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TRADITION ET TRANSMISSION.

AUGUSTIN, CYPRIEN ET LA QUESTION


DU BAPTÊME DANS LE CONTEXTE DU SCHISME DONATISTE

Carlos García Macgaw


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Presses universitaires de Franche-Comté | « Dialogues d'histoire ancienne »

2014/1 40/1 | pages 109 à 123


ISSN 0755-7256
ISBN 9782848674872
DOI 10.3917/dha.401.0109
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-dialogues-d-histoire-ancienne-2014-1-page-109.htm
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Dialogues d’histoire ancienne 40/1-2014, 109-123

Tradition et transmission. Augustin, Cyprien


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et la question du baptême dans le contexte du schisme donatiste

Carlos García MacGaw*

Dans cet article j’ analyserai le sujet de la tradition et la transmission des pratiques


baptismales dans les églises africaines entre le IIIe et le Ve siècles. Une tradition dans le
sens exposé par Lenclud (1994 : 33) quand il dit que « une tradition serait une rhétorique
de ce qui est supposé avoir été, un point de vue rétrospectif, une “filiation inversée” », et
aussi que « la tradition exhibe un morceau de passé taillé aux mesures du présent dans un
atelier tout à fait contemporain ».
En particulier, j’ étudierai quelques fragments de l’ ouvrage De baptismo libri VII
d’ Augustin de Hippone, où sont repris certains fragments des lettres de Cyprien de
Carthage en rapport avec la querelle baptismale du IIIe siècle avec l’ évêque Étienne de
Rome. On observera la façon par laquelle Augustin, dans le contexte du conflit avec les
donatistes, utilise les écrits de Cyprien pour récupérer la tradition religieuse africaine qui
était disputée par l’ église donatiste. Pour atteindre cette fin, l’ évêque d’ Hippone manipule
la transmission de l’ œuvre de Cyprien avec l’ objectif d’ atteindre à une adéquation aux
nouvelles perspectives théologiques catholiques du Ve siècle.
On présente ici trois points. Le premier développe brièvement le surgissement du
schisme donatiste, le deuxième étudie la position théologique baptismal de Cyprien en
relation aux traditions antérieures, et le troisième analyse l’ ouvrage d’ Augustin.

1 - Le schisme1
Le diacre Cécilien est élu évêque de la cité de Carthage en 311, après la mort de
l’ évêque Mensurius. Il existait d’ autres aspirants à la chaire épiscopale qui s’ opposaient
*  
Université de Buenos Aires, IdIHCS – Universidad Nacional de La Plata
1 
Les œuvres les plus importantes sur l’ histoire du donatisme sont les suivantes : Monceaux (1912 : IV, V et VI), Frend
(1952), Brisson (1958), Congar (1963 : 9-133), Tengstrôm (1964). Voir aussi Maier (1987-1989) sur le dossier du donatisme.

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à son élection. Ils étaient l’ expression de factions politiques-religieuses dans l’ Église de


Carthage, qui était la deuxième cité la plus grande de l’ Occident romain. Cécilien fut
accusé d’ avoir été ordonné par un traditor2, Felix d’ Abthungi, et d’ avoir persécuté les
familiers des martyrs d’ Abitina pendant qu’ il était diacre de Carthage, durant l’ épiscopat
de Mensurius, en 304, pendant la persécution de Dioclétien. Ce groupe de martyrs a été
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amené à Carthage pour être jugé par le proconsul après avoir confessé la foi chrétienne
durant la persécution. Cécilien et Mensurius furent accusés de ne pas avoir permis aux
familiers d’ emporter des aliments aux confesseurs à la prison. Quelques uns moururent
peut-être à cause de ça, ou peut-être à cause des tortures3.
Le primat de Numidie, Secundus de Tigisis, a été appelé pour aider à régler la
situation. Il faudrait souligner qu’ il existait aussi une rivalité établie entre le primat de
Numidie et le patriarche carthaginois parce que la Numidie voulait disputer la primauté
politique ecclésiastique qu’ avait Carthage4. Secundus convoqua alors 70 évêques de sa
province pour réunir un concile afin de régler la question. Cécilien n’ y assista pas parce
qu’ il croyait que les conditions nécessaires à un procès juste n’ étaient pas remplies. Le
concile déclara nulles l’ élection et l’ ordination de Cécilien et son siège fut déclaré vacant.
Quelques jours après les Numides se réunirent encore une fois pour élire un successeur,
appelé Majorinus, qui était lecteur de l’ Église carthaginoise. Ils ont rédigé aussi une
lettre synodale qui fut envoyée à toutes les églises de l’ Afrique. Un grand nombre de
fidèles accordèrent foi aux lettres reçues et se séparèrent de Cécilien, c’ est ainsi que le
schisme a éclaté. Le groupe schismatique a été appelé « donatiste » (ou ceux du parti de
Donat), à cause de l’ évêque Donat de Cases-Noirs (Casae Nigrae) qui a occupé la place
de Majorinus en 313.
Après la double élection de Cécilien et Majorinus, Constantin battit Maxence
dans la bataille du pont Milvius et devint le maître de l’ Italie et l’ Afrique. Il reconnut
l’ Église catholique en Afrique et envoya une lettre à Cécilien lui expliquant sa volonté
d’ accorder une subvention à divers ministres de l’ Église catholique d’ Afrique, Numidie
et Maurétanie. Peu après ces faits, quelques personnes se présentèrent devant le proconsul
d’ Afrique en portant des accusations contre Cécilien et en demandant à l’ empereur de
juger l’ affaire dans les Gaules.

