L'idée d'être limité dans ses déplacements

n'était pas une bonne nouvelle pour la suite des événements.

 Est-ce que je pourrai au minimum me promener dans les secteurs du centre de soins

continus ? tenta-t-il de négocier. Les patients-testeurs actifs sont dans un tel état qu'ils ne

remarqueront pas ma présence et encore moins mon absence à ma sortie.

 Les actifs non, mais leurs visiteurs, les patients-testeurs inactifs, oui, précisa-t-il. En

conséquence, tout ceci me paraît un peu périlleux vois-tu… Et nous avons déjà trop de

problèmes majeurs à régler en ce moment pour en ajouter d'autres.

 Mais les heures de visites sont limitées non ? rebondit Eyrin. Je pourrais peut-être circuler

dans le centre en dehors de ces créneaux… La nuit par exemple ?

Erdowel fronça légèrement les sourcils avant de faire rouler ses lèvres l'une sur l'autre.

 Écoute je vais tâcher d'y réfléchir mais je ne te promets rien, dit-il. Encore une fois je ne

veux prendre aucun risque.

 Je comprends, acquiesça Eyrin. Mais de la même façon, à mon tour, je ne vous promets rien

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 60


non plus…

 Comment ça ? tiqua le médecin.

 Je vais tâcher de rester dans cette chambre, comme vous me l'avez demandé, mais sachez

qu'il n'est pas impossible que mes envies l'emportent sur ma raison.

Surpris de ce revers inattendu, Erdowel plongea alors son regard dans celui d'Eyrin et lut en

un instant sa détermination, cette même détermination qu'il avait l'habitude de retrouver dans les

yeux sombres de son père.

 Bien… dit-il.

Puis il quitta enfin la chambre en peinant à masquer les traits du tracas sur son visage.

Atân n'avait pas quitté son bureau depuis le matin, débordant de travail comme un débutant.

Il fallait dire que la multiplicité de ses missions ne lui facilitait pas la tâche.

- Toc Toc -

 Monsieur Hederling… murmura maladroitement sa secrétaire.

 Maddy… répondit Atân glacial. Vous comptez me déranger comme ça toutes les heures ?

 C'est important…

 TOUT est systématiquement important avec vous, s'emporta-t-il. Alors maintenant vous

allez me faire le plaisir de trier les problèmes et ne frapper à cette porte que si vous jugez

qu'il est vraiment nécessaire de le faire !

La jeune femme hocha positivement la tête sans pour autant faire demi-tour.

 Et bien ?! s'impatienta Atân.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 61


 Il me semble qu'il est important que vous soyez informé du dernier T-mess qui vous a été

adressé Monsieur, dit-elle en feintant maladroitement l'assurance. Il s'agit d'un courrier de

l’Orateur : Monsieur Altwood attend encore votre rapport définitif sur les accords de

fabrications des vaccins anti ERR-6. Sa secrétaire m'a transmis les différents documents de

lancement des campagnes vaccinales sur l'intégralité des NUPE. De leur côté… ils sont

prêts.

 Quoi ?! C'est tout à fait ridicule ! s'emporta-t-il. Je n'ai pas encore obtenu les accords

financiers de nos partenaires, comment veulent-ils que je leur transmette un rapport

définitif ?!

Maddy resta silencieuse, le regard bas. Elle le savait ; dans ces moments-là, il ne valait

mieux pas contredire son patron.

 Répondez-leur que de notre côté, nous ne sommes pas prêts, dit-il sèchement. Et rappelez

également à Jodd Altwood que la fabrication de milliards de doses prend légèrement plus de

temps que la préparation d'une campagne vaccinale !

Maddy acquiesça l'information d'un signe de tête et disparut de nouveau derrière la porte.

Atân quant à lui se réinstalla convenablement dans le fond de son fauteuil, les coudes solidement

appuyés sur son bureau, avant d'inspirer et d'expirer bruyamment. Puis il reprit le travail sur lequel

il se penchait depuis plusieurs heures maintenant : l'organisation de battues d'investigation destinées

à retrouver au plus vite le sujet expérimental UJI.

Après le départ d'Erdowel, Eyrin s'était allongé quelques instants sur son lit. Épuisé par ses

dernières émotions, il avait fini par s'endormir sans même s'en rendre compte.

 Monsieur Hederling… murmura-t-on à son oreille.

La voix fine d'une femme lui fit rouvrir brusquement les yeux. Une curatrice se tenait là,

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 62


juste devant son lit. Son visage était à peine distinguable tant la luminosité dans la pièce s'était

affaiblie.

 Quelle heure est-il ? demanda Eyrin en se redressant brusquement.

 19h30…

 Merde… dit-il en réalisant qu'il avait dormi toute la journée.

 Je suis désolée mais il faut que vous mangiez. Je n'ai pas osé vous réveiller ce midi mais là

je n'ai plus le choix. Le règlement de l'Expéria impose la prise minimum de deux repas par

jour sinon il faudra faire un signalement au médecin. Et comme vous n'avez presque pas

touché à votre petit-déjeuner ce matin non plus…

 Oui oui je comprends, dit-il en se frottant le visage pour accélérer le processus de réveil.

Merci Mademoiselle.

La jeune femme lui sourit puis repartit en direction de la porte de chambre avant de se

souvenir qu'elle avait oublié une précision de taille.

 Ah oui et je vous ai déposé ceci, dit-elle en lui indiquant un paquet rectangulaire déposé sur

une chaise.

 Qu'est-ce que c’est ? dit-il en s'en approchant avec crainte.

 Une tenue de curateur de la part du Docteur Erdowel. Vous avez son autorisation pour

circuler avec dans les couloirs du centre de soins continus entre minuit et quatre heures du

matin uniquement.

Sur ces mots, les yeux noirs d'Eyrin s'arrondirent. Le médecin avait entendu sa demande et

répondu en partie à cette dernière. Bien entendu il ne l'autorisait pas à quitter sa chambre au grès de

ses envies, mais il lui offrait une brèche non négligeable qui lui permettrait peut-être de continuer

de communiquer avec Brenn, Rix et Gaële.

 Magnifique, dit Eyrin ravi. Vous remercierez Jack de ma part.

 Il m'a dit que vous auriez cette réaction et qu'il vous demandait de respecter vos

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 63


engagements à votre tour. À savoir ; respecter les horaires de sortie et le périmètre autorisé.

 Je n'y manquerai pas, dit-il soulagé.

La curatrice lui adressa alors un sourire satisfait avant de quitter la pièce en silence. Et ce

n'est que lorsque la porte se referma complètement qu'Eyrin bondit de joie sans plus aucune retenue.

Quand minuit arriva, Eyrin revêtit comme prévu sa tenue de curateur et sortit de sa chambre

avec précaution avant de se souvenir qu'il n'avait pas de raison de se comporter de cette façon grâce

à son accoutrement. Il marcha alors d'un pas plus sûr dans les différents couloirs du centre, croisant

à plusieurs reprises les curateurs de nuit qui semblaient avoir tous été informés de cette situation des

plus particulières. Assez hasardeusement, il entra donc dans les îlots des différents pôles du centre

de soins continus, se baladant d'espace en espace sans réellement s'arrêter quelque part.

Officiellement, sa demande de sortie n'était motivée que par un seul désir : « celui de voir du monde

». Il fallait donc qu'il se fasse voir pour être crédible, que son comportement soit en parfaite

adéquation avec son discours avant d'essayer de développer d'autres ambitions.

 Bonsoir, dit un curateur alors qu'il franchissait de nouveau la porte d'un énième îlot de

surveillance.

 Bonsoir, répondit Eyrin en approchant timidement des équipes de soins.

 Vous pouvez entrer, l'invita une autre curatrice en lui indiquant un fauteuil près d'elle.

Cette dernière semblait se montrer plutôt sympathique avec lui tandis que les autres

oscillaient entre une parfaite neutralité et un comportement flirtant avec l'amertume. Il fallait dire

que tous étaient au courant de sa position de « fils du grand patron ». Ils avaient donc une idée bien

précise de l'origine de ses passe-droits et savaient également que sa sortie était envisageable,

envisagée voire imminente ; détail qui n'avait de cesse d'amplifier l'injustice et l’écœurement chez

les autres.

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 Je peux ? … dit-il en pointant un fauteuil du doigt.

 Bien sûr, répondit-elle.

Puis la curatrice tapota à plusieurs reprises sur ses écrans de contrôles afin d'enregistrer les

données médicales de chacune des cellules occupées par un patient-testeur actif.

 Tu es Eyrin, c'est ça ? dit-elle ensuite.

 Euh oui… balbutia-t-il surpris par sa proximité.

Elle était la première à le tutoyer, la première à engager un départ de conversation avec lui.

 Je m'appelle Joa, compléta-t-elle. Enchantée.

 De… de même… bredouilla-t-il confus.

 Ne te méprends pas ; je n'ai pas le béguin pour toi, ajouta-t-elle en souriant de toutes ses

dents.

Eyrin ne put s'empêcher de rire puis de rougir.

 Je suis simplement une ancienne copine d'école de ta sœur, précisa-t-elle enfin. Quand tu es

entré dans le dôme, Meydân m'a demandé de m'assurer que tout allait bien pour toi. Sauf

que je n'avais pas ta chambre dans mon secteur de surveillance, donc difficile pour moi de

pourvoir faire ce qu'elle me demandait…

 Je comprends mieux…

 Tu peux rester ici jusqu'à la fin de ta perm' si tu veux, ta sœur n'en sera que plus rassurée.

 … Merci… répondit-il manifestement touché.

La curatrice ne put cependant pas s'attarder sur leur conversation car son travail lui

demandait une extrême concentration. De plus, un second curateur (dit « détaché ») venait toutes les

demi-heures s'assurer que sa collègue n'avait besoin de rien. Difficile en conséquence d'entretenir

une réelle conversation. Eyrin décida donc de s'occuper comme il le pouvait. Il commença d'abord

par griffonner sur une feuille de papier sans but précis puis il posa des calculs, toujours sans la

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moindre intention d'en faire quelque chose. Il finit ensuite par se pencher sur les écrans de contrôle,

scrutant les scopes avec attention, regardant la curatrice enregistrer les données les unes après les

autres sans discontinuer.

 Je peux me dégourdir un peu les jambes ? finit-il par demander en pointant du doigt les

cellules de soins autour d'eux.

 Oui mais ne fait pas de bruit, ils ont tous besoin de repos.

 Compte sur moi, dit-il en se levant délicatement de sa chaise.

Il marcha ensuite autour de l'îlot de surveillance, passant tranquillement devant chaque box.

Sur les dix lits présents, huit étaient occupés. Il y avait tous les sexes, tous les âges. Chaque porte

était habillée par une fiche identitaire numérisée récapitulant les informations du patient, de sa date

de naissance à son « traitement en cours ». Eyrin prit donc le temps de lire chaque pancarte et

d'observer chaque patient-testeur en leur promettant intérieurement qu'il ferait son maximum pour

ne pas les abandonner.

En s'arrêtant sur le dernier lit, sa réaction fut cependant très différente. Comme pour les

autres, Eyrin lut la pancarte présente sur la porte avant d'observer le visage de la patiente endormie.

Mais en découvrant les traits de celle-ci, il crut faire erreur.

 Qu'est-ce qu… dit-il à haute voix.

 Chuuut… murmura la curatrice depuis son poste de surveillance.

Eyrin jeta alors un second coup d’œil sur la pancarte identitaire, puis sur la cellule de soins

et trottina prestement vers la soignante.

 Est-ce que je peux entrer dans cette pièce ? demanda-t-il en pointant le box convoité.

 Pour quoi faire ?

 Il faut que je vérifie quelque chose.

 Hum… Et bien… Je suis désolée mais comme il faut que tu limites tes apparitions auprès

des patients-testeurs…

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 Aucun d'eux n'est capable de répéter ce qu'il a vu, ni même de prêter la moindre attention à

ma présence… rétorqua-t-il. Et je ne serai pas long… Je veux juste vérifier quelque chose,

c'est l'affaire de quelques secondes…

 … Juste une minute, pas plus.

Eyrin hocha la tête positivement puis trottina dans la direction opposée. Il entra alors à pas

de velours dans la cellule de soins et s'approcha de la même façon de la capsule dans laquelle une

jeune femme avait été installée. Une veilleuse bleutée éclairait le visage figé de cette dernière,

caressant ses traits fins avec douceur. Il n'en fallut pas plus à Eyrin pour reconnaître sans mal celle

qu'il avait côtoyée pendant tant d'années. La bouche grande ouverte, il resta immobile devant la

capsule de la patiente-testeuse avant de reculer d'abord maladroitement puis prestement jusqu'à en

ressortir.

 Joa ? interpella Eyrin.

 Chuuut ! … murmura de nouveau la curatrice.

 Il y a une erreur d'identité sur la pancarte, dit-il en se réinstallant derrière l'îlot de

surveillance.

 Une erreur ? C'est impossible.

 Je connais cette personne dans le box numéro huit. Il s'agit de Torana Filenn. Et il est écrit

un autre nom sur sa pancarte.

 Numéro huit… dit-elle en récupérant les informations concernant cette référence.

 Cette fille est une amie à moi, une amie de longue date, expliqua Eyrin. Et le nom sur la

pancarte n'est pas le sien.

 Je regrette mais il ne semble pas y avoir d'erreur, rétorqua la curatrice en tournant son écran

de contrôle vers Eyrin.

Il vit alors défiler le dossier de la patiente-testeuse sur lequel était affichée la photo de la

jeune femme, référencée sous un autre nom que le sien.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 67


 C'est une erreur… murmura-t-il.

 Je suis désolée mais il est impossible qu'il s'agisse d'une erreur. Tu l'as vécu toi-même à

l'entrée dans l’Expéria : nous réalisons de multiples contrôles identitaires très stricts. Alors

même si ça te paraît impensable, c'est sans doute toi qui fais erreur.

Eyrin ne répondit rien. Il observa encore un instant le dossier sur l'écran de contrôle puis se

leva de son fauteuil. L'air incompris, il marcha en direction du box huit et s'arrêta devant ce dernier.

Il regarda alors encore une fois le visage endormi de la patiente-testeuse, puis la pancarte identitaire

de sa porte et hocha négativement la tête. Non c'était impossible qu'il fasse erreur. Il était sûr de lui :

la personne allongée dans cette capsule, cette même personne avec qui il avait passé la majeure

partie de son enfance, était ici dans l'Expéria, référencée sous une autre identité. Son amie de

toujours, la jeune femme qu'il avait vu grandir au même titre qu'un membre de sa famille, était

entrée ici sans qu'il n'en sache rien. Et la raison n'était pas difficile à deviner ; Torana Filenn avait

été inscrite et intégrée dans le dôme sous un autre nom, celui de :

« Téziri Dalone ».

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 68


9

Les Outsiders

Silhaée était accoudée sur le rebord d'une fenêtre et observait un soleil de feu se coucher

derrière les collines dressées face à la maison de campagne de Wayen. Elle ne se lassait pas de

sentir les derniers rayons du jour réchauffer son visage. Elle en avait tellement rêvé, elle avait si

souvent tenté d'imaginer ces instants que les vivre aujourd'hui lui semblait relever du domaine de

l'irréel.

 C'est magnifique n'est-ce pas ? dit soudainement Jayden en sortant de la salle de bain, une

tenue fraîche sur les épaules.

Il était en train de nouer sur sa tête sa chevelure brun violine, dégageant le reste de son crâne

rasé et étirant encore un peu plus ses yeux déjà à demi bridés.

 C'est… indescriptible, répondit Silhaée émue. Je n'arrive pas à croire ce que je vois…

Jayden arriva jusqu'à la jeune femme et posa à son tour ses coudes sur le rebord de la fenêtre

pour observer la fin de ce splendide spectacle naturel.

 Quand je pense qu'il y a à peine deux jours, j'étais encore enfermée dans l'Expéria… ajouta-

t-elle.

 Et en danger de mort il y a vingt-quatre heures seulement… compléta Jayden aussi

abasourdi.

 Oui aussi… Ça non plus je n'arrive toujours pas à y croire…

Depuis sa sortie de LEXO, Silhaée avait pu poser de très nombreuses questions dont la base
UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 69
principale fut « Pourquoi ».

« Pourquoi l'avoir sorti en cachette ?»

« Pourquoi vouloir ce prélèvement ?»

« Pourquoi ne pas lui avoir parlé de tout ça ?»

« Pourquoi… »

Jayden et les autres n'avaient pas eu toutes les réponses mais ils avaient pris le temps de lui

raconter l'essentiel, ou du moins tout ce qu'ils savaient.

 J'ai été un cobaye pendant vingt-et-un ans… ajouta Silhaée. J'ai été leur chose, leur

instrument de recherches depuis toujours sans le savoir…

 Tu t'en sortiras, la coupa Jayden. Ça te prendra du temps, de l'énergie mais un jour tu leur

pardonneras. Tu leur pardonneras parce que tu réaliseras que ta séquestration a sauvé la vie

de milliards d'êtres humains. Et tu leur pardonneras parce que tu te seras élevée au-dessus de

tout ça, au-dessus de LEXO et de leurs méthodes plus que douteuses. Les conséquences

positives de leurs mauvais choix seront tellement plus grandes qu'elles surpasseront leurs

erreurs pour ne laisser que le positif… Toi.

Silhaée détourna son regard du soleil couchant pour adresser un sourire tendre à Jayden. Elle

regarda cet homme qu'elle ne connaissait pas vraiment et se perdit un instant dans son regard.

 J'ai l'impression de le revoir… dit-elle alors.

 De le revoir ?

 Wayen.

La simple évocation du nom de son frère fit monter instantanément les larmes aux yeux de

Jayden.

 Tu lui ressembles tellement, poursuivit-elle. Les traits de ton visage… Tes attitudes… Et

maintenant ton discours… Tout me fait penser à lui.

 Tu… Tu l'as connu ? demanda-t-il ému.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 70


 Un peu… Pas en profondeur. Mais nous nous sommes côtoyés par instant parce que nous

partagions la même mission de relayeurs. À l'époque j'étais encore une adolescente et lui un

jeune adulte réfléchi. Brenn, l'ami dont je t'ai parlé, était dans une mauvaise passe à ce

moment-là. Le moral n'était pas bon… Wayen a su trouver les mots pour l'aider, pour

m'aider à l'aider.

 Ils savaient les trouver…

 Comme toi, lui renvoya-t-elle. Tu as un grand cœur et je le vois. Sans toi, ta détermination,

ton envie d'aider ton prochain, je n'en serai pas là… Je ne serai plus là…

 Je te remercie pour tous ces compliments. Ils me vont droit au cœur. En revanche, en ce qui

concerne ta survie, je ne suis qu'un pion dans toute cette histoire. Eyrin est celui qui est à

l'origine de tout ça et il est le seul finalement à qui tu dois réellement ta survie.

 J'ai bien conscience de ça, dit-elle. D'ailleurs je voulais te parler de lui. Meala et Dean n'ont

pas tellement été capables de m'en parler au-delà de l'organisation de mon sauvetage. Ils

m'ont dit qu'il était déterminé à me sortir de l'Expéria, qu'il ne voyait plus que part ça ces

derniers temps.

 Oui c'est vrai, confirma Jayden un sourire au coin des lèvres.

Puis il fit signe à Silhaée de le suivre et se dirigea vers la cuisine en poursuivant ses

explications.

 Comment dire… réfléchit-il en ouvrant le réfrigérateur. Meala et Dean ont dû te le dire ;

Eyrin est le fils d'Atân Hederling, le grand patron du groupe LEXO.

Silhaée acquiesça d'un signe de tête et s'installa sur l'une des chaises de la cuisine.

 Tu connais maintenant les intentions de son père et jusqu'où il est prêt à aller pour la gloire,

continua-t-il. Dis-toi donc qu'Eyrin, lui, ne jure que par l'inverse de tout ça. Il a peut-être

suivi un parcours scolaire exemplaire, visant à rejoindre son père et sa sœur dans les grands

projets du groupe. Mais au fond, il n'avait envie que d'une chose : donner un sens à sa vie.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 71


Un doux sourire se dessina sur le visage de Silhaée. Elle repensait à Eyrin lorsqu'il était venu

la voir pour l'entretien pré-interventionnel. Il était si fébrile quand il avait recueilli ses informations.

Elle avait au départ pensé à de la timidité, mais elle ignorait à ce moment-là qu'il s'apprêtait à jouer

un étonnant coup de poker contre son propre père.

 Il a pris de grands risques… reconnut-elle.

 Oui… Je ne suis même pas sûr à l'heure actuelle qu'il réalise la portée de ses actes… Tout

comme le fait que je ne réalise pas que Silhaée Uji soit ici, dans la cuisine de mon frère…

Un sourire puis un rire leur échappèrent alors que Jayden sortait de quoi faire un bon petit

plat.

 J'espère ne pas être obligée de rester ici trop longtemps d'ailleurs… plaça-t-elle.

Désormais dos à elle, Jayden s'interrompit un instant dans sa préparation.

 Je sais que tu meurs d'envie de découvrir le monde extérieur, dit-il. Mais il faut que tu

comprennes que…

 Combien de temps vais-je devoir rester ici ? l'interrompit Silhaée en perdant brusquement

son sourire.

 Pour le moment je l'ignore… Les choses sont trop instables en l'état actuel....

 Tu sais que je ne resterai pas là indéfiniment…

 Tu auras bien le temps de découvrir le monde extérieur, crois-moi…

 Il ne s'agit pas de ça, le coupa-t-elle. Je me moque du monde extérieur, je me moque d'aller

boire un verre dans un bar ou d'aller me baigner dans l'océan. J'ai vécu vingt-et-un ans sans

espérer pouvoir le faire alors je peux attendre encore, crois-moi.

 Alors pourquoi vouloir à tout prix sortir d’ici ?

 J'ai des amis dans l'Expéria, dit-elle. Meala et Dean m'ont parlé des projets de LEXO pour

eux ; ils veulent les laisser mourir…

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 72


 Meydân ne compte pas les laisser faire, la contredit-il. Elle est en train de faire tout son

possible pour abattre les murs du dôme.

 Non tu te trompes. Elle fait tout ce qu'elle peut pour sortir Eyrin mais elle ne pourra rien

faire de plus pour les autres. Il faut en avoir conscience, il faut que tu en aies conscience.

LEXO abandonnera les recherches sur ses patients-testeurs et les laissera mourir dans

l'Expéria par simple souci d'économie.

Jayden se mordilla nerveusement la lèvre, ne sachant quoi répondre à des propos qu'il jugea

plutôt réalistes.

 Je sais que tu ne fais pas parti de ces gens qui pensent qu'ils continueront à les traiter,

renchérit-elle. Ce n'est pas moi qui vais te l’apprendre ; à cause du coût engendré par la

vaccination, ils n'ont plus l'argent, ils ne feront plus rien pour eux… Et le pire dans tout ça,

c'est qu'ils ne laisseront même pas ces pauvres gens rentrer chez eux pour autant…

 Rien n'est fait encore… glissa Jayden sans conviction.

 Bien sûr que si ; jamais ils ne prendront le risque de les laisser sortir et de voir s'accoupler

des porteurs défaillants du gène ERR-6 avec de nouveaux vaccinés. Les répercutions

seraient trop incertaines et ils ne veulent plus de scandale… Non, ils ne prendront jamais un

tel risque et tu le sais. Vous en avez tous conscience, vous me l'avez tous fait comprendre.

L'odeur émanant du four préchauffé rappela à Jayden qu'il était temps de s'occuper du repas.

Il commença alors à préparer le tout en prenant quelques minutes pour réfléchir aux propos de

Silhaée.

 … Et qu'est-ce que tu comptes faire en sortant d’ici ? lui demanda-t-il finalement. Parce que

si tu penses qu'un simple coup de poing sur le bureau d'Atân Hederling suffira à faire

changer les choses, tu fais erreur. Tu retourneras illico dans l'Expéria où ils te feront chanter

de toutes les manières jusqu'à ce que tu craches les noms de ceux qui t'ont fait sortir du

dôme. Puis après tu verras tes amis mourir un par un du gène ERR-6 avant d'être toi-même

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 73


euthanasiée car nous ne serons plus là pour te sauver la mise. Atân a des relations haut

placées et n'hésitera pas à nous envoyer derrière les barreaux, qu'il s'agisse de Meala, Dean,

Tony ou moi… Même Meydân, sa propre fille… Cet homme est sans pitié.

 S'il faut faire le sacrifice de ma propre vie pour sauver le peu de temps qu'il reste à des

millions de personnes condamnées ; je le ferai, rétorqua-t-elle.

 … Tu ne comptes quand même pas te rendre ? répondit-il estomaqué. Dis-moi que nous

n'avons pas fait tout cela pour rien…

 S'il faut que je serve de monnaie d'échange pour laisser ces hommes et femmes regagner

leurs familles, je le ferai. Je le ferai pour eux, pour mes amis Rix et Gaële. Je le ferai pour

Brenn… Et je le ferai pour Eyrin, pour que son plan ait fini par servir à quelque chose.

Le jeune homme semblait quelque peu perturbé par cette annonce. À mi-chemin entre la

compréhension et le désarroi, il finit par enfourner son plat et se laissa retomber lourdement sur

l'une des chaises face à Silhaée.

 Imagine un instant que Wayen soit encore en vie, là dans ce dôme… dit-elle. Que tu le

saches condamné à finir sa vie entre ces murs car de mauvaises décisions ont été prises par

de mauvaises personnes. Et imagine enfin qu'on te donne le moyen d'empêcher tout ce

gâchis… Que ferais-tu ? … Tu resterais là, dans cette maison, parce que « les choses pour le

moment sont trop instables » …

Jayden resta mutique un instant, regardant la nuit tombée par la seule fenêtre de la cuisine. Il

pesa d'abord le pour et le contre puis se repassa l'un après l'autre les arguments de la jeune femme

dont le regard déterminé n'avait de cesse de lui rappeler celui d'Eyrin.

 D'accord, dit-il enfin.

Silhaée haussa un sourcil comme pour lui faire comprendre que tout cela manquait

cruellement de précision.

 Ça ne se fera pas en deux jours, il faut que tu en aies conscience, dit-il enfin. Mais nous

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 74


allons agir…. Ce n'est pas parce que nous sommes privés d'Eyrin que nous ne pouvons pas

continuer d'avancer… Avec ou sans lui, il va falloir finir ce combat.

 « Pour lui », le rectifia-t-elle. Pour lui, nous allons finir ce combat.

Les lèvres lourdement affaissées de Jayden s'inversèrent en un instant, dessinant finalement

le sourire du compétiteur, mieux, celui de l’outsider qui s’apprêtait à détrôner magistralement le dit

gagnant de toute cette histoire :

LEXO.

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10

Affaire de famille

Brenn entra tranquillement dans le centre de soins continus, jeta un coup d’œil à droite puis

à gauche et s'enfonça furtivement dans l'escalier de secours. De là il grimpa les marches quatre à

quatre pour accéder au deuxième étage, puis trottina jusqu'au premier couloir gauche de l'U.R.M.2.

Il jeta ensuite un nouveau coup d’œil autour de lui : aucun curateur ne semblait se trouver dans cette

zone du bâtiment. Rien d'étonnant puisque aucun patient-testeur n'y avait été officiellement installé.

Rassuré, Brenn se tourna vers l'intérieur du couloir et s'en alla toquer discrètement à la seule

porte au bout de ce dernier. Il n'eut à attendre que quelques secondes avant de découvrir le visage

d'abord interrogatif puis soulagé d'Eyrin.

 Entre vite, dit-il en saisissant Brenn par la manche.

Ni une ni deux, le jeune homme se fit attiré et enfermé dans la pièce.

 Personne ne t’a vu ? dit Eyrin en verrouillant la porte puis en se retournant brusquement vers

lui.

 Personne, répondit ce dernier encore un peu sujet au stress.

 Parfait !

 On s'inquiétait avec Rix et Gaële de ne pas avoir de tes nouvelles et comme tu nous avais dit

de vérifier par nous-même ta présence dans le dôme au bout de quarante-huit heures

Unité de Renforts Médicalisée.


2

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 76


d'absence…

 Tu as bien fait de venir jusqu'ici, le rassura Eyrin. Très bien fait même.

Il invita ensuite Brenn à s'asseoir sur le canapé et se lança dans la narration des derniers

événements :

 Quand je suis revenu de votre résidence l'autre jour, Erdowel était là… dans ma chambre.

 Merde ! bondit Brenn.

 Comme tu dis… Il m'a rappelé une nouvelle fois que je n'avais pas le droit de sortir de ma

chambre, tout ça… J'ai essayé d'insister, de négocier, mais je n'ai obtenu qu'un droit de sortie

dans le centre de soins continus de nuit, déguisé en curateur…

 Ah quand même, s'étonna-t-il.

 Je ne peux rien en faire, rétorqua Eyrin blasé.

 C'était certainement le but…

En guise de réponse, le jeune homme hocha positivement la tête avant de s'asseoir à son

tour.

 Bref venons-en au fait, dit-il ensuite. L'un des curateurs m'a dit ce matin que j'allais être

convoqué par Erdowel pour prendre connaissance des clauses de ma charte de silence.

 Celle destinée à te faire sortir d’ici ? resitua Brenn.

 Celle là-même.

 Que se passera-t-il quand tu la signeras ? Tu sortiras d’ici ? …

 Non pas encore, expliqua Eyrin. Pour pouvoir sortir d'ici il faudrait que je combine la prise

d'un stérilisant puissant à la signature de cette charte de silence.

 Je croyais que ta sœur t'en avait apporté à ton entrée dans l’Expéria ?

 Oui c'est vrai, confirma-t-il. Mais ce n'est pas pour autant que j'ai décidé de les prendre. J'ai

encore tellement de choses à régler ici.

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Brenn lui adressa un sourire en demi-teinte qui n'échappa pas à Eyrin.

 Je suis très sérieux, lui dit ce dernier.

 Je le sais, répondit Brenn. Et c'est très honorable de ta part mais je ne suis pas sûr que tes

ambitions soient tout à fait réalistes. Tu veux relancer les recherches pour nous les patients-

testeurs condamnés, nous faire sortir de ces murs. Tu veux sauver Silhaée, dénoncer la

grande machination mise en place par LEXO depuis des années. Tout ça depuis ta chambre,

dans l'Expéria…

 Je serai toujours plus efficace qu'en dehors, chez mes parents sans aucune marge de

manœuvre. Ici je peux faire chanter n'importe qui, je peux être une menace pour mon père

en faisant pression sur tous ceux qui m'entourent. J'ai tout un panel d'idées qu'il me faut

simplement mettre en pratique.

 Alors explique-moi. Explique-moi précisément ce que tu as en tête.

Eyrin jeta de nouveau un coup d’œil sur le boîtier de verrouillage de la porte. Ce dernier

brillait d'un orange vif, synonyme de blocage intérieur.

 Quand il verra les résultats de ma dernière prise de sang, Erdowel saura que je n'ai pas avalé

un seul de ces comprimés stérilisants. Je m'attends donc à ce qu'il vienne me demander des

explications. Je lui demanderai alors de me mettre en contact avec mon père dès que

possible en prétextant un problème à régler de toute urgence sans vouloir lui en dire

davantage.

 Et ? le relança Brenn.

 Je dirai ensuite à mon père que je ne sortirai d'ici que sous deux conditions. La première ; si

la vaccination est un succès, il faudra qu'ils abattent les murs de l'Expéria et de ses antennes

partout dans le monde. Et la seconde ; ils devront poursuivre leurs recherches pour les

patients porteurs défaillants du gène ERR-6. Nous appartenons à un système qui vise l'équité

et il n'y a rien d'équitable à vacciner certaines personnes en en laissant mourir d'autres.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 78


 Tu as raison, ce n'est pas moi qui vais te contredire sur ce point. En revanche est-ce que tu as

pensé à l'hypothèse que ton père, ce même homme qui t'as enfermé ici sans scrupule,

pourrait refuser d'exaucer tes souhaits pour ta simple liberté ? Je sais que tu es son fils et

qu'en théorie il serait tout à fait logique qu'il accepte… Mais il s'agit d'Atân Hederling, fils

de Darwin Hederling, tous deux connus comme étant capables des décisions les plus

extrêmes concernant la race humaine.

 Je le sais et je me suis posé la question de nombreuses fois, confia-t-il. Mais grâce à Meydân

et ma mère, il est impossible aujourd'hui que les choses tournent aussi mal pour moi. Elles

se battraient pour faire plier mon père, pour me voir sortir d'ici.

Brenn ouvrit la bouche mais n'eut pas le temps de prononcer le moindre mot.

 Je sais ce que tu t'apprêtes à dire, poursuivit Eyrin. « Ton père pourrait malgré tout ne pas

céder. Vu la gloire qui l'attend avec la vaccination anti ERR-6, quel serait l'intérêt pour lui de

se soucier du destin des condamnés dont fait partie un fils qui le déteste ?».

Le regard de Brenn s'arrondit tant les propos d'Eyrin étaient proches de ceux auxquels il

avait pensé. Il hocha alors positivement la tête et lui fit signe de terminer.

 Et bien si mon père s'entêtait à penser comme ça, s'il refusait mon deal malgré le soutien

sans faille de ma sœur et la fragilité émotionnelle de ma mère face à ma situation… Je

jouerai ma dernière carte…

Sur ces mots, Eyrin regarda fixement Brenn. C'était comme s'il tentait par la pensée de lui

transmettre son idée, celle qu'il avait en tête depuis le départ, depuis le jour où il avait décidé de

monter le projet le plus fou de sa vie.

 Je lui dirai que celui qui a anéanti l'équilibre de tout son travail pour lui faire passer de

terribles nuits blanches, celui qui a tenté de prendre des risques avec son projet pour n'y

laisser aucune victime, celui qui a sorti Silhaée Uji de l'Expéria… C'est moi.

*
UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 79
 Paolo ! interpella Atân depuis le fond d'un couloir du quatrième étage.

Le chef de projet de la retranscription venait de sortir de son bureau au moment-même où

son directeur arrivait à lui.

 Atân, tout va bien ? dit-il intrigué par l'attitude de ce dernier.

 Non, rien ne va non, répondit-il tendu. Mais tout va de pair ici donc cela n'a rien d'étonnant.

 Que se passe-t-il ?

 Les accords de principe concernant la fabrication des vaccins anti ERR-6 ont été réévalués,

réajustés en fonction des derniers rapports de comptes qui sont absolument scandaleux.

 Nous savions que les contrôles du prélèvement du sujet expérimental UJI allaient nous

amputer d'une belle somme, fit remarquer Paolo.

 Et comme si cela ne suffisait pas, poursuivit Atân, Altwood me met une pression folle. Il se

dit prêt à lancer les campagnes de vaccination.

 Mais rien n'est prêt ! s'exclama Paolo. Il faudra encore un bon moment pour

s'approvisionner en quantité suffisante de vaccins à une pareille échelle. Et c'est sans

compter sur la disparition du sujet expérimental UJI… D'ailleurs pour les battues, qu'est-ce

que ça donne ?

 Elles ont commencé hier dans les premières villes périphériques de LEXO.

 Et pour l’instant ?

 Rien, pas le moindre indice, ni témoin, annonça Atân. Quand je dis que rien ne va en ce

moment, je n'en rajoute pas.

 C'est sans surprise pour les battues, fit remarquer Paolo. Nous savions qu'il était peu

probable que ses kidnappeurs l'aient caché à proximité d'ici. Et les contrôles caméras alors ?

 Nous sommes en attente des images de la vidéosurveillance de la ville mais le maire fait du

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 80


zèle… Il dit que sans enquête officielle et donc sans motif valable, il ne peut répondre à

notre demande.

 Et Jodd Altwood ? Si l'Orateur de sa NUPE la lui réclamait directement, il pourrait

difficilement refuser ?

 Je n'ai pas besoin de lui pour obtenir une banale bande vidéo… pesta le directeur du bout

des lèvres.

 Pour l'amour du ciel Atân ! bondit Paolo. Il faut savoir mettre sa fierté, son orgueil, de côté.

Le groupe n'a jamais été autant déchiré entre succès et détresse. Nous sommes aux portes de

la gloire tant recherchée, à deux doigts de la réussite que nos prédécesseurs ont toujours

visée. Tu ne vas quand même pas tout mettre en péril pour un concours de virilité mal

placé ? Si le sujet expérimental UJI venait à réapparaître, que toute son histoire venait à se

savoir, le tapage serait tel que nous pourrions être obligé de tout stopper.

 Je sais, je sais tout ça… s'exaspéra Atân manifestement à bout.

Paolo le regarda se mordiller la lèvre avec nervosité puis posa une main compatissante sur

son épaule. Trop fier, Atân se dégagea sèchement du geste de son collaborateur et entreprit de

retourner à son bureau.

 N'en fais pas une affaire personnelle… lui conseilla alors Paolo.

Déjà à quelques mètres de lui, Atân s'arrêta net puis se retourna lentement.

 Et de quoi s'agit-il ? répondit-il enfin avec froideur. Mon père a fondé LEXO, c'est lui qui a

commencé le combat. J'ai repris LEXO et poursuivit le travail. Et maintenant ma fille

termine ce que nous espérons réaliser depuis des années : la survie de l'espèce humaine face

à un gène on ne peut plus destructeur. Sur trois générations, la famille Hederling a su se

donner les moyens de lutter contre l'ERR-6. Nous avons tout donné ; notre argent, notre

temps, notre famille pour le monde, pour les autres. Alors excuse-moi Paolo mais si ;

j'estime être en droit d'en faire une affaire personnelle.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 81


Sur cette conclusion, il se retourna de nouveau et quitta l'espace commun du quatrième étage

sans laisser à son chef de projet l'opportunité de répondre le moindre mot.

En voyant Atân revenir dans ses quartiers, Maddy sa secrétaire, toujours sagement installée

derrière son bureau, inspira une grande bouffée d'air. Ses lèvres s'arrondirent ensuite légèrement

comme pour s'apprêter à prononcer le début d'une phrase. Mais en croisant le regard noir de son

patron, elle s'interrompit brusquement, se contentant dans l'instant de lisser la rondeur de sa bouche

jusqu'à ne plus former qu'un timide sourire. Sans un mot pour elle, Atân passa son badge devant le

lecteur d'accès à son bureau et disparut à l'intérieur telle une tornade. Maddy avait visé juste ; le

moment était mal choisi pour lui transmettre des nouvelles trop contrariantes. Elle remit donc à plus

tard le dernier message qui venait de lui être transmis par le laboratoire ; à savoir les derniers

résultats sanguins de son fils, Eyrin. Elle classa tout ça en sachant qu'il faudrait tôt ou tard l'en

informer. Mais en imaginant son patron face à la nouvelle, la secrétaire fut parcourue d'un intense

frisson... Quelle serait la réaction d'Atân en apprenant que la stérilisation d'Eyrin était un échec, ou

plus exactement en découvrant que ce dernier s'obstinait à refuser les conditions de sortie

exceptionnelle de l’Expéria ? …

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 82


11

Femmes

Silhaée ouvrit un premier placard, puis un second, avant de trouver une boîte de céréales et

une tasse. Elle se servit ensuite un peu de lait végétal et s'en alla s'installer devant les informations

défilant en boucle sur l'écran mural du séjour. Elle était désormais seule en journée dans la maison

de Wayen. Les activités chez LEXO avaient repris à un rythme normal, visant à la fois la constance

du fonctionnement de l'Expéria et de ses antennes mais également la fabrication des futurs vaccins

anti ERR-6. L'allégement des plannings des employés n'avait donc été que de courte durée, le temps

seulement de réaliser le prélèvement du « sujet expérimental UJI ».

Silhaée s'installa donc comme chaque jour devant la télévision, observant sans discontinuer

les informations en direct. Jayden et Meydân avaient insisté pour qu'elle y prête une attention toute

particulière, surtout depuis les dernières nouvelles. Altwood avait en effet fait annoncer

publiquement le succès dit « miraculeux » des recherches menées par LEXO et la prochaine

instauration du vaccin anti ERR-6. Mais comme Jayden et les autres s'en étaient doutés, rien

jusqu'alors n'avait fuité sur la disparition de leur sujet expérimental UJI, rien non plus sur les battues

d'investigation. Difficile donc pour eux d'évaluer les risques réels actuels. De plus, Meydân s'était

vue limitée l'accès aux données informatisées sur son unique secteur. C'était une contrariété

supplémentaire puisqu'elle était jusqu'ici la seule à pouvoir leur fournir des informations plus

précises de par son statut de cheffe de projet. Les doutes d'Atân sur l'implication de sa fille dans la

disparition de la patiente-testeuse semblaient se renforcer de jour en jour.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 83


Silhaée plongea sa cuillère dans son bol et s'appliqua à l'emplir autant qu'elle put de ces

délicieuses céréales avant d'engloutir le tout avidement. Depuis sa sortie de l'Expéria, elle prenait un

plaisir fou à s'alimenter, à se laver, à regarder la télévision… Bref, à vivre. Ici, à l'extérieur, tout

était plus intense. Le goût des aliments n'avait pas cette saveur si particulière, celle des emballages

protecteurs. Les couleurs, sublimées par la véritable lumière du jour, prenaient à la fois plus de

profondeur, plus de densité. Chaque personne ici possédait sa propre odeur, entremêlant à la fois

son parfum, son savon mais également l'odeur de ses murs, de sa maison. C'était incroyable de se

réapproprier à ce point tous ses sens, c'était comme s'ils avaient fonctionné au ralenti pendant toutes

ces années.

Silhaée plongea une fois encore sa cuillère dans son bol de céréales et releva la tête. Mais

cette fois son regard bifurqua très nettement vers la fenêtre du séjour. Instantanément, sa cuillère

retomba dans le bol qu'elle posa d'un geste lent sur la table basse. Un véhicule non identifié aux

vitres teintées venait d'entrer dans la cour. D'abord prise au dépourvu, Silhaée resta immobile dans

le fond de son fauteuil. Son cœur s'était mis à tambouriner fort dans sa poitrine en un dixième de

seconde. Le stress l'avait envahi, elle n'arrivait plus à penser, plus à se souvenir des consignes de

Jayden. Elle vit ensuite trois silhouettes, trois hommes, sortir du véhicule et jeter un œil autour

d'eux. Ils regardèrent d'abord les alentours, s'intéressant aux habitations voisines (plutôt lointaines)

avant de revenir vers la maison. C'est à ce moment précis que Silhaée se leva d'un bon de son

fauteuil et se mit à reculer brusquement. Les vitres des habitations ne possédaient pas de rideaux

mais des filtres protecteurs permettant à la personne à l'intérieur de voir sans être vu. Silhaée le

savait ça, on le lui avait expliqué, mais elle eut le réflexe de s'en éloigner quand même.

Quand la sonnette d'entrée retentit, la jeune femme sursauta, laissant ses yeux s'écarquiller

plus encore. « Ils vont partir, ils vont partir » ne cessa-t-elle de penser. Deuxième sonnerie, elle

tenta en vain de se souvenir de ce que Jayden lui avait dit si un tel incident se produisait en son

absence… Mais tout se mélangeait dans sa tête. La seule chose dont elle était sûre c'était des mises

en garde du jeune homme sur les moyens dont disposait la police ou les enquêteurs pour

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déverrouiller les portes d'entrée. Et alors que les consignes lui revenaient plus clairement en tête,

Silhaée vit la diode au-dessus de la porte clignoter en orange… Quelqu'un à l'extérieur était en train

de composer le code d'entrée ou d'activer un déverrouilleur. Ni une ni deux, sa lucidité reprit le

contrôle et lui permit en un instant de décrocher un petit boîtier mural avant de disparaître dans

l'une des pièces de la maison.

Après quelques manipulations informatiques, les trois hommes entrèrent dans la maison.

Interpellés par la mélodie d'un spot publicitaire, ils virent directement l'écran de télévision laissé

allumer et s'échangèrent un regard intrigué avant d'arpenter l'espace. Leurs yeux curieux se posèrent

un peu partout mais leurs recherches s'interrompirent bien vite quand l'un d'eux releva un détail

pour le moins intriguant. Il venait d'apercevoir le bol délaissé sur la table basse et constata en

remuant dans le liquide que les céréales n'étaient pas vraiment imbibées. Quelqu'un avait été

interrompu dans son repas... Ils se jetèrent alors un second regard plus convaincu et se dirigèrent

vers les quatre portes intérieures. L'une les conduisit sur un WC, l'autre sur la salle de bain où rien

de bien intéressant ne traînait. Les deux autres pièces furent découvertes au même moment, à savoir

deux chambres dont l'une avait été transformée en bureau/débarras.

 Hé ! s'exclama l'un des hommes en entrant brusquement dans la dite chambre officielle.

La fenêtre était grande ouverte et puisque cette dernière donnait sur la cour, ils savaient tous

les trois que ce n'était pas le cas à leur arrivée. L'homme en question se jeta alors sur la fenêtre

tandis que les deux autres sortaient de la maison en hâte.

 Là ! s'exclama l'homme par la fenêtre, pointant du doigt l'unique garage de la maison.

La porte de garage était désormais grande ouverte, ce qui n'était pas le cas non plus à leur

arrivée.

 Appelez des renforts, il faut faire ratisser le secteur ! ordonna-t-il en sortant à son tour de la

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maison.

Les trois hommes abandonnèrent ensuite les lieux sans plus attendre, sautant dans leur

véhicule et disparaissant de la cour dans un crissement de pneus des plus nerveux.

Tapie dans le fond du bureau/débarras, cachée derrière un monticule de cartons, de meubles

poussiéreux et de bibelots aussi encombrants qu'inintéressants, Silhaée retenait encore sa

respiration. Une main sur sa bouche, l'autre sur le boîtier de commandes des portes et fenêtre de la

maison, elle ne réalisait toujours pas son exploit. Grâce à Jayden, elle avait miraculeusement

échappé à la vigilance de ces hommes. Fébrile, elle resta encore de longues minutes dans le fond du

bureau avant de se décider à en sortir. Elle retourna ensuite dans la pièce de vie, referma la porte

d'entrée de la maison et se rua sur le téléphone sans plus attendre.

 Appelle Zoka, ordonna-t-elle au droïde fixe qui lança derechef un appel vers le compagnon

de Jayden.

Il ne fallut que deux brèves sonneries avant que le jeune homme ne décroche :

 « Oui dis-moi ?» dit-il brusquement sans prendre la peine de masquer son inquiétude.

Jusqu'alors jamais Silhaée n'avait eu besoin de le tenir informé de quoi que ce soit avant son

retour du travail.

 Les battues d'investigation ont commencé, dit-elle le souffle court.

 « Ça y est, ils en ont enfin parlé publiquement ?» répondit Jayden en faisant référence aux

informations télévisées.

 Non… Ils sont passés… Ils sont venus me chercher…

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Meydân traversait un couloir du troisième étage quand elle entendit des bruits de pas

derrière elle.

 Mlle Hederling ?

Cette dernière se retourna et vit Jayden arriver vers elle d'un pas pressé.

 Que voulez-vous ? répondit-elle en prenant volontairement un ton neutre tout en jetant un

coup d’œil autour d'elle.

 Il faut que je vous voie ; il me semble qu'il y a une erreur de stock sur les livraisons

médicamenteuses de l'Expéria, mentit-il tout en lui signifiant du regard qu'il était urgent

qu'ils se voient.

 Suivez-moi, lui indiqua-t-elle en retournant immédiatement aux ascenseurs.

Ils descendirent ensemble jusqu'au deuxième étage sans échanger la moindre parole. LEXO

grouillait de monde, il était trop risqué de débuter une conversation « privée » avec autant de

témoins aux alentours. Ce n'est qu'une fois entrés dans le bureau de Meydân qu'ils purent enfin

échanger.

 Que se passe-t-il ? s'exclama-t-elle dès lors que la porte fut verrouillée.

 Les battues d'investigation ont commencé, annonça Jayden sans plus masquer son

inquiétude.

 Oui c'était évident, répondit-elle sans surprise.

 Ils sont arrivés jusque chez Wayen ! l'interrompit-il encore tout retourné de cette nouvelle.

 Quoi ?!

 Silha m'a contacté pour me prévenir ; ils sont venus fouiller la maison !

 Ils ont trouvé Silhaée ?!

 Non heureusement… Elle a appliqué les consignes à la lettre et tout s'est bien passé pour

elle.

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Meydân poussa alors une longue expiration en écrasant une main moite sur son front.

