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Profesores de Enseñanza Secundaria – Francés

Tema 7.
La communication orale. Éléments et normes régissant le discours oral.
Routines et formules habituelles. Stratégies propres à la communication
orale.

Introduction : la communication orale. 1. Éléments de la communication orale. 2. Normes et principes


régissant la communication orale. — 2.1. Le principe de coopération. – 2.2. Le principe de politesse. 3.
Stratégies de la communication orale. – 3.1. Enjeu relationnel : stratégies de politesse. – 3.2. Enjeu
informationnel : stratégies d’expression et d’interprétation. – 3.3. La négociation. 4. Routines et
formules habituelles. Conclusion. Bibliographie.

Introduction : la communication orale

La diversification des recherches linguistiques, encouragée par la prise en compte des


paramètres extralinguistiques (situation de communication, intentions de communication,
conditionnements psycho-socio-culturels...), ainsi que l’intérêt que ce genre de travaux ont
suscité dans le domaine de la didactique des langues étrangères ont mené à des études
approfondies des langues, non plus du point de vue formel, mais du point de vue de leur
fonctionnalité, dans la perspective des conditions de production et interprétation du sens.
C’est ainsi que depuis les années 70 nombre de chercheurs se penchent sur l’emploi effectif
de la langue en situation, aussi bien en ce qui concerne la communication orale que la
communication écrite.

Par rapport à la dichotomie oral/écrit, il est évident que la tradition grammaticale prend
implicitement pour objet la langue écrite, et de ce fait, néglige ou ignore la langue orale.
Certes, l’oral et l’écrit partagent des structures communes, mais l’oral présente toutefois des
caractéristiques qui lui sont propres :

1.— caractéristiques liées aux conditions de production / réception : la construction du


discours au fur et à mesure en présence d’un récepteur qui peut à tout instant intervenir1, laisse
des traces a divers niveaux :

— « scories » du discours oral : répétitions, ratés, faux départs, reprises, interruptions,


ruptures de construction (en cours de phrase), phrases inachevées, etc.

— emploi de phatèmes : dans une situation d’échange, le locuteur fait régulièrement


appel à son interlocuteur au moyen de la fonction phatique. Il emploie ainsi des termes
qui ont pour fonction d’attirer ou de maintenir l’attention d’autrui: hein, n’est ce pas?,
bon, tu sais..., qui jouent le rôle de ponctuation du discours oral.

— production de régulateurs : vocalisations du récepteur qui témoignent de son


attitude d’écoute active, sans pour autant constituer de vraies interruptions.

Ces éléments, trop souvent considérés comme simples « accidents » de parole qui ne
supposent aucun apport informationnel, sont cependant fonctionnels : d’une part, ces
« scories » témoignent de l’état émotionnel du locuteur (trouble, excitation, dépression) ;
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C’es du moins le cas dans les interactions quotidiennes, que nous prenons comme modèle de la communication
orale. Il existe, bien entendu, des situations ou la réversibilité des rôles n’est pas possible, la communication
étant dans ces cas unidirectionnelle : conférences, cours magistraux, émissions radiophoniques, etc.
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d’autre part, elles coïncident souvent avec une baisse d’attention momentanée de
l’auditeur que le locuteur essaie de corriger :

L’interruption a donc pour fonction de reconquérir ce regard et cette attention, la phrase se poursuivant
normalement une fois le contact rétabli. Tout autant que le symptôme d’un trouble dans la
communication, l’interruption apparaît alors comme une sorte de stratégie inconsciente du locuteur,
visant à restaurer le bon fonctionnement de l’échange – car à quoi bon produire des phrases
impeccablement grammaticales, si elles échappent à l’attention de leur destinataire ? Au lieu de
démontrer le caractère défectueux des sujets parlants, de tels phénomènes constituent autant de
manifestations de sa capacité à construire des énoncés efficaces interactivement (Kerbrat-Orecchioni,
1996b : 24-25).

Enfin, l’ensemble de ces éléments intervient, à chaque pôle du circuit communicatif à


divers titres. Ils accomplissent ainsi une fonction de « validation interlocutoire », c’est-à-
dire, témoignent de l’implication mutuelle des interactants :
L’émetteur doit non seulement parler, mais parler à quelqu’un, et le signaler par l’orientation de son corps,
la direction dominante de son regard, et la production de marqueurs verbaux d’allocution ; il doit en outre
s’assurer, par des coups d’œil intermittents, que l’autre écoute et qu’il est bien « branché » sur le circuit
communicatif ; il doit enfin maintenir son attention par des « captateurs » tels que « hein », « tu sais », «  tu
vois », « dis », « je te dis pas », « je vais te dire » […], etc., et éventuellement « réparer » les défaillances
d’écoute ou problèmes de compréhension par une augmentation de l’intensité vocale, des reprises ou des
reformulations : appelons phatiques l’ensemble des procédés dont use le parleur pour s’assurer l’écoute de
son destinataire (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 18).
[le récepteur] doit lui aussi produire certains signaux, visant à confirmer au locuteur qu’il est bien
« branché » sur le circuit communicatif. Ces régulateurs ou signaux d’écoute) ont des réalisations diverses :
non verbales (regard et hochement de tête, mais aussi à l’occasion froncement de sourcils, petit sourire, léger
changement de posture…), vocales (« hmm » et autres vocalisations), ou verbales (« oui », « d’accord »),
reprises en écho. Ils ont aussi des significations variées (« je te suis », « j’ai un problème communicatif »,
etc.), mais en tout état de cause, la production régulière de ces signaux d’écoute est indispensable au bon
fonctionnement de l’échange : des expériences ont prouvé que leur absence entraîne d’importantes
perturbations dans le comportement du locuteur (Kerbrat-Orecchioni, 1996b : 5)

