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Matière : Théâtre romantique

Professeur : Aicha Bourais 2


. Il a fallu le 19ème siècle pour faire naître la bohèmei artiste et pour inventer l’art maudit.
Le romantisme est le maître mot du premier demi-siècle, pénétrant aussi bien le champ des
idées et des oeuvres littéraires que des représentations plastiques ou musicales. Participant
d’un large mouvement européen, ce courant, qui trouve ses origines dans les
bouleversements de la sensibilité des écrivains et penseurs de la seconde moitié du 18ème
siècle, va s’épancher aux lendemains de la chute de l’Empire, quand auront été surmontées
les « terreurs » révolutionnaires et les contraintes de l’ordre impérial.
Les mots de passe et de ralliement de la « troupe » romantique- individualité, liberté,
engagement et totalité- vont dès lors vivifier et dynamiser tout l’espace littéraire. Le Moi,
avec ses passions et ses convictions parfois contradictoires, envahit aussi bien le poème
lyrique ou élégiaque que le roman personnel et autobiographique. L’histoire, perçue comme
champ d’action des énergies collectives ou des défis du héros solitaire, nourrit les formes
nouvelles du drame et du roman historique. La nature enfin, décor complice ou univers plus
complexe de forces obscures, s’offre, dans tous les genres, comme un domaine inépuisable
d’expression ou d’interrogation au Moi euphorique ou souffrant.
Le théâtre classique, avec ses règles, ses contraintes techniques et ses bienséances morales
ou gestuelles, représentait aux yeux des jeunes romantiques un certain visage de l’oeuvre
littéraire qu’il fallait abattre. Refusant la structure de la tragédie comme forme d’un autre
âge, et s’inspirant des libertés du théâtre shakespearien, ils portèrent contre de virulentes
attaques, dont la plus extrémiste fut celle de Stendhal, allant jusqu’à prôner le recours à un
théâtre en prose, plus conforme que le théâtre en vers au génie « moderne ». Mais la plus
célèbre reste celle que contient la volumineuse Préface de Cromwell de Victor Hugo, dont
trois concepts essentiels définissent tout le sens de la dramaturgie contestataire : totalité,
liberté et transfiguration.
Totalité : Le drame se veut la peinture totale de la réalité des choses, des êtres et de
l’histoire. Puisque la nature nous apparaît à la fois bonne et mauvaise, grotesque et sublime ;
il exprimera synthétiquement cette double postulation. Il sera donc en même temps tragédie
et comédie.
Liberté : le drame se déclare aussi oeuvre de liberté = renoncement au système classique des
unités qui se voulaient fondées sur « la vraisemblance ».
V.Hugo s’en prit avec force et humour aux contraintes du lieu unique et du temps «
réducteur », comme autant d’entraves à la plénitude de l’action dramatique.
Transfiguration : le drame doit être l’épanouissement en une même création de la Nature et
du Moi. = opérer une véritable transfiguration signifiante des choses., le principe de création
sera le « choix » de l’écrivain, qui ira puiser dans l’immensité de la Nature et de l’Histoire
les détails et les faits qui, pétris par le style et tous les pouvoirs de la poésie, la « révéleront »
le mieux.
Alfred de Musset.
Dans l’oeuvre de Musset, le théâtre occupe une place égale à celle de la poésie. pendant de
longues années, il se contenta de faire imprimer ses pièces, une tentative malheureuse
(l’unique représentation de la Nuit vénitienne, le premier décembre 1830) l’ayant découragé
d’affronter à nouveau le public et la critique. De là, l’idée d’un spectacle dans un fauteuil
1832, c’est-à-dire d’un théâtre conçu pour être lu et qui n’a donc à tenir compte des
conventions de la scène.
Alfred de Musset et la comédie dramatique : a écrit des pièces comme Lorenzaccio, sans
souci d’être montées sur scène.
On le voit bien dans la plus célèbre d’entre elles, Les Caprices de Marianne (1833) où,
dans une atmosphère de marivaudage « tragique », le dramaturge met en scène, sous les traits
des deux protagonistes masculins de l’action, la dualité même de sa condition d’homme :
d’un côté Octave et son romantisme allègre et libertin ; de l’autre côté Coelio et son
romantisme inquiet et passionné.
Les Caprices de Marianne est une pièce de théâtre en deux actes d’Alfred de Musset.