 En revanche nous savons maintenant qu'ils ont réussi à obtenir des pistes sérieuses pour être

arrivés jusque là-bas… fit remarquer Jayden.

 Des pistes ? tiqua-t-elle. C'est impossible…

 Comment expliques-tu leur présence alors ?

 C'est certainement le fruit du hasard…

 Je ne pense pas non, la contredit-il. Tu sais comme moi que nous avions choisi de nous

installer chez Wayen car c'était l'endroit le plus isolé, le plus neutre que nous connaissions. Il

y a plusieurs dizaines de kilomètres qui séparent cette maison de LEXO, elle ne devait donc

pas être notée dans leurs lieux d'investigation prioritaires… Comment se fait-il alors qu'ils y

soient arrivés si rapidement ?

Meydân resta dans un premier temps immobile, mutique. Son regard rivé sur le sol, elle

semblait vouloir se remettre en mémoire un instant précis qu'elle avait peut-être jusqu'alors négligé.

 Retourne au niveau zéro, demanda-t-elle à Jayden.

 Comment ? Mais et…

 Il faut que je vérifie quelque chose, précisa-t-elle. En attendant il faut que tu retournes à ton

poste. S'ils ont déjà des soupçons sur nous, autant ne pas leur donner de preuves

supplémentaires. Dès que j'ai obtenu les réponses que je cherche, je t'en fais part.

 Et pour Silha… dit-il encore soucieux de la posture inconfortable dans laquelle la jeune

femme se trouvait.

 Pour l'instant on ne change rien, statua Meydân. Il ne sert à rien de prendre des décisions

dans la précipitation. Qu'elle reste cachée jusqu'à ce que je te donne des nouvelles, je ne

devrais pas en avoir pour très longtemps.

Jayden acquiesça la consigne de la jeune femme et déverrouilla enfin la porte de son bureau.

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 Merci encore Mlle Hederling, dit-il en quittant la pièce.

 Je vous ferai parvenir dans la journée le nouveau listing des traitements manquants, feinta-t-

elle en voyant passer des travailleurs LEXO dans le fond du couloir.

 Bien Mademoiselle, répondit Jayden avant de reprendre le chemin des ascenseurs.

Meydân le salua d'un signe de tête et retourna dans son bureau. Dès que la porte fut

complètement refermée, elle se précipita sur le droïde fixe.

 Appelle Rosamine, lui ordonna-t-elle en le saisissant d'une main ferme.

La communication s'instaura en un instant et sa mère ne mit pas plus de deux sonneries

avant de décrocher.

 « Oui allô ?» dit-elle.

 Maman c'est moi, lui précisa Meydân. Je ne te dérange pas ?

 « Bien sûr que non ma chérie, jamais. »

 Bien. Est-ce que tu es à la maison ?

 « Oui », répondit Rosamine avec évidence et étonnement.

 Seule ?

 « Avec Grett bien sûr mais c'est tout. Pourquoi, qu'y a-t-il ?»

 Je vais passer te voir sur ma coupure, annonça-t-elle. Disons dans une demi-heure environ…

Il faut qu'on parle toi et moi.

Durant les quelques secondes qui séparèrent ses mots de la réponse de sa mère, Meydân

ressentit comme un léger flottement, comme une sorte de malaise qui ne l'étonna pas franchement.

 « Bien… Je vais demander à Grett de nous concocter un bon repas », feinta Rosamine avec

une fausse aisance.

 Parfait, répondit Meydân. À tout à l'heure.

Puis elle raccrocha et se plongea dans de longues minutes de réflexion avant de se décider à

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rejoindre la demeure familiale.

Silhaée attendit pendant une bonne heure l'appel de Jayden mais ce dernier ne la rappela pas.

Elle savait qu'il devait voir Meydân pour l'informait au plus vite de sa nouvelle conduite à tenir face

à cette visite impromptue. Mais plus le temps passait et moins elle se sentait rassurée. Ces trois

hommes étaient repartis parce qu'elle avait réussi à leur faire croire qu'elle en avait fait autant. Mais

qu'arriverait-il quand ils ne trouveraient aucune trace d’elle ? … Aurait-il l'idée de revenir fouiner

dans la maison de Wayen ? … Quand Silhaée imaginait ce qu'il pourrait se passer dans une telle

situation, son cœur se mettait à battre avec intensité. Il lui fallait alors cinq bonnes minutes avant de

parvenir à retrouver son calme. À plusieurs reprises, elle hésita à rappeler Jayden mais le jeune

homme lui avait formellement interdit d'en abuser, craignant de se faire repérer. Tant qu'elle n'était

pas en danger, il fallait qu'elle patiente et surtout qu'elle reste calme. C'est donc ce qu'elle fit

pendant la première heure avant d'être interpellée par un nouveau flash info, bien plus intéressant

que les précédents :

« Le lancement de la campagne de vaccination anti ERR-6 tend à se préciser. Selon nos sources,

l'Orateur de la NUPE 1, Jodd Altwood, aurait fait valider les accords de fabrication après

renégociations des coûts. Le dirigeant du groupe LEXO, Atân Hederling, a précisé ce matin en

conférence de presse qu'il serait raisonnable de viser dix à quinze jours d'approvisionnement avant

d'ouvrir les premiers postes de vaccinations. Ce dernier se félicite de la rapidité avec laquelle ses

équipes ont su s'organiser pour permettre à LEXO et ses antennes de débuter la fabrication des

vaccins. Je vous propose de l’écouter :»

Jusqu'alors cachée dans le débarras, Silhaée arriva sans plus attendre dans la pièce

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principale. Par précaution, elle jeta un œil par la fenêtre du salon avant de s'installer dans le fauteuil

face à l'écran. C'est alors qu'elle vit pour la première fois le visage de celui qui avait cherché à

l’éliminer : Atân Hederling.

 « Grâce aux compétences et à l'efficacité de mes équipes, nous sommes en mesure

aujourd'hui de vous assurer un démarrage imminent de notre prochaine campagne

vaccinale », dit-il.

Silhaée observa avec intensité le regard ambitieux de cet homme. Si elle ne le savait pas

déjà, elle aurait pu deviner qu'il s'agissait du père d'Eyrin tant la ressemblance entre les deux

hommes était frappante. Cependant, elle n'eut aucun mal à imaginer les différences profondes qui

les séparaient. Quand elle avait rencontré Eyrin, elle lui avait tout de suite trouvé quelque chose de

rassurant, de bienveillant. Il respirait la gentillesse et l'envie de bien faire, ce qui n'était pas le cas de

son père dont la fausseté du sourire lui glaçait le sang.

 « Et pour les patients-testeurs restés dans l'Expéria et ses antennes ? Que leur réservez-

vous ?» demanda le journaliste à Atân.

Sur ces mots, Silhaée se concentra de nouveau sur le contenu de l'interview.

 « Et bien les choses sont simples », dit-il avec toujours autant de fausseté. « Les tests ont

révélé que le vaccin anti ERR-6 était inefficace sur les porteurs du gène défaillant, qu'ils

soient actifs ou inactifs. Mais nous avons beaucoup d'espoir sur la conception d'un

traitement inspiré des résultats d'action du vaccin. »

 Quel menteur ! … s'exclama Silhaée.

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 « Devons-nous comprendre que l'Expéria et ses antennes ne sont pas prêts de voir leurs

murs tomber ?» le relança le journaliste avec toute la curiosité que l'on pouvait attendre de

lui.

 « Ils tomberont, c'est une certitude », répondit Atân. « Mais nous ne devons pas nous laisser

tenter par la simplicité. Si nous faisons sortir nos patients-testeurs de ces murs aujourd'hui,

il sera difficile pour nous de les traiter correctement et de réaliser les essais que nous avons

d'ores et déjà planifiés. Cela fait des décennies que nous luttons contre ce gène, je pense

donc que nous pouvons encore patienter quelques semaines, quelques mois et leur assurer

un retour chez eux en bonne santé. »

 Grâce à tes splendides placebos ils seront tous morts dans quelques mois ! s'écria Silhaée. Il

ne te restera plus qu'à dire que votre tentative de traitement a échoué et vous serez tous

excusés ! Bandes de menteurs ! Assassins !!

Prise par les nerfs, elle envoya d'un revers de la main le bol de céréales contre un mur avant

de faire les cent pas dans le salon. En théorie, elle n'avait jamais été aussi libre de penser, d'agir

comme bon lui semblait. Mais en pratique, elle n'avait jamais été aussi impuissante. Enfermée entre

quatre murs dont la sécurité était finalement bien plus que douteuse, elle n'était plus en capacité de

venir en aide à ceux qui comptaient le plus pour elle : ses amis Rix, Gaële, Téziri… Et Brenn. Elle

se trouvait également très injuste lorsqu'elle pensait à Eyrin, désormais enfermé dans le dôme,

condamné à y mourir au même titre que les autres. Lui avait tout tenté pour la sortir de l'Expéria, il

avait risqué gros pour lui permettre de vivre enfin normalement… Et elle, aujourd'hui, ne devait

plus penser qu'à elle et à sa seule protection.

La discussion qu'elle avait eue précédemment à ce sujet avec Jayden lui avait permis de

comprendre que ce dernier projetait tout comme elle de faire bouger les choses. Mais la prudence de

Meydân ne faisait que ralentir leurs ambitions alors même que les décisions de LEXO ne cessaient

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de s’accélérer. Lasse, Silhaée gonfla ses poumons avant d'en expirer lentement tout l'air. Puis elle

ramassa le bol et nettoya le lait et les céréales jonchant le sol. En passant un coup de produit

ménager à l'endroit même où elle avait causé des dégâts, elle s'arrêta net… Une idée folle venait de

lui traverser l'esprit. Inspirée, elle délaissa un instant sa lavette, réalisa un tour complet de la maison

en réfléchissant pendant de longues minutes… Puis s'approcha finalement du droïde de

communication fixe. À la simple présence de sa main au-dessus du socle, le petit robot s'activa,

affichant un point d'interrogation automatique sur sa face circulaire. Mais Silhaée ne le saisit pas

pour autant, s'accordant encore un petit temps de réflexion… En y réfléchissant bien, il n'était pas

dit que Jayden ou Meydân cautionneraient son idée qui pourtant était de loin le moyen le plus sûr

d'aboutir à quelque chose… Mais il n'était pas dit non plus qu'ils en trouveraient une meilleure d'ici

que ces étrangers soient amenés à lui rendre une seconde petite visite surprise…

Finalement convaincue qu'elle s'apprêtait à prendre la bonne décision, Silhaée se ravisa et

délaissa le droïde pour revenir vers son spray ménager. Elle s'était enfin décidée à prendre les

devants car si tout fonctionnait comme elle l'imaginait, elle pourrait à la fois se mettre à l’abri, aider

ses amis de l'Expéria, innocenter ceux de l'extérieur et faire trembler les plus grands dirigeants de ce

monde.

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12

Identité(s)

Cela faisait désormais deux jours que le prélèvement sanguin d'Eyrin, celui révélant l'échec

de sa stérilisation, avait logiquement été transmis à Erdowel. Pourtant, jusque-là, personne n'était

venu le sermonner ou le questionner à ce propos. Eyrin ne savait donc pas quoi penser de tout ça et

n'avait de cesse de s'interroger sur les raisons d'un tel silence. Les équipes médicales n'étaient-elles

pas étonnées d'un pareil résultat ? Fallait-il en théorie plus de temps au traitement pour démontrer

son efficacité ? Pas impossible… Ou peut-être au contraire savaient-elles qu'il négligeait

volontairement son traitement stérilisant et voulaient-elles lui montrer que sa rébellion ne les

importait pas ? Venant de son père, c'était tout à fait possible. Mais Erdowel, lui avait

fondamentalement plus de conscience, quoi qu'influencé par son dirigeant, tout était possible. Il n'y

avait qu'à voir ce qu'ils avaient envisagé pour Silhaée…

Lorsqu'une curatrice vint lui retirer son plateau repas du midi, Eyrin se dit qu'il était temps

pour lui d'arrêter de jouer à l'enfant sage. Il n'avait aucunement l'envie d'obéir docilement aux

ordres de ceux qui jouaient avec sa santé et celle de millions d'autres.

 Est-ce qu'Erdowel compte venir me voir aujourd’hui ? demanda-t-il spontanément.

 Comme nous vous le répétons depuis plusieurs jours, il est très occupé en ce moment et

votre état est stable, répondit la curatrice. Il n'a donc aucune raison de venir vous rendre

visite dans l'immédiat.

 Mais j'ai besoin de lui parler, insista-t-il.

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 Et il en a été informé. Le Docteur Erdowel passera vous voir quand il aura un peu de temps,

ne vous en faites pas.

Puis elle quitta la chambre sans faillir sous le regard haineux du jeune homme. Maintenant

que son repas lui avait été desservi, il disposait d'environ trois heures avant le prochain « tour de

surveillance ». Et bien qu'Eyrin se soit engagé auprès d'Erdowel à ne pas sortir de son espace

personnel en dehors des heures autorisées, il l'avait également prévenu qu'il n'était pas dit qu'il s'y

tiendrait strictement. De plus, Brenn n'était venu le voir qu'une seule fois. Il aurait dû repasser le

lendemain de sa visite mais Eyrin n'avait revu personne. Le jeune homme avait donc mené sa

propre enquête auprès de Joa, la sympathique curatrice de nuit, et avait appris que les patients-

testeurs visiteurs étaient désormais accompagnés jusqu'aux box des actifs. C'était l'une des dernières

réglementations visant soi-disant à « réguler les visites devenues trop intempestives ». Eyrin n'en

avait bien sûr pas cru un mot. Lui savait surtout qu'Erdowel ne souhaitait pas faire de vagues à son

sujet et craignait à raison que le fils Hederling ne tienne pas sa promesse. Eyrin savait donc

dorénavant qu'il serait moins facile pour lui de sortir des soins continus mais surtout bien plus

difficile, voire impossible, d'y revenir sans être vu. Mais qu'importe, il avait découvert de nouveaux

éléments, de nouvelles zones d'ombres qu'il lui fallait éclaircir. Et pour cela, il était impératif qu'il

retourne voir Gaële, Rix et Brenn.

Déterminé, il finit donc par quitter une nouvelle fois sa chambre et emprunta le même

escalier de secours que lors de sa première évasion du centre de soins continus. En arrivant en bas

de celui-ci, il observa avec discrétion l'intérieur du hall d'entrée depuis la porte battante d'accès.

Deux curateurs étaient postés derrière un bureau fraîchement installé. Eyrin les observa pendant

quelques minutes, le temps pour lui de comprendre leur organisation qui se révélait être plutôt

efficace malheureusement : lorsqu'un patient-testeur entrait dans le centre de soins continus, l'un

d'eux l'accompagnait jusqu'au box souhaité tandis que l'autre restait en surveillance. Si un autre

visiteur arrivait dans la foulée, le curateur restant attendait que son collègue revienne au bureau

d'accueil pour accompagner le suivant. Il n'y avait donc aucune possibilité d'échapper à leur

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vigilance. Il remarqua néanmoins que les sorties du centre étaient complètement libres et décida

dans un premier temps de ne se concentrer que sur ça. En voyant passer une patiente-testeuse

visiteuse qui quittait le centre en pleurant, il eut une idée. Il remonta donc l'escalier de secours

jusqu'au premier étage et attendit patiemment que le coin se désertifie pour sortir sur le palier. Il prit

ensuite l'ascenseur seul, descendit au niveau zéro et à l'ouverture des portes, couvrit son visage de

ses mains pour feinter la crise de larmes. Il quitta ainsi le hall incognito tout en continuant sa mise

en scène sur plusieurs mètres, le temps pour lui de disparaître entre deux bâtisses. Fraîchement

dissimulé, il regarda enfin du coin de l’œil l'entrée des soins continus et s'aperçut qu'aucun des deux

curateurs ne semblaient avoir réellement prêté attention à son passage. Il reprit donc son chemin en

laissant échapper bien malgré lui un petit sourire satisfait.

Pour avoir observé l'Expéria de nombreuses fois via la vidéosurveillance, Eyrin n'eut aucun

mal à retrouver la résidence de Brenn. Il y arriva donc rapidement et frappa discrètement à la porte

tout en regardant prudemment autour de lui. Après quelques secondes, il fut forcé de constater que

personne ne venait lui ouvrir. Il se décida donc à sonner et sentit son cœur battre plus fort encore

quand il se confronta une nouvelle fois à cette porte close. Ennuyé par la présence de patients-

testeurs à proximité de la résidence, Eyrin s'éclipsa finalement entre deux bâtisses pour réfléchir

efficacement… « Où pouvaient-ils être ?» pensa-t-il. Rix et Gaële avaient pour habitude de passer

une bonne partie de leur temps libre auprès des enfants du centre. Seulement la garderie grouillait

de curateurs, impossible donc pour lui de s'y rendre. Brenn lui… il n'en avait aucune idée… Quoi

qu'en y repensant bien, il se souvint de les avoir vu régulièrement lui et Silhaée dans la salle

d'études de l'Expéria. Peut-être s'y rendait-il toujours malgré l'absence de la jeune femme ? Eyrin fit

alors demi-tour et tenta de prendre le chemin le plus court et le plus sûr pour s'y rendre. Il emprunta

des allées plus ou moins grandes selon s'il traversait un même groupement de résidences ou s'il

changeait de secteur. Puis il arriva enfin face à un bâtiment qu'il reconnut sans mal car il ne portait

pas une lettre et un chiffre, comme les résidences, mais le logo de LEXO.

 Le voilà, dit-il en reconnaissant ce qu'ils appelaient ici « le Réseau ».

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Le Réseau comprenait à la fois tout ce qui était de l'ordre de l'apprentissage comme la salle

d'études ou la bibliothèque. Mais également tout ce qui touchait aux loisirs, aux activités sportives,

aux hobbies auxquels chacun d'eux pouvait s'adonner dans la limite de ce qui leur était proposé bien

sûr. Eyrin fut donc soulagé de parvenir à trouver le Réseau mais hésita à y entrer. Il savait qu'il n'y

avait logiquement pas de curateurs dans ce bâtiment, mais il n'avait pas la certitude que ce

règlement n'ait pas changé lui-aussi. Tapi entre deux résidences, il attendit donc quelques minutes et

finit par prendre son courage à deux mains avant de trottiner jusqu'à la porte d'accès. Mais alors

qu'il ne lui restait plus qu'une dizaine de mètres à parcourir, Eyrin vit les portes du Réseau s'ouvrir

et deux curateurs en sortir. Ni une ni deux, il réalisa un demi-tour aussi sec et pria pour qu'on ne le

remarque pas. Tous les curateurs ne le connaissaient pas bien sûr, mais il ressemblait tellement à son

père qu'il n'était pas difficile d'imaginer son identité ou du moins d'avoir de sérieux doutes. Eyrin

retourna donc se fondre manu militari entre deux groupements de résidences parmi les plus proches

et suivit avec attention le chemin emprunté par les curateurs.

 Tu as besoin de quelque chose ?

 Wow ! sursauta Eyrin en se retournant d'un bond.

Un patient-testeur à l'identité inconnue venait de sortir de la résidence contre laquelle il était

adossé.

 Excuse-moi je t'ai fait peur, dit ce dernier.

 C'est moi qui suis désolé, répondit Eyrin tout en voyant les curateurs disparaître au loin.

 C'est que j'ai cru que tu avais des ennuis.

 Non… non, répondit-il en tentant un rire peu convaincant. C'est que… Je…

 Tu ? le relança l'inconnu.

 Je suis timide, répondit Eyrin en se maudissant intérieurement d'un tel argumentaire.

L'homme en question n'eut l'air que partiellement convaincu de son histoire mais ne sembla

pas lui en tenir rigueur.

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 Quelle est ta résidence ? lui demanda-t-il à tout hasard.

 R… R-14, dit-il en citant celle de Brenn, Rix et Gaële par défaut.

 Hey, c'est des potes à moi ! Nous réceptionnons les caisses ensemble le mardi. Je ne savais

pas qu'ils avaient accueilli un nouvel arrivant, les petits cachottiers. Ils t'ont peut-être déjà

parlé de moi ? Je m'appelle Carl.

 Euh… Non désolé, répondit Eyrin en zyeutant de tous les côtés. Hum je suis désolé mais il

va vraiment falloir que j'y aille…

Sur ces mots, il commença à reprendre son chemin entre les différentes allées.

 Hé ! Tu ne m'as même pas dit comment tu t’appelais ? fit remarquer Carl.

Eyrin s'arrêta un instant. En une fraction de seconde il pesa le pour et le contre de l'incidence

d'une vraie ou fausse réponse de sa part.

 Carl… Je m'appelle Carl aussi, dit-il en feintant l'amusement.

Puis il repartit sous le regard hébété de son interlocuteur.

Après être retourné une seconde fois à la résidence R-14 sans résultat, Eyrin se décida

malheureusement à rebrousser chemin. Il était trop risqué de rester plus longtemps dans les allées de

l'Expéria au vu du nombre de curateurs circulants. Il regarda donc au loin les portes du centre de

soins continus et se demanda enfin comment il allait s'y prendre pour y retourner. « En courant »

avait-il songé avant de partir. Il passerait devant les curateurs tête basse et n'aurait alors plus qu'à se

jeter sur les portes de secours. Il monterait ensuite les marches quatre à quatre et retournerait

s'enfermer dans sa chambre où il feinterait l'endormissement depuis des heures, vautré comme

jamais dans son canapé. Mouai… L'idée n'était pas glorieuse mais c'était à son sens la plus simple et

surtout la seule qu'il avait eu. Après quelques secondes de réflexion et une montée de stress quand

un curateur passa tout près de sa planque, Eyrin se décida à agir. Il s'arrangea pour emprunter le

chemin lui permettant d'être le moins visible le plus longtemps possible et se mit soudainement à

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courir quand la vue lui sembla relativement dégagée. Sa cadence était telle qu'il espéra que les

portes automatiques du centre de soins le capteraient suffisamment tôt pour qu'il ne s'écrase pas

comme un moustique sur un carreau. Plus que quelques mètres avant de réaliser le sprint de sa vie

devant le bureau d’accueil des curateurs… Eyrin baissa alors brusquement le front pour s'apprêter à

foncer tête baissée dans le hall jusqu'à ce que ses mains rencontrent les portes battantes de l'escalier

de secours…

 Attention !! entendit-il à quelques mètres à peine de lui.

Surpris mais pas assez rapide pour corriger le tir, Eyrin releva brusquement la tête avant

d'entrer en collision avec un patient-testeur qui sortait tout juste du centre de soins continus.

- BLANG ! -

 Non mais ça va pas ! s'exclama la victime en se redressant brusquement.

 Aouh… geignit Eyrin en se frottant la tête. Je suis désolé, je…

Mais il n'eut ni le temps de se justifier, ni même d'essayer d'ouvrir un œil. Une main

puissante venait de le saisir et lui imposait désormais de courir rapidement jusqu'aux résidences.

 Attendez… dit-il en sentant la cadence imposée s'arrêter brusquement.

C'est alors qu'il parvint enfin à ouvrir plus nettement les yeux et découvrit avec stupéfaction

l'identité de celui qu'il venait de plaquer au sol si violemment.

 Brenn ?! s'exclama-t-il à mi-chemin entre la surprise et le soulagement.

 T'es vraiment bizarre comme mec ! répondit ce dernier de la même façon. Ça y est t'y vois

clair ? Parce qu’il ne faut pas qu'on reste là, on a déjà trop attiré l'attention. Viens !

Puis il reprit son chemin en trottinant prestement vers sa résidence, suivi de près par Eyrin.

En entrant dans la résidence R-14, les deux hommes restèrent silencieux un instant avant

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d'être pris d'un fou rire commun.

 Mais qu'est-ce qui t'as pris ? s'exclama Brenn.

 À vrai dire je ne sais pas… admit Eyrin.

Puis il raconta au jeune homme son escapade et ses recherches dans le dôme. Il ne lui

épargna aucun détail, pas même sa rencontre avec Carl et l'usurpation hasardeuse de son identité

pour noyer le poisson. Cela leur valut encore un bon fou rire qu'ils finirent tout de même par

contrôler au profit des raisons de sa venue ici.

 Ça fait deux jours que j'essaie de remonter dans ta chambre, lui expliqua Brenn. Mais les

curateurs ont reçu des nouvelles consignes. C'est pire que des flics maintenant !

 Je sais, répondit Eyrin. C'est pour ça que je me suis décidé à sortir de ma prison dorée. Il

fallait qu'on trouve une solution pour communiquer plus facilement. Et surtout il fallait que

je te parle d'autre chose. Ça n'a rien à voir avec tout ce qu'on s'est dit depuis le départ mais

ça me semble quand même important.

 Je t'écoute, lui dit Brenn soudainement plus concentré.

 Pendant l'une de mes sorties nocturnes, j'ai découvert quelque chose d'étrange. Au départ j'ai

cru que j'hallucinais, donc je ne t'en ai pas parlé quand tu es venu me voir. Mais après

revérification, j'ai fini par réaliser que je ne me trompais pas…

 À quel propos ?

 Tu vas me prendre pour un fou…

 Crois-moi, ici plus rien ne m'étonne, le rassura-t-il.

 Bon… C'était le premier soir où j'ai commencé à me balader dans les différentes ailes du

centre de soins. J'observais un peu sans but les différents patients-testeurs dans les cellules

de soins et j'ai fini par m'arrêter sur un box. Sur la pancarte identitaire j'ai reconnu la photo

d'une fille, une amie de longue date. J'ai d'abord été surpris de ne pas savoir qu'elle était

entrée dans le dôme puisque mes parents et les siens sont de très bons amis. Et puis j'ai fini

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par comprendre pourquoi nous n'avions pas été mis au courant : l'identité sur la pancarte

n'était pas la bonne.

 Hein ? s'exclama Brenn en fronçant instantanément les sourcils. C'est impossible…

 C'est ce que je me suis dit au début ; que je devais faire erreur. Alors je suis entré dans la

cellule pour aller voir la patiente de mes propres yeux et là… Je l'ai reconnu. Cette fois

j'étais sûr de moi.

Brenn fronça plus encore les sourcils tout en l'incitant du regard à poursuivre ses

explications.

 C'était l'amie dont je te parlais, il y avait bien une erreur d'identité. Alors je suis ressorti de la

cellule de soins et j'en ai parlé à la curatrice.

 Et qu'est-ce qu'elle t'a dit ?

 Comme toi ; que c'était impossible. Que les contrôles identitaires très stricts de l'Expéria ne

pouvaient pas laisser passer une telle erreur, que je devais confondre. Mais j'y suis retourné

hier soir et cette fois j'en suis sûr à 200%. La patiente-testeuse dans ce lit est bien mon amie

de toujours, Torana Filenn et non « Téziri Dalone » ou je ne sais quel autre nom.

 Quoi ? Qu'est-ce que tu as dit ? tiqua Brenn.

 C'est Torana, Torana Filenn.

 Non non, le nom sur la pancarte que tu as vu. C'est bien « Téziri…

 « Dalone », compléta Eyrin. Oui c'est ça, c'est n'importe quoi…

 Attends, l'interrompit-il. Je connais cette personne.

 Qui ? Torana ?

 Non Téziri. Enfin celle que tu penses connaître sous le nom de Torana, moi je l'ai rencontré

sous celui de Téziri. C'est elle que j'étais parti voir cet après-midi au centre de soins continus

quand nous nous sommes hum… « rencontrés ».

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 Quoi ? Mais c'est impossible…

 Tu es bien sûr qu'il s'agit de ton amie Torana ? lui demanda Brenn.

 Aussi sûr qu’un et un font deux, confirma Eyrin.

Pendant un bon moment, les deux hommes ne surent quoi penser. Puis ils eurent une idée :

confronter les histoires de vie de Torana et Téziri. Brenn fut le premier à retracer l'histoire de Téziri,

ou du moins ce qu'il en avait retenu. Il savait qu'elle avait été adoptée par un couple qui ne pouvait

pas avoir d'enfant mais qui par le plus grand bonheur en avait finalement eu un. Il se rappelait

également qu'elle était atteinte d'une maladie dont le nom lui échappait, mais qu'il s'agissait d'une

sorte de multiplication des cellules qui profitait à l'activation du gène ERR-6.

 Et tu ne te souviens pas du nom de la maladie ? insista Eyrin.

 Non… Je ne me souviens pas de ça… C'était un nom compliqué…

 Bon, ça ne fait rien… répondit-il en se frottant le menton.

Eyrin semblait extrêmement concentré, comme s'il cherchait à tout prix une explication

rationnelle à tout cela.

 À quoi tu penses ? lui demanda Brenn.

 … Depuis combien de temps Toran… Téziri a-t-elle activé son gène ?

 Je ne sais plus exactement… Je dirais peut-être un mois…

 Je vois… acquiesça Eyrin en ayant l'air plus concentré encore.

 Quoi ? Dis-moi, insista Brenn manifestement moins inspiré que lui.

 … Tu ne trouves pas ça bizarre ? Une maladie qui accélérerait le développement des

cellules, un traitement anti ERR-6 remplacé par des placebos et pourtant rien qui ne laisse

présager qu'elle se dégrade plus rapidement que n'importe quel autre patient-testeur ?

 C'est vrai… Je n'avais pas pensé à ça…

 Cette histoire de maladie, ça me dérange… Ça ne colle pas… avoua Eyrin.

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 Pourtant c'est la stricte vérité, enfin celle qu'elle nous a raconté, rappela Brenn. Et je ne vois

pas quel intérêt elle aurait eu à nous mentir… Et puis c'était si précis… Ça n'avait vraiment

pas l'air inventé…

Eyrin acquiesça d'un signe de tête lui signifiant qu'il avait confiance en lui, qu'il prenait en

compte son avis, son ressenti.

 À ton tour maintenant, l'invita Brenn. Raconte-moi ce que tu sais de l'histoire de Torana.

 Et bien comme je te le disais précédemment, c'est une très bonne amie, la fille d'un couple

d'amis de longue date de mes parents. Nous avons passé toute notre enfance ensemble avant

d'être séparés à l'adolescence. Elle a suivi ses parents sur la NUPE 3 et moi je suis restée ici.

 Pourquoi est-elle partie si loin ?

 Ses parents étaient de grands économistes, ils n'avaient donc pas d'autres choix que de

rejoindre la NUPE spécialisée en la matière.

 Et tu ne l'as plus jamais revu après son départ ?

 Oh si… Torana est malheureusement… malade, dit-il enfin. Ses parents revenaient donc une

à deux fois l'année pour son suivi médicale sur la NUPE référente en santé, la nôtre quoi.

C'est sur ces périodes-là généralement que nous prenions le temps de nous revoir autour d'un

bon repas.

 Elle aussi a une maladie alors, cibla Brenn.

 C'est précisément ça qui m'intrigue tu vois… avoua Eyrin. Torana est atteinte d'une anémie

hémolytique chronique non étiquetée, autrement dit une destruction spontanée et anarchique

des globules rouges qui met son organisme constamment en danger. Mais il ne s'agit pas

pour autant d'une dégénérescence globale ; Torana a seulement besoin de transfusions

régulières.

 C'est bizarre… lui accorda Brenn. C'est à la fois presque similaire et si différent…

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 Tu as raison, reconnut Eyrin. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans toute cette

histoire.

 Tu pourrais peut-être demander à ta sœur de se renseigner ? Si ses parents confirmaient que

Torana avait bien intégré l'Expéria, nous serions déjà plus avancés.

 Torana est dans l'Expéria, c'est elle, insista Eyrin. Je n'ai pas besoin de demander

confirmation à Meydân, je sais que Téziri est Torana. Et puis de toute façon ma sœur ne m'a

pas rendu visite depuis plusieurs jours… Je crois que les choses sont en train de se corser à

l'extérieur…

 Eyrin, je sais que tu es convaincu de l'identité de ton amie mais tu ne te bases que sur ce que

tu as vu, fit remarquer Brenn. Moi j'ai parlé avec elle, j'ai parlé avec Tizi et je peux t'assurer

de la même manière qu'il ne s'agit pas de ta Torana. Et puis si je suis ce que tu me dis, ton

amie est sensée vivre dans la NUPE 3 aujourd'hui… Alors pourquoi n'a-t-elle pas intégré

son dôme-référent, celui de l'antenne de sa NUPE ? Pourquoi aurait-elle été intégrée ici, si

loin de ses parents ?

Sur ces mots, Eyrin fit une moue qui ne résumait rien d'autre qu'un scepticisme sur fond de

contrariété.

 Écoute, il faut que tu trouves un moyen d'être fixé, lui demanda Brenn. Je ne sais pas, écris

une lettre à ta sœur par exemple ? Le prochain envoi de courrier est dans deux jours, nous

serons fixés comme ça.

 Oui… Je vais faire ça… dit-il en se levant enfin de son fauteuil.

Brenn le regarda se redresser sans rien ajouter. Il semblait aussi désolé que lui.

 Il va falloir que je rentre, le prévint Eyrin. Cela fait déjà plus de deux heures que je suis parti

du centre.

 Tu veux que je t’accompagne ? lui proposa Brenn.

 Non reste ici, c'est plus sûr. Nous avons suffisamment été vus ensemble. Tu salueras Rix et

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Gaële pour moi.

 Compte sur moi, dit-il. Et sois prudent… Enfin essaie de ne pas défigurer quelqu'un cette

fois...

Un franc sourire échappa à Eyrin qui après une amicale poignée de main, se dirigea vers la

porte de la résidence.

 Je ne sais pas si je pourrais revenir vous voir, dit-il avant de partir. Si Erdowel apprend que

j'ai de nouveau fugué, il est possible cette fois qu'il m'enferme pour de bon dans les soins

continus…

 On trouvera toujours une solution, répondit Brenn confiant.

Puis il laissa le jeune homme quitter sa résidence en espérant qu'à son retour au centre, les

choses ne tourneraient pas mal pour lui.

L'esprit embué par cette intrigante histoire, Eyrin reprit le chemin du centre de soins

continus. Plus le temps passé et plus il avait l'impression que tous les éléments, les gens autour de

lui, ne faisaient partie que d'une gigantesque machination destinée à le rendre fou. Après avoir

traversé la quasi-totalité du dôme, il entra finalement dans le centre de soins continus sans se

soucier cette fois de la manière par laquelle il allait s'y introduire.

 Monsieur Hederling ! s'exclama l'une des curatrices en poste derrière le bureau d'accueil.

Mais enfin ; d'où venez-vous ?!

Eyrin ne répondit rien et se contenta d'appeler l'ascenseur. Il rejoignit ensuite sa chambre

dans un mutisme complet, négligeant toutes les questions qui lui étaient posées au même titre que

les conséquences qu'un tel comportement pourrait avoir sur ses conditions de vie au sein de

l'Expéria.

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13

Dessert surprise

Comme prévu, Meydân arriva chez sa mère une demi-heure après son appel. Elle fut

accueillie par le sourire aimant de cette dernière, quoi qu'un peu pincé à y regarder de plus près.

Grett, leur gouvernante, la prit quant à elle dans ses bras avec toute la tendresse qu'elle avait

toujours su leur offrir. Puis elle saisit une pile de linges repassés et disparut dans le couloir d'accès

aux chambres, laissant ainsi les deux femmes en tête à tête.

 Entre ma chérie, l'invita Rosamine en la précédant jusqu'aux fauteuils du salon. Installe-toi.

Meydân s'exécuta sans rien dire, décortiquant dans ce même temps les moindres faits et

gestes de sa mère, les plus subtiles tonalités de sa voix trahissant un malaise qu'elle peinait à

masquer.

 Bien, dit Rosamine en déposant sur la table basse une carafe de vin et deux verres à pied.

Qu'est-ce qui t'amène ici ma chérie ?

Meydân ne répondit pas dans l'instant. Elle semblait chercher la meilleure façon de tourner

son idée.

 Et bien ; qu'y a-t-il de si difficile à dire ? s'en amusa presque Rosamine.

 C'est ça ! s'exclama Meydân au point d'en faire presque sursauter sa mère. C'est exactement

les mots que je cherchais.

 Les mots que tu cherchais ? dit-elle en versant lentement un peu de vin dans chacun des

verres.
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 « Qu’y a-t-il de si difficile à dire » ? répéta-t-elle à son tour.

 À quel propos ? la relança Rosamine en lui tendant son verre.

Mais Meydân ne le saisit pas pour autant. La naissance de ses doigts agités dans le

croisement de ses bras révélait une légère impatience de sa part.

 Bon qu'est-ce que tu es venue me demander ? lâcha enfin sa mère.

Manifestement moins amusée désormais, elle se débarrassa du verre en claquant

nerveusement le pied de ce dernier sur la table basse.

 Tu vois, c'est cette question à laquelle je m'attendais quand je t'ai appelé tout à l'heure,

débuta Meydân. Depuis que je me suis mise en ménage avec Malone, je n'ai jamais fait ça :

t'appeler et m'inviter pour le repas en te prévenant à la dernière minute. La mère que je

connais aurait été inquiétée par ce comportement. Elle m'aurait noyé de questions, m'aurait

demandé si tout allait bien et n'aurait pas raccroché sans que je lui dise ce qui ne tournait pas

rond… Mais à la place de ça, tu m'as simplement dit que tu allais faire préparer un bon repas

et tu as raccroché.

 J'ai senti dans ta voix qu'il s'agissait de quelque chose d'important mais pas de grave, se

justifia-t-elle. Tu n'avais ni l'air paniqué, ni attristé, seulement très concentré. Alors te

sachant au travail, j'ai préféré reporter notre petite conversation à plus tard.

Meydân hocha la tête de gauche à droite avant d'avaler finalement une bonne gorgée de vin.

Elle sentait qu'elle allait en avoir besoin durant les prochaines minutes.

 Écoute, je ne vais pas passer par quatre chemins, écourta-t-elle. Si je suis venue te voir c'est

parce que j'ai besoin que tu sois sincère avec moi.

 Sincère avec toi ? Mais enfin Meydân…

 Quel était le motif de ta visite surprise chez moi ? la coupa-t-elle.

 Je te l'ai déjà dit ; ton père m'avait appelé pour me dire que tu étais repartie plus tôt du

travail parce que tu ne te sentais pas bien… Je suis donc venue m'assurer que tu n'avais

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besoin de rien.

 … Je ne te crois pas, avoua Meydân. Du moins, pas en totalité. Je ne doute pas de ta

bienveillance à mon égard mais j'ai l'impression que quelque chose d'autre motivait ta visite.

Cette fois-ci Rosamine ne répondit rien. Elle observa sa fille quelques instants sans rien

laisser transparaître, puis finalement se leva de son fauteuil tout en replaçant délicatement son

tailleur sur ses jambes.

 Je n'aime pas du tout ce ton suspicieux avec lequel tu as décidé de me parler aujourd'hui, dit-

elle enfin.

 Je ne fais qu'interpréter ton comportement, rétorqua Meydân presque aussi scandalisée que

sa mère.

 Mon comportement ? Parce que je ne t'ai pas demandé quelles étaient les raisons de ta venue

alors que nous allions nous voir dans la demi-heure qui suivait ?

 Entre autres mais pas seulement, se défendit-elle. Quand tu es venue me rendre visite la

dernière fois, j'ai cru que tu voulais me dire quelque chose.

 À quel moment ? réagit Rosamine en affichant un air perplexe.

 Quand tu allais partir, tu m'as pris dans tes bras et tu as… murmuré quelque chose…

Comme si tu hésitais à me parler.

 J'étais bouleversée Meydân. L'affectation de ton frère à l'Expéria venait de me ruiner le

moral. Je pense que tu es assez intelligente pour comprendre ça.

 Mais quand je t'ai demandé de me dire ce qui n'allait pas, tu n'as rien répondu et tu es

partie… Tu t'es presque enfuie…

 J'allais… débuta Rosamine avant d'écraser son poing contre son menton.

Elle semblait au bord du sanglot, chose que Meydân visait à contre cœur depuis le départ.

Mais il n'y avait que comme ça qu'elle obtiendrait des réponses de sa part.

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 J'ai préféré me taire parce que j'allais être cruellement injuste, dit enfin Rosamine en laissant

s'écouler quelques larmes. J'allais te dire des horreurs que je ne pensais pas… Parce que j'en

voulais profondément à LEXO de m'avoir arraché mon fils… J'en voulais à ton père et à la

dureté de son règlement, je t'en voulais à toi de ne pas pouvoir le sauver… Alors oui, j'ai

préféré partir et ne rien te dire car je savais que j'aurais regretté mes propos.

Puis elle contourna les fauteuils du salon pour rejoindre pudiquement le couloir d'accès à la

suite parentale.

 Maman… dit alors Meydân pas si fière d'elle pour le coup.

 Excuse-moi, répondit Rosamine en lui faisant comprendre d'un signe de la main qu'elle

voulait prendre un instant pour elle.

Meydân resta donc immobile dans le fond de son fauteuil. Elle ne savait plus quoi penser. Le

comportement de sa mère avait jusqu'alors manqué de « normalité », ce qui accentuait fortement ses

suspicions. Mais tout ce qu'elle venait de lui raconter tenait la route et ses larmes témoignaient de la

complexité de ses sentiments… Meydân eut donc des doutes et se trouva finalement plutôt injuste,

voire cruelle avec sa mère.

Après avoir rangé sa dernière pile de linges, Grett se décida à redescendre au rez-de-

chaussée pour aller surveiller les derniers préparatifs de son droïde d'assistance culinaire. Mais en

arrivant dans le couloir menant au salon, la voix pincée de Rosamine provenant de l'un des bureaux

attenants à la suite parentale l’interpella. Grett laissa alors glisser son regard vers l'ouverture

donnant sur le salon et vit les jambes croisées de Meydân, toujours assise dans son fauteuil, battre la

chamade. Il s'était manifestement passé quelque chose. Ne se sentant pas l'envie de retraverser le

salon s'en comprendre les raisons d'une telle tension dans cette maison, Grett s'approcha

discrètement du bureau où Rosamine s'était enfermée. De là, elle tendit l'oreille pour espérer

entendre des bribes de conversation qui lui permettraient de cibler au minimum la gravité de la

situation.

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 « Je n'en sais rien !» s'exclama Rosamine la voix la plus pincée possible pour ne pas être

entendue. (…) « Non, non, elle ne m'a rien dit à ce sujet. » (…) « Atân je t'assure que si elle

découvre ton traceur sous sa voiture, je ne pourrais pas faire l'ignorante encore bien

longtemps. »

Grett ouvrit de grands yeux. Elle ne comprenait pas un mot de cette conversation mais

certaines informations l'alertèrent. « Un traceur sous une voiture » ? Chaque véhicule en était

équipé d'un à sa fabrication, c'était donc étrange qu'il faille en apposer un autre. Le couple

Hederling cherchait à priori à épier quelqu'un…

 « Ce n'est pas à moi de lui dire ça », ajouta Rosamine contrariée. « Si tu veux la livrer aux

enquêteurs, c'est toi qui t'en charges. » (…) « Non Atân, on m'a enlevé mon fils, je ne veux

pas perdre ma fille à son tour. En tout cas tu ne peux pas me demander ça à moi… »

Meydân fit sursauter Grett sans le vouloir en reposant un peu trop brusquement son verre de

vin sur la table basse. C'est à ce moment-là que la gouvernante se décida à retourner dans le salon,

estimant qu'elle en avait assez entendu.

 Aah Grett, s'exclama Meydân en la voyant sortir du couloir. Ce que tu nous as préparé doit-

être divinement bon. J'en ai l'eau à la bouche rien qu'à l'odeur…

 Merci ma Chouquette, répondit-elle dans un sourire bien moins lumineux qu'à son habitude.

La jeune femme suivit alors du regard la gouvernante jusqu'à la voir disparaître dans sa

cuisine. Tout ceci ne la rassurait pas vraiment…

 Excuse-moi, dit enfin Rosamine en revenant dans le salon, mouchoir à la main.

 Ça ne fait rien, répondit-elle.

 Viens t'asseoir à table si tu le veux bien. Le repas ne devrait plus tarder.

Consciente qu'elle s'était peut-être égarée dans sa réflexion, Meydân reprit finalement une

conversation plus légère avec sa mère. Après tout, Atân n'était pas du genre à déléguer des missions

trop importantes et l'idée que Rosamine ait pu l'espionner à un moment donné pour son compte était

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finalement déraisonnée. Un détail cependant l'empêchait de la laver complètement de tous

soupçons : l'attitude de Grett durant le repas. La gouvernante ne décrocha pas un mot du service,

pas une petite attention, rien de tout cela. Elle qui d'habitude était si bavarde, si présente, s'était

pourtant contentée du strict minimum cette fois. Meydân la vit même lever les yeux au ciel quand

Rosamine dit à sa fille, au décours d'une conversation, qu'elle et Atân «ne seraient rien sans elle ».

Après une bonne heure de repas, Meydân dut s'excuser. Sa pause devait déjà être terminée, il

fallait donc qu'elle retourne sur LEXO.

 Tu n'auras pas pu profiter du succulent dessert de Grett… regretta Rosamine alors que sa

fille enfilait son manteau.

 Oh mais elle ne va pas s'en tirer comme ça, dit la gouvernante en sortant de la cuisine une

petite boîte cartonnée en main. J'ai fait des muffins à la myrtille, tes préférés. Il aurait été

dommage que tu n'en profites pas.

 Grett… Merci beaucoup, répondit Meydân touchée par le geste.

Elle embrassa sa mère, puis la gouvernante qui lui remit la boîte et rejoignit enfin sa voiture.

Elle s'apprêtait à réaliser un demi-tour dans la cour quand elle vit Grett revenir vers elle, agitant

quelque chose avec énergie.

 Ne cours pas… lui dit Meydân tout en ouvrant la fenêtre de sa voiture.

 Tiens, dit-elle en lui tendant des serviettes en papier. Si tu veux commencer à grignoter un

muffin sur la route, autant que tu aies de quoi t'essuyer les babines avant d'arriver au travail.

 Merci beaucoup… répondit-elle en saisissant la main de la gouvernante avec amour. Mais je

pense que je les mangerai tranquillement ce soir avec Malone.

Sur ces mots, Grett ouvrit de grands yeux. On aurait dit que l'idée qu'elle ne soit pas seule

pour les déguster la mettait mal à l'aise.

 Je te conseille d'en croquer au moins un avant ce soir, compléta cette dernière. Ils sont

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meilleurs tièdes… Aller bon courage ma Chouquette, à bientôt.

Puis elle retourna vers la demeure Hederling d'où Rosamine devait certainement les épier

depuis la fenêtre du séjour. Perplexe, Meydân la regarda disparaître à l'intérieur de la maison. Une

nouvelle vague d'incompréhension la submergeait mais au vu de l'heure déjà bien avancée, elle se

décida tant bien que mal à reprendre la route.

Sur le chemin la conduisant jusqu'à LEXO, Meydân se dit qu'il était temps de rendre des

comptes à Jayden.

 Communication, dit-elle à l'intention du navigateur automatique du véhicule.

 « Contact ?» lui retourna la voix langoureuse du navigateur.

 Jay…

Mais en détournant un instant son regard de la route, Meydân retomba sur la boîte cartonnée

laissée sur le fauteuil passager.

 Fin de la communication ! dit-elle soudainement.

 « Communication interrompue », confirma le navigateur.

Se trouvant arrêtée à un feu de signalisation, Meydân se servit de ce laps de temps pour se

remémorer les derniers mots de Grett.

 « En croquer un avant ce soir » … dit-elle en déposant sa main sur la boîte cartonnée.

Puis elle souleva finalement le couvercle et découvrit quatre beaux muffins toujours aussi

gourmands… Mais pas seulement. Un morceau de papier replié sur lui-même avait été placé entre

les quatre gâteaux. Meydân le saisit aussitôt, dépliant avec énergie le malheureux petit bout de

papier jusqu'à en découvrir le contenu.

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Atân et Rosa se sont appelés ce midi.

Ils ont parlé de toi, d'enquêteurs

et d'un traceur sous une voiture.

J'espère que tu n'as pas fait de bêtise…

J'espère ne pas en faire une en te

parlant de tout ça.

Fais attention à toi ma Chouquette.

Grett

- Miiiip ! -

 Ah merde ! s'exclama Meydân.

La voiture de derrière venait de klaxonner nerveusement face au feu vert brillant devant eux.

La jeune femme leva alors la main en signe d'excuses et reposa le morceau de papier dans la boîte

avant de poursuivre sa route. Cette fois, ça y est : elle avait la preuve qu'elle attendait. Sa mère lui

mentait ouvertement et n'avait rien trouvé de mieux que de la faire culpabiliser pour se débarrasser

de ses questions.

