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Analyses critiques

coordonnées par Sabrina Aouici


Dans Retraite et société 2021/2 (N° 86), pages 229 à 238
Éditions Caisse nationale d'assurance vieillesse
ISSN 1167-4687
ISBN 9782858231270
DOI 10.3917/rs1.086.0230
© Caisse nationale d'assurance vieillesse | Téléchargé le 17/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.224.56.74)

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n o t e s
de lecture
A N A LYS E S CRI T I Q U ES coordonnées par Sabrina Aouici, Cnav
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Vieillir en Tunisie
Sofiane Bouhdiba, Paris, L’Harmattan, 2017, 203 p.

Le livre Vieillir en Tunisie de l’auteur Sofiane Bouhdiba, paru en 2017 aux éditions
L’Harmattan, se termine par cette phrase : « En Tunisie, les Vieux ont gagné. » Étonnant
constat, qui ne semble pas résulter directement de l’analyse, en particulier statistique,
faite par l’auteur tout au long de cet ouvrage grand public, composé de quatre parties :
Le vieillissement ; Vieillir, et après ; Vivre et mourir vieux ; Perspectives.

Le viellisement

Le premier chapitre traite du vieillir, de sa définition, des multiples signes morpholo-


giques et sociaux qui le caractérisent. De la sexualité aux tenues vestimentaires, l’au-
teur tente d’aborder la question du vieillir en soulignant ses particularités. « En Tunisie,
plus qu’ailleurs, l’entrée en vieillesse (pour les femmes) est intrinsèquement liée à la
ménopause » (p. 26). Au-delà du débat que ce type d’affirmation risque de susciter
chez les féministes tunisiennes, elle a le mérite de rappeler que vieillir relève en par-
tie de la subjectivité.

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S’appuyant ensuite sur le dernier recensement de la population tunisienne datant de


2014, l’auteur, professeur de démographie, brosse un portrait du vieillissement démo-
graphique tunisien (chapitres II à IV). Il apparaît que le pourcentage de personnes de
60 ans et plus (12,1 % de la population tunisienne en 2014) a augmenté de 3 points
depuis le recensement précédent (2004). Pas « grand-chose », dit l’auteur, mais un « vieil-
lissement inéluctable » (p. 55), qui s’explique par trois facteurs : la chute de la fécondité
depuis 1980, passée de quasiment 6 à 2,4 enfants par femme lors du dernier recense-
ment ; l’augmentation de l’espérance de vie (40 ans en 1960, 78,5 ans pour les femmes
et 73,8 ans pour les hommes en 2014) ; enfin, le phénomène migratoire. Toutefois, mal-
gré ce processus, force est de constater que la fécondité augmente depuis 2010 et que
le solde migratoire est difficilement renseigné par le recensement tant les flux de migrants
et refugiés sont incontrôlés. Par ailleurs, l’auteur n’affirme-t-il pas que « le vieillissement
démographique n’est pas irréversible » (p. 35) ?

Sur les personnes âgées en Tunisie, Sofiane Bouhdiba nous apprend qu’elles habitent
en majorité dans les régions le plus déshéritées, qu’elles souffrent dans une très grande
proportion (44,2 %) d’analphabétisme, et que la moitié d’entre elles seulement béné-
ficient d’une couverture sociale (49,9 %). Force est de constater que « si les vieux ont
ainsi gagné » (p. 191), c’est toute la société qui a perdu.
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Vieillir, et après ?
La deuxième partie de l’ouvrage (chapitres V à VII) aborde différents aspects de la vie
des personnes âgées en Tunisie aujourd’hui. L’auteur met l’accent sur les bouleverse-
ments des rapports intergénérationnels. L’hypothèse forte est celle de l’effritement des
solidarités familiales et des écarts de trajectoire entre les ascendants et les descendants.

