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A.

Lahlou

Berque Jacques, Dépossession du monde.


In: Revue française de sociologie. 1965, 6-4. pp. 539-541.

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Lahlou A. Berque Jacques, Dépossession du monde. In: Revue française de sociologie. 1965, 6-4. pp. 539-541.

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Bibliographie

jRussie, ultimatum à la Belgique) et sous le choc de l'assassinat de Jaurès, l'e


nsemble du Parti Socialiste se rallie à la pensée de celui-ci : « effort maximum
pour assurer la paix », mais, en cas de guerre, assurer « l'indépendance et l'inté
grité de la nation ».
La C.G.T., objet par ailleurs de pressions gouvernementales, se rallie à ce point
■de vue. Jouhaux, tout en affirmant sa foi persistante dans l'Internationale, re
nonce à considérer la classe ouvrière comme extérieure à la réalité nationale,
justifie la défense de la patrie française.
Le mouvement ouvrier trouvera, pendant la guerre, des formes spécifiques
d'action politique (défense du régime parlementaire, élargissement du contrôle
étatique sur le plan économique, défense des droits ouvriers). Cette politique,
concluent les auteurs, permet de parler de continuité du mouvement ouvrier,
mais aussi de rupture car on voit sombrer le rêve d'établissement, en Europe
occidentale, d'un «monde prolétarien» et s'imposer l'idée de l'intégration de la
classe ouvrière dans la nation. C'est en Europe orientale qu'on trouve une large
opposition « internationaliste », peut-être parce que la cohésion nationale y est
encore fragile.
Les auteurs évoquent en terminant la guerre de 1939 et les applications, qu'on
a pu alors chercher à faire, des idées « internationalistes » : « la théorie ne se ré
duit pas à une formule, une recette qui s'appliquerait avec bonheur à des situa
tions multiples ».
Le livre cite de nombreux extraits de la presse où s'expriment le mouvement
ouvrier et ses adversaires, dont les réactions sont décrites lors de chaque événe
ment.
M.-T. Duflos.

Berque, Jacques. Dépossession du monde. Paris, Editions du Seuil, 1964, 221 p., 15 F.
Composé d'une suite d'essais sur le thème de la décolonisation, — de la dépos-
session, dans la mesure où le monde colonisé est un monde « possédé », aussi bien
au sens vulgaire qu'au sens magico-religieux — l'ouvrage de J. Berque ne se
résume pas. Aussi nous contenterons-nous de présenter ici les réactions que la
lecture de l'ouvrage a suscitées en nous.
Jusqu'à ces derniers temps, ceux des Maghrébins — et des Arabes — qui
avaient besoin de jeter un coup d'œil sur leur passé ou leur présent ne trouvaient,
du côté européen, que des œuvres d'hommes touchés de trop près par le pro
cessus à décrire, à analyser. La tendance s'est renversée, le livre de Jacques
Berque, Dépossession du monde, en constitue un indice remarquable. Dès la pre
mière page, une chose s'impose : l'indépendance de pensée et l'autonomie à
l'égard de tout système, de toute théorie constituée. J. Berque se sert adéquate
ment de ses expériences vécues pour apporter un éclairage nouveau et une inter
prétation qui rompt totalement avec la tradition, le passé et le présent. Il n'y a
nulle référence aux valeurs traditionnelles de l'Occident pour expliquer les réa
lités non-occidentales. L'être du Maghrébin est saisi à travers sa propre réalité,
celle de tous les jours et de tous les temps.
L'Europe a fait, défait, déchiré jusqu'à l'aliénation et au doute, ces non-occi
dentaux que sa puissance technique et militaire et sa pénétration politique ont
brutalement rappelés à l'ordre de l'histoire. Ce fut la période coloniale. Celle-ci
une fois révolue, on se retrouve face à des réalités nouvelles parce que la puis
sance politique de naguère a omis de préparer la relève.
L'auteur ne demande pas aux Français «petits blancs» — ni même à ceux
de l'Hexagone — de se comporter selon les exigences du nouveau monde. H a