 Putain la garce ! ragea-t-elle alors qu'elle arrivait sur la dernière portion de route la menant

sur LEXO.

Sur les derniers mètres, elle hésita à appeler Jayden mais préféra finalement attendre. Il

fallait d'abord qu'elle vérifie l'authenticité des propos de Grett. C'est donc une fois arrivée sur le

parking du groupe, sa voiture rangée entre deux autres, qu'elle en descendit et fit semblant de faire

tomber son badge de travail. De là elle se baissa, jeta un rapide coup d’œil sous sa voiture et n'eut

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besoin que de quelques secondes pour repérer le fameux traceur. Il s'agissait d'une sorte de pastille,

pas plus grosse qu'une pièce de monnaie, aux pourtours lumineux. Meydân glissa donc son bras

jusqu'au petit objet et chercha dans un premier temps à l'arracher de l'habitacle avant d'appuyer en

son centre, libérant finalement les petites pointes agrippées dans le métal. Elle enfouit ensuite le

traceur dans son sac à main et se redressa calmement avant de rejoindre le groupe. Son visage était

des plus inexpressifs, son attitude on ne peut plus normale. Mais au fond d'elle son sang

bouillonnait, son cœur frappait fort dans sa poitrine et sa rage devenait malgré elle quasi

incontrôlable.

Cela faisait maintenant plus de deux heures que Jayden attendait des nouvelles de Meydân.

L'attente était pour lui insupportable, il imaginait donc sans mal ce que cela devait représenter pour

Silhaée. Il hésitait désormais à remonter dans le bureau de Meydân mais risquait cette fois d'éveiller

réellement les soupçons. Une cheffe de projet dérangée deux fois dans la même journée par un

agent d'un secteur qui n'était même pas le sien… Non c'était trop gros.

Depuis que LEXO lui avait retiré son compagnon, il était difficile de communiquer de

manière sécurisée avec elle. Seuls les droïdes fixes ou les navigateurs des véhicules leur

permettaient désormais de se tenir informés. Mais comme pour tout le reste, ils n'étaient pas à l'abri

d'une surveillance des communications via un piratage des lignes. Les échanges devaient donc être

brefs et très occasionnels.

 Jayden, je peux te confier les deux dernières échelles ? lui demanda Dean en faisant roulant

ces dernières au centre du Transiteur.

 Hum… Oui, répondit-il le regard dans le vide.

 Toujours pas de nouvelles ?...

 Non…

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 Ni de l'une ni de l’autre ? insista Dean sans masquer son inquiétude.

 Non, répondit Jayden furtivement.

Puis il se dirigea vers la plate-forme de contrôle du Transiteur.

 Et on met un coup de collier s'il-vous-plaît ! s'exclama-t-il à l'intention des autres passeurs.

Je vous rappelle qu'il faut qu'on ait terminé la mise en citerne des deux cents nouvelles

caisses de vaccins avant ce soir ! Et que l'Expéria attend encore ses caisses de matériel

stérile pour demain !

Les passeurs acquiescèrent les consignes avant de poursuivre leurs missions avec un regain

d'énergie adéquat. Dean comprit dans l'attitude de Jayden qu'il ne souhaitait pas que ses collègues

remarquent que quelque chose n'allait pas. Il adopta donc la même stratégie et reprit son travail sans

rien ajouter.

Jayden venait de refermer et valider le contenu d'une première citerne quand il vit au loin

Meydân entrer dans le Transiteur. Ni une ni deux, il délaissa tout ce qu'il était en train de faire et

vint jusqu'à elle.

 Sortons, lui dit-il en zyeutant autour d'eux.

 Non, s'opposa-t-elle. Je me fous de ce qu'on pourra penser ou dire, de toute façon nous

sommes déjà foutus.

 Quoi ?! s'exclama Jayden en l'incitant quand même à le suivre vers un coin plus reculé du

Transiteur.

Il la mit ensuite dos à la caméra la plus proche et l'incita à reprendre la conversation.

 J'ai vérifié la chose en question dont je te parlais tout à l'heure, lui expliqua Meydân. Mes

parents, ils ont compris que j'avais quelque chose à voir avec l'enlèvement de Silhaée.

 Comment tu peux en être sûre ? s'étonna-t-il.

La jeune femme lui raconta dans les grandes lignes ce qui l'avait motivé à aller rendre visite

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à sa mère et le peu de réponses qu'elle avait obtenu d'elle. Elle lui raconta ensuite l'échange avec la

gouvernante et le petit mot dans la boîte de muffins qui avait changé la donne.

 Cette femme est formidable, répondit Jayden en faisant référence à Grett.

 Disons qu'elle a toujours été très attentionnée et aimante envers mon frère et moi-même…

Et je crois qu'elle n'a pas plus confiance en mes parents que nous…

 Et par rapport à ce qu'elle t'a dit, tu as pu vérifier… poursuivit Jayden.

Sur ces mots, Meydân sortit de la poche de sa blouse un pot stérile, récipient de laboratoire

opaque, qu'elle lui tendit discrètement.

 Qu'est-ce que… dit-il sans comprendre.

 Il est dedans, répondit-elle en faisant référence au traceur. Désactivé bien sûr. Il faut

absolument que tu l'étudies, que tu pistes l'identité de son acheteur. S'il s'agit de mon père,

considère que nous sommes piégés. Sinon… Nous n'avons qu'un sursis. Je suis quasiment

certaine que si mon père ne trouve rien à propos de Silhaée dans les heures qui viennent, je

serai livrée aux mains de ses enquêteurs comme suspect numéro un. Alors il faudra que tu

prennes les bonnes décisions parce qu'à ce moment-là j'aurais les mains liées pour un temps

indéterminé.

Jayden sembla soudainement bien plus préoccupé, ce qui inquiéta immédiatement Meydân.

 Non non non, dit-elle alors. Ne prends pas l'air de celui qui n'a plus de solution à me

proposer. J'ai confiance en toi, on va y arriver.

 Meydân… Je sais que nous avons fait les bons choix jusque-là mais nous n'allons pas

pouvoir fuir indéfiniment. Il va falloir arrêter de subir tout ça et agir plus « directement » à

un moment donné…

 Ça ne te va pas de côtoyer Silhaée H24… dit-elle. Quand j'ai parlé avec Eyrin de notre plan

de sauvetage, nous avions convenu de la garder cachée un moment pour pouvoir faire

pression sur les autorités et espérer grâce à ça qu'ils conserveraient les travaux de recherches

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chez les patients-testeurs. Si nous nous risquons maintenant à frapper du poing sur le bureau

de mon père ; au mieux il nous donnerait l'illusion qu'il est compréhensif pour finalement

récupérer Silhaée et l'enfermer de nouveau dans le dôme. Au pire il nous ferait arrêter puis

irait la chercher par lui-même et la tuerait de ses mains pour régler tous les problèmes.

 J'entends tout ça mais il faut être réaliste, nous ne réalisons aucune pression depuis qu'elle

est sortie du dôme, fit remarquer Jayden. La campagne de vaccination anti ERR-6 va bientôt

être lancée et l’étau se resserre sur nous d'heures en heures. Nous risquons de tout perdre et

tu le sais…

Cette fois Meydân resta silencieuse. Tout ce que Jayden venait de dépeindre était vrai mais

aussi très pessimiste. Et même s'ils avaient l'impression de tomber progressivement dans un trou

très profond, il ne fallait pas en oublier de tenter de s'accrocher.

 Bon… dit-elle après réflexion. Essaie de partir plus tôt pour rejoindre Silhaée au plus vite. Il

va falloir qu'on s'organise dès ce soir pour trouver un nouveau plan qui la protégera plus

encore et nous innocentera par la même occasion.

 Si elle ne s'est pas fait repérer d'ici là…

 Tu m'as dit qu'à la fouille de la maison, notre plan B avait fonctionné à merveilles. Ils

doivent donc penser qu'elle s'est échappée, ce qui est parfait dans l'immédiat.

 … J'aimerais voir les choses comme ça… répondit Jayden en repartant vers le centre du

hangar.

Meydân fit alors une moue largement plus sceptique que les précédentes avant de quitter le

Transiteur.

Dans l’ascenseur la ramenant sur son secteur, elle eut une pensée pour Eyrin. Depuis que son

père avait appris qu'elle était allée lui rendre visite en secret, Meydân n'avait plus le droit d'entrer

dans l'Expéria. Elle n'avait donc plus la possibilité de le voir et encore moins de lui demander

conseils… Pourtant tout aurait été tellement plus simple s'il avait pu les aider. Les bonnes idées, les

plans B, c'était son truc à lui ça, pas le sien.


UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 117
14

Transmissions secrètes

En entendant le petit signal sonore précédant l'ouverture de sa porte de chambre, Eyrin

bondit de son lit. Une énième curatrice venait lui apporter son plateau repas comme trois fois par

jour.

 Avez-vous enfin pu voir Erdowel ? lui demanda-t-il derechef.

 Je regrette Monsieur Hederling mais encore une fois nous ne le voyons que très peu en ce

moment. En revanche sa secrétaire m'a demandé de vous remettre ceci en attendant sa

prochaine visite.

La curatrice lui tendit une grande enveloppe qu'Eyrin s'empressa de saisir et de décacheter. Il

découvrit alors un épais dossier de plusieurs dizaines de pages sur lequel était inscrit en gros

caractères :

« CHARTE INDIVIDUALISEÉ DE SILENCE, À L'ATTENTION

DE M. HEDERLING E. »

À la lecture de ces mots, un rire nerveux échappa à Eyrin qui froissa légèrement le dossier

entre ses mains.

 Monsieur Hederling, tenta de reprendre la curatrice. Le Docteur Erdowel a insisté pour que

vous lisiez ce document calmement et que vous preniez le temps de vous en imprégner avant

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 118


de le signer.

Cette fois Eyrin se mit à rire franchement, comme si les propos tenus par la soignante face à

lui étaient complètement déraisonnés.

 Que je signe ça ? dit-il en dressant le dossier face à elle. Dites-moi Mademoiselle, le

Docteur Erdowel vous a-t-il seulement expliqué le contenu de ce « document » avant de

vous demander de me le transmettre ?

 Non… dit-elle manifestement mal à l'aise. Mais toutes ces informations sont

confidentielles… Elles ne regardent que vous et le Docteur…

 Ah vous croyez ?

En sentant que la curatrice commençait à reculer, Eyrin la contourna de sorte à se retrouver

entre elle et la porte de sortie.

 Non non non, dit-il avec la lueur d'un fou dans le regard. Ce n'est pas parce que vous avez

décidé de m'enfermer ici depuis deux jours que je n'ai pas le droit de parler un minimum

avec les personnes qui entrent ici.

La soignante fit alors glisser sa main vers un petit badge qu'elle avait d'accroché à sa blouse,

un badge d'urgence qu'il lui était possible d'activer pour appeler des renforts.

 Si j'étais vous je ne ferais pas ça, lui dit Eyrin en interrompant son geste dans ce même

temps. Je ne veux pas vous faire de mal et encore moins vous faire peur. Je veux simplement

que vous compreniez ce qu'il se passe ici…

La curatrice relâcha alors son badge et se fit plus attentive, répondant davantage à la

demande d'Eyrin plus qu'à ses convictions personnelles.

 Merci, dit-il enfin en tentant de retrouver son calme. Comme son nom l’indique : ce

document est une charte de silence individualisée, rédigée par mon père Atân Hederling, le

Docteur Erdowel bien entendu et Jodd Altwood. Elle a été conçue pour me permettre de

quitter le dôme dans le plus grand des secrets si je m'engage en contrepartie à ne pas

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divulguer d'informations sur mon état de santé. Elle a également été faite pour me dire qu'à

ma sortie du dôme, il faudra impérativement que je sois assigné à résidence chez mes

parents, pour ne pas encourir le risque que qui que ce soit ne me croise dans la rue alors que

je ne suis plus sensé m'y trouver. Et enfin, elle est là pour me rappeler que dans un souci de

flou thérapeutique total, il faut que je sois stérilisé pour envisager une sortie. Et oui, car dans

le cas où il me viendrait à l'idée de fuguer de chez moi pour aller me reproduire, il serait

dommageable d'encourir le risque de faire un bébé avec une personne vaccinée contre

l'ERR-6 alors que ce même gène me ronge à petit feu.

La curatrice semblait impressionnée mais pas surprise. Eyrin n'en fut cependant pas

vraiment étonné puisqu'il s'agissait en fin de compte de l'un de ces soignants qui acceptaient

d'administrer des placebos pour la forme à des patients qu'ils savaient en conséquence condamnés.

 Moi je pense que vous avez de la chance quelque part qu'on ne vous laisse pas pourrir ici,

avoua-t-elle enfin. J'ai perdu un ami et un oncle de l'ERR-6 et j'aurais aimé qu'on leur

accorde les mêmes privilèges que les vôtres. Je suis sûre qu'ils n'en auraient pas fait toute

une histoire, qu'ils auraient signé cette charte et pris ce traitement stérilisant pour peu qu'ils

puissent profiter encore un peu de leurs proches.

 Seulement si je pensais comme vous Mademoiselle, si j'acceptais de sortir du dôme en ne

pensant qu'à moi et ma famille, cela voudrait dire que je renoncerais à me battre pour toutes

celles et ceux qui n'ont pas eu ce privilège. Cela voudrait dire que je laisserais LEXO

emprisonner ces hommes et femmes jusqu'à leur mort pour ne pas qu'ils prennent le risque

de s'accoupler avec des futurs vaccinés… Ou peut-être aussi pour ne pas qu'ils parlent de

Silhaée Uji… La disparue du dôme, la survivante de l'anti ERR-6 qui n'est jamais revenue

de son « intervention » …

Cette fois la curatrice n'eut plus les arguments pour défendre les idées que le groupe prônait

magistralement.

 Vous voyez Mademoiselle… termina Eyrin. Ce n'est pas si simple que ça.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 120


La soignante regarda la charte dans les mains du jeune homme, puis la porte derrière lui.

 Il faut que je continue, j'ai des plateaux à apporter ailleurs, dit-elle.

 Et je comprends, répondit Eyrin. J'aurais juste une dernière petite question…

 Je vous écoute mais faites vite.

 N'y a-t-il vraiment aucune chance pour que j’aie le droit d'écrire un courrier à mes proches ?

N'importe quel patient-testeur ici à ce droit, je ne vois pas pourquoi les choses seraient si

différentes pour moi.

 Depuis votre seconde fugue, le Docteur Erdowel a été clair : porte verrouillée, pas de

permission nocturne, pas de visite et pas de lettre jusqu'à nouvel ordre.

La réponse il la connaissait déjà mais elle la contraria une fois de plus. Eyrin jeta alors avec

force la charte contre un mur qui s’effeuilla au vol. Puis il s'écarta de la porte pour laisser la

soignante continuer son travail. Cette dernière ne demanda pas son reste et quitta la pièce

prestement après lui avoir accordé un dernier regard à mi-chemin entre l'empathie et la pitié.

 Oooaaaah ! bailla un curateur assis derrière son îlot de surveillance. Punaise il n'est que trois

heures du mat'… Elle est interminable cette nuit…

 Je vais aller me chercher un café, je t'en ramène un ? proposa la deuxième curatrice en poste.

 Ah ouaip !

Elle sortit alors de leur aile et se dirigea vers la salle de pause réservée aux soignants du

centre de soins continus. En arrivant devant la machine à café, elle constata que les recharges

étaient vides.

 Comme d'habitude… dit-elle en faisant demi-tour.

Blasée, elle s'en alla jusqu'à la réserve du centre de soins, se jurant que c'était bien la

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dernière fois qu'elle remplissait la machine pour tout le monde. En passant devant l'intersection du

couloir principal avec un adjacent, la curatrice s'arrêta. Si elle se souvenait bien, c'était ici qu'Eyrin

avait été installé : dans l'ancienne chambre de garde. La soignante hésita un instant… puis reprit son

chemin… avant de faire finalement deux pas en arrière. À cette heure-ci il n'y avait pas grand risque

qu'elle rencontre quelqu'un, surtout à ce niveau du centre. Elle s'éclipsa donc dans le renfoncement

convoité et badgea à la seule porte existante au bout de ce dernier. En entrant, elle y découvrit une

pièce plongée dans la pénombre. Les volets automatiques de la chambre n'avaient été que

partiellement clos, laissant ainsi pénétrer la lumière bleutée de l'heure en rétroéclairage sur les

parois du dôme. Grâce à ça, elle put distinguer tous les éléments qui jonchaient le sol, à commencer

par le plateau repas dont les différentes assiettes avaient été propulsées telles des frisbees contre les

murs. En avançant encore elle remarqua que le sol était également couvert d'une multitude de

morceaux de papiers déchirés. Intriguée, elle finit par en ramasser quelques-uns et tenta de savoir de

quoi il s'agissait. Elle crut reconnaître les termes d'un contrat dans lesquels elle retrouva à de

multiples reprises le mot « interdit ». Elle contourna comme ça divers éléments, papiers et draps

jetables déchirés jusqu'à arriver au plus près du lit du jeune homme.

Eyrin y était allongé, tête dans l'oreiller. Le sommeil semblait enfin avoir eu raison de sa

colère. La soignante hésita d'abord à le réveiller et finit par se lancer car elle ne savait pas si et

quand elle aurait de nouveau la possibilité de venir le voir.

 Hey… murmura-t-elle en déposant sa main sur son épaule.

Eyrin bougea d'abord lentement, abandonnant sa position latérale pour se remettre sur le dos

avant de bondir de surprise lorsqu'il ouvrit un œil.

 Wow ! s'exclama-t-il en prenant appui sur ses mains pour se redresser.

 Chuuut… dit-elle en regardant par réflexe la porte close derrière elle.

 Joa ?! Mais qu'est-ce que tu fais là ?

En un coup d’œil, Eyrin avait reconnu le visage longiligne de l'une des curatrices de nuit

avec qui il avait passé quelques soirées.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 122


 J'ai appris pour tes conditions de détention, ironisa-t-elle. Ça ne doit pas être la joie en ce

moment hein ? …

 C'est clair, répondit-il en s'asseyant sur le bord de son lit.

En apercevant de nouveau l'amoncellement d'objets et de nourriture au sol, il se remémora

sa dernière crise de nerfs.

 Hum… Je suis désolé… J'ai un peu honte mais je…

 Ne t'en fais pas, dit-elle. Je peux comprendre.

 Non… Franchement tu ne peux pas, la contredit-il tête basse.

 Qu'est-ce qui se passe Eyrin ? J'espère qu'on ne te fait pas de mal ? …

 Oh non, ça de ce point de vue-là, je n'ai pas à me plaindre.

 Alors quoi ? Qu'est-ce qui t'as mis dans un état pareil ?

Après une longue inspiration, Eyrin se lança dans la narration de ce qu'il s'était passé avec la

curatrice précédente au moment du dîner. Il fit le même speech à Joa, lui détailla les mêmes

éléments, lui avança les mêmes arguments. Et ce qui lui fit le plus plaisir c'est les réactions de cette

dernière lorsqu'elle lui fit part de son admiration face à des convictions aussi fermes.

 Et est-ce que toi tu penses que tu pourrais me permettre de voir Erdowel ? tenta Eyrin.

 Oh non ça je ne crois pas malheureusement… En cinq ans de travail pour LEXO, je n'ai dû

le rencontrer qu'une fois. Je travaille de nuit tu vois alors bon, c'est délicat…

 Je comprends, répondit-il déçu malgré tout.

 Je suis désolée…

 Tu n'as pas à l'être.

 Par contre je pourrais peut-être donner quelques nouvelles à ta sœur si tu veux ?

Cette proposition serra le cœur d'Eyrin dans sa poitrine.

 Tu ferais ça ?

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 Attention, dit-elle en pointant un doigt vers lui tout en prenant un air faussement méfiant. Je

ne veux pas devenir ton compagnon de substitution. Je veux bien lui donner de tes nouvelles

ou lui passer un petit message, mais c'est tout.

 Je ne t'en aurais pas demandé plus, rétorqua-t-il en retrouvant peu à peu le sourire. Est-ce

que tu pourrais simplement lui dire que si je ne lui écris pas c'est parce que je n'ai pas le

droit et non pas parce que je ne le souhaite pas.

 Ça elle doit le savoir, ton père a dû lui dire non ?

Un petit rire nerveux échappa une fois de plus à Eyrin.

 Quoi, tu ne le crois pas ? s'exclama Joa.

 On voit que tu ne le connais pas… dit-il en hochant la tête de gauche à droite. Donc est-ce

que tu pourrais lui dire ?

 Oui, ça j'imagine que je peux lui transmettre.

 Super, répondit-il en joignant ses mains l'une contre l'autre. Bon maintenant je vais te

demander une faveur.

 Oulà… Je veux bien t'aider un peu parce que j'ai de la sympathie pour toi, mais encore une

fois dans la limite du raisonnable...

 En fait ça nécessite que tu reviennes me voir quand tu pourras… Parce que concrètement je

n'ai pas grand-chose à dire à Meydân... mais plutôt plein de questions à lui poser.

 Sauf que je ne suis pas sûre de pouvoir revenir… dit-elle avec franchise. Si je suis là c'est

parce qu'il n'y avait plus de café dans notre machine et qu'il a fallu que j'aille en chercher à

la réserve qui se trouve à deux pas de ta chambre…

 Si tu ne reviens pas tant pis mais si tu reviens j'aimerais que ce soit avec des réponses…

 Bon… Dis toujours, céda-t-elle. Mais dépêche-toi. Ça fait déjà un quart d'heure que je suis

partie, mon collègue va finir par se poser des questions...

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 Est-ce que tu pourrais lui demander comment va… notre petite protégée ?

Dans l'urgence, Eyrin n'avait pas trouvé d'autre façon d'anonymiser l'identité de Silhaée tout

en prenant le soin de rendre son message compréhensible pour Meydân.

 C'est quoi ça, un code secret ? rétorqua Joa en visant dans le mille sans le savoir.

 Non non c'est une amie à nous, répondit Eyrin en feintant l'aisance. C'est comme ça que

nous la surnommons depuis toujours.

 D'accord, dit-elle. Donc des nouvelles de votre petite protégée, répéta-t-elle.

 Et est-ce que tu pourrais lui demander de prendre aussi des nouvelles de Torana ?

 Attention, j'ai dit dans la limite du raisonnable…

 S'il-te-plaît… Juste ça…

 … Bon donc des nouvelles de votre petite protégée et Torana, énuméra-t-elle. C'est bon ?

 Oui… répondit Eyrin en souriant de bonheur.

 Je ne te promets rien encore une fois, le prévint-elle de nouveau en se levant de son lit.

 Oui oui, je sais. Mais dis-toi que ça me ferait un bien fou de savoir ça…

Désormais occupée à sortir d'ici, Joa contourna dans l'autre sens le bazar au sol avant de se

retrouver devant la porte de la chambre.

 N'essaie pas d'exacerber ma sensibilité… dit-elle empathique malgré tout. Je ferai tout ce

que je peux mais je ne te promets rien.

 Joa ? l'interpella-t-il avant qu'elle ne quitte la pièce.

 Oui ?

 Merci, dit Eyrin. Au-delà du service rendu, je te remercie d'être passée me voir… Ça m'a fait

beaucoup de bien…

 … Prends soin de toi, dit-elle dans un sourire bienveillant avant de disparaître derrière le

verrouillage automatique de la porte.


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*

À l'image des autres employés du groupe, la secrétaire d'Atân avait quitté son bureau depuis

plus d'une heure maintenant. En arrivant dans les quartiers de la direction, Erdowel fut en

conséquence accueilli par un bureau vide et dérangea donc Atân par lui-même.

- Toc Toc -

 « Entrez », entendit-il depuis l'intérieur.

D'un coup de badge, il déverrouilla la porte et tomba sur le directeur encore installé dans le

fond de son fauteuil de bureau.

 Jack, s'exclama ce dernier. Entre je t'en prie, entre.

Erdowel s'exécuta, avançant jusqu'au bureau avant d'échanger avec lui une franche poignée

de main.

 Tu ne m'attendais pas j’espère ? demanda le médecin. J'étais assez pris aujourd'hui…

 Ne t'en fais pas pour ça, le rassura Atân. J'avais encore une montagne de choses à régler. Je

te sers quelque chose ?

 Non merci. Je ne vais pas rester longtemps.

 Bon alors venons-en au fait, tronqua-t-il soudainement moins enjoué. Si j'ai demandé à te

voir c'est pour que l'on discute de mon fils. J'aimerais savoir comment se passe son

affectation : mieux depuis que nous avons réajusté certaines choses ?

 Oui de fait… répondit Erdowel. Mais il demande à me voir chaque jour, plusieurs fois par

jour… Mes soignants ne savent plus quoi inventer pour justifier mon absence…

 J'ai confiance en eux, ils continueront à te trouver des excuses crédibles, l'interrompit-il. Et

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pour la charte, l'as-tu récupéré ?

 … Il l'a déchiré… avoua-t-il difficilement.

Atân enfonça encore un peu plus son dos dans son fauteuil de bureau, entremêlant ses doigts

les uns dans les autres.

 Je n'en attendais pas moins de lui, dit-il avec évidence. Et ses derniers résultats ?

 Négatifs… Il ne prend pas son traitement stérilisant…

 Bien, poursuivit-il en faisant rouler ses pouces l'un sur l'autre. Tout ceci m'amène à penser

que nous avons pris la bonne décision le concernant. Pas de contact, pas de privilège tant

qu'il ne cédera pas.

 Il attend peut-être simplement de nous qu'on discute avec lui de vive voix…

 Mon fils est une tête de lard, l'interrompit-il. Il attend de moi que je donne la même chance

que la sienne à tous les patients-testeurs. Mais ce qu'il ne comprend pas c'est que

premièrement ; nous ne pouvons pas prendre le risque de créer une nouvelle génération

mêlant un géniteur porteur de l'anti ERR-6 défaillant et un second vacciné contre.

Deuxièmement : le coût que représenterait la production d'un traitement stérilisant pour des

millions de personnes dépasserait de loin le budget accordé aujourd'hui pour l'Expéria et ses

antennes. Et enfin troisièmement : pour les patients-testeurs vivant déjà depuis un bon

moment dans les dômes, il y aurait beaucoup trop d'incohérence entre le contenu des lettres

écrites à leurs proches et les reformulations faites par le secteur de la « retranscription ». Ils

risqueraient donc de parler, de se poser des questions, de nous poser des questions, bref : ils

voudraient des réponses… Et ça, ça serait la pire chose qui puisse arriver à LEXO.

 Pourquoi ne pas expliquer tout ça à Eyrin tout simplement ? fit remarquer Erdowel. Peut-

être a-t-il besoin d'entendre tous ces éléments-là ?

 Il sait tout ça. Mon fils est une tête de lard, pas un idiot, rétorqua Atân agacé. Seulement il

refuse d'entendre que nous n'avions pas d'autres solutions que celle que nous avons prise.

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 Je reste convaincu qu'il serait intéressant de confronter vos points de vue… tenta le médecin.

 Et c'est mal connaître vos patients Docteur, ironisa-t-il. J'ai eu de longues discussions avec

ma fille à ce sujet et comme tu le sais, elle a fini par nous suivre même si elle n'était pas en

accord avec tout. Eyrin, lui, n'est pas aussi malléable. Il a même plutôt tendance à faire le

contraire de ce que je lui demande. Si je dis blanc, il dira noir et vice versa.

 Alors quoi ? Comment faire avancer les choses ?

Atân ne répondit rien, se contentant de sourire un peu malgré lui, tournant ses pouces dans

un sens puis dans l'autre sans discontinuer.

 Tu ne comptes quand même pas rien faire ? … s'exclama Erdowel.

 Disons que la défaillance de son gène est tombée à pic, avoua-t-il. Je savais que tôt ou tard

Eyrin comprendrait la finalité de mon projet concernant les dômes et qu'il me donnerait du

fil à retordre sur le sujet. Son affectation dans l'Expéria a donc réglé un de mes problèmes.

Et je dirais même qu'il est très bien là où il est.

 Alors pourquoi vouloir le faire sortir ? Pourquoi tout ce cinéma avec la charte de silence, la

stérilisation…

 Voyons Jack… Tu n'es pas attentif ? dit-il un sourire naissant sur le visage. Si je dis blanc, il

dit noir…

 … Tu savais qu'il refuserait… comprit Erdowel.

 Bien évidemment. Les termes du contrat sont si éloignés de ses convictions personnelles

qu'il ne pouvait que refuser. L'inverse aurait été étonnant.

 Tu… Tu ne vas quand même pas abandonner ton fils au même titre que les autres patients-

testeurs ? balbutia Erdowel gêné par cette idée.

 Non, bien sûr que non, rétorqua-t-il. Ma femme ne me le pardonnerait jamais. Non, disons

que je vais d'abord m'assurer que LEXO connaîtra la gloire qu'il mérite. Je vais lancer les

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vaccinations, laver l'honneur de mon père en rabattant le caquet de tous ceux qui n'ont eu de

cesse de critiquer son travail. Et ce n'est que lorsque j'aurai accompli tout ça que je serai

enfin tranquille et à même de m'occuper de mon fils. Lui, d'ici là bien sûr, il sera fatigué de

toute cette captivité et n'aspirera plus qu'à une chose : sortir de sa chambre, quel qu'en soit le

prix.

 Je vois… répondit Erdowel le regard vide. Et dans ton plan rudement bien ficelé, as-tu pris

en compte l'élément indésirable du projet : la disparition du sujet expérimental UJI ?

 Paolo ne te l'a pas dit ? s'étonna Atân. Nous avons une piste très sérieuse, un employé d'ici…

Un certain « Jayden Williams », enfin plus exactement « Jayden Siller ». Nous avons

découvert qu’il avait délivré une fausse identité pour être embauché par LEXO.

 Paolo ne m'en a pas parlé. Mais nous ne nous sommes pas vus depuis deux jours cela dit.

 Alors ce n'est pas étonnant, nos découvertes datent d'hier.

 Et donc « Jayden Siller » tu dis ? Qu'avez-vous contre lui ?

Atân pianota un instant sur son pavé tactile et retourna d'un geste de la main le faisceau de

lumière lui servant d'écran. Il afficha ainsi la fiche profil de l'employé en détaillant grossièrement

chaque élément retenu contre lui.

 Ancien ingénieur en informatique, petit génie du réseau, il est l'élément idéal pour pirater un

système de vidéosurveillance complet pendant quelques heures. Il faisait également partie

des employés sélectionnés le jour du prélèvement pour brancarder la patiente. Comme tous

les autres employés présents le jour J, il a été interrogé par mes enquêteurs. Il a dit être

rentré chez lui le soir de la disparition et assure avoir repris ses petites habitudes depuis.

Pourtant ses voisins disent ne pas l'avoir vu depuis plusieurs jours. Nous avons donc fait

placer un traceur sous sa voiture et avons enregistré le chemin qu'il a pris chaque jour depuis

la disparition du sujet expérimental UJI. Ce chemin le conduisait dans la maison d'un

proche, un frère décédé dans l'Expéria selon mes enquêteurs toujours…

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 Je me fais volontairement l'avocat du diable, prévint Erdowel, mais n'a-t-il pas le droit

d'aller dans la maison de son frère ? Ça ne me semble pas être un argument suffisant pour en

faire un suspect…

 Sauf si le traceur de base, celui intégré à la fabrication de sa voiture, a été piraté pour éviter

qu'on ne le piste.

 Ah… En effet, ça change la donne…

 Comme tu dis, confirma Atân. Heureusement le nôtre n'a pas été repéré, il n'a donc pas

cherché à le désactiver et c'est grâce à ça que nous pouvons aujourd'hui en faire une cible

principale.

 Mais alors pourquoi ne pas l'avoir fait arrêter ? fit remarquer Erdowel.

 Parce que mes enquêteurs m'ont certifié que s'il était en partie responsable du kidnapping, il

était en revanche impossible qu'il ait agi seul. Nous voulons donc d'abord trouver ses

complices avant de l'arrêter. Et quoi de plus simple pour trouver les autres qu'en ne les

inquiétant pas le moins du monde. J'ai donc fait placer un traceur sur la totalité des véhicules

des employés présents le jour du prélèvement et nous avons analysé leurs trajets. Parmi tous,

seuls quatre d'entre eux se sont rendus au moins une fois dans la fameuse maison du frère de

Jayden Siller : trois employés du secteur de la préparation, autrement dit de potentiels amis

ou collègues de notre suspect… Et une autre… Ma fille, Meydân.

 Meydân ?! s'exclama Erdowel.

 Incroyable non ? lâcha brusquement Atân l’œil fou.

 Et alors… Que vas-tu faire ?

 Elle est étiquetée sur les comptes-rendus de recherches comme l'instauratrice du vaccin anti

ERR-6. Tant que la campagne de vaccination n'est pas lancée, je ne peux rien faire. Si

j'engageais une procédure contre elle et qu'elle ne pouvait en conséquence pas se présenter à

futures interviews, les gens se poseraient trop de questions. Les médias risqueraient de

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chercher les causes de son absence et pourraient remonter jusqu'à l'origine du problème : le

sujet expérimental UJI.

 D'accord, acquiesça Erdowel. Mais en attendant il faut quand même que nous retrouvions la

patiente-testeuse… Les conséquences seraient plus dramatiques encore si elle apparaissait

en public et dévoilait son histoire…

 Ma femme devait tâcher de gagner la confiance de notre fille pour essayer de lui soutirer des

informations sur le sujet expérimental UJI mais elle n'est pas parvenue à trouver les bons

mots ou le bon moment pour le faire…

 J'imagine que ça devait être compliqué pour Rosa…

 Peu importe… coupa-t-il. Désormais les choses vont changer…

 Comment ça ? … s'inquiéta le médecin.

Atân ouvrit la bouche, comme pour se lancer dans de nouvelles explications, mais se ravisa

finalement.

 Tu sais quoi… dit-il malicieux. Puisque tu m'as dit ne pas pouvoir rester longtemps et que je

n'ai pas encore obtenu le compte-rendu de mes enquêteurs, je ne vais pas t'en dire plus. Mais

je te propose que nous déjeunions ensemble demain midi. Ainsi les nouvelles seront

fraîches.

 Oui d'accord… accepta Erdowel nettement moins enjoué.

 Mais rassure-toi mon ami, clôtura-t-il. Dans le meilleur des cas je t'annoncerai que nous

avons retrouvé le sujet expérimental UJI. Ou dans le pire, que nous avons enfin coincé ses

détenteurs…

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 131


15

Nouvelle escale

Au vu de la quantité de travail à réaliser pour la prochaine campagne de vaccination, Jayden

ne put partir plus tôt de LEXO. Ayant fait le choix de la discrétion après le passage notable de

Meydân, il ne recontacta pas Silhaée avant d'être sorti de son lieu de travail. Ce n'est qu'une fois en

voiture qu'il tenta à plusieurs reprises d'appeler la jeune femme mais n'obtint aucune réponse de sa

part. Ignorant la raison de son silence, il pressa davantage l'accélérateur à mesure que les kilomètres

défilaient devant ses yeux.

En arrivant à l'entrée de l'allée le conduisant jusqu'à chez Wayen, ses craintes se

confirmèrent. Trois véhicules sombres y étaient garés les uns derrière les autres. Leurs propriétaires

avaient envahi une fois de plus le domicile sans prévenir.

 Non non non non ! répéta vivement Jayden en écrasant encore un peu plus l'accélérateur.

En franchissant le portail, une partie des personnes présentes s'agglutina autour de son

véhicule jusqu'à ce qu'il en sorte précipitamment.

 Hey ! s'exclama-t-il en claquant sa portière puis en s'approchant brusquement de la demeure.

L'un des hommes lui fit cependant barrage, lui demandant avec insistance de reculer.

 Mais qu'est-ce que vous foutez chez moi ?! se révolta-t-il en voyant plusieurs attroupements

d'enquêteurs entrer et sortir de la maison. Vous n'avez pas le droit !

 Reculez, insista l'un d'eux. Le chargé de mission va venir vous expliquer la situation.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 132


Paniqué par la tournure que prenait la situation, Jayden n'appliqua que partiellement la

consigne, sinuant de droite à gauche à la recherche de celle pour qui tout était en train de basculer :

Silhaée…

 Mr Siller ? entendit-il derrière lui.

Un homme à l'uniforme moins sombre que les autres arriva jusqu'à lui, tablette en main.

 C'est vous « le chargé de mission » ? lui demanda Jayden du tac au tac.

 Oui, répondit-il en tapotant sur sa tablette avec énergie.

 Alors vous allez me faire le plaisir de demander à vos agents de dégager de chez moi !

 Mr Siller nous avons un mandat officiel provenant de la plus haute autorité

gouvernementale, dit-il enfin en lui tendant la tablette.

Jayden saisit alors le petit objet et constata qu'un mandat de perquisition exceptionnelle, sur

accord de Jodd Altwood, avait été délivré aux enquêteurs afin de procéder à certaines « vérifications

» dans le domicile de Monsieur « Wayen Siller ».

 Qu'est-ce que c'est que cette connerie ? … dit-il en peinant à feinter la surprise. Mon frère

est décédé depuis plusieurs années, pourquoi aurait-on un mandat contre lui ? …

 Ce n'est pas contre votre frère que ce mandat est dirigé Mr Siller. C'est contre vous, depuis le

domicile de votre frère.

Jayden n'arrivait plus à anticiper ce qu'il pouvait dire ou faire pour tenter de sauver le peu de

crédibilité qu'il lui restait.

 Et quels sont les faits qui me sont reprochés ? dit-il tant bien que mal.

 Certaines données importantes appartenant au groupe LEXO ont été dérobées il y a quelques

jours. Nous sommes donc missionnés pour enquêter à ce sujet.

 Quel rapport avec la maison de mon frère ? ne se laissa-t-il pas démonter.

 Vous y avez à priori élu domicile depuis la disparition de ces « données ».

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 133


 Je… s'interrompit-il soudainement.

Il venait de tilter quelque chose : comment les enquêteurs avaient-ils su pour sa nouvelle

domiciliation puisqu'il avait pris le soin de trafiquer le traceur intégré de sa voiture (au même titre

que celui de ses complices) ? Par qui ou plutôt « comment » l'avaient-ils su ? Il se souvint

soudainement du pot que Meydân lui avait confié, celui-là même qui contenait un traceur espion. Il

détourna alors un instant son regard pour le poser sur son véhicule et tilta. Il avait été d'une naïveté

sans nom.

 Oui ? le relança le chargé de mission.

 Hé ! Qu'est-ce que vous faites ?! bondit brusquement Jayden en voyant les enquêteurs sortir

certains meubles de la maison. Ce sont des affaires privées ça ! Elles appartenaient à mon

frère, un peu de respect putain !

Il accourut alors vers la porte d'entrée et fut d'abord surpris par la vive odeur de produits

ménagers, avant de l'être plus encore par la quantité d'agents relevant des empreintes et

photographiant les moindres détails suspects. Au fond de la pièce principale, il vit ensuite la porte

du dit « bureau-débarras » grande ouverte, dévoilant quelque chose qui le laissa bien plus perplexe

encore que toute cette histoire. La fenêtre de cette pièce semblait avoir été brisée depuis l'extérieur.

Des morceaux de verres couvraient le parquet du bureau, accompagnés d'un parpaing appartenant

certainement au tas de briques près du garage, abandonné là depuis de trop nombreuses années.

 Qu'est-ce que… susurra Jayden en pleine réflexion.

 Cette fenêtre était-elle déjà brisée ce matin avant que vous ne vous rendiez à votre travail ?

lui demanda le chargé de missions.

 … Non… répondit-il en approchant plus encore avant qu'on ne l'incite une fois de plus à

reculer.

 Monsieur ? interpella une enquêtrice, faisant ainsi revenir vers elle le chargé de missions.

Jayden tendit alors une oreille indiscrète vers eux tout en continuant d'observer les

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 134


enquêteurs s'activant dans le bureau.

 Les collègues qui avaient effectué le premier passage ici n'avaient pas eu le temps de visiter

cette pièce, rapporta la jeune femme. Ils disent avoir suspecté une présence dans la chambre

principale et s'être en conséquence détournés du reste de la fouille. Ils ne sont donc pas en

mesure de savoir si l'effraction dans le bureau était déjà d'actualité lors de leur premier

passage.

Soudain, Jayden comprit. Il comprit tout. En quelques secondes, il imagina d'abord

grossièrement, puis de plus en plus précisément, le scénario suivant l'appel de Silhaée. La jeune

femme venait de se protéger tout en les innocentant par la même occasion. Elle avait eu LE coup de

génie que Meydân et lui n'avaient pas su trouver.

 Nous y sommes, indiqua un homme à Silhaée.

La jeune femme était assise en voiture depuis une petite heure maintenant, aux côtés d'un

conducteur âgé d'une trentaine d'années à peine. Plus tôt dans la journée, alors qu'elle s'était

encapuchonnée et marchait d'un pas pressé mais hasardeux sur le bord de la route, ce dernier avait

répondu à son pouce tendu et l'avait pris en stop. Elle lui avait alors demandé de rejoindre le plus

rapidement possible la fabrique de bonbons « Carly Sugar ». Cette destination n'était pas vraiment

sur son chemin… Mais manifestement charmé par le regard cristallin de la jeune femme, il s'était

exécuté sans rechigner.

 Merci encore, dit Silhaée en couvrant de nouveau sa tête avec la capuche du sweat emprunté

à Jayden.

 Hé hé, dit-il en la voyant ouvrir sa portière. Tu oublies quelque chose il me semble ?

Le jeune homme faisait référence à leur deal : il avait accepté de l'amener jusqu'à la fabrique

s'il obtenait en échange les coordonnées de son compagnon.

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 Je ne les ai pas en tête… dit-elle en prenant un air désolé pour ne pas avoir à lui avouer

qu'elle n'en avait pas.

Le conducteur ne sembla pas la croire. Personne ne sortait plus cette excuse aujourd'hui.

Tout le monde avait un compagnon depuis sa plus tendre enfance, il était donc difficile d'imaginer

qu'elle puisse encore en ignorer ses coordonnées.

 … Prends au moins les miennes si tu ne veux pas me donner les tiennes, la supplia-t-il du

regard. Et recontacte-moi quand tu as deux minutes. Je serai ravi qu'on apprenne à se

connaître davantage toi et moi.

La main sur la portière, Silhaée eut envie de se mettre à courir, échappant ainsi à la gêne

occasionnée par l'instant. Mais elle se dit finalement qu'elle lui devait au moins ça puisqu'il avait

tout de même accepté de lui rendre service qui lui avait très certainement sauvé la mise.

 As-tu de quoi noté pour moi ? dit-elle finalement. Je n'ai pas mon compagnon sur moi…

Triomphant, le conducteur attrapa dans l'un des rangements du véhicule un vieux stylo de

dépannage. Il arracha ensuite le coin d'un emballage alimentaire et y griffonna ses coordonnées.

 Tiens, dit-il enfin à la jeune femme en la suppliant une seconde fois du regard. Merci…

 C'est moi qui te remercie, dit-elle en sortant enfin du véhicule.

 Recontacte-moi…

 J'essaierai c'est promis, dit-elle en refermant la portière puis en s'écartant du véhicule pour le

laisser repartir.

Elle attendit un instant que son conducteur d'un jour disparaisse de son champ de vision puis

se retourna vers le lieu qu'elle avait tant espéré pouvoir rejoindre sans encombre : la fabrique «

Carly Sugar ». Rix et Gaële en avaient parlé tant de fois que même sans l'avoir jamais vu, elle eut

l'impression de reconnaître l'endroit. Silhaée regarda avec soulagement ce grand bâtiment ovale rose

pâle et huma à plusieurs reprises les notes aussi fruitées que caramélisées du fond de l'air.

« Carly Sugar » était une fabrique de bonbons réputée, la meilleure du secteur dans la NUPE

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1. Rix l'évoquait lorsqu'il racontait des souvenirs de ses multiples préparations de chef pâtissier.

Gaële, elle, avait emménagé juste à côté de la fabrique avec son mari et sa fille peu de temps avant

que la défaillance de son gène ne la contraigne à rejoindre l'Expéria. Elle prenait donc parfois plaisir

à raconter le souvenir de ses quelques réveils sucrés, se remémorant le sublime parfum caramélisé

des fonds de cuves à l'ouverture de ses fenêtres. Silhaée n'aurait jamais imaginé que ces anecdotes

puissent un jour avoir autant d'importance…

Une fois devant la fabrique, elle réalisa un tour d'horizon et localisa deux lotissements à

proximité. Elle en choisit un, celui qui lui semblait le plus proche, et commença à réaliser son tour

d'inspection. Elle scruta avec minutie les boîtes de dépôt3 de chaque habitation, jetant en

systématique un œil sur leurs noms avant de passer à la suivante jusqu'à ce que sa recherche soit

concluante. Elle réalisa ainsi une demi-heure de recherches infructueuses avant de tomber enfin sur

le nom qu'elle espérait tant trouver depuis le départ :

Colin & Gaële Torelli

D'abord soulagée, Silhaée afficha un immense sourire qu'elle ne parvint pas à conserver

quand elle dut se lancer. Après quelques secondes d'hésitation, nécessaires à la gestion de ses

émotions, elle inspira un grand coup, s'approcha du portail et s'arrêta devant l'interphone. D'un doigt

tremblant, elle pressa la touche d'appel et espéra de tout cœur que le mari de Gaële serait chez lui.

Cette dernière leur avait expliqué que son conjoint travaillait dans la publicité et effectuait la

majeure partie de son travail au domicile. Il fallait donc espérer que les choses n'aient pas changé

depuis...

Boîtes servant exclusivement à la réception de colis (depuis la numérisation des courriers).


3

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 137


- Biiip… Biiip… Bii – « Oui ?» -

 B… Bonjour, balbutia-t-elle manifestement pas à son aise. Je m'excuse de vous déranger

mais j'aurais souhaité parler à Colin Torelli.

 « C’est moi-même ».

 J'aurais besoin de vous voir… En privé… précisa-t-elle en s'assurant que son visage était

toujours partiellement caché par sa capuche.

 « Qui êtes-vous ?» répondit son interlocuteur méfiant.

 C'est compliqué…

 « Excusez-moi mais je ne veux pas d'histoire. Je… »

 Non non, attendez, l'interrompit-elle. Bon écoutez, ce que je veux vous demander est un peu

délicat... En conséquence il faut que vous me laissiez entrer chez vous…

Un semblant de rire échappa à l'homme derrière l'interphone. N'ayant pas l'air de la prendre

au sérieux, Silhaée passa à la vitesse supérieure :

 Gaële est en danger, lâcha-t-elle brusquement. Les dirigeants de LEXO sont en train de

prendre des décisions qui vont la condamner à mourir pour rien et ce dans la plus grande

ignorance…

À l'intonation de sa voix, l'homme sentit qu'il ne s'agissait pas d'un canular.

 Il faut que vous me laissiez entrer Mr Torelli… acheva-t-elle. Mon insistance est à la hauteur

de l'urgence de la situation…

Après quelques secondes de silence révélant une profonde réflexion, Silhaée entendit le

verrou du portail face à elle se rétracter et vit la porte d'entrée de la maison s'ouvrir au loin.

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16

« Allô ?»

Jayden était assis dans son séjour depuis une bonne heure quand le chargé de missions lui

annonça qu'ils quittaient enfin son domicile.

 Une convocation à notre bureau vous sera transmise très prochainement, lui annonça ce

dernier en validant le rapport sur sa tablette.

Jayden ne répondit rien, se contentant désormais de remettre en place tout ce qui avait été

déplacé pour les besoins de l'enquête.

 Ne prenez pas à la légère ce qui vient de se passer Mr Siller, ajouta-t-il sévère.

 Je n'en avais pas l'intention, répondit-il sans cacher son agacement.

 Bien… approuva l'agent en rejoignant la sortie. Ah, j'allais oublier : si vous aviez omis de

nous mentionner certains détails pouvant nous aider à retrouver les « données perdues »,

sachez qu'il est possible, via LEXO, de nous recontacter à n'importe quel moment…

Ne se sentant toujours pas obligé de répondre, Jayden se baissa pour ramasser un énième

carton qu'il s'en alla remettre à sa place.