2 
Le mot vient du verbe tradere, livrer. Il réfère aux chrétiens qui ont livré les écritures aux autorités romaines pendant
les persécutions.
3 
Passio SS. Dativi, Saturnini Presb. et aliorum 20 (PL 8, 690A).
4 
Monceaux (1912 : IV, 12 et 18).

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Constantin désigna trois évêques des Gaules et leur ordonna de se présenter


auprès de Miltiade, l’ évêque de Rome. Un concile se réunit en octobre 313 au palais
du Latran, avec des autres évêques italiens et les factions africaines. Le résultat fut
unanimement favorable à Cécilien, maintenu dans sa chaire. Les donatistes n’ acceptèrent
pas ces résolutions et demandèrent à l’ empereur d’ intercéder une nouvelle fois en leur
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faveur. Constantin convoqua un nouveau concile en envoyant des lettres à des évêques
des provinces occidentales. Le concile se déroula à Arles en août 314 et favorisa, encore
une fois, Cécilien.
Les informations concernant le concile d’ Arles sont obscures et les décisions sont
connues à travers la lettre adressée par Constantin au Pape Sylvestre qui n’ y avait pas pris
part5. Une des questions qui apparaît dans cette lettre est l’ affaire du baptême traitée
dans la règle 8. Cette règle expose que si la personne qui se présente pour se faire baptiser,
peut répondre aux questions qu’ on lui pose, alors on peut considérer qu’ il a été baptisé
au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, donc on se contente de lui imposer les mains
afin qu’ il puisse recevoir l’ Esprit Saint6. Dans les résolutions des Romains et des Gaules, il
faut reconnaître une volonté de contrôler les pratiques des Africains dissidents, de la part
de l’ État et des catholiques. Cela expliquerait la nécessité de chercher des appuis dans les
églises d’ outre-mer, mais les Italiens, spécialement les Romains, on profité cette situation
pour imposer définitivement leurs points de vue sur la question baptismale qui n’ étaient
pas les mêmes. On reviendra sur cet aspect un peu plus tard.
Constantin ne put pas contrôler les donatistes même s’ il les persécuta avec
violence. Il décida de promulguer une loi ordonnant la confiscation, au profit du fisc,
des basiliques et de tous les endroits où il tenaient leurs assemblées, mais finalement
l’ empereur se résigna et promulgua un édit de tolérance. Pendant le gouvernement de
Constant ils souffrirent de persécution, mais quand Julien arriva au pouvoir les donatistes
lui demandèrent le retour de tous les bannis, la restitution des basiliques qu’ on leur avait
confisquées, etc., bref, que tout soit remis en l’ état où les choses se trouvaient avant
l’ intervention du pouvoir impérial. L’ empereur répondit favorablement à ces demandes.
Sous Valentinien I les persécutions reprirent mais, cependant, depuis 370 le donatisme
était devenue l’ Église majoritaire en Afrique. Néanmoins il faut dire que le schisme ne
dépassa jamais les frontières de cette région.
Le concile plénier d’ Hippone en 393 marque le début de l’ adoption d’ une
politique différente par l’ Église catholique africaine face au donatisme. Dans ce concile,
5 
Mansi (1901 : 469).
6 
Mansi (1901 : 471).