Du fait de la crise tunisienne d’abord, les « seniors d’aujourd’hui (…) ne reçoivent pas
l’équivalent de ce qu’ils avaient apporté à leurs enfants ». Selon l’auteur, qui adopte
ici un raisonnement fondé sur le don et le contre-don, les dettes entre générations ne
sont pas facilement honorées. Les bouleversements des rapports entre générations pro-
cèdent également des changements démographiques, en particulier de la diminution de
la natalité et de l’augmentation de l’espérance de vie. Cette idée d’un relâchement des
liens intergénérationnels n’est toutefois pas pleinement démontrée par la suite : l’auteur
lui-même signale l’apparition du phénomène de « nid doré », des jeunes dont l’âge du
mariage avoisine désormais les 30 ans, vivant encore chez les parents et grands-parents.
Ou encore, ces marques de respect envers les personnes âgées, toujours visibles selon
l’auteur, mais en déclin.

Autre preuve de cette cohabitation intergénérationnelle : les chiffres avancés concernant


les résidents des maisons de retraite (chapitre VI). D’après l’auteur, 700 seniors résident
aujourd’hui dans les maisons de retraite, dont la capacité d’accueil au niveau national
est de 725 lits. Comme l’admet finalement l’auteur, « la maison de retraite se heurte à
de nombreux freins culturels » (p. 111).

Le carré familial, construit à partir de la maison paternelle, et les revenus (salaires, patri-
moine, retraites et pensions) sont traités dans les chapitres VI et VII, en lien avec la ques-
tion de la retraite. En Tunisie, l’âge légal de départ à la retraite est de 60 ans ; le taux de
couverture, c’est-à-dire la part de la population salariée cotisante, est de 80 %. On com-
prend qu’environ 50 % de la population âgée bénéficie d’une retraite ou d’une pension.

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Les 944 092 pensions et retraites sont financées par un peu moins de 3 millions de tra-
vailleurs. Le lecteur regrettera ici le manque d’informations concernant la répartition
hommes/femmes (l’auteur signale que « les Tunisiennes ont été moins souvent officiel-
lement actives » [p. 118], mais sans en préciser davantage) et de chiffres concernant les
montants de retraite.

La question patrimoniale, essentielle pour comprendre la « domination économique


des seniors » (p. 96), les modes d’héritage et enfin la question de la distribution des
richesses entre les personnes âgées et le reste de la population sont évoqués très rapi-
dement. Des données chiffrées seraient, à ce stade, nécessaires.

Une place importante est faite aux chibani, les travailleurs tunisiens migrants (chapitre VII).
L’auteur convoque les travaux de sociologues des migrations pour formuler l’idée du
déracinement, d’une vie dure, de l’impossible retour pour des raisons de santé ou de
famille. Il évoque la législation française aussi, en particulier le dispositif d’aide à la ré-
insertion sociale et familiale des anciens migrants dans leur pays d’origine (ARFS), et les
conséquences sociales de l’acceptation de celle-ci. Ici encore, nous regrettons le manque
de données quantitatives concernant l’ampleur de ces phénomènes. Ce d’autant plus
que la question des transferts monétaires est trop rapidement évoquée dans le chapitre
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concernant la solidarité intergénérationnelle (partie II).

Vivre et mourir vieux


Cette partie aborde la santé et les maladies des seniors. D’après plusieurs enquêtes (non
citées par l’auteur), 5 % des personnes âgées de 65 ans et plus sont en situation de totale
dépendance. Selon des estimations de l’espérance de vie sans incapacité (EVSI) citées
par l’auteur, une Tunisienne âgée de 80 ans peut vivre encore quatre ans et demi en
bonne santé, puis encore trois ans en dépendant entièrement des autres, alors que pour
les hommes, cette dernière période est plus courte (un an et demi). C’est vers l’âge de
85 ans que la dépendance commence. Parmi les pathologies invalidantes, l’auteur cite
les maladies ostéo-articulaires, les arthroses et les maladies endocriniennes. Les maladies
cardiovasculaires constituent, quant à elles, la première cause de mortalité après 85 ans
(suivie, dans l’ordre d’importance, par la sénilité, les maladies respiratoires et endocri-
niennes, les cancers et les morts violentes). Le suicide à ces âges est rare (27 personnes
de plus de 60 ans en 2015), souligne l’auteur, témoignant encore de la force du lien
social et familial. L’importance et le rôle de la famille sont ici remarqués alors que l’au-
teur insiste pour décrire une société moins tolérante vis-à-vis des aînés.