 Si vous nous aidiez à faire avancer l'enquête sachez que nous serions prêts à vous en

récompenser, termina le chargé de missions. Entendez par là que nous fermerions les yeux

sur certains éléments qui vous incombent au profit de ceux qui pourraient nous être utiles…

Puis il quitta la maison sans espérer cette fois de réponse de la part du jeune homme. Ce

dernier avait cependant bien entendu et compris ses sous-entendus. Mais dans l'instant, Jayden était
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préoccupé par bien d'autres choses qu'il lui fallait gérer en priorité. Il attendit donc patiemment que

les trois véhicules quittent enfin sa cour et se jeta sur Zoka sans plus attendre.

 Appelle l'accueil de LEXO, ordonna-t-il au compagnon.

Le droïde s'exécuta, sonnant à deux reprises avant de laisser la voix doucereuse d'une

standardiste prendre le relais.

 « Bienvenue sur le site mère du groupe LEXO, que puis-je faire pour vous ?»

 Bonjour, j'aimerais joindre la cheffe de projet en recherche clinique, dit-il. Je suis l'un de ses

agents.

 « Je vous prie de bien vouloir patienter », dit-elle en le mettant en attente.

Jayden patienta une petite minute avant d'entendre de nouveau la voix de la standardiste.

 « Je suis désolée mais il semblerait que Mademoiselle Hederling ait quitté nos locaux »,

annonça-t-elle. « Je peux peut-être prendre un message ? Elle l'aura dès demain, à son

arrivée. »

 Non non… répondit Jayden déçu. Je verrai ça directement avec elle… Je vous remercie

quand même.

Puis il raccrocha et s'empressa de trouver une alternative.

 … Appelle vers la voiture de Meydân, dit-il soudainement à Zoka. Et passe en mode «

fantôme »4.

Avec un peu de chance, la jeune femme se trouvait encore dans son véhicule, terminant le

trajet la ramenant chez elle. Il ne lui fallut qu'une courte sonnerie pour en obtenir la réponse :

 « Oui Jayden ?» répondit soudainement Meydân.

 Aaah, enfin… s'exclama-t-il soulagé.

 « Fais vite, je viens d'arriver chez moi. Malone est rentré, il risque de se poser des questions

Appel masqué piraté, à la traçabilité quasi impénétrable.


4

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s'il me voit traîner dans ma voiture. »

 Silhaée a disparu ! dit-il précipitamment.

 « Oh non merde !» s'exclama-t-elle.

 Non non détrompe-toi : c'est la meilleure chose qui nous soit arrivée ! rétorqua-t-il

vivement.

 « Raconte-moi vite », le pressa-t-elle.

 Les enquêteurs sont revenus chez moi cet après-midi. Ils m'attendaient pour un

interrogatoire. Silhaée avait déjà disparu quand ils sont arrivés, ils ne sont donc pas tombés

sur elle. Mais ils ne sont pas arrivés dans une maison vide pour autant…

 « C’est-à-dire ?»

 Je pense qu'en ne se sachant plus en sécurité chez Wayen et sans nouvelles de notre part,

Silhaée a dû réfléchir à mille et une façons d'agir si les enquêteurs étaient amenés à revenir.

Elle a donc imaginé une façon de sauver sa peau tout en faisant en sorte de nous innocenter

par la même occasion.

 « Qu’est-ce qu'elle a fait Jayden ?»

 Lors de leur première visite, les enquêteurs n'ont pas eu le temps de visiter le bureau

puisqu'ils ont quitté précipitamment la maison grâce à la simulation de fuite que nous avions

mise au point. Après leur passage, Silhaée aurait à priori eu l'idée de simuler une effraction

en jetant depuis l'extérieur une brique à travers la fenêtre du bureau, de sorte à ce que l'on

croit que quelqu'un s'était introduit de force. Elle avait en amont procédé à un nettoyage

quasi professionnel de toute la maison en s'assistant du droïde ménager pour éradiquer les

plus petites traces de son passage chez moi. Et enfin elle s'est s'enfuie. Au début je ne voyais

pas l'utilité d'une telle organisation mais après réflexion j'ai compris : puisque aucun

enquêteur n'était entré dans le bureau lors de leur première visite, ils ne pouvaient pas savoir

de quand datait l'effraction. Avait-elle eu lieu avant ou après leur première visite ?

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Impossible à dire… Conséquence : ils ne pouvaient pas affirmer que Silhaée se trouvait chez

moi lors de leur premier passage. Tout portait à croire qu'il s'agissait plutôt d'un cambrioleur,

voire d'un squatteur qui aurait voulu trouver refuge dans cette maison de campagne quelque

peu abandonnée... !

 « Incroyable… »

 N'est-ce pas ? Je savais qu'elle en avait dans la tête mais à ce point !

 « Et maintenant où est-elle ?»

 Ça malheureusement je n'en sais rien… avoua-t-il. Et je ne suis pas sûr qu'elle nous ait laissé

le moindre indice dans la maison. Les enquêteurs auraient pu tomber dessus, c'était trop

risqué.

 « Rah ça craint !»

 Et bien figure-toi que je pensais la même chose au départ avant de réaliser qu'en fin de

compte ce n'était pas plus mal comme ça.

 « Je t’écoute », le relança-t-elle en faisant semblant de chercher quelque chose dans sa

voiture au cas où Malone l'observait par l'une des fenêtres de la maison.

 Par cette mise en scène, Silhaée a provoqué trois choses. La première, elle m'a fourni un

alibi béton dont je vais me servir : il s'agit d'une effraction dont j'ai été la victime, c'est tout.

Pour le reste ils ont fait fausse route. La deuxième : elle t'a couverte toi aussi.

 « Moi ?» dit Meydân.

 Par ricochet, confirma-t-il. Mais pour que ton alibi fonctionne, il faut que tu continues de

venir régulièrement chez Wayen, tout comme moi, pour donner l'illusion que si tu

empruntais ce chemin c'était pour venir me voir moi et non pas pour jeter un œil sur Silha, tu

comprends ?

 « Que je… », s'interrompit-elle soudainement. « Attends… Le problème c'est que si nous

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sommes amenés à nous retrouver encore régulièrement chez Wayen, ceux qui nous

surveillent risquent de croire à une liaison entre toi et moi… ».

 Oui… C'est un peu l'idée… admit-il.

 « Oula !» s'exclama-t-elle.

 C'est le prix à payer pour nous innocenter définitivement Meydân. Il faut qu'ils pensent

qu'ils se sont trompés de piste et que tous les indices qu'ils ont trouvés jusque-là sur notre

compte ne sont en réalité que les stigmates d'un adultère.

 « C’est une solution dangereuse à mon sens… Je te rappelle que mon père est à la tête de

l'enquête et qu'il s'entend à merveilles avec mon fiancé… »

 Nous n'avons pas tellement le choix pour le moment si nous voulons être enfin tranquilles…

 « OK… Pour l'instant nous ferons comme ça… » abdiqua-t-elle.

 Merci… dit-il rassuré.

 « Et du coup la troisième chose ? Tu ne m'as pas parlé de la troisième chose selon toi que la

mise en scène de Silhaée a provoqué ?»

 Elle nous a innocenté, ça c'est un fait, mais elle s'est également protégée par la même

occasion. Nous ne savons pas où elle se trouve à l'heure actuelle, nous ne sommes donc pas

susceptibles d'essayer de la retrouver ou de laisser traîner des informations qui pourraient

conduire les enquêteurs jusqu'à sa cachette. Finalement, moins nous en savons, mieux sait.

En tout cas au moins le temps que tous les soupçons qui pèsent sur nous soient levés.

 « … Je ne sais pas vraiment quoi penser de tout ça… Je n'arrive pas comme toi à me dire

qu'il s'agit d'une bonne solution pour nous tous… »

 Je n'ai pas dit que c'était une bonne solution, j'ai simplement dit que pour le moment c'était

astucieux, rectifia-t-il.

 « Oui… C'est sûr… Bon je suis désolée Jayden mais il va vraiment falloir que je te laisse. »

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 Pas de problème, je comprends. Nous reparlerons de tout ça quand tu passeras chez Wayen.

 « C’est d'accord. À bientôt… Et fais bien attention à toi. »

 De même, à très vite Meydân.

Puis il raccrocha et relâcha Zoka qui dansa sur lui-même avant de ne redevenir qu'un simple

cube sans face. Jayden balaya ensuite les quelques débris de verre toujours présents dans le bureau

puis replaça la brique où elle avait été prise. Il ramena également les nombreux cartons et meubles

qui avaient été déplacés dans le séjour pour les besoins de l'enquête et cloua une planche sur la

fenêtre brisée. Une fois tout cela fait, il se servit un verre de soda frais, s'assit dans son canapé et

alluma sa télévision.

 Tiens ? s'exclama-t-il en constatant que la dernière chaîne regardée avait été mise sur «

pause ».

Silhaée l'avait volontairement interrompu sur une publicité vantant les délices d'une célèbre

marque de bonbons « Carly Sugar ». À défaut de pouvoir être plus explicite, elle espérait que cela

les aiguillerait sur sa nouvelle destination. Seulement, loin d'être en capacité d'établir un lien avec le

domicile de Gaële, Jayden n'y vit rien de plus qu'une mauvaise manipulation de la part de la jeune

femme. Il fit donc un retour au direct et reprit la diffusion des programmes actuels sans se poser

davantage de questions.

En rentrant chez elle, Meydân fut rassurée d'entendre le ruissellement du jet d'eau sur les

parois de la douche. Malone n'était donc pas derrière une fenêtre à attendre bien sagement qu'elle

rentre se justifier de son comportement.

 C'est moi, je suis rentrée ! annonça-t-elle d'une voix claironnante.

La réponse de Malone fut beaucoup moins audible que la sienne. Meydân se débarrassa

donc de son manteau et monta à l'étage.


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 Je suis rentrée, dit-elle de nouveau en ouvrant la porte de la salle de bain.

 Aaah enfin, dit-il en essuyant le shampooing qui lui glissait sur le front. J'ai reçu un appel

pour toi : une amie je crois, enfin si j'ai bien compris.

 Une amie à moi que tu ne connais pas ? Tu dois faire erreur, fit-elle remarquer.

 Jona… Joa… Ça te parle ça ?

Soudain les yeux de Meydân s'arrondirent.

 Ah Joa, je n'avais pas pensé à elle… C'est une vieille amie d'école qui travaille pour LEXO

maintenant. Elle est postée de nuit sur l'Expéria. Si elle a essayé d'appeler c'est qu'il y a eu

un problème avec Eyrin…

Malone perçut la détresse dans la voix de sa fiancée et essuya la buée sur la paroi de douche

pour tenter d'appréhender du regard la gravité de la situation.

 J'ai pris les coordonnées de son logement LEXO si tu veux essayer de la joindre, précisa-t-il.

Elles sont enregistrées sur le droïde fixe.

 Ah merci… répondit-elle soulagée.

 J'arrive, la prévint Malone en plaçant une nouvelle fois sa tête sous le jet d'eau.

 Prends ton temps, dit-elle.

Puis elle quitta la salle de bain et redescendit vivement les marches de l'escalier jusqu'à

atteindre la pièce principale de leur maison.

 Appelle le poste de Joa, indiqua-t-elle au droïde fixe installé sur son socle de charge à

l'entrée du séjour.

Ni une ni deux, l'appareil lança la manœuvre, sonnant par trois fois avant que la jeune

curatrice ne daigne décrocher :

 « Oui ici Joa j’écoute ?»

 Salut Joa, c'est Meydân.

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 « Mey ! Comment ça va ?»

 Bien et toi ? Tu as essayé de me joindre…

 « Ne t'inquiète pas », la rassura-t-elle en sentant la tension dans sa voix. « Je voulais juste te

donner des nouvelles d'Eyrin, c'est lui qui me l'a demandé. »

 Comment va-t-il ? s'exclama-t-elle soulagée rien qu'en entendant son prénom.

 « C’est dur pour lui, je ne t'apprends rien… L'isolement ne lui va pas du tout… »

 Oui je me doute bien… Mon père m'empêche de lui rendre visite…

 « Et l'envoi de courriers lui a été refusé, ce qui n'arrange rien… »

 Quoi ?! bondit Meydân.

 « Tu l'ignorais donc », conclut Joa en repensant aux doutes d'Eyrin sur le sujet. « Depuis

qu'il a outrepassé ses permissions nocturnes en sortant en journée dans le dôme, Erdowel a

durci son règlement personnel. »

 Oh non… Eyrin…

 « Je suis désolée de te l'apprendre… Je pensais que ton père t'en aurais parlé. »

 Mon père est la dernière personne qui me tiendrait informée de pareilles décisions…

 « Quoi qu'il en soit ne t'en fais pas, Eyrin tient le coup. Mais comme nous tous, il a besoin

de contact. Et c'est justement pour ça qu'il m'a demandé de te joindre, il voulait que tu lui

donnes des nouvelles de vos proches. »

 Aah avec plaisir, répondit-elle en retrouvant un semblant de sourire.

 « Il voulait savoir comment allaient votre « petite protégée » et Torana ?» dit-elle fièrement.

Meydân se trouva brusquement déstabilisée par cette question. Elle ne s'attendait pas à ça, à

rien de tout ça. Il lui fallut donc quelques secondes pour analyser les informations qui en

découlaient.

 Notre petite protégée… répéta-t-elle en comprenant finalement l'allusion. Et bien écoute…


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tu lui diras qu'elle va bien… même si son arrivée dans le pays n'a pas été facile, mais ça on

s'en doutait… Tu pourras lui dire aussi qu'elle a préféré prendre son envol par elle-même

mais que le contexte était tel qu'il n'y avait pas d'autres solutions…

 « Oula attend je vais prendre des notes », répondit Joa. « Et pour Torana ?»

 Euh écoute il va falloir que je me renseigne pour Tora parce que je n'ai pas eu de nouvelles

depuis un bon moment… À la limite est-ce que je peux te mettre en attente, je vais essayer

de l'appeler rapidement.

 « Je t'en prie, fais donc. »

Meydân interrompit provisoirement son appel, s'empressant d'en lancer un autre vers le

compagnon de Torana.

- Bip… Bip… -Crr-

 « Allô ?» décrocha l'interlocutrice recherchée.

 Torana, salut c'est Meydân.

 « Tiens bonjour Meydân ! Comment vas-tu depuis le temps ?»

 Bien et toi ? Je ne te dérange pas ?

 « J’allais partir à l’Université », dit-elle. « Mais j'ai toujours cinq minutes pour toi ».

 Ah oui… Je n'ai même pas tenu compte du décalage horaires... tilta-t-elle désolée.

 « Ça ne fait rien », l'excusa Torana. « Tu voulais quelque chose ?»

Meydân s'apprêtait à lui dire qu'elle l'appelait de la part d'Eyrin mais se souvint juste à temps

que tout le monde ignorait son affectation dans l'Expéria. Il n'était pas question d'en informer qui

que ce soit si elle voulait revoir son frère un jour en dehors du dôme.

 Hum euh je voulais savoir si tu allais revenir dans notre NUPE prochainement ?

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 147


 « Je ne sais pas », réfléchit-elle. « Mes derniers examens médicaux étaient corrects, donc

pas de nécessité de revenir pour le moment… Mais je peux toujours voir avec mes parents

pour que l'on vous rende une petite visite entre deux ?»

 Non non, s'exclama Meydân en réalisant qu'elle risquait de provoquer le pire. Je ne veux

surtout pas vous faire faire de dépenses pour si peu. Nous nous reverrons lors de ton

prochain suivi médical, ça sera plus simple. Écoute, je ne vais pas te retenir plus longtemps

si tu partais à l'Université. J'étais contente d'avoir de tes nouvelles en tout cas. Je te

rappellerai plus tard pour qu'on discute plus longuement… Et promis cette fois je ferai

attention au décalage horaire…

 « Haha pas de problème », l'excusa une nouvelle fois Torana. « En attendant je te dis à

bientôt, tu passeras le bonjour à ta petite famille et plus particulièrement à Eyrin. Dis-lui

que j'essayerai de l'appeler très prochainement. »

 Oh euh oui… répondit Meydân en riant malgré elle. Je lui dirai… Mais s'il ne te répond pas,

ne t'en fais pas. Il a beaucoup de boulot en ce moment… Bonne journée à toi Tora, à bientôt.

 « Ça marche, bonne nuit à vous. Bisous. »

Puis elle raccrocha et rebascula sur la communication précédente.

 Excuse-moi Joa, dit-elle enfin.

 « Pas de souci », répondit la curatrice. « Par contre j'espère que tu n'as pas un pavé à me

raconter au sujet de votre amie parce qu'il va quand même falloir que j'aille manger avant

de reprendre mon poste. »

 Non non, ça va être très court, la rassura-t-elle. Comme je ne savais pas exactement ce

qu'Eyrin voulait, je ne savais pas trop quoi lui demander. Mais écoute tu lui diras qu'elle va

bien, que la santé c'est stable et qu'elle est toujours à l'Université à priori. S'il voulait d'autres

informations tu me rediras.

 « Euh je ne sais pas si je pourrais faire de nouveau la navette entre vous deux », l'arrêta Joa.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 148


« Je ne suis pas affectée sur le pôle qui le surveille donc je ne peux pas aller le voir comme

je le veux. Et de toute façon je vais bientôt quitter le dôme. Ma période travaillée va se

terminer, je vais entamer ma période de congés dans une semaine normalement. ».

 Bon… Et bien si tu peux au moins lui faire un retour sur les questions qu'il t'a posé ce serait

déjà super. Le reste… On se débrouillera.

 « Ça marche », répondit Joa. « Je suis désolée mais il faut vraiment que j'y aille cette fois.

Mes collègues m'attendent pour aller manger. »

 Pas de problème je t'en prie. Bon courage et merci encore… Merci pour Eyrin aussi, tu

gères.

 « Ça me fait plaisir. À bientôt Mey. »

 À bientôt.

Puis elle raccrocha sous le regard interrogatif de Malone, resté en retrait derrière la porte du

séjour.

 Qu'est-ce que c'est que toute cette histoire ? dit-il enfin.

 Quelle histoire ? répondit Meydân sans parvenir à masquer sa surprise.

Elle ne l'avait pas entendu redescendre.

 Ton amie, Joa… Elle ne te servirait pas de pigeon voyageur par hasard ? …

 Elle me donne des nouvelles d'Eyrin, c'est tout, dit-elle en rejoignant la cuisine.

Malone ne la laissa pas se débiner pour autant et la suivit comme son ombre.

 Elle te donne des nouvelles d'Eyrin mais elle lui en transmet à lui aussi non ?

 Et alors ? rétorqua la jeune femme contrariée. Qu'est-ce que ça peut faire ?

 Il n'y a pas le droit.

 Peut-être mais c'est… Attends… Comment est-ce que tu sais qu'il en est privé ?

Cette fois-ci c'est Malone qui chercha à faire demi-tour.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 149


 Non non tu restes là s'il-te-plaît, réagit Meydân en le saisissant par la manche de son

peignoir. Réponds à ma question. Qui t'en a parlé ?

 Nous en avons discuté ton père et moi un midi en déjeunant ensemble. Il m'a demandé ce

que j'en pensais.

Un rire nerveux échappa à Meydân qui le repoussa finalement de la main avant de passer

devant lui.

 Et est-ce que je peux savoir ce que mon fiancé a dit à mon père dans mon dos ?

 Ne le prend pas comme ça, dit-il en la suivant vers l'entrée de la maison.

 Alors ? le relança-t-elle en montant la première marche de l'escalier.

 Ton frère a toujours donné du fil à retordre à ton père… Vu le contexte actuel, il est plus

sage à mon sens qu'Eyrin ne fasse pas de vague. Pour ton père, il n'en sera que plus serein.

Sa campagne de vaccination représente pour lui l'apogée de sa carrière, il serait dommage de

mettre à mal un si beau projet. Et pour Eyrin… Si tu comptes le revoir un jour dans votre

maison familiale, il est certainement plus simple qu'on l'empêche de commettre des impairs,

tu ne crois pas ?

Meydân ne répondit pas dans l'instant. Elle se contenta d'abord de regarder Malone de haut

en bas avant d'écraser ses lèvres l'une sur l'autre jusqu'à les faire blanchir :

 Plus les années passent Malone et plus tu ressembles à mon père… dit-elle enfin. Et tu sais,

j'ai du respect pour le dirigeant qu'il est et pour la fonction qu'il assume sans faillir depuis

des années. Mais l'homme et les valeurs qui l'accompagnent… Je les déteste…

Puis elle grimpa l'escalier en silence sans attendre de réponse de la part de son fiancé.

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17

Failles

Depuis plusieurs jours maintenant, des messages étaient diffusés en boucle via tous les

moyens de communication possibles, à destination des milliards d'êtres humains peuplant cette

planète. Chacun savait désormais que la campagne de vaccination anti ERR-6 allait démarrer. Les

millions de centres vaccinaux éphémères étaient tous pourvus de stocks de vaccins adéquats, les

soignants réquisitionnés pour l'occasion. Ne restait donc plus qu'à informer le monde de l'ouverture

de la campagne de vaccination. « Vendredi 1er mai », annonça finalement le porte-parole de

LEXO après concertation avec les membres du G75. Cette journée serait la première d'une série de

trois jours où chacun devrait se rendre dans le poste de vaccinations qui lui avait été attribué.

Ce sujet fut abordé sans discontinuer dans les couloirs de LEXO. Le jour de l'annonce, tout

le monde ne parlait plus que de ça.

 Écoute ça Paolo… dit Atân depuis la mezzanine du premier étage. Entends leur impatience,

leur soulagement. Ils ne jurent plus que par nous désormais.

 Oui, je sais bien, rétorqua le chef de projet. Je n'en ai jamais douté d'ailleurs… Je disais

simplement qu'il m'aurait semblé plus prudent de clore le dossier UJI avant de lancer la

campagne vaccinale...

Groupe composé des sept NUPE, représentées respectivement par leurs Orateurs et leurs Ordres Consultatifs respectifs.
5

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 151


 Et surpeupler encore un peu plus des dômes qui doivent disparaître au plus vite ? compléta

Atân. Non, ce n'était pas la solution. Nous ne lâcherons rien dans nos recherches mais elles

n'entraveront pas notre mission principale. Il faut arrêter l'ERR-6 au plus vite, le reste passe

après, sujet expérimental UJI compris.

Sur ces mots, les deux hommes continuèrent d'observer le hall principal en tendant l'oreille

en direction des différents groupements d'employés. Certains exprimaient leur soulagement sur la

vaccination, d'autres se disaient heureux que LEXO redevienne un groupe de fabrication

pharmaceutique standard, sans pression, sans crainte de l'échec. Chacun semblait y trouver son

compte.

 Et pour ce qui est des potentiels employés qui ont commis le kidnapping ? fit remarquer

Paolo. Tu ne crains pas leurs agissements maintenant qu'ils sont en position de force ?

 Ils ne sont pas en position de force ; ils s'imaginent seulement l'être, répondit Atân serein.

Crois-moi, il est impossible aujourd'hui que cette affaire se retourne contre nous… En tout

cas pas tant que certains « détails » de cette histoire resteront secrets.

 Des détails ?

 Que même toi tu ignores Paolo, oui… répondit Atân le ton grave. Aujourd'hui, sur le site

LEXO, seuls Jack Erdowel et moi-même en sommes informés. Et en tout nous sommes

quatre à échelle mondiale à connaître la genèse de toute cette histoire. Alors autant te dire

que je dors sur mes deux oreilles quant aux éventuelles menaces de délation d'une poignée

d'idéalistes ou aux conséquences de la réapparition du sujet expérimental UJI.

Cette précision dévoilée, les deux hommes reprirent leur chemin en direction du bureau du

premier étage où ils devaient y retrouver Lilia Crosfy manifestement en retard.

Dans ce même temps, tapi dans un recoin du premier étage, Tony l'un des passeurs et amis

de Jayden reprit lui-aussi son chemin. En s'en allant rejoindre son secteur, il avait aperçu les deux

dirigeants et s'était arrêté un instant pour les écouter discuter. Leur conversation n'était pas
UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 152
compréhensible pour quiconque passait par là et tentait de s'y intéresser. Mais Tony faisait partie de

l'équipe qui avait participé au sauvetage de Silhaée. Il comprit donc l'essentiel de la conversation

malgré tous les cryptages associés et en conclut finalement une chose : l'affaire Silhaée Uji était

peut-être bien plus complexe qu'ils ne l'avaient imaginé. Il retrouva donc sans plus tarder Dean,

Meala et Jayden dans le Transiteur et leur fit part de ce qu'il venait d'entendre.

 Il faut absolument en parler à Meydân, dit Jayden une fois son résumé terminé. Elle pourra

peut-être nous en dire plus.

 Parce que tu penses qu'elle aurait des explications à nous fournir ? fit remarquer Meala. Je

doute qu'elle soit au courant de ces détails…

 Je confirme, dit Tony. Mr Hederling a bien précisé qu'il n'était que deux sur LEXO à

connaître la genèse de toute cette histoire : lui et le Docteur Erdowel. C'est donc sûr qu'elle

n'en sait pas plus que nous.

 Que préconisez-vous alors ? leur demanda Jayden manifestement à court d'idées.

 Que tu pirates le système pour essayer d'obtenir le dossier complet de Silhaée ? proposa

Dean fier de sa trouvaille.

 Les enquêteurs risquent d'être sur les dents maintenant… Je ne peux plus faire ce que je

veux sans risquer d'être surpris dans mes manœuvres.

 Il y a bien une possibilité de consulter l'intégralité de la banque de données LEXO sans être

obligé de pirater le logiciel ? dit Meala.

 Certaines applications sont en accès très limité, expliqua Jayden. Seuls les chefs de projet et

quelques hauts dirigeants ont les droits. Les recueils médicaux des patients-testeurs sont

inclus dans une application appelée « synthèses médicales » qu'il est presque impossible de

hacker… En tout cas je n'y suis jamais parvenu et ce n'est pas dans le contexte actuel que je

vais tenter quoi que ce soit.

 Nous sommes donc bloqués… conclut-elle tristement.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 153


 J'en ai bien peur… répondit Jayden pessimiste.

 Attendez, les interrompit Tony soudainement porté par une malice indescriptible. J'ai peut-

être une idée…

L'heure de midi arrivait à grands pas quand Maddy, la secrétaire d'Atân, entendit son nom

résonner au bout du couloir face à son bureau. Elle leva alors les yeux et tomba sur l'agréable regard

de celui qui faisait battre son cœur en secret depuis plusieurs mois :

 Tony ? dit-elle en sentant ses joues rosir. Que fais-tu là ?

 La même chose que toi : je travaille pour LEXO, répondit-il taquin en arrivant jusqu'à elle.

 Non enfin je veux dire « dans mon bureau », précisa-t-elle amusée.

 Je voulais savoir si tu avais quelque chose de prévu ce midi ?

 Que je… Euh non, enfin je pensais aller manger au réfectoire comme d'habitude.

 Que dirais-tu si je t'emmenais manger à l’extérieur ? proposa-t-il en adoucissant plus encore

son regard de tombeur. Enfin avec l'accord de ta hiérarchie bien sûr.

 Toi et moi ? Enfin je veux dire rien que tous les deux ? …

 Simple proposition. Je ne veux pas t'obliger…

 Non non au contraire, l'interrompit Maddy les joues virant cette fois au rouge vif. Je trouve

que c'est… une charmante attention…

 Alors allons-y ?

 Maintenant ? Euh oui… balbutia-t-elle. Je vais demander l'accord de Mr Hederling pour

pouvoir m'absenter un peu plus longtemps du groupe.

Elle rejoignit alors le bureau du directeur en y entrant d'un pas prudent, comme si elle

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 154


craignait systématiquement de le déranger. Quand la porte fut close, Tony jeta un coup d’œil

circulaire autour de lui puis se plaça sans plus tarder derrière le bureau de Maddy. En un geste furtif,

il intervertit son badge avec celui de la jeune femme dans le lecteur incrusté du bureau et

déverrouilla sa session en apposant la pulpe de son doigt sur l'écran. Il plaça ensuite le badge de

Maddy dans le dernier tiroir de son bureau et reprit sa place initiale. Une fraction de seconde plus

tard, la jolie secrétaire réapparaissait, sortant du bureau d'Atân en souriant de toutes ses dents.

 Mr Hederling m'a accordé une heure et demi de coupure, dit-elle. Je ne sais pas où tu voulais

aller manger mais en tout cas nous avons le temps de nous éloigner un peu d'ici.

 Génial, s'exclama Tony en voyant la jeune femme contournait son bureau pour regrouper ses

affaires. Ne perdons pas de temps alors.

 Je n'en avais pas l'intention, dit-elle en saisissant sa veste et en s'inclinant vers son bureau.

Tiens, j'avais déjà tout fermé…

Les deux préfaces « logiciel » étant strictement similaires, Maddy ne perçut aucune

différence entre la sienne et celle de Tony. Il aurait fallu que sa session LEXO soit ouverte pour

s'apercevoir que les applications disponibles n'étaient pas les mêmes. Mais cela n'était plus le cas

depuis l'interversion des deux badges.

 Aller aller, insista Tony une fois de plus pour détourner son attention.

 J'arrive, dit-elle en déconnectant rapidement le badge du lecteur avant de le glisser aussi sec

dans le fond de son sac à main.

Puis elle contourna le bureau et saisit le bras de son cavalier avec hâte, se retenant de

pousser un cri de joie tant l'invitation lui procurait un bonheur immense. Tony conduisit ensuite son

invitée jusqu'aux ascenseurs et redescendit avec elle les quatre étages du bâtiment avant de s'arrêter

dans le hall d'entrée. De par sa fonction, Maddy était déjà en civile. Mais le poste de passeur de

Tony lui imposait le port d'une tenue de travail qu'il lui fallait abandonner pour sortir d'ici.

 Je te laisse m'attendre sur le parking, proposa-t-il. Je me change et je te retrouve.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 155


 Fais vite, dit-elle tout sourire en appliquant sa consigne.

Tony répondit par un clin d’œil et s'éclipsa sans plus attendre vers les vestiaires centraux. Il

arpenta ensuite les multiples allées de casiers avant de s'engouffrer dans la sienne.

 Ah ! s'exclama Jayden qui l'attendait de pieds fermes.

 C'est bon ! acquiesça Tony manifestement content de lui. Le badge est dans le dernier tiroir,

celui de gauche.

Tout en se déshabillant et rhabillant, il lui fit par du temps qu'il lui restait pour agir avant le

retour de pause de Maddy.

 OK merci, dit Jayden quand il eut terminé ses explications.

Puis il s'empressa de retourner dans les locaux de LEXO avant que la foule d'employés en

route vers le réfectoire ne se dissipe.

 Sois prudent, lui rappela Tony en se dirigeant de son côté vers la porte de sortie du groupe.

Jayden arriva dans le hall d'entrée et se dirigea jusqu'aux ascenseurs, naviguant à

contrecourant face à la foule d'employés affamés. En entrant dans l'un des ascenseurs, il croisa

Meydân aux côtés de Lilia Crosfy qui en sortaient. Comme convenu, les deux compères s'ignorèrent

mais Jayden sentit quand même l’œil intrigué de Meydân peser sur lui. Il n'y prêta cependant

aucune attention et remonta seul dans les étages.

En arrivant sur le palier du quatrième, il se dirigea sans plus attendre vers les quartiers du

directeur et remonta le couloir jusqu'au bureau de Maddy. Ne sachant pas si leur patron était encore

dans les locaux ou s'il venait lui aussi de partir en pause, il préféra s’agenouiller derrière le bureau

de la secrétaire au cas où Atân viendrait à sortir du sien. Jayden s'était fixé maximum cinq minutes

de présence dans ce secteur pour minimiser les risques d'être vu. Il savait que l'intégralité des locaux

était couverte par une vidéosurveillance mais misa sur l'idée que seules les zones dites actuellement

« sensibles » (comme le Transiteur ou encore le laboratoire) devaient être continuellement

surveillées. Il était donc plus prudent de tenter d'agir rapidement dans une zone faiblement
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surveillée sur un temps creux comme la pause repas, plutôt que d'essayer de pirater les caméras au

risque de se faire épingler. Grâce aux informations de Tony, Jayden retrouva en un rien de temps le

badge de Maddy qu'il inséra dans le lecteur à la place de celui de son complice. Il sortit ensuite

Zoka de sa poche et saisit d'une main prudente le galet sur le bureau avant de le confier à son

compagnon. Les compétences de Jayden en informatique lui avaient permis de compléter les

fonctions principales de son droïde. Ainsi, Zoka possédait désormais de multiples applications dont

certaines avaient été créées spécifiquement par son propriétaire. L'une d'elle lui permit donc

d'analyser les empreintes digitales de Maddy sur le galet de contrôle et d'en réaliser une copie.

Logiquement il n'avait besoin que de quelques minutes si les empreintes étaient assez belles, ce qui

avait l'air d'être le cas puisque Maddy était à priori la seule à se servir de ce poste de travail.

- Shhhh… -

Au son du glissement de porte sur les gonds, Jayden se tapit plus encore sous le bureau de la

secrétaire. Atân venait de sortir de ses quartiers. Conscient de la dangerosité de la situation, il

réalisa l'apnée du siècle quand il entendit le directeur passer devant le bureau de Maddy pour

rejoindre le couloir d'accès aux ascenseurs. Il attendit ensuite encore de longues secondes avant de

passer la tête au-dessus du bureau pour s'assurer que personne ne traînait plus dans le secteur.

 Fiouu… s'exclama-t-il en sortant légèrement de sa cachette.

- Plit ! -

Zoka venait de lui signaler qu'il avait terminé son travail. Jayden s'empressa donc de saisir le

compagnon qu'il présenta devant l'écran de contrôle du bureau jusqu'à ce que la session analyse

l'empreinte affichée par ce dernier.

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Bienvenue Maddy Hooper,

les laboratoires LEXO vous souhaitent une agréable journée,

 T'es le meilleur Zoka, susurra-t-il à son droïde.

Puis il lança le logiciel LEXO et de la même façon déverrouilla l'accès à la session de la

secrétaire. Comme Tony l'avait très justement imaginé : la secrétaire du directeur du groupe avait

forcément accès à l'intégralité des applications LEXO. Sans ça, il était difficile de l'imaginer

pouvoir travailler correctement pour son patron.

 Bon maintenant il va falloir qu'on stocke des données, dit Jayden au droïde.

Ni une ni deux Zoka se replia et déplia jusqu'à se rendre compatible avec les ports de

connexion du matériel informatique. Jayden n'eut ensuite plus qu'à le connecter et effectua une

recherche très ciblée dans l'application « Synthèses médicales » - Rubrique : « Projets personnels ».

Silhaée UJI | (tapa-t-il). Ọ

Un cercle lumineux scintilla pendant quelques secondes sur l'écran avant de laisser place à

un dossier à priori très dense à en juger par son poids numérique.

 Prends tout Zoka, demanda-t-il au compagnon.

Au vu des circonstances, Jayden n'était pas en mesure de pouvoir le décortiquer dans

l'immédiat. Il laissa donc son compagnon copier l'intégralité du dossier et pria encore quelques

secondes pour que personne ne s'intéresse à la caméra de surveillance positionnée juste à sa gauche.

 Alors Zoka ? s'impatienta-t-il.

Le droïde couina comme pour laisser entendre qu'il allait au plus vite puis il s'illumina de

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bleu et se replia sur lui-même en un saut. Le transfert était enfin terminé. Sans plus attendre, Jayden

déconnecta le badge de Maddy qu'il jeta volontairement au sol afin de laisser croire à la secrétaire

qu'elle l'avait maladroitement fait tomber à côté de son sac. Puis il se redressa d'un bon et fonça tête

basse vers les ascenseurs en priant pour ne croiser personne. Sans surprise sa prière fut exaucée,

puisqu'à cette heure-là personne ne traînait encore dans les bureaux. Le cœur battant, Jayden

redescendit sans plus attendre au niveau zéro. Il n'arrivait toujours pas à croire que leur idée avait

fonctionné. Quand il arriva dans le grand hall, il croisa les derniers employés qui se rendaient tous

au réfectoire pour l'ultime service du midi. Il n'eut donc plus qu'à se fondre dans la masse et reprit

sa journée là où il l'avait laissé quelques minutes auparavant.

Atân venait d'entrer dans une petite salle privée où l'attendait Erdowel, assis derrière une

table. Un repas chaud venait de leur être servi et n'attendait plus que lui.

 J'arrive à point nommé, fit-il remarquer en s'approchant de son ami.

 Comme toujours, concéda Erdowel en le regardant prendre place.

Atân se frotta les mains avant de soulever les trois cloches face à lui, découvrant ainsi le

contenu de son repas.

 Parfaitement délicieux, commenta-t-il en plaçant devant lui la première assiette.

Erdowel en fit de même, dégustant ainsi le contenu de son entrée avant de se recentrer sur la

raison de leur venue ici :

 Alors, as-tu enfin reçu le rapport d'enquête de tes équipes ? dit-il.

 Ce matin-même, répondit Atân sans afficher la moindre satisfaction.

 Ah ? tiqua Erdowel. Quelques imprévus ?

 Je n'irais pas jusque-là. Mais disons qu'ils ne correspondent pas vraiment à ce que j'avais

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 159


imaginé…

 Tu pensais au mieux retrouver le sujet expérimental UJI, au pire ses détenteurs, resitua

Erdowel.

 Et je n'ai retrouvé ni l'un ni l'autre, conclut Atân. Mes enquêteurs devaient effectuer une

fouille dans le domicile actuel du suspect principal : Jayden Siller.

 Oui tu m'en avais déjà parlé, acquiesça Erdowel.

 Pour ce faire, ils devaient intervenir pendant ses heures de travail afin de pouvoir capturer

aisément le sujet expérimental UJI si toute fois elle était vraiment chez lui. Ils sont donc

entrés dans le domicile une heure après le départ du suspect. Ils ont d'abord eu l'impression

de sentir une présence et ont fouillé la maison jusqu'à se rendre compte que quelqu'un avait

fui par une fenêtre.

 Ah ! s'exclama Erdowel soulagé. Elle était là alors !

 Rien n'est sûr, rétorqua-t-il. Mes enquêteurs ont affirmé ne pas avoir eu le temps de voir la

personne qui avait fugué. Ils se sont simplement rendus compte de l'évasion d'un intrus en

constatant que l'une des fenêtres et la porte du garage avaient été ouvertes, deux éléments

qui étaient avec certitude clos à leur arrivée. Il y avait donc quelqu'un dans cette maison à la

base, quelqu'un qui ne devait pas s'y trouver.

 D'accord… répondit-il pensif. Et après ? Comment la personne aurait-elle pu prendre la

fuite ?

 Selon mes enquêteurs, le garage du domicile devait abriter un véhicule qui aurait servi à la

personne.

 Ah… tiqua Erdowel. Silhaée Uji n'a jamais conduit de sa vie. Il me semble donc difficile

d'imaginer qu'elle ait pu fuir seule à bord d'un véhicule. Ou en tout cas pas aussi

rapidement…

 Tu as tout à fait raison Jack, fit remarquer Atân. J'ai donc fait éclaircir tout ça en leur

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demandant de retourner sur les lieux une fois leurs recherches environnantes effectuées.

 Et infructueuses…

 Malheureusement, acquiesça-t-il. Ils sont donc retournés au domicile des Siller pour

terminer leur fouille et ont découvert quelque chose que je n'avais pas anticipé.

Au vu de la tournure que prenait la conversation, les deux hommes interrompirent un instant

leur repas.

 Dans le bureau, resitua Atân, l'une pièce de la maison que mes agents n'avaient pas eu le

temps de fouiller avant leur course poursuite : l'une des fenêtres avait été brisée.

 Brisée ? Une effraction ? en conclut Erdowel.

 Précisément.

 Quand cela s'est-il produit ?

 C'est bien là tout le problème, admit Atân. Comme cette pièce n'avait pas été visitée lors de

leur premier passage, personne n'était en mesure de certifier quoi que ce soit.

 Ça c'est embêtant… lâcha Erdowel.

 Nous sommes d'accord, dit-il. La conclusion de l'enquête me laisse donc perplexe : ils

pensent qu'une personne se serait introduite dans la maison peu de temps après le départ de

Mr Siller en brisant une vitre. Puis, à l'arrivée inattendue des enquêteurs, prise de panique

elle se serait cachée dans la chambre de la maison avant de prendre la fuite.

 Tes enquêteurs opteraient donc plus pour… une effraction évoquant l'attitude d'un…

squatteur ?

 Pas vraiment… répondit Atân à priori contrarié. Mais ils pensent tout de même que nous

avons fait fausse route, que je les ai dirigé vers une mauvaise piste…

 Une mauvaise piste ? s'exclama Erdowel surpris. Et que représentent tous ces indices alors ;

de la vitre brisée aux habitudes de vie modifiées de Mr Siller ? … Et c'est sans parler du

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traceur piraté de son véhicule. Tout cela n'a rien de normal, il ne faut pas l'oublier…

 Ils ont pris en compte tous ces éléments crois-moi, répondit Atân avec froideur. Ils en ont

même pris d'autres…

 Dis-moi…

 Je t'avais dit que je souhaitais surveiller les activités de Meydân qui soulevaient beaucoup

trop de questions à mon goût. Comme pour Mr Siller, j'avais donc fait installer un traceur

sous sa voiture.

 Oui je me souviens de tout ça, dit-il fébrile.

 Et c'est ce traceur qui aurait révélé la piste principale que les enquêteurs ont privilégiée.

Erdowel hocha la tête de gauche à droite comme pour laisser entendre qu'il ne voyait pas où

il voulait en venir.

 Ils opteraient pour l'instant pour une toute autre conclusion, dévoila enfin Atân. Celle de

l'adultère.

Le médecin manqua de faire tomber le verre à pied qu'il tenait d'une main moite depuis

plusieurs minutes.

 L’adultère ? répéta-t-il en fronçant les sourcils. Je n'y comprends rien…

 Tous les éléments poussent à croire que notre suspect, Jayden Siller, n'était autre que l'amant

de ma fille, dit Atân en retenant de plus en plus difficilement sa colère. L'un comme l'autre

avaient piraté les traceurs intégrés de leurs voitures pour ne pas être suivis. Mais les traceurs

espions que nous avions fait installer ont révélé qu'ils s'étaient retrouvés tous les deux dans

ce domicile, à plusieurs reprises sur une même période toujours très brève…

 Je vois…

 De plus, le compagnon de Meydân envoyé en expertise a fini par révéler qu'une

manipulation avait été faite pour écraser certaines données enregistrées récemment dessus.

Nous n'avons malheureusement pas réussi à récupérer ces données. Mais nous avons réussi à

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 162


craquer le numéro de série de l'outil pirate utilisé… Et son propriétaire serait un certain «

Jayden Siller ».

 … D'accord, il est vrai que tout cela peut faire penser à une relation secrète mais il reste les

éléments retrouvés dans la maison, rétorqua Erdowel. Je ne vois pas le rapport entre une

éventuelle relation amoureuse et les traces d'effraction constatées.

 Les enquêteurs ont pensé à un scénario de type « vengeance sentimentale » qui n'a pas eu le

temps d'aboutir. Selon eux, il serait possible qu'une petite amie ou ex-petite amie se soit

rendue jusqu'au domicile en question après avoir eu vent de la relation naissante de Meydân

et Mr Siller. Elle aurait ainsi brisé une fenêtre pour s'introduire chez lui et aurait recherché

des éléments prouvant sa culpabilité, comme des vêtements de femme par exemple. Bref, en

voyant les enquêteurs arriver la femme en question aurait interrompu ses petits projets, puis

aurait paniqué et se serait enfuie de la maison par la fenêtre de la chambre, empruntant un

éventuel véhicule dans le garage avant de disparaître dans la nature.

Erdowel ouvrit la bouche comme pour contredire une nouvelle fois cette théorie mais aucun

contre-argument ne lui vint en tête.

 Non je crois qu'il faut l'admettre, abdiqua Atân. Leurs déductions sont intéressantes et

tiennent la route. Il va falloir s'intéresser à une autre piste.

Erdowel regarda ensuite son dirigeant picorer le contenu de son plat principal avant de

l'échanger contre son dessert, comme pour écourter la gêne qu'imposait ce moment.

 Et… hésita le médecin en en faisant de même avec ses propres assiettes. En ce qui concerne

Meydân…

 Est-ce que je compte parler de tout ça avec elle ? le devança Atân. Et bien figure-toi que je

me suis posé la question à la minute-même où j'ai fini de lire les conclusions du rapport

d'enquête…

Anticipant d'ores et déjà la réponse de ce dernier, Erdowel n'osa plus le regarder directement

dans les yeux.


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 … Et j'ai tranché, termina Atân d'une voix lente et ferme avant d'engloutir son dessert avec

bien plus d'appétit qu'il n'en avait eu jusqu'alors.

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18

Triple avancée

- Papaaaa ! -

 Excuse-moi, dit Colin en se levant de sa chaise.

 Je t'en prie, répondit Silhaée en reposant sa tasse de thé sur la table.

Le mari de Gaële monta ensuite l'escalier en vitesse, laissant seule son invitée du moment.

Silhaée profita de cet instant pour se lever à son tour et s'approcha du cadre numérique posé sur l'un

des meubles de la salle. De nombreuses photos défilaient sur le petit écran, affichant tout le bonheur

qui avait été arraché à cette si jolie famille. En voyant le sourire éclatant de Gaële sur l'une de ses

photos de mariage défilant parmi les autres, Silhaée ressentit un petit pincement au cœur.

 Me revoilà, dit enfin Colin en redescendant l'escalier accompagné.

Il tenait dans ses bras une petite silhouette recroquevillée sur elle-même, encore enveloppée

dans un pull bien trop grand pour elle.

 Ah ! Nous avons de la compagnie, dit alors Silhaée en revenant vers son hôte.

 Je te présente Alice, lui dit Colin en pivotant sur lui-même de sorte à rendre visibles les traits

délicieux de sa fille.

Silhaée s'approcha encore un peu plus du duo et aperçut dans le creux de la nuque de son

papa, le doux visage rose et tiède d'une jolie petite fille se réveillant à peine de sa sieste. Ses longs

cheveux bouclés roux-blond hérités de son père lui tombaient sur les yeux. Silhaée déplaça donc
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quelques mèches, dégageant juste ce qu'il fallait pour que la petite ouvre de grands yeux bleu ciel,

les mêmes que sa maman.

 Coucou toi, la salua Silhaée époustouflée par sa beauté.

Un grand sourire amusé échappa à la petite Alice qui se replia quand même contre son papa.

 Hé, depuis quand tu joues à la timide ? dit Colin en se dirigeant vers la salle. Il faut dire

bonjour à notre invitée. Elle s'appelle Silhaée.

La petite couina en saisissant plus encore le cou de son père. Colin invita donc Silhaée à

reprendre place autour de la table et s'y installa à son tour.

 Votre fille est magnifique… reconnut cette dernière en regardant la petite se défaire du pull.

 Elle ressemble à sa maman, dit Colin avec douceur.

 Vous avez fait du beau travail tous les deux, le complimenta-t-elle.

 Maman ? releva Alice en regardant son père avec joie.

 Oui Maman, répondit-il. Silhaée est une amie de Maman.

Alice regarda alors la jeune femme face à eux et lui adressa de nouveau un grand sourire.

 J'imagine que ce doit être compliqué pour elle… conclut Silhaée.

 Je fais en sorte que ça le soit le moins possible, dit Colin. On essaie de ne rien lui cacher, de

lui expliquer les choses comme elles sont… Hein Alice ?

 Ouuui, répondit la petite en patouillant le t-shirt de son père de ses petites mains potelées.

 Où est-ce qu'elle est Maman ? dit-il sans complexe.

 À la maison des docteurs.

 Oui et tu sais pourquoi ma chérie ?

 Les 'dicaments ! s'exclama-t-elle fièrement.

 Oui c'est ça, elle se fait soigner et aide pour fabriquer des nouveaux médicaments, acquiesça

son père.

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Silhaée était très admirative de l'effort de communication que Colin tentait de maintenir avec

sa fille. Elle le trouvait très courageux mais également très mature et responsable.

 Est-ce que tu veux ton goûter ? lui demanda son père. Ou est-ce que tu préfères jouer

d’abord ?

La petite marqua une pause durant laquelle elle se rendit intéressante au travers de grimaces

exagérées avant de répondre :

 Jouer !

Puis elle se trémoussa pour descendre de ses genoux et rejoignit son espace de jeux dans la

pièce de vie.