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Aurelius – primat de Carthage – mais surtout Augustin alors qu’ il n’ était que prêtre de
la ville d’ Hippone, eurent une participation remarquable. Ils impulsèrent une politique
de confrontation plus aiguë vers le donatisme, et aussi une propagande plus efficace pour
faciliter la conversion des prêtres et des fidèles schismatiques.
Ils demandèrent de façon insistante et pressante l’ appui de l’ État pour poursuivre
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leurs buts. La cour théodosienne reçut en général favorablement ces demandes. Durant
une situation politique et militaire très compliquée, après le siège et la chute de Rome
dans les mains d’ Alaric, la cour décida de mettre un point final au schisme et convoqua la
Conférence de Carthage en 411 où le schisme fut définitivement condamné et, à partir
de ce moment, persécuté sans faillir.
Il faut signaler que l’ Afrique était le seul territoire dépendant de l’ empereur
d’ occident qui n’ était pas pris par les barbares, et l’ approvisionnement de l’ armée
dépendait de plus en plus de ses ressources.
Sur le schisme on pourrait dire que, du point du vue théologique, les donatistes
n’ avaient pas une vision différente de celle des catholiques, à part une insistance
remarquable dans la pratique du double baptême et à cause de la forte considération
qu’ ils avaient du martyre (cette dernière, en réalité, n’ est pas particulière à ce groupe car
beaucoup de catholiques la partageaient). Les donatistes baptisaient les catholiques qui
rentraient chez eux parce qu’ ils soutenaient que le baptisme qu’ ils avaient reçu hors de
la vraie Église, c’ est-à-dire donatiste, n’ était pas valide. De cette façon ils continuaient la
pratique baptismale africaine depuis le temps de Cyprien. Ils ont été condamnés comme
hérétiques pour réitérer le baptême et pour avoir persisté dans le schisme.

2 - Le baptême et la tradition


La problème du baptême, et je désigne par cette formule le conflit entre ceux qui
pensaient qu’ on pouvait le renouveler ou non, est présent dans les écrits chrétiens depuis
longtemps7. Les antécédents de ce problème remontent au début du IIIe siècle et ils
avaient existé dans plusieurs endroits. En Afrique, au cours d’ un des premiers synodes que
nous connaissions, l’ évêque de Carthage, Agrippinus, avait réuni soixante-dix évêques de
Numidie et d’ Afrique Proconsulaire, pendant l’ épiscopat de Calixte à Rome, c’ est-à-dire
entre 218 et 2228. La totalité d’ entre eux avait été d’ accord pour annuler le baptême conféré
par les hérétiques. On trouve aussi des références d’ un synode à Iconium en Phrygie, peut-être
7 
Sur le baptême primitif voir Coppens (1928), Benoit (1953), Legasse (1993).
8 
Cyp., Ép., 71.4.1 et 73.3.1 ; García Mac Gaw (2008 : 134) ; Hefele (1907 : I, 55).

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entre 230 et 235, où avaient participé des évêques de Galatie, de Cilicie et des autres régions
voisines, et qui avait prononcé l’ invalidité de tout baptême conféré par un hérétique9.
Mais, avant de ces dates, peut-être entre 200 et 206, Tertullien avait déjà esquissé
cette prise de position dans son De baptismo, un traité écrit pour adresser une série
d’ instructions aux néophytes et aux catéchumènes de l’ Église carthaginoise10. Quant
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au baptême des hérétiques, la négation de Tertullien est totale. Pour lui les hérétiques
sont des étrangers parce qu’ ils sont privés de la communion. Leur intégration n’ entre
nullement dans ses intentions et il refuse la possibilité de placer au même niveau le
baptême hérétique et orthodoxe11. Il dit que les hérétiques n’ ont ni le même dieu ni
le même Christ. La déviation constitue pour lui une différence radicale et non pas un
désaccord sur quelques éléments de la doctrine, et alors l’ idée d’ un groupe ou d’ une
secte fermée est présente. Il existe chez Tertullien une idée d’ unité indestructible entre
la possession de la doctrine, la participation aux rites qu’ elle permet et l’ appartenance au
groupe, et cette idée organisera également la pensée de Cyprien12.
Le surgissement du conflit autour du baptême vers le milieu du IIIe siècle en Afrique
est bien l’ expression d’ un conflit de pouvoir entre les chaires de Rome et de Carthage. On peut
suivre la tension entre les deux sièges depuis l’ arrivée de Corneille en 251 à la chaire de Rome
et les rapports établis avec Cyprien. Tension qui s’ exprime à travers l’ influence de Cyprien
dans l’ élection de Corneille contre Novatien, l’ éclatement du schisme novationiste à Rome,
et le déclenchement à Carthage, et le problème des lapsi et les politiques pour résoudre cette
question ; tension notamment exprimée dans la lettre 59 des épîtres de Cyprien13.
Après la mort de Corneille, Étienne est élu évêque de Rome en 254. Avec lui
commence le conflit du baptême, c’ est à dire le conflit autour des politiques orientées
vers les novationistes qui veulent retourner vers l’ Église catholique et la nécessité ou non
de leur renouveler le baptême14. On peut suivre le détail de cet épisode dans les épîtres de
Cyprien dans la lettre 69 où le sujet apparaît15.
9  
Cyp., Ép., 75.7.5 et 19.4 ; Euseb., Hist. Eccl., 7.7.5 ; García Mac Gaw (2008 : 135) ; Hefele (1907 : I, 161).
10 
Sur la date du De baptismo cf. Refoulé (1952 : 10 sq.).
11 
Tert., De bapt., 15.1.
12 
Cf. Refoulé (1952 : 12-53).
13 
García Mac Gaw (2008 : 111-16).
14 
Hall (1987), Patout Burns (1993).
15 
Mais il est déjà exprimé par quelques accrochages dans la lettre 67. C’ est la réponse à une épitre envoyée par les
Espagnols en demandant l’ opinion des Africains sur le remplacement des évêques Basilides et Martialis souillés de billets
d’ idolâtrie, cf. García Mac Gaw (2008 : 120-3).