Les régulateurs accomplissent aussi une fonction de feedback : dans certains cas, ils
encouragent le locuteur à poursuivre, et n’ont d’autre fonction que de lui signaler le soutien et
une attitude d’écoute active ; dans d’autres cas, ils servent au locuteur à prévoir et à corriger
des incompréhensions ou des formulations mal choisies. Il s’agit, pour la plupart, de réactions
involontaires, de réflexes qui témoignent de la co-construction active du sens des discours :

L’absence de régulateurs est sentie comme impolie ou agressive, et vécue comme gêne, signal de retrait
ou d’hostilité. C’est dire que le locuteur appelle et attend les régulateurs chez son récepteur, le locuteur
les provoque et il y obéit. Le flux conversationnel est constamment géré par les activités coordonnées du
locuteur et du réacteur : techniques complexes qui réclament leur vigilance, non leur attention consciente,
pour assurer un contrôle de la conduite du discours. (De Gaulmyn, 1987 : 221)

2.— caractéristiques syntaxiques : l’oral emploie très souvent des procédés de mise en relief.
Le locuteur peut faire usage de structures emphatiques, antéposer un complément
circonstanciel ou modifier l’ordre des mots pour donner plus d’expressivité à son discours.
L’emphase commande davantage la structuration du discours oral que l’organisation
canonique sujet-verbe-compléments. L’usage des phrases nominales s’explique pour la même
raison: Excellent, ce café! Ce livre, quel chef d’oeuvre!.

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3.— rapport à la situation de communication : la communication orale se réalisant en


situation, l’emploi de déictiques y est fréquent. On observe une fréquence bien plus élevée
qu’à l’écrit des présentatifs, notamment c’est et il y a.

4.— coexistence de deux systèmes de communication linguistique : le verbal et le non


verbal (t.4). La communication orale est en effet

multicanale : elle exploite un matériel comportemental fait de mots, mais aussi d’inflexions, de regards,
de gestes, de mimiques. Ces différents canaux sont complémentaires, et également nécessaires à la
communication orale, car chacun d’eux possède des propriétés spécifiques avec lesquelles on ne cesse de
jongler pour le plus grand bénéfice de l’interaction (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 150-151).

Le non-verbal comprend des éléments non linguistiques (c’est-à-dire n’appartenant pas


au code de la langue) : le paralangage ou ensemble de facteurs vocaux non-verbaux qui
accompagnent l’émission du discours (voix, intonation, rythme, soupirs, rires, sanglots, etc.) ;
la kinésique ou interaction entre les gestes et la parole (mimiques faciales, gestes, regards) et
la proxémique ou gestion de l’espace interactif. Ces éléments non verbaux ne sont pas un
simple accompagnement de la parole, ils accomplissent des fonctions (interprétative,
psychologique, relationnelle, etc.) essentielles à la saisie du sens dans la communication
orale :

Si l’on exclut de l’analyse tous les éléments non verbaux, on sera donc dans bien des cas incapable de
rendre compte de la cohérence du dialogue, dans la mesure où y interviennent successivement des actes
verbaux et non verbaux. Mais en outre, il sera impossible à l’analyste de rendre compte de son
fonctionnement global, dans la mesure où y interviennent simultanément des éléments verbaux et non
verbaux (et bien sûr paraverbaux) (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 142).

5.— « simplifications » de l’oral : le souci d’économie peut expliquer certaines particularités


de l’oral telles que l’omission du ne négatif (tu veux ou tu veux pas?), la préférence pour la
parataxe, en dépit de la subordination, l’interrogation exprimée à l’aide de la seule intonation,
etc. Mais ces « simplifications » ne sont pas constantes à l’oral, elles dépendent du niveau de
langue choisi, commandé, lui, par la situation de communication, par le type de discours et
par le statut respectif des interactants.

1. Éléments de la communication orale

Les premières études sur la communication ont élaboré un schéma des composantes qui
interviennent dans le processus communicatif : le message, produit par un émetteur pour un
récepteur, le contexte auquel renvoie le message, le canal et enfin le code (t. 4).

Or, la communication humaine n’est pas un simple mécanisme d’encodage et


décodage d’informations véhiculées par un message limpide et transparent entre deux
partenaires partageant totalement un même code homogène. Si nous partons de l’idée que
comprendre un message quelconque revient à déceler les intentions de communication qui
en commandent la production, il est aisé de constater que la tâche est souvent bien plus
difficile que l’on ne croit, le locuteur pouvant à cet égard se montrer plus on moins explicite.
Quant au code, signalons tout simplement que, même si on partage un code commun comme
celui de la « langue française », il est bien des traits qui empêchent souvent
l’intercompréhension : registres, niveaux de langue, expressions idiolectales, voire différence
d’age ou de statut social des interlocuteurs (qui n’a jamais été déconcerté par le style de
l’administration ou par le jargon de certains « spécialistes » ?).
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En effet, entre la production d’un discours par un sujet et l’interprétation de ce discours


