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Trilobite Vénère (Martin Vlieghe)

La Bible du Bitenisme

"Dans soixante-neuf jours, un enfant naîtra, et ce jour sera le


plus beau que la Bitenterre n’ait jamais connu."
I. L’Ancien Testiculament

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1 Livre de la Genèse
Au commencement, il n’y avait rien. Et de ce rien naquit un être parfait, tout-puissant,
omniscient et omnipotent. Il n’avait pas de forme à proprement parler, du moins n’était-elle
pas descriptible dans notre langage. Bien qu’il possède de nombreux visage, de nombreuses
apparences et de nombreux noms, seul l’un deux était véritable : Bitenbois, le Grand. Bitenbois
possédait une force colossale, une souplesse légendaire et une surpuissance phénoménale. Et
Bitenbois était heureux. Cependant, aucune notion autre que Bitenbois n’existait alors. Ni
jour, ni nuit, ni temps, ni bonheur, ni tristesse, ni soleil, ni pluie. Seul était Bitenbois, entouré
de rien. Dans cet absence d’espace, Bitenbois réfléchissait, et Bitenbois inventait. Bitenbois
aimait être seul, mais il commençait à croire qu’il lui fallait construire quelque chose autour de
ce rien. Alors, Bitenbois créa le temps, pour le regarder passer. Bitenbois créa aussi l’espace,
pour pouvoir s’y déplacer. Cependant, Bitenbois fit l’espace si grand, dans Sa Toute-Puissance,
que lui seul pourrait jamais en explorer l’infini ensemble. Alors, Bitenbois créa la matière,
pour peupler l’espace. Comme Bitenbois était fabuleusement intelligent, il eut une idée qui
permettrait à la matière de s’étendre à l’infini, afin de conquérir l’ensemble de l’espace. Il
concentra toute la matière, qu’il venait d’inventer, entre ses doigts, et la fit exploser. Depuis ce
moment, que l’on appelle communément "Big Bang", la matière continue de s’étendre à travers
l’infini, et elle continuera encore jusqu’à la fin des temps.

Comme Bitenbois, le Gentil, était parfait, Il ne pouvait pas ressentir de fatigue. Il pouvait
donc continuer à inventer aussi longtemps qu’Il le désirait. Un jour, une nouvelle idée jaillit dans
Son Ultime Cerveau : Il venait d’inventer la vie. Bitenbois, le Créateur, décida de l’implanter sur
un fragment d’espace qui passait à ce moment, qu’il appela Bitenterre. Bitenbois, le Réfléchi, se
demanda alors quelle forme Il donnerait à la vie. Il imagina une créature avec quatre pattes pour
se déplacer, une bouche pour manger et boire, des poumons pour respirer et un coeur pour faire
circuler tout cela. Et Il vit que cela était bon. Comme Il venait d’inventer la vie, il imaginait
qu’une seule entité devrait contenir l’ensemble des caractéristiques du vivant. Dès lors, selon
notre classification moderne, l’être qu’Il avait créé possédait des caractéristiques animales et
végétales, lui permettant de vivre en autosubsistance totale. Bitenbois, le Génial, dit alors : "Je
te nomme Dieu Tronc. Tu seras le représentant sur la Bitenterre de ma Toute-Puissance. Pour
cela, je t’offre la vie éternelle. Tu porteras la lourde tâche de peupler la Bitenterre d’êtres te
ressemblant. Ils s’appelleront "Pokémon". A toi de décider ce que tu veux faire de ce pouvoir."
C’est ainsi que fut créé le monde des Pokémon, Son monde, un monde parfait, à Son image.

Dieu Tronc commença rapidement à créer de nouveaux Pokémon. Il leur donna des types
différents, des aspects différents et des formes différentes. Il permit également à certains de se
métamorphoser, afin de rendre leur vie plus fascinante. Sa première création fut un être très
similaire physiquement à lui-même. Car Dieu Tronc était prudent, et il voulait honorer l’Infinie
Sagesse de Bitenbois en perpétrant Sa propre création. Plus petite et plus mignonne que lui au
début de sa vie, elle pouvait se métamorphoser pour finalement lui ressembler trait pour trait.
Cependant, cette ressemblance n’était que physique, car ses créations n’étaient pas immortelles.
Elles vivaient, puis mouraient. Au fil du temps, Dieu Tronc inventa de plus en plus de nouveau
Pokémon pour lui tenir compagnie. Ces Pokémon louaient le Tout-Puissant Bitenbois, qu’ils
reconnaissaient tous comme leur créateur. Dans ce monde, Dieu Tronc était considéré comme
un dieu vivant, descendant direct de Bitenbois, et donc presque aussi acclamé que l’Unique
Bitenbois. Pendant de nombreuses années, Dieu Tronc vécut en paix avec son peuple. Bien qu’il
ne puisse pas s’empêcher de se sentir attristé par la mort de ses enfants au bout de leur vie, il
se réjouissait de voir réapparaître ses nouvelles créations. Cependant, bien qu’il fût immortel,
Dieu Tronc n’était pas parfait comme son créateur, Bitenbois, le Fantastique. Dès lors, de plus

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Dieu Tronc, Créateur des Pokémon

en plus, sa tâche le fatiguait. Plus ses créations mouraient, plus il devait en créer de nouvelles,
si bien qu’un jour, il ne pût plus tenir le rythme. Il alla donc trouver son Père, Bitenbois, le
Phénoménal, et lui fit part de la difficulté de sa tâche. Il eut alors une nouvelle idée. Bitenbois,
le Doux, dit à Dieu Tronc : "Crée un second exemplaire de chacun de tes Pokémon, mais rend
les capables de féconder leur double original. Ainsi, chaque double sera la base d’une espèce
de Pokémon, et chaque espèce pourra s’étendre librement sur la Bitenterre. Tu pourra alors
remonter auprès de moi, car ta tâche sur la Bitenterre sera accomplie." C’est ainsi que Dieu
Tronc ordonna à toute sa descendance de se réunir auprès de lui. Après leur avoir transmis la
parole du Grand Bitenbois, Dieu Tronc baptisa toutes ses créations originales "femelles", et les
rendit capable de se reproduire. Il produisit alors un clone de chacune des femelles. Ces clones
étaient inférieurs aux originaux, car ils ne pouvaient pas donner la vie eux-mêmes. Dieu Tronc
les appela "mâles". 1 Alors, Dieu Tronc monta au ciel, ou il siège encore aujourd’hui aux côtés
de Bitenbois, l’Insubmersible, son Créateur.

Au début de cette ère glorieuse, tous les Pokémon vivaient en paix. Ils cohabitaient tous
ensemble dans la joie et l’allégresse, louant sans relâche leurs Immenses Créateurs. Cette période
dura longtemps, et fût l’une des plus glorieuses pour la religion Biteniste. Cependant, certains,
à mesure que leur peuple grandissait et s’élargissait, commencèrent à croire qu’il leur fallait
un chef, un dirigeant, un guide. Ils décidèrent alors tous de revendiquer leur place en tant que
supérieur. Ils essayaient par ces actions de bousculer le fragile équilibre existant entre eux tous.
Petit à petit, des tensions montèrent. Chacun s’estimait plus apte que son voisin à devenir le
chef suprême, et rares étaient ceux qui échappaient à cette frénésie. Bientôt, les menaces se
muèrent en insultes, les poings brandis en coups, et les joutes verbales en batailles générales.
Dieu Tronc, voyant que l’anarchie s’emparait de ses enfants, pria Bitenbois, le Cosmogénique,
1. Depuis ce jour, les seules créatures parfaites sont les femelles qui ont engendré la vie, également appelées
"mères".

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de les remettre sur le droit chemin. Alors Il eut une nouvelle idée. Il prit quelques bourgeons du
corps de Dieu Tronc, et il se rendit sur la Bitenterre. Il l’avait déjà fait auparavant, en prenant
la forme de différents Pokémon. Cependant, celle qu’il trouvait la plus agréable était celle d’un
Pokémon Aqualapin. Ses grandes oreilles, dont l’une se pliait gracieusement, sa couleur bleu
azur et son sourire radieux lui convenaient à merveille.

Bitenbois, l’Imputrescible, Dieu Ultime des Bitenistes

Arrivé sur la Bitenterre, une poignée de bourgeons de Dieu Tronc dans la patte, Bitenbois,
l’Affable, se mit à la recherche des Pokémon qui échappaient à la tentation. Il n’en trouva que
quelques uns. Il leur donna à chacun un bourgeon, et il leur dit : "Mes amis, ne craignez pas, car
je suis votre ami. Mon peuple, jadis uni, est désormais divisé, et je suis le seul à pouvoir rétablir
l’unité que je chérissais tant. Pendant soixante-neuf minutes, je ferai pleuvoir mon ire sur la
Bitenterre, et chacune de mes créations verra son statut altéré, dans l’espoir qu’elles entendent
raison. D’aucun deviendront paralysés, d’aucun seront frappés de brûlures vives... Cependant,
mes amis, gardez espoir. Ma bénédiction vous protègera toujours, tant que vous me resterez

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fidèles." Sur ces mots, Bitenbois, le Digne, s’éloigna et remonta dans son royaume aux côtés de
Dieu Tronc. Après son départ, tous les Pokémon se mirent à douter, car aucun n’avait reconnu
en lui leur Créateur. Ils le traitèrent de fou, de mégalomane et de manipulateur. Certains dirent
qu’ils croyaient qu’il s’agissait bien là de leur Dieu, mais ceux-là disaient : "Comment un Dieu
peut-il prétendre aimer son peuple s’il menace de les blesser sévèrement ?" Ils furent si véhéments
que tous jettèrent leur bourgeon et furent happés par la folie qui touchait tous les autres
Pokémon. Parmi eux, un seul conserva la foi, car il était ardemment convaincu que leur visiteur
(Bitenbois, le Sublime, il en était certain) agissait pour le mieux. Son nom était Capucine. Il
récupéra tous les bourgeons jetés par ses compagnons, y compris ceux qui avaient été piétinés
de rage. Il les conserva pendant encore soixante-neuf jours. Le soixante-neuvième jour, alors que
les rixes étaient devenues omniprésentes, un Pokémon tomba à terre, visiblement incapable de
bouger. Un autre fut recouvert de glace, jusqu’à ne plus pouvoir déplacer que ses yeux. Bientôt,
tous les Pokémon furent frappés par ce mal invisible, se couvrant de brûlures, devenant tout
violet ou s’endormissant brutalement. Mais Capucine, qui jamais n’avait abandonné, conservait
toujours ses bourgeons. Il les rassembla près de lui et pria, pendant que tous ses compagnons
tombaient autour de lui. Il pria avec véhémence, durant de longues minutes, craignant de
plus en plus que ses compagnons n’eussent raison depuis le début, mais ne cessant jamais de
prier. Soudain, quand tout espoir semblait perdu, les bourgeons qui l’entouraient se mirent à
briller de mille feux. Ils s’élevèrent d’environ un mètre, et éclorent tous brusquement, chacun
produisant une fleur immense et plus somptueuse que tout ce que Capucine avait pu voir. Les
fleurs se rassemblèrement, s’entremêlèrent, se nouèrent, jusqu’à former un couvert en forme
d’arc, opaque à la colère de Bitenbois, le Juste. Après soixante-neuf minutes, comme Il l’avait
annoncé, Il cessa de déverser sa fureur sur son peuple. Une fois de plus, il apparu à Capucine,
qui était le seul à ne pas avoir été touché. Bitenbois, le Gigantesque, prononça alors ces mots :
"Capucine, sois heureux, car je t’ai entendu. Je t’ai reconnu comme mon digne prophète parmi
toute Ma Création. Toi seul pourra les guider vers des lendemains toujours plus glorieux, car
toi seul échappe à la vilénie et à la tentation qui s’est emparée de tous les autres. Je vais

Capucine, prophète des Bitenistes

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maintenant te donner le pouvoir de produire une, et une seule, sphère écologique. Cette éco-
sphère sera capable de soigner tous les Pokémon que tu jugeras digne de vivre à tes côtés. Tous
les autres mourront, sans plus de douleur inutile. Va, maintenant, et reste-moi fidèle pour le
restant de ta glorieuse vie !". Alors, Capucine loua ses Créateurs encore plus ardemment, sans
même se rendre compte que Bitenbois, le Justicier, avait créé là un dernier test pour lui. En
effet, si Capucine décidait de laisser mourir ne serait-ce qu’un Pokémon, Bitenbois prendrait
la décision de lui retirer son statut de prophète. Néanmoins, Capucine était réellement pur et
grand de coeur comme d’esprit. Il soigna tous ses compagnons, sans exception aucune. Alors,
pour le remercier de son immense générosité, l’ensemble des Pokémon décidèrent de désigner
Capucine comme leur Guide. Ils récupérèrent le floral bouclier divin fabriqué par Dieu Tronc et
Bitenbois, le Beau, et l’appelèrent "Arche de Capucine". Ils installèrent cette Arche au-dessus
de leur nouveau Guide, et Capucine les guida du mieux qu’il put. Sous sa bannière, le peuple
Pokémon vécut en paix pendant d’innombrables générations, et la Toute-Puissance de Bitenbois
et de Dieu Tronc, ainsi que la pureté de Capucine, furent vénérés pendant encore des siècles. 2

2 Livre de l’Exode
De très (très) nombreuses années plus tard, les Pokémon peuplent désormais l’entièreté
de la Bitenterre. Chacune des espèces de Pokémon est désormais largement représentée, suite
à l’accomplissement de l’idée de Bitenbois, le Géniallissime. Ils se sont organisés en peuples
variés, ont colonisés tous les continents et toutes les îles. Ils peuplent également les océans,
les airs et les entrailles de la Bitenterre. Pour pouvoir continuer à cohabiter dans l’harmonie,
chaque espèce de Pokémon réalisent des tâches dans l’intérêt commun. D’aucuns cultivent
les champs pour nourrir leurs compagnons, d’autres sont chargés de produire l’énergie utile
à tous. Les plus intelligents doivent s’acquitter d’une tâche essentielle : le recensement des
Pokémon. Pour plus de facilité, chaque espèce s’est vue attribuer un numéro. L’espèce portant
le numéro 1 était d’ailleurs la première créée par Dieu Tronc à son image, pour lui rendre
hommage. Parmi ces sociétés parfaitement réglées, les Pokémon les plus importants étaient
les prêcheurs de la religion. Depuis toujours, ce sont eux qui ont guidé leur pairs vers des
lendemains radieux. Seulement, si les premières civilisations louaient les légendes de Dieu Tronc
et, plus encore, de Bitenbois, l’Epastrouillant, les Pokémon se mirent à oublier les raisons
de ces légendes au fil du temps. Bien qu’ils continuèrent encore à perpétrer cette tradition
ancestrale durant très longtemps, sa signification s’effaça lentement à mesure que les nouvelles
générations remplaçaient les précédentes. Il arriva un temps où quelques Pokémon se mirent
à remettre en cause le culte du Bitenisme, le qualifiant d’obsolète, d’infondé et d’un autre
temps. Des Pokémon arrivèrent avec de nouvelles idées, proposèrent de nouveaux cultes, qu’ils
trouvaient plus adaptés, plus justifiés, plus clairs. De plus en plus, ils se demandaient à quoi
bon continuer à prier des entités disparues depuis longtemps, et n’ayant probablement même
jamais existé, bien que certains irréductibles continuèrent toujours de soutenir les seules vraies
déités, car faisant partie de familles très ferventes et ayant toujours cru en l’histoire de leurs
aïeux. Ces Gardiens de la Vérité, comme Bitenbois, l’Omniscient, se plaisait à les qualifier aux
côtés de son compagnon, Dieu Tronc, furent de moins en moins pris au sérieux avec le temps.
Ils commencèrent par faire simplement rire les autres Pokémon, qui les trouvaient distrayants,
à radoter leurs vieilles histoires défraîchies. Cependant, avec le temps et l’évolution des moeurs,
ces derniers se mirent à être plus véhéments à leur égard. L’amusement initial se mua peu à
peu en malaise, puis en crainte, allant parfois jusqu’à la violence, voire la persécution. Les rares
2. Depuis ce jour, la légende raconte que, comme Capucine fut protégé en son temps par des fleurs éthérées,
faire soixante-neuf-millions-soixante-neuf-mille-soixante-neuf pas dans les fleurs ferait apparaître Capucine, mais,
bien sûr, ce n’est là qu’une légende...

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fervents qui continuaient à clamer leur adhérence au Bitenisme furent bientôt accusés d’être
des troubleurs de l’ordre établi, et furent pourchassés et emprisonnés. Cette période noire de
l’histoire du Bitenisme fut baptisée La Grande Inquisition. A son terme, plus aucun Gardien de
la Vérité ne persistait sur la Bitenterre. Ils avaient tous été soit enfermés, soit exilés, voire même
exécutés dans les sociétés les plus virulentes. Pendant ce temps, Bitenbois, l’Immense, et Dieu
Tronc ne purent que constater, impuissants, la déchéance du monde qu’ils avaient eux-mêmes
créé. Ce fut la pire période pour la religion Biteniste, et elle marqua, pendant un temps, la
disparition totale du Bitenisme sur la Bitenterre.

La Grande Inquisition dura en tout six-mille-neuf-cents-soixante-neuf ans. Durant toutes


ces années, les pratiquants Bitenistes qui n’avaient pas été tués étaient exilés dans un pays
éloigné appelé Bitengypte. Ce pays était peuplé par les plus véhéments Inquisiteurs, la famille
des Tutafeh. Ils étaient gouvernés par le pire de tous. Son nom était Tutankafer. Il était réputé
pour sa cruauté, ses défenses solides et ses malédictions. Dès qu’un étranger entendait son cri
glaçant ("Euwaeuwaeuwaw"), il savait qu’il était perdu. Ils vénéraient des Pokémon plutôt que
les seuls vrais Dieux, avec pour seul critère leur puissance brute. Ces Pokémon étaient tous
des imposteurs, prétendant avoir acquis un statut divin, et d’innombrables fausses légendes
avaient été inventées sur eux. Les plus puissants d’entre eux prétendaient même avoir accompli
les exploits perpétrés par les véritables Entités, Dieu Tronc et Bitenbois, le Réminiscent. Parmi
eux, Mew se vantait d’être l’ancêtre de tous les Pokémon, histoire qu’il avait lui-même inventée.
Quant à Arceus, il prétendait avoir créé l’entièreté de la Bitenterre. Quant aux nombreux autres
"légendaires", comme ils aimaient à s’appeler, ils s’attribuèrent chacun une des Extraordinaires
actions de Bitenbois, le Mirobolant. Bitenbois, cependant, était un être parfait. Il n’en voulut
donc jamais à tous ces charlatans, car qui pourrait blâmer quelqu’un voulant à tout prix être
Bitenbois, le Fantasmagorique ? Cependant, Il prévoya tout de même d’aider ses plus fidèles
serviteurs, le moment venu, afin qu’ils puissent renaître plus forts que jamais.

Les autres nations avaient décidé d’un commun accord de rassembler tous les dissidents
dans cette contrée, car ainsi les Bitenistes ne pourraient jamais s’en échapper. Ils vivaient donc
reclus, cachés, rejetés de tous et obligés de se déguiser pour pouvoir sortir. Cependant, malgré
la rudesse de leur existence, ils finirent par s’y accoutumer. De nombreuses générations de
Bitenistes avant eux avaient connu la même misère, et leur foi inébranlable leur avait toujours
permis de tenir. Ils serraient donc les dents et survivaient du mieux qu’ils pouvaient, attendant
patiemment le jour béni où, enfin, ils seraient libérés. Malgré leur ferveur, leur groupe fondait
comme neige au soleil. Ceux qui ne mouraient pas d’épuisement étaient emportés par la faim, la
soif ou les maladies. De quelques milliers au début, il n’en resta bientôt plus que cinq-cents, puis
trois-cents, cent, septante (et non pas soixante-dix)... Quelques jours plus tard, alors que l’un
de leurs membres était emporté par une rougeole foudroyante, ils ne furent plus que soixante-
neuf. Bitenbois, le Patient, décida alors qu’il était temps, une fois de plus, de remettre Son
peuple sur le droit chemin. Il chargea alors Dieu Tronc, Son fidèle compagnon, d’apparaître en
rêve au chef spirituel des Bitenistes. Il ne s’agissait pas réellement d’un chef, car les Bitenistes
rejetaient toute forme de hiérarchie en souvenir de la légende du prophète Capucine, mais
plutôt d’un sage, d’un guide. Son rôle était néanmoins crucial, car c’est lui qui permettait à
ses compagnons de garder la foi en tout temps. A cette époque, il s’agissait d’un somptueux
volatile, doté d’un plumage miroitant et d’une crête fabuleuse. Son nom était HoOhOohAHa.
HoOhOohAHa était le plus sage et le plus courageux de tous les guides ayant vécu durant la
Grande Inquisition. Son coeur était pur, et son âme magnifique. Il n’avait jamais douté un seul
instant de l’omniprésence de Dieu Tronc et de Bitenbois, le Scintillant. Ce dernier estima donc
qu’il remplirait parfaitement le rôle auquel Il l’avait destiné.

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HoOhOohAHa, prophète et guide des Bitenistes

Selon le plan de Bitenbois, l’Insondable, Dieu Tronc attendit le soixante-neuvième jour


de l’année pour apparaître en rêve à HoOhOohAHa. Il créa une grande prairie, aussi verte
que métaphorique, et vint à sa rencontre. D’abord saisi d’une grande crainte, HoOhOohAHa
comprit bientôt que le moment que son peuple attendait depuis si longtemps était enfin arrivé.
Il s’assit alors, apaisé et rempli de paix, pour écouter le message de Bitenbois, l’Extraordinaire,
transmis par Son fidèle messager, Dieu Tronc. "Sois heureux, sage HoOhOohAHa, car mon
Maître, Bitenbois, a entendu ta supplique et compris ta souffrance, à toi et à ton peuple, et il a
décidé qu’il était temps de mettre un terme à l’oppression des défenseurs de la vérité. Par moi, Il
te transmet une partie de Ses pouvoirs inimaginables. Désormais, battre des ailes en t’addressant
à lui créera un Aéroblast phénoménal qui balaiera tes ennemis en laissant tes amis parfaitement
indemnes. De plus, tes prières seront désormais capables de déclencher un dévorant Feu Sacré,
qui consumera sans relâche tout ce que tu désireras détruire. Bitenbois m’a aussi chargé de te
transmettre un important secret, qui jamais encore n’a été transmis à un Pokémon. Lors de la
création de la Bitenterre, Bitenbois a créé un morceau de terre caché, destiné à être introuvable
par tous à l’exception de ceux qu’il en aura jugé dignes. Il la nomma la Bitenterre Promise,
car c’est un pays qu’il a promis à ses plus fidèles serviteurs. Toi et ton peuple y trouveront
boisson et nourriture à profusion, et vous y vivrez une vie aussi belle qu’on peut rêver. Je ne
peux t’expliquer ici sa localisation, car je ne la connais moi-même. Cependant, tu devrais la
trouver toi-même, au plus profond de ton coeur, que nous savons immense. Maintenant va,
HoOhOohAHa, et transmets mon message à tes fidèles. Qu’il remplisse leurs yeux de larmes de
joie et leur coeur d’allégresse !"

Ce jour-là, HoOhOohAHa se réveilla avec un sourire au bec et une légèreté d’esprit comme
jamais il n’en avait ressentie. D’un battement d’aile, il se leva et courut retrouver ses compa-
gnons. Il leur cria : "Réveillez-vous, mes amis, car aujourd’hui est un grand jour ! Nos prières ont
enfin été entendues ! Nous allons pouvoir vivre pleinement nos vies ! Mes chers amis, festoyez et
pliez bagages, car nous partons ce soir !". La société Biteniste, qui débordait de confiance envers
leur guide spirituel, ne doutèrent pas une seconde de ses affirmations. Aussi fût-ce une journée
de fête comme on n’en avait pas connu depuis longtemps. Les Pokémon mangèrent, burent et

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rirent jusqu’à être totalement rassasiés. Leurs maigres possessions rassemblées, ils s’en furent en
une longue procession vers le sinistre palais de Tutankafer. Arrivés devant les portes monumen-
tales, les gardes voulurent chasser les pèlerins, mais HoOhOohAHa leur dit : "Emmenez-nous
immédiatement auprès de votre roi, où subissez la fureur du seul vrai Dieu, Bitenbois !". Si
les gardes rirent de prime abord, ils se résignèrent vite en constatant que les portes du palais
s’étaient soudainement embrasées. Des flammes noires s’étaient mises à danser sur toute leur
hauteur et, en soixante-neuf secondes, durant lesquelles les gardes ne purent qu’écarquiller les
yeux, il ne resta plus rien des lourdes portes en fer. Apeurés, les gardes s’empressèrent de guider
les Bitenistes vers la salle du trône. Il s’agissait d’une gigantesque salle, dorée du sol au plafond,
remplie de meubles semblant plus chers les uns que les autres, d’immenses tentures brodées et
d’innombrables miroirs. Cependant, rien ne pouvait égaler l’oppression provoquée par le trône
titanesque posé en plein milieu. Construit en or massif, haut de cinq mètres, son écrasante
présence dominait toute la salle. Et sur ce trône siégeait l’affreux Tutankafer, en plein repas.
Il fixa longuement le groupe d’intrus qui venait d’interrompre son festin, puis il dit simple-
ment :"Euwaeuwaeuwaw". 3 Les paroles du monarque pouvaient aussi bien signifier "Tuez-les."
que "Constituez-moi un bouquet de fleurs qui chante le printemps.". Cependant, les gardes ne
bougèrent pas d’un pouce car, toujours impressionnés par le miracle réalisé par HoOhOohAHa,
ils n’osaient pas s’approcher d’eux (ou peut-être parce qu’il n’y avait aucune fleur en Biten-
gypte). Ils l’expliquèrent à Tutankafer (le miracle, pas l’absence de fleurs), qui leur répondit :
"Euwaeuwaeuwaw !" (Hors de ma vue, incapables ! ou J’aime la sodomie !). Tutankafer ne pos-
sédant pas d’anus, les gardes comprirent et s’enfuirent à toutes jambes, par peur de la réaction
de leur chef. Alors, Tutankafer se leva, descendit de son trône et vint se planter en face de
HoOhOohAHa. "Euwaeuwaeuwaw ?", dit-il. Ces mots pouvaient tant signifier "Que diriez-vous
d’un bon pique-nique ?" que "Qu’est-ce que vous voulez ?". Les sourcils froncés de Tutankafer
permirent à HoOhOohAHa de comprendre qu’il n’aimait sans doute pas les pique-niques. Il
dit alors : "Le temps de notre oppression est terminé, Tutankafer ! Mes fidèles et moi nous en
allons, et personne ne sera capable de nous en empêcher, car nous possédons la puissance de
notre Dieu, Bitenbois." Avec un ricanement dédaigneux, Tutankafer répondit : "Euwaeuwaeu-
waw ? ! ? ?" ("Vous pensez sincèrement pouvoir vous opposer à moi ? ! ? ?" ou "Vous voulez faire
un bac L, sérieusement ? ! ? ?".) Comme le bac L n’existait pas encore, HoOhOohAHa déduisit
que Tutankafer ne le croyait pas capable d’échapper à son armée. Alors, HoOhOohAHa étendit
toute l’envergure de ses larges ailes, et les referma brutalement. Deux immenses ondes de choc
s’en échappèrent alors, et balayèrent en vrac tous les meubles de Tutankafer ainsi que leur
propriétaire, qui se vit projeté contre le mur du fond. Par le pouvoir de Bitenbois, l’Incom-
mensurable, aucun des Bitensiste ne fut même effleuré par les terribles bourrasques. Sonné,
Tutankafer s’effondra au sol. HoOhOohAHa en profita pour filer, suivi de ses compagnons.

HoOhOohAHa et ses compagnons ne trouvèrent aucune résistance pour quitter le palais,


puis la ville. Leur priorité était de s’éloigner le plus possible de Tutankafer et de ses sbires.
Ils gagnèrent donc le désert, d’où ils pourraient voir arriver leurs ennemis de loin. Après avoir
parcouru quelques encablures en direction du sud, HoOhOohAHa fit signe à sa suite de s’arrêter.
"Reposez-vous, il me faut réfléchir." En effet, HoOhOohAHa ne savait pas quelle direction
prendre pour atteindre la Bitenterre Promise. Il prit alors son envol et scruta l’horizon tout
autour de lui. A l’ouest s’étendait la Bitenmer, une vaste étendue d’eau qui donnait sur le
bord de la Bitenterre et le vide intersidéral. Les trois autres points cardinaux donnaient sur le
désert, à perte de vue. Alors que HoOhOohAHa réfléchissait profondément à quel désert il lui
faudrait choisir, il fut soudain frappé par un détail : loin à l’ouest, par delà la Bitenmer, une
faible lueur brillait, comme le reflet du soleil sur un grand édifice. HoOhOohAHa ne comprit
3. La langue bitengyptienne était très rudimentaire, certains mots pouvaient dès lors signifier plusieurs choses
différentes. Dans un souci d’exactitude, chaque traduction possible a été systématiquement retranscrite.

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d’abord pas ce qu’il voyait, car comment un édifice pourrait-il être construit dans le vide ?
Alors qu’il s’interrogeait, il fut soudain frappé par un détail, si évident qu’il se maudit de ne
pas y avoir pensé plus tôt. Il avait compris où se trouvait la Bitenterre Promise, et pourquoi
personne ne l’avait jamais découverte. Seulement, en se tournant vers le nord, il vit une immense
armée sortir de la ville et marcher vers ses amis. Il comprit alors qu’il leur faudrait aller vite,
sous peine d’être rattrapés par une masse de Tutafeh trop grande pour être gérée, malgré ses
pouvoirs divins. Il piqua alors et incita ses compères à repartir au plus vite. Quand l’un d’eux
lui demanda s’ils devaient aller à l’est ou au sud, HoOhOohAHa leur indiqua l’ouest. "Mais...
HoOhOohAHa, mon ami, à l’ouest s’étend la Bitenmer !" HoOhOohAHa leur dit alors : "Mes
bons amis, vous ai-je déjà donné une seule occasion de vous défier de moi ? Ayez confiance, et
je vous jure que nous échapperons à cette armée terrible." Tous prirent donc la direction de
la Bitenmer, car HoOhOohAHa avait compris. Bitenbois, le Mirobolant, avait implanté dans
le cerveau de chaque Pokémon que la Bitenterre était plate, et que la Bitenmer marquait sa
fin. Grâce à cette idée aussi génialissime que Lui, Bitenbois, le Bienheureux, avait fait en sorte
que personne n’essaie de passer la Bitenmer, par peur de tomber au bout du monde. Ainsi, la
Bitenterre Promise resterait cachée, jusqu’à ce qu’il permit à HoOhOohAHa de la découvrir.
Arrivés sur le rivage, l’armée sur leurs talons, HoOhOohAHa s’agenouilla et pria de toutes ses
forces. Il demanda à Bitenbois, le Superbe, de lui permettre à lui, et à ses compagnons, de passer.
Alors, Bitenbois, l’Idéal, entendant la prière fervente de HoOhOohAHa, créa une immense Aqua-
Brêche à travers toute la Bitenmer, ouvrant un étroit passage entre deux eaux, permettant aux
Bitenistes de passer à pied sec. Criant Ses louanges, ils s’engagèrent dans l’étroit goulet et
commencèrent la traversée. Arrivés à mi-chemin, le peuple Bitengyptien arriva à son tour sur le
rivage. D’abord hésitant, ils s’engagèrent tous dans le passage, Tutankafer en tête, vociférant sur
ses serviteurs : "Euwaeuwaeuwaw !" ("Avancez, tas de cloportes !" ou "J’ai décidé de dissoudre
l’Assemblée Nationale !"). Comme Tutankafer avait lui-même créé l’Assemblée Nationale, les
Tutafeh voyaient mal pourquoi il voudrait la dissoudre. Ils redoublèrent alors d’effort pour
rattraper les fuyards, tant et si bien qu’ils finirent par n’être plus qu’à quelques mètres du dernier
Biteniste. Seulement, ce dernier venait de faire un pas en dehors de la Bitenmer. Instantanément,
la Bitenmer se referma sur le peuple Bitengyptien, et une immense vague les emporta à l’est,
vers leur propre pays. Ce fut si rapide que la seule chose que les Bitenistes purent entendre
fut cette déclaration de Tutankafer : "Euwaeuwaeuwaw ! ! !". Le caractère tout public de cette
oeuvre empêchant la citation de la première traduction possible (cela pourrait heurter les plus
sensibles), seule la seconde sera indiquée ici : "Si Ju va bien, c’est Juvamine ! ! !".