Dans le chapitre XI intitulé « Autour de la mort du vieux », l’auteur souligne qu’il était
impensable, il y a quelques années, de mourir à l’hôpital, alors qu’aujourd’hui le vieillard
meurt le plus souvent en salle de réanimation ou dans un service de gériatrie. Le lecteur
regrettera là encore le manque de données quantitatives pour appuyer ce propos et
l’ampleur de ce phénomène, mais aussi l’absence d’analyse en termes d’inégalité terri-
toriale ou de catégories sociales. Ces lacunes sont aussi visibles dans la partie sur le veu-
vage (p. 164-168). Nous pouvons concevoir que les veuves sont plus nombreuses que
les veufs, mais il conviendrait de le montrer. Outre le facteur démographique, l’auteur
dit que « la société tunisienne voit d’un très mauvais œil, voire exclut, une femme qui
refait sa vie après la perte de son époux ». L’auteur cite une phrase sur la pratique du

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« lévirat1 », sans que l’on sache quelle est cette « société » dont il parle et qui pratique
le lévirat en Tunisie. Ces généralités et imprécisions se doublent malheureusement de
données parfois très anciennes : l’enquête nationale médicosociale sur l’état de santé
et les conditions de vie des personnes âgées de 65 ans et plus vivant à domicile, mobili-
sée ici pour décrire un différentiel d’intégration selon les genres à travers les visites des
proches, date par exemple de 1996.

Perspectives
La dernière partie de l’ouvrage propose dans le premier de ses deux chapitres des pro-
jections démographiques annonçant « un gonflement rapide des tranches d’âges éle-
vées » (p. 170). La crise du Covid-19 a fait officiellement neuf mille morts et a remis hélas
en cause ces exercices prévisionnels, nous invitant au passage à une plus grande prudence
concernant ces approches prédictives. Le dernier chapitre traite des réponses aux ques-
tions du vieillissement. Outre la partie sur les « attitudes » du bien ou mal-vieillir, l’auteur
évoque les dispositifs politiques des différents gouvernements sur la population de plus
de 60 ans, en particulier la loi de 1994 relative à la protection des personnes âgées et les
différents programmes du gouvernement, comme la promotion de la santé mentale, la
création des structures de soin à domicile et l’introduction de programmes d’étude des
facultés de médecine. D’après l’auteur, ces mesures s’essoufflent depuis les années 2000,
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créant néanmoins une catégorie d’âge et un marché en direction des personnes âgées.

La conclusion, très brève, revient sur une hypothèse avancée par l’auteur – mais non
démontrée – d’une société en transformation, où les jeunes connaissent la pauvreté alors
que les vieux vivent une « amélioration spectaculaire ». Si l’ouvrage propose une vision
vulgarisée et accessible à tous du vieillissement en Tunisie, en fin de compte, nous ne
savons pas grand-chose sur le profil de ces vieux qui ont gagné, ni même s’ils ont gagné...
Par Roxana Eleta de Filippis
Maîtresse de conférences-HDR en sociologie à l’université Le Havre Normandie
UMR IDEES 6266

Maladie d’Alzheimer et troubles apparentés.


Accompagner autrement avec les interventions
psychosociales
Kevin Charras, éditions In Press, 2020, 314 p.

L’ouvrage écrit par Kevin Charras s’inscrit dans une réflexion au long cours, engagée
depuis plusieurs années par l’auteur dans le cadre de son doctorat en psychologie envi-
ronnementale et à travers ses différentes expériences professionnelles. Il nous livre ses
observations et remarques sur l’accompagnement des personnes atteintes de la maladie
d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée à travers la mise en place des interventions
psychosociales et environnementales. Ces solutions non médicamenteuses visent à amé-
liorer la qualité de vie, le fonctionnement psychologique et social des personnes avec
une démence ainsi qu’à préserver leurs capacités. Elles mettent en œuvre le travail de
différents professionnels du soin tels que des psychologues, des psychomotriciens,
des kinésithérapeutes, des orthophonistes, etc. La réflexion de Kevin Charras est ainsi

1. Le lévirat est un type particulier de mariage où le frère d’un défunt épouse la veuve de celui-ci, afin
de poursuivre la lignée.