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Comme le baptême est le sacrement qui autorise l’ entrée dans la communauté


des fidèles, il a une relation directe avec les aspects institutionnels. Cyprien, dans
sa perspective théologique, reprend une conception baptismale déjà présente chez
Tertullien : le néophyte est incorporé après ce rite à une communauté de frères, il ne s’ agit
pas simplement d’ un acte de rénovation personnelle. Ce sacrement est l’ acte d’ inclusion
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qui marque l’ individu comme membre de plein droit dans cet ensemble. Pour Cyprien,
la place de celui qui confère le sacrement est donc déterminante. Seul quelqu’ un du
« dedans », un membre de l’ Église, est censé posséder un état spirituel susceptible de
« donner » le Saint-Esprit, et peut effectuer cette opération d’ inclusion/intégration.
L’ acte du baptême scelle une alliance qu’ implique la rénovation spirituelle du nouveau
venu au moyen de la rémission complète de tous ses péchés. Alors, d’ après Cyprien,
il est logique que celui qui est censé pouvoir réaliser cette opération soit quelqu’ un
appartenant au groupe – en fait un membre de l’ Église – et non un étranger. Étienne
reprenait le rite selon les Romains, qui acceptaient comme valable le sacrement donné
dehors de l’ Église s’ il existait une invocation correcte et une disposition intérieure du
croyant. Mais pour Cyprien, qui reprenait la tradition africaine, ce n’ est pas la rénovation
personnelle de l’ aspirant qui joue un rôle déterminant pour l’ octroi de l’ inclusion, mais
la communauté. La condition personnelle individuelle, c’ est-à-dire un état nécessaire de
pureté spirituelle, était liée à la place occupée dans la communauté catholique. L’ élément
central du raisonnement est lié à l’ idée d’ Église conçue par Cyprien : on ne peut pas
séparer les actions accomplies au nom de l’ Église – c’ est-à-dire les actions des ministres –
de ces mêmes personnes que sont ces ministres ainsi que de ce qu’ ils font à titre personnel.
L’ idée de communauté ne peut passer au-dessus des hommes, qui sont ceux qui font ces
actions.
Ceci préfigure en fait la discussion qui aura lieu entre donatistes et catholiques au
siècle suivant. Comme les donatistes accusaient les catholiques d’ être souillés du péché
de traditio transmis par Cécilien, ils n’ acceptaient pas le baptême qu’ ils octroyaient parce
qu’ ils considéraient qu’ ils étaient depuis ce moment hors de l’ Église. Au contraire, comme
les donatistes donnaient le baptême avec l’ invocation correcte, c’ est-à-dire au nom du
Père, du Fils et du Saint-Esprit ; les catholiques acceptaient ce sacrement comme valide.

3 - Autour du baptême : Augustin et Cyprien


J’ analyse ici trois exemples présents dans le De baptismo libri VII d’ Augustin pour
démontrer comment l’ évêque d’ Hippone utilise les textes de Cyprien pour renforcer
les positions catholiques face aux donatistes, même si la théologie de Cyprien était plus

