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Ministerul Educaţiei şi Cercetării

Proiectul pentru Învăţământul Rural

LIMBA ŞI LITERATURA FRANCEZĂ

Le théâtre français aux XVIIe et XVIIIe


siècles

Diana Carmen RÎNCIOG

2006
© 2006 Ministerul Educaţiei şi Cercetării
Proiectul pentru Învăţământul Rural

Nici o parte a acestei lucrări


nu poate fi reprodusă fără
acordul scris al Ministerului Educaţiei şi Cercetării

ISBN 10 973-0-04568-2;
ISBN 13 978-973-0-04568-0.
Table des matières

TABLE DES MATIÈRES

Unité d’apprentissage Titre Page

Introduction 5

1 Repères historiques et culturels 6

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 1 6


1.1 Caractérisation générale du XVIIe siècle 7
1.2 L’atmosphère culturelle dans un siècle agité par les événements 7
historiques ; l’évolution des idées
Test d’autoévaluation 11
1.3 Le statut de l’écrivain au siècle du classicisme 11
Les clés du test d’autoévaluation 14
Références bibliographiques 15

2 Baroque /vs/ classicisme dans le théâtre du XVIIe siècle 16

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 2 16


2.1 Définition du courant et ses particularités françaises 17
2.2 La vision de l’homme et du monde dans le baroque 18
2.3 L’esthétique baroque 19
Test d’autoévaluation 20
2.4 L’esthétique classique ; L’Art poétique de Boileau 20
2.5 Tableau de textes théoriques et d’arts poétiques 24
Les clés du test d’autoévaluation 26
Test de contrôle 2 27
Références bibliographiques 27

3 L’héroïsme et la noblesse des passions dans les tragédies de Corneille 28

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 3 28


3.1 Vers la tragédie classique 29
3.2 La polémique des règles 30
3.3 Le spécifique du théâtre cornélien 32
Test d’autoévaluation 34
3.4 La moralité cornélienne 36
3.5 Le style des tragédies de Corneille 37
Les clés du test d’autoévaluation 38
Test de contrôle 3 39
Références bibliographiques 40

4 Étude littéraire : Le Cid de Corneille 40

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 4 40


4.1 Le spécifique de la tragédie cornélienne 41
4.2 L’histoire du Cid 41

Proiectul pentru Învăţământul Rural 1


Table des matières

4.3 Conclusions sur le chef-d’oeuvre cornélien, Le Cid 46


Test d’autoévaluation 47
4.4 Les personnages et le rapport dramatique 48
4.4.1 Rodrigue 48
4.4.2 Chimène 48
4.4.3 Don Diègue 49
4.4.4 Don Gormas, le comte 49
4.4.5 Le roi Fernand 49
4.5 Considérations finales sur le théâtre cornélien 50
Les clés du test d’autoévaluation 51
Test de contrôle 4 51
Références bibliographiques 52

5 La violence des passions et la peinture de l’amour chez Racine 53

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 5 53


5.1 Rappel de la théorie du théâtre classique 54
5.2 Jean Racine – un classique exemplaire 55
5.3 Les thèmes fondamentaux de l’oeuvre racinienne 56
5.4 La peinture de l’amour chez Racine 58
Test d’autoévaluation 60
5.5 La complexité des âmes et des caractères 61
5.6 Racine et la société du XVIIe siècle 64
Les clés du test d’autoévaluation 65
Test de contrôle 5 66
Références bibliographiques 66

6 La poétique des tragédies raciniennes 67

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 6 67


6.1 Simplicité de l’intrigue 68
6.2 Les sujets bourgeois et communs 69
6.3 La vérité des passions : la faiblesse humaine 70
6.4 La poésie du théâtre racinien (mélodie et pittoresque) 72
Test d’autoévaluation 73
Les clés du test d’autoévaluation 76
Test de contrôle 6 76
Références bibliographiques 77

7 Le génie de Molière : vérité et comique 78

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 7 78


7.1 La personnalité de Molière ; son succès 79
7.2 La vision de Molière sur le rôle du théâtre 81
7.3 L’hypocrite chez Molière 82
7.4 Le spécifique du théâtre de Molière 84
Test d’autoévaluation 86
7.5 Les critiques du théâtre de Molière 86
Les clés du test d’autoévaluation 88
Références bibliographiques 88

2 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Table des matières

8 Étude littéraire :l’Avare de Molière 89

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 8 89


8.1 Le contexte de l’écriture de la representation de l’Avare 90
8.2 Analyse de la pièce 91
8.3 Le sujet de l’Avare 94
8.4 L’action dans l’Avare 96
Test d’autoévaluation 98
8.5 Les caractères dans l’Avare 98
8.6 La morale dans l’Avare ; le comique et le style 100
Les clés du test d’autoévaluation 102
Test de contrôle 8 102
Références bibliographiques 103

9 L’actualité des types créés par Molière 104

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 9 104


9.1 Molière, peintre de mœurs 105
9.2 L’art de peindre des caractères 106
9.3 Le comique de Molière 107
Test d’autoévaluation 108
9.4 Les idées de Molière 109
Les clés du test d’autoévaluation 113
Test de contrôle 9 114
Références bibliographiques 114

10 Repères historiques et culturels du XVIIIe siècle 115

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 10 115


10.1 Un nouveau climat politique et social 116
10.2 Les moeurs et les idées du siècle des lumières ; science, beaux-arts et 117
littérature
10.3 Le rationalisme et la sensibilité préromantique 118
Test d’autoévaluation 119
10.4 Conclusions 120
10.5 Le cadre historique 121
10.6 Le cadre littéraire 122
Les clés du test d’autoévaluation 123
Références bibliographiques 123

11 Marivaux et le marivaudage 124

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 11 124


11.1 La carrière de Marivaux 125
11.2 Le Jeu de l’Amour et du Hasard 127
11.3 L’originalité de Marivaux ; le « marivaudage » 131
Test d’autoévaluation 132
11.4 Conclusions critiques sur le théâtre de Marivaux 134
Les clés du test d’autoévaluation 135
Références bibliographiques 136

Proiectul pentru Învăţământul Rural 3


Table des matières

12 Beaumarchais et la comédie des moeurs 137

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 12 137


12.1 Beaumarchais, le grand écrivain du classicisme finissant; sa vie, sa 138
personnalité
12.2 Beaumarchais, auteur de comédies 139
12.3 Les traits caractéristiques du théâtre de Beaumarchais, son originalité 141
Test d’autoévaluation 142
12.4 L’importance du moment Beaumarchais dans le renouveau de la 143
comédie
Les clés du test d’autoévaluation 145
Test de contrôle 12 145
Références bibliographiques 146

13 Étude littéraire: le Mariage de Figaro 147

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 13 147


13.1 Genèse et fortune du texte; l’originalité du personnage de Figaro 148
13.2 La Folle journée, une comédie en cinq actes 149
13.3 L’analyse du monologue de Figaro 152
Test d’autoévaluation 153
13.4 Les idées politiques et sociales dans le Mariage de Figaro 154
13.5 Conclusions 155
Les clés du test d’autoévaluation 157
Test de contrôle 13 157
Références bibliographiques 158

14 L’impact esthétique et social du théâtre au XVIIIe siècle 159

Les ojectifs de l’unité d’apprentissage 14 159


14.1 Le rôle du théâtre au XVIIIe siècle; atmosphère fin d’époque 160
14.2 L’esthétique du XVIIIe siècle; une invention de l’époque:le drame 161
Test d’autoévaluation 163
14.3 Panorama final du XVIIIe siècle 164
Les clés du test d’autoévaluation 166
Références bibliographiques 166

Référentiel : Jugements critiques sur le théâtre du XVIIe siècle 167

Bibliographie 177

4 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Introduction

INTRODUCTION

Le module Le théâtre français aux XVIIe et XVIIIe siècles fait


partie du programme d’étude, domaine : langue et littérature
françaises. Il a le statut de cours optionnel de spécialité.

Son objectif est de mettre à votre portée des informations et des


commentaires concernant les auteurs représentatifs de la littérature
française qui ont joué un rôle déterminant dans l’évolution du genre
dramatique. Le but est de faire valoir la contribution de la doctrine
classique, de mettre en relief les particularités structurales et
stylistiques de la tragédie et de la comédie au XVIIe siècle et de faire
comprendre les implications esthétiques et politiques de la comédie
au XVIIIe siècle.

Le module comprend quatorze unités d’apprentissage dont


chacune commence par la présentation des objectifs.

Des Tests d’autoévaluation sont insérés dans chaque unité


d’apprentissage. Les espaces blancs prévus à l’intérieur de ces tests
sont réservés à votre intervention écrite. Pour vérifier vos réponses,
vous devez consulter la rubrique Clés du test d’autoévaluation.

Les rubriques Idées à retenir et Distinguez vous aideront à


faire le point sur les connaissances acquises.

La plupart des unités d’apprentissage contiennent, à la fin, un


Test de contrôle. Des instructions concernant la transmission des
tests de contrôle (étudiant ↔ tuteur) figurent en tête de chaque test.
Vous y trouverez aussi des indications concernant le nombre de
points que vous pouvez accumuler.

Une annexe vous fournit des informations supplémentaires sur


les jugements critiques notables en ce qui concerne les écrivains
étudiés.

L’évaluation de vos compétences, dans ce module d’étude à


distance, domaine langue et littérature françaises, comporte deux
volets: le contrôle continu et l’épreuve administrée lors de l’examen
semestriel. Dans la note finale, le contrôle continu compte pour 40%.
Le poids réservé à l’examen final est de 60%.

Bon travail !

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Le XVIIe siècle: Repères historiques et culturels

Unité d’apprentissage 1

LE XVIIe SIÈCLE : REPÈRES HISTORIQUES ET CULTURELS

Sommaire page

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 1 6


1.1 Caractérisation générale du XVIIe siècle 7
1.2 L’atmosphère culturelle dans un siècle agité par les événements 7
historiques ; l’évolution des idées
Test d’autoévaluation 11
1.3 Le statut de l’écrivain au siècle du classicisme 11
Les clés du test d’autoévaluation 14
Références bibliographiques 15

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 1

Vous vous préparez pour connaître les principaux aspects concernant le phénomène
théâtral en France au cours de deux siècles : le XVIIe et le XVIIIe siècles. A la fin de
cette introduction, vous serez capables de repérer les traits caractéristiques pour le
siècle du classicisme :
• l’évolution des idées, les figures historiques notables, les événements politiques
importants ;
• le cadre culturel avec ses manifestations spécifiques (livres, salons, journaux,
etc.) ;
• les débats religieux et leur influence dans la littérature ;
• le statut de l’écrivain au XVIIe siècle.

6 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Le XVIIe siècle: Repères historiques et culturels

1.1 Caractérisation générale du XVIIe siècle

Le XVIIe siècle français est connu sous le nom du classicisme


Louis XIV, fils de pour la littérature et de Louis XIV pour l’histoire, étant le symbole de
Louis XIII et Anne la grandeur, de l’ordre et de l’autorité. Mais jusqu’au sommet
d’Autriche.
représenté par le règne de Louis XIV, dit le Roi Soleil (fig. 1.1.1), la
A la mort de son
père, Louis XIV
France a connu aussi des périodes troubles. Pour le critique et pour
n’avait que 5 ans. l’historien le siècle s’étend de 1610 (mort de Henri IV) à 1715 (mort
Sa mère, Anne de Louis XIV), comprenant la régence de Marie de Médicis, le règne
d’Autriche, devint de Louis XIII, la domination de Richelieu, la régence d’Anne
régente et prit d’Autriche et le pouvoir de Mazarin (combattu par la Fronde
Mazarin pour parlementaire, la Fronde des princes). L’époque du Roi Soleil est
gouverner. Le jeune l’illustration parfaite de la monarchie de droit divin, où le roi n’est
roi souffrit des responsable que devant sa conscience et devant Dieu.
troubles de la
Fronde. Il fut sacré à Versailles devient le centre qui capte tous les regards, toutes les
Reims en 1654. En
ambitions, tous les talents. Pour devenir fameux en France, il faut
1660, il épousa
l’infante d’Espagne
attirer l’attention du roi, être remarqué par lui. C’est la cour qui
Marie-Thérèse. Son impose la mode, le goût, le bon ton. C’est toujours la cour qui va
règne personnel imposer l’idéal de l’honnête homme , cultivé, distingué, discret,
commença à la mort galant, ayant une élégance extérieure et morale aussi. Il possède la
de Mazarin (1661) noblesse du coeur, malgré son origine modeste quelquefois (il ne
ressemble jamais aux parvenus décrits par Molière). L’écrivain
classique sera, lui aussi, un honnête homme qui écrit pour les
honnêtes gens. Louis XIV va encourager ce type d’écrivain et parmi
ses favoris seront Racine, Boileau, Bossuet. Il a l’intuition que
l’écrivain ne doit pas être uniquement soumis à son protecteur, qu’il
faut admirer son génie, même si on ne l’aime pas (c’est le cas pour
La Fontaine que Louis XIV n’aimait pas du tout ; c’est pourquoi le roi
va se limiter à retarder l’élection du fabuliste à l’Académie française).

1.2 L’atmosphère culturelle dans un siècle agité par les événements


historiques ; l’évolution des idées

En effet, du dernier tiers du XVIe siècle au milieu du XVIIe


siècle, l’instabilité règne dans tous les domaines. Du point de vue
politique, on constate la tendance de la monarchie d’unifier et de
centraliser, tandis que les parlements parisiens et provinciaux
essaient de s’imposer en limitant ou contrôlant le pouvoir royal ; les
protestants, depuis l’édit de Nantes (1598), se sont regroupés et
détiennent des troupes et des villes, telle La Rochelle, dont Richelieu
brisera la sécession en 1628. Enfin, l’époque est guerrière : outre les
Frondes, la France est mêlée à divers conflits, à la guerre de Trente
Ans surtout (à partir de 1635). Ce monde agité se reflète dans l’art,
dans ce qu’on nomme l’âge baroque.

L’élan optimiste de la Renaissance est tombé. L’exemple de


Montaigne a été assimilé par les écrivains de l’époque, ce qui a
Louis XIV (1638-1715) provoqué une vraie révolution intellectuelle : les grandes découvertes
de civilisations inconnues ont obligé à reconsidérer les théories
traditionnelles de l’origine de l’humanité et ont accentué la relativité

Proiectul pentru Învăţământul Rural 7


Le XVIIe siècle: Repères historiques et culturels

des croyances religieuses. Quant à l’étude du Cosmos, il faut


mentionner la contribution de Copernic (1473-1543) qui a ruiné le
géocentrisme, tout comme l’exemple de Giordano Bruno ( brûlé vif
en 1600) qui a imaginé une théorie des univers muliples; à son tour,
Kepler (1571-1630) définit les lois de l’attraction et les orbites
elliptiques des planètes. L’homme est par conséquent immergé dans
un infini spatial en extension qui le dépasse en nature et en mesure :
les auteurs vont réagir en ironisant sur toutes les certitudes, tel
Cyrano de Bergerac ou en s’interrogeant sur le mystère
incompréhensible de notre condition, comme le fait Pascal, dans ses
Jules Mazarin, Pensées :
prelate et homme
d’Etat français Que l’homme étant revenu à soi considère ce qu’il est au prix de
d’origine italienne ce qui est, qu’il se regarde comme égaré, et que ce petit cachot où il
(1602-1661) devient se trouve logé, j’entends l’univers, il apprenne à estimer la terre, les
principal ministre de royaumes, les villes, les maisons et soi-même, son juste prix./.../
la régente Anne Car enfin qu’est-ce que l’homme dans sa nature ? Un néant à
d’Autriche et l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et
demeurera jusqu’à tout, infiniment éloigné de comprendre les extrêmes ; la fin des
sa mort le maître choses et leurs principes sont pour lui invinciblement dans un secret
absolu du royaume,
impénétrable.
possédant une
immense fortune et
de très riches L’unité est donc mise en cause : celle d’un pouvoir central
collections d’art. comme celle d’un univers dont l’homme serait le centre. Cette
fragmentation favorise et explique la liberté de création : le début du
siècle est caractérisé par la fantaisie, l’imagination, l’irrégularité.
Richelieu, Mazarin, Louis XIV vont essayer de maîtriser ce désordre,
chose qui sera accomplie par le Roi-Soleil, vers 1680. On peut
distinguer trois étapes dans ce processus: jusqu’en 1630 (Henri IV,
régence de Marie de Médicis, début du règne de Louis XIII) c’est une
période de troubles – la littérature baroque exalte l’excès,
l’individualisme et l’ostentation.

De 1630 à 1661 (fin du règne de Louis XIII, dominé par


Richelieu, régence d’Anne d’Autriche qui s’appuie sur Mazarin) la
volonté unificatrice se précise : répression sanglante de la Fronde,
réduction progressive des pouvoirs des parlements locaux. Richelieu
veille sur l’orthodoxie et crée l’Académie française en 1635. En cette
époque cohabitent un burlesque comme Scaron (alliant une sorte de
joyeuse trivialité à une peinture, bouffonne mais très lucide, de la
société), des inventeurs logiques, comme Descartes ou Pascal, ou
des « généreux » comme Corneille, attachés au culte de l’honneur et
Richelieu (1585-1642)
de la maîtrise de soi.

Enfin, de 1661 à 1680, la monarchie absolue de Louis XIV


influence profondément la littérature par la création des académies,
destinées à fixer des normes dans tous les domaines. En ce qui
concerne la pensée de Richelieu, elle est fondée sur le principe du
pouvoir unique de l’Etat, de l’autorité absolue du roi, à laquelle doit
se soumettre tout: armée, finances, littérature. Par une ordonnance
de 1629, le cardinal de Richelieu s’occupe de l’examination de tous
les ouvrages destinés à l’impression, avant de leur accorder « le

8 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Le XVIIe siècle: Repères historiques et culturels

privilège du roi », c’est-à-dire l’autorisation de paraître. Il encourage


Richelieu, homme aussi Vaugelas, l’un des premiers académiciens, à rédiger Le
d’Etat français, né à Dictionnaire de l’Académie, dont le langage va s’imposer comme
Paris (1585-1642). modèle du « bon usage » pour toute l’élite et pour ceux qui forment
L’administration l’entourage du roi. Voici comme Vaugelas (1585-1650) définit le
intérieure du
« bon usage » pour la France qui comportait environ dix millions
cardinal de
Richelieu fut
d’habitants vers 1650: c’est la façon de parler de la plus saine partie
signalée par d’utiles de la Cour, conformément à la façon d’écrire de la plus saine partie
réformes dans les des Auteurs du temps. (Remarques sur la langue française, préface,
finances, l’armée, la 1647)
legislation (code
Michau). Il fut le C’est toujours grâce à Richelieu qu’on comprend l’importance et
créateur de le pouvoir des périodiques par exemple, il autorise la publication de
l’absolutisme royal, La Gazette, un journal hebdomadaire qui relatait les événements
brisa les privilèges conformément aux opinions du pouvoir). La Gazette s’annonçait
provinciaux par la comme « le journal des rois et des puissants de la terre », contenant
centralisation
des informations politiques et diplomatiques, chose qui va provoquer
administrative et
l’institution des
la réaction véhémente des « anti-gazettes ».
intendants. Il fonda
l’Académie Richelieu a donc exercé une action sur les lettres françaises,
française. contrôlant et encourageant à la fois, avec la conviction qu’en
absence de la presse et des livres, un pouvoir n’est jamais sûr de sa
stabilité.

La vie littéraire de la première moitié du siècle est intense,


animée par des querelles et des débats. La querelle du Cid n’est
qu’un exemple fameux parmi beaucoup d’autres, lorsque le succès
prodigieux de la pièce de Corneille fut contesté par ses adversaires.
En effet, entre 1620 et 1660 la littérature a connu l’agitation, la satire,
qui ne sont plus visibles à la fin du siècle, sous le règne de Louis
XIV. Jusqu’au Roi Soleil, la France connaît toute une littérature
populaire (par exemple, sous le règne de Louis XIII, il y a eu plus de
quatre mille ouvrages d’opposition, des pamphlets, de petits romans
moqueurs, etc.) Avec la Fronde et Mazarin, ces textes sont distribués
même dans la rue sous forme de « mazarinades », contenant des
messages très virulents : en matière de soulèvement, on n’est
coupables que d’avoir eu trop de modération.

A Paris, on voit se développer toute une bohème littéraire, des


gens qui fréquentent les cabarets ; ils ont une pensée libertine et
sont nommés « burlesques » ou « grotesques ». D’autres opposants
sont groupés dans les salons des milieux aristocratiques, où l’on
regrette l’époque des Valois, où l’on exalte la politesse et le
raffinement (d’ailleurs, c’est dans ces salons que va se former l’esprit
précieux, qui aura une forte influence sur le classicisme).

A ce climat historique et culturel des années 1630-1660 il faut


absolument ajouter les débats religieux. Il y a un premier grand
procès fait à un écrivain, celui de Théophile de Viau, événement
démontrant l’impossibilité de la liberté religieuse. Cet écrivain (1590-
1626) était né dans une famille protestante, mais était considéré un
athée, un insoumis au pouvoir, ayant une réputation de poète

Proiectul pentru Învăţământul Rural 9


Le XVIIe siècle: Repères historiques et culturels

vulgaire ; il sera accusé d’impiété, d’immoralité et sera condamné à


être brûlé vif. Même si sa peine sera commuée en banissement,
Théophile de Viau mourra peu après, par chagrin. Sa faute a été, en
effet, la révolte contre les normes (La règle me déplaît, j’écris
confusément/ Jamais un bon esprit ne fait rien aisément.)

En tout cas, le conflit entre le monde moderne et le catholicisme


est vivement ressenti par les croyants. Les jésuites (adeptes d’une
doctrine proposant la tolérance religieuse, dans le sens que Dieu
peut donner à tous sa grâce) cherchent des conciliations possibles,
mais seront accusés par leurs ennemis, les jansénistes (ceux qui
croyaient, au contraire, que la grâce divine n’est offerte qu’à un petit
Blaise Pascal (1623- nombre d’élus, malgré les efforts des autres d’y aboutir ; cette foi
1662), sans concession était liée à l’abbaye de Port-Royal, un foyer littéraire
mathématicien, essentiel pour l’époque). La doctrine janséniste, illustrée brillamment
philosophe et par Pascal, va lutter pour éliminer le pittoresque, le désordre, les
écrivain français, exagérations de la préciosité, en proposant en échange la logique de
auteur des
la grammaire, la profondeur de la pensée, la sobriété du style.
Provinciales et des
Pensées.
La bourgeoisie, à son tour, était attachée à la tradition morale et
dogmatique du catholicisme, réalité très visible dans le théâtre de
Molière. Molière, comme La Fontaine, ont subi l’influence du courant
libertin, essayant une conciliation de la philosophie sceptique et du
christianisme tolérant les faiblesses humaines. Tous les deux ont
étudié attentivement les vices de leurs contemporains, avec l’espoir
de pouvoir les corriger, car, comme dira Pascal, il faut tirer profit du
mal qui est beaucoup plus fréquent que le bien ! Leur conclusion
porte sur l’idée que l’homme n’est pas complètement corrompu, qu’il
y a la possibilité d‘écarter les vices, par une lucide connaissance de
soi-même.

Chez d’autres écrivains nous rencontrons une vision plus


amère, pessimiste. Racine et La Rochefoucauld croient au pouvoir
maléfique des passions; selon eux, l’homme est la victime de son
amour-propre, de son orgueil, de son manque de volonté et de
raison.

Bref, les trois directions importantes sur lesquelles s’appuie la


littérature classique vers le mileu du siècle sont : la délicatesse de la
préciosité, l’aspiration à un ordre moral prudent et éclairé chez les
bourgeois et la lucidité rigoriste de Port-Royal. Dès 1637, Le
Discours de la Méthode de Descartes a créé les prémisses d’un
doute systématique, suggérant la bonne voie de l’attitude
intellectuelle et morale (obéir aux lois et aux coutumes du pays, à la
religion de la famille, accepter que la pensée est la grande fortune de
chacun).

10 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Le XVIIe siècle: Repères historiques et culturels

Test d’autoévaluation

Vous avez parcouru la première unité d’apprentissage vous


présentant l’atmosphère socio-culturelle du XVIIe siècle.
Vérifiez si vous avez bien retenu certains détails. Consultez
ensuite la rubrique « Les clés du test d’autoévaluation ».

1. Quelle a été la contribution de Richelieu dans l’évolution de


la culture en France à son époque ?

2. Formulez quelques appréciations sur les débats religieux


des années 1630-1660.

3. Présentez brièvement la contribution du roi Louis XIV dans


le domaine de la littérature.

1.3 Le statut de l’écrivain au siècle du classicisme

En ce qui concerne le statut de l’écrivain, nous pouvons


constater que le développement des salons, l’apparition de la presse
et l’influence du pouvoir sur les lettres sont des facteurs qui ont
changé sa condition sociale; il n’est plus obligé à rester fermé dans
son cabinet de travail, il peut se mêler à la bonne société et gagner
sa vie de sa plume de manière décente. Les trois sources principales
de gain pour l’écrivain de l’époque sont les dédicaces (usage de
flatter les Grands), les pensions et les droits d’auteur. Corneille, par
exemple, sera bien payé pour avoir dédié sa pièce Cinna ; pourtant,
ce genre de mécénat risque de transformer l’écrivain en domestique
laudatif, appartenant en quelque sorte à son protecteur (comme
Molière, à ses débuts, et La Fontaine qui sont protégés par Fouquet).
C’est Louis XIV qui crée un mécénat officiel, une véritable
clientèle littéraire. Il va charger Colbert, à partir de l’année 1662, de
repérer les meilleurs écrivains pour les protéger. Avec l’aide de
Chapelain, Colbert fait dresser une liste d’une centaine de « gens de
lettres », dont le troisième est Corneille (gratifié à l’été de 1663 par la
somme de 2000 livres, une livre ayant la valeur de 12 grammes
d’argent ou de 1,1 grammes d’or, la monnaie conservant une valeur
à peu près fixe de 1640 à 1690). Chapelain, lui, occupait la deuxième
position est avait la fonction de « ministre des lettres ». Pendant plus
de trente ans les écrivains seront pensionnés, les sommes étant

Proiectul pentru Învăţământul Rural 11


Le XVIIe siècle: Repères historiques et culturels

Colbert, homme importantes, chose qui va changer après 1660, car les constructions
d’Etat français, né à (celle de Versailles, par exemple) ont vidé les caisses.
Reims (1619-1683). En dehors des rétributions royales, les écrivains commencent à
Recommandé à toucher des droits d’auteur, même si la propriété littéraire est encore
Louis XIV par mal protégée. L’écrivain vendait en général son manuscrit au libraire-
Mazarin, dont il était éditeur qui l’exploitait ensuite a son profit. Par exemple, Molière vend
l’homme de
la pièce Tartuffe pour 2000 livres. Les tirages restaient pourtant
confiance, Colbert
exerça son activité
limités : de 1000 à 1500 exemplaires. Dans son Art poétique (1674),
dans tous les Nicolas Boileau (v. fig. 1.1, portrait de l’écrivain) faisait allusion à
domaines de toutes ces réalités et conseillait aux écrivains d’écrire d’abord par
l’administration vocation :
publique. Par des
mesures Travaillez pour la gloire, et qu’un sordide gain
protectionnistes, il Ne soit jamais l’objet d’un illustre écrivain.
favorisa l’industrie et Je sais qu’un noble esprit peut, sans honte et sans crime,
le commerce, fit Tirer de son travail un tribut légitime ;
venir en France des Mais je ne puis souffrir ces auteurs renommés,
artisans de
Qui, dégoûtés de gloire et d’argent affamés,
l’étranger, multiplia
les manufactures
Mettent leur Apollon aux gages d’un libraire,
d’Etat, réorganisa Et font d’un art divin un métier mercenaire...
les finances, la
justice, la marine. Il
encouragea les arts
et les lettres.
Membre de
l’Académie
française, il fonda en
1667 l’Académie
des sciences.

Figure 1.1

12 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Le XVIIe siècle: Repères historiques et culturels

A la fin de ce chapitre introductif vous trouverez un tableau


historique et culturel du XVIIe siècle.

1610 Assassinat d’Henri IV 1596 Naissance de Descartes


Régence de Marie de Médicis 1602 Shakespeare : Hamlet
1616 Le cardinal de Richelieu 1605 Malherbe devient poète
devient secrétaire d’Etat. officiel.
1618-1648 Guerre de Trente Mort de Cervantes
Ans 1606 Naissance de Corneille
1624 Richelieu entre au 1619 Naissance de Cyrano de
Conseil du Roi Bergerac
Louis XIII fait construire le 1621 Naissance de La Fontaine
premier Versailles 1622 Naissance de Molière
1626 Edit contre les duels 1623 Emprisonnement de
1628 Prise de La Rochelle, Théophile de Viau : les « libertins »
Le XVIIe siècle, dernière place de sûreté défendue sont pourchassés.
une époque de par les protestants. 1628 Mort de Malherbe.
grande 1629 Richelieu principal Descartes s’installe en
effervescence ministre Hollande.
politique, 1635 Fondation de l’Académie 1629 Mélite, première pièce de
sociale et française Corneille.
littéraire 1639 Révolte des « va-nu- 1630 Apogée du salon de Mme de
pieds » en Normandie Rambouillet
1642 Mort de Richelieu, 1633 Les thèses de Galilée sont
remplacé par Mazarin condamnées par le Saint-Office.
1643 Mort de Louis XIII. 1636 Naissance de Boileau.
Régence d’Anne d’Autriche. 1637 Descartes : Le Discours de
Condamnation du jansénisme par la Méthode.
le Pape. Corneille : Le Cid.
1650 Début de la Fronde des 1639 Naissance de Racine
Princes. 1640 Corneille : Horace, Cinna.
1643-1715 Règne de Louis XIV 1641 Descartes : Méditations
1653 Fin de la Fronde métaphysiques
1661 Début du règne 1642 Corneille : Polyeucte
personnel de Louis XIV 1644 Débuts de Molière
Arrestation de Fouquet, 1647 Vaugelas : Remarques sur
surintendant des Finances, et la langue française.
protecteur des nombreux artistes. 1650 Mort de Descartes, à
Le Vau commence à Stockholm.
construire le nouveau Versailles 1656 Pascal : première
1665 Colbert devient contrôleur Provinciale.
général des Finances. 1659 Molière de retour à Paris :
1669 Louis XIV signe avec le Les Précieuses Ridicules.
pape Clément IX un accord qui 1660 Oedipe marque le début de
assure la « paix de l’Eglise ». la « seconde carrière » de Corneille.
1670 La France occupe la 1662 Mort de Pascal. Molière :
Lorraine L’Ecole des Femmes
1672 Début de la guerre de 1664 Maximes de La
Hollande. Rochefoucauld ; interdiction de
Louis XIV s’installe à Tartuffe de Molière.
Versailles. 1666 Boileau : premières Satires.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 13


Le XVIIe siècle: Repères historiques et culturels

1678 Paix de Nimègue : 1667 Racine : Andromaque ;


apogée de la puissance de Louis Corneille : Attila
XIV, qui annexe La Franche- 1670 Première édition
Comté . (posthume) des Pensées de Pascal.
1679 Persécution contre les Racine : Bérénice ; Corneille : Tite et
Jansénistes et contre les Bérénice ; Molière : Le Bourgeois
protestants (dragonnades). gentilhomme.
1681 Entrée triomphale de 1672 Racine : Bajazet. Molière :
Louis XIV à Strasbourg Les Femmes savantes.
1685 Révocation de l’Edit de 1673 Mort de Molière.
Nantes 1674 Racine : Iphigénie ;
1689 Achèvement de Corneille : Suréna.
Versailles. Boileau : Art Poétique.
1709 Destruction de Port- 1677 Racine :Phèdre ; Boileau et
Royal. Racine sont nommés historiographes
1715 Mort de Louis XIV du roi.
1678 Mme de La Fayette : La
Princesse de Clèves. La Fontaine :
second recueil de Fables.
1683 Boileau et La Fontaine
entrent à l’Académie française.
1684 Mort de Corneille.
1688 La Bruyère : Les
Caractères.
1689 Racine : Esther.
1690 Dictionnaire de Furetière.
1691 Racine : Athalie.
1694 Dictionnaire de l’Académie
1699 Mort de Racine. Fénelon :
Télémaque.
1711 Mort de Boileau.

14 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Le XVIIe siècle: Repères historiques et culturels

Les clés du test d’autoévaluation


Réponses et commentaires :

1. La contribution de Richelieu dans l’évolution de la culture


française est fondée sur le principe du pouvoir unique de l’État,
de l’autorité absolue du roi, à laquelle doit se soumettre tout:
armée, finances, littérature. L’ordonnance de 1629, initiée par
Richelieu, fait le contrôle de tous les ouvrages destinés à
l’impression, avant de leur accorder « le privilège du roi », c’est-
à-dire l’autorisation de paraître. Vaugelas, l’un des premiers
académiciens, encouragé par Richelieu, rédige Le Dictionnaire
de l’Académie, dont le langage va s’imposer comme modèle du
« bon usage » pour toute l’élite et pour ceux qui formaient
l’entourage du roi.

2. Le meilleur exemple des débats religieux est le conflit entre


les jésuites et les jansénistes concernant la grâce divine : les
premiers croyaient qu’elle est offerte à tous, tandis que les
autres étaient sûrs qu’elle était réservée seulement à une élite, à
un petit nombre d’élus. L’abbaye Port-Royal a été un vrai centre
janséniste, dont l’illustre représentant littéraire fut Pascal.

3. La création des académies, grâce à la monarchie absolue


de Louis XIV, a favorisé l’épanouissement de la littérature. Louis
XIV a créé aussi un mécénat officiel, avec l’aide de son homme
de confiance, Colbert. Il y avait donc une liste d’une centaine de
gens de lettres qui étaient des favoris (le troisième en ordre dans
cette hiérarchie était Corneille) ; au-delà des rétributions royales,
les écrivains commencent à toucher des droits d’auteur. En
général, le mérite de Louis XIV a été de croire au génie de
l’écrivain, même s’il ne l’admirait pas (c’était le cas pour La
Fontaine).

Références bibliographiques :

DARCOS, X., TARTAYRE, B. , Le XVIIe siècle, en littérature,


Paris, Hachette, collection « Perspectives et confrontations », 1987.

ÉGÉA, F., RINCÉ, D., Textes français et histoire littéraire, XVIe,


XVIIe, XVIIIe siècles , Paris, Fernand Nathan, 1981, pp.82-84.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 15


Baroque/vs/ classicisme dans le théâtre du XVIIe siècle

Unité d’apprentissage 2

BAROQUE /VS/ CLASSICISME DANS LE THÉÂTRE DU XVIIe SIÈCLE

Sommaire page
Les objectifs de l’unité d’apprentissage 2 16
2.1 Définition du courant et ses particularités françaises 17
2.2 La vision de l’homme et du monde dans le baroque 18
2.3 L’esthétique baroque 19
Test d’autoévaluation 20
2.4 L’esthétique classique ; L’Art poétique de Boileau 20
2.5 Tableau de textes théoriques et d’arts poétiques 24
Les clés du test d’autoévaluation 26
Test de contrôle 2 27
Références bibliographiques 27

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 2

Quand vous aurez parcouru cette unité d’apprentissage et effectué le test


d’autoévaluation, vous serez capables de :
• définir le baroque, en distinguant ses particularités françaises ;
• caractériser le baroque (la vision sur l’homme, l’esthétique) ;
• présenter la doctrine classique et les idées de L’Art poétique de Boileau.

16 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Baroque/vs/ classicisme dans le théâtre du XVIIe siècle

2.1 Définition du courant et ses particularités françaises

Le baroque est un courant européen, universel dont les


manifestations les plus nombreuses s’observent surtout en Italie, en
Lecture supplémen- Espagne, mais aussi en France, au Portugal, en Angleterre, en
taire: Barocul ca tip Allemagne, en Roumanie.
de existenţă de
Edgar Papu La création baroque cible notamment l’effet sur le lecteur ou le
(BPT, Minerva, spectateur, c’est-à-dire provoquer la surprise et l’admiration par la
1977). révélation d’un monde nouveau, où tout serait apparemment
possible, comme par magie. A son tour, le spectateur accepte avec
émerveillement l’illusion (réalisée par la technique du trompe-l’oeil et
des jeux de miroirs).

Par conséquent, les artistes baroques exploitaient le pouvoir de


l’imagination, l’intelligence, l’ingéniosité. Le thème favori était la vie
éphémère (la vie est un songe, une goutte de rosée, une vapeur, un
arc-en-ciel, le monde est toujours changeant, etc). L’un des poètes
les plus fameux à l’époque, Tristan L’Hermite (1601 ?-1655)
choisissait les sujets les plus bizarres, les plus accidentels (Pour une
belle main cachée, Apologie de la main téméraire, Épitaphe d’un
petit chien, etc.).

Le baroque emploie beaucoup de figures rhétoriques parmi


lesquelles la métaphore, le paradoxe, l’oxymoron, l’hyperbole.
Comme dit Jean Rousset, la métaphore peut être multiple ou même
« prolongée ». Un autre procédé fréquemment utilisé est le paradoxe
(« la vie est une mort » ou « mourir c’est vivre ») Quant à l’hyperbole,
elle est une figure de prédilection : «ses pleurs ressemblent à un
torrent », « ses cris de tonnerre éclatent»

Le théâtre baroque est un très bon exemple de manifestation


du baroque. Concentrée dans une seule journée, la pièce abonde en
éléments (le jour de merveilles), l’intrigue étant toujours surchargée,
compliquée. Il y a aussi un grand nombre de personnages, beaucoup
d’entrées et de sorties imprévues; le hasard intervient souvent, tout
comme le quiproquo, les fausses apparences, les malentendus. Bref,
le baroque met en scène le jeu de l’être et du paraître. Les
personnages sont des fées, des magiciens, des hommes
métamorphosés, etc. Le but est de rendre réelle l’illusion,
d’enchanter le spectateur.

Souvent nous avons le théâtre dans le théâtre (dont le XXe


siècle - par la mise en abîme de Gide - fera un procédé de choix):
les acteurs jouent des rôles d’acteurs, ils font des répétitions,
arrangent les décors, etc. Un sujet inépuisable d’inspiration est la
folie (v. La Folie du sage de Tristan L’Hermite). On a donc beaucoup
de déguisements, de masques, de mensonges, etc. L’effet espéré
était de produire le vertige du spectateur, afin qu’il ne puisse
distinguer l’apparence de l’essence. De cette manière, le baroque
s’oppose au classicisme (le dernier cultivant, au contraire, la
sobriété, la discrétion).

Proiectul pentru Învăţământul Rural 17


Baroque/vs/ classicisme dans le théâtre du XVIIe siècle

Dans son livre Du baroque au classicisme (Editura Babel şi


Baroque (portug. Editura Universităţii Bucureşti,1993), Dolores Toma mentionne : « on
Barroco); style qui appelle baroque la culture européenne qui s’est manifestée, avec
s’est développé au des préludes ou des survivances, entre 1550-1650. Certains la
XVIe siècle, XVIIe et
considèrent comme une « crise de la culture », en mettant au
XVIIIe siècle,
d’abord en Italie et premier plan le raffinement « fin du siècle » et la recherche de
puis en Bohême, en l’extravagance, aussi bien que le tragique et l’angoisse qui succède à
Autriche, en la joie et à l’idéalisme de la Renaissance» .
Allemagne, en
Espagne. Il y a aussi d’autres théories, c’est-à-dire il y a des critiques qui
appellent « baroque » toute la période, tandis que d’autres
appellent maniérisme la première phase du baroque, parce que les
peintres avaient commencé à créer chacun à sa manière. Le rococo
sera la dernière phase, au XVIIe siècle, et ses caractéristiques sont
une ornamentation excessive, avec des volutes et des coquillages,
visibles surtout dans les meubles et la décoration.

Pour vous, il est important de retenir que le baroque ne signifie


pas seulement un style, mais toute une culture avec une vision
particulière sur le monde, avec certaines attitudes devant la vie,
devant la mort.

2.2 La vision du monde et de l’homme dans le baroque

Le baroque est attiré par l’inconstance et par l’inconsistance des


formes, aux métamorphoses (des créations déformées, des
monstres grotesques, des êtres protéiformes comme Protée ou des
objets qui s’évanouissent comme l’eau, les nuages, le vent). Ce qui
est spécifique du baroque, c’est la coexistence des contraires et le
paroxysme de ces contraires.

Figure 2.1
Vous trouvez ci-dessus (fig. 2.1) une image suggestive pour le
L’éphémère est un baroque : les jardins de Versailles. D’ailleurs, l’image la plus
leitmotif de fréquente dans le baroque est le labyrinthe comme expression des
l’esthétique baroque sentiments ambigus à l’égard du monde, de la religion etc. Le
baroque emploie aussi la représentation du monde comme un
théâtre (theatrum mundi), en insistant sur l’éphémère de la vie et

18 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Baroque/vs/ classicisme dans le théâtre du XVIIe siècle

des gens (elle n’est qu’un rôle, les gens sont des acteurs qui seront
remplacés par les autres), tout est illusion.

Si, à l’époque de la Renaissance, l’homme était considéré la


mesure de toutes les choses, le centre du monde, le baroque
pourrait être considéré anti-humaniste. L’anthropocentrisme
antérieur, affirme Dolores Toma dans le cours Du baroque au
classicisme,(Editura Babel şi Editura Universităţii Bucureşti,1993,
p.14), apparaissait comme une illusion ou une naïveté. Si pour
Montaigne l’Antiquité la stabilité et la constance étaient toujours valorisées, pour
(1533-1592), auteur
le baroque cela compte aussi, mais plutôt pour mettre en évidence le
des célèbres
Essais
caractère éphémère de l’homme (« il n’y a rien de constant que
l’inconstance »). Même pour Montaigne l’homme semblait toujours
au milieu entre le naître et le mourir.

L’homme baroque parle avec fascination de son anatomie et


même de la mort, pour expliquer l’amour passionné de la vie. D’où
l’obsession de la mort, attitude qui suggère le désenchantement pour
cette vie éphémère, fragile. Les historiens des mentalités ont
remarqué chez l’homme baroque un désir extraordinaire de vivre,
une sorte d’ « élan dionysiaque, d’extase mystique » ( Dolores Toma,
Du baroque au classicisme, op.cit., p.18). Deux images très
fréquentes de l’homme baroque sont le caméléon et Protée (le dieu
capable de prendre des formes diverses). L’homme baroque est plus
intéressé à sa propre individualité, à ses métamorphoses, aux
possibilités de devenir un autre, de se transformer par l’amour, par la
folie, par un sortilège.

Il y a des critiques qui ont affirmé que le drame a été découvert


par le baroque – (v. A. Ciorănescu, Barocul sau descoperirea
dramei, Cluj-Napoca, Editura. Dacia, 1980). On vous recommande
comme lecture supplémentaire le livre de Jean Delumeau, Le péché
et la mort (Păcatul şi frica, Iaşi, Polirom, 1998).

2.3 L’esthétique baroque

L’homme baroque croyait aux valeurs de l’ostentation et des


artifices, de la dissimulation et de la duplicité, il veut être Dieu, créer
des choses inexistantes jusqu’à lui. Le monde baroque est un jeu de
l’être et du paraître, étant dominé par les fictions, les illusions, les
mirages, les artifices, etc.

Images physiques Pour l’homme baroque, l’art est le but suprême de la vie, les
violentes broient et créations doivent éblouir. Par exemple, il y avait des jardins
hypnotisent la aménagés dont les allées se transformaient en canaux ou en
sensibilité du ruisseaux; il y avait aussi des grottes artificielles, des jets d’eau qui
spectateur, pris se multipliaient à l’infini, des statues, parfois gigantesques. Les
comme dans un constructions baroques sont toujours monumentales, richement
tourbillon de forces décorées de statues, qui semblent suggérer la métamorphose, un
supérieures. vrai style pittoresque.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 19


Baroque/vs/ classicisme dans le théâtre du XVIIe siècle

Les artistes baroques ne voulaient pas imiter, mais être uniques,


inventer des formes curieuses, chose qui explique la fascination du
XXe siècle pour cette époque. L’idéal de l’œuvre baroque est de
provoquer de grandes surprises, des effets inouïs. L’art baroque se
voulait violemment pathétique.

Test d’autoévaluation

Vous avez parcouru une unité d’apprentissage vous


présentant le baroque. Vérifiez si vous avez bien retenu les
explications fournies. Consultez ensuite la rubrique « Les clés
du test d’autoévaluation ».

1. Le courant baroque est-il d’origine française ?

2. Quels sont les thèmes spécifiques du baroque?

3. Enumérez les moyens du théâtre baroque.

2.4 L’esthétique classique; L’art poétique de Boileau

Cette esthétique tout à fait opposée au baroque s’installe en


France après 1640. Le classicisme s’impose rapidement, favorisé
par ses normes autoritaires; en plus, il est perçu comme un
renouveau national, par rapport au baroque qui était une tendance
européenne et qui s’était perpétuée après 1640 par des genres
mineurs (l’opéra ou les fêtes royales).

Nicolas Boileau Le texte qui résume l’essence de l’esthétique classique est L’Art
(1636-1711), poétique écrit par Boileau en 1674. Ce texte représente le guide pour
théoricien du tous les auteurs de la littérature classique, en fixant les canons
classicisme, a écrit formels, les règles auxquelles ils doivent obéir.
aussi une oeuvre
poétique Tout doit tendre au bon sens c’est le mot d’ordre pour les poètes
(Satires, Épîtres, Le classiques. Mais pour arriver à cet idéal de mesure, d’équilibre il y a
Lutrin). une longue route à parcourir, nous avertit le théoricien Boileau : pour
y aboutir / Le chemin est glissant et pénible à tenir. La ténacité,
l’exercice de volonté et de lucidité sont les ingrédients essentiels de
la genèse du poème ; sans le rappel constant de la raison, l’écrivain
connaît le doute, le déséquilibre :

20 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Baroque/vs/ classicisme dans le théâtre du XVIIe siècle

Pour peu qu’on s’en écarte, aussitôt on se noie.


La raison pour marcher n’a souvent qu’une voie.
Aimez donc la raison : que toujours vos écrits
Empruntez d’elle seule et leur lustre et leur prix.

Le grand danger, le péril imminent - si l’écrivain s’écarte des


normes formulées par Boileau - , c’est le manque de clarté,
l’ambiguïté, les ornements excessifs des vers. D’ailleurs, l’auteur de
L’Art poétique parle d’une « abondance stérile » des écrivains qui ne
savent pas censurer leur élan créateur. Chaque détail inutile nuit à
l’élaboration du poème (Tout ce qu’on dit de trop est fade et rebutant
/ L’esprit rassasié le rejette à l’instant).

La conclusion qu’on peut tirer du texte de Boileau est formulée


dans le vers : Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire. A remarquer
le jeu des temps verbaux : sait et sut, suggérant la différence entre
la littérature exemplaire et ce qui ne représente que les modes
éphémères. Ce qui compte, c’est le détail, la nuance, sans perdre la
vision d’ensemble :

Souvent la peur d’un mal nous conduit dans un


pire
Un vers était trop faible, et vous le rendez dur ;
J’évite d’être long, et je deviens obscur ;
L’un n’est point trop fardé, mais sa muse est trop
nue ;
L’autre a peur de ramper, il se perd dans la nue.

La litote est Voilà le principe de l’esthétique classique : parfois « peu »


employée pour signifie « beaucoup ». André Gide disait que le classicisme tend tout
atténuer une idée entier vers la litote. En effet, quelle sublime déclaration d’amour dans
par une tournure la réplique de Chimène, l’héroïne du Cid : Va, je ne te hais point.
moins forte, souvent
la forme négative.
La doctrine classique recommandait aux écrivains non
seulement d’imiter les Antiques, considérés le modèle dans l’art,
mais aussi de cultiver la logique du discours au détriment de
l’imagination. On condamnait toute emphase, toute exagération de
type burlesque ou précieux. Le travail du poète doit être laborieux, le
fruit d’une longue réflexion, dans le pur esprit cartésien :

Avant donc que d’écrire, apprenez à penser :


Selon que votre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit, ou plus nette, ou plus pure ;
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement
Et les mots pour le dire arrivent aisément.

Nous avons souligné dans les vers ci-dessus le quatrième vers,


celui qui représente l’essence de la doctrine classique annoncée par
le texte de Boileau. A son tour, Malherbe, auquel Boileau accordait
une grande importance, avait proposé en 1605 (Commentaire sur
Desportes – le premier manifeste de la doctrine classique) une vraie

Proiectul pentru Învăţământul Rural 21


Baroque/vs/ classicisme dans le théâtre du XVIIe siècle

censure des mots et des syllabes. Mais l’analyse que Malherbe


faisait, à partir des poèmes de Desportes, était celle d’un puriste,
d’un esprit intransigent ; dans sa vision, chaque vers devait
représenter une unité logique, chaque terme devait être choisi
rigoureusement. L’Art poétique de Boileau reprend donc certains
des principes de Malherbe, en réussissant à rendre populaires ces
normes, dans une expression très estimée même de nos jours par
des générations entières d’élèves et de maîtres, aspect qui démontre
la vocation didactique du théoricien. Comme tous les moralistes du
XVIIe siècle, Boileau cherche la vérité, l’authentique. Pour y aboutir il
faut que le langage soit adéquat au sujet, ce qui suppose un
perpétuel travail des mots :

Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,


Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.

Distinguez :

Par définition, le classicisme exprime

• les sentiments qui sont partagés par tout le monde


(comme les sentiments des hommes et des animaux dans les
fables de La Fontaine)

et parle seulement

• des sujets d’intérêt général (par exemple Le Cid de


Corneille)

La littérature classique est exclusivement mondaine. On


veut plaire à la société polie. Tous les genres font appel à des
sentiments communs, contiennent une morale générale, évitant
les cas particuliers.
Le classicisme montre la nature choisie, des rois, des
princes, des hommes parfaits, la beauté. Le romantisme, par
contre, nous peint aussi la classe moyenne et même les
hommes vilains. Par exemple, dans Notre Dame de Paris, Victor
Hugo oppose une personne d’une laideur atroce (Quasimodo)
aux belles personnes du classicisme.