Bitenbois, le Bon, ne connaissait ni la haine ni la rancune. Il permit dès lors à tout le peuple
Bitengyptien de regagner la rive est de la Bitenmer, indemnes. Il s’assura également que nul
ne pourrait jamais regagner la Bitenterre Promise, en créant des courants marins contraires
surpuissants pendant que HoOhOohAHa invoquait de terribles tempêtes. Le peuple Biteniste
comprit alors qu’il n’aurait plus jamais à subir l’oppression de quelque autre peuple, car ils
resteraient vivre dans la Bitenterre Promise tant que la haine du Bitenisme restera présente. Ils
se retournèrent comme un seul Pokémon, et ce qu’ils virent était plus fabuleux que tous ce qu’ils
avaient pu imaginer. A perte de vue, des prairies immenses, des forêts luxuriantes et d’immenses
champs de fleurs étincelaient au soleil. Les arbres étaient couverts de fruits somptueux. Une
rivière aux eaux cristallines sinuait entre les collines délicates. Dans le lointain, dominant le
somptueux paysage, une immense montagne s’élevait vers le ciel. Ses flancs escarpés semblaient
sans limite, et son sommet était si élevé qu’il se perdait dans les nuages. Sans pouvoir en
expliquer la raison, et au delà du bonheur intense qui les avait saisi, tous les Bitenistes se
sentirent irrésistiblement attirés par ce pic vertigineux, comme s’il les appelait. Tout à leurs
réjouissances, guidés par leur sauveur, ils se mirent donc en marche, sans se concerter, en
direction du lointain. Ils mirent plusieurs dizaines de jours pour atteindre le pied de la montagne,

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car elle était si haute qu’elle pouvait se voir de très loin. Au cours de leur périple, ils n’en finirent
plus d’être émerveillés. Les fleurs se paraient de mille couleurs à leur approche, l’eau chantait
joyeusement, sinuant à leur gauche ou à leur droite comme un Serpang curieux, les arbres
vibraient à l’unisson quand HoOhOohAHa invoquait une légère brise du bout de ses ailes.
Chaque nuit, ils s’arrêtaient au bord de la rivière pour camper. Ils mettaient souvent du temps
avant de s’endormir, trop occupés à écouter le bruit de l’onde et le vent dans les feuillages,
à contempler les myriades d’étoiles qui brillaient au dessus d’eux et, surtout, à savourer une
paix plus parfaite qu’ils n’en avaient jamais rêvé. Enfin, après environ soixante-neuf jours, ils
atteignirent le mont à la tombée de la nuit. Une partie du groupe alla chercher des fruits dans
la forêt toute proche, une autre organisa un campement de fortune et, après avoir bien mangé
et bien bu, tous sombrèrent paisiblement dans les bras de Morphée.

Le seul à ne pas trouver le sommeil ce soir-là fut HoOhOohAHa. En effet, depuis le début
de leur voyage à travers la Bitenterre Promise, son envie d’aller à la rencontre de la montagne
s’était lentement muée en besoin, puis en obsession. Il fallait qu’il l’atteigne, et qu’il la gravisse,
car il sentait qu’au sommet l’attendait une chose très importante pour son peuple et lui. Il
quitta alors son abri de feuilles et commença son escalade. Bien qu’il eut envisagé de voler
jusqu’au sommet, il préféra s’abstenir, car ses plumes risquaient de geler s’il s’élevait trop haut
dans les airs. Il monta alors à pied, dans le silence et la pénombre. Les premiers kilomètres
furent les plus difficiles. La pente était raide, le terrain hostile et, bien entendu, aucun chemin
n’était tracé. HoOhOohAHa avançait cahin-caha, mi-sautillant, mi-trébuchant, vers le sommet
qui semblait encore plus haut qu’auparavant, tant la montagne était écrasante. Cependant,
après plusieurs heures de marche, à sa fatigue, son épuisement et sa douleur vint s’ajouter
une autre sensation : la plénitude. Etrangement, plus il grimpait, plus son corps lui semblait
léger, éthéré. HoOhOohAHa comprit alors. Cette montagne n’était pas un simple relief, et sa
hauteur n’avait rien d’exagéré. La raison pour laquelle il se sentait plus épanoui au fil de son
ascension était en réalité que cette montagne avait été pensée par Bitenbois, le Chatoyant,
comme un point de rencontre entre la Bitenterre et Lui. Il l’avait conçue comme un filtre à
coeur pur. Ainsi, seul un Pokémon digne de Sa Toute-Puissance serait capable d’y grimper
pour l’y rencontrer. HoOhOohAHa ne pouvait que présumer que l’envol de sa lassitude était dû
à cela, mais il en eut l’intime conviction. Il continua alors à grimper, de jour comme de nuit. Ses
compagnons ne s’inquiétèrent pas outre mesure de son absence, car il leur avait laissé un mot
stipulant simplement : "Je serai bientôt de retour." Après soixante-neuf heures d’escalade, que
HoOhOohAHa avait enchaînées sans ressentir la moindre trace d’essouflement, il arriva enfin
au sommet. Contrairement à ce qu’il avait imaginé, il lui parut très ordinaire : un simple pic
escarpé, couvert d’un manteau de neige épais et entouré d’une fine brume dorée. Cependant,
dès qu’il traversa le voile scintillant, une tout autre scène s’offrit soudain à ses yeux émerveillés.
Au delà du pic inhospitalier s’étendait une prairie verdoyante, quelques mètres en contrebas. En
regardant plus attentivement, HoOhOohAHa vit que la prairie était en réalité ceinte d’une crête
parfaitement ronde, qui lui fit penser à un gigantesque cratère de volcan. A mi-chemin entre
le bord de l’escarpement et le centre du cercle, une mare annulaire, large de quelques mètres,
scintillait joyeusement. A sa stupéfaction, HoOhOohAHa remarqua que la mare s’écoulait dans
le sens horaire, malgré son relief parfaitement plat. En plein centre du cratère, un monticule
de rochers était visible. Immédiatement, HoOhOohAHa sut que c’est là qu’il se rendait. Il
descendit donc l’escarpement et traversa la prairie.

Quand HoOhOohAHa arriva sur la berge de la rivière, il sentit qu’il lui fallait la traverser
à pied, sans trop comprendre ce qui lui valait cette idée. Il s’engagea alors dans l’eau, qui lui
arrivait aux chevilles. Contrairement à ce à quoi il s’attendait, l’eau était agréablement tiède,
mais il y avait autre chose. En effet, il sembla à HoOhOohAHa qu’à l’instant où il avait posé

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Le sommet du Mont Bitaï (source : Kimi no na wa, Makoto Shinkai)

la patte dans la rivière, des courants de chaleur s’étaient mis à remonter le long de ses pattes,
à travers sa colonne vertébrale, jusqu’au sommet de sa tête et au bout de ses ailes. Loin d’être
désagréable, ce sentiment était incroyablement apaisant, à tel point qu’il faillit s’endormir avant
d’arriver de l’autre côté. Quand enfin il mit pied à terre, il se sentait plus épanoui que jamais
il ne l’avait été. Il s’approcha donc du monticule, et ne tarda pas à l’atteindre. Il en fit le tour,
en sonda les bords et ne tarda pas à déceler une entrée. Un simple trou, pas plus large que lui,
fendait l’un des rochers sur deux mètres de haut. Il se glissa à l’intérieur et remarqua qu’il ne
faisait pas sombre du tout à l’intérieur de la grotte, car toutes les parois étaient tapissées de
champignons bioluminescents. Il s’engagea alors dans un couloir qui descendait en pente douce
vers le coeur de la montagne. Quand enfin il déboucha dans une salle, HoOhOohAHa resta bec-
bé. Elle était si gigantesque que le palais de Tutankafer y aurait tenu à l’aise. Les champignons
y brillaient plus fort et plus joliment que jamais, permettant d’apprécier toute la splendeur du
lieu. Des concrétions monumentales étaient visibles tant sur le sol que le plafond. Une rivière
souterraine y entrait au moyen d’une immense cascade et, fait qui aurait été surprenant si
HoOhOohAHa n’avait pas déjà reçu sa dose de surprises, remontait à travers le plafond en une
cascade inversée (qui semblait pouvoir expliquer la rivière perpétuelle du dehors). Toutefois,
rien ne pouvait égaler la magnificence de Bitenbois, L’Insondable, qui siégeait en plein coeur
de la salle gigantesque.

"Te voilà enfin, mon fidèle prophète ! Mon cher ami, commence par te relever, si cela te sied."
A la vue de son Seigneur, HoOhOohAHa s’était jeté au sol et semblait vouloir rester prosterné
encore un certain temps. A ces mots, il releva pourtant la tête lentement et se redressa, ébloui par
la majesté de Bitenbois, le Réminiscent. "Mon très cher HoOhOohAHa, bienvenue sur le Mont
Bitaï, mon pied-à-Bitenterre ! J’attendais impatiemment ta venue, car je voulais absolument
rencontrer en personne Mon plus fervent serviteur." "Ma vie vous est entièrement dévouée,
Seigneur !", s’écria HoOhOohAHa. "Je te félicite d’être arrivé jusqu’à moi. Si tu as pu traverser
la Rivière des Âmes sans encombre, c’est que je ne m’étais pas trompé à ton sujet. Il s’agit en
réalité de l’ultime protection qui entoure ce lieu sacré. Tout Pokémon sombre de coeur serait

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tout d’abord anormalement harassé par l’escalade, et serait à coup sûr rejeté de la Rivière, car
elle peut lire les esprits comme un livre ouvert." Et d’enchaîner, "HoOhOohAHa, si je t’ai fait
venir ici, c’est pour te transmettre mes Commandements. Tu le sais, les autres Bitenistes vont
maintenant te faire confiance encore plus qu’ils ne l’avaient jamais fait. Il t’incombera dès lors de
les guider et de les maintenir sur la voie que j’ai choisie pour eux. Bien que tous soient fervents,
ils n’ont pas ta droiture ni ta confiance sans faille envers Dieu Tronc et moi, mon ami. Il te
faudra donc faire respecter tout ce que j’ai inscrit ici, car cela seul vous permettra de vivre en
paix jusqu’à la fin des temps. Il me faut m’en aller, désormais. Je ne dois pas m’attarder ici, car
il me faut m’occuper des autres Pokémon. Prends, HoOhOohAHa, et va transmettre ma Bonne
Parole !" A ces mots, Bitenbois, l’Héroïque, plongea Ses augustes doigts dans la Rivière des
Âmes et en sortit dans grandes plaques rectangulaires, semblant constituées d’une eau limpide
et éblouissante. Ils les remit à HoOhOohAHa, qui fut étonné de les sentir si rigides sous ses
doigtsmalgré leur aspect liquide, puis s’en fut dans un fabuleux rayon de lumière à travers le
plafond de la salle. HoOhOohAHa resta encore agenouillé pendant plusieurs heures, louant son
Dieu pour Sa gratitude et Son infinie confiance en lui. Quand enfin il se releva, il contempla
une dernière fois la beauté de ces lieux, saisi délicatement les plaques (bel et bien constituées
d’eau, par un nouveau miracle de Bitenbois, l’Irrévérencieux), et sourit. A cet instant, il sut
qu’un jour, il pourrait revenir pour rencontrer son Dieu à nouveau.

Lors de sa descente, HoOhOohAHa lut attentivement les Commandements transmis par


son Dieu. Ils étaient numérotés de un à soixante-neuf, et chacun était plus empreint de sagesse
que le précédent (par exemple, le numéro dix-sept, qui stipulait qu’il fallait bannir la violence
entre confrères, ou encore le numéro cinquante-trois, qui préconisait de toujours placer le den-
trifrice sur la brosse à dent AVANT de la mouiller). Tous ces préceptes, HoOhOohAHa en était
persuadé, instaurerait une paix durable parmi son peuple, et même entre les peuples s’ils par-
venaient un jour à leur ouvrir les yeux sur la légitimité de la voie Biteniste. Cependant, il ne
s’attendait pas à la scène qu’il aperçut en bas. Tous les Bitenistes étaient en train de se disputer
violemment. Ne sachant pas quoi faire, HoOhOohAHa se cacha derrière un rocher et observa
discrètement. Il comprit vite que ses compagnons se battaient pour élire un nouveau guide. De
toute évidence, ils croyaient que HoOhOohAHa ne reviendrait pas. D’aucuns disaient qu’il était
mort, de froid, de soif ou de chute. D’autre affirmaient qu’il était parti, car il ne souhaitait plus
les guider. Cela, songea HoOhOohAHa, était tout à fait pardonnable. Cependant, autre chose le
frappa brutalement : les Bitenistes n’appliquaient pas du tout les valeurs de leur religion, qu’ils
perpétuaient pourtant depuis tant d’années, car ils se battaient pour le pouvoir, le blasphème
le plus grave depuis Capucine. Plein d’incompréhension et de tristesse, HoOhOohAHa voulut
réellement les laisser à leurs querelles et s’en aller vivre seul, car lui seul semblait réellement
fidèle à Dieu Tronc et à Bitenbois, l’Innénarable. Alors qu’il s’apprêtait à briser les tablettes
des Soixante-Neuf Commandements, qu’il avait de toute façon appris par coeur, il repensa
au tout dernier d’entre eux, le plus sage de tous selon lui : "Quand tout te semblera plongé
dans la pénombre, il suffit parfois qu’une personne allume la lumière." Alors, HoOhOohAHa
sourit. Il ne pouvait pas en vouloir aux Bitenistes de ne pas être aussi fervents que lui, car il
s’agissait là d’un cadeau très rare. Cependant, tant que lui, HoOhOohAHa, resterait fidèle et
leur montrerait le chemin, la paix pourra être préservée. Il sortit de sa cachette, et tous ses
compagnons se tournèrent vers lui, aveuglés par un nouvel éclat que leur guide semblait avoir
obtenu. Immédiatement, ils cessèrent de se battre et se prosternèrent devant HoOhOohAHa,
comme s’il s’agissait de Bitenbois, l’Ubiquiste, lui-même. Une larme de joie coula sur sa joue.
Plutôt que de leur prier de se relever tous ensemble, il descendit de son promontoire et alla
murmurer à l’oreille de chacun de ses soixante-huit amis : "Relève-toi, mon ami, car je ne te
suis pas supérieur." Il les fit alors se resserrer autour de lui, et leur expliqua toute son aventure
sur le Mont Bitaï. Ensuite, il leur transmis les Soixante-Neuf Commandements, et s’efforça de

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les faire appliquer du mieux qu’il le pouvait. Et ainsi, le peuple Biteniste put fleurir, s’épanouir
et prospérer durant plusieurs millénaires, baignant dans une paix totale et bien à l’abri des
horreurs du monde hors de la Bitenterre Promise.

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II. Le Nouveau Testiculament

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3 Les quatre Évangiles : contexte
L’histoire racontée dans les quatre Évangiles est sans doute la plus importante de tous
les temps pour la religion Biteniste. En effet, elle relate la vie d’un Pokémon qui la marqua
très profondément, et à jamais. Sa venue sur la Bitenterre avait été annoncée depuis des temps
immémoriaux par Bitenbois, l’Astral. Inconsciemment, tous les Bitenistes vivaient dans l’attente
du moment béni où ce Pokémon surgirait enfin. Ce Messie devait arriver en des temps plus
troublés que jamais, et unifier l’ensemble du peuple de la Bitenterre, qu’ils soient Bitenistes ou
non.

Cette histoire se déroule de très nombreuses années après l’exode des Bitenistes en Bitenterre
Promise. Depuis ce jour, les Bitenistes s’étaient multipliés et avaient reformé une communauté
très importante. Des villes avaient été créées, la communauté s’était divisée pour peupler une
large portion des territoires fertiles, et des chemins reliant les différentes villes avaient été tracés.
Les habitants des différentes cités ont toujours été en excellents termes avec leurs voisins. Dans la
plus grande ville, la maison du guide se trouvait. Après la mort de HoOhOohAHa, le plus grand
guide de mémoire de Biteniste, à cent-soixante-neuf ans, un nouveau guide fut désigné. A celui-
ci succéda un autre, et ainsi durant des millénaires. Le nouveau guide était sytématiquement le
Pokémon le plus sage, le plus juste et le plus fervent. Chaque nouveau guide se voyait confier
la mission de faire appliquer les Soixante-Neuf Commandements du mieux qu’il le pouvait. En
ce but, les tablettes d’eau étaient transmises et gardées précieusement à travers les âges et les
générations. Chaque guide était autorisé à escalader le Mont Bitaï, s’il s’en montrait digne,
pour y rencontrer Bitenbois, le Vivifiant. Grâce à l’harmonie apportée par les Commandements
et la piété sans faille des Bitenistes, aucun conflit ne vit jamais le jour, et ils purent vivre en
paix.

Au moment de la venue dans ce monde du Messie des Bitenistes, promis par Bitenbois,
l’Insondable, et attendu impatiemment par tous les Pokémon, les Bitenistes ont décidé de
quitter la Bitenterre Promise pour aller transmettre la parole de leur Dieu au monde. En effet,
lors de la visite rituelle du nouveau guide sur le Mont Bitaï, Bitenbois, le Malin, décida de lui
transmettre une nouvelle sans précédent. Il s’agissait plus précisément du soixante-neuvième
guide depuis HoOhOohAHa. Son nom était Confined.

Confined, soixante-neuvième guide des Bitenistes

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Confined était considéré par ses compagnons comme un guide particulièrement brillant,
et toujours de bon conseil. Aussi, quand il redescendit du Mont Bitaï après pas moins de cinq
jours, tous l’attendaient avec une grande impatience, car ils sentaient que sa visite n’avait pas été
anodine. Leurs doutes furent immédiatement confirmés quand Confined lança immédiatement
à ses compagnons une convocation d’urgence. Les Bitenistes étant déjà tous rassemblés au pied
de la montagne, il ne fut pas difficile de les réunir en une assemblée compacte. Confined monta
alors sur un promontoire et lança, le plus fortement que sa douce voix le permettait : "Mes très
chers amis, Bitenbois, notre Créateur, m’a confié un message. Il m’a annoncé que ces temps
étaient troublés en dehors de la Bitenterre Promise. S’Il est enchanté de constater l’harmonie
qui règne en ces lieux, Il est tout aussi inquiet de ce qu’il advient du reste de Ses descendants.
Des choses terribles se passent. Tous les peuples se livrent des guerres incessantes, chacun
croit en des dieux usurpateurs et pernicieux. Le racisme, l’intolérance et la haine sont devenus
omniprésents. En un mot, le monde du dehors va au plus mal, et Bitenbois craint pour la survie
des autres Pokémon. C’est pourquoi, dans Sa grande bonté, Il a décidé que le moment était
venu pour lui d’envoyer son propre fils sur la Bitenterre. Son rôle sera de transmettre la volonté
de son Père à tous les Pokémon. Il devra les réunir, les réconcilier et leur ramener la foi qu’ils
n’auraient jamais dû sacrifier au profit de la vanité et du pouvoir. Cependant, pour parvenir
à ses fins, Bitenbois a supplié mon aide. Il m’a confié que, seul, Son fils ne parviendrait pas à
remplir sa mission, qu’il lui faudrait de l’aide. Cette aide si précieuse, nous seul pouvons la lui
fournir. De par ma fonction, je ne peux me permettre de quitter la Bitenterre Promise. En ce
jour, j’implore donc votre foi et votre détermination. J’ai besoin de trois volontaires, qui seraient
prêts à tout abandonner ici pour aller assister notre Messie de l’autre côté de la Bitenmer. Je suis
parfaitement conscient du sacrifice que je vous demande, mais je suis également convaincu que
le Pokémon qui naîtra sera doté du coeur le plus grand que la Bitenterre n’aura jamais connu !"
A ces mots, Confined ne s’attendait certainement pas à une réponse immédiate, vu l’ampleur
de la tâche qu’il venait de confier à ses compagnons. Il fut donc ébahi de repérer dans la foule
trois nageoires levées, deux bleues et la troisième rouge. Ces trois nageoires appartenaient à des
triplés, constitués en réalité de deux vrais jumeaux et d’un faux. A l’exception de leur couleur,
cependant, leur ressemblance était frappante. Ils ressemblaient tous les trois à d’imposants
dragons d’eau, aux nageoires puissantes et aux moustaches magnifiquement recourbées. Leurs
noms étaient Pichon, Vladimirr et Vladichon.

De gauche à droite : Pichon, Vladimirr et Vladichon, Serviteurs du Messie des Bitenistes

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Et c’est ainsi que Pichon, Vladimirr et Vladichon se mirent en route pour quitter la Biten-
terre Promise, sachant pertinemment qu’il n’y reviendraient plus jamais. Ce qu’ils ne savaient
pas encore, c’est que, grâce à leur ferveur et leur volonté de fer, ils allaient permettre à la plus
importante figure du Bitenisme de changer la face de la Bitenterre à jamais.

4 L’Évangile selon Analisator


4.1 Préface de l’auteur
Je n’ai pas vécu l’histoire que je vais raconter ici. En réalité, je suis né bien après ces
événements, dans un autre monde, dans une autre vie. Je m’appelle Analisator. Historien de
mon état, j’ai voué ma vie à déterrer les secrets du passé. J’en ai fait ma vocation depuis que,
alors que j’étais encore enfant, mes proches ont décidé de m’échanger, brutalement et sans
prévenir, contre une grenouille ridicule qu’ils avaient jugée "plus mignonne que moi". Mais j’ai
tiré ma force de cette blessure. Depuis ce jour, je n’ai pas cessé de m’endurcir pour pouvoir faire
face à tout ce que la vie pouvait m’infliger. C’est en fouillant une bibliothèque à la recherche
d’un livre de cuisine pour noyer mon chagrin dans le chocolat, le lendemain de mon abandon,
que je suis tombé sur le récit d’un dénommé "Souzestim".

Analisator, historien

Il se définissait comme un adepte du Bitenisme, une religion antique désormais oubliée, et


affirmait qu’il avait vécu en compagnie du fils unique de son Dieu, Bitenbois. Bref, un illuminé
comme tant d’autres. Toutefois, quelque chose me frappa dans son récit. D’une certaine manière,
sans pouvoir expliquer pourquoi, ses mots sonnaient juste. Ils étaient emprunts d’une telle
ferveur, d’une telle puissance que je fus incité à me renseigner plus avant sur cette mystérieuse
religion. Au fil de mes recherches, je découvris des foules d’informations, de témoignages, de
légendes et d’histoires. Je ne tardai pas à développer une véritable passion pour cette religion,
que je qualifie aujourd’hui sans hésiter comme la plus belle et la plus riche de toutes celles que

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j’ai étudiées. J’ai même décidé de me convertir au Bitenisme, bien que je sois probablement
le seul de mon temps, tant ces mots m’émurent. Le récit de Souzestim est assez incomplet,
car il n’a relaté que la partie de la vie de son Messie qu’il a personnellement vécue. De larges
fragments d’histoire sont dès lors manquants. Cependant, malgré le fait qu’il fut de mon devoir
d’historien de retranscrire la réalité dans son intégralité, cette tâche est beaucoup trop lourde
et ardue pour un seul Pokémon. J’ai donc décidé de ne retranscrire que la vie du Messie jusqu’à
sa rencontre avec Souzestim, ainsi que l’histoire précédent sa naissance. Cela constitue déjà
l’oeuvre de toute ma vie, tant son existence fut riche et passionnante. Mais je me fais vieux, et
je sens que ma vie touche à sa fin. Je laisserai donc mes écrits ici, près de moi, dans l’espoir qu’un
Pokémon, un jour, les découvre, connaisse le même déclic que j’ai vécu dans cette bibliothèque,
et décide de reprendre mon travail là où je l’ai laissé.

4.2 L’Évangile
L’annonciation En ce temps là, le monde allait mal. Des guerres pour le pouvoir éclataient
sans cesse entre les peuples, et la mésentente et la méfiance n’avaient jamais été plus fortes.
Cependant, un peuple semble avoir été complètement épargné par cette frénésie guerrière : le
peuple Biteniste. De fait, les Bitenistes vivaient reclus en une terre appelée Bitenterre Promise,
aux côtés de leur Dieu, le seul et l’unique Bitenbois, le Sempiternel. Grâce à Sa douce présence,
leur communauté n’avait jamais connu autre chose que la paix. Cependant, Bitenbois, le Bon,
et Dieu Tronc, son fidèle compagnon, n’étaient pas les créateurs des seuls Bitenistes, mais bien
de l’ensemble des Pokémon. Aussi, voyant la détresse qui s’emparait du reste du monde, Il
annonça la venue de Son fils, qui aurait pour mission de rétablir l’harmonie du monde tel que
Bitenbois, l’Extraordinaire, l’avait voulu. Il chargea donc trois Pokémon, prénommés Pichon,
Vladimirr et Vladichon, de partir de la Bitenterre Promise pour aller rejoindre l’endroit où
l’enfant allait naître. Et c’est ainsi qu’ils prirent la route.

Après de nombreux jours de marche, les triplés parvinrent à la Bitenmer, le rempart érigé
par leur Dieu en personne pour empêcher quiconque de se rendre en Bitenterre Promise sans
Son assistance. Cependant, cette protection n’est valable que dans un sens. Dès lors, les triplés
sachant nager, ils n’eurent qu’à se jeter à l’eau et furent emportés par les puissants courants
censés éloigner les Pokémon trop curieux. Très vite, ils s’échouèrent sur l’autre rive, non loin
d’un pays appelé Bitengypte. (Selon un rapport que j’ai retrouvé au fond d’un temple antique,
les Bitenistes étaient jadis persécutés dans cette contrée, et c’est de là qu’ils auraient fui.) Les
trois frères commencèrent à avancer à travers le désert aride, n’ayant aucune idée quant à la
direction qu’il leur fallait prendre, et redoutant ce qu’ils allaient trouver. En effet, leur peuple
avait été éloigné si longtemps des autres ethnies qu’ils pouvaient très bien avoir complètement
changé. Tout ce qu’ils savaient se résumait au fait que le monde était en guerre, ce qui n’était
guère rassurant. Toutefois, la prudence leur commanda de ne pas s’approcher des grandes villes,
et en particulier de celle d’où leur peuple s’était jadis échappé. Cette histoire était transmise
sans faute de génération en génération, car jamais il ne fallait l’oublier. Ils marchèrent donc vers
le sud-est, car il leur semblait apercevoir quelque végétation dans cette direction. Ils marchèrent
ainsi trois jours et trois nuits, se nourissant des maigres provisions qu’ils avaient emportées et
buvant l’eau des oasis qu’ils croisaient de ci, de là. Etant très pieux, le jeûne ne leur était pas
étranger, car ils le pratiquaient chaque année en mémoire du courage montré par les Bitenistes
du temps jadis, persécutés par le monde entier. Dès lors, ils ne souffraient pas vraiment de
la faim, et leur moral restait bon, car ils étaient conscients de l’importance de leur mission.
Durant la nuit du troisième jour, cependant, Vladimirr dit à ses frères : "Cela fait maintenant
trois jours que nous sommes partis, et nous n’avons pas l’ombre d’un indice quant à ce que
nous devons faire. Ne serait-il pas temps de nous en enquérir ?" Ses frères n’eurent pas le temps

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d’ouvrir la bouche avant qu’une lumière vive se mette à briller au centre du cercle que les
triplés formaient. Aveuglés, ils ne purent que fermer hermétiquement les yeux. Quand ils les
rouvrirent, ils tombèrent né à né avec Dieu Tronc. Dans la religion Biteniste, Dieu Tronc fut
le seul être créé directement par Bitenbois, le Stellaire, et il était responsable de la création
de l’ensemble des Pokémon. Depuis lors, il vivait aux côtés de son créateur, dans le royaume
des cieux. Dieu Tronc ne pouvait pas redescendre sur la Bitenterre, mais il pouvait encore y
projeter son esprit, et c’est ce qu’il fit à ce moment. A sa vue, Pichon, Vladimirr et Vladichon se
prosternèrent immédiatement et louèrent la grandeur de Dieu Tronc et de son Créateur. Alors,
Dieu Tronc leur dit : "Mes chers enfants, j’admire votre courage et votre grandeur d’âme, car je
sais qu’il vous en a fallu pour ainsi quitter votre terre natale. Toutefois, demeurez dans la joie,
car vous avez été investi d’une mission très importante. Dans soixante-neuf jours, un enfant
naîtra, et ce jour sera le plus beau que la Bitenterre n’ait jamais connu. Bitenbois a choisi une
des rares familles qui lui est encore fidèle, ici, en Bitenterre, pour donner naissance à cet enfant
et l’élever comme son propre fils. Car il s’agira d’un enfant conçu par voie divine par Bitenbois,
avec mon aide, Son fils, le Messie tant attendu des Bitenistes. Seulement, ils habitent bien loin
d’ici, à l’est. Je vous conseille de faire vite, si vous désirez arriver à temps pour la naissance de
l’enfant." Quand Pichon lui demanda comment ils le trouveraient, Dieu Tronc leur dit : "Vous
n’aurez qu’à suivre votre bonne étoile." A ces mots, Dieu Tronc s’éleva haut dans le ciel, et son
esprit se sépara en une myriade de flèches lumineuses, qui fusèrent en direction de l’est, laissant
une traînée scintillante derrière elles. Et très loin, bien hors de vue des trois pèlerins, elles se
rassemblèrent en une immense étoile surplombant un paisible village.

A des lieues et des lieues des trois frères, dans la village de Bithléem, Anus et Anussette
vaquaient à leurs occupations. Ils vivaient là avec une poignée d’autres habitants, avec qui
ils s’entendaient bien. Tous étaient très pauvres, et c’est principalement de là qu’ils tiraient
leur pacificité : ils étaient trop occupés à chercher de la nourriture pour avoir envie de se

Anus et Anussette, Bitenistes endurcis

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battre entre eux, alors ils se serraient les coudes. Cependant, Anus et Anussette avait une
curieuse particularité, qui faisait souvent tiquer le reste des habitants : ils pratiquaient la
religion Biteniste. Or, à l’époque, très rares étaient les Bitenistes à avoir survécu à la Grande
Inquisition, une sorte de chasse aux sorcières honteusement arbitraire et d’une extrême violence
envers les pratiquants de la religion, à l’exception bien sûr de ceux ayant rallié la Bitenterre
Promise. Comme leurs familles respectives vivaient dans ce village, oublié de tous, ils n’avaient
pas subi la persécution, mais cela n’empêchait guère les autres habitants de se méfier d’eux.

C’était un jour d’octobre quand le miracle qui allait changer leur vie à jamais se produisit.
Après avoir pris congé des triplés, l’esprit de Dieu Tronc avait en effet tracé un chemin lumineux
menant droit au village de Bithléem, au-dessus duquel il créa une intense source de lumière qui
devait leur servir de guide. Ensuite, sous le regard effaré des autres habitants, il pénétra dans la
maison du couple Biteniste. Il n’y trouva qu’Anussette, car Anus était sorti pour puiser de l’eau.
Cela n’était pas un problème, car c’est avant tout elle qu’il était venu chercher. A sa vue, ne
l’ayant pas reconnu, Anussette prit peur et lui intima l’ordre de quitter sa maison. En effet, elle
pensait qu’il s’agissait d’un de ces nombreux bandits qui arpentaient les routes et qui prenaient
plaisir à voler les pauvres gens qui n’avaient déjà plus rien. Cependant, comme Dieu Tronc la
rassurait, elle ne tarda pas à se rendre compte qu’il n’en était rien. Forte de son expérience,
et étant toujours restée très pieuse, elle remarqua vite qu’un certain calme se dégageait de son
mystérieux visiteur, une certaine harmonie, une certaine majesté, si bien qu’elle fut bientôt
certaine qu’il n’était pas un Pokémon comme les autres. Quand elle fut calmée, elle proposa
à Dieu Tronc de s’installer avec elle à sa table, et elle lui servit le repas. Faisant semblant de
manger de peur de la froisser 4 , Dieu Tronc lui parla. Il lui expliqua qui il était et la raison de
sa venue et, au fil de ses mots, Anussette parlait de moins en moins, tant elle était suspendue
à ses lèvres. Quand enfin Anus rentra de son périple, Dieu Tronc était parti, et des larmes de
joie coulaient sur les joues d’Anussette. "Nous allons avoir un enfant !", dit-elle à son mari.

