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Thème 4

La langue orale.
Situations de communication orale.
Éléments et normes qui régissent le discours oral.
Stratégies propres de la communication orale

1. La langue parlée aujourd'hui


Lorsqu'il est question de la langue française, c'est en général de la langue
écrite qu'il s'agit. La grammaire et le lexique de langue parlée n'apparaissent dans
les ouvrages de référence, la plupart du temps, que comme des curiosités
marginales dignes d'un petit musée des horreurs de la langue. C'est pourtant sous
sa forme parlée que la langue est le plus largement partagée. Tous les gens bien
portants parlent; mais combien sont-ils à écrire régulièrement?
L'expression français parlé est d'ailleurs souvent assimilée à français familier ou
populaire alors que la diversité des registres de langues se rencontre aussi bien à
l'oral qu'à l'écrit.
En plus des imperfections liées à la nature de la communication, la langue orale
présente aux yeux de la norme, le défaut majeur d'évoluer constamment, ce qui
permet de parler de dégradation ou appauvrissement du français, par opposition à
un écrit rigidement fixé.

L’intérêt pour l’oral est relativement récent et a augmenté avec le développement de


la théorie de l’énonciation et de la linguistique du discours consacré à l’analyse de la
parole. Son étude a aussi pu se développer grâce à de nouveaux outils comme
l'informatique. Pour les linguistes d'aujourd'hui, la préoccupation essentielle est
devenue d'intégrer les données de la langue parlée à celle de la langue écrite et d'en
expliciter les relations.

2. La situation de communication orale


Dans la plupart des cas, la communication orale est immédiate et en situation.
Dans un dialogue, il ne s'écoule pas de temps entre l'émission et la réception et les
interlocuteurs sont présents dans une situation spatio-temporelle déterminée et ont
accès à des référents communs. Cela favorise l'économie des moyens linguistiques:
beaucoup d'éléments d'information sont apportés par la situation, qu'il s'agisse des
éléments référentiels proprement dits ou des informations non verbales (gestes,
mimiques, etc.). D'autre part, les déictiques sont naturellement employés, sans
équivoques. Par exemple, dans la phrase: "Vous savez que j'ai acheté un chapeau",

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l'identification des interlocuteurs (je, vous), du lieu et du temps est assurée par la
situation partagée.
Les conditions de la communication déterminent la forme des messages oraux. À
l'oral, le locuteur élabore et émet son message presque simultanément ; toute erreur,
tout raté ou mauvais départ ne peuvent être corrigés que par une reprise, une
hésitation, voire une rupture de construction qui laisse des traces dans le message
même. Cela explique que l'oral par rapport à l'écrit peut ressembler à un brouillon,
portant les marques de l'autocorrection du locuteur.

3. Les différents types de communications orales

3.1. Différentes situations

La définition de la communication orale se fonde généralement sur la


conversation courante, comportant un émetteur et un récepteur interchangeables qui
prononcent leur propre discours au fur et à mesure de son élaboration.
C'est certainement le type de communication orale le plus courant mais il existe
d'autres situations:
- Les personnes peuvent être éloignées: utilisation du téléphone, de la radio, de la
télévision, etc.
- Le message peut être plus ou moins différé dans le temps: show télévisé ou
émission radiophonique faisant réagir le public, réception V.H.S. entre des bateaux,
etc.
- L'émetteur et le récepteur ne s'échangent pas forcément les rôles: cours magistral,
émission de radio, de télévision, représentation théâtrale, etc.

3.2. Le dialogal et le dialogique

Comme on le voit, le discours oral prend généralement la forme d'un dialogue


puisque c’est lorsque l’allocution (je te parle...) devient interlocution (... et tu me
réponds) que l’on peut parler de dialogue
Au sens strict, le dialogue nécessite la participation d’au moins deux locuteurs
distincts. Cependant, même un discours produit en l’absence de tout interlocuteur
peut en réalité s’adresser à une seconde instance. Dans le cas du monologue, le
sujet se divise ainsi en un locuteur et un écouteur. Plus largement, tout énoncé
inséré dans un processus communicatif est partiellement informé par la présence
d’autrui. Ce que je sais ou imagine par exemple de mes électeurs ou de mes
étudiants conditionnera la forme que je donnerai à mon discours politique ou à mon
cours. Dans ces cas de dialogisation interne d’un discours produit par un seul
locuteur, on parlera de « dialogisme » et non de « dialogue » véritable.