Les genres sont séparés. La tragédie est toujours


sérieuse, on ne fait que pleurer, il n’est pas permis d’y mêler des
éléments gais (comme l’a essayé plus tard Diderot dans son
drame bourgeois, avant le romantisme). Les romantiques ont
commencé à mêler les genres. (Dans Hernani de V. Hugo nous
voyons le roi Charles jaloux, dans une armoire : cette scène
provoque le rire dans une tragédie).

22 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Baroque/vs/ classicisme dans le théâtre du XVIIe siècle

La comédie est toujours gaie : on ne fait que rire ; il n’est


pas permis d’y mêler des éléments sérieux, ni de moraliser, ni
d’attendrir.

Dans chaque genre, l’auteur doit respecter les règles que


les anciens ont établies. Dans les drames, par exemple, il faut
observer l’exposition, la division en 4 ou 5 actes, le noeud, le
dénouement, avant tout les trois unités (les règles d’Aristote).
a) l’unité de temps : L’action doit se dérouler dans 24
heures ; l’action des drames romantiques embrasse déjà un
espace plus ou moins long, dans le réalisme et le théâtre de nos
jours l’action peut embrasser la vie entière d’un homme et même
des générations.
b) l’unité de lieu : Le spectacle doit avoir lieu au même
endroit, dans le même édifice ou, au moins, dans la même ville,
comme l’action du Cid. Chez les romantiques, au contraire, il y
avait un changement continuel et voulu de lieu (l’action
d’Hernani se déroule tantôt en Espagne, tantôt en Allemagne).
Les normes du
c) l’unité d’action: une seule action et une seule intrigue
classicisme sont un
repère de clarté et
dramatique principale, les intrigues de second ordre doivent se
de discipline dans le subordonner à la principale. Un seul héros doit attirer notre
travail des écrivains intérêt principal et passer par une seule crise (point culminant)
français. qui se dénoue vers la fin de la tragédie.

Par les unités de temps et de lieu, les écrivains se sentaient


appesentis d’un joug, serrés dans une camisole de force et ils
cherchaient à s’en débarrasser. Déjà Corneille n’obéit à l’unité
de lieu que faiblement.

L’effet théâtral (le sentiment tragique) est provoqué par:


a) la pitié (provenant du malheur et des douleurs
qu’éprouve le héros injustement).
b) la peur de voir les méchants punis pour leurs vices
manifestés.
Corneille, cependant, provoque l’effet théâtral par
l’admiration que nous inspirent ses héros à cause de la droiture
de leur caractère et de leur ferme volonté de suivre la voix du
devoir.

La langue est très riche, mais inégale chez Corneille. Chez


Racine et Boileau elle est plus choisie, un peu appauvrie, mais
fixée.

La beauté de la forme
Le style classique est la mesure, l’adaptation de
l’expression à l’idée. Il est l’expression la plus directe des
sentiments. Sous l’influence de Descartes, les idées sont bien
ordonnées. Le tout est bien proportionné, harmonieux et chaque
détail soigneusement travaillé, comme un ouvrage de mosaïque.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 23


Baroque/vs/ classicisme dans le théâtre du XVIIe siècle

2.5 Tableau de textes théoriques et d’arts poétiques, de la


Renaissance à la fin du XVIIIe siècle

¾ 1392 : DESCHAMPS, L’art de dictier


¾ 1405-1525 : Recueil d’Arts de seconde
Rhétorique
¾ 1548 : SEBILLET, Art poétique françoys
¾ 1549 : DU BELLAY, Deffence et illustration de la
langue françois
¾ 1555 : PELETIER, L’Art poétique
¾ 1560 : RONSARD, Abrégé de L’Art poétique
françois
¾ 1574 : VAUQUELIN DE LA FRESNAIE, Art
poétique
¾ 1605 : MALHERBE, Commentaire sur Desportes
¾ 1610 : DEIMIER, L’Académie de l’art poétique
¾ 1674 : BOILEAU, L’Art poétique
¾ 1716 : FÉNELON, Projet de poétique (écrit en 1714)
¾ 1744 : VICO, Scienza Nuova
¾ 1758 : DIDEROT, Discours sur la poésie
dramatique
¾ 1787 : MARMONTEL : Éléments de littérature.
CHÉNIER, L’Invention
¾ 1798-1800 : Athenaeum (revue des frères
Schlegel).

Idées à retenir :

Traits généraux du classicisme :

L’imitation originale des modèles gréco-latins. On


considérait les anciens comme maîtres dans l’art d’écrire parce
qu’ils ont créé des oeuvres parfaites. Il faut alors les imiter et
s’inspirer de leurs oeuvres qui ont notre admiration même
aujourd’hui.
Le christianisme. Les poètes usent du « merveilleux
païen » (la mythologie de l’antiquité), ils refusent le « merveilleux
chrétien » (la religion chrétienne) comme incompatible avec la
poésie (Boileau). Mais ils n’y voient qu’une concession poétique :
par le coeur, ils sont chrétiens.

La littérature est psychologique. S’occupant de l’homme


intérieur, elle analyse le coeur comme siège des passions et de
tous les sentiments joyeux ou tristes. On ignore la nature

24 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Baroque/vs/ classicisme dans le théâtre du XVIIe siècle

extérieure, la prend seulement comme cadre. La « nature » du


classicisme est toujours la nature morale de l’homme. Avant le
classicisme, le sujet des pièces de théâtre ne se composait que
d’événements extérieurs (courage physique, combats, le sabre à
la main). Le classicisme ne représente pas ces événements
extérieurs sur la scène. L’intérêt est fixé sur la lutte intérieure,
des combats qui se donnent dans l’âme des héros entre des
sentiments (l’honneur, la religion, le devoir, etc.) et des passions
(l’amour, la jalousie, la haine, etc.) ou bien entre plusieurs
passions.

La littérature du XVIIe siècle est l’étude de l’âme


humaine, l’observation intérieure, l’analyse morale, parce qu’il y
avait un sentiment religieux profond. Que la nature (morale) donc
soit votre étude unique, disait Boileau.

Dans cette littérature, on trouve l’écho des


préoccupations de théologie, de philosophie et de morale et,
avant tout, l’influence du Jansénisme. C’est ce courant qui a
contribué à l’évolution morale, à la fermeté des caractères, à
l’attachement, aux fermes convictions et aux résolutions
inébranlables. Le jansénisme pénétra dans la littérature et créa la
Le débat religieux dignité, la droiture de Boileau, de La Rochefoucauld, de La
est la source d’une Bruyère : Aimez donc la vertu, nourissez-en votre âme. (Boileau)
littérature centré sur
la place de l’homme
dans l’univers et son • Jansénisme : nommé d ‘après son fondateur, Jansénius,
rôle dans la société. évêque d’Ypres. Chaque homme commet des péchés ; il ne peut
pas faire son salut de ses propres forces, il a besoin du secours
de Dieu (la grâce). Mais il n’est jamais sûr de mériter cette grâce.
C’est pourquoi il doit mener la vie la plus austère, être très dur
pour lui-même et, pourtant, trembler tout le temps de ne pas être
sauvé. De là, la droiture et la fermeté des caractères de
Corneille, de Racine.

• Racine était janséniste, sorti du couvent de Port Royal.


• Corneille, par contre, était Jésuite.
• Le Jésuitisme (courant catholique, comme le jansénisme)
était un ordre religieux fondé pour la conversion des hérétiques. Il
fut combattu par le jansénisme parce qu’il avait une morale
relâchée.

Cette qualité dominante est la raison. La raison - qui


signifie le bon sens, la faculté de juger, de distinguer le faux du
vrai, le bon du mauvais - est innée en chaque homme normal.
C’est la raison qui règle l’imagination (la faculté de créer,
d’inventer) pour empêcher un excès d’imagination (comme il y
en a dans les descriptions interminables de Victor Hugo, de
Zola). C’est la raison qui règle la sensibilité (le don de sentir
vivement, d’être facilement ému, touché, impressionné) pour
empêcher les débordements de la sensibilité (comme dans les
effusions sentimentales de Lamartine, de Rousseau).

Proiectul pentru Învăţământul Rural 25


Baroque/vs/ classicisme dans le théâtre du XVIIe siècle

Aimez donc la raison ; que toujours vos écrits


Empruntent d’elle seule et leur lustre et leur prix.
(Boileau)

L’objectivité ou l’impersonnalité. Toute cette littérature est


impersonnelle, objective. L’auteur ne nous communique pas ses
propres joies, ses propres douleurs ni sa propre force de penser;
il ne met pas son propre « moi » comme sujet de ses oeuvres
(c’est le cas des romantiques, surtout de Lamartine dans ses
Méditations, expression du lyrisme subjectif).

Les clés du test d’autoévaluation


Réponses et commentaires :

1. Le baroque est né en Italie. Il s’est manifesté en Europe,


surtout en Italie, en Espagne, en France, au Portugal en Autriche,
et même en Roumanie.

2. La vie éphémère ; la magie de l’illusion ; la folie ; l’image du


monde comme un théâtre ; l’image du labyrinthe ; l’obsession de
la mort ; la fascination pour l’anatomie du corps humain.

3. Le jeu de l’être et du paraître ; le goût du paradoxe ; les


quiproquos ; les déguisements, les décors excessifs ; les effets
surprenants (éponges imbibées dans le sang, masques, etc.)

26 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Baroque/vs/ classicisme dans le théâtre du XVIIe siècle

Test de contrôle 2

Ce test est administré à l’issue de l’unité d’apprentissage 2.


Pour réaliser ce test, il vous est conseillé de relire l’unité et de
faire des annotations. Ne manquez pas de transmettre ce test
à votre tuteur. A cet effet, il convient de marquer votre nom,
votre prénom et votre adresse personnelle sur la première
page de votre copie. N’oubliez pas de mentionner aussi le
numéro du test. Vous êtes supposés le recevoir, après
correction, avec les commentaires de votre tuteur.

Bon travail !

1. Présentez les principales idées que vous avez retenues de


L’Art poétique de Boileau.
(3 points; 1-2 phrases)

2. L’esthétique classique – aspects fondamentaux (à revoir


les idées à retenir).
(3 points; 3 phrases)

3. Dégagez les différences notables entre le baroque et le


classicisme.
(4 points; 3-4 phrases )

Références bibliographiques :

TOMA, Dolores, Du baroque au classicisme, Bucureşti,


Editura Babel şi Editura Universităţii, 1993, pp.7-31.

ÉGÉA, F., RINCÉ, D., Textes français et histoire littéraire, XVIe,


XVIIe, XVIIIe siècles , Paris, Fernand Nathan, 1981.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 27


L’héroïsme et la noblesse des passions dans les tragédies de Corneille

Unité d’apprentissage 3

L’HÉROÏSME ET LA NOBLESSE DES PASSIONS DANS LES TRAGÉDIES


DE CORNEILLE

Sommaire page
Les objectifs de l’unité d’apprentissage 3 28
3.1 Vers la tragédie classique 29
3.2 La polémique des règles 30
3.3 Le spécifique du théâtre cornélien 32
Test d’autoévaluation 34
3.4 La moralité cornélienne 36
3.5 Le style des tragédies de Corneille 37
Les clés du test d’autoévaluation 38
Test de contrôle 3 39
Références bibliographiques 39

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 3

Cette unité d’apprentissage est conçue dans le but de vous présenter les étapes
parcourues par la dramaturgie classique jusqu’au moment Corneille :
• la tragi-comédie et la pastorale ;
• la règles des trois unités ; le vraisemblable dans le théâtre ;
• la tragédie cornélienne: aspects généraux ;
• le message optimiste du théâtre de P. Corneille.

28 Proiectul pentru Învăţământul Rural


L’héroïsme et la noblesse des passions dans les tragédies de Corneille

3.1 Vers la tragédie classique

C’est sans doute le renouvellement et le développement de la


tragédie qui permettent le mieux de mesurer combien le classicisme
français fut arrivé, autour de l’année 1630, à se détacher fortement
de l’influence du baroque européen. Le représentant majeur de cette
nouvelle dramaturgie fut Pierre Corneille (dont vous voyez ci-
dessous l’image en buste dans la figure 3.1) Au moment où le public
commence à s’ennuyer de l’académisme stérile d’un devancier en
déclin - il s’agit d’Alexandre Hardy (1572-1632) -, Corneille saura
exploiter et concilier les tendances changeantes qu’il remarque dans
le goût de la jeune génération. En s’écartant donc de l’oeuvre

Figure 3.1

théâtrale de Hardy, fidèle à l’héritage de l’humanisme du siècle


précédent (qui privilégiait comme source d’inspiration la mythologie
ou l’histoire ancienne), la dramaturgie de l’époque se dirige vers la
tragi-comédie et la pastorale.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 29


L’héroïsme et la noblesse des passions dans les tragédies de Corneille

La tragi-comédie est un genre dramatique pratiqué dans


l’Antiquité chez les Latins, puis repris au XVIe siècle en Italie et
diffusé en France à partir de 1620. Le terme ambigu désigne en
général une tragédie dont le dénouement est heureux ; plusieurs
intrigues parallèles permettent difficilement de distinguer quel est le
personnage principal. Les unités de temps et de lieu, respectées dès
l’Antiquité, sont encore conservées dans la tragédie humaniste du
XVIe siècle.

La pastorale est liée aux premières créations apparues à la fin


Satyres (fam.) = du XVIe siècle, en Italie et en Espagne. Dans un décor de merveilles
individus qui se et de chimères, peuplé de satyres, de magiciens et de nymphes, les
livrent à des amours impossibles des bergères sont des occasions propices pour
manifestations comprendre le mystère du sentiment amoureux.
lubriques, à des
attentats De l’Italie venaient les productions de tragi-comédie et de
contre la pudeur. pastorale qui avaient, pour un temps, éclipsé en France le succès de
la tragédie régulière. Paradoxalement, c’est d’Italie encore que
viendra l’occasion de rendre à la tragédie française sa légitimité et sa
gloire. A un moment où, en France, la frontière entre la tragi-
comédie et la pastorale reste floue, et alors que chacun de ces deux
genres refuse les contraintes dramaturgiques (surtout le respect des
trois unités de lieu, de temps et d’action) établies dès l’Antiquité à
l’initiative du philosophe grec Aristote (384-322 av. J.-C.), la faveur
du public aristocratique se porte vers des pastorales italiennes datant
de la fin du siècle précédent, comme Aminta du Tasse (1582) ou
Pastor Fido de Guarini (1587) Or ces deux pastorales se
soumettaient scrupuleusement aux règles définies par les Grecs et
les Latins.

Ainsi y avait-il un effort de conciliation entre les préceptes de la


tradition antique et le goût qui s‘était manifesté dans les esprits dès
le déclin d’Alexandre Hardy. En 1630, à la demande de deux
personnages influents – le cardinal de La Valette et le comte de
Cramail -, Mairet donnait une pastorale régulière, Silvanire qui fut un
triomphe; en 1634, il fait jouer Sophonisbe, tragédie régulière. En
1636, suivent d’autres tragédies régulières : La Mort de César de
Scudéry et La Marianne de Tristan L’Hermite.

3.2 La polémique des règles

Désormais une polémique oppose les adeptes de la tragi-


comédie aux partisans de la tragédie régulière. Ces derniers vont
rapidement imposer un certain nombre de critères impératifs qui
fixent la structure de la tragédie classique. Par conséquent, la trame
dramatique sera dépouillée de tout apport romanesque ; l’action
représentée sur scène trouvera sa matière seulement dans des
sources historiques reconnues; la sobriété du style, la retenue du
langage, la majesté des sentiments interdisent d’insérer des
épisodes relevant d’un registre comique ou familier. Toute violence
physique est proscrite sur scène. Enfin, la loi des trois unités

30 Proiectul pentru Învăţământul Rural


L’héroïsme et la noblesse des passions dans les tragédies de Corneille

(d’action, de lieu et de temps) n’admet aucune dérogation. Tout


comme Boileau va le dire quelques années plus tard :

Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli


Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli.
La trame= ensemble
de détails qui
Lorsque, vers 1640, la tragédie classique et les règles qui la
constituent comme définissent semblent s’être définitivement imposées, leur succès est
un fond, un tout dû moins aux attentes du public qu’aux orientations dogmatiques
continu sur lequel se proposées par quelques théoriciens dont s’était entouré Richelieu.
détachent des Parmi eux, l’abbé d’Aubignac occupe une place majeure. A la
événements demande du cardinal, il rédige vers 1640 un ouvrage ambitieux, dont
marquants (la trame l’objet est de préciser ce que sera l’esthétique nouvelle retenue par
d’un récit). l’art dramatique. Publiée seulement en 1657, La Pratique du théâtre
fonde désormais sur la raison et sur l’expérience les grands principes
dramaturgiques préconisés naguère par des humanistes comme
Scaliger (1484-1588) ou Heinsius (1580-1665) au nom de l’autorité
incontestée d’Aristote.

Comme Aristote, d’Aubignac a essayé de préciser quelles


étaient les exigences imposées par la vraisemblance. « La
vraisemblance est, s’il le faut ainsi dire, l’essence du poème
dramatique, et sans laquelle il ne se peut rien faire ni dire de
raisonnable sur la scène. C’est une maxime générale que le vrai
n’est pas le sujet de théâtre, parce qu’il y a bien des choses
véritables qui n’y doivent pas être vues, et beaucoup qui n’y peuvent
pas être représentées. Il est vrai que Néron fit étrangler sa mère. /.../
Mais cette barbarie, bien qu’agréable à celui qui l’exécuta, serait non
seulement horrible à ceux qui la verraient, mais même incroyable à
cause que cela ne devait point arriver. /.../ Le possible n’en sera pas
le sujet, car il y a bien des choses qui se peuvent faire, ou par la
rencontre des causes naturelles, ou par les aventures de la morale,
qui pourtant seraient ridicules et peu croyables si elles étaient
représentées. /.../ Il est possible qu’un homme meure d’un coup de
tonnerre, mais ce serait une mauvaise invention au poète de se
défaire par là d’un amant qu’il aurait employé pour l’intrigue d’une
comédie. Il n’y a donc que le vraisemblable qui puisse
raisonnablement fonder, soutenir et terminer un poème
dramatique. » (La Pratique du théâtre)

La renaissance de la tragédie aux dépens des succès


confirmés de la tragi-comédie témoigne, à sa façon, de la
concurrence de deux esthétiques opposées : le baroque et le
classicisme. L’oeuvre de Pierre Corneille portera durablement
l’empreinte de ces deux esthétiques parallèles.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 31


L’héroïsme et la noblesse des passions dans les tragédies de Corneille

3.3 Le spécifique du théâtre cornélien

Son tragique est différent de celui de la tragédie grecque. Le


destin ne se rapporte pas au divin, la souce d’inspiration n’est pas la
mythologie antique, mais l’histoire de l’Espagne, comme dans son
chef-d’oeuvre, Le Cid. Pierre Corneille vient avec la grande
nouveauté de la tragédie ayant une fin heureuse (le modèle est
toujours Le Cid). Le tragique cornélien est dû à la situation. Le
mécanisme du sort se manifeste sous la forme du hasard, qui met
Principales oeuvres les héros dans des situations critiques, apparemment
insurmontables. Le bonheur personnel s’obtient après une décision
1637, Le Cid difficile, opposant des valeurs égales (amour /vs/ honneur, esprit
1640, Horace civique).
1642, Cinna
1643, Polyeucte La beauté du théâtre de Pierre Corneille réside dans ses héros.
1645, Rodogune Ceux-ci ne sont ni coupables ni fatalistes. Tout au contraire, ils sont
1660, trois Discours doués d’une grande énergie et ont une personnalité très forte. Ils ne
sur l’art dramatique restent jamais passifs, mais agissent toujours. C’est par l’action qu’ils
1674, Suréna
gagnent leur propre liberté. Rodrigue s’engage dans la lutte avec les
Maures, et conduit l’armée espagnole vers la victoire. La grandeur
des héros cornéliens signifie agir sur l’histoire, l’influencer, voire
l’inventer! Cela veut dire modifier l’histoire, les mentalités, proposer
de nouvelles valeurs. La fin du Cid laisse voir un nouvel ordre,
monarchique et centralisé.

Dans la pièce Horace, le héros voit la ville de Rome entrer dans


l’histoire. Cinna, le personnage du texte homonyme, inaugure une
période d’harmonie et de reconciliation. Polyeucte s’achève par le
triomphe du christianisme. Ce type de héros, qui impose de
nouvelles valeurs, a été repris au XXe siècle par le dramaturge
Henry de Montherlant.

En même temps, il faudrait dire que la fin heureuse, la


conciliation des contraires, les héros qui se sauvent sont des aspects
qui approchent le théâtre cornélien du drame, indiquant aussi
comme point de départ la tragicomédie de la Renaissance.

Quant à la morale du théâtre de Pierre Corneille, elle est une


dimension constante du classicisme français en général. Il s’agit
d’une « morale supérieure, d’un message optimiste, d’une éthique
généreuse » (v. Justin Ceuca, le chapitre dédié à Corneille, dans son
ouvrage Evoluţia formelor dramatice, Cluj-Napoca, Ed. Dacia, 2002,
p.123). La fin du Cid a été construite contre la morale habituelle, en
contredisant les contemporains de l’auteur, qui pourraient
comprendre mal leur confrère. La même chose dans les textes
Horace et Pompée, d’inspiration romaine: une situation tragique
sépare les personnages, en leur provoquant un profond désarroi
intérieur, mais à travers cette crise spirituelle, ils arivent à devenir
plus solidaires. Par exemple, dans la pièce Pompée, César,
Cleopâtre, Cornélie sont acharnés les uns contre les autres pour des
raisons politiques, mais ils aboutissent à une admiration réciproque,

32 Proiectul pentru Învăţământul Rural


L’héroïsme et la noblesse des passions dans les tragédies de Corneille

due à leurs actions. Mais c’est seulement Pompée qui s’assume le


rôle de changer le destin de son pays.

Catharsis= Un cas spécial est représenté par les personnages „monstres”,


purification; ayant des traits horribles, qui apparaissent dans des textes comme
selon Aristote, effet Rodogune, Théodore, et qui seront vaincus jusqu’à la fin de la pièce,
de “purgation des dans l’esprit d’une morale conformiste et d’une justice toute
passions” produit puissante. Par cela, on réalisait une sorte de purification intérieure,
sur les spectateurs on touchait un équilibre éthique, chose qui évoquait la catharsis
d’une représentation d’Aristote.
dramatique
Pierre Corneille propose dans ses pièces une suite d’actions,
l’une préparée par l’autre, dans une sorte de gradation. Il privilégie
par-dessus tout la description des états intérieurs provoqués par ces
actions, démontrant finalement une évolution morale du personnage,
ce qui donne au théâtre cornélien un dramatisme supplémentaire. En
guise de théoricien, Corneille formule dans son Discours des trois
unités deux principes valables aussi à présent. Il s’agit de la
suspension et de la préparation. La suspension est équivalente au
suspense contemporain. Selon le dramaturge français, cette
technique signifie laisser l’événement enveloppé dans le mystère,
jusqu’à son éclaircissement du final. On annonce au début de la
pièce un événement issu du commun - ce qui éveille, bien sûr, la
curiosité du spectateur -, laissant l’ambiguïté régner jusqu’au
dénouement. La préparation c’est l’introduction d’une action pour une
raison préétablie, qui soit en étroite liaison avec le désir de cultiver
l’effet de surprise (un procédé maintenu dans la dramaturgie
moderne).

Les situations dramatiques de Corneille sont des dilemmes, qui


rattachent le théâtre cornélien à une partie de la tragédie grecque,
mais aussi au théâtre moderne (v. Ibsen, Cehov, Sartre). D’habitude
il y a deux alternatives, apparemment insurmontables. Le
personnage doit nécessairement opter pour une de ces alternatives,
choix extrêmement difficile, mais qui assure sa liberté. Rodrigue doit
choisir entre l’amour de sa fiancée et l’honneur de sa famille. Les
situations dramatiques se construisent, au-delà du conflit intérieur,
par des confrontations directes des personnages. Ces luttes directes
signifient l’opposition verbale, véhiculant des principes moraux
différents. Il y a donc des confrontations des attitudes visant les
principes de la morale, de l’éthique.

Par conséquent, les personnages de Corneille sont des héros,


qui ont un orgueil issu du commun, formant une sorte d’ « aristocratie
de la vertu ». (J. Ceuca, Evoluţia formelor dramatice, Cluj, Ed. Dacia,
2002, p.123) Ce sont des personnages qui affirment avec beaucoup
de courage leurs idées, cherchant la vérité, dans une société où la
prudence inspire plutôt des actions secrètes (de ce point de vue, les
héros cornéliens sont paradoxaux). Par exemple, Antiochus de
Rodogune s’oppose à sa mère, juste au moment où l’état colérique
de Cléopâtre avait atteint le paroxysme.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 33


L’héroïsme et la noblesse des passions dans les tragédies de Corneille

En vrais héros tragiques, les personnages cornéliens n’ont pas


peur de mourir, car ils situent au-dessus de la mort leurs idéaux.
Né à Rouen, fils Ces héros sont très lucides et leur raison a une force de décision
d’un avocat, avocat exceptionnelle, trait qui les apparentent aux héros des tragédies
lui-même en 1624, grecques, mais chez Corneille on a une analyse plus poussée. La
après de bonnes manière dont ces personnages prennent des décisions, après avoir
études dans un examiné tous les volets du problème, est presque juridique ; on
college jésuite. Si’il pourrait dire que Pierre Corneille, qui avait des études de droit mais
a peu plaidé, à manquait complètement d’éloquence, avait pris sa revanche par ses
cause de sa timidité personnages qui parlent tous brillamment ! Les héros cornéliens ne
et d’un défaut
font rien sans examiner avec lucidité et froideur la situation,
d’éloquence, il a
brillamment utilisé la l’obstacle à surmonter. Le mot « raison » n’est jamais absent de leur
rhétorique judiciaire discours. Même s’il s’agit d’une attitude apparemment illogique, elle
dans ses pièces. Le est toujours le fruit de la réflexion sur la meilleure solution.
discours de ses L’apparent manque de logique est, en effet, l’expression d’une raison
personnages supérieure, inaccessible à tous les humains.
ressemble parfois à
de véritables Il faut ajouter que le théâtre de Corneille présente aussi
plaidoyers devant le l’exemple des anti-héros (Cléopâtre de Rodogune, Marcelle de
jury, ayant les Théodore), c’est-à-dire des « monstres » qui ont une ambition
marques de la démesurée, menant à des actes criminels. Leur passion violente
logique et de
explique le courage fou qu’ils manifestent dans leurs actions de nier
l’argumentation.
l’ordre communément accepté, n’obéissant qu’à leur propre loi. Ce
sont des personnages qui nous font penser à ceux de
Shakespeare (Richard III, Jago), et même à ceux de Racine
(Pyrrhus, Phèdre).

Mais au-delà de toutes ces nuances – qui rendent les pièces de


Corneille plus complexes, plus profondes dans leur signification – les
héros cornéliens sont d’une beauté morale exemplaire, de vrais
modèles utopiques. Une telle grandeur humaine reste singulière
dans l’histoire du théâtre et explique le succès de ces textes, même
à l’heure actuelle.

Test d’autoévaluation

Vous avez parcouru une unité d’apprentissage sur le


spécifique du théâtre cornélien. Vérifiez si vous avez bien
retenu certains détails. Consultez ensuite la rubrique « Les
clés du test d’autoévaluation ».

1. Expliquez le concept de la vraisemblance dans le théâtre


classique.

34 Proiectul pentru Învăţământul Rural


L’héroïsme et la noblesse des passions dans les tragédies de Corneille

2. D’où vient le tragique cornélien ?

3. Caractérisez généralement les héros cornéliens. Par quoi


se distinguent-ils des autres humains ? Et les anti-héros ?

4. Y a-t-il des ressemblances avec le théâtre contemporain ?

Idées à retenir :

En 1660, dans trois Discours, Corneille répond à ceux


qui critiquent son théâtre : c‘est pour lui l’occasion de préciser
des impératifs qui seront repris dans les règles de la tragédie.

Le poème dramatique est une imitation, ou pour en


mieux parler, un portrait des actions des hommes; et il est hors
de doute que les portraits sont d’autant plus excellents qu’ils
ressemblent mieux à l’original. La représentation dure deux
heures, et ressemblerait parfaitement, si l’action qu’elle
représente n’en demandait pas davantage pour sa réalité. Ainsi
ne nous arrêtons point ni aux douze, ni aux vingt-quatre heures ;
mais resserrons l’action du poème dans la moindre durée qu’il
nous sera possible, afin que sa représentation ressemble mieux
et soit plus parfaite. Ne donnons, s’il se peut, à l’une que les
deux heures que l’autre remplit. Je ne crois pas que Rodogune
en demande guère davantage, et peut-être qu’elles suffiraient
pour Cinna. Si nous ne pouvons la renfermer dans ces deux
heures, prenons-en quatre, six, dix, mais ne passons pas de
beaucoup les vingt-quatre, de peur de tomber dans le
dérèglement, et de réduire tellement le portrait en petit, qu’il n’ait
plus ses dimensions proportionnées, et ne soit qu’imperfection.

Corneille, Troisième Discours

Proiectul pentru Învăţământul Rural 35


L’héroïsme et la noblesse des passions dans les tragédies de Corneille

3.4 La morale cornélienne

Sans doute, le théâtre cornélien nous offre-t-il une grande


variété de types humains: les héros généreux (Rodrigue, Chimène,
Polyeucte), âmes romaines (Horace), âmes séduites par la grandeur
(Cinna) ou âmes faibles (Chimène l’est parfois). La morale de
Jules Michelet Corneille est optimiste, mettant l’accent sur la grandeur de lâme
(1798-1874), humaine, sur son désir de liberté (d’où le nécessaire conflit intérieur
historien et pour choisir une certaine valeur, en faveur de l’autre, également
essayiste,
puissante). En général, les personnages cornéliens ont des passions
personnalité
importante du
nobles et veulent forger eux-mêmes leur destin, maîtriser donc leur
romantisme esprit, ne pas permettre aux sentiments d’aveugler la raison (comme
français. on a déjà dit, le mot « raison » est très fréquent dans ces pièces de
théâtre). Ainsi, l’homme cornélien devient-il « son propre
Prométhée » (Jules Michelet). C’est ici que Corneille se distingue
nettement de Racine, dont les personnages se montrent impuissants
devant la fatalité du sort.

Pourtant, les héros cornéliens ne sont pas des schémas


théoriques, utopiques (« peints comme ils devraient être, selon La
Bruyère), mais des caractères exceptionnels, doués d’une grande
force spirituelle, qui savent lutter contre leur vulnérabilité naturelle. Ils
sont des hommes exemplaires, mais pas surhumains. C’est ainsi
qu’on explique les dénouements heureux, puisé dans l’optimisme
cornélien. Et même si le héros meurt, sa disparition n’est pas
tragique, mais admirable, exemplaire, elle aussi. Comme le héros
des chansons de geste, Roland, le personnage cornélien meurt pour
accéder à une gloire surnaturelle, éternelle (v. Cinna, Suréna,
Polyeucte).

Un élément de cette morale optimiste, qui caractérise les pièces


de Pierre Corneille, serait l’influence du stoïcisme : le héros doit se
maîtriser, dompter ses passions (c’est pourquoi il fait souvent le
choix le plus difficile, comme pour prouver à lui-même qu’il n’est pas
faible !). La tendresse n’est point de l’amour d’un héros, disait le
personnage Suréna. Ou bien : Un peu de dureté sied bien aux
grandes âmes. Ces assertions, dévoilant le goût d’une profonde
austérité, comportent des nuances d’hésitation, qui rendent
beaucoup plus sensibles les personnages de son chef d’oeuvre, Le
Cid.

Une autre explication pour cet optimisme cornélien serait


l’influence de la morale jésuite : il faut avoir confiance dans l’homme,
en dépit du péché originel. En outre, c’est le libre arbitre qui
caractérise le comportement des héros de cette dramaturgie. S’ils
prennent toujours une décision après un profond jugement, les héros
cornéliens doivent être compris comme des personnages qui
essaient de se connaître mieux à travers leurs réflexions. Il faut dire
que Corneille n’était pas l’adepte de la morale cartésienne, donc la
raison et la volonté sont pour ses personnages des outils qui
préparent l’action, et non pas des voies purement philosophiques.

36 Proiectul pentru Învăţământul Rural


L’héroïsme et la noblesse des passions dans les tragédies de Corneille

Les héros cornéliens sont des êtres pleins d’enthousiasme, « des


âmes bien nées », formant une sorte d’élite morale, des gens pour
qui la noblesse du coeur est plus importante que celle donnée par la
hiérarchie sociale. De ce point de vue, le rôle de l’éducation,
l’héritage moral ont une place de choix (par exemple, les pères de
Chimène et de Rodrigue, étant eux-mêmes des personnalités issues
du commun). Chez Corneille il n’y a pas, comme chez Racine, une
prédestination au mal, si dans la famille des héros existent des cas
de personnes immorales. Donc, par l’éducation, on peut transformer
« le mauvais sang ».

Par conséquent, l’oeuvre de Corneille est fondée sur une morale


généreuse et exaltante. Il y a un sentiment de joie, un grand
enthousiasme, une vitalité issue du commun ; ses héros sont même
capables d’accepter le sacrifice ultime, pour aboutir à leur idéal.
Étant un mélange de raison et de passion, de prudence et
d’impétuosité, le héros cornélien incarne finalement le type de
beauté humaine, qui a des vertus chevaleresques et chrétiennes,
actuelles même à présent.

3.5 Le style des tragédies de Corneille

Ayant la formation d’avocat, Corneille donne à ses pièces l’éclat


du débat oratoire. Il organise même de véritables procès, comme
celui de Rodrigue devant le roi Don Fernand, avec le réquisitoire de
Chimène et le plaidoyer de Don Diègue. On trouve un pareil procès
dans Horace. Dans Cinna, nous avons un débat politique concernant
les avantages de la république ou de l’empire. Corneille emploie de
longues tirades pour construire le dialogue des personnages. Cette
éloquence témoigne de la lucidité des personnages qui ne fatiguent
pas en soutenant leurs arguments. .

On peut parler d’une poésie héroïque dans les tragédies


cornéliennes. Parfois, le texte prend l’allure de l’épopée. Au-delà de
ces caractéristiques de style, il y a eu des reproches quant au
manque de mesure ou quant à ses métaphores baroques, comme
dans le fragment ci-dessous tiré du Cid (où nous avons souligné les
formulations chargées, typiquement baroques) :

Son flanc était ouvert, et pour mieux m’émouvoir,


Son sang dans la poussière écrivait mon devoir ;
Ou plutôt sa valeur en cet état réduite
Me parlait par sa plaie, et hâtait ma poursuite ;
Et pour se faire entendre au plus juste des rois,
Par cette triste bouche elle empruntait ma voix.

D’ailleurs, dans Le Cid la métaphore « sang généreux » est une


clé de voûte de la pièce, signifiant l’exigence de défendre l’honneur
de la famille (Don Diègue s’adresse à son fils avec ses mots : Viens,
mon fils, viens, mon sang...) Tragédie du « sang généreux », Le Cid
est aussi la tragédie des épées (épée de Don Diègue, épée de

Proiectul pentru Învăţământul Rural 37


L’héroïsme et la noblesse des passions dans les tragédies de Corneille

Rodrigue, que Chimène prend à l’acte V pour celle de Don Sanche).


A travers les métaphores, on trouve des symboles qui offrent aux
tragédies de Pierre Corneille un éclat héroïque.

Il ne faut pas oublier les stances, qui sont des passages


lyriques, où le héros cornélien exprime son émotion arrivée au
comble. Des théoriciens formalistes, comme l’abbé d ‘Aubignac,
condamnaient ces insertions de fragments lyriques, évoquant le
Stance = poème principe de la vraisemblance, mais Corneille n’y avait renoncé
lyrique composé qu’après 1660. Les stances de Rodrigue, par exemple, sont
d’un certain devenues célèbres, marquant des moments de suspension dans le
nombre de strophes. texte : à la fin de ses stances, Rodrigue est prêt à prendre sa
décision, le doute étant entièrement éclairci. Parfois, l’auteur utilise la
répétition pour insister sur une idée-clé du texte (Faut-il punir le père
de Chimène ?).

En conclusion, on pourrait dire que le style de Corneille est


sublime, ce qui représentait un idéal pour le XVIIe siècle, défini par
La Bruyère de la manière suivante : Le sublime ne peint que la
vérité, mais en un sujet noble ; il la peint tout entière, dans sa cause
et dans son effet ; il est l’expression ou l’image la plus digne de cette
vérité. (Les Caractères). Et le même écrivain ajoutait : Pour le
sublime, il n’y a, même entre les grands génies, que les plus élevés
qui en soient capables.

Les clés du test d’autoévaluation


Réponses et commentaires :

1. Le vrai et le possible ne sont pas des sujets de théâtre,


seulement le vraisemblable, ce qui pourrait être représenté sur la
scène (v. la citation tirée d’Aubignac).

2. Le tragique cornélien est différent de celui de la tragédie


grecque, car la source d’inspiration n’est pas la mythologie
antique, mais l’histoire de l’Espagne. Chez Corneille, le destin ne
se rapporte plus au divin. C’est la situation dans laquelle l’auteur
met les personnages qui engendre le tragique. Corneille vient
avec la nouveauté de la tragédie ayant une fin heureuse (Le Cid).
Le héros doit choisir entre des valeurs égales, chose qui rend le
choix difficile, voire tragique.

3. Par ses héros, Corneille a le mérite d’imposer de nouvelles


valeurs (la capacité de choisir des voies difficiles, le libre arbitre,
l’enthousiasme, le manque de peur devant la mort, une grande
énergie, une vitalité exceptionnelle, etc.); les anti-héros sont
poussés par des passions violentes à accomplir des actes
criminels.

4. Oui. Quelques repères : Sartre, Cehov, Ibsen, Montherlant

38 Proiectul pentru Învăţământul Rural


L’héroïsme et la noblesse des passions dans les tragédies de Corneille

Test de contrôle 3

Ce test est administré à l’issue de l’unité d’apprentissage


3. Pour réaliser ce test, il vous est conseillé de relire l’unité et
de faire des annotations. Ne manquez pas de transmettre ce
test à votre tuteur. A cet effet, il convient de marquer votre
nom, votre prénom et votre adresse personnelle sur la
première page de votre copie. N’oubliez pas de mentionner
aussi le numéro du test. Vous êtes supposés le recevoir, après
correction, avec les commentaires de votre tuteur.

Bon travail !

1. Quels sont les éléments qui expliquent la morale optimiste


des pièces cornéliennes ?
(4 points ; 7-8 lignes)

2. Décrivez les composantes du style du théâtre de Corneille.


(3 points ; 5-6 lignes)

3. Quel est le rôle des stances ?


(3 points ; 3-4 lignes)

Références bibliographiques :

CEUCA, J., Evoluţia formelor dramatice, Cluj-Napoca, Editura Dacia,


2002, pp.123-126.

ÉGÉA, F., RINCÉ, D., Textes français et histoire littéraire, XVIe,


XVIIe, XVIIIe siècles , Paris, Fernand Nathan, 1981.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 39


Etude littéraire: Le Cid de Corneille

Unité d’apprentissage 4

ÉTUDE LITTÉRAIRE : LE CID DE CORNEILLE

Sommaire page
Les objectifs de l’unité d’apprentissage 4 40
4.1 Le spécifique de la tragédie cornélienne 41
4.2 L’histoire du Cid 41
4.3 Conclusions sur le chef-d’oeuvre cornélien, Le Cid 46
Test d’autoévaluation 47
4.4 Les personnages et le rapport dramatique 48
4.4.1 Rodrigue 48
4.4.2 Chimène 48
4.4.3 Don Diègue 49
4.4.4 Don Gormas, le comte 49
4.4.5 Le roi Fernand 49
4.5 Considérations finales sur le théâtre cornélien 50
Les clés du test d’autoévaluation 51
Test de contrôle 4 51
Références bibliographiques 52

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 4

A la fin de cette unité, vous aurez une perspective générale sur la pièce la plus lue, la
plus connue de Corneille : Le Cid . Vous serez à même de :
• dégager le spécifique de la tragédie cornélienne (dualité « devoir/vs/passion »,
fin heureuse, mystère) ;
• montrer quelle est l’originalité du texte de Corneille par rapport aux sources
d’inspiration ;
• faire des commentaires sur le style de la pièce.

40 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Etude littéraire: Le Cid de Corneille

4.1 Le spécifique de la tragédie cornélienne


Le tragique de Corneille, dont vous
voyez le portrait à côté (fig. 4.1), est
différent de celui de la tragédie grecque.
Ce n’est pas la mythologie la source
Je suis maître de favorite d’inspiration, ce n’est pas le destin
moi comme de d’origine divine qui intervient, mais le
l’univers; / Je suis , canevas général de la pièce est
je veux l’être. d’habitude l’histoire. Dans le cas du Cid, il
(Cinna) s’agit de l’histoire de l’Espagne. La grande
nouveauté des tragédies cornéliennes est
la fin heureuse (le modèle est toujours Le
Cid). Le tragique qui caractérise le théâtre
Figure 4.1 de Pierre Corneille est celui de situation.
Le sort se manifeste par des situations,
apparemment insupportables, que les héros doivent surmonter. Par
exemple, de telles circonstances seraient la mort du père de
Chimène, ou bien la lutte du Cid avec les Maures.

La beauté du théâtre de Pierre Corneille réside dans la manière


d’agir de ses héros qui sont très énergiques, comme celle de
Rodrigue, qui mène au combat l’armée espagnole et remporte la
victoire. Rodrigue est le modèle de héros qui « fait » l’histoire, qui
change le cours des événements par la qualité de ses décisions, de
ses actions. De la même sorte, les autres personnages sont
« créateurs » d’histoire et de valeurs morales : Horace assure la
gloire de Rome, Cinna instaure une période de calme et de
réconciliation, Polyeucte annonce le triomphe du christianisme.

Une chose qui rend moderne le théâtre de Corneille c’est le


principe (formulé dans l’essai Discours des trois unités) de la
suspension, c’est-à-dire la technique (valable aussi dans le théâtre
contemporain) d’envelopper l’événement dans le mystère, jusqu’à
l’éclaircissement final. Et pour éveiller l’intérêt du spectateur/ lecteur,
on annonce qu’il s’agit d’un événement issu du commun, imminent,
mais dont le dénouement sera certain à peine vers le final de la
pièce. Par conséquent, le spectateur ne peut prévoir le statut définitif
du personnage, sa destinée : cela devra être une grande surprise.

4.2 L’histoire du Cid


Dans sa dédicace (à Madame de Combalet, nièce de Richelieu,
protectrice de l’écrivain) faite à l’occasion de la première édition
(mars 1637), Pierre Corneille affirme qu’il veut donner « un portrait
vivant » dont la vie est « une suite continuelle de victoires » .

Corneille s’inspire d’un épisode légendaire de l’histoire


espagnole, mais apporte aussi certaines modifications : par exemple,
même si Le Cid (signifiant « maître ») a existé en réalité, il était
seulement un petit chevalier de Castille (de son vrai nom Rodrigo
Diaz de Bivar). Il est né en 1043 et il est mort en 1099 à Valence.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 41


Etude littéraire: Le Cid de Corneille

La pièce a cinq actes. La première scène se passe à Séville et


nous donne l’occasion de connaître Chimène, la fille de don Gomez,
L’Infante et Chimène et Elvire, sa gouvernante, qui sera la personne de confiance de
sont deux Chimène, une sorte de « raisonneur » de la pièce. Dès les
personnages premières pages du texte, on apprend que Rodrigue, « un simple
féminins cavalier », est aimé de deux femmes : de Chimène et de l’Infante
caractérisés par leur (qui croit que dans les belles âmes / le seul mérite a droit de produire
passion commune des flammes). En effet, la fille du roi lutte contre ses sentiments et
pour le Cid. essaie d’encourager l’amour de Chimène et de Rodrigue pour guérir
le sien (Si Chimène a jamais Rodrigue pour mari, / Mon espérance
est morte, et mon esprit guéri.).

Par le personnage de l’Infante, Corneille peint une âme


trouble, qui doit vaincre sa passion pour un être issu d’une couche
sociale modeste, puisque son honneur lui interdit d’épouser un
simple chevalier : Si mon courage est haut, mon coeur est embrasé
/.../ Ma plus douce espérance est de perdre l’espoir (à remarquer le
jeu de mot – « espoir-espérance »).

La scène III présente la rencontre du comte de Gormas, père


de Chimène, et de Don Diègue, père de Rodrigue. Entre les deux
hommes se passe un incident très grave, car don Gomez, le Comte,
ayant un caractère vif, insolent, ironique, donne un soufflet à l’autre.
Le Comte croit qu’il avait perdu certains honneurs de la part du Roi à
cause de don Diègue (recompensé - pour ses exploits passés - avec
la fonction de gouverneur du prince). Le père de Rodrigue a donc la
honte d’être offensé et de ne pouvoir se venger, car il est vieux et
impuissant. Alors, il faudra que son fils fasse cela à sa place. Toute
la scène IV décrit le désespoir de don Diègue, et Corneille offre un
monologue très suggestif du vieillard qui regrette sa gloire d’autrefois
et son impossibilité de lutter encore pour défendre son honneur.

Par conséquent, il invite son fils Rodrigue à le venger s’il a « du


coeur » (Viens, mon fils, viens, mon sang, viens réparer ma honte
/.../ Meurs ou tue. /.../ va, cours, vole, et nous venge). Le père
demande cela à Rodrigue, même s’il connaît son amour pour
Chimène, la fille de celui qui l’a offensé.

La scène VI présente la décision de Rodrigue de lutter contre le


père de celle qu’il aime ; finalement, après une hésitation qui n’est
pas très longue, il choisit de sacrifier son amour à l’honneur de sa
famille, conformément aux moeurs de l’époque (il faut lire la pièce de
ce point de vue, pour bien comprendre l’attitude et les actions des
personnages). La scène est d’un grand intérêt psychologique, car
c’est l’une des rares occasions où nous voyons l’âme du héros, ses
troubles ; l’auteur crée un discours impressionnant par la perfection
du vers, les constructions symétriques, le choix des mots. Une
tension extraordinaire est communiquée par les strophes qui
semblent marquer un arrêt dans l’action :

42 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Etude littéraire: Le Cid de Corneille

Que je sens de rudes combats !


Contre mon propre honneur mon amour s’intéresse :
Il faut venger un père et perdre une maîtresse :
L’un m’anime le coeur, l’autre retient mon bras.
Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme,
Ou de vivre en infâme,
Des deux côtés mon mal est infini./.../

Mais il doit à son père aussi bien qu’à sa maîtresse, et ne pas


venger son père signifie, selon les normes sociales de son temps,
attirer le mépris de Chimène. L’un pourrait donc le considérer
« infidèle», et l’autre « indigne d’elle ». Après ce raisonnement assez
bref, Rodrigue se décide pour le combat (Allons, mon bras, sauvons
du moins l’honneur, / Puisqu’après tout il faut perdre Chimène).
L’argument est clair et tout à fait logique : le fils doit à son père avant
qu’à sa maîtresse ! La scène se clôture sur la satisfaction du
personnage d’avoir enfin pris la juste décision (étant même « tout
honteux d’avoir tant balancé »).

Le deuxième acte montre que la rencontre de Rodrigue et du


Comte est imminente car, malgré l’odre du Roi, le père de Chimène
refuse de présenter des excuses à don Diègue (scène I) et Rodrigue
le provoque fièrement. L’Infante promet à Chimène de l’empêcher
(scène IV), mais c’est trop tard : un page annonce que Rodrigue a
quitté le palais avec le Comte. L’Infante se confie à sa gouvernante
Léonor : elle a pitié de Chimène, mais ne peut se défendre de penser
que la victoire de Rodrigue le séparerait de celle qu’il aime et le
rendrait digne d’une fille de roi (scène V).

Le roi don Fernand donne l’odre d’arrêter le Comte, malgré


Le dilemme du Cid l’intervention de don Sanche, un gentilhomme de la Cour, amoureux
est illustré par le de Chimène. Il annonce que les Maures menacent la ville (scène VI).
vers : Père, La rencontre a lieu : on vient d’apprendre au Roi que Rodrigue a
maîtresse, honneur, tué le Comte (VIIe scène)... quand vient Chimène pour demander
amour. justice, tandis que don Diègue défend son fils et réclame pour lui-
même le châtiment (VIIIe scène).

Il faut préciser que dans la scène II de cet acte nous trouvons


une réplique fameuse du Cid, qui est la clé de voûte de toute la
pièce : Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées / La valeur
n’attend point le nombre des années. En effet, à l’orgueil démesuré
de son adversaire, Rodrigue oppose son ambition et la fierté de sa
cause, celle de venger son père. D’ailleurs, pour le lecteur c’est très
intéressant de remarquer les sentiments des personnages évoluant
en fonction de la situation présentée par l’auteur.

En outre, l’héroïne cornélienne gagne une grande profondeur


dans les personnages de Chimène et de l’Infante (la scène IV et V).
Toutes les deux connaissent un état de désarroi, chacune espère
avoir un beau jour l’amour de Rodrigue. L’Infante croit que Rodrigue
est trop jeune, tandis que Chimène, elle, a de la confiance en lui (Les
hommes valeureux le sont du premier coup), en démontrant qu’elle

Proiectul pentru Învăţământul Rural 43


Etude littéraire: Le Cid de Corneille

le connaît davantage. A remarquer dans la scène VIII la violence de


Chimène, tout comme les méandres du comportement de don
Diègue, tandis que la figure du Roi est effacée.