Anus crut tout d’abord qu’elle se payait sa tête. En effet, ils avaient beau avoir essayé à
maintes reprises d’avoir des enfants, ils n’y étaient jamais parvenu. Puis, un court instant, il
pensa que sa femme lui avait été infidèle, et il songea même à s’en aller sur-le-champ. Mais dès
qu’Anussette commença à lui raconter ce qu’il lui était arrivé, tout doute s’envola et il l’écouta
avec attention. "J’ai reçu la visite de Dieu Tronc en personne ! Nous qui continuions avec ferveur
les pratiques de nos ancêtres, nos Dieux ont entendu nos prières ! Dieu Tronc savait que nous ne
pouvions pas avoir d’enfant, et il nous a choisi pour être le fils du Messie des Bitenistes. Il m’a
dit que, dans soixante-neuf jours, je pondrai un oeuf, conçu par Bitenbois lui-même, grâce à
une fleur du dos de Dieu Tronc. Et il m’a annoncé que l’enfant qui en éclora deviendra le roi de
tous les Bitenistes, et qu’ils sauverait notre monde en désarroi. Il deviendra un Pokémon plus
beau que le Milobellus le plus splendide, plus fort que le Rhinastoc le plus rigide et plus sage
que l’Alakazam le plus réfléchi. Bannissant les ombres, il vivra toujours baigné de la lumière du
soleil. Et quand je lui ai dit que je craignais de ne pas avoir la force suffisante pour l’assister dans
sa quête si ardue, il me dit que trois pèlerins étaient en route, trois héritiers du peuple Biteniste
initial. Il m’assura qu’avec leur aide, le fils de Bitenbois accomplirait de grandes choses." Anus,
bouleversé par ces paroles et par le miracle que Bitenbois, l’Excellent, avait accompli, fondit en
larme dans les bras de son épouse, tant il était heureux d’avoir enfant un fils à élever, et plein
de joie à l’idée d’accomplir la volonté de son Dieu. Quand il demanda à Anussette comment ils
allaient l’appeler, ils se mirent immédiatement d’accord sur un nom qui honorerait à jamais la
mémoire de leurs deux Dieux, et dirent en choeur : "Nous l’appellerons Bitentronc !"
4. Les esprits sont bien évidemment incapables de se sustenter.

21
Pendant ce temps, les trois frères Bitenistes marchaient sans relâche dans le désert. Ils ne
s’arrêtaient que quelques heures chaque nuit, pour dormir, mangeaient les rares provisions qu’ils
avaient gardées en se rationnant au maximum, et ne buvaient qu’un jour sur deux quand ils
avaient la chance de croiser une oasis dans ce désert sans fin. Ils marchèrent ainsi, de jour
comme de nuit, car leur coeur désirait ardemment rencontrer leur Sauveur. Ils suivirent donc le
tracé lumineux qui scintillait si fortement qu’il était visible de jour, car ils savaient qu’au bout
les attendait l’enfant qu’ils allaient devoir aider. Le corps las mais le coeur dans l’allégresse,
au bout du quarante-cinquième jour de marche, ils aperçurent une lueur bien plus intense que
celle qu’ils suivaient jusque là, et ils reconnurent directement là la marque de Dieu Tronc. Leur
objectif en vue, ils redoublèrent d’ardeur et pressèrent encore l’allure.

Alors que Pichon, Vladimirr et Vladichon se battaient contre les furieuses tempêtes de sable,
Anus et Anussette avaient été rendre visite à leurs amis, dans le village voisin. Bien qu’ils ne
fussent pas Bitenistes eux-mêmes, ils avaient toujours accepté le couple sans a priori, et ils
étaient d’ailleurs les seuls à le faire. Tous les autres Pokémon étaient tout au plus cordiaux
avec eux, et c’était donc toujours un soulagement pour Anus et Anussette de rendre visite à
leurs amis. Etant à une vingtaine de jour de la naissance de Bitentronc, le ventre d’Anussette,
contenant son oeuf si précieux, ne s’était que très peu arrondi, ce qui lui laissait penser que
l’enfant serait probablement nettement plus petit qu’elle. Par une étrange coïncidence, l’amie du
couple avait pondu un oeuf seulement quelques jours plus tôt, contenant leur premier enfant. Les
Pokémon ayant un développement assez rapide, il pouvait déjà se tenir debout, et gambadait
gaiement dans la maison, tout heureux d’accueillir des visiteurs. C’était une petite fille, qui
ressemblait à un ravissant bouton de rose et qui était vouée à devenir une magnifique fleur.
Plus étrange encore, le nom que ses parents lui avaient choisi était Bitenfleur, ce qui ne manqua
pas d’étonner Anus. Seulement, alors qu’Anussette expliquait la raison de leur visite, et qu’elle
détaillait la visite de Dieu Tronc à Bithléem, son amie lâcha un petit cri de surprise, et leur
expliqua avec excitation que Dieu Tronc lui était également apparue. Face aux visages perplexes
du couple Biteniste, elle expliqua qu’elle avait rêvé de lui quelques jours avant la naissance de
leur fille. N’étant pas Biteniste elle-même, elle ne l’avait pas reconnu, mais elle se souvenait
parfaitement de ses mots. "Très bientôt, ta vie sera marquée par un heureux événement, en
la naissance de ta fille unique. Sache qu’elle sera amenée à devenir l’amie très proche d’un
Pokémon qui marquera un tournant dans l’histoire de la Bitenterre. Il s’appellera Bitentronc,
le fils de Bitenbois lui-même, Dieu des Bitenistes et Créateur de l’univers. Même si mes paroles
n’ont pas de sens pour toi, car ta famille délaissa la véritable foi longtemps auparavant, garde
les dans un coin de ton esprit. La lumière sera faite très bientôt."
"Au début, je me suis persuadée qu’il ne s’agissait que d’un simple rêve, et je n’y ai donc pas
prêté attention, dit-elle. Seulement, plus j’y pensais et plus j’avais l’impression qu’il semblait
incroyablement réel, presque comme si je m’étais réellement trouvée en face de Dieu Tronc.
Encore maintenant, il résonne en moi comme un souvenir très doux. J’ai donc décidé d’appeler
ma fille Bitenfleur, pour me rappeler ce si merveilleux songe, et aussi dans l’éventualité où il fût
plus qu’un simple songe. Bien que mon mari y fût réticent au début, je finis par le convaincre,
et nous fûmes alors d’accord. Mais maintenant que tu m’as fait ton récit, Anussette, et à la
lumière de la description que tu m’as faite de Dieu Tronc, je n’ai plus le moindre doute. Nos
enfants seront liés, et ils auront un grand destin à accomplir !" Le reste du séjour d’Anussette
et Anus chez leur amis se passa dans une joie intense. Quand, après quelques jours, il fût temps
pour le couple de rentrer chez eux en prévision de la naissance de l’enfant, leurs amis leur firent
part qu’après y avoir longuement réfléchi, ils avaient décidé de se convertir au Bitenisme. La joie
que provoqua cette annonce fût plus grande encore que celle des jours passés, et Anussette fût
alors convaincue que, s’il parvenait à rallier des Pokémon à sa cause sans même être encore né,
Bitentronc allait sans nul doute changer irréversiblement bien des destins. Une énième larme

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de joie coula sur sa joie.

Quelques jours avant l’échéance renseignée par Dieu Tronc, Anussette pondit un oeuf haut
d’environ dix centimètres. Il était de couleur jaune doré avec de discrets motifs en forme de
fleurs et de soleils. Le couple trouva que c’était là l’oeuf le plus ravissant qu’ils leur avait été
donné de voir, et ils le placèrent bien au chaud à côté de l’âtre. Bien qu’ils habitassent dans
un pays chaud, c’était l’hiver, et il faisait particulièrement froid cette année. Anus et Anussette
prirent donc grand soin de leur oeuf pendant les quelques jours qui suivirent. Pendant ce temps,
Pichon, Vladimirr et Vladichon arrivaient à la fin de leur voyage. La lumière qu’ils suivaient
depuis maintenant soixante-sept jours n’était maintenant plus qu’à une poignée de kilomètres,
et elle brillait plus fort que jamais. En chemin, ils avaient chacun trouvé un cadeau qu’ils
offriraient au nouveau-né en guise de bienvenue sur la Bitenterre, et pour sceller le serment
qu’ils lui feront. En effet, ils avaient décidé de jurer fidélité et allégeance à leur Seigneur dès sa
sortie de l’oeuf, et de l’assister dans tout ce qu’il aura à faire. Ils parcoururent la distance qui les
séparaient de Bithléem en environ un jour, et ils ne tardèrent pas à découvrir la maison du couple
qui bientôt allait accueillir le fils de Bitenbois, l’Irréversible, en leur foyer. En effet, plus que
l’attroupement de curieux qui regardaient par la fenêtre, cherchant un étrange oeuf qui se serait
retrouvé dans cette famille ne pouvant pourtant pas avoir d’enfant, c’est l’intense sentiment de
lumière qui s’en échappait qui attira les triplés. Malgré la luminosité intense produite par la
marque de Dieu Tronc au-dessus du village, l’intérieur de la maison semblait rayonner, comme
si aucune noirceur ne pourrait jamais y pénétrer. Ils se présentèrent alors à la porte. Anus, lassé
de devoir refluer tous ses voisins à longueur de journée, les pria d’abord de s’en aller, mais il
comprit immédiatement que ces Pokémon n’étaient pas d’ici. A eux trois, ils dégageaient une
telle impression de puissance et de majesté, résultat de leur croissance si proche de Bitenbois,
le Fascinant, qu’Anus comprit immédiatement qu’ils étaient Ses envoyés. Il les fit donc entrer,
et les trois frères se présentèrent. Les voisins, qui avaient également remarqué cette fabuleuse
aura, ne tardèrent pas à colporter la rumeur, si bien que les triplés se virent attribuer le surnom
de Rois-Mages. Ils racontèrent alors tout, de la mission qui leur avait été confiée par Bitenbois,
le Magistral, à leur long voyage à travers le désert. Entendant cela, Anus prépara donc le repas
pour trois Pokémon supplémentaires, et ils mangèrent tous ensembles. Anus et Anussette ne
cessèrent de questionner leurs invités sur la vie en Bitenterre Promise, sur les coutumes, la paix
et l’union des Bitenistes. Quant aux trois frères, ils s’intéressèrent également très vivement à la
vie dans cette partie du monde, et Anussette leur parla des guerres incessantes, des tensions,
de la misère et de la mort. Loin de les effrayer, cela ne fit que renforcer la volonté des frères.
Le soir venu, tous allèrent se coucher pour vivre ce qui allait être la dernière nuit avant un
tournant majeur dans l’histoire de la Bitenterre, la dernière nuit avant l’arrivée de Bitentronc.

Naissance de Bitentronc Le lendemain matin, tous furent réveillés par un écrasant sen-
timent de puissance émanant du salon, où se trouvait la cheminée. Tous comprirent immé-
diatement, et tous s’y précipitèrent ensemble, car cette puissance provenait de l’oeuf. Quand
ils arrivèrent, ils s’aperçurent qu’il s’était mis à briller très fortement, à tel point qu’il était
devenu difficile de l’apercevoir. Ils s’assirent autour de l’oeuf et attendirent, fébriles. Il devint
progressivement de plus en plus brillant, jusqu’à emplir la pièce entière d’une lumière chaude
et apaisante. Soudain, un tintement vint s’ajouter au scintillement, comme si on avait frappé
un immense triangle. Ce tintement retentit plusieurs fois, de plus en plus fort, et quand il fut
devenu assourdissant, la coquille de l’oeuf magnifique explosa. Durant plusieurs secondes, per-
sonne ne vit quoi que ce fut, tant la lueur provenant de l’âtre était devenue intense. Puis, alors
que leurs yeux s’y accoutumaient lentement, ils le virent, et aucun ne put réprimer un large
sourire. Il avait l’aspect de la fleur la plus ravissante qu’ils n’avaient jamais vue. Ses pétales
d’or luisaient et scintillaient comme autant de joyaux. Un immense sourire illuminait son doux

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visage, ne faisant que réhausser l’éclat de ses yeux rieurs. Bien qu’il ne fut pas grand, une
telle énergie positive s’échappait de son corps que sa seule présence fit ressentir une immense
volupté à chacun des occupants de la pièce. Enfin, après tant d’attente et tant de souffrances,
leur Sauveur, Bitentronc, était né.

Bitentronc, Sauveur des Bitenistes

Tous, y compris ses parents adoptifs, s’agenouillèrent devant leur Sauveur, et louèrent leurs
Dieux pour le miracle qu’ils avaient accompli. Puis, les triplés Bitenistes s’approchèrent de
Bitentronc, et Pichon le premier prit la parole. "Ô Bitentronc, fils de Bitenbois, soyez le bienvenu
en Bitenterre. Par ce cadeau, je vous fais le serment que jamais je ne faillirai à vous aider dans
votre tâche. Ma vie est désormais la vôtre." Sur ces mots, il tendit un petit écrin et l’ouvrit,
révélant une immense perle en or. "Il s’agit d’une Maxi Pépite", reprit Pichon, "Puisse-t-elle
vous permettre d’acquérir moult objets." Après lui, Vladichon s’approcha de Bitentronc, et lui

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offrit un pot richement décoré. "Puisse cet Encens Doux vous permettre d’esquiver toutes les
attaques. Par cette offrande, je vous prête moi aussi allégeance, et m’engage à rester auprès
de vous jusqu’à la fin." Enfin, Vladimirr fit un pas en avant et tendit à Bitentronc une plaque
de terre cuite, semblant très ancienne et dégageant une douce odeur. "Cette Plaque Terre m’a
été transmise par Bitenbois, votre père, lui-même. Puisse-t-elle vous servir du mieux qu’elle le
pourra. A l’instar de mes frères, que ce présent scelle le lien indéfectible qui désormais me reliera
à vous, Seigneur !" Les triplés se rassemblèrent, se tournèrent vers leurs hôtes, et leur dirent
alors : "Anussette, génitrice du Sauveur des Bitenistes, et toi, Anus, son fidèle époux, vous êtes
désormais bénis par Dieu Tronc et Bitenbois. Soyez heureux, car vous avez donné vie à la plus
belle chose jamais arrivée à ce monde." Alors qu’Anussette s’apprêtait à répondre, tous furent
surpris d’entendre une voix incroyable douce et belle retentir derrière eux : "Je vous le dis,
relevez-vous de suite, mes amis, car je ne suis nullement supérieur à vous. En vérité, bien que je
sois le fils de Bitenbois, c’est toi, Anussette, qui m’a mis au monde, et toi, Anus, qui a décidé de
t’occuper de moi avec elle. Je vous considérerai dès lors toujours comme mes parents. Quand
à vous, Pichon, Vladichon et Vladimirr, je sais les souffrances que vous avez endurées pour
venir jusqu’à moi, et la ferveur qu’il vous a fallu pour quitter la Bitenterre Promise. Je vous en
suis infiniment reconnaissant, ainsi que pour les somptueux présents que vous m’apportâtes. Je
saurai en faire bon usage." Devant le visage abasourdi des différents Pokémon présents dans la
pièce, le sourire de Bitentronc s’accentua, et il dit : "Ne craignez pas, et riez, car ce jour est un
jour d’allégresse ! Bitenbois m’a amené sur la Bitenterre pour accomplir une mission, celle de
réunifier l’ensemble des Bitenterriens. L’heure n’est donc plus à la tristesse mais bien aux éclats
de rire, car des temps meilleurs arriveront très bientôt !" Cette louange, que Bitentronc avait
lancée de tout son coeur, fut immédiatement reprise par les autres qui, grâce aux paroles de
Bitentronc, étaient désormais plus heureux que jamais. Oui, des temps meilleurs allaient venir,
car enfin, leur Sauveur était là !

Jeunesse de Bitentronc Plusieurs années passèrent depuis le jour béni où Bitentronc, le fils
de Bitenbois, le Phénoménal, était né. Bien qu’il fut alors déjà très avancé pour son âge, comme
en témoignait sa capacité de parler juste après sa naissance, Bitentronc connut une enfance
tout à fait normale, autant qu’elle peut l’être dans un village si pauvre. Anus et Anussette lui
apprenaient tout ce qu’il lui fallait apprendre, car l’école du village était abandonnée depuis fort
longtemps. Pendant ses temps libres, Bitentronc aidait ses parents à cultiver leur lopin de terre
et à puiser de l’eau au puits, à plusieurs kilomètres de là. Il appréciait tout particulièrement
les moments passés avec Pichon, Vladimirr et Vladichon. Ces fervents Bitenistes, qui s’étaient
présentés à lui comme ses humbles serviteurs, étaient au fil du temps devenus ses meilleurs
amis. Leur ardeur à le protéger du moindre caillou sur son chemin le faisait souvent rire aux
éclats, et les triplés avaient rapidement développé une grande affection pour lui. De manière
générale, d’ailleurs, la simple présence de Bitentronc suffisait à rendre les gens heureux, tant
son sourire légendaire était communicatif. Les habitants du village de Bithléem, bien qu’ils
fussent hostiles au Bitenisme avant l’arrivée de Bitentronc, adoraient dorénavant tous cette
petite fleur qui illuminait même leurs plus mornes journées. Certains de ces habitants, ceux
à l’esprit le plus doux, étaient même venus rendre visite aux Bitenistes pour leur annoncer
qu’ils envisageaient de se convertir. Ces visites comblaient de joie Anus et Anussette, car s’ils
savaient que leur enfant était capable de grandes choses, ils n’imaginaient pas qu’il puisse à lui
seul convaincre des athées endurcis d’adopter une religion oubliée et autrefois sévèrement punie.
Seulement, dans leur immense bonheur, ils étaient également un peu tristes, car ils savaient
pertinemment qu’un jour, Bitentronc devrait les quitter pour aller répendre sa parole dans le
monde. Ils s’efforçaient toutefois de n’y pas penser, et ainsi chérissaient chaque instant passé
en compagnie de leur fils comme le plus précieux des cadeaux. Et au milieu de tous ces gens
si sympathiques avec lui, Bitentronc était heureux. Seulement, son bonheur n’aurait pas été

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complet sans sa plus grande amie. Il s’agissait bien entendu de Bitenfleur.

Depuis sa naissance, Bitenfleur avait beaucoup grandi. D’un minuscule enfant, elle était
devenue une magnifique jeune femme. Tous ses bourgeons avaient très joliment fleuri, et ses
fleurs s’étaient épanouies jusqu’à s’ouvrir complètement. La fleur sur sa tête, d’un blanc éclatant,
rivalisait de beauté avec celles, bleue et rouge, qui constituaient ses mains. Son regard intense
exprimait une grande intelligence et une profonde gentillesse.

Bitenfleur, quatrième apôtre et amie d’enfance de Bitentronc

Bien qu’elle n’habitasse pas dans le même village que Bitentronc, il allait la voir aussi souvent
que son apprentissage le permettait. Les moments passés en sa compagnie étaient ceux qu’ils
préféraient, car les deux Pokémon avaient le même âge. Ils se comprenaient sans même avoir
besoin de se parler et, surtout, Bitenfleur était la seule à le considérer comme son égal, et non
comme un dieu descendu du ciel. Cependant, Bitenfleur savait très bien qu’un jour, Bitentronc
devrait s’en aller. Aussi lui jura-t-elle, un jour où il lui rendait visite, qu’elle l’accompagnerait
partout où il irait. Quand Bitentronc lui dit que son voyage serait sans doute long et très
périlleux, et qu’il vit que la volonté de Bitenfleur demeurait de marbre, il lui dit : "Bitenfleur,
tu représentes énormément de choses pour moi, la plus importante étant que tu es ma meilleure
amie. Aussi, si tel est ton désir, je ne ferai rien pour t’en empêcher, car je désire aussi que
tu m’accompagnes. Seulement, qu’en penseront tes parents ?" Bitenfleur lui raconta alors que
ses parents étaient parfaitement d’accord qu’elle l’accompagne, car ils savaient d’une certaine
façon que leurs destins étaient étroitement liés. Alors, Bitentronc la serra fortement dans ses
bras, et la remercia d’être ce qu’elle était. Bitenfleur sourit simplement, et lui dit : "Sans toi,
je ne serais pas moi." Bitentronc sut alors qu’il pourrait compter sur elle durant toute sa vie.

Au fil des quelques années qui suivirent, Bitentronc rêva de plus en plus de son départ. Bien
qu’il ne sache pas dire d’où lui venaient ses velléités de voyage, si elles venaient de l’héritage
de son Divin père ou bien de lui-même, il était néanmoins sûr d’une chose : il lui fallait partir.
Le récit du monde que lui avaient fait ses parents lui faisait perdre toute sa bonne humeur, et

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il savait qu’il ne trouverait le repos que quand il pourra s’y rendre en personne pour tâcher de
résoudre tous ces problèmes. Aussi, à l’aube de ses dix-neuf ans, Bitentronc se leva avec une idée
fixe : il allait prendre la route aujourd’hui. Il alla donc rejoindre ses parents d’un pas décidé,
et fut accueilli non seulement par eux mais par Pichon, Vladimirr, Vladichon et Bitenfleur.
Alors que tous lui souhaitaient un très joyeux anniversaire, Bitentronc ne put s’empêcher de
sourire. Chaque, année, pour son anniversaire, ses parents rassemblaient tous ses amis les plus
proches pour que tous partagent ce moment de bonheur, et il leur en était très reconnaissant
à chaque fois. Seulement, aujourd’hui, Bitentronc avait une importante annonce à leur faire, et
il comptait bien profiter du fait qu’ils soient tous présents. Alors, après avoir fait la fête, il les
réunit tous au salon et leur communiqua la décision qu’il avait prise ce matin-là. Il s’attendait à
une tempête de constestations de la part de ses parents et des triplés ("Tu es trop jeune", " C’est
trop dangereux", "Où dormiras-tu ?"...), aussi fut-il surpris quand Anus posa une main sur son
épaule et lui dit qu’ils s’en doutaient, et qu’ils comprenaient et respectaient parfaitement son
choix. Ensemble, les trois frères se levèrent et lui dire d’une seule voix : "Seigneur Bitentronc, où
vous irez, nous irons !" Enfin, Bitenfleur s’approcha de lui, et lui murmura : "Mon sac est déjà
prêt depuis un an, je commençais à perdre patience !" Bitentronc fut alors enseveli par un torrent
de gratitude pour tous ses proches, et il sauta dans les bras de ses parents pour les remercier.
Les larmes aux yeux, il les remercia pour l’avoir mis au monde, l’avoir éduqué, protégé et
accompagné durant toutes ces années. Il remercia ensuite Pichon, Vladimirr et Vladichon pour
le dévouement qu’ils avaient toujours eu à son égard. Enfin, il remercia infiniment Bitenfleur
pour l’amitié indéfectible qu’elle lui avait manifestée depuis son plus jeune âge. Il leur dit alors :
"Mes amis, partons sur l’heure, et que notre voyage soit couronné de succès !"

A ces mots, Bitentronc fila dans sa chambre et rassembla ses maigres possessions dans un
baluchon. Il y plaça sa Maxi Pépite, son Encens Doux et sa Plaque Terre qui ne le quittaient
jamais, ainsi que quelques provisions pour le début de leur périple. Il rejoignit alors les triplés,
qui l’attendaient déjà sur le pas de la porte, leurs sacs prêts. Ils convinrent avec Bitenfleur qu’ils
passeraient par son village pour commencer, afin qu’elle puisse rassembler ses affaires et dire au
revoir à ses parents. Alors, Bitentronc se tourna une dernière fois vers eux, qui semblaient tristes
mais fiers de ce que leur fils s’apprêtait à accomplir. Il les serra énergiquement dans ses bras et
leur dit au revoir, tout en leur promettant qu’ils se reverraient un jour prochain. Avec un dernier
signe à Anus et Anussette, qui lui faisaient des signes de la main avec un doux sourire aux lèvres,
il prit la route avec ses compagnons. Arrivés au village de Bitenfleur, son sac récupéré et ses
parents salués, ils s’éloignèrent un peu et Bitentronc s’adressa à eux : "Mes très chers amis,
nous voilà partis pour un voyage dont je ne pourrais vous garantir la réussite. Je vous serai
éternellement reconnaissant de votre fidélité indéfectible, car c’est de cela que j’aurai infiniment
besoin. Je pense rassembler d’autres Pokémon pour nous accompagner, car plus nous aurons
d’alliés, mieux notre message pourra être transmis. Dès lors, Bitenfleur, Pichon, Vladimirr et
Vladichon, vous serez mes quatre premiers apôtres. Puissions-nous aider la Bitenterre entière !"
Et c’est ainsi que le fabuleux périple de Bitentronc et ses apôtres débuta, sous les regards
protecteurs d’Anus, Anussette et, beaucoup plus haut, de Bitenbois, le Rédempteur.

La compagnie marcha joyeusement pendant de nombreux jours, sans réelle destination. Ils
dormaient tantôt à la belle étoile, sur le bord du chemin, tantôt chez de braves Pokémon qui
acceptaient de les accueillir. Ils se nourissaient des maigres provisions qu’ils avaient emportées
et, plus rarement, de la généreuse hospitalité des Pokémon qui les accueillaient. Partout où ils
passaient, ils tâchaient d’aider les Pokémon qu’ils croisaient du mieux qu’ils pouvaient, aidant
un vieillard à porter une jarre remplie d’eau, consolant un enfant jusqu’à ce qu’il retrouve ses
parents, calmant les disputes et réconciliant les Pokémon brouillés. Ils laissaient une traînée de
bonheur et de joie partout où ils passaient, et ils en étaient ravis. Bien qu’ils ne s’en rendissent

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pas compte, ils avaient déjà commencé à réaliser leur objectif ultime, celui de réunifier tous
les Pokémon du monde. En effet, la nouvelle d”un petit groupe de Pokémon semant la joie
où ils passent comme on sèmerait du grain commença à se répandre entre les petits villages
qu’ils avaient visité, et même au-delà. Ainsi, sans même en être conscient, ils réussissaient
déjà à redonner goût à la vie à de très nombreux Pokémon autour d’eux, qui entendaient leur
histoire et décidaient d’échapper à leur vie depuis trop longtemps morose et triste à cause de la
tension qui gangrenait la Bitenterre. Certains villages rivaux commençaient déjà à se réconcilier,
des ennemis devinrent amis, et les Pokémon commencèrent doucement à s’entraider, comme à
l’ancien temps. Tel était le pouvoir de Bitentronc, le digne fils de Bitenbois, le Conciliant, et de
ses compagnons. Cependant, les quelques villages sur lesquels ils avaient laissé leur marque, à
l’instar de Bithléem, faisaient partie des zones les moins touchées par la vague de violence qui
avait submergé le monde, et dès lors étaient très sensibles à la joyeuse aura du petit groupe.
Seulement, le plus dur restait à venir, car les Pokémon des grandes villes, et des nations plus
riches, étaient bien plus fermement ancrés dans une spirale de haine les uns envers les autres, et
c’était dans ces endroits-là que Bitentronc voulait se rendre, car il savait que c’est là qu’on avait
le plus besoin de lui et ses amis. L’histoire ne tarda pas à lui donner raison car, alors qu’ils
arrivaient aux abords d’une ville beaucoup plus grande, ils eurent vent d’un terrible groupe
de brigands qui terrorisaient toute la région. Ils se faisaient appeler "la bande à Souzestim" et
leur chef, Souzestim, était le plus cruel d’entre eux, n’hésitant pas à assassiner froidement les
Pokémon qui refusaient de lui céder ce qu’il désiraient. En entendant ces nouvelles, Bitentronc
et ses apôtres décidèrent que cette ville représenterait leur premier grand défi : ils allaient
remettre les bandits dans le droit chemin et rétablir la paix dans cette ville.

5 L’Évangile selon Souzestim


5.1 Préface de l’auteur
Bitentronc m’a sauvé. Avant notre rencontre, le monde allait au plus mal et, plutôt que
d’essayer de changer ça, j’en profitais honteusement. J’étais un bandit de la pire espèce, le

Souzestim, ex-crapule et cinquième apôtre de Bitentronc

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plus cruel d’une bande qui volait et tuait de nombreux innocents. Les gens étaient terrifiés à la
simple mention de mon nom, et j’en tirais une immense satisfaction que je n’arrive toujours pas à
expliquer aujourd’hui. Ils me donnaient de nombreux surnoms : Souzestim le Cruel, Souzestim
l’Horrible, Souzestim l’Ignoble, et je vous passe les plus grossiers. Ils avaient raison. J’étais
une ordure de la pire espèce, un rebut de la société, un délinquant irrécupérable. En un mot,
j’étais un gougnafier. Le pire, c’est que je n’y voyais aucun inconvénient. J’aurais certainement
continué à répandre le mal autour de moi si je n’avais pas croisé la route de Bitentronc, le
fils de Bitenbois. Je ne le savais pas quand je l’ai rencontré, mais c’est lui qui m’a ouvert les
yeux. Grâce à lui, j’ai compris à quel point le chemin que j’avais choisi était mauvais. Et là
où n’importe quel autre bonhomme m’aurait jugé aussi cruellement que je me comportais, lui
préféra me tendre une main secourable. La saisir aura sûrement été la meilleure chose que je
n’aie jamais faite. Aujourd’hui, Bitentronc est mort depuis des années, mais je sens au plus
profond de moi que je dois à tout prix mettre par écrit le temps que j’ai passé en sa présence.
Voici donc ma version de la Bonne Nouvelle, l’Evangile selon Souzestim.

5.2 L’Évangile
Rencontre avec Bitentronc C’est arrivé l’année de mes vingt-six ans. A cette époque,
je vivais dans une ville aussi immense que sordide. Les meurtres et les vols étaient monnaie
courante ici, et plus personne n’était là pour maintenir l’ordre. Le dernier gardien de la paix
avait fui il y a de ça quatre ans, et avec lui avait disparu toute trace de loi dans cette cité.
Moi, j’étais tout seul. Mes parents m’avait mis à la rue quand j’avais cinq ans, alors que mes
premières feuilles venaient à peine de pousser, en me disant qu’ils n’avaient jamais voulu avoir
d’enfant. J’ai donc appris très tôt à voler pour pouvoir survivre. Pendant des années, je subsistai
en volant des pommes dans les étalages et en buvant l’eau polluée de la rivière. Un couple sans
enfant avait pitié de moi, et ils me permettaient de dormir sous leur porche pour me protéger
de la pluie. Le jour de mes neuf ans, j’ai commis mon premier meurtre. J’avais été coincé par
un salopard qui voulait m’utiliser pour parfumer son ragoût, parce qu’il avait entendu que les
feuilles de Mystherbe leur donnaient un parfum subtil. Comme j’étais agile, et lui complètement
ivre, je n’eus aucun mal à me glisser derrière lui et à lui prendre la Pierre Dure avec laquelle il
voulait me tuer. Dans la panique, je n’ai pas réfléchi plus loin que ça : il a voulu me tuer, donc il
mérite la mort. La seconde suivante, il tombait par terre, le crâne en sang. Je n’ai pas ressenti le
moindre dégoût à cette vision, tant l’environnement dans lequel je grandissais était malsain. J’ai
continué à grandir, jusqu’au moment où ma mauvaise qualité de vie m’avait changé en plante
bleuâtre et bavante. C’est à cette époque que je commençais à être connu. Avec l’âge, je gagnais
en confidence et j’avais de moins en moins peur, ce qui me poussais à commettre de plus en plus
de vols, avec violence si c’était nécessaire. Je ne me rendais même pas compte du monstre que
j’étais en train de devenir. A mesure que mes exploits se racontaient dans la ville, des Pokémon
en quête de fortune commençaient à venir me voir. Ils me suppliaient de les prendre sous mon
aile. C’est ainsi que je créai le pire groupe de bandits de toute la région, tristement célèbre sous
le nom de "bande à Souzestim". Nous écumions la ville et tous ses alentours, pillant, frappant
et tuant sans vergogne. Bientôt, j’avais rassemblé une cinquantaine de jeunes idiots sous ma
bannière, dont j’étais évidemment le pire. Aveuglés par l’illusion de pouvoir que j’avais acquis,
ils me suivaient dans l’espoir de devenir riche et célèbre comme je l’étais devenu, sans se soucier
des moyens nécessaires. Toutes ces vies gâchées par ma faute... J’en fais encore des cauchemars.
Et c’est comme ça qu’on a vécu pendant encore près de dix ans, dix ans pendant lesquels je me
disais : "Pourquoi travailler dur quand on peut profiter du travail des autres ? Quel mal y a-t-il
à prendre la vie des Pokémon quand leur coeur est pourri par la haine et la rancoeur ?" J’étais
devenu une fleur immense, aux pétales roses tachetées et au teint maladif, et j’étais persuadé
que j’avais tout pour être heureux, jusqu’au jour ou un membre de ma bande m’a indiqué avoir

29
vu un groupe de voyageurs, qui avaient le profil de marchands itinérants, les meilleures cibles
pour moi car ils ne me connaissaient pas et qu’ils étaient souvent très riches. Ce que je ne savais
pas, c’est que parmi eux était Bitentronc, un Pokémon qui changea ma vie à tout jamais.