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proche de celle des schismatiques. Augustin voulait ainsi rapprocher Cyprien, qui était la
figure la plus représentative de la tradition ecclésiastique africaine, de l’ église catholique.
On pourrait dire, d’ après ces exemples, que l’ idée de tradition suppose aussi l’ idée
d’ intervention sur les textes transmis, alors que la transmission implique toujours une
position active de celui qui transmet.
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En écrivant son De baptismo, Augustin accepte le fait que les donatistes pouvaient
réclamer l’ héritage de la théologie de Cyprien aussi légitimement que les catholiques.
Les donatistes maintinrent la tradition africaine et, à différence des catholiques, ils
continuèrent la duplication de baptême. Le travail d’ Augustin fut en réalité une
réinterprétation théologique qui donna aux catholiques la possibilité de partager cet
héritage de l’ évêque de Carthage. Comme dit Markus (1972 : 28-9), « Looked at
from the point of view of theological continuity [...] Donatism was, quite simply, the
continuation of the old African Christian tradition in the post-Constantinian world.
It was the world that had changed, not African Christianity ». Alors Augustin exprime
la manière dont l’ un des seuls aspects qui différencie les deux églises évolue entre le IIIe
siècle et le début du Ve, la perception du rite baptismal et toute l’ élaboration théorique
que cela implique. Dans cette élaboration Cyprien devient un échelon indispensable
pour la construction de son argumentation.
Il faut signaler que Augustin en réalité est fortement inspiré par l’ œuvre d’ Optat de
Milève, qui vers 362 écrit sa réplique à Parmenianus, évêque donatiste de Carthage après
Donat. Optat professe la théologie romaine des sacrements et s’ oriente résolument vers
Rome comme fondement de la reconnaissance de la vraie Église. Dans l’ œuvre d’ Optat il
y a une inversion de la position soutenue par les Africains au sujet des sacrements depuis
Tertullien jusqu’ à Cyprien16. Cette inversion, on doit le rappeler, avait commencé avec
le déclenchement même du schisme et l’ intervention romaine qui est exprimée dans le
canon 8 du concile d’ Arles relatif au baptême.
La production du De baptismo libri VII se situe entre 400 et 40117. Dans son
premier livre Augustin traita fort en détail du thème du baptême, et tâcha de résumer
la position de l’ église catholique à l’ encontre des positions donatistes, tandis que les six
autres livres analysent la question de l’ autorité de Cyprien dans cette controverse. La
position d’ Augustin a varié à propos de la question du baptême. Au début il croyait que
l’ habitude donatiste du nouveau baptême ne s’ appuyait pas sur une tradition africaine
et constituait une création. Cependant, vers l’ époque où il écrit cette œuvre il reconnaît,
16 
Bavaud (1964 : 71-80) ; Labrousse (1996 : 223-42).
17 
Je suis ici les considérations générales de Monceaux (1912 : VII, chap. 1).

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quelques fois avec des doutes, que les donatistes trouvaient le fondement de leur théorie
baptismale dans les écrits de Cyprien.
Augustin part de l’ idée de la possibilité de l’ existence des sacrements hors de
l’ église catholique. Alors, si le sacrement peut exister en dehors d’ elle, il peut tout aussi
bien être conféré à l’ extérieur. Il est possible de « l’ avoir » (haberi) ou de « le donner »
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(dari) « hors » (foris) de l’ Église18. La question du « dehors » et du « dedans » (intus)
apparaît comme déterminante et institue une logique topologique. Pour Augustin, celui
qui était dehors et revient à l’ église catholique, ayant été baptisé hors d’ elle, profitera
(prodesse) du sacrement qu’ il peut recevoir au-dehors mais sans profit. Alors le baptême
devient « utile » (utiliter) ou le fait que l’ on en « profite » dépend du lieu où se trouvent
celui qui le reçoit et celui qui le confère. Une différence est donc marquée entre la seule
existence du baptême et ses fruits, c’ est-à-dire la rémission des péchés. Si le baptême se
trouve dans la communion catholique il est, de surcroît, légitime, mais s’ il existe dehors
– chez les donatistes, par exemple – son existence est illégitime.
Il faut souligner qu’ en marquant la différence entre le baptême valable légitime ou
illégitime, l’ argumentation est alors fondée sur un plan identique mais à un autre niveau
que celui abordé jusque-là. Cette situation met en valeur la différence inclusive et dans
ce cas la légitimité du baptême, et non l’ acte d’ octroi. Lorsque Augustin établit que le
baptême peut bien ne pas remettre les péchés dans la mesure où il existe sans légitimité,
il est clair qu’ en ce cas il ne produit aucun effet intérieur à l’ âme19. C’ est-à-dire que la
différence validité-invalidité du baptême sanctionne un clivage entre chrétiens et non
chrétiens, tandis que la différence légitimité-illégitimité du baptême différencie les
catholiques et les schismatiques-hérétiques. Le discours augustinien ne reconnaît qu’ à
ce deuxième moment l’ ingérence de l’ institution, qui cherche par ce déplacement à
marquer des domaines d’ influence en dehors du corps de l’ Église, qui devient l’ institution
nécessaire à la légitimation de tout ce qui est dû au Christ mais qui, cependant, existe en
dehors d’ elle.
Poser l’ existence du sacrement affirmé sur la base de sa propre sainteté et
indépendant du lieu où il est administré nous amène, donc, à redéfinir la relation entre
l’ Église et le sacrement. L’ Église est transcendée quant à sa manifestation physique
matérielle (son topos, ou son locus, formé par ses espaces sacrés et par ceux qui participent
à ses rites) comprenant maintenant tout ce qui lui appartient étant donné sa nature sacrée.
18 
De bapt., 1.1.2.
19 
Cf. sur cette question Pourrat (1907 : 133), Batiffol (1929 : 161), Flöeri (1962 : 389), Bavaud (1964 : 585-6), Wright
(1987), García Mac Gaw (2008 : 246-9).