Le troisième acte pourrait s’intituler « Chimène aime encore


Rodrigue, mais exige sa tête... »
Rodrigue, venu voir Chimène pour remettre sa vie entre ses
mains, se cache à l’arrivée de la jeune fille. Elvire avertit même le
chevalier :

Fuis plutôt de ses yeux, fuis de sa violence ;


A ses premiers transports dérobe ta présence :
Va, ne l’expose point aux premiers mouvements
Que poussera l’ardeur de ses ressentiments. (scène I)

Rodrigue justifie son arrivée dans la maison de celui qu’il vient


de tuer par les mots : Je cherche le trépas après l’avoir donné. / Mon
juge est mon amour, mon juge est ma Chimène : Je mérite la mort
de mériter sa haine. Les paroles du Cid confirment à la fois sa
lucidité et sa grandeur d’âme, car, même s’il a tué son père, il ne
cesse d’aimer la fille du Comte, il vient lui parler pour justifier son
geste.

Don Sanche offre à Chimène l’occasion de la venger,


proposition que la jeune fille n’accepte pas. A Elvire elle reconnaît
qu’elle aime toujours Rodrigue, mais qu’elle veut sa mort pour
mourir après lui (Pour conserver ma gloire et finir mon ennui, / Le
poursuivre, le perdre, et mourir après lui). L’âme de Chimène est
Le généreux déchirée entre ses deux passions, comme le prouve aussi le vers Si
« immole » (sacrifie) je poursuis un crime, aimant le criminel ? (Vous pouvez, vous aussi,
celui qu’il aime. trouver de telles preuves dans le texte et dresser ainsi un portrait
moral de cette héroïne inoubliable de la littérature française
classique).

La pièce continue par la présentation de Rodrigue, et c’est


entre les deux jeunes gens une belle scène où l’amour et l’honneur
s’affrontent pour se confondre : il ne saurait, lui, regretter un acte qui
le rend digne d’elle ; elle proteste de son côté qu’elle accomplira son
devoir comme il a accompli le sien, mais que ce n’est pas à elle de
lui ôter la vie (scène IV). Don Diègue, qui était inquiet de ne pas
trouver son fils (scèneV), le rencontre enfin, lui dit sa joie et l’envoie
lutter avec les Maures (scène V).

Le quatrième acte contient en essence un nouveau duel et pose


encore une fois le problème « à qui sera Chimène ? »

Rodrigue gagne la lutte avec les Maures : quand elle apprend


qu’il est sain et sauf, Chimène cache son amour et essaie de
défendre son honneur (ce qu’elle appelle « son triste devoir »),
malgré les conseils de L’Infante (scène II). Nous remarquons dans
cet entretien avec la fille du Roi un autre ton par rapport à celui du
début de la pièce, l’Infante prouvant une attitude sage (Ce qui fut

44 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Etude littéraire: Le Cid de Corneille

juste alors ne l’est plus aujourd’hui), ce qui suggère l’évolution du


personnage, son pouvoir de réfléchir et de prendre de bonnes
décisions.

Après avoir entendu, de la bouche même du vainqueur, le récit


La mise à l’épreuve
de la bataille (scène III), le Roi décide de mettre à l’épreuve Chimène
de Chimène
(scène IV). Il lui annonce que Rodrigue a été tué : elle s’évanouit et
révèle ainsi, malgré elle, son amour. Ensuite elle se voit obligée de
promettre sa main à celui qui lui apportera la tête de « l’assassin de
son père » ; elle accorde à don Sanche la faveur d’être son
champion (scène V).

Le cinquième et dernier acte est aussi celui où Chimène avoue


son amour pour Rodrigue.
La scène I nous présente la perspective d’un nouveau duel,
proposé par Chimène, entre Rodrigue et don Sanche.

L’Infante, qui a renoncé à son amour pour Rodrigue en faveur


de Chimène (scène II), avoue à Léonor qu’elle a le coeur déchiré,
mais qu’elle doit vaincre ses sentiments pour « ne pas troubler une si
belle flamme », donc pour ne pas nuire à un amour si beau comme
celui qui unit Rodrigue à Chimène (scène III).

Chimène déclare à sa gouvernante Elvire que, si Rodrigue est


vainqueur, elle va trouver d’autres occasions pour demander sa mort
(scène IV), quand don Sanche lui apporte son épée : persuadée que
Rodrigue est mort, elle lui reproche d’avoir tué « le héros » qu’elle
« adore » (nous signalons de nouveau le talent de Corneille de créer
L’amour de l’effet de surprise). Sur le point de défaillir (scène VI), elle reconnaît
Chimène pour devant le Roi qu’elle n’a cessé d’aimer Rodrigue et lui dit sa décision
Rodrigue de se retirer dans un monastère ; mais don Sanche explique que
c’est lui-même qui a été désarmé et que son vainqueur l’a chargé de
remettre cette épée à celle qu’il aime.

La scène VII nous présente l’arrivée de Rodrigue : Chimène


renonce à la vengeance, mais refuse de l’épouser. Et lui, sur la
promesse du Roi, s’en va pour mener d’autres combats glorieux
contre les Maures, avec l’espoir de conquérir sa Dame par de
nouvelles victoires. Pourtant, on peut entrevoir, dans les dernières
paroles du Roi, la possibilité d’un mariage entre Rodrigue et
Chimène : Laisse faire le temps, ta vaillance et ton roi.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 45


Etude littéraire: Le Cid de Corneille

4.3 Conclusions sur le chef-d’oeuvre cornélien, Le Cid

Voltaire disait : Le théâtre de Corneille est une école de


Voltaire (1694- grandeur d’âme. Cette phrase s’applique peut-être le mieux pour Le
1778), philosophe et Cid (fig. 4.2, statue équestre), où l’auteur pose des problèmes
écrivain français, moraux avec une pertinence issue du commun: l’amour est immolé
auteur de Candide (sacrifié) à l’honneur, au devoir. Le héros se trouve placé entre le
ou l’optimisme, devoir et la passion ou entre deux devoirs, dont l’un (le vrai ou le plus
1759. important) doit triompher de l’autre. Une fois accompli sa difficile
tâche, le héros ne regrette pas sa décision, tant il est pénétré de son
devoir. Rodrigue dit à Chimène : Je le ferais (le devoir) encore, si
j’avais à le faire.

Figure 4.2

Corneille nous élève au-dessus des choses mesquines de la vie


et nous donne confiance dans la force de la nature humaine. La
grandeur des héros cornéliens nous entraîne et éveille en nous ce
qu’il y a de meilleur... C’est pourquoi le théâtre de ce dramaturge est
d’un puissant effet moral, proposant des personnages exemplaires,
dont le pouvoir de décision est admirable.

Le style de l’écrivain est simple, sublime, plein d’éclat, de


justesse, de logique, mais il est inégal, rude et un peu négligé (par
rapport à l’oeuvre de Racine, qui est un modèle de perfection de la
langue française employée dans la littérature).

Le Cid (1636) reste aussi le premier chef-d’oeuvre du théâtre


français, l’origine de la tragédie française. Corneille inaugure avec
cette pièce le drame moral, psychologique. Les auteurs avant
Corneille avaient traduit servilement les textes de l’antiquité ou bien
copié le théâtre italien et espagnol.

46 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Etude littéraire: Le Cid de Corneille

A chaque fois, le L’originalité du Cid est certaine, même s’il y a eu des voix qui
choix est impossible, ont accusé Corneille de plagiat (le mot « cid » est dérivé du mot
et, pourtant il faut
« Sidi », signifiant « seigneur », un titre que les Maures ont donné à
choisir. Or,
l’héroïsme
un héros espagnol). Avec Le Cid, on vit pour la première fois sur la
authentique scène une action forte, animée de grands et de beaux caractères,
consiste, en, présentant à merveille la lutte intérieure qui se donne dans l’âme des
l’occurence, à personnages. Les détracteurs de Corneille n’ont pas eu raison, car il
choisir toujours le y a de grandes différences entre la tragédie française et le drame
plus difficile, c’est-à- espagnol. Ce dernier a une action remplie d’incidents, afin de mettre
dire à choisir en évidence les exploits (les combats glorieux) du Cid. Corneille a
invariablement choisi, de ce drame, un seul épisode, le mariage de Rodrigue, et ne
contre la nature. (S. s’occupe que de l’analyse des sentiments. Par conséquent, même si
Doubrovsky, le sujet est emprunté à l’écrivain espagnol Guilhem de Castro,
Corneille ou la
l’oeuvre de Corneille est puissante et profondément originale.
dialectique du
héros)

Test d’autoévaluation

Vous avez parcouru une unité d’apprentissage sur le chef-


d’oeuvre cornélien, Le Cid. Vérifiez si vous avez bien retenu des
détails, en consultant la rubrique « Les clés du test
d’autoévaluation ».

1. Quelle est la signification du titre de la pièce de Corneille,


Le Cid et quelle et l’originalité de son texte ?

2. Avec qui lutte Rodrigue ?

3. Quelle est la cause de la dispute des deux pères (de


Rodrigue et de Chimène) et quel était le devoir de
Rodrigue après cette dispute ?

4. Donnez au moins trois épithètes pour caractériser le style


de Corneille.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 47


Etude littéraire: Le Cid de Corneille

4.4 Les personnages et le rapport dramatique

4.4.1 Rodrigue

Jeune guerrier courageux, Rodrigue est doué d’une âme noble,


de hautes qualités morales et d’un caractère chevaleresque. Il en fait
preuve dans le combat avec le comte :

Je suis jeune , il est vrai ; mais aux âmes bien nées,


La valeur n’attend point le nombre des années.
A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
A qui venge son père, il n’est rien d’impossible,
Ton bras est invaincu, mais non pas invincible.

Rodrigue est un général habile, courageux et rusé dans le


combat avec les Maures. Vis-à-vis de son père il se montre bon fils,
dévoué. Pour Chimène, il est un fiancé délicat et l’amour qu’il
éprouve pour elle est constant, malgré tous les obstacles qui s’y
opposent. Son héroïsme ressort de l’attitude qu’il garde dans le
conflit moral. Il se trouve placé entre l’amour pour Chimène et le
devoir de venger l’honneur de sa famille gravement compromise par
le père de sa fiancée, à cause de l’outrage fait à Don Diègue. Dans
une lutte terrible, qui se livre dans un coeur déchiré par la douleur, il
étouffe, avec un grand héroïsme, son amour, parce que cette
passion l’empêcherait de faire son devoir. Un tel effort de volonté de
la part du héros, un tel sacrifice provoque notre admiration. L’amour
entre Rodrigue et Chimène est basé sur l’estime, et Rodrigue serait
méprisé par Chimène s’il négligeait son devoir. Par conséquent,
Rodrigue tue le comte pour faire son devoir, mais aussi pour garder
l’estime de Chimène.
Rodrigue inspire aux spectateurs des sentiments d’estime et de
sympathie.

4.4.2 Chimène

Elle est un des plus beaux types de femmes du théâtre


cornélien et classique en général. Comme Rodrigue, elle est pleine
d’énergie et d’amour, de jeunesse et de fidélité, sentiments qu’elle
démontre tout d’abord après la mort de son père. Le devoir lui
commande de demander la tête de Rodrigue au roi. Comme son
Générosité=
grandeur d’âme fiancé, elle étouffe l’amour profond qu’elle éprouve pour son bien-
aimé, avec le même héroïsme que Rodrigue, étant fermement
décidée à suivre la voie du devoir, pour défendre l’honneur de son
père tué et pour se rendre digne de l’amour de Rodrigue. Son amour
est basé sur l’estime qu’elle ressent pour les qualités morales de
Rodrigue, mais elle ne veut être inférieure à lui, elle veut rivaliser
avec Rodrigue en ce qui concerne la générosité, l’abnégation et la
maîtrise d’elle-même :

De quoi qu’en ta faveur notre amour m’entretienne,


Ma générosité doit répondre à la tienne.

48 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Etude littéraire: Le Cid de Corneille

Sa fierté n’admet pas que Rodrigue se laisse vaincre dans le


combat judiciaire avec Don Sancho ; elle veut qu’il sorte vainqueur
de la lutte dont Chimène est le prix, car elle ne saurait pas supporter
la honte de voir Rodrigue, son fiancé, vaincu par Don Sancho.
Comme fille, elle est digne de notre estime, parce qu’elle met toute
sa passion et son ardeur à venger son père et montre le même
sentiment vigoureux d’honneur que Rodrigue. Les deux âmes fortes,
Rodrigue et Chimène, se valent parfaitement.

4.4.3 Don Diègue

Il est un vieux général, blanchi sous le poids des années, qui a


bien servi son roi et sa patrie (Ses rides sur son front ont gravé ses
Exploits= faits exploits.) Il est paisible, calme, raisonnable et ne veut pas se
glorieux, dans la
quereller avec le comte. Mis au comble du désespoir de se voir
lutte
incapable de réparer sa honte, il se sert du bras de son fils, pour
lequel il éprouve une tendre affection. Il est fanatique parce qu’il met
le devoir au-dessus de l’amour paternel. Après la mort du comte, il
défend Rodrigue devant le roi, et lui offre son propre sang pour
sauver celui de son fils. Par le combat avec les Maures, il lui procure
la possibilité de laver son crime et de se soustraire à la punition.
Chez Don Diègue, le sentiment vigoureux et hautain de l’honneur,
s’empare de l’amour paternel.

4.4.4 Don Gormas, le comte

Il a un caractère opposé à celui de Don Diègue. Un homme en


pleine force, vaniteux, irritable, se laisse entraîner par sa colère à
gifler le vieillard, parce que ce dernier a été choisi gouverneur et non
lui. Il est orgueilleux, hautain dans le dialogue avec Don Diègue et
avec Rodrigue. Il insulte l’autorité du roi :

Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous
sommes,
Ils peuvent se tromper comme les autres hommes.

4.4.5 Le roi Fernand

Il est un caractère faiblement représenté dans la pièce, parce


qu’il ne joue pas un grand rôle. Il fait l’impression d’un homme
comme il faut et qui veut faire le bien.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 49


Etude littéraire: Le Cid de Corneille

4.5 Considération finales sur le théâtre cornélien

En quarante-cinq ans, Corneille a écrit trente-deux pièces. Elles


sont d’une très grande diversité. La Bruyère déjà le disait « admirable
surtout par l’extrême variété et le peu de rapport qui se trouve pour le
dessein entre un si grand nombre de poèmes qu’il a composés ». Il
est donc difficile, sinon illusoire, de réduire à une formule unique une
dramaturgie nécessairement diversifiée par les exigences
particulières des genres cultivés : comédie, tragédie, mais aussi
genres nouveaux, comme la « comédie héroïque », illustrée par Don
Sanche d’Aragon.

On peut dire toutefois d’une manière générale que Corneille,


comme la plupart des hommes de sa génération, éprouve le besoin
d’appliquer des règles, mais tout en conservant sa liberté par rapport
L’attitude de à elles et en les modifiant sur des points qui ne sont pas essentiels.
Corneille en ce qui Dès 1637, en tête de sa comédie de La Suivante, il écrivait : J’aime à
concerne les suivre les règles ; mais loin de me rendre leur esclave, je les élargis
normes classique et resserre selon le besoin qu’en a mon sujet. Par conséquent,
l’attitude de Corneille est toujours de respecter les règles en esprit
plutôt qu’à la lettre. Il a la plus grande considération pour la pensée
d’Aristote, mais aussi la plus grande liberté vis-à-vis d’elle. Dans ses
Discours de 1660, on a compté une soixantaine de citations ou
d’allusions directes à la Poétique d’Aristote. Il parle de la vénération
que nous devons à tout ce qu’il a écrit de la poétique, mais il ajoute
qu’il faut s’accommoder avec les règles et les amener jusqu’à nous.
C’est pourquoi il recommande quelques modérations à la rigueur de
ces règles du philosophe.

Dans cet esprit, Corneille s’est conformé aux trois unités, mais en
s’accommodant, comme il dit, à chacune d’elle. L’unité de temps
peut, selon une indication d’Aristote, être poussée jusqu’à trente
heures, mais il vaudra encore mieux se contenter des deux heures
que dure la représentation. L’unité de lieu est entendue de façon plus
souple encore.

Si, en cherchant à dépasser ces généralités, on se demande ce


qu’a de spécifique la pratique cornélienne, on trouve la notion
d’extraordinaire. Corneille n’est pas un révolté, il ne refuse pas
l’ordre, mais il n’a jamais non plus accepté un ordre contraignant,
contre lequel le défendent toutes les habilités de sa dramaturgie.
L’extraordinaire cornélien signifie le dépassement de l’ordre, mais
non la négation de celui-ci ; d’où l’exaltation qui caractérise le théâtre
de Corneille. Par rapport à Racine, chez Corneille l’amour est un
problème de second rang, mais un fondement pour des passions
plus nobles comme quelque grand intérêt d’État.

50 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Etude littéraire: Le Cid de Corneille

Les clés du test d’autoévaluation


Réponses et commentaires :

1. « Maître, seigneur » Corneille insiste sur la dimension


psychologique, sur le combat intérieur des personnages (qui se
divisent en « âmes fortes » et « âmes faibles »).

2. Le Cid lutte avec les Maures.

3. Don Diègue, le père de Rodrigue a été nommé gouverneur


et le père de Chimène, le comte, en est jaloux. Rodrigue doit
défendre l’honneur de sa famille, en provoquant au duel le père
de Chimène à la place de son vieux père, qui ne peut plus lutter.

4. Le style de la pièce est logique, simple, éclatant.

Test de contrôle 4

Ce test est administré à l’issue de l’unité d’apprentissage 4.


Pour réaliser ce test, il vous est conseillé de relire l’unité et de
faire des annotations. Ne manquez pas de transmettre ce test
à votre tuteur. A cet effet, il convient de marquer votre nom,
votre prénom et votre adresse personnelle sur la première
page de votre copie. N’oubliez pas de mentionner aussi le
numéro du test. Vous êtes supposés le recevoir, après
correction, avec les commentaires de votre tuteur.

Bon travail !

1. Montrez par quoi le personnage de l’Infante nous émeut-il,


quels sont les traits de son caractère, tels qu’ils sont
visibles dans cette première discussion avec Léonor,
présentée par la deuxième scène de la pièce.
(2 points ; 2 phrases)

2. Étudiez le vocabulaire de Rodrigue à travers la scène


(acte premier, scène VI) dramatique, menant à la décision
de venger son père et de renoncer à Chimène. Quelles
sont les marques de l’émotion du personnage ? Trouvez
dans le texte au moins deux antithèses exploitées par
l’auteur pour suggérer l’importance du choix.
(3 points ; 3 phrases)

Proiectul pentru Învăţământul Rural 51


Etude littéraire: Le Cid de Corneille

3. Le dénouement de la pièce est-il conforme à ce que vous


espériez ? Quel serait le prolongement que ce final vous
inspire ? Quels ont les sentiments éveillés en vous par
cette pièce de Corneille, la plus fameuse de ses
tragédies ?
(3 points ; 3 phrases)

4. Faites un choix de répliques contenant les mots les plus


touchants des scènes du dernier acte.
(2 points ; 4 répliques)

Références bibliographiques :

CORNEILLE, Pierre, Le Cid, Paris, Hatier, 1966.

ÉGÉA, F., RINCÉ, D., Textes français et histoire littéraire, XVIe,


XVIIe, XVIIIe siècles , Paris, Fernand Nathan, 1981, pp. 126-131.

52 Proiectul pentru Învăţământul Rural


La violence des passions et la peinture de l’amour chez Racine

Unité d’apprentissage 5

LA VIOLENCE DES PASSIONS ET LA PEINTURE DE L’AMOUR CHEZ


RACINE

Sommaire page
Les objectifs de l’unité d’apprentissage 5 53
5.1 Rappel de la théorie du théâtre classique 54
5.2 Jean Racine – un classique exemplaire 55
5.3 Les thèmes fondamentaux de l’oeuvre racinienne 56
5.4 La peinture de l’amour chez Racine 58
Test d’autoévaluation 60
5.5 La complexité des âmes et des caractères 61
5.6 Racine et la société du XVIIe siècle 64
Les clés du test d’autoévaluation 65
Test de contrôle 5 66
Références bibliographiques 66

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 5

Quand vous aurez parcouru cette unité d’apprentissage et effectué le test


d’autoévaluation, vous serez capables de :

• interpréter l’amour comme thème fondamental dans les tragédies de Racine ;


• mettre en évidence l’actualité des pièces raciniennes ;
• distinguer les sources et les thèmes principaux du théâtre racinien ;
• repérer les personnages féminins inoubliables (Phèdre, Andromaque, etc.).

Avant d’aborder l’étude proprement-dite de Racine, parce que vous connaissez


déjà les principes de base de l’esthétique du baroque, faisons un survol rapide de la
théorie du théâtre classique, pour mieux comprendre la contribution de ce dramaturge à
l’évolution de la tragédie au XVIIe siècle.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 53


La violence des passions et la peinture de l’amour chez Racine

5.1 Rappel de la théorie du théâtre classique


A la différence du théâtre baroque, le théâtre classique avait des
règles: le culte de la raison, c’est-à-dire un principe général et
universel qui dicte les règles inflexibles de ce qui est droit et de ce
qui ne l’est pas. Donc, on chassait les extravagances de la littérature
antérieure.

Tout doit être clair, ordonné, naturel, concis, immédiatement


La clarté est le
cachet du
accessible, régulier, équilibré. (Ayez pour la cadence une oreille
classicisme sévère / soyez simple avec art / Ne vous chargez point d’un détail
inutile / Qui ne sait se borner / Ne sait jamais écrire.) On cultive par
conséquent un style soigné qui a touché la perfection avec le théâtre
de Racine.

Les écrivains repoussent les vérités basses, indécentes


(Quoique vous écriviez, évitez la bassesse); par exemple, une
femme qui trompe son mari, un homme lâche, qui ne lutte pour son
pays. Bref, le vraisemblable était à l’époque très restrictif. On élimine
aussi les faits trop exceptionnels, les vérités rares, extravagantes
(qui intéressaient, en échange, le baroque). On a besoin de vérités
générales, celles qui étaient trop individuelles, trop particulières
étaient rejetées.

L’art moderne s’intéresse surtout à ce qui est particulier,


différent. Pour le classicisme, ce n’était pas Ulysse qui est important,
mais l’idée de voyage, donc pas l’individuel, mais le général, le
principe. N’oublions que même Pascal avait critiqué Montaigne pour
avoir eu le “sot projet de se peindre”, pour avoir utilisé la première
personne.

Il y avait aussi le respect des bienséances (qui peuvent être


internes ou externes). On avait des rôles fixes: le valet, le jeune
homme, le vieillard sage (même si un vieillard tombe amoureux, on
ne doit pas montrer cela au théâtre). Pourtant, les comedies
présentent des gens qui ne se comportaient pas selon leur modèle,
leur rôle. Alors, la femme savante, la fille vaillante étaient bien
ridicules. (v. Molière)

L’analyse psychologique est aussi introduite par le XVIIe siècle,


tout comme l’art de la litote (emploi d’une expression ou d’un terme
qui atténuent la pensée et suggèrent beaucoup plus qu’on ne
dit) :Va, Je ne vous hais point – est la réplique fameuse de Chimène
pour avouer son amour du Cid.

La règle des trois unités (le temps: 24 heures; le même espace;


le même conflit); elle sera respectée par Racine, mais non par
Corneille.

54 Proiectul pentru Învăţământul Rural


La violence des passions et la peinture de l’amour chez Racine

5.2 Jean Racine – un classique exemplaire


C’est par charité que Racine fréquentera gratuitement les cours
de l’école, dans une atmosphère particulièrement austère et sombre
(rappelons-nous que pour les jansénistes tous les gens sont touchés
par le péché originel, étant donc tous condamnables; seuls les élus
seront sauvés par la grâce divine, et même si l’on ne peut mériter cette
grâce, il faut faire tous les efforts pour se rendre moins coupable;
certains jansénistes allaient jusqu’à l’attitude extrême de s’isoler
complètement du monde).

Figure 5.1

1665 – Alexandre Mais ce sont les jansénistes de Port-Royal qui ont enseigné à
1667 – Andromaque Racine la culture grecque (langue, littérature et rhétorique). Racine
1669 – Britannicus s’est avéré un élève génial, mais aussi inflexible et ingrat, selon
1670 – Bérénice l’opinion de ses maîtres jansénistes. (v. fig. 5.1 – portrait de l’écrivain)
1672 – Bajazet
1673 - Mithridate A 20 ans, Racine a essayé de trouver, sans succès, plusieurs
1674 – Iphigénie métiers. Il fréquentait le monde du théâtre et menait une vie de joie, de
1677- Phèdre plaisirs.
1689 - Esther
1691 - Athalie La carrière publique a commencé en 1667: Racine a abandonné
le théâtre, devenant historiographe du roi, avec Boileau. Très apprécié
par le roi, qui lui avait accordé plusieurs privilèges (par exemple, celui
d’être son lecteur et d’avoir “entrée libre”), il fonde sa propre famille,
ayant sept enfants.

A un moment donné, Racine se réconcilie avec les jansénistes, en


périclitant sa position à la cour (car le roi Louis XIV ne tolérait pas les
jansénistes) et l’écrivain mourra dans une semi-disgrâce; son dernier
voeu: être enterré à Port-Royal, au pied d’un ancien maître d’école.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 55


La violence des passions et la peinture de l’amour chez Racine

5.3 Les thèmes fondamentaux de l’oeuvre racinienne

En général, les sources de ses tragedies sont grecque, romaine,


orientale et biblique. Par exemple, il utilise la source d’inspiration
grecque pour écrire les pièces Andromaque (1667) et Phèdre (1677).
“Si Corneille se penche vers l’antiquité pour en extraire des
exemples de hautes vertus et pour offrir ainsi des solutions morales
heureuses à ses contemporains, Racine s’y penche surtout pour
offrir à ses contemporains un miroir de l’âme humaine, dont les
réactions sont les mêmes à travers les âges. “ (Alexandra Emilian,
Cours de littérature française le XVIIe siècle, Centrul de multiplicare
al Universităţii Bucureşti, 1975, p.177)

Quand on parle des tragédies raciniennes, on insiste sur le


thème majeur: l’amour. Cependant, conformément aux exigences de
la tragédie classique, Racine choisit toujours ses personnages parmi
les héros de l’histoire (surtout de l’histoire romaine); par conséquent,
au-delà des passions, il y a aussi un contexte politique. L’amour
reste en tout cas le thème préféré de Racine, car il exploite
merveilleusement les nuances et la beauté ineffable des sentiments
amoureux. En effet, on constate toute une “gradation des
manifestations de cette passion ravageante: attente, espoir, illusion,
joie, colère, jalousie, tendresse, haine, remords,” etc. (A. Emilian,
op.cit.,p.181) Grâce à son art, Racine démontre, une fois de plus,
Mme de La Fayette que la passion de l’amour est un thème inépuisable. De ce point de
(Marie-Madeleine vue, peut-être, Phèdre est le plus impressionnant personnage du
Pioche de la théâtre racinien, car elle souffre cruellement de sa grande passion
Vergne, comtesse inassouvie. D’ailleurs, aimer devient le synonyme de souffrir dans les
de), femme de pièces de Racine, et, même dans les rares cas où l’histoire ne finit
lettres française, pas mal, la souffrance est toujours présente.
née à Paris (1634-
1693), auteur de la
Princesse de Clèves
Par conséquent, dans les tragédies raciniennes nous avons
(1678), récit qui toujours une vision pessimiste de la passion amoureuse, car les
marque l’avènement personnages de Racine veulent “tout ou rien”, ce qui signifie “la vie
du roman moderne. ou la mort”. Ce sont des personnages qui se situent entre les
extrêmes. Le dramaturge s’avère un excellent connaisseur de l’âme
troublée, et il suggère que le bonheur est chimérique, qu’il est
impossible, malgré la quête acharnée de l’homme.

Mais, en dépit de son pessimisme foncier, Racine n’est pas


moins réaliste. A son époque, c’est seulement Mme de La Fayette
qui touche une perfection de l’art psychologique, tout comme au
XIXe siècle Stendhal et au XXe siècle Proust.

Un autre thème fréquent dans le théatre de Racine est la


Le thème de la fidelité, et la meilleure illustration de ce thème reste le personnage
fidélité est illustré le d’Andromaque (en effet, c’est au nom de cette fidélité qu’elle adopte
mieux par le une attitude digne et ferme. La fidélité est entretenue par le souvenir
personnage
et par le passé, deux thèmes privilégiés dans les textes
d’Andromaque.
Andromaque et Phèdre.

56 Proiectul pentru Învăţământul Rural


La violence des passions et la peinture de l’amour chez Racine

Un autre thème constant c’est la mort, une vraie “présence


sensible” du théâtre racinien. La mort est très souvent “l’oeuvre des
dieux”, ce qui est obligatoire pour une pièce inspirée de l’antiquité.
Ces dieux sont en général féroces, méchants envers les hommes
(aspect souligné aussi par Roland Barthes, l’auteur d’un livre
classique intitulé Sur Racine). D’ailleurs, la haine des dieux est un
autre thème fondamental du théâtre racinien. Dans Phèdre, par
exemple, les dieux sont cruels envers Thésée, parce qu’ils écoutent
sa prière de le venger et de punir Hippolyte. Mais il y a aussi des
situations dans les tragédies de Racine où les dieux aident les
humains (v. Britannicus, où Junie se transforme en vestale). Bref, en
principe, les dieux dans le théâtre racinien sont présentés d’une
façon qui démontre l’impuissance des hommes devant la divinité.

Pour ce qui est du conflit dans les pièces de Racine, celui-ci


apparaît surtout entre l’amour et la haine, sentiments opposés qui
déchirent l’âme des personnages. Le héros racinien est tourmenté
par des attitudes contradictoires, il est perpétuellement harcelé par
ses sentiments contradictoires, son coeur et son esprit sont tout le
temps “partagés” entre ces deux pôles – l’amour / la haine – (le
terme employé par R. Barthes est “divisé”). Par exemple, Hermione,
qui aime Pyrrhus (celui-ci étant indifférent à cette passion) est
amoureux d’Andromaque; d’ici la haine dévastatrice d’Hermione. Et,
selon le mécanisme habituel, prévisible, la haine pousse le
personnage à la vengeance, suivie des remords les plus douloureux.
Cela veut dire que le même personnage peut être tout différent,
comme s’il était un autre, comme s’il se dédoublait sous l’influence
de ses sentiments contradictoires, contradiction qui plaide pour leur
actualité.

Souvent, les personnages de Racine incarnent le bien ou le mal,


devenant ainsi symboliques. Andromaque, par exemple, est le
symbole de la veuve et de la mère émouvante, fière, digne. Elle est
présentée presque tout le temps comme une femme triste, accablée
par la douleur d’avoir perdu Hector, son époux. Quant elle s’adresse
à Pyrrhus, elle le fait toujours en le suppliant de délivrer son fils et
elle-même. Pourtant, ses pleurs la rendent encore plus charmante
aux yeux de son ennemi. Le trait essentiel de cette veuve célèbre
c’est la pureté des gestes, de l’attitude, des sentiments, pureté issue
de sa fidélité inoubliable. Andromaque est à la fois la mère et la
femme devenue veuve; elle incarne à jamais le Bien triomphant,
malgré toutes sortes de vicissitudes. Elle reste le symbole d’une
extraordinaire beauté morale, une quintessence de l’amour conjugal
et maternel.

Quant aux personnages raciniens incarnant le mal, ils sont


Repérez le champ toujours plus expressifs que les autres, symbolisant le bien. Ils sont
lexical de la jalousie même présentés d’une manière plus vigoureuse, par des traits
renforcés, pour souligner leur cruauté, leur violence. Ce sont leurs
paroles qui les définissent très bien, tout comme leurs gestes.
Phèdre c’est le personnage le plus complexe du théâtre racinien,
mais elle est aussi l’incarnation de la jalousie dévastatrice. Seconde

Proiectul pentru Învăţământul Rural 57


La violence des passions et la peinture de l’amour chez Racine

femme de Thésée, jeune encore, elle brûle d’une passion secrète


pour le fier Hippolyte, fils du premier mariage de Thésée. Mais on
annonce la mort de Thésée, et Phèdre se décide peu à peu de parler
à Hippolyte, de lui avouer son amour. Repoussée, elle se livre à des
sentiments tout à fait contradictoires et manifeste de l’horreur envers
celui qu’elle avait aimé et envers elle-même.

La Bruyère avait souligné l’essence de la passion racinienne:


L’on veut faire tout le bonheur, ou si cela ne se peut ainsi, tout le
malheur de ce qu’on aime.(Du coeur / Les Caractères) Au cas de
Phèdre, elle n’a aucune pitié pour l’être aimé, si celui-ci est rebelle à
sa “flamme”(amour). Irrésistible, la passion est dévorante et
dévastatrice. Elle porte en elle les germes de mort. Dans la tragédie
racinienne, on tue et on meurt par l’amour. C’est une passion
égoïste.

5.4 La peinture de l’amour chez Racine

L’amour racinien est en général impossible. Et même s’il arrive


que l’amour soit partagé, il y a toujours un obstacle extérieur qui
empêche l’union des amants. Par exemple, Phèdre c’est un tel
obstacle pour Hippolyte et Aricie. L’obstacle le plus fréquent est l’être
aimé lui-même. Par un jeu cruel de la fatalité, Phèdre aime Hippolyte
qui, à son tour, aime Aricie. L’exemple le plus frappant est celui
d’Andromaque. Oreste aime Hermione, Hermione aime Pyrrhus, et
Pyrrhus aime Andromaque, celle-ci restant passionnément fidèle à la
mémoire de son mari, Hector : aucun amour partagé! (celui
d’Andromaque l’a été, mais Hector est mort dans la guerre, tué par
Achille, père de Pyrrhus). Pour conclure, la passion des pièces
raciniennes est aveugle et fatale, elle arrive toujours à sombrer dans
une impasse.

Si, chez Corneille, l’amour est fondé sur l’estime et sur


l’honneur, chez Racine la passion fait oublier le respect dû à l’être
aimê, comme à soi-même (v. Phèdre). Si l’adversaire ne cède pas, il
vaut mieux le briser ! Phèdre pourrait pardonner à Hippolyte de ne
pas partager son amour, si celui-ci ne s’attachait pas à une autre
femme (mais Hippolyte aime Aricie). Quand Phèdre est sûre de
l’amour d’Hippolyte pour une autre femme, elle est ravagée par la
furie, par toutes les tortures. Qu’Hippolyte périsse! Qu’Aricie,
criminnelle à ses yeux, périsse également! Hippolyte mourra en effet,
et Pyrrhus, responsable de sa mort, ne pourra pas lui survivre.

Dans Phèdre, Racine fait de la jalousie le centre d’intérêt et le


ressort principal de l’action. La nouvelle du retour de Thésée accable
Phèdre et elle désire même mourir. Mais quelqu’un (Oenone) dit à
Thésée que c’est Hippolyte qui avait offensé Phèdre et le père
chasse son fils, en suppliant Neptune de le châtier. Phèdre, en proie
à ses remords, essaie de disculper Hippolyte, mais à ce moment-là
elle apprend que c’est Aricie qu’Hippolyte aime. Dès qu’elle connaît

58 Proiectul pentru Învăţământul Rural


La violence des passions et la peinture de l’amour chez Racine

sa rivale, Phèdre condamne “l’ingrat”. Elle est cruellement jalouse, et


À noter que dans la en souffre atrocement. Racine a su peindre parfaitement les affres
littérature du XVIIe de la jalousie, qui détruit la lucidité des personnages, tout en
siècle c’est Mme de
enflammant leur imagination et leur orgueil blessé. On trouve de
La Fayette qui a le
mieux décrit les
longs monologues où le personnage scrute impitoyablement son
« les affres de la coeur, avec toutes les nuances de la douleur déchirante (v.
jalousie » dans son Hermione). Cette douleur devient presque physique.
roman La Princesse
de Clèves (1678). Enfin, pour les héroïnes orgueilleuses, c’est une atroce
humiliation de se voir préférer à une rivale, et l’amour partagé dont
elles sont exclues est une insulte qui doit être vengée, même si l’être
aimé sera la victime. Le jaloux veut faire souffrir autant qu’il souffre.
C’est pourquoi Hermione est extrêmement cruelle avec Andromaque
(v. fig.5.2 interprète d’Andromaque), dont le seul crime est d’être
aimée par Pyrrhus.

Certes, Racine a peint admirablement une gamme très variée


de sentiments et on ne peut attibuer à ce dramaturge le qualificatif de
«tendre», car, chez lui, les passions sont souvent violentes. Certes, il
a peint aussi des âmes délicates et mélancoliques, de pures figures,
douces et affaiblies par les misères de la vie. Mais, avec son
admirable science de la vie, Racine sentait bien que s’il y a des
âmes où le sentiment se résigne et semble pleurer, il y en a d’autres,
en très grand nombre, où les passions se déchaînent dans toute leur
violence, où l’instinct apparaît dans toute sa brutalité.

Comme réaction aux conventions fades, Racine a représenté


l’impulsion véhémente des passions qui, à toutes les époques et
dans les meilleures sociétés, font à chaque instant craquer toutes les
délicatesses de la mode, de la bienséance et des politesses. Ainsi
les emportements d’Agrippine insultant Burrhus :

Ah ! l’on s’efforce en vain de me fermer la bouche !


Je vois que mon silence irrite vos dédains ;
Et c’est trop respecter l’ouvrage de mes mains.
(Britannicus, acte III, scène III)

ou encore :

Certes, plus je médite, et moins je me figure


Que vous m’osiez compter pour votre créature,
Vous dont j’ai pu laisser vieillir l’ambition
Dans les honneurs obscurs de quelque légion ;
Et moi qui sur le trône ai suivi mes ancêtres,
Moi, fille, femme, soeur et mère de vos maîtres !
Que prétendez-vous ?
(ibid., acte I, scène II)
Choisissez les
noms, les adjectifs Mais Racine, qui a fait de la peinture de l’amour son vrai
et les verbes qui domaine, a su peindre aussi l’amour délicat, mélancolique et
désignent la gamme élégiaque des jeunes filles, cet amour qui se révèle avec une chaste
variée des retenue :
sentiments

Proiectul pentru Învăţământul Rural 59


La violence des passions et la peinture de l’amour chez Racine

Ah ! par quel soin cruel le Ciel avait-il joint


Deux coeurs que l’un pour l’autre il ne destinait point !
Car, quel que soit vers vous ce penchant qui m’attire,
Je vous le dis, Seigneur, pour ne plus vous le dire.
Ma gloire me rappelle et m’entraîne à l’autel
Où je vais vous jurer un silence éternel.
J’entends, vous gémissez ; mais telle est ma misère,
Je ne suis point à vous, je suis à votre père.
Dans ce dessein, vous-même, il faut me soutenir
Et de mon faible coeur m’aider à vous bannir.
(Monime à Xipharès ; Mithridate, acte II, scène VI)

Les vers ci-dessus démontrent une candeur, une sobriété du ton


qu’on retrouve dans la peinture des sentiments amoureux des autres
personnages féminins comme Iphigénie, Bérénice, tandis que
d’autres héroïnes raciniennes (Phèdre, Hermione) sont l’incarnation
de l’amour violent et déchaîné :

Pourquoi l’assasiner ? Qu’a-t-il fait ? A quel titre ?


Qui te l’a dit ? /.../
Ah ! fallait-il en croire une amante insensée ? /.../
Ne devais-tu pas lire au fond de ma pensée ?
Et ne voyais-tu pas, dans mes emportements,
Que mon coeur démentait ma bouche à tous moments ?
Quand je l’aurais voulu, fallait-il y souscrire ?
N’as-tu pas dû cent fois te le faire redire ?
Toi-même avant le coup venir me consulter ?
(Hermione à Oreste ; Andromaque, acte V, scène III)

La conséquence de cette magistrale peinture de l’amour aux


fines nuances est que le théâtre racinien contient certains rôles
d’hommes qui sont importants (Néron, Oreste, etc.), mais d’ordinaire
les premiers rôles sont réservés aux femmes, puisque c’est là qu’on
trouve au degré superlatif l’amour humain et la faiblesse humaine.

Test d’autoévaluation

Vous avez appris des détails sur les personnages raciniens.


Vérifiez si vous les avez bien retenus et compris. Consultez
ensuite la rubrique « Les clés du test d’autoévaluation ».

1. Parmi les sentiments éprouvés par les personnages


raciniens, il y en a un sur lequel s’appuye toute leur
psychologie. Lequel ? Montrez comment sont décrites ses
manifestations dans le théâtre racinien.

60 Proiectul pentru Învăţământul Rural


La violence des passions et la peinture de l’amour chez Racine

2. Caractérisez le personnage d’Andromaque.

3. Montrez comment se venge Phèdre sur Hippolyte.

5.5 La complexité des âmes et des caractères

L’art de Racine Les personnages cornéliens avaient une certaine raideur, ils
réside dans le fait étaient comme figés dans une attitude un peu uniforme, ils se
qu’il met les montraient tout entiers, dès les premières scènes, avec leurs
personnages dans contours précis. Leurs changements n’étaient point dus à la
des situations complexité : le héros allait à gauche avec la même rigueur
différentes, même automatique qu’il avait d’abord à droite, c’est-à-dire il avait un
contradictoires, d’où comportement stéréotypé, malgré le contexte différent. C’était le
la complexité de
même personnage, le même caractère se révélant par des actes
leurs caractères .
opposés.

Chez Racine, les âmes ont plus de souplesse et de vie: elles se


créent devant nous. Racine les saisit dans un moment de crise , au
milieu des variations où les jette la violence de la passion. Elles sont
étrangement mobiles ; elles se transforment et se compliquent de
scène en scène. Assurément, la donnée générale reste la même,
mais que de nuances se révèlent ! C’est par toutes ces nuances -
qui constituent souvent pour le héros lui-même de brusques
révélations – que la tragédie racinienne repart constamment sur des
coups de théâtre moraux. La tragédie racinienne est, à sa manière,
aussi compliquée, aussi chargée de péripéties que la tragédie
cornélienne. Mais la complication ne vient pas du sujet, elle sort tout
entière de la vibration des âmes.

Si chaque caractère est aussi mobile, on peut s’attendre à ce


que Racine marque de traits assez différents une même passion,
quand il la peint dans plusieurs personnages. L’ambition d’Agrippine
n’est pas celle d’Athalie, par exemple. C’est surtout dans la peinture
de l’amour qu’apparaît la finesse de cette analyse. Vous trouverez ci-
dessous l’image d’une interprète de Phèdre, suggérant le comble
d’émotions du personnage racinien (fig. 5.2).

Proiectul pentru Învăţământul Rural 61


La violence des passions et la peinture de l’amour chez Racine

Figure 5.2

Idées à retenir :

¾ Andromaque est la figure la plus touchante de Racine.


Epouse fidèle et dévouée, elle veut garder la fidélité à
son défunt époux, même au-delà de la tombe :

Ma flamme par Hector fut jadis allumée ;


Avec lui dans la tombe elle s’est enfermée !

Mère tendre pour son fils, elle est prête aux sacrifices les
plus pénibles pour sauver la vie de son fils, s’abaissant même à
embrasser les genoux de Pyrrhus qui lui a causé tant de
souffrances. Son amour maternel la force à user de ruse envers
Pyrrhus. Lorsque la situation le demande, elle le regarde d’un oeil
plus favorable, lui laissant entrevoir un peu d’espoir (« la
coquetterie vertueuse » d’Andromaque). Pour le salut de son fils,
O, mon fils, que tes jours coûtent cher à ta mère !

L’héroïne Après quelques moments de pieux recueillement, elle prend


Andromaque, un la décision d’épouser Pyrrhus, mais de se tuer après la
modèle de cérémonie. Dans les vers adressés à Céphise, Racine peint toute
dévouement la grandeur d’âme, une âme noble et un caractère digne de cette
femme infortunée, dont l’amour conjugal et maternel la pousse au
sacrifice suprême.

L’attitude d’Andromaque est vraiment sublime, car elle ne


demande rien pour elle-même. Elle ne pense qu’à Hector et à

62 Proiectul pentru Învăţământul Rural


La violence des passions et la peinture de l’amour chez Racine

son fils en ce qui elle voit l’image d’Hector et celui qui va


reconstruire Troie, manifestant aussi son sentiment patriotique.

¾ Pyrrhus est le personnage qui éprouve un amour brutal,


égoïste, violent (L’amour peut-il si loin pousser sa
barbarie. - Andromaque) L’égoïsme le rend incapable
d’une action généreuse. Infidèle à sa fiancée Hermione, il
condamne lui-même le parjure qu’il commet, étant
poussé par une passion plus forte que sa volonté :

Je sais de quels serments je romps pour vous les chaînes,


Combien je vais sur moi faire éclater de haines.
Je renvoie Hermione et je mets sur son front,
Au lieu de ma couronne, un éternel affront.

Ce personnage est violent, mais il est aussi sincère. Andromaque


a confiance en lui, il va avoir soin de son fils, après sa mort,
comme il l’a promis :

Je sais quel est Pyrrhus. Violent, mais sincère.


/.../ il fera plus qu’il n’a promis de faire.

¾ Phèdre
Ce personnage incarne un combat terrible entre le crime et
le remords.
Phèdre est la femme de Thésée. Croyant son mari mort, elle
apporte ses enfants chez son beau-fils Hippolyte qu’elle aime.
Troublée par sa présence, elle lui déclare sa passion. A ce
moment, on lui annonce le retour de son mari. Prise de remords,
elle apprend, cependant, qu’Hyppolite aime Aricie. Torturée par
la jalousie, elle laisse sa nourrice Oenone accuser Hppolyte
auprès de Thésée. Ce dernier maudit son fils et le dévoue à la
colère de Neptune. Celui-ci envoie contre Hippolyte un monstre
marin qui épouvante ses chevaux et cause sa mort.
La passion criminelle de Phèdre est peinte avec beaucoup
de feu et d’entraînement. Dans la littérature française classique,
elle incarne la jalousie.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 63


La violence des passions et la peinture de l’amour chez Racine

5.6 Racine et la société du XVIIe siècle

On a longtemps méconnu l’art de Racine. On a vu en lui l’auteur


d’élégies dramatiques pathétiques et harmonieuses. Le critique
Hippolyte Taine a insisté d’autre part sur cette idée que le théâtre de
Racine est l’image de la société mondaine au XVIIe siècle. L’idée
était déjà dans J.–J. Rousseau. Les passions les plus violentes,
disait-il, y obéissent aux scrupules de bienséances qui sont de règle
dans un salon.

Cette conception n’est pas entièrement fausse. Racine voulait


plaire ; il était avide de succès. Et pour réussir il suivit les goûts de
Le désir de succès ses contemporains. Il commença par imiter Corneille dans sa
de Racine Thébaïde. Puis il imita Quinault. Quinault (1635-1688) écrivait, avant
1667, des tragédies ou tragi-comédies fort goûtées ; il a eu sur
Racine une influence certaine ; il a posé des problèmes
psychologiques qui rappellent ceux de Racine et où c’est la passion
qui entraîne l’action, et non pas la volonté comme chez Corneille. Il
a, moins heureusement, enseigné à Racine la galanterie, l’art de
mettre une finesse spirituelle et des élégances de style dans les
propos d’amour même héroïques et tragiques. Cette galanterie
s’étale dans Alexandre ; elle se glisse dans les propos du Pyrrhus
d’Andromaque ou dans les discours de certains amoureux
médiocres, l’Hippolyte de Phèdre, Bajazet etc.

D’autre part, Racine, pas plus que Corneille, n’a eu notre sens
moderne de l’histoire. Il fait, comme tous les dramaturges de son
époque, usage de l’histoire. Mais il conçoit évidemment la cour
d’Agamemnon, ou celle de Pyrrhus, ou celle du despote oriental
Mithridate comme la cour de Louis XIV. Oreste, Hippolyte, Bajazet
sont des princes ; Iphigénie, Aricie, Monime, des princesses qui ont
reçu l’éducation des princes et des princesses du XVIIe siècle. Enfin,
parmi les grands seigneurs et les grandes dames qui vivent vers
1670, s’il est vrai qu’on se bat, qu’on s’injurie, et parfois qu’on
s’empoisonne, en public on se conduit en « honnête gens ». Les
personnages de Racine sont toujours un peu « en public ».

L’originalité de Racine ne réside pas dans l’invention de la


tragédie psychologique (en effet, toutes les situations
psychologiques qui sont les thèmes de Racine ont été portées à la
L’âme féminine, scène avant lui, dans le théâtre de Quinault, par exemple), mais
un territoire dans le naturel, la simplicité de son œuvre. Le génie de Racine est
toujours à non pas d’avoir peint des états d’âmes violents et complexes, c’est
exploiter dans les d’en avoir choisi qui soient plus simples, plus humains. En lisant les
pièces de Racine
prédécesseurs de Racine, nous avons l’impression d’être en
présence de marionnettes dont l’écrivain tire les fils. Chez Racine,
c’est la vie même qui se déroule. Cela se voit également dans le
style limpide, comme c’est toujours la nature qui parle.

Nous allons clôturer cette unité d’apprentissage justement par


des appréciations sur le style de Racine, car cet aspect nous semble

64 Proiectul pentru Învăţământul Rural


La violence des passions et la peinture de l’amour chez Racine

essentiel pour le caractère exemplaire du théâtre racinien. En effet,


le dramaturge a su réaliser une composition souple dans ses textes,
où les éléments de style sont pauvres. Mais c’est la force cachée
dans les mots de Racine qui impressionne le lecteur de toutes les
époques. Les images créées dans ses pièces sont si suggestives,
que la lecture d’une tragédie racinienne devient une aventure
passionnante dans l’exploration de l’âme humaine, surtout de celle
féminine. Afin de vous donner des exemples concrets concernant
cette subtilité des personnages féminins, lisez les extraits ci-
dessous :

Elle flotte, elle hésite, en un mot elle est femme.


(Athalie)

Ah ! je l’ai trop aimé pour ne le point haïr.


(Andromaque)

Et l’espoir, malgré moi, s’est glissé dans mon cœur.


(Andromaque)

Dans les tragédies raciniennes on souffre cruellement. C’est


seulement la poésie du texte qui donne de l’harmonie aux cris de
douleur. On pourrait dire que la solution racinienne contre l’absurde
et l’injustice du monde c’est la beauté. Dans les pièces de Racine, la
mort devient splendide, élégante, majestueuse. Ses héros ont
quelque chose de statuaire, ou bien comme le dramaturge lui-même
disait dans la deuxième préface à Bajazet, les personnages
tragiques doivent être regardés d’un autre œil que nous ne
regardons d’ordinaire les personnages que nous avons vus de si
près.