Appartenant au mouvement romantique, elle paraît le 15 mai 1833 dans la revue des Deux
Mondes avant d’être créée à la Comédie française le 14 juin
1851. Qualifiée de comédie par Musset, elle s’apparente en réalité plus au genre du drame.
Les personnages dans les Caprices de Marianne :
Coelio : il est l’incarnation de la mélancolie, jeune homme sensible et timide, c’est le
prototype du héros romantique, impuissant. Il montre des tendances morbides, et il semble
parfois plus amoureux de la mort que de Marianne .C’est sa méfiance à l’égard de son ami
Octave (et de tout le monde), renforcée par Ciuta (acte 2, sc2) qui précipitera sa perte.
Octave : c’est un libertin qui ne croit en rien ni en personne, qui passe sa vie à faire la fête, à
s’étourdir dans l’ivresse et les plaisirs de la chair. En le forçant à s’arrêter dans sa fuite en
avant, la demande d’aide de Coelio l’oblige à revenir sur lui-même, et le fond de son
caractère apparaît alors, une mélancolie sombre et angoissée. Il semble « las de cette
existence désordonnée ». Il a, en plus, une grande éloquence, Marianne souligne ce trait chez
lui et qui attire son attention mais aussi la charme .
Marianne : femme du vieux Claudio, une femme qui a construit sa vie en arborant deux
masques qui sont pour elle une protection :
Le premier est le masque de la religion, dans toutes les scènes on la voit aller à la messe ou
en revenir. Elle forme pour elle, en raison de son éducation au couvent, un rempart en lui
rappelant ce que doit être une honnête femme. La scène 5 de l’acte 2 verra le changement de
Marianne dans la mesure où elle va donner rendez-vous à Octave précisément dans un «
confessionnal de l’église ».
Le second est le masque du mariage, pour affirmer son refus, elle a besoin, à chaque fois, de
rappeler la présence de son mari comme s’il constituait un rempart lui aussi.
Les Caprices de Marianne, Alfred de Musset, Acte 2, scène1.
Situation : Coelio a demandé à Octave de parler en sa faveur à Marianne, mais ce fut un
échec. Marianne est vertueuse.
Coelio est prêt à renoncer, mais Octave est déterminé à poursuivre la conquête de Marianne.
Dans cette scène, il s’agit pour nous de montrer le vrai visage de Marianne, une femme forte
ne serait-ce qu’au niveau de la parole, la force du personnage féminin contraste dans cette
scène avec la faiblesse voire le ridicule du personnage masculin notamment Octave.
Octave a abandonné l’attaque, il essaie vainement et maladroitement d’apaiser Marianne
(belle Marianne) et de se défendre dans des répliques brèves qui contrastent avec le flot de
paroles de Marianne. La supériorité et la victoire de Marianne apparaissent clairement à la
fin.
Pour la première fois, apparait l’impuissance d’Octave devant Marianne, il n’a plus de mots,
comme le montre ses onomatopéesiv et son chantonnement. Il est donc troublé et admiratif
face à Marianne, il fuit son trouble (comme d’habitude) dans l’ivresse, fidèle à lui-même.
Le ridicule de Coelio et d’Octave : l’amour de Coelio est tourné en dérision (un amour
comme celui-là), il est comparé à du chinois ou à de l’arabe : langue obscure bien éloignée
de la clarté de l’amour. De même, la métaphore du « petit enfant à la mamelle » dégrade
l’amour de Coelio : trivialité du mot « mamelle » et aspect puéril et inabouti de cet amour
qui ne peut « s’expliquer tout seul ».
Marianne se moque également de la position d’intermédiaire d’Octave (l’ambassadeur),
(interprète), (sage nourrice) (effet comique de la comparaison avec une nourrice). Effet
comique lié à la personnalité d’une « sage nourrice ». Au fil du dialogue, les attaques de
Marianne se concentrent davantage sur Octave (irresponsabilité et négligence).
Eloquence d’Octave ridiculisée avec l’emploi ironique de « harangue » (discours pompeux et
ennuyeux) et l’image comique de la perruche (qui donne l’idée d’une répétition mécanique
d’un discours).
Le discours de Marianne généralise son cas pour évoquer la situation des femmes (passage
du « je » au « elle »), passage du présent d’énonciation au présent de vérité générale.
Marianne dénonce l’absence de liberté des femmes, vocabulaire judiciaire : l’amour de
Coelio apparait ainsi comme une obligation, une décision arbitraire qui est imposée à
Marianne sans qu’elle ait son mot à dire. De même, un parallélisme qui montre qu’aucun
choix n’est possible pour la femme : En acceptant, elle devient « abjecte », méprisée comme
une prostituée, si elle refuse, elle devient une « montre de froideur ».
