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Asid ne ressentait que le vide. Et la haine.

Il haïssait tous ceux qui avaient osé prévoir ce qui


allait se passer. Il haïssait tous ceux qui n'avaient pas prévu le grand drame, aussi. La fin du monde
était là. La fin de tous les mondes. Car oui, Asid avait conquis tous les mondes. »
Depuis qu'il était tout jeune, son père n'avait eu de cesse de lui répéter que l'Univers était un
lieu vaste et qu'il ne fallait pas en bousculer l’équilibre. Il lui disait aussi sans arrêt que l'ambition était
vertu, mais que toute bonne chose devait avoir ses limites : l'amour devenait toujours haine avec le
temps, et même le meilleur des mets finissait toujours par avoir un goût amer à la bouche du
gourmand.
« Mon fils, lui répétait-il sans cesse, tu dois faire la part des choses. Ce monde est en constant
équilibre. Il y a d’un côté de la balance un peuple balayé de toute part par la nature hostile qui ne
s’offre justement pas à nous, et d’un autre des êtres affamés et éternellement avares, condamnés à
périr de la plus sombre des manières. Mais ta tâche n’est pas aisée : tu vas devoir parfaire ce monde,
cette terre hostile. Tu devras devenir le plus grand des alchimistes, si je puis dire : tu purifieras l’impur
pour obtenir la perfection. Mais ne te dresse jamais contre la nature qui t’entoure. Par pitié, améliore
ton Monde pour le bien de tous. L’alchimie est un jeu d’équilibriste, mais il vaut tout de même mieux
sacrifier certains des tiens, plutôt que de te perdre dans la folie et dans la soif de pouvoir qui ne mènera
qu’à ta chute, fatalement, inévitablement. Sois un grand roi, mon fils, un bon dirigeant, et ne défie
jamais ce que tu ne peux défier. »
Et en ce jour maudit, depuis la plus haute tour, construite sur le plus haut sommet du Monde,
Asid comprit enfin ce que lui avait préconisé son géniteur. Asid le haïssait aussi. Pour sa faiblesse, et
pour sa médiocrité. La paix et la sérénité... Quelle terrible façon de vivre. Pourquoi ne pouvait-il pas
comprendre que la vie est faite pour les courageux, les braves et les vertueux ? L’alchimie, quelle
notion absurde. Un vague terme de lâche pour rendre doucement meilleur ce qui pourrait être
rapidement parfait, avec un tant soit peu de volonté. Qu'y-a-il de plus beau que cette lueur de vie qui
disparaît d'un être, lorsque celui-ci meurt dans la douleur et le désespoir ? Rien ne réjouissait plus Asid
que la souffrance des autres. Mais le Prince des Mondes s'était rapidement lassé du simple meurtre,
et son ambition avait pris le dessus sur tous ses autres instincts. Alors il avait décidé d'assassiner son
géniteur, et de prendre le trône à sa place. Son destin était écrit, l’équilibre du monde incertain
désormais.
Et depuis lors, Asid ne ressentait que l'envie d'aller toujours plus loin, d'atteindre le plus haut
des sommets. C'est de cette manière qu'il parvint à prendre possession des terres de son voisin après
quelques mois de règne seulement. Par la suite, région après région, contrée après contrée, il soumit
chaque être à son autorité totalitaire. Et après une éternité de combat, plus un seul vivant ne pouvait
nier son allégeance au Tyran. Tout le monde craignait le grand Asid, tout le monde le respectait et
justement le monde ne pouvait se porter mieux à cet âge d'or de toutes les civilisations. Asid avait
atteint le plus haut des sommets. Tel était le destin des ambitieux. Mais la victoire avait un goût amer
pour lui. Elle était trop simple.
Alors, du plus haut des sommets, le Tyran comprit que son monde n'était que grain de sable
dans un désert sans fin. Et après une éternité encore de recherche, il put enfin accéder aux autres
grains de sable de ce désert. Et ce furent les premiers instants de la fin de toute vie. Monde après
monde, univers après univers, la folie et la soif de sang d'Asid le poussèrent à la gloire sans limite. Tous
ces mondes étaient sains, et ne connaissaient ni la guerre ni la souffrance. Alors le Tyran imposa par
les armes son mode de vie. Il contamina les mondes les uns après les autres. Parfois une armée dont
l'origine était inconnue apparaissait à ses frontières. Ils se présentaient comme les sauveurs de
l’Univers. La première fois qu'ils vinrent, l'armée d'Asid eut beaucoup de difficultés à les vaincre. Puis
elle se modernisa, s'arma plus encore ; se métamorphosa en quelque sorte. Et rapidement, les
adversaires du Tyran n'eurent d'autre choix que d'abandonner un combat perdu d'avance. Puis Asid
alla même jusqu'à infester les derniers combattants "de la liberté".
A partir de ce moment, il régna en maître absolu sur les mondes.
A partir de ce moment, le monde se commença à détériorer. Tous mourraient les uns après les
autres. Sans raison apparente. Sans cause primitive. Et du haut de la plus haute tour, construite sur le
plus haut sommet du Monde, ce Monde qui avait vu naître le Tyran, celui-ci comprit enfin la leçon de
son père. Il avait bousculé l'équilibre de l'Univers. En gagnant tout, il avait couru à sa propre perte.
L’alchimie était la recherche d’un monde parfait, pas d’un monde soumis. L’amélioration vers un futur
meilleur pour tous. « Transformer le plomb en or, pas ton cœur en pierre, lui répétait sans cesse son
père. »
Mais au fond, cela avait-il vraiment grande importance ? La tristesse émanait de lui pour la première
fois depuis bien longtemps. Il avait eu raison comparer son monde à un grain de sable, il y a de cela
une éternité. Et même en conquérant tout le désert, il n'était rien. Rien qu'une poussière, qu'un
pitoyable détail. Et ce désert désormais conquis n'était qu'une poussière dans un univers plus grand
encore. Asid ferma les yeux. Il n'avait demandé qu'à avoir de l'importance, mais qu'était-il en réalité ?
Lorsqu'il les rouvrit, il n'eut que l'espace d'un instant pour entrapercevoir les vestiges de son existence.
Puis la tour s'effondra dans l'ombre. Asid était mort.
A cet instant précis, le patient 424 242 mourut du virus du Sida après des années de lutte contre la
maladie. Son monde intérieur avait été détruit, chaque cellule contaminée par cet étrange fléau que
personne ne comprenait aujourd'hui encore.

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