Une dizaine de mes compagnons m’accompagnaient pour ce larcin. Chacun savait exactement
ce qu’il devait faire. A la nuit tombée, quand les cibles s’étaient endormies au bord d’un chemin,
elles se sont retrouvées encerclées en quelques secondes. Ils n’étaient que cinq, c’était du gâteau,
la routine. Alors que quatre de mes compagnons m’imitaient, je me suis dirigé vers celui qui
semblait être leur chef. Alors que je préparais mon arme pour l’assomer (ce qui en avait déjà
tué plus d’un mais on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs), quelque chose arrêta mon
bras. Le visage de ma victime dégageait une telle impression de douceur, de sérénité et de
calme que je ne pouvais pas me résoudre à abattre la balle fer que je tenais dans ma main.
Un coup d’oeil à mes sous-fifres m’indiqua qu’ils avaient été frappés du même doute. Sans se
concerter, on a donc décidé de fouiller leurs affaires sans les frapper. Bingo ! Dans le baluchon
de ma cible se trouvaient plusieurs objets qui semblaient être d’une grande valeur. Alors que
je les empochait, prêt à m’enfuir sans plus tarder, je remarquai que ses yeux s’étaient ouverts,
et qu’il me regardait avec un grand sourire et un regard profond, qui exprimait de nombreuses
émotions que je ne m’attendais pas à trouver dans les yeux d’une de mes victimes. J’y lus de la
pitié, de la tristesse, de la compréhension, une infinie douceur et même... de la compassion ? !
La surprise fut telle que je reculai d’un pas. Jamais personne, de toute ma vie, ne m’avais
exprimé de la compassion. Ici, c’était chacun pour soi, et personne ne se souciait jamais des
problèmes des autres, et cette règle s’appliquait d’autant plus à un jeune Pokémon abandonné
par ses parents. Comme les autres Pokémon me regardaient avec un mélange de dégoût et
d’effroi, le sentiment qui me submergea quand je soutins son regard était tout nouveau pour
moi. Même s’il ne me connaissait pas du tout, j’avais l’impression qu’il me comprenait. Tous
ses compagnons continuaient de dormir, mais lui n’essaya pas de les réveiller ni de protester.
Il nous regarda les détrousser sans dire un mot, mais sans se départir de son sourire ni de son
regard empathique. Troublé, mais notre larcin terminé, je tournai les talons et commençai à
m’éloigner quand j’entendis une voix dépourvue de toute haine pour la première fois de ma
vie, et qui était sans aucun doute la sienne : "Mon cher ami, je te comprends. Si par hasard
tu ressentais l’envie de te confier à moi, ou de me voler à nouveau, sache que je resterai ici le
temps qu’il faudra." Ces mots amusèrent grandement mes compagnons, qui semblaient prendre
l’inconnu pour un fou. Seulement, je n’avais pas du tout envie de rire. Quelque chose dans son
regard et dans sa voix avait provoqué en moi un malaise intense, que je n’identifiai pas tout de
suite. Au loin, j’entendis ses compagnons se réveiller et vouloir partir à notre poursuite, mais sa
voix reprit : "N’ayez crainte, mes amis, je pense ques ces braves gens nous restituerons nos biens
très bientôt." Ce n’est que de retour à notre base que j’ai pu mettre un mot sur la sensation
désagréable qui ne m’avait pas lâchée, car je ne l’avais jamais expérimentée auparavant : ce
sentiment que je ressentais, c’était du remord.

Cette nuit-là, je la passai à réfléchir. Pourquoi, comment pouvais-je ressentir du remord là


où jamais je n’en avais senti auparavant ? Ce Pokémon m’a-t-il ensorcelé ? Comment d’autre
aurait-il pu me faire douter en quelques secondes de toute ma vie, dont j’étais convaincu du bien-
fondé ? Ces questions tournèrent dans ma tête jusqu’au petit matin, et quand mes compagnons
me demandèrent quel coup on allait faire aujourd’hui, je sus qu’il me fallait retourner voir
l’étranger qui m’avait tant troublé. Je dis donc à mes larbins que je devais m’absenter pour
aller vendre notre butin de la veille. Je rassemblai tout ce qu’on avait pris, et je retournai au
chemin où se trouvait le campement. Sans surprise, j’y trouvai celui que j’étais venu y chercher.
Il semblait presque m’attendre, son sourire toujours vissé aux lèvres, mais son regard semblait
maintenant exempt de toute tristesse. Au contraire, il était lumineux, comme s’il était ravi de

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voir le Pokémon qui l’avait volé la veille. Il était seul, ce qui me rassura légèrement sans que je
sache pourquoi. Ne sachant pas quoi dire, je lui criai sans trop y croire qu’il m’avait ensorcelé,
qu’il vaudrait mieux pour lui qu’il me délivre du sentiment de remord qu’il avait instillé en moi
et qui augmentait sans cesse. Il ne parut pas du tout impressionné par ma colère, sans doute
parce que je n’étais pas convaincu moi-même d’être vraiment en colère. Comme il ne répondit
rien, je poursuivai en lui demandant d’un air presque suppliant ce qu’il m’avait fait, comment
m’en débarasser et pourquoi, au nom du ciel, il m’avait fait ça à moi. Mais il continua à me
fixer, avec toujours ce regard plein de joie. Alors, n’y tenant plus, je me mis à pleurer. C’était
une curieuse sensation, car ça ne m’était jamais arrivé auparavant. Sans qu’il ne m’ai rien
dit, et sans comprendre pourquoi, je lui racontai toute ma vie, depuis mon abandon jusqu’à
aujourd’hui. Je lui parlai de ma souffrance, de mon désarroi, de ma peine immense. Je lui
parlai de ma vie de criminel, de meurtrier sans foi ni loi. Je lui parlai de tous ces Pokémon
que j’ai attiré avec moi dans ma descente aux enfers, sans ressentir la moindre pitié. Enfin,
je lui parlai encore une fois de ce remord qui pour la première fois m’avait assailli la veille et
qui m’obsédait maintenant comme un moustique qui me tournerait autour sans relâche. Je lui
parlai ainsi pendant plusieurs heures d’affilée, sans qu’il m’interrompît jamais. Quand enfin je
me tus, épuisé mais bizarrement soulagé d’avoir raconté tout ça à quelqu’un, mon interlocuteur
ne parla pas tout de suite. Il me regarda en souriant, plein de compréhension et de bienveillance,
comme si mes nombreux crimes ne signifiaient rien pour lui. Après plusieurs minutes, il se leva,
posa une main sur mon épaule, et me dit : "Bitentronc." Voyant que je me levais en brandissant
le poing, car j’étais persuadé qu’il m’avait insulté, il ajouta simplement : "C’est mon nom."
Après m’avoir calmé, il me dit : "Mon ami, tu t’es certes mal conduit pendant toutes ces années
de criminalité que tu as vécue. Cependant, sache que Bitenbois ne connait ni la haine, ni la
rancune, et qu’Il aime ses créations, dont tu fais bien entendu partie, plus que tout au monde.
Dès lors, Il est prêt à pardonner tes erreurs passées." Quand je lui ai demandé si Bitenbois était
son frère (vu la proximité des noms), il reprit : "Bitenbois est principalement le Créateur de
tous les êtres peuplant la Bitenterre et, accessoirement, c’est mon Père." Il dut remarquer mon
air ahuri, et entreprit donc de me raconter toute l’histoire de la Bitenterre, depuis sa création
à aujourd’hui. Il me parla des premiers Pokémon, qui vénéraient Bitenbois, l’Indomptable, et
Dieu Tronc, les seuls vrais Dieux, en une religion appelée Bitenisme. Il m’expliqua comment,
au fil du temps, la grande majorité des Pokémon avaient perdu la foi à cause du manque de
signes vérifiables de l’existence d’un Dieu quelconque, comment ces Pokémon s’étaient tournés
vers d’autres Pokémon élevés au rang de dieu, comment il persécutèrent les Bitenistes de par le
monde, et enfin comment ces derniers s’étaient réfugiés dans la Bitenterre Promise pour y vivre
en paix. Pendant son récit, ses quatre compagnons étaient revenus de la ville, et ne semblèrent
pas du tout étonné de me voir. Plus incroyable encore, aucun ne me regarda avec le regard
lourd de reproche auquel j’étais habitué, mais affichaient tous un sourire plein d’espoir et de
compréhension, similaire à celui de Bitentronc. Recevoir ce regard d’un Pokémon, c’était déjà
extraordinaire, mais de cinq, ça relevait carrément du prodige. Je posai alors la question qui
me brûlait les lèvres depuis ma première rencontre avec Bitentronc : "Qui es-tu ?" "Je suis là
pour terminer ce que mon Père a commencé. Quand Il a créé la Bitenterre, Il la voulait peuplée
de créatures vivant en une paix parfaite et unanime. Cependant, Il savait pertinemment que
cette paix ne pourrait perdurer sans recevoir un peu d’aide. Jusqu’ici, il put compter sur Ses
plus fidèles Bitenistes pour guider leurs semblables vers le droit chemin, tels Capucine ou
HoOhOohAHa pour ne citer qu’eux. Seulement, Il dut se rendre à l’évidence : avec la quasi
totalité des Bitenistes séparés des autres Pokémon, leur coeur était devenu beaucoup trop noir
pour être éclairci par un semblable. Il décida alors de m’envoyer, moi, Son fils, et m’investit
d’une mission : celle de sauver tous les Bitenterriens, de les réunifier et de ramener la paix entre
les peuples. Je ne pourrais pas espérer réussir tout seul, c’est pourquoi je suis accompagné
par mes quatre apôtres et amis ici présents : Bitenfleur, Vladimirr, Pichon et Vladichon (il les

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pointait du doigt à mesure qu’il les présentait)." Sans réfléchir, je lui dis alors que je souhaitais
également voyager avec lui. Aujourd’hui encore, je me demande ce qui m’a poussé à décider si
impulsivement que ma place était avec le Pokémon qui se tenait devant moi, et que je connaissais
depuis seulement un jour. Et après, je me souviens. Plus que son discours, c’était son aura. Son
regard et son sourire, ajoutés à l’indescriptible sensation de calme qu’il me procurait, m’avaient
convaincu en un instant que je ne serais heureux qu’à ses côtés. Aussi, je ressentis une grande
déception quand il me dit qu’il était désireux de m’emmener avec lui, car il voyait que mon
coeur était pur sous toute cette noirceur que j’y avais moi-même accumulée, mais que je ne
pourrais venir qu’après avoir réparé tout le mal que j’avais causé. Découragé, je lui expliquai
alors que c’était impossible, tant ma vie avait été horrible. Il acheva alors de me convaincre
que je devais rester avec lui quand il me dit : "Faire le mal est nettement plus facile que faire
le bien, mais faire le bien sera toujours possible si tu le désires du plus profond de ton coeur."
A ces mots, un immense sourire aux lèvres et une volonté renouvelée brûlant dans ma poitrine,
je me levai et lui dit : "Je vais rassembler mes hommes !"

Je ne m’attendais évidemment pas à être accueilli à bras ouverts en annonçant à mes compa-
gnons que j’avais décidé de ne plus être un hors-la-loi et que je les encourageais vivement à faire
de même, mais leur réaction fut si violente qu’elle me choqua profondément. Immédiatement,
ils commencèrent à crier, à m’insulter, à cracher. Ils me disaient que j’étais devenu faible, qu’il
était temps de laisser le commandement du groupe à quelqu’un de plus jeune, que je ferais
mieux de m’enfuir très loin si je ne voulais pas qu’ils me tuent sur-le-champ. Cependant, si leur
réaction me marqua, ce fut autre chose qui me fit réellement pleurer. Moi qui avait embrigadé
tous ces jeunes durant toutes ces années sans me soucier de rien, je me rendais finalement
compte de l’immensité de mon erreur. En effet, empoisonner ma propre vie, je l’avais accompli
moi-même, et cela n’impliquait que moi et ma conscience. Par contre, je n’avais aucun droit
d’encourager tous ces Pokémon, qui auraient pu devenir repectables, à détruire la leur. Car
c’était de ma faute, et uniquement de ma faute, si tous ces gamins perdus étaient aujourd’hui
persuadé qu’il n’y avait rien de mal à faire ce qu’on avait toujours fait. Devant l’horreur de
cette pensée, la culpabilité me submergea et je commençai à pleurer à chaudes larmes. Alors,
mes joues toujours dégoulinantes, je suppliai à tous de bien vouloir me pardonner. Je leur dis à
quel point j’avais été idiot, et combien je le regrettais maintenant. Je leur expliquai que j’avais
finalement compris que la voie qu’on avait emprunté était probablement la pire possible. Bizar-
rement, ils réagirent à ces déclarations avec beaucoup moins de véhémence. En avais-je touché
certains ? Avais-je réussi si facilement à les convaincre, comme Bitentronc l’avait fait avec moi ?
Ma déception fut grande quand, un par un, les membres de ma bande sortir de notre repère
en me traitant de fou et d’imbécile. Malgré tout, je pouvais reconnaître dans leurs voix une
pointe de doute, comme si, tout au fond d’eux, mes mots les avaient tout de même touchés,
ne fut-ce qu’un peu. Pour les convaincre entièrement, il me fallait l’aide de Bitentronc. J’allai
donc le voir pour le supplier de m’aider, de faire entendre raison à tous ces Pokémon dont
j’avais gâché la vie, car je n’en étais pas capable moi-même. Bitentronc me dit alors : "Mon
cher Souzestim, je sais qu’au fond de toi, tu en es parfaitement capable. Seulement, pour cela, il
te faudra te débarrasser totalement de la part d’ombre qui sommeille encore en toi. Néanmoins,
je consens à venir t’aider, car je devine la tâche ardue." Nous sommes donc retournés à mon
repère, où nous avons surpris le reste de la bande en train de voter pour un nouveau leader. Je
ne pouvais pas leur en vouloir, il était tout à fait normal qu’ils cherchent à remplacer l’ancien
qui les a tant déçus. Ces jeunes Pokémon étaient perdus, ils ne savaient plus où ils en étaient,
et c’était entièrement ma faute. Je dis alors à Bitentronc : "Voici le reste de ma bande. Malgré
mes efforts, je n’ai pas réussi à réparer mes erreurs, et j’implore donc ton aide. Je t’en prie,
fais leur entendre raison." A mon grand désarroi, Bitentronc me répondit : "Je pourrais en effet
le faire, mais je pense que tu en es bien plus capable que moi. Je me contenterai donc de te

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regarder faire." Quand je lui répétai que je n’en était pas capable, que c’était au-dessus de mes
forces, il me répondit simplement : "Quand on veut très fort quelque chose, on finit toujours
par l’obtenir.", avant de s’asseoir sur un banc qui traînait au fond de la salle. La mort dans
l’âme, je suis alors remonté sur l’estrade, où l’on m’a accueilli avec des sifflets et des insultes.
Cependant, aucun ne sembla décidé à me jeter dehors. Je pris donc la parole, d’une voix timide,
et leur répétai que j’étais désolé, que jamais je n’aurais dû les emmener là-dedans, que je le re-
grettais et que je souhaitais que nous réparions nos erreurs passées. La réaction fut exactement
là même que la fois passée. Je jetai un regard implorant vers Bitentronc dans l’espoir qu’une
aide viendrait à moi, et je restai bouche bée : il dormait ! Les yeux fermés, les mains jointes,
sa tête penchée vers le sol, Bitentronc s’était endormi aussi vite qu’il s’était assis. Abasourdi,
je ne dis rien pendant quelques secondes, ce qui laissa le temps à mes anciens compagnons de
me pousser fermement hors de la scène. Désespéré, je réfléchissai à un moyen de les convaincre
quand, soudain, mon entrevue avec Bitentronc (celle où je l’ai aperçu pour la première fois) me
revint à l’esprit. Quelle était cette chose, cette lueur dans son regard, qui m’avait poussé à me
remettre en question ? La réponse devint soudain limpide, et je remontai alors brusquement en
vue de tous, déclenchant une nouvelle vague de quolibets. Alors, plutôt que de leur dire quoi
faire comme j’avais essayé plus tôt, je les regardai simplement en essayant de paraître le plus
compréhensif possible. Je voulais qu’ils comprennent que je me souciais réellement d’eux, que
leur vie m’était précieuse et que je les comprenais. Je ne désirais pas qu’ils deviennent des jus-
ticiers du jour au lendemain, comme j’avais eu la prétention de le vouloir moi-même. Je voulais
qu’enfin, au moins une fois dans leur vie, ils se sentent écoutés. Je voulais leur montrer que,
contrairement à tout ce qu’ils avaient entendu depuis leur naissance dans cette ville miteuse, la
vie était quelque chose d’extrêmement important, et que la gâcher comme je les avais poussé à
le faire était la pire chose qui soit. Alors, progressivement, les cris et les insultes se calmèrent.
Bientôt, tous me regardaient et tentaient de soutenir mon regard, un regard comme jamais
personne ne leur avait lancé. Un regard doux, compatissant et humble. Un regard bon. Quand
chacun s’était complètement tu, fascinés et clairement surpris, je décidai de ne pas leur parler à
tous en même temps, car chacun d’eux avait un parcours unique et des sensibilités différentes.
Je m’assis sur le bord de la scène, ce qui les poussa à s’asseoir également, et je m’approchai
du premier d’entre eux. Je comprenais sa souffrance : il avait perdu ses deux parents à l’âge
de deux ans et avait grandi dans un horrible orphelinat. Seulement, je ne lui dis rien de plus
que : "Y a-t-il quelque chose que tu souhaiterais me raconter ?" A ma grande stupéfaction, il
partit alors dans un émouvant monologue sur son enfance, ses douleurs, ses peurs, sa vie. Il
m’expliqua à quel point je l’avais changée, à quel point il s’était enfin sentit accepté, compris,
aimé. Il parla ainsi durant de longues minutes, tantôt triste, tantôt abattu, sans que personne
ne l’interrompe. Quand enfin il se tut, à bout de souffle, je n’ajoutai rien, mais je me tournai
vers le suivant à la place. Lui aussi me parla de sa vie, de la façon terrible dont sa grand-mère
l’élevait quand ses parents partaient pour leur travail, des coups de bâtons et des moqueries.
Ainsi, chacun à son tour, mes compagnons s’exprimèrent sur leur vécu et racontèrent tout ce
qu’ils avaient sur le coeur. Certains ne disaient rien, et se contentaient de pleurer en silence.
D’autres parlèrent longuement, le coeur au bord des lèvres. Et tous, après avoir raconté ce
qu’ils voulaient raconter, semblaient apaisés, en harmonie avec eux-même, comme jamais ils
ne l’avaient été auparavant. Quand enfin vint le tour du dernier de mes compagnons, je dus
descendre de l’estrade et m’accroupir pour être à sa hauteur. C’était ma dernière recrue, une
minuscule chauve-souris violette à l’air timide. Je l’avais recueilli dans la rue, alors qu’il n’était
qu’un bébé, et je l’avais élevé comme j’ai pu. Aujourd’hui, il ne devait pas avoir plus de huit
ans, et je me rendis compte que je ne connaissais même pas son nom. "Ernestine 69", me
répondit-il. Quand je lui demandai d’où venait ce nom pour le moins singulier, il m’expliqua :
"Je viens d’une famille très nombreuse. Mes parents étaient complètement fous. Ils ont énor-
mément d’enfants, et ne s’en sont jamais occupé. Les premiers ont eu droit à une éducation

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à peu près correcte, mais plus nous arrivions, plus ils se lassaient de nous. Ils nous vendaient,
nous plaçaient à l’orphelinat, nous donnaient à des couples sans enfants... On n’était rien de
plus que des numéros pour eux. D’ailleurs, on s’appelait tous "Ernestine", avec un nombre qui
montrait notre ordre d’arrivée. Moi, je suis le dernier. Quand je suis né, mes parents avaient
bu. Ils m’ont jeté à la rue sans un mot, et sont partis faire la fête. Ils ne sont jamais revenus.
Je pense qu’ils sont morts, et bien fait pour eux ! C’est mon frère qui m’a raconté ça. Après
que tu m’aie recueilli, Souzestim, j’ai cherché tous mes frères et soeurs, et j’ai appris qu’ils
étaient tous morts. Tous ! Je suis le seul survivant. Mon seul réconfort a été l’attention que tu
m’as apporté, là où mes parents n’avaient que de la haine et du mépris pour moi. Tu imagines
ce que j’ai ressenti quand j’ai été abandonné une deuxième fois, aujourd’hui, par toi-même ?"
Ernestine 69 se tut, réprimant un sanglot. S’il avait des yeux, il aurait probablement pleuré à
chaudes larmes, ce que je faisais, d’ailleurs. De toutes les histoires que nous avions entendues,
c’était de loin la plus émouvante. Alors, sans dire un mot, je m’approchai de lui et, sans crier
gare, je le pris dans mes bras. D’abord étonné, il essaya de se dégager, mais sembla se calmer
petit à petit. Bientôt, il s’effondra sur mon épaule, tremblant et sanglotant. Après plusieurs
minutes, je l’encourageai à se relever, et je remontai sur l’estrade pour m’adresser à tous. "Mes
amis, vous avez comme moi entendu toutes ces histoires. Vous vous rendez maintenant compte
que vous n’êtes pas seul au monde, et que chacun ici a connu de terribles peines. Aussi, je
vous encourage à garder cela à l’esprit. Après ce que je vous ai incité à faire durant toutes ces
années, je n’ai aucun droit de vous dicter quoi faire. Mais retenez seulement ceci : à l’avenir,
préférez-vous créer plus de tragédies comme celles que nous avons tous vécues, où plutôt essayer
de les éviter du mieux que vous le pouvez ? Je terminerai par vous répéter que je ne mérite pas
votre pardon, mais sachez que si ne fut-ce qu’un de vous était d’accord pour me tendre une
main secourable, je la saisirai sans hésiter un instant." Quand je commençai à m’éloigner, le
Pokémon le plus proche referma brusquement une main sur mon poignet. Il n’y avait aucune
violence dans ce geste, juste une ferme détermination. Sans que je me rende compte de quoi
que ce soit, le Pokémon m’avait enlacé, et il me dit qu’il me pardonnait. Un à un, chacun des
membres de mon groupe me serra fortement dans ses bras et me glissa un mot réconfortant,
m’émouvant de plus en plus. Quand enfin vint le tour du dernier d’entre eux, je me baissai le
plus possible pour qu’Ernestine 69 puisse me sauter au cou. Mi-pleurant, mi-riant, je lui dis,
m’adressant tant à lui qu’à tous mes autres compagnons : "Petit, je te promets que jamais plus
je ne t’abandonnerai !"

Pendant que nous discutions avec animation tous ensemble, il me semblait que rien ne
pourrait me rendre plus heureux. Je fus presque instantanément détrompé par une voix douce
et reconnaissable entre mille, qui me dit : "Te souviens-tu de la part d’ombre dont je t’avais parlé
plus tôt ? Mon cher Souzestim, j’ai l’honneur de te dire que tu brilles maintenant comme un
soleil, car tu viens de chasser la moindre parcelle de noirceur qui encombrait ton coeur !" Sentant
une formidable bouffée de gratitude monter en moi, je résistai à l’envie de serrer Bitentronc dans
me bras, et lui demandai simplement : "Pourquoi dormais-tu tout à l’heure ?" "Je ne dormais
pas, ami, je priais pour toi et tous tes compagnons. A vous voir, il semble que mes prières
aient atteint les cieux !" Ne sachant plus quoi dire, j’offris mon plus large et mon plus sincère
sourire à Bitentronc, qui me répondit par un sourire plus large encore. Il ajouta alors : "Mon
très cher Souzestim, je pense que tu as brillamment réussi ta première mission. Aussi, si tu le
désires toujours, je suis prêt à faire de toi mon cinquième apôtre. Viendras-tu avec moi ?" Sans
une seconde d’hésitation, j’acceptai son offre à bras ouverts. Jamais je ne m’étais senti aussi
heureux.

Le temps du voyage Les mois qui suivirent furent les plus intenses de ma vie. Dès le
lendemain de notre réconciliation, mes compagnons et moi avons entrepris de circuler à travers

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toute la région en offrant notre aide à toute personne qui en avait besoin. Nous voulions par
dessus tout racheter toutes les horreurs que nous avions fait subir aux autres Pokémon. Bien
entendu, nous savions que rien que nous puissions dire ou faire ne saurait ramener ceux que nous
avions tués, et nous n’espérions pas que chacun de ceux qui restaient nous pardonnerait. Tout
ce que nous voulions, c’était montrer aux autres qu’il est possible de changer, que nous avions
bel et bien changé et, surtout, que ce monde n’était pas perdu, contrairement à ce que la vie ici
semblait indiquer. Au début, tout le monde nous rejeta, certains pensant que nous préparions
un autre mauvais coup, d’autres pour lesquels les blessures que nous leur avions infligées étaient
encore trop vives. Cependant, personne ne se découragea. Nous continuâmes notre quête du
bien sans relâche, aidant les gens sans rien demander en retour, rendant ce que nous pouvions
rendre de ce que nous avions dérobé, priant pour ceux que nous avions tués. Tous maintenaient
l’effort sans discontinuer, si bien que nous gagnions la confiance de Pokémon de plus en plus
nombreux. Nous étions si ardents à faire le bien que bientôt, tous furent persuadés que, par un
miracle inouï, nous avions bel et bien changé. Ils se mirent à accepter notre aide, à écouter nos
histoires. Certains allèrent même jusqu’à pardonner nos nombreux crimes, ce qui nous faisait
monter les larmes aux yeux à chaque fois (métaphoriquement pour Ernestine 69, car il n’en avait
pas). Mais, plus que tout cela, c’était la constatation que notre véritable objectif prenait forme
qui nous rendait heureux. En effet, au delà de simplement apprécier notre changement, de plus
en plus de Pokémon commencèrent à remettre en question leurs actions. Les voleurs endurcis se
rendaient compte que leurs larcins causaient bien plus de souffrance qu’ils ne leur apportait de
richesses. Les voyous qui rackettaient les plus faibles qu’eux se mettaient à philosopher quant
au bien-fondé de leurs choix de vie. Les Pokémon violents troquaient les coups de poing contre
les poignées de main. Et petit à petit, la ville autrefois glauque et crasseuse reprit des couleurs.
Les habitants, boostés par notre soudain revirement, s’entraidaient maintenant avec ferveur.
Chacun travaillait main dans la main pour retaper cette cité qui était restée trop longtemps sans
soin. Bientôt, des policiers revinrent s’installer en ville, accompagnés de médecins, d’avocats et
de nombreux autres Pokémon qui avaient eu vent de l’amélioration de notre ville. Les habitants
élirent un maire (ils choisirent le plus souriant à l’unanimité), reconstruirent des maisons et se
mirent à vivre dans la joie et la bonne entente. Et c’est ainsi que nos erreurs furent rachetées
et notre ville sauvée.

Un jour, après y avoir mûrement réfléchi, je me suis converti à la religion Biteniste. J’aurais
pu voyager avec Bitentronc et les autres apôtres sans le faire, mais j’avais tant confiance en
Bitentronc que je ne pouvais que croire en Dieu Tronc et Bitenbois, l’Epoustouflant. Je pro-
clamai donc ma foi, devant Bitentronc, les triplés et Bitenfleur, et ils m’accueillirent à bras
ouverts dans leur communauté. Alors que je m’approchais d’eux pour les remercier encore, une
petite voix retentit derrière moi : "Moi aussi je veux me convertir au Bitenisme et partir avec
vous." C’était Ernestine 69. Il m’avait suivi discrètement alors que je m’éloignais du groupe, et
semblait résolu à quitter sa nouvelle vie pour nous suivre au bout du monde. Je lui dis alors
qu’il était trop petit pour venir avec nous, que ça serait dangereux et qu’il valait mieux qu’il
reste ici, avec les autres compagnons. Il sembla abattu, comme si je venais de lui annoncer que
j’avais tué son meilleur ami, et me dit d’une voix encore plus ténue qu’avant : "Mais tu m’avais
promis que tu ne m’abandonnerais plus jamais !" Je lui répondis alors : "C’est justement pour ça
que je refuse de t’emmener, petit. Ici, tu seras en sécurité, et c’est tout ce qui compte. Retiens
simplement que, tant que tu resteras là (je lui pointais mon coeur), je serai auprès de toi." A ces
mots, il parut légèrement rassuré, et tourna les talons (bien qu’il n’en ait pas) sans dire un mot,
ce qui m’étonna un peu. J’étais sincèrement triste d’abandonner ce petit gars ici, je m’étais
sincèrement attaché à lui. Il était devenu un peu comme mon petit frère, et qui apprécierais
de laisser son petit frère derrière soi ? Je me promis alors de revenir le voir aussi souvent que
ma nouvelle vie le permettrait, et je demandai à Bitentronc et aux autres quand nous partions.

35
Bitentronc répondit : "Il me semble que notre présence ici n’est plus nécessaire, vu la façon
dont tes amis ont repris le flambeau. Dès lors, nous partirons demain à l’aube."

Le lendemain, à l’aube, chacun des six membres de la compagnie avait fait ses bagages,
et nous prîmes la route ensemble en direction du couchant. Arrivés à quelques kilomètres
de la ville, je me retournai et contemplai avec bonheur le travail que nous avions accompli.
Je ne m’en étais pas rendu compte, mais vue d’ensemble, elle resplendissait. Tous les murs
avaient été peints de couleurs pétillantes, des banderoles avaient été tendues, des fresques
avaient été réalisées. Vraiment, la cité était méconnaissable, et il me sembla que la transformer
ainsi avait été un bon moyen de racheter une partie de mes torts. Sans plus de regrets, je
rejoignis le reste de la compagnie, un peu nostalgique mais plein d’une ardeur nouvelle. J’étais
désormais certain que nous allions accomplir de grandes choses ensemble, avec Bitentronc et
les apôtres. Nous marchâmes durant plusieurs jours sans croiser la moindre habitation. Nous
nous arrêtions rarement, tantôt pour boire à une oasis, tantôt pour manger une partie de nos
provisions. J’expliquai à mes compagnons de route qu’il nous faudrait encore quatre jours pour
quitter le désert. Tous parurent soulagés, car, me dirent-ils, ils n’avaient pas quitté le désert
depuis le début de leur voyage, à Bithléem. Cette nuit-là, je me réveillai en sursaut. Je faisais
souvent le même cauchemar, dans lequel je me voyais penché au-dessus d’un Pokémon, une arme
ensanglantée à la même et un sourire sardonique aux lèvres. 5 Cependant, alors que je me levais
pour aller boire un peu d’eau, j’aperçus une silhouette furtive filer vers l’oasis près de laquelle
nous campions. Intrigué, je m’approchai discrètement et aperçus un minuscule Pokémon ailé
qui buvait avidement, comme s’il ne s’était pas hydraté de toute la journée. Avec un choc, je
reconnus Ernestine 69. Il avait dû se glisser dans un de nos sacs dans son désir ardent de nous
accompagner. Quelle candeur ! Je m’approchai de lui en faisant un peu de bruit de peur de le
saisir et, quand il m’aperçut, il soutint mon regard (malgré son absence d’yeux). J’ouvris la
bouche pour le sermonner quand la voix de Bitentronc, douce et rieuse, me coupa dans mon
élan. "Eh bien, il me semble que nous avons un passager clandestin ! Tenais-tu donc tant que
cela à nous accompagner ?" Pétrifié de peur, sans doute pensant que Bitentronc allait le renvoyer
chez lui, Ernestine 69 ne répondit rien. Alors, je tentai de le couvrir : "Ernestine 69 ne voulait
pas nous suivre, Bitentronc. Il s’est retrouvé dans mon sac par accident." Ce à quoi Bitentronc
me répondit : "Rien n’arrive par accident." Il se tourna à nouveau vers Ernestine 69 et lui dit :
"Mon enfant, tu es ici en paix. J’ai vu ta volonté de fer quand tu as demandé de nous suivre, j’ai
vu ton courage sans faille quand tu as dit être prêt à abandonner ta vie pour nous accompagner.
J’ai aussi vu ta foi, mon enfant, quand tu as dit vouloir devenir Biteniste. J’ai vu la grandeur
de ton coeur, la force de ton âme. Or, j’ai exactement besoin de Pokémon avec de telles qualités
pour m’assister dans ma mission. Cependant, je me dois de te rappeler que la tâche sera ardue,
sans doute bien plus que tu ne le penses. Souhaites-tu tout de même nous accompagner ?" Sans
réfléchir une seconde de plus, Ernestine 69 hocha la tête avidement. Alors, Bitentronc reprit :
"Je veux que tu comprennes bien qu’ici, tu représente bien plus qu’un simple numéro. Aussi,
es-tu d’accord pour que l’on t’appelle simplement Ernestine ?" A ces mots, le regard d’Ernestine
s’illumina (ce qui était difficile à discerner, car il n’avait pas d’yeux) et il remercia ardemment
Bitentronc pour sa gentillesse et sa tolérance. Bitentronc termina donc : "Mon cher ami, tu
te présenteras désormais sous le nom d’Ernestine, sixième apôtre de Bitentronc. Bienvenue
parmi nous !" La seule chose plus éclatante, cette nuit-là, que le sourire de Bitentronc fut celui
d’Ernestine. Il était si heureux qu’il ne put s’empêcher de sauter au cou de Bitentronc, puis au
mien, et je sentis ma joie s’élever encore plus haut. Nous éclatâmes de rire ensemble, bientôt
rejoints par les autres apôtres qui, après avoir compris ce qui se passait, ne purent réprimer leurs
propres éclats de rire tant celui d’Ernestine était communicatif. Alors que nous riions gaiement,
5. Mon passé me hanta pendant encore plusieurs années après ma conversion, mais je ne pouvais m’en prendre
qu’à moi-même.