Les clés du test d’autoévaluation


Réponses et commentaires :

1. L’amour est le sentiment de choix décrit dans le théâtre de


Racine ; il rend souvent les personnages jaloux, égoïstes,
pessimistes, ceux-ci manifestant une profonde haine envers leur
rivaux et un vif désir de se venger cruellement.

2. Andromaque est le personnage symbolique du théâtre de


Racine, incarnant à la fois la veuve fidèle à la mémoire de son
mari et la mère dévouée, qui est prête à se sacrifier pour son
enfant. Elle a une beauté morale issue du commun, restant
l’image touchante de la femme pure, sensible.

3. Phèdre accuse Hippolyte (par l’intermédiaire du


personnage d’Oeunone) de l’avoir offensée et le père chasse son
fils, en suppliant Neptune de le punir.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 65


La violence des passions et la peinture de l’amour chez Racine

Test de contrôle 5

Ce test est administré à l’issue de l’unité d’apprentissage 5.


Pour réaliser ce test, il vous est conseillé de relire l’unité et de
faire des annotations. Ne manquez pas de transmettre ce test
à votre tuteur. A cet effet, il convient de marquer votre nom,
votre prénom et votre adresse personnelle sur la première
page de votre copie. N’oubliez pas de mentionner aussi le
numéro du test. Vous êtes supposés le recevoir, après
correction, avec les commentaires de votre tuteur.

Bon travail !

1. Présentez les règles du théâtre classique. Quel est le


dramaturge qui n’obéit pas exactement à ces contraintes ?
(2 points ; 7-8 lignes)

2. Quels sont les chefs-d’oeuvre de Racine ? Pour quelles


raisons le sont-ils devenus ?
(2 points ; 5-6 lignes)

3. Présentez votre personnage préféré / détesté du théâtre


racinien et justifiez votre choix.
(3 points ; 7-8 lignes)

4. Choisissez un fragment de Phèdre ou Andromaque et


commentez la logique et la qualité de la persuasion.
(3 points ; 5-6 lignes)

Références bibliographiques :

RACINE, Jean, Andromaque, Paris, Librairie Larousse.

RACINE, Jean, Phèdre, Paris, Librairie Hachette.

EMILIAN, Alexandra, Cours de littérature française le XVIIe siècle,


Centrul de multiplicare al Universităţii Bucureşti, 1975, pp.176-215.

66 Proiectul pentru Învăţământul Rural


La poétique des tragedies raciniennes

Unité d’apprentissage 6

LA POÉTIQUE DES TRAGÉDIES RACINIENNES

Sommaire page
Les objectifs de l’unité d’apprentissage 6 67
6.1 Simplicité de l’intrigue 68
6.2 Les sujets bourgeois et communs 69
6.3 La vérité des passions : la faiblesse humaine 70
6.4 La poésie du théâtre racinien (mélodie et pittoresque) 72
Test d’autoévaluation 73
Les clés du test d’autoévaluation 76
Test de contrôle 6 76
Références bibliographiques 77

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 6

Quand vous aurez parcouru cette unité d’apprentissage et effectué le test


d’autoévaluation, vous serez capables de :

• mettre en évidence la simplicité de l’intrigue et la description des sentiments ;


• faire des commentaires sur l’art du dialogue et du portrait ;
• reconnaître les sujets bourgeois et communs;
• analyser la beauté de la langue racinienne.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 67


La poétique des tragedies raciniennes

6.1 Simplicité de l’intrigue

Racine a su créer une parfaite correspondance entre les


Vauvenargues caractères des personnages et leur manière de s’exprimer. C’est le
(1715-1747), langage vivant qui définit chaque héros. Comme dit Vauvenargues,
moraliste français, les personnages de Racine se font connaître parce qu’ils parlent.
auteur de Réflexions
et Maximes. Il y a une abondance d’interrogations angoissantes (Où suis-je?
Qui suis-je? Que lui dirais-je?) Il y a aussi beaucoup d’exclamations
qui assurent la vivacité du style. Ainsi les émotions des personnages
sont-elles mieux exprimées.

La fréquence du mot aveugle, placé à l’intérieur d’un vers,


exprime très bien les troubles des personnages, leurs incertitudes,
leur angoisse.

Le dialogue est tout naturel, spontané, de façon qu’on oublie


souvent qu’il s’agit d’une tragédie classique écrite dans les rigueurs
de l’alexandrin.

L’art du portrait s’avère aussi suggestif par la force des


allusions, témoignant d’une grande beauté poétique.

On peut se faire une idée de la poétique de Racine par les


préfaces de ses tragédies et aussi par certains articles de ses
Poétique= théorie
contemporains. En effet, le dramaturge a voulu fonder une tragédie
générale de la
nature et du destin
vraie (c’est-à-dire totalement opposée à celle de Corneille). Il n’y a
de la poésie; que le vraisemblable qui touche dans une tragédie, croyait Racine.
esthétique littéraire. Et il voulait aussi une tragédie poétique, ce qui signifiait passer sur la
scène quelque chose de la beauté grecque dont il était épris.

Corneille aimait charger son théâtre d’événements assez


compliqués - qui avaient évidemment pour but de mettre en lumière
ses caractères -, mais dont l’angencement pouvait paraître
romanesque, car la vie ordinaire n’est pas tellement embarrassée
d’incidents

Racine, comme Molière, a organisé ses pièces sur des


coordonnées très simples et, en le faisant, il ne ménageait pas ses
critiques aux poètes de l’école romanesque :

Ils ont rempli l’action de quantité d’incidents qui ne se pourraient


passer qu’en un mois, d’un grand nombre de jeux de théâtre,
d’autant plus surprenants qu’ils sont moins vraisemblables et d’une
infinité de déclamations... (Première préface de Britannicus)

Ils ne sentaient dans leur génie ni assez d’abondance ni assez


de force pour attacher durant cinq actes leurs spectateurs par une
action simple. (Préface de Bérénice)

68 Proiectul pentru Învăţământul Rural


La poétique des tragedies raciniennes

D’habitude, un seul fait suffit à engager l’action et à fournir la


matière du drame : l’arrivée d’Oreste, (Andromaque), l’enlèvement
de Junie (Britannicus). Plus le sujet est simple et nu, plus le poète s’y
complaît. Racine a réagi contre l’école héroïque et romanesque en
dédaignant de piquer la curiosité par l’imprévu des situations. Par
cela, il parvenait non seulement à la vérité, mais aussi à ce qu’il
croyait être la beauté. Il aimait, dans la tragédie grecque, la nudité de
l’intrigue et le mépris des ornements, et il essayait de se rapprocher
le plus possible des chefs-d’oeuvre antiques. Et, du même coup, il se
sentait très libre en face des « règles ». Ces fameuses unités avaient
gêné Corneille dont le théâtre était trop rempli d’événements, tandis
que les pièces de Racine peuvent se passer très facilement en
quelques heures, parce que l’intrigue toute morale n’a pas besoin de
beaucoup de temps pour remplir cinq actes.

6.2 Les sujets bourgeois et communs


Corneille pensait que la tragédie exigeait, comme sujet, quelque
grand intérêt d’Etat. Racine n’a éliminé ni histoire ni politique de son
théâtre. Par exemple, Mithridate est un très beau sujet d’histoire
romaine ; et la « matière » de Britannicus, de Bajazet ou d’Athalie est
toute politique. Mais il est visible que, chez lui, le sujet politique sert,
avant tout, à faire naître des situations bourgeoises ; c’est pourquoi
on lui reproche des sujets « communs ». L’ambassade d’Oreste sur
une question de politique (la mort d’Astyanax), n’est qu’une occasion
dans cette tragédie, et d’ailleurs Pyrrhus s’en moque, là où Corneille
eût trouvé matière à de brillants développements :

La Grèce en ma faveur est trop inquiétée ;


De soins plus importants je l’ai cru agitée,
Seigneur ; et, sur le nom de son ambassadeur
J’avais dans ses projets conçu plus de grandeur.
Qui croirait en effet qu’une telle entreprise
Du fils d’Agamemnon méritât l’entremise,
Qu’un peuple tout entier tant de fois triomphant
N’êut daigné conspirer que la mort d’un enfant ?
(Andromaque, acte I, scène II)

C’est pourquoi, sans doute, Racine a préféré aux sujets


proprement historiques, les sujets mythologiques, où il risquait moins
de rencontrer ces grandes questions qui ravissaient Corneille.

Il ne faut pas en effet que les noms antiques nous fassent


illusion. Les tragédies de Racine ne sont que des drames bourgeois,
des scènes de la vie ordinaire. Le poète a le plus possible (car il
reste pourtant un peu de convention) purgé ses sujets de leur
romanesque. Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus, qui aime
Andromaque, et c’est tout. Un fils qui échappe à la tutelle de sa mère
(Britannicus), un vieillard rival de ses fils (Mithridate), etc., voilà les
sujets de Racine. Ce sont des tableaux de la vie de famille ou de la
vie moyenne. On s’explique ainsi qu’il y ait un air de ressemblance
entre certaines situations de Racine et certaines peintures de
Molière.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 69


La poétique des tragedies raciniennes

6.3 La vérité des passions : la faiblesse humaine

Comme Molière, Racine croit que ce sont les caractères des


hommes qui font de la vie ce qu’elle est. Il a voulu montrer des
caractères agissant et créant l’action, « une action simple, soutenue
de la violence des passions, de la beauté des sentiments... »
(Première préface de Britannicus).

Mais quels caractères ? Il y en a beaucoup dans la vie. Corneille


avait montré des âmes héroïques, menées par l’intelligence et la
volonté, et domptant par leur énergie la violence de leurs passions
ou de leurs instincts : en effet, le devoir s’empare toujours, chez ce
dramaturge, de la passion. Racine, au contraire, croyait - et il avait
raison – qu’en général, dans la vie, les hommes sont dirigés par
leurs passions plutôt qu’ils ne les dominent. La vérité cornélienne lui
semblait un idéal surhumain. La vie de cour lui montrait des âmes
faibles. En outre, les croyances jansénistes ne lui laissaient aucun
doute sur la fragilité de l’homme, qui n’est ni libre ni maître de sa
volonté. Pour toutes ces raisons, il a fondé son théâtre sur la
peinture du sentiment et sur la faiblesse des âmes menées par leurs
passions.

Racine a été le peintre de toutes les passions, non seulement


/…/une action de l’amour dans le couple, mais aussi de l’amour paternel
simple, soutenue (Agamemnon), de l’amour maternel (Clytemnestre, Andromaque), de
de la violence des l’amour filial (Iphigénie), de l’ambition (Agrippine), de la vanité
passions, de la (Néron), de la foi religieuse (Joad), etc. Et toutes ces âmes, nobles
beauté des ou dépravées, se laissent conduire par leurs sentiments : elles en
sentiments et de vivent et elles en meurent. Rien d’héroïque au sens cornélien, rien
l’élégance de de tendu. L’énergie n’est pas une révolte de la volonté, mais un
l’expression. résultat de l’impulsion. Elle est, comme tout le reste, un signe de
(Préface de cette faiblesse humaine que la mélancolie de certains aveux fait
Bérénice)
apparaître :

Fille d’Agamemnon, c’est moi qui la première,


Seigneur, vous appelai de ce doux nom de père :
C’est moi qui, si longtemps le plaisir de vos yeux,
Vous ai fait de ce nom remercier les Dieux
Et pour qui tant de fois prodiguant vos caresses,
Vous n’avez point du sang dédaigné les faiblesses.
Hélas ! avec plaisir je me faisais conter
Tous les noms des pays que vous alliez dompter :
Et déjà d’Ilion présageant la conquête,
D’un triomphe si beau je préparais la fête.
Je ne m’attendais pas que, pour le commencer,
Mon sang fût le premier que vous dussiez verser.
(Iphigénie, acte IV, scène IV)

Par conséquent, l’essentiel du travail de Racine a porté sur la


création d’un monde dramatique dont les personnages, bien que
parfaitement libres, sont placés dans une situation où aucune issue

70 Proiectul pentru Învăţământul Rural


La poétique des tragedies raciniennes

n’est visible. Les choix qui leur sont proposés sont illusoires. Ainsi en
est-il du schéma du pouvoir impuissant, où le personnage qui tient
en sa discrétion celui qu’il aime n’est pas aimé par celui-ci, de sorte
que toute sa puissance est sans force devant la résistance de l’objet
aimé. C’est le cas de Pyrrhus face à Andromaque, de Néron face à
Junie, de Roxane face à Bajazet, de Mithridate face à Monime. Dans
ce monde, personne n’a raison et les conditions de la vie familiale
mènent toutes à la tentation du tragique : le père est terrible
(Mithridate), la mère inefficace, les frères ennemis ; les dieux eux-
mêmes sont des monstres. ; dans Phèdre , en particulier, ils
trompent systématiquement les hommes qui les adorent. L’amour,
traité, contrairement à ce que voulait Corneille, comme un absolu, a
ses lois rigoureuses, dont l’une, non écrite, est de n’être jamais
satisfait.

L’impitoyable violence de la dramaturgie racinienne est


équilibrée par la savante douceur de la poésie. Racine est un poète
et l’ordonnateur d’une cérémonie. Plus le tableau tragique est cruel,
plus la cérémonie qui le rend assimilable pour les différents publics
devra être chargée du poids poétique qui pourra le transfigurer.

Distinguez (parallèle entre Corneille et Racine) :

1. Ressemblances :
• Poètes tragiques de premier ordre.
• Puissante originalité ; analyse profonde des caractères ;
• Création de types dramatiques.
• Chacun s’est essayé avec succès dans la comédie.
• Chacun a représenté des sujets religieux (Polyeucte –
Athalie, Ester)

2. Différences :
• Ressort du théâtre chez Corneille : l’admiration.
• Ressort du théâtre chez Racine : la pitié et la terreur.
• Corneille peint des héros doués d’une force de volonté
surnaturelle, lesquels, étouffant les passions, suivent la voie de
l’honneur et du devoir (le triomphe de la volonté sur la passion).
• Racine peint la réalité, pas les hommes, comme ils
dévraient être, mais des caractères passionnels, pleins de
faiblesses, en proie à leurs passions (l’amour, la jalousie, la
haine, etc.), qui les rendent criminels, incapables d’y opposer une
ferme volonté (Il n’y a que la vraisemblance qui touche dans une
tragédie.) Corneille élève, étonne, instruit ; Racine plaît, touche,
pénètre.
• Racine peint surtout des types féminins comme
particulièrement sujets à des faiblesses ; Corneille peint des
types masculins, des héros.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 71


La poétique des tragedies raciniennes

• Corneille est plus moral, Racine plus naturel.


• Corneille nous assujettit à ses caractères et à ses idées ;
Racine se conforme aux autres.
• Corneille a puisé dans l’histoire romaine ses sujets qui
satisfont son idéal d’héroïsme et de grandeur. Racine emprunte
ses sujets aux légendes de la Grèce, à la Bible, à la mythologie
grecque (Homère, Virgile, Euripide).
• La tragédie de Racine a un caractère psychologique plus
accentué encore que celle de Corneille.
• L’action chez Corneille est souvent compliquée, l’intrigue
chargée. Chez Racine, l’action est beaucoup plus simple,
chargée de peu de matière (simplicité de l’action, poussée à bout
dans Bérénice).
• Le style de Corneille est éloquent, sublime, mais inégal.
Racine a un style élégant, harmonieux, soutenu.

3. Conclusions :
• Mérites différents, mais également supérieurs. La plus
forte originalité de Corneille a pour équivalent la perfection plus
soutenue de Racine.
• Les deux ont exprimé le vrai, le beau, le grand.
• Ils se confondent dans l’admiration de la postérité.

6.4 La poésie du théâtre racinien

Racine en tant que dramaturge ne fait pas seulement vivre des


âmes, mais il est aussi un grand poète. En effet, l’écrivain réussit à
reconstituer des milieux historiques ou légendaires ; en outre, si les
situations où il mettait ses personnages parlaient à son coeur, les
Les sentiments les sujets choisis parlaient à son imagination. C’est ainsi qu’il a pu
plus touchants de donner la sensation puissante des temps lointains : la Rome
l’Andromaque de impériale dans Britannicus, la Grèce mythologique dans Phèdre, la
Racine émanent Grèce à demi historique dans Iphigénie, la Bible et le peuple juif dans
pour la plupart d’un Athalie ; toutes ces visions sont d’un très grand artiste. De là ce sens
poète chrétien ; on y du décor que n’avait pas Corneille (Athalie en est le plus grandiose
voit la nature
exemple avec toutes les scènes picturales : l’intérieur du temple de
corrigée, la nature la
plus belle, la nature
Jérusalem, le choeur des jeunes filles, la prophétie de Joad, le
évangélique.Cette couronnement de Joas, l’arrivée d’Athalie).
humilité que le
christianisme a Dès la première scène, Racine crée, par évocation, cette
répandue dans les atmosphère spéciale, cette lumière particulière dont tout le poème va
sentiments perce à être baigné. Voici le rivage d’Aulis où les vaisseaux attendent le
travers tout le rôle départ ; c’est le point du jour :
de la moderne
Andromaque. /.../ Quel important besoin
(Chateaubriand, Vous a fait devancer l’aurore de si loin ?
Génie du
A peine un faible jour vous éclaire et me guide.
christianisme)

72 Proiectul pentru Învăţământul Rural


La poétique des tragedies raciniennes

Vos yeux seuls et les miens sont ouverts dans l’Aulide.


Avez-vous dans les airs entendu quelque bruit ?
Les vents nous auraient-ils exaucés cette nuit ?
Mais tout dort, et l’armée, et les vents, et Neptune.
(Iphigénie, acte I, scène I)

Ou bien, voici le temple de Jérusalem et le souvenir des fêtes


passées :

Que les temples sont changés ! Sitôt que de ce jour


La trompette sacrée annonçait le retour,
Du temple, orné partout de festons magnifiques,
Le peuple saint en foule inondait les portiques ;
Et tous, devant l’autel avec ordre introduits,
De leurs champs dans leurs mains portant les nouveaux fruits
Au Dieu de l’univers consacraient les prémices.
(Athalie, acte I, scène I)

Dans sa pièce Phèdre, Racine a peint la Grèce mythologique,


en présentant au lecteur/spectateur de vastes horizons. Si différent
que cet art soit de l’art grec, il est certain que Racine a éclairé son
théâtre de la pure lumière de la Grèce antique. Ce psychologue
pénétrant a été en même temps un poète et un puissant artiste. Il est
de ces écrivains, très rares, qui donnent l’idée de la perfection.

Test d’autoévaluation

Vous avez parcouru une unité d’apprentissage vous exposant


le spécifique du théâtre racinien. Vérifiez si vous avez retenu
l’essentiel et consultez ensuite la rubrique « Les clés du test
d’autoévaluation »

1. Où sont visibles les idées théoriques de Racine sur la


tragédie ? Présentez une ou deux idées de ce type.

2. Quelle est la place de l’histoire dans les pièces de Racine


par rapport à celles de Corneille ?

3. Quelles sont les vertus du décor dans le théâtre racinien ?

Proiectul pentru Învăţământul Rural 73


La poétique des tragedies raciniennes

4. Pourquoi y a-t-il des critiques qui considèrent Racine


actuel ?

Idées à retenir :

Dans son livre Literatura franceză de la Villon la zilele noastre


(paru à maison d’édition Dacia, Cluj-Napoca, en 2001), Nicolae
Balotă ouvre la cinquième section du volume („Theatrum mundi”)
avec un essai sur Racine. Le critique roumain met en discussion
l’actualité du dramaturge français:

Racine contemporanul nostru? Niciodată, în măsura în care


Shakespeare ne este contemporan. Romanticii (şi înaintea lor,
tinerii preromantici germani /…/ ) îi opuseseră pe cei doi,
înclinând balanţa în favoarea marelui Will. Într-adevăr, infinit mai
mult decât prietenul şi admiratorul „domnilor de la Port-Royal”,
ferecat în canoane, Shakespeare poate să devină „actual”. Dar
caracterul excepţional al teatrului racinian rezidă tocmai în
superba sa inactualitate.

Nicolae Balotă va se demader par conséquent pourquoi l’effort de


Barthes (v. Sur Racine) de faire le dramaturge parler la langue du
XXe siècle. En parlant d’un théâtre des passions tragiques,
Barthes devait méditer sur les relations existant entre logos et
pathos, tandis que les démarches de Barthes, montre N. Balotă,
visent un “langage du langage”, réduisant le pathos au logos,
sans remarquer une magie, un mystère de la langue racinienne…
Pourtant, le mérite de Barthes réside dans le fait qu’il a cherché
les archétypes de l’humanité, tout comme l’ont essayé les
prédécesseurs psychanalistes. Le héros racinien apparaît situé
N. Balotă (né en dans un espace du tragique qui lui est caractéristique : la
1925), professeur chambre et les espaces extérieurs, avec tout ce qu’ils impliquent
de littérature (mort, évasion, événement), représentent ces espaces, et le
comparée en
critique roumain affirme que la limite de Barthes est d’avoir
Roumanie et à
l’étranger, auteur analysé le tragique au-delà des valeurs, ce qui ne correspond
de nombreux point à l’essence même du tragique :
livres de succès.

74 Proiectul pentru Învăţământul Rural


La poétique des tragedies raciniennes

Numai acolo unde este înălţime şi josnicie, nobleţe şi trivialitate


se poate petrece evenimentul tragic. O valoare trebuie să fie
nimicită pentru ca tragedia să aibă loc. Nu orice cataclism natural
este o tragedie. Forţa care nimiceşte nu trebuie să fie fără
valoare: ea însăşi trebuie să reprezinte o valoare pozitivă. Max
Scheler, în eseul său dedicat unei fenomenologii a tragicului,
demonstrează că arta poetului tragic este, înainte de toate, de a
prezenta un conflict între valori şi purtători de valori de egală
înălţime, care se anulează reciproc ca sub un blestem. De fapt,
tragedia restrânge acest conflict, adeseori, până la limita ei
ultimă: nu mai sunt întâmplări, lucruri sau persoane deosebite ce
sunt opuse într-un conflict ireductibil, ci forţe opuse coincid într-o
persoană. Tragic este zborul lui Icar ale cărui aripi fixate cu ceară
îl duc spre pieire, în aceeaşi măsură în care el se apropie de
soarele care topeşte ceara. Nod esenţial tragic. De aici corolarul:
locul tragicului nu se află în raporturile dintre forţe (persoane,
obiecte, evenimente – ca la Barthes), nici în raporturile dintre
valori, ci într-un raport caracteristic între relaţia de valori şi relaţia
cauzală.

Roland Barthes Nous avons présenté ci-dessus l’essentiel de l’argumentation de


(1915-1980), Nicolae Balotă en ce qui concerne la reception restrictive de Racine
théoricien et critique dans la vision de Roland Barthes. Pourtant, il y a « un Racine de
littéraire français, Barthes », une vision spéciale sur le dramaturge classique, mais ce
auteur d’un ouvrage n’est pas la vision du tragique qu’on veut réhabiliter au nouveau
fameux, Le degré siècle où nous sommes entrés, après les nihilismes du XXe siècle,
zéro de l’écriture, conclut le critique roumain. Nous avons présenté ces idées en
1953.
voulant vous suggérer également une lecture intéressante et
enrichissante pour tous ceux qui désirent élargir l’horizon de leurs
connaissances en matière de littérature française et comparée.

En fin de compte, on se pose le problème quel est l’intérêt pour


le lecteur ordinaire (l’élève, l’étudiant) de lire aujourd’hui les pièces
de Racine, au moins les chefs-d’œuvre Phèdre, Andromaque, par
exemple. La réponse, fournie par l’expérience de lecture des
générations, s’appuye sur deux choses : clarté du style et
représentation des nuances de la passion. Quelle admiration devant
le sacrifice suprême du personnage racinien, qui ne supporte plus
l’existence en absence de l’amour ! Quel étonnement devant l’âme
déchirée par la haine, voulant la perte de l’être aimé, pour qu’il n’ait
pas la chance d’être heureux avec un autre partenaire ! On hésite
entre le mépris et l’admiration quand on voit des sentiments
démesurés, des passions sans bornes… C’est dans cette dimension,
qui touche au paroxysme de la colère, que nous devons voir la
pérennité de l’intérêt pour les textes de Racine. N’importe quel
lecteur de nos jours peut comprendre les effets désastreux d’une
passion aveugle, chose qui rend les tragédies raciniennes très
instructives.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 75


La poétique des tragedies raciniennes

Les clés du test d’autoévaluation


Réponses et commentaires :

1. Les idées théoriques de Racine sont visibles dans les


préfaces de ses pièces. Par exemple, celle du vraisemblable que
doit toucher la tragédie et la simplicité de l’action (v. les préfaces
de Britannicus et de Bérénice).

2. L’histoire occupe dans les pièces de Racine une place


beaucoup moins importante que dans celles de Corneille, Racine
préférant comme source d’inspiration les légendes de la Grèce,
la Bible, la mythologie.

3. Le décor suggère l’atmosphère locale et évoque le cadre


pittoresque.

4. L’actualité de Racine réside dans la psychologie des


personnages, qui incarnent l’homme avec ses passions et ses
faiblesses ; la langue des tragédies raciniennes a une pureté
exemplaire, qui fonctionne comme repère de la beauté du
français littéraire.

Test de contrôle 6

Ce test est administré vous est conseillé de relire l’unité et de


faire des annotations. Ne manquez pas de transmettre ce test
à votre tuteur. A cet effet, il convient de marquer votre nom,
votre prénom et votre adresse personnelle sur la première
page de votre copie. N’oubliez pas de mentionner aussi le
numéro du test. Vous êtes supposés le recevoir, après
correction, avec les commentaires de votre tuteur.

Bon travail !

1. Choisissez une scène dont le décor vous plaît beaucoup.


Dites pourquoi et montrez les marques du style qui
mettent en évidence le décor.
(3 points; 3 phrases)

2. Commentez l’art du dialogue dans la scène VI du dernier


acte de la pièce Phèdre.
(3 points; 3-4 phrases)

3. Faites un inventaire des mots les plus fréquents dans les


pièces de Racine Andromaque et Phèdre désignant la
passion amoureuse.
(4 points; 5 phrases)

76 Proiectul pentru Învăţământul Rural


La poétique des tragedies raciniennes

Références bibliographiques:

DARCOS, Xavier, TARTAYRE, Bernard, Le XVIIe siècle littérature,


collection Perspectives et Confrontations, Paris, Hachette, 1987.

DOUCEY, Bruno, LESOT, Adeline, SABBAH, Hélène, WEIL,


Catherine, Littérature, textes et méthode (1er tome); Livre du
professeur (2e tome), Paris, Hatier, 1993.

BALOTĂ, Nicolae, Literatura franceză de la Villon la zilele noastre,


Dacia, Cluj-Napoca, 2001, pp. 401-415.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 77


Le genie de Molière: vérité et comique

Unité d’apprentissage 7

LE GÉNIE DE MOLIÈRE: VÉRITÉ ET COMIQUE

Sommaire page
Les objectifs de l’unité d’apprentissage 7 78
7.1 La personnalité de Molière ; son succès 79
7.2 La vision de Molière sur le rôle du théâtre 81
7.3 L’hypocrite chez Molière 82
7.4 Le spécifique du théâtre de Molière 84
Test d’autoévaluation 86
7.5 Les critiques du théâtre de Molière 86
Les clés du test d’autoévaluation 88
Références bibliographiques 88

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 7

Cette unité d’apprentissage est conçue dans le but de vous présenter les
prémisses du succès que le théâtre de Molière a eu dès le début. Quand vous aurez
parcouru cette unité d’apprentissage et effectué le test d’autoévaluation, vous serez
capables de :

• distinguer les composantes de la personnalité de Molière ;


• analyser sa vision sur le le rôle du théâtre ;
• faire des commentaires sur le type de l’hypocrite dans les textes de Molière ;
• interpréter le concept de « théâtre total ».

78 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Le genie de Molière: vérité et comique

7.1 La personnalité de Molière; son succès

Molière (portrait - fig.7.1) avait appartenu à la couche sociale de


la bourgeoisie et le fait d’avoir voulu se consacrer au théâtre était à
l’époque vraiment exceptionnel. Nous savons que son nom réel était
Jean-Baptiste Poquelin, il était le fils du tapissier du roi (l’homme
chargé de l’ameublement des palais royaux). La mère de Molière
meurt en 1632, lorsque Jean-Baptiste n’avait que 10 ans. Son père
s’est remarié, mais sa deuxième épouse mourra trois ans plus tard.
Molière a été l’un Sans doute ces événements ont-ils impressionné l’adolescent, mais
des fondateurs du il n’y a aucun document qui conserve des informations sur sa vie
théâtre moderne. familiale. Jean-Baptiste a eu des frères et des soeurs, mais
conformément à la tradition, lui, comme fils aîné, aurait dû succéder
à son père; le futur dramaturge aurait dû être le tapissier du roi.

Figure 7.1
Dans cette perspective, le père de Molière a offert à son fils une
bonne éducation. Le jeune Poquelin a fait donc des études au
Collège de Jésuites « Clermont » à Paris. Ensuite il a fait son droit à
Orléans (en faisant appel à une coutume de l’époque, c’est-à-dire en
payant son titre, sans étudier effectivement et sans passer des
examens). Il n’y a aucun document sur l’activité de Molière comme
avocat. Il ne s’est jamais servi de ce diplôme.
A l’âge de 20 ans, Molière décide de s’occuper du théâtre, voie
qui sera celle de toute sa vie, en renonçant ainsi à la vie facile que
son père voulait lui assurer comme tapissier du roi à sa place. Le
jeune Molière rencontre l’actrice Madeleine Béjart et ils fondent

Proiectul pentru Învăţământul Rural 79


Le genie de Molière: vérité et comique

ensemble une troupe nommée « L’Illustre Théâtre », projet


ambitieux et non sans risques. Les acteurs formulent même un
contrat qui atteste leur manière de s’organiser. Quel courage de la
part d’un jeune homme qui avait du côté maternel quatre générations
de tapissiers et dont le père lui-même était tapissier ! Molière a
compris dès le début qu’il fallait faire des sacrifices pour réaliser son
rêve. Il ne faut pas oublier que la société de son époque était très
conservatrice.

Mais le jeune Poquelin était conscient de son potentiel, il savait


qu’il avait du talent d’écrivain, mais aussi la capacité d’organiser,
d’administrer. Par conséquent, Molière ne s’est pas contenté de
fonder une troupe de théâtre en 1644, mais aussi d’obtenir la
protection du prince Gaston d’Orléans, l’oncle du roi. En même
temps, les acteurs de la troupe ont la possibilité de jouer les textes
des écrivains avec qui la troupe collabore, même si les pièces ne
sont pas de grande qualité. En tout cas, la concurrence est dure
dans ce domaine. Le public de théâtre n’était pas trop nombreux à
cette époque-là et était fidèle aux troupes déjà existantes. Il y a de
grands problèmes financiers avec lequels se confrontent ces
troupes, et Molière lui-même sera emprisonné pour ses dettes. C’est
son père qui intervient et obtient sa libération, mais il doit quitter
Paris.

Molière va beaucoup voyager dans le pays, faisant son


apprentissage comme acteur, arrivant à comprendre tous les secrets
du système théâtral, jusqu’à réussir à obtenir plus tard la protection
de Louis XIV lui-même. Molière s’installe de nouveau à Paris en
1658, après avoir voyagé dans la moitié du pays.

Pourtant, la vie théâtrale de Molière s’est avérée une lutte


Molière a démontré, permanente. Après avoir obtenu la haute protection du roi, il fallait la
jusqu’à la fin de sa garder. La concurrence très dure l’oppose à la troupe « Hôtel de
vie, le succès de sa Bourgogne ». L’exemple le plus connu de cette opposition est la
conception du « bataille comique » déclenchée par la pièce L’École des femmes.
théâtre.
Un deuxième exemple serait la pièce Tartuffe, qui a suscité aussi un
conflit très dur. Mais Molière a obtenu à chaque fois la victoire,
démontrant son succès, sa capacité d’assurer la stabilité de la troupe
et le bien-être de ses acteurs. Sa troupe reste un modèle de
cohésion et d’attitude professionnelle, chose rare à cette époque-là à
Paris.

Si nous pouvons croire aux déclarations de Molière, l’écrivain


disposait en 1672, une année avant sa mort, de 65000 livres, une
livre étant l’équivalent d’une somme entre 5 et 20 francs actuels.
Donc Molière possédait toute une fortune, chose visible dans
l’inventaire des biens de sa maison qu’un notaire a terminé en six
jours après la mort du dramaturge ! Molière a connu vers la fin de sa
carrière théâtrale le vrai luxe. Molière avait imposé à jamais son
talent, sa vocation, son travail original. Nous allons voir en quoi
réside l’originalité de ses personnages, de ses sujets, de ses moyens
artistiques, et, surtout, l’actualité de ses pièces.

80 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Le genie de Molière: vérité et comique

7.2 La vision de Molière sur le rôle du théâtre

Pour conquérir le public, Molière avait choisi, d’instinct, un sujet


d’actualité : il s’attaquait à la préciosité, c’est-à-dire à une mode, à
une forme d’aliénation, de sujétion. Le problème de la femme qui ne
peut accéder au bonheur et à la dignité a toujours préoccupé
Molière. Par exemple, L’École des femmes, malgré ou à cause de
son succès, avait suscité une vaste polémique. Les rivaux ou les
ennemis de Molière (Grands Comédiens de l’Hôtel de Bourgogne)
ont commencé à attaquer la pièce et surtout son auteur. Quelques
mois plus tard, Molière leur répond par les moyens dont il dispose,
c’est-à-dire par une nouvelle comédie : il fait représenter la Critique
de l’École des femmes, où quelques personnages représentatifs
discutent librement de la pièce et de l’accueil qu’elle a reçu. C’est
l’occasion pour Molière, non seulement de défendre son oeuvre,
mais aussi de préciser sa conception de la comédie. De plus, cette
controverse mondaine restitue le climat passionné des grands
débats de l’époque, et nous transmet l’écho de cet art de la
conversation qui atteint alors son point de perfection, et dont les
traces se sont effacées.

Un personnage, Uranie, affirme que la tragédie, sans doute, est


quelque chose de beau quand elle est bien touchée ; mais la
comédie a ses charmes, et /.../ l’une n’est pas moins difficile que
l’autre. L’autre personnage, Dorante, répond qu’il faut peindre les
hommes d’après nature. Il faut que les gens du siècle s’y
reconnaissent. En un mot, dans les pièces sérieuses, il suffit, pour
n’être point blâmé, de dire des choses qui soient de bon sens et bien
écrites ; mais ce n’est pas assez dans les autres, il y faut plaisenter ;
et c’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes
gens.

Sans doute, cette « étrange entreprise » de faire rire est-elle le


propre de Molière, la qualité maîtresse de son génie. Car Molière
L’hypocrisie, vice discute des choses les plus sérieuses tout en amusant ses
« privilégié » dans le spectateurs, comme La Fontaine dans ses fables. Chercher la vérité
théâtre de Molière. n’est pas seulement un idéal littéraire ; cela impose aussi de
découvrir l’erreur, le mensonge, la duperie ; il faut aller jusqu’à la
racine du mal, jusqu’à ce vice par lequel certains veulent paraître ce
qu’ils ne sont pas, ou se voient eux-mêmes autres qu’ils ne sont.
L’hypocrisie étant un « vice privilégié », c’est contre elle que Molière
livre ses attaques les plus dures. En général, le mensonge, la ruse
sont un des ressorts essentiels de la comédie, le théâtre de Molière
étant donc rempli de fourbes, des faux marquis, qui font la cour à de
fausses précieuses, de faux médecins qui trompent des malades
imaginaires, des dieux qui se déguisent en valets, des valets qui se
déguisent en Turcs... Il y a des imposteurs de profession, les
hypocrites, d’autant plus dangereux qu’ils se cachent sous des
apparences respectables.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 81


Le genie de Molière: vérité et comique

7.3 L’hypocrite chez Molière

Dans la pièce Le Misanthrope (1666), l’hypocrite est un invisible


ennemi, et Molière nous invite plutôt à rire d’Alceste, l’extravagant,
qui ne voit partout que tromperie, qui ne tolère même pas cette petite
dose d’hypocrisie indispensable à la vie en société qu’est la
politesse, et qui contredit tous ses principes en tombant amoureux
d’une coquette. Dans ce texte, la voix du personnage Philinte est
l’expression de la sagesse :

Il est bien des endroits où la pleine franchise


Deviendrait ridicule, et serait peu permise ;
Et parfois, n’en déplaise à votre austère honneur,
Il est bon de cacher ce qu’on a dans le coeur.

Mais la sagesse répugne à Alceste qui déteste tous les humains :

Tous les hommes me sont à tel point odieux,


Que je serais fâché d’être sage à leurs yeux.

Une autre pièce de Molière, Dom Juan (1665), met en scène un


hypocrite par accident, car Dom Juan n’est pas un vrai hypocrite : il
aime trop le jeu pour tenir son rôle jusqu’au bout, et pour ne pas jouir
ouvertement de ses victoires. Tout lui est bon, pour tromper son
monde : cajoleries, flatteries, faux repentir ; mais la religion est l’arme
secrète de sa panoplie : ce libertin, qui croit seulement que « deux et
deux font quatre », l’utilise notamment ici pour justifier le fait qu’il ait
abandonné donna Anna, son épouse, après l’avoir enlevée d’un
couvent, pour courir vers d’autres amours. Mais sans doute trouve-t-
il aussi dans ce détournement de la religion à son profit l’attrait
pervers du sacrilège : c’est un nouveau défi qu’il lance au Ciel. Il est
un « épouseur à toutes les mains », un homme qui a un orgueil
insensé (un possible modèle pourrait être le prince de Conti, frère du
grand Condé).

Dom Juan dit que la constance n’est bonne que pour les
ridicules et que tout le plaisir de l’amour est dans le changement,
philosophie de vie qui épouvante son serviteur, Sganarelle :Quel
abominable maître me vois-je obligé de servir ! Pourtant, la devise de
ce séduisant est la suivante :

J’aime la liberté en amour.


Mon coeur est à toutes les belles.

Même si le personnage de Molière a suscité beaucoup de


Alceste, personnage commentaires, il reste encore une énigme à déchiffrer. Pour Jean-
controversé de Jacques Rousseau, Alceste est un homme droit, sincère, estimable,
Molière
un véritable homme de bien ; or l’auteur lui donne un personnage
ridicule. Aspect qui paraît à Rousseau inexcusable de la part du
dramaturge !

82 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Le genie de Molière: vérité et comique

Antoine Adam pense, au contraire, qu’Alceste n’est pas


grotesque. Il n’est même pas ridicule, surtout au sens actuel du mot ;
Antoine Adam il ne fait pas rire, mais sourire. En tout cas, de telles opinions aident
(1858-1943), beaucoup à comprendre la complexité du personnage et à mettre sur
fondateur du scène cette pièce de Molière, où l’auteur a mis aussi son génie, sa
Théâtre-Libre de propre amertume, sa vision sceptique sur la société.
Paris.
Dans un autre texte fameux, Tartuffe (1669), Molière donne
toute la mesure de l’hypocrisie dans le personnage incarnant cette
espèce dangereuse des hypocrites de nature et par profession :
escroc de petite envergure, il s’est insinué chez Orgon, un grand
bourgeois saisi par la dévotion, et sous le couvert de cette amitié, il
tente de se faire accorder sa fille en mariage, tout en courtisant
d’ailleurs sa femme. Démasqué et dénoncé par Damis, le fils
d’Orgon, Tartuffe se surpasse, il se pose en martyr, en persécuté, et
triomphe, mais pour un temps seulement ; l’intervention du pouvoir
sauvera la famille menacée.

Le talent de Molière présente un personnage qui dissimule à


merveille en trompant presque tout le monde autour de lui. C’est un
homme de bien, croit Mme Pernelle (mère d’Orgon), qui passe pour
un saint dans sa fantaisie, lui attire l’attention Dorine (la suivante de
la fille d’Orgon, Mariane). En réalité, affirme Dorine, Tartuffe n’est
rien qu’hypocrisie.

Le génie de Molière se sert de telles perceptions contradictoires


pour souligner la nature changeante de l’homme :

Les hommes la plupart sont étrangement faits !


Dans la juste nature on ne les voit jamais.

Tartuffe l’imposteur reconnaît lui-même à un moment donné (il


faudrait remarquer le fait que Tartuffe est un personnage unique en
quelque sorte : il n’apparaît pas souvent – du total de 1962 vers de la
pièce seulement 290 sont pronocés par Tartuffe !) :

Tout le monde me prend pour un homme de bien.


Mais la vérité est que je ne vaux rien.

Il joue si bien son rôle que le père Orgon chasse son fils, en
l’accusant d’être « ingrat » et « coquin », et en décidant de faire
Tartuffe l’héritier de tous ses biens. Et quand, enfin éclairci sur la
vraie nature de Tartuffe, Orgon veut chasser l’imposteur de sa
maison, celui-ci lui rappelle que cette maison est à lui, par la
L’origine du titre donation qu’Orgon lui-même avait faite récemment... Par ce
Tartuffe personnage, Molière s’attaquait au vice de l’hypocrisie, très à la
mode à cette époque-là et si actuel à présent, hélas ! En même
temps, l’écrivain punit la naïveté, le fanatisme et l’orgueil stupide
d’Orgon qui sera trompé par son propre protégé. Le pauvre homme !
est la réplique qui caractérise le mieux l’esprit borné d’Orgon. Il faut
préciser que le rôle d’Orgon a été interprété par Molière lui-même.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 83


Le genie de Molière: vérité et comique

Tartuffe ou l’Imposteur était peut-être la pièce que Molière


préférait, à laquelle il avait travaillé le plus. L’origine du titre est dans
l’acception du mot Tartuffe, Tartufe ou Tartufle qui signifiait escroc,
hypocrite et existait dans la langue française populaire dès la fin du
règne d’Henri IV. Ce mot avait été imposé par l’une des troupes
d’acteurs que Catherine de Médicis avait fait venir à Paris en 1570
ou bien Henri III avait appelée en 1577. Le mot sera employé par La
Fontaine aussi dans ses fables (le chat et le renard partis dans le
pèlerinage sont deux « tartufs »). On ne sait pas si La Fontaine, si
averti dans la connaissance de la langue ancienne, le savait déjà ou
s’il l’avait trouvé chez Molière.

Ce qui est à remarquer c’est que la figure de l’hypocrite apparaît


dès les premières manifestations de la littérature française. Il joue le
rôle principal dans les « fabliaux » du Moyen Age. Renart, le héros
médiéval, est une image très populaire de l’hypocrite. Le vice de
l’hypocrisie est mentionné aussi dans les Provinciales de Pascal,
mais c’est Tartuffe, le personnage du théâtre de Molière, qui incarne
à jamais tous les hypocrites du passé du présent et de l’avenir.

7.4 Le spécifique du théâtre de Molière

Molière ne s’est pas soucié de respecter scrupuleusement la


doctrine classique. Il ne badine pas « noblement », c’est-à-dire il
préfère grossir certains traits des personnages pour mettre en
évidence le ridicule d’une précieuse ou d’un hypocrite. Il utilise
l’expression directe, même brutale (ce qui n’était pas recommandé
par la doctrine classique) et à la bienséance il préfère le langage du
corps, les gestes suggestifs. Les grimaces de Tartuffe, l’habit à
fleurs de M. Jourdain, sa manière de prononcer les voyelles, la toux
et les lunettes de l’avare amoureux, la manière de manger, etc, tout
cela donne au spectateur des indices clairs sur la vraie nature des
personnages.. .

Les pièces de Molière ne veulent pas nécessairement offrir de


grandes significations, mais plutôt mettre en scène le spectacle réel
du monde ; le génie de Molière avait deviné que c’est la
représentation qui compte, peut-être plus que la qualité du texte. La
représentation était plus importante dans la commedia dell’arte, où
Les pièces de les acteurs improvisaient, parce qu’il n’y avait pas de texte. C’est
Molière mettent en pourquoi les pièces de Molière sont mises en scène avec beaucoup
scène le spectacle de succès même aujourd’hui (en général, le texte classique est plus
réel du monde, ce rigide, plus statique, surtout les tragédies). Le bon sens classique
qui explique leur reprochait d’ailleurs à ces comédies certaines scènes qui n’avait
succès à toutes les pour but que le divertissement et ne donnaient pas d’importance au
époques
discours (des répliques très longues ou inintelligibles, des jeux de
mots, l’emploi du jargon, la danse, etc). Les critiques apprécient à
présent justement ce côté ludique du théâtre, cette « vision
carnavalesque » du monde.

84 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Le genie de Molière: vérité et comique

Longtemps l’histoire du Classicisme ne s’est intéressé qu’à ce


qu’on appelle « les grandes comédies » : Dom Juan, Le
Misanthrope, Tartuffe, L’Avare, Les Femmes savantes. (v. Dolores
Toma, Du baroque au classicisme, Ed. Babel, Ed. Universităţii
Bucureşti,1993, p.155) Depuis quelque temps pourtant, l’histoire du
Classicisme se préoccupe aussi des genres considérés autrefois
mineurs. Le théâtre de Molière renferme des farces, des
mascarades, une comédie à la fois mythologique, pastorale,
héroïque et musicale, une comédie-ballet, une comédie de
caractères et de moeurs.

On affirme aujourd’hui que Molière a voulu créer un « théâtre


total », unissant l’action et le dialogue dramatique à d’autres arts : la
pantomime, la danse, la musique et le chant. Un théâtre où le
bouffon joint le drame, car Molière ne séparait pas les genres). Par
conséquent, les héros se mêlaient aux poltrons, les nobles aux
valets, les extravagants aux honnêtes gens. Un théâtre total qui
montre que le monde est déjà un théâtre, où certains se donnent en
spectacle, où d’autres entrent en jeu, tandis que quelques-uns
préfèrent contempler le spectacle, être de simples spectateurs.

Un détail digne à signaler, pour mettre en évidence le génie de


Molière : dans le deuxième acte du Mariage forcé, Louis XIV en
personne apparaissait costumé en égyptien, tandis que des gens
appartenant à sa suite dansaient aussi parmi les comédiens.
D’ailleurs cette pièce a été créée pour les fêtes royales, dont elle ne
constituait qu’une partie. A cette occasion, la salle et la scène se
confondaient (à Versailles on pouvait, à l’aide des machines, les
mettre au même niveau, transformant ainsi le théâtre en salle de
bal).

Molière a beaucoup écrit pour les fêtes royales : Les Fâcheux,


Molière a écrit Le Mariage, L’Amour Médecin, Mélicerte, La Princesse d’Elide, La
beaucoup de pièces Pastorale comique, Le Sicilien ou l’Amour peintre, George Dandin
destinées aux fêtes (pour le Grand Divertissement royal de Versailles, en juillet 1668),
royales Monsieur de Porceaugnac, Les Amants magnifiques (pour le
carnaval de 1670, Le Bourgeois gentilhomme, Psyché (en
collaboration avec Corneille), La Comtesse d’Escarbagnas, Le
Malade imaginaire.

Il faut préciser que ces textes n’ont pas ennuyé Molière, comme
certains l’ont affirmé. Au contraire, ces créations semblent
correspondre le mieux à sa conception sur le théâtre ; avant sa mort,
Molière a transformé la salle du Palais-Royal pour faciliter la danse
et la musique. Le théâtre de Molière était donc destiné à ce temps de
carnaval qui venait avant le carême, à ce temps de réjouissance,
d’exubérance, qui s’opposait aux contraintes religieuses. Ce théâtre
se définit comme une fête profane, dans laquelle la liberté corporelle,
le rire, les fourberies s’emparent des règles classiques. C’est un
théâtre profondément ludique, qui a suscité beaucoup de critiques de
la part des cabales religieuses.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 85


Le genie de Molière: vérité et comique

Test d’autoévaluation

Vous avez parcouru l’unité d’apprentissage sur le génie de


Molière. Vérifiez si vous avez retenu certains détails
significatifs, en consultant la rubrique « Les clés du test
d’autoévaluation ».

1. Quel a été le bilan matériel à la fin de la vie de Molière ?

2. Présentez le type de l’hypocrite chez Molière


(personnages incarnant ce type).

3. Qu’est-ce que c’est le « théâtre total » chez Molière ?

7.5 Les critiques du théâtre de Molière

Jean-Jacques Rousseau a été le détracteur le plus connu de


Molière. Il lui a reproché d’avoir rendu ridicule le misanthrope, qui est
un défenseur de la sincérité. Rousseau a critiqué aussi le
dramaturge pour s’être moqué du bourgeois gentilhomme, ensuite
pour avoir créé une pièce immorale comme George Dandin, où un
riche pysan épouse une demoiselle noble et se fait tromper par elle
(Que penser d’une pièce où le parterre applaudit à l’infidélité, au
mensonge, à l’impudence...).

En effet, les personnages de Molière sont des libertins, qui


aiment jouer, se divertir, tout comme affirme le personnage de la
femme de George Dandin :

...Je veux jouir, s’il vous plaît, de quelque nombre de


beaux jours que m’offre la jeunesse, prendre les douces libertés que
l’âge me permet, voir un peu le beau du monde, et goûter le plaisir de
m’ouïr dire des douceurs.

86 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Le genie de Molière: vérité et comique

La « morale » des pièces de Molière est plutôt celle du plaisir


de vivre, une attitude hédoniste devant la vie. D’ailleurs dans La
Critique de l’École des femmes, Molière expose sa théorie :

...si les pièces qui sont selon les règles ne plaisent pas, et que
celles qui plaisent ne soient pas selon les règles, il faudrait de
nécessité que les règles eussent été mal faites. Moquons-nous donc
de cette chicane où ils veulent assujettir le goût du public, et ne
consultons dans une comédie que l’effet qu’elle fait sur nous.
Laisssons-nous aller de bonne foi aux choses qui nous prennent par
les entrailles et ne cherchons point de raisonnements pour nous
empêcher d’avoir du plaisir.