par son interlocuteur il n’y a pas forcément de symétrie. Le sujet-communiquant est toujours
amené à construire une certaine image de son récepteur, image à laquelle il va adapter son
propos — sans toutefois être totalement sûr de son fait— en fonction de la représentation
qu’il se fait de l’autre, de la nature des relations qu’il entretient avec lui, des connaissances
qu’il lui suppose, de son statut, etc. À l’autre bout, le sujet-interprétant, qui ne correspond
jamais exactement a ce qui a été imaginé ou à ce que croit savoir de lui le locuteur, va devoir
à son tour construire un certain nombre d’hypothèses lui permettant —ou non— d’accéder au
sens du message qui lui est adressé. Les attitudes et les aptitudes des deux sujets ne sont donc
pas les mêmes : elles dépendent de leurs savoirs respectifs, de leurs systèmes de valeurs, mais
aussi de leur histoire, de leur vécu personnel, de leur propre univers de discours et de la
position que chacun occupe par rapport à l’autre dans l’acte de communication. D’où un
décalage, susceptible d’être corrigé par des stratégies d’ajustement, entre le TU visé par le
locuteur et le TU vraiment récepteur d’une part, et d’autre part entre le JE supposé par le TU
interprétant et le JE communiquant. Si bien que l’aventure est forcément au coin de l’échange
langagier : la communication peut parfaitement échouer si le décalage est trop grand, si
l’intercompréhension ne se produit pas. Ces éléments agissent doublement sur la
communication : au niveau de la production, ils déterminent des choix langagiers et
comportementaux ; au niveau de la réception, ils facilitent ou entravent (selon les cas)
l’interprétation des messages, mais produisent toujours des effets.

Tout discours est par ailleurs produit dans le cadre de certaines données spatio-
temporelles dont l’influence est également déterminante pour la forme et pour le contenu
des discours échangés, à commencer par la présence simultanée des interlocuteurs dans le
lieu de l’échange communicatif. Lorsque la communication se produit en face à face, elle se
trouve tout naturellement enrichie par les composantes de ce que l’on appelle le langage non
verbal et par l’entourage immédiat, ce qui permet des usages plus elliptiques et des
verbalisations minimales des référents. Il n’en va pas de même lorsque la communication
emprunte un autre canal (communication téléphonique). Deuxièmement, il va de soi que l’on
ne parle pas de la même façon partout et à tout moment : « à chaque “site” institutionnel
correspond un “scénario” particulier […]. Le cadre spatio-temporel est donc déterminant pour
le thème des échanges, mais aussi pour leur “style” » (Kerbrat-Orecchioni, 1990: 108-109).
La dimension spatio-temporelle de la communication dessine ainsi en filigrane la notion
d’opportunité, d’adéquation des propos au moment et au lieu, et ce en fonction aussi des
normes discursives et socio-culturelles de la communauté de référence. La communication,
en effet, comme toute pratique sociale, se trouve soumise à un certain nombre de normes et de
principes implicites mais nécessairement respectés (cf. t. 7,8), que les individus intériorisent
au cours de leur développement cognitif.

Enfin, il est un autre facteur constitutif du cadre spatio-temporel qui exerce une
influence considérable dans les interactions: c’est la présence potentielle de témoins. Très
souvent, en effet, surtout lorsque la communication se déroule dans des lieux publics,
plusieurs personnes se trouvent entendre, sans le vouloir2, des propos qui ne leur sont pas
adressés. Ces témoins, que Kerbrat-Orecchioni (1996: 17-18) désigne sous le nom de
« récepteurs en surplus », n’ont pas le statut conversationnel d’interactants « ratifiés »: ils
n’appartiennent pas à l’échange communicatif. Or, les interlocuteurs, qu’ils le veuillent ou

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Il se peut, au contraire, que le témoin écoute la conversation qui se déroule entre les interactants à leur insu et
de façon tout à fait délibérée. Il appartient depuis lors à la classe des « eavesdroppers » ou espions.
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non, dès qu’ils perçoivent cette présence, ne peuvent qu’en tenir compte, ce qui se traduit
dans la communication par l’adoption, soit d’un ton chuchoté qui vise à exclure le témoin,
soit d’un ton plus élevé qui lui permette d’entendre ce qui est dit. Un témoin peut,
occasionnellement, s’arroger le statut de locuteur et intervenir dans la conversation, comme
dans l’exemple suivant:

A — Je ne sais pas comment on va faire pour arriver à la gare. Il faudrait peut-être demander à quelqu’un...
B — Mais non, c’est sûr que c’est par ici...
C (qui ne fait pas partie de la conversation) — Excusez-moi, je n’ai pu m’empêcher de vous entendre.
Vous cherchez la gare ? Je peux bien vous y conduire.

Nous pouvons depuis lors élargir le schéma traditionnel de la communication afin d’y
intégrer, outre les composantes du schéma jakobsonien, des données concernant le nombre et
le type d’interlocuteurs impliqués (identité, statut, rôle, relation avec l’interlocuteur,
représentation que chacun se fait de l’autre...), les données spatio-temporelles, les
intentions de communication de chacun ainsi que les effets produits sur l’autre. Le schéma de
la communication pourrait être alors représenté comme suit3 :

REPRÉSENTATIONS
relations

(référent)

DE QUOI
statut statut
rôle interventions hypothèses rôle
attitude projections attitude
groupe L1 L2 groupe
d’appartenance DISCOURS d’appartenance
groupe de groupe de
intentions effet
référence référence

(fonction)
Où ? Quand ? Où ? Quand ?
Pour quoi faire ? POURQUOI Pour quoi faire ?
Devant qui ? Devant qui ?

