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Thème 5

La langue écrite.
Situations de communication écrite. Structure et
éléments formels. Normes qui régissent le texte écrit.

1. Distinction oral et écrit


1.1. L’oral et l’écrit: une situation de communication différente

L’oral et l’écrit peuvent se distinguer suivant leurs conditions d’utilisations.

La communication orale est immédiate et en situation. Dans un dialogue, il ne s’écoule pas


de temps entre l’émission et la réception, et les interlocuteurs sont présents dans une situation
spatio-temporelle déterminée et ont accès à des référents communs. Cela favorise l’économie
des moyens linguistiques : beaucoup d’éléments d’information sont apportés par la situation,
qu’il s’agisse d’éléments référentiels proprement dits ou d'informations non verbales (gestes,
mimiques, etc.) D’autre part, les déictiques sont naturellement employés, sans équivoque par
exemple dans la phrase : Vous savez que j’ai un esprit scientifique. L’identification des
interlocuteurs (je, vous), du lieu et du temps est assurée par la situation partagée.

La communication écrite est différée et hors situation. Il existe un délai plus ou moins long
entre l’émission et la réception. La coupure de la situation d’émission empêche le récepteur de
s’appuyer sur celle-ci pour interpréter le message. Un énoncé comme il chante faux ne peut
plus s’interpréter par référence à la situation partagée : le pronom personnel ne peut pas avoir
de valeur déictique, mais il d evient anaphorique et l’identification de son référent se fait
par sa mise en relation avec un élément antérieur du texte. De même, le cadre spatio-temporel
doit être précisé dans la communication écrite: des indicateurs du temps et du lieu,
l’organisation des temps du verbe et l’usage de connecteurs sont nécessaires pour repérer les
êtres et les actions et établir leurs rapports.

Les conditions de la communication déterminent les différentes formes des messages oraux et
écrits. La communication écrite donne le temps d’élaborer le message : le scripteur peut
revenir sur ce qu’il a écrit, pour le corriger ou le compléter. A l’oral, le locuteur élabore et
émet son message presque simultanément ; toute erreur, tout raté ou mauvais départ ne
peuvent être corrigés à l’oral que par une reprise, une hésitation voire une rupture de
construction qui laissent des traces dans le message même. Cela explique le caractère plus
fini, construit et continu de l’écrit, par opposition à l’oral qui peut ressembler à un brouillon,
portant les marques de l’autocorrection du locuteur.

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1.2. Une frontière difficile à cerner

Dans ces conditions, il est impossible de définir exactement l’oral et l’écrit en gardant une
approche globale. Les messages oraux et écrits, qui présentent une grande diversité, sont
souvent difficiles à situer. La définition de la communication orale se fonde généralement sur la
conversation courante, comportant un émetteur et un récepteur interchangeables qui
prononcent leur propre discours au fur et à mesure de son élaboration. Mais il existe d’autres
messages oraux, dont certains ont un fondement écrit : dialogues de films, conférences,
émissions radiophoniques, journaux télévisés, débats, représentations théâtrales, etc.
De même, l’écrit connaît une grande diversité : textes suivis en tous genres, panneaux
déictiques (DANGER, RALENTIR), plans, listes et schémas, etc. Souvent, divers
transcodages introduisent de l’oral dans l’écrit et de l’écrit dans l’oral. Les discours
officiels et les cours académiques sont des productions orales dont la forme est marquée par
l’écrit. Inversement, certaines productions écrites relèvent de l’oral : dialogues écrits, lettres
familières, etc. Tous les énoncés écrits et oraux sont intimement mêlés, et leur
authenticité n’est jamais certaine.

1.3. Analyses contrastives : français écrit / parlé

1.3.1. Phonèmes et graphèmes

En français, la relation biunivoque (un élément du premier ensemble correspond à un seul


élément du 2e ensemble et inversement) entre les phonèmes et les graphèmes n’est pas
assurée dans trois cas principaux :

- Le nombre de phonèmes diffère du nombre de lettres.


Ex : ph correspond à [ f ]
x correspond à [ ks ] ou [ gz ]

- Des ressemblances dans un système correspondent à des différences dans l’autre.


Ex : [ s ] peut correspondre à s, ss, c, etc.
s peut correspondre à [ s ] ou [ z ]

- Certaines lettres (muettes) ne correspondent à aucun phonème.


Ex : p dans sculpture

La tendance, depuis des siècles, est à prononcer ce qui est écrit : au XVIIe siècle, on ne
prononçait pas le –r final de finir. Aujourd’hui, certaines lettres muettes tendent à être
prononcées, comme le p de dompteur.