Le but de Molière n’a pas été de citiquer, de corriger, mais plutôt


de plaire, de faire rire (...il faut plaisanter ; et c’est une étrange
entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens...). C’est toujours
dans La Critique de l’École des femmes que Molière affirme : Je
voudrais savoir si le grande règle de toutes les règles n’est pas de
plaire. Par cela, le dramaturge du XVIIe siècle anticipe l’esprit du
théâtre romantique du XIXe siècle dont le but essentiel sera de plaire
au public.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 87


Le genie de Molière: vérité et comique

Les clés du test d’autoévaluation.


Réponses et commentaires :

1. Vers la fin de sa vie, en 1672, Molière possédait toute une


fortune (65000 livres, une livre étant l’équivalent d’une somme
entre 5 et 20 francs actuels)

2. Les références concrètes au type de l’hypocrite chez


Molière sont les personnages d’Alceste (de la pièce Le
Misanthrope) et de Tartuffe (de la pièce homonyme) et même
Dom Juan.

3. Le théâtre total signifie l’union du dialogue et de l’action


dramatique à d’autres arts : la pantomime, la musique, la danse,
le chant. Un théâtre qui met en évidence le fait que le monde est
un théâtre : il y a des personnages qui se donnent en spectacle,
d’autres qui contemplent, étant de simples spectateurs.

Références bibliographiques :

TOMA, Dolores, Du baroque au classicisme, Bucureşti, Ed. Babel


şi Ed. Universităţii,1993.

ÉGÉA, F., RINCÉ, D., Textes français et histoire littéraire XVIe,


XVIIe, XVIIIe siècles, Paris, Fernand Nathan, 1981.

88 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Etude littéraire: L’Avare de Molière

Unité d’apprentissage 8

ÉTUDE LITTÉRAIRE : L’AVARE DE MOLIÈRE

Sommaire page
Les objectifs de l’unité d’apprentissage 8 89
8.1 Le contexte de l’écriture de la representation de l’Avare 90
8.2 Analyse de la pièce 91
8.3 Le sujet de l’Avare 94
8.4 L’action dans l’Avare 96
Test d’autoévaluation 98
8.5 Les caractères dans l’Avare 98
8.6 La morale dans l’Avare ; le comique et le style 100
Les clés du test d’autoévaluation 102
Test de contrôle 8 102
Références bibliographiques 103

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 8

Quand vous aurez parcouru cette unité d’apprentissage et effectué le test


d’autoévaluation, vous serez capables de :
• décrire les circonstances de l’écriture et de la représentation de la pièce
l’Avare ;
• discuter sur la pièce en ce qui concerne le sujet, l’action, les caractères et la
morale ;
• faire des commentaires sur les procédés du comique et sur le style de la
pièce ;
• caractériser le personnage de l’avare.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 89


Etude littéraire: L’Avare de Molière

8.1 Le contexte de l’écriture et de la représentation de L’Avare

Comme vous l’avez fait dans l’unité d’apprentissage 4 (pour la


pièce de Corneille Le Cid), vous allez entreprendre maintenant
l’étude complète d’une oeuvre représentative de Molière : l’Avare
(1668).

L’année 1668 fut, dans la carrière de Molière (fig. 8.1), une


période de travail acharné. Le 13 janvier, Amphitryon avait été créé
au théâtre du Palais-Royal, et le succès de cette pièce se maintint
pendant toute la première partie de l’année. Molière travaillait sans
doute dès ce moment à l’Avare, mais il dut s’interrompre pour
satisfaire le désir du roi Louis XIV, qui voulait célébrer, par de
fastueux divertissements, le traité d’Aix-la-Chapelle, conclusion
heureuse de la guerre de Dévolution. C’est pour ces fêtes de
Versailles que Molière écrivit George Dandin, représenté
probablement le 18 juillet devant le roi. Puisqu’il ne pouvait être
question de reprendre Tartuffe, interdit pour la deuxième fois en
1667, Molière dut se hâter de terminer l’Avare, afin de pouvoir offrir
au public une pièce nouvelle au début de la saison théâtrale, qui
commençait en automne. Il est également possible que l’obligation
d’achever vite le texte ait déterminé le dramaturge à écrire sa pièce
en prose plutôt qu’en vers.

La première représentation eut lieu dimanche, le 9 septembre


1668, au théâtre du Palais-Royal. Molière tenait le rôle d’Harpagon; il
est probable que la femme de l’auteur jouait Élise. Après une série
de neuf représentations, s’échelonnant jusqu’au 7 octobre, Molière
retira provisoirement la pièce de l’affiche, car le public était de plus
en plus moins nombreux. Ce demi-échec s’explique difficilement,
peut-être par le fait que le texte était écrit en prose et non en vers, ou
bien parce que l’intrigue paraissait mal construite.

Pourtant, l’Avare, donné deux fois devant la cour à Saint-


Germain-en-Laye en novembre 1668 et en août 1669, fut repris onze
fois en 1669, six fois en 1670, six fois en 1671 et huit fois en 1672.
Ce nombre honorable de représentations démontrent que du vivant
Tartuffe, la comédie de Molière, la pièce eut l’estime et l’attention du public. Au fil de
la plus jouée de l’histoire, le succès de l’Avare fut continuellement confirmé : la
Molière Comédie Française en a donné 2153 représentations de 1680 à
1967, à peu près à l’égalité avec le Médecin malgré lui ; de toutes les
comédies de Molière, seul le Tartuffe a été joué un plus grand
nombre de fois. Tous les grands comédiens se sont essayés au rôle
d’Harpagon, ce personnage célèbre de la littérature française.

90 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Etude littéraire: L’Avare de Molière

8.2 Analyse de la pièce

Le premier acte présente trois projets de mariage. L’action se


passe à Paris, chez Harpagon, riche bourgeois veuf et père de deux
enfants, Cléante et Élise. Élise est secrètement fiancée à Valère,
gentilhomme napolitain qui lui a sauvé la vie et qui s’est introduit
chez Harpagon en qualité d’intendant. De son côté, Cléante voudrait
épouser une jeune fille sans fortune, Mariane, dont il est épris. Le
frère et la soeur craignent que leurs projets de mariage ne se
heurtent à l’opposition irréductible d’Harpagon, bien connu pour sa
tyrannie et son avarice. Dans la figure 8.1 vous trouvez une image
suggestive de l’écrivain dans sa chambre de travail.

Figure 8.1

A son tour, Harpagon est rongé d’inquiétude, car il a enterré


dans son jardin une somme de dix mille écus d’or et il a peur d’être
Le thème du volé. Il chasse même le valet de Cléante : en effet, à cause de son
mariage est très
obsession, il voit un potentiel voleur en qui que ce soit ! (v. scène III)
fréquent dans les
comédies.
Harpagon rencontre ensuite ses enfants et leur dit qu’il a l’intention
d’épouser Mariane et de marier Élise avec un vieillard, l’un de ses
amis, nommé Anselme. Pour son fils Cléante, il a trouvé comme
femme « une certaine veuve » (scène IV). Mais Élise refuse
véhémentement la proposition de son père et demande à Valère
d’intervenir pour le convaincre, ce qui met l’intendant dans un
plaisant embarras.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 91


Etude littéraire: L’Avare de Molière

Pour illustrer la qualité du dialogue nous avons choisi un


fragment de la scène IV où Harpagon propose le mariage à sa fille,
Élise avec un vieillard, Anselme. Vous allez remarquer la mentalité
de l’époque, qui supposait une relation de soumission aveugle entre
le père et la fille, le maître et le valet ; pourtant, dans la réaction
d’Élise, vous pouvez constater les germes de la révolte, déclenchant
le changement de mentalité, à l’égard du mariage de raison, imposé
par les parents :

Harpagon, contrefaisant sa révérence, - Et moi, ma petite fille,


Repérez les
marques de ma mie, je veux que vous vous mariiez, s’il vous plaît.
l’humour dans le Élise.- Je vous demande pardon, mon père.
dialogue présenté Harpagon.- Je vous demande pardon , ma fille.
ci-contre Élise.- Je suis très humble servante au seigneur Anselme,
mais, avec votre permission , je ne l’épouserai point.
Harpagon.- Je suis votre très humble valet ; mais, avec votre
permission, vous l’épouserez dès ce soir.
Élise. – Dès ce soir ?
Harpagon. – Dès ce soir.
Élise.- Cela ne sera pas, mon père.
Harpagon. – Cela sera, ma fille.
Élise. – Non.
Harpagon.- Si.
Élise.- Non, vous dis-je.
Harpagon. – Si, vous dis-je.
Élise. -C’est une chose où vous ne me réduirez point.
Harpagon.- C’est une chose où je te réduirai.
Élise. – Je me tuerai plutôt que d’épouser un tel mari.
Harpagon. – Tu ne te tueras point, et tu l’épouseras. Mais
voyez quelle audace ! A-t-on jamais vu une fille parler de la sorte à
son père ?
Élise.- Mais a-t-on jamais vu un père marier sa fille de la
sorte ?
Harpagon.- C’est un parti où il n’y a rien à redire, et je gage
que tout le monde approuvera mon choix.

Nous avons cité le dialogue ci-dessus pour montrer les vertus


du dialogue dans cette pièce, où la conversation devient un vrai duel
des options, des mentalités, des attitudes, des ambitions.

Le deuxième acte pourrait porter comme titre « les bonnes


affaires d’Harpagon ». Cléante, qui cherche à emprunter quinze mille
francs, apprend que son prêteur réclame un taux exorbitant et
prétend inclure dans le montant du prêt un amas de vieilleries
hétéroclites évaluées à un prix déraisonnable (scène première).
Tandis qu’il s’indigne contre ces conditions draconiennes, Cléante
découvre que l’usurier avec qui il veut entrer en affaires n’est autre
qu’Harpagon. Le père et le fils s’adressent mutuellement de violents
reproches (scène II). Frosine, entremetteuse qu’Harpagon a chargée
de négocier son mariage avec Mariane, l’informe que la mère de la
jeune fille donne son consentement, et elle lui fait croire que Mariane
a une prédilection pour les vieillards. Pourtant, l’absence de dot

92 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Etude littéraire: L’Avare de Molière

tourmente Harpagon. Frosine essaie de lui démontrer que les


Repérez les habitudes d’économie d’une jeune fille pauvre constituent un grand
autres vices
avantage, mais Harpagon ne se laisse pas convaincre, restant sourd
critiqués par
Molière, à part aux sollicitations de Frosine qui lui demande un peu d’argent
l’avarice (scèneV). D’ailleurs, c’est son valet, La Flèche, qui caractérise le
mieux l’avare : Le seigneur Harpagon est de tous les humains
l’humain le moins humain, le mortel de tous les mortels le plus dur et
le plus serré (scène IV).

Le troisième acte - la reception de Mariane.

Harpagon, qui doit offrir un dîner à Mariana, insiste auprès de


ses domestiques pour réduire le plus possible la dépense (/.../
surtout prenez garde de ne point frotter les meubles trop fort, de peur
de les user), et Valère se joint à lui pour exiger l’économie au cocher-
cuisinier, maître Jacques (scène première). Celui-ci a une dispute
avec l’intendant, reçoit des coups de bâton et jure de se venger.
Cependant, conduite par Frosine, Mariane arrive, toute tremblante.
L’aspect d’Harpagon est répugnant à Mariane et lorsque Cléante
arrive, elle reconnaît en lui le jeune homme qui lui a fait la cour. Les
deux amoureux se font comprendre l’un à l’autre leurs véritables
sentiments, en utilisant un langage à double sens, dont Harpagon ne
saisit pas la vraie signification.

Mais l’avare devient très furieux lorsque Cléante offre une


bague de diamant en son nom à Mariane (scène VII). On annonce
alors la visite d’une personne qu’Harpagon s’empresse de recevoir,
car elle lui apporte de l’argent.

Les idées de Molière se voient souvent à travers les répliques


de Frosine, qui est une sorte de raisonneur de la pièce : /.../ les filles
ont toujours honte à témoigner d’abord ce qu’elles ont dans l’âme
(scène V).

Le quatrième acte pourrait être résumé comme une « rupture


entre le père et le fils ». Au moment où Frosine explique à Cléante et
à Mariane un stratagème qu’elle a imaginé pour décider Harpagon à
renoncer à son projet de mariage, l’avare apparaît soudainement et
surprend son fils en train de baiser la main de Mariane. Soupçonnant
une intrigue, il feint d’avoir renoncé à la jeune fille pour déterminer
Cléante à lui avouer ses véritables sentiments. Le jeune homme
Commentez l’art tombe dans le piège et reconnaît devant son père qu’il est amoureux
du dialogue dans
de Mariane et lui a fait la cour. Furieux, Harpagon menace de frapper
le fragment ci-
contre son fils (scène III). Voici un fragment bien suggestif :

Harpagon.- Comment, pentard ! tu as l’audace d’aller sur mes


brisées !
Cléante.- C’est vous qui allez sur les miennes, et je suis le
premier en date.
Harpagon. – Ne suis-je pas ton père ? et ne me dois-tu pas
respect ?

Proiectul pentru Învăţământul Rural 93


Etude littéraire: L’Avare de Molière

Cléante.- Ce ne sont point ici des choses où les enfants soient


obligés de déférer aux pères, et l’amour ne connaît personne.
Harpagon.- Je te ferai bien me connaître avec de bons coups
de bâton.
Cléante.- Toutes vos menaces ne feront rien.
Harpagon.- Tu renonceras à Mariane.
Cléante. – Point du tout.
Harpagon.- Donnez-moi un bâton tout à l’heure.

Maître Jacques intervient et réconcilie Harpagon et Cléante en


prenant à part chacun d’eux pour lui faire croire que l’autre renonce à
Mariane (scène IV). Après son départ, le malentendu se révèle, et la
querelle reprend avec plus de violence entre Cléante et Harpagon,
qui finalement chasse son fils après l’avoir déshérité et maudit
(scène V). On voit alors venir La Flèche portant la cassette
d’Harpagon, qu’il a volée. L’avare se rend compte du vol ; affolé,
furieux, prêt à se venger, il exprime dans un monologue comique les
sentiments qui le boulversent (scène VII).

Le cinquième acte et le dernier apporte la résolution de tous les


Le décor est problèmes des personnages, chacun retrouvant son bien. Un
l’élément qui peut commissaire de police, appelé par Harpagon, interroge maître
complètement Jacques, qui, pour se venger de Valère, l’accuse d’avoir volé la
changer d’une mise cassette et laisse croire qu’il a des preuves incontestables du vol
en scène à l’autre (scène II). L’intendant arrive, et l’avare le presse d’avouer son crime.
(on remarque une Valère croit qu’il s’agit de ses fiançailles secrètes avec Élise, le
simplification du
quiproquo se prolongeant pendant toute la scène III. Quand enfin la
décor à présent).
vérité apparaît, Harpagon, au comble de la fureur, menace
d’enfermer sa fille et de faire pendre l’intendant. L’arrivée du
seigneur Anselme provoque alors une explication générale. Pour se
disculper, Valère dévoile son identité et raconte son histoire. On
découvre ainsi, qu’il est le fils d’Anselme, qui est aussi le père de
Mariane. Seize ans plutôt, un naufrage avait dispersé les membres
de cette famille de l’aristocratie napolitaine. Grâce à cette
reconnaissance imprévue tout s’arrange. Un double mariage unira
Valère à Élise et Cléante à Mariane ; c’est Anselme qui va payer tous
les frais, tandis qu’Harpagon va retrouver sa « chère cassette ».

8.3 Le sujet de l’Avare

Molière, qui s’était directement inspiré de Plaute pour écrire


Amphitryon, conçut sans doute l’Avare en relisant par la même
occasion une autre comédie de l’auteur latin, l’Aulularia (comédie de
la petite marmite). En voici le sujet : un pauvre diable, Euclion, a
découvert dans sa cheminée une marmite pleine d’or qu’y avait
déposée secrètement son grand-père, et depuis ce jour il ne connaît
que la crainte d’être volé. Il soupçonne sa vieille servante Staphyla
de l’épier pour s’emparer du trésor ; il accueille avec méfiance son
riche voisin Mégadore, qui vient lui demander la main de sa fille
Phaedra. Pourtant, il finit par consentir au mariage, mais en stipulant
que Mégadore épousera Phaedra sans dot et qu’il paiera seul tous

94 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Etude littéraire: L’Avare de Molière

les frais de la cérémonie. Euclion ne doute pas que la jeune fille aime
son cousin Lyconide, qui s’apprête à l’enlever. Des cuisiniers arrivent
à parler de la marmite, croit qu’il s’agit de son trésor et il les chasse à
coûps de bâton. Pour mettre son or en lieu sûr, il le transporte dans
Plaute, poète
comique latin (254-
le temple de la Bonne Foi ; or, il a été surpris par Strobile, l’esclave
184 av. J. C.), de Lyconide. Mais Strobile n’a pas le temps de dérober la précieuse
auteur des pièces marmite : Euclion, reparaissant tout à coup, soupçonne l’esclave,
Amphitryon, qu’il fouille consciencieusement, mais sans résultat évidemment.
Aulularia, etc. Plaute Euclion transporte alors son trésor dans le bois du dieu Silvain ; cette
en emprunte le sujet fois, Strobile, qui a continué sa surveillance, réussit à s’emparer de
aux auteurs grecs l’or. En découvrant le vol, Euclion se lamente dans un monologue
de la comédie désespéré. Puis, comme Lyconide vient à passer, il le soupçonne et
nouvelle, mais pour le presse de questions ; le jeune homme s’imagine que son intrigue
plaire au public avec Phaedra a été découverte, et ses efforts pour se justifier
romain, il pousse le
provoquent un quiproquo comique, Euclion rapportant au trésor tout
comique au trivial.
ce que le jeune homme lui dit au sujet de sa fille. Averti ensuite par
Strobile de ce qui s’est passé, Lyconide veut rendre la précieuse
marmite à Euclion. Là s’arrête la comédie de Plaute, dont le texte est
incomplet. Dans le dénouement ajouté au XVe siècle par l’érudit
Urceus Codrus, Lyconide épouse Phaedra après avoir rendu le
trésor à Euclion.

Les emprunts de Molière à l’Aulularia sont évidemment


nombreux : la méfiance d’Harpagon à l’égard de La Flèche (acte
premier, scène III) se manifeste exactement de la même façon que
celle d’Euclion à l’égard de Strobile. L’idée du sans dot (acte premier,
scène V) vient aussi de Plaute, tout comme celle de la collation
offerte à Mariane (acte III) s’inspire du festin prévu dans l’Aulularia.
Valère tient dans la pièce de Molière à peu près la même place que
Lyconide, surtout dans la scène du quiproquo, où il parle de son
amour, tandis que l’avare imagine qu’il s’agit de sa cassette (acte III,
scène III) ; car le vol du trésor se trouve aussi chez le comique latin,
ainsi que le monologue de « l’avare volé ».

D’autres pièces encore ont fourni à Molière des éléments de son


Avare. Dans la Belle Plaideuse (1655) de Boisrobert (1592-1662), un
jeune homme, obligé comme Cléante, d’emprunter de l’argent, se
voit proposer par le prêteur des conditions exorbitantes et reconnaît
finalement son propre père dans l’usurier qui l’ exploite. Enfin, dans
une comédie italienne de l’Arioste, I Suppositi (les Supposés),
comme d’ailleurs dans plusieurs canevas de la commedia dell’arte,
on trouve une jeune fille de la riche bourgeoisie amoureuse d’un
jeune homme pauvre, entré comme valet au service de son père
(rôle de Valère) et jalousé par un autre domestique de la maison. Au
dénouement, le jeune homme retrouve son père, homme de bonne
condition, et peut épouser celle qu’il aime.

Riccoboni, dans ses Observations sur la comédie et le génie de


Molière (1736), cite encore d’autres sources et en conclut
L’originalité de qu’ « on ne trouvera pas dans toute la comédie de l’Avare quatre
Molière mise en scènes qui soient inventées par Molière » ; et beaucoup de critiques,
question sans aller jusqu’à nier l’originalité de l’oeuvre, ont trouvé que ces

Proiectul pentru Învăţământul Rural 95


Etude littéraire: L’Avare de Molière

inspirations si diverses créaient l’impression d’un ensemble


composite et un peu décousu, dont les éléments se liaient mal entre
eux. Aurait-on cette impression si l’on ignorait les sources où Molière
a cherché son inspiration ? En fait, celui-ci n’a demandé à ses
prédécesseurs qu’un certain nombre de situations comiques, et
encore certaines d’entre elles sont tellement traditionnelles qu’on ne
peut parler d’imitation. Il lui restait à intégrer ces situations dans
l’action de sa comédie et à les adapter au caractère de ses
personnages. Vous trouvez ci-dessous une gravure d’époque
représentant une scène de l’Avare (fig. 8.2) .

8.4 L’action dans l’Avare

Figure 8.2

L’Aulularia suggérait à Molière le cadre traditionnel d’une action


comique : un père accepte pour sa fille un mariage mal assorti, sans
tenir compte de ses sentiments. Molière crée une situation double en
donnant aussi à son avare un fils, menacé également d’être marié
contre son gré, et il imagine enfin qu’Harpagon songe à se remarier,
justement avec cette Mariane dont son fils est tombé amoureux. Ce
point de départ compliqué nécessite une exposition assez longue,
qui occupe à peu près tout l’acte premier, à l’exception de
l’intermède de la scène III entre Harpagon et La Flèche : mais cette

96 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Etude littéraire: L’Avare de Molière

scène esquisse déjà le vol de la cassette. Trois problèmes sont


posés au spectateur : Elise épousera-t-elle Valère ? Est-ce Cléante
ou Harpagon qui obtiendra la main de Mariane ? Le trésor de l’avare
sera-t-il dérobé ?.

En fait, cette dispersion de l’action n’est qu’apparente ; car le


sort d’Elise passe très vite au second plan. La jeune fille ne rend
d’ailleurs pas à son frère la confidence que celui-ci lui fait de son
amour pour Mariane (acte premier, scène II) ; aucune manoeuvre
commune n’est réalisée entre le couple Elise-Valère et le couple
Cléante-Mariane. Après avoir opposé à son père un refus plein de
fermeté (acte premier, scène IV) et avoir ébauché avec Valère un
plan de résistance (acte premier, scène V), Elise n’entendra plus
son père lui parler de son mariage avec le seigneur Anselme jusqu’à
l’arrivée de celui-ci, à la scène V de l’acte V ; mais alors tout
s’arrangera rapidement dans la reconnaissance générale.

Ce qui est le véritable ressort de l’action, c’est la lutte entre le


Le conflit entre le père et le fils. Les péripéties de cette querelle jalonnent les trois
père et le fils, actes qui sont au centre de la comédie : déjà abasourdi d’apprendre
source que son père songe à épouser Mariane (acte premier, scène IV),
d’amusement dans Cléante est forcé à découvrir en son père l’usurier qui le dupe (acte
la pièce II, scène I et II) ; il se venge en déclarant (acte III, scène VII) son
amour à Mariane sous le nez de son père, en offrant à la jeune fille
un riche repas aux frais d’Harpagon et en lui passant au doigt la
bague précieuse qu’il vient d’ôter au vieillard. Mais, à l’acte IV,
Cléante, inquiet de ne trouver auprès de Frosine et de Mariane elle-
même qu’une aide un peu illusoire (scène première), se fait duper
par Harpagon ; celui-ci lui extorque son secret (scène III). L’hostilité
entre le père et le fils se transforme en haine (scène V) Comment
s’étonner que Cléante devienne sans hésiter (scène VI) le complice
de La Flèche, qui, en volant la cassette, a mis à exécution le projet
ébauché à l’acte premier ? Cléante possède enfin le moyen de
chantage qui contraint Harpagon à choisir entre son amour et son
avarice (acte V, scène VI). Ce vol de la cassette, en faisant peser
d’injustes soupçons sur Valère, a permis aussi à l’avare de découvrir
l’intrigue entre son intendant et sa fille (acte V, scène III) : cette
situation va exiger nécessairement une solution.

Dans la pièce l’Avare il y a par conséquent une intrigue


cohérente et un dénouement qui éclaircit la situation : Anselme
reconnaît ses propres enfants dans Valère et Mariane. Un tel
dénouement, utilisé déjà par Molière dans l’Ecole des femmes, reste
dans la tradition de la comédie latine et de la comédie italienne. La
règle générale est l’allégresse de la fin de toute comédie, où chacun
trouve son bonheur auquel il a droit, y compris Harpagon, qui
recouvre sa chère cassette.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 97


Etude littéraire: L’Avare de Molière

Test d’autoévaluation

Pour vérifier vos connaissances, répondez aux questions


suivantes. Vérifiez vos réponses en consultant la rubrique
« Les clés du test d’autoévaluation ».

1. Quelles sont les sources d’inspiration de l’Avare de


Molière ?

2. Il y a dans la pièce un personnage par l’intermédiaire duquel


Harpagon veut négocier son mariage avec Mariane.
Précisez son nom et sa signification parmi les autres
personnages de la pièce.

3. Présentez dans un paragraphe le dénouement de la


comédie.

8.5 Les caractères dans l’Avare

L’avarice, vice Sans doute, le personnage d’Harpagon est-il le plus intéressant


éternellement pour la discussion et en même temps un repère essentiel pour
humain illustrer l’avarice. Harpagon est d’ailleurs l’avare traditionnel : comme
le personnage Euclion de Plaute et comme l’avare de la fable de La
Fontaine (L’Avare qui a perdu son trésor), Harpagon cache son or et
manifeste tout le temps la peur qu’on ne vienne pas le lui voler. En
même temps, Harpagon essaie continuellement de s’enrichir (en
pratiquant l’usure), ce qui démontre un autre défaut – le manque
absolu de mesure, la folie. Enfin, Harpagon est amoureux, situation
qui entre en contradiction avec son manque de confiance et son
égoïsme, sa parcimonie.

98 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Etude littéraire: L’Avare de Molière

Donc Harpagon cumule trois types conventionnels de la


comédie : le thésauriseur, l’usurier et le vieillard amoureux, le
personnage de Molière démontrant la ruse, l’habileté, l’hypocrisie.
Mais le trait fondamental du comportement de l’avare est, selon le
dramaturge, l’obsession de l’or. En plus, l’avare de Molière est
l’avare de tous les jours, tout comme le bourgeois parisien qui veut
étaler un style de vie : il a domestique et carrosse, porte diamant au
doigt et se préoccupe du qu’en-dira-t-on, croyant qu’il est un homme
de bon sens. Il croit aussi qu’il est un bon père, s’il impose à ses
enfants de riches mariages. L’avare est souvent ridicule, et surtout
au moment où il veut offrir à sa « fiancée » une réception qui soit
conforme aux convenances, mais à condition que cela ne coûte
guère.

Le désir d’Harpagon de se remarier ne s’explique pas par amour


ou par un caprice de vieillard, mais plutôt parce que pour un
bourgeois de son âge c’est bien d’avoir auprès de lui une jeune
femme ; pour lui, c ‘est aussi important que ce mariage soit une
bonne affaire. C’est pourquoi il est enragé de voir en son fils Cléante
un rival, car Harpagon est un père orgueilleux et autoritaire. On a
reproché à Molière de n’avoir pas donné de détails sur le passé
d’Harpagon, sur ses activités professionnelles, mais l’auteur a
toujours procédé ainsi avec ses personnages. Donc, nous savons
seulement qu’Harpagon avait expédié des dépêches (actes II, scène
V), ce qui signifie qu’il s’occupe d’affaires importantes et nous
n’avons pas d’autres précisions. Ce que nous savons avec certitude
c’est qu’Harpagon n’est pas usurier que de façon supplémentaire,
clandestine, l’usure n’étant pas son vrai métier. On a avancé même
la supposition que le personnage d’Harpagon soit inspiré d’un
lieutenant criminel Tardieu, célèbre à l’époque pour son avarice,
assassiné par des voleurs en 1655. Un autre possible modèle de
l’avare de Molière serait même le père de l’écrivain, Jean Poquelin.

En effet, Molière a réussi à créer un type complexe de l’avare,


qui n’est qu’une caricature de père, d’amoureux et de maître de la
maison. Il perd le sens de la raison quand il croit qu’une jeune fille,
même pauvre, puisse l’aimer, tout comme il devient fou à cause de
son obsession de ne pas perdre son argent.

Distinguez :

En quoi sont différents l’avare de Molière et les personnages


Costache Giurgiuveanu (du roman de George Călinescu, Enigma
Otiliei) et Hagi Tudose de Barbu Ştefănescu Delavrancea ?

Proiectul pentru Învăţământul Rural 99


Etude littéraire: L’Avare de Molière

Les autres personnages n’ont pas le même relief que l’avare. Il


y a en effet les deux couples d’amoureux, Valère-Élise et Cléante-
Mariane, qui sont bien décidés à tromper Harpagon, en vertu de
leurs sentiments vraiment authentiques. Pourtant, en dépit de la
sincérité de leurs sentiments amoureux, aucun trait évident ne les
A comparer des caractérise. Valère, gentilhomme déguisé par amour en intendant,
personages de la joue fort bien son rôle de flatteur. Mariane manifeste, elle aussi, sa
littérature passion, mais d’une manière plus timide et indécise, conformément à
roumaine avec la mentalité de l’époque, qui ne permettait pas aux jeunes filles d’être
l’avare de Molière tranchantes, indépendantes. Très dévouée à sa mère, Mariane est
prête à se marier avec un riche vieillard, seulement pour aider sa
mère.

Parmi les autres personnages, La Flèche, héritier du rôle de


Strobile dans la comédie de Plaute, n’est qu’un valet impertinent et
sans scrupule, bref, le type traditionnel. Frosine, elle n’est pas
originale, elle non plus. Elle est consciente de son appui auprès de
l’avare, mais elle est également capable de sentiments sensibles
quant elle voit les jeunes amoureux mis dans une situation difficile.

Maître Jacques est le plus intéressant des personnages


secondaires. Le cocher-cuisinier d’Harpagon a son franc-parler, mais
il n’est pas trop courageux à cause de la menace des coups de
bâton : il ressemble ainsi à beaucoup de valets de la comédie ; il se
remarque aussi par sa fidélité envers un maître qui n’est pas
généreux avec lui, ce qui confère au personnage une certaine
originalité. En tout cas, maître Jacques est le seul qui voit encore
l’avare comme un être humain, tout comme le personnage de la
grande Nanon, du roman balzacien Eugénie Grandet.

8.6 La morale dans l’Avare ; le comique et le style

Cette pièce est la première où Molière a montré les effets


désastreux que le vice du maître de la maison peut provoquer dans
une famille. Harpagon a perdu son caractère humain, car il est
égoïste, il ne tient pas compte des besoins et des sentiments des
autres. Au dénouement, il ne se soucie plus de son mariage, il
repousse ses enfants sans aucun scrupule ; tout ce qui est important
pour lui se rapporte à sa précieuse cassette. Incapable d’avoir des
“harpagon”= om remords, Harpagon est l’incarnation du vice, complètement dominé
avar, zgârcit (DEX) par sa soif d’argent. Le spectateur en est dégoûté, et même s’il rit
Le mot est entré quelquefois, c’est plutôt un amusement amer. En fin de compte,
dans le vocabulaire Harpagon est un personnage odieux, parfois ridicule, d’une grande
fondamental de la laideur morale.
langue roumaine,
étant connu même
par des personnes Les procédés utilisés par Molière pour présenter son avare sont
qui n’ont pas lu la très variés, mais aussi très simples. Coups de bâton et bouffonneries
pièce de Molière alternent avec les quiproquos de toute sorte. Un leitmotif inoubliable
est le syntagme sans dot (acte premier, scène V), qui a le rôle de
fixer à jamais l’image de l’avare.

100 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Etude littéraire: L’Avare de Molière

Le monologue d’Harpagon (acte IV) vient de Plaute, mais s’il


semblait normal au public romain qu’un personnage s’adresse
directement aux spectateurs, ce procédé n’appartient plus au XVIIe
siècle qu’à la parade du théâtre forain (spectacle en plein air) et aux
bouffonneries de la commedia dell’arte. Molière a voulu, par cette
imitation de son modèle latin, accentuer le caractère exceptionnel de
son personnage. L’avarice fait perdre la raison à Harpagon, et quand
on lui vole son trésor il devient complètement fou.

D’ailleurs, la bonne morale, selon Molière, est celle qui marie les
jeunes gens entre eux, et non pas celle qui enseigne à épouser avec
résignation de vieux maris ; celle qui pratique une dévotion
« humaine et traitable » et non le rigorisme des dévots ; celle qui
enseigne aux femmes à se marier avec de braves garçons qu’elles
aiment pour en avoir des enfants, au lieu d’étudier le grec,
l’astronomie et l’amour dans les romans.

En outre, on a beaucoup discuté la valeur du style de Molière.


Dès le XVIIe siècle, on lui reprochait l’usage du jargon. Il y en a
parfois, car Molière écrivait vite, dans la hâte d’une vie fiévreuse.
Mais ce qui semble obscur ou gauche devient souvent clair et correct
quand on donne aux mots / constructions / images le sens et la
valeur qu’ils avaient au XVIIe siècle. Ces « taches » disparaissaient
d’ailleurs dans le mouvement général du style emporté par la verve
comique. C’est là le grand art de Molière, presque indéfinissable,
comme l’est la force vivante de ses caractères. Elle est, cette verve,
dans le vocabulaire qui mêle le jargon des valets, la jovialité des
servantes ; dans le jaillissement d’images, tantôt populaires, tantôt
plus fines ; dans le mouvement d’une phrase toujours parlée plutôt
qu’écrite.

La verve du théâtre de Molière est surtout dans le comique. On


a dit que ses pièces étaient , au fond, cruelles et amères, et que,
sans les artifices de théâtre, l’Avare, Tartuffe, les Femmes savantes,
Les sources de la le Malade imaginaire devraient aboutir à de sombres drames de
verve chez Molière famille. Pourtant, cette amertume n’existe que pour ceux qui lisent et
qui discutent . Au théâtre, les pièces de Molière amusent ou
déchaînent le rire. La vie, même si elle est au fond mauvaise, a du
moins des apparences d’exubérance et de bonne humeur. L’art de
Molière est de fixer ces apparences. Son théâtre est peut-être écrit
par un pessimiste ; il suggère, quand on l’écoute, le rire ou le sourire
de l’optimisme. ( Daniel Mornet , Précis de littérature française, Paris,
Larousse, p.108).

Quant au style de l’Avare, il a été plus tard critiqué pour ses


négligeances par ceux qui aimaient le beau langage et par Fénelon.
Molière avait déjà écrit en prose (v. les Précieuses ridicules et Dom
Juan). Le dialogue de cette pièce garde sa spontanéité, surtout dans
les scènes où parle l’avare. Le style réalisé par Molière dans l’Avare
est naturel, donnant l’impression de vie et de réalité.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 101


Etude littéraire: L’Avare de Molière

Les clés du test d’autoévaluation


Réponses et commentaires

1. Plaute :l’Aulularia ; Boirobert :La Belle Plaideuse ; Arioste : I


Suppositi.

2. Frosine ; raisonneur de la pièce.

3. Anselme est le père de Valère et Mariane ; double mariage de


Valère avec Élise et de Cléante avec Mariane ; Harpagon retrouve
sa « chère cassette ».

Test de contrôle 8

Ce test est administré à l’issue de l’unité d’apprentissage 8. Pour


réaliser ce test, il vous est conseillé de relire l’unité et de faire des
annotations. Ne manquez pas de transmettre ce test à votre
tuteur. A cet effet, il convient de marquer votre nom, votre
prénom et votre adresse personnelle sur la première page de
votre copie. N’oubliez pas de mentionner aussi le numéro du test.
Vous êtes supposés le recevoir, après correction, avec les
commentaires de votre tuteur.

Bon travail !

1. Présentez un personnage préféré de la pièce l’Avare ?


Justifiez votre choix.
(4 points ; 4 phrases)

2. Discutez l’opinion de Rousseau sur la prétendue immoralité


de l’Avare (v. le jugement présenté dans les « Idées à
retenir »).
(3 points ; 3-4 phrases)

3. Sujet de rédaction : Quelques jours après les événements


qui terminent la pièce, Valère écrit à un ami pour lui raconter
ses aventures depuis qu’il est entré comme intendant chez
Harpagon. Rédigez sa lettre, en tenant compte du caractère,
des sentiments et du ton habituel du personnage.
(3 points ; 4-5 phrases)

102 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Etude littéraire: L’Avare de Molière

Références bibliographiques :

MOLIÈRE, L’Avare, Paris, Librairie Larousse, 1971.

TOMA, Dolores, Du baroque au classicisme, Bucureşti,


Editura Babel şi Editura Universităţii , 1993, pp.152-175.

MORNET, Daniel, Précis de littérature française, Paris,


Larousse,1925.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 103


L’actualité des types créés par Molière

Unité d’apprentissage 9

L’ACTUALITÉ DES TYPES CRÉÉS PAR MOLIÈRE

Sommaire page
Les objectifs de l’unité d’apprentissage 9 104
9.1 Molière, peintre de mœurs 105
9.2 L’art de peindre des caractères 106
9.3 Le comique de Molière 107
Test d’autoévaluation 108
9.4 Les idées de Molière 109
Les clés du test d’autoévaluation 113
Test de contrôle 9 114
Références bibliographiques 114

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 9

Quand vous aurez parcouru cette unité d’apprentissage et effectué le test


d’autoévaluation, vous serez capables de :

• repérer les procédés de la peinture des caractères ;


• mettre en évidence l’essence du comique de Molière (le contraste et la
parodie) ;
• interpréter la philosophie de Molière ;
• distinguer les idées de Molière sur l’éducation des filles, le mariage, l’amour.

104 Proiectul pentru Învăţământul Rural


L’actualité des types créés par Molière

9.1 Molière, peintre de moeurs

Sans doute, le théâtre de Molière offre-t-il un tableau complet de


la société contemporaine, tout comme chez La Bruyère et La
Fontaine. Nous retrouvons dans les pièces de Molière des éléments
de la cour, de la bourgeoisie parisienne, de la province. D’ailleurs, la
bourgeoisie parisienne c’est le cadre habituel des comédies,
présentant des marchands (comme M. Jourdain), mais aussi des
bourgeois aisés (comme Orgon) ou bien de grands bourgeois
(comme Harpagon). D’autres personnages appartiennent au monde
des commerçants (comme M. Dimanche de Dom Juan), des
professeurs (comme ceux du Bourgeois Gentilhomme), des notaires,
des médecins, des apothicaires. Molière nous fait également
pénétrer, par ses personnages, dans les milieux louches de la
grande ville : usuriers, spadassins, intrigants de toutes sortes. Bref,
nous avons une perspective complète sur la vie sociale à l’époque
de Molière, dont certains aspects, surtout au domaine des vices,
ressemblent beaucoup à ceux de notre époque. Le génie de Molière
a su laisser à chacun des personnages le langage de sa condition et
de son milieu.

En effet, Molière voulait « peindre d’après nature », en créant


des types immortels, à partir de la réalité contemporaine, mais
dépassant largement le temps de l’auteur. Son avare, son hypocrite,
ses précieuses, ses bourgeois gonflés de vanité, son misanthrope et
sa coquette restent vrais aujourd’hui aussi, comme au premier jour
de leur représentation sur la scène. Molière eut le génie de les
rendre universels et particuliers à la fois : ils incarnent des êtres
réels, dont le nom est devenu symbolique (on dit à présent « c’est un
harpagon, un tartuffe », etc.)

Molière est actuel parce qu’il a su bien observer la réalité, dans


toute sa complexité et variété. Chose remarquable, il donne à ses
Le langage des personnages les contradictions des êtres vivants. Leur passion
personnages est dominante s’accompagne d’autres traits de caractère avec lesquels
adapté à leur elle est parfois en conflit. Par exemple, Harpagon est avare et
condition sociale, amoureux, Tartuffe, hypocrite habile et cynique, est cependant
aspect défendu plus sensuel jusqu’à l’imprudence. A son tour, Dom Juan, coureur de
tard par le
toutes les belles, esprit amoureux d’aventures, méchant, souvent
dramaturge-
théoricien du drame
odieux, a pourtant un courage, un charme qui nous le rendent parfois
romantique, Victor sympathique. Alceste aussi, pessimiste et trop sincère, nous plaît
Hugo quand même pour sa franchise, pour son attitude authentique. Donc
les personnages de Molière incarnent parfaitement bien cette idée
que dans chacun de nous il y a « l’ange et la bête », et parfois celui
qui veut faire l’ange arrive à faire la bête, comme disait Pascal dans
ses Pensées.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 105


L’actualité des types créés par Molière

9.2 L’art de peindre les caractères

Molière possède une vraie technique de la peinture des


caractères. Tout d’abord il s’agit de la peinture indirecte. L’exemple
le plus pertinent de cette peinture indirecte est celui de Tartuffe, qui
n’apparaît qu’au troisième acte : une querelle de famille nous fait
connaître non seulement les sept personnages en scène, mais
surtout le caractère de Tartuffe, source de la dispute. Dans le cours
même de l’action, Molière trace également des portraits pour
préparer une scène et lui donner tout son effet. La conversation de
l’entourage nous éclairicit davantage concernant le personnage.

Mais la plupart des personnages principaux de Molière sont en


proie à une idée fixe, qui se révèle lorsqu’elle se heurte à un
obstacle, ou, au contraire, lorsqu’elle trouve un climat favorable. Les
scènes caractéristiques sont ainsi des expériences auxquelles on
soumet le personnage, ayant la valeur de démonstrations. Quant à
l’obstacle révélateur, ce sont plutôt des répliques révélatrices , des
Cherchez d’autres « mots de nature » ; par exemple, le « sans dot » de l’Avare. Ou
“idées fixes” chez bien, la situation où le personnage est obligé de retenir ses
les personages de sentiments. Harpagon assiste aux prodigalités de son fils en faveur
Molière
de Mariane : il se voit dépouillé et doit faire bonne figure.

Parfois, la « démonstration » est délibérément organisée par un


personnage qui en tire les conclusions à la fin. Par exemple, Dorine
revient malicieusement sur la maladie d’Elmire pour insister sur
l’égoïsme de Tartuffe. Elmire malade, Tartuffe éclatant de santé,
Orgon qui ne voit que « le pauvre homme » : la démonstration est
complète. C’est à Dorine de conclure d’un ton ironique :

Et je vais à Madame annoncer par avance


La part que vous prenez à sa convalescence.

Il y a aussi le procédé de l’exploitation de l’idée fixe. Le


caractère d’un maniaque se révèle aussi par la facilité avec laquelle
les flatteurs l’exploite. Par exemple, le cas de M. Jourdain, auquel il
suffit de parler des « gens de qualité », pour stimuler son orgueil.
Cette peinture de la duperie est une forme fréquente du comique des
caractères.

En outre, Molière sait utiliser des scènes brèves, des éléments


simples pour faire la description d’une âme. Quelques traits
caractéristiques sont suffisants pour tracer le portrait d’un
personnage dans toute sa vérité humaine. Parfois, le dramaturge se
sert des personnages-guide, tel que Dorine de la pièce Tartuffe.

106 Proiectul pentru Învăţământul Rural


L’actualité des types créés par Molière

9.3 Le comique de Molière

Le comique du dramaturge est bien illustré par la figure


9.1,évoquant l’une des meilleures interprétation du personnage
Harpagon, réalisée par l’acteur de génie Louis de Funès. Cependant,
il y a certains commentateurs qui parlent de la mélancolie de
Molière ; Goethe, par exemple trouvait que ses textes « touchent à la
tragédie » ; à son tour, Musset affirmait au sujet du Misanthrope :
« Quelle mâle gaîté, si triste et si profonde / Que lorsqu’on vient d’en
rire on devrait en pleurer ». En réalité, nous pouvons remarquer
plutôt chez Molière une lucidité amère quand il examine les moeurs
du siècle. Il manifeste sa colère contre les hypocrites quand il conçoit
les personnages de Tartuffe, Harpagon, Dom Juan, etc. Le théâtre
de Molière est grave et, parce qu’il est réaliste, il est l’expression
magistrale de la révolte de l’écrivain contre son époque médiocre et
corrompue. C’est un monde rongé par le vice et les gens qui
peuplent cet univers sont malheureux. D’ici le pessimisme de
Molière, car, selon lui, le vice s’amplifie en influençant aussi la vie de
l’entourage des vicieux, en jetant une lumière désolante sur leur
existence.

Figure 9.1

Que dire d’un Harpagon qui voit en ses enfants des ennemis !
Malgré les scènes comiques qui se passent à l’intérieur des familles,
c’est un drame dont on peut parler au niveau de la famille comme
institution dégradée, menacée par les faux sentiments. Mais le talent
du dramaturge laisse passer au premier plan le comique, en
essayant de traiter de manière amusante même les aspects les plus
difficiles. Il évite, comme on a dit, d’assombrir ses comédies : si
certains personnages sont odieux par leur comportement, ils sont
aussi ridicules, absurdes, ainsi qu’au lieu de révolter ils engendrent

Proiectul pentru Învăţământul Rural 107


L’actualité des types créés par Molière

le rire ! Procédé intéressant, d’habitude ces personnages sont


accompagnés des valets sympathiques, voire sages, qui arrivent à
détendre l’atmosphère. Par exemple, Maître Jacques est une
nécessaire liaison entre Harpagon et Cléante quand les deux se
disputent l’amour de Mariane. Le spectateur peut aussi s’amuser de
cette vaine réconciliation essayée par le valet, et la scène où le père
jaloux veut déshériter son fils ne semble plus monstrueuse ! A vrai
dire, la vie des personnages n’est jamais en danger et le
dénouement heureux chasse la tristesse de certaines situations.

Bref, le comique est le moyen d’expression qui convient le


Les jeux de mots mieux au génie de Molière. Ce qu’il cherche à travers les scènes
sont significatifs comiques c’est la vérité psychologique, la réalité qui est à corriger.
pour provoquer le Le dramaturge semble posséder un arsénal infini de procédés
rire des specataurs destinés à faire rire : comique de mots, de gestes, d’interruptions, de
répétitions, quiproquos, situations extravantes par les idées et les
actions mises en jeu.

Il y a deux tendances essentielles : Molière applique souvent la


méthode du contraste, en opposant ses personnages par le
caractère, le vocabulaire, les moeurs (Alceste et Philinte, M. Jourdain
et sa femme, Orgon et Dorine). Parfois Molière oppose le
personnage à soi-même, en présentant ses contradictions : c’est le
cas d’Alceste ou de M. Jourdain. Ces contradictions qui harcèlent le
personnage provoquent également le rire, l’amusement, la pitié.
Molière utilise aussi les scènes à renversement (par exemple entre
M. Jourdain et Dorante).

En outre, il y a un comique de parodie, plus raffiné que le


comique de contraste. C’est comme un jeu que l’écrivain propose au
spectateur, pour qu’il découvre les intentions satiriques de l’auteur.
Cela provoque une grande satisfaction au lecteur qui voit la critique
subtile des précieuses, la parodie du jargon médical. A cela s’ajoute
le langage indirect (du type de la déclaration déguisée de Cléante à
Mariane en présence d’Harpagon).

Test d’autoévaluation

Pour vérifier vos connaissances, répondez aux questions


suivantes, et consultez ensuite la rubrique « Les clés du test
d’autoévaluation ».

1. Quelle est la signification du syntagme « peindre d’après


nature » ?

108 Proiectul pentru Învăţământul Rural


L’actualité des types créés par Molière

2. Expliquez le spécifique du procédé nommé « l’exploitation


de l’idée fixe » dans la peinture des caractères.

3. Énumérez les procédés du comique de Molière.

9.4 Les idées de Molière

Nous nous posons cette question : Molière en tant qu’auteur


comique peut-il corriger les vices des hommes ? Une grande
Réalisez une fiche comédie a comme point de départ une idée centrale, une thèse qui
synthétique ne commande pas l’action, mais qui ressort naturellement du jeu des
regroupant les idées caractères. Le résultat se voit dans certaines ambiguïtés
sociales des
caractérisant les personnages principaux, comme c’est le cas de
comédies de Molière
Dom Juan qui est un « méchant homme » ayant aussi des côtés
sympathiques. Dans la pièce le Misanthrope on hésite entre Alceste
et Philinte... Le grand talent de Molière a été non de nous prêcher
une leçon de morale, mais de nous peindre la vie telle quelle, dans
sa complexité. C’est par cela qu’il nous invite à réfléchir, à juger sur
la vie et sur nous-mêmes.

Par conséquent, devant les multiples problèmes posés par la


vie, Molière a sa propre philosophie, une réaction pleine d’humeur et
de malice. Par exemple, Molière s’attaque très fortement contre « la
préciosité ridicule ». Ce que Molière critique véhémentement c’est le
principe de la préciosité, cette attitude des femmes soi-disant
savantes qui ont la prétention stupide de vouloir se distinguer du
commun, de mépriser les autres, considérés médiocres. Molière
raille l’hypocrisie de ces femmes qui veulent épurer la langue des
« syllabes sales », qui voient dans le mariage un esclavage vulgaire
et humiliant (v. Les Femmes savantes, acte I, scène I). Le
personnage d’Armande incarne ce type de la précieuse ridicule.
Même la première réplique de la pièce Les Femmes savantes lui
appartenant est significative :

Proiectul pentru Învăţământul Rural 109


L’actualité des types créés par Molière

Figure 9.2

– Quoi ! le beau nom de fille est un titre, ma charmante


soeur,
Dont vous voulez quitter la charmante douceur,
Et de vous marier vous osez faire fête ?
Ce vulgaire dessein vous peut monter en tête ?

En effet, Armande est une vraie précieuse : elle veut se


maintenir à un étage haut, se refuse aux bas amusements, élève ses
désirs à de hauts objets, recherche les plus nobles plaisirs et ainsi se
distingue des personnes vulgaires. A l’exemple de sa mère, elle se
veut savante, aspire aux clartés, aime l’étude : elle s’est mariée à la
philosophie !