 N'importe qui voudrait avoir une fille comme elle, dit Silhaée manifestement amusée par la

petite Alice.

 Sans elle je ne serai plus rien, lui confia Colin soudainement plus terne.

Silhaée regarda alors le visage douloureux du mari de Gaële et sous-pesa chacun de ses mots

avant de se lancer :

 Je suis désolée d'arriver comme ça dans votre vie avec mes histoires… dit-elle.

Constatant que Colin luttait pour conserver un semblant d'équilibre basé sur la fatalité des

événements, elle réalisait désormais qu'elle venait peut-être de tout détruire en deux heures de

conversation.

 Ce ne sont pas « tes » histoires dès lors que les conséquences empiètent sur l'existence de

millions de personnes, fit-il remarquer.

 Oui c'est vrai… Mais je ne veux pas pour autant que cela te perturbe.

 Que ça me perturbe ? Tu m'apprends que LEXO me prive de ma femme alors qu'il ne

compte plus rien faire pour elle et tu penses seulement aux conséquences que cette nouvelle

pourrait avoir sur moi ? Moi je n'y pense même plus, c'est Gaële maintenant qui me

préoccupe.

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 Mais elle, elle ignore tout de ça… rappela Silhaée.

 Ce qui rend la chose encore plus détestable.

Un silence couvert par les rires enfantins d'Alice perdura pendant quelques minutes dans le

séjour.

 Silhaée… reprit enfin Colin. Je viens de réaliser que je ne t'avais même pas remercié…

 De quoi ? dit-elle sans comprendre.

 Tu as joué cartes sur table avec moi. Tu as su me faire confiance en m'expliquant tout ce que

tu savais, de A à Z.

 C'était la moindre des choses puisque je venais te demander de m'accueillir sous ton toit…

fit-elle remarquer.

 Oui bien sûr que tu te devais de me rendre des comptes. Mais tu n'as rien laissé au hasard et

je trouve ça très courageux de ta part au vu de la situation.

Alice revint au même moment vers son père, déposant un jouet sur ses genoux avant de

contourner la table pour s'arrêter à côté de Silhaée. Elle lui tendit à son tour une petite poupée

interactive puis ses deux bras potelés en gémissant pour être portée.

 Tu… Tu veux venir avec moi, balbutia Silhaée en soulevant la petite dans ce même temps.

Une fois installée sur les jambes de la jeune femme, Alice se mit à taper joyeusement des

mains avant de faire coucou à son père.

 Ah là elle est contente de son coup… dit Colin manifestement amusé.

 Alice est vraiment une enfant pleine de vie, commenta Silhaée en coiffant ses cheveux à

l'aide de ses doigts. Elle a l'air si douce… Si agréable à vivre…

 Et elle l'est. D'ailleurs je te propose de te faire ton propre avis sur le sujet si c'est toujours ce

que tu veux…

Sur ces mots, la jeune femme leva instantanément les yeux jusqu'à tomber sur le regard

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serein de Colin.

 Oui, lui confirma-t-il. J'accepte de t'héberger, de te cacher le temps qu'il faudra pour qu'on

trouve ensemble une solution à toute cette histoire.

 Colin… dit-elle encore surprise par la nouvelle. Je ne sais pas comment te remercier…

J’espérais tellement que tu acceptes cette… folie…

 Je l'accepte à une condition, dit-il.

Le regard ému de Silhaée sembla s'emplir instantanément de stress.

 … Si je te garde chez moi c'est pour faire avancer les choses. Il faut qu'on trouve un moyen

de faire pression sur LEXO, voire même sur les dirigeants de notre NUPE pour faire tomber

les murs de l'Expéria. Si Dieu t’a guidé jusqu'à moi, c'est qu'il veut me donner une chance de

sauver Gaële… Et je ne la manquerai pas.

 Maman ? dit soudainement Alice en entendant le prénom de sa mère.

Silhaée observa alors la petite blottie contre elle, puis Colin et lui transmit dans un regard la

réponse qu'il attendait. Elle se pencha ensuite vers sa fille et lui dit enfin d'une voix douce et

rassurante :

 Bientôt ma jolie... Maman rentrera bientôt à la maison.

 Disparue ?! s'exclama Dean.

Meala, Jayden, Dean et Tony s'étaient retrouvés dans un parc de la ville pour débriefer des

dernières nouvelles. La fouille des enquêteurs ayant eu lieu la veille de leur week-end, les quatre

compères n'avaient pas eu l'occasion d'en rediscuter au sein de LEXO et Jayden préférait désormais

éviter les communications susceptibles d'être enregistrées.

 Elle se cache quelque part, recadra ce dernier. Il faut qu'on lui fasse confiance.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 169


 De toute façon nous n'avons pas d'autres choix, releva Meala. Mais manifestement elle doit

être bien cachée. Sans ça, elle se serait faite pincée et toi aussi par la même occasion.

 Exactement, approuva Jayden. Vraiment je pense qu'il faut éviter de chercher à la retrouver

puisqu'il est évident que nous risquerions de la mettre en danger. Meydân a été suivie, j'ai

été suivi, on peut donc imaginer sans mal que n'importe quel employé LEXO puisse être

espionné de la même façon jusqu'à ce qu'ils trouvent leurs réponses.

 Essayons de ne pas nous faire remarquer alors, dit Tony. Et concentrons-nous sur les

dernières informations recueillies en attendant.

 C'est justement pour ça que je vous ai fait venir aujourd'hui, rebondit Jayden le regard bien

plus brillant. Grâce à ton plan Tony et aux données que nous avons récoltées, j'ai pu obtenir

des informations très intéressantes.

 Ce n'est pas moi qu'il faut remercier ; c'est cette chère Maddy, resitua ce dernier en se

remémorant leur supercherie.

 Tsss… siffla Meala en levant les yeux au ciel. La pauvre fille… Et dire qu'elle croit

maintenant avoir ses chances avec toi… Ce n'est vraiment pas bien de jouer avec les

sentiments d'une femme !

 Premièrement j'avais une bonne raison de le faire, la contra Tony. Nous n'avions pas d'autres

solutions si nous voulions faire avancer nos recherches. Et deuxièmement « Mademoiselle la

féministe », figure-toi que j'ai passé un très bon moment avec elle et que j'envisage de la

revoir très prochainement.

 … Mouai… répondit Meala septique. J'attends de voir…

 Est-ce qu'on peut essayer de se recentrer sur le motif initial de notre venue ici ? proposa

Dean nettement plus fébrile que les autres.

Ses sentiments naissants pour Silhaée trahissaient son impatience autant que ses inquiétudes.

 Pardon, s'excusèrent en cœur Meala et Tony avant de se tourner de nouveau vers Jayden.

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 Alors ? le relança Dean. Dis-nous ce que tu as trouvé ?

 Le dossier dérobé comportait énormément d'éléments concernant l'état de santé de Silha,

introduit Jayden. Mais pour être tout à fait franc, j'ai beau être très compétent en ce qui

concerne le piratage de session informatique, il n'en est pas de même pour l'analyse de

documents médicaux…

 Arf… ragea Tony.

 Si seulement Eyrin était là, regretta Dean.

 Et Meydân ? tilta Meala.

 Je ne sais pas quand je pourrais la revoir pour en parler avec elle, avoua Jayden. Au vu des

derniers événements, il vaut mieux que nous nous évitions dans LEXO et que nous

privilégiions le contact chez Wayen.

 Parce qu'elle va continuer de venir ? s'étonna Tony.

 Pour continuer de fausser les pistes, oui il le faut, répondit-il. Et peut-être qu'à ce moment-là

je pourrais voir avec elle pour étudier les données de Silha plus en profondeur.

 En attendant il y a peut-être des éléments que l'on peut essayer de décortiquer sans son

aide ? évoqua Meala.

 Oui, il y en a un. J'allais justement y venir.

La petite troupe se fit alors bien plus attentive et Jayden jeta un large coup œil autour d'eux.

En constatant qu'ils étaient assez éloignés des autres promeneurs pour pouvoir parler librement, il se

lança :

 J'ai découvert un premier élément très troublant, introduit-il en ouvrant les notes de Zoka.

Les premiers documents présents dans le dossier identifiaient Silhaée Uji sous un autre

nom ; celui de « Silhaée Davis ».

 Quoi ? s'exclama Dean.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 171


 Qu'est-ce que c'est que cette histoire encore ? ne put s'empêcher de commenter Tony.

 Mais ce n'est pas tout, poursuivit Jayden. « Silhaée Davis » aurait été conçue via le système

de bulle porteuse6 mais n'aurait pas mené à terme sa croissance. Elle serait ainsi morte à six

mois et demi de gestation artificielle…

Dean écarquilla des yeux gros comme des pierres.

 C'est presque impossible de ne pas aller au terme d'une gestation artificielle, fit remarquer

Meala. Si les bulles porteuses ont été créées c'est justement pour éviter ça…

 Je suis d'accord avec toi, poursuivit Jayden. Mais comme vous devez certainement vous en

douter ; ce document est biaisé. Quelques jours après le soi-disant décès de « Silhaée Davis

», son dossier était étrangement rattaché à celui d'une certaine « Silhaée Uji » …

 Cette histoire de mort à six mois et demi c'est du grand n'importe quoi ! s'exclama Tony.

 Ils ont simplement camouflé un nom dans un autre, conclut à son tour Meala.

 Oui mais pourquoi ? souleva Jayden. Pourquoi avoir fait ça ? … C'est étrange comme

procédé vous ne trouvez pas ? …

Personne ne sut trop quoi répondre. Il y avait à la fois tant de possibilités et pour autant il

était impossible pour le moment de forger des hypothèses concrètes.

Erdowel venait de finir son tour dans les étages du centre de soins continus quand il se

décida à faire un crochet sur l'aile Ouest. Cela faisait des jours maintenant qu'il devait y aller, des

jours que ses équipes l'incitaient à rendre visite à Eyrin. Son affectation dans le centre devenait un

Système de fécondation et gestation in vitro calqué sur le principe de la mère porteuse. Croissance de l'embryon en
6

milieu synthétique, composé d'une poche de synthèse et d'un liquide de substitution remplaçant respectivement les
apports utérins et placentaires. Connu sous le nom de «bulle porteuse» pour la forme sphérique de la capsule
d'accueil.

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supplice et son comportement ingérable.

 Docteur ? l’interpella une curatrice au bout du couloir.

Elle trottinait dans sa direction, plateau en mains.

 Oui Angela ?

 Est-ce qu'il serait possible de profiter de votre visite chez Mr Hederling pour lui apporter

son repas ? demanda-t-elle en le suppliant pratiquement du regard.

 Euh… Oui bien sûr, répondit le médecin en saisissant le tout avant de regarder la curatrice

faire demi-tour d'un pas pressé.

À ce moment-là, Erdowel prit conscience de la détresse de son personnel. Il regarda ensuite

la porte de la chambre d'Eyrin avec bien plus d'appréhension qu'il n'en avait eu jusqu'alors et s'en

approcha tant bien que mal. Après avoir frappé délicatement, le médecin badgea devant le boîtier. Il

déverrouilla ainsi la porte, dévoilant un décor reflétant les propos qu'on lui avait jusqu'alors

rapportés sans qu'il ne daigne les prendre réellement au sérieux.

 Bonjour… dit-il en jetant un regard circulaire dans la pièce.

Il y avait de tout, partout. La chambre avait été retournée, presque saccagée : les meubles

déplacés, certains objets brisés, d'autres entassés. Erdowel contourna un amas de couvertures

jusqu'à atteindre la table où il y déposa le plateau.

 Eyrin ? … dit-il en le cherchant dans la pénombre imposée par les volets semi clos.

Il n'eut aucune réponse et se décida à s'enfoncer encore un peu plus dans ce qui ressemblait à

un local abandonné plus qu'à une chambre.

 Ey… réitéra-t-il avant d'entrevoir une forme dans un coin reculé de la pièce. Te voilà…

Le jeune homme était allongé dans un autre amas de couvertures, entouré par

d’innombrables figures de papier. Il semblait ignorer la présence du médecin, réalisant un énième

pliage origamique avec soin.

 Tu voulais me voir ; je suis là… dit Erdowel pour compléter un vide dérangeant.

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Toujours aussi mutique, Eyrin déposa la nouvelle figure de papier avec les autres. Puis il

tendit le bras vers une pile de feuilles à sa droite et se relança mécaniquement dans une autre

confection.

 Je… hésita le médecin. Je sais que tu es en colère… et que tu ne dois probablement pas

comprendre pourquoi nous avons fait le choix d'être aussi durs avec toi…

Eyrin resta de marbre une fois encore.

 Mais tu ne nous as pas vraiment laissé le choix, poursuivit Erdowel. Et nous devions gérer

tellement de choses à côté qu'il n'était pas envisageable qu'il se passe quoi que ce soit

d'indésirable dans l'Expéria…

Une fois encore, le jeune homme posa sa figure de papier terminée et saisit une nouvelle

feuille.

 Eyrin, dit alors le médecin en posant un genou à terre (se mettant ainsi à sa hauteur). Il faut

que tu me parles. Tu as fait des pieds et des mains auprès des équipes soignantes pour me

voir, pour te faire entendre, alors maintenant il faut que tu saisisses ta chance.

Un rictus, à mi-chemin entre l'amusement et l'agacement, apparut instantanément sur le

visage d'Eyrin.

 Quoi ? rebondit Erdowel. Aurais-je dit quelque chose de drôle ? …

Mais le jeune homme ne s'expliqua pas davantage, continuant inlassablement son activité.

 Bien, dit le médecin en se redressant. Quand tu seras décidé à parler, tu préviendras mes

équipes. J'espère juste qu'à ce moment-là je serai disponible pour toi. Sinon il te faudra peut-

être patienter encore des jours, j'espère que tu en as conscience.

Puis il s'écarta du petit coin reculé dans lequel il s'était cloîtré et rejoignit avec précaution la

porte de la chambre.

 Jack, dit soudainement Eyrin alors que le médecin s'apprêtait à sortir.

 Oui ? … répondit-il aussi soulagé que fébrile.

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 Vous direz à mon père qu'il m'a fallu faire preuve d'imagination, mais que ça en valait la

peine.

 Pardon ? dit Erdowel incompris.

 Le conduit d'évacuation des déchets, compléta-t-il. Seule issue non gardée sur LEXO. Il

fallait y penser, vous en conviendrez.

Puis sur ces mots, Eyrin se leva de son tas de couvertures et disparut dans la salle de bain,

laissant ainsi le médecin complètement abasourdi au milieu de la chambre. Erdowel venait de

réaliser, de comprendre l'impensable.

Une fois sa conversation avec Meala, Dean et Tony terminée, Jayden était rentré chez lui. Il

s'était assis dans son canapé pendant plusieurs heures et avait fait défiler encore et encore le contenu

du dossier personnel de Silhaée.

Lorsqu'il se décida à faire une pause, son attention se centra tout naturellement sur l'écran du

salon. Il zappa sur plusieurs chaînes à la recherche d'un programme adéquat et constata sans

surprise que les autorités n'avaient pas lésiné sur les moyens pour lancer la campagne de

vaccination. Sur chaque chaîne, un bandeau défilait en continu dans le bas de l'écran. Il rappelait,

dans le cadre d'un flash spécial, que la campagne vaccinale anti ERR-6 débuterait dès ce lundi et

qu'il ne fallait pas oublier de se rendre dans son poste de vaccination référent. Il précisait également

le numéro spécial à joindre en cas de demande ou de problème concernant le rendez-vous attribué

puis reprenait le message depuis le début de manière totalement incessante.

- Tilit tit ! Tilit tit ! -

La mélodie de la sonnette de l'entrée fit presque sursauter Jayden.

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 Clôture et verrouille les notes et le dossier de Silhaée, ordonna-t-il à Zoka avant de se lever

brusquement de son fauteuil.

Le compagnon bipa par deux fois avant de se mettre automatiquement en veille. Jayden put

alors s'approcher lentement de la fenêtre du séjour et aperçut la voiture de Meydân dans la cour.

 Aaaahh… lâcha-t-il soulagé avant de se diriger vers la porte d'entrée.

En ouvrant cette dernière, il tomba sur le visage préoccupé de la jeune femme.

 Salut ! dit-il enthousiaste.

 Salut, répondit-elle bien moins enjouée que lui.

 Il y a un problème ? lui demanda Jayden en la laissant entrer avant de reverrouiller la porte

derrière elle.

 Non non, pas vraiment… esquiva-t-elle en enlevant son manteau. Comment tu vas ?

 Moi ça va et toi ?

 Ça va. Je venais simplement aux nouvelles.

Sur ces mots, Jayden se mit à sourire.

 Tu as retrouvé Silhaée ? conclut hâtivement Meydân.

 Hm non, dit-il presque désolé pour l’ambivalence de sa réaction. Mais j'ai obtenu des

informations à son sujet que j'aimerais te faire analyser.

 Aah là tu m'intéresses, dit-elle.

Jayden prit d'abord le temps de servir une boisson chaude à son invitée avant de s'installer

auprès d'elle.

 Zoka annule la dernière manœuvre, demanda-t-il à son droïde afin de déverrouiller l'accès

au dossier et aux notes.

Le compagnon analysa la voix de son propriétaire avant d'exécuter la consigne.

 Bon alors déjà il faut que tu saches que nous avons été obligés de prendre quelques risques

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dernièrement, introduit-il.

 Je te demande pardon ? dit-elle en reposant sa tasse.

 Je sais ; nous avions convenu de ne prendre aucune décision sans se concerter avant. Mais

les derniers événements nous ont forcément poussés à improviser.

 Que s'est-il passé ? s'inquiéta-t-elle derechef.

 Tony a surpris une conversation entre ton père et Paolo Amorio. Ils évoquaient de manière

plutôt « cryptée » les conséquences de nos actes ou de la réapparition de Silhaée par rapport

à la campagne de vaccination. Ton père semblait dire que tant que certains détails de toute

cette histoire resteraient secrets, il ne risquait pas grand-chose.

 Sauf que nous savons tout maintenant, dit Meydân.

 Et bien c'est là que comme nous, tu te trompes, rétorqua Jayden. Il aurait dit à Paolo qu'il

s'agissait de détails connus uniquement par quatre personnes sur cette Terre. Quatre

personnes dont lui-même et Erdowel…

En une fraction de seconde, le sourire confiant de la jeune femme s'inversa.

 J'en conclus que nous avions raison de penser que tu ne faisais pas partie des deux personnes

restantes… dit-il désolé.

 Qu'est-ce que c'est encore que cette histoire… dit-elle septique.

 C'est ce que nous avons cherché à éclaircir, annonça enfin Jayden.

Puis il se plongea ensuite dans un flot d'explications, relatant leur propre réflexion basée sur

une seule idée : « Comment récupérer des données que seuls Atân et Erdowel étaient susceptibles de

posséder sur leurs sessions LEXO ?».

 Maddy ? répéta Meydân quand Jayden arriva au bout de ses conclusions.

 Qui d'autre que les petites mains du directeur pour espérer obtenir des informations aussi

confidentielles ? dit-il. La session de ton père devait être similaire, pour ne pas dire quasi

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identique, à celle de sa secrétaire.

 Et vous avez réussi ? s'étonna-t-elle.

 Je te passe des détails qu'à coup sûr tu trouverais sordides… Mais oui, nous avons réussis.

Puis il saisit Zoka qui se déplia au contact de sa paume jusqu'à ne plus former qu'une petite

tablette.

 Voilà ce que j'ai pu récolter, dit Jayden en lui tendant le compagnon.

Meydân découvrit alors des captures d'écrans relevées dans un dossier médical bien plus que

conséquent.

 Dis-moi si tu avais déjà connaissance de certains éléments, lui demanda-t-il.

Après quelques secondes de lecture, la jeune femme hocha négativement la tête tout en

poursuivant son décorticage. Tout comme Jayden, elle tomba sur les étranges données sous le nom

de « Silhaée Davis », puis sur le certificat d'échec de « conception en bulle porteuse » et enfin sur

l'affiliation du dossier à l'identité de « Silhaée Uji ». Jayden ne quitta pas une seule seconde des

yeux le regard vif et intense de Meydân. Son visage oscillait entre surprise et concentration, tout en

affichant une forme de colère plutôt constante. Il ne faisait aucun doute qu'au-delà de la réaction

que pourrait avoir la « fille d’Atân », la chercheuse et grande scientifique se sentait trahie,

profondément trahie.

 Jayden… dit-elle tout en poursuivant sa lecture.

 Oui ? …

 Qu'avez-vous pu tirer comme conclusions avec les autres ?...

 Et bien justement nous ne savions pas trop quoi penser de tout ça… avoua-t-il. Nous avions

des doutes sur la mort en bulle de la dite « Silhaée Davis » …

 C'est une falsification, acquiesça Meydân sans le moindre doute. Une façon de faire

disparaître le « corps » des registres officiels pour pouvoir s'en servir sans avoir à justifier de

leurs actes…

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 C'est-à-dire ? la relança-t-il un peu perdu.

 Mon père m'a toujours dit que la mère de Silhaée était morte quelques jours après lui avoir

donné la vie. Or il est clairement précisé ici qu'il s'agissait d'une grossesse bulle, autrement

dit d'une naissance artificielle. J'en conclue donc que mon père m'a menti… Reste à

déterminer le « pourquoi ».

Meydân relut rapidement un document qu'elle avait fait épingler par Zoka avant de

poursuivre :

 Tu n'es pas sans savoir Jayden que nous avons des lois mondiales qui, depuis l'apparition de

la mutation anti ERR-6, ont été entièrement revues. Avant nous pouvions réaliser des

expériences sur le génome humain pour espérer modifier certaines anomalies rencontrées

par l'organisme. Mais depuis l'apparition de cette mutation indésirable et spontanée induite

par nos manipulations répétées, tout ça c'est terminé.

 Plus de manipulations génétiques pour biaiser les mutations cellulaires, résuma Jayden.

Uniquement des recherches ciblées sur les traitements des pathologies, pas leur genèse.

 Exactement, dit-elle. Dès que l'ERR-6 a défailli, mes prédécesseurs ont été contraints de

réaliser des recherches qui se devaient d'être efficaces tout en renonçant au principe de

manipulation du génome. Certains avaient pourtant développé de nombreux travaux de

recherches attestant d'une possibilité de remédier à l'ERR-6 en se basant sur une idée

simple : la fabrication d'une sorte de prothèse génétique « remplaçant » le fragment

défaillant.

 Mais jugée trop risquée, termina Jayden.

 Je crois que les gens ont eu peur à l'époque de faire pire que ce qui avait déjà été provoqué,

conclut Meydân. Et puis l'équilibre de notre tout nouveau Système Homogène était

tellement fragile que personne n'était plus capable de se mouiller… Plus capable de dire au

monde entier : « aller, on prend le risque » …

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 Oui, je crois aussi… acquiesça Jayden. Mais ceci étant dit, je ne vois toujours pas le rapport

avec Silh…

Et soudain, alors qu'il attendait de Meydân un complément d'explications, tous les éléments

développés précédemment vinrent se coller les uns aux autres. Ses yeux s'écarquillèrent, ses lèvres

s'entrouvrirent et son dos se développa jusqu'à ce qu'il se tienne droit face à elle. L'air déconfit, il

finit par plonger son regard dans celui de Meydân et constata qu'elle hochait positivement la tête.

 Oui… confirma-t-elle affligée. Malheureusement je crois que tu as bien compris…

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19

Le prix à payer

 J'ai terminé, annonça Grett à l'intention de Rosamine en déposant sur la table du séjour un

somptueux bouquet de fleurs.

 Superbe, se réjouit sa patronne en humant les fleurs avant de jeter un œil vers la cuisine.

 Bœuf sauce aigre douce, lui dit alors la gouvernante en annonçant le dîner qu'elle leur avait

concocté.

 Oh génial, s'exclama Rosamine. Grett, comment vais-je faire encore sans toi pendant ces dix

prochains jours…

 Comme d'habitude vous allez très bien vous en sortir, la rassura-t-elle. Et de toute façon,

soyez rassurée ; vous êtes à jour dans votre ménage et votre linge. Vous n'aurez qu'à vous

soucier des paramétrages du droïde culinaire jusqu'à mon retour de vacances.

Rosamine retourna un long sourire à la gouvernante avant de lui offrir une franche poignée

de mains. Puis elle la laissa retirer son tablier et lui ouvrit enfin la porte d'entrée.

 Bonnes vacances Ros… Atân ? s'interrompit Rosamine en voyant son mari sortir de sa

voiture.

 Mesdames bonjour, dit-il à l'intention des deux femmes en montant les quelques marches le

séparant de l'entrée de sa demeure.

 Que fais-tu là si tôt ?

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 181


Rosamine s'étonna de la présence de son mari puisque ce dernier s'était absenté sur le week-

end. Il ne devait donc rentrer que tard dans la soirée, après sa réunion exceptionnelle visant à

s'assurer que la campagne de vaccination anti ERR-6 serait opérationnelle pour son grand

lancement le lendemain.

 Nous sommes prêts, nos équipes sont prêtes, annonça-t-il étonnamment serein. Les

consignes sont remises entre les mains de celles et ceux qui sont concernés. Tout va bien.

 Je vais vous laisser, plaça Grett entre deux phrases avant de descendre les quelques marches

d'accès à la demeure.

 Bonnes vacances Grett, à très bientôt, la salua Rosamine.

 Et pensez à votre vaccination ma chère, ajouta Atân. Nous ne voudrions pas perdre la

meilleure cuisinière que le monde moderne ait connue.

La gouvernante afficha un sourire flatté à l'intention de son patron et de son épouse. Puis elle

se retourna vers la cour et leva les yeux au ciel avant de disparaître dans sa voiture.

 Aaaah… s'exclama Atân en refermant la porte avant d'entrer dans le séjour.

Il avait à la main son compagnon qu'il regardait de temps à autre, comme s'il était en attente

de quelque chose.

 Ton week-end s'est bien passé donc ? reprit Rosamine en suivant son époux.

 Oui très bien, dit-il en saisissant un verre puis une bouteille dans le bar vitré du séjour. Jodd

Altwood est peut-être l'Orateur le plus borné que notre NUPE ait connu, mais il n'en reste

pas moins compétent. Donc tout va bien.

 Bon, je suis ravie de l'apprendre.

Atân se servit un verre de whisky puis saisit de nouveau son compagnon qu'il déplia et replia

une nouvelle fois.

 Si « tout va bien » comme tu le dis, qu'est-ce qui te préoccupe encore autant ? remarqua

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Rosamine.

 Hm, lança Atân en avalant une gorgée de whisky. Trois fois rien, ne t'en fais pas.

Mais à en croire son sourire quelque peu malicieux imprimé sur son visage depuis son retour

à la maison, Rosamine n'eut pas la conscience tranquille.

 Il s'est passé quelque chose avec Eyrin ? dit-elle du tac au tac.

 Mais pas du tout, répondit sèchement Atân surpris par sa réaction. Tu penses bien que je t'en

aurais fait part s'il s'agissait de notre fils.

 Alors quoi ? insista-t-elle.

 Rosa tu es pénible.

Cette dernière ne baissa cependant pas la garde. Bras croisés, regard figé, elle semblait bien

décidée à savoir ce qui émoustillait tant son mari.

 Bon, dit-il en reposant son verre. Tu me promets de ne pas te contrarier ?

 Atân Hederling, qu'est-ce qui s'est passé encore ? dit-elle soudainement moins patiente.

 Notre dernière réunion s'étant terminée de bonne heure, j'ai profité de ce petit moment pour

aller voir notre gendre.

 Oh non Atân… lâcha-t-elle en fermant les yeux.

 Il était en droit de savoir, dit-il abrupt. Je ne vois pas pourquoi ma fille aurait le droit de

s'envoyer en l'air avec un vulgaire passeur sans que son fiancé puisse avoir l’opportunité de

remédier à ça.

 Je suis désolée mais nous en avions discuté toi et moi et je t'avais demandé de ne pas

t’immiscer dans leur vie privée ! rétorqua Rosamine.

 Figure-toi que là n'était pas mon intention au départ, se défendit-il.

 Ah tiens donc ! Et qu'elle était ton intention initiale alors ?

 En rentrant de mon week-end, je devais passer chez eux pour parler avec Meydân de la

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conférence de presse de demain pour le lancement de la campagne vaccinale. Mais quand je

suis arrivé, elle n'était pas là. Malone était seul et m'a dit qu'elle était partie faire un peu de

jogging dans le bois blanc près de chez eux.

 Ce qui était peut-être le cas, fit remarquer sa mère.

 Bien sûr, répondit Atân innocemment. Je lui ai demandé depuis combien de temps elle était

partie pour savoir s'il était pertinent que je l'attende ou pas... Et il m'a dit que cela faisait déjà

presque deux heures qu'elle s'était absentée. Tu connais notre fille comme moi, je n'ai donc

pas pu m'empêcher de souligner le fait que j'étais surpris de la durée de son jogging au vu de

son pitoyable passif sportif. Malone m'a dit qu'elle courrait depuis peu pour relâcher la

pression du boulot, mais qu'il trouvait lui-aussi que cela ne lui ressemblait pas vraiment.

Rosamine hocha alors la tête de gauche à droite en signe de consternation.

 Pour lui permettre d'y voir plus clair, je lui ai donc proposé de résoudre le mystère autour de

cette question, poursuivit-il sans faillir. Et je l'ai informé du fait que, dans le cadre d'une

enquête en interne sur la disparition de données importantes, nous avions placé des traceurs

espions sous les véhicules de certains employés de LEXO, dont celui de Meydân.

 Tu ne devais pas en parler il me semble… le mit-elle en garde au passage.

Atân lui fit comprendre d’un bref haussement de sourcils que ce n'était pas un problème

avec Malone.

 Nous avons alors repris ensemble les derniers trajets de Meydân et mon gendre a pu

constater par lui-même que sa fiancée ne se rendait pas au bois blanc mais à une adresse

bien plus éloignée ; une adresse inconnue. Et puis nous avons constaté ensemble que le

traceur espion avait été désactivé récemment, signe d'une méfiance de sa part, ce que

Malone a très bien interprété tout seul.

 Je te jure que si leur couple se brise par ta faute… commença-t-elle.

 Tu sais à quel point j'adore mon gendre, l'interrompit-il. Tu me penses donc assez bête pour

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avoir pris ce risque ? …

Rosamine resta immobile et mutique un court instant avant de se reprendre.

 … Dis-moi tout Atân, demanda-t-elle fatiguée par tant de mystère et de contrariété.

Ce dernier fit alors le tour de la table et se posta devant la baie du salon, regardant un instant

le paysage environnant par la fenêtre avant de dévoiler sa ruse :

 Je lui ai dit que notre fille était victime depuis quelque temps d'un maître chanteur sur

LEXO ; un employé du nom de Jayden Siller qui, en échange de certaines « faveurs »,

acceptait d'entretenir un contact clandestin avec son frère sur l'Expéria.

Rosamine plaqua alors une longue main sur sa bouche fine et étouffa une grande inspiration

tout en observant la raideur du dos de son mari qui ne faisait que camoufler sur l'autre face un

gigantesque sourire empli de satisfaction.

 C'est bon, annonça Silhaée.

La jeune femme était assise dans le canapé du séjour de Colin, tablette en main. Elle venait

de finir de taper le brouillon d'une sorte de discours qu'ils avaient imaginé ensemble.

 Vas-y je t'écoute, l'invita Colin.

Ce dernier était en train de cuisiner le repas du soir, installé derrière l'îlot central de sa

cuisine ouverte.

 Bonjour à tous. Je m'appelle Silhaée Uji et je me présente à vous aujourd'hui pour dénoncer

toutes les inhumanités dont le groupe LEXO est responsable depuis maintenant des années.

Ils se sont servis de moi et de mon organisme génétiquement différent pour fabriquer vos

futurs vaccins au détriment des recherches faites pour les patients-testeurs de l'Expéria et de

ses antennes.

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 Oula attends attends l'interrompit Colin. On est d'accord, il faut un message court. Mais il

faut qu'il soit compréhensible par tous, y compris pour celles et ceux qui ignorent tout de A à

Z.

La veille, Silhaée et Colin s'étaient penchés sur une idée folle, idée qu'ils avaient eu dès leur

toute première conversation : faire trembler le grand LEXO pour faire tomber les murs des dômes.

Pour cela ils avaient imaginé se servir des compétences de Colin, développées dans le cadre de son

métier. Le mari de Gaële réalisait depuis des années des montages vidéos, destinaient à être rachetés

par de grands groupes pour en faire leurs socles publicitaires télévisuels. Ils avaient donc à leur

disposition le matériel nécessaire à la création d'une sorte de vidéo de propagande dans laquelle

Silhaée se mettrait en scène et prendrait enfin, pour la première fois de sa vie, les commandes de

son destin...

 Si je veux être plus claire que ça, il faut que je parle plus de trente secondes, rétorqua

Silhaée en retravaillant dans ce même temps le brouillon de son discours.

 Après on peut peut-être fonctionner sous forme de sous-entendus ? proposa-t-il. Au lieu de

tenter de faire de la délation à tout prix en prenant le risque que personne n'y comprenne

rien, on peut essayer plutôt de semer le trouble dans les consciences, d'éveiller les

questionnements…

 Oh oui, tu tiens quelque chose là, dit-elle en tapotant énergiquement une nouvelle tournure

de phrase.

 Silha ! s'exclama Alice qui tournait autour de la jeune femme avec énergie. Silha !

 Alice s'il-te-plaît, la recadra son père. Laisse Silhaée se concentrer, c'est important.

La petite fronça alors les sourcils avant de couiner pour exprimer son mécontentement.

 On finit ça Papa et moi et promis après je joue avec toi à Color Cubes, lui proposa Silhaée.

 Ouuiiii Color Cubes ! bondit la petite en redescendant du canapé pour aller farfouiller dans

son bac à la recherche du jeu en question.

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Silhaée et Colin s'offrirent ainsi encore quelques minutes de calme, minutes durant

lesquelles ils tentèrent de se recentrer sur l'objectif principal : tourner à temps la vidéo. Car s'ils

n'étaient pas encore tout à fait au point sur le contenu du discours, ce dont ils étaient sûrs c'est qu'il

fallait impérativement que la vidéo soit diffusée sur une journée de grande écoute. Et quoi de plus

pertinent que de choisir le premier jour de lancement de la campagne de vaccination anti ERR-6

pour tenter de faire trembler les certitudes de ses instaurateurs.

Jayden était encore tout retourné de ce qu'il venait de comprendre quand Meydân reposa de

nouveau Zoka sur la table après une énième relecture des documents.

 Ça ne fait aucun doute, dit-elle. Ils ont outrepassé les lois.

 Attends, dit Jayden. Il faut que j’essaie de synthétiser tout ça pour le transmettre à Meala,

Dean et Tony.

 Pour faire simple, se lança Meydân ; malgré les lois qui interdisent strictement les

modifications du génome humain, quelqu'un sur LEXO s'est permis il y a vingt ans

d'outrepasser la législation. Ils ont donc falsifié le décès d'un bébé en bulle porteuse pour le

sortir du registre et en faire ce qu'il en voulait. Silhaée Uji n'a donc aux yeux du monde

aucun fichier identitaire, sa personne même n'existe pas dans notre société. C'est comme si

elle n'était jamais née.

 Et donc grâce à cette combine, ils ont pu lui implanter la fameuse prothèse génétique

expérimentale pour espérer créer un organisme résistant à la défaillance de l'ERR-6.

 C'est ce que je pense, confirma-t-elle en sélectionnant sur le compagnon le document

mentionnant ce détail. En s'y prenant ainsi ils ne prenaient aucun risque... Si leur tentative

était un échec, personne n'en aurait rien su puisque Silha n'était pas répertoriée dans les

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FIM7. Mais si c'était une réussite, c'était banco pour eux.

 Et ça a été une réussite, conclut Jayden. Mais impossible à exploiter donc ? …

 Voilà, confirma de nouveau Meydân. J'imagine que l'espoir était tellement infime à

l'implantation de la prothèse que personne n'avait anticipé que ça marcherait... Alors ils se

sont retrouvés pris au piège dans leur propre stratagème, car d'une part le travail réalisé était

issu d'une modification du génome, chose contraire aux lois bioéthiques du Système

Homogène. Et d'autre part, il avait été réalisé sur un bébé sans identité officielle, un crime

contre la paix et l'humanité en soit.

 Mais je ne comprends pas pourquoi est-ce qu'ils n'ont pas su prendre leur courage à deux

mains et avouer qu'ils avaient trouvé le remède en outrepassant les lois ? Après tout, si les

résultats étaient là, qui aurait pu le leur reprocher…

 Pour qu'un résultat soit suffisamment satisfaisant et annoncé comme concluant aux yeux de

la médecine, il faut avoir réalisé l'exploit sur plusieurs cobayes. Et les chercheurs n'étaient

pas à l'abri de découvrir que Silhaée était un cas rare qui tolérait la prothèse mais que cela

n'était pas le cas pour une autre personne. Alors, avant de se lancer à corps perdu dans

l'annonce de l'exploit illégal, il fallait d'abord rendre leur exploit légitime aux yeux de la

science.

 Et donc c'est là qu'il nous manque des informations, posa Jayden.

Meydân se repencha encore une fois sur le compagnon et relit rapidement quelques données.

 Oui… conclut-elle. Et c'est peut-être ce qu'il y a de plus étrange… C'est comme si un

élément indésirable était survenu et avait empêché les chercheurs de poursuivre leur travail,

de reproduire l'exploit sur un autre bébé… Il manque une information, c'est certain.

 Mais ça on ne le saura jamais, dit Jayden réaliste. Tout cela s'est passé il y a des années

maintenant. Personne ne pourrait aujourd'hui nous fournir l'information manquante.

Fichiers Identitaires Mondiaux.


7

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 Mon père… conclut Meydân. Mais autant te dire que c'est impossible de le faire parler… Et

surtout s'il apprenait que j'ai découvert des éléments aussi primordiaux que ceux que tu

viens de me dévoiler, je n'ose même pas imaginer sa réaction… Ce qu'il serait capable de

faire…

Meydân eut un frisson de peur qui provoqua en Jayden un sursaut de colère mêlé à un

sentiment d'injustice profonde.

 On devrait les balancer tous autant qu'ils sont, cracha-t-il avec véhémence. Ne plus avoir

peur d'eux et des conséquences de nos actes et de nos paroles. Ils n'ont pas eu peur, eux, des

conséquences quand ils ont dû faire des choix pour leurs propres convictions !

 Mais nous risquerions gros, beaucoup trop gros… rétorqua-t-elle. N'oublie pas que mon père

tire les ficelles de LEXO et qu'il est de mèche avec l'Orateur de notre NUPE… Que veux-tu

qu'il se passe à part que nous nous fassions enfermer dans un dôme ou un asile jusqu'à la fin

de nos jours ?

Sur ces mots, Jayden mordit sa lèvre inférieure jusqu'à la faire blanchir et se leva d'un bon

pour réaliser quelques pas dans son salon.

 Ils ne peuvent quand même pas être aussi inhumains… dit-il.

 Je te rappelle qu'on parle de mon père qui a fait le choix d'abandonner lâchement des

millions de patients-testeurs, d'Erdowel qui a tenu Silha prisonnière de son ignorance

pendant toute une vie et d'Altwood qui signe tout ce qu'on lui propose pourvu que son nom

soit associé au vaccin miracle.

Jayden resta mutique, réalisant au fond que Meydân avait raison. Encore une fois ils ne

pouvaient rien faire, rien de plus que de constater et subir l'impensable. Il se tourna donc vers un

large miroir incrusté dans un mur et lorgna d'un coup d’œil le tatouage qu'il s'était fait il y a

quelques années sur toute la longueur de son avant-bras gauche. Ce dernier représentait un hémi

visage couvert par des tâches grises, significatives de la défaillance ERR-6, dans lequel était gravé

le prénom « Wayen ». Meydân se leva à son tour et s'approcha de Jayden jusqu'à apparaître à ses
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côtés dans le reflet. Elle regarda ensuite l'hommage artistique qu'il avait rendu et esquissa un sourire

reflétant un mélange de compassion et d'excuses.

 Ça fait des années que je mène ce combat pour mon frère… dit-il ému. J'ai toujours rêvé de

pouvoir honorer sa mémoire, de prendre une revanche pour lui…

 Tu l'auras ta revanche, répondit-elle avec assurance. Je te promets que tu l'auras. Ce n'est pas

parce que nous ne pouvons pas agir maintenant que nous ne pourrons pas agir demain…

Toujours au travers du reflet du miroir, Jayden détacha ses yeux de son avant-bras pour

observer le doux visage compatissant de Meydân.

 LEXO a pris ton frère mais il n'aura pas le mien… compléta-t-elle fébrile à son tour.

Cette fois Jayden se tourna vers la jeune femme et plongea directement son regard dans le

sien.

 On prendra le temps qu'il faudra mais on trouvera un moyen de récolter les informations

manquantes, dit-il. Et à ce moment-là, Eyrin sortira… Et eux tomberont.

Meydân acquiesça ses propos d'un sourire criant de sincérité que Jayden lui retourna à

l'identique. Ils se regardèrent ensuite pendant de longues secondes en silence avant de sentir les

rayons incendiés du soleil couchant leur tomber sur le visage.

 Oh il va vraiment falloir que j'y aille, dit-elle précipitamment. Malone risque de se poser des

questions.

 Oui rentre vite, dit-il en saisissant son manteau sur une chaise avant de le lui tendre.

Meydân le remercia, enfila rapidement son vêtement et se dirigea sans plus tarder vers la

porte d'entrée.

 Prends le temps de discuter de tout ce qu'on s'est dit avec les autres, lui conseilla-t-elle juste

avant de partir. Récolte leurs avis, demande leurs conseils, on ne sait jamais que Tony ait de

nouveau une super idée pour trouver les informations manquantes…

Jayden se mit à rire et déverrouilla la porte, laissant ainsi Meydân sortir de chez lui pour

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rejoindre sa voiture.

 Bonne présentation demain pour le grand jour, dit-il.

 N’oublie pas d'aller te faire vacciner, répondit-elle un sourire malicieux sur le visage. J'ai

plus besoin de toi dehors qu'Eyrin n'a besoin de toi dedans…

 Compte sur moi, dit-il en appuyant son propos d'un sourire toujours aussi sincère.

Puis il la regarda monter en voiture et quitter la cour avant de disparaître à son tour dans la

maison de Wayen.

Malone était assis au volant de sa voiture depuis bientôt une demi-heure quand il vit le

coupé blanc de Meydân arriver au loin. Garé dans une sorte de fossé en contre-bas, il écrasa son dos

dans le fond de son fauteuil en espérant s'être fait assez discret pour ne pas se faire repérer. Meydân

passa comme prévu devant la voiture de son fiancé mais ne la remarqua pas. La carrosserie noire, le

fossé sombre et le coucher de soleil lui avaient été d'une grande aide. Malone attendit de voir

l'arrière du coupé disparaître dans le virage au loin pour redémarrer nerveusement sa voiture et

prendre le chemin contraire. Grâce aux informations d'Atân, il trouva sans mal le domicile d'où la

jeune femme venait de repartir. En s'approchant de la cour, il lut sur la boîte de dépôt le nom de «

Siller W. » et eut ainsi la confirmation qu'il s'agissait bien de la maison qu'il cherchait.

Jayden venait de débarrasser les tasses qu'il avait sorties pour la venue de Meydân quand il

fut surpris par la mélodie de la sonnette de l'entrée. Comme d'habitude, il jeta un œil par la fenêtre

et aperçut un homme d'une trentaine d'années affublé d'un long manteau noir cintré.

 Oh non pas encore… s'exclama-t-il en croyant reconnaître la tenue des enquêteurs qui lui

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avaient rendu visite précédemment.

Il déverrouilla donc la porte d'entrée en priant pour que l'interrogatoire ne soit pas aussi long

que la dernière fois.

 Bonsoir, dit-il en découvrant enfin distinctement le visage angulaire d'un homme à la

mâchoire bien plus que crispée. Je peux vous renseign…

- BAM ! -

Dans un geste aussi vif que puissant, Malone lui asséna un coup de poing en pleine face,

faisant ainsi chuter le jeune homme en arrière. Il se jeta ensuite sur lui et lui écrasa violemment ses

phalanges sur le visage à de multiples reprises. Jayden eut beau tenté de lutter, il avait été trop

sonné par le premier coup pour espérer pouvoir se sortir de cette mauvaise passe.

 Sale enfoiré ! s'écria Malone en n'ayant de cesse de le frapper. Je vais te crever t’entends ?!

Jayden ne comprenait plus rien, ne pouvait rien faire. Il tentait désespérément de se protéger

de la violence de son agresseur tout en s'assurant de ne pas perdre connaissance. Les quelques

minutes de brutalité lui semblèrent être des heures... Pourtant plus le temps passait et moins il

parvenait à comprendre le motif d'un tel acte au même titre que l'identité de son agresseur.

 AaAh… s'exclama Jayden alors que Malone venait d'interrompre son lynchage pour le saisir

par le t-shirt.

 Écoute-moi bien petite merde, dit-il en approchant son visage de l'oreille de sa victime. Si tu

t'avisais encore une seule fois de faire chanter ma fiancée, ce ne sont plus mes poings que tu

goûterais mais mon flingue dans le fond de ta gorge… T'as compris ?!

Jayden était à deux doigts de perdre connaissance quand il sentit son dos retomber

lourdement au sol. Malone venait de le lâcher pour se relever. Il replaçait dorénavant plus

convenablement sa chemise tachetée de sang sur ses épaules.

 Considère qu'il s'agit d'un avertissement, dit-il. Mais si j'apprends de nouveau que tu as
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touché, parlé ou même regardé Meydân… t'es mort.

Puis il avança une dernière fois vers Jayden et lui envoya son pied dans les côtes avec la

même énergie qu'à l'arrivée.

 AAAAH! s'exclama ce dernier en se recroquevillant sur lui-même.

La douleur était telle qu'elle lui irradiait l'intégralité du corps. Il se mit alors à tousser et

sentit un goût métallique, très significatif, lui arriver en bouche. En serrant les dents pour tenter de

faire face à la douleur, un filet de sang dégoulina du coin de ses lèvres jusqu'à tomber en gouttes à

gouttes au sol. Satisfait du résultat de sa visite, Malone lâcha un petit rire moqueur puis quitta

fièrement le domicile.

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20

Empathie

Colin glissa ses mains sous la tête et le dos d'Alice avant de la soulever délicatement. La

petite était tombée de fatigue et dormait depuis maintenant plus d'une heure sur le canapé.

 J'arrive, annonça-t-il en montant coucher sa fille.

 Pas de problème, répondit Silhaée.

Pendant ce temps, elle revisionna le montage vidéo qui leur avait pris la quasi-totalité de la

soirée. Le rendu était incroyable ; Colin avait fait un travail fantastique. Le tout tenait en moins de

trente secondes et le texte était d'une efficacité sans pareil.

 C'est bon, dit enfin son hôte en revenant en hâte dans le séjour.

 C'est vraiment bien, y a pas à dire, conclut une fois encore Silhaée en lui tendant la tablette.

 Merci, répondit-il pas peu fier.

Puis il se dirigea vers la table basse du séjour et saisit son compagnon.

 Et donc tu es sûr que ton beau-frère aura le temps de préparer ça pour demain ? demanda

une énième fois la jeune femme.

 Mais oui, répondit-il en riant avant de lancer un appel.

Colin avait obtenu son poste grâce au frère de Gaële, grand patron d'un groupe publicitaire

majeur de leur NUPE. Ce dernier était en charge de la diffusion des spots de publicités intercalés

entre les différents temps de conférence de presse du lendemain. Dans un souci d'application de leur

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idée, Colin avait dû dévoiler à son beau-frère toute l'histoire de Silhaée, suscitant ainsi chez lui

empathie pour la jeune femme et rébellion pour sa sœur Gaële.

 Ouai Dio c'est moi, répondit Colin quand ce dernier décrocha. Nous avons terminé ça y est.

Silhaée resta suspendue à ses lèvres, espérant qu'il n'y aurait aucune complication.

 Je t'ai fait parvenir tout ça par T-mess anonymisé, lui indiqua Colin. Le reste, je te fais

confiance (…) Oui pas de problème (…) On se tient au courant pour la suite.

Puis il raccrocha et se tourna vers Silhaée :

 Voilà, dit-il tout sourire. C'est enfin fait.