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Notes de lecture / Analyses critiques

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profondément d’actualité depuis la décision du Conseil d’État du 16 décembre 2019


de ne plus rembourser les médicaments anti-Alzheimer, mettant par la même occasion
en lumière l’intérêt de ce type d’approches.

Loin d’un simple recensement des possibles interventions, l’auteur interroge les pra-
tiques et les modalités actuelles d’accompagnement des personnes malades. S’il qua-
lifie son propre style « d’arrogant » (p. 15), les questions posées en préambule de son
ouvrage illustrent la démarche réflexive qui l’anime et qu’il souhaite transmettre à son lec-
teur. Comme il le résume, « les opinions émises dans cet ouvrage ne sont pas forcément
à prendre au pied de la lettre. Il appartient au lecteur de se faire son propre avis, en
confrontant sa réalité avec les idées, les principes et les faits exposés tout au long de
son travail » (p. 16). L’objectif est donc bien de présenter l’intérêt que les approches
psychosociales et environnementales peuvent avoir dans l’accompagnement des per-
sonnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de troubles apparentés, mais aussi – et
c’est l’un des points forts de ce travail – de mettre en discussion les conditions néces-
saires à leurs mises en œuvre.

Cinq chapitres organisent l’ouvrage, et après lecture, trois points peuvent retenir par-
ticulièrement l’attention du lecteur : le rapport de nos sociétés à la « démence » et la
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réalité des personnes qui vivent avec ; la complémentarité entre les interventions psy-
chosociales et l’accompagnement médicamenteux de la maladie ; les conditions de leur
mise en œuvre, de leur prescription à leur évaluation.

La personne derrière la démence


Dans la première partie de son ouvrage, Kevin Charras s’interroge et nous interroge sur
notre rapport à la démence et notre compréhension de la réalité vécue des personnes
qui en souffrent. Le terme de démence n’est pas choisi au hasard et fait l’objet d’une
attention particulière de la part de l’auteur, qui le considère comme le plus adéquat
pour qualifier les personnes atteintes car « renvoyant à une nosographie médicale
large » (p. 19) associée aux troubles cognitifs. La « démence » qualifie donc avant tout
un problème de santé et non pas une condition mentale proche de la folie comme cela
peut être le cas du terme « dément ». En ce sens, Kevin Charras choisit, tout au long de
son ouvrage, de parler de « personne avec une démence » ou de « personne vivant
avec une démence ». Mêlant intelligemment métaphores, comparaisons et extraits de
prises de parole de personnes malades, l’auteur nous plonge au cœur des situations
vécues quotidiennement et nous amène à faire preuve d’empathie. L’objectif de cette
approche n’est pas seulement de « se mettre à la place de » mais aussi de questionner
les pratiques professionnelles en vigueur et de saisir l’importance des facteurs psycho-
logiques, sociaux et environnementaux dans l’accompagnement des personnes malades.

L’intérêt de cette partie, au-delà de sa visée informative, est de replacer la personne


au cœur de son accompagnement, rappelant à juste titre que la mise en œuvre des
interventions psychosociales est à destination d’individus vivant la démence chacun à
leur manière. C’est donc une démarche profondément humaniste que l’auteur défend
ici, démarche qui aide à recontextualiser les modalités d’application des interventions
psychosociales et à rappeler que derrière la démence se trouvent des personnes ayant
des besoins particuliers et individualisés. Une volonté qui se lit notamment dans l’organi-
sation du propos de Kevin Charras, où l’exposé des diverses situations précède une pré-
sentation plus scientifique et médicale de la démence à travers « les critères diagnostiques

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et la sémiologie [qui] ont également leur importance dans l’accompagnement des per-
sonnes vivant avec une démence » (p. 61). Il cherche ainsi à ne pas opposer l’approche
psychosociale et l’approche clinique et scientifique de la maladie, mais bien à souligner
leur complémentarité.