3.2. Une frontière avec l'écrit souvent vague

Il existe de nombreux messages oraux qui ont un fondement écrit: dialogues


de film, discours officiel non improvisé, journal télévisé, conférence, représentation
théâtrale, etc.

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Souvent, divers transcodages introduisent de l'oral dans l'écrit et de l'écrit dans l'oral.
Les discours officiels et les cours académiques sont des productions orales dont la
forme est marquée par l'écrit. Inversement, certaines productions écrites relèvent de
l'oral: dialogues écrits, lettres familières ou courriers électroniques, etc.
Tous les énoncés écrits et oraux sont intimement mêlés, et leur authenticité n'est
jamais certaine.

4. Caractéristiques propres du discours oral

4.1. Éléments non linguistiques

Il faut tout d'abord noter que, au-delà des moyens linguistiques ou


prosodiques, la communication orale puise aussi dans des systèmes sémiotiques
non langagiers: mimiques, regards, postures, gestuelles, reconnus comme signifiants
entre les partenaires de l'échange, qui confirment (ou infirment) le codage
linguistique et prosodique et peuvent même s'y substituer.
Dans certains cas, la gestuelle du locuteur peut même renseigner sur l'origine
géographique: on dit, par exemple, que les Latins utilisent les mains pour parler.

4.2. Éléments phonématiques, prosodiques et phonologiques

Les productions orales se distinguent des productions écrites par des


spécificités liées à leur caractère vocal: utilisation du code phonologique, réalisation
phonétique de la chaîne parlée, accentuation, débit, intonation. Ces éléments
phonématiques et prosodiques, créateurs de sens, sont la manifestation du sujet de
l'énonciation nécessairement présent dans l'énoncé.
Ces phénomènes segmentaux et supra-segmentaux de l'oral sont analysables à
partir de productions orales et enseignables dans l'approche des genres discursifs
oraux, indépendamment de toute intervention de l'écrit.
Il est important de noter que le locuteur ne contrôle pas toujours ces indices et que le
destinataire peut découvrir un message que le locuteur ne voulait pas forcément
transmettre grâce à celles-ci. C'est très souvent le cas lorsqu'une personne ment; un
tremblement dans sa voix, par exemple, peut alors le trahir.

Décrivons un par un ces différents éléments:

Accents régionaux
Ils constituent les indices vocaux qui renseignent sur l'origine géographique ou
sociale du locuteur.

Le rythme
Au niveau de l'organisation du discours oral, l'alternance des silences et de la parole
joue un rôle démarcatif majeur. Cela permet de renseigner sur l'organisation des
idées, sur la limite des paragraphes, etc.

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L'accentuation
Le français connaît un accent tonique qui n'est pas distinctif (il tombe régulièrement
sur la dernière syllabe des mots pris isolément).
Dans la chaîne parlée, l’accent des mots disparaît au profit de l’accent de groupe.
Le français, depuis une période assez récente, voit se développer un nouvel accent:
l’accent d’insistance.

L’intonation
Elle présente des aspects très différents selon les registres: en registre soutenu, le
ton est relativement monotone; en registre familier, on constate de nombreux
changements de ton. La fonction de l’intonation est, selon les cas, synthétique ou
expressive. La plus importante est la fonction synthétique car elle peut suffire à
indiquer un type de phrase (interrogative par exemple) ou un lien entre les phrases
(parataxe).
Par la fonction expressive, le locuteur peut informer le destinataire sur son état
psychologique: colère, joie, etc. ou sur ses visées communicatives.

La liaison
Les consonnes finales sont, dans la plupart des cas, muettes dans les mots isolés
mais, dans la chaîne parlée, on les prononce quand le lien est fort entre un mot
terminé par une consonne et le mot qui suit s’il est a initiale vocalique selon la nature
et le rôle syntaxique des mots, les liaisons sont classées en obligatoires, facultatives
et interdites. Les liaisons facultatives dépendent du style. La tendance générale veut
que plus le discours est familier, moins il y a de liaisons.