 Fiou… souffla-t-elle les mains plaquées sur ses joues.

Colin verrouilla ensuite sa tablette de travail et la posa sur la table avant de s'étirer de toute

son envergure.

 Bon… Je suis désolé mais je suis un peu fatigué et la journée de demain risque d'être

éprouvante, annonça-t-il en se dirigeant vers sa chambre. Je te dis à demain.

 Oui à demain, répondit-elle en s'installant dans un fauteuil du salon.

Comme chaque soir depuis son arrivée, Silhaée veillait passivement devant la télévision.

Elle s'était instaurée une sorte de rituel avant le coucher où elle joignait ses mains l'une dans l'autre,

repliait ses genoux tout contre elle et fermait les yeux. De là elle pensait à ses amis, ses proches, un

par un. Elle commençait d'abord par Gaële et la remerciait du fond du cœur d'avoir mis Colin sur

son chemin sans même le savoir. Puis elle tentait de se remémorer les senteurs caramélisées

matinales des cuves de l'usine « Carly Sugar » et s'imaginait pouvoir envoyer l'un de ces petits

ballotins gourmands à Rix. Ensuite elle n'avait de cesse d'avoir une pensée pour Téziri, espérant au

plus profond d'elle-même qu'elle aurait le temps de la revoir avant que la maladie ne l'emporte. «

Tizi » … Celle qui avait su animer sa vie. Elle était devenue pour elle le symbole de sa rébellion

intérieure… Une fois ces premières pensées revisitées, Silhaée tentait de s'imaginer ce que Jayden,

Meydân et les autres avaient pensé de sa « fugue ». Avaient-ils compris qu'il était devenu plus que

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nécessaire qu'elle agisse par elle-même ? … Et comprendraient-ils sa démarche demain en

découvrant la vidéo de propagande ? … Elle l'espérait en tout cas, de tout son cœur elle l'espérait…

Enfin, alors même que le sommeil commençait à lui picoter les yeux, Silhaée offrait les plus

longues minutes de son temps de méditation pour ceux qui comblaient le plus son esprit. Elle serrait

plus encore ses mains l'une contre l'autre et pensait à Brenn qui devait se sentir si seul depuis sa

sortie du dôme… Si abandonné… Elle chuchotait alors vainement quelques mots de soutien,

d’encouragement, comme si elle pouvait les lui transmettre par la pensée et s'imaginait lui caresser

tendrement le visage jusqu'à parvenir à lui arracher un sourire. Flânant dans ses rêveries, elle voyait

ensuite sa main se poser sur le visage d'un autre homme, celui qu'elle considérait désormais comme

son sauveur, son ange gardien : Eyrin. Au souvenir du contact de sa peau sur celle du jeune homme,

le cœur de Silhaée se mettait à battre la chamade. Au souvenir de sa voix au creux de son oreille, un

frisson lui parcourait le corps. La jeune femme gardait toujours cette précieuse pensée pour la fin de

sa méditation. La raison ? Elle l'ignorait. Mais ce dont elle était sûre, c'est qu'elle n'avait jusqu’alors

jamais connu de sentiments plus intenses que ceux qu'Eyrin avait fait naître en elle.

En arrivant chez elle, Meydân constata avec surprise que la maison semblait désespérément

vide.

 Malone ? héla-t-elle en traversant les pièces du rez-de chaussée.

Personne. En s'approchant du droïde fixe, elle vit qu'un message avait été laissé sur le

répondeur et l'écouta à tout hasard.

– Bip ! -

« Salut Meydân, c'est Joa. Écoute je suis désolée mais je viens de voir ma responsable qui m'a

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proposé d'écourter ma mission au vu du nombre d'heures supplémentaires que j'ai pu faire dans le

centre de soins continus… Du coup je… je n'ai pas pu refuser… J'avais vraiment envie de rentrer

chez moi… Je pense que tu peux le comprendre… Malheureusement je n'ai pas pu transmettre ton

message à Eyrin mais j'ai une amie curatrice qui ne devrait plus tarder à démarrer sa mission. Je

lui confierai tout ça, je suis sûre qu'elle n'y verra aucun inconvénient, ne t'inquiète pas… Encore

désolée Mey, à bientôt peut-être… »

 Merde… dit-elle alors en clôturant le message.

Puis elle déchaussa ses chaussures, enleva son manteau et se recentra de nouveau sur sa

recherche initiale :

 Malone ? réitéra-t-elle en montant à l'étage.

La jeune femme traversa la maison en long et en large avant de se décider à appeler son

fiancé pour comprendre les raisons d'une absence qui n'avait pas lieu d'être.

 Appelle Malone, demanda Meydân au droïde fixe qui s'exécuta aussitôt.

Deux appels consécutifs furent lancés mais aucun d'eux n'aboutit.

 C'est bizarre, pensa-t-elle à voix haute avant de réfléchir aux possibles activités de ce

dernier. Appelle… chez mes parents…

L'appel était à peine lancé lorsque la porte d'entrée de la maison s'ouvrit.

 Fin de la communication, ordonna-t-elle soudainement au droïde en voyant Malone passer le

pas de porte.

Puis elle se dirigea d'un pas ferme vers son fiancé.

 Mais où étais-tu passé ? dit-elle sur le ton du reproche.

Malone ne répondit rien dans l'instant, se défaisant d'abord de son manteau et de ses

chaussures avant de se tourner vers elle.

 Oh ! s'exclama Meydân en constatant que sa chemise était pictée de multiples taches

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 197


sombres. Qu'est-ce que c'est que ça…

En s'approchant du vêtement, elle reconnut la couleur du sang séché et bondit de surprise :

 Mon Dieu Malone tu t'es blessé ?! paniqua-t-elle en le regardant sous toutes les coutures.

Ce dernier s'apprêtait à lui répondre quand il vit le visage de sa fiancée changer du tout au

tout. Elle venait de constater que ses mains étaient couvertes des mêmes taches de sang séché que

celles présentes sur sa chemise.

 Tu… Tu t'es battu ? conclut-elle.

Malone sembla chercher ses mots mais s'abstint finalement de répondre. Il contourna ensuite

Meydân et entra dans la cuisine pour aller se laver les mains.

 Hé je te parle ! dit-elle en marchant dans ses pas.

 Oui je me suis battu, répondit-il finalement en commençant à se savonner les mains.

Meydân sembla prise de cours. Elle regarda la mousse blanche du savon rougir entre ses

doigts.

 Qu'est-ce qui s'est passé ? … demanda-t-elle inquiète.

Malone resta mutique une fois de plus, ajoutant encore un peu de savon dans le creux de ses

mains pour être sûr de se débarrasser entièrement du sang logé dans les plissures de ses paumes.

 Mais enfin Malone réponds-moi ! s'impatienta-t-elle. Tu sais bien que tu peux tout me

dire ! …

 Et toi ? dit-il du tac au tac en interrompant son lavage.

 Moi ? …

 Tu le sais, toi, que tu peux tout me dire ?

 Ben… Bien sûr… dit-elle interdite.

 Alors pourquoi tu ne m'as pas dit qu'on te faisait chanter ? lança-t-il abrupt.

 Qu'on me faisait chanter ? répéta-t-elle en fronçant les sourcils. Qu'est-ce que c'est que ces

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conneries…

 Ne fais pas l'ignorante s'il-te-plaît, dit-il en se séchant les mains tout en quittant la cuisine.

Meydân le suivit jusque dans leur chambre et le regarda se défaire de sa chemise avant de la

remplacer par un t-shirt propre.

 Malone il faut que tu m'expliques, le relança-t-elle.

 Que je t'explique quoi ?! se braqua-t-il enfin. Qu'un fils de pute abuse de toi en jouant sur ta

sensibilité ?! C'est pas assez clair pour toi ça ?!

La jeune femme écarquilla de grands yeux ronds qui semblèrent agacer au plus haut point

son fiancé.

 Arrête putain ! dit-il sans ménagement. Arrête de faire l'idiote, c'est insupportable !

 Mais je ne fais pas l’idiote ! s'exclama-t-elle à son tour agacée. Je ne comprends rien du tout

de ce que tu dis ! Si je ne te connaissais pas, je croirais que tu as bu…

 Si je te parle de Jayden Siller c'est plus clair là ? cracha-t-il avec rage.

Durant les quelques secondes qui suivirent cet aveu, Meydân réalisa… Elle repensa aux

conclusions potentielles de l'enquête menée chez Wayen et comprit que la piste de l'adultère avait

en effet été privilégiée, comme ils l'avaient imaginé. Elle conclut donc que son père en avait été

informé et comprit enfin avec effarement qu'il avait prévenu Malone dans son dos, au risque de

faire imploser son couple.

 Ce n'est pas ce que tu crois, dit-elle maladroitement. Je ne te trompe pas…

 Ah mais je le sais ça, l'interrompit-il toujours aussi remonté. Ton père m'a tout raconté : le

chantage que ce mec te faisait pour obtenir de toi des faveurs en échange de contacts

clandestins avec Eyrin… Les déplacements incessants qu'il t'imposait jusqu'au domicile de

son frère pour que personne ne sache rien de ses petites affaires…

 Quoi ?! s'exclama-t-elle outrée par de tels propos. C'est ce que mon père t'a dit ?

 Oui et il n'aurait s'en doute pas dû, répondit-il avec évidence. En tout cas c'est certainement

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ce que ce Jayden Siller doit penser maintenant…

En une fraction de seconde, Meydân se détacha complètement du débat initial pour se

recentrer sur l'un des éléments, pourtant crucial, qu'elle avait jusqu'alors délaissé :

 Malone… dit-elle en saisissant la chemise qu'il avait abandonnée sur le lit. D'où vient tout

ce sang ? …

Ce dernier n'eut pas besoin de répondre : le petit sourire satisfait sur son visage parla de lui-

même.

 Oh putain ! s'exclama Meydân en quittant brusquement la chambre.

Pourtant jusqu'alors imperturbable, Malone la suivit à son tour dans la salle.

 Qu'est-ce que tu fais ? dit-il en la voyant enfiler son manteau.

Cette fois c'est elle qui fut totalement mutique, chaussant dans la foulée une paire de baskets

avec hâte.

 Mey ! s'exclama-t-il.

 Quand comprendras-tu qu'il ne faut pas croire tout ce que mon père dit ?! éclata-t-elle sans

prévenir.

 Je t'ai vu repartir de chez ce mec après y avoir passé plus de deux heures ! contra-t-il énervé

comme jamais. Tu m'avais dit que tu étais partie courir ! Alors qui est-ce que je dois croire

dans tout ça ?! Ton père qui essaie de m'aider ou toi qui me cache la vérité ?!

 Tu es pathétique Malone, aussi pathétique que lui ! … cracha-t-elle en déverrouillant la

porte.

 Autant que toi qui te terre dans tes mensonges !

 C'est peut-être parce que la vérité n'est pas si facile à dire… lâcha-t-elle en marquant

volontairement un temps d'arrêt avant de quitter la maison.

En la voyant passer la porte, Malone la retint un instant par le bras.

 Qu'est-ce que tu veux dire par là ? dit-il intrigué par son sous-entendu.

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Meydân espéra un instant qu'il comprenne, qu'il réalise qu'elle avait eu à gérer des choses

bien plus difficiles qu'une simple amourette imaginaire. Mais quand il compléta son propos avant

même qu'elle ait pu lui répondre le moindre mot, ses espoirs furent réduits à néant :

 Parce que si j'apprenais qu'il ne s'agissait pas d'un chantage mais d'une relation adultère

franchement consentie, je ferai tout mon possible pour ruiner ta carrière, asséna Malone. Et

en ce qui le concerne lui ; je le tuerai de mes mains. J'en fais le serment.

D'un geste sec, Meydân se défit de son emprise tout en hochant la tête de gauche à droite.

 Je pensais que tu avais suffisamment confiance en nous pour ne jamais être pris par de

pareils doutes, dit-elle écœurée. Je pensais aussi que tu me connaissais suffisamment

maintenant pour ne jamais avoir à me menacer de la sorte… Mais tu vois, tout le monde

peut se tromper…

Puis, sans attendre de réponse de sa part, elle sauta dans sa voiture et quitta précipitamment

le domicile conjugal, centrant désormais son attention sur les terribles conséquences du binôme

Atân-Malone.

Atân et Rosamine venaient de s'installer à table quand le compagnon d'Atân sauta de sa

poche. Ce dernier saisit instantanément le droïde et se leva d'un bon de sa chaise au seul constat du

nom de l'interlocuteur.

 Un problème ? demanda derechef Rosamine.

 Je ne sais pas.

 Qui est-ce ?

 LEXO, dit-il en décrochant dans ce même temps.

Puis il s'écarta provisoirement du séjour, s'isolant un instant dans son bureau par habitude.

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 Oui j'écoute, dit-il enfin en refermant la porte derrière lui.

 « Bonsoir Mr Hederling », le salua un homme. « Excusez-moi de vous déranger, Coper

Emery du bureau d'enquête. Je me permets de vous déranger car nous venons de terminer

certaines analyses dont les résultats risquent fortement de vous intéresser ».

 Dites-moi, précipita Atân avide d'en savoir davantage.

 « Comme vous le saviez, la maison de Wayen Siller avait été passée au peigne fin par nos

enquêteurs mais nos relevés avaient été perturbés par l'étrange réalisation d'un grand

nettoyage. Nous avions donc pris le temps d'analyser les moindres fragments d'empreintes

relevés mais sans succès concernant l'identité d'une tierce personne. »

 Et qu'avez-vous trouvé désormais ? s'impatienta Atân.

 « Un cheveu », répondit Coper Emery. « Un cheveu entortillé dans la maille d'un pull que

nous avions perquisitionné. »

 Et ? dit-il nerveux.

 « Nous avons lancé une recherche entre l'ADN relevé et les FIM8», dévoila-t-il enfin. Et

nous n'avons obtenu aucun résultat, l'ADN n'est pas répertorié ».

 Le sujet expérimental UJI, lâcha Atân.

 « C’était bien elle chez Mr Siller, cela ne fait aucun doute », acquiesça Coper Emery. « Je

pense donc que tout ce que nous avions constaté jusque-là n'était en réalité qu'une parfaite

mise en scène. Vous aviez raison depuis le départ de penser que cet homme était lié à

l'enlèvement du sujet expérimental UJI. Nous allons relancer un complément d'enquête et le

convoquer dès demain ».

 Non, s'opposa immédiatement Atân. Attendons d'abord que la campagne de vaccination soit

close. Nous nous occuperons du reste après. Je ne veux rien qui puisse compromettre cette

Fichiers Identitaires Mondiaux.


8

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campagne ; rien vous m'entendez.

 « Bien sûr Monsieur », répondit-il avec évidence. « Nous profiterons des trois prochains

jours pour reprendre nos pistes et tenter de comprendre ce qu'il s'est réellement passé. Ainsi

il sera plus facile de faire passer notre suspect aux aveux ».

 Parfait, faisons cela.

Atân s’appétait à raccrocher quand il compléta sa demande :

 Profitez également de ces trois jours pour rechercher les complices du kidnapping. Jayden

Siller a peut-être participé à ce projet mais il n'était pas seul.

 « Nous nous y attellerons Monsieur », répondit Coper Emery

 Et ne négligez aucun suspect, même s'il s'agit de ma propre chair…

 « Bien Monsieur ».

Puis les deux hommes se saluèrent et raccrochèrent. Atân retourna ensuite dans la salle à

manger où Rosamine l'attendait, debout au milieu de la pièce, les bras croisés.

 Alors ? dit-elle aussitôt.

Ce dernier se mit à sourire de soulagement avant de prendre sa femme par les épaules.

 Ils ont retrouvé une trace du sujet expérimental UJI, déclara-t-il triomphant.

 Oh super, répondit-elle soulagée autant que lui. Où ça ?

 Chez Wayen, le frère de Jayden Siller. Comme nous l'imaginions depuis le départ.

 Tu ne t'étais pas trompé alors…

 Non, les résultats de l'enquête étaient biaisés par une mise en scène rudement bien réalisée.

Mais les analyses ont parlé ; elle se trouvait bien dans cette maison le jour de la perquisition.

Rosamine exprima une fois de plus son contentement avant de se rediriger vers la table à

manger. D'abord tout sourire, elle remplit généreusement leurs verres de vin puis marqua un temps

d'arrêt.

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 Atân, s'exclama-t-elle soudainement.

 Oui ? dit-il en la rejoignant.

 S'il s'agissait d'une mise en scène… cela veut dire que Meydân et Jayden n'entretenaient pas

de relation extra-conjugale ? …

 Tout à fait, répondit-il sans faillir.

Puis il saisit son verre de vin et en avala une longue gorgée.

 Attends attends, dit Rosamine. Cela veut dire que Malone est allé lui « rendre visite » …

pour rien ? …

Atân sembla surpris d'une telle réflexion de la part de sa femme.

 Pour rien ? répéta-t-il. Je te rappelle qu'il s'agit de l'employé qui a trahi ma confiance et la

confiance de LEXO en risquant de foutre en l'air le projet d'une vie. Alors qu'il couche avec

ma fille ou pas, il méritait bien qu'on lui donne une petite correction, tu ne penses pas ?

Rosamine ne se prononça pas, elle savait que « d’accord » ou pas, son avis ne pèserait pas

bien lourd dans la conversation.

 Mangeons, dit-elle alors en remplissant leurs assiettes avant de s'asseoir à table bien

sagement.

Meydân roula à vive allure, écrasant de plus en plus fort l'accélérateur à mesure qu'elle

s'approchait de la maison de Wayen. Son cœur battait à tout rompre dans sa cage thoracique. Elle

avait honte, honte de ce que son père avait dit, de ce que son fiancé avait cru, honte de ce qu'il

s'était passé tout simplement. En arrivant dans la cour, elle serra énergiquement le frein de sa

voiture avant de se précipiter au dehors. Elle sonna ensuite à la porte de la maison et attendit qu'on

lui ouvre… Mais personne ne vint à elle. Meydân sonna encore à deux reprises sans réponse et

commença à sentir la panique la gagner.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 204


 Jayden !! s'écria-t-elle en tambourinant à la porte.

Constatant que ses tentatives étaient désespérément vaines, elle se décida à faire le tour de la

maison. À l'arrière de celle-ci, une planche de bois avait été clouée sur la fenêtre brisée. Ni une ni

deux, la jeune femme se jeta dessus et tenta de l'ôter à la seule force de ses bras.

 Jayden !! réitéra-t-elle.

Face à la résistance de la planche, Meydân finit par y mettre de grands coups de pieds

jusqu'à voir la matière commencer à céder. Après quelques minutes d'acharnement, elle réalisa un

tour sur elle-même et aperçut les briques près du garage, les mêmes que celles dont Silhaée s'était

servie pour briser la fenêtre. Ne voyant pas d'autre solution, elle s'empara de l'une d'elles et revint

vers la maison en donnant dans ce même temps un élan à son geste.

 Aaaah ! s'exclama-t-elle en jetant la brique droit devant elle.

Déjà fatiguée par les multiples coups de pieds, la planche se brisa enfin en deux, lui offrant

ainsi l'espace nécessaire pour pénétrer dans la demeure.

 Jayden ? … s'exclama alors Meydân en s'infiltrant dans le débarras.

Pas de réponse. Elle poursuivit donc son chemin jusque dans le séjour.

 Jayden ?!… réitéra-t-elle paniquée. Oh mon Dieu !!

En arrivant dans la pièce principale, Meydân tomba sur la silhouette du jeune homme à terre.

Recroquevillé sur lui-même, il avait enroulé ses bras contre son torse.

 Non non non ! dit-elle en se ruant sur lui. Jayden ! Jayden est-ce que tu m’entends ?!

En découvrant son visage tuméfié et sa lèvre ensanglantée, Meydân ravala un nouveau

sursaut.

 Je suis désolée… profondément désolée, dit-elle en se positionnant de sorte à lui faire face.

En le voyant tenter d'ouvrir les yeux, elle fut en partie rassurée. Il n'avait au moins pas perdu

connaissance...

 J'arrive tout de suite, dit-elle en se redressant à toute vitesse.

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Elle s'engouffra ensuite dans la salle de bain et ouvrit la quasi-totalité des placards à la

recherche de matériel utile. Elle se saisit ainsi de serviettes, de gazes qu'elle imbiba d'eau froide, de

désinfectant de secours, d'un ciseau et de multiples pansements avant de revenir dans la pièce

principale.

 Laisse-moi faire, le prévint-elle en se ré-accroupissant auprès de lui.

Elle passa dans un premier temps les gazes humides sur son visage avant de désinfecter par

petites touches sa lèvre coupée.

 Aaah… s'exclama-t-il en remuant sur lui-même.

 Chuuut chuut… n'eut de cesse de répéter la jeune femme dont les yeux s'embuaient de

larmes à mesure qu'elle prenait conscience des choses.

Elle tenta ensuite de déplier les bras de Jayden mais ce dernier semblait vouloir conserver sa

position qui limitait à priori la douleur de ses contusions.

 Il faut que je regarde, s'excusa-t-elle en lui imposant d'ouvrir davantage ses bras.

Jayden fournit alors un effort considérable, piqueté de gémissements insupportables qui

firent perler abondamment les larmes sur le visage blafard de Meydân.

 Mey… dit-il enfin.

 Chuuut… Doucement… l'encouragea-t-elle en l'aidant comme elle le pouvait. Voilà c'est

bien…

Une fois installé sur le dos, Meydân saisit la paire de ciseaux et découpa le t-shirt de Jayden

pour y voir plus clair. Elle palpa ensuite son torse à la recherche d'un quelconque signe de fracture.

 Arrête… S'il-te-plaît… dit-il en lui pressant le bras.

La douleur était si intense qu'elle lui donnait de multiples sueurs froides.

 J'ai l'impression qu'il n'y a rien de cassé mais je ne suis pas sûre de moi… avoua-t-elle. Je

pense qu'il vaudrait mieux que j'appelle les secours...

 Non… dit-il en serrant plus encore sa main autour de son bras.

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 Jayden… Il y a un risque pour qu'un de tes poumons soit perforé par une côté cassé ou

déplacé… Ça peut être très grave…

Le jeune homme tenta alors de se redresser en prenant appui sur ses bras.

 Attends ! Non attends, le supplia-t-elle en venant le soutenir pour ne pas aggraver ses

douleurs.

Mais Jayden retomba lourdement au sol, se repliant de nouveau sur lui-même, mâchoire

crispée, yeux clos. Meydân fut alors prise d'un terrible sanglot qu'elle ne parvint plus à contenir.

 Ça va… Ça va… dit-il entre deux crispations avant de poser sa main sur la jambe de la jeune

femme.

 Si… Si tu savais ce que je suis désolée… répéta-t-elle en déposant une main sur la sienne,

l'autre contre son visage retourné.

Jayden fit encore un effort pour rouvrir les yeux, luttant contre l'une de ses arcades qui avait

doublé de volume et lui écrasait la paupière supérieure.

 Tu… Tu m'avais dit que… c'était risqué… comme plan, admit-il entre deux courtes

inspirations.

 Mais je n'avais pas pensé à ça… dit-elle en passant de nouveau quelques gazes fraîches sur

son visage. Je ne pensais pas que mon père serait capable de ça…

 Pas ton père… Le… dirigeant de LEXO…

 Aujourd'hui c'est la même chose, répondit-elle en essuyant de nouvelles larmes.

Jayden hocha négativement la tête mais ne parvint pas à poursuivre la conversation. Le

maintien d'un rythme régulier dans le gonflement et dégonflement de ses poumons lui imposait une

concentration trop importante pour se soucier à l'heure actuelle des préoccupations de Meydân.

 Je ne peux pas te laisser comme ça… dit cette dernière en le voyant se replier encore un peu

plus sur lui-même.

Sur ces mots, elle se leva du sol et chercha dans la maison le compagnon de Jayden.

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 Zoka ! l’interpella-t-elle.

- Fuifu ! - (siffla-t-il)

Meydân se dirigea alors vers le droïde abandonné sur l'un des fauteuils du salon et revint

vers Jayden en activant la fonction « communication » du compagnon.

 Appelle… se lança-t-elle avant de s'interrompre.

Alors qu'elle s'apprêtait à demander à Zoka de joindre les secours, elle croisa le regard

suppliant du jeune homme qui hocha négativement la tête une fois encore.

 … Appel groupé, dit-elle alors. « Meala, Dean et Tony ».

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21

Coup(s) de poker

Au petit matin du lancement de la campagne vaccinale, les postes tournaient à plein régime.

Aux quatre coins de la planète, chaque homme - femme - enfant venait y recevoir le très attendu

vaccin anti ERR-6. Les médias, eux, faisaient le pied de grue aux sorties des millions de postes de

vaccination, avides de recueillir les témoignages des nouveaux vaccinés, des témoignages ponctués

en abondance de remerciements et de reconnaissance pour LEXO.

Atân Hederling arriva sur le plateau télévisé où devait avoir lieu la grande conférence de

lancement, celle destinée à faire l'étalage des années de dur labeur qui leur avaient permis d'arriver à

ce résultat. Pour ce faire, il avait choisi d'être entouré par le médecin référent du centre ; le très

populaire Jack Erdowel et de la cheffe de projet en recherche clinique et créatrice officielle du

vaccin ; Meydân Hederling. Mais l'un d'eux manquait à l'appel.

 Qu'est-ce qu'elle peut bien foutre ! s'exclama Atân.

 Je ne sais pas… répondit Erdowel complètement absent. Elle est peut-être en retard tout

simplement…

Tous deux avaient été installés dans une loge du plateau télévisé et n'attendaient plus que

l'arrivée de la jeune femme.

 En retard, reprit Atân en levant les yeux au ciel. Le jour le plus important de notre vie… Je

ne crois pas non ! Elle a encore décidé de me faire chier, c'est tout !

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Erdowel ne releva pas. Il semblait un peu stressé, voir à côté de la plaque. Il fallait dire que

depuis la révélation inattendue d'Eyrin, le médecin était complètement déboussolé. Il savait

désormais que le fils Hederling était à l'origine du kidnapping de Silhaée. Mais en imaginant la

colère noire dans laquelle son père pourrait entrer, il avait jugé bon de traiter les problèmes les uns

après les autres et avait décidé de l'en informer seulement après la campagne vaccinale...

Atân avait son compagnon plaqué contre l'oreille quand Erdowel sortit de ses pensées :

 Et bien contacte Malone directement sur son lieu de travail ! hurlait-il sur Rosamine.

Cette dernière venait de lui annoncer que le compagnon de son gendre ne répondait pas et

que leur maison était malheureusement vide.

 Aller vite ! Et tiens-moi au courant dans la seconde où tu apprends quelque chose !

Puis il raccrocha et aboya un « quelle conne aussi celle-là » avant de quitter la loge sur

demande du responsable de la chaîne.

Silhaée et Colin avaient allumé la télévision depuis plus d'une heure quand ils virent les

premières images des sorties des postes de vaccination.

 C'est terrible… commenta Silhaée assise dans le fond du canapé aux côtés d'Alice. Je

n'arrive pas à me réjouir entièrement de tout ça… Pourtant je sais qu'il s'agit d'une bonne

nouvelle pour la planète… D'un miracle même… Mais je n'y arrive pas…

 Ce ne sont pas les résultats qui sont gênants dans toute cette histoire, répondit Colin. C'est la

manière dont tout cela a été et est encore orchestré.

 Tu crois que les gens vont être sensibles à mon message ? demanda Silhaée manifestement

toujours aussi stressée.

 J'ai envie de te dire que oui… Mais je ne peux pas en être sûr. Je dirais que le contraire serait

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étonnant. Après tout, toutes les personnes qui ont été mises au courant de ton histoire ont été

chamboulées. Il n'y a pas de raison qu'il n'en soit pas de même pour le reste de la planète.

 Tu as sûrement raison… dit-elle en regardant un instant Alice qui tétait avec énergie son

verre à bec.

Sentant l'attention se poser sur elle, la petite leur fit un grand sourire dégoulinant de lait qui

les fit rire et détendit l'atmosphère… provisoirement.

Meydân s'engouffra à pas de velours dans la chambre de Wayen, une tasse de thé à la main.

Les volets à demi-ouverts diffusaient la lumière du soleil levant et dessinaient les contours du

visage marqué de Jayden. En arrivant au plus près de lui, Meydân posa la tasse sur la table de

chevet et s'accroupit à sa hauteur. Le jeune homme était allongé sur le ventre, son bras pendait dans

le vide. Il semblait désormais bien plus paisible et soulagé. Il fallait dire qu'il était bien mieux dans

un lit que sur le sol.

La veille, Dean et Tony avaient été fabuleux avec lui, le soulevant avec une précaution sans

pareil et le veillant jusque tard dans la soirée. Pour le restant de la nuit, ils avaient laissé Meydân

aux côtés de Meala qui avait fini elle-aussi par quitter la maison mais plus tardivement encore.

En sentant une présence à ses côtés, Jayden ouvrit un œil puis l'autre et tomba sur le visage

souriant de Meydân.

 Bonjour, dit-elle d'une voix douce.

 Bonjour, répondit-il dans une intonation quasi similaire.

Délicatement, Meydân posa ses doigts sur l'arcade du jeune homme pour en apprécier le

gonflement. L'hématome semblait s'être stabilisé, lui permettant ainsi d'ouvrir l’œil sans trop

souffrir. Jayden à son tour posa sa main sur le visage de Meydân qui, surprise, tressauta légèrement.

 … Merci… dit-il d'une voix calme et sincère.

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Meydân resta un instant parfaitement immobile avant de relâcher l'arcade de Jayden pour

venir placer sa main sur la sienne.

 … J'ai vraiment eu peur… dit-elle en ne sachant plus tellement où poser son regard.

 Je ne sais pas comment tout ça se serait terminé sans toi…

Un sourire embêté échappa à Meydân qui repoussa délicatement sa main.

 Tout ça s'est passé à cause de moi, le corrigea-t-elle. Tu n'as même pas à me remercier…

C'est moi qui devrais plutôt m'excuser d'être encore là après tout ça, après tout ce que je t'ai

fait endurer…

Jayden hocha la tête en signe d'aberration et se décida enfin à se redresser en prenant appui

d'abord sur son épaule puis sur son coude.

 Ssss… Aah ! grogna-t-il en fronçant le nez jusqu'à ce que la douleur se stabilise.

Meydân se dressa derechef sur ses genoux, s'approchant encore un peu plus de lui pour venir

le soutenir. Elle se retrouva ainsi à quelques centimètres de son visage, dessinant le contour des

hématomes rougis, bleutés, localisés essentiellement sur sa pommette gauche, sa mâchoire et la

descente de son cou. En sentant la main du jeune homme la saisir plus encore, elle crut devoir

l'aider à se redresser davantage. Elle tenta donc de se repositionner idéalement avant de déposer

hasardeusement son regard dans le sien.

 Je… dit-elle en s'empourprant légèrement.

Un battement de cils sépara cet instant du suivant. Et sans même qu'elle puisse avoir le

temps d'y songer, Meydân vit les traits du visage marqué de Jayden s'approcher plus encore du sien.

Au contact de ses lèvres sur les siennes, la jeune femme écarquilla instantanément de grands yeux,

fournissant un effort considérable pour étouffer un sursaut réflexe. N'ayant pas anticipé réellement

ce moment, elle resta parfaitement immobile durant les premières secondes du baiser… Puis,

prenant enfin conscience qu'aucun de ses choix jusque-là n'avait été porté par ses propres envies,

elle se décida enfin à renoncer à l'appel de la raison. Le cœur battant, elle vint à son tour déposer le

plus tendre des baisers sur les lèvres coupées de Jayden, se promettant dans ce même temps que
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jamais elle n'aurait à le regretter.

 Monsieur Hederling nous ne pouvons plus attendre, annonça une assistante, casque à

l'oreille, tablette en main.

 Ça va on arrive ! s'exclama Atân pris dans une colère noire.

Il n'avait de cesse de manipuler son compagnon, appelant Rosamine toutes les cinq minutes

sans succès. Meydân n'avait pas redonné signe de vie depuis la veille et Malone refusait de prendre

les appels de ses beaux-parents, manifestement fatigué d'être baladé par tout le monde.

 C'est incroyable ! bondit-il. Incroyable !

 Qu'est-ce qui est incroyable ? demanda Jodd Altwood en arrivant dans les coulisses du

plateau, entouré par ses gardes du corps.

Atân se reprit aussitôt, ravalant sa rage en un rien de temps.

 Meydân a du retard, dit-il en feintant difficilement la retenue.

 Tant pis, nous ferons sans elle, annonça l'Orateur. Le monde ne peut plus attendre désormais.

Puis il fit signe à l'assistante de lancer le décompte d'entrée sur le plateau avant de voir une

maquilleuse lui tamponner vivement le visage de poudre. Atân lui emboîta le pas, suivi de près par

Erdowel toujours aussi renfermé.

 Il ne va pas falloir qu'il oublie qui je suis… susurra hargneusement Atân au médecin en

scrutant Jodd Altwood d'un mauvais œil.

 Hm ? dit Erdowel en sortant de ses pensées.

 Mais qu'est-ce que tu as aujourd’hui ?! lâcha Atân à bout de nerfs.

 3… 2… 1… décompta enfin l'assistante en faisant signe aux invités d'avancer au plus près

de la porte d'accès au plateau.

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 Accueillons dès à présent les sauveurs de notre monde, ceux sans qui rien n'aurait été

possible, lança le présentateur face caméra avant de se tourner vers la porte d'accès.

Messieurs Jodd Altwood, Atân Hederling et Jack Erdowel !

Dans un élan d'applaudissements, les trois hommes entrèrent sur le plateau, saluant

chaleureusement le public avant de s'installer autour de la table. Le présentateur prit ensuite le

temps de présenter chacun d'eux dans le détail avant de faire le bilan des années de travail qui

avaient conduit LEXO jusqu'à cet incroyable résultat.

 Personne n'y croyait plus, il faut le dire, termina enfin le présentateur. Mais vous l'avez

fait…

 Nous nous avons continué d'y croire, répondit Jodd Altwood. Comme nous l'avions dit très

souvent, nous n'étions plus très loin de l'exploit. Il fallait juste se laisser le temps d'atteindre

la perfection. Plus aucune erreur, plus aucun faux pas n'aurait été toléré... Alors il fallait être

sûr, serein dans ce projet.

 La principale conceptrice de ce vaccin, Meydân Hederling, doit faire la fierté de sa famille,

surtout de son père ? relança le présentateur à l'intention d'Atân.

 Oui, répondit ce dernier fermé comme une huître. Sans elle, nous n'en serions pas là.

 Et justement, où est-elle aujourd’hui ? Où est celle qui vient de nous sauver, de sauver nos

enfants, nos petits-enfants ?! s'exclama le présentateur pour relancer les applaudissements

du public.

Altwood et Erdowel jetèrent un œil à Atân qui sembla ravaler son agacement pour ne pas

perdre la face.

 En ce grand jour, il n'était pas dit qu'elle puisse se libérer, justifia-t-il. Nous pensions

pouvoir vous l'amener pour cette grande conférence de lancement, mais malheureusement

les aléas de la campagne vaccinale l'ont contraint à annuler…

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 214


 Et c'est tout à fait compréhensible, l'excusa le présentateur. Bien, marquons une courte page

de publicités, le temps pour nous d'accueillir nos prochains invités. À savoir Rodd, Tessy et

Selenn, les premiers vaccinés de notre ville.

L'un des assistants brandit ses doigts et décompta trois secondes avant de clamer :

 Et… coupé, merci !

Ils balancèrent ensuite la publicité qui fut diffusée sur les écrans de fond en attendant la

reprise. Quasi instantanément, Jodd Altwood retrouva ses gardes du corps et fut conduit dans sa

loge. Atân et Erdowel, quant à eux, se firent appeler par le public qui clamait leurs présences pour

immortaliser ce moment en photo. D'abord hésitants, ils finirent quand même par y aller et se

prirent finalement au jeu avec plaisir.

Quand la publicité fut enfin lancée, Silhaée et Colin se réinstallèrent plus convenablement

dans le fond du canapé.

 Papaaa ! l'appela Alice en lui tendant un jouet interactif.

 Chut chut… lui dit son père en la prenant sur ses genoux. Écoute mon Cœur, c'est important.

La petite acquiesça en plaquant son petit doigt sur sa bouche avant de se blottir contre son

père. Silhaée adressa un sourire amusé à la jeune Alice avant de se concentrer de nouveau sur

l'écran.

 Ah ! bondit brusquement Colin.

À la coupure d'une publicité lambda, l'écran scintilla d'une luminosité particulière avant de

se figer sur une image : celle de la silhouette d'une jeune femme, filmée dans la pénombre à la

manière d'une ombre chinoise.

*
UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 215
Atân et Erdowel se prêtaient encore avec plaisir au jeu des selfies quand ils sentirent

l'attention du public se détourner de leurs personnes.

« Votre attention s'il-vous plaît », entendirent-ils

derrière eux dans un volume sonore plus intense

que les autres publicités diffusées jusqu'alors.

Atân se retourna lentement vers les écrans en arrière du plateau et découvrit l'image associée

à cette voix qu'il reconnut quasi instantanément. En apercevant le contour de la silhouette d'une

femme assise derrière une table, filmée en contrejour, il eut confirmation de ce qu'il craignait depuis

des jours :

« En ce jour de lancement de campagne vaccinale,

il m'a semblé essentiel de me présenter à vous.

Je m'appelle Silhaée Uji.

Vous n'avez jamais entendu parler de moi

pourtant vous n'auriez jamais vu naître ce vaccin sans moi. »

 Arrêtez ça !! s'exclama Atân les yeux révulsés par le stress.

Les assistants autour du plateau semblèrent pris de court et la raison n'était pas difficile à

deviner : depuis des années maintenant les pages publicitaires étaient gérées par une société

extérieure. Ils n'étaient donc pas en mesure de pouvoir agir, ou tout du moins pas dans l'immédiat.

« Je possède un système immunitaire hors du commun.

En le découvrant, LEXO a décidé de faire de moi son cobaye

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 216


pendant vingt ans… Vingt années durant lesquelles ils m'ont fait croire que j'étais porteuse

défaillante de l'ERR-6 alors qu'il n'en était rien.

LEXO m'a menti, a menti au monde entier et vous ment encore.

Tous vos proches qui ont un jour rejoint l'Expéria ou l'une de ses antennes

sont morts pendant des années pour rien… »

La concentration du public était maximale. Chacun semblait prendre très au sérieux la vidéo

diffusée, s'échangeant par instant des regards effarés avant de continuer d'observer les écrans avec

attention.

« Vos parents, vos enfants, vos amis, tous n'étaient enfermés dans ces dômes que pour vous

donner l'illusion que les recherches se poursuivaient...

Mais en réalité, LEXO cherchait uniquement

depuis tout ce temps à épargner les « porteurs sains ».

Un vaccin grâce à mon système immunitaire hors norme…

Voilà ce sur quoi ils ont travaillé pendant de longues années. »

Hors de lui, Atân disparut en coulisse, hurlant sur quiconque se trouvait sur son chemin.

 Trouvez-moi quelqu'un qui puisse interrompre ce bordel !! beugla-t-il en cherchant à

accéder à la régie.

« Entendez bien ce que je viens de vous dire.

Et maintenant, posez-vous la bonne question :

Que vont devenir vos proches dans les dômes ?»

Sur ces derniers mots, la même luminosité scintillante mangea l'image. Le volume sonore

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 217


diminua significativement et la bascule se fit de nouveau sur une publicité lambda. Un silence

impressionnant couvrit ensuite la totalité du plateau alors qu'Atân hurlait à gorge déployée sur les

régisseurs. Toujours bouche bée devant les écrans géants, Erdowel sentit soudainement le regard des

centaines de personnes présentes dans les gradins se poser sur lui. « Menteurs !» entendit-il

brusquement sur sa gauche, « Escrocs !» s'écria quelqu'un d'autre sur sa droite. En quelques

secondes, des insultes du même genre puis certaines bien plus véhémentes plurent sur le médecin

qui ne trouva pas d'autre alternative que de fuir en coulisses sous les cris de colère et d'indignation

des spectateurs.

À la fin de la vidéo, Colin et Silhaée, jusqu'alors complètement figés, fébriles devant l'écran

de télévision, se levèrent d'un bon avant de se prendre dans les bras.

 On l'a fait ! s'écria Colin.

 C'est pas possible… répondit Silhaée encore choquée. Ça a marché…

Dans l'incompréhension la plus totale, la jeune Alice commença à crier pour qu'on s'intéresse

à elle.

 Pardon ma chérie, lui dit alors son père en la prenant à son tour dans ses bras.

Comprenant que quelque chose d'important venait de se produire, la petite continua de

regarder son père avec insistance, attendant de lui une explication sur son euphorie du moment.

 Ne me regarde pas comme ça, dit-il en riant de bon cœur.

 Crie Papa ? fit-elle remarquer.

Un sourire de compassion se dessina sur le visage de Silhaée qui joint ses mains l'une dans

l'autre en anticipant la prochaine réponse de Colin :

 Papa crie de joie mon Bébé... Et si Papa est heureux c'est parce qu'on va bientôt revoir

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 218


Maman, dit-il les larmes aux yeux.

 Maman ?! s'exclama Alice. Oh ouaaaiii !

La réponse de la petite fut accompagnée de rires entremêlés à des pleurs de soulagement.

Rien n'était fait encore, ils en avaient bien conscience... Mais ils y croyaient dur comme fer

maintenant, car malgré tout ils savaient qu'ils venaient de jouer un gros coup, d'adopter une stratégie

qui ne pourrait s'avérer que gagnante.

Atân était en train de passer un savon aux régisseurs de la chaîne tandis que Jodd Altwood

revisionnait les images de la vidéo pirate à laquelle il n'avait pas assisté.

 Vous rendez-vous compte à quel point c'est grave ?! hurlait-il sur l'un des régisseurs. Un

message pareil à un moment aussi important pour le monde !!

 Comme je vous le répète depuis tout à l'heure Mr Hederling, nous n'avons pas la main sur la

diffusion publicitaire, répondit-il. Et le temps pour nous de nous mettre en rapport avec les

équipes concernées, la vidéo était terminée...

 Il faut dire qu'elle était extrêmement courte, ajouta une assistante. Notre temps de réaction

ne pouvait pas faire le poids face à la rapidité du message…

Ayant enfin pris connaissance de la vidéo à l'origine du litige, Jodd Altwood put prendre part

à la conversation.

 Nous allons faire suivre un communiqué, dit-il calmement. Un démenti tout simplement.

 Le public est en ébullition sur le plateau ! éclata Atân. Ils veulent des réponses et je ne crois

pas qu'un simple communiqué les contentera !

 Alors nous irons nous justifier nous-même sur ce plateau, rétorqua Altwood. Nous jouerons

les étonnés et accuserons le groupe privé en gestion de la publicité. Nous dirons qu'ils ont

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 219


voulu profiter de l'unique diffusion de ce programme aujourd'hui pour donner un coup de

projecteur sur leur travail et ce sera réglé…

Au moment où Jodd Altwood venait d'évoquer son idée, un assistant entra brusquement dans

la régie.

 Les spectateurs sont en furie, prévint-il paniqué. Ils exigent des explications, ils viennent

d'envahir le plateau…

 Nous évacuons Monsieur l'Orateur, prévint du tac au tac l'un des gardes du corps d'Altwood

avant de le guider hâtivement vers la sortie officieuse du plateau.

Manifestement débordées, les équipes de la chaîne commencèrent à s'éparpiller entre régie et

plateau télé, tentant maladroitement de réinstaller les spectateurs dans les gradins. Toujours présents

au milieu de ce fatras, Atân et Erdowel commencèrent à sentir le vent tourner.

 Il faut faire quelque chose, clama Atân dans toute cette agitation.

 Viens, lui dit alors Erdowel en guidant le directeur vers leur loge.

Les deux hommes s'enfermèrent un instant dans la pièce puis Atân passa de nombreux coup

de fils sans savoir réellement quoi faire :

« Trouvez-moi le responsable

du groupe publicitaire !»

« Écrivez-moi un communiqué béton

pour nous sortir de cette merde !»

« Je ne sais pas, trouvez ce que

vous voudrez comme excuses !»

« Mettez mes enquêteurs sur le coup.

Je veux qu'ils analysent la vidéo, qu'ils

trouvent l'endroit où elle a été réalisée.»

« Il faut qu'on retrouve le sujet

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 220


expérimental UJI et vite !»

 Atân ? l'interpella Erdowel à la sortie d'une énième communication. Il faut que je te parle de

quelque chose...

 Quoi ? dit-il tout en envoyant un nouveau T-mess.

 Je pensais te parler de ça après le lancement de la campagne vaccinale, avoua-t-il.

J'imaginais qu'il serait plus simple de régler les problèmes les uns après les autres…

En sentant que le médecin en avait gros sur la conscience, le directeur s'arrêta brusquement

de pianoter sur son compagnon.

 Dis-moi, lui ordonna-t-il le regard bien plus sombre encore.

 J'ai… Je…

 Alors ?! beugla-t-il, faisant ainsi sursauter le médecin.

 Eyrin est à l'origine de l'évacuation du sujet expérimental UJI, déballa-t-il d'une traite. Il me

l'a dit… Il l'a sorti par le conduit d'évacuation des déchets…

Sur ces mots, Atân regarda Erdowel pendant de longues secondes, dessinant

progressivement une moue d'abord contrariée puis de plus en plus féroce.

 Si quelqu'un peut nous dire où se trouve Silhaée aujourd'hui, c'est lui… compléta

maladroitement Erdowel.

 … AAAAAAAH !! hurla Atân en saisissant une table de la loge avant de l'envoyer contre

un mur.

Il retourna comme ça la moitié du mobilier avant de reprendre son souffle et de chercher sa

veste du regard. En la voyant par terre dans un coin de la pièce, il se jeta dessus, prit son badge

LEXO dans l'une des poches et sortit avec brutalité des studios, rejoignant le parking sous le regard

catastrophé du médecin.

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22

Les grands gagnants

Meydân et Jayden venaient d'arriver dans le séjour quand ils virent la fin de la vidéo de

Colin et Silhaée.

« Entendez bien ce que je viens de vous dire.

Et maintenant, posez-vous la bonne question :

Que vont devenir vos proches dans les dômes ?»

 Silha ?! bondit Meydân en se précipitant vers l'écran. C'est Silhaée j'en suis sûre.

Encore douloureux, Jayden arriva derrière elle plus lentement et établit le même constat.

 C'est bien elle, confirma-t-il en voyant la silhouette disparaître de l'écran. C'était bien sa

voix.

 Merde on vient de louper quelque chose là…

- Tilili Tilili Tilili-

Posé sur son socle de charge, Zoka se mit à tinter tout en clignotant frénétiquement.

Plusieurs appels se chevauchaient sur le droïde.

 C'est Dean et Tony ! dit-elle. Ah et Meala aussi !

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 222


 Regroupe l'appel Zoka, lui demanda Jayden.

Le droïde s'exécuta sans plus attendre, lançant les trois appels entrants en une conversation

presque inaudible au vu de l'état d'excitation de leurs amis.

 Un à la fois, demanda Meydân.

 Vous avez vu la vidéo qui vient d'être diffusée pendant la publicité ?! leur demanda Dean.

 Seulement une partie, dit-elle. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

 Silha vient de révéler son identité et les magouilles de LEXO, généralisa-t-il.

 Elle a dit qu'ils l'avaient gardé enfermée pendant des années dans l'Expéria pour créer le

vaccin, compléta Meala. Et qu'ils avaient simulé une recherche de traitements pour les

porteurs défaillants alors qu'en réalité il ne se passait plus rien pour eux.

Meydân se tourna brusquement vers Jayden qui plaqua une main ferme sur sa bouche,

masquant partiellement un sourire qu'il ne pouvait contenir.

 Qu'est-ce qu'on fait ? demanda Tony.

 On attend de voir ce qui va être dit au retour de publicités, proposa Meydân. Et on avise…

Leurs amis acquiescèrent à tour de rôle avant de raccrocher. La jeune femme reposa alors

Zoka sur son socle de charge et se tourna vers Jayden, les yeux emplis de larmes.

 Oh ! s'exclama-t-il en s'approchant d'elle. Qu'est-ce qui se passe ?

 C'est juste que… je me demande ce que les gens vont penser de moi…

 De toi ? dit-il surpris.