Les interventions psychosociales : définitions, objectifs et mise en œuvre


Le second point marquant du travail de Kevin Charras tient dans la définition des inter-
ventions psychosociales et de leurs objectifs. L’auteur souligne dans un premier temps
la difficulté qu’il peut y avoir à définir ce type d’interventions, dont le sens varie par-
fois en fonction des acteurs qui les portent et les mettent en œuvre, mais aussi et surtout
parce qu’elles sont souvent qualifiées par le terme générique de « thérapies non médi-
camenteuses ». Pour l’auteur, ce terme « renvoie à une opposition irraisonnée à tout ce
qui pourrait être médicamenteux, voire médical alors que la complémentarité même de
ces approches se trouve probablement dans leur interdépendance par la facilitation de
l’action de l’une par l’intermédiaire de l’autre » (p. 114). Kevin Charras souligne l’im-
portance d’une approche globale de la personne et de sa prise en charge. Il rappelle
aussi, dans la suite de son propos, que la mise en œuvre des interventions psychosociales
ne doit pas nécessairement se faire dans une approche curative ou thérapeutique, au
risque de décevoir la personne malade et son entourage, mais bien dans une perspec-
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tive générale d’« amélioration de la qualité de vie, du fonctionnement psychologique et
social, ainsi que la maximisation des capacités préservées dans le cadre de déficits détec-
tés » (p. 122), reprenant la définition proposée par l’American Psychiatric Association.

Kevin Charras nous alerte aussi sur la nécessité de ne pas penser l’intervention psycho-
sociale comme étant sans conséquence sur la personne et rappelle qu’elle doit être mise
en œuvre par des professionnels et prescrite en fonction des particularités de chaque per-
sonne, nécessitant la définition d’indications et de contre-indications. Elle doit répondre
aux besoins de chacun, dans une perspective de personnalisation de la prise en charge.
L’auteur souligne également la dimension multifactorielle des interventions psychoso-
ciales et environnementales, qui ne se limitent pas au temps de l’action mais dont les
retombées peuvent être plus importantes pour les personnes malades et leur entourage.
Surtout, il alerte sur l’importance des conditions de réalisation de ce type d’interven-
tion et les prérequis tant sociaux, physiques, qu’organisationnels nécessaires à leur bon
déroulement. Ce n’est qu’après avoir cadré ces différents éléments que Kevin Charras
détaille les différents types d’interventions disponibles pour les personnes souffrant
d’une démence et en effectue une classification rigoureuse : ne se limitant pas à une
liste, il s’évertue pour chacune à en expliquer les fondements historiques et à présen-
ter les différentes études sur le sujet, à rappeler l’intérêt pour les personnes malades et
les conditions de leur mise en œuvre. Les « interventions psychosociales à visée envi-
ronnementale » (p. 201) décrites par l’auteur paraissent particulièrement intéressantes
à discuter ici. À partir de travaux menés en psychologie environnementale, en socio-
logie ou encore en architecture, Kevin Charras démontre l’importance de l’espace et de
sa conception dans l’amélioration de la qualité de vie des personnes malades. Mettre
l’accent sur ce type d’intervention permet de souligner qu’une intervention psycho-
sociale ne se limite pas nécessairement à la durée d’un atelier, dans un lieu contraint, mais
peut prendre forme dans l’ensemble des éléments du quotidien.

Retraite et société 86
Notes de lecture / Analyses critiques

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La nécessaire évaluation
Le dernier point fort de l’ouvrage de Kevin Charras tient dans l’intérêt porté par l’au-
teur à l’évaluation des interventions psychosociales. À partir d’une revue de la littéra-
ture pluridisciplinaire, l’auteur met en évidence les enjeux liés à l’évaluation. S’il pointe
un certain nombre de difficultés, il ouvre aussi plusieurs pistes de réflexions et d’amé-
liorations, ne se contentant pas d’affirmer que les interventions psychosociales doivent
être évaluées. Il alerte notamment sur la nécessité de définir et d’adopter une métho-
dologie d’investigation plus adaptée à la spécificité des interventions psychosociales et
environnementales que ce qui est fait à l’heure actuelle. En particulier, les essais contrô-
lés randomisés généralement utilisés en recherche clinique et fondés sur la comparai-
son de deux groupes d’individus, l’un testant une nouvelle thérapie et l’autre pas, sont
largement remis en cause car ils présentent de nombreux biais dans le cas des interven-
tions psychosociales et environnementales. Afin de les rendre plus efficients et de mieux
connaître les mécanismes comportementaux, psychologiques et sociaux mobilisés lors
de l’intervention et leurs effets sur les personnes concernées, il serait nécessaire de les
associer à d’autres méthodes (études de cas, études observationnelles ou de faisabilité,
enquêtes de satisfaction, etc.). Dans cette partie de l’ouvrage, le vocabulaire utilisé est
parfois assez technique, complexifiant la compréhension des lecteurs les moins initiés
et pouvant parfois rendre difficilement lisible le discours sous-jacent. Une posture par-
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faitement assumée par Kevin Charras, qui considère son « ouvrage utile pour tout cli-
nicien ». Il semble en effet que les détails et éléments présentés par l’auteur devraient
satisfaire à l’exigence des professionnels du secteur.