Conditions de production

Conditions de réception – interprétation

2. Normes régissant la communication orale : principe de coopération et principe de


politesse

Nous envisagerons sous cette rubrique des règles et des maximes qui montrent que,
malgré leur allure souvent chaotique, les conversations quotidiennes se conforment à un
certain nombre de principes. Mis à part l’ensemble de règles « génériques », qui déterminent
des contraintes de forme et de structure (une interview ne suit pas le même déroulement
3
Adapté de S. Moirand, 1982.
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qu’une interaction de service au café ou qu’une conversation informelle), nous considérerons


premièrement les travaux de H.P. Grice, dont les réflexions ont ouvert la voie à un
développement des études dans ce domaine et ont permis d’élaborer, entre autres, la notion de
politesse comme principe régissant l’activité communicative.

2.1. Le principe de coopération

Dans un article devenu célèbre4 H.P. Grice pose l’existence d’un principe général
auquel doivent se plier les interactants dans le but de faire réussir une interaction et qui veut
que chaque participant à l’échange y contribue de la façon adéquate. Ce principe est explicité
par quatre maximes :
— maxime de quantité : elle concerne le contenu informationnel des interventions et
prescrit de donner la quantité juste d’information requise par les conditions de l’échange ;
— maxime de qualité : elle a trait à la véracité de l’information, et contraint à ne dire
que la vérité ou ce que l’on a suffisamment de raisons de tenir pour vrai ;
— maxime de relation : contraint à respecter la pertinence ;
— maxime de modalité ou de manière : en rapport avec la forme du discours (être bref,
concis, éviter les ambiguïtés, etc.).

Toutes ces maximes ne sont pas toujours respectées, mais la communication peut
fonctionner tant que le principe général de coopération sera maintenu. En effet, l’intérêt de
ces maximes réside pour Grice dans le fait qu’elles peuvent être enfreintes, et que toute
violation des maximes s’avère significative. Quatre cas sont à considérer, dans lesquels le
locuteur peut :
— violer discrètement une maxime afin de tromper l’interlocuteur (mensonge),
— se placer en marge du principe de coopération, par exemple, s’il refuse de répondre à
une question,
— violer une maxime qui entre en contradiction avec une autre afin de satisfaire à cette
dernière. Par exemple, opposition ente la maxime de quantité et celle de modalité si l’on a
à fournir une information trop complexe,
— enfreindre ouvertement une maxime, alors que ne se donne aucune des trois situations
précédentes. Dans ce dernier cas, l’interlocuteur est amené à rechercher le sens au niveau
du contenu implicite.

Telles sont donc les situations qui expliquent, pour Grice, les infractions au principe de
coopération : le désir de mentir, le refus de coopérer, le désir de faire prévaloir une maxime au
détriment d’une autre, ou enfin, le désir de créer des implicitations. Or, ces possibilités
n’épuisent pas sans doute l’éventail des circonstances dans lesquelles nous sommes
quotidiennement amenés à enfreindre l’une ou l’autre de ces maximes. Imaginons que ma
meilleure amie me demande si sa nouvelle robe lui va bien. Est-ce parce que je désire mentir,
ne pas coopérer ou créer des implicitations que je réponds qu’elle lui va très bien, alors que je
ne le crois pas ? Certainement pas. Il faut aussi garder à l’esprit que la communication se
produit entre des êtres munis d’affects et de désirs d’épanouissement personnel et
interpersonnel. C’est ce qui explique le besoin de respecter un autre principe essentiel : le
principe de politesse.

2.2. Le principe de politesse.

4
“Logic and Conversation”, 1975.
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Depuis la fin des années 1970, plusieurs modèles, dont ceux de G. N. Leech, Brown et
Levinson ou Kerbrat-Orecchioni essaient de rendre compte du fonctionnement de la politesse,
non plus comme simple répertoire de « formules », mais comme phénomène exerçant une
influence directe sur les comportements langagiers, et qui est définie comme la mise en
oeuvre de diverses stratégies qui visent à préserver le caractère harmonieux de la
relation interpersonnelle.

Ainsi, par exemple, G. Leech (1983) pose que la politesse est un principe, au même titre
que le principe de coopération, constitué comme lui par un certain nombre de maximes (de
tact, de modestie, d’accord, de sympathie, etc.). Brown et Levinson, de leur coté, ont bâti leur
modèle de politesse sur la notion de face. Concept élaboré par Goffman, la face renvoie en
principe à la représentation que chacun se fait de soi et de l’autre. Elle est ensuite
développée dans le modèle de Brown et Levinson (1987 : 61), qui distinguent ainsi deux faces
que tout être social possède :

— face positive : l’ensemble des images valorisantes de soi que chacun des interactants
essaie de transmettre et de maintenir.
— face négative : qui correspond à ce que Goffman appelle le « territoire du moi » et
que l’on peut considérer comme étant le territoire corporel, spatial, la libre disponibilité de
son propre temps, les biens matériels, etc.