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Dans le cas du baptême, tout rite baptismal correctement invoqué appartient à l’ église
catholique. Cette affirmation ayant pour contrepartie nécessaire une « existence » sans
« légitimité ». Cette lecture est fondée sur le critère totalisant et inclusif que s’ arroge
l’ église catholique en tant que seule et vraie institution administrant le message du Christ
sur la terre. Par ce mouvement l’ église catholique s’ attribue le « droit » d’ influer sur tout
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ce qui est « dehors », puisqu’ il lui appartient en puissance20.
Cette distinction entre le sacrement proprement dit et son fruit, ou son effet, est
perçue par Augustin comme la clé lui permettant d’ élaborer une théorie baptismale qui
dépasse celle de l’ époque de Cyprien. En parlant de ce moment, Augustin dit,
... certains pontifes du Christ, même des personnages remarquables parmi lesquels brillait
surtout le bienheureux Cyprien, estimèrent que les hérétiques et les schismatiques ne
pouvait avoir le baptême du Christ ; c’ est qu’ ils ne distinguaient pas entre le sacrement et
l’ effet ou le fruit du sacrement. Ils n’ en trouvaient pas chez les hérétiques l’ effet et le fruit :
la délivrance du péché et la rectitude du coeur ; par suite ils croyaient aussi à l’ inexistence du
sacrement chez ces hommes.
(De bapt., 6.1.1)21

Il est clair que, par ce mouvement rhétorique, Augustin situe dans le passé une
perception contemporaine qu’ il soutient lui-même, pour imposer cette perspective
comme si elle avait été effective à un moment où elle n’ existait pourtant pas : non esse
posse aput haereticos uel schismaticos baptismum Christi, nisi quia non distinguebatur
sacramentum ab effectu uel usu sacramenti. Cette distinction entre la possession du
sacrement et son effectus et usus fait partie de la matrice de la pensée augustinienne et
l’ absence de cette distinction dans le passé n’ aurait jamais pu fonctionner comme un
fondement pour expliquer la position de Cyprien.
Augustin, en plus, dédouble le rite en deux morceaux, le baptême et l’ imposition
des mains. Le sacrement n’ appartient pas aux hommes mais au Christ, il est donc sacré.
Or, ce rite est rendu légitime s’ il est accompli dans le groupe identifié comme étant le

20 
Ce « droit » revêtu de « l’ obligation morale », en tant que justification pour agir et éviter les pertes des âmes qui
« appartiennent » au Christ, sera invoqué pour demander l’ intervention coercitive de l’ État contre les schismatiques. Par
exemple, Aug., Ép., 93 qui loue à plusieurs reprises l’ utilisation de la force en tant que mécanisme permettant la conversion
des schismatiques à l’ orthodoxie. Cf. Brown (1964).
21 
... inter quos praecipue beatus Cyprianus eminebat, non esse posse aput haereticos uel schismaticos baptismum Christi, nisi
quia non distinguebatur sacramentum ab effectu uel usu sacramenti ; et quia ejus effectus adque usus in liberatione a peccatis et
cordis rectitudine aput haereticos non inueniebatur, ipsum quoque sacramentum illic non esse putabatur. On prend toujours
la traduction de G. Finaert dans Œuvres de Saint Augustin, Bibliothèque augustinienne, t. 29, Desclée De Brouwer, Paris,
1964.