Conclusion
L’ouvrage écrit par Kevin Charras est particulièrement intéressant car il aborde un sujet
souvent mal défini et identifié, qui est pourtant de plus en plus préconisé dans l’accom-
pagnement des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de troubles apparen-
tés. Il donne des bases solides sur la compréhension des interventions psychosociales,
mais aussi sur le vécu de ces personnes. S’il cherche avant tout à pousser le lecteur le
plus avisé à s’interroger sur sa propre pratique et sur la manière d’accompagner les per-
sonnes malades dans le cadre de son exercice professionnel, il est accessible à un public
plus large, notamment dans les trois premiers chapitres qui permettent de mieux com-
prendre ce qu’est la démence et les enjeux relatifs à sa prise en charge. Bien que l’ou-
vrage comporte une dimension très pratique, il ouvre aussi une réflexion plus générale
sur la place des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de troubles apparen-
tés dans notre société, à travers l’accompagnement qui leur est proposé.
Par Manon Labarchède
Architecte DE, postdoctorante en sociologie
Université du Québec à Rimouski (UQAR)

Nos sociétés du vieillissement entre guerre et paix.


Plaidoyer pour une solidarité de combat
André Masson, L’Autreface, 2020, 198 p.
Travailler plus longtemps est l’option la plus fiable pour assurer la pérennité du système
de retraite dans le contexte d’une société vieillissante. C’est à ce type d’assertion que
l’ouvrage de A. Masson entend s’attaquer pour prévenir contre les « mauvais coups »
d’un mésusage du concept de solidarité, qui aggraverait les inégalités entre généra-
tions au détriment des plus jeunes. L’ambivalence des rapports intergénérationnels

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entre conflit et coopération, entre guerre et paix, constitue la trame de fond de cet essai
engagé et éclectique qui emprunte à l’anthropologie, la philosophie du droit et l’éco-
nomie. Assumant une posture idéologique, A. Masson livre sa vision de la manière dont
une solidarité « bien comprise » peut structurer et donner sens aux relations entre les
générations pour assurer la paix sociale. L’ambition de l’ouvrage est double : il s’agit à
la fois d’offrir un regard critique et problématisé sur le débat concernant la réforme
des retraites, mais aussi d’asseoir ses propres propositions de réformes et de mesures.
L’ouvrage est structuré en quatre parties.

Pour une conception solidaire des rapports intergénérationnels


Dans une première partie théorique, A. Masson analyse différentes conceptions des rap-
ports intergénérationnels. Que se doit-on entre générations et que sommes-nous en droit
d’obtenir des autres ? Pour répondre à cette question centrale, l’auteur identifie deux
enjeux trop souvent pensés de façon déconnectée : celui du « juste héritage » et de la
« juste créance ». En d’autres termes, il s’agit de réfléchir à la fois à ce que l’on a reçu des
générations précédentes et à ce que l’on peut exiger des générations suivantes. Dans ce
cadre, l’auteur souligne le rôle de l’État en tant qu’« arbitre intergénérationnel », ayant
la double mission de « veiller aux intérêts des générations suivantes » (…) « en même
temps qu’il doit s’assurer de leur bonne coopération » (p. 20). Définie comme une rela-
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tion de solidarité, cette « coopération intergénérationnelle » représente un idéal fragile
à mettre en œuvre, du fait notamment de la forte asymétrie de ces rapports. En particu-
lier, la concentration du pouvoir aux mains des seniors représente un enjeu central, qui
nourrit le terreau d’une « lutte des générations ». A. Masson semble adhérer à cette thèse
tout en critiquant une forme de cécité qui conduirait à n’envisager les rapports inter-
générationnels qu’à travers le prisme du conflit, en négligeant la dimension de coopéra-
tion. Pour l’auteur, seul le concept de solidarité est à même de caractériser les rapports
intergénérationnels dans toute leur ambivalence : « dans une perspective dynamique,
la solidarité entre générations se mesure à la solidité de la chaîne transgénérationnelle
et à sa capacité à surmonter les épreuves rencontrées. Jamais acquise définitivement, sa
quête continuelle peut s’apparenter (pour paraphraser Bourdieu à propos de la socio-
logie) à un véritable “sport de combat” » (p. 50-51). Cette citation donne sens au sous-
titre de l’ouvrage « Plaidoyer pour une solidarité de combat » : il s’agira de défendre
une conception solidaire des rapports intergénérationnels et de mettre en garde contre
les mésusages de ce concept.