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la tête tournée vers les étoiles, je me dis que nul voyage n’aurait pu mieux commencer que
celui-là.

Comme prévu, nous quittâmes le désert quelques jours après qu’Ernestine nous ait re-
joints officiellement, au début du printemps. Le soulagement fut unanime, et chacun se mit à
gambader gaiement dans les hautes herbes et les fleurs qui s’ouvraient par centaines. A mon
étonnement, tous les autres apôtres avaient accueilli Ernestine à bras ouverts, et aucun ne fit
d’objection quant à son jeune âge ou la façon dont il s’est invité. Ceci me montra une fois de
plus la confiance aveugle que chacun avait envers Bitentronc, confiance que je partageais bien
évidemment. Après encore quelques jours de marche, nettement plus agréables que les précé-
dents vu la quantité de fruits qui poussaient ici et l’eau de la rivière que nous avions décidé
de longer, nous arrivâmes à un charmant petit village, où un habitant nous invita gentiment
à loger chez lui le temps nécessaire pour nous reposer. Il ressemblait trait pour trait à un tri-
lobite 6 Pendant trois jours, il nous hébergea et nous nourrit généreusement. En échange, nous
l’aidions dans ses tâches ménagères et nous labourions son champ. Seulement, quelque chose
d’extraordinaire se passa le soir du deuxième jour. Alors que nous étions tous assis autour
du feu (c’était le printemps, mais les nuits étaient encore fraîches), notre hôte parut soudain
comprendre un détail qui lui échappait depuis longtemps. Fronçant les sourcils, il s’approcha
de Bitentronc et lui dit : "Ne seriez-vous pas le Pokémon dont tout le monde parle, celui qui a
transformé notre horrible capitale en un havre de paix ?" Dans sa grande modestie, Bitentronc
lui dit qu’il n’y était pas pour grand chose, mais l’hôte ne s’y trompa pas. Il se tourna alors
brusquement vers moi, et me dit : "Et vous,... vous êtes Souzestim ?" J’acquiescai timidement,
me doutant que l’homme nous chasserait sur-le-champ après m’avoir reconnu. Cependant, il
n’en fit rien. Au contraire, un large sourire illumina son visage, et il dit : "Quel bonheur de
vous avoir sous mon toit !" Devant mon air abasourdi, il entreprit de raconter que, peu après le
début de nos bonnes actions dans la grande ville, notre histoire avait commencé à se répandre
comme une traînée de poudre. Les gens racontaient avec enthousiasme à quel point nous étions
incroyables, nous prenaient en exemple. "C’est bien simple, conclut-il, aujourd’hui, tout le pays
est au courant de vos exploits, et ils sont si inspirants que plus aucun Pokémon y habitant
ne songe à mal agir. Vous avez véritablement sauvé, non pas la capitale, mais le pays entier !
Soyez certains que, tant que vous y resterez, vous trouverez toujours des portes qui vous seront
grandes ouvertes !" Aucune nouvelle ne pouvait nous faire plus plaisir. Nos efforts avaient payé
au-delà de tout ce que nous avions imaginé ! Nous finîmes la nuit dans la joie d’une fête où
notre hôte avait invité tout le village. Le lendemain, à mon réveil, je surpris Bitentronc en
grande conversation avec lui. "Connaîtriez-vous un endroit où notre aide serait la bienvenue ?"
Il répondit : "Il y a bien un pays connu pour être une dictature autoritaire des plus liberticides.
Pour sûr que votre aide y est urgente, mais c’est loin, très loin d’ici, à l’ouest. Vous en avez pour
plusieurs mois de marche, au mieux. Par contre, soyez sûrs que vous aurez plus de mal à faire
changer les choses là-bas. Non pas que je manque de confiance en vous, ajouta-t-il rapidement,
mais ramener l’ordre dans une ville est une chose, et renverser l’ordre établi dans un royaume
entier en est une sacrée autre ! Croyez-moi, c’est peine perdue... Cela dit, si par hasard vous
y arriviez, je suis certain que l’impact sera planétaire, tant l’influence du pays est grande. Ils
ont déjà envahi presque tous leur voisins, et ils se donnent maintenant le nom de "Bitempire
Romain". Plus que ça, ils ont des colonies sur toute la Bitenterre, et leur mode de vie inspire
de très nombreuses autres nations. La nôtre n’y a échappé que de justesse, même si la vie y
était tout de même morose avant votre arrivée. Si vous parveniez à améliorer les choses dans ce
6. à lire très vite avec la voix de la fin des pubs à la radio : Le trilobite est un fabuleux arthropode marin avec
des allures de cloporte, mais pouvant atteindre dix à vingt centimètres. Son corps est divisés en trois segments
et celui du milieu est recouvert de plaques mobiles qui constituent son exosquelette. Pour plus d’informations,
consultez Wikipedia.

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pays... c’est toute la face du monde qui en serait changée !" Loin de nous décourager (les autres
apôtres s’étaient réveillés entretemps), ces mots étaient exactement ceux que nous voulions en-
tendre. Enfin, il nous semblait avoir trouvé un but qui pourrait réellement changer les choses !
Le lendemain matin, plein d’une volonté renouvelée, nous saluâmes notre nouvel ami et nous
prîmes la direction de l’ouest, vers le Bitempire Romain. Là-bas était notre destination finale,
nous en étions convaincu. Le coeur léger, comme l’était notre bagage, nous fixâmes ensemble
l’horizon, persuadés que bientôt, le monde serait enfin réunifié.

Comme prévu, le voyage dura très longtemps. Pendant près de six mois, nous traversâmes des
forêts denses, des landes désolées, des déserts brûlants. Les villages par lesquels nous passâmes
étaient tous peuplés de Pokémon très avenants. Comme le paysan nous l’avait expliqué, les
habitants nous reconnaissaient et se bousculaient pour nous accueillir dans leur foyer. Nous
faisions attention à toujours compenser leur générosité par des services que nous pouvions
leur rendre, et notre moral restait au beau fixe, car nous constations en temps réel les effets
spectaculaires de nos actes. C’est après quatre mois que nous fîmes halte dans le premier village
où personne ne nous reconnut, et nous nous en doutions avant même d’y mettre les pieds. Les
maisons étaient mornes, les rues désertes, et les habitants se toisaient par leurs fenêtres sans
jamais s’adresser la parole. De toute évidence, nous avions atteint les limites de la zone où
s’étendait notre influence. Nous avions fait nos premiers pas dans le Bitempire Romain. Il
nous parut préférable de camper à quelques encablures du village pour éviter d’énerver leurs
habitants. En effet, il était clair qu’essayer de faire changer ces Pokémon, vivant dans ce coin si
reculé, ne nous avancerait que peu. Il nous fallait rejoindre la source du mal, l’endroit où étaient
concentrés tous les dirigeants du Bitempire : sa capitale. Assis près de ma tente, je regardai
pensivement mon ami, Ernestine. Il avait énormément grandi durant les quatre derniers mois,
comme si couper toutes ses attaches lui avait enfin permis de croître librement. C’est sa bouche
qui avait poussé le plus vite, ainsi que sa langue, qui s’était mis à pendre dangereusement tant
elle était devenue longue. Dans le même tant, il avait (enfin !) obtenu des yeux. Rapidement,
son corps s’est fait plus fin, sa bouche plus petite, ses yeux plus profilés. Ses ailes s’affinèrent
également, le rendant beaucoup plus aérodynamique. Enfin, sa fourrure passa du bleu-violet à
un mauve du plus bel effet. Il avait atteint sa taille adulte, et très rapidement avec ça.

Ernestine 69 (alias Ernestine), sixième apôtre de Bitentronc

38
Nous considérions désormais tous Ernestine comme notre petit frère. Il était si attachant que
nous l’avions très rapidement accepté comme s’il était parmi nous depuis toujours. Sa bonne
humeur faisait plaisir à voir. De manière générale, d’ailleurs, l’entente au sein de notre petit
groupe restait tout le temps excellente. Je pense que cette entente découlait de notre objectif et
de nos rêves communs. Toujours est-il que, parmi eux, je me sentais enfin vivant. J’aurais bien
voulu que ce voyage dure toute ma vie, mais je savais au fond de moi que les choses ne devaient
pas se passer comme ça. Il nous fallut encore deux mois de marche pour enfin atteindre les
contreforts de l’immense capitale du Bitempire Romain. Ils ne se passèrent d’ailleurs pas aussi
bien que les quatre précédents. Quelques semaines après notre arrivée dans le Bitempire, nous
sommes tombés sur un avis de recherche présentant nos noms et des dessins nous représentant
(ils avaient d’ailleurs complètement raté mon nez). En réalité, nous nous y attendions un peu.
En effet, notre réputation avait dû nous précéder ici, et on nous avait prévenu que dans ce pays,
toute personne susceptible de troubler l’ordre public était vue comme un criminel. Malgré tout,
le reste du trajet se passa sans réel incident. Tous les habitants des petits villages que nous
traversions semblaient nous reconnaître, mais aucun ne sembla désireux de nous arrêter. Ils
se contentaient simplement de fermer leurs rideaux. Tous paraissaient être tiraillés entre le
fait qu’ils désobéissaient au Bitempire Romain et le fait qu’ils désiraient s’y opposer, malgré
les risques qu’ils encouraient. Un jour où la pluie tombait à verse, nous gravîmes une énième
colline et, arrivés de l’autre côté, je ne pus retenir un cri de stupeur. Jamais je n’avais vu
quelque chose d’aussi gigantesque. De somptueux palais flanqués de colonnades alternaient avec
de magnifiques villas, d’immenses temples, de majestueuses arènes, de monumentales statues
représentant des pseudo-divinités qui en réalité n’étaient que des imposteurs. Chaque temple
semblait dédié à l’une d’entre elles. Je reconnus une représentation de Mew, d’Arceus et de
Giratina, les autres étant bien trop éloignées pour être distinguées d’ici. Tout cet ensemble
s’étendait littéralement à perte de vue, tant à l’ouest qu’au nord et au sud. A en voir les
visages stupéfaits de mes compagnons, il semblait qu’aucun d’eux n’avait jamais vu quoi que
ce soit de semblable. Nous avions cependant tous les mêmes pensées. Nous avions enfin atteint
notre destination, et c’était maintenant que les choses allaient pouvoir changer.

La récolte miraculeuse Il nous semblait trop risqué de commencer directement par s’ins-
taller dans la grande ville, car nous y étions recherchés. Nous nous rendîmes dès lors dans les
faubourgs, afin d’y trouver un logis, un couvert et, éventuellement, des alliés. Très vite, nous
arrivions dans un village habité par une petite centaine de Pokémon, tous fermiers. Ils nous
reconnurent aussitôt et, loin de nous rejeter, ils parurent ravis de notre présence en ces lieux.
"Vous êtes réellement venus !, nous dit un des paysans, personne n’y croyait vraiment !" Il était
énorme, comme un très gros gorille avec des muscles fabuleux qui contrastaient avec son air
paresseux. Il reprit : "Ici, la vie est terrible. On nous exploite, on nous fait trimer dès le berceau
pour produire assez de grain pour pouvoir nourrir la ville. Ici, des Pokémon meurent d’épuise-
ment tous les jours, sans qu’aucun de ces saligauds de la ville ne s’en soucient. Tout le monde
connaît vos exploits, par ici. On a entendu comment vous avez redressé un pays entier, et on n’a
pas pu s’empêcher d’espérer que vous vous pointeriez jusqu’ici, malgré le danger. On n’espérait
point trop, vous êtes recherchés, vous savez ! Nous, on n’a pas peur. Vous pourrez habiter chez
moi aussi longtemps que vous le voudrez." Bitentronc lui répondit : "Sois mille fois béni, mon
ami. Nous acceptons ton offre avec gratitude, mais nous t’aideront en échange à travailler ton
champ. Comment t’appelles-tu ?" "Beplusbas", répondit notre hôte. Soulagés d’avoir trouvé un
refuge si rapidement, nous rentrâmes tous ensemble dans la ferme de Beplusbas pour nous y
installer. Immédiatement, nous comprîmes les raisons de sa colère contre les gens de la ville.
Là où ces derniers vivaient dans le luxe et multipliaient les excès sans devoir fournir d’effort,
les paysans étaient clairement aussi démunis qu’on peut l’être. Sa ferme était consituée d’une
seule pièce, avec tout juste de quoi vivre à l’intérieur. La seule fenêtre éclairait timidement le

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lit, la table et la chaise, seuls meubles visibles dans la pièce. Après avoir constitué un couchage
de fortune pour chacun de nous, nous nous endormîmes immédiatement, fatigués par notre
voyage, non sans promettre une nouvelle fois à Beplusbas que, bientôt, tout irait mieux.

Le lendemain, nous nous rendîmes avec Beplusbas sur son champ. Il y cultivait du blé qui,
en temps normal, poussait très bien. Seulement, à peine étions-nous arrivés qu’un autre paysan
nous rejoignit et, s’adressant à Beplusbas, il demanda si son champ était aussi infertile que le
sien. "Oui, répondit Beplusbas. Cette année, ma récolte n’a pas donné le quart de blé que ce que
j’obtiens en temps normal, et c’est également le cas pour tous les autres champs. Je suis sûr que
c’est à cause du nouveau système d’évacuation inventé par les ingénieurs de la capitale. Eux, ils
sont contents, tous leurs déchets sortent automatiquement de leur si belle ville. Seulement, ils
arrivent dans notre eau en contaminant nos puits et nos sols. Les plantes crèvent, et peu leur
importe !" Les autres apôtres et moi nous tournâmes comme un seul Pokémon vers Bitentronc,
persuadés qu’il aurait une solution miraculeuse à ce problème. Quand il nous répondit avec un
de ses larges sourires, nous comprîmes que c’était le cas. Il s’adressa d’abord à Beplusbas : "Mon
ami, votre cause est noble et votre coeur est bon. Je vais donc demander à mon Père, Bitenbois,
de bénir tous vos champs afin que vous puissiez avoir une récolte digne de ce nom." Ignorant le
regard interloqué de Beplusbas quand il avait mentionné être le fils de Bitenbois, il reprit : "Mes
amis, vous allez enfin pouvoir assister au vrai pouvoir de mon Père. Vladimirr, te souviens-tu
de la Plaque Terre que Bitenbois m’avait destinée ? (Il acquiesca.) Cette plaque a été créée par
mon Père lui-même pour fonctionner avec un pouvoir spécial qu’il m’a transmis. Ce pouvoir,
il l’a appelé Jugement. Pour faire simple, grâce à cette Plaque Terre et à ce pouvoir, je peux
contrôler la terre selon mon bon vouloir. Vous allez voir..." A ces mots, il sortit une vieille plaque
de son baluchon et la brandit devant lui. Les yeux fermés, il sembla se concentrer profondément.
Je scrutai le champ, dans l’attente du moindre signe que ça fonctionnait. Je m’aperçus alors
que le blé poussait, beaucoup plus rapidement que la nature ne le permet, et prenait une teinte
dorée. En quelques secondes, tous les épis de blé, non seulement de Beplusbas mais aussi de
tous les champs avoisinants, étaient devenus magnifiques et gorgés d’innombrables grains de
blé. Alors que tous les paysans des alentours sautaient de joie malgré la claire incompréhension
qui se lisait sur leur visage, Bitentronc souffla : "J’ai pris la liberté de bénir tous les champs
entourant la capitale. J’espère que cela fera plaisir aux autres fermiers !" A en croire la réaction
de ceux-ci, il était clair que ça leur faisait plaisir. Cependant, malgré son évidente allégresse,
Beplusbas se tourna vers Bitentronc et lui demanda s’il pouvait s’entretenir avec lui, seul à seul.
Ils s’en furent donc ensemble jusqu’à la ferme, me laissant seul avec mes camarades apôtres. J’en
profitai pour poser des questions à Bitenfleur, Vladichon, Pichon et Vladimirr sur la jeunesse de
Bitentronc et sur ses parents. Ils me racontèrent alors en détails, à tour de rôle, les circonstances
de leur rencontre avec Bitentronc, la gentillesse de ses parents, les apparitions de Dieu Tronc...
Nous discutions depuis presque trois heures quand, enfin, Beplusbas et Bitentronc sortirent de
la petite ferme. Beplusbas semblait aux anges, et Bitentronc tout autant (bien que cela n’ait
rien d’étonnant, car il paraissait toujours aux anges). Cependant, personne ne s’attendait à
la déclaration qu’il s’apprêtait à faire : "Mes très chers compagnons, je vous présente un tout
nouveau Biteniste ainsi que mon septième apôtre, Beplusbas !"
Pichon fut le premier à poser la question qui nous brûlait tous les lèvres : "Comment ?"
Beplusbas entreprit alors de raconter ce qui l’avait poussé à se convertir au Bitenisme et à
s’engager à assister Bitentronc dans sa mission. Il nous raconta sa jeunesse misérable, sa famille
très pauvre. Comme il était le seul de sa famille à ne pas souffrir d’Absentéisme, 7 ses parents
le faisaient trimer jour et nuit. Il nous expliqua à quel point l’espoir et la foi étaient des
concepts totalements inexistants dans le milieu où il a grandi. Il nous raconta aussi avoir lu,
7. L’Absentéisme est une maladie héréditaire dans la famille de Beplusbas qui empêchait ses parents et tous
ses frères de travailler un jour sur deux

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Beplusbas, fermier et septième apôtre de Bitentronc

il y a longtemps, une légende sur une religion qu’il croyait disparue : le Bitenisme. Il avait
immédiatement été séduit par les valeurs d’entraide, de partage et de paix que Bitenbois,
l’Irrémédiable, et Dieu Tronc s’efforçaient de faire respecter. Depuis ce jour, il ne pouvait
s’empêcher d’espérer que cette religion existât vraiment, car elle représentait à ses yeux tout
l’espoir qui n’avait jamais été autorisé pour son peuple. Il s’était juré que, si la moindre occasion
se présentait, il se convertirait et prêcherait ces valeurs au plus grand nombre, avec l’aide de ses
compagnons paysans qui, il en était sûr, accepteraient de leur venir en aide. "Quand Seigneur
Bitentronc a accompli ce miracle sous mes yeux, je n’eus plus aucun doute. Je savais qu’il
était réellement le fils de Bitenbois, et que ma patience avait enfin été récompensée." Quand
Bitentronc l’exhorta a l’appeler simplement par son nom, Beplusbas lui dit qu’il ne le pouvait
pas, car ce serait "une insulte au si magnifique Pokémon qu’était le Seigneur Bitentronc". Le
reste de la journée passa dans la joie et le bonheur après le miracle accompli par Bitentronc
et, le soir-même, une grande fête fut donnée en son honneur. On chanta, on but, on rit et tous
voulaient rencontrer en personne le Pokémon responsable de la Récolte Miraculeuse, comme ils
l’avaient appelée. Bitentronc leur serra tous la main, heureux d’enfin rencontrer des Pokémon
amicaux. Les autres apôtres et moi-même, un peu à l’écart, entretenions une discussion animée
concernant ce qu’on pourrait faire pour faire entendre raison aux oppresseurs de la grande ville.
Dans cette recherche, Beplusbas s’avéra être un allié de taille (sans mauvais jeu de mot vis à
vis de sa corpulence). Il connaissait très bien la ville, car c’était lui qui était chargé d’amener
la majeur partie de leurs récoltes aux habitants de la capitale. De plus, il connaissait bien tous
les autres paysans, et était persuadé de pouvoir les rallier à notre cause. Des idées plein la tête,
nous allâmes nous coucher pour ce qui allait être notre dernière nuit avant l’action.

Changer le monde Le lendemain, il nous apparut très rapidement que la tâche ne serait pas
aussi facile que dans ma ville natale. Les gens à qui nous allions parler pour essayer d’élargir
un peu plus leur esprit n’étaient pas du tout enclins à nous écouter. Leur mode de vie était
si ancré dans leurs veines et si confortables pour eux qu’ils ne voyaient aucun avantage à en
changer. Pire, certains Pokémon en apparance amicaux tentaient de nous dénoncer aux gardes,
ce qui nous obligea à prendre la fuite plusieurs fois. Cependant, la pire nouvelle nous attendait
le soir, de retour à la ferme. Un paysan vint alors à notre rencontre, tenant un journal daté
du jour même tendu devant lui. Nous lûmes tous l’article figurant sur la première page. A

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côté d’une énorme photo de Bitentronc, le texte expliquait que le Pokémon représenté sur la
photo était activement recherché pour des crimes divers, comprenant "corruption, trouble de
l’ordre public et divagation quant à l’appartenance à une religion interdite et lien de parenté
avec le dieu de ladite religion". De toute évidence, ce dernier "crime" était vu par les dirigeants
du Bitempire Romain comme un affront personnel, et était punissable de mort. L’article se
terminait par une petite phrase, où le Bitempereur en personne promettait une récompense
faramineuse à quiconque leur apporterait des informations sur Bitentronc. Voyant nos mines
déconfites, Bitentronc tenta de nous rassurer, en disant : "Ne vous en faites pas, mes amis. Ils
ne sont simplement pas encore prêts à accepter la vérité, mais je suis sûr qu’au moment venu, la
lumière se fera dans leur coeur." Comme nous ne paraissions pas rassurés le moins du monde, il
changea de sujet en demanda à Beplusbas des informations sur ce fameux Bitempereur. "C’est
un horrible tyran, craint même par son propre peuple. Il ressemble à un énorme rhinocéros
portant une lourde armure. Il s’appelle Rhinastoc Roc-Boulet. Cependant, il me semble avoir
entendu des Pokémon raconter qu’il avait une excellente Adaptabilité, c’est-à-dire qu’il n’hésite
pas à changer d’avis si sela lui semble acceptable. Qui sait, peut-être arriverons-nous à le
convaincre !" Légèrement plus confiants, nous allâmes nous coucher peu après, toujours amers
après cette désastreuse première journée, mais toujours aussi motivés.

Rhinastoc Roc-Boulet, Bitempereur du Bitempire Romain

Les jours suivants, notre petit groupe continua sans relâche de rendre visite aux habitants. La
plupart, comme la veille, nous accueillaient très mal. Cependant, certains semblaient sensibles
à nos paroles. Les plus sages d’entre eux semblaient même se rendre compte que leur mode de
vie avait des conséquences désastreuses sur le reste du monde, mais disaient n’avoir jamais eu le
courage ni les moyens de s’opposer aux dirigeants. Mieux, ces Pokémon-là semblaient heureux
de nous voir, car eux aussi avaient entendu parler de nous et, contrairement à ceux qui leur
avaient parlé d’eux, ils avaient ardemment espéré la venue de Bitentronc et ses apôtres, y voyant
un groupe capable de diriger une action d’éclat contre les dirigeants. Maintenant que nous étions
là, ils semblaient gagnés par une motivation nouvelle. Ils buvaient nos paroles, passionnés par les
récits de Bitentronc sur la religion Biteniste ainsi que ceux de Pichon, Vladimirr et Vladichon
sur la Bitenterre Promise. Un jour, nous visitâmes une famille ostensiblement très aisée. Leur
villa était très grande et bien située, avec de splendides décorations et même une immense
statue de marbre. Le Pokémon qui nous accueillit ressemblait à un grand amphibien bleu avec
des airs de poisson, avec deux immenses ailerons sur la tête et un autre au niveau de la queue.

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Ses moustaches orangées frémirent quand nous lui expliquâmes qui nous étions, ce qui me laissa
penser qu’il n’était pas très heureux de nous voir. Cependant, comme il nous fit entrer chez
lui avec un large sourire, je n’en dit rien. Il nous installa dans de confortables fauteuils, se
disant très intéressé par notre histoire. Il nous fit ensuite patienter quelques instants qu’il passa
dans une pièce adjacente, avant de revenir avec des boissons qui s’avérèrent délicieuses. Il nous
écouta longuement, semblant passionné par notre récit. Après près d’une heure et demie, il
s’absenta un instant pour se rendre aux toilette. A ce moment, une silhouette au visage masqué
par une capuche surgit par une autre porte, et nous souffla : "Venez vite, vous êtes en danger
ici !" Alors que je m’apprêtais, comme mes camarades, à demander qui il était, Bitentronc se
leva brutalement et fonça à la suite du mystérieux Pokémon. Faisant confiance à son jugement,
nous les suivirent furtivement avant que notre hôte ne revienne. Le Pokémon nous guida hors
de la villa puis, arrivé dans la rue, il s’engouffra dans une minuscule ruelle sombre, et nous l’y
suivirent. A peine le dernier d’entre nous (Ernestine) y avait-il pénétré que nous aperçurent une
colonne de garde descendre la rue au pas de charge et entrer dans la villa que nous venions de
quitter. Comprenant immédiatement que nous avions été dénoncés par notre hôte faussement
accueillant, nous nous éloignèrent le plus possible du lieu, guidés à travers un dédale de ruelles
par notre sauveur. Enfin, après ce qui nous parut une éternité, il s’arrêta et ôta sa capuche,
révélant un visage en tout point semblable à celui de notre ex-hôte, mais d’au moins vingt
années plus jeune. "Désolé de vous avoir emmené si rapidement, nous dit-il, mais à la seconde
où j’ai surpris mon père vous dénonçant aux gardes, je savais n’avoir que très peu de temps pour
vous en éloigner." Nous le remerciâmes chaleureusement, puis Ernestine demanda curieusement :
"Qui es-tu et pourquoi nous as-tu sauvé ?" "Je m’appelle Pipomiel et je suis Biteniste, comme
vous."

Le choc qui accompagna cette déclaration fut unanime. Même Bitentronc, qui paraissait
souvent tout prévoir à l’avance, avait l’air légèrement surpris. Devant nos mines perplexes,
Pipomiel entreprit d’expliquer son histoire. "Je viens d’une riche famille de fervents défenseurs
du Bitempire Romain. Mon père a toujours profité honteusement des privilèges que son rang lui
apportaient, se moquant du sort des malheureux qui nous permettaient de nager dans le luxe
et l’opulence. Toute ma jeunesse, j’ai été bercé de discours racistes et haineux. On me disait
que nous seuls méritions cette richesse, que ceux qui nous servaient étaient des êtres inférieurs.
Et naïvement, je les ai cru. Jusqu’à l’âge de quinze ans, je me comportai odieusement envers
tous Pokémon semblant plus pauvres que moi, calquant mes actes sur ceux de mon père. Je
m’amusais beaucoup en entendant les récits des conflits qui explosaient sur toute la Bitenterre
à cause de l’ambition maladive de nos dirigeants, me disant que tous ces étrangers méritaient
la mort si cela nous permettait d’étendre notre pouvoir. Seulement, un jour, mon chemin croisa
celui d’un Pokémon différent des autres. Bien qu’il parusse extrêmement pauvre, je ne ressentis
pas la sensation de supériorité à laquelle j’étais si habitué. Il dégageait une aura de confiance
et de sérénité qui m’en empêcha, d’une façon que je ne compris pas de suite. De manière
générale, tous les mendiants fuyaient à mon approche, car j’étais tristement célèbre pour être
particulièrement cruel avec eux. Sèchement, je lui lançai : "Sais-tu qui je suis ?" A ma grande
surprise, il me répondit : "Bien sûr que je te connais, tu as suffisamment fait parler de toi par ici,
Pipomiel. Si tu es d’accord, je voudrais t’emmener quelque part. Tu pourras ensuite t’en repartir
comme il te siéra mais, je t’en prie, consens au moins à m’accompagner." Je ne sais toujours pas
aujourd’hui ce qui me poussa à suivre cet individu, mais je l’accompagnai à travers de petites
ruelles jusqu’à un escalier masqué derrière une vieille porte branlante. Nous descendîmes les
marches sur ce qui me sembla être des dizaines de mètre et, enfin, nous débouchâmes dans une
minuscule pièce éclairée par une demi-douzaine de bougies. Là, des chaises étaient réparties
anarchiquement sur les dalles mal taillées. J’y découvris une petite dizaine de Pokémon assis
sur les chaises, tous très différents. Deux ressemblaient fortement à celui qui m’amena, quatre

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semblaient être des paysans, deux devaient venir d’un pays étranger et un, à ma surprise,
était un riche citoyen de la cité, comme moi. Je le connaissais d’ailleurs personnellement, et je
l’avais toujours détesté, car je le trouvais beaucoup trop gentil avec les Pokémon que je voyais
alors comme inférieurs. Mon guide éleva alors la voix, et me dit que tous ces Pokémon étaient
des pratiquants du Bitenisme. A ces mots, je songeai subrepticement à m’enfuir pour aller
les dénoncer aux gardes, car le Bitenisme était une religion désuète et formellement interdite.
Seulement, un regard appuyé de mon guide m’en dissuada. Il entreprit alors de m’expliquer
tous les détails de leur religion. Il me parla des valeurs de paix et d’entraide qu’ils prônaient,
du bonheur intense qu’un monde juste et honnête pouvait amener. Il me dit à quel point ils
désiraient se battre contre le système, pourri jusqu’à la moëlle par des politiciens véreux et des
citoyens aveugles aux souffrances des autres (il me lança un autre regard scrutateur en disant
ces mots). Quand je lui demandai ce qui lui avait fait croire que je pourrais être sensible à ces
paroles naïves et vides de sens pour moi, il me dit qu’il était persuadé que mon comportement
ne me correspondait pas. "Trop longtemps ton père t’a inculqué une éducation faussée par les
convictions pernicieuses que tes semblables adorent, portés par les cultes de fausses divinités,
des imposteurs éhontés qui poussent à la richesse et à la domination d’autrui. Seulement, je suis
sûr qu’il suffirait d’ouvrir un rien ton esprit pour que tu te rendes compte à quel point la voie
qu’on t’a imposée est contre nature, et à quel point la voie des Seigneurs Dieu Tronc et Bitenbois
est magnifique." Persuadés qu’ils étaient tous fous à lier, je m’enfuis vers l’escalier. J’eus juste le
temps d’entendre quelqu’un me dire "Tu sais où nous trouver." avant de remonter les marches
quatre à quatre et de filer m’enfermer dans ma chambre. Seulement, plus je me disais qu’il
avaient perdus la tête et qu’il fallait que je les dénonce, plus j’étais convaincu du contraire.
Quelque chose dans leur discours sonnait juste. Sans que je puisse expliquer pourquoi, leur
façon de voir les choses semblait étrangement plus naturelle, plus raisonnable, plus Pokémon 8 .
Je dormis mal cette nuit, car j’étais de plus en plus perturbé. Je ressassais sans cesse les paroles
qui m’avaient tant marquées, si bien que le lendemain, je filai droit vers la crypte secrète
des Bitenistes. Je voulais absolument en savoir plus pour pouvoir faire mon choix. Je descendis
rapidement les marches et m’engouffrai dans la petite pièce. Je fus alors accueilli par un concert
de cris de joie lancés par tous les membre de la petite communauté. Leurs visages étaient si
lumineux, leurs voix si pleines de bonheur sincère et vrai que mon choix fut fait à l’instant
même. En une seule rencontre et une nuit de réflexion, ils avaient réussi à me faire comprendre
que ce que tous s’étaient efforcé de m’inculquer durant ces quinze dernières années n’était pas
acceptable. Comme une mue, une Exuviation, je m’étais débarassé de ma peau de mensonge et
de haine pour enfin accéder à la compréhension et au bonheur. Depuis ce moment, je me rendis
chaque jour dans la crypte pour y pratiquer avec mes nouveaux amis, jusqu’à être convaincu
que j’avais enfin trouvé ma voie. Seulement, je ne savais pas que ma nouvelle vie serait touchée
par un drame terrible peu après. Un jour où je rejoignais mes amis, je surpris une conversation
animée entre un garde et le père du Biteniste issu d’une famille riche que j’avais reconnu. Ce
n’est qu’après quelques minutes que je compris de quoi il s’agissait. Je filai alors jusqu’à la petite
porte, et m’arrêtai juste à temps pour me cacher hors de vue des gardes qui s’y engouffraient,
armes à la main. Je ne pus qu’attendre, impuissant et désemparé, dans l’ombre d’une ruelle,
jusqu’à ce que les gardes remontent, un air de satisfaction sur le visage. Je descendis alors les
marches en courant, et je fus frappé d’horreur en découvrant la scène qui m’attendait : tous
mes amis étaient là, et tous avaient été lâchement assassinés par les gardes. Frénétiquement, je
circulai à travers les corps allongés, espérant trouver un survivant à sauver. Seul le dernier était
encore en vie, mais si peu. Une large entaille était visible juste sous son coeur, et il eut juste le
temps de me lancer un "Tu... nous as trahis. Sois maudit !" avant de succomber à ses blessures.
Jamais je ne m’étais senti plus anéanti de toute ma vie. Tous mes amis étaient morts, persuadés
que je les avais dénoncés. Je pleurai près de leurs corps pendant plusieurs heures, désespéré.
8. Aujourd’hui, nous dirions "plus humaine".