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118 Carlos García MacGaw

« lieu correct » ou s’ il est revalidé par l’ imposition des mains. En effet, l’ Esprit saint,
qui n’ est conféré que « dedans » (au lieu correct), rend les dons légitimes et capables
d’ opérer ; cette « circulation » de l’ Esprit se réalisant à travers l’ imposition des mains.
Comme simple action humaine cet acte peut donc être rénové, car Augustin (De bapt.,
3.16.21) dit que « Quant à l’ imposition des mains, il n’ en est pas comme du baptême
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et on peut la renouveler ; qu’ est-ce, en effet, sinon une prière dite sur un homme ? »
(Quid est enim aliud nisi oratio super hominem ?). Augustin a procédé à un dédoublement
du rituel permettant, à un moment différent, que l’ action humaine y soit exercée. Le
sacrement demeure divin mais il n’ opère pas sans la légitimité qui n’ est obtenue qu’ à
travers l’ imposition des mains.
C’ est au livre II qu’ Augustin commence véritablement à traiter la figure de
Cyprien. Il reconnaît qu’ à l’ époque de Cyprien l’ Église n’ avait pas étudié attentivement
la question du baptême, mais elle gardait, au sujet des hérétiques et des schismatiques,
l’ habitude de ne pas réitérer ce qui avait été donné. Selon lui, cette coutume, comme
bien d’ autres, provenait de la tradition des apôtres (2.7.12 : Quam consuetudinem credo ex
apostolica traditione venientem), qui ne l’ avaient gardée ni à travers leurs écrits ni dans les
conciles de leurs successeurs, « et pourtant, gardées qu’ eux sont à travers toute l’ Église »
(et tamen quia per uniuersam custodiuntur ecclesiam). Augustin dit que, selon Cyprien
(Ép., 71) il y avait eu un modification de cette habitude par Agrippinus de Carthage.
Mais la vérité est que dans cette lettre, Cyprien (Ép., 71.4.1) fait appel à une tradition
africaine, et remonte aux décisions du concile d’ Agrippinus pour renforcer la position
africaine face aux Romains. Certains historiens on cru trouver là, en suivant Augustin,
un indice de l’ existence d’ une innovation des Africains sur le baptême22. Mais, comme
nous avons déjà vu dans le cas de Tertullien, la pratique de baptiser ceux qui venaient de
l’ hérésie était institusionnalisée au moins dans certains parties de l’ Afrique. Augustin
(2.7.12) considère qu’ « il est plus exact de croire qu’ Agrippinus s’ est mis à fausser cette
coutume plutôt qu’ à la corriger ». Deux points méritent une remarque. Premièrement,
Augustin croit que les choses en sont là sans jamais les affirmer, car il manque d’ éléments
pour le faire. Si cette question du baptême était aussi précisément démontrée dans les
Écritures, les affrontements au sujet de la question du baptême ne se seraient pas produits.
Deuxièmement, aucune des épîtres de Cyprien n’ attribue à Agrippinus l’ innovation
au sujet de la question du baptême. Les informations disponibles conduisent plutôt à
conclure qu’ à l’ époque de Agrippinus, comme à celle de Cyprien, il y avait des opinions

22 
Sage (1975 : 308).

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Tradition et transmission. Augustin, Cyprien et la question du baptême... 119

différentes sur ce sujet, qui furent résolues par un concile. On peut voir dans cet exemple
comment le problème du baptême est traversé par la question de la tradition.
Finalement je voudrais prendre la question de la perception de l’ Église, parce
que c’ est à partir de cette représentation que tous les acteurs construisent une théologie
baptismale. Dans le dernier livre du De baptismo (7.49.97), Augustin analyse l’ épître 69
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de la correspondance de Cyprien. Il écrit,
Cyprien nous donna un avis pressant et clair sur la société dans laquelle il nous fait voir
l’ Église. Il dit à propos de quelqu’ un : « Traitez-le en étranger, en profane, en ennemi de la
paix du Seigneur et de l’ unité du Seigneur, en homme qui n’ habite pas la Maison de Dieu
c’ est-à-dire l’ Église du Christ où n’ habitent que ceux qui forment un même cœur et une
même âme»23

Augustin s’ arrête sur la définition suivante : in ecclesia Christi, in qua non nisi
concordes atque unanimes habitant. Il en déduit qu’ « il est hors de doute qu’ ils n’ habitaient
pas l’ Église du Christ, tout en y paraissant à l’ intérieur, ceux à qui l’ envie et l’ esprit de
querelle faisaient sans charité annoncer le Christ ». Et il explique aussitôt que « Cyprien
entend par là que l’ apôtre Paul a évoqué, non les hérétiques ou les schismatiques, mais de
faux frères vivant avec lui au sein de l’ Église ». Cependant, il est évident que, dans cette
lettre, Cyprien fait clairement allusion à Novatien quand il parle de l’ étranger, le profane
et l’ ennemi (alienus, profanus, inimicus), c’ est lui exactement l’ hérétique et schismatique.
Lorsque Cyprien affirma qu’ « enfin c’ est l’ union de sentiment qui unit les chrétiens par
les liens solides et indissolubles de la charité, ainsi que le proclament aussi les sacrifices
mêmes du Seigneur » ; pour Augustin (7.50.98)
ces paroles de saint Cyprien montrent qu’ il a compris et chéri la beauté de la Maison de
Dieu, Maison qui se compose de membres unis d’ esprit et de cœur selon son affirmation que
prouvaient le témoignage prophétique et le symbolisme des sacrements. Là, bien sûr, il n’ y
avait pas ces envieux et ces malveillants sans charité qui pourtant baptisaient24.

Cette dernière affirmation est nettement augustinienne, bâtie sur l’ idée de l’ Église
céleste et de l’ Église terrestre25. Elle n’ est pas incluse dans la lettre de Cyprien critiquant
l’ attitude des novationistes. Certes Cyprien reconnaît dans l’ Église la présence d’ indignes,

23 
... satis aperteque nos ipse commonuit, in quali societate oporteat intellegi ecclesiam. ait enim de quodam loquens : “alienus
fiat et profanus, dominicae pacis ac dominicae unitatis inimicus, non habitans in domo dei id est in ecclesia Christi, in qua non
nisi concordes adque unanimes habitant”.
24 
... in qua utique non erant illi inuidi et sine caritate maliuoli, qui tamen baptizabant.
25 
Cf. García Mac Gaw (2010) sur l’ importance du conflit donatiste dans l’ imaginaire de l’ Église et la société dans
Augustin.