Ancrer la réflexion dans son contexte historique


La nécessité de mettre en évidence les spécificités de nos sociétés du vieillissement
conduit l’auteur à identifier, dans une deuxième partie, plusieurs changements histo-
riques majeurs survenus à la fin des années 1970. Le contexte de vieillissement démo-
graphique, le ralentissement de la croissance économique, l’augmentation de la pression
économique pesant sur les États-providence, le phénomène de patrimonialisation des
sociétés et l’évolution des caractéristiques du capital constituent un faisceau de facteurs
susceptibles de produire des inégalités entre les générations. Le fossé se creuse entre
des générations dites « dorées » – comprenons avantagées –, en particulier les premiers
baby-boomers aujourd’hui retraités, et les générations dites « plombées » – désavanta-
gées par ces évolutions. Plus fondamentalement, il s’agit pour l’auteur de montrer com-
bien les jeunes générations sont pénalisées par ce contexte démographique et social.
A. Masson entreprend de déconstruire l’image de la société vieillissante de référence
dont usent les politiques pour justifier leur appareil de réforme. Deux traits retiennent

Retraite et société 86
Notes de lecture / Analyses critiques

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particulièrement son attention. D’abord, à une vision homogène de la période de retraite,


A. Masson oppose une vision duale fondée sur la distinction entre deux figures, celle du
« senior robuste » (60-75 ans) profitant du « bel âge de la retraite », et celle du « senior
fragilisé » (75 ans et plus), potentiellement confronté à la perte d’autonomie. Ensuite, le
phénomène de patrimonialisation, caractérisé par un poids croissant du patrimoine par
rapport au revenu (patrimoine détenu majoritairement par les seniors) et une augmen-
tation du poids de l’héritage légué de plus en plus tardivement, constitue une caracté-
ristique centrale de notre société de la longévité. Ce phénomène de patrimonialisation
serait particulièrement défavorable aux jeunes générations. De surcroît, l’auteur iden-
tifie une dynamique de rigidification de ce phénomène, qu’il désigne par l’expression
de « crispation patrimoniale ». En d’autres termes, les seniors préféreraient garder leur
patrimoine par mesure de précaution, afin d’avoir les ressources matérielles nécessaires
pour faire face au risque de perte d’autonomie. Débloquer ce patrimoine détenu par
les seniors devient un enjeu central. A. Masson présente alors une proposition pivot de
son argumentation : la création d’une assurance-dépendance financée par les revenus
et le patrimoine des seniors du « troisième âge ». De cette manière, « dans une logique
d’assurance sociale, les retraités financeraient les très vieux (dépendants) “comme” les
actifs financent les retraités » (p. 92).
© Caisse nationale d'assurance vieillesse | Téléchargé le 17/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.224.56.74)