Ces deux faces que chacun des interactants met en jeu dans toute activité sociale sont
susceptibles d’être menacées lors de l’interaction par les actes que chacun accomplit à l’égard
de soi-même ou de l’autre. Ces actes menaçants pour les faces sont appelés FTAs (Face
Threatening Acts). Les actes de langage peuvent dès lors être classées, selon la face menacée
du locuteur ou de l’allocutaire, en quatre catégories :

— FTAs pour la face positive du locuteur (autocritique)


— FTAs pour la face négative du locuteur (promesse qu’il fait à ses dépens)
— FTAs pour la face positive de l’allocutaire (insulte, critique)
— FTAs pour la face négative de l’allocutaire (question indiscrète, ordre, etc.).

La politesse apparaît donc pour ces auteurs comme un désir mutuel de préserver toutes
les faces, ce que l’on peut faire à travers un certain nombre de stratégies de politesse.

Dans la révision que Kerbrat-Orecchioni fait du modèle brown-levinsonien, elle


remarque surtout le caractère négatif de cette conception, qui ne considère que les seuls actes
menaçants pour les faces, alors que « sont aussi produits dans l’interaction des anti-FTAs, qui
ont sur les faces une action franchement positive » (Kerbrat-Orecchioni, 1992 : 176). Elle
propose d’ajouter, comme complément des FTAs, la notion de FFA (Face Flattering Act), ou
« acte valorisant pour la face » (Kerbrat-Orecchioni, 1996b : 54), tel que peut l’être par
exemple un compliment. La distinction entre ces deux types d’actes permet de diviser la
politesse en :

— politesse négative : de nature abstentionniste ou réparatrice ; elle consiste à éviter


de produire un FTA ou à en atténuer la réalisation ;
— politesse positive : de nature productionniste ; elle consiste à effectuer des FFA,
pour la face négative (cadeau), ou positive (compliment).

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La politesse cherche prioritairement à maintenir ou à renforcer les faces de


l’interlocuteur, mais elle n’exclut pas la protection des faces du locuteur lui-même. Or, dans
ce cas, elle est socialement limitée à la politesse négative (éviter d’exposer ses faces, de
s’autodégrader), la valorisation de ses propres faces (ex : auto-éloge) étant perçue comme un
acte d’impolitesse.

Le principe de politesse ajoute donc au principe de coopération une prise en compte de


la dimension sociale de la communication. Pour Grice, l’objectif de la communication est
celui d’obtenir une efficacité maximale. Pour les tenants du principe de politesse, cette
efficacité se trouve subordonnée à la préservation des relations interpersonnelles, l’enjeu
relationnel s’imposant à l’enjeu informationnel. Or, la primauté de l’un ou de l’autre dépend,
évidemment, de la nature de l’échange : dans une conversation quotidienne, c’est sans doute
le plaisir de la rencontre que l’on recherche et la politesse joue depuis lors un rôle
fondamental ; dans une conférence, par contre, c’est le contenu des propos qui importe le
plus, et le principe de coopération s’imposera à la dimension interpersonnelle. Chacun de ces
buts —information, relation— met en oeuvre diverses stratégies que nous pouvons envisager
sous deux rubriques essentielles, quitte à les regrouper ensuite sous le terme générique de la
négociation.

3. Stratégies de la communication orale

3.1. Enjeu relationnel : stratégies de politesse

Les stratégies de politesse peuvent être divisés en deux grands groupes, selon qu’elles
relèvent de la politesse négative, de nature essentiellement abstentionniste ou réparatrice,
selon les cas, ou qu’elles reflètent la politesse positive, à caractère productif.

— stratégies de politesse négative :


1.— prévention: elle consiste à éviter des contacts où une menace de la face —de
l’interlocuteur ou du locuteur— est susceptible de paraître Dans cette catégorie on peut
inclure aussi bien les actions visant à éviter directement le contact que les actions qui
consistent à faire semblant que la menace ne s’est pas produite. C’est ce qui a lieu par
exemple quand on se sent gêné et que l’on change, plus ou moins subtilement, de thème
de conversation.

2. — atténuation : la prévention n’est pas toujours possible. Si l’acte menaçant a été


accompli ou s’il est envisagé comme inévitable, le locuteur essaiera d’en atténuer la
portée, à l’aide de divers « adoucisseurs » (Kerbrat-Orecchioni, 1996b : 54-58) :
— non verbaux : sourire, clin d’oeil, inclinaison latérale de la tête, qui
accompagne souvent les requêtes, etc.
— verbaux : formulation indirecte des actes de langage (question pour requête),
imparfait de politesse, minimisateurs (je voulais juste...), excuses, litote,
euphémisme, etc.

— stratégies de politesse positive : elles impliquent tout acte ayant pour le destinataire
un caractère essentiellement bénéfique —compliment, cadeau, invitation, formule votive ou
de bienvenue, etc. Contrairement aux actes menaçants, qui doivent être adoucis, les actes
favorisant l’interlocuteur tendent à être hyperbolisés et renforcés (« merci mille fois ! » « t’es
super belle ! »)

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3.2. Enjeu informationnel : stratégies d’expression et d’interprétation

Lorsque le but premier de la communication se ramène à l’efficacité de la transmission


des informations, le principe de coopération gricéen est plus strictement respectée. Le
locuteur cherche depuis lors à rendre son discours clair, cohérent, pertinent, afin de
permettre à son interlocuteur un accès immédiat au sens. Il jouit à cet égard d’un avantage
incontestable : la présence de son interlocuteur qui, par ses réactions verbales et non verbales,
lui transmet constamment des informations concernant l’interprétation de son discours. Le
locuteur peut ainsi le modifier au besoin. Les stratégies qu’il adopte relèvent dans ce cas de la
« réparation- reformulation », que celle-ci soit entamée à sa propre initiative, ou suite à une
demande de l’interlocuteur :

—lorsque la réparation est entamée par le propre locuteur, on trouve des procédés tels que
les hésitations, les reprises visant à gagner du temps pour formuler sa pensée de façon plus
explicite, les reformulations du type je veux dire que.., les corrections instantanées après un
faux départ, etc.