1.3.2. Correspondances morphologiques: les marques grammaticales

Le fonctionnement des marques de genre, de nombre, de personne, de temps et de mode


diffère à l’oral et à l’écrit

Par rapport à l'écrit, on observe que l'oral se caractérise par l'économie de ces marques. Dans
une phrase comme: Les enfants jouent, l'écrit marque 3 fois le pluriel alors que l'oral se

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contente d'une seule marque (les).
Ce phénomène est particulièrement observable dans la conjugaison. Dans la conjugaison du
verbe parler au présent de l'indicatif, par exemple, la forme verbale distingue, par les
désinences, 5 formes à l'écrit (-e, -es, -ons, -ez, -ent) et seulement 3 personnes à l'oral (3 sons
différents).

De plus, à la différence de l'écrit, à l'oral, un mot ne peut pas porter à la fois une marque de
genre et de nombre. Ex. Les étudiantes sont studieuses. Dans cette phrase, étudiantes et
studieuses portent les marques féminin et pluriel à l'écrit mais uniquement féminin à l'oral.

En fait, la tendance à l'économie des marques à l'oral et à la redondance à l'écrit tient à la


situation de communication. Comme la situation orale se déroule en situation, celle-ci apporte
des éléments d'information et lève des équivoques, ce qui permet d'économiser les moyens
linguistiques. La communication écrite, au contraire, se déroule hors situation et demande de
répéter les marques pour que l'information soit clairement reçue. Le phénomène de l'accord,
fondé sur cette redondance de marques grammaticales, assure la cohésion du message écrit
en indiquant clairement les relations entre les éléments de la phrase.

La flexion des verbes diffère aussi sensiblement de l’écrit à l’oral

Le passé simple et l’imparfait du subjonctif, ainsi que les temps composés correspondants,
sont réservés essentiellement à l’usage écrit.
La première personne du pluriel (nous partons) est fréquemment remplacée à l’oral, familier
surtout, par on (on part).
Le futur simple (je partirai) est souvent remplacé à l’oral par le futur périphrastique formé de
l’auxiliaire aller suivi de l’infinitif (je vais partir).
Pour les temps et les modes qui sont employés aussi bien à l’oral qu’à l’écrit, leurs conditions
d’utilisation ne sont pas identiques. Ainsi, le présent de l’indicatif est plus répandu à l’oral
comme temps omnitemporel, pouvant dénoter aussi bien le présent que le passé ou l’avenir.

1.3.3. Correspondances lexicales: les mots

Il est artificiel d’opposer les mots de l’oral aux mots de l’écrit : le choix du vocabulaire est
largement conditionné par les registres de langue et les domaines d’emploi.

On peut noter que l’oral et l’écrit partagent un fond de vocabulaire commun formé
principalement de mots grammaticaux (déterminants, pronoms, conjonctions et prépositions).

Mais une différence discursive importante tient au « travail de dénomination » à l’oral : le


locuteur s’interroge sur l’emploi du terme exact, ce qui se traduit par des commentaires
métalinguistiques (comme on dit, comment dire, non pas..., mais..., etc.) ou par l’utilisation de
termes vagues comme truc, machin,...

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2. Des marqueurs propres à l'écrit
2.1. Des marqueurs d’organisation propre au texte écrit: les
marques visuelles
Le découpage de l'écrit en signes et blancs ne correspond que très partiellement à celui de
l'oral. Toute une gamme de signes s'ajoute pour segmenter et hiérarchiser le texte. Leur emploi
est étroitement lié aux conditions de socialisation de l'esprit. La lecture publique a longtemps
privilégié les marques de l'oralisation du texte avant que l'imprimerie ne consacre le rôle
sémantique des marques visuelles que l'auteur partage avec le correcteur, voire lui délègue.
C’est en se relisant que l’auteur adoptant le point de vue du destinataire, ajoute des signes pour
lever des ambiguïtés, souligner des solidarités ( grâce à la virgule ou au point-virgule ou aux
guillemets) ou des décalages (grâce aux tirets, aux parenthèses).
Le jeu sur la variété des caractères typographiques procède des mêmes préoccupations : mise
en évidence des titres, des débuts de phrase et des noms propres par les capitales, l'italique
dans les citations, les caractères gras pour les mots-clés, par exemple.
La segmentation du texte en unités visuelles délimitées par des alinéas correspond à un niveau
encore supérieur.
Les études sur le paragraphe comme unités linguistique ou stylistique ont déclaré forfait quant à
la possible définition de traits caractéristiques du paragraphe; les études psycholinguistiques
montrent que le paragraphe indique une frontière de traitements, tant au niveau de l'encodage
que du décodage, mais avec des fonctions multiples, essentiellement rhétoriques. La taille est
par exemple une indication importante. C'est un moyen de contrecarrer les effets de la linéarité
textuelle en facilitant les retours en arrière, en permettant les mises en parallèle.
Un cran au-dessus, toute une série de procédés délinéarisent la lecture : sommaires, renvois,
notes marginales, hiérarchie des numérotations, tableaux, liens hypertextuels.

