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Femmes-fleurs
« Eliduc », dans Lais Bretons (XIIe-XIIIe siècles) : Marie de France et ses contemporains, éd. et trad.
Nathalie Koble et Mireille Sèguy, Champion, coll. Classiques Moyen Âge, Paris, 2011.
Dernier lai des Lais de Marie de France, « Eliduc » repose sur un motif relativement courant dans la
littérature courtoise de langue française du XIIe siècle : « l’homme entre deux femmes ».
Eliduc, marié à Guildeluëc, doit partir en guerre de l’autre côté de la mer. Une fois sur place, il fait la
connaissance d’une très belle jeune princesse, Guilliadon, qui devient sa maîtresse. Eliduc cache
l’existence de sa maîtresse à sa femme ; et de sa femme à sa maîtresse. Malheureusement, un jour,
alors qu’ils font une promenade en bateau, Guilliadon apprend par hasard que son ami est déjà marié.
Horrifiée, elle tombe, comme morte, dans un profond coma. Eliduc ne peut se résoudre à
l’abandonner. Il la ramène donc dans son pays natal et la couche dans une chapelle sylvestre un peu
reculée. Chaque jour, il va la voir et pleure sa disparition si bien que sa femme, inquiète de voir son
époux si triste, décide d’en savoir plus. Elle demande à un serviteur de suivre son époux pour savoir
où il va. Ce dernier découvre ainsi l’existence de la chapelle. Guildeluëc profite de l’absence de son
mari — un jour que le roi l’a appelé auprès de lui — pour se rendre dans la chapelle et découvrir le fin
mot de l’histoire.
Guildeluëc lui promet alors qu’elle rendra la liberté à son époux afin qu’elle et lui puissent se marier et
vivre heureux. Guildeluëc prend donc le voile et cède la place à Guilliadon, qui aurait pu être sa rivale.
Après quelques années de mariage, Guilliadon rejoint Guildeluëc dans son abbaye et elles finissent
leur vie « comme des sœurs ».
Le Roman de Fanuel est le titre donné à un récit du XIIIe siècle que l’on trouve inséré en amont de la
vie de la Vierge et du Christ dans 13 manuscrits. Ce récit développe la généalogie fictive de la sainte
famille. Les extraits ci-dessous vont de la fin du prologue à la naissance de Fanuel, l’enfant né de la
fleur, qui à son tour, dans la suite du récit, tombera enceint de sainte Anne la mère de la Vierge.
Ed. Camille Chabaneau, « Le Romanz de saint Fanuel et de sainte Anne et de Nostre Dame et de
Nostre Segnor et de ses apostres », Revue des Langues Romanes, 28, 1885, p. 157-258 ; trad. Sophie
Albert.
La voix de Dieu révèle à Abraham que de la fleur de l’arbre naîtra « un chevalier qui portera la mère
de la vierge dont Jésus Christ fera sa servante. »
105 Une fille ot sains Abrahans, Saint Abraham avait une fille jeune
Molt jone et bele de .XII. ans ; et belle, âgée de douze ans. La jeune fille
De grant biauté fu la meschine, (meschine) était d’une grande beauté ; elle
Plus iert blanche que flor d’espine, était plus blanche que l’aubépine, avait les
Les euz out vers, clers et rianz, yeux vairs, clairs et rieurs, la bouche belle
110 La bouche bele et avenanz ; et avenante ; c’était une très douce créature,
Molt i out douce créature, selon ce que nous raconte l’Ecriture.
Ce nos raconte l’escripture. Chaque jour, le matin, quand la jeune fille
Chascun jor a la matinee, (pucele) était levée, elle entrait dans ce
Quant la pucele estoit levee,
verger pour que son noble corps s’ébatte.
115 Si s’en entroit en cel vergier
Un jour elle s’approcha de la pousse qui
Por son gent cors esbanoier.
était belle et admirable, et elle en cueillit la
Un jor aprocha de cele ente
Qui molt estoit et bele et gente, fleur. Celle-ci exhala une si puissante odeur
Si a coillie cele fior. que du parfum qu’elle exhala, elle engrossa
120 Ele geta si grant oür la très jeune fille (pucelete).
Que del flair que ele geta
La pucelete en engroissa.