 Je suis quand même celle qui était à la tête de la recherche clinique…

 Mais tu ne faisais qu'appliquer les directives qu'on t'imposait. Ils comprendront que tu

n'avais pas le choix, je suis convaincu de ça.

Meydân hocha positivement la tête mais ne sembla pas vraiment sereine pour autant.

 Et puis… un jour ils apprendront que tu t'es dressée contre ton père pour sauver la vie de

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 223


Silhaée, compléta-t-il. Et là les choses seront encore différentes, tu verras.

Semblant cette fois se satisfaire de cette idée, elle se permit de faire une accolade à Jayden

qu'il s'appliqua à habiller plus encore de tendresse.

 Et… hésita-t-elle.

 Oui ?

 Est-ce que tu crois… qu'on est en train de faire une bêtise…

 Une bêtise ? répéta-t-il sans cibler le propos.

 … Toi et moi ? dit-elle timidement en relâchant légèrement l'emprise de ses bras pour le

regarder droit dans les yeux.

 Je crois qu'on en aurait fait une en ignorant l'évidence, répondit-il en la contenant finalement

plus encore dans les siens.

Rosamine sortait du centre commercial, emplettes en mains, quand elle sentit le regard des

passants se fondre sur elle. Elle crut d'abord être associée au succès de la vaccination, ce qui ne

l'étonna pas au vu du grand événement du jour. Tout le monde ici la connaissait, tout le monde

savait qu'elle était l'épouse du dirigeant de LEXO et elle était respectée pour cela.

 Menteuse ! entendit-elle en voyant une femme passer près d'elle.

Interdite, elle regarda cette étrange personne s'éloigner et reprit sa promenade dans les

ruelles du centre-ville sans se poser plus de questions. Des déséquilibrés, il y en avait partout après

tout.

 Femme de meurtrier ! s'exclama un homme sur le trottoir d'en face. Vous devriez avoir

honte !

Cette fois Rosamine comprit qu'il y avait eu un problème. Elle fouilla alors à l'intérieur de

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 224


son sac à main à la recherche de son compagnon et appela fissa Atân qui ne répondit pas.

 Rendez-nous nos proches ! s'écria une femme accompagnée de ses enfants. Rendez-moi

mon mari, rendez-leurs leur père !

Sentant la ferveur des passants monter crescendo, Rosamine pressa brusquement le pas

jusqu'à devoir fuir les insultes, les hués, toutes sortes d'abominations auxquelles elle n'avait

jusqu'alors jamais été confrontée.

Gaële, Rix et Brenn venaient de quitter la cellule de soins de Téziri après y avoir passé une

bonne heure.

 J'ai l'impression que c'est stable en ce moment, dit Rix en faisant référence à l'état de santé

de la jeune femme.

Mais il n'eut pas de réponses franches en retour.

 Elle n'a pas de nouvelles plaques, compléta-t-il comme pour solidifier son propos. Et elle

avait l'air plutôt calme.

 La moitié de son corps en est couvert… contra Brenn. Et elle n'est pas « calme », elle est

sédatée…

Depuis la sortie de Silhaée, et plus encore depuis l'isolement forcé d'Eyrin, Brenn était

redevenu continuellement l'homme grincheux et pessimiste qu'il lui arrivait d'être normalement

ponctuellement. Désormais habitués, Rix et Gaële ne relevèrent pas et continuèrent leur chemin

dans le centre de soins continus.

En arrivant dans le hall, les trois compères durent s'écarter pour laisser passer un surprenant

attroupement de curateurs, tous agglutinés autour d'une personne, un homme qui n'avait même pas

revêtu de tenue stérilisée. Il déambulait en costume de ville dans le centre de soins, marchant à vive

allure sans se soucier des appels incessants des soignants autour de lui. « Monsieur le Directeur »

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 225


scandaient-ils à tour de rôle, « Il faut passer par le sas de décontamination », lui demandaient-ils en

vain.

 Monsieur le Directeur ? s'exclama Rix.

 Putain c'est lui, c'est le père d'Eyrin, tilta Brenn.

Il n'avait jusqu'alors jamais aperçu ici le visage du directeur du groupe. De plus, ce dernier

ne faisait que de très rares apparitions dans les médias, ce qui expliquait pourquoi il ne l'avait pas

reconnu immédiatement. Mais au vu de la ressemblance frappante avec son fils, il n'y avait aucun

doute possible.

 Qu'est-ce qu'il fait là ? … se demanda Gaële en le voyant s'arrêter devant les ascenseurs.

Quand Atân s'engouffra dans l'un d'eux, Brenn se pencha pour tenter de voir où il comptait

aller.

 Il va voir Eyrin… annonça-t-il à demi voix en le voyant presser l'étage correspondant.

Les patients-testeurs ici le savaient bien : l'aile Ouest du bâtiment était la seule partie non

exploitée du centre de soins, hormis en cas d'urgence. Il n'y avait donc rien à y voir. Mais Brenn,

Rix et Gaële, eux, savaient qu'Eyrin avait été enfermé dans une chambre de ce secteur, ce qui ne

faisait aucun doute sur le motif de la venue du directeur.

 Qu'est-ce qu'il a bien pu faire… dit alors Gaële inquiète.

En arrivant dans l'aile Ouest, Atân se retourna vers le groupe de curateurs qui le suivait

depuis son entrée dans le dôme.

 Où est-il ? dit-il glacial.

Les curateurs se jetèrent alors un coup d’œil commun, ne sachant pas vraiment s'ils étaient

en droit de donner une information pareille.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 226


 OÙ EST-IL ?? hurla-t-il.

L'une des curatrices indiqua alors du bout du doigt le long couloir d'accès à la chambre

d'Eyrin avant de faire demi-tour, suivie par l'intégralité des curateurs manifestement effrayés. Atân

s'engouffra alors seul dans le couloir jusqu'à badger nerveusement devant la seule porte au bout de

ce dernier. Il découvrit ainsi la chambre que son habitant avait transformée en débarras.

 Eyrin ! héla-t-il colérique en le cherchant instantanément du regard.

Atân attendit à peine quelques secondes avant de clamer une seconde fois son prénom :

 EY…

Mais il s'interrompit brusquement en voyant son fils sortir de la pénombre. Il semblait

arriver de l'espace salle de bain, marchant d'un pas lent jusqu'à s'immobiliser au centre de la pièce.

 Enfin, lâcha ce dernier.

 Ne prends pas ce petit ton méprisant avec moi, le recadra instantanément Atân.

Eyrin esquissa un sourire quasi invisible qui n'échappa pas à son père pour autant. Poings

serrés, ce dernier semblait chercher la meilleure façon, ou plutôt la plus efficace, d'entamer la

conversation avec son fils.

 Comment as-tu pu me trahir à ce point ? … dit-il finalement le regard criant de colère, de

haine même.

 C'est toi qui parle de « trahison » ? tiqua Eyrin à qui un rire nerveux échappa. J'espère que tu

plaisantes…

 Je viens de te dire de changer de ton ! s'exclama Atân.

 Si tu es venu là pour me faire tes petites leçons de morale à la con, tu peux repartir, répondit-

il loin d'être intimidé.

Atân inspira et expira une longue bouffée d'air conditionné avant de joindre ses mains l'une

contre l'autre.

 Je n'arrive pas à croire ce que tu as fait… dit-il sidéré.

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 Ce que j'ai fait ? répéta Eyrin. Tu n'arrives pas à croire ce que j'ai fait ? … Non mais est-ce

que tu t’entends ?

 Tu as voulu ruiner l'aboutissement de mon travail !! cracha Atân.

 Tu as ruiné des millions de vies !! répondit-il sur le même ton. Tu l'as oublié ça ?!

 Pour un sauver des milliards d'autres Eyrin !! beugla son père.

La tension entre les deux hommes étaient extrêmes, il n'aurait pas fallu grand-chose pour

qu'ils en viennent aux mains.

 Tu ne pouvais pas recevoir aussi facilement la gloire d'un miracle qui n'en était pas vraiment

un ! s'indigna Eyrin. Tu as exploité la vie d'une personne, d'une jeune femme, jusqu'à

programmer sa mort quand tu n'en as plus eu l’utilité !

 Tu te doutes bien que les choses étaient bien plus complexes que ça ?! se défendit Atân. Tu

ne connaissais rien du sujet expérimental UJI, rien qui puisse te permettre de comprendre la

logique de nos décisions !

 J'en connaissais suffisamment pour savoir qu'on ne pouvait pas donner la mort à quelqu'un

qui avait offert la vie au monde entier !

 Tu te trouves à des kilomètres de la vérité ! le coupa Atân agacé au plus haut point. Ta petite

manifestation d'empathie nous a en tout cas tous mis dans une merde noire ! Toi tu ignores

tout depuis ta cellule, mais les conséquences de tes actes sont pourtant bien visibles à

l'extérieur…

 Comment ça ? demanda alors Eyrin les sourcils froncés.

 Ce n'est pas la question !

 Rien n'est « la question » avec toi.

 Où se trouve le sujet expérimental UJI ? alla-t-il droit au but.

 Silhaée, Silhaée Uji, le reprit-il impassible.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 228


 Où se trouve-t-elle ?! s'impatienta-t-il.

Eyrin marqua alors une courte pause réflexive. En sentant l'espoir naître dans le regard avide

de son père, il ouvrit lentement la bouche jusqu'à répondre un provoquant :

 Je ne sais pas.

Atân shoota alors brusquement dans une table, la faisant tomber au sol dans un bruit de

plastique craqué.

 Bon pour le reste OK, je ne dirais pas le contraire, mais il faudra leur préciser que la table en

revanche ce n'était pas moi... dit Eyrin.

En voyant son fils se moquer ouvertement de la situation, Atân se jeta sur lui, l'empoignant

fermement par sa tenue de patient-testeur.

 Tu as beau être mon fils, je ne reculerai devant rien pour inscrire notre nom dans l'histoire…

dit-il à quelques centimètres à peine de son visage.

Eyrin resta immobile, un sourire provocateur sur le visage. Atân choisit alors de le relâcher

sèchement pour ne pas avoir à regretter un geste malencontreux.

 Je te jure que je vais trouver le moyen de te faire parler, dit-il alors en repartant vers la porte.

 Si tu veux que je te dise ce que je sais, il faudra d'abord que tu acceptes mes conditions, dit

Eyrin.

Atân s'arrêta alors un instant et se fit bien plus attentif.

 Fais tomber les murs des dômes, laisse les patients-testeurs retrouver leurs familles, lui dit

son fils soudainement très sérieux. Poursuis les recherches pour sauver les porteurs

défaillants de l'ERR-6, ceux que le vaccin ne sauvera pas…

Atân marqua à son tour une courte pause réflexive avant que son visage ne se fende d'un

large sourire.

 Je te savais assez sensible pour partager les idées des humanistes… dit-il enfin. Mais je ne te

pensais pas assez con pour adopter celles des idéalistes.

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Puis il se mit à rire franchement et quitta la chambre, reverrouillant la porte derrière lui. En

reprenant son chemin dans le couloir, il entendit un bruit sourd, comme le fracas d'un objet

imposant sur la porte et se mit à rire de plus bel.

 Il y a toujours un gagnant et un perdant Eyrin, sache-le… Toujours, quoi qu'il arrive…

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23

Agir ou Subir

Depuis l'annonce choc de la vidéo pirate, Jodd Altwood était sollicité de tous les côtés. Les

Orateurs des sept autres NUPE n'avaient de cesse de réclamer des explications, voulant à tout prix

savoir s'il s'agissait d'une info ou d'une intox. Mais Altwood n'était pas en mesure de fournir une

réponse seul.

 Ce soir, annonça-t-il à son porte-parole. Faites passer un communiqué mondial : dites-leur

qu'ils auront l'ensemble des explications ce soir à dix-huit heures.

 Bien Monsieur, répondit ce dernier avant de se mettre en communication avec la seule

chaîne de télévision diffusée le temps de la campagne vaccinale.

 Messieurs, Dames, lança le présentateur télé qui meublait son émission avec difficulté

depuis presque deux heures. Suite à la vidéo cryptée diffusée précédemment dans la section

publicitaire, Monsieur l'Orateur de la NUPE 1, Jodd Altwood, a tenu à vous prévenir que des

informations complètes vous seront fournies en conférence spéciale dès ce soir, à dix-huit

heures précises.

Il n'y eut aucune réaction, aucun cri de mécontentement sur le plateau, ce qui donna

l'illusion que la nouvelle avait été plutôt bien accueillie par le public. Mais en regardant à l'arrière

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 231


des caméras, seuls les gradins vides étaient désormais témoins des dernières annonces. Les

spectateurs avaient été évacués une demi-heure plus tôt par la sécurité pour assurer la bonne

continuité de l'émission.

Silhaée attendait patiemment avec Alice dans la chambre de la petite quand Colin réapparut

enfin. Il venait d'avoir un appel de son beau-frère, pour faire l'état des lieux des conséquences de la

diffusion de leur vidéo.

 Alors ? demanda Silhaée sitôt qu'il fut entré dans la pièce.

 Les enquêteurs ont pris le contrôle de la chaîne publicitaire pour réaliser des fouilles, dit-il

avec évidence. Ils ont vu que la vidéo avait été ajoutée hier soir tard, mais Dio nie en bloc

toute implication de ses équipes. Il dit avoir subi un piratage depuis l'extérieur, ce qu'ils sont

en train de vérifier. Ils vont certainement vite se rendre compte que ce n'est pas le cas mais

ça nous laisse un peu de temps pour appréhender la réaction de la population face à ton

annonce.

 Pour l'instant il n'en dise pas grand-chose… fit remarquer Silhaée en pointant du doigt le

présentateur sur la tablette (qui la suivait partout).

- Tip tip tip tip ! -

sonna de nouveau le compagnon de Colin.

 C'est ma belle-mère, indiqua-t-il surpris avant de décrocher et de sortir de nouveau de la

chambre pour fuir le bruit des jouets d'Alice.

Silhaée continua quant à elle de jeter un œil sur la chaîne d'informations tout en occupant la

petite qui n'avait de cesse d'innover en matière de jeux. Après à peine quelques minutes d'appel, elle

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vit Colin revenir en hâte dans la chambre, le teint pâle, les mains presque tremblantes.

 Qu'est-ce qui se passe ? dit immédiatement Silhaée en se levant d'un bon du sol.

 La mère de Gaële vient de m'appeler pour me parler de la vidéo, synthétisa-t-il. Il paraît

qu'en ville c'est la cohue, les gens ne parlent plus que de ça, tout le monde s'indigne…

 Mais c'est bien ça… fit remarquer Silhaée qui ne comprenait pas vraiment pourquoi elle

sentait la panique naître en lui.

 Oui bien sûr mais ce n'est pas tout. Ma belle-mère vient de me dire que de grandes battues

d'investigation sont en cours dans toutes les villes encerclant l'Expéria. Ils sont en train de

déployer des moyens impressionnants pour te retrouver avant le communiqué de ce soir !

 Ils n'y arriveront pas, tenta-t-elle de se rassurer.

 Pas sûr, rétorqua Colin. La moitié des villes environnantes est déjà noire de flics. Ils entrent

dans les maisons, fouillent tout, retournent tout…

 Oh merde… commença-t-elle à stresser à son tour.

 Ooooh gros mot ! fit remarquer Alice à Silhaée.

 Il faut qu'on fasse quelque chose, se reprit Colin en saisissant sa fille au sol. Tu ne seras pas

en sécurité longtemps ici. Ils vont vite arriver jusqu'à nous…

Silhaée se mordillait les ongles, elle ne savait plus quoi penser, plus quoi faire. « Pourquoi

voulait-il la retrouver avant le grand communiqué de dix-huit heures ?», « Qu’est-ce que cela

changerait ?» se demandait-elle sans parvenir à y trouver une quelconque logique.

 Il faut qu'on en parle avec Meydân, dit-elle soudainement. Elle, elle risque de savoir ce que

LEXO a en tête. Elle les connaît de l'intérieur.

 Mais comment la contacter ? Tu ne connais pas la référence de son compagnon… fit

remarquer Colin.

 Non… Mais de toute façon, si les choses n'ont pas changé, elle se l'était fait retirer pour les

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besoins de l'enquête…

 Alors il n'y a pas trente-six solutions, il faut que je la trouve, conclut Colin.

Il confia ensuite sa fille aux bras de la jeune femme et s'en alla dans l'entrée de la maison.

 Attends, tu ne sais même pas où elle habite, fit remarquer Silhaée avec évidence.

 J'irai la trouver directement sur son lieu de travail, dit-il motivé comme jamais.

 Non attends ! Il ne faut pas que tu te rendes là-bas comme ça… Le site est hautement

sécurisé, surtout depuis les derniers événements... Tu risquerais de te faire remarquer et nous

n'avons pas besoin de ça, crois-moi.

Colin termina de lacer ses chaussures et se redressa d'un bon.

 Écoute, dit-il. Comme je te l'ai déjà dit, je pensais que ma femme ne pourrait plus jamais

remettre un pied dans cette maison et tu es arrivée… Tu m'as redonné l'espoir, l'envie de

croire que ce rêve n'en était pas un finalement. Alors maintenant que nous tenons enfin les

rênes, maintenant qu'il est possible de faire bouger les choses, je ne peux pas, je ne peux

plus renoncer. Je veux que Gaële revienne dans cette maison, je veux que ma fille grandisse

à ses côtés pendant le temps qu'il lui reste à vivre. Mais si jamais LEXO arrivait à te mettre

la main dessus, nos espoirs seraient réduits à néant. Parce qu'ils n'avoueront publiquement

leurs tords et par conséquent n'ouvriront les dômes que s'ils se sentent menacés par ce que tu

es capable de dire ou de faire…

Touchée par la ferveur et la sincérité de ses propos, Silhaée acquiesça de multiples signes de

tête. Colin avait raison, il fallait trouver une solution. Il fallait se persuader qu'ils n'avaient pas fait

tout cela pour rien.

 Chez Jayden, dit-elle alors. C'est chez Jayden qu'il faut que tu te rendes. Lui pourra te dire

où et comment trouver Meydân et il pourra te conseiller. Après tout, il fait partie de ceux qui

ont su me sortir de l'Expéria, il aura peut-être les idées que nous n'avons pas…

Colin se réjouit de la piste proposée et prit quelques minutes pour rechercher sur son

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compagnon l'adresse correspondant à l'identité du propriétaire « Wayen Siller ». En quelques clics,

il lança le guide de conduite et fut enfin prêt à partir.

 Papa revient, annonça-t-il enfin à Alice qui semblait s'inquiéter de toute cette agitation. Tu

vas rester avec Silha, d’accord ?

 Oui… dit-elle hésitante.

 On va aller préparer des cookies en attendant Papa, proposa Silhaée.

 Oh ouuiii ! s'exclama la petite en se trémoussant pour descendre de ses bras avant de

trottiner vers la cuisine.

 Je vous appelle quand j'arrive chez Jayden, prévint Colin en ouvrant la porte.

 Pas de problème, répondit Silhaée (restée en retrait pour ne pas être vue). Sois prudent.

 Compte sur moi, dit-il avant de verrouiller la porte derrière lui.

Debout dans la salle de réunion de LEXO, Erdowel, Lilia et Paolo échangeaient sur la suite

des événements. Depuis la diffusion inopinée de cette vidéo pirate, ils étaient morts d'inquiétude,

c'était indéniable. Quand ils se demandèrent s'ils devaient s'inquiéter de la longueur de l'absence

d'Atân, ce dernier arriva brusquement dans la salle.

 Aaah Atân, s'exclama Lilia soulagée. Nous commencions à nous inquiéter…

Sans fournir aucune réponse, le directeur contourna son médecin et ses deux chefs de projets

jusqu'à s'asseoir dans son fauteuil à la tête de la gigantesque table de réunion.

 Eyrin se porte bien ? … ajouta-t-elle maladroitement.

Le directeur la trancha littéralement du regard.

 As-tu obtenu les informations que tu cherchais ? rebondit Paolo.

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 Et bien je ne peux pas t'en vouloir de me poser une question aussi stupide Paolo, répondit

enfin Atân. Car ici tu es bien le seul qui n'a pas eu le plaisir de rencontrer mon borné de fils.

Erdowel et Lilia s'échangèrent alors un regard reflétant un profond malaise.

 Et donc non, je n'ai pas obtenu les informations que je cherchais, reprit-il. Je sais

simplement maintenant avec certitude que mon fils est celui que nous cherchions depuis le

départ ; l'employé qui a trahi le groupe pour défendre des convictions aussi infondées

qu'immatures.

 As-tu… essayé de négocier avec lui ? tenta Erdowel.

Atân se tourna alors lentement vers le médecin :

 Ses conditions tu les connais, dit-il avec évidence.

 Atân, il faut que ce conflit cesse, lui demanda Lilia.

 Mais je ne demande que ça, dit-il en riant malgré lui.

 Eyrin est intelligent, ajouta Erdowel. On peut peut-être simplement lui expliquer ce qu'il

ignore…

 Non… dit-il amer.

 Ça simplifierait pourtant les négociations… insista-t-il.

 NON ! s'écria Atân en frappant la table de ses deux poings.

Personne n'osa plus rien dire. Leur directeur était dans un état de nerfs qu'il n'avait constaté

qu'une seule et unique fois en plusieurs dizaines d'années de collaboration : lors de l'enlèvement de

Silhaée.

 Non, répéta-t-il une fois encore en feintant grossièrement le calme. Il y a certains éléments

qui doivent rester secrets et qui le resteront coûte que coûte. C'est une donnée non

négociable. Nous ne sommes que quatre dans ce monde à en connaître le contenu, ce n'est

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pas un hasard.

 Peut-être as-tu songé à une alternative pour faire dire à Eyrin ce qu'il sait ? imagina Paolo.

 Oh oui, répondit-il en retrouvant quasi instantanément le sourire. La plus simple du monde

même…

Après avoir avalé des dizaines de kilomètres à pleine vitesse, Colin arriva enfin devant la

demeure des Siller. Fébrile, il frappa à la porte en priant pour que le fameux « Jayden » y soit

présent. Il n'eut à attendre que quelques secondes avant de voir la porte d'entrée s'ouvrir. En

découvrant son hôte et les multiples hématomes imprégnant son visage, Colin en eut presque peur.

 Bonjour… hésita-t-il. Je cherche un certain « Jayden Siller » …

 C'est moi-même, dit ce dernier en serrant instantanément les poings.

 … Est-ce que je peux entrer ? … lui demanda Colin à deux doigts de regretter une pareille

demande.

 Qui êtes-vous ? … demanda Jayden méfiant.

 C'est compliqué… Mais j'ai un message à vous faire passer…

 J'écoute, répondit-il du tac au tac.

Bien embêté par la méfiance du jeune homme, Colin eut envie de rebrousser chemin. Mais il

se trouva bientôt épaulé dans sa demande par une charmante jeune femme, arrivée à l'instant dans le

dos de Jayden.

 Je pense qu'on devrait le laisser entrer… trancha Meydân bien décidée à connaître le motif

de sa visite.

Après quelques secondes de réflexion, Jayden s'écarta de l'ouverture de porte et regarda

Colin franchir le seuil de la maison d'un pas plutôt rapide.

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 Qui êtes-vous ? le relança Meydân une fois la porte refermée.

 Je m'appelle Colin Torelli, je suis le mari de Gaële Torelli, une patiente-testeuse de l'Expéria.

Jayden et Meydân le regardèrent d'abord avec insistance, sans comprendre en quoi cette

information pouvait les éclairer.

 J'ai vu arriver chez moi il y a quelques jours une amie de ma femme, dit-il enfin. Une amie

que Gaële a rencontrée dans l'Expéria… Silhaée Uji.

Sur ces mots, Meydân et Jayden bondirent de surprise.

 Enfin ! s'exclama Jayden.

 Comment va-t-elle ?! ajouta Meydân.

 Bien, dit-il. Pour l'instant elle va bien… Mais malheureusement j'ai peur que cela ne dure

pas.

Colin prit ensuite quelques minutes pour raconter leur rencontre. Puis il parla du projet qu'ils

avaient monté ensemble, à savoir la vidéo de propagande. Il détailla chaque fragment de leur plan,

ainsi que les conséquences qu'ils avaient visées et celles qu'ils n'avaient pas su anticiper.

 Ma belle-mère vient de subir une fouille qu'elle a qualifiée de « totalement irrespectueuse »,

termina-t-il. Ils ne reculeront devant rien pour la retrouver avant ce soir…

 Si j'en crois ce que tu nous dis, reprit Jayden, ta maison se trouve près de l'usine Carly

Sugar, donc relativement loin de LEXO. Autrement dit, elle n'est pas dans le périmètre de

recherche principal : ils n'y arriveront jamais avant la conférence de ce soir. Ils seront donc

obligés de se justifier sur les accusations qui leur ont été faites s'ils ne veulent pas craindre

une nouvelle vidéo de propagande de la part de Silhaée.

 Bien sûr, on est d'accord, acquiesça Colin. Mais pour la suite ? Devons-nous attendre de voir

ce qu'ils vont annoncer lors du communiqué de ce soir ou faut-il agir dès maintenant ? …

Devons-nous préparer une vidéo de riposte si toutefois nos dirigeants décidaient malgré tout

de nier les faits ? Tout en sachant que nous ne serions pas sûrs cette fois de pouvoir la

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diffuser…

Toutes ses questions étaient pertinentes. Aussi, Jayden et Meydân décidèrent de prendre le

temps de regrouper toutes les informations dont ils disposaient pour pourvoir aider efficacement

celui qui était devenu dès à présent leur nouvel allié et soutien direct de Silhaée.

À l'extérieur, plusieurs agents avaient été postés au plus près de la maison des Siller. Ils

avaient pour consignes de surveiller avec la plus grande discrétion tous les faits et gestes du

principal suspect de l'enlèvement du sujet expérimental UJI et de l'une de ses potentielles

complices : Jayden et Meydân. L'arrivée du véhicule de Colin dans la cour les avait donc

instantanément mis en alerte. Après avoir effectué un rapide relevé d'immatriculation de sa voiture,

ils avaient lancé une recherche de l'identité du propriétaire via leur base de données. En quelques

minutes à peine, ils obtinrent un nom, « Colin Torelli », et une adresse qu'ils communiquèrent

immédiatement à l'équipe la plus proche de cette dernière.

Dans la demi-heure qui suivit, les agents dépêchés arrivèrent devant la maison des Torelli.

Après avoir levé le verrouillage du portail d'un simple coup de badge multipass, ils entrèrent dans le

jardin et annotèrent absolument tout. La consigne était simple ; il ne fallait négliger aucun détail,

transmettre un compte-rendu des plus détaillés à leur hiérarchie. Alors que l'un des enquêteurs

continuait ses annotations, un autre se dirigea vers la porte d'entrée. Il regarda de nouveau la

transmission de la fiche identitaire du propriétaire et se remémora les informations utiles : Colin

Torelli était un homme âgé de trente-deux ans, marié mais isolé de sa femme dont l'ERR-6 avait

défailli, la contraignant à rejoindre l'Expéria. Ils avaient eu ensemble une petite fille, âgée

seulement de vingt-deux mois. L'enquêteur s'approcha ensuite de la sonnette et la pressa. Il ne

s'attendait pas à ce qu'on lui ouvre, puisque Colin Torelli avait été repéré à plusieurs kilomètres

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d'ici. Mais il s'agissait d'une procédure habituelle qu'il se devait de respecter à la lettre avant d'entrer

sans consentement dans un domicile privé.

- Diiiiing -

Au bruit de la sonnette, Silhaée et Alice firent un bon et se levèrent instantanément de leurs

chaises.

 Papaaaa ! s'exclama la petite en sortant de la cuisine à toute vitesse.

Silhaée lui emboîta brusquement le pas, courant jusqu'à la fenêtre la plus proche avant de

s'en approcher plus prudemment.

 Oh non ! bondit-elle en reconnaissant les tenues des enquêteurs, les mêmes que celles

précédemment rencontrées lors de leur introduction chez Wayen. Alice, viens !

Ni une ni deux, Silhaée revint en courant dans l'entrée, saisissant à la volée la petite qui

tentait du bout de son index de déverrouiller le loquet tactile de la porte.

 PAPAAAA ! cria-t-elle alors de toutes ses forces, paniquée par l'attitude de la jeune femme.

 C'est pas Papa, chuuut, c'est pas Papa, répéta Silhaée en tentant d'étouffer ses appels tandis

qu'elle montait les marches de l'escalier quatre à quatre.

« Papaaa !»

En percevant un cri étouffé au travers de la porte, les enquêteurs se regardèrent

immédiatement. L'agent resté en retrait dans le jardin rejoint d'un saut le pas de porte, saisissant son

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arme avant de voir son collègue positionner le badge multipass devant le loquet sécurisé.

 Prêts ? lui dit ce dernier en saisissant son arme à son tour.

L'agent acquiesça d'un signe de tête avant d'entendre les deux tintements du badge puis le «

bip » plus strident qui accompagna l'ouverture de la porte d'entrée.

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24

Échecs

Jodd Altwood venait de raccrocher d'une énième communication avec Paolo Amorio au sujet

du communiqué du soir. Ils étaient en train de tenter d'écrire un discours mêlant à la fois

justifications, sans trop en dévoiler, et excuses, sans trop admettre qu'ils avaient de quoi se faire

pardonner. Cette tâche n'était pas une mince affaire et pour ainsi dire personne n'était réellement

satisfait des multiples tentatives réalisées jusqu'alors.

 Non ça ne va pas… grommela une fois de plus Altwood en relisant la dernière version de

son discours.

 Il ne faut pas perdre de vue l'objectif, rappela l'un de ses plus proches conseillers. Il faut

tenir jusqu'à la fin de la campagne vaccinale. Deux jours seulement pour être sereins. Vous

pourrez bien dire ce que vous voulez une fois tout ce travail terminé. La population pourra

vous reprocher de leur avoir caché certaines choses, mais pas de leur avoir sauvé la vie.

En constatant que le verre de l'Orateur était vide, le conseiller saisit une carafe de vin et le

remplit avec soins.

 Tu as raison Cétra… dit alors Altwood. J'espère seulement maintenant que le monde sera

aussi compréhensif que toi… Qu'ils auront tendance à voir le verre à moitié plein…

Tout en redéposant la carafe sur la table, le conseiller laissa courir quelques secondes de

réflexion avant de répondre de nouveau.

 Si toute fois la population ne parvenait pas à comprendre vos décisions, il faudrait peut-être

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simplement leur dire qu'elles n'étaient pas les vôtres…

 Pardon ? dit Altwood surpris.

 Après tout, c'est bel et bien LEXO qui s'est lancé dans un pareil projet… On peut imaginer

que s'ils n'ont pas été honnêtes avec le monde entier, ils ont très bien pu ne pas l'être avec

vous non plus…

L'Orateur écarquilla alors de grands yeux avant de se redresser de toute sa prestance :

 Mais oui… C'est ça qu'il faudra dire conclut-il en supprimant le discours de Paolo envoyé

précédemment par T-mess. Je ne vois pas pourquoi ce serait à moi d'assumer leurs erreurs !

 Il est plus facile d'enfiler le costume de victime que de coupable, confirma le conseiller.

 … Merci Cétra, dit-il alors en apposant une main ferme sur son épaule. C'était l'idée qu'il me

manquait.

Eyrin était affalé dans le fond de son canapé quand il entendit la porte de sa chambre

s'ouvrir.

 Monsieur Hederling ? l’interpella une curatrice face à son aréactivité.

 Hm ? répondit-il sans daigner tourner la tête.

 Vous êtes invité à sortir de votre chambre.

Sur ces mots, le jeune homme se redressa derechef.

 Pardon ? dit-il en accordant bien plus d'attention à la soignante.

 Le Docteur Erdowel vous invite à quitter votre chambre, répéta-t-elle en entrant un grand

sac poubelle avec elle.

 Maintenant ? dit-il surpris.

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 Maintenant.

Elle traversa ensuite la pièce et alla ouvrir les volets, chose qui n'avait pas eu lui depuis des

jours. Elle illumina ainsi le bazar tapissant le sol de la chambre.

 Mais… Pour aller où ? demanda Eyrin incompris.

 Je n'en sais pas plus, répondit-elle en commençant à entasser les nombreux déchets dans son

sac poubelle. Des indications supplémentaires vous attendent dans le hall du centre de soins.

Abasourdi, Eyrin finit alors par franchir maladroitement la porte avant de se mettre à

trottiner avec joie. Il redescendit comme indiqué au rez-de-chaussée, cherchant du regard la

présence de curateurs avant de constater que deux d'entre eux étaient toujours installés derrière un

bureau près de la porte principale du centre de soins.

 Excusez-moi, dit-il en s'approchant d'eux. Il semblerait que l'on ait laissé des indications

pour moi ici ? …

 Oui, répondit une curatrice en lui tendant une petite enveloppe.

Surpris par la démarche, Eyrin saisit maladroitement cette dernière et l'ouvrit en tentant de

percevoir dans le regard des curateurs une quelconque émotion indiquant l'orientation du

message… Mais l'un comme l'autre avaient repris leurs occupations précédentes sans rien laisser

paraître.

 Qu'est-ce que… balbutia-t-il en découvrant le contenu de l'enveloppe.

B28-06

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En reconnaissant le format du code, Eyrin ne put masquer sa surprise.

 Qu'est-ce que ça veut dire ? dit-il aux curateurs toujours impassibles.

 Cela correspond à votre résidence d'affectation. « B » c'est la zone, « vingt-huit » le rang…

 Merci je le sais ça, la coupa Eyrin. Ce que je veux dire c’est : qu'est-ce que ça signifie ?

Mon père ou Erdowel ont-ils donné des explications qui justifieraient d'un tel revirement de

situation ?

 Non, répondit la curatrice en sollicitant son collègue d'un léger coup de coude.

 Non plus, répondit l'autre.

Eyrin regarda alors une nouvelle fois le message puis jeta un œil sur l'extérieur du centre.

 Les enfoirés… fulmina-t-il en réalisant la démarche.

 Si vous voulez bien circuler, lui demanda-t-on en lui signifiant par le geste qu'ils avaient

encore fort à faire.

Le jeune homme prit donc le chemin de la sortie, mettant enfin officiellement un pied dans

le dôme. Partagé entre deux sentiments, à savoir le contentement et le scepticisme, il traversa les

allées un peu perturbé.

 « C’est un scandale !» entendit-il avant de voir deux patients-testeurs entrer dans l'une des

résidences.

 « Je peux te jurer que mon mari le saura au prochain envoi de courriers !» répondit l'autre.

Complètement dépassé par tout ce qui l'entourait, Eyrin poursuivit son chemin, croisant au

fur et à mesure plusieurs attroupements de patients-testeurs qui semblaient tous aussi remontés les

uns que les autres.

 Oh ! bondit soudainement Eyrin en reconnaissant au loin une chevelure ébouriffée brune

flammée mêlée à une foule impressionnante de patients-testeurs. Brenn !

À l'écho de son nom, ce dernier se retourna et afficha brusquement ce même sourire de

contentement. Puis il réalisa que l'arrivée décontractée d'Eyrin n'avait rien de normale et perdit

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instantanément de vue son optimisme.

 Qu'est-ce que tu fais là ? demanda-t-il alors en s'écartant du reste du groupe. Ils t'ont laissé

sortir ?

 J'ai joué ma dernière carte, répondit-il en observant avec interrogation la foule face à eux.

 Ta dernière carte ? Oh ! Tu leur as dit… pour Silha ? …

 Oui, avoua-t-il sans regret. Mais j'ai posé mes conditions. S'ils veulent savoir où elle se

trouve, il faut qu'ils fassent tomber les murs des dômes et qu'ils persévèrent dans les essais

de traitements des porteurs défaillants.

 Et ? dit-il encore choqué par la nouvelle.

 De toute évidence, ils ont choisi.

Sur ces mots, Brenn le regarda avec bien plus d'inquiétude encore avant d'être interpellé par

de nouveaux cris de colère. Quelques curateurs venaient de sortir du plus grand poste de soins du

dôme, demandant aux patients-testeurs de s'écarter pour les laisser s'installer au-devant de

l'attroupement.

 Mais qu'est-ce qu'il se passe ? dit Eyrin déboussolé.

 Une rumeur est en train de se propager dans le dôme… expliqua Brenn en l'invitant à

s'approcher du groupe.

 Quelle rumeur ?

 Nous autres, les patients-testeurs en charge de la réception des caisses, nous n'avons pas reçu

les livraisons de traitements habituels. On a donc alerté les postes de soins qui n'ont pas

vraiment réagi… Et maintenant, certains d'entre nous disent avoir entendu des curateurs

parler de suspension de traitements dans les dômes…

 Quoi ?! s'exclama Eyrin.

 Votre attention s'il-vous-plaît, dit enfin un curateur logé dorénavant aux devant d'eux, son

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casque-micro vissé sur la tête.

L'intégralité des patients-testeurs présents se firent soudainement bien plus attentifs.

 Suite à des difficultés de réapprovisionnement en traitements-test sur le site LEXO,

nous sommes au regret de vous informer d'une interruption provisoire de leur

administration pour une durée indéterminée.

Les cris de désapprobations des patients-testeurs suivirent cette terrible annonce. Tous

étaient scandalisés d'un tel manquement pour un groupe de cette envergure.

 Vous êtes donc invités dorénavant à vous rendre directement au réfectoire, sans passer

par les postes d'administration, termina rapidement le curateur en sentant la ferveur

monter. Et ce, jusqu'à nouvel ordre.

À peine eut-il fini sa phrase que les patients-testeurs se firent plus virulents encore, imposant

aux curateurs de s'engouffrer dans leur poste de soins pour échapper aux cris de colère. Indigné

comme tous les autres, Brenn finit par se tourner vers Eyrin :

 Non mais sérieux, t'y crois-toi… Euh… Ça va ?

Le regard perdu dans le vide, ce dernier semblait complètement déconnecté de la réalité.

Une multitude d'informations venait de lui envahir l'esprit jusqu'à tisser des liens entre elles et

former en finalité une terrible conclusion qu'il peinait à absorber…

 Brenn… répondit alors Eyrin en sortant de sa bulle réflexive. Il a gagné…

 Qui ? demanda-t-il en l'écartant encore une fois du groupe en furie. Qui a gagné ?

 Mon père… dit-il fébrile. Il ne distribuera plus de traitements-test tant que je ne lui aurais

pas dit où trouver Silhaée…

Silhaée et Alice venaient de se tapir dans le fond d'un gigantesque dressing quand elles

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entendirent les enquêteurs entrer.

 Pap… tenta Alice avant de voir Silhaée lui couvrir la bouche.

Cette dernière hocha ensuite négativement la tête à plusieurs reprises avant de se replier sur

la petite pour chuchoter à son oreille.

 C'est un jeu, mentit-elle en feintant un sourire d'amusement. On joue à cache-cache, on ne

doit pas nous trouver…

Sur ces mots, Alice plaqua ses mains sur sa bouche et susurra un petit "chuuut" avant de se

tapir plus encore contre elle. Dans d'autres circonstances, l'attitude de la petite aurait pu l'amuser.

Mais cette fois, Silhaée resta de marbre. Elle sentait bien que la situation tournait malheureusement

en sa défaveur...

Maintenant qu'Alice était distraite, la jeune femme put se concentrer plus facilement sur le

reste des événements. Elle tendit alors l'oreille avec une extrême attention, essayant de percevoir les

moindres paroles, les moindres mouvements pouvant l'alerter sur la présence des agents dans la

maison. Après quelques minutes (qui lui parurent des heures), elle finit par entendre un

malencontreux bruit de pas, une sorte de grincement boisé que seul un habitué aurait su éviter en

arrivant sur le palier. Les agents étaient désormais à l'étage.

 Papa… tenta de chuchoter Alice, amusée par l'idée de jouer avec son père.

Ni une ni deux, Silhaée plaqua sa main sur la bouche de la petite, ne cherchant plus à feindre

l'amusement.

 Qui est là ?! s'exclama soudainement l'un des enquêteurs.

La voix roque de ce dernier fit monter une angoisse immédiate chez la petite, angoisse que

Silhaée tenta de maîtriser tant bien que mal en la cajolant plus encore.

 Mhh… commença-t-elle à couiner en patouillant les froufrous de sa robe.

Silhaée plaça alors le visage d'Alice contre sa poitrine en la berçant plus encore. Puis elle

regarda l'ouverture lointaine du placard et enfonça davantage son dos dans l'amas de vêtements

cintrés du couple. Il fallait espérer qu'elles échapperaient ainsi par miracle à la vigilance des
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agents... Mais en entendant le glissement de l'ouverture de porte du dressing, ses espoirs furent

réduits à néant.

 Mamaaan… clama finalement Alice en se dégageant du torse de sa nounou d'un jour pour

laisser éclater un sanglot terrifié.

Les yeux écarquillés, la bouche bée, Silhaée vit les jambes de l'enquêteur arriver lentement

jusqu'à elles. Une main gantée glissa ensuite entre les vêtements avant d'écarter le tout, dévoilant

enfin le visage dur d'un homme… Un visage qui se fendit instantanément d'un large sourire

galvanisé par la satisfaction. Silhaée le vit ensuite sortir de sa poche un compagnon de fonction qu'il

plaça au plus près de sa bouche avant d'annoncer la nouvelle tant attendue :

 Sujet expérimental UJI maîtrisé.

Jodd Altwood venait d'être installé dans sa loge quand il vit le présentateur du journal du

soir entrer.

 Monsieur Altwood, le salua-t-il.

 Que voulez-vous ? répondit l'Orateur du tac au tac.

Malgré les conseils que Cétra lui avait prodigués, la confiance et la sérénité développées

précédemment n'étaient plus aussi marquées à présent. À quelques minutes de son entrée sur le

plateau, de son devoir de justifications devant la planète entière, Altwood ne s'était jamais senti

aussi nerveux, aussi vulnérable dans sa fonction.

 Je voulais m'assurer que tout était prêt de votre côté ? lui précisa le présentateur.

 Oui oui… répondit-il agacé. Merci.

 Bien Monsieur, dit-il en quittant la pièce.

Alwood demanda ensuite à ses conseillers d'en faire de même ; il avait besoin de se

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retrouver un peu seul. Quand la pièce fut vidée de tous ses occupants, l'Orateur se leva de son

fauteuil et commença à faire les cent pas. Tout en traversant la loge d'un bout à l'autre, il se remit en

tête son prochain discours. Bien sûr, il se devait de mettre en lumière tout le travail réalisé par

LEXO pour en être arrivé au succès du jour : le vaccin anti ERR-6. Mais il projetait également de

les incriminer en partie pour leurs éventuels « secrets trop bien gardés » dont il n'avait

officiellement « jamais entendu parler ». Une fois son discours figé dans son esprit, Altwood s'arrêta

de marcher. Il replaça sa cravate au centre de son col, bomba légèrement le torse et s'éclaircit la

voix avant de réciter, cette fois à voix haute, sa phrase de conclusion :

 Arrêtons de nous soucier d'aujourd'hui pour réapprendre à mieux vivre demain…

Puis il hocha la tête d'un air satisfait et quitta enfin sa loge, prenant la direction des postes de

maquillage avant sa très prochaine entrée sur le plateau.

 Et si on faisait patienter Silha chez ta belle-mère d'abord ça pourrait le faire ? proposa

Jayden.

 Alors à ce compte-là autant que je prenne directement Alice avec moi, fit remarquer Colin.

Accompagnés de Meydân toujours, ils tentaient depuis plus d'une heure d'imaginer le

meilleur plan possible pour donner une chance à Silhaée de mener à bien sa tentative de délation. Ils

commençaient à entrevoir des semblants de pistes quand ils furent interrompus par la sonnerie du

compagnon de Colin.

 Excusez-moi, dit-il en sortant le droïde de sa poche. Tiens…

Ignorant la provenance de l'appel, il s'écarta un instant de Meydân et Jayden pour y

répondre.

 Oui allô ?

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 250


 « Monsieur Torelli ?» demanda l'interlocuteur.

 C'est moi-même.

 « Coper Emery, chef de la brigade de répression des infractions exceptionnelles », se

présenta-t-il. « Je me permets de vous contacter, Monsieur, pour vous prévenir de l'arrivée

de votre fille dans nos locaux. »

 Quoi ?! bondit Colin en se sentant pâlir de secondes en secondes. Qu'est-ce que c'est que

cette histoire ?

Meydân et Jayden s'échangèrent alors simultanément un regard avant de se lever à leur tour

du canapé.

 « Nous venons d'établir une perquisition exceptionnelle à votre domicile », compléta le chef

de brigade. « Cette procédure entre dans le cadre d'une enquête ouverte ce jour pour

''enlèvement ou complicité d'enlèvement d'une pièce expérimentale appartenant à un groupe

privé''. ».

Colin jeta immédiatement un regard criblé d'inquiétude à Jayden et Meydân qui comprirent

aussitôt que quelque chose de grave venait de se produire.

 « Vous êtes toujours là Mr Torelli ?»

 Oui… répondit-il déphasé. Où dois-je récupérer ma fille ?

 « Pour être tout à fait honnête, nous allons vous demander de déléguer cette tâche à un

membre de votre famille », dit-il.

 Pourquoi ?!

 « Nous avons besoin de vous auditionner. Nous vous laissons donc un quart d'heure pour

vous rendre au poste de police le plus proche de votre domicile. Dans le cas contraire, nous

nous verrons dans l'obligation d'envoyer une équipe vous chercher et de confier votre fille

à.… »

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 251


 C'est bon je serai là ! le coupa-t-il excédé en imaginant sa fille en larmes dans les bras

d'inconnus.

Puis il raccrocha et fournit avec désolation l'information principale qu'il venait d'obtenir de

cet appel :

 Je suis vraiment désolé… Mais ils viennent de retrouver Silhaée…

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 252


25

Angles d'attaque

 Monsieur Altwood ? l'interpella Cétra.

L'Orateur s'apprêtait à entrer sur le plateau de télévision quand il vit son plus proche

conseiller arriver en courant, compagnon en main.

 Qu'y a-t-il encore ?! s'exclama-t-il irritable.

 Un appel important, dit alors son conseiller.

 Pas le temps, répondit-il en se laissant tamponner le visage une énième fois par la

maquilleuse.

 Monsieur Hederling lui-même... précisa Cétra.

Sur ces mots, Altwood saisit le petit droïde et le plaqua nerveusement contre son oreille :

 Dis-moi vite Atân, répondit-il du tac au tac. J'entre en plateau dans cinq minutes.

En trois secondes, les pupilles de l'Orateur se dilatèrent, ses sourcils se défroncèrent et la

grimace de stress sur ses lèvres se transforma en un immense sourire de soulagement. L'annonce

miraculeuse d'Atân n'aurait su arriver plus à temps.

En apprenant l'arrestation de Silhaée et la potentielle mise en examen de Colin, Meydân et

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 253


Jayden n'avaient pas eu à réfléchir plus longtemps. Pour éviter de nouvelles victimes collatérales, ils

n'avaient plus le choix : il fallait renoncer et se rendre. Colin prit donc le chemin de la maison de sa

belle-mère pour lui permettre de récupérer sa fille au poste et prévint dans la foulée son beau-frère

du revirement de situation. Meydân et Jayden, quant à eux, partirent en trombe vers le seul endroit

où Silhaée avait pu atterrir : LEXO.

 Oh putain ! s'exclama Jayden alors qu'ils arrivaient à proximité des locaux du groupe.

Les mains crispées sur le volant, il venait de constater la présence d'une foule

impressionnante de véhicules de police, couvrant un large périmètre.

 Ça va le faire, fonce ! lâcha Meydân.

Au premier point de contrôle, elle présenta son badge et se vit ouvrir la route sans aucun

problème.

 Je n'en reviens pas, on est entrés ! clama Jayden victorieux.

 Attends, ce n'est pas fait encore… tempéra Meydân en pointant du doigt les amas de

policiers hauts gradés, installés au-devant des entrées principales du bâtiment.

 Monsieur… dit Maddy en raccrochant d'un précédent appel. Ils ne devraient plus tarder…

 Aaaah, parfait ! s'exclama Atân avec joie.

Sa secrétaire venait de passer un énième coup de téléphone, effectuant à chacun de ses

appels un rapport détaillé à son patron.

 Jack ! s'exclama enfin Atân.

Le quatrième étage où il s'était installé par défaut débordait de policiers. Cela avait eu pour

effet de clairsemer la présence des quelques employés LEXO, privilégiés dans leur savoir.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 254


 Erdowel ! héla-t-il plus encore.