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Puis, soudain, je me relevai, animé d’une passion nouvelle. J’avais décidé que j’allais venger
mes amis, tout en restant fidèle à Bitenbois et à Dieu Tronc, en faisant tout pour renverser le
système corrompu actuel. Toutes mes tentatives jusqu’ici se soldèrent par un échec, faute de
compagnons, mais quand je vous ai aperçus, je sus immédiatement que c’est à vos côtés que
j’aurais enfin ma vengeance. Aussi, je vous en conjure, prenez-moi avec vous !" Sans hésiter un
instant, Bitentronc prit la parole et lui dit : "Amis, je vous présente Pipomiel, mon huitième
apôtre !"

Pipomiel, Biteniste discret (mais néanmoins fervent) et huitième apôtre de Bitentronc

Une nouvelle fête fut donnée ce soir-là en l’honneur de Pipomiel. Il avait quitté la maison
de son père sans un regard en arrière, décidé à se battre jusqu’au bout, et nous étions ravis
d’accueillir un nouvel ami parmi nous. Le lendemain et les semaines qui suivirent, nous ne ces-
sâmes pas de rallier de nouveaux Pokémon à notre cause, et nous étions sûr que la présence de
Pipomiel y était pour quelque chose. De nombreux Pokémon le reconnaissaient et semblaient
dès lors plus enclins à nous écouter. De jours en jours, nos rangs grossissaient. Nous trouvions
de nouveaux partisans à travers toute la capitale, de tous les milieux et de tous les âges. La plu-
part disaient savoir que les divinités adorées ici n’étaient que des imposteurs, et semblaient très
heureux d’avoir enfin un vrai Dieu à prêcher. A mon grand étonnement, ils acceptaient assez
facilement l’idée que Bitentronc fût réellement son fils, ce qui nous rendait immanquablement
heureux. Notre lutte prenait de l’ampleur à mesure que nous convainquions plus de partisans
du bien-fondé de notre quête. Un matin, un événement inattendu se produisit. Nous eûmes vent
d’une rumeur qui disait qu’un étranger était arrivé en ville et nous cherchait partout. Légère-
ment inquiets, car cela pouvait très bien être un garde qui tâchait d’obtenir des informations
sur notre cachette, nous continuâmes néanmoins nos visites à travers la ville. Nous fûmes saisis
par la crainte quand un paysan nous apprit, ce soir-là, qu’un étranger avait trouvé l’endroit où
nous dormions et nous y attendait. Prudemment, nous jetâmes un coup d’oeil par la fenêtre, et

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nous fûmes immédiatement rassurés : l’étranger qui nous attendait était Neo xXDark, l’aimable
paysan qui nous avait accueilli il y a longtemps, quand nous sortions du désert. Avant même
que nous puissions parler, il se leva d’un bond pour nous serrer la main à tour de rôle, insistant
particulièrement sur celle de Bitentronc, un air de profond soulagement sur son visage. "Mes
amis, je craignais ne jamais vous retrouver ! Peu après votre départ, après y avoir beaucoup
réfléchi, je me rendis compte de mon ardent désir de vous rejoindre. A l’époque, j’étais assez
peureux et n’avais pas imaginé vouloir vous accompagner dans une quête aussi dangereuse.
Seulement, quelques temps après, je fus frappé par une sensation très étrange : il fallait que
je vous rejoigne. Soudainement, je m’étais rendu compte que ma place était auprès de vous.
Toute mes craintes envolées, je pris la route sur l’heure en suivant votre trace sans jamais me
décourager. Quelle joie de vous avoir enfin rejoints !" Puis, il ajouta, légèrement inquiet : "Êtes-
vous d’accord de m’accueillir parmi vous ?" Aucun de nous ne dut exprimer la réponse à cette
question, tant notre expression parlait pour nous. Ce soir-là, le neuvième apôtre de Bitentronc
nous avait rejoints.

Neo xXDark, paysan des Plaines de l’Est et neuvième apôtre de Bitentronc

Maintenant que nous étions dix, bien que nous en étions très heureux, notre groupe passait
de moins en moins inaperçu. Notre signalement commençait à être connu de tous, et nous étions
parfaitement conscients d’avoir encore de nombreux ennemis. Nous continuions néanmoins à
rendre visite aux plus de Pokémon que nous le pouvions. En parallèle, il semblait que ceux
que nous avions déjà ralliés à notre cause le racontaient autour d’eux, ce qui nous permettait
parfois de convaincre plus facilement des Pokémon. Bientôt, il devint clair que nos actions répé-
tées avaient un effet très net sur l’ensemble de la capitale. Là où les Pokémon acceptaient leur
mode de vie sans jamais montrer aucune volonté de changement, de plus en plus affirmaient
aujourd’hui vouloir changer les choses. Certains défendaient notre cause ouvertement dans la
rue, exhortant les autres à ouvrir leurs yeux et leur coeur. Certains avaient même été jusqu’à se
convertir au Bitenisme, malgré les tracts qui se multipliaient dans les rues rappelant que cette
religion était formellement interdite. Malheureusement, des rixes avec les gardes éclataient de
plus en plus fréquemment, et beaucoup de nos défenseurs étaient arrêtés, amenant la crainte sur
les autres. De plus, des affiches étaient maintenant placardées partout. On y voyait le visage sou-
riant de Bitentronc barré d’une bande rouge, frappée des mots "ennemi public", et promettant

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une grasse récompense pour sa capture. Nous avions appris que la raison pour laquelle nous,
ses plus fidèles compagnons, n’étions pas recherchés, était que nous avons été diagnostiqués
fous pour la simple raison que nous le suivions. Loin de nous rassurer, cette nouvelle ne fit que
renforcer notre crainte, car nous étions persuadés que Bitentronc serait exécuté sur-le-champ
si par malheur il se faisait arrêter. Toutefois, comme Bitentronc ne semblait pas le moins du
monde inquiet, notre quête ne connut aucune pause. Nous promettions que les Pokémon arrê-
tés seraient libérés le moment venu, et nous insistions d’autant plus que les Pokémon que nous
visitions semblaient hostiles. Cependant, un jour, comme cela devait arriver, notre groupe fut
encerclé par une vingtaine de gardes au fond d’une impasse, si bien qu’il n’existait aucune pos-
sibilité de fuite. La seule solution qui nous restait accessible était de nous défendre. Cependant,
l’un des préceptes du Bitenisme prônant la non-violence en toute situation, Bitentronc nous
encouragea à rester en arrière et marcha vers les gardes, malgré nos protestations. Il s’approcha
et leur dit : "Mes amis, en vérité, je ne souhaite pas me battre. Si toutefois vous consentez
à vous excuser de la persécution que vous maintenez contre mes amis, je vous absouderai, et
reprendrai le chemin de la vertu." Comme je le pensais, ces mots furent accueillis par des rires
dédaigneux de la part des gardes, à l’exception de deux d’entre eux, remarquai-je du coin de
l’oeil. Leur chef s’adressa alors à Bitentronc : "Bitentronc, je vous ordonne de nous suivre sans
faire d’histoire." Alors, Bitentronc afficha un sourire calme et lui répondit posément : "Vous
semblez nourrir l’illusion que je vais, comment dit-on... vous suivre sans faire d’histoire. J’ai
le regret de vous annoncer que je n’ai aucune intention d’aller en prison." Tous les apôtres
comprirent le signal et, comme un seul Pokémon, nous chargeâmes la garde. Malgré que nous
ne possédions pas d’arme, contrairement à eux, notre courage et notre fougue nous permirent
de nous défendre vaillamment. De tous côtés, les apôtre se battaient en prenant garde à ne pas
blesser trop gravement les gardes. A ma gauche, Pichon, Vladimirr et Vladichon lançaient des
Tonnerres et des Hydrocanons qui, bizarrement, n’infligeaient pas beaucoup de dégâts. A leurs
côtés, la Danse-Fleur de Bitenfleur envoûtait les gardes, et le Dynamopoing de Beplusbas les
rendaient confus. A ma droite, Ernestine se battait bravement à coup d’Aéropiques, Pipomiel
emportait les gardes grâce à ses Surfs. L’armure de Neo xXDark l’empêchait de subir des coups
trop puissants, le rendant redoutable en première ligne. Quant à Bitentronc, fidèle à son Père, il
ne lançait aucune attaque, mais il esquivait spectaculairement toutes celles qui étaient dirigées
contre lui. Soudain, un cri aigu retentit près de moi. Je fis volte-face et découvrit avec horreur
un garde qui tenait Ernestine par le cou, s’amusant à le blesser avec l’arme qu’il tenait dans
sa main. Tous les apôtres furent horrifiés, car Ernestine était un peu le petit frère de chacun
d’eux, et le voir torturé ainsi était perçu comme un coup terriblement fourbe. Cependant, nul
Pokémon ne semblait plus furieux que Bitentronc. C’était la première fois que je le voyais fâché,
et cela le rendait impressionnant. Il semblait avoir doublé de volume, son sourire avait laissé la
place à une grimace de fureur et ses yeux s’étaient rétrécis à deux fines fentes. Il s’approcha len-
tement du garde qui maintenait Ernestine, et son aura était telle qu’aucun autre n’osa l’arrêter.
Quand le bourreau l’aperçut, il parut effrayé et relâcha immédiatement Ernestine, qui fila se
réfugier derrière nous, saignant abondamment. Bitentronc parla alors, et sa voix aussi semblait
consumée par la rage : "Nul ne fera du mal à mes amis !" A ces mots, il saisit sa Plaque Terre et
invoqua une nouvelle fois le Jugement de son Père. Seulement, cette fois-ci, il n’était pas motivé
par sa bienveillance mais par sa colère. Dès lors, nulle fleur ne poussa dans la ruelle, mais le
sol se souleva brutalement sous les pieds des gardes, les déstabilisants. En un instant, ils furent
projetés en arrière par une force indéfinissable invoquée par Bitenbois, le Fluctuant, lui-même.
A l’instant où le danger avait été éloigné, nous nous précipitâmes aux côtés d’Ernestine, en-
core émerveillés par la puissance de Bitentronc. Fort heureusement, aucune de ses entailles ne
semblait profonde et, en quelques jours, il fut sur pieds malgré ses nombreux bandages (et bien
qu’il n’en possédât pas). Cependant, durant sa convalescence, un autre événement inattendu
survint. Alors que nous marchions dans la rue à la recherche d’une maison que nous n’avions pas

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encore visitée, trois gardes surgirent brusquement d’une rue latérale et se dirigèrent vers nous.
Précipitamment, nous nous cachâmes derrière des poubelles qui traînaient là, mais nous en
sortîmes aussi vite. En effet, l’un des gardes nous avait rejoints, et nous assurait qu’ils n’étaient
pas là pour nous arrêter. Mon expérience des Pokémon malhonnêtes me poussa à me méfier,
mais je reconnus alors l’un des deux Pokémon qui n’avaient pas ri derrière leur chef, lors de
leur attaque de la veille. Nous sortîmes alors pour observer plus clairement les gardes. Le pre-
mier ressemblait à un immense corbeau, semblant être entièrement constitué d’acier trempé. Le
deuxième rappelait vaguement un canard, mais enflammé et portant un énorme canon au bras.
Il avait l’air un peu ahuri, pensai-je. Enfin, le troisième, qui restait un peu en retrait, comme
mal à l’aise, ressemblait à un grand cactus recouvert d’épines et coiffé d’un chapeau assorti à
son corps. Je ne pus m’empêcher de lui trouver un air sombre, mais je n’en dis rien. Le premier
s’appelait Jozyanne, et il affirma que lui et ses deux compères avaient quitté la garde après
la bataille. "Nous avons entendu vos exploits, dit-il, et nous envisagions depuis longtemps de
rejoindre vos rangs. La garde nous a dégoûté de cette horrible société dans laquelle nous avons
grandi. Tous trois avons été jetés dedans dès notre plus jeune âge, car nos parents voyaient
cela comme un honneur. Depuis tout petits, nous avons été bercés par des images de sang, de
larmes et d’injustices éhontées que nous étions forcées à faire. Depuis toujours, nous espérions
trouver un moyen de nous enfuir pour nous éloigner le plus possible de toute cette horreur.
Quand nous avons entendu les miracles que vous accomplissiez et les valeurs que vous prôniez,
nous avons été convaincu que c’est auprès de vous que nous voulions vivre. Nous savons que
vous êtes de fervents pratiquants du Bitenisme, et je pense parler au nom de mes camarades
en affirmant que nous voudrions nous convertir !" Le second garde, qui s’appelait Mongolmar,
acquiesca directement de bon coeur, un sourire aux lèvres. Quant au troisième, Casseburne,
il avait l’air nettement plus hésitant, mais finit par affirmer vouloir devenir Biteniste aussi. A
ce moment, je surpris une furtive lueur de suspicion dans le regard de Bitentronc, mais elle
disparut si vite que j’étais persuadé l’avoir imaginée. L’air ravi, Bitentronc leur annonça solen-
nellement qu’il les convertirait le soir-même, et qu’ils deviendraient alors ses dixième, onzième
et douzième apôtres. Ils affichèrent une mine lumineuse, comme si leur rêve le plus cher venait
de se réaliser.
Après l’ajout de ces trois nouveaux compagnons à notre compagnie, que nous ne manquâmes
pas de fêter, Bitentronc sembla considérer qu’il avait suffisamment d’apôtres, bien qu’il ne nous
l’ai jamais dit textuellement. En effet, depuis ce jour, plus aucun apôtre ne s’ajouta à notre
groupe. Personnellement, je trouvais que Bitentronc avait raison. Accepter plus de Pokémon à
une telle proximité de lui commençait à sembler dangereux, car cette position aurait été idéale
pour permettre à un traître de faire du mal à Bitentronc. Cependant, ça ne nous empêcha
pas de continuer notre quête verbale et non-violente pour un monde meilleur. A partir du
moment où nous fûmes treize, nous construisîmes une petite maison qui nous permettrait à
tous de dormir confortablement. Nous logeâmes là pendant plusieurs années, bien à l’abri des
regards mais rendant toujours visite aux Pokémon de la ville tout en évitant la garde. Après
un certain temps, nous avions réussi à déterminer précisément les citoyens qui s’étaient ralliés
à notre cause et ceux qui resteraient toujours fidèle au Bitempire. Malheureusement, ce dernier
groupe était presque deux fois plus important, mais nous avons maintenu l’effort malgré tout.
Désormais, nous ne rendions plus visite qu’à ceux qui étaient clairement devenus nos alliés.
Sans relâche, nous leur apportions des messages d’espoir, leur promettant qu’un jour, nous
parviendrions à convaincre toute la population et, de ce fait, le monde entier. Seulement, le seul
qui semblait réellement persuadé d’y parvenir était Bitentronc. Tous ses apôtres, moi y compris,
commencions à douter sérieusement de réussir un jour à faire changer d’avis ceux à l’esprit le
plus corrompu, car ça nous semblait tout bonnement impossible. Rien ne paraissait capable de
leur faire entendre raison et, bien que nous passions des heures à deviser quant à une action
que nous pourrions accomplir pour leur ouvrir les yeux, rien ne vint. "Le problème est qu’il

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De gauche à droite : Jozyanne, Mongolmar et Casseburne, ex-gardes du Bitempire Romain et
dixième, onzième et douzième apôtres de Bitentronc

n’admettront jamais que Bitentronc est le fils de Bitenbois, dit Neo xXDark un soir où nous
réfléchissions ensemble. Je suis persuadé que, si nous parvenions à leur prouver qu’il l’est bel
et bien, nous réussirions à tous les convaincre." "Mais comment peut-on prouver cela ?, objecta
Vladichon. Nous avons beau y réfléchir encore et encore, cela restera toujours notre parole contre
celle des dirigeants, et la lutte n’est malheureusement pas très égale à ce niveau-là !" Chaque
fois que nous abordions le sujet, nous tombions toujours sur la même conclusion : il fallait que
Bitentronc accomplisse un miracle suffisamment impressionnant pour que nul ne puisse plus
nier qu’en ses veines coulaient du sang Divin. Seulement, Bitentronc se refusait toujours à le
faire. "Même si j’en avais la possiblité, nous disait-il, accomplir un miracle uniquement pour
augmenter ma popularité va à l’encontre de tous les préceptes du Bitenisme. Je privilégierai
toujours le dialogue et le partage plutôt qu’un tour de magie vide de sens." A chaque fois qu’il
nous disait ça, Bitentronc affichait un sourire confiant, comme s’il savait qu’un jour, tout le
monde ouvrirait enfin les yeux et verrait la vérité. Nous, nous ne pouvions pas le contredire,
car nous savions qu’il avait raison, comme toujours. Les miracles ne devaient être accomplis
que pour réparer des injustices ou soigner des cas graves, pas pour recruter des Pokémon
incrédules, car ceux-ci nous suivraient alors sans aucune foi et par simple curiosité maladive.
Dès lors, chaque soir, nous arrivions à cette même conclusion et nous nous endormions le coeur
serré par l’inquiétude, alors que Bitentronc paraissait plus confiant que jamais.

Nous vécûmes ainsi durant dix années. Après quelques temps, nous avons commencé à nous
rendre un peu plus loin, à visiter les villages voisins et à parler avec leurs habitants. A chaque
fois, nous étions frappés par la misère et la rancoeur dans lesquelles étaient constamment plongés
ces Pokémon. Il devint bientôt clair que l’influence de la grande capitale était absolument
omniprésente et s’étendait bien au-delà de ses frontières, rongeant et gangrenant petit à petit,
jour après jour, village après village. Plus le temps passait, plus nous promettions à tous ces

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pauvres Pokémon que nous allions tout faire pour améliorer notre situation, mais il devint
vite clair que nous étions dans l’impasse. Tout autre groupe poursuivant tout autre objectif
aurait depuis longtemps jeté l’éponge, mais ça a toujours été hors de question pour nous. Bien
que nous aurions certainement baissé les bras depuis longtemps sans la présence revigorante
de Bitentronc, nous continuions chaque jour la lutte avec autant de ferveur, ce qui émouvait
souvent aux larmes les triplés Bitenistes. Eux qui avaient abandonné leur contrée quasi parfaite
pour remplir la dure mission ordonnée par Bitenbois, l’Inimitable, étaient chaque jour plus
heureux de constater à quel point cette mission avait trouvé des partisans. Bitenfleur, elle,
rayonnait également, comme elle le faisait toujours. J’ai toujours pensé que c’était dû à sa
croissance en si proche compagnie de Bitentronc, mais elle dégageait la même énergie, le même
calme que lui. Elle ne cessa jamais de nous motiver et de nous encourager, ce qui était souvent
d’une grande aide. Ernestine, fidèle à lui-même, restait habité par la fougue de la jeunesse. Sa
motivation et son enthousiasme étaient devenus légendaires, et il n’hésitait pas à foncer tête
baissée dans des situations potentiellement dangereuses pour aider ses amis. Beplusbas, quant
à lui, n’avait jamais cessé de considérer Bitentronc comme son Maître Inestimable, malgré les
protestations de ce dernier, et continuait sans relâche à lui être fidèle en l’aidant du mieux que
ses maigres moyens le permettaient. Neo xXDark également redoublait d’ardeur à faire le bien.
Il semble que jamais aucun Pokémon ne l’avait touché même dix fois moins que Bitentronc, qu’il
voyait réellement comme un modèle idéal pour n’importe qui. Pipomiel continuait également
la lutte sans sourciller, car lui était animé par sa jeunesse de haine et de mépris que son père
et ses concitoyens l’avaient forcé à adopter. Ce qu’il désirait plus que tout, c’était de faire enfin
ouvrir les yeux à son père, et de lui montrer à quel point il se trompait. Enfin, des motivations
similaires animaient Jozyanne, Mongolmar et Casseburne. Leur service dans la garde avait suffi
à leur montrer à quel point leur société était mauvaise, et ils semblaient décidés à réparer le
temps qu’ils y avaient passé. Les doutes que j’avaient ressentis envers Casseburne quand il nous
avait rejoint s’étaient dissipés, car il semblait maintenant aussi déterminé que ses amis à suivre
la voie du bien. C’est donc dans une entente au beau fixe que nous continuâmes notre mission
pendant près de dix ans. Pendant ce temps, seuls quelques événements vinrent perturber notre
quotidien. Un jour d’octobre, la garde parvint une nouvelle fois à nous coincer, et tentèrent
de nous forcer à divulguer l’emplacement de notre logis. Seulement, nous avions appris une
nouvelle technique quelques mois plus tôt avec Bitentronc. Il nous encouragea depuis l’arrière-
garde, et ses mots nous remotivaient tant que nous parvenions à multiplier les pains que nous
distribuions aux gardes, qui s’enfuirent sans demander leur reste. L’année suivante, un groupe
de citoyens nous annoncèrent qu’ils croyaient maintenant Bitentronc quand il affirmait être le
fils de Bitenbois, l’Impunissable, car ils l’avaient vu marcher sur l’eau du lac pour aller sauver
un enfant de la ville qui s’était trop éloigné. Quand ils furent partis, des étoiles pleins les yeux,
nous éclatâmes de rire en choeur, tant cette situation était cocasse. Bien qu’il eut pu le faire
réellement, ce que Bitentronc avait accompli n’avait rien d’un miracle, car il était simplement
debour sur le dos de Pipomiel. Seulement, c’est quand Bitentronc avait atteint l’âge de trente-
deux ans qu’un événement qui allait bouleverser nos existences à tous se produisit.

A ce moment, tous les Bitenistes avaient énormément mûri. Nous étions tous plus forts,
plus sages et plus réfléchis que nous ne l’avions jamais été, grâce à la présence de Bitentronc à
nos côtés. Nous avions appris à le connaître mieux que personne, et lui nous connaissait tout
aussi bien. Dès lors, quand Bitentronc nous révailla, ce matin-là, nous eûmes la certitude qu’il
allait nous annoncer une nouvelle très importante, mais aucun de nous ne pouvait s’attendre
à ce qu’il allait nous dire. "Mes amis, je pense que vous êtes enfin prêts à continuer sans moi."
Personne ne put parler avant un certain temps, tant nous fûmes pris de court. Le visage de
Bitentronc n’affichait aucune inquiétude ni aucune peur, mais une grande sérénité. Quand enfin
Beplusbas demanda ce qu’il voulait dire par là, il reprit : "Je vais partir aujourd’hui pour aller

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vivre seul. Je ne sais pas encore combien de temps, mais je partirai sans provisions ni eau. Peut-
être reviendrai-je un jour vers vous, mais si je vous laisse maintenant, c’est que je suis persuadé
que vous parviendrez à continuer notre mission sans moi. Quant à moi, je vais m’isoler pour me
rapprocher de mon Père, car j’ai besoin de son conseil." Nous fûmes d’abord horrifiés par cette
nouvelle, et c’est avec un déchirement terrible que nous regardâmes Bitentronc prendre congé,
avec un geste amical de la main. Quand il fut parti, nous nous regardâmes longuement, sans dire
un mot, puis une voix timide lança : "Il va revenir, n’est-ce pas ?" Je ne pus retenir un regard
vers Ernestine, qui semblait complètement désemparé. Je lui répondit que nous ne pouvions
pas le savoir, car les voies de Bitentronc sont impénétrables. Il ne parut pas convaincu, et s’en
alla sans dire un mot. Déconcertés, nous avons ensuite passé la journée à réfléchir à ce que nous
allions faire. Finalement, tout le monde sembla tomber d’accord qu’il nous fallait continuer
comme avant, car Bitentronc nous faisait confiance. Ernestine avait fini par nous rejoindre, et
était également d’accord. Nous avions toute confiance en Bitentronc, et étions sûrs qu’il avait
les meilleures raisons pour avoir fait ce choix. Nous avons donc continué comme auparavant
à nous rendre en ville pendant les jours qui suivirent. Aucun de nous ne se doutait alors que
notre quête approchait de sa fin, ni que cette fin prendrait un tour des plus tragiques.

5.3 Postface
Le souvenir des événements qui suivirent le départ de Bitentronc brûlent encore beaucoup
trop douloureusement en moi pour que je puisse les exprimer. Je clôture donc ici mon Evangile,
dans l’espoir sincère que quelqu’un trouvera le courage de reprendre mon récit où je l’ai laissé.
Puissiez-vous trouver la paix. Souzestim.

6 L’Évangile selon Kwakwa


6.1 Préface de l’auteur
Mon nom est Kwakwa. Je suis un miraculé. Je suis l’un des premiers à être arrivé dans ma
famille, et nous évoluions dans un monde des plus hostiles. Chaque jour, nous étions forcés de
nous battre pour notre survie. Dans l’époque à laquelle nous vivions, les faibles étaient voués
à mourir, et seuls les forts persistaient. Au début, nous nous débrouillions très bien. Notre
famille fut très bientôt connue dans toute notre région comme la plus redoutable. Avec mon
frère aîné, RogerTitou, nous combattions main dans la main, et nous étions imbattables. Il me
semble important de préciser qu’il n’y avait aucune animosité dans notre comportement. Nous
ne faisions que nous battre pour notre survie. D’ailleurs, nous essayions autant que nous le
pouvions de faire changer les mentalités dans ce monde si brutal. Au fil des épreuves, notre
famille s’agrandissait en même temps que notre confiance. Il nous sembla bientôt certain que
nous arriverions au sommet tous ensemble, d’où nous pourrions enfin diffuser notre message
de paix au plus grand nombre. Malgré la mort prématurée de certains de mes frères et soeurs,
nous avancions toujours plus loin. Seulement, la malédiction commença à s’abattre sur nous
quand notre frère aîné mourut. Cela s’est passé si brutalement, si soudainement qu’aucun de
nous ne pouvait s’y attendre. Un coup vicieux l’atteignit, et il était mort avant même que je
puisse le secourir. C’est ce jour-là que la descente aux enfers commença. Chaque jour, mes
frères et soeurs mouraient l’un après l’autre sans que je ne puisse rien faire pour les aider. Moi
seul parvenais à en réchapper, mais chaque fois plus affaibli et plus abattu. Un jour, je me
retrouvai acculé, seul et sans personne pour m’aider. J’étais le seul survivant de ma famille, et
j’étais prêt à accepter la mort, quand j’eus une vision. Alors que mes ennemis approchaient, un
minuscule Pokémon ressemblant à une jolie fleur jaune et arborant un grand sourire m’apparut,
étincelant. Je ne l’avais jamais vu, mais je sus instantanément que nous partagions les mêmes

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valeurs de paix et de partage. Il m’expliqua qu’il était le Messie d’une lointaine religion appelée
Bitenisme, et qu’il avait reconnu en moi un digne successeur de sa Parole. Il me confia la
mission de régler les problèmes qui gangrenaient mon époque, comme j’avais tenté de le faire.
Enfin, il m’expliqua qu’il m’accordait sa protection et que, tant qu’il la maintiendrait, personne
ne pourrait me battre. Dès qu’il disparut, je fus envahi d’une nouvelle vigueur, et j’assommai
tous mes adversaires en les Lyophilisant brutalement. Depuis ce jour, sentant la présence de
Bitentronc (c’était son nom) à mes côtés, je connus victoire sur victoire, jusqu’à finalement
parvenir à battre les adversaires les plus forts de la région. Grâce à l’aide de Bitentronc, je
parvins par la suite à calmer mes compagnons Pokémon, et mon monde vit aujourd’hui dans
un climat bien plus sain qu’auparavant. Après ces événements, je voulus remercier Bitentronc
comme il le méritait. Je me mis alors en quête d’informations sur le Bitenisme, de ville en ville
et je finis par trouver un récit relatant la vie de Bitentronc, écrit par deux Pokémon morts
depuis longtemps. Cependant, leur récit était incomplet, s’arrêtait brutalement à un moment
clé de l’histoire. Je décidai alors de vouer le reste de mon existence à raconter la fin de celle
de Bitentronc. Sans relâche, je recherchai de petits témoignages et autres écrits laissés par
des témoins, et je parvins finalement à les rassembler en une seule histoire aussi tragique que
fabuleuse. La voici racontée par ma plume, l’Evangile selon Kwakwa.

Kwakwa, miraculé

6.2 L’Évangile
L’absence Ce récit commence au moment où Bitentronc, qui vivait auparavant avec ses douze
apôtres près de la capitale du Bitempire Romain pour accomplir la mission transmise par son
Père, Bitenbois, le Rédempteur, partit seul dans le désert pour s’isoler des Pokémon. Bien qu’il
avait raconté à ses compagnons qu’il partait pour s’entretenir avec son Père, il avait en réalité
un plan, qu’il préparait depuis plusieurs années. L’objectif de ce plan était en réalité l’objectif
final de sa grande mission, à savoir de convaincre la Bitenterre entière qu’il avait réellement
du sang divin et les rassembler tous sous le signe de la paix et de la fraternité. Cependant,

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il n’en avait soufflé mot à personne, car ce plan, pour fonctionner correctement, devait à tout
prix être ignoré de tous. Il avait d’ailleurs sous-estimé la proximité de Bitenfleur ainsi que des
triplés Bitenistes, Pichon, Vladimirr et Vladichon. Etant ses plus anciens apôtres, ils avaient
compris rapidement que Bitentronc prévoyait quelque chose, et ils se doutaient déjà que ce
plan pouvait rencontrer une issue tragique. Cependant, un simple regard de Bitentronc leur
avait fait comprendre qu’ils devaient tenir leur langue, et c’est ce qu’ils firent. Ainsi, alors que
Bitentronc s’éloignait de la ville, sans eau ni nourriture, il se retourna et contempla la nuée
de bâtiments qui s’étendait au loin avec un sourire triste. Là, il en était persuadé, le monde
connaîtrait bientôt un tournant sans précédent qui aboutirait en une paix globale et durable.
Bien qu’il susse déjà que son sort pourrait ne pas être aussi joyeux, il tourna le dos à la ville
et s’éloigna d’un pas décidé. A présent, tout reposait sur les épaules de ses apôtres et, bien
qu’ils se sentît coupable de leur avoir menti, cette pensée le réconforta quelque peu. Il afficha
un sourire, franc cette fois-ci, alors qu’il marchait vers l’horizon.

Pour révoltés qu’ils aient été à l’annonce du départ de Bitentronc, les douze apôtres, pleins
de confiance et d’amour envers Bitentronc, s’efforcèrent de continuer la tâche que leur Messie
avait initié du mieux qu’ils le pouvaient. L’absence de Bitentronc se fit souvent sentir, car ils
se rendirent vite compte que sa présence était d’une importance capitale. Sans lui, ils avaient
toute les peines du monde à tenir le discours qu’ils avaient pourtant rôdé durant dix années.
Les Pokémon, semblait-il, ne les prenaient pas au sérieux. Ils ne cessaient de demander où se
trouvait Bitentronc, pourquoi il n’était pas avec eux ou encore s’il les avait abandonné. Nombre
d’entre eux semblèrent perdre confiance en leur groupe. Si leur guide les avait quitté, n’y
avait-il pas une bonne raison ? Cependant, malgré la difficulté accrue de leur tâche, les apôtres
continuèrent sans relâche à honorer leur promesse envers Bitentronc. Ils persevérèrent tant et si
bien qu’ils parvinrent finalement à regagner la confiance de la plupart des citoyens qu’ils avaient
déjà convaincu auparavant. Cependant, tous les autres citoyens, qui représentaient la majorité
d’entre eux et qui était toujours restée sourde au message qu’ils tentaient de leur adresser, se
montraient plus véhéments que jamais à les discréditer. Ils les insultaient, les traitaient de fous,
de criminels, de traîtres. Les nerfs des apôtres et de leurs fidèles furent ainsi mis à rude épreuve
durant de nombreux jours, mais cela ne fit que renforcer les liens indéfectibles qui les unissaient.
Plus que jamais, ils se serraient les coudes et puisaient leur force dans celle des autres. Ils avaient
décidé, en hommage à leur Sauveur, de ne plus rien manger d’autre qu’une tranche de pain sec
ni de rien boire d’autre qu’une gorgée d’eau de la rivière par jour. Ce jeûne leur permettait
de communier avec Bitentronc, et cela les aida à tenir bon tant ils se sentaient proches de lui.
Rien ne semblait pouvoir ternir ce magnifique tableau : les douze, plus proches que jamais,
perpétuant la mission de leur Sauveur qui lui venait du Grand Bitenbois. Cependant, dans
leur ardeur à faire le bien, personne ne remarqua que Casseburne, d’ordinaire assez effacé et
dans l’ombre de ses compères, Mongolmar et Jozyanne, s’éloignait de plus en plus des autres
à mesure qu’eux se rapprochaient. Ils ne virent pas non plus que, au fil des jours, des insultes
et des brimades, Casseburne semblait de plus en plus affecté par les attaques continuelles que
les Bitenistes subissaient. Quand ses compagnons en riaient, il grinçait des dents. Là où ses
amis voyaient de la bravoure et une grande piété dans la décision de Bitentronc de s’éloigner
d’eux, lui ne voyait que de la lâcheté et du mépris. Quel ami abandonnerait ainsi ses plus fidèles
compères ? Maintes et maintes fois, Casseburne se prit à douter de Bitentronc, de sa légitimité.
Il en vint même à imaginer qu’il s’agissait réellement d’un affabulateur, et qu’il n’avait pas plus
de sang divin que lui. Le ressentiment de Casseburne grandit ainsi, inconnu de tous, durant
soixante-huit jours, jusqu’à la veille du retour de Bitentronc, où il s’éclipsa discrètement en
pleine nuit en direction de la ville. Cependant, même si ses compagnons avaient su tout ce qu’il
avait ressenti, ils n’auraient jamais pu imaginer ce qui allait se produire ensuite.