Mais cette mise en espace peut aussi être "dite". A l’oral comme à l’écrit, le locuteur peut
commencer le discours qui s'élabore, anticipant (Je vais vous raconter une histoire), décrivant
les étapes de son propos (Prenons un exemple), le récapitulant ou l'évaluant.

Enfin, cette fonction métadiscursive est partagée avec des connecteurs, en position
interphrastique, qui marquent l'ouverture ou la clôture, la succession logique ou chronologique,
la hiérarchisation.

Entre la logique de l'oral et celle de l'écrit, la dynamique de la production et les exigences de la


réception, les besoins de l'expression et les contraintes de la socialisation, les textes écrits,
dans leur diversité, épousent des schémas existants et les renouvellent.

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2.2. Le rôle des supports
L'écriture se modèle au support matériel sur lequel elle s'inscrit : il lui dicte sa taille, sa forme,
son mode de socialisation; en retour les impératifs de l'expression et les pratiques de lecture
concourent à modifier les supports et à jouer de leur complémentarité.

Les anciennes inscriptions se faisaient sut pierre, cailloux, tablettes ; le papyrus servait,
notamment en Égypte aux comptes, relevés, archives, etc., alors que la pierre, matériau noble,
notait les textes des traités, les titres des rois. Nous en avons gardé la tradition : ainsi les
statues sont-elles accompagnées, au fil des siècles, d'inscriptions dans la pierre du piédestal.
Les Indiens de Méso-Amérique utilisaient les codex, alors que les manuscrits latins étaient des
rouleaux, principe conservé au Moyen Âge, et ailleurs dans les temples bouddhistes ; nos
premiers journaux s'enroulaient eux aussi sur des bâtons de bois verticaux et la lecture
s'accompagnait de l'enroulement des pages ; présentation qu'ont gardée certaines
bibliothèques. Le parchemin, volontiers gratté, regratté, était, avant le développement du
papier, le support occidental. Et le papier a suivi. Mais avec le XXe siècle, d'autres matériaux
sont apparus, et tout particulièrement l'écran d'ordinateur. Si les mains n'y tiennent plus, dans
ce cas, le support, elles n'en sont pas moins actives : le pianotage sur le clavier, le maniement
des touches et de la souris les mettent en action.
Quant à l'écriture sur Internet, elle s'inspire, bien sûr, des habitudes de l'écrit, mais en les
adaptant : l'immédiateté de la communication, l'interactivité à l'œuvre changent la donne : on
peut naviguer en suivant les liens et en rompant avec la linéarité du texte. Difficile de penser,
avec ce nouvel avatar, que le support ne contraint pas fortement l'écrit !

L'anthropologie de l'écriture a mis en évidence le rôle des supports dans l'évolution des écrits et
dans la transformation des modalités d'élaboration et de réception des textes. Du rouleau où
l'on déchiffrait à haute voix une suite continue de signes sans majuscules ni ponctuation, au
codex plié en pages que l'on pouvait numéroter et manipuler en tous sens , le texte écrit
échappe à a linéarité de l'oral. Plus maniable, il se diffuse plus largement, atteignant de
nouveaux destinataires qui ont un moindre degré de familiarité avec l'écrit, ce qui entraîne de
nouvelles modifications.
Avec le support ce n'est pas seulement la présentation du texte qui se transforme, mais son
contenu même : du périodique imprimé au journal audiovisuel, ce sont le choix et le traitement
des sujets qui changent.

Si le choix du support ne suffit pas à modifier à lui seul les pratiques d'écriture, il les conditionne
assez pour ne pas être laissé au hasard, tant il est lié aux modalités variées d'écriture et de
relecture-réécriture, à la socialisation des écrits, à la réflexion sur les finalités de l'écriture et les
processus en jeu.
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