—en ce qui concerne les réparations entamées par l’interlocuteur, elles empruntent en
général la forme de questions du type pardon? comment? quoi? Qu?est-ce que tu veux dire?
Qu’est-ce que tu entends par là? ou de paraphrases et reformulations de son partenaire du
type tu veux dire que..., j’imagine.

Le locuteur doit également veiller à ce que l’interlocuteur reste « branché » et


comprenne le sens du discours qui lui est adressé. Il déploie à cet égard des stratégies de
vérification à l’aide de questions (tu me suis ? tu saisis ? vous comprenez ?), et de phatèmes.

Quant à l’interlocuteur, il ne peut de toute évidence rester passif. S’il est constamment
sollicité par le locuteur à l’aide de phatèmes et de questions, c’est que le sens naît d’une co-
construction. En effet, l’interaction conversationnelle constitue un cas particulier de
communication, dans la mesure où la planification et la production du discours ne relèvent
plus du seul locuteur, mais que celui-ci doit à tout instant tenir compte de son allocutaire.
Comme le note J.-P. Bronckart, il s’agit « d’une planification co-gérée […], planification qui
échappe souvent à la conscience même des coproducteurs » (Bronckart, 1994 : 52). De ce fait,
les phases de production et de compréhension ne sont plus nettement dissociées, comme dans
le cas de réception d’un discours écrit, mais elles se déroulent parallèlement et de façon
partiellement simultanée :

On peut aussi penser que le processus de compréhension chez l’auditeur chevauche partiellement les
phases initiales de son processus de production, s’il veut réagir immédiatement à son interlocuteur,
comme il l’est normalement concevable en situation d’interaction verbale. Cela signifie que l’auditeur, en
construisant le sens de l’énoncé que son interlocuteur est en train d’achever oriente déjà son attention vers
la planification du thème de sa propre énonciation. (H. Kayser, 1988 :139).

Par ailleurs, la présence simultanée des interlocuteurs est susceptible d’introduire des
changements dans les paramètres de la situation de communication, ce qui oblige parfois à des
réajustements :
[…] s’ils sont déterminés par les données contextuelles, les événements conversationnels ne cessent en
même temps de remodeler ces données : fixé à l’ouverture de l’interaction, le contexte est aussi construit
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au fur et à mesure que celle-ci progresse ; définie d’entrée, la situation est sans cesse redéfinie par la
façon dont sont manipulés les signes échangés (Kerbrat-Orecchioni, 1992 : 37)

Ceci implique :

1.— que le récepteur combine des stratégies d’interprétation (inférences lui


permettant d’accéder au sens du message) et des stratégies de feedback, de nature
généralement non verbale (afin de ne pas interrompre le déroulement du discours), visant à
signaler au locuteur ses progrès dans le processus interprétatif (« je te suis », « je ne
comprends pas », « je suis d’accord », « je ne suis pas d’accord »).

2.— que les deux interlocuteurs s’engagent dans un processus constant de négociation
concernant non seulement les procédés d’expression et d’interprétation (vérification des
connaissances de l’autre, reformulation au besoin), mais aussi la gestion des prises de parole
et des thèmes du discours.

3.3. La négociation

La plupart des auteurs signale que ce qui caractérise les interactions verbales c’est le
processus de négociation :
En effet, ce qu’on observe quand on étudie attentivement les conversations authentiques, ce n’est pas
seulement une interaction, mais une véritable négociation entre les interlocuteurs (E. Roulet, 1991 : 14).

Le sens d’un énoncé est le produit d’un « travail collaboratif » […], il est construit en commun par les
différentes parties en présence – l’interaction pouvant alors être définie comme le lieu d’une activité
collective de production du sens, activité qui implique la mise en œuvre de négociations explicites ou
implicites (Kerbrat-Orecchioni, 1990 :28-29)

Or, qu’entend-on au juste par négociation ? Pour comprendre ce concept, il faut d’abord
admettre que l’espace de la parole est un espace potentiellement conflictuel, où des problèmes
de compréhension, des menaces et des ruptures sont toujours susceptibles de paraître, d’où le
besoin d’un travail « collaboratif », c’est-à-dire d’un engagement, d’une coopération, et le
respect des normes de la politesse. Ces normes concernent aussi bien les mécanismes de prise
de parole que la gestion de l’objet de discours. On sait ainsi, par exemple, que l’on ne doit pas
interrompre l’autre pour prendre la parole n’importe comment, que l’on ne doit pas imposer à
l’autre un sujet de conversation susceptible de le gêner particulièrement, que certains actes de
parole sont « impolis » dans certaines circonstances, etc. De ce point de vue, la négociation
concerne à tout instant le degré d’adéquation de nos interventions. Elle s’inscrit dans le cadre
des grands principes généraux qui gouvernent tout échange communicatif, le principe de
coopération et le principe de la politesse, et s’applique à tout aspect de l’interaction : toute
prise de parole, tout changement de ton, de sujet, de rôle, toute modification dans la
relation interpersonnelle, etc. doit faire l’objet d’une négociation, d’un accord entre les
interactants.