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La dernière Cène Le lendemain, un dimanche, c’est avec une joie indescriptible qu’Ernes-
tine, qui avait le regard le plus perçant, annonça à ses onze compagnons qu’il apercevait la
silouhette de Bitentronc qui s’approchait de la ville. Son retour fut accueilli par tous avec une
immense allégresse, à l’exception non remarquée de Casseburne, qui semblait tout faire pour
éviter son regard. Pour marquer cet événement, chaque habitant de la cité un tant soi peu fidèle
à Bitentronc déposa une fleur de tournesol sur le pas de sa porte, pour rappeler la splendeur
de leur guide, formant une véritable haie d’honneur à travers toute la ville. Les gardes avaient
à peine le temps de retirer les fleurs en jurant que de nouvelles apparaissaient à leur place. Ce
fut une journée de liesse et de bonheur, les retrouvailles les plus poignantes que chacun avait
jamais vécues. Même Bitentronc, qui savait pourtant pertinemment ce que Casseburne avait
fait, semblait sincèrement ravi de les revoir, tous autant qu’ils étaient. Ils leur proposa alors
d’organiser le lendemain soir un repas où chacun des apôtres serait convié. Bien que ceux-ci
furent surpris d’apprendre que Bitentronc ne souhaitait la présence de personne d’autre, ils
acceptèrent tous avec entrain. Ainsi, le lendemain soir, une grande table avait été dressée dans
la vieille ferme de Beplusbas, en souvenir de leurs débuts dans la capitale. Treize couverts y
étaient présents, un pour chacun des convives, qui prirent place en discutant avec animation.
Chacun espérait que Bitentronc raconte son périple solitaire, car il avait promis de le faire à ce
moment. Pipomiel se plaisait à raconter que Bitentronc n’avait pas bu une seule goutte d’eau ni
mangé une miette de pain, tenant par la seule force de sa foi. Neo xXDark, quant à lui, affirmait
que Bitenbois, l’Irrévérencieux, lui avait transmis des pouvoirs secrets. Souzestim, enfin, plus
pragmatique, spéculait sur l’abondance des plats qui seraient sans nul doute apportés incessam-
ment par Bitentronc. Cependant, il ne fut pas le seul à être interloqué quand Bitentronc entra
dans la pièce avec seulement une miche de pain et une coupe de vin. Chacun s’assit quand il les
y invita, puis ils écoutèrent sans comprendre un seul mot ces paroles prononcées par leur Messie
tout en élevant la miche de pain devant lui : "Mes amis, ceci est mon corps, livré pour vous. (il
partagea la miche en treize parts égales). Prenez, et mangez en tous." Il présenta alors la coupe
de vin à ses apôtres maintenant remplis d’appréhension, et leur dit : Prenez, et buvez-en tous.
(Il invita chacun à tremper ses lèvres dans la coupe de vin, avant de reprendre :) Ceci est mon
sang, versé pour vous. Le sang de l’alliance nouvelle et éternelle qui sera versé pour vous, et
pour la multitude, en rémission des péchés. Vous ferez cela en mémoire de moi."

Image rare de la Dernière Cène de Bitentronc et ses apôtres

Seule Bitenfleur sembla saisir le sens caché de ces paroles, car elle sauta au coup de Biten-

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tronc et fondit en larmes sous le regard interloqué de dix des autres convives et l’air effrayé du
dernier. Après plusieurs minutes de silences interrompues seulement par les sanglots de Biten-
fleur, Ernestine prit enfin la parole : "Que veux-tu dire, Bitentronc ?" A ces mots, Bitentronc
repoussa Bitenfleur avec une infinie délicatesse, et s’approcha d’Ernestine. "Mon cher ami, ce
repas sera sans doute le dernier que tu passeras en ma présence." Ces paroles eurent l’effet
d’une bombe. Chacun se mit à noyer Bitentronc sous un flot ininterrompu de questions et de
remarques indignées. Ils lui crièrent qu’ils ne le croyaient pas, qu’ils allaient tout faire pour
qu’ils ne soient plus jamais séparés. D’un geste de la main, Bitentronc imposa une fois de plus
le silence, et leur dit : "Mes amis, je vous dois des excuses, car je vous ai menti. En réalité,
m’éloigner de vous était la seule solution pour que mon plan secret fonctionne, et vous en parler
l’aurait compromis. Ce plan impliquait en effet que l’un de vous me trahisse, et qu’il le fasse
sciemment." Immédiatement, tous se tournèrent vers leurs voisins et, en voyant le visage de
Casseburne déformé par la tristesse et le remord, tous comprirent immédiatement : Casseburne
était aller vendre des informations sur Bitentronc à la garde. Alors que tous se dirigeaient
vers Casseburne, le poing brandit et l’air meurtrier, alors qu’il semblait maintenant vouloir
disparaître sous terre, tous furent stoppés net par une nouvelle intervention de Bitentronc.
"Casseburne, sache que mes excuses s’appliquent tout particulièrement à toi. Je connaissais tes
doutes depuis le jour où tu nous as rejoints, et je t’ai utilisé malgré toi." Casseburne n’en menait
pas large, car il s’enfonça encore plus sur son siège, fixant ses pieds. Devant l’incompréhension
de ses apôtres, Bitentronc reprit : "Je suis conscient que tout cela est difficilement compréhen-
sible pour vous, mais je vous demande d’avoir confiance et de ne pas accabler Casseburne. Bien
que la situation semble très mauvaise, tout se déroule selon mon plan. Vous comprendrez en
temps voulu." Après ce discours lourd de sens, plus personne n’avait le coeur à manger, mais
chacun se força à avaler son morceau de pain, car cela semblait très important pour Bitentronc.
Il était d’ailleurs le seul à afficher un large sourire, qui dénotait nettement à côté des mines
abattues des autres membres de l’assemblée. Malgré ce qu’il avait dit plus tôt, le coeur de cha-
cun des apôtres brûlait d’une rancoeur terrible envers le félon Casseburne, y compris celui de
Casseburne lui même, qui se consumait de remord et de tristesse. Comment avait-il pu faire ce
qu’il avait fait ? Qu’avait bien pu le pousser à commettre un acte d’une telle lâcheté ? Comment
avait-il pu douter un seul instant du Pokémon en qui, paradoxalement, il avait aujourd’hui plus
confiance que jamais auparavant ? Un regard à l’assemblée lui fit comprendre que chacun se
posait les mêmes questions, mais pouvait-il réellement leur en vouloir ? Jamais il ne s’était senti
aussi mal, tout comme les autres apôtres, et c’est la mort dans l’âme que chacun alla se coucher.
Sans surprise, personne ne trouva le sommeil ce soir-là, car leur esprit était encore trop plein
de l’émotion qu’avait suscité les paroles de Bitentronc. Ce n’était pas possible, pas possible
que Bitentronc s’en aille ainsi. Ils tentaient de se persuader que tout irait bien, que les gardes
laisseraient Bitentronc tranquille. Après tout, quel crime avait-il commis ? Rien ne permettait
de l’accuser, donc il serait sûrement libéré rapidement. Cependant, une horrible intuition leur
soufflait à l’oreille que l’issue de cette situation ne pouvait qu’être funeste, et tous plongèrent
dans un sommeil tourmenté par d’horribles cauchemars impliquant tous la disparition de leur
Messie.

L’arrestation Les quelques jours qui suivirent furent des plus moroses. Comme annoncé par
Bitentronc, un garde vint le lendemain, en éclaireur, pour annoncer que Bitentronc serait es-
corté trois jours plus tard vers le palais de Rhinastoc Roc-Boulet, le Bitempereur, pour y être
jugé, et qu’ils emploieraient la force s’il refusait de s’y rendre. Malgré les tentatives incessantes
de Bitentronc de remonter le moral des ses compagnons et son insistance que tout allait pour le
mieux, aucun des apôtres n’avait le coeur à faire quoi que ce soit. Les retrouvailles avec Biten-
tronc, qui devaient être un moment de bonheur intense, étaient rapidement devenues sources
de souffrances et de confusion. Dès le lendemain de la Dernière Cène, Casseburne s’était enfui.

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Ses compagnons le jugèrent très durement, y voyant la preuve qu’il avait définitivement renié
Bitentronc quoi que ce dernier en dise. La vraie raison de ce départ était pourtant différente :
Casseburne désirait s’éloigner de Bitentronc, car il avait désormais trop honte pour le regar-
der en face. Seul Bitentronc savait qu’il regrettait amèrement sa trahison, mais ses tentatives
pour calmer l’ire des autres apôtres se soldèrent par autant d’échecs. Bitentronc n’abandonna
cependant jamais, et il défendit Casseburne sans sourciller jusqu’à la fin. Nul ne sut jamais
où Casseburne se réfugia durant ces quelques jours, car il avait prit soin de se cacher effica-
cement de tous. Bien après tous ces événements, cependant, il raconta qu’il avait passé tout
ce temps à pleurer silencieusement, écoeuré par l’acte ignoble qu’il avait commis à cause de
sa faiblesse d’esprit. Quant aux autres apôtres, ils passèrent les trois jours précédant son ar-
restation à essayer de convaincre Bitentronc de s’enfuir avec eux. Tous ensemble, ils pensaient
pouvoir rallier la Bitenterre Promise, la contrée natale de Pichon, Vladimirr et Vladichon, où
ils seraient en sécurité. Cependant, Bitentronc refusa obstinément de prendre la fuite, car cela
équivaudrait à abandonner leur mission et reconnaître leur échec. "Ayez confiance", répétait-il
systématiquement, ce à quoi aucun apôtre ne trouvait quoi répondre. Tous avaient confiance en
leur Sauveur, mais comment avoir confiance, que pouvaient-ils encore espérer ? Rester dans la
capitale équivalait à coup sûr à se rendre au Bitempereur, et personne, pas même Bitentronc,
ne pouvait espérer se tirer des griffes de ce tyran. C’est donc impuissants et remplis de crainte
qu’ils passèrent les trois jours les séparant de l’échéance terrible, trois jours durant lesquels
personne n’eut le coeur de passer ne fut-ce qu’un moment sans essayer de convaincre Biten-
tronc de prendre la fuite. Le deuxième jour, un petit groupe de citoyens parmi les premiers à
avoir été séduits par les paroles des Bitenistes, ayant eu vent de la terrible nouvelle, vinrent
pour proposer à Bitentronc de le cacher le temps que les choses se tassent. Au grand désarroi
des apôtres, Bitentronc déclina l’offre, non sans avoir chaudement remercié les citoyens, car il
refusait de mettre des innocents en difficulté à cause de lui. Après trois jours, qui en parurent
cent pour chacun des apôtres, à l’aube, de lourds coups furent frappés à la porte de leur mai-
son, et Bitentronc se leva. Avec un sourire franc qu’aucun ne put comprendre, Bitentronc leur
dit : "A très bientôt, mes amis. Nous nous reverrons, je vous le promets." Même ces paroles,
prononcées avec une évidente sincérité, ne parvinrent pas à étouffer le désespoir sans fin qui
s’empara des Bitenistes. C’en était terminé, leur guide, leur Sauveur, celui qui les avait sorti
de leurs vies moroses et qui les avait illuminés, celui-là ne serait bientôt plus. Car en effet, la
réputation du Bitempereur n’était que trop bien connue, et chacun savait que la seule issue à
ce genre d’arrestation était la mort. Alors que Souzestim tentait de calmer les sanglots d’Er-
nestine en le serrant contre lui, tous contemplèrent tristement Bitentronc alors que les gardes
ouvraient brutalement la porte et se saisissaient de lui sans cérémonie. Beplusbas n’eut pas le
temps d’esquisser un geste vers lui que Bitentronc se tourna vers lui et l’en dissuada d’un seul
regard, un regard plein d’espoir qui exprimait ces mots aussi bien que si Bitentronc les avait
prononcés : "Tout ira bien". C’est donc sans un mot que les apôtres observèrent leur Sauveur
quitter la pièce sous bonne escorte. Ils s’observèrent dans un silence complet, coupé seulement
par les sanglots d’Ernestine, durant plusieurs minutes, partageant le fol espoir de voir revenir
Bitentronc, ou encore de se réveiller pour constater que tout ceci n’avait été qu’un horrible
cauchemar. Ils finirent malheureusement tous par se rendre à l’évidence, et un désespoir plus
profond que ce qu’ils avaient jamais ressenti les saisit, coupant leur respiration. Bitentronc était
parti, et avec lui tout espoir de réussite pour leur mission divine. Tout était terminé.

Le jugement Les apôtres savaient parfaitement qu’ils entendraient rapidement parler de


Bitentronc, car ils étaient persuadés que son jugement serait annoncé largement, pour servir
d’exemple. C’est donc sans surprise que NeoxXDark tomba le lendemain sur une grande affiche
annonçant pour le soir même le jugement de Bitentronc, le "Sauveur" des Bitenistes. "Ils l’ont
représenté en une horrible caricature, et disent qu’il est accusé de trouble de l’ordre public,

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d’incitation à la révolte et de rébellion contre le gouvernement ! Quel tissu de mensonges !",
s’indigna-t-il auprès des autres apôtres. "Ils cherchent à embrigader leurs citoyens en leur ra-
contant ces calomnies, et j’ai bien peur qu’ils y réussissent. J’ai croisé plusieurs personnes dans
les rues, et toutes se disaient à quel point elles étaient soulagées qu’il ait enfin été arrêté.", ajouta
tristement Bitenfleur. "Quelle cruauté !" Personne ne répondit, car chacun était parfaitement
conscient que, si la majorité des citoyens pensait comme cela, c’était uniquement parce qu’ils
avaient échoué dans leur mission, en fin de compte. Le rêve qu’ils avaient poursuivi durant plus
de dix années avait été détruit en l’espace de quelques jours, et tous se rendaient maintenant
compte à quel point il était naïf. Comment avaient-ils pu imaginer qu’ils parviendraient à leurs
fins ? C’est donc la mort dans l’âme que les apôtres se rendirent sur la place publique, lieu
désigné pour accueillir le jugement de Bitentronc. Ils ne furent pas surpris de rejoindre un flot
ininterrompu de Pokémon, se rendant tous au même endroit. Loin de les rassurer, cela ne fit
qu’amplifier le malaise des Bitenistes, car en ces lieux se trouvaient réunis l’écrasante majorité
des Pokémon qu’ils n’avaient pas convaincus. Certains citoyens, la mine abattue, y allaient sou-
tenir Bitentronc du mieux qu’ils le pourraient, mais la grande majorité, cependant, affichaient
une mine sereine, heureux d’enfin pouvoir assister à la condamnation de cet usurpateur. Quand
l’immense place fut remplie au maximum à l’exception d’une petite estrade en son centre, un
murmure d’excitation parcourut la foule du côté sud de la place. Les apôtres comprirent rapi-
dement à quoi il était dû : Rhinastoc, le Bitempereur en personne, fendait la foule suivi par
une procession de Pokémon à l’allure patibulaire. Et au milieu de tous ces gardes, plus rayon-
nant que jamais, marchait Bitentronc. Il affichait le même sourire calme qu’il avait si souvent
montré. Il semblait complètement imperméable aux huées et aux insultes lancées par les Poké-
mon qu’il croisait, se contentant de les regarder avec un air de profonde bienveillance. Certains
Pokémon lui tendaient des mains qu’ils voulaient secourables, et il mettait un point d’honneur
à les saisir toutes, quitte à impatienter ses bourreaux. Finalement, bien trop tôt du point de
vue des Bitenistes, la procession arriva sur l’estrade, et Bitentronc y fut enchaîné malgré qu’il
ne montrât aucune velléité de fuite. Soudainement, Rhinastoc Roc-Boulet leva une main, et le
silence se fit instantanément dans l’assemblée. Un petit Pokémon, debout à sa droite, prit alors
la parole. "Bitentronc, vous avez été convoqué en ce lieu pour y répondre de tous les crimes que
vous avez commis. Je vais maintenant les énumérer, afin que le Bitempereur puisse rendre son
verdict." Juste avant que le procureur ne commence sa litanie, les apôtres jetèrent un regard
plein de ressentiment sur Rhinastoc Roc-Boulet, étant persuadés qu’il prendrait la pire décision
possible, cependant seul Pipomiel remarqua une étrange ombre qui passa à cet instant dans le
regard du Bitempereur. ("Trouble de l’ordre public. Incitation à la révolte.") Instinctivement,
il l’associa à de l’appréhension et du doute, mais il était impossible qu’un être si cruel ressente
ces émotions. Pipomiel fut tiré de sa réflexion par deux insultes chuchotées par Vladichon, pro-
bablement proférées à l’égard du Bitempereur et du procureur : "Anus ! Anussette !". Les autres
apôtres s’aperçurent pourtant qu’il ne regardait pas en direction de la scène, mais plutôt sur
un point au milieu de la foule. ("Colportage de fausses rumeurs. Remise en question de l’auto-
rité du Bitempereur.") Là se dressaient deux Pokémon que la majorité des citoyens n’avaient
jamais vus auparavant, et pour cause : il s’agissait des tuteurs de Bitentronc, Anus et Anus-
sette. Quand les triplés et Bitenfleur, qui n’avait put retenir une exclamation étouffée à leur
vue, expliquèrent qui ils étaient, tous se dirigèrent vers eux pour leur parler, et leur demander
comment il se faisait qu’ils fussent ici, écoutant d’une oreille affligée le tissu de mensonges du
procureur. ("Crime contre le Bitempire. Harcèlement des citoyens.") Quand ils les atteignirent,
ils ne furent pas étonnés de remarquer l’air d’intense colère sur le visage d’Anus et les larmes
d’impuissance sur celui d’Anussette. Quand Pichon voulut prendre la parole, Anus le fit taire
d’un geste de la main, car le procureur semblait arriver à la fin de sa plaidoirie. "Création et
entretien d’un groupe sectaire non-reconnu, kidnapping du fils d’un de nos plus importants
citoyens, et enfin affirmation mensongère d’un lien parental avec la fausse divinité de la religion

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Biteniste, proscrite dans tout le Bitempire." Quand le procureur se tut enfin, un silence de mort
s’abattit sur la place. Tous attendaient le verdict qui ne tarderait pas à tomber. Pendant ce
temps, Bitentronc ne se départit à aucun moment de son sourire, le rendant plus lumineux
que jamais au milieu de toutes ces ténèbres. Les apôtres et les parents de Bitentronc retinrent
leur souffle. Quand enfin Rhinastoc se leva, Pipomiel ne fut plus le seul à remarquer la douleur
qui se lisait maintenant clairement dans ses yeux. Toute l’assemblée fixait sans comprendre cet
étrange regard, car personne n’avait jamais vu le Bitempereur, d’ordinaire si cruel, montrer
de la tristesse, quand il prit la parole : "Mes chers concitoyens, je ne souhaite pas exprimer
mon jugement sur ce Pokémon, car aucun de ses chefs d’accusation ne me semble fondé." Et de
reprendre, face aux protestations véhémentes de la foule : "En vérité, que lui reprochez-vous ?"
Immédiatement, les citoyens se mirent à hurler qu’il menaçait leur tranquillité, qu’il s’agissait
d’un menteur sans vergogne, et bien que certains braves tentaient de défendre Bitentronc, leurs
paroles étaient noyées par le flot d’accusations provenant de la foule. A présent, tous criti-
quaient le Bitempereur lui-même, disant qu’il avait été trompé par la malice de Bitentronc.
Le coeur des apôtres débordait pourtant de gratitude pour ce Pokémon qu’ils avaient toujours
perçu comme brutal et sans pitié, alors qu’ils comprenaient maintenant ce qui s’était passé :
durant son emprisonnement, Bitentronc avait eu tout le temps de parler avec Rhinastoc, et ce
dernier avait révélé qu’il avait un coeur plus grand que ce qu’il laissait penser. Maintenant, sa
douleur se transformait manifestement en terreur à mesure que les protestations se faisaient
plus violentes. Cette terreur provenait du fait que, maintenant que Bitentronc avait ouvert le
coeur de Rhinastoc, il se rendait enfin compte du climat de haine qu’il avait lui-même créé dans
son Bitempire. Rongé par le remord, n’y tenant plus, il finit par lever les deux bras pour réduire
le peuple, dont il se sentait maintenant si distant, au silence. Il prononça alors ces quelques
mots : "Nous sommes une démocratie, et je ne peux m’opposer à la volonté du peuple. Sachez
cependant que je me détache de vous en ce jour. Je n’accepte pas votre choix, et me retire donc
du pouvoir." Cette annonce laissa tout le monde pantois durant quelques secondes, le temps
pour Rhinastoc de se tourner vers Bitentronc et de lui murmurer : "Pardonne-moi, j’ai fais ce
que j’ai pu." Sans prévenir, Bitentronc le serra brièvement dans ses bras, et lui dit : "Mon ami,
rien ne pourra réparer tes crimes passés, mais ton acte de bravoure à racheté tous tes péchés.
Va, ta foi t’a sauvé !" Alors que Rhinastoc s’éloignait, une larme coulant sur sa joue ainsi que
sur celles des apôtres, la foule envahit l’estrade et s’empara de Bitentronc pour le traîner de
force sur la place. Là, les gardes le saisirent, et le procureur prit la parole : "Compte tenu des
circonstances et de la gravité des faits reprochés à Bitentronc, il est condamné à être crucifié
sur les hauteur de la colline voisine. Le crucifiement aura lieu vendredi soir, au crépuscule."
Alors que les apôtres essayaient en vain d’empêcher les gardes de l’emmener hors de la place,
Bitentronc se tourna une dernière fois pour contempler la foule, et sourit : "Père, pardonne leur,
car ils ne savent pas ce qu’ils font."

La crucifixion Encore choqués par la scène à laquelle ils venaient d’assister, les apôtres ainsi
qu’Anus et Anussette restèrent sur la place publique un long moment, sans parvenir à dire un
mot. Bitenfleur fut la première à bouger. Sans un mot, elle s’approcha des parents de Bitentronc
et les serra délicatement dans ses bras, et elle leur murmura qu’elle était désolée, qu’elle n’avait
pas réussi à protéger leur enfant. Anus posa alors une main sur son épaule et, avec un sourire
bienveillant partagé par son épouse, il lui répondit : "Nous ne blâmerons aucun de vous, car
nous savons que vous avez accompli tout ce que vous avez pu pour l’aider." Anussette essuya les
larmes qui coulaient désormais sur les joues de Bitenfleur avec une attitude maternelle, ce qui
sembla la réconforter quelque peu. Ensuite, tous prirent le chemin qui les ramènerait vers leur
logement où, ils le savaient bien, personne ne trouverait le sommeil ce soir-là. Quand tous furent
installés, Anus et Anussette entreprirent de raconter le récit de leur voyage. "Il y a environ un an,
Dieu Tronc nous est à nouveau apparu, et son visage semblait exprimer une grande inquiétude.

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C’est là qu’il nous fit part du fait que Bitentronc se trouverait dans une situation délicate dans
quelques mois, et qu’il était important que nous nous rendissions à la capitale du Bitempire
Romain. Quand nous lui demandâmes ce qui allait lui arriver, et comment ils le savaient, il nous
répondit qu’il ne pouvait pas nous l’expliquer, car il s’agissait d’un plan secret entre Bitentronc
et son Père, Bitenbois. Voyant la crainte sur nos visages, il s’empressa d’ajouter que, malgré
les apparences, tout allait bien, et que ce plan était le seul moyen pour lui d’accomplir sa
mission. Nous lui fîmes alors remarquer que nous étions maintenant âgés, et que nous pourrions
difficilement réaliser un si long voyage seuls, qu’il nous faudrait de l’aide. A ces mots, Dieu
Tronc sourit et nous dit : "Vous semblez sous-estimer le pouvoir de votre fils. Croyez-moi, à la
seule mention de son nom, vous trouverez toute l’aide dont vous aurez besoin !". Sans ajouter
un mot, il s’éloigna et nous pointa la direction du nord-ouest puis, avec un dernier signe de
la main, il disparut. Sans nous concerter, nous décidâmes immédiatement de prendre la route,
car notre fils avait besoin de nous. Nous partîmes le lendemain et, comme l’avait prédit Dieu
Tronc, tous les villages ques nous traversions étaient peuplés de Pokémon souriants, aimables
et infiniment plus heureux qu’avant. De plus, si ces Pokémon étaient déjà très avenants avec
nous en tant qu’étrangers, ils devenaient dithyrambiques dès que nous faisions mention du nom
de Bitentronc. Tous affirmaient qu’il avait changé leur vie, qu’ils ne connaissaient le bonheur
que depuis leur rencontre avec lui, et tous nous offrirent plus d’aide que nous n’avons jamais
osé en demander. C’était la première fois que nous constations à quel point Bitentronc avait
entrepris de changer le monde, et cela nous donna toute la force nécessaire pour entreprendre
un si long voyage. Il nous fallut près d’un an pour arriver ici, et nous voilà désormais aux prises
avec une situation des plus délicates. Comment allons-nous faire pour tirer Bitentronc de la
situation dans laquelle il s’est embarqué ?" Ces mots étaient exactement ceux que les apôtres
voulaient entendre. Ils se mirent tous à proposer des plans plus farfelus les uns que les autres
pour délivrer leur Sauveur. Mongolmar et Jozyanne, en bons anciens gardes, proposaient de
rassembler leurs amis et de prendre la prison par la force. Pipomiel, qui connaissait bien la ville,
suggéra de passer par les égoûts pour s’y infiltrer discrètement. Ernestine, le plus petit d’entre
eux, se disait prêt à s’infiltrer dans la prison par une fenêtre du toit et à assomer chaque garde
qu’il croiserait d’un coup derrière la nuque, témoignant de son passé de brigand. Cependant,
alors que tous débattaient avec passion, l’annonce soudaine de Beplusbas, le plus âgé et le
plus sage d’entre eux, coupa court à leur discussion : "Tous vos plans sont voués à l’échec. Je
pense qu’il ne faudrait rien faire du tout." En voyant les regards abasourdis et vindicatifs, il
ajouta, sans se départir de son calme : "J’ai toujours fait confiance au Seigneur Bitentronc,
et je lui fait encore confiance aujourd’hui. Il s’est placé lui-même dans cette situation, et je
suis convaincu qu’il ne l’a pas fait par hasard. Il a un plan, et nous a demandé de ne pas
interférer. Je vais donc agir comme il le souhaitait et rester en retrait, et je vous encourage tous
à faire de même." Souzestim répondit immédiatement, une pointe de reproche dans sa voix :
"Ne t’est-il pas venu à l’esprit qu’il ait dit ça uniquement pour nous éloigner du danger ? Mais
depuis quand craignons-nous le danger ? Je te pensais plus courageux, Beplusbas !" Les autres
apôtres crièrent leur soutien à Souzestim, mais Anus et Anussette, avec un regard, se levèrent
ensemble, imposant un nouveau silence dans l’assemblée. Ce fut alors Anussette qui leur dit :
"Mes enfants, le soutien que vous montrez à notre fils nous réchauffe le coeur, mais Anus et moi
sommes d’accord avec Beplusbas. Nous ne sommes pas des combattants ni des guerriers, et je
suis sure que Bitentronc sait ce qu’il fait. Je m’adresse maintenant à vous en tant que sa mère
ici-bas, et vous exhorte à lui faire confiance une fois de plus. Je vous en prie..." En cet instant,
sa voix résonna pleine de tristesse, mais également de détermination, ce qui suffit à convaincre
tous les occupants de la pièce que la situation les dépassait, et qu’il convenait maintenant de
s’en remettre au jugement de Bitentronc et de son Père, Bitenbois, le Vénérable. En un accord
aussi solennel que silencieux, tous décidèrent de s’en remettre à leur Sauveur, et allèrent se
coucher, anxieux à l’extrême de ce qui allait se passer le lendemain.