Autre dénonciation : celle de la dégradation de la femme considérée comme objet de plaisir,
métaphore de la coupe qu’on jette. La femme est assimilée à un moment de plaisir :
instrumentalisation de la femme.
Accumulation : suite des interrogations rhétoriques, qui interpellent Octave au même titre
que les injonctions (voyez, posez cela) qui s’adressent également au lecteur. L’éloquence de
Marianne est aussi fondée sur l’ironie, Marianne mime le discours des hommes pour mieux
les caricaturer et critiquer.
Le « militantisme » de Marianne quant à la situation de la femme de l’époque (le 19ème
siècle) continue de nous épater au fil des scènes, on le retrouve encore une fois à la scène 3
du même acte, scène qui réunit les personnages de Claudio et octave en plus de Marianne.
Dans cette scène, on découvre un autre visage de Marianne, la femme têtue, effrontée, forte
et surtout « capricieuse » : il s’agit d’une dispute conjugale qui est un topos du comique. Plus
on avance dans la lecture de la pièce, plus on découvre les « caprices » de Marianne. Une
scène centrale dans l’intrigue de la pièce où Marianne montre ses caprices, c’est l’illustration
du titre de la pièce : son premier caprice est de désobéir à Claudio (son mari), le deuxième
est de ne pas vouloir de Coelio comme amant, et le troisième enfin est de vouloir Octave à sa
place (l’emploi du langage suggestif).
En effet, la plupart des critiques littéraires préfèrent généralement voir en Marianne la
femme « capricieuse » qu’annonce le titre, Maurice Rat affirme que : « Marianne représente
la femme, telle que Musset la voyait alors, dans son orgueil et dans ses caprices. Aimée de
Coelio, elle le dédaigne, mais finit par offrir son amour au débauché Octave qui s’était
chargé de plaider auprès d’elle la cause de son ami Coelio et qui, à son tour, la repousse.
Au lieu d’une « bégueule », « capricieuse » et « orgueilleuse », il semble plus juste de voir
en Marianne, comme le fait Eric Gans, une femme qui ne peut exercer sa liberté que le temps
de la parole. Elle ressemble, par bien des aspects, à cette Indiana dont George Sand disait
elle-même : « Indiana, si vous voulez absolument expliquer tout dans ce livre, c’est un type ;
c’est la femme ; l’être faible chargé de représenter les passions comprimées, ou, si vous
l’aimez mieux.
supprimées par les lois ; c’est la volonté aux prises avec la nécessité, c’est l’amour heurtant
son front aveugle à tous les obstacles de la civilisation ».
L’époque n’est pas encore venue où une femme pourra se dégager des « contraintes muettes
de l’ordre social », mais avec Indiana, comme avec Marianne, la porte vers l’émancipation
féminine est ouverte.
On constate chez Musset cette volonté de ne plus considérer la femme comme un simple
objet à conquérir, et de refuser de donner le beau rôle au séducteur (l’homme), Lucette
Czyba souligne cet aspect : « En dévalorisant l’image du séducteur, le théâtre de Musset ne
participe pas seulement à la dégradation du mythe de Don Juan, il exprime également un
plaidoyer indirect en faveur des femmes et la critique des stéréotypes féminins que le rituel
convenu de la séduction présuppose, passivité et soumission, goût du romanesque, infériorité
intellectuelle.
Les relations entre les personnages semblent aussi préoccuper l’esprit du dramaturge, surtout
les relations homme/femme, l’amour passionnel mais aussi l’amour filial d’où l’intérêt de la
scène 2 de l’acte 1.A noter aussi des similitudes avec l’action et les personnages de la pièce :
Hermia/Marianne : toutes deux belles, de bonnes familles, courtisées mais indifférentes.
Le père/Octave : l’un et l’autre jouent le rôle d’intermédiaire de leur ami auprès d’une jeune
femme et en seront aimés.
Orsini/Coelio : les amants malheureux au sort tragique et fatal.
Devant le récit de la mère, mise en abyme , une volonté de dramatisation de la part de
l’auteur , c’est comme une tragédie prophétique qui annonce ce qui attend Coelio. C’est
l’histoire qui se répète comme malédiction Trans générationnelle transmise de mère en fils,
un legs familial, histoire qui consacre le tragique de l’histoire.