Il vit alors le médecin se dégager d'un groupe de policiers, arrivant jusqu'à lui en hâte.

 Ils sont en route, dit enfin Atân.

 Combien de temps avant leur arrivée ? demanda Erdowel.

 Pas plus d'un quart d'heure, estima-t-il.

 C'est bien.

 C'est trop, rétorqua Atân en quittant la pièce. Viens.

Erdowel suivit alors le directeur, quittant l'espace surpeuplé au profit d'un couloir plus

tranquille.

 Où va-t-on comme ça ? dit-il perplexe.

 La voir, répondit Atân sans aucune gêne.

 Silhaée ? s'exclama Erdowel.

 Oui, acquiesça-t-il en s'arrêtant devant une porte blanche gardée par deux policiers

lourdement armés.

Après une simple vérification de l'identité du dirigeant, puis du médecin, les gardes

s'écartèrent.

 Ne vaut-il pas mieux attendre qu'ils arrivent ? … demanda Erdowel.

 Non, répondit Atân sans la moindre hésitation. Je pense d'abord qu'une petite mise au point

s'impose.

Sur ces mots, il badgea devant la porte et dévoila les raisons de ses intentions : la voix

cassée, les yeux rougis par la colère, Silhaée se débattait comme une tigresse. Harnachée à sa chaise

depuis son arrivée, elle n'avait de cesse de réclamer sa liberté, criant à qui voulait l'entendre qu'elle

les ferait tous tomber.

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 255


*

 Mesdames et Monsieur, accueillons tout de suite celui que vous attendiez tous… Monsieur

Jodd Altwood, Orateur de la NUPE 1.

Ce dernier entra avec assurance sur le plateau désert, s'installant aux côtés du présentateur en

le saluant de nouveau.

 Excusez-moi pour les quelques minutes de retard, dit-il.

Au vu du dernier appel qu'il avait reçu, quelques réajustements avaient été jugés plus que

nécessaires avant le grand moment.

 Monsieur Altwood, dit alors le présentateur. Vous n'êtes pas sans savoir que le monde entier

attend des explications de votre part…

 Je le sais, dit-il avec un infini sérieux. Et je compte bien les fournir maintenant que nous

sommes en possession de toutes les informations concernant cette affaire.

 Alors nous vous écoutons, le lança-t-il.

 Suite à la diffusion d'une vidéo pirate, à caractère inculpatoire concernant le groupe LEXO,

nous avons lancé une procédure d'urgence pour en trouver les auteurs. Il nous aura fallu à

peine quelques heures pour retrouver la personne responsable de ce trouble.

Sur ces mots, Altwood glissa son doigt sur la tablette de commande incrustée dans la table

face à lui. Il diffusa ainsi sur les écrans géants derrière eux le portrait d'une femme dont la silhouette

pouvait correspondre traits pour traits à celle entraperçue dans la vidéo. Malgré le peu de temps

dont ils avaient disposé, Cétra avait fait du bon boulot.

 Emma Vanaven, annonça enfin Altwood. Il s'agit d'une déséquilibrée mentale, logée en

centre de réhabilitation.

 Une déséquilibrée mentale en liberté ?! s'exclama le présentateur en mimant le choc que

pouvait provoquer une telle annonce.

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 Elle s'était vu accorder une permission de sortie pour le week-end après une réponse positive

à ses derniers traitements, resitua l'Orateur. Elle devait revenir sur son centre hier soir…

Mais malheureusement, elle n'est jamais rentrée…

 Et est-ce qu'on vous a mis au courant de cet événement indésirable ?

 Oui comme toujours, avoua Altwood. Mais je vais être honnête avec vous et avec toutes

celles et ceux qui attendent fermement des explications : cette histoire a vite été classée dans

les problèmes secondaires du jour. Une décompensation de trouble psychiatrique chez une

patiente en permission n'était qu'un détail à régler face au surinvestissement que nous

devions fournir pour la campagne de vaccination.

 Donc vous reconnaissez avoir été informé de la fuite de cette femme sans avoir agi pour

autant ? … conclut le présentateur.

 Non, ce n'est pas ce que j'ai dit, rétorqua l'Orateur. Bien sûr qu'il y avait du monde sur

l'affaire. Seulement, pour ne pas appauvrir nos équipes gardées en renfort dans le cadre du

lancement de la campagne, nous avions confié le dossier à des enquêteurs de seconde zone

dont les moyens étaient limités. Alors forcément, des failles se sont créées…

 Parlez-nous de ces failles… creusa plus encore le présentateur.

 Cette femme, Emma Vanaven, voulait se faire remarquer, dit-il. Elle était connue pour ça

dans son centre référent ; c'était une exhibitionniste, toujours en quête d'attention. Et ce que

nous n'avons pas su percevoir lors de l'annonce de sa fuite, c'est ce à quel point la campagne

vaccinale était un moment rêvé pour elle, pour tenter d'exister, de s'exhiber plus encore aux

yeux du monde…

 Bien sûr, acquiesça le présentateur.

 Avant le déclenchement de son déséquilibrage, poursuivit Altwood, Emma Vanaven avait

travaillé pour une compagnie de diffusion publicitaire. C'est cet élément qui nous a permis

de remonter jusqu'à elle, de faire les liens avec l'enquête et enfin de déployer les équipes

UJI 2. L’ANTI ERR-6 Mélissa TERRIER 257


nécessaires pour la retrouver.

 Et où est-elle maintenant ? s'inquiéta le présentateur.

 Nous l'avons renvoyé dans son centre référent, en surveillance rapprochée. Elle a été placée

en isolement en attendant une expertise psychiatrique plus poussée. Cette dernière nous

permettra d'analyser la notion de volontariat de ses actes et nous amènera à engager des

poursuites ou non contre elle.

 Et bien… s'exclama alors le présentateur. En tout cas, ce qu'on peut vous concéder sans mal,

c'est que cette histoire n'a pas dû être facile à gérer…

 Surtout pour le groupe LEXO et ses dirigeants, précisa-t-il. Ils n'ont jamais été plus peinés

que lorsqu'on les a accusé du pire en sachant qu'ils étaient en train d'offrir le meilleur…

 Je pense en effet que nous leur devons nos plus plates excuses, répondit alors le présentateur

en parlant pour le monde entier.

 La vidéo de cette femme était très convaincante, il était facile de se méprendre, rétorqua

l'Orateur en refusant les excuses d'un signe de la main.

Puis, pour le plus grand soulagement d'Altwood, ils bouclèrent ce « douloureux » sujet sur

quelques politesses avant de bifurquer sur l'excellence des derniers rapports du premier jour de cette

incroyable campagne vaccinale.

 Par-là, indiqua Jayden en courant au-devant de Meydân.

En vue du nombre de contrôles réalisés sur les portes principales de LEXO, ils décidèrent de

se rabattre sur une entrée moins fréquentée à l'arrière du bâtiment. L'accès était tout aussi bien gardé

mais ils purent se présenter d'emblée aux agents de sécurité sans avoir à attendre.

 Nous travaillons ici tous les deux, s'exclama Meydân en leur tendant précipitamment son

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badge qui, au vu de son statut, leur permit d'entrer quasi instantanément.

En arrivant enfin dans le bâtiment, tous deux constatèrent immédiatement que le hall était

complètement désert. Mais en levant la tête pour regarder spontanément les mezzanines en verre de

chaque étage, ils comprirent finalement que l'agitation n'était centrée qu'au quatrième étage.

 On monte, dit-elle en s'élançant vers les ascenseurs.

En arrivant dans les locaux de la direction, ils se confrontèrent à la foule regroupée dans le

petit espace central. Ils se faufilèrent donc entre chaque personne présente jusqu'à arriver devant un

couloir bien gardé.

 Excusez-moi : Meydân Hederling, se présenta-t-elle badge en main à un officier.

Ce dernier regarda alors son bracelet de service, vérifiant le listing de personnes autorisées à

entrer dans cette partie gardée du bâtiment, avant de hocher négativement de la tête.

 Je suis cheffe de projet ici ! s'exclama-t-elle révoltée.

L'homme hocha la tête une seconde fois.

 Viens Mey, dit alors Jayden en la saisissant par le bras.

 Attends, c'est inadmissible !

En sentant le jeune homme l'embarquer avec lui sans ménagement jusqu'à l'ascenseur,

Meydân se sentit obligée de réagir.

 Hé ! On ne va pas lâcher l'affaire aussi facilement ! clama-t-elle.

 Je te rassure, on ne lâchera rien, répondit Jayden en sélectionnant le rez-de-chaussée. Mais il

ne faut pas qu'on reste là.

Quand les portes se refermèrent, il put enfin préciser sa pensée :

 Si ton père nous a refusé l'accès à cet endroit, il refusera également de nous entendre.

 Mais Silhaée…

 Personne ne nous laissera plus l'approcher, la coupa Jayden réaliste. Il faut qu'on trouve un

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autre angle d'attaque et vite…

Sur ces mots, les portes de l'ascenseur se rouvrirent, leur offrant ainsi le loisir de traverser le

hall principal toujours aussi désert. Et alors qu'ils trottinaient en direction de la cafétéria pour s'y

réfugier le temps de leur réflexion, Jayden s'arrêta brusquement.

 Non viens, s'exclama-t-il en changeant brusquement de direction.

Meydân le regarda alors courir vers les vestiaires, lui emboîtant le pas avec perplexité.

Quand elle passa la porte à son tour, elle reçut des mains de Jayden une tenue de passeuse

encore emballée.

 Qu'est-ce que… dit-elle en dépliant le tout.

 J'ai trouvé, s'exclama-t-il en enlevant son t-shirt pour le substituer à sa propre tenue de

passeur.

 Quoi ? demanda Meydân interdite.

 Un autre angle d'attaque, répondit-il avec évidence. Silhaée est et restera au centre de

l'attention jusqu'à ce qu'on fixe son destin pour elle. Nous ne pourrons donc rien faire si

nous continuons de réfléchir à une solution « directe ».

Tout en écoutant l'idée développée par Jayden, Meydân commença elle-aussi à substituer ses

vêtements contre la tenue de passeuse.

 Tu as entendu le même discours que moi ? dit-il en faisant référence au communiqué de

l'Orateur écouté précédemment dans la voiture. Ils ont réussi à camoufler les propos de

Silhaée derrière une fausse identité, accompagnée d'une fausse histoire. Personne ne mettra

donc en doute ce que le grand Jodd Altwood a annoncé dans un communiqué officiel…

 C'est là tout le problème, confirma-t-elle.

 On est d'accord. Mais qui douterait en revanche des propos d'un employé de LEXO ? …

Surtout s'il s'agit à la fois d'un employé, d'un patient-testeur et du fils du grand dirigeant du

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groupe ? …

 Eyrin ?! lâcha alors Meydân.

 J'avais d'abord pensé à toi mais tu me sembles bien trop associée au succès du vaccin anti

ERR-6…

 Oui ce serait une erreur, confirma-t-elle. Je ne peux pas dénoncer les agissements de LEXO

tout en valorisant un vaccin qui a été créé en mon nom. Les gens risqueraient de faire

l’amalgame et je ne veux surtout pas essayer de résoudre un problème en en créant un

autre…

 Donc on est d'accord, conclut Jayden. S'il y en a bien un qui peut faire pencher la balance en

notre faveur sans risquer de mettre en péril la campagne vaccinale, c'est Eyrin.

Galvanisée par l'envie et le courage, Meydân noua avec fermeté un bandana de protection

autour de son crâne puis tendit une main ferme à Jayden qu'il clappa avec hargne avant de sortir du

vestiaire.

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26

Live

Quand Silhaée vit Erdowel entrer dans sa cellule de captivité, sa réaction fut instantanée :

 ESPÈCE DE SALAUD ! éclata-t-elle de rage en s'agitant avec brutalité sur sa chaise.

 Silhaée… dit alors le médecin.

Mais il fut aussitôt interrompu d'un geste de la main par Atân. Ces derniers attendirent alors

en silence pendant quelques minutes, le temps pour la jeune femme de déverser toute sa colère sur

Erdowel. Puis, quand elle sembla aussi essoufflée qu'épuisée, Atân reprit la parole comme s'il ne

s'était rien passé :

 Bien… dit-il en s'approchant d'elle.

Malgré un cortège de dix agents de sécurité autour d'elle, Silhaée ne se laissa pas intimidée

et exerça un violent mouvement de corps pour dissuader le directeur d'approcher davantage.

 Au risque de te surprendre, je comprends ta colère, dit-il.

 Je refuse de parler avec vous, s'exclama-t-elle mâchoire serrée.

 D'accord, en revanche tu n'auras pas d'autres choix que de m'écouter, répondit-il triomphant.

 Vos paroles ne sont que du venin dans mes oreilles, répondit-elle en crachant chacun de ses

mots avec dégoût. Je me fous de vos excuses ou de vos justifications sur le sort qui m'est

réservé. Vous êtes un monstre, c'est tout ce que vous êtes.

 Un monstre ? releva Atân en se retournant vers Erdowel. Tu entends ça Jack ? Je serais un

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monstre sans cœur qui aurait pourtant sauvé la vie de milliards de personnes…

 Vous faites passer ça pour une démonstration de fraternité mais il n'en est rien, rétorqua-t-

elle. Toutes ces recherches n'étaient destinées qu'à inscrire votre nom dans la légende et

redorer la réputation de votre défunt père, considéré depuis toujours comme l'auteur du plus

grand échec médical que le monde ait connu.

Sur ces mots, Atân sembla nettement moins patient. Il recula d'un pas en direction du

médecin et sembla réfléchir à sa prochaine réponse :

 Vous devriez avoir honte… l'interrompit-elle dans sa réflexion. Peut-être allez-vous sauver

des milliards de gens sur cette planète et ce malgré des motivations plus que douteuses…

Mais vous vous apprêtez à en abandonner des millions d'autres sans aucune autre

considération que celles que vous avez développées pour votre tranquillité et votre argent…

 De toute évidence, tu as eu le temps de discuter avec Eyrin, n'est-ce pas ? la piqua-t-il.

La jeune femme fit alors le choix de ne pas répondre à cette question (qui n'en était pas

vraiment une) et attendit de ce dernier qu'il complète son idée :

 Il n'y a que lui pour émettre de vives conclusions sans prendre le temps de se renseigner sur

les choses, l'accusa Atân.

 Je vous défends de parler de lui comme ça ! bondit-elle.

 Je ne l'insulte pas, je constate c'est tout, argumenta-t-il. Eyrin est peut-être mon fils mais il

est un banal être humain avant tout. Il a aussi le droit de faire des erreurs…

 Que voulez-vous dire ? … demanda Silhaée à mi-chemin entre l'intrigue et la méfiance.

Satisfait par la réaction de la jeune femme, le directeur se pencha plus encore vers elle,

prenant un air grave, celui que l'on adopte en souhaitant révéler de trop lourds secrets. Mais au

moment où il allait se lancer, la porte de la cellule de captivité s'ouvrit, laissant ainsi apparaître le

visage tétanique de Maddy :

 Monsieur Hederling : ils arrivent, prévint soudainement la secrétaire.

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 Bien… dit-il avant de plonger de nouveau son regard dans celui de Silhaée. Toi qui voulais

tant avoir des réponses : sois tranquille, elles seront bientôt là.

Meydân et Jayden purent s'engouffrer dans le Transiteur sans aucun problème. Les policiers

en surveillance n'étaient concentrés que sur les entrées du bâtiment et les lieux dits « sensibles » ;

autrement dit le laboratoire et le quatrième étage. De plus, LEXO avait offert des congés

exceptionnels à ses employés durant les trois jours de campagne vaccinale, une façon pour eux de

travailler cette belle image médiatique à laquelle ils tenaient tant.

 Monte ! s'exclama Jayden à l'attention de Meydân en pointant l'un des deux fourgons du

hangar.

La jeune femme ne se fit pas prier et grimpa à bord du véhicule cloisonné, celui destiné aux

transports de caisses. Puis elle regarda Jayden se charger de verrouiller les portes d'entrée du

Transiteur depuis l'intérieur avant de la rejoindre.

 Aller, s'exclama-t-il en lançant enfin l'ouverture du couloir tubé.

Quand ils se retrouvèrent à l'intérieur de ce dernier, Meydân et Jayden profitèrent de la

transparence des parois pour regarder au loin les nombreux véhicules à l'arrêt. Voitures de police et

de journalistes se faisaient face devant la grande entrée principale du parking du groupe. Depuis la

fin du discours de l'Orateur, les médias faisaient le pied de grue, attendant la plus petite interview, le

plus petit mot du directeur de LEXO après ce premier jour de campagne vaccinale.

 Ce qu'ils peuvent être ridicules à attendre comme ça après les deux pauvres phrases que mon

père voudra à peine leur lâcher… pesta Meydân.

 Peut-être… Mais en attendant ils détournent l'attention des policiers, fit remarquer Jayden.

Alors on ne va pas s'en plaindre…

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 … C'est juste, admit-elle.

Sur ces mots, ils sentirent le fourgon de transport ralentir progressivement. Ce dernier allait

entrer dans le sas d'accès à l'Expéria.

 Bon alors, se reconcentra Jayden avant de récapituler. On entre, on rejoint le centre de soins

continus. Tu y vas la première, tu checkes, tu me fais le signal, j'entre et je fonce dans l'aile

Ouest.

 T'as bien mon badge ? dit-elle.

Jayden tapota sa poche en y joignant un clin d’œil.

 J'attends cinq minutes que tu rejoignes la chambre d'Eyrin, poursuivit-elle, et j'active

discrètement le code bleu9 dans une salle du premier étage.

 Au son de l'alarme, nous attendons.

 Moins d'une minute, précisa Meydân. Il n'en faudra pas plus aux curateurs pour se précipiter

dans la salle en question.

 Entendu, répondit-il.

Le fourgon venait de s'immobiliser dans le sas, recevant l'ultime filtrage anti-particulaire

avant l'autorisation d'accès au dôme.

 Si vous êtes assez rapides pour sortir du centre de soins continus, vous pourrez rejoindre le

fourgon sans encombre, précisa Meydân. Et si de mon côté j'ai été assez discrète pour semer

la pagaille sans être remarquée, je vous y attendrais.

Jayden acquiesça d'un signe de tête motivé avant de voir la grande porte de l'Expéria s'ouvrir

de bas en haut. Le fourgon s'introduit ensuite dans le dôme et s'arrêta comme à chaque fois dans la

zone zébrée qui lui était réservée. Sous le regard de quelques patients-testeurs curieux en partance

pour le réfectoire, ils sortirent du véhicule et commencèrent à traverser les allées formées par les

Alarme de secours présente dans chaque aile de surveillance, permettant aux curateurs des ailes adjacentes d'être
9

avertis d'un besoin immédiat de personnel dans le cadre d'une urgence.

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résidences. En croisant plusieurs micros groupe de personnes, ils entendirent quelques messes

basses, quelques questionnements.

 Vous apportez nos traitements ? leur demanda directement l'un d'eux.

Loin de cette réalité, Meydân et Jayden s'échangèrent un regard avant de répondre par la

négation et de poursuivre leur chemin. Sur toute la distance les séparant du centre de soins continus,

ils sentirent sur eux des regards mitigés. Parfois ils entendirent des cris de colère, d'autres fois ils

croisèrent des sourires plein d'espoir.

 Qu'est-ce qui se passe ici… susurra Jayden.

 Je n'en sais strictement rien… répondit Meydân de la même manière.

En arrivant à l'orée des dernières allées de résidences, ils s’arrêtèrent un instant et jetèrent un

coup d’œil en direction du centre de soins continus.

 Bon… Aller, s'exclama Meydân en peinant à masquer son stress.

 Tout va bien se passer, la rassura Jayden derechef. Si on a pu sortir Silha d'ici, je ne vois pas

ce qui pourrait nous empêcher d'en faire de même pour Eyrin.

Meydân s'emplit alors de ses encouragements et l'enlaça une dernière fois avant de s'élancer

vers le centre de soins continus.

En passant les portes du hall d'entrée, elle fut surprise de constater qu'un étrange bureau

d'accueil y avait été installé.

 Oh bonjour Mademoiselle Hederling, s'exclama une curatrice qui reconnut immédiatement

la cheffe de projet en recherche clinique.

 Bonjour… répondit-elle embêtée.

 Vous avez besoin de quelque chose peut-être ? supposa-t-elle.

 Je… venais voir une patiente-testeuse… Une patiente incluse dans un protocole particulier

qu'il fallait que j'évalue une dernière fois pour boucler un projet d'études, se justifia-t-elle en

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se trouvant beaucoup moins convaincante que ce qu'elle aurait espéré.

 Quelle patiente ? demanda alors la curatrice en se munissant d'une cartographie numérique

de placements de patients dans le centre de soins.

N'ayant pas pu anticiper ce moment, Meydân se trouva une nouvelle fois prise au dépourvu

et dans l'obligation de rebondir très rapidement :

 Ne t'embête pas, dit-elle en feintant le détachement. Je sais où elle se trouve…

 Parfait, dit alors la curatrice. En revanche je vais devoir vous demander de patienter un peu.

 Pardon ? répondit-elle en jetant furtivement un coup d’œil vers Jayden.

Ce dernier ne semblait pas comprendre ce qu'elle attendait. La disposition du hall ne

permettait pas d'apercevoir le bureau depuis l'endroit où il se trouvait, ce qui faussait complètement

ses interprétations.

 Ce sont nos nouvelles directives Mademoiselle Hederling, tenta de lui rappeler la soignante.

Aucun visiteur ne doit entrer dans le centre sans accompagnant. Ma collègue est partie en

pause, je dois donc attendre son retour avant de vous accompagner. Il faut toujours qu'il y ait

quelqu'un derrière ce bureau.

En entendant ces explications, Meydân sentit la panique l'envahir peu à peu. Comment

Jayden allait-il faire pour rejoindre l'aile d'hébergement d'Eyrin dans de telles circonstances.

 Ah oui c'est vrai… dit-elle en faisant semblant de se souvenir de ce détail. Cela dit c'est très

embêtant…

 Pourquoi donc ? s'étonna la curatrice.

 C'est-à-dire que je ne peux pas me permettre d'attendre le retour de ta collègue… tenta-t-elle

en prenant un air désolé. Les journalistes m'attendent pour une interview sur le vaccin anti

ERR-6 et je n'aurais pas l'occasion de repasser voir cette patiente avant plusieurs jours… Ce

qui n'exclue pas la possibilité qu'elle soit décédée d'ici là… Et pour être honnête avec toi, ce

serait terrible pour mon projet d'études…

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La curatrice sembla alors profondément embêtée par la situation.

 … Bon… Après tout, vous n'êtes pas une visiteuse comme les autres, abdiqua-t-elle

finalement.

Meydân lui adressa un sourire plein de reconnaissance, s'attendant à ce qu'elle cède enfin et

l'accompagne dans les étages sans attendre le retour de sa collègue. Mais en lieu et place de cela elle

répondit avec gentillesse :

 Allez-y sans moi.

 Non ! dit brusquement Meydân. Euh… Je veux dire non, je ne voudrais pas qu'il t'arrive des

problèmes si on apprenait que tu as laissé entrer un visiteur sans l'accompagner...

 Il pourrait m'en arriver tout autant si on apprenait que j'ai quitté ce bureau sans attendre le

retour de ma collègue, fit-elle remarquer. Non vraiment allez-y, il n'y aura pas de problème.

 J'ai une idée : je n'ai qu'à prendre l'escalier, dit alors Meydân en pointant du doigt l'accès de

sécurité donnant sur le hall. Tu n'aurais qu'à me regarder monter jusqu'au premier tout en

restant au rez-de-chaussée. Ainsi tu ne dérogerais pas à tes consignes et moi je n'aurais pas à

attendre le retour de ta collègue.

Après une brève réflexion, un petit rire échappa à la curatrice qui semblait s'amuser de la «

rigidité intellectuelle » de sa cheffe de projet.

 Si ça peut vous faire plaisir, dit-elle alors en se levant de son fauteuil pour se diriger vers les

portes de l'escalier.

Meydân profita des quelques secondes durant lesquelles la curatrice lui passa devant pour

faire furtivement le signe à Jayden.

 Ta mission dans l'Expéria prend fin bientôt ? habilla-t-elle en entrant dans la cage d'escalier.

Elle laissa ainsi le temps à Jayden de trottiner jusqu'au hall.

 Non, je commence à peine, répondit la curatrice manifestement touchée par l'intérêt portée

par sa supérieure.

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 Aah… s'exclama Meydân en la saisissant soudainement par les épaules alors qu'il lui

semblait qu'elle s'apprêtait à faire demi-tour. Courage à toi…

Jayden venait d'entrer dans le hall, s'immobilisant un instant, le temps de comprendre les

complications auxquelles Meydân avait dû faire face.

 Merci Mademoiselle, répondit la curatrice.

Il s'engouffra alors sans plus tarder dans un ascenseur en tâchant néanmoins de conserver

toute sa discrétion.

 Merci à toi, répondit Meydân en la relâchant pour poursuivre sa montée dans l'escalier.

En voyant la curatrice refermer de nouveau la porte battante sur un sourire compatissant, elle

réalisa avec difficulté à quel point ils avaient failli perdre, tout perdre.

Quand Jayden arriva dans l'aile l'Ouest, il se mit à longer les murs par sécurité. L'endroit

était bien plus que désert, il le savait. Mais au vu du contexte, il préférait jouer la carte de la

prudence. Ses multiples errances sur l'application de vidéosurveillance de l'Expéria lui avaient

permis d'avoir une quasi totale maîtrise des lieux. Il n'eut donc aucune difficulté à trouver la

chambre dans laquelle Eyrin avait été installé. En arrivant devant la porte concernée, Jayden sortit

le badge de Meydân de sa poche, l'approcha du capteur et en une fraction de seconde, déverrouilla

le tout.

 Eyrin… dit-il alors à voix basse en entrant dans la pièce.

L'endroit était complètement aseptisé, le lit découvert, la chaise retournée sur la petite table

à manger. Refusant d'admettre l'évidence, Jayden poursuivit ses recherches, entrant hâtivement dans

l'espace salle de bain :

 Eyrin ! héla-t-il d'une voix plus claire.

Devant l'absence de réponses, il revint précipitamment dans l'espace principal de la chambre

en saisissant son crâne de part et d'autre tant la crainte lui envahissait l’esprit :

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- BUP BUP BUP BUP BUP BUP… -

éclata brusquement l'alarme du code bleu.

 Oh non pas déjà ?! s'exclama Jayden pas surpris pour autant par ce tintement fracassant.

Il trépigna alors quelques secondes sur place avant de sortir de la pièce et de se mettre à

courir vers l'escalier de secours. Le moral défait, des interrogations plein la tête, il réalisa un peu

tard qu'il n'avait pas attendu la précieuse minute de battement prévue dans le plan initial... Il croisa

en conséquence de nombreux curateurs qu'il n'aurait pas dû voir. Fort heureusement, sa tenue

d'employé LEXO le fondit à merveilles dans la foule, une foule bien trop préoccupée par l'agitation

générale pour prêter une attention toute particulière à cet intrus. Jayden put donc quitter le centre de

soins continus sans mal, se mettant brusquement à courir vers le fourgon.

 Putain de putain de putain… s'exclamait-il en boucle en traversant les allées.

En imaginant la profonde déception de Meydân en le voyant revenir seul, il eut envie de

frapper dans un mur. Il n'arrivait pas à comprendre à quel moment ils s'étaient fourvoyés. Pourquoi

Eyrin n'était-il plus dans cette chambre ? Qu'en avaient-ils fait ? Était-il seulement… encore en

vie ? …

 « Jayden ?!» entendit-il brusquement dans une allée perpendiculaire à celle qu'il traversait

en courant.

 Oh putain ! s'exclama-t-il de nouveau en manquant de tomber à la renverse tant la surprise

était grande.

Entouré par ses compagnons d'infortune, le principal intéressé se tenait à quelques mètres de

lui.

 Eyrin ?! s'exclama Jayden ahuri.

 Qu'est-ce que tu fais là ? dit-il tout aussi stupéfait en arrivant à lui.

 Oh mon Dieu merci ! Viens !

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Sur ces mots, il saisit la manche de sa tunique, l'incitant ainsi à courir à ses côtés jusqu'au

fourgon.

 Qu'est-ce qui se passe et qu'est-ce que tu fais là ? demanda Eyrin sans daigner avancer. Et

qu'est-ce que c'est que cette tête, on t'a frappé ?

Dans l'ignorance la plus totale des événements extérieurs, il ne semblait pas prendre la

mesure de l'instant.

 Silha, synthétisa Jayden. Ils l'ont retrouvé.

 Quoi ?! s'exclama Eyrin, doublé par la voix de ses trois compères.

Brenn, Rix et Gaële attendaient auprès de lui, oreilles tendues, bouches bées.

 Est-ce qu'elle va bien ? ajouta Brenn du tac au tac.

 Je ne sais pas, c'est compliqué pour l'instant, s'excusa Jayden toujours aussi speed. Mais si

nous ne sortons pas Eyrin d'ici pour dénoncer les agissements de LEXO, nous sommes

foutus… Vous êtes foutus…

Figé par la surprise, alourdi par la stupeur, Eyrin sembla un instant comme prisonnier de son

corps. Lui qui s'était battu depuis le départ pour ne pas être sorti du dôme sans que l'on accepte ses

conditions, se faisait tout à coup imposer son extraction sans explication, en partant seulement du

principe qu'il n'y avait pas d'autre solution.

 Fonce ! lui ordonna alors Rix en le repoussant de la main.

L'impulsion de ce dernier interrompit la profonde réflexion d'Eyrin qui s'élança enfin aux

côtés de Jayden, courant dans ses pas en clamant une dernière phrase à l'intention de Brenn, Rix et

Gaële :

 On se retrouvera dehors, je vous le promets !

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Jodd Altwood et le présentateur télé dialoguaient face caméra depuis bientôt plus d'une

heure. La décontraction avait remplacé la nervosité ambiante, à tel point que l'Orateur ne semblait

plus douter de la crédibilité accordée par le reste du monde.

 (…) et c'est ce qui a engendré une économie monstre, termina-t-il en ventant une fois de

plus les dernières décisions qu'il avait su prendre pour soutenir LEXO.

 Tout ça est incroyable… répondit le présentateur qui lui passait une fois de plus de la

pommade dans le dos. Ah ! Excusez-moi Monsieur Altwood mais on m'annonce une priorité

au direct.

Les écrans géants en arrière-plan diffusèrent alors le visage d'un journaliste, posant

fièrement devant le gigantesque portail d'accès à LEXO.

 Alors Earl ? lança le présentateur. Du nouveau ?

 Ça ne saurait tarder, répondit ce dernier en affichant son plus beau sourire. Comme vous le

savez, Atân Hederling, le dirigeant de LEXO, a promis une interview bouclant le premier

jour de cette incroyable campagne vaccinale. Il a prévenu qu'elle aurait lieu sur le site de son

groupe, dès la fermeture des postes de vaccination. Et nous apprenons à l'instant que le

dernier poste vient de fermer ses portes.

 Ça ne devrait plus tarder alors… conclut le présentateur avec hâte.

 Si Mr Hederling tient ses engagements, ça ne devrait être l'affaire que de quelques minutes.

 Atân est un homme de paroles, dit Altwood. Il sera là en temps voulu.

En arrivant au fourgon, Jayden fit monter prestement Eyrin dans la partie réservée aux

caisses avant de retrouver Meydân à l'avant du véhicule.

 Ça a marché ! s'exclama alors la jeune femme ravie.

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 Oui, répondit Jayden en activant la sortie automatique du dôme. Mais pas du tout comme on

l'avait imaginé.

Durant les quelques minutes qui les séparèrent de l'arrivée dans le Transiteur, Meydân et

Jayden se racontèrent mutuellement leurs passages dans le centre de soins continus, se surprenant

l'un l'autre par les multiples complications auxquelles ils avaient été confrontés.

 Mais qu'est-ce qu'Eyrin faisait dans le dôme avec les autres ? s'exclama Meydân.

 Je n'en sais strictement rien, avoua Jayden. Et nous n'avons pas eu le temps d'en parler

davantage.

Le ralentissement progressif du fourgon à l'entrée du sas du Transiteur les interrompit ; ils

venaient de revenir. Quand ils furent complètement stationnés dans l'une des places du hangar, ils en

descendirent avec hâte et se jetèrent sur les portes du coffre.

 Rini ! s'exclama enfin Meydân en découvrant le visage souriant mais quelque peu creusé de

son frère.

 Mey ! répondit ce dernier en sautant instantanément dans ses bras.

Ils s'étreignirent pendant une bonne minute avant d'être conduits par Jayden dans une zone

plus reculée du Transiteur.

 Allez-vous enfin m'expliquer ce qu'il se passe ? s'exclama Eyrin sitôt qu'ils furent

retranchés.

Meydân et Jayden se lancèrent derechef dans un résumé efficace des nombreux événements

et rebondissements qui avaient eu lieu depuis son affectation, lui permettant ainsi de comprendre

pourquoi aujourd'hui ils avaient désespérément besoin de lui.

 C'est pour ça qu'il faut qu'on te fasse sortir d'ici, termina Meydân. J'organiserai ensuite une

interview exceptionnelle en ma présence où j'apporterai « soi-disant » un support vidéo pour

présenter la maquette du projet anti ERR-6. Mais à la place, je diffuserai ta future vidéo de

propagande qui viendra confirmer ce que Silha a déjà dénoncé auparavant.

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 Je ne peux pas tout simplement venir avec toi sur un plateau télévisé ? imagina Eyrin. Je n'ai

aucun problème avec l'idée de dénoncer les mauvais choix de notre père en direct…

 Non, trop risqué, dit-elle. Ils ne vont pas tarder dans le dôme à savoir qu'on t'a fait sortir, tu

risques donc d'être vite la cible des agents de Papa. Et même si je connais tes préférences

pour les luttes « frontales », il faut qu'on te garde hors d'atteinte. C'est plus sûr.

 On a pensé à de nouveaux endroits plus stratégiques, précisa Jayden. Il faudra que tu restes

caché jusqu'à ce qu'on soit sûrs que la roue ait bien tourné pour nous.

 En gros jusqu'au visionnage de la vidéo qu'on va te faire faire, boucla Meydân.

Sentant qu'il n'aurait pas vraiment le choix sur ce coup-là, Eyrin finit par accepter la

proposition. Ils viseraient la prudence plus que l'impulsion, même s'il avait des doutes sur

l'efficacité de cette option.

 Tu as des questions ? conclut Jayden.

 Ça ? dit-il en pointant son visage contusionné. Il me manque une info là.

 Oh euh, rien d'important.

 Tu es sûr ? insista-t-il.

 Chaque chose en son temps, contourna-t-il.

 Nous parlerons de ça plus tard, esquiva Meydân elle-aussi. Pour l'instant, il faut

impérativement que l'on soit efficaces si nous voulons nous assurer qu'aucun mal ne sera fait

à Silha.

 Ça n'arrivera pas crois-moi, répondit Eyrin en sentant la colère monter en lui.

Sur ces mots, ils quittèrent enfin le Transiteur, empruntant un couloir dont l'ouverture

donnait sur quelques marches précédant le hall principal. En arrivant au bout de celui-ci, ils

commencèrent à scruter les lieux, déserts jusque-là.

 En face… murmura Jayden en pointant du doigt les vestiaires du personnel.

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Une fois la prochaine direction indiquée, il s'élança dans un pas de course modérée jusqu'au

point d'arrivée, traversant le hall de part en part. Meydân attendit qu'il passe la porte du vestiaire,

jeta un nouveau coup d’œil circulaire puis s'élança à son tour, rejoignant Jayden en quelques

secondes avant de se tourner vers son frère.

 Aller, murmura-t-elle en lui faisant signe de les rejoindre prestement.

Eyrin fit alors les mêmes surveillances que sa sœur, jetant un coup d'œil derrière lui puis de

chaque côté du grand hall avant de sortir de sa cachette pour rejoindre la suivante. Seulement, alors

qu'il venait à peine de faire quelques pas, les portes d'entrée principales du grand bâtiment

s'ouvrirent, lui imposant de devoir brusquement rebrousser chemin.

 Oh non ! dit Meydân alors que Jayden refermer sur eux la porte des vestiaires pour ne pas

être vus.

Ni une ni deux, ils empruntèrent le long couloir interne des vestiaires pour arriver devant

une petite fenêtre donnant sur le hall.

 Qu'est-ce que c'est que ça encore ? s'exclama Jayden en tentant d'observer le plus

discrètement possible les nouveaux arrivants.

Un attroupement de policiers et de gardes du corps privés venait d'arriver dans le hall,

entourant un binôme, un couple plus précisément, qui se dirigeait avec une certaine connaissance

des locaux vers les ascenseurs.

 Attends… dit alors Meydân en plissant le regard. Je les connais…

Jayden essaya de regarder plus attentivement le couple d'inconnus avant d'attendre un

complément d'informations de la part de la jeune femme.

 Je les ai déjà rencontré… précisa-t-elle.

En les voyant appeler les ascenseurs, elle tenta un ultime effort de mémoire.

 Ça y est ! Ils étaient présents à la réunion exceptionnelle après l'enlèvement de Silha.

 Et alors, qui sont-ils ? demanda Jayden avide d'en apprendre davantage.

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 Ça je ne sais pas exactement… J'étais en retard ce jour-là, j'avais loupé le tour de table des

présentations. Mais je pense qu'il s'agissait encore d'actionnaires majoritaires avec lesquels

mon père avait signé d'importants accords financiers…

Jayden acquiesça d'un signe de tête puis regarda le couple s'engouffrer dans l'ascenseur

avant de jeter un coup d’œil machinal vers l'accès au Transiteur.

 Hé ! bondit-il, faisant sursauter Meydân par la même occasion.

 Quoi ?! s'exclama-t-elle.

 Eyrin ! Mais qu'est-ce qu'il fout ?!

Ce dernier venait de sortir de sa cachette et se dirigeait d'un pas assuré, non pas vers les

vestiaires comme indiqué, mais vers les portes principales du groupe.

 Oh non non non ! s'exclama Meydân.

Elle s'apprêtait à quitter le vestiaire quand Jayden la retint par le bras.

 Attends, dit-il en pointant du doigt la vitre par laquelle ils observaient depuis tout à l'heure.

Au moment où Eyrin franchissait les portes de sortie du groupe, les policiers escorteurs

repartaient enfin des ascenseurs.

 Quoi ?! s'exclama Meydân en voyant son frère sortir de LEXO sans filet.

 Il est trop tard pour rattraper Eyrin mais pas pour les arrêter eux ! signala-t-il à juste titre en

indiquant les policiers.

 … Tu as raison, reconnut-elle. Occupons-les !

À défaut de savoir ce qu'Eyrin avait en tête, Meydân et Jayden prirent l'option de distraire

les agents qui s'apprêtaient à sortir. Sans leur intervention, Eyrin allait être pris en étau entre ce

groupe et les autres policiers postés à l'extérieur dont il n'avait à priori pas imaginé la présence.

 AAAAH ! s'exclama alors Jayden.

Ce dernier venait de sortir des vestiaires en titubant, positionnant ses mains sur son visage

de sorte à laisser entrevoir quelques hématomes encore bien présents.

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 Aidez-nous ! s'exclama Meydân en entrant dans son jeu sans se poser de question. Un intrus

est entré par-là, il vient de nous attaquer !

Les policiers eurent alors la réaction attendue. Ils se regroupèrent en un bloc avant de courir

vers les vestiaires, armes de service en mains, attention détournée vers une cible imaginaire.

Silhaée n'avait de cesse de remuer sur sa chaise, regardant fixement Erdowel, lui-même assis

dans le fond de la cellule de captivité. Atân, quant à lui, s'était absenté un instant. En apprenant

l'arrivée des principaux intéressés sur le site du groupe, il s'était décidé à aller au-devant d'eux pour

les accueillir.

 Il faut que je sorte, annonça Erdowel à l'un des gardes.

Il semblait ne plus supporter le regard dégoûté de sa captive qui pesait depuis de longues

minutes sur lui.

 Fuyez, c'est tout ce que vous savez faire, lui dit Silhaée les poings serrés.

Alors qu'il allait quitter la pièce, Erdowel s'immobilisa un instant.

 Je sais que tu nous en veux, que tu m'en veux personnellement, dit-il en se ravisant

finalement. Mais ne sois pas trop médisante, trop injuste… Parce qu'il y a des propos que tu

pourrais regretter quand tu en sauras davantage.

 Je ne pense pas non, rétorqua-t-elle sans le moindre doute.

Erdowel lui adressa alors un sourire… Un sourire en demi-teinte, mêlant à la fois le ridicule

qu'il ressentait face à sa réponse et la peine, l'amertume que lui infligeait la situation.

- Tiip ! -

Le bip du déverrouillage de porte mis enfin un terme à cet échange un peu particulier. Puis
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les contours de l'ouverture de la cellule s'illuminèrent de bleu avant de laisser apparaître une troupe

entière, conduite fièrement par Atân.

 Nous y voilà, dit-il enfin en franchissant le seuil d'un pas ferme.

Derrière lui, un amas de gardes du corps entourait un couple, un homme et une femme qui

entrèrent dans la pièce sitôt qu'ils y furent invités.

 Maintenant je veux que tout le monde sorte, dit enfin Atân en désignant les agents de

sécurité.

Il garda seulement auprès de lui Erdowel et ses deux nouveaux arrivants que Silhaée

décortiqua du regard avec curiosité le temps que l'on procède à l'évacuation des dizaines de

personnes présentes. L'homme avait beaucoup de prestance, un peu à l'image d'Atân, mais il

semblait nettement plus modeste. Il portait une barbe fine gris métallisée grimpant sur ses joues

jusqu'à rejoindre la découpe naturelle de son cheveu court. Il y avait quelque chose de magnétique

chez lui, comme une aura naturelle que Silhaée associa au bleu violine de ses yeux. Elle qui avait de

magnifiques iris parme en savait quelque chose sur le pouvoir attractif qu'un tel regard pouvait

accorder. Elle centra ensuite son attention sur l'autre personne du couple, la femme. Sa magnifique

peau chocolat et ses grands yeux noirs aux longs cils de biche ne pouvaient laisser personne

indifférent, c'était un fait. Silhaée pensa qu'elle avait dû être mannequin par le passé… Mais son

petit air autoritaire et sa démarche de femme d'affaires troublaient en partie ses hypothèses.

 Bien, dit Atân quand la porte de la cellule fut enfin refermée. Nous y voilà : Lenny, Asara…

Voici votre Silhaée.

« Votre » tiqua cette dernière. Elle, qui jusqu'alors ne s'était concentrée que sur ce qu'elle

voyait, se fit soudainement la remarque suivante : ce couple n'avait pas eu l'air surpris de la

découvrir…

 Détachez-la, ordonna l'homme à la barbe fine.

Atân sembla un peu pris de court par cette demande qui ne répondait pas tellement à ce qu'il

attendait de leur venue… Mais devant le regard appuyé de la femme de ce dernier, il fit signe à

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Erdowel d'exécuter la consigne. Le médecin pressa donc une commande au dos du siège et

déboucla en un clic les anneaux qui lui maintenaient le buste, les bras et les jambes. Silhaée frotta

ensuite pendant quelques secondes les marques laissées par les points d'attache avant d'observer de

nouveau avec méfiance ces deux étrangers devant elle.

 Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ? clama-t-elle en adoptant une posture de retrait.

Erdowel regarda alors Atân qui à son tour regarda le couple face à lui dans un silence

révélant toute l'intensité du moment. L'homme, répondant au nom de Lenny, prit la main de sa

femme, Asara, et dit enfin d'une voix claire et calme :

 Nous sommes tes parents.

 Du nouveau Earl ? dit le présentateur à son journaliste, toujours présent devant LEXO.

 Ça ne devrait plus tarder, meubla ce dernier. Il semblerait, selon nos sources, qu'Atân

Hederling soit en train de peaufiner son prochain discours.

Et alors qu'il s'élançait dans un blabla destiné à faire patienter les téléspectateurs, une

agitation soudaine se fit sentir derrière lui.

 Ah ! Ah ! Notre homme arriverait-il enfin ? dit Earl.

Ni une ni deux, il effectua un rapide zoom avec son DVE10, filmant la scène pour ne rien

rater de l'arrivée du dirigeant.

 Attendez, non je pense qu'il s'agit d'une erreur, se corrigea-t-il.

Le droïde venait d'effectuer un zoom sur la silhouette en approche, révélant certains détails

qui permettaient d'axer les commentaires.

 Il ne s'agit pas d'Atân Hederling, rectifia-t-il. Pourtant c'est incroyable ce qu'il lui

10
Droïde Volant d'Enregistrements.

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ressemble !

Les autres médias sur place commencèrent à leur tour à discuter entre eux de l'identité de cet

inconnu arrivant vers eux d'un pas assuré.

 Mais… C'est un patient-testeur ! s'exclama Earl en dé-zoomant légèrement pour capturer la

tenue entière au design très significatif.

En voyant l'homme se faire arrêter à quelques mètres d'eux par les policiers, les journalistes

donnèrent de la voix.

 Nous allons tenter d'en savoir plus, dit Earl qui ne pouvait malheureusement pas approcher

davantage son DVE pour réaliser un audio.

Les puissants brouilleurs des véhicules de police noyaient volontairement les récepteurs de

n'importe quel droïde d'enregistrement à l'intérieur du site.

 Êtes-vous bien sûr qu'il s'agit d'un patient-testeur ? dit alors le présentateur.

 C'est forcément une erreur, rétorqua Jodd Altwood en y joignant un rire jaune.

 Attendez ! s'exclama soudainement Earl. Les policiers ne veulent pas le laisser sortir du

groupe mais ils ne sont pas en mesure de lui interdire une interview depuis le portail. Nous

allons donc peut-être en savoir davantage…

Sitôt dit, il élança son droïde au plus près de la zone décrite et envoya l'image en gros plan

sur les écrans, filmant alors l'inconnu en train de prendre place pour s'exprimer. Les questions

fusaient de partout, l'énergie déployée par chacun des médias pour capter son regard était

impressionnante. Mais seul Earl, le journaliste de l'unique chaîne de diffusion de la campagne

vaccinale, fut invité à lui parler :

 Qui êtes-vous ? … dit-il alors fébrile.

 Qui suis-je ? … répéta ce dernier avec lenteur. Je vais vous dire « qui je suis », mais

permettez-moi d'abord de vous faire remarquer que la question « Que voulez-vous ? » aurait

été bien plus utile.

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Earl fut complètement surpris par cette étrange personne dont la répartie et l'assurance sans

faille étaient pour ainsi dire presque intimidantes.

 Je suis un employé de LEXO… compléta-t-il enfin. Mais je suis aussi un chercheur de

formation… Et également depuis peu un patient-testeur… Et enfin, je suis Eyrin Hederling,

fils d'Atân Hederling.

En entendant cette annonce, le sourire acquis de Jodd Altwood se fracassa.

 D'accord… hésita Earl en sentant que cette interview allait définitivement transformer sa

carrière. Et donc, venons-en à l’essentiel : « Que voulez-vous » ? …

Eyrin leva alors brusquement les yeux en direction du droïde d’enregistrement volant à

hauteur de son visage et s'adressa ainsi directement aux milliards de téléspectateurs dans le monde :

 Je m'apprête à vous révéler toutes les horreurs que LEXO vous cache et vous a caché durant

toutes ces années. Alors soyez bien attentifs, car je n'aurais certainement pas d'autre

occasion de le faire.

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TABLE DES MATIERES

UJI – 2. L'ANTI ERR-6 1

1. Rêve éveillé 2

2. Sous conditions 6

3. L'ascenseur 16

4. Mot Code 25

5. Mise au point 32

6. Nouveaux alliés 39

7. Entre deux feux 46

8. Box huit 58

9. Les Outsiders 69

10. Affaire de famille 76

11. Femmes 83

12. Identité(s) 94

13. Dessert surprise 106

14. Transmissions secrètes 118

15. Nouvelle escale 132

16. « Allô ? » 139

17. Failles 151

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18. Triple avancée 165

19. Le prix à payer 181

20. Empathie 194

21. Coup(s) de poker 209

22. Les grands gagnants 222

23. Agir ou Subir 231

24. Échecs 242

25. Angles d'attaque 253

26. Live 262

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