— négociation des tours de parole : l’alternance des tours de parole se fonde sur un
système de droits et de devoirs selon lequel le locuteur a le droit de garder la parole, mais
aussi l’obligation de la céder à un moment donné ; l’interlocuteur a le devoir de laisser parler
le locuteur, le droit de demander la parole, et le devoir de la prendre quand le locuteur la lui
cède. Dans l’exercice de leurs droits et devoirs, les interactants déploient tout un éventail de
signaux verbaux et non verbaux (hochements de tête, gestes des mains, expressions du visage,

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mouvements du corps, signaux acoustiques [intonation, rythme, pauses...]) visant à signifier


qu’ils sont prêts ou pas à céder la parole à l’interlocuteur, qu’ils veulent intervenir ou qu’ils
refusent par contre de prendre la parole :
on annonce qu’on va prendre la parole […], ou on interrompt dès qu’on reconnaît une césure naturelle
dans le discours de l’interlocuteur […], on encourage son partenaire en donnant des signes qu’on a
compris et qu’on est d’accord avec ce qu’il dit […], on montre qu’on lui laisse la parole en cessant de
parler […] ou en donnant des signes d’hésitation qui l’invitent à offrir de l’aide […], on évite les
interruptions prématurées en construisant son tour de parole de telle manière que l’interlocuteur
comprenne qu’on n’est pas encore prêt à lui céder la parole. Les marqueurs d’hésitation « euh »,
« ben », les faux départs […], les formules atténuantes [disons, bon ben, en fait...], les répétitions […]
et paraphrases […], les parenthèses […] servent à garder la parole et à gagner du temps pour formuler
sa pensée ou en corriger la formulation en prévision de malentendus potentiels (Kramsch, 1991 : 20).

Le respect des normes conversationnelles implique que l’alternance des tours de parole
soit un rituel négocié, que chacun puisse intervenir à un moment donné. Mais il se peut,
évidemment que la négociation échoue, soit que L1 ne cède pas la parole à L2, soit que celui-
ci décide d’interrompre L1 au lieu d’attendre son tour.

— négociation des thèmes de discours : bien que la « conversation à bâtons rompus »


paraisse à première vue anarchique, c’est le contexte, le « déjà dit », qui indique dans une
large mesure quels sont les thèmes susceptibles de paraître :

Si la situation extérieure affecte de manière décisive le comportement verbal et non-verbal des


interlocuteurs, le contexte interne, créé par la communication elle-même, joue un rôle fondamental dans
les choix thématiques. Ce contexte établit un champ d’action intersubjectif entre les interlocuteurs qui
partagent des connaissances communes (présupposés culturels, expérience du monde) et se construisent
une commune représentation du monde (information partagée pendant l’interaction). C’est donc le
contexte interne de la communication qui permet aux interlocuteurs de faire des plans pour la
transmission et la réception du message, c’est-à-dire pour le ménagement des thèmes du discours. Ces
plans […] reflètent les décisions du locuteur quant au degré d’information qu’il peut supposer chez son
interlocuteur. Sous-estimer les connaissances de l’interlocuteur peut être insultant, les surestimer peut
causer des problèmes de communication. Les interlocuteurs doivent constamment évaluer ce qui est
nouveau et ce que l’interlocuteur sait déjà de par le contexte verbal et non-verbal de la communication
(Kramsch, 1991 : 15)

Le « déjà dit » peut concerner non seulement le contenu d’une interaction concrète,
mais aussi celui de l’histoire conversationnelle commune. Il constitue pour les interactants
aussi bien un arrière-plan de connaissances partagées qu’un horizon d’attentes qui s’articule à
la nature des relations interpersonnelles (si la relation est hiérarchique ou non-familière, on
s’attend à des sujets impersonnels et généraux) et aux paramètres spatio-temporels (avec la
même personne, on parle différemment si la rencontre a lieu dans un « site » institutionnel ou
dans un café, par exemple) pour déterminer le choix des thèmes plausibles de paraître dans
une interaction concrète. Il va sans dire que tout changement dans ces paramètres doit être
signalé par celui qui l’entreprend, et accepté par son allocutaire, s’ils veulent au moins que la
communication réussisse.

Enfin, on peut signaler que la gestion des thèmes abordés et développés obéit également
à une contrainte thématique (F. Jacques, 1988 : 58-59), qui résulte en quelque sorte de la
conjonction du principe de pertinence et du principe de politesse. La pertinence contraint à un
traitement des sujets qui exige le minimum de coût cognitif, ce qui implique que l’on
s’abstienne d’effectuer des changements brusques de sujet ou alors qu’on les introduise de
manière adéquate. La politesse, de son côté, enjoint non seulement de projeter une image de
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soi favorable tout en essayant de respecter celle des autres, mais aussi d’aborder des sujets
susceptibles d’intéresser tous les interactants et d’éviter en même temps les thèmes frappés
d’interdiction dans une situation donnée —questions indiscrètes, discours exclusivement auto-
centrés et autres tabous conversationnels dont témoigne par exemple l’emploi fréquent
d’euphémismes.