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Revue française de sociologie

posé les termes d'une nouvelle voie de communication et de compréhension entre


les ex-colonisés qui se cherchent et trouvent un facteur commun: «l'indépen
dance a consisté à transformer le signe moins, celui de l'efficacité subie, en signe
plus, celui de l'efficacité exercée sur les autres et sur soi-même» (p. 85). Ces
ex-colonisés examinent leur condition, dépouillée de toute ingérence étrangère
et de tout regard déformateur, pour se retrouver entre eux et se comprendre
véridiquement. Car ces rapports avaient été rompus par Г « Autre ».
C'est le colon qui aura appris à l'indigène l'exercice et l'habitude de cette
pratique; il ne faut pas s'étonner de faire des adeptes; le colonisé est comme l'en
fant qui regarde et qui finit par assimiler la conduite «bonne» à suivre. C'est
pourquoi la libération ne se marchande pas, ni ne se discute dans les salons;
elle s'arrache, elle s'abolit par le même processus que celui de l'usurpation. C'est
une œuvre des opprimés et des faibles et non celle des autres. Car, le colonia
lismeest «la violence à l'état de nature et ne peut s'incliner que devant une
plus grande violence » (Frantz Fanon) . L'auteur a senti — de l'intérieur en quel
que sorte — le débat qui anime cette société qui se retrouve et revient à elle-
même après avoir été celle des autres. On dirait qu'elle « se lave » des souillures
du passé.
Mais où est le présent ? Le passé avait sevré les cœurs et dissipé les volontés.
Aujourd'hui, le présent apporte une libération — voire un affranchissement —
du moins sur le plan psychologique. Car c'est un « moment solennel ».
« L'histoire algérienne se sépare de l'histoire de France » (p. 19) . Mais cette
France qui a donné l'histoire et l'a façonnée avec ses méthodes et son génie ne
réussira pas à effacer, ni à immerger un seul instant, ce qui constitue la trame
intime d'une société accrochée à son passé. «La France, apparemment, domine
l'historique. Dans une certaine mesure, elle le façonne effectivement, par les
conditions qu'elle crée et la contradiction qu'elle suscite. Au contraire, la société
sacrale est d'abord, à Constantine par exemple, nostalgie de gouverner. Elle
rejette ce qui la nie. Elle impose des façons pieuses de parler, de se vêtir, de
manger, d'aimer. Elle ordonne toutes choses en licites et illicites » (p. 23) .
И у a des sentiments qui ne s'expriment que par métaphores, ou hyperboles, ou
antithèses. La «poursuite» — si j'ose dire — se réalise à la faveur de compar
aisons ou de parallèles historiques qui rendent mieux qu'une froide analyse
ou une simple description. Encore que celles-ci sont largement utilisées lorsque
la matière s'y prête et s'y donne. Pour parvenir à la saisie de tels phénomènes,
il a fallu que l'auteur connût — dans son intimité la plus fuyante — la trame
de la chose abordée.
Bien sûr, la méthode qui consiste à se souvenir de Stendhal et de Proust pour
essayer de descendre jusqu'à la racine d'une histoire difficile à saisir, puisqu'elle
est en train de se faire — ou bien la vivre et la sentir comme ceux qu'elle con
cerne — ne trouvera pas que des adeptes. Disons que cette méthode parvient à
rendre compte d'événements trop instables pour justifier un jugement définitif
et historique. Tout cela est peut-être vrai, dira-t-on, pour la société française
de la fin du xix* siècle et du début du xx" siècle. Où est la justification, s'agis-
sant du Maghreb de 1964 ? C'est que la société française a eu cette chance d'avoir
ses écrivains pour saisir sur le vif l'événement, le décrire et le faire sentir aux
autres, un demi-siècle plus tard. Il n'en est pas ainsi pour la société nord-africaine.
Alors ce parallélisme peut suppléer à cette lacune.
Quelques pages sont consacrées à l'éternel problème de la limite de l'objecti
vité des analyses de l'histoire, car il y a un jaillissement, une émergence jamais
déterminée, jamais asservie par les prévisions et les calculs que ne peuvent
soumettre ni statistiques, ni historicité, car il y a toujours un certain arbitraire