4.3. Les marques grammaticales (comparaison avec l'écrit)

A) Le fonctionnement des marques de genre, de nombre, de personne, de


temps et de mode diffèrent à l'oral et à l'écrit

Par rapport à l'écrit, on observe que l'oral se caractérise par l'économie de ces
marques. Dans une phrase comme: Les enfants jouent, l'écrit marque 3 fois le pluriel
alors que l'oral se contente d'une seule marque (les).
Ce phénomène est particulièrement observable dans la conjugaison. Dans la
conjugaison du verbe parler au présent de l'indicatif, par exemple, la forme verbale
distingue, par les désinences, 5 formes à l'écrit (-e, -es, -ons, -ez, -ent) et seulement
3 personnes à l'oral (3 sons différents).

De plus, à la différence de l'écrit, à l'oral, un mot ne peut pas porter à la fois une
marque de genre et de nombre. Ex. Les étudiantes sont studieuses. Dans cette
phrase, étudiantes et studieuses portent les marques féminin et pluriel à l'écrit mais
uniquement féminin à l'oral.

En fait, la tendance à l'économie des marques à l'oral et à la redondance à l'écrit


tient à la situation de communication. Comme la situation orale se déroule en
situation, celle-ci apporte des éléments d'information et lève des équivoques, ce qui
permet d'économiser les moyens linguistiques. La communication écrite, au
contraire, se déroule hors situation et demande de répéter les marques pour que
l'information soit clairement reçue. Le phénomène de l'accord, fondé sur cette

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redondance de marques grammaticales, assure la cohésion du message écrit en
indiquant clairement les relations entre les éléments de la phrase.

B) La flexion des verbes

Elle diffère aussi sensiblement à l'écrit et à l'oral.


Le passé simple et l'imparfait du subjonctif, ainsi que les temps composés
correspondants, sont réservés essentiellement à l'usage écrit.
La 1re personne du pluriel (nous partons) est fréquemment remplacée à l'oral,
familier surtout, par on (on part).
Le futur simple (je partirai) est souvent remplacé à l'oral, par le futur périphrastique
formé avec l'auxiliaire aller suivi de l'infinitif (je vais partir).
Pour les temps et les modes qui sont employés aussi bien à l'oral qu'à l'écrit, leurs
conditions d'utilisation ne sont pas identiques. Ainsi, le présent de l'indicatif est plus
répandu à l'oral comme temps omnitemporel, pouvant dénoter aussi bien le présent
que le passé ou l'avenir.

4.4. Le lexique

Il est artificiel d'opposer les mots de l'oral aux mots de l'écrit: le choix du
vocabulaire est largement conditionné par les registres de langue et les domaines
d'emploi.
On peut noter que l'oral et l'écrit partagent un fond de vocabulaire commun formé
principalement de mots grammaticaux ( déterminants, pronoms, conjonctions et
prépositions).
Mais une différence discursive importante tient au travail de dénomination à l'oral: le
locuteur s'interroge sur l'emploi du terme exact, ce qui se traduit par des
commentaires métalinguistiques (comme on dit, comment dire, non pas..., mais...,
etc.) ou par l'utilisation de termes vagues comme truc, machin, ...

4.5. Les "scories"

Une série de caractéristiques des discours oraux tient à leurs conditions de


production: lorsque nous produisons des discours non préparés, nous les
composons au fur et à mesure de leur production, en laissant des traces de cette
production.
Le discours oral présente des "scories": répétitions, ratés, faux départs, reprises,
interruptions, ruptures de construction (en cours de phrase), phrases inachevées,
etc. L'auditeur assiste "en direct" au processus de production du discours et il arrive
au locuteur de commencer de qu'il est en train de dire (choix du terme exact,
manière de parler, etc.).
Ces scories ne peuvent être considérées comme des fautes que si l'on se réfère à
l'écrit, dont on ne connaît alors que le dernier état. Souvent inconscientes, elles ne
sont pas sanctionnées dans le cadre de l'échange conversationnel; loin de gêner la
communication, elles peuvent renforcer son efficacité, en accrochant l'attention de
l'allocutaire, en favorisant, par des procédés de reprise et d'insistance, la
compréhension et la mémorisation.