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120 Carlos García MacGaw

mais il n’ en établit pas moins l’ existence d’ une église des justes face à l’ église terrestre dans
laquelle sont mêlés justes et pécheurs. Augustin signale que dans la Maison de Dieu ne
sont pas les envieux et malveillants sans charité « qui pourtant baptisaient », qui tamen
baptizabant. Et, un peu plus loin, il déduit que « Il ressort par là que le sacrement du
Christ peut être possédé et donné par ceux qui ne sont pas dans cette Église du Christ où
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l’ on ne réside que dans l’ union d’ esprit et de cœur, au témoignage même de Cyprien »26.
C’ est-à-dire la position exactement inverse à celle que Cyprien soutenait.
Les différentes perceptions de l’ Église dans le monde et l’ évidence des pratiques
assumées par les fidèles, par rapport à leur propre communauté et en dehors d’ elle,
façonnent et adaptent les élaborations théologiques qui étaient le fondement des
positions doctrinaires sur les sacrements. Les perceptions des sacrements, en particulier
du baptême, ont évolué pendant le temps avec les transformations des institutions et les
perceptions autour d’ elles mêmes, dans ses rapports avec le contexte social et politique,
qu’ avaient les chrétiens. L’ idée de possession du sacrement est déjà présente dans l’ œuvre
de Tertullien sur le baptême, et on tient pour sûr là que ceux qui sont « hors » de l’ Église,
les hérétiques, ne le possèdent pas. Ces idées seront reprises par Cyprien, puis transformées
par Augustin, qui tâchera de les dépasser à partir d’ autres critères (validité, légitimation,
profit). La base de la perception des deux premiers Africains est l’ évidence d’ une unité
ferme entre la possession de la doctrine, la coparticipation aux rites et l’ appartenance au
groupe. Cette communauté, même après les transformations qui existent entre Tertullien
et Cyprien, reste encore comme un groupe restreint, susceptible d’ être pensée comme un
objet étranger dans l’ ensemble social. Augustin, en revanche, pense la société et l’ Église à
partir d’ un autre cadre conceptuel.
Le but de la rédaction du De baptismo n’ est certes pas l’ étude de la théorie
baptismale de Cyprien en elle même, mais son analyse à partir de l’ urgence de sauvegarder
l’ image de Cyprien en tant que martyr de la “vraie” Église, à l’ encontre des donatistes. La
recherche de la construction d’ un emblème pour le christianisme catholique est d’ autant
plus évidente que Cyprien est évoqué non pour sa théorie baptismale, qui est en fait mise
en question, mais pour sa permanence dans « l’ unité » de l’ Église. La récupération de
Cyprien n’ aura lieu qu’ après la modification des positions de celui-ci dans le but délibéré
d’ en détruire la portée sans atteindre sa personnalité. Cette œuvre est conçue pour la
communauté africaine catholique et non pour s’ opposer aux donatistes, parce que,
d’ après Augustin, elle devait apprendre pourquoi Cyprien s’ était trompé et pourquoi, en
26 
Ex quo apparet et in eis esse posse adque ab eis dari posse sacramentum Christi qui non sunt in ecclesia Christi, in qua non
nisi unanimes et concordes habitare Cyprianus ipse testatur.

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Tradition et transmission. Augustin, Cyprien et la question du baptême... 121

dépit de cela, il pouvait toujours être considéré comme un martyr de l’ église catholique
et non de l’ église donatiste. Augustin récupère la figure de Cyprien, et toute la charge
symbolique qu’ il portait dans l’ histoire de l’ église africaine, c’ est-à-dire la tradition que
lui même incarnait en la vidant de ses positions polémiques.
C’ est ainsi qu’ Augustin “construit” une lecture de Cyprien qui est au service de son
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modèle de martyr de l’ église catholique. La mise hors du contexte historique constitue le
mécanisme retenu comme fondement de cette interprétation de ses lettres et ses ouvrages.
De cette façon, Augustin ne cherche pas réélaborer la théorie baptismale d’ après Cyprien
avec une logique archéologique. Bien au contraire, sa production se fonde sur une
pratique polémique qui instaure la discontinuité théorique au centre de la réflexion avec
les donatistes. Par contre, il essaie de fixer la tradition du baptême sans modifications
en s’ appuyant dans la continuité depuis les temps des textes apostoliques. Il récupère la
figure de Cyprien d’ une façon absolument “anhistorique” qui cherche à consacrer un
héros en fonction de la nécessité d’ appuyer des intérêts déterminés préalablement fixés.

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122 Carlos García MacGaw

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