C’est pourquoi Molière se moque de l’affectation des moeurs et


du langage de ces précieuses ridicules telles qu’Armande ; on ironise
l’abus de périphrases et de métaphores, expression de la poésie
artificielle. Parfois, le dramaturge se sert des répliques de ses
personnages pour affirmer ses propres idées, comme il arrive quand
Alceste exprime ce jugement sur la préciosité :

Ce n’est que jeu de mots, qu’affectation pure


Et ce n’est pas ainsi que parle la nature.

110 Proiectul pentru Învăţământul Rural


L’actualité des types créés par Molière

Une autre idée majeure de Molière, question qui préoccupait


d’ailleurs le XVIIe siècle, c’est l’éducation des filles. A l’époque cette
éducation était assurée plutôt par les couvents, tandis que la petite
L’éducation des élite des précieuses et des savantes revendiquaient au contraire
filles est une idée d’être mathématiciennes, physiciennes et philosophes, comme les
majeure du théâtre hommes. Quant à lui, Molière conseille l’éducation par la douceur :
de Molière et du C’est l’honneur qui les doit tenir dans le devoir / Non la sévérité que
XVIIe siècle en nous leur faisons voir (École des Femmes, acte I, scène I). L’écrivain
général (surtout
ne croit pas du tout que l’ignorance soit la plus sûre garantie de la
des moralistes –
La Bruyère, La vertu, et se prononce pour une « honnête liberté ».
Rochefoucauld).
Cependant, s’il nous montre l’échec de Sganarelle et
d’Arnolphe, partisans de la contrainte et de l’ignorance, Molière n’est
pas en échange le partisan des « femmes docteurs ».
Grammairiennes, astronomes et philosophes, dépourvues de leur
charme féminin, ces femmes perdent aussi leur qualité naturelle de
maîtresses de maison. C’est pourquoi le personnage d’Henriette (de
la pièce Les Femmes savantes) incarne le prototype de la femme de
bon sens, bien naturelle, qui n’est ni philosophe ni helléniste, mais
simplement vertueuse, sensible et spirituelle, car elle sait regarder,
comprendre, utiliser les mots justes. Henriette est sage, réservée,
intelligente et donc charmante, correspondant à cet idéal de
l’ « honnête homme ». Une jeune fille bien élevée doit devenir une
épouse comme Elmire, pleine de distinction et de charme, élégante,
spirituelle, maîtresse d’elle-même et d’une vertu sans tache.

Idées à retenir :

Depuis la fin du Moyen Age, une question occupait les esprits :


le sexe féminin peut-il égaler le sexe masculin qui le tient en tutelle ?
Elle déclencha une polémique passionnée, baptisée Querelle des
femmes par Abel Lefranc (c’est Le Tiers Livre de Rabelais et la
Querelle des femmes, 1914).

Les adversaires de l’émancipation féminine due aux Croisades


se rappelèrent le jugement de Platon : De même qu’un singe est
toujours singe, de même une femme, quelque rôle qu’elle joue,
demeure toujours femme, c’est-à-dire sotte et folle. Ils ont
mentionné aussi l’adage latin : Fragilitas, imprudentia, imbecillitas
sexus. Ils mirent en relief le rôle néfaste joué par Ève dans le jardin
d’Eden.

Cependant, au début du XVe siècle, une femme dont le veuvage


avait fait une poétesse, Christine de Pisan (1364-1430) commence à
défendre le sexe féminin en énumérant, dans sa Cité des dames
(1405), les titres d ‘honneur acquis par les les femmes, tant
guerrières que savantes ou vertueuses. Elle demande pourquoi les
hommes ne veulent pas que leurs filles, leurs femmes aprennent les
sciences.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 111


L’actualité des types créés par Molière

Au XVIIe siècle l’épistolier Louis Guez de Balzac ne cacha pas


son aversion pour les femmes savantes. Le siècle classique ne
paraissait guère favorable aux femmes désireuses de s’instruire ou
de briller dans les arts. Mais un écrivain féminin d’immense
réputation, Madeleine de Scudéry (1607-1701), montra l’erreur de
ceux qui voulaient maintenir les femmes dans l’ignorance. Elle
exprima son point de vue en ces termes : Je suis bien loin de
proposer que les femmes soient savantes , ce qui à mon sens, serait
au contraire une grande erreur ; mais entre la science et l’ignorance
il y a quelque moyen terme que l’on devrait précisément adopter. M.
de Scudéry croit que toute femme du monde doit être capable de
comprendre les conversations de l’homme instruit, de discuter sur
toutes les choses .

Par sa comédie Molière eut une grande contribution à cette


vieille polémique dont les échos se font toujours entendre.

L’idée de Molière sur l’amour correspond à une conception


moderne, naturelle, l’amour étant un sentiment jailli des élans du
coeur, ne dépendant ni du mérite, ni du bon sens, ni de la sagesse :
on ne saurait l’imposer par la force ou par la raison. Le caprice est
intimement lié à ce sentiment, car on ne peut duper nos instincts.
Comme dit Alceste, qui essaie d’étouffer son amour pour Célimène,
« la raison n’est pas ce qui règle l’amour ».

En ce qui concerne le mariage, Molière s’oppose à l’attitude


autoritaire qui caractérisaient les parents au XVIIe siècle. C’est
pourquoi l’écrivain nous rend odieux les parents qui obligent leurs
Le mariage est un enfants à des mariages d’intérêt, pour lequels ils n’ont point
autre thème d’inclinations. Élise, Mariane voudraient se tuer plutôt que se marier
majeur du XVIIe avec le vieillard Anselme ou Tartuffe. En plus, Molière sait évoquer
siècle, que les malheurs, les infidélités que de tels mariages imposés
Molière a su engendrent d’habitude. Pour Molière, le mariage est « une chose
exploiter sainte et sacrée » qui doit apporter aux femmes l’accomplissement,
magistralement la joie et non le renoncement à leurs aspirations. Les époux doivent
être assortis « d’âge, d’humeur et de sentiments » (L’Avare) Un
mariage réussi, qui mène au bonheur signifie l’union de deux êtres
amoureux l’un de l’autre, au-delà de tous les préjugés sociaux, des
mésalliances, etc.

Cette liberté, cette attitude de sincérité caractérise aussi les


idées de Molière sur la religion, sans que le dramaturge accepte
pourtant la morale relâchée des jansénistes. Ainsi Molière s’attaque-
t-il aux hypocrites, aux dévots excessifs, aux intolérants. Pour lui, la
croyance en Dieu signifie tout d’abord sincérité et n’exclut point les
douceurs de la vie, vécues honnêtement.

Comme Boileau, Molière repousse tous les déguisements, tous


les excès (préciosité littéraire ou exagérations dans le langage, le
comportement, les bourgeois voulant paraître gentilshommes, la

112 Proiectul pentru Învăţământul Rural


L’actualité des types créés par Molière

médiocrité des médecins, la sincérité ridicule comme celle d’Alceste,


etc). On lui a reproché la morale de juste milieu, du type « Toujours
au plus grand nombre on doit s’accommoder ». En réalité Molière
plaide pour la modération, car les excès sont dangereux, ils peuvent
engendrer des « monstres », des êtres contre nature. Par exemple,
dans Le Misanthrope, il critique l’homme vertueux devenu ridicule,
incommode par trop de sobriété, sa sagesse étant une sorte de folie.
D’ailleurs, à Molière toute son époque paraissait immorale,
corrompue, tiraillée par des attitudes extrêmes.

Les clés du test d’autoévaluation


Réponses et commentaires :

1. « Peindre d’après nature » signifie présenter le


personnage dans la complexité de son caractère, c’est-à-dire
avec toutes ses contradictions, sa passion dominante, ses
manies (d’où la création des types immortels, tels que Tartuffe,
Harpagon, Dom Juan).

2. « L’exploitation de l’idée fixe » signifie insister sur une


manie du personnage que les autres savent bien flatter,
justement pour le duper (par exemple, M. Jourdain est très
sensible au syntagme « gens de qualités »).

3. Les procédés du comique de Molière sont: comique de


mots, de gestes, d’interruptions, de répétitions, quiproquos,
situations extravagantes par les idées et les actions mises en jeu.
A cela s’ajoute la méthode de la parodie et du contraste.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 113


L’actualité des types créés par Molière

Test de contrôle 9

Ce test est administré à l’issue de l’unité d’apprentissage 9.


Pour réaliser ce test, il vous est conseillé de relire l’unité et de
faire des annotations. Ne manquez pas de transmettre ce test
à votre tuteur. A cet effet, il convient de marquer votre nom,
votre prénom et votre adresse personnelle sur la première
page de votre copie. N’oubliez pas de mentionner aussi le
numéro du test. Vous êtes supposés le recevoir, après
correction, avec les commentaires de votre tuteur.

Bon travail !

1. Montrez quelle est la conception de Molière sur l’éducation


des filles et sur le mariage. (3 points ; 3 phrases)

2. Partagez-vous l’opinion de Molière sur l’amour ? Donnez


des arguments précis.(4 points ; 4-5 phrases)

3. Selon vous, quel est le type de personnage créé par


Molière dont l’actualité est frappante de nos jours ? (3
points ; 4 phrases)

Références bibliographiques :

LAGARDE, A. , MICHARD, L., XVIIe siècle, Les Grands auteurs


français du programme, Paris, Bordas, 1970, pp.173-207.

Guide de lecture, « Lire et voir les classiques », collection dirigée par


Claude Aziza, Presses Pocket, 1993.

114 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Repères historiques et culturels du XVIIIe siècle

Unité d’apprentissage 10

REPÈRES HISTORIQUES ET CULTURELS DU XVIIIe SIÈCLE

Sommaire page
Les objectifs de l’unité d’apprentissage 10 115
10.1 Un nouveau climat politique et social 116
10.2 Les moeurs et les idées du siècle des lumières ; science, beaux-arts et 117
littérature
10.3 Le rationalisme et la sensibilité préromantique 118
Test d’autoévaluation 119
10.4 Conclusions 120
10.5 Le cadre historique 121
10.6 Le cadre littéraire 122
Les clés du test d’autoévaluation 123
Références bibliographiques 123

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 10

Quand vous aurez parcouru cette unité d’apprentissage et effectué le test


d’autoévaluation, vous serez capables de :

• caractériser l’atmosphère du siècle des lumières (sa philosophie);


• repérer les principaux aspects de la vie politique, sociale, scientifique ;
• interpréter le mélange entre le rationalisme et la sensibilité.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 115


Repères historiques et culturels du XVIIIe siècle

10.1 Un nouveau climat politique et social

Malgré la diversité des courants qui le traversent, le XVIIe siècle


laisse une impression générale d’équilibre en ce qui concerne le
christianisme, la monarchie, la doctrine classique de la littérature.
Tout au contraire, le XVIIIe siècle est une période de mouvement qui
aboutit à une crise violente anéantissant un système politique et
social séculaire et instaurant un ordre nouveau. Une longue
fermentation intellectuelle et sociale a préparé la Révolution
française, tandis que, dans la littérature, le préromantisme remplaçait
peu à peu l’idéal classique. Par conséquent, la littérature devient
Le XVIIIe siècle – militante étant étroitement liée aux revendications menant à la
continuation et Révolution (la révolution de 1789 mettra en effet à nu le caractère de
négation du XVIIe classe de la bourgeoisie, qui, ayant fait triompher la révolution à
siècle l’aide des masses populaires, ne se gênera point de remplacer
l’exploitation féodale par sa propre exploitation).

Si l’on compare bien les deux époques – Classicisme et


Lumières – on s’aperçoit que le XVIIIe siècle nie et continue à la fois
le XVIIe siècle. En effet, le siècle des Lumières nie le siècle
classique qui avait été formel et codifié, mais le continue dans ce
qu’il avait de sain, en développant l’esprit critique et humaniste du
classicisme. Comme le montre Valentin Lipatti (Cours de littérature
française, dix-huitième siècle, 1967, p.10), rejetant tout ce que dans
le classicisme avait été conformisme et honnête obéissance, le
XVIIIe siècle engendre avec violence une littérature antimonarchique
et anticléricale. C’est la littérature de cette bourgeoisie qui dirigeait la
lutte des masses contre L’Ancien Régime. Si l’esprit bourgeois était
au XVIIe siècle plus ou moins timide, il fait irruption au XVIIIe siècle.
L’auteur cité soutient que le dernier siècle de la société féodale
n’engendre donc pas un « néoclassicisme », comme on l’a souvent
affirmé, car cela signifiat rétrécir et falsifier le XVIIIe siècle. Il s’agit
d’une phase historique nouvelle et, par conséquent, d’une littérature
nouvelle.

Le règne de Louis XIV avait marqué l’apogée de la monarchie


française, mais le XVIIIe siècle est le témoin de son déclin et de sa
chute. La Régence du duc d’Orléans se traduit par le relâchement
des moeurs et aussi de l’autorité. Louis XV ne mérite pas longtemps
d’être appelé « le bien-aimé ». Louis XVI s’engage dans la voie des
réformes, mais il se heurte à l’opposition des privilégiés et n’a pas
assez d’énergie pour maintenir au pouvoir des ministres « éclairés »
comme Turgot ou Necker.

La Cour cesse d’être le centre du pays et la source de l’opinion.


Le mouvement des idées se fait contre elle et non plus par elle. En
Louis XV échange, le rôle intellectuel revient aux salons, aux clubs et aux
(1710-1774) cafés. C’est ici que la conversation devient brillante, c’est ici que les
écrivains deviennent fameux.

116 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Repères historiques et culturels du XVIIIe siècle

Apparus pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, les cafés


se sont multipliés rapidement ; on y échange des idées, on y aborde
les questions à l’ordre du jour (comme on voit dans les Les Lettres
persanes de Montesquieu, Lettre 36). Par exemple, Diderot a rendu
célèbre le café de la Régence et ses joueurs d’échecs (v. Le Neveu
de Rameau). D’autres établissements sont le rendez-vous des
écrivains et des philosophes : ainsi le café Procope que fréquentent
Fontenelle, Voltaire, Diderot, Marmontel, le café Gradot et le café
Laurent. Quant aux clubs, institution anglaise transplantée en
France, ils joueront un rôle de premier plan sous la Révolution.

10.2 Les moeurs et les idées du siècle des lumières ; science, beaux-
arts et littérature

Tout de suite après la mort de Louis XIV on assiste à une vive


réaction contre la rigueur janséniste et l’austérité qui régnait à la
cour. Le mouvement des idées va favoriser également le goût pour
toutes les jouissances : on croit que le bonheur est en ce monde,
tandis que les philosophes valorisent positivement les passions, les
instincts (la connaissance du monde visible par les sens). Mais il y a
aussi le piège de l’épicurisme facile qui ne distingue pas clairement
la frontière entre le bonheur et le plaisir et qui pousse les gens vers
le bien-être, le luxe, et tous les raffinements procurés par la richesse
et la civilisation. C’est pourquoi Diderot réagit violemment en 1750
dans son premier Discours, en avertissant sur le péril de la
décadence des moeurs chez un peuple très orgueilleux en ce qui
Jean-Jacques
Rousseau, écrivain
concerne sa civilisation ! En même temps, la philosophie de
de langue française, Rousseau sera très importante, car elle va suggérer les bénéfices
né à Genève (1712- d’une vie simple, des sentiments et de la vertu. D’ailleurs on dit que
1778). Adepte de la par les écrits de Rousseau la littérature française sort pour la
théorie que l’homme première fois au vert !
est essentiellement
bon, mais la société Le XVIIIe siècle a eu aussi la passion des idées. Caractérisé par
a corrompu cette une entière confiance dans la raison humaine chargée de résoudre
bonté. tous les problèmes et par une foi optimiste dans le progrès, l’esprit
Ses chefs-d’œuvre : philosophique est un nouvel humanisme. Il trouve son expression
Julie ou la Nouvelle
complète dans L’Encyclopédie, grande oeuvre collective destinée à
Héloïse (1761), Du
diffuser les « lumières », à combattre l’intolérance et le despotisme,
contrat social, Emile
(1762). Rousseau a et à contribuer au bonheur de l’humanité.
renouvelé les idées
en politique et en Depuis le début du siècle, la science a détrôné la métaphysique
éducation, cultivant et exerce une grande influence sur la littérature. La philosophie
aussi le goût de la positive demande aux sciences expérimentales des faits contrôlés,
nature et de la leur emprunte méthodes et raisonnements : à leur exemple, elle
solitude. renonce à découvrir le pourquoi des choses et se contente du
comment, tout en poursuivant les secondaires et en rejetant les
causes primaires dans le domaine de l’inconnaissable.

Les sciences de la nature, moins abstraites que les


mathématiques sont privilégiées (Montesquieu fait des expériences
de biologie, Voltaire expose en vers le système de Newton,
Rousseau voit l’éducation au milieu de la nature, dans le bois, par

Proiectul pentru Învăţământul Rural 117


Repères historiques et culturels du XVIIIe siècle

exemple, où son personnage apprend les points cardinaux en


Denis Diderot,
examinant les mousses des arbres). Par conséquent il y a au XVIIIe
philosophe français
(1713-1784) fut
siècle un va-et-vient entre les sciences et la littérature, tendance qui
l’animateur de va s’accentuer au siècle suivant (l’ouvrage de Claude Bernard
l’Encyclopédie Introduction à l’étude de la médecine expérimentale va influencer le
(1715), dont il réalisme de Flaubert ou bien le naturalisme de Zola).
assuma la direction,
malgré mille Le grand innovateur dans la liaison entre les beaux-arts et la
difficultés, jusqu’à littérature est Diderot, parce que de ses Salons datent les débuts de
son achèvement. la critique d’art comme genre littéraire ; en outre, il entretient des
relations personnelles avec les peintres Chardin et La Tour, le
graveur Cochin, le sculpteur Falconet ; dans sa théorie du drame, il
montre que la mise en scène théâtrale gagnerait à s’inspirer de la
peinture. A son tour, Rousseau est lui-même musicien, et révèle des
possibilités musicales de la prose française à peu près ignorées
jusqu’alors.

L’esprit du siècle se reflète dans les beaux-arts : une grâce


exquise, mais moins de majesté que sous Louis XIV. Jamais la
France n’a connu une civilisation plus éclatante, un art de vivre plus
raffiné. Quoiqu’elle perde sous Louis XV la suprématie militaire
qu’elle ne retrouvera qu’avec Bonaparte, elle sert de modèle
à l’Europe entière par sa littérature, ses arts, ses modes, son
élégance et son esprit. Le roi de Prusse Frédéric II parle français
(même s’il combat la France) et construit des châteaux imités de
Versailles. Le style rococo se répand en Italie et en Allemagne. La
tsarine Catherine II apprécie beaucoup Diderot. D’ailleurs, les
écrivains français se considèrent européens et même citoyens du
monde. Croyant à l’universalité de la raison, ils se révoltent contre
les préjugés nationaux et l’orgueil de leurs compatriotes (c’est surtout
La Raie (Louvre), le cas de Voltaire). Les philosophes essaient d’instaurer un climat de
tableau peint par paix et de civilisation. Dans cette atmosphère de cosmopolitisme
Chardin (1699- s’inscrit aussi l’intérêt pour l’oeuvre de Goethe, tout comme les
1779). Auteur de influences anglaises de toutes sortes (par exemple, Voltaire et
natures mortes, de Montesquieu trouvent dans le régime politique de l’Angleterre des
portraits; il est le leçons de tolérance et de liberté. La physique de Newton détrône
grand peintre de la celle de Descartes ; on s’intéresse à la philosophie de Locke ; on
réalité au XVIIIe traduit et on imite Shakespeare, Pope. Cette « anglomanie » est
siècle.
visible même dans les mœurs par la création des clubs (où l’on boit
du thé) ; on préfère les parcs à l’anglaise aux jardins à la française.

10.3 Le rationalisme et la sensibilité préromantique

La première moitié du XVIIIe siècle se place sous le signe du


rationalisme philosophique, tandis que la deuxième reste sous le
signe de la sensibilité préromantique, sans qu’on puisse parler d’une
rupture brusque : les deux tendances ont pratiquement interféré
pendant tout le XVIIIe siècle. Rousseau et Diderot sont les deux
symboles de cette interférence, car tous les deux ont contribué à
l’expression des élans irrationnels, mais aussi des idées et des
systèmes.

118 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Repères historiques et culturels du XVIIIe siècle

En effet, les philosophes du XVIIIe siècle rejetaient toute autre


autorité que celle de la raison. Plus audacieux que Descartes, leur
maître, ils abandonnent sa métaphysique, soumettant à un libre
examen la révélation, les dogmes, et la morale du christianisme,
ainsi que les institutions politiques et sociales. Ils concluent à la
religion et à la morale naturelles, à la tolérance, à l’instauration d’une
liberté accrue et à l’abolition d’abus criants et de privilèges injustifiés.
Bref, la littératuire devient militante, les écrivains font figure de
hérauts pour les nouvelles opinions qui préparent l’avenir et le
changement.

Du point de vue de l’esthétique littéraire, la première moitié du


siècle est plus timide : si quelques écrivains parlent de la
suppression de la poésie, parce que la prose est beaucoup plus apte
à l’expression rigoureuse et à la diffusion des idées, Voltaire se fait le
défenseur du goût classique. Il est conscient du mérite de son siècle
de propager les lumières, mais il le considère aussi inférieur au
siècle de Louis XIV du point de vue de l’art littéraire. C’est pourquoi
Voltaire respecte les règles, écrit des épopées, des tragédies (pour
lesquelles il n’est pas doué pourtant) et attache peu d’intérêt à ses
premiers contes, où se trouve d’ailleurs les germes de la nouveauté.

Au moment de la parution de l’Encyclopédie, la lutte


philosophique est à son comble. Une nouvelle sensibilité
Le XVIIIe siècle préromantique est à l’horizon, se caractérisant par l’exaltation du
annonce une moi, le lyrisme personnel, le goût des émotions, de la mélancolie et
nouvelle sensibilié,
de la solitude, sentiment de la nature. Ainsi, malgré l’unité réelle qu’il
caractérisée par le
penchement vers
doit avant tout à la lutte philosophique préparant la Révolution
soi-même française, le XVIIIe siècle se trouve partagé entre l’influence du
siècle de Louis XIV et les tendances nouvelles qui apparaissent avec
le romantisme. Ou bien, comme dit Goethe : « avec Voltaire, c’ est
un monde qui finit : avec Rousseau, c’est un monde qui
commence. »

Test d’autoévaluation

Vous avez parcouru l’unité d’apprentissage sur les repères


historiques et culturels du siècle des lumières. Vérifiez si vous
avez bien retenu les explications fournies. Consultez ensuite
la rubrique « Les clés du test d’autoévaluation ».

1. Qu’est-ce que vous savez sur l’apparition des cafés au


XVIIIe siècle ?

Proiectul pentru Învăţământul Rural 119


Repères historiques et culturels du XVIIIe siècle

2. Montrez quelle est l’influence de la science sur la


littérature du XVIIIe siècle.

3. Mettez en évidence l’esprit rationaliste du siècle des


lumières.

10.4 Conclusions

XVIIIe siècle, siècle des Philosophes... Mais qu’est-ce donc


qu’être philosophe, comment peut-on être philosophe en ce siècle
des plaisirs raffinés ? Ne nous trompons pas sur le sens des mots :
ces « nouveaux philosophes » ne ressemblent pas plus aux sages
de l’antiquité qu’aux grands penseurs de notre modernité. Ces
derniers sont philosophes moins par leur appétit de savoir, moins par
leur connaissance que par leur désir de connaître et de faire
connaître. Héritiers directs des libertins et des rationalistes critiques
du siècle de Louis XIV, ils en ont conservé l’esprit ; mieux, ils ont fait
de cet « esprit » leur caractéristique essentielle. Si chez eux en
effet l’esprit de finesse l’emporte souvent sur celui de géométrie, s’ils
sont tour à tour beaux esprits, hommes d’esprit ou esprits forts,
l’esprit toujours et partout est leur signe de reconnaissance.
Leur philosophie même se nomme « esprit philosophique »
plutôt que système ou théorie. Sa vérité ne saurait se réduire à ses
seuls principes et concepts ; elle est dans l’application et dans
l’usage qui en sont faits. Aussi le philosophe s’arrachera-t-il à la

120 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Repères historiques et culturels du XVIIIe siècle

sclérose des livres raisonneurs, aux tentations de la sophistique,


pour se faire « défricheur » des nouveaux espaces où se gagnera le
bonheur de l’humanité ; l’économie appliquée ou politique, le
commerce, la médecine, et tous les « champs » des arts et de la
technique.
Volontiers insolents et frondeurs, débatteurs impénitents, ils
feront des lieux à la mode de l’époque, salons, clubs, cafés, les
décors privilégiés du déploiement et du rayonnement de cet esprit
dont la métaphore des « Lumières » rend si bien compte :
« lumières » de la raison contre les ténèbres de l’ignorance.

Les idées ci-dessus sont tirées du livre de Fernand Égéa et


Dominique Rincé, Textes français et histoire littéraire, XVIe, XVIIe,
XVIIIe siècles, Paris, Fernand Nathan, 1981, (p.232). Pour en savoir
plus, lisez cet ouvrage de référence.

10.5 Le cadre historique

1715 Mort de Louis XIV.


1715-1723 Régence du Duc d’Orléans
1719 Guerre entre la France et l’Espagne
1743 Louis XV prend lui-même la direction des
affaires du royaume.
1744-1748 Guerre coloniale entre la France et l’Angleterre
1748 Paix d’Aix-la-Chapelle. Impopularité
du Roi.

1763 Traité de Paris mettant fin à la guerre coloniale


entre la France et l’Angleterre
1774 Louis XVI monte sur le trône.
1775 Début d’une grave crise agricole
1787 Le Parlement de Paris se révolte contre le
pouvoir royal.
1789 Débuts de la Révolution

Proiectul pentru Învăţământul Rural 121


Repères historiques et culturels du XVIIIe siècle

10.6 Le cadre littéraire

1717-1718 Premier séjour de Voltaire à la Bastille


1721 Montesquieu : Les Lettrres persanes
1725 Marivaux : L’Ile aux esclaves.
1726 Second séjour de Voltaire en prison, et en exil en
Angleterre
1728 Voltaire : La Henriade
1730 Marivaux : Le Jeu de l’Amour et du Hasard.
1731 Abbé Prevost : Manon Lescaut
1731-1741 Marivaux : La Vie de Marianne
1734 Voltaire : Les Lettres philosophiques.
1737 Marivaux : Les Fausses confidences.
1746 Diderot : Pensées philosophiques.
1748 Voltaire : Zadig.
Montesquieu : L’Esprit des lois.
1750 Rousseau : Discours sur les sciences et les arts
1751 Début de la parution de L’Encyclopédie.
1752 Voltaire : Micromégas.
L’Encyclopédie est condamnée à être brûlée.
1753 Malesherbes accorde sa protection à
L’Encyclopédie, qui reparaît.
1754 Diderot :Pensées sur l’interprétation de la nature
1755 Mort de Montesquieu
Rousseau : Discours sur l’origine de l’inégalité.
1756 Voltaire : Essai sur les moeurs.
1759 Voltaire : Candide.
1760 Diderot : La Religieuse.
1761 Rousseau : La Nouvelle Héloïse.
1762 Rousseau : L’Emile et Le Contrat social, qui seront
tous deux condamnés.
Diderot : rédaction du Neveu de Rameau
Mort de Marivaux et de l’abbé Prévost.
Voltaire : Traité sur la tolérance.
1764 Voltaire : Dictionnaire philosophique.
1765 Rousseau rédige les 6 premiers livres des
Confessions.
1769 Rédige les autres 6 livres des Confessions.
Diderot : Le Rêve de L’Alembert.
1773 Voyage de Diderot à la Cour de Russie. A son tour,
il rédige Le Paradoxe
sur le comédien et Jacques le fataliste.
1774 Beaumarchais : Le Barbier de Séville.
1776-1778 Rousseau rédige les Rêveries du promeneur
solitaire Mort de Rousseau et de Voltaire.
1782 Laclos : Les Liaisons dangereuses.
1783 Mort de Diderot
1784 Beaumarchais : Le Mariage de Figaro.

1788 Bernardin de Saint-Pierre : Paul et Virginie.

122 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Repères historiques et culturels du XVIIIe siècle

Les clés du test d’autoévaluation


Réponses et commentaires :

1. Le cafés ont apparu pendant la deuxième moitié du XVIIIe


siècle et l’un des plus connus est le café de la Régence, rendu
célèbre par Diderot. D’autres établissements sont le rendez-vous
des écrivains et des philosophes: ainsi le café Procope - que
fréquentent Fontenelle, Voltaire, Diderot, Marmontel -, le café
Gradot et le café Laurent. Dans ces cafés on échangeait des
idées, on posait des questions à l’ordre du jour, comme le montre
Montesquieu dans ses Lettres persanes.

2. Depuis le début du siècle, la science a une grande


influence sur la littérature. La philosophie positive demande aux
sciences expérimentales des faits contrôlés, leur emprunte
méthodes et raisonnements : à leur exemple, elle renonce à
découvrir le pourquoi des choses et se contente du comment,
tout en poursuivant les secondaires et en rejetant les causes
primaires dans le domaine de l’inconnaissable.
Les sciences de la nature connaissent un vrai épanouissement.
Montesquieu fait des expériences de biologie, Voltaire expose en
vers le système de Newton, Rousseau voit l’éducation au milieu
de la nature (par exemple, son personnage Émile apprend les
points cardinaux en examinant les mousses des arbres dans la
forêt). Par conséquent, il y a au XVIIIe siècle une étroite liaison
entre les sciences et la littérature, tendance qui va s’accentuer à
l’avenir.

3. Les philosophes du XVIIIe siècle refusaient toute autre


autorité que celle de la raison. Ils abandonnent la métaphysique
de Descartes, soumettant à un libre examen la révélation, les
dogmes, et la morale du christianisme, ainsi que les institutions
politiques et sociales. Ils concluent à la religion et à la morale
naturelles, à la tolérance, à l’instauration d’une liberté plus
grande et à l’abolition des privilèges injustifiés.

Références bibliographiques :

LIPATTI, Valentin, Cours de littérature française, XVIIIe siècle (tome


1er), Bucureşti, Ed. Didactică şi Pedagogică, 1967.

EGÉA, F., RINCÉ, D., Textes français et histoire littéraire, XVIe,


XVIIe, XVIIIe siècles, Paris, Fernand Nathan, 1981, pp.233-236.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 123


Marivaux et le Marivaudage

Unité d’apprentissage 11

MARIVAUX ET LE MARIVAUDAGE

Sommaire page
Les objectifs de l’unité d’apprentissage 11 124
11.1 La carrière de Marivaux 125
11.2 Le Jeu de l’Amour et du Hasard 127
11.3 L’originalité de Marivaux ; le « marivaudage » 131
Test d’autoévaluation 132
11.4 Conclusions sur le théâtre de Marivaux 134
Les clés du test d’autoévaluation 135
Références bibliographiques 136

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 11

Quand vous aurez parcouru cette unité d’apprentissage et effectué le test


d’autoévaluation, vous serez capables de :

• comprendre la notion de « marivaudage » ;


• repérer le spécifique des comédies de Marivaux ;
• distinguer les éléments de l’analyse du sentiment amoureux ;
• comparer la langue de Marivaux avec celle des autres auteurs de comédies.

124 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Marivaux et le Marivaudage

11.1 La carrière de Marivaux

Marivaux (1688-
1763)
Pierre Carlet de
Chamberlain de
Marivaux naquit à
Paris. Il étudia le
droit mais fit une
carrière littéraire:
Il fut journaliste: Il
collabora à divers
périodiques
littéraires: Le
Spectateur français,
L'Indigent
Philosophe, Le
Cabinet du
Philosophe, Le
Mercure.
Il fut romancier: La
Vie de Marianne et
le Paysan Parvenu.
On le trouve dans
les salons Figure 11.1
mesdames de
Lambert, de Tencin, Marivaux a fait ses débuts d’auteur dramatique en 1720, aux
du Deffand et Italiens, avec un acte en prose, Arlequin poli par l’Amour, qui
Geoffrin. Grâce à inaugurait déjà la manière nouvelle que ses pièces allaient
ses relations il est consacrer. Sa production dramatique s’étend de 1722 à 1744 : 32
élu à l'Académie
pièces dont deux non jouées, qui se suivent tous les deux ou trois
française.
Il fut auteur
ans. Citons-en, parmi les plus connues : La première Surprise de
dramatique: 27 l’Amour (1722), La Double Inconstance (1723), La Seconde Surprise
comédies en prose de l’Amour (1727), Le Jeu de l’Amour et du Hasard (1730), Les
dont les plus Serments indiscrets (1732), Les Fausses Confidences (1737),
célèbres sont Le Jeu L’épreuve (1740).
de l'Amour et du
Hasard (1730) et En général, Marivaux ( fig. 11.1, portrait de l’écrivain) n’a pas
Les Fausses été un auteur très en faveur auprès du public. Il s’est fait parfois
Confidences (1737) siffler (Le Petit-Maître corrigé, en 1734, au Théâtre-Français) et n’a
connu que rarement un succès franc et durable. Aussi a-t-il quitté la
Comédie en lui préférant le théâtre des Italiens. Il y a trouvé une
interprète idéale, chère à son coeur : l’actrice Giovanna Rosa
Benozzi (dite Silvia), qui a incarné la plupart des jeunes filles de son
théâtre. Un moderne comme Marivaux se plaisait d’ailleurs dans un
théâtre d’avant-garde comme celui des Italiens, dont le jeu naturel, la
pantomime et l’esprit frondeur contrastaient avec le jeu traditionnel,
la morgue et les exigences des comédiens français.
On a souvent essayé de classifier les comédies de Marivaux en
comédies de moeurs, comédies mythologiques, pièces féeriques ou
psychologiques, mais cette classification – croit Valentin Lipatti

Proiectul pentru Învăţământul Rural 125


Marivaux et le Marivaudage

(Cours de litttérature française dix-huitième siècle, tome I, p.208)– a


quelque chose d’arbitraire et d’artificiel. Pourtant, on peut distinguer
chez Marivaux un type de comédie éminemment psychologique qui
donne le spécifique de sa création. D’ailleurs, comme le remarquait
l’un des contemporains du dramaturge, presque toutes les pièces de
Marivaux pourraient s’intituler « surprises de l’amour », car ces
Les nuances du comédies présentent les caprices des sentiments amoureux. Le sujet
sentiment amoureux est toujours pareil : un jeune homme et une jeune femme qui ont
– le theme magistral toutes les raisons de ne pas s’aimer (à cause de leur propre décision
des pièces de
ou bien à cause des préjugés qui les séparent) et qui finissent
Marivaux
toujours par s’aimer malgré eux. L’amour et le désir les surprennent
et détruisent leur décision initiale. Cette évolution de l’amour, timide
au début, devient de plus en plus l’expression de la passion forte et
triomphe finalement. Marivaux s’avère un excellent analyste de ces
nuances très fines, inédites pour les protagonistes même.

Mais si ces nuances de sentiment peuvent se compliquer et se


différencier à l’infini, du point de vue scénique la plupart des données
des sujets de Marivaux se rapprochent jusqu’à se confondre. Ainsi,
nous avons à faire, sous la monotonie apparente, à un univers moral
et sentimental tout en nuances et en vérités profondes.

Le théâtre de Marivaux présente donc une certaine variété, de


la comédie héroïque et romanesque (Le Prince travesti, Le Triomphe
de l’Amour) ou mythologique (Le Triomphe de Plutus) à la comédie
de moeurs (L’Héritier de Village, L’Ecole des Mères, Le Petit-Maître
corrigé, etc.) ; de la comédie à thèse sociale et philosophique (L’Ile
des Esclaves, L’Ile de la Raison, La Colonie) à la comédie
sentimentale et moralisante (La Mère confidente, La Femme fidèle).
Mais l’auteur a une prédilection évidente pour la peinture de la
psychologie amoureuse et excelle dans l’analyse de la conquête des
coeurs par l’amour. Marivaux le disait d’ailleurs lui-même :

J’ai guetté dans le coeur humain toutes les niches différentes où


peut se cacher l’amour lorsqu’il craint de se montrer, et chacune de
mes comédies a pour objet de le faire sortir d’une de ses niches...
Dans mes pièces, c’est tantôt un amour ignoré des deux amants ;
tantôt un amour qu’ils sentent et qu’ils veulent se cacher l’un à
l’autre ; tantôt un amour timide qui n’ose se déclarer ; tantôt enfin un
amour incertain et comme indécis, un amour à demi-né, pour ainsi
dire, dont ils se doutent sans en être bien sûrs et qu’ils épient au
dedans d’eux-mêmes avant de lui laisser prendre l’essor.

Il est facile de comprendre le bien-fondé du reproche fait par


certains critiques à Marivaux qui, selon eux, aurait traité toujours le
même sujet, est bien injuste...

126 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Marivaux et le Marivaudage

11.2 Le Jeu de l’Amour et du Hasard

Le quiproquo Pour illustrer les caractéristiques des comédies de Marivaux


(prendre quelqu’un prenons comme exemple l’une des pièces les plus célèbres, le chef-
pour un autre) est d’oeuvre de Marivaux, Le Jeu de l’Amour et du Hasard (texte en
un procédé banal prose, trois actes, 1730). Dorante et Silvia, qui doivent s’épouser
dans les comédies , prochainement, se sont déguisés chacun, l’un à l’insu de l’autre, en
mais acquiert chez valet et en soubrette. Dorante a pris les vêtements de son valet
Marivaux des Arlequin et se fait appeler Bourguignon. De son côté, Silvia est
valences de grande devenue Lisette, tandis que la soubrette joue le rôle de la jeune fille.
subtilité C’est un double quiproquo qui engendre toutes les péripéties de la
psychologique.
pièce.

Silvia se rend compte que le maître de Bourguignon (c’est-à-dire


le valet Arlequin) est bien grossier par comparaison à celui-ci. En
dépit des préjugés de classe, elle se sent attirée par ce valet
étrange, qui sait parler d’une manière si subtile. A son tour, Dorante-
Bourguignon n’a d’yeux que pour la fausse Lisette. Ils tombent
amoureux l’un de l’autre éperdument et chacun est prêt à se marier
avec un être ayant un statut inférieur : elle croit épouser un valet et
lui, il est sûr de se marier avec une soubrette ! Heureusement, le
quiproquo s’éclaircit et la comédie finit par un double mariage : Silvia
et Dorante, Arlequin et Lisette, dénouement qui produit une grande
satisfaction à M. Orgon, le père de Silvia et qui correspond à la
bonne tradition de Molière.

Ce qui intéresse au premier titre dans cette pièce c’est l’aspect


psychologique. Le quiproquo dépasse le simple déguisement
(procédé banalisé par d’autres écrivains) et Marivaux l’exploite à
merveille, les deux couples (des jeunes maîtres et des domestiques)
vivant une intrigue d’amour identique. Le couple de maîtres utilise un
vocabulaire propre aux gens bien élévés, tandis que l’autre emploie
un langage direct. Si les premiers n’osent pas extérioriser leurs
émotions, les seconds n’hésitent pas à manifester leurs états d’âme
(qui sont les mêmes avec ceux des maîtres). En tout cas, le
travestissement de Silvia et Dorante semble les libérer aussi des
conventions mondaines, en leur offrant l’occasion d’êtres vrais,
naturels dans leur comportement. Ils communiquent plus librement,
ils se permettent d’être familiers, ils croient être entraînés dans un
jeu qu’ils mènent, mais en réalité c’est le hasard qui les conduit.

Par conséquent, le déguisement du jeune couple Dorante–Silvia


permet une meilleure connaissance des deux amoureux qui ont ainsi
la possibilité de parler le langage du désir et de manifester
ouvertement leurs sentiments. Marivaux réalise la perfomance de
déceler justement la naissance de l’amour, alimentée par le désir,
par les pulsions sensuelles. C’est là que réside la finessse du texte
d’un écrivain qui ne cherche pas à décrire le moment culminant de la
passion, la crise, mais, tout au contraire, l’aube du sentiment (de ce
point de vue Marivaux s’oppose nettement à Racine, car si le premier
est maître dans la description de la genèse de l’amour, l’autre excelle

Proiectul pentru Învăţământul Rural 127


Marivaux et le Marivaudage

dans la présentation du déclin de la passion). L’art de Marivaux


réside dans le plaisir de ses personnages de s’étudier, de se scruter,
d’analyser leur coeur, de jouer la passion. Les états d’âme sont
représentés par des répliques pleines d’esprit, l’art du dialogue étant
une preuve du talent de psychologue du dramaturge. Subtilité,
dissimulation, tout est contenu dans les propos des personnages.
L’étude du coeur est le propre de Marivaux et annonce l’introspection
des personnages stendhaliens ou proustiens. Avant Marivaux, c’est
seulement Racine qui s’est admirablement penché vers l’étude du
plus profond de ses héros, de leur vie intérieure très tumultueuse.

L’importance du théâtre de Marivaux se rapporte également aux


idées nouvelles, aux principes de la morale, à la satire sociale, ce qui
fait de ce dramaturge un vrai témoin de son siècle. Par exemple,
dans la pièce Le Jeu de l ‘Amour et du Hasard l’auteur pose, comme
Molière autrefois, le problème du mariage et de la famille. Il traite ce
sujet avec beaucoup de sérieux, et c’est pourquoi Silvia et Dorante
croient à l’unicité de l’événement du mariage dans leur vie. Les deux
héros sont conscients de l’évolution de leur vie en fonction de ce
moment qui peut assurer leur bonheur – si c’est une union d’amour –
ou bien détruire leur avenir, si c’est un mariage d’intérêt. Par
conséquent, les deux partenaires du couple se déguisent, afin de
mieux se connaître. Ils n’osent pas faire le pas décisif sans cette
garantie préalable...

Ainsi le thème de la mésalliance forme-t-il l’essence idéologique


de cette pièce : Dorante et Silvia sont décidés de se mésallier, car la
jeune fille croit épouser un valet, tandis que le jeune homme est sûr
L’amour rend les
gens égaux – idée
que sa bien-aimée est une soubrette. La prémisse de cette comédie
généreuse des est l’idée, propre à la philosophie des lumières, de l’égalité des gens,
Lumières, illustrée y compris devant l’amour. La suggestion de Marivaux mène vers la
par les pieces de conclusion que, dans l’amour, ce qui compte c’est le mérite
Marivaux personnel, en dépit de tous les préjugés sociaux (cette idée
apparaissait aussi chez Molière, pour qui la réhabilitation de
l’institution du mariage représentait une priorité).

Bref, dans les pièces de Marivaux il y a une grande nouveauté :


l’égalité des maîtres et de leurs domestiques. Silvia et Lisette arrivent
à tromper tout le monde par leur déguisement. Les domestiques de
Marivaux sont des personnes intelligentes, débrouillardes,
optimistes, un type nouveau dans la littérature française. Une
réplique d’Arlequin est significative de la pensée de Marivaux : /.../ un
amour de votre façon ne reste pas longtemps au berceau. Ou bien
une autre, du même personnage : De la raison ! hélas ! je l’ai
perdue ; vos beaux yeux sont les filous qui me l’ont volée. (acte II,
scène 3)

D’ailleurs le jeu de l’amour et du hasard représente justement


cette mosaïque d’apparences trompeuses : Dorante désire que Silvia
lui avoue son amour, mais en même temps il redoute cet aveu. A son
tour, Silvia ressent des sentiments contradictoires, et le coeur des
deux personnages est partagé entre le doute et le désir, entre

128 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Marivaux et le Marivaudage

l’incertitude et le besoin de certitude. Un subtil combat intérieur


caractérise la psychologie des héros de Marivaux ( /.../ le fond de
mon coeur me rassure, affirme à un moment donné Silvia).

L’analyse des Dorante offre le type de discours spécifique pour les pièces de
sentiments Marivaux par le doute, l’analyse du coeur :

Il faut que je la croie ! Désepère une passion dangereuse,


sauve-moi des effets que j’en crains ; tu ne me hais, ni ne m’aimes,
ni ne m’aimeras ; accable mon coeur de cette certitude-là. J’agis de
bonne foi, donne-moi du secours contre moi-même ; il m’est
nécessaire ; je te le demande à genoux.

Dorante (déguisé en valet) veut à tout prix se convaincre ainsi


de l’amour de Silvia qui fait, elle aussi, pour se convaincre de sa
propre passion, le jeu d’une pseudo-soubrette. Voilà un dialogue
significatif :

Dorante : Quoi ! Lisette, si je n’étais pas ce que je suis, si j’étais


riche, d’une condition honnête, et que je t’aimasse autant que je
t’aime, ton coeur n’aurait point de répugnance pour moi ?
Silvia : Assurément.
Dorante : Tu ne me haïrais pas ? tu me souffrirais ?
Silvia : Volontiers. Mais lève-toi.

Cependant, l’épreuve de Silvia ne dure pas longtemps, car le


spectateur finirait par souffrir pour elle, et le charme de la comédie
serait perdu. Donc dans la scène suivante le pseudo-Bourguignon lui
avoue son déguisement : C’est moi qui suis Dorante. A son tour, la
jeune fille, enfin rassurée, murmure en aparté : Ah ! je vois clair dans
mon coeur. Elle est vraiment soulagée d’apprendre la vraie identité
de Dorante, mais va-t-elle avouer sa propre identité à Dorante ?

Dans l’acte III, c’est le tour de Dorante de souffrir dans son


amour-propre, car Mario, qui feint toujours de ne voir en lui que
Marivaux s’avère un
fin psychologue du
Bourgouignon et d’être épris de Lisette, provoque sa jalousie et
comportement des l’humilie devant Silvia. Celle-ci avoue à son père et à son frère son
amoureux espoir de voir Dorante lui offrir sa main quoiqu’il la prenne encore
pour une soubrette ! Ce serait un grand triomphe pour elle ! De
l’autre côté, Arlequin et Lisette doivent, eux aussi, avouer leur amour
réciproque. Marivaux réalise une scène vraiment comique, car le
dialogue est savoureux par le naturel des expressions :

Lisette : Venons au fait. M’aimes-tu ?


Arlequin : Pardi ! oui. En changeant de nom, tu n’as pas changé
de visage, et tu sais bien que nous nous sommes promis fidélité en
dépit de toutes les fautes d’orthographe.

Et les deux singent leur manière hautaine de parler : Monsieur,


je suis votre servante. – Et moi votre valet, Madame.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 129


Marivaux et le Marivaudage

Après la scène des valets, il y a de nouveau la scène des


maîtres (acte III, scène 8), mais cette fois Silvia change de ton et
prend sa revanche à la récente humiliation de son amour-propre. Elle
veut aussi triompher dans la tentative de soumettre Dorante à une
ultime épreuve (Il faut que j’arrache ma victoire, et non pas qu’il me
la donne ; je veux un combat entre l’amour et la raison).

Idées à retenir :

Dans sa thèse Marivaux et L’Angleterre (Paris, Librairie C.


Klienksieck, 1970), Lucette Desvignes offre même des
statistiques au sujet du mariage : sur 35 comédies, une seule, le
Chemin de la Fortune, ne contient pas de mariage et n’aborde
pas le sujet. Pour toutes les autres le mariage représente
l’essentiel. Le dénouement heureux est symbolisé dans toute
comédie par la récompense de l’attente amoureuse, par l’union
du couple que les événements ou la volonté des parents ont
quelque temps compromise ou contrariée.

Le mariage dans Marivaux n’est pas plus dénouement commode


et attendu que support d’une étude de caractère. Il est en soi,
dès sa phase préliminaire, source de problème et objet
d’examen. Le dramaturge a installé le mariage au premier plan
de son théâtre, avec une insistance délibérée. La question
« épousera ? », n’épousera pas » s’impose comme essentielle, et
non point accessoire, dès le début de la comédie marivaudienne.
Les cas les plus célèbres et les plus typiques – les Surprises, les
Serments indiscrets, le Jeu, le Legs, l’Epreuve, l’Heureux
Stratagème, les Fausses Confidences – existent strictement en
fonction d’elle : pendant un acte, ou trois actes – une fois même
pendant cinq actes – on attend délicieusement que le oui soit
prononcé ; on sait qu’il va l’être, mais on tremble qu’il ne le soit
pas.

Et cependant, qu’il soit ou non prononcé, ne peut affecter que


notre sentimentalité : du point de vue dramatique peu nous
importe, puisque toute la construction s’analyse comme un
équilibrage entre le pour et le contre, entre le oui et le non, entre
le consentement et le refus, jusqu’à la dernière minute du conflit
où, enfin, on se met d’ accord.(pp. 299-301, passim)

130 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Marivaux et le Marivaudage

11.3 L’originalité de Marivaux ; le « marivaudage »


En ce qui concerne l’obstacle de l’amour, il n’est ni extérieur,
comme chez Molière, ni insurmontable, comme chez Racine. A
cause des préjugés ou d’un quiproquo (comme dans la pièce Le Jeu
de l’Amour et du Hasard) les personnages refusent de reconnaître
leur amour. Ils annoncent par ce trait certains héros de Stendhal (v.
Julien Sorel, Mme de Rênal, Mathilde de la Mole, Fabrice del Dongo,
etc.). Ce sont tous des personnages qui appellent la raison à leur
secours. Par exemple, dans la pièce les Fausses Confidences,
Araminte ne veut pas admettre son amour pour Dorante, entré à son
service comme intendant ; mais le meneur de jeu, le valet Dubois, l’y
contraint par ses aimables ruses en se faisant le complice de
l’amour. Il s’agit bien sûr d’un jeu, un peu artificiel peut-être, mais
plein de subtilité et d’amusement. Après les détours imposés par
l’amour propre, le dénouement heureux, auquel le spectateur s’est
toujours attendu, est un triomphe de l’amour, une fête de la passion
sincère et durable.