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4.6. Autres phénomènes linguistiques propres au discours oral

Le discours oral est aussi caractérisé par des phénomènes linguistiques


particuliers, qui tiennent à la situation de production:

A) Emploi de phatèmes

Dans une situation d'échange, le locuteur fait régulièrement appel à son interlocuteur
au moyen de la fonction phatique. Il emploie des termes qui ont pour fonction d'attirer
ou de maintenir l'attention d'autrui: hein, n'est-ce pas, bon, vous voyez, vous savez,...
et qui jouent le rôle de ponctuation du discours oral.

B) Procédés de mise en relief

Le locuteur peut faire usage de structures emphatiques, antéposer un complément


circonstanciel ou modifier l'ordre des mots pour donner plus d'expressivité à son
discours. La distinction sémantique en thème/propos commande davantage la
structuration du discours oral que l'organisation syntaxique canonique sujet-verbe-
complément (il est souvent difficile de délimiter une phrase à l'oral). L'usage des
phrases nominales s'explique pour la même raison: les constructions binaires, en
particulier, opposent nettement un thème et un propos:

Excellent, ce café! - Ce livre, quel chef-d'œuvre!

C) Importance des déictiques

La communication orale se réalisant en situation, l'emploi des déictiques y est


fréquent. On observe une fréquence bien plus élevée qu'à l'écrit des présentatifs,
notamment c'est, il y a, qui "embrayent" sur la situation:

- Il y a quelqu'un?
- C'est moi.

L'oral fait un usage également plus fréquent de ça avec une valeur déictique (écoute
un peu ça) ou dans une structure emphatique (Faire une marche populaire, ça
fatigue.). On considère généralement ça comme une variante familière de cela, mais
il semble que son emploi dépasse le seul registre oral familier.
De même, l'oral remplace fréquemment nous par on, bien que nous ne soit pas exclu
(On va au cinéma?). Cet emploi de on reste marqué comme familier; il est condamné
par la norme à l'écrit.

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D) Simplifications de l'oral

Le soucis d'économie peut expliquer certaines particularités de l'oral: omission du ne


négatif (Tu veux ou tu veux pas?), parataxe évitant le subordination, interrogation
sans inversion du sujet ou utilisant est-ce que.

E) Répétitions de termes et de structures

Les répétitions sont fréquentes dans tout discours oral non préparé:

...moi je jouais dans un orchestre elle elle chantait euh elle dans les cours...

Ces répétitions peuvent avoir différentes raisons: hésitations, ratés, reprises,


procédés stylistiques,...

5. Les genres spécifiques à l'oral et le style oral


comme genre littéraire
On peut tout d'abord noter qu'il y a des genres ou des situations qui sont
spécifiques au discours oral: plaidoirie, exposé (dont les cours magistraux), débat,
discussion, entretien, interview, discours (dans le sens de discours officiel), réunion-
discussion, etc.
Mais le style oral est aussi un véritable genre littéraire.
Le style oral n'est pas à confondre avec l'oral, ni avec le style parlé, qui est l'oral en
situation ordinaire d'interlocution. Il s'agit d'une tradition culturelle qui paraît apporter
une justification à la création d'un terme, orature, lequel deviendrait symétrique de
celui d'écriture. Il fait appel à des procédés formels qui contribuent à son efficacité
mnémotechnique: procédés phonétiques, rimes, allitérations, assonances, jeux de
mots et jeux de sens, refrains, expressions ou syllabes d'appel ou de "ponctuation",
répétitions,... Les répétitions jalonnent les récits épiques des griots africains, les
prophéties bibliques, les contes traditionnels du monde entier. La forme du proverbe
repose sur ces "jeux de langue", de même que les jeux de langue proprement dits
qui fondent l'apprentissage de la langue dans les cultures de l'oral, et l'exercice de la
parole chez les apprentis comédiens et ceux qui en font le métier.

La description du français oral exige l'étude des sons, des traits prosodiques,
de la morphologie, de la syntaxe, du lexique et des formes du discours. Elle est, au
même titre que la description de l'écrit, composante de la grammaire de la langue, au
sens large du terme, c'est-à-dire l'ensemble des formes et des procédures qui
permettent d'exprimer la signification.

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