Cette scène complète aussi le portrait de Coelio, elle est révélatrice de sa personnalité : fils
trop attaché à sa mère, il a du mal à devenir adulte. Personnage qui semble être le jouet de la
fatalité. Il a tous les atouts pour être le prototype du héros romantique.
Le héros romantique : A la différence du siècle classique où le héros est le plus souvent un
jeune premier positif, le héros romantique est un être complexe qui
ne trouve son salut que dans l’amour ou la mort. Il y’a un déplacement de l’héroïsme : ce
n’est plus la force victorieuse qui fait la grandeur du héros, c’est son malheur. Le héros
romantique est condamné à une solitude existentielle. Il est révolté contre son sort et contre
sa société qu’il juge médiocre. Il vit tout avec passion ; la passion amoureuse le dévore, il lui
sacrifie tout. En conflit avec le monde qui l’entoure, les lois humaines ne lui conviennent
pas. Son attitude de refus et le mépris de la société l’amènent souvent à vivre dans la
solitude. Le héros romantique est un héros qui souffre du « mal du siècle ».
Il est toujours seul, et quand il est en compagnie d’autres personnages, il cherche à s’isoler,
le héros romantique est maudit. Cette malédiction l’isole et fait sa grandeur. Le héros
romantique est victime de son destin contre lequel il ne peut rien, le héros romantique est
égocentrique, rêveur, pessimiste, prêt à mourir pour une idée ou une femme. C’est un
amoureux malchanceux : il subit des passions et des accidents terribles. Il adore les voyages,
le dépaysement et l’exotisme. La nuit, la mer houleuse, les cimetières… C’est le décor de ses
états d’âme.
Le héros de Musset est toujours un héros déchiré, à plusieurs visages, voué à un destin
tragique, le malheur, la séparation ou la mort. Ses drames (surtout les Caprices de
Marianne et On ne badine pas avec l’amour) mettent en scène des héros torturés, à la fois
purs et impurs, qui incarnent toute l’ambiguïté du mouvement romantique. Le théâtre de
Musset souligne aussi la vanité de l’action : l’idéal de son héros est détruit et inaccessible à
cause du manque de confiance en lui, il n’arrive pas à s’exprimer. Il se sent incapable d’agir
et de prendre une décision. Il est en proie à un mal de vivre et souffre de son existence. Toute
l’action lui semble impossible et il est impuissant mais avide cependant d’exprimer l’énergie
de ses passions et de ses rêves. L’exemple en est Coelio, personnage déplorable à cause de
son impuissance à parvenir à son amour idéal.
Le théâtre de Musset met en scène des jeunes gens, comme leur créateur, qui éprouvent un
sentiment de vide, de solitude, de désenchantement, bref, un sentiment de « mal du siècle ».
« Le théâtre de Musset incarne l’éternelle jeunesse… Musset est … l’icône romantique d’une
jeunesse ténébreuse… qui exprime dans ses dialogues la nostalgie d’un idéal déchu…
Musset parle à la jeunesse de cette jeunesse qui fuit trop vite, de ses passions trop vite
éteintes, de la mort qui fauche brutalement l’élan de la vie : un romantisme lucide et lyrique
tout ensemble. » (Ledda « Le romantisme né classique).
L’exemple de Marianne, troisième personnage romantique dans les Caprices de Marianne,
manifeste une grande soif d’indépendance. Elle est d’abord un personnage enfermé par le
couvent, puis par un mariage de raison non désiré.
Elle veut se libérer des jougs qui l’entravent. Elle est froide, têtue, orgueilleuse et
capricieuse. Elle rêve d’une liberté marquée par l’amour, mais il s’agit d’un adultère qui se
termine par la mort, comme si elle était l’instrument de la fatalité qui conduit Coelio vers son
destin tragique. Malgré qu’elle soit avide à vivre, elle est condamnée à la solitude car, à la
fin, quand elle demande à Octave « Pourquoi dis-tu « adieu l’amour », il lui répond « je ne
vous aime pas, Marianne, c’était Coelio qui vous aimait ».
L’oeuvre de Musset est marquée par l’idée qu’il existe une dualité dans la nature humaine.
Selon lui, la pureté et le libertinage sont en lutte chez l’être humain. C’est pourquoi, il créé
des personnages doubles à son image au travers desquels, il introduit un peu de lui-même
dans son oeuvre : Coelio et Octave sont les deux faces de son existence. Octave personnifie
le côté cynique et libertin de l’auteur tandis que Coelio présente son côté pur, sincère et
mélancolique.