Dans une telle comédie, les héros s’amusent sans être ridicules.
“Car le mariage
Le rire est provoqué seulement par les valets. Par conséquent, il ne
dans Marivaux n’est s’agit plus de la comédie des caractères dans la tradition de Molière,
pas plus car les personnages principaux ne sont marqués par aucun vice ; ce
dénouement qui est amusant c’est le combat qui se donne dans leur coeur. C’est
commode et attendu pourquoi de tous les dramaturges français, Marivaux ressemble le
que support d’une moins à Molière, et fait plutôt penser à Racine par la finesse des
étude de caractère. anlyses de l’amour. Tout comme Racine, Marivaux explore
Il est en soi, dès sa parfaitement la profondeur de l’âme féminine, le mystère de la
phase préliminaire, passion, le charme de la tendresse, les subtilités de la logique
source de problème passionnelle, l’impossibilité de s’opposer aux tumultes de la passion
et objet d’examen.”
amoureuse.
(Lucette Desvignes,
Marivaux et
Pourtant, la grande différence entre Racine et Marivaux est que
l’Angleterre)
le dernier s’arrête toujours au point précis où l’amour deviendrait
tragique ; Marivaux reste un spectateur tantôt ironique, tantôt amusé
devant la malice typiquement féminine. Sans avoir la puissance de
Molière ou de Racine, Marivaux reste pourtant unique dans son
genre, car son théâtre possède la formule inimitable de la fantaisie et
de la vérité psychologique. Ses pièces peuvent être considérées des
comédies de salon et même des divertissements, presque des
ballets. En outre, une poésie délicate s’ajoute à ces fêtes galantes de
Marivaux comme des toiles de Watteau.

Le « marivaudage » serait tout d’abord une grande subtilité de


langage, du ton. Les maîtres ont le langage des salons, tandis que
les valets font renaître la préciosité ridicule. Mais le marivaudage
n’était pas entièrement nouveau. Les romans précieux prétendaient
nous conduire dans les sentiers et les niches du coeur. Le théâtre de
Marivaux est l’étude de la défaite de l’amour-propre par l’amour. De
là, dans ce théâtre, la prépondérance des femmes. De là le ton
discret du comique. On sourit plus qu’on n’y rit. De là, enfin, un
certain goût de la fantaisie gracieuse et légère. L’Amour brode
pourrait être le sous-titre des comédies de Marivaux.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 131


Marivaux et le Marivaudage

Test d’autoévaluation

Vous avez parcouru l’unité d’apprentissage 11. Vérifiez si vous


avez retenu certains détails significatifs, en consultant la
rubrique « Les clés du test d’autoévaluation ».

1. De quel quiproquo est-il question dans la pièce Le Jeu de


l’Amour et du Hasard ?

2. Quel est le sujet de la pièce le Jeu de l’Amour et du


Hasard et quelles sont les opinions de Marivaux à cet
égard ?

3. Décrivez la notion de « marivaudage ».

132 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Marivaux et le Marivaudage

Distinguez !

Les citations qui suivent vous aideront à mieux percevoir le


spécifique des personnages de Marivaux par rapport aux
personnages de Molière. Le commentaire critique est tiré de la
vaste étude de Mme Lucette Desvignes (op.cit., pp.300-301).

Chez Molière, les amours à la fois clandestines et innocentes


des jeunes gens ne servent qu’à mettre en lumière les ravages
causés dans les familles par un défaut ou un vice. Risibles et
lamentables, les Harpagon, les Orgon, les Jourdain commencent
à démontrer leur nocivité lorsque les projets qui plaisent à leur
conception du monde lèsent le droit au bonheur de leur
descendance. Par l’intervention de ce thème du mariage qui
permet au danger de se cristalliser au-delà du rire, la raison a du
même coup l’occasion d’être introduite sur la scène. Ses
symboles – Frosine, Mme Jourdain, Dorine – ne peuvent se
manifester comme contre-poids à l’énormité d’une tyrannie
démente que sur le terrain du mariage où ils réussissent à
imposer la décision du bon sens. C’est comme prétexte à
l’illustration psychologique, c’est comme matérialisation d’un
affrontement grave que le mariage est utilisé chez Molière, du
moins dans ses grandes comédies.

Le théâtre de Marivaux se dégage de la tradition qui admet le


mariage comme attribut platement nécessaire. Il confère à cet
attribut un caractère primordial, il accorde à sa nécessité une
valeur d’urgence et lui ôte toute trace de banalité. Le mariage est
furieusement au premier plan de son théâtre. Plutôt que de
considérer le mariage comme le contrat un peu bâclé de la
dernière scène, que l’auteur se doit d’offrir en prime au public
pour assurer la plénitude de son contentement, ne vaut-il pas
mieux le présenter non seulement comme le couronnement d’une
entreprise de longue haleine, mais bien comme le point
d’aboutissement de toute une évolution des individus, comme un
carrefour de volontés et de résignations ? Dès que l’idée de
mariage est dans l’air, la transformation des mentalités
commence. Les pères ou les mères résistent ou
s’enthousiasment, les jeunes s’entêtent, font triompher leur
manière de voir, ou parfois, brutalement, changent d’idée.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 133


Marivaux et le Marivaudage

11.4 Conclusions critiques sur le théâtre de Marivaux

Dans les pièces de Marivaux, la notion de caractère devient


introuvable. Non pas que les personnages y soient dépourvus de
psychologie ou de force comique ; bien au contraire. Mais, chez
l’auteur de La Surprise de l’amour (1722), du Jeu de l’amour et du
hasard (1730), des Fausses Confidences (1740) et d’une trentaine
d’autres comédies, ce n’est pas l’opposition préalable des
personnages qui provoque la dynamique théâtrale, mais une série de
réactions en chaîne, une alchimie qui se produit au sein même du
langage. Chez d’autres écrivains, note à cet égard Frédéric Deloffre
(dans son étude Une préciosité nouvelle, Marivaux et le marivaudage,
Étude de langue et de style, Paris, les Belles Lettres, 1955, in Le
théâtre en France, sous la direction de Jacqueline de Jomaron,
Armand Colin, 1992, p.316), les paroles sont un signe visible de
l’action dramatique ; chez Marivaux, elles sont la matière même. Les
personnages de Marivaux - les maîtres, mais aussi, de façon
atténuée, les valets – ne sont jamais victimes d’un autre sort que celui
d’un langage qui les traverse malgré eux et s’évertue à compromettre,
au moins provisoirement, leurs espoirs de conquête et de bonheur.

La métaphysique du cœur que tous ses contemporains ont cru


Les stratagèmes de trouver chez Marivaux, écrit Bernard Dort (« A la recherche de l’amour
langage sont le trait
et de la vérité. Esquisse d’un système marivaudien », in Théâtre,
spécifique du
théâtre de Marivaux Paris, Points Seuil, 1986, cité dans le volume Le théâtre en France,
sous la direction de Jacqueline de Jomaron, Armand Colin, 1992,
p.316), n’est qu’une physique du langage : la description des
mouvements et des actions réciproques des mots et des sentiments.
Dorante et Silvia du Jeu de l’amour et du hasard sont sur le point de
ruiner leur amour réciproque non point tant à cause du double
stratagème qui s’est renfermé sur eux comme un piège (Dorante
échangeant secrètement son rôle avec Arlequin, son valet ; Silvia
faisant de même avec Lisette, sa servante), mais du fait d’une
résistance de leur propre langage, trop inhibé sans doute, à dire la
vérité de l’amour :

Silvia, à part : S’il part, je ne l’aime plus, je ne l’épouserai


jamais…(Elle le ragarde aller) Il s’arrête pourtant ; il rêve, il regarde si
je tourne la tête : je ne saurais le rappeler, moi… Il serait pourtant
singulier qu’il partît, après tout ce que j’ai fait !… Ah ! voilà qu’il a fini :
il s’en va ; je n’ai pourtant pas tant de pouvoir sur lui que je croyais.
Ne suis-je pas bien avancé ? Quel dénouement !… Dorante reparaît
pourtant ; il me semble qu’il revient ; je me dédis donc ; je l’aime
encore… Feignons de sortir afin qu’il m’arrête : il faut bien que notre
réconciliation lui coûte quelque chose. / Dorante : Restez, je vous
prie ; j’ai encore quelque chose à vous dire./ Silvia: A moi, monsieur ?/
Dorante : J’ai de la peine à partir sans vous avoir convaincue que je
n’ai pas tort de le faire.

Voltaire affecta de tenir Marivaux pour un petit-maître et lui


reprocha de trop détailler les passions, et de manquer quelquefois les
chemins du cœur en prenant des routes un peu détournées. Voltaire

134 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Marivaux et le Marivaudage

pouvait être sensible à un art que la postérité elle-même a mis très


longtemps à découvrir sous le « marivaudage » apparent : un art,
justement, qui relève la multiplicité des détours par lesquels le
langage, à la fois piège et recours, obstacle et planche du salut,
façonne les sentiments, dans une société qui ne fontionne que par lui
et à travers lui.

Dans les pas de la philosophie, le théâtre du XVIIIe siècle professe


que la vie sociale, tout comme la vie familiale et amoureuse, doit se
mettre en accord avec la nature dans sa simplicité originelle. Il met en
scène des actions où les sentiments naturels finissent par triompher
des préjugés et des conventions. Marivaux procède à l’inverse : dans
ses comédies (lesquelles sont toutes des variations sur un thème
unique : la « surprise de l’amour »), il ne cesse de montrer, à travers
les jeux plus ou moins pervers du langage, l’écartèlement des êtres
entre le naturel et la convention.

Les clés du test d’autoévaluation


Réponses et commentaires :

1. Dorante et Silvia, qui doivent bientôt s’épouser , se sont


déguisés chacun, l’un à l’insu de l’autre, en valet et en soubrette.
Dorante a pris les vêtements de son valet Arlequin et se fait
appeler Bourguignon. A son tour, Silvia est devenue Lisette,
tandis que la soubrette joue le rôle de la jeune fille. C’est un
double quiproquo qui engendre toutes les péripéties de la pièce.

2. Le thème de la mésalliance représente l’essence


idéologique de la pièce : Dorante et Silvia sont décidés de se
mésallier, car la jeune fille croit épouser un valet, tandis que le
jeune homme est sûr que sa bien-aimée est une soubrette. La
prémisse de cette comédie est l’idée de l’égalité des gens, y
compris devant l’amour, une idée chère à la philosophie des
lumières. L’analyse de Marivaux mène vers la conclusion que,
dans l’amour, ce qui compte c’est le mérite personnel, malgré
tous les préjugés sociaux.

3. Le « marivaudage » signifie une grande subtilité de


langage, de ton. Les maîtres ont le langage des salons, tandis
que les valets font renaître la préciosité ridicule. Pourtant, le
marivaudage n’était pas entièrement nouveau. Les romans
précieux prétendaient nous décrire le plus profond du coeur. Le
théâtre de Marivaux excelle dans l’étude de la défaite de
l’amour-propre par l’amour. Cela explique la prépondérance des
femmes, le ton discret du comique, un certain goût de la
fantaisie gracieuse et légère. On sourit plus qu’on n’y rit.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 135


Marivaux et le Marivaudage

Références bibliographiques :

LAGARDE & MICHARD, XVIIIe siècle, Paris, Bordas, 1970, pp.


44-59.

LIPATTI, Valentin, Cours de littérature française(XVIIIe siècle),


Bucureşti, Editura Didactică şi Pedagogică, vol.I, 1967.

DESVIGNES, Lucette, Marivaux et l’Angleterre, (Essai sur une


création dramatique originale), Paris, Librairie C. Klienksieck,
1970.

Le théâtre en France, sous la direction de Jacqueline de


Jomaron, Paris, Armand Colin, 1992.

136 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Beaumarchais et la comédie des moeurs

Unité d’apprentissage 12

BEAUMARCHAIS ET LA COMÉDIE DES MOEURS

Sommaire page
Les objectifs de l’unité d’apprentissage 12 137
12.1 Beaumarchais, le grand écrivain du classicisme finissant; sa vie et sa 138
personnalité
12.2 Beaumarchais, auteur de comédies 139
12.3 Les traits caractéristiques du théâtre de Beaumarchais, son originalité 141
Test d’autoévaluation 142
12.4 L’importance de Beaumarchais dans le renouveau de la comédie 143
Les clés du test d’autoévaluation 145
Test de contrôle 12 146
Références bibliographiques 146

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 12

Quand vous aurez parcouru cette unité d’apprentissage et effectué le test


d’autoévaluation, vous serez capables de :

• repérer la place de Beaumarchais dans le théâtre français du XVIIIe siècle;


• analyser le spécifique des pièces de Beaumarchais;
• interpréter les éléments de succès pour ses chefs-d’oeuvre;
• faire des commentaires sur la satire sociale et politique et sur le style.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 137


Beaumarchais et la comédie des moeurs

12.1 Beaumarchais, le grand écrivain du classicisme finissant; sa


vie et sa personnalité

Parisien, fils d’horloger et horloger lui-même, Beaumarchais


(1732-1799) était un homme sans scrupules, un tripoteur d’affaires,
qui essaya de tous les métiers et dont la vie est amusante comme un
roman. (La figure 12. 1 vous présente son portrait). Il lui fallait

Figure 12.1

l’activité et le tapage; et quoique dans le fond il n’eût pas un mauvais


coeur, il fut perpétuellement mêlé à des intrigues louches, dont,
malgré son esprit, il ne se tirait pas à son honneur. Il avait essayé,
dans un procès, de corrompre le conseiller rapporteur, et il y avait
joint un cadeau pour sa femme. Il perdit son procès, réclama de
l’argent, fut traduit en justice pour corruption et dégradé de ses droits
civils. Il se vengea en lançant quatre Mémoires étourdissants de
verve et d’ironie (1773-1774). Du coup, il conquit l’opinion publique,
qui pouvait bien mépriser l’homme, mais qui admirait le
pamphlétaire. Il y avait dans ces Mémoires de très jolies scènes de
comédie, par exemple la prière à l’Etre des êtres. Il supposait que, la
Providence l’ayant averti un jour qu’elle lui enverrait des épreuves, il
la suppliait de lui envoyer précisément ces adversaires maladroits
qu’il eut contre lui dans son procès et dont il traçait la caricature:

Etre des êtres, je te dois tout, le bonheur d’exister, de penser et


de sentir; je crois que tu nous as donné les biens et les maux en
mesure égale; je crois que ta justice a tout sagement compensé pour
nous et que la variété des peines et des plaisirs, des craintes et des
espérances, est le vent frais qui met le navire en branle et le fait
avancer gaiement dans sa route…

138 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Beaumarchais et la comédie des moeurs

Si, pour les suites de mon procès, je dois être dénoncé au


parlement comme ayant voulu corrompre un juge incorruptible et
calomnier un homme incalomniable, suprême Providence, ton
serviteur est prosterné devant toi; je me soumets. Fais que mon
dénonciateur soit un homme de peu de cervelle, qu’il soit faux et
faussaire…
S’il se donne un complice, que ce soit une femme de peu de
sens; si elle est interrogée, qu’elle se coupe, avoue, nie ce qu’elle
avoue, y revienne encore…(Exorde du quatrième Mémoire)

12.2 Beaumarchais, auteur de comédies

Beaumarchais a écrit plusieurs comédies; les deux plus


célèbres sont le Barbier de Séville (1775) et surtout le Mariage de
Figaro, qui fut joué en 1784 après trois ans de résistance de la part
du roi, et dont la représentation fut un triomphe: c’est une comédie
extrêmement originale où se mêlent tous les tons. D’abord,
Beaumarchais retrouve la comédie d’intrigue, et l’on peut même dire
qu’il crée le vaudeville par la multiplicité des incidents et des
quiproquos, reconnaissances, rendez-vous, travestissements,
cachettes, personnages pris les uns pour les autres, escalades de
fenêtres, etc. De plus, c’est une comédie gaie: les personnages sont
merveilleux d’entrain, ils courent au plaisir chacun suivant son goût.
Figaro mène la ronde; la rieuse Suzanne s’amuse de tout et de rien,
elle chante, elle raille, elle se moque de Chérubin, le petit page, qui
ne veut pas chanter sa romance devant la comtesse:

Suzanne.
Entrez, monsieur l’officier, on est visible.

Chérubin, à la comtesse.
Ah! Que ce nom m’afflige, madame! Il m’apprend qu’il faut quitter des
lieux …, une marraine si…bonne.

Suzanne.
Et si belle!

Chérubin.
Ah! Oui!

Suzanne, le contrefaisant.
Ah!oui. Le bon jeune homme! Avec ses longues paupières
hypocrites. Allons, bel oiseau bleu, chantez la romance à madame…

Chérubin.
Oh! Madame, je suis si tremblant…

Suzanne.
Et gnian, gnian, gnian, gnian, gnian, gnian,gnian; dès que madame
le veut, modeste auteur.
(Le Mariage de Figaro, II, IV)

Proiectul pentru Învăţământul Rural 139


Beaumarchais et la comédie des moeurs

Mais la grande affaire de toute cette société, c’est l’amour.


Suzanne aime son Figaro, la comtesse se prend à rêver en
regardant Chérubin, et le petit page, encore timide et tremblant,
chante avec sentiment sa romance d’amour:

Là, près d’une fontaine


(Que mon coeur, que mon coeur a de peine!)
Songeant à ma marraine,
Sentais mes pleurs couler,

Sentais mes pleurs couler,


Prêt à me désoler.
Je gravais sur un frêne
(Que mon coeur, que mon coeur a de peine!)
Sa lettre sans la mienne;
Le roi vint à passer.
(Ibid., II, IV)

La pièce traduit donc d’abord la gaieté, le sensualisme bien


connu du XVIIIe siècle finissant. Elle en traduit aussi les aspirations
“La Folle journée” – philosophiques. Cette “Folle journée” est une satire sociale et
manifeste social et politique. Beaumarchais attaque les institutions de l’ancien régime, la
politique dans le noblesse dépravée (le comte Almaviva), la justice inintelligente (le
théâtre du XVIIIe
juge Brid’oison). Nous rappelons la scène si connue où Marceline
siècle
plaide contre Figaro (III, XV). Mais c’est surtout par la bouche de
Figaro, ce valet actif et insolent, que l’auteur a exprimé ses haines et
fait avec une ironie cinglante le procès de son temps:

Monsieur le comte, parce que vous êtes un grand seigneur,


vous vous croyez un grand génie! Noblesse, fortune, un rang, des
places: tout cela rend si fier! Qu’avez-vous fait pour tant de biens?
Vous vous êtes donné la peine de naître… Que je voudrais bien tenir
un de ces puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu’ils
ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil! Je lui
dirais … que les sottises imprimées n’ont d’importance qu’aux lieux
où l’on en gêne le cours; que sans la liberté de blâmer il n’est point
d’éloge flatteur; et qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les
petits écrits. (Ibid., V, III)

La pièce est écrite dans un style vivant, alerte et condensé, un


vrai style de théâtre où domine l’effervescence des mots. Ecoutez
encore ces réflexions de Figaro:

On pense à moi pour une place, mais par malheur j’y étais
propre: il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l’obtint… Faisant
tous les métiers pour vivre, maître ici, valet là, selon qu’il plaît à la
fortune, ambitieux par vanité, laborieux par nécessité, mais
paresseux avec délices, orateur selon le danger, poète par
délassement, musicien par occasion, amoureux par folles bouffées;
j’ai tout vu, tout fait, tout usé. (Ibid., V, III)

140 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Beaumarchais et la comédie des moeurs

Le dramaturge incarne dans le personnage de Figaro sa propre


personnalité. Spirituel et hardi, sachant se tirer des plus grandes
difficultés avec son esprit inventif, son intelligence et son audace,
Figaro arrange tout de façon à ce que le dénouement des plus
difficiles affaires soit à son avantage.

12.3 Les traits caractéristiques du théâtre de Beaumarchais; son


originalité

Beaumarchais a écrit aussi des drames, qui sont d’une valeur


inférieure. Mais ces deux chefs-d’oeuvre sont des comédies très
conformes à la tradition classique. Pas de mélange des genres; ce
sont des comédies allègres ou même bouffonnes. Les caratères eux-
mêmes et bien des détails d’intrigue sont traditionnels. Le sujet de
Barbier de Séville, le vieux tuteur dupé par la jeune ingénue, c’est le
sujet de l’École des femmes de Molière et de quelques autres
comédies; le caractère de Figaro rappelle bien souvent celui des
valets de Molière ou surtout des valets de Marivaux, artisans
d’intrigue, joyeux drilles, déjà convaincus qu’il n’y a entre leur esprit
et la sottise de leurs maîtres que le hasard d’une naissance.

Beaumarchais a été un partisan des situations dramatiques,


essayant de mettre en évidence le personnage par ces situations qui
Le Mariage de l’obligent à une réaction, un geste, une action. C’est pourquoi on
Figaro a une péfère les situations violentes et pathétiques, qui renforcent les
„structure affolée” suggestions émotionnelles du texte. En outre, par le langage
dépouillé d’ornements, par le dialogue naturel, concentré
Beaumarchais s’approche du drame moderne. (cf. Justin Ceuca,
Evoluţia formelor dramatice, Dacia Cluj-Napoca, 2002, p.197).

Toutefois, Beaumarchais a l’incomparable mérite d’avoir fait de


tous ces emprunts quelque chose de vivant. Il a mis dans ses deux
comédies ce qui est l’une des qualités essentielles d’une pièce de
théâtre: la verve et le mouvement. Il les a mis d’ailleurs parce qu’ils
étaient en lui. Il n’a vécu que pour compliquer les intrigues quand
elles étaient simples, les inventer quand elles n’existaient pas; et
dans l’insuccès ou le triomphe, il a porté comme Figaro la même
allègre insouciance et la même fièvre joyeuse. Il a ressuscité la
comédie d’intrigue, parce qu’il avait le génie de l’intrigue. La comédie
du XVIIIe siècle était devenue une comédie tout abstraite, où l’on
analysait les ombres de caractères parmi les ombres d’événements,
affirme Daniel Mornet, dans son Précis de littérature française (Paris,
Larousse, 1925, p.156), en concluant: Beaumarchais a retrouvé
l’événement comique, fait de surprise et de mouvement.

Il y a mis d’ailleurs des caractères comiques qui sont, sinon


des études profondes, du moins des silhouettes justes et vivantes:
Le courage est la l’astuce naïve et la candeur savante de la Rosine du Barbier, la
qualité maîtresse de mélancolie inquiète et troublée de la comtesse du Mariage et la
Beaumarchais bonne humeur de Suzanne, la jeunesse fiévreuse de Chérubin. Enfin
le pittoresque de l’action et celui des caractères se traduisent dans le

Proiectul pentru Învăţământul Rural 141


Beaumarchais et la comédie des moeurs

style le plus étincelant. En effet, il n’y a pas, au XVIIIe siècle,


d’écrivain plus audacieux que Beaumarchais. Dans ses Mémoires
contre Goëzman, notamment, tous les mots sont bons pour lui; le
style des comédies, plus discret, a le même pétillement sonore, la
même vivacité, la même diversité.

A travers son personnage Figaro, Beaumarchais a critiqué


sévèrement les abus sociaux, mais il en a largement profité sur le
plan personnel. Lorsque la Révolution a tiré des revendications de
Figaro quelques conclusions légitimes mais brutales, il a été
épouvanté et désespéré. Figaro, comme presque tous les
philosophes du XVIIIe siècle, ne veut pas qu’on boulverse; il veut
seulement qu’on corrige. Et les réformes qu’il demande sont, au
fond, des réformes bourgeoises: moins de privilèges pour les nobles;
de la tolérance; de la liberté pour les gens de lettres; une place
assurée au mérite personnel. Il n’y a là rien de plus qu’une
monarchie qui ferait de quelques Beaumarchais à peu près les
égaux des Almavivas.

Pourtant, la satire sociale du Mariage de Figaro a eu une


influence profonde. Elle a été autorisée, publique, acclamée; elle a
fait la joie du parterre et des loges même où les nobles
l’applaudissaient. Les spectateurs appréciaient la composition
dramatique impeccable, l’articulation ingénieuse de l’intrigue, la
véridicité des caractères, la beauté du dialogue. Ennemi des dogmes
de l’esthétique classique et des normes en général, Beaumarchais a
donc plaidé pour un théâtre simple et naturel, inspiré de la réalité
quotidienne de la vie bourgeoise, présentant des sujets nouveaux
qui intéressaient désormais un public large, au-delà de l’aristocratie
de la Cour.

Test d’autoévaluation

Vous avez parcouru une unité d’apprentissage sur le


théâtre de Beaumarchais. Vérifiez si vous avez retenu certains
détails significatifs, en consultant la rubrique « Les clés du test
d’autoévaluation ».

1. Quelles sont les caractéristiques des comédies de


Beaumarchais ?

142 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Beaumarchais et la comédie des moeurs

2. Quel est le message transmis par l’auteur à travers son


personnage Figaro ?

3. Quels sont les éléments de succès des pièces de


Beaumarchais saisis par le public ?

12.4 L’importance de Beaumarchais dans le renouveau de la comédie

Me livrant à mon gai caractère, j’ai tenté, dans le Barbier de


Beaumarchais,
même s’il a un talent Séville, de ramener au théâtre l’ancienne et franche gaieté, en alliant
inférieur a celui de avec le ton léger de notre plaisanterie actuelle. En effet, c’est le
Molière, est vu grand mérite de Beaumarchais d’avoir restauré le franc comique à
comme son meilleur peu près inexistent au Théâtre-Français, en lui ajoutant l’esprit si
continuateur. apprécié au XVIIIe siècle. (fig. 12.2 - la villa Beaumarchais) Certes,
Beaumarchais n’a pas le génie de Molière (les moyens propres au
théâtre sont trop visiblement utilisés, y compris des mots de l’auteur),
mais ses contemporains avaient déjà remarqué avec admiration: le
fils de Molière est trouvé!

Proiectul pentru Învăţământul Rural 143


Beaumarchais et la comédie des moeurs

Figure 12.2

Ce qui déclenche le rire, c’est tout d’abord l’intrigue, très simple


en ensemble, mais compliquée dans les détails, pleine de surprises
fournies pas les situations inattendues (comme il se passe par
exemple dans le Mariage de Figaro). Le spectateur est séduit par
les jeux de scène et curieux de connaître le dénouement. Même si
Beaumarchais s’inspire des pièces de théâtre de ses prédécesseurs
(le Barbier de Séville a un sujet pareil à l’Ecole des Femmes de
Molière), il réussit à être original, en offrant au public des pages
mémorables, comme c’est la fameuse folle journée du Mariage de
Figaro. Le succès du Mariage… a été d’ailleurs également un succès
de scanadale, car le dramaturge y faisait la satire sociale de son
époque, tandis que dans l’autre chef-d’oeuvre il plaisantaient au sujet
des médecins, des gens de lettres et des juges.

Parfois la satire de Beaumarchais se dirigeait vers les


institutions (la justice, par exemple) ou bien vers les moeurs
politiques (telles que la faveur, l’intrigue, l’arbitraire). D’ailleurs, le
dramaturge ne cesse de faire allusion à son propre cas. Le
personnage qui lui ressemble le plus c’est sans doute Figaro qui
devient un véritable type, il s’agit de l’homme rendu pire par sa
réputation issue des calomnies répandues contre lui. C’est le type de
l’homme éclairé, courageux, préparant par ses idées philosophiques
la révolution de 1789, annoncée par cette période de fermentation
sociale et politique. Bref, le Figaro de Beaumarchais incarne le
caractère français rebelle, protestataire, rouspéteur.

144 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Beaumarchais et la comédie des moeurs

Les clés du test d’autoévaluation


Réponses et commentaires:

1. Beaumarchais a préféré les situations dramatiques,


essayant de mettre en évidence le personnage par ces situations
qui l’obligent à une réaction, un geste, une action. D’où les
situations violentes et pathétiques, qui accentuent les
suggestions émotionnelles du texte. Par le langage simple, par le
dialogue naturel, Beaumarchais s’approche du drame moderne.
Il a mis dans ses deux comédies de la verve et du mouvement. Il
a toujours su compliquer les intrigues quand elles étaient
simples, les inventer quand elles n’existaient pas: à vrai dire,
Beaumarchais a ressuscité la comédie d’intrigue.

2. Par son personnage Figaro, Beaumarchais a critiqué


sévèrement les abus sociaux, voulant ainsi que l’on corrige les
défauts des contemporains. Figaro, comme presque tous les
philosophes du XVIIIe siècle, veut des réformes bourgeoises:
moins de privilèges pour les nobles; de la tolérance; de la liberté
pour les gens de lettres; une place assurée au mérite personnel.

La satire sociale du Mariage de Figaro a eu une influence


profonde sur le public. Elle a été autorisée, acclamée; elle a fait
la joie du parterre et des loges même où les nobles
l’applaudissaient. Les spectateurs appréciaient la composition
dramatique impeccable, l’articulation ingénieuse de l’intrigue, la
véridicité des caractères, la beauté du dialogue.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 145


Beaumarchais et la comédie des moeurs

Test de contrôle 12

Ce test est administré à l’issue de l’unité d’apprentissage 12.


Pour réaliser ce test, il vous est conseillé de relire l’unité et de
faire des annotations. Ne manquez pas de transmettre ce test
à votre tuteur. A cet effet, il convient de marquer votre nom,
votre prénom et votre adresse personnelle sur la première
page de votre copie. N’oubliez pas de mentionner aussi le
numéro du test. Vous êtes supposés le recevoir, après
correction, avec les commentaires de votre tuteur.

Bon travail !

1. Montrez quelles sont les différences et les ressemblances


entre le théâtre de Molière et celui de Beaumarchais.
(3 points; 4 phrases)

2. Présentez brièvement votre personnage préféré des


comédies de Beaumarchais, tout en justifiant votre choix.
(4 points; 5-6 phrases)

3. Choisissez une scène qui soit significative pour le style du


dramaturge et commentez-là de ce point de vue.
(3 points; 4 phrases)

Références bibliographiques:

BEAUMARCHAIS, La Folle Journée ou Le Mariage de Figaro, Paris,


Gallimard, folio théâtre, 1996

CEUCA, Justin, Evoluţia formelor dramatice, Dacia Cluj-Napoca,


2002, pp.197-200.

146 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Étude littéraire: Le Mariage de Figaro

Unité d’apprentissage 13

ÉTUDE LITTÉRAIRE: LE MARIAGE DE FIGARO

Sommaire page
Les objectifs de l’unité d’apprentissage 13 147
13.1 Genèse et fortune du texte; l’originalité du personnage 148
13.2 La Folle journée, une comédie en cinq actes 149
13.3 L’analyse du monologue de Figaro 152
Test d’autoévaluation 153
13.4 Les idées politiques et sociales du Mariage de Figaro 154
13.5 Conclusions 155
Les clés du test d’autoévaluation 157
Test de contrôle 13 157
Références bibliographiques 158

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 13

Cette unité d’apprentissage est supposée vous offrir une lecture intégrale d’un
chef-d’œvre de Beaumarchais. Quand vous aurez parcouru cette unité
d’apprentissage et effectué le test d’autoévaluation, vous serez capables de :

• repérer la genèse du texte;


• mettre en valeur l’originalité du personnage, en faisant des comparaisons
avec d’autres personnages des comédies étudiés;
• faire des comparaisons avec d’autres personnages de comédie.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 147


Étude littéraire: Le Mariage de Figaro

13.1 Genèse et fortune du texte; l’originalité du personnage


Le Mariage de Figaro est considérée aujourd’hui la comédie
exemplaire pour le XVIIIe siècle.

Figure 13.1

La pièce sous-intitulée La Folle journée (dont vous trouvez la


couverture dans la figure 13.1) a été lue devant le roi Louis XVI en
1782, après une première censure; le roi en est choqué au point de
faire l’affirmation suivante: Il faudrait détruire la Bastille pour que la
Les étapes de la
réception critique
représentation de cette pièce ne fût pas une inconséquence
de la pièce Le dangereuse. Beaumarchais fait les modifications exigées, situe
Mariage de Figaro l’action en Espagne, et demande un deuxième censeur; en même
temps, il fait la lecture de son texte dans les salons où il obtient
l’admiration de tout le monde. La censure refuse pourtant la pièce et
quelques aristocrates frondeurs la font préparer en secret par la
Comédie Française. Jusqu’à la représentation sur la scène de sa
pièce, l’auteur subit même l’emprisonnement, mais Le Mariage de
Figaro bat tous les records du siècle: 73 représentations d’affilée
entre avril 1784 et février 1785. L’intérêt pour cette pièce se
maintient même à présent et le personnage de Figaro incarne à
jamais la figure du révolutionnaire.

Figaro apparaît dans trois textes de Beaumarchais: deux


comédies, Le Barbier de Séville (1775) et Le Mariage de Figaro
(1784) et le drame La Mère coupable (1792). On a cru beaucoup de
temps que le nom du personnage est inspiré de l’origine de l’auteur –
“fils de Caron” – (nous vous rappelons à cette occasion que le vrai
nom de l’écrivain était Pierre Augustin Caron, Beaumarchais étant un
titre de noblesse fourni par un domaine hérité de sa femme). L’étude
des manuscrits ne soutient pas cette explication, ce qui n’empêche
que Figaro représente la quintessence de l’esprit français, le nom du

148 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Étude littéraire: Le Mariage de Figaro

personnage devenant substantif commun et symbolisant le barbier


éternel du monde.

Figaro est le successeur des nombreux valets de comédie de


l’époque, des êtres habiles qui se mettent au service de leurs
maîtres. Mais, à la différence de ses prédécesseurs, Figaro se
distingue par le fait que, dès sa première apparition, il a une histoire,
une vie antérieure. Beaucoup de commentateurs de l’oeuvre de
Beaumarchais ont déchiffré une identité entre l’auteur et son
personnage: tous les deux ont des biographies passionnantes, des
existences frénétiques et tumultueuses, avec des sauts et des
chutes spectaculeux. D’ailleurs, Figaro reste le meilleur porte-parole
de Beaumarchais:

Ardent au plaisir, ayant tous les goûts pour jouir, faisant tous les
métiers pour vivre /…/, ambitieux par vanité, laborieux par nécessité;
mais paresseux … avec délices! Orateur selon le danger; poète par
délassement; musicien par occasion; amoureux par folles bouffées,
jai tout vu, tout fait, tout usé. (Le Mariage de Figaro, V, 3)

En effet, dans la trilogie évoquée, il y a trois Figaro, assez


Figaro, le valet différents. Dans le Barbier… c’est le valet typique de la comédie,
typique de la plein d’esprit, qui se moque des sots, ridiculisant sans cesse la
comédie,
bêtise; dans le Mariage…, il y a l’ingénieux habile, moins gai, qui
symbolisant le héros
sympathique et lutte pour son propre bonheur et se révolte contre le sort, étant à la
intelligent fois jeune et vieux – jeune comme un fiancé un peu tardif, mais
toujours étincelant d’esprit, et vieux parce qu’à la fin de la pièce il est
triste en méditant au destin; dernièrement, dans la Mère coupable,
Figaro est sensible et moralisateur. Bref, le personnage de
Beaumarchais est complexe par sa destinée, par ses ressources
intérieures et par sa philosophie. En fin de compte, Figaro a un
caractère symbolique, surtout dans les deux comédies: il est devenu
un personnage mythique, le prototype de l’homme simple, gai,
sympathique, défavorisé par le sort, qui triomphe par son
intelligence.

Dans la série maître et valet on pourrait rapprocher Figaro des


autres grandes figures comiques de serviteur de comédie: Plaute,
Asinaria et Aulularia (voir La Marmite avec L’Avare de Molière),
ensuite d’autres pièces de Molière - Tartuffe, Dom Juan, Les
Fourberies de Scapin, Le Malade imaginaire; Marivaux - La Surprise
de l’Amour, L’Ile des Esclaves, Le Jeu de l’amour et du hasard;
Diderot - Jacques le Fataliste et son maître.

13.2 La Folle journée, une comédie en cinq actes

Dans le Mariage de Figaro, qui est plutôt une comédie d’intrigue


qu’une comédie de caractère, on rencontre de nouveau Figaro du
Barbier de Séville à la veille de son mariage avec Suzanne, la
camériste de Rosine, la comtesse d’Almaviva. Celle-ci est de plus en
plus négligée par le comte, un vrai coureur de jupons, infidèle à sa
femme, faisant la cour à Suzanne, ce qui retarde son mariage avec

Proiectul pentru Învăţământul Rural 149


Étude littéraire: Le Mariage de Figaro

Figaro. Au début de l’acte II, pendant sa conversation avec Suzanne,


la Comtesse apprend l’infidélité de son époux, mais elle est
également troublée sachant que le page Chérubin l’aime. Malgré sa
négligence dans son amour dû à sa femme, le Comte est
extrêmement jaloux, parce qu’il est orgueilleux et il reproche à sa
femme d’aimer le page Chérubin qu’il chasse de la maison. Mais
Chérubin n’est pas parti: Figaro a imaginé de lui faire revêtir des
vêtements de Suzanne pour le substituer à celle-ci au rendez-vous
du Comte! Suzanne et la Comtesse commencent à travestir le page
qui chante à sa belle marraine une romance sentimentale. Mais on
frappe à la porte: c’est le Comte qui arrive, soupçonneux, alerté par
un billet anonyme lui annonçant qu’il trouvera un homme chez la
Comtesse: c’est une imprudence de Figaro qui a voulu éveiller la
jalousie d’Almaviva pour qu’il s’occupe un peu moins de Suzanne.
Chérubin s’est enfermé dans un cabinet, mais il fait du bruit et le
Comte l’entend. Pendant un instant les spectateurs tremblent pour la
Comtesse: la comédie pourrait tourner au drame. Heureusement, le
Comte cherche un outil pour enfoncer la porte du cabinet: pendant
qu’il sort avec la Comtesse, Suzanne se substitue à Chérubin qui
saute par la fenêtre. Mais la Comtesse, qui essaie vainement de
calmer la fureur de son mari, lui avoue que Chérubin est dans son
cabinet, et elle lui offre même la clé. Le Comte ouvre et a la surprise
d’y trouver Suzanne! Il ne sait que penser: sa femme a-t-elle
vraiment voulu, par un faux aveu, le punir de sa jalousie? Mais elle
paraît plus stupéfaite que lui.

Excepté cette difficulté, il y a encore un obstacle qui s’y oppose:


c’est Marceline, qui prétend à Figaro de l’épouser et de lui rendre la
Lecture somme d’argent qu’elle lui avait prêtée. On assiste même au procès
supplémentaire: la intenté par Marceline à Figaro, procès d’un comique irrésistible,
scène du procès de parce que Figaro a un talent exceptionnel d’embrouiller les choses,
la pièce médiévale ce qui embarrasse le juge et l’avocat, surpris par son intelligence et
La Farce de maître
sa ruse (le nom du juge bégayant, Don Guzman Brid’Oison, est une
Pathelin
allusion transparente au conseiller Goezman, qui avait provoqué à
Beaumarchais des problèmes avec la justice). Quant à Bartholo, qui
joue l’avocat de mauvaise foi, il veut se venger de Figaro à qui il
garde la rancune depuis le Barbier de Séville. Dans la convention
signée par lui avec Marceline, Figaro avait mis entre les deux
conditions (la remise de l’argent et le mariage) la conjonction ou qui
sépare les deux phrases par virgule. Cette virgule indique
précisément qu’il faut respecter seulement une des deux conditions.

Figaro sait soutenir ses affirmations par des exemples qui


donnent à réfléchir, puisqu’ils sont une attaque directe aux moeurs
de la société: Acte III, scène XV, la phrase est dans le sens de celle-
ci: ou la maladie vous tuera, ou ce sera le médecin: ou bien le
médecin; c’est incontestable. Un autre exemple: ou vous n’écrirez
rien qui plaise, ou les sots vous dénigreront; ou bien les sots, le sens
est clair: car, audit cas, sots ou méchants sont le substantif qui
gouverne. Ainsi, je la paierai dans ce château, virgule, ou je
l’épouserai.

150 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Étude littéraire: Le Mariage de Figaro

Le comte qui assiste au procès donne la sentence définitive:


que Figaro paye la somme à la demanderesse ou bien l’épouse le
jour même. Figaro trouve le moyen de se tirer de cette difficulté. Il fait
voir son origine noble, en faisant dévoiler son bras où il y avait un
hiéroglyphe. Marceline reconnaît en Figaro son propre fils (elle avait
pris pour de l’amour sa tendresse maternelle inconsciente);
Bartholo, qui est le père, doit épouser Marceline. Il ne reste qu’un
seul obstacle au mariage de Figaro: la dot que le comte doit payer.
Suzanne trouve le moyen de découvrir l’infidélité du comte envers sa
femme, en recourant à un travesti. La comtesse travestie en
Suzanne donne un rendez-vous au comte sous les marronniers dans
l’obscurité, le jour même de son mariage. Dans une atmosphère de
mystère et de conspiration, Figaro conçoit un plan pour se venger du
Comte et de Suzanne, car il ignore le petit complot de Suzanne et de
la Comtesse, tandis que le Comte, stupéfait, découvre sa femme et il
ne peut plus se défendre.

C’est dans le dernier acte que nous pouvons lire le fameux


monologue de Figaro (auquel nous allons consacrer un commentaire
spécial): le spectateur voit un Figaro inédit, car il est vêtu d’un grand
manteau, coiffé d’un large chapeau rabattu, le joyeux barbier
semblant un vrai conspirateur. En effet, il se croit trahi par Suzanne
et, parce qu’il l’aime sincèrement, il est boulversé par cette
perspective. Pourtant, Figaro dit, sans gaspiller les paroles et les
exclamations, quel est son désarroi.

La comédie est une satire de la politique en général. Dans l’acte


III (scène V), Figaro essaie de la définir dans la réplique qu’il donne
au comte:

Satire politique , Mais feindre d’ignorer ce qu’on sait, de savoir tout ce qu’on
visible surtout dans ignore, d’entendre ce qu’on ne comprend pas, de ne point ouïr ce
le final de la pièce qu’on entend; surtout de pouvoir au-delà de ses forces; avoir souvent
pour grand secret de cacher qu’il n’y en a point; s’enfermer pour
tailler des plumes et paraître profond quand on n’est, comme on dit,
que vide et creux; jouer bien ou mal un personnage, répandre des
espions et pensionner des traîtres, amollir des cachets, intercepter
des lettres, et tâcher d’ennoblir la pauvreté des moyens par
l’importance des objets: voilà toute la politique, ou je meure!

Le Comte

Au tribunal le magistrat s’oublie, et ne voit plus que


l’ordonnance.

Figaro

Indulgente aux grands, dure aux petits…

Proiectul pentru Învăţământul Rural 151


Étude littéraire: Le Mariage de Figaro

13.3 L’analyse du monologue de Figaro

Lorsqu’il a composé ce monologue (acte III, scène 3),


Beaumarché lui-même croyait qu’il avait exagéré quant aux
dimensions du texte. Pourtant, le monologue passe la rampe, mais il
divise les critiques: les uns le trouvent insupportable, les autres y
voient la pièce de résistance de la pièce.

Pour le lecteur ou le spectateur d’aujourd’hui ce monologue est


une preuve de courage et d’originalité du discours. Dans la réplique
donnée par Figaro au Comte il y a un vrai plaidoyer pour l’idée de
mérite personnel, en dépit de toute origine sociale:

Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier!


Qu’avez-vous fait pour tant de biens? Vous vous êtes donné la peine
de naître et rien de plus: du reste, homme assez ordinaire! tandis
que moi, morbleu, perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer
plus de science et de calculs pour subsister seulement qu’on n’en a
mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes; et vous voulez
jouter!…
Le discours de
Figaro s’avère un Vous pouvez facilement remarquer la construction antinomique
vrai réquisitoire (tandis que moi ) qui renforce l’idée de lutte pour celui qui veut
contre la société de démontrer son mérite personnel, malgré l’origine modeste. Il y a
son temps même, au-delà du reproche, une ironie visible dans les mots de
Figaro: Vous vous étes donné la peine de naître et rien de plus /…/.
Il y a également beaucoup d’amertume dans ce discours du
personnage, qui semble faire le bilan de sa vie, tirer des conclusions.
Vous allez remarquer les interrogations rhétoriques, les signes
d’exclamations, suggérant la déception, voire le découragement:

Est-il rien de plus bizarre que ma destinée! Fils de je ne sais pas


qui, volé par des bandits, élevé dans leurs moeurs, je m’en dégûte et
veux courir une carrière honnête; et partout je suis repoussé!

On dirait que ce monologue anticipe le fameux réquisitoire de


Julien Sorel, le héros de Stendhal du roman Le Rouge et le Noir. Le
mot d’ordre, anticipant même l’esprit des revendications des
révolutionnaires de 1789, est liberté:

Il s’élève une question sur la nature des richesses; et comme il


n’est pas nécessaire de tenir les choses pour en raisonner, n’ayant
pas un sou, j’écris sur la valeur de l’argent et sur son produit net;
sitôt je vois, du fond d’un fiacre, baisser pour moi le pont d’un
château fort, à l’entrée duquel je laissai l’espérance et la liberté.

/…/ il s’est établi à Madrid un système de liberté sur la vente des


productions, qui s’étend même à celles de la presse;

152 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Étude littéraire: Le Mariage de Figaro

Figaro fait figure de solitaire, dans un monde corrompu, pourri


(Mais comme chacun pillait autour de moi, en exigeant que je fusse
honnête, il fallut bien périr encore).
Finalement, le bénéfice de ce monologue est que Figaro
retrouve sa gaieté, sa joie de vivre, ses ressources insoupçonées:

Encore je dis ma gaieté, sans savoir si elle est à moi plus que le
reste, ni même quel est ce moi dont je m’occupe: un assemblage
Figaro, ennemi de informe de parties inconnues; puis un chétif être imbécile; un petit
l’injustice sociale animal folâtre; un jeune homme ardent au plaisir, ayant tous les
goûts pour jouir, faisant tous les métiers pour vivre; maître ici, valet
là, selon qu’il plaît à la fortune!

En effet, Figaro est le héros qui ne dépose jamais les armes.


Son énergie le rend triomphant partout et toujours. Il lutte, surmonte
les obstacles, dupe les imposteurs, punit les salauds, se moque des
imbéciles, aide les gens qui en ont besoin. Il est toujours le sourire
aux lèvres.

Test d’autoévaluation

Vous avez parcouru l’unité d’apprentissage vous présentant


une lecture intégrale de Beaumarchais: Le Mariage de Figaro.
Pour vérifier si vous avez bien retenu certains détails,
répondez aux questions suivantes, et consultez ensuite la
rubrique “Les clés du test d’autoévaluation”.

1. Quel était le vrai nom de l’écrivain et comment s’explique


celui de Beaumarchais?

2. Le personnage de Figaro apparaît-il uniquement dans la


pièce Le Mariage…? Quelle est la genèse de son nom?

3. Caractérisez brièvement le valet Figaro. A qui ressemble-t-


il?

Proiectul pentru Învăţământul Rural 153


Étude littéraire: Le Mariage de Figaro

13.4 Les idées politiques et sociales du Mariage de Figaro

La proximité de l’écriture, de la première triomphale du Mariage


de Figaro et de la Révolution Française a encouragé beaucoup
d’analyses et de lectures de la pièce, suggérant le caractère
révolutionnaire de l’oeuvre de Beaumarchais. Le monologue de
Figaro, à l’acte V, est alors une source abondamment exploitée.
Figaro y dénonce le fondement même de la société d’ordres, la
naissance. S’adressant imaginairement au Comte, il lui jette avec
défi qu’il n’a eu d’autre peine que celle de naître, tandis que lui,
Figaro, perdu dans la foule obscure, a dû déployer plus de science et
de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent
ans à gouverner toutes les Espagnes. Dans le même monologue, il
attaque la censure, car sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge
flatteur. En outre, dit Figaro, la politique ne se réduit-elle pas à
l’intrigue? La justice n’est-ele pas indulgente aux grands, dure aux
petits (acte III, scène 5).
La condition de la
femme, thème Ailleurs, il y a l’héroïne Marceline, une vraie “féministe” qui
abordé avec succès plaide avec vigueur en faveur des femmes abandonnées:
par Beaumarchais.
J’étais née, moi, pour être sage, et je le suis devenue sitôt qu’on
m’a permis d’user de ma raison. Mais dans l’âge des illusions, de
l’inexpérience et des besoins, où les séducteurs nous assiègent
pendant que la misère nous poignarde, que peut opposer une enfant
à tant d’ennemis rassemblés? Tel nous juge sévèrement, qui peut-
être en sa vie a perdu dix infortunées.

Beaumarchais tenait à cette tirade, retranchée de l’acte III à la


demande des Comédiens-Français, au point de la citer dans sa
préface.

Malgré ses éléments qui présentent les dérèglements de l’ordre


établi, Le Mariage de Figaro n’est pas une pièce révolutionnaire.
L’idée de révolution comme anticipation d’un ordre social désirable
n’appartenait pas au vocabulaire de Beaumarchais. Mona Ozouf
remarque, en effet, que les hommes du XVIIIe siècle n’accordent pas
une valeur morale déterminée aux révolutions:

Les révolutions sont bonnes ou mauvaises, il leur arrive de


détrôner des rois mais aussi d’en rétablir, de porter dans leurs flancs
le progrès ou la régression. Les hommes pourtant les craignent:
quelles qu’elles soient, elles traduisent l’instabilité politique et mettent
en évidence le peu de prise qu’ils ont sur les événements. Tous les
peuples ont éprouvé des révolutions: tel est (en dépit de quelques
voix, dont Voltaire, qui commencent à imaginer qu’une révolution
puisse être à l’horizon d’une attente) le dernier mot du siècle.
Pluraliste, sceptique, peu apte à concevoir que des hommes
puissent entreprendre une révolution. (article Révolution,

154 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Étude littéraire: Le Mariage de Figaro

Dictionnaire critique de la Révolution française, Flammarion, 1988,


p.849)

Le caractère La politisation du Mariage de Figaro est davantage affaire de


politique du Mariage circonstances qu’intention de l’auteur. Elle est un effet de
de Figaro est plutôt l’affrontement renouvelé entre le roi et l’aristocratie, qui défend ses
circonstanciel que prérogatives, ses “libertés” contre les “abus” du pouvoir royal.
voulu
Dans la présentation pour le grand public (dans la collection
“Folio/Théâtre”, Gallimard, 1996, édition citée), Françoise Bagot et
Michel Kail affirment qu’il y a un fondement critique de la pièce de
Beaumarchais que le public aristocratique de l’époque ne pouvait
même pas soupçonner, et auquel l’interprétation plus ou moins
politique de la critique moderne, qui lit, le plus souvent, l’oeuvre de
Beaumarchais à travers le prisme de la Révolution Française, ne
rend pas justice. Cette force critique ne réside pas dans l’explicite
des déclarations plus ou moins frondeuses que Beaumarchais prête
à ses personnages, mais dans la structure même de la pièce. (p.9)
Par structure il faut comprendre construction: la “réalité” des
personnages à la lumière de leurs relations. La structure de la pièce
est celle d’une folle journée. Ce syntagme est d’ailleurs préféré par
l’auteur lui-même, promettant une grande accumulation
d’événements dans un intervalle trop étroit pour la contenir.