Quand la mère, la femme d’Abraham, apprend que sa fille est enceinte, elle la couvre de propos
insultants, l’accusant de déshonorer la noblesse de son lignage. Elle la prévient : la loi des juifs est
sans pitié pour les mères des bâtards et des enfants sans père, qui sont lapidées sans pitié.
Les parents décident d’étouffer le scandale dans l’œuf ; mais deux femmes de chambre ont entendu la
conversation entre la mère et sa fille et se hâtent de tout divulguer. Voilà les juifs prévenus, ils
viennent trouver Abraham, font comparaître devant eux la jeune fille et menacent de la lapider. Elle
réclame l’ordalie par le feu. Les juifs font préparer un bûcher où l’on mène l’accusée. Otant sa
fourrure et son manteau de soie, elle reste nue sous sa chemise. Elle adresse à Dieu une prière qui
évoque, entre autres, l’arbre du Paradis et la tentation d’Eve, puis s’avance jusqu’au bûcher.
« Dans la Bithynie chrétienne du Ve siècle, vivait une jeune vierge nommée Marina. À l’âge de
quinze ans, elle entra, à la suite de son père, dans un monastère d’hommes où, ayant réussi à
dissimuler son identité sexuelle, elle mena une existence de contemplation et de pénitence. Après sa
mort, l’Église la canonisa sous le nom masculin de Marinus.
Traducteur et interprète de cette légende, le narrateur élabore le récit de son propre cheminement
spirituel, à la fois contrepoint et écho de l’aventure intérieure de Marina. Le texte étranger – à sa
langue, à sa culture et à sa foi – devient la lumière qui lui permet de déchiffrer peu à peu sa
biographie, au cœur de laquelle la question de l’adhésion au masculin ou au féminin s’impose
comme un problème limite qui ne débouche, ici, sur aucune voie de salut. »
Dans le premier chapitre, le narrateur évoque son cheminement spirituel, et le moment où il s’est
révélé à lui-même. Voici la fin du chapitre :
« Je me tenais debout dans un espace mort, en un temps totalement dénoué. Il n’y avait, par ici,
plus de murs, plus de portes, plus de couloirs ni d’escaliers. Le couvent avait à peu près la
consistance d’une ombre précipitée dans le vide. L’attente même de l’Abbé, suspendue à sa
question, avait cessé de peser sur moi. Mon cœur, maintenant sourd à sa parole, se faisait si léger
en moi que les espaces les plus lointains pouvaient l’inviter à leur conquête – pour autant que
conquérir voulût dire accepter. J’étais libre. Je regardais mes pieds. Jamais je n’avais mis autant
d’espoir en aucun de mes regards. Ils étaient nus dans leurs sandales et je souriais à leur
obscénité. » (p. 82)
On passe dans le chapitre II à la réécriture proprement dite de la Vie de sainte Marine. Marina,
que son père Eugène a abandonnée pour partir au monastère de Maria Glykophilousa, fait un
rêve :
« Marina rêve à Marina : elle va se marier mais elle ne connaît pas encore son fiancé. Elle est
toute vêtue de fleurs blanches et roses et ces fleurs ne sont pas une parure extérieure à elle-même,
mais elles ont poussé sur sa peau et leurs racines sont nées de sa chair. Le corps de Marina est
comme l’humus nourricier d’une merveilleuse floraison avec laquelle il ne fait qu’un car il n’y a
pas de distance, pas d’intervalle, entre l’être de la chair et le paraître de la beauté. Toutes ces
corolles fraîches écloses sont Marina et celle-ci, qui s’avance comme peut se dérouler un jardin ou
une prairie, ne fait que marcher à travers elle-même sans jamais se distinguer de soi. Marina est
tout à fait consciente de sa beauté, elle a envie d’elle-même, elle voudrait se rouler dans ses
propres fleurs et se cueillir à pleines brassées. Cependant, comme elle est sur le point de pénétrer
dans l’église et se prépare à rencontrer son fiancé, elle s’aperçoit que ses pieds sont nus. » (p. 100)
Document 4. L’Annonciation de Francesco del Cossa (circa 1470)
Drawing, colored pencil and graphite on paper. Dimensions 101.6 cm × 76.2 cm.
Collection SFMOMA.