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n'eussent témoigné les mêmes transports Quelques
mois après, tout cela était oublié la garde nationale
faisait la révolution de Février.
Les obsèques des victimes de Fieschi furent magni-
fiques, dix-sept corbillards se suivaient,depuis celui
d'un maréchal de France jusqu'à celui d'une jeune fille
de dix-huit ans, tendu de blanc, entouré de vingt-quatre
de ses compagnes, et ce spectacle impressionna vive-
:
ment la population. Telle est l'horreur des haines
civiles elles frappent en aveugles, sans regarder ni à
l'âge, ni au sexe, ni au rang. Quand le Roi vint jeter de
l'eau bénite sur tous ces cercueils sans distinction, un
;
long frémissement passa dans la foule bien des yeux
se mouillèrent;puis, ces dernières dépouilles d'innocents
unis par la mort furent unies par la tombe, et ensevelies
aux Invalides dans un même caveau.
;
J'avais, en entrant à l'Hôtel de Ville, gardé quelque
temps contact avec la Chambre et la politique la vie
parlementaire a ceci de particulier qu'elle prend
l'homme tout entier, et lui fait comme un besoin de ses-
agitations, de ses fièvres, de ses intrigues. Mais bientôt,
mes fonctions
d'administrateur m'absorbèrent au point
de rompre tous ces liens. J'avais mieux à faire de me
consacrer à ce Paris dont le nom seul est une gloire.
Tout le reste, peu à peu, me devint indifférent,sinon
étranger, et les heures eussent été doubles qu'elles n'au-
raient point suffi à ma tâche. Je ne me suis guère occupé
des faits et gestes des ministres. Je ne leur demandais
que de me laisser accomplir mon œuvre, mais j'étais
intraitable dès que je la leur voyais entraver.
J'eus, par exemple, vers 1838, une prise sérieuse avec
M. Humann, ministre des Finances,quand il voulut
remanier l'impôt sur les patentes afin d'en accroître le
produit. Il avait adressé une circulaire aux préfets et
aux directeurs des Contributions pour appeler leur atten-
tion sur le grand nombre des omissions existant dans
les rôles, et leur prescrire d'y faire figurer désormais
tous ceux qui se livraient à une industrie quelconque
sans être aux gages de personne, ni salariés d'autrui.
Cette question avait une importance capitale à Paris où
tant d'ouvriers en chambre, tant de petites industries
vivent si modiquement à force de travail et d'ingénio-
;
sité. Jusqu'alors on les avait exceptés de la matière
imposable le Conseil municipal, mû par le même sen-
timent d'intérêt envers les classes indigentes, exemptait
;
de l'impôt mobilier et même de la cote personnelle tous
les loyers au-dessous de deux cents francs et, pour en
tenir lieu dans le contingent du département, il préle-
vait trois millions deux cent mille francs sur les pro-
duits de l'octroi.
La circulaire et les prétentions ministérielles cau-
sèrent une viveagitation au sein du Conseil municipal,
alors réuni en session ordinaire pour la discussion du
budget. Il prit à l'encontre une délibération très ferme
et très fortement motivée, sous la rédaction de
M. Lafaulotte, un des membres les plus considérables
et les plus modérés. J'obtins sans difficulté un ajourne-
ment à l'effet d'intervenir auprès du ministre. — « Mon
« cher ami, lui dis-je, vos bureaux vous ont mis en
« mauvaise position, au moins à l'égard de Paris. Rien
«
de plus juste que de vouloir augmenter les produits
« d'un impôt, mais encore faut-il le faire avec prudence.
« Depuis cinq ans, j'ai porté le nombre des patentes de
à
a cinquante-deux mille soixante-dix mille, et les
« produits de quatre millions et demi à sept millions.
«
Là où j'ai trouvé un déficit de soixante-cinq mille
«
francs, j'ai mis un bénéfice de près de quatre cent
« mille. C'est cette bonification que vos bureaux veulent
« s'approprier en me forçant de porter sur les rôles des
« cotes irrecouvrables, comme celle de vingt-cinq mille
« ouvriers qui ne payent même pas de cote personnelle,
a et six ou sept cents portiers qui travaillent en vieux
« dans la chaussure et
le vêtement, atteints désormais
« par votre
circulaire. Vous faites fausse route. Si j'ai
« amélioré les
finances de la ville par un accroissement
« de 60 ° 0 dans le revenu des patentes,
c'est parce que
« j'ai instamment
recommandé à la Commission des
« contributions de
rechercher partout la matière impo-
« sable
susceptible de payer, et de rayer des rôles, avec
« autant de
« la délibération du Conseil :
soin, tous ceux reconnus insolvables. Voici
si elle est votée, comme
«
« et
cinq cents communes suivront Paris ;
cela ne fait aucun doute, elle aura du retentissement,
si au con-
traire vous me laissez faire, je persisterai dans ma
«
« conduite, avec
l'approbation du Conseil, et je vous
«
ferai une petite guerre dont mon intérêt vous garantit
« la
modération. Au surplus, vous pourrez me briser,
«
mais j'aurai rendu au Roi et au Gouvernement le
«
service de prévenir des troubles. » Il me montra assez
d'humeur, voire de mécontentement, toutefois sans
insister; notre amitié en fut ébranlée, mais la Ville et
l'Etat s'en trouvèrent bien.
C'est aussi au nom des intérêts de la Ville que j'eus,
en 1840, une conversation avec le Roi relative à la
question d'Orient. Je prenais quelques jours de vacances
à Champgrenon quand des bruits fort belliqueux qui
m'arrivaient de Parisprécipitèrent mon retour. J'allai
aussitôt voir le Roi à Saint-Cloud. Il me parla avec
« répondre:
« leurs lieutenants. Ceux-ci ne manqueront pas de lui
« Puisque vous voulez jouer notre jeu,
«
;
tances difficiles, et de s'exposer ainsi à recevoir la loi
d'un ministère d'opposition combien il avait eu tort de
perdre la ressource de Molé; combien cette omnipotence
de la majorité mettait les préfets à la discrétion des
députés ministériels et non du Roi, si bien qu'il n'y
avait plus de préfet, à proprement parler, que dans les
départements d'opposition; que Parisétaithostile, non
pas seulement dans les classes dites libérales avancées,
mais encore dans la classe bourgeoise, commerçante et
le IIe arrondissement;
ouvrière;jecitai à l'appui l'élection de M. Berger dans
je lui racontai que diverses
notabilités conservatrices étaient venues m'avouer avoir
; que le colo-
nel Talabot en avait fait autant que la garde nationale
n'était pas sûre, et que du reste, depuis cinq ans, on
n'avait pas osé passer une revue générale des légions ;
;
que l'union entre Guizot et Duchâtel n'était pas autre-
ment solide qu'il serait habile de donner quelques
satisfactions à l'opinion, de faire certains sacrifices
comme en 1840, de dissoudre des alliances menaçantes,
et de se ménager des hommes en vue des événements.
Madame Adélaïde m'écouta avec beaucoup d'attention
et m'objecta que Guizot offrait une sérieuse garantie.
Je repris : « Votre Altesse Royale me permettra de lui