13.5 Conclusions

Quant au texte du Mariage de Figaro, ce qui frappe d’emblée,


c’est la démesure: si une pièce classique compte de 1600 à 1900
répliques, si Le Barbier compte 44 scènes et 7 personnages
agissants, La Folle Journée, avec ses 1600 répliques, ses 92
scènes, ses 12 personnages, sans compter les troupes de
personnages muets (huissier, bergère, pastoureau et autre piqueur),
est à l’évidence hors de ses gonds. Si une scène marque ses limites
par l’entrée ou la sortie d’un personnage, on imagine quel ballet
s’effectue dans l’espace-temps, malgré tout restreint, de la
représentation.

Le premier élément du pari fou de Beaumarchais – c’est-à-dire


faire tenir dans le cadre étroit des vingt-quatre heures canoniques un
foisonnement d’intrigues. Dans son étude “Le Mariage de Figaro:
dramaturgie et structures” (in Beaumarchais, Le Mariage de Figaro,
Ellipse, 1985), Yves Stalloni dresse le schéma suivant (cela va vous
aider à fixer les intrigues qui se déroulent à toute allure dans la
pièce):

A. Le Comte Almaviva désire une maîtresse piquante, Suzanne;


B. Figaro désire une épouse qui le désire pour époux, Suzanne;
C. Marceline désire se marier avec Figaro, Bartholo ou Bazile;
D. Chérubin désire une aventure avec la Comtesse, de préférence,
Suzanne ou Fanchette, éventuellement;
E. La Comtesse désire reconquérir l’attention de son époux, le
comte Almaviva.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 155


Étude littéraire: Le Mariage de Figaro

Ainsi serré, le tissage d’intrigue engendre une bouscoulade de


péripéties (30 contre 2 dans Phèdre, par exemple). C’est aussi
L’impression
visible une irrégularité du peuplement de la scène: monologues,
générale de la pièce
est de tumulte de duos et trios sont à chaque acte perturbés par l’émergence des
péripéties “troupes” (v. I, 10; II, 22,23; III, 9,10,11; V, 11 à dernière). Si les
quatre premiers actes laissent le plateau quasiment vide au tomber
du rideau, le cinquième suit le cheminement inverse en convoquant
un nombre de plus en plus grand de personnages. Par conséquent,
dans cette pièce il y a une segmentation de l’espace, parcouru par
des personnages souvent “catapultés” sur la scène: l’espace devient
pour eux un cadre très limité, qui les oblige à inventer des cachettes,
des issues (par exemple, un fauteuil, un alcôve, un cabinet, une
fenêtre, une terrasse).

On se pose la question si, à cause de cette folle machinerie, les


personnages perdent leur cohérence. Mais la réalité est que la
typologie de ces personnages est bien claire: le Comte, jaloux et
libertin; la Comtesse cherche à reconquérir son époux, mais ne reste
pas insensible aux doux regards du page Chérubin; quant à Figaro,
le grand machinateur du Barbier, le donneur de leçons, il devient du
bel indifférent la proie même de la jalousie. Suzanne, l’honnête
fiancée, sait finalement se débrouiller quand l’occasion se présente.
Chérubin incarne l’ambiguïté amoureuse.
La pièce confirme la
prémisse de
Dans les 108 lignes de son célèbre monologue du Ve acte,
l’amusement : “tout Figaro, sous l’aspect de conspirateur dévoile sa fragilité: en passant
finit par des par le conflit social avec le maître, le valet réalise une vraie
chansons” interrogation existentielle. Pourtant, la pièce finit par la curieuse
morale: tout finit par des chansons. S’il y a quelque chose qui unit
tous les personnages du Mariage de Figaro, cela c’est le désir
amoureux qui les rend égaux. Cette impulsion du désir les pousse à
mobiliser toute leur volonté, toute leur ingéniosité afin de réussir la
conquête de l’amour (Dans le champ de l’intrigue, il faut savoir tout
cultiver, déclare le Comte dans la scène 11 de l’acte III). De ce point
de vue, l’attitide du Comte est suggestive, car, pour lui, le but excuse
tous les moyens; c’est pourquoi il n’hésite pas à user de ses droits
de seigneur lorsqu’il veut vaincre la résistance de Suzanne. Malgré
son état social, le Comte n’est qu’un simple individu très vulnérable
devant son désir d’être aimé. C’est un aspect qui renvoie à l’homme
naturel tel que Rousseau le concevait, en le dépouillant de tous ses
habits sociaux. Sous les coups d’Eros, les gens sont uniques.
Puisqu’il met en scène l’un des principes fondamentaux,
l’individualisme, Beaumarchais peut être considéré un “vulgarisateur”
des philosophes des Lumières, concluent Françoise Bagot, Michel
Kail à la fin de leur présentation qui fait office de plaidoyer pour ne
pas politiser Le Mariage de Figaro.

156 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Étude littéraire: Le Mariage de Figaro

Les clés du test d’autoévaluation


Réponses et commentaires:

1. Le nom du personnage fait allusion à l’origine de l’auteur.


Pierre Augustin Caron, – “fils de Caron” – L’étude des
manuscrits ne soutient pas cette explication, ce qui n’empêche
que Figaro représente la quintessence de l’esprit français, le nom
du personnage devenant substantif commun et symbolisant le
barbier éternel du monde.

2. Non, Figaro peut être rencontré aussi dans Le Barbier de


Séville (1775) et dans La Mère coupable( 1792).

3. Figaro ressemble beaucoup à l’auteur lui-même par son


esprit protestataire, par son talent du discours. Il est gai, honnête,
aime la vie et l’amour et représente le potentiel du peuple.

Test de contrôle 13

Ce test est administré à l’issue de l’unité d’apprentissage 13.


Pour réaliser ce test, il vous est conseillé de relire l’unité et de
faire des annotations. Ne manquez pas de transmettre ce test à
votre tuteur. A cet effet, il convient de marquer votre nom, votre
prénom et votre adresse personnelle sur la première page de
votre copie. N’oubliez pas de mentionner aussi le numéro du test.
Vous êtes supposés le recevoir, après correction, avec les
commentaires de votre tuteur.

Bon travail !

A trouver dans la 1. Décrivez les péripéties qui justifient le titre de « folle


dramaturgie journée ».
roumaine des (4 points ; 4-6 phrases)
personnages pareils
à Figaro, dont le
2. Caractérisez le personnage de Figaro.
discours soit une
critique de la (4 points; 4-5 phrases)
société.
3. Choisissez, dans le monologue de Figaro (acte III, scène 3)
une idée de critique contre la société de son temps et
montrez quels sont les moyens du style employé par
l’auteur.
(2 points; 3-4 phrases)

Proiectul pentru Învăţământul Rural 157


Étude littéraire: Le Mariage de Figaro

Références bibliographiques:

BEAUMARCHAIS, Le Mariage de Figaro, Paris, Gallimard, coll.


Folio/théâtre, 1996

BEAUMARCHAIS, Bărbierul din Sevilia, Nunta lui Figaro, (traducere


de Anda Boldur şi Valentin Lipatti), Bucureşti, Ed. Minerva, col.
BPT,1995.

158 Proiectul pentru Învăţământul Rural


L’impact esthétique et social du théâtre au XVIIIe siècle

Unité d’apprentissage 14

L’IMPACT ESTHÉTIQUE ET SOCIAL DU THÉÂTRE AU XVIIIe SIÈCLE

Sommaire page

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 13 159


14.1 Le rôle du théâtre au XVIIIe siècle; atmosphère fin d’époque 160
14.2 L’esthétique du XVIIIe siècle; une invention de l’époque:le drame 161
Test d’autoévaluation 163
14.3 Panorama final du XVIIIe siècle 164
Les clés du test d’autoévaluation 166
Références bibliographiques 166

Les objectifs de l’unité d’apprentissage 14

Vous avez parcouru 4 unités d’apprentissage sur le théâtre du XVIIIe


siècle et vous vous apprêtez à faire le bilan de cette activité. Quand vous aurez
parcouru cette unité d’apprentissage et effectué le test d’autoévaluation, vous
serez capables de :

• mettre en évidence le rôle du théâtre dans l’atmosphère de cette époque;


• faire des commentaires sur l’esthétique du siècle des lumières;
• distinguer la contribution de Diderot à la cristallisation du rôle du théâtre.

Proiectul pentru Învăţământul Rural 159


L’impact esthétique et social du théâtre au XVIIIe siècle

14.1 Le rôle du théâtre au XVIIIe siècle; atmosphère fin d’époque

Dans le théâtre du XVIIIe siècle les successeurs de Molière


cultivent surtout la comédie de moeurs, comme une satire spirituelle
et corrosive des vices qui sévissent sous la Régence, affirme
Valentin Lipatti, à la fin de son cours de littérature française du XVIIIe
siècle (tome 1er, Bucureşti, Ed. Didactică şi Pedagogică, 1967,
p.215).
Le théâtre est un genre qui connaît un grand succès même si la
condition des acteurs est toujours précaire: les Comédiens français
et les Comédiens italiens contribuent largement à ce succès, faisant
triompher la comédie. Les spectacles populaires de la foire (des
tréteaux en plein air et des farces pleines de jeux de mots) sont très
appréciés du public, ce qui provoque la jalousie des autres troupes.

Avec Marivaux, la comédie gagne en profondeur, car le


dramaturge propose un théâtre d’analyse psychologique et morale
aux implications nombreuses. La tragédie, genre classique par
excellence, est influencée, elle aussi, par les idées d’avant-garde. La
tragédie n’est plus guère à la mode, hormis certains succès
remportés par Voltaire. Ce courage de pensée caractérise la tragédie
voltairienne, qui représente une véritable tribune des idées. C’est la
comédie qui plaît, bientôt doublée par le drame bourgeois inventé
par Diderot. Peu à peu, la littérature devient l’auxiliaire de la
philosophie; l’engagement des écrivains y est toujours sensible. Les
thèmes sont empruntés à la vie sociale: critique des financiers chez
Lesage, analyse des sentiments chez Marivaux, qui développe des
intrigues psychologiques complexes et s’intéresse à l’amour
Denis Diderot
confronté aux conventions d’une société en évolution. Quelques
(1713-1784)
années avant la Révolution, Beaumarchais fait de la comédie un
instrument de critique des privilèges de la noblesse. Le drame
s’intéresse, lui aussi, aux problèmes professionnels et familiaux. Il
répond, selon Diderot, à des principes moraux stricts et c’est
probablement la raison de son échec.

De 1775 à 1795, le classicisme est épuisé dans ses thèmes


d’inspiration comme dans son style. La propagande philosophique,
Beaumarchais, le
plus grand écrivain
qui continue, ne donne pas d’oeuvres bien originales; et c’est en vain
de son époque et le que les pseudo-classiques essaient de ranimer les grands genres, le
dernier des lyrisme, la tragédie, en y joignant encore la poésie descriptive: tout
classiques cela est mort. Ce qu’il y a de meilleur, ce sont certaines causeries de
salon et des comédies. Beaumarchais est le dernier des écrivains
classiques français et le plus grand de toute cette époque. Son
éloquence révolutionnaire n’est qu’une forme du classicisme.

Mais cette période est importante par la préparation d’un art


nouveau qui sera le romantisme. Les âmes sensibles, fatiguées de
vie mondaine, s’abandonnent à la rêverie et à la mélancolie ; et les
grands thèmes lyriques de Rousseau ébranlent peu à peu la société.
En même temps, les sens s’ouvrent au monde extérieur, le
pittoresque se précise. Bernardin de Saint-Pierre, très médiocre
philosophe, est original par sa sensibilité (il a senti la poésie des

160 Proiectul pentru Învăţământul Rural


L’impact esthétique et social du théâtre au XVIIIe siècle

ruines, des tombeaux, de la mélancolie), mais surtout par son talent


de coloriste, dans les Études de la nature. Il a laissé un roman
célèbre, Paul et Virginie, qui est à la fois une délicate pastorale et
une révélation de l’exotisme.

Figure 14.1

14.2 L’esthétique du XVIIIe siècle; une invention de l’époque: le drame

L’esprit général de la littérature des Lumières, tout comme les


Il y a des
transformations idées égalitaires caractéristiques pour ce siècle, permettront
sensibles de l’œuvre l’apparition des genres hybrides qui auront comme but plutôt le
littéraire au siècle divertissement que la morale. En même temps, le plaisir éprouvé par
des Lumières le spectateur ou le lecteur ne sera plus exclusivement artistique.
Dorénavant, ce qui compte le plus dans l’oeuvre d’art, c’est sa
capacité d’éveiller la sensibilité du spectateur. Pour y aboutir, le
dramaturge introduit dans les représentations théâtrales une
problématique de la vie courante, intrigue domestique, des petites
circonstances qui touchent au réalisme.

“Celui qui a précisé pour la première fois d’une manière


théorique les traits de la nouvelle forme littéraire a été Diderot.”
(Histoire de la littérature française, tome 1er, Ed. Didactică şi
Pedagogică, Bucureşti, 1982, p.324) Il a beaucoup réfléchi et
expérimenté à ce sujet: Les Bijoux indiscrets (1748), Discours sur la

Proiectul pentru Învăţământul Rural 161


L’impact esthétique et social du théâtre au XVIIIe siècle

poésie dramatique, Paradoxe sur le comédien (édité en 1830, écrit


entre 1770-1773 et remanié, semble-t-il, jusque vers 1778). Le
dialogue qui s’engage, dans les trois Entretiens, entre Dorval et Moi
et dont l’idée maîtresse est l’authenticité des faits mis à la scène et le
refus du style de jeu du théâtre contemporain met en évidence les
traits fondamentaux du drame (appelé dans le texte tragédie
domestique et bourgeoise): le théâtre compris comme objet moral,
substitution de la peinture des caractères par celle des conditions,
transformation du jeu des acteurs et de la mise en scène, motivation
thématique du besoin d’émotion et d’attendrissement du public. Le
spectateur doit accepter le vraisemblable pour vrai, s’identifier avec
le personnage; il faut abolir le caractère sacré, mythique, symbolique
de la tragédie (cf. Mariana Petrişor, Histoire de la littérature...,p.324).

Entre la théorie de Diderot et sa pratique dramatique il y a des


différences. Mais le théâtre, pour influencer le spectateur, doit le
convaincre par les émotions et non pas par les arguments. Le
spectateur doit se retrouver dans ce théâtre, se pencher vers le plus
profond de soi-même.

Selon Diderot, le drame connaît un grand changement: la


narrativité remplace l’action dramatique, c’est-à-dire il y a une
succession de tableaux où l’attention du spectateur est concentrée
sur les groupes de personnages, leurs rapports, la mise en scène
des mouvements, etc. Diderot s’intéresse aussi à l’expression
corporelle (gestes, regard, inflexions de la voix), tout comme
Beaumarchais donnait des indications précises sur les costumes des
personnages, des décors, les accessoires. Il fait des descriptions
minutieuses des espaces, des objets qui construisent les tableaux.
La contribution de D’ailleurs, le XVIIIe siècle a connu de grands progrès de mise en
Diderot à scène en relation avec les améliorations matérielles des théâtres. En
l’éclaircissement du 1759, les spectateurs sont exclus de la scène puis assis: le parterre
rôle du théâtre au ne piétine plus avec bruit, le théâtre devient un lieu recueilli et le
XVIIIe siècle public se rend attentif aux détails de la mise en scène. Cependant, le
métier de metteur en scène n’existe pas encore; c’est l’auteur qui
met en représentation, avec la troupe. Comme Beaumarchais,
Diderot donne de nombreuses indications scéniques avec Le Père
de famille et Le Fils naturel.

Pour revenir à la théorie de Diderot, la thèse du Paradoxe sur le


comédien, peut être résumée en quelques mots, ceux de Diderot lui-
même: le grand comédien est celui qui a acquis une égale aptitude à
toutes sortes de caractères et de rôles par l’étude des grands
modèles, la connaissance du coeur humain et l’usage du monde,
joints au travail assidu, l’expérience et l’habitude du théâtre.

“Cette réflexion esthétique autour de l’art de jouer constitue la


source de toute une théorie des émotions et surtout du contrôle de
celles-ci. La critique dramatique s’ouvre ainsi sur une psychologie
générale, car le comédien n’est que le cas particulier qui illustre le
Le talent et le génie
général: à savoir le génie – maître de son langage au plus fort d’une
dans la vision de
Diderot
émotion et à tel point qu’il s’élève à un type de pensée supérieure,

162 Proiectul pentru Învăţământul Rural


L’impact esthétique et social du théâtre au XVIIIe siècle

par excellence “créatrice”, “fulgurante” et “prophétique.” (M. Petrişor,


ibid., p.325) Précisons que, dans la conception de Diderot, le génie
est doué d’une énergie spirituelle débordante, témoignant de qualités
extraordinaires: sensibilité issue du commun, imagination
exceptionnelle, esprit de discernement incomparable. D’ailleurs, situé
à l’antipode de la doctrine classique, Diderot fait une distinction
essentielle entre talent et génie: le premier est soumis à des canons
préexistants, tandis que le deuxième est une force créatrice absolue.

Test d’autoévaluation

Pour vérifiez si vous avez bien retenu certains détails


concernant le rôle du théâtre et l’esthétique du XVIIIe siècle,
répondez aux questions suivantes. Ensuite, vérifiez vos
réponses en consultant la rubrique “Les clés du test
d’autoévaluation”.

1. Quel est le rôle de la littérature par rapport à la philosophi


Lumières?

2. Qu’est-ce que vous savez au sujet du drame inventé par leX


XVIIIe siècle?

3. Quelles sont les idées théoriques de Diderot concernant


l’esthétique du XVIIIe siècle?

Proiectul pentru Învăţământul Rural 163


L’impact esthétique et social du théâtre au XVIIIe siècle

14.3 Panorama final du XVIIIe siècle

Le XVIIIe siècle n’a pas été uniquement un siècle de


“philosophes” épris de raisonnements ou de savants soucieux
d’observer et d’expérimenter. Ce goût de la raison critique et de la
science ne domine vraiment que pendant la première moitié du
siècle. A partir de 1750, les critiques contre les philosophes se
multiplient. A partir de 1760, “les âmes sensibles” sont aussi
nombreuses que les “têtes philosophiques”. Le débordement de la
sensibilité est même plus large que les empiètements de la
philosophie.

En littérature, on se lasse, dès la première moitié du siècle, de


la critique qui formule des règles et mesure la beauté d’une œuvre
au compas de la raison. On oppose à cette critique la “critique de
sentiment”.

En théâtre, on fait des efforts pour rapprocher sans cesse le


Enrichissement du théâtre de la vie réelle et contemporaine. Cet effort de vérité se
décor au théâtre précise par la transformation du costume, qui cesse généralement
vers la fin du siècle d’être tout à fait conventionnel vers 1750-1760; on habille de plus en
des Lumières plus les Romains en Romains, les Chinois en Chinois, etc. Le jeu
des acteurs devient plus naturel. Le décor s’enrichit, surtout à partir
de 1770, et le spectacle joue un grand rôle dans certains drames.
Ces pièces préparent non pas le drame romantique, mais, d’une
part, le mélodrame à spectacle, et, d’autre part, les pièces sociales
comme écrira Dumas fils. Elles eurent au XVIIIe siècle un très grand
succès.

En morale, après avoir montré que les passions peuvent être la


source féconde des grandes actions, on s’intéresse de plus en plus
aux passions fortes, aux âmes violentes et tourmentées.
Vauvenargues (v. annotation au début de 6.1) a été l’une de ces
âmes-là.

En politique, on croit, de plus en plus, qu’il y a pour conduire les


sociétés autre chose que la force et la ruse ou la raison. On se rend
compte que les liens sociaux ne doivent pas être seulement la
crainte ou l’intérêt ; il y faut l’attachement des uns et le dévouement
des autres. De plus en plus le mot “humanité” cesse d’être un mot de
critique, d’histoire, de philosophie, pour devenir un mot de morale,
pour exprimer l’attachement de l’homme aux hommes.

Dans les moeurs on commence, dès 1750, à se lasser de la vie


des salons, du monde, des villes. On aspire à une vie plus simple,
moins savante. On se prend pour la vie rustique d’un amour un peu
trop littéraire, mais qui est sincère aussi, très souvent.

164 Proiectul pentru Învăţământul Rural


L’impact esthétique et social du théâtre au XVIIIe siècle

Idées à retenir:
Un frein: la censure
A partir de 1701, la censure préalable des pièces de théâtre
fonctionna régulièrement. Les manuscrits étaient examinés par
des “censeurs royaux” (en cas de refus, les auteurs pouvaient
accepter des coupures ou des corrections). Pendant quelques
décennies les écrivains dramatiques, pratiquant dans leurs
ouvrages une évidente autocensure, ne donnèrent guère au
pouvoir l’occasion d’intervenir sur le fond. L’évolution de la
comédie, les progrès de l’esprit philosophique surtout, avec
l’énergique poussée de Voltaire à la scène, posent bientôt de
plus en plus de problèmes aux censeurs dont certains se voient
censurer eux-mêmes pour avoir approuvé certaines pièces
suspectes.

Le théâtre de Plus on avance dans le siècle, plus la censure échappe aux


Beaumarchais censeurs, souvent désavoués ou punis, pour s’exercer au plus
apparaît dans une haut niveau. Avec l’enlèvement de Louis XVI souffle, pour un
atmosphère de temps, un vent de liberté. Marie-Antoinette adore le théâtre,
semi-liberté protège les auteurs, notamment Beaumarchais, et fait passer son
amusement avant toute considération politique.
Vint “l’affaire du siècle”: les longues tribulations du Mariage de
Figaro occupèrent l’opinion pendant plusieurs années. Après cinq
examens et de multiples rebondissements, l’autorisation fut enfin
arrachée au roi, et la pièce fut jouée, le 27 avril 1874, avec le
succès que l’on sait, auprès de ceux mêmes dont elle contestait
l’autorité. Recul symbolique: dès lors que la censure échappait
aux censeurs, et que l’autorisation ou le rejet d’un ouvrage
devenaient une affaire d’État, le pouvoir, directement impliqué,
révélait en cas d’échec son incohérence et sa faiblesse.
En dépit d’une décision royale ordonnant, en 1773, de ne plus
jouer “sur le théâtre de province que les pièces qui seraient
jouées sur ceux de Paris”, les autorités locales continuèrent à
s’estimer compétentes en ce domaine, d’autant que la censure
ainsi généralisée avait pour effet d’interdire toute création
théâtrale en dehors de Paris. Or, dans le dernier tiers du siècle,
nombre de pièces, non seulement interdites mais simplement
suspectes et refusées prudemment par les comédiens, étaient
jouées en province et les auteurs tenaient à garder la jouissance.
Ainsi la censure fut-elle beaucoup moins strictement appliquée
dans le reste du royaume qu’à Paris.
A cet espace de semi-liberté s’ajoute celui du théâtre de salon,
refuge des pièces interdites.
Les considérations ci-dessus sont tirées du volume Le théâtre en
France (sous la direction de Jacqueline de Jomaron), Paris,
Armand Colin, 1992. (pp.254-257, passim)

Proiectul pentru Învăţământul Rural 165


L’impact esthétique et social du théâtre au XVIIIe siècle

Les clés du test d’autoévaluation


Réponses et commentaires:

1. Le rôle de la littérature par rapport à la philosophie est de prépa


nouvelle sensibilité préromantique, de défendre certaines
sociales, la littérature devenant ainsi l’auxiliaire de la philosophie.
cas de Bernardin de Saint-Pierre, philosophe insignifiant, mais éc
original par sa sensibilité)

2. Le drame connaît un grand changement: la narrativité rem


l’action dramatique, c’est-à-dire il y a une succession de tableau
l’attention du spectateur est concentrée sur les groupes
personnages, leurs rapports, la mise en scène des mouvements
Diderot s’intéresse aussi à l’expression corporelle (gestes, re
inflexions de la voix), tout comme Beaumarchais donnait des indica
précises sur les costumes des personnages, des décors
accessoires. Il fait des descriptions minutieuses des espaces, des o
qui construisent les tableaux.

3. La thèse de Diderot du Paradoxe sur le comédien, peut être


résumée en quelques mots, ceux de Diderot lui-même: le grand
comédien est celui qui a acquis une égale aptitude à toutes
sortes de caractères et de rôles par l’étude des grands modèles,
la connaissance du coeur humain et l’usage du monde, joints au
travail assidu, l’expérience et l’habitude du théâtre. Situé à
l’antipode de la doctrine classique, Diderot fait une distinction
essentielle entre talent et génie: le premier est soumis à des
canons préexistants, tandis que le deuxième est une force
créatrice absolue.

Références bibliographiques:

Histoire de la littérature française, (coord. Angela Ion), tome 1er, Ed.


Didactică şi Pedagogică, Bucureşti, 1982,

DOUCEY, Bruno, LESOT, Adeline, SABBAH, Hélène, WEIL,


Catherine, Littérature, textes et méthode (1er tome); Livre du
professeur (2e tome), Paris, Hatier, 1993.

Le théâtre en France (sous la direction de Jacqueline de Jomaron),


Paris, Armand Colin, 1992, pp.254-260.

166 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Référentiel

Référentiel
Jugements critiques sur le théâtre du XVIIe siècle

Pierre CORNEILLE

¾ Le Cid est si beau qu’il a donné de l’amour aux dames les plus
continentes, dont la passion a même plusieurs fois éclaté au théâtre
public. On a vu seoir en corps aux bancs de ses loges ceux qu’on ne
voyait d’ordinaire que dans la chambre dorée et sur le siège des
fleurs de lys. La foule a été si grande à nos portes et notre lieu s’est
retrouvé si petit que les recoins du théâtre qui servaient les autres
fois ont été des places de faveur pour les cordons bleus et la scène y
a été d’ordinaire parée de croix de chevaliers de l’Ordre.

Montdory (premier interprète de Rodrigue), lettre de 1637.

¾ Vive donc notre vieil ami Corneille! Pardonnons-lui de


méchants vers, en faveur des divines et sublimes beautés qui nous
transportent: ce sont des traits de maître qui sont inimitables.

Mme de Sévigné, Lettre du 16 mars 1672.

¾ Ce grand, ce sublime Corneille


Qui plut bien moins à notre oreille
Qu’à notre esprit qu’il étonna.

Voltaire, Le Temple du Goût (1733).

¾ Corneille a été victime d’une admiration qui est assez


régulièrement portée sur ce que le grand poète avait de moins
admirable, le sublime „romain” et l’emphase héroïque, victime aussi
d’utilisations morales et patriotiques… Corneille est plus grand que
sa gloire.

Thierry Maulnier, Introduction à la poésie française (1939).

¾ Quelle plus grande tendresse que celle répandue dans tout Le


Cid?…

¾ Corneille nous assujettit à ses caractères et à ses idées,


Racine se conforme aux nôtres; celui-là peint les hommes comme ils
devraient être, celui-ci les peint tels qu’ils sont. Il y a plus dans le
premier de ce que l’on admire, et de ce que l’on doit même imiter; il y
a plus dans le second de ce que l’on reconnaît dans les autres, ou

Proiectul pentru Învăţământul Rural 167


Référentiel

de ce que l’on éprouve dans soi-même. L’un touche, pénètre. Ce


qu’il a de plus flatteur et de plus délicat dans la passion.Ce sont dans
celui-là des maximes, des règles, des préceptes; et dans celui-ci, du
goût et des sentiments. L’on est plus occupé aux pièces de Corneille;
l’on est plus ébranlé et plus attendri à celles de Racine. Corneille est
plus moral, Racine plus naturel. Il semble que l’un imite Sophocle, et
que l’autre doit plus à Euripide.

La Bruyère, Les Caractères (1688).

¾ Que veut un Corneille, dans son Cid, sinon qu’on aime


Chimène, qu’on l’adore avec Rodrigue, qu’on tremble avec lui
lorsqu’il est dans la crainte de la perdre, et qu’avec lui on s’estime
heureux lorsqu’il espère de la posséder?

Bossuet, Maximes sur la Comédie, éd. 1694.

¾ On ne connaissait point encore… ce combat des passions qui


déchire le coeur, et devant lequel toutes les autres beautés de l’art
ne sont que des beautés inanimées.

Voltaire, Remarques sur La Cid, éd. 1774.

¾ …La remise en place de Rodrigue à son père, après, quand il


s’est rêvetu du droit de le faire, quand il a commencé par faire son
devoir…, si loyalement respectueuse et presque insolente. C’est
comme une prise de commandement et qui sonne quelle virilité.

Charles Péguy, Victor-Marie, comte Hugo (1910).

¾ D’une poussée triomphante et bousculante, Le Cid s’installe


dans l’admiration populaire, en lui apportant quelque chose de fort et
de vital.

Jean Schlumberger, Plaisir à Corneille (1936).

¾ Les personnages du Cid, lucides et volontaires, sont humains


encore parce qu’ils sont capables de souffrir et de se troubler.
Rodrigue… va jusqu’au bout de son effort. Mais il est désespéré. Le
vieux don Diègue n’est pas davantage insensible, en dépit de la
fermeté qu’il affecte. Le Comte lui-même est humain. Sa pitié
s’intéresse au jeune imprudent qui brave la mort avec tant de
courage. Chimène s’évanouit lorsqu’elle croit que Rodrigue a été tué.

Antoine Adam, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle,


t.I (1948).

168 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Référentiel

Jean RACINE

¾ A une société dont les poètes, les auteurs de romans et de


tragédies considéraient l’être aimé comme un objet qu’il faut
conquérir, Andromaque enseigna qu’il est inaccessible. Selon le jeu
d’amour chevaleresque et précieux, il n’était guère de maîtresse qui
ne se laissât vaincre de haute lutte, ni de cruelle qu’on ne pût à la fin
adoucir… dès les premières paroles, nous ne savons qu’Oreste
n’attend rien d’Hermione, ni Hermione de Pyrrhus, même lorsqu’ils
s’efforcent de se duper. Dès l’entrée de cet enfer, ils ont perdu toute
espérance… Rien ne sert de rien: ni tendresse, ni menaces. C’est
que l’être chéri ne nous voit pas, ne nous entend pas. Il est lui-
même orienté vers un autre; possédé lui aussi, il appartient à son
soleil, à son aimant. Aucune force du monde ne peut le détourner de
ce qu’il aime, ni le tourner vers ce dont est aimé.

¾ François Mauriac, Vie de Jean Racine (1928).

La brutalité foncière du théâtre de Racine est masquée par son art;


art qui est, dans ses éléments, celui de son temps. Il est toujours
soigneusement ordonné. Les explosions même d’une passion
presque démente, comme celles de Roxane ou de Phèdre, sont,
quand on y regarde de près, composées comme un discours de
Corneille. Le style est, pour le vocabulaire, celui de la poésie noble du
XVIIe siècle. Racine, sauf de rares exceptions, évite les mots qui ne
sont pas du bel usage poétique. Les images ne sortent guère du
cercle des métaphores permises. La versification même, malgré de
très rares hardiesses dont il n’est pas sûr que Racine ait vu toute la
valeur, obéit aux règles de Boileau et de Malherbe.
Cependant il a su mettre dans tout cet ordre et cette bienséance
classique une admirable poésie. Tout est composé chez lui, mais
d’une composition souple, cachée. Les éléments du style sont
pauvres. Pourtant il a si bien donné aux mots toute leur force, qu’ils
prennent de l’éclat et de la profondeur. Les images sont discrètes,
mais elles sont si justes qu’elles ouvrent soudain tout un horizon
d’âme ou même de paysage. La césure principale de ses vers est à
l’hémistiche; mais les coupes secondaires sont si variées, si bien
distribuées que ces vers ont un rythme qui suit toutes les nuances du
sentiment.

¾ Racine est simple, naturel, vivant. Les tragédies


psychologiques, par le seul fait qu’elles peignent des drames tout
intérieurs, tendent, elles aussi, vers la simplicité. Mais elles gardent,
fâcheusement, un goût détestable pour le romanesque, pour les
situations psychologiques singulières jusqu’à l’absurde, par exemple
pour un personnage qui est aimé sous un faux nom et détesté sous
son nom véritable. Le génie de Racine est non pas d’avoir peint des
états d’âme violents et complexes, c’est d’en avoir choisi qui soient
plus simples, plus humains.

Daniel Mornet, Précis de littérature française (1925).

Proiectul pentru Învăţământul Rural 169


Référentiel

¾ Dans Phèdre, Racine revit la Grèce mythologique. Et partout,


dans toutes ces tragédies, deci delà, des vers qui sont des lueurs,
qui ouvrent brusquement à notre esprit de vastes horizons. Si
différent que cet art soit de l’art grec, il est certain que Racine a
éclairé son théâtre de la pure lumière de la Grèce antique. Ce
psychologue pénétrant a été en même temps un poète et un
puissant artiste. Il est de ces écrivains, très rares, qui donnent l’idée
de la perfection.

René Canat, La littérature française par les textes

MOLIÈRE

¾ Molière est allé beaucoup plus loin que la farce, mais ce genre
convenait à son génie, il aimait peindre en grand, à fresque comme il
dit lui-même, accuser l’idée comique franchement, forcer les traits et
les gestes, presser le mouvement, gagner le rire d’assaut. Il règne
dans ces Précieuses ridicules un air de grandeur comique qui
étonna, dans un mouvement de brusquerie héroïque et burlesque,
parmi les appels de pieds, les renversements de torse, les répliques
sonnantes. Ce ballet ridicule où la raison se disloquait en fantaisie
éveilla chez les spectateurs un plaisir nouveau mêlé de
reconnaissance.

Ramon Fernandez, Vie de Molière (1930).

¾ Les Précieuses ridicules, quoique ce ne fût qu’un acte sans


intrigues, firent une véritable révolution: l’on vit, pour la première fois
sur la scène, le tableau d’un ridicule réel et la critique de la société.
Le jargon des mauvais romans, qui était devenu celui du beau
monde, le galimatias sentimental, le phébus des conversations, les
compliments en métaphores et en énigmes, la galanterie ampoulée,
la richesse des flux de mots, toute cette malheureuse dépense
d’esprit pour n’avoir pas le sens commun fut foudroyée d’un seul
coup.

La Harpe, Lycée (1799).

¾ Quoi qu’on en ait dit, Monsieur de Pourceaugnac, le Bourgeois


gentilhomme, le Malade imaginaire attestent au plus haut point ce
comique jaillissant, et imprévu qui, à sa manière, rivalise en fantaisie
avec le Songe d’une nuit d’été et la Tempête /…/. Molière jusqu’à sa
mort fut en progrès continuel dans la poésie du comique /…/
De la farce et un peu grosse du début, on se sera élevé en
passant par le
naïf, le sérieux, le profondément observé, jusqu’à la fantaisie
du rire dans
toute sa pompe eu au gai sabbat le plus délirant.

Sainte-Beuve, Portraits littéraires (1834).

170 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Référentiel

¾ Quel chemin parcouru du Mariage forcé, crayon rapide, au


Malade imaginaire, composition ample et tout près d’être parfaite!…
La critique naguère s’est évertuée à faire de Molière le plus lugubre
des “auteurs gais”. /…/ A voir la cérémonie du Bourgeois
gentilhomme, celle du Malade imaginaire, les spectateurs
n’éprouvent pas une involontaire mélancolie; pour se sentir
mélancolique à ce spectacle, il faut y mettre beaucoup du sien;
Argan, M. Jourdain ne sont pas des malades, ne sont pas des
déments.

Maurice Pellisson, les Comédies-ballets de Molière (1914).

¾ La femme n’est pas pour Molière ce petit animal instinctif,


illogique et déconcertant, que nos contemporains aiment à
représenter. Ce type ne se rencontre guère dans son oeuvre, sauf un
peu Agnès.

Gustave Lanson, Histoire de la littérature française (1894).

¾ L’École des femmes réagit contre les sévérités de


l’organisation familiale traditionnelle et le prosaïsme bourgeois, en un
sens qui favorisait quelques- unes des revendications du féminisme
précieux.

René Jasinski, Histoire de la littérature française (1947).

¾ Dans une même soirée, Molière assurait le personnage


d’Arnolphe et celui de Sganarelle du Médecin malgré lui: dans la
première pièce, il était présent dans dix-sept scènes sur vingt-deux.
/…/ Il lui fallait une assurance extraordinaire pour tenir aussi
longtemps les planches.
¾ Les rôles qu’il tenait, /…/ c’étaient les grands rôles comiques,
ceux qui déclenchent le succès de rire /…/; c’étaient aussi les
rôles dynamiques, ceux dont le titulaire bouge sans arrêt./…/
L’emploi de Molière dans sa troupe était donc un emploi de
premier comique. C’était la grande vedette de la compagnie. Son
talent majeur résidait dans sa drôlerie, son agilité corporelle et sa
virtuosité oratoire complétaient son sens du burlesque.

René Bray, Molière, homme de théâtre (1954).

¾ C’est dans le comique burlesque que Molière a le mieux


réussi, et son talent, de même que son inclination était pour la farce;
aussi a-t-il écrit des farces jusqu’à la fin de sa vie. Ses pièces
sérieuses en vers offrent toujours quelques traces d’efforts, on y sent
quelque chose de contraint dans le plan et dans l’exécution. Il
cherchait à réunir deux choses inconciliables par leur nature: la
dignité et la gaieté.

August Wilhelm Schlegel, Cours d’art et de


littérature dramatiques (1809).

Proiectul pentru Învăţământul Rural 171


Référentiel

¾ J’avertis que le sieur Molière,


Donne à présent sur son théâtre,
Où son génie on idolâtre,
Un Avare qui divertit,
Non pas certes pour un petit,
Mais au-delà ce qu’on peut dire;
Il parle en prose, et non en vers;
Mais, nonobstant les goûts divers,
Cette prose est si théâtrale,
Qu’en douceur les vers elle égale.

Robinet, Lettre du 15 septembre 1668.

¾ C’est un grand vice d’être avare et de prêter à usure; mais


n’en est-ce pas un plus grand encore à un fils de voler son père, de
lui manquer de respect, de lui faire mille insultants reproches, et,
quand ce père irrité lui donne sa malédiction, de répondre, d’un air
goguenard, qu’il n’a que faire de ses dons? Si la plaisanterie est
excellente, en est-elle moins punissable? Et la pièce où l’on fait
aimer le fils insolent qui l’a faite en est-elle moins une école de
mauvaises mœurs?

J.-J. Rousseau, Lettre à d’Alembert sur les spectacles (1758).

¾ L’Avare est une des pièces de Molière où il y a le plus


d’intentions et d’effets comiques. /…/ Le seul défaut de la pièce est
de finir par un roman postiche. /…/ Mais, à cette faute près, quoi de
mieux conçu que l’Avare? L’amour même ne le rend pas libéral, et la
flatterie la mieux adaptée à un vieillard amoureux n’en peut rien
arracher.

La Harpe, Lycée, ou Cours de littérature ancienne et moderne


(1799).

¾ L’Avare, dans lequel le vice détruit toute la pitié qui unit le


père et le fils, a une grandeur extraordinaire et est à un haut degré
tragique.

Goethe, Conversations avec Eckermann


(en 1825).

¾ Harpagon est moins un caractère bien étudié et suivi en ses


développements qu’une collection de traits d’avarice qui ne se
tiennent pas tous. /…/ Il semble qu’Harpagon ne soit qu’une
abstraction très puissante d’aspect, mais creuse et vide, où Molière
s’est plu à ramasser tous les symptômes connus de l’avarice.

Francisque Sarcey, Feuilleton du Temps, (1873).

172 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Référentiel

¾ L’Avare est peut-être la pièce où l’élément universel est le plus


dégagé: Harpagon est le plus abstrait des caractères de Molière: il
est l’avare en soi: l’usurier du XVIIe siècle n’apparaît qu’à une
minutieuse étude. C’est que le vice d’Harpagon se prêtait à cette
expression abstraite, et la tradition littéraire depuis des siècles
préparait le type classique, universel, de l’avare: l’avare qui enterre
son or.

Gustave Lanson, Histoire de la littérature française (1894).

¾ Tout ce qui concerne l’avarice dans l’Avare tiendrait à peine


trois actes; pour remplir les cinq actes de cette comédie, il y a une
histoire d’amour qui n’ajoute rien au caractère d’Harpagon, qui
surprend au contraire et déconcerte. /…/ L’amour du vieillard donne
lieu à quelques scènes de comédie qui seraient les mêmes s’il n’était
pas avare.

Maurice Donnay, Molière (1911).

¾ Molière entre dans l’Avare dans sa grande manière, qui


consiste, autour du personnage principal, à peindre toute une famille
et à montrer cette famille désorganisée par le vice du personnage
principal. Ce genre de comédie est à la fois la comédie de caractère
et la comédie sociale. Quant au personnage principal, il est peint
selon le procédé constant, ou plutôt selon le principe constant de
Molière, à la fois odieux et ridicule, le ridicule l’emportant toujours et
le soin étant pris qu’il y ait une progression constante du ridicule.

Émile Faguet, En lisant Molière (1914).

¾ Le vieillard Harpagon, physiquement épuisé, moralement


traqué, est un bouffon. Bouffon devant Mariane, bouffon dans ses
pauvres colères, bouffon dans sa naïveté lorsqu’il boit les flatteries
de Frosine. Ce tyran est seulement ridicule.

Antoine Adam, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle


(tome III, 1952).

¾ Le Tartuffe, une comédie très dangereuse et qui est d’autant


plus capable de nuire à la religion que, sous prétexte de condamner
l’hypocrisie ou la fausse dévotion, elle donne lieu d’en accuser
indifféremment tous ceux qui font profession de la plus solide piété et
les expose par ce moyen aux railleries et aux calomnies continuelles
des libertins.

Ordonnance de Péréfixe, archevêque de Paris (11 août 1667).

¾ Il n’y a rien de comique à voir Orgon maudire et chasser son


fils qui vient d’accuser Tartuffe d’un crime évident; et cela parce que
Tartuffe répond avec des phrases volées au catéchisme et qui ne
prouvent rien. L’œil aperçoit tout à coup une des profondeurs du
coeur humain, mais une profondeur plus curieuse que riante./…/

Proiectul pentru Învăţământul Rural 173


Référentiel

Nous sommes trop attentifs, et j’oserais dire trop passionnés pour


rire.

Stendhal, Racine et Shakespeare (1823-1825).

¾ Certainement, l’ensemble du Tartuffe est de main de maître;


c’est un des chefs d’œuvre d’un homme inimitable; toutefois cette
pièce porte un tel caractère, que je ne suis nullement étonné que son
apparition ait été l’objet de fortes négociations à Versailles, et de
beaucoup d’hésitation dans Louis XIV. Si j’ai le droit de m’étonner de
quelque chose, c’est qu’il l’ait laissé jouer; elle présente, à mon avis,
la dévotion sous des couleurs si odieuses, une certaine scène offre
une situation si décisive, si complètement indécente, que, pour mon
propre compte, je n’hésite pas à dire que, si la pièce eût été faite de
mon temps, je n’en aurais pas permis la représentation.

Las Cases sur Napoléon, Mémorial de Sainte-Hélène (noté en


1816).

¾ De toutes les pièces de Molière, et j’oserais presque dire de


toutes les pièces de tous les genres et de tous les pays, Tartuffe est
la seule qui amuse également tout le monde, de quelque façon et en
quelque théâtre qu’elle soit jouée.

Francisque Sarcey, Quarante Ans de théâtre (1900).

¾ Je ne nie point, vous l’entendez bien, qu’il y ait à rire et


beaucoup à rire dans Tartuffe. Non seulement les rôles d’Orgon et
de Dorine – quoiqu’ils le soient diversement – sont comiques d’un
bout à l’autre; mais évidemment Molière, comme s’il se sentait
entraîné par la force de la situation, n’a rien négligé de ce qu’il
pouvait faire pour maintenir le drame au diapason de la comédie:
Mme Prunelle elle-même, Valère et Mariane, M. Loyal surtout, ne
sont pas là pour autre chose. Mais quoi! ce n’est pas ainsi, - par doit
et avoir, par addition et par soustraction, - que l’on juge de la
signification d’une pièce ou d’un livre, c’est par l’impression totale
qu’on en reçoit; et, pour ma part, plus j’y ai songé, plus il m’a semblé
que l’impression de Tartuffe était décidément d’un drame.

Ferdinand Brunétière, Les Époques du théâtre français (1891).

¾ Tartuffe dans sa vengeance paraît aussi maladroit et aveugle


que Julein Sorel. Des propositions d’accommodement lui sont faites.
S’il s’appelait Onuphre, s’il ne cherchait que son avantage et son
établissement, si c’était aussi un être logique selon La Bruyère et
Faguet, il les examinerait, dirait ses exigences, et avec les armes
terribles qu’il a en mains, ferait chanter à Orgon toutes les notes de
la gamme. Au lieu de cela, lui qui porte tant de noires histoires sur la
conscience, qui est recherché par la justice, et à qui la police doit
inspirer toutes les méfiances, se précipite chez La Reynie, les
papiers d’Orgon à la main. /…/ Tartuffe n’a pas subi un échec
ordinaire, mais une humiliation atroce. Il ne se voit pas du point de

174 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Référentiel

vue du parterre, ni du critique littéraire, ni du moraliste. Il se voit de


son point de vue intérieur à lui, du fond de sa chair, livré par la
femme qu’il aime à l’imbécile qu’il méprise.

Albert Thibaudet, Stendhal (1931).

¾ Sous prétexte que Molière est un auteur comique et non point


un réformateur, on prétend aujourd’hui qu’il ne voulait faire la satire
ni de la religion ni de l’hypocrisie, et qu’il n’avait d’autre ambition que
d’écrire une comédie. Aux dires de ces critiques à la fois graves et
frivoles, Tartuffe ne serait rien d’autre qu’une histoire de cocu.
Molière aurait voulu nous faire rire d’Orgon comme nous avions ri de
Sganarelle et d’Arnolphe.
Il y a dans ce parti de réduire la portée des œuvres de Molière
et de nier les plus fortes évidences, dans cette façon de brouiller les
données d’un problème pour le rendre insoluble, quelque chose
d’admirable. Molière ne se donnait certes pas pour un réformateur
social. Pas plus, au reste, qu’Aristophane. Mais comme le terrible
satirique des Guêpes ou des Nuées, il aimait la lutte, il se plaisait à
flageller les travers, à dénoncer le scanadale, à railler les ridicules.

Antoine Adam, Histoire de la littérature française au XVIIe


siècle, t.III (1952).

MARIVAUX

¾ Au XVIIIe siècle, le succès de Marivaux ne fut jamais éclatant:


les Comédiens Français et leur public lui firent longtemps grise mine,
et le Théâtre-Italien restait une scène secondaire. D’autre part
Marivaux s’est toujours tenu à l’écart du clan des philosophes. Tout
l’oppose à Voltaire: ses conceptions religieuses, ses liens avec les
Modernes et son indépendance à l’égard de Molière, sa réserve, sa
sensibilité délicate, sa bonté discrète. Dans la subtilité de ses
analyses et de son style, Voltaire ne voit que métaphysique du coeur
et préciosité; il lui reproche de “peser des œufs de mouche dans des
balances de toile d’araignée”; il parle du “poison de Marivaux et
consorts”; lorsqu’il est le moins dur, il estime que son comique, trop
fin et trop délié, ne peut séduire que quelques raffinés, et n’est pas
fait pour la scène.
Mais au XIXe siècle le succès des comédies de Musset
provoque une véritable résurrection de Marivaux. De nos jours nous
reconnaissons en Giraudoux un esprit de sa lignée; Jean Anouilh
s’inspire de lui (La Répétition ou l’Amour puni); Marivaux trouve un
public enthousiaste qui goûte précisément cette complexité, très
moderne, qu’on lui reprochait de son temps. Il nous semble que nous
rencontrons en lui un contemporain, qui aurait écrit pour nous, voici
deux siècles.

Lagarde, A., Michard, L., Le XVIIe siècle, Les Grands auteurs


français du programme, Paris, Bordas (1970).

Proiectul pentru Învăţământul Rural 175


Référentiel

BEAUMARCHAIS

¾ La didascalie Figaro seul permet de voir dans ce texte un


monologue. La longueur du passage (un quart seulement du texte
intégral) donne l’autre caractéristique d’un monologue, qui peut, à
partir de là se définir comme: une longue réplique prononcée par un
personnage qui est seul sur scène.
L’étonnement, les questionnements, les apostrophes, et les
défis présents dans le texte reflètent un des aspects du monologue
de théâtre qui est son caractère délibératif. Le personnage devant
une décision à prendre, hésite, se débat dans des pensées
contradictoires. Mais le pessimisme de la tirade, la didascalie du ton
le plus sombre, la position assise du personnage solitaire, le retour
sur soi, l’interrogation sur la destinée, apportent à ce monologue un
caractère méditatif. Le personnage se parle à lui-même, s’apitoie,
réfléchit sur le sens de son existence.
On peut expliquer la fonction du monologue par rapport au
personnage. Placé dans une situation de crise, Figaro fait le point, en
se parlant à lui-même. L’action subit un ralentissement nécessaire à
la réflexion, au recueillement. Mais le fait que ces pensées soient
dites à voix haute a peu de vraisemblance. Ce type de discours
résulte d’une convention théâtrale. Un tel artifice justifie l’autre
fonction du monologue théâtral: rendre le public confident des
pensées du personnage, donner une connaissance approfondie de
sa vie intérieure.

Hélène Sabbah, Adeline Lesot, Catherine Weil, Littérature,


textes et méthode; livre du professeur, Paris, Hatier (1993).

176 Proiectul pentru Învăţământul Rural


Bibliographie

BIBLIOGRAPHIE

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Proiectul pentru Învăţământul Rural 177

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