Cet aspect double concerne également l’oeuvre de Musset qui n’est ni romantique ni
classique. Musset prend sa part à la libération de la littérature et l’affirme, ayant pris son
indépendance vis-à-vis du classicisme comme du romantisme « Musset n’est ni romantique
ni classique, ni exclusivement français, ni simple imitateur des étrangers : il est avant tout
lui-même. » (Lafoscade).
« (…) Désarroi, inquiétude, déséquilibre entre le rêve et la vie, appétit de sensations et soif
d’idéal, passion, sincérité, fantaisie (…) On peut même se demander si l’image que nous
nous faisons du Romantisme n’est pas avant tout le reflet de son oeuvre et de sa personne.
Mais ce fait ne nous empêche pas, suivant notre critique, de caractériser cet auteur
romantique comme un indépendant difficile à classer dans un groupe. »
Cette difficulté de classer Musset fait de lui et de son oeuvre un cas particulier, une
spécificité, il le dit lui-même : « Je hais comme la mort l’état de plagiaire, mon verre n’est
pas grand, mais je bois dans mon verre. » (La coupe et les lèvres).
La scène 6, Acte 2 :
Alfred de Musset écrit Les Caprices de Marianne en , il met en scène un triangle amoureux
(Coelio, Marianne et Octave).
Dans cette scène, la dernière de la pièce, Marianne et Octave se rencontrent dans un
cimetière, auprès de la tombe de Coelio, quelques jours après sa mort. La question qui
s’impose est la suivante : En quoi ce dénouement est-il tragique ?
Dans cette scène, on passe d’un registre léger (qui caractérise le début de la pièce) à un
registre tragique et pathétique. Le tragique de la situation, la mort de Coelio à qui Octave
rend hommage à travers une oraison funèbre qui constitue un véritable panégyrique. Octave
souligne l’aspect double de son ami Coelio à travers la métaphore « cette urne d’albâtre,
couverte de ce long voile de deuil » : le noir, couleur préférée de Coelio et qui couvre son
extérieur et le blanc qui reflète la pureté de son âme et de son coeur. Cette dualité qui
explique le mal-être de Coelio, son désarroi et son malheur. Son côté romantique est ainsi
accentué. C’est un être libre, bien sûr aux yeux d’Octave (capable de faire un choix «
préférait »). Les éloges d’octave font de Coelio un homme idéal ; innocent, pure, noble « les
perfections de cette âme tendre et délicate », « perfections » au pluriel (hyperbole) et « âme »
enlève l’aspect charnel, sa pesanteur. Coelio est assimilé à un ange. A l’opposé, Octave est
prisonnier de ses passions.
Quand il valorise Coelio, Octave se dévalorise à travers l’emploi de formules réductrices et
marquées par la négation « je ne suis qu’un… », il souligne les oppositions qui les séparent
et accentuent sa dévalorisation : si Coelio rendait heureux son entourage, il était altruiste,
Octave est un « débauché sans coeur », expression hyperbolique, « l’amour que j’inspire est
comme celui que je ressens, l’ivresse passagère d’un songe » : une métaphore qui signifie
que son amour est éphémère et appartient au domaine de l’alcool. Octave est en train de faire
son autoportrait, négatif d’un libertin. Le libertin, avec Octave, nous apparaît donc, comme
un être triste, sa gaieté est assimilée à une illusion, son coeur est vide et sans sentiments. Il
renonce à la vie et à l’amour, il prend conscience de la vanité de la vie après la mort tragique
de son ami, il est rongé par la culpabilité, il devient pathétique (alors qu’il était jovial au
début). Octave est mort aussi, mais sa mort est symbolique, pour exprimer sa mort, il
emploie un champ lexical de la mort (« tombeau », « froide pierre »), il dit : «ce tombeau
m’appartient », « ma place est vide », phrase qui montre le néant, l’anéantissement de son
être, il emploie aussi le présent de l’indicatif pour se déclarer mort.
Cette scène fait tomber alors le masque du libertin. Paradoxalement, le libertin n’est pas si
loin de l’homme romantique « Je ne suis qu’un débauché sans coeur : je n’estime point les
femmes ; l’amour que j’inspire est celui que je ressens, l’ivresse passagère d’un songe », «
Ma gaieté est comme le masque d’un histrion ; mon coeur est plus vieux qu’elle, mes sens
blasés n’en veulent plus ». Comme le libertin vit tous les plaisirs en excès, il finit par ne plus
rien désirer et perd le goût de la vie.
