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A Moustey, l’épicière fait sa tournée d’adieux

Chantal Morel tenait l’unique supérette de ce bourg des Landes, parcourant chaque jour 120
kilomètres pour livrer ses clients âgés. Un reportage de notre série #FrançaisesFrançais.

LE MONDE | 03.02.2017 à 09h23 • Mis à jour le 03.02.2017 à 13h29 | Par Camille Bordenet et
Antonin Sabot

Chantal Morel en tournée de livraison chez ses clients âgés autour de Moustey (Landes), en
janvier.

La Kangoo bleue fonce à travers les pins sur la petite départementale 43. Pas de temps à
perdre pour Chantal Morel si elle veut tenir les neuf livraisons qui l’attendent. L’épicière de
Moustey parcourt chaque mardi matin 120 kilomètres, tambour battant, pour livrer ses clients
âgés. Il y a trente ans, lorsqu’elle tenait une épicerie ambulante, elle était sur la route tous les
jours. Son épicerie sédentarisée, elle a tenu à maintenir une tournée hebdomadaire.

Après un premier arrêt éclair chez Mme Juarros, 84 ans, la voiture file déjà le long de
l’autoroute. Les commandes dépassent rarement les 25 euros, pour un total d’à peine 200. «
Ce n’est pas rentable, mais je ne vais pas laisser tomber des clients qui nous ont aidés
autrefois, explique la commerçante de 62 ans. Puis nous, c’est du social qu’on fait. Si on ne se
met pas à la portée des clients, on ne sert à rien, y a les grandes surfaces ! » Dans les villages
alentour, même les boulangers ne passent plus. Chantal elle-même ne peut plus prendre le
temps de s’arrêter pour bavarder. Trop de kilomètres à parcourir.

Cageot sous le bras, elle pousse le portail de chez Mme Caulobie, 84 ans, et dépose •légumes
et packs de lait. Elles échangent quelques mots sur la reprise prochaine de l’épicerie. C’est
Samira, une enfant d’ici, qui rachète. Elle poursuivra la tournée, mais ne pourra plus livrer tout
le monde…

Les seules personnes que l’on croise sont les aides ménagères et les infirmiers à domicile, ces
autres forçats de la route des zones rurales. « Pour eux, c’est comme pour moi, analyse
Chantal, il y a des clients, mais il y a du trajet. »

Les seules personnes que l’on croise sont les aides ménagères et les infirmiers à domicile, ces
autres forçats de la route des zones rurales. « Pour eux, c’est comme pour moi, analyse
Chantal, il y a des clients, mais il y a du trajet. » ANTONIN SABOT / LE MONDE.FR

Forçats de la route des zones rurales

Elle gardera trois clientes, celles qui ne peuvent plus se déplacer ou dont les enfants sont trop
loin. Parmi elles, Josette Barret, 86 ans, qui soupire de soulagement d’être sur la prochaine
tournée. « On ne pourrait pas rester, si elle n’était pas là », glisse-t-elle, tandis qu’à la
télévision l’émission de Nagui résonne dans son intérieur bien tenu. Elle conduit encore mais
n’a pas d’enfants, « et les packs d’eau, vous comprenez… »

Mme Juarros, elle, a des filles qui lui font les courses tous les quinze jours. Elle vit seule depuis
la mort de son mari, mais reçoit la visite de la femme de ménage et de son frère, qui lui porte
le pain chaque matin. « Au moins, je sais que je ne vais pas rester morte longtemps », dit-elle
sur le ton de la plaisanterie, dans la pièce chauffée par une vieille cuisinière à bois. Au fil des
arrêts
et des zigzags furieux, les seules personnes que l’on croise sont les aides ménagères et les
infirmiers à domicile, ces autres forçats de la route des zones rurales. « Pour eux, c’est comme
pour moi, analyse Chantal, il y a des clients, mais il y a du trajet. »

Il est bientôt 13 heures, la tournée se termine. Chantal sent qu’il est temps de passer la main, «
la fatigue, l’âge, faut savoir s’arrêter ». L’épicerie, ça aura été du 6 h 30-21 heures tous les
jours pendant vingt-quatre ans, quatre jours de congés annuels. Mais ses clients vont lui
manquer. Peut-être plus que l’épicerie, son « bébé ».La future retraitée a les yeux qui brillent
en parlant de certains d’entre eux.« Voilà pourquoi on tient. Pour rendre service à des gens
comme ça. »

Entre le temps passé à les préparer et la route à faire, les livraisons ne sont pas rentables. Mais
Chantal Morel ne se voit pas pour autant les arrêter, les gens ont besoin d’elle.

Entre le temps passé à les préparer et la route à faire, les livraisons ne sont pas rentables. Mais
Chantal Morel ne se voit pas pour autant les arrêter, les gens ont besoin d’elle. ANTONIN
SABOT
/ LE MONDE.FR

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