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Le père et l’oncle maternel de la jeune mariée avaient déjà tout devine par le silence et

surtout par l’air déconfit de leurs sœurs. L’oncle se mit à bourrer sa pipe sans doute pour ne
pas perdre contenance.
Mountou Jacques avait vu passer les tantes de Céline depuis le salon ou il se trouvait
enfoncé dans un fauteuil. Il avait les traits tirés et rictus amer. C’est que les cérémonies de la
veille avaient été longues et épuisantes. Toute la semaine d’ailleurs n’avait été pour lui que
branle-bas. Il avait fallu acheter les rideaux, la boisson, compléter les ustensiles de table et
de cuisine, presser la couturière pour la robe de la mariée, talonner l’imprimeur pour les
cartes d’invitation…Mais il y avait surtout la déception de la nuit.
Le père, l’oncle et les tantes de Tchiloumbou, frustrées dune somme de deux mille
francs, d’une dame-jeanne de vin cachetée, dune bouteille de whisky, dune pièce d’étoffe et
d’un mouchoir de tête, tinrent un petit conseil de famille auquel la coupable fut conviée ;
elle fut mise en demeure de fournir des explications sur la honteuse situations qu’ils étaient
en train de vivre. Devant le mutisme de Tchiloumbou, l’oncle s’énerva, retrouva son calme
puis le perdit de nouveau, tandis que le père, très abattu, ne disait rien ; les tantes étaient au
bord des larmes. Tchiloumbou s’obstina dans le silence, comme elle lavait fait la nuit avec
son époux qui voulait également connaitre le nom du coupable.
Ledit conseil de famille se faisait de plus en plus houleux ; on voyait l’oncle lever les
bras au ciel, invoquant les mânes de son clan maternel ; l’écume blanchissait les
commissures de ses lèvres. Le père, lui aussi, commençait à s’animer ; son index oscillait en
direction de sa fille. Un pli nerveux au front, Tchiloumbou restait figée dans son vêtement.
A l’autre bout de la véranda, les parents de Mountou commentaient sans discrétion
l’irrépressible dévergondage de la nouvelle génération des filles.
- Pour moi, dit l’une de ses tantes, c’est l’école qui est à l’origine de cette situation ;
c’est une institution bien pernicieuse, l’école. Elles y apprennent à écrire, a lire
toutes sortes de choses nocives, a mentir de la façon la plus cynique.
- C’est surtout le gout précoce de l’argent et des belles toilettes, ajouta l’autre tante.
Aujourd’hui, la jeune fille veut paraitre femme avant l’Age ; elle porte pagne et
perruque des quelle le peut.
- Du temps de nos ancêtres, dit l’oncle, la perte de la virginité avant le mariage était
un interdit aussi formel que l’inobservance du quatrième jour, elle pouvait attirer
des calamités sur l’ensemble de la communauté villageoise. Mais aujourd’hui ! …
Pauvre Mountou ! Tant d’argent perdu pour une roulure !