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Bibliographie

. à vouloir opérer par réduction et par généralisation et l'être sait toujours tenir
en échec ces prévisions nécessairement soumises aux fluctuations des désirs et
des émotions, qui restent indéterminables à l'avance (p. 36), car la logique
appliquée à Vanthropos ne se révèle pas toujours d'une rigueur absolue.
En revanche, le fait de jeter un coup d'œil rétrospectif sur l'histoire des
sociétés industrielles avancées -— techniquement, industriellement et culturelle-
ment — n'est pas sans apporter un éclairage nouveau et perspicace sur la nature
exacte des relations nouées entre ces sociétés, nécessairement expansionnistes, et
les autres, faibles ou amoindries. Les causes de cette faiblesse sont elles-
mêmes analysées à la lumière de faits dûment établis. Car, l'évolution de ces
sociétés industrielles et puissantes n'a pas manqué de perturber les rapports
traditionnels — rapports de force, et établis par la violence, dont la nature com
plexe et variable est elle-même saisie et analysée. « Cela n'affecte pas l'homo
généité entre eux» (p. 85).
Cela dit, il est des jugements que nous ne partageons pas; car nous n'éprou
vons pas les mêmes sentiments devant les mêmes phénomènes décrits par l'au
teur ! Par exemple, celui-ci : « Repus d'abstraction par la période précédente,
dégoûtés de leur propre éloquence, ils s'élancent aux choses avec une furie
qu'exaspère leur longue privation » (p. 86) . Si nous pouvons dire oui au premier
terme de cette proposition, il nous paraît difficile de tirer la même conclusion
de la seconde. Au contraire, tout ce qu'il nous a été donné de constater,
c'est plutôt l'inverse, l'éloquence est devenue une marchandise bon marché, une
clé passe-partout, une sorte de pouvoir magique. Qu'iï s'agisse de concepts gal
vaudés comme « dynamisme social » « progrès social » ou de dogmes sacrés
comme «arabisme», «solidarité afro-asiatique».
En revanche, il est foncièrement exact, nous semble-t-il, que les « initiatives
indigènes » apparaissent désormais dans leur positivitě, non plus comme de
simples réactions épidermiques et explosives à une situation contraignante et
aliénante, mais comme de véritables émergences — et d'authentiques synthèses
englobant «l'antique et le neuf, l'hérité et l'innové». Il y a une impétuosité —
qui rejoint l'altérité sentie comme chez l'autre, et avec l'autre — à dire des
choses que nul n'a encore osé coudoyer avec tant de franchise. « Opportunément,
le héros, parfois le saint... détruit» (p. 90).
Enfin, c'est un fait que la situation coloniale a servi la sensibilité, l'imagina
tion et la création artistique, de nombre de poètes, de peintres et d'écrivains dits
exotiques, nous dit l'auteur. Leur générosité, bien sûr, tourne court. Elle conflue
avec des courants métropolitains — mysticisme, esthétisme — « qui demandent
traditionnellement leur nourriture à l'Outre-Mer ». Dire que l'expérience esthé
tique de ces artistes-écrivains à inspiration exotique était nourrie par la souf
france des autres c'est vouloir traduire par des mots l'indicible, l'inénarrable : il
y a un certain masochisme et un certain cynisme intellectuel à poétiser une
sinistre et abominable réalité faite de déchirures et d'éclats. L'auteur a très jus
tement replacé le débat dans son véritable contexte historique; il contribue —
très positivement — à démystifier les naïfs et à déranger ceux qui croient vivre
en paix avec leur conscience.
A. Lahlou.

Gorz, André. Stratégie ouvrière et néocapitalisme. Paris, Editions du Seuil, 1964,


178 p. 8,50 F {L'Histoire immédiate).
Selon l'auteur, il existe actuellement une crise de la théorie du mouvement
ouvrier qui s'exprime dans le fait que la lutte salariale ne suffit plus à rendre
compte de l'antagonisme fondamental des classes. La classe ouvrière se laisse

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