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Traducción Esta noche moriré, Fernando Marías

Je me suis suicidé il y a 16 ans. C’est une période suffisante pour que vous m’ayez oublié,
Delmar, ou au moins pour que se soit effacée en partie la netteté de mon souvenir. C’est
pourquoi et avant tout je voudrais me présenter correctement, je vous demanderais de
fournir un effort, que vous obligiez votre esprit à surmonter l’affaiblissement que provoque
l’alcool  parce que vous êtes saoul, n’est-ce pas ? saoul comme toujours et que vous
déplaciez votre mémoire 20 ans en arrière, pendant les derniers jours de 1970, quand vous
étiez un jeune et brillant commissaire de police, le plus décoré de la ville et également le
plus imbu de sa personne et de son inébranlable dureté, le plus orgueilleux de ses succès,
notamment le préféré de la presse mondaine, qui plus d’une fois vous a désigné comme un
idéal masculin, même si personnellement votre tendance à imiter les détectives de cinéma
m’a toujours parue ridicule. A ce moment vous fûtes destiné, pour notre malchance à tous
les deux, la votre et la mienne, au quartier au sein duquel j’exerçais mes activités, ou, pour
être plus exact, celui où se situaient mes bureaux, car les affaires de mon entreprise se
développaient  et sans aucun doute se développent toujours  dans des douzaines de
lieux répartis dans le monde entier.
Vous vous en souvenez ? Vous vous souvenez de ce déplacement, votre arrivée
prétentieuse au quartier, votre arrogant discours de prise de possession, chargé de
menaces contre ceux que vous appeliez ennemis publics, vos grossières conférences de
presse ? Si c’est exact  et je suis certain que ça l’est  vous vous souviendrez aussi avoir
dédié les premiers jours de votre mandat à rendre visite personnellement à une série de
criminels notoires. C’est le mot que vous avez employé pour me définir le jour où vous avez
fait irruption dans le bureau de direction de ma galerie d’art. Vous n’aviez pas de preuves
contre moi, vous n’étiez même pas certain à quel point mes activités frôlaient l’illégalité ou
s’entremêlaient directement avec elle, mais votre intuition était un doigt accusateur qui me
signalait et c’est de cette manière que vous me le faisiez savoir. Je vous vois encore debout
face à moi, posé sur le crâne le chapeau de costume de film, les mains sur les hanches,
menaçant et hautain, croyant tellement à votre rôle de justicier de la ville que vous étiez
vraiment en colère quand vous avez juré, avec vos manière de docker au chômage, d’en
finir avec moi et avec mes affaires de falsification d’art et de contrebande d’argent…
Croyez-moi, quand je me rappelle cette entrevue, ces paroles, aujourd’hui encore croît un
peu plus en moi la haine à votre encontre. Falsificateur et contrebandier sont des termes
qui s’appliquent aux délinquants communs, pas à moi. Moi je suis un artiste, assez
orgueilleux de mon talent pour ne reculer devant rien pour l’exercer… Même si j’ai
toujours su qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, sans s’embarrasser qu’ils
aient des noms ou qu’ils marchent sur deux jambes.

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