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Si le temps était radieux le matin du vendredi, des nuages noirs s’amoncellèrent au fil
de la journée, si bien que c’est sous une pluie battante que tous les citoyens se réunirent au
sommet de la colline. La tension était palpable, voire électrique, et le temps orageux n’y était
pour rien. Les citoyens convertis par Bitentronc toisaient méchamment les autres, dont seuls la
moitié répondait à leurs regards aggressifs, l’autre ayant commencé à douter du bien-fondé de
leurs accusations sur Bitentronc. Ce qu’il avait fait, était-ce si grave, après tout ? Seulement,
il était bien trop tard pour faire marche arrière. En première ligne se trouvaient les apôtres
ainsi qu’Anus et Anussette. La tristesse se lisait sur le visage de chacun d’eux, à l’exception
d’Ernestine, qui affichait une mine pleine d’espoir naïf, attendant clairement un miracle qui,
les autres le savaient, ne viendrait pas. Toutefois, la candeur du jeune apôtre attendrissait leur
coeur meurtri, et tous lui sourirent. Tous les Pokémon présents attendirent durant près d’une
heure avant de constater un mouvement vers le bas de la colline. Tous tournèrent la tête et
aperçurent une procession similaire à celle qui avait remonté la place publique la veille. En tête
marchait Bitentronc, le visage rayonnant mais peinant à cacher la souffrance qu’il éprouvait,
du fait de l’énorme croix qu’il transportait sur son dos. Il était précédé par un bourreau, qui
étrangement, semblait vouloir être n’importe où sauf à sa place, et les apôtres comprirent que
Bitentronc avait dû lui parler quelques minutes avant leur départ pour la colline. Derrière eux
marchaient une trentaine de gardes à l’air patibulaire, clairement présents pour dissuader toute
tentative de sauvetage. Alors qu’il était à quelques dizaines de mètres de la foule, Bitentronc
grimaça et tomba, sous le poids de sa croix nettement trop lourde pour lui. A cette vue,
Anussette se précipita à sa rencontre, et eut simplement le temps de le serrer dans ses bras,
pleurant à chaudes larmes, avant qu’un garde la repousse violemment. Avec un sourire plein
d’affection en direction d’Anussette, Bitentronc se releva et lui murmura que tout allait bien,
ce qui ne fit qu’augmenter le flot des larmes qui coulaient sur ses joues, se mêlant à la pluie qui
tombait maintenant à verses. Alors, NeoxXDark s’avança à sa rencontre et, sans un mot, aida
Bitentronc à porter son fardeau. Bitenbois ne fit rien pour l’en empêcher, clairement soulagé par
l’aide qu’il recevait. L’armure naturelle de NeoxXDark lui permettait de bien résister aux coups,
et il endura ceux donnés par les gardes jusqu’à quelques mètres du sommet avant de capituler.
Juste avant qu’il n’abandonne, Bitenfleur s’était avancée et, dans un geste plein de tendresse,
essuya la sueur et l’eau ruissellant sur le visage de Bitentronc, qui souriait toujours. Quand
NeoxXDark lâcha la croix, Bitentronc s’effondra instantanément, mais se releva rapidement,
clairement désireux que plus personne ne vienne l’aider. Il passa alors à proximité des citoyens
qui le supportaient et des autres apôtres, qui répondirent à son sourire par un geste amical de
la main, des larmes coulant , invisibles et silencieuses, sur leur visage. Quand enfin il parvint
au sommet, Bitentronc s’écroula pour de bon, épuisé. Il fut alors relevé sans ménagement, et
on lui donna un breuvage immonde à boire, qu’on le força à avaler, dans le but évident de
l’humilier encore plus. Il fut alors coiffé d’une couronne d’épines, qui provoqua l’effusion de
fines coulées de sève du sommet de sa tête. Cependant, s’il souffrait certainement beaucoup,
il n’en laissa rien paraître. Un garde ordonna alors au bourreau de clouer Bitentronc sur sa
croix, ce qu’il refusa de faire avec véhémence, réconfortant quelque peu les apôtres. Ils savaient
qu’après avoir parlé avec Bitentronc, le bourreau ne désirait pas le blesser, car il avait vu la
pureté de son âme. Cependant, il croisa alors le regard de Bitentronc, et il comprit alors grâce
au calme absolu et au large sourire qu’il affichait, qu’il devait le faire, sous peine de subir un
traitement violent de la part des gardes. A contrecoeur, il s’empara alors d’un maillet et de
trois gros clous qui pendaient à sa ceinture, et il planta le premier dans la main droite de
Bitentronc. Alors que la sève coulait abondamment, Bitentronc fit tout ce qu’il put pour aider
le bourreau à faire son office, en tentant de conserver son sourire alors que la douleur déchirait
ses membres. Le bourreau fixa ensuite sa main gauche, puis ses deux pieds ensembles. Enfin, la
croix fut redressée et fixée au sol, si bien que tous purent admirer avec horreur le petit corps de
Bitentronc terriblement mutilé, arrachant des grimaces à chaque Pokémon de l’assemblée. Les

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gardes avaient tout fait pour ridiculiser Bitentronc : au-dessus de sa tête avaient été placardés
les mots : "Ici se trouve le roi des Bitenistes.". Ils désiraient clairement montrer que le Père de
Bitentronc était loin d’être aussi puissant qu’il le racontait, car sinon il serait certainement venu
à son aide. L’un des gardes lui cria même, accompagné par les ricanements de ses camarades :
"Pourquoi ne demandes-tu pas à ton Père de venir te sauver, fils de Bitenbois ?". A ces mots,
Bitentronc répéta simplement : "Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font." Frustré
de cette réponse, le garde transperça soudain le flanc de Bitentronc de sa lance, provoquant
un nouveau flot de sève et une grimace sur le visage de Bitentronc. Anus se précipita alors
pour saisir la coupe qui gisait par terre et récolter le liquide doré qui s’écoulait de la plaie,
montrant ainsi symboliquement que cette sève ne coulait pas en vain. Alors, Bitentronc releva
la tête du mieux qu’il put, et adressa un immense sourire à toute l’assemblée, amis comme
ennemis. Ce sourire fut si lumineux, si joyeux et si plein d’espoir qu’aucun Pokémon ne put
retenir un sourire similaire, malgré la tristesse ou l’inconfort qu’ils ressentaient. Les apôtres
redoublèrent d’ardeur dans le sourire qu’ils lui adressèrent, car ils savaient que la dernière
vision que Bitentronc voudrait avoir serait celle d’une grande foule qui lui souriait sincèrement.
Voyant cela, l’un des gardes saisit le maillet du bourreau et s’avança, dans le but de briser les
jambes de Bitentronc afin de l’empêcher de s’appuyer sur ses pieds, mais un autre garde l’arrêta
d’un geste : "Arrête. Il est déjà mort." En effet, la tête de Bitentronc s’était affaissée sur son
épaule, et ses yeux se fermèrent, bien que le sourire ne disparut pas de son visage. Bitentronc
avait accepté la mort et l’avait accueillie comme une vieille amie. Et c’est ainsi que Bitentronc
quitta le monde des vivants, arraché brutalement à ses amis et sa famille. Alors que son corps
était décroché et transporté par Beplusbas jusqu’à un tombeau taillé dans la roche, tous les
témoins de la scène, y compris les détracteurs de Bitentronc, laissèrent éclater leur tristesse.
Comment avaient-ils pu laisser cela se produire ? Les apôtres enveloppèrent Bitentronc dans
un linge blanc qui se tacha de sa sève, le couchèrent à même la roche et s’éloignèrent. Tous
contemplèrent une dernière fois le franc sourire de Bitentronc, qui l’avait suivi même dans la
mort, et alors que Beplusbas fit rouler une immense pierre devant l’ouverture, ils surent que
tout était fini.

La résurrection Quand Bitentronc arriva auprès de son Père, Il lui dit : "Je suis fier de toi,
mon fils. Ta mission est sur le point d’être remplie, grâce à toi. Dès que nous mettrons la dernière
étape à exécution, le monde sera enfin réuni, et toutes ces guerres de pouvoir s’achèveront."
Bitentronc sourit, mais ne répondit pas, car loin en dessous, sur la Bitenterre, il voyait ses
apôtres qui pleuraient sa mort, et il ne supportait pas de les voir si tristes. "Trois jours, se
disait-il, tenez bon pendant trois jours..."

Durant les journées qui suivirent la crucifixion, les apôtres, les parents et les défenseurs
de Bitentronc subirent son deuil de plein fouet. Si jusqu’à sa mort, ils l’avaient simplement
redoutée, l’absence de Bitentronc parmi eux était infiniment plus dure à supporter qu’ils ne
l’avaient imaginé. Chaque instant était un calvaire. Il ne se passait pas une minute sans qu’ils
revoient ces terribles souvenirs, qui ne les laissaient tranquille pas même la nuit, pénétrant
sournoisement dans leurs rêves en les changeant en affreux cauchemars. Chaque heure, à tour
de rôle, les apôtres venaient se recueillir devant le tombeau de Bitentronc, pleurant son sacrifice.
Mais le pire pour tous ceux qui le soutenaient était le comportement des citoyens qui l’avaient
accusé. Jusqu’au bout, les apôtres avaient gardé confiance envers leur Sauveur, persuadé que
s’ils le laissaient agir selon son plan, sa mission réussirait enfin, même à travers sa mort. Le
coup avait donc été terrible quand ils se rendirent compte que son sacrifice n’avait rien changé.
La majorité des citoyens disaient à quel point ils étaient soulagé d’en être débarrassé. Tous le
traitaient d’imposteur et de menteur, se justifiant par le fait que si son Père était bien Bitenbois,
il aurait certainement pu sauver son fils. Même si les apôtres désiraient encore de tout leur coeur

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avoir confiance en Bitentronc, ils savaient au fond d’eux-mêmes que sa tentative de réunifier
le monde avait échoué. Peut-être avait-il cru que ses détracteurs comprendraient leur erreur
en le voyant quitter ce monde, qu’ils seraient pardonnés par ses défenseurs et qu’ils s’uniraient
envers et contre tout ? Plus les apôtres y pensaient, et plus ils se disaient que ce plan était voué
à l’échec, si bien qu’en plus d’une démotivation totale, ils s’en voulurent terriblement pour ne
pas avoir convaincu Bitentronc que son plan était folie. Maintenant, c’était trop tard. Il n’y
avait plus rien, rien qu’un tombeau devant lequel pleurer. Cependant, au milieu de toute cette
tristesse, l’un des apôtres semblait encore étrangement heureux et rempli d’espoir. Il s’agissait
d’Ernestine, le plus jeune et le plus sensible d’entre-eux. Il ne cessait de répéter : "Bitentronc est
encore là, parmi nous. J’en suis certain, je peux sentir son regard sur nous." Quand les autres
lui demandaient d’où venait ce regard qui les observerait, il pointait invariablement une aile
vers le ciel, et disait : "Là-haut !" A nouveau, aucun n’eut le coeur de décevoir les espérances
d’Ernestine, car sa bonne humeur leur était à tous d’un certain réconfort, et qu’il était agréable
pour eux de se laisser aller à imaginer que, peut-être, Ernestine avait raison.

Depuis qu’il avait quitté les autres apôtres, Casseburne, rongé par le remord et la honte,
était parti se réfugier dans un village à plusieurs kilomètres de là. Ses habitants, de braves
gens préférant vivre isolés des grandes villes, l’accueillirent sans lui poser la moindre question,
voyant à quel point il était désemparé. Ils le nourrirent et le logèrent, et il compensait ces
services en travaillant pour ses hôtes. Cette situation dura plusieurs jours, au cours desquels
il se persuada que tout irait bien pour Bitentronc. Après tout, il n’avait rien fait de mal... Il
serait sûrement jugé équitablement et relâché. Cependant, même si cette idée le réconfortait,
quelque chose au fond de lui ne pouvait s’empêcher d’imaginer le pire. "Il sera condamné à
mort, et ce sera de ta faute !", lui disait-elle, sans qu’il ne puisse rien faire pour l’en empêcher,
si bien qu’il dormit très peu durant cette période. Le village étant coupé du monde extérieur,
il ne sut bien entendu pas directement que cette petite voix, sournoise et cruelle, avait en fait
raison. Après l’exécution de Bitentronc, il s’écoula trois journées sans que Casseburne ne fût
au courant, trois journées qu’il passa comme les autres à labourer la terre et à essayer de se
convaincre que tout allait pour le mieux. Cependant, en milieu de journée, un Pokémon arriva
au village. Il revenait de sa visite annuelle à la grande ville voisine où il achetait ses épices,
et il était porteur de la funeste nouvelle. A l’instant même où ses craintes furent confirmées,
Casseburne fut englouti tout entier par le désespoir, mais il fit appel à toute sa volonté pour
ne rien laisser paraître. Alors que les autres villageois déploraient la mort de Bitentronc, dont
la réputation était bien entendu arrivée jusqu’à eux, Casseburne s’éloigna dans la forêt voisine,
prétextant qu’il allait chercher du bois. Quand il fut sûr que personne ne pouvait l’entendre,
n’y tenant plus, il s’effondra au sol et pleura comme il n’avait jamais pleuré. Sa douleur en cet
instant était encore plus grande que celle des autres apôtres 9 , car il avait lui-même provoqué
l’horrible tragédie qui avait eu lieu trois jours plus tôt. Et il avait beau pleurer, cela ne le fit que
plus mal se sentir. Le doux visage de Bitentronc passait sans cesse devant ses yeux écarquillés,
répétant invariablement : "Je te pardonne." Après plusieurs heures de souffrance, Casseburne se
releva brutalement, chassant du même coup le visage souriant. Il ne voulait pas, ne méritait pas
d’être pardonné, et il savait qu’il ne pourrait pas vivre avec un tel fardeau. Il ne voyait qu’une
solution à son calvaire et, plus il avançait vers sa cabane, plus cela lui sembla une juste décision.
Il s’empara de deux brassées de corde, retourna vers la forêt, y fit un noeud et la passa à son
cou. Alors qu’il s’apprêtait à sauter de la souche qui lui servait de support, et ainsi à mettre fin
à son existence qui lui était devenue insupportable, Anussette et Vladimirr se dirigeaient vers
le tombeau de Bitentronc...
9. Ce que je sais grâce à mon statut de narrateur externe omniscient

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"Appuie-toi sur moi, Anussette !" Acceptant l’épaule secourable que lui prêtait Vladimirr,
elle le remercia alors qu’ils continuaient leur ascension vers le tombeau. Anussette était vieille,
et ce trajet l’épuisait chaque heure un peu plus. "Vraiment, tu n’es pas raisonnable, lui disait
Vladimirr, tu finiras par te tuer à la tâche si tu continues ainsi !" Anussette répondit par
un simple mouvement de la tête signifiant qu’elle ne voulait rien entendre. Elle avait tenu à
accompagner les apôtres à chacune de leurs visites au tombeau, et aucun n’avait eu le coeur
de l’en empêcher, tant ces visites semblaient importantes pour elle. Il marchèrent donc, jusqu’à
être arrivés au dernier virage avant d’apercevoir la pierre scellée. Cependant, Vladimirr fut alors
traversé par une étrange sensation, comme un souffle très léger qui sembla atteindre jusqu’à
son âme. Apeuré, il se tourna vers Anussette et comprit qu’elle avait ressenti la même chose.
D’instinct, Vladimirr laissa Anussette derrière lui et fonça vers le tombeau, terrifié par ce qu’il
allait trouver. Quand il tourna l’angle, son sang se glaça dans ses veines : la pierre du tombeau
avait été roulée. Dans un empressement fiévreux, il parcourut rapidement les derniers mètres
qui le séparaient de la grotte, et ce qu’il y vit le pétrifia d’horreur. Quelqu’un avait volé le
corps de Bitentronc. La colère flamba dans son coeur telle un immense incendie, et alors qu’il
jurait de retrouver le voleur et de lui faire payer très cher cette atroce ignominie, Anussette le
rejoignit. Quand il se retourna, il fut étonné par l’expression lisible sur son visage. Il s’attendait
à y voir l’incompréhension, la tristesse, la colère, voire même la haine, mais rien ne le préparait
à y lire la joie la plus pure. Attribuant cela à un choc émotionnel extrêmement violent, il la prit
dans ses bras, toujours souriante, et lui murmura qu’il s’engageait personnellement à venger
son enfant. La voix qui lui répondit lui fit l’effet d’un coup de poing à l’estomac : "En vérité,
mon ami, ce ne sera pas nécessaire."

Le retour de Bitenbois Les deux choses se passèrent exactement en même temps. Alors
que Vladimirr levait des yeux brillant de larmes en direction de la voix si familière qu’il avait
été sûr de ne plus jamais entendre, Casseburne sauta de la souche, maudissant pour la dernière
fois l’être ignoble qu’il s’apprêtait à tuer. A l’instant où Vladimirr bondissait à la vitesse de
l’éclair vers Bitentronc qui, contre toute vraisemblance, était bien vivant devant lui, la corde qui
enserrait le cou de Casseburne se brisa net juste avant de se tendre. Et alors que Vladimirr et
Anussette serraient un Bitentronc si lumineux qu’il semblait réellement produire de la lumière,
Casseburne s’écrasa au sol, complètement déboussolé. Il crut d’abord être mort, car il aperçut
Dieu Tronc à côté de lui, mais il comprit en voyant son environnement qu’il n’en était rien.
Cependant, avant qu’il ait le temps d’ouvrir la bouche, Dieu Tronc lui adressa un sourire et
lui dit : "Mon enfant, ne crois-tu pas que ce monde a subi suffisamment de tragédies que
pour en rajouter une de plus ?" Malgré que Casseburne n’ait jamais rencontré Dieu Tronc
auparavant, il comprit immédiatement à qui il avait affaire, et répondit, peinant à dissimuler
les sanglots qui le secouaient : "Ma mort n’est que justice après ce que j’ai commis. Tu n’as
pas le droit de me retenir ici." "Tu as tout à fait raison, Casseburne, mais je te demanderai de
m’écouter avant toute chose, si tu veux bien. En vérité, Bitentronc m’a chargé de te remettre
toutes ses excuses (Casseburne fronça les sourcils). Ses excuses, oui, tu m’as bien compris, car
en effet c’est toi que Bitentronc a utilisé pour mener son plan à bien." Comme Casseburne
semblait maintenant plus perdu que jamais, Dieu Tronc reprit : "Vois-tu, Bitentronc savait
depuis longtemps que la manière que vous avez choisi pour changer le monde et réunifier les
Pokémon était vouée à l’échec. En effet, bien qu’il n’existât pas un auditeur que vous n’étiez
capable de convaincre, Bitentronc savait que ceux qui refusaient d’entendre ne pouvaient pas
être changés avec des paroles. Quand une situation vous semble juste, votre esprit vous force
souvent, inconsciemment, à ignorer tout ce qui pourrait nuire à votre tranquillité et remettre
en cause votre stabilité, et c’est ce que presque tous les citoyens faisaient. Bitentronc imagina
alors, en compagnie de son père, un nouveau plan, mais ce plan impliquait qu’il fût livré au
Bitempire et exécuté par eux. C’est là que tu es entré en jeu, Casseburne. Bitentronc savait

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parfaitement bien que ton esprit était dévoré par le doute, et il a tout fait pour élargir cette
faille dans ta conviction. Il s’est arrangé pour que tu conserves toujours cette part de doute
et, le moment venu, il s’est éloigné de vous pour que ce doute prenne le dessus. Il voulait que
tu aille le dénoncer, car il lui fallait mourir. C’est d’ailleurs pourquoi il s’excuse : il sait à quel
point tu as dû souffrir depuis ce jour." Casseburne répondit, interloqué : "Mais je ne comprends
pas... Comment Bitentronc pourra-t-il mener à bien sa mission, s’il est... (Il ne put se résoudre
à prononcer ces mots.) ...s’il est parti ?" "Mon enfant, reprit Dieu Tronc, tu as mis le doigt
sur la raison très exacte de ma venue. En réalité, je suis venu pour annoncer à la Bitenterre
que Bitentronc était revenu d’entre les morts. Par la grâce de son Père, le Grand Bitenbois,
il a ressuscité !" Sans prévenir, Casseburne fut envahi par une joie plus intense encore que la
tristesse qu’il avait éprouvée plus tôt. Ce n’était pas fini, après tout ! Bitentronc était revenu !
Pendant que Casseburne serrait Dieu Tronc dans ses bras pour lui exprimer toute la gratitude
qu’il ressentait, Bitentronc avait rejoint ses apôtres, et souriait devant les expressions de pur
bonheur chez Ernestine et d’incompréhension totale chez les autres apôtres présents. Quand
Neo xXDark lui demanda de prouver son identité, ne pouvant croire qu’une telle chose ait pu
se produire, tous tombèrent à genoux quand Bitentronc leur montra les stigmates bien visibles
laissés par les clous et la lance de ses bourreaux. S’en suivirent les retrouvailles les plus heureuses
de toutes celles relatées dans le présent ouvrage. Durant ces joyeuses effusions, Bitentronc fût
littéralement assiégé de questions par ses compagnons. Ils voulaient savoir comment il était
possible qu’il se trouvât parmi eux alors même qu’il était mort trois jours auparavant, où il
était durant ces trois jours, et depuis quand il savait que son plan impliquait sa propre mort.
Patiemment, Bitentronc répondit à chacune de leurs interrogations et, une fois que personne
n’en pût plus trouver de nouvelle, il conclut en disant : "Mes amis, maintenant, et maintenant
seulement. vous appréciez la grandeur véritable de Bitenbois, mon Père Tout-Puissant. Car à
travers mon retour sur la Bitenterre, c’est en réalité son retour auquel vous avez assisté. Par
mon sacrifice, tous les péchés ont été rachetés, et tous les Pokémon qui le demandent seront
pardonnés. Car Bitenbois n’aspire qu’à la paix de son peuple, et que la paix ne peut exister que
dans un monde en harmonie." Après avoir dignement fêté le plus fabuleux miracle de Bitenbois,
l’Indomptable, tous s’en retournèrent vers leur couchage, plus euphoriques qu’ils ne l’avaient
été depuis de nombreuses semaines. Pour la première fois depuis des années, tout allait bien.

Malgré tout ce que les apôtres avaient pu croire, le plus fabuleux miracle ne fût pas tant
la résurrection de Bitentronc que ce qui s’ensuivit. En effet, si cet événement ne changea pas
l’ensemble des Pokémon en adorateurs de Bitenbois, l’Insubmersible, en un claquement de
doigt, il eut néanmoins un effet tout aussi positif : il permit enfin à chacun des Pokémon
d’écouter librement ce que Bitentronc et ses apôtres avaient à leur dire car, pour la première
fois, les citoyens furent forcés de réfléchir par eux même. Auparavant, leur tête était si pleine
des mensonges qu’on y avait semé que, pour la plupart d’entre eux, toute parole allant à leur
encontre ne pouvait trouver aucun crédit à leurs oreilles. Maintenant, cependant, la crucifixion
avait déjà nettement ébranlé les esprits quand la résurrection survint : ce fût comme si un
voile avait été retiré des yeux des Pokémon, leur permettant enfin de voir réellement. Ils furent
forcés de constater qu’il existait un Être supérieur, et par là même furent amenés à remettre en
cause le bien-fondé de l’ensemble de leur système et de leurs mentalités. Libérés de leur carcan,
les Pokémon comprirent enfin les paroles que Bitentronc et ses apôtres leur envoyaient sans
relâche, car ils étaient enfin libres d’en apprécier toute la portance. Très rapidement, l’ensemble
des citoyens furent ralliés à la cause de Bitentronc. Après avoir vu ses miracles et entendu ses
paroles, tous étaient désireux de réunifier les habitants de la Bitenterre, car ils comprenaient
finalement l’immense valeur de la paix entre les peuples. Rhinastoc Roc-Boulet avait réintégré
ses fonctions de Bitempereur, et avait supplié Bitentronc de le pardonner, lui, ainsi que tout
son peuple, pour les souffrances qu’il avait subies. Bitentronc s’était approché de lui, l’avait

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relevé et avait dit : "Mes amis, vous êtes tous pardonnés. Puissiez-vous ne jamais reproduire
les erreurs du passé." Sans hésiter, tous répondirent d’une seule voix qu’ils le promettaient, et
Bitentronc sourit, car il savait qu’ils étaient sincères. Bitentronc reçut ensuite tout le soutien
que le Bitempire Romain pouvait lui fournir dans sa grande mission. Grâce à l’énorme influence
du Bitempire sur les autres peuples, cette "armée du Bien" déferla sur le monde en une vague de
lumière pure. Les uns après les autres, guidés par la sagesse de Bitentronc, les peuples oubliaient
leurs rancoeurs et se réunissaient, sous l’oeil attentif de Bitenbois, l’Epoustouflant. Bientôt, les
peuples de toute la Bitenterre furent réunis sous sa brillante bannière. Ils croyaient désormais
tous à nouveau en lui, et la Bitenterre ne connut plus de guerre pendant des millénaires.
Bitentronc vécut dans ce monde quasiment parfait durant soixante-neuf années supplémentaires,
profitant de chaque seconde qu’il y passait. Quand vint la fin de sa vie, la vraie fin, cette fois,
Bitentronc fit ses adieux à ses apôtres. Comme toujours, il souriait, et eux étaient tristes, mais
également heureux. Ils savaient tous maintenant que la mort n’était pas la véritable fin, mais
plutôt un nouveau départ. Bitentronc n’allait pas mourir, mais simplement rejoindre Bitenbois,
le Brave, dans Son royaume. Ainsi, même s’il ne serait plus présent en chair et en os, son esprit
perdurerait jusqu’à la nuit des temps à travers le message qu’il s’était efforcé de véhiculer : la
paix est le seul trésor pour lequel il faut se battre. Avec un dernier mot d’au revoir, Bitentronc
s’éteignit, et il ne fit plus qu’un avec le monde qu’il avait tant chéri, un monde qui, désormais,
il en était convaincu, vivrait en paix pour l’éternité.

7 L’Évangile selon Jean-John


7.1 Préface de l’auteur
Le temps est comme une montagne trouée de galeries souterraines. Je connais les formules
qui permettent de les emprunter. Je m’appelle Jean-John, et je suis un Marcheur de Temps.
C’est Bitenbois qui m’a confié ce pouvoir. En fait, j’ai été choisi, car je suis né le jour de la mort
de Bitentronc, et Bitenbois recherchait un Pokémon pour l’investir d’une mission. Percevant la
pureté de mon coeur, il m’a octroyé le pouvoir de voyager dans le temps en plus de l’immortalité,
et je dois dire que c’est plutôt sympa. La contrepartie, c’est qu’il m’a demandé de patrouiller
à travers les époques pour lui raconter ce qui arrivait dans le futur. Quand je lui ai demandé
pourquoi il n’allait pas voir lui-même, il m’expliqua qu’il ne pouvait pas laisser son monde sans
surveillance, même pour un court moment. J’ai donc accepté, et me voilà. Aujourd’hui, je vais
vous résumer l’histoire telle qu’elle est dans votre présent, en 2020. Je dois dire que je n’aime
pas cette époque : tout y est laid, et l’air y est suffocant. Malgré tout, il y a une personne qui
me fait dire qu’elle n’est pas perdue pour autant, et c’est cette personne que je vais présenter
ici.

7.2 L’Évangile
L’Âge d’Or La période qui succéda à la vie de Bitentronc et de ses douze apôtres fut la plus
glorieuse de toute l’histoire de la Bitenterre. Durant près de soixante-neuf millions d’années, les
différents peuples vécurent unis dans la paix et l’harmonie la plus totale, et Bitentronc et ses
apôtres prenaient un immense plaisir à contempler le fruit de leurs efforts. Quand ils quittèrent
la Bitenterre, ils montèrent en effet rejoindre le Royaume des Cieux, d’où ils nous observent
encore aujourd’hui. Même Casseburne y était. En effet, bien qu’il avait fait en sorte de ne plus
jamais croiser le chemin des autres Bitenistes en Bitenterre, il avait continuer à oeuvrer pour
le bien avec acharnement, jusqu’à son dernier souffle. S’étant largement racheté, Dieu Tronc et
Bitenbois, le Magnanime, l’accueillirent à bras ouverts en même temps que les autres, et les
treize compagnons y démeurèrent durant des temps immémoriaux, tout simplement heureux.

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Jean-John, Marcheur de Temps (avant et après sa transformation)

Durant l’Âge d’Or, tous les peuples vivaient unifiés, ce qui comprenait bien sûr les Bitenistes
vivant en Bitenterre Promise. Grâce aux efforts conjugués de nombreux Pokémon, un gigan-
tesque pont avait été dressé, reliant la Bitenterre Promise au reste du monde, car désormais les
Bitenistes ne subiraient plus jamais l’ignorance des autres, et n’auraient donc plus jamais be-
soin d’une Terre où se cacher. D’un accord unanime avec l’ensemble des autres peuples, la plus
grande ville de la Bitenterre promise fut désignée grande capitale de la Bitenterre, et le guide
des Bitenistes devint celui de tous les Pokémon. Pour la première fois, tous les êtres vivants
étaient réunis sous une même bannière et, grâce à la sagesse des guides et leur proximité avec
Bitenbois, l’Habile, la paix régna en Bitenterre, de génération en génération, sans que rien ne
puisse l’entacher. Les Pokémon avaient enfin trouvé l’équilibre, et les habitants du Royaume des
Cieux connaissaient un bonheur sans fin, en observant avec émerveillement ce qu’ils avaient tant
désiré. Et ce monde extraordinaire perdura pendant de très nombreuses années, et il sembla
devoir durer éternellement Cependant, un jour survint un événement qu’aucun Dieu ni aucun
prohète n’aurait pu prévoir : l’apparition de l’homme.

Nul n’est capable d’expliquer cette soudaine apparition, pas même moi, qui suis pourtant
capable de traverser les couloirs du temps. Seuls existaient les Pokémon puis, soudainement
et sans crier gare, l’homme était là. Au début, les hommes n’étaient présents qu’à un endroit
précis de la Bitenterre, jusqu’ici inexploré, mais ils ne tardèrent pas à se multiplier et à s’étendre.
Petit à petit, ils colonisèrent l’ensemble de la planète, construisant des maisons rassemblées en
villages. Malheureusement, les premiers colonisateurs étaient nettement plus brutaux que ce que
nous avions présagé. Leur cerveau primitif ne leur permettait pas de comprendre notre langage
et, plutôt que d’y voir un signe de leur infériorité, ils nous traitèrent comme des animaux,
pensant que nous n’étions pas assez intelligents pour communiquer. Quelle ironie, n’est-ce pas ?
Très rapidement, les humains se propagèrent, chassant les Pokémon de leurs villages, voire même
les massacrant pour se nourrir ou pour leur plaisir barbare. Fort heureusement, Bitentronc,

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l’Omniprésent, veillait toujours. Il ne pouvait pas empêcher les humains de se développer, car
cela reviendrait à les annihiler, et Il n’était bien entendu pas ce genre de Dieu. Cependant,
Il ne pouvait pas non plus se permettre de laisser ses descendants se faire maltraiter de la
sorte. Dès lors, il confia aux habitants du Royaume des Cieux la tâche de se manifester auprès
des communautés humaines, afin de leur montrer qu’ils se trompaient complètement. Ils le
firent et, bientôt, les hommes avaient compris à quel point ils avaient tort. A partir de ce
moment, ils se mirent à respecter les Pokémon, bien plus sages et plus anciens qu’eux, ils s’en
rendaient maintenant compte. Plutôt que de chercher à les remplacer, ils essayèrent de s’allier
aux Pokémon, leur proposant d’évoluer ensemble, main dans la main. Cette offre sembla séduire
les Pokémon, qui acceptèrent de cohabiter avec les humains. Ainsi, les Pokémon proposaient
leur aide aux humains, et les humains les assistaient en retour. Bientôt, les humains avaient
réussi à s’intégrer parfaitement dans l’harmonie qui régnait sur la Bitenterre, et Bitenbois,
le Bienheureux, était à nouveau content. Ce qui l’avait effrayé, au début, l’avait désormais
convaincu, car l’entraide entre humains et Pokémon leur permettait d’accomplir des choses qu’ils
n’auraient jamais pu atteindre indépendamment. Et c’est ainsi que naquit l’amitié indéfectible
entre humains et Pokémon, amitié qui dure encore et toujours aujourd’hui.

Aujourd’hui, le Bitenisme n’est plus pratiqué. Bien qu’il en existe encore de nombreuses
traces de par le monde, les rites ancestraux ont été très lentement oubliés sous l’usure du
temps. Maintenant, le monde est séparé en régions, où cohabitent encore et toujours humains
et Pokémon. Les rapports entre Sinnoh, Hoenn, Kalos et toutes les autres régions sont au
beau fixe, ce qui prouve que, malgré la disparition de la religion en elle même et des êtres
qui la pratiquent, ses préceptes de paix et d’amour ont traversé les âges, immuables. Tous les
habitants du Royaume des Cieux sont toujours là, et sont ravis de l’évolution qu’à pris leur
monde. Peu leur importait que plus personne ne les vénèrent, tant que leur idéologie perdurait.
D’ailleurs, l’affirmation que plus personne ne les vénère n’était pas tout à fait vraie. En effet,
un humain parmi tous les autres, descendant de la seule lignée a avoir toujours pratiqué le
culte Biteniste. Son nom est Fifou, et c’est l’un de mes meilleurs amis. En dehors des moments
où il est transformé en Pokémon, pour des raisons obscures que je n’expliquerai pas ici, Fifou
est un dresseur de Pokémon. Seulement, là où certains dresseurs voient leur Pokémon comme
de simples compagnons de route, lui les considère comme de véritables amis. Comme je l’ai
dit, il est le seul Terrien 10 à pratiquer le Bitenisme aujourd’hui, et cela se remarque nettement
par les Pokémon qu’il prend comme compagnons. Pour chacune de ses aventures, il s’efforce de
s’entourer des descendants de l’ensemble des personnages importants du Bitenisme et, pour leur
rendre hommage, il les surnomme comme leurs ancêtres. J’ai parlé avec chacun des compagnons
de Fifou, et tous me disaient qu’ils n’avaient jamais rencontré quelqu’un d’aussi extraordinaire.
Ils dépeignaient tous Fifou comme un excellent ami, et se souvenaient du jour de leur rencontre
avec beaucoup de bonheur. Fifou les traitait si bien que, si par malheur l’un de ses amis était
assommé durant un combat, il décidait de ne plus jamais le faire combattre pour lui éviter des
souffrances plus grandes. Pour l’avoir personnellement cotoyé, je peux assurer que Fifou est bel
et bien la superbe personne que ses amis dépeignent. Il mérite sans aucun doute sa popularité.

Pour terminer cet ouvrage, il est intéressant de débattre sur la légitimité de la religion
Biteniste aujourd’hui. Tout le monde vous dira que cette religion n’a plus de raison d’être, qu’il
est plus justifié de vénérer les Pokémon puissants de cette Terre, nettement plus accessibles
que ceux du Royaume des Cieux. Cet argument n’est pas mauvais, mais sachez que la religion
Biteniste est encore nettement plus présente que ce que vous pourriez croire. Pourquoi, par
exemple, les Pokémon importants du Bitenisme se sont-ils toujours présentés à Fifou, le seul
10. Il y a plusieurs milliers d’années, le sens du nom Bitenterre avait été oublié par la plupart de ses habitants,
qui décidèrent de raccourcir son nom en Terre.

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Biteniste restant ? N’est-ce pas là une preuve que le Bitenisme perdure toujours à travers son
unique pratiquant ? Si vous n’êtes pas convaincus, regardez le nombre de pages qui composent
cet ouvrage (page de garde comprise, bien entendu). Alors ? Ne voyez-vous pas comme les signes
du Bitenisme continuent d’apparaître dans ce monde ? Et à ceux qui répondront que ce dernier
exemple n’est dû qu’à une coïncidence, un accident, je vous renvoie aux paroles de l’un des
plus grands sages que ce monde ait connu, que vous reconnaîtrez peut-être : "Rien n’arrive par
accident..."

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