4. Routines et formules habituelles de la communication orale

Du point de vue de la forme du message, il est évident que la « mise en paroles » d’un
projet communicatif implique à tout instant un choix des formules qui s’adaptent le mieux
aux intentions de communication, mais aussi aux paramètres de la situation (relation avec
l’interlocuteur, image que l’on se fait de lui, données spatio-temporelles, etc.). Ce choix est
opéré à tous les niveaux : à celui des contenus sémantiques, des formes morphosyntaxiques,
des schémas intonatifs, etc. Or, parmi ces formulations linguistiques, il y en a qui sont
fortement ritualisées et qui constituent ce que l’on connaît comme routines.

Ces routines sont facilement repérables au niveau de ce que l’on appelle séquences
phatiques d’ouverture et de fermeture d’un dialogue (t. 35), c’est-à-dire la façon d’entamer
et de conclure un échange dialogal, et elles sont normalement constituées par des paires
adjacentes du type : bonjour/bonjour ; salut ça va?/ oui, ça va ; comment allez vous?/très
bien, et vous même?; au revoir/au revoir ; à bientôt/à bientôt.

Si en général ces paires adjacentes fonctionnent de façon symétrique: bonjour/bonjour,


il n’en reste pas moins que la situation de communication et le statut respectif des interactants
peut justifier des dissymétries, par exemple: Salut André! / bonjour M. le Directeur.

Ces routines apparaissent également dans des échanges plus ou moins typifiés tels que,
par exemple :

— les conversations téléphoniques: allô! ; je voudrais parler à... ; c’est de la part de


qui? Qui est l’appareil ?; pouvez-vous épeler votre nom s’il vous plait ?; Je
regrette, il/elle n’est pas là, pouvez-vous rappeler plus tard?; Pouvez-vous
patienter un instant ?; Voulez-vous laisser un message ? ; Désolé(e), je crois que
vous faites erreur ; ne quittez pas, je vous le passe, etc.
— les interactions dites « de service » (au restaurant, à l’hôtel, à la gare, au guichet de
vente, etc.), qui se conforment pour l’essentiel à ce que l’on connaît comme des
« scripts » de déroulement, comprenant en général des phases successives (accueil
du client, prise en charge, examen de ses besoins, proposition de services) qui
comportent aussi pas mal de routines et de formules fixes : En quoi puis-je vous
aider ? Que puis-je pour vous ? Que désirez-vous ? Permettez-moi de vous
conseiller,... Voilà monsieur/ madame, etc.

Enfin, les routines se manifestent également dans le cadre de ce qu’on appelle les
macro-fonctions linguistiques (t. 26) visant à transmettre une visée illocutoire déterminée :

— s’excuser/excuser quelqu’un: pardon/ ce n’est rien ; excusez-moi/ce n’est pas


grave ; je suis désolé/ ça ne fait rien ; je vous présente mes excuses...

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— exprimer son accord/désaccord: d’accord/pas question ; OK/pas du tout ; je suis


pour/je suis contre, etc.
Conclusion

« Communiquer » est un processus beaucoup plus complexe que ne le laissent


supposer nos habitudes langagières. Il ne s’agit point seulement de l’utilisation d’une langue
concrète en vue de la construction d’un message. Les études sur la communication ont mis en
évidence que celle-ci fait intervenir non seulement le code linguistique, mais aussi des
normes et des principes socioculturels, des données relationnelles, psychologiques, spatio-
temporelles, des données non verbales... Nous devons en somme manier simultanément un
tel nombre de variables que l’on s’étonne que la communication réussisse. Et cependant elle
réussit le plus souvent.

En effet, nous sommes constamment inscrits dans divers « circuits » de communication


que nous maîtrisons de façon inconsciente pour la plupart du temps, grâce à des stratégies
progressivement acquises au cours de notre développement cognitif : stratégies de politesse,
d’expression, d’interprétation, de négociation, et grâce aussi à l’acquisition de divers
modèles discursifs, accompagnés des routines et formules qui s’y rattachent, qui nous
permettent d’assurer l’adéquation de nos propos à la situation de communication.

Si nous faisons porter ces réflexions sur le domaine de l’acquisition d’une langue
étrangère, il devient vite évident que la communication en langue étrangère ne saurait, pas
plus qu’en langue maternelle, se réduire à la mise en exercice de la langue. C’est pour cette
raison que l’on ne peut pas borner l’acquisition au seul apprentissage du « code linguistique »
avec son lexique et ses règles phonétiques, grammaticales, syntaxiques. Cette compétence
doit nécessairement être élargie par l’acquisition parallèle de compléments discursifs,
socioculturels et stratégiques qui permettent d’obtenir en langue étrangère les mêmes
capacités communicatives que nous déployons en langue maternelle. C’est ce que les
approches communicatives en didactique des langues étrangères ont mis en évidence, en se
marquant comme objectif l’acquisition d’une compétence de communication, non seulement
d’un savoir, mais aussi d’un savoir faire intégrant toutes les composantes de la
communication. Si l’apprenant jouit, à cet égard, d’un avantage incontestable, fourni par la
compétence déjà acquise en langue maternelle, qui lui permet d’affronter quotidiennement
avec succès des centaines d’échanges communicatifs, il n’en demeure pas moins que
l’acquisition de l’oral ne peut pas être limitée à la seule activité productrice. Celle-ci constitue
un enjeu fondamental dans le cadre de l’enseignement/apprentissage d’une langue, mais elle
doit s’accompagner d’une aptitude également développée en ce qui concerne la
compréhension des discours oraux, ce qui passe par un entraînement à l’écoute à travers une
exposition convenable aux discours produits en langue étrangère dans des situations réelles de
communication.

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