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Réflexion critique autour des sources de financement du modèle social
Dans un troisième temps, A. Masson analyse deux sources de financement possibles de
notre modèle social, à savoir le travail et le patrimoine des ménages. Ces deux solutions
n’ont pas les mêmes conséquences pour toutes les générations. En effet, financer par le
patrimoine touche en priorité les retraités puisque ce sont eux qui le détiennent massive-
ment, tandis que financer par le travail se répercute directement sur les actifs. Voie privi-
légiée par le gouvernement Macron, le financement par le travail (qui se traduit par une
incitation à travailler plus longtemps) relève d’un schéma libéral qui fait appel à la res-
ponsabilité individuelle. L’auteur dénonce une « dérive individualiste » qui aura plusieurs
conséquences néfastes, en particulier l’augmentation des inégalités entre les catégories
sociales et le déclin des solidarités professionnelles. La deuxième source potentielle de
financement est constituée par le patrimoine des ménages. Si Thomas Piketty et André
Masson s’accordent sur l’importance du phénomène de patrimonialisation, A. Masson
considère que la question du vieillissement est tout aussi centrale, là où T. Piketty n’en
fait qu’un élément secondaire. La création d’une assurance-dépendance financée par
les seniors aisés doit également s’assortir d’autres mesures les incitant à libérer leur patri-
moine. L’augmentation des droits de succession est notamment envisagée par A. Masson
comme « un puissant mécanisme d’incitation fiscale contre la “thésaurisation” passive
des seniors aisés » (p. 112). Cette mesure, nommée Impher pour Imposition des héri-
tages, est conçue comme le « bâton » pénalisant les retraités qui ne souhaiteraient pas
transmettre leur patrimoine plus tôt. En outre, le développement de produits viagers,
encouragé par l’auteur en tant que « carotte » (le viager et le prêt-viager-dépendance),
a pour fonction de « convertir le logement en liquidités tout en restant à demeure » (p.
129) et ainsi d’investir ces liquidités dans des placements bénéficiant à l’ensemble social
tout en profitant aux retraités eux-mêmes.

Un triptyque de mesures
La quatrième et dernière partie, d’abord plus technique, vise à détailler le triptyque de
mesures ayant vocation à constituer un programme de réformes. Déjà introduit dans les
précédents chapitres, cet appareil est composé de trois éléments centraux : en premier

Retraite et société 86
Les mobilités résidentielles au cours de la retraite

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lieu, la création d’une assurance-dépendance financée par le troisième âge et conçue


comme un « retour de solidarité » des seniors dans leur ensemble vers les générations
plus jeunes ; ensuite, l’introduction d’une surtaxe successorale (Impher) sur les héritages
familiaux afin de décourager les héritages post mortem ; enfin, le développement de
nouveaux placements transgénérationnels. L’auteur détaille les modalités techniques de
ces différentes mesures. Dans un second mouvement plus critique, il tente d’identifier
les nombreux paradoxes qui entourent toute tentative de réforme et de les mettre en
lien avec les caractéristiques de cette société de la longévité. Le risque est grand d’im-
poser, sous couvert de valeurs telles que la justice, l’équité ou la solidarité, des mesures
qui pénaliseraient largement les jeunes générations.

Point de vue critique sur l’ouvrage


L’auteur fait de la question des rapports intergénérationnels et de son incarnation
institutionnelle dans le système de retraite un objet éminemment moral au sens socio-
logique du terme, en tant que système de liens de solidarité et de normes. Ce prisme
de lecture dérive toutefois vers de nombreux jugements de valeur formulés à l’encontre
des seniors. Ce plaidoyer pour une solidarité de combat prend ainsi une allure de réqui-
sitoire contre les seniors, envisagés sous l’angle du fardeau qu’ils représentent pour les
actifs et dont les contributions à l’ensemble social sont minimisées voire invisibilisées.
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Autre élément discutable, le prisme de lecture générationnelle tend à attribuer abusive-
ment des problématiques spécifiques à chaque génération. Si A. Masson évoque volon-
tiers les « jeunes pauvres », les « vieux pauvres » sont quant à eux relativement absents
du débat, de la même manière que les « jeunes en perte d’autonomie » ne sont pas
identifiés. Ces problématiques sociales telles que la pauvreté et la perte d’autonomie
traversent pourtant l’ensemble des générations.

L’apport principal de l’ouvrage réside toutefois dans l’originalité des propositions énon-
cées. André Masson dessine d’autres voies de réforme, qui tranchent avec l’acception
commune et peu questionnée selon laquelle l’allongement de la durée de cotisation
serait la seule solution pour assurer la pérennité du système de retraite et résoudre la
problématique du financement de l’assurance-dépendance.
Par Pauline Mesnard
Docteure en sciences sociales, chargée de recherche à l’Institut des sciences sociales
de l’université de Lausanne

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