Romantisme et Libertinage cohabitent dans la pièce de Musset. En effet, Musset puise aux
sources des romans libertins du 18ème siècle, si son corpus libertin se compose de noms tels
Crébillon, Marivaux et Sade, c’est parce qu’il trouve dans ce mouvement d’idées une
philosophie qui lui correspond, un art de vie qui correspond à sa mentalité. Si le mot «
libertin » s’entend dans sa première acception « comme le comportement face aux femmes
qui conduit à la débauche », il se caractérise aussi comme un défi lancé au pouvoir et à la
religion, comme un style.
Pour Musset, le libertinage se comprend donc comme « une manière d’échapper à son siècle,
à une société qui l’étouffe et de s’inventer une époque et un monde de fantaisie où la liberté
du désir ne rencontre plus d’obstacles ».
Dans le théâtre de Musset, « la mélancolie cause avec la gaieté », Octave et Coelio, c’est tout
Musset en deux personnes, leur dialogue est le duo de sa verve et de sa tendresse, de son
esprit et de son coeur. C’est lui, ce libertin habillé en couleurs, qui mène si joyeusement le
carnaval par les rues, se moque de ses créanciers, parle librement des femmes et aux
femmes, raille les maris, vide les bouteilles, fait du vin le conseiller de l’amour et de l’amour
un passe-temps. C’est lui encore, ce « jeune homme vêtu de noir » qui laisse ce même amour
troubler sa vie entière, qui ne sort de son cabinet d’étude que pour épier le passage d’une
femme, qui sent fléchir ses genoux quand elle approche, et tout en la regardant, désire
mourir.
Musset, devenant Octave, se console et se distrait de Coelio ; redevenu Coelio, il expie
Octave et le rachète.
Les Caprices de Marianne est le récit d’une jeunesse qui se fracasse sur son siècle, sur son
désoeuvrement, Musset prend le pouls mystérieux de cette fièvre étrange qui s’empare d’une
génération orpheline de tout combat, de tout engagement qui cherche dans le cynisme, la
sensualité, le plaisir facile, ou le fanatisme mélancolique, son salut, c’est-à-dire un
arrangement avec la vie. En suivant, hors d’haleine et le coeur à nu, les dédales du désir
amoureux, les protagonistes perdent leurs convictions par timidité, pulsion, envie, convoitise,
jalousie.
« Tout change mais rien n’arrive », les Caprices de Marianne est une grande oeuvre
incandescente du Romantisme français. Cette pièce est et restera le cri, le baroud (combat,
lutte) éclatant d’une jeunesse en mal de vivre.
La psychologie de l’homme romantique est définie par son esprit individualiste et
l’exaltation de sa personnalité. Cet individualisme donne lieu à la recherche
de la liberté absolue qui se reflète dans toutes les manifestations artistiques de l’époque. La
morale romantique installe donc la passion et l’instinct comme les seules lois de vie, la
nature libre et l’élan spontané régissent alors la conduite humaine. L’homme a perdu la
sérénité de son esprit et il s’abandonne aux émotions les plus violentes comme c’est le cas de
l’enthousiasme, la mélancolie ou la désolation.
Cette perte caractéristique de confiance en la raison fait de la vie un problème constant et
irrésoluble. L’homme est la victime d’un destin sans justification logique et il doit faire appel
aux forces surnaturelles qui échappent à toute connaissance rationnelle. La réalité ne répond
pas à ses illusions et il débarque dans un désenchantement profond ou même dans le
désespoir. Il essaye d’échapper et de fuir à travers son imagination qui se charge de créer des
nouveaux mondes où la pensée romantique s’installe.
La technique romantique est fortement déterminée par l’individualisme, l’art se dirige vers
l’expression du particulier, de l’individuel et de l’irrégulier, de tout ce qui, enfin, s’échappe
de la norme traditionnelle. Le romantisme souligne donc la spécificité, le pittoresque,
l’unique et l’exceptionnel. Le mouvement romantique est caractérisé par l’expression
émotionnelle d’une intimité en conflit avec les éléments extérieurs, la réalité et le destin. Il
s’agit d’un courant idéaliste, individualiste et subjectif, où la réalité se perçoit à travers les
sensations les plus intimes, les émotions et les sentiments. Le romantisme s’attache donc à la
contradiction inhérente de l’individu qui entretient une lutte constante entre son « moi » et la
réalité, un individu qui prône le dépassement des limites rationnelles, spatiales et
temporelles, qui défend l’introspection, la rêverie et l’imagination et qui lutte contre le
conservatisme linguistique et esthétique. fin

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