Il secoua longuement la tête puis saisis et déboucha la bouteille de Whisky qui


aurait été destinée aux beaux-parents au cas ou une bouteille pleine d’eau eut
annoncé la virginité. 
Mountou apparut sous la véranda ; il regarda d’un côté puis de l’autre. Le spectacle
le désola ; il baissa la tête que devait appesantir une belle couche de soucis.
Fournisseurs. L’amende était lourde. A défaut d’argent, la prison retenait les
coupables pendant quatre ou cinq mois.
Pourtant l’on ne se découragea pas dans les milieux des fournisseurs ? Un réseau
secret se constitua, qui connait jusqu’à ce jour, son mot de passe, ses réunions, ses
crises d’hystérie, comme les multiples religions qui ont germé partout dans notre
pays.
Peu de temps après Bayonne, arriva Manuel, puis Matoulou, Mafouta, Gamouna
et Soki. Maman Posso s’étonna de voir Mabonzo : celui-ci n’était pas venu depuis un
mois. « Ne nous apporte pas la figure », lui dit-elle, en manière de salut.
Maman Posso faisait donc partie de cette espèce de société secrète dont il est
difficile d’imaginer que tous les officiants se connaissent. Elle avait pour sa part une
distillerie, tout en haut de Poto-Poto, près de la voie ferrée, et recevait un cercle
assez restreint de gros consommateurs qui tenaient bon jusqu’à la troisième fiole.
Au-delà ; ils étaient sommés d’écouter la voix de la raison, qui était celle la même de
Maman Posso. Au début cela n’avait pas été facile. La plupart des clients
demandaient plus que la mesure convenable. Ceux qui avaient déjà la langue bien
pendue a deux exigeait une troisième fiole. Sur le refus de Maman Posso, des
bagarres avaient même éclaté. Elle avait réussi à écarter les brebis galeuses, au prix
de nombreuses difficultés, car certains consommateurs exclus menaçaient de la
dénoncer à la police si elle ne revenait pas sur se décision. Mais tout cela
appartenait désormais au passé. Depuis un an, aucun scandale n’avait eu lieu chez
Maman Posso. Elle devait son autorité en grande partie a son physique. C’était un de
ces énormes femmes comme on ne rencontre parfois à Poto-Poto. Sa prestance lui
conférait une assurance étonnante. En se déplaçant, elle ne semblait accorder son,
attention a rien ; elle ne regardait ni ’à gauche ni à droite, ni là où elle posait les
pieds. Elle allait toujours droit devant elle, comme ces pachydermes qui préfèrent
briser les obstacles plutôt que de les contourner : leur force ; l’épaisseur de leur
épiderme les dispensent de toute précaution. Quel âgé pouvait avoir Maman
Posso ? C’était bien difficile à dire. Il fallait voir assez large : entre trente-cinq et
quarante-cinq ans. Poutoulou, son mari, devait faire tout au plus la moitié de son
poids ; efflanqué et l’air craintif, il avait un visage tout en angles et en veines. Il était
entièrement dominé par sa femme. Point n’était besoin d’évoquer un fétiche
quelconque pour expliquer le fait. Il suffisait de les voir ensemble. L’entourage
plaignait Poutoulou, mais celui-ci en avait pris son pari. Bien plus, il considérait
Maman Posso comme sa province. N’était l’intervention de sa femme, il se faisait
rosser par une bande de jeunes gens qu’il abrite insultés un soir d’ivresse. Le
lendemain matin, il l’appela pour la première fois « Maman Posso » au lieu de
« Posso » tout court, comme d’ordinaire depuis plusieurs années. Le voisin qui
l’entendit répéta, puis cette de nom composé fut adopté par tout le quartier de la
Foa.
Dans la maison, les clients s’impatientaient ; ils avaient épuisé tous les
ragots de la ville sur la politique, les femmes, les nouveaux horaires des train…
Manuel vint se planter devant la porte ? « Mais qu’est-ce qu’elle fait aujourd’hui ? »
dit-il en mettant les mains aux hanches. « Va voir un peu », lui suggéra Bayonne.
Manuel s’avança vers le hangar de la distillerie. Poutoulou sortait d’une demi-
somnolence. On aurait dit qu’il avait senti la présence de Manuel ; son visage
s’anima avec quelques palpitations du nez. C’est que l’odeur de l’alcool commençait
de se répandre dans le hangar. Avec un bâton lisse et sec, Maman Posso tournait la
mixture de maïs et de manioc. Elle tenait son buste en retrait a cause de la vapeur
brulante qui s’échappait de la grosse marmite. Poutoulou la regardait, l’oie de plus
en plus vif. Bien qu’il soit difficile de déterminer une quelconque expression sur le
masque luisant et massif de Maman Posso, il s’aperçut néanmoins que sa femme
était fatiguée. Il attendait ce moment-là ; il était sûr que ce moment viendrait. Lui,
qui s’était laissé plusieurs fois traiter de fainéant, depuis surtout qu’il avait perdu
une place de gardien de nuit a al S.C.K.N, prenait alors un e relève teintée de fierté.
« Laisse-moi faire un peu », fit-il en tendant les mains vers le bâton. Maman Posso
ne dit rien ; elle lui abandonna le bâton dont

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