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1 capítulo

JE VEUX CHOISIR MON MÉTIER! »


- Bien dormi, Jeanne?
- Humhum, marmonne la jeune fille, encore en chemise de nuit.
Sur la table, les petites cuillères et les bols ont déjà été remplacés par des bobines de fil,
des rubans, des dentelles, des plumes de toutes les couleurs. Comme tous les jours, leur
petite salle à manger s'est métamorphosée en atelier de couture.
Jeanne observe sa mère à la lueur de la lampe à pétrole:entre ses mains, à toute vitesse,
une aiguille entre dan Le tissu et en sort. Sans quitter son ouvrage des yeux, k couturière
observe bientôt:
- Tu es bien silencieuse, ce matin.
Jeanne soupire en répondant:
- On doit dire quel métier on veut faire à Mlle Dupin
aujourd'hui.
L'aiguille ralentit sa cadence, la mère sait bien que sa plus jeune fille rechigne à la couture.
Pas comme Louison, la grande sœur de Jeanne, qui est engagée depuis deux ans en tant
qu'arpette* dans un atelier de confection.
Comme Jeanne reste muette, sa mère suspend son geste et se redresse.
- Laisse-moi deviner... Tu ne veux pas être cousette.
- Je veux choisir mon métier, rectifie Jeanne.
Sa mère sourit. Sa plus jeune fille a toujours eu un fichu caractère.
.- Tu crois que ton père a choisi la chaîne de montage
Chez Citroën**? Et moi, on m'a collé une aiguille dans les mains quand j'avais dix ans, et j'ai
appris.
- Mais moi, j'aime pas coudre!
* Jeune apprentie couturière.
(suite page 7)

Sa mère secoue la tête avant de demander:


- Et ce métier que tu veux choisir, c'est quoi?
- Je veux faire comme madame Noël, annonce Jeanne, déterminée.
- Madame Noël?
- Oui, Suzanne Noël, la dame qui a sauvé papa.
- Mais, Jeanne, elle est chirurgienne!
- C'est bien ça que je veux être, chirurgienne.
- Mais... C'est impossible!
- Pourquoi? Elle aussi c'est une femme, et elle a réussi!
- Peut-être, mais sa famille devait avoir les moyens de lui payer des études.
Jeanne ne répond rien. Elle sait que l'école est gratuite jusqu'à treize ans. C'est sa dernière
année. Les études secondaires, l'université, tout ça, c'est pour les plus riches. et pour les
garçons surtout.
Dans les mains de sa mère, l'aiguille a déjà repris sa
course.
« Je trouverai un moyen, se promet Jeanne. Après tout, on ne peut pas devenir une fée
aussi facilement. »
C'est son père qui répète tout le temps que Suzanne
voila été sa bonne fée, sa marraine comme dans le Nontes Celte Emme la sauvé. C'était il y
a onze ans. cait alors un poiler dans les tranchées de la Première Guerte mondiale. Un jour
de 1917, un obus avait réduit son visage en bouillie. Il était devenu un monstre, une «
gueule cassée » comme on dit.
Teanne a entendu cette histoire des dizaines de fois. Son père semble à la fois triste et gai
lorsqu'il raconte:
- J'ai voulu mourir. Et puis, cet ange est arrivé. Je crois bien que c'est la femme du Père
Noël!
Ce miracle, c'est ce qui rend Jeanne aussi résolue.
Alors, quand Eugénie Dupin, son institutrice, l'interroge à son tour ce matin-là, elle n'hésite
pas:
- Je veux être chirurgienne!
la réaction de ses camarades ne se fait pas attendre. lime deles xprime tour haut ce que les
autres pensent o Wimporte quoi! Vouloir etre chirurgienne, dent comme vouloir être
présidente de la République!
Mile Dupin riposte malicieusement: et porquio pas?
L'institutrice ne récolte que des regards médusés. Même Jeanne la fixe avec de grands yeux
sans être sûre d'avoir bien entendu. Une femme présidente de la République?
Autant vouloir marcher sur la Lune!
Mlle Dupin attend un instant avant de poursuivre
- Les femmes représentent la moitié des êtres humains. pourquoi ne pourraient-elles pas
donner leur avis?
La surprise passee, ses eleves tentent encore quelques
arguments.
- Mon père dit que les femmes voteraient pour les curés! dit l'une.
- Et le mien, que voter, ça ne sert qu'à nous endormir, ajoute encore une autre. Au final, ce
sont toujours les riches qui ont le pouvoir.
- C'est possible, admet MIle Dupin, mais peut-être que les choses vont changer. D'ailleurs,
samedi prochain, il y aura une nouvelle manifestation devant le Sénat pour exiger le droit de
vote des femmes. J'y serai, vous n'aurel donc pas classe de la journée.

capítulo dos
LA FEMME DOiT VOTER »
Les mots de Mlle Dupin ont impressionné Jeanne.
C'est comme si, d'un seul coup, tout devenait possible.
Jeanne prend vite sa décision: elle ira en secret à la manifestation des suffragettes* en plein
centre de Paris. Le samedi suivant, elle quitte sa mère, comme si elle allait à l'école, et se
dirige d'un pas décidé vers le chemin de fer métropolitain. Elle l'a déjà emprunté avec ses
parents et Louison, mais c'est la première fois qu'elle le prend seule.
* Surnom des femmes qui réclament le droit de vote.
Sortir de son quartier qu'elle connaît par cœur pour s'aventurer dans cette ville gigantesque,
c'est la grande expédition! Jeanne sautille presque, tant elle a l'impression d'être libre alors
qu'elle s'engouffre sous terre. C'est d'un ton joyeux qu'elle s'adresse au guichetier:
- Un ticket de seconde classe, s'il vous plaît! Quelle station est la plus proche du Sénat, s'il
vous plaît? Mabillon? Merci!
Son petit bout de carton en main, Jeanne se dirige vers le grand plan affiché sur un mur.
«Toutes ces lignes*, on dirait une toile d'araignée, se
* À cette époque, Paris compte déjà treize lignes de métro.
dit-elle en cherchant le nom de sa station, Javel. La voilà! Et maintenant, Mabillon,
Mabillon... Ici! »
Aucune ligne n'est directe. Jeanne se décide pour un itinéraire:
- Ligne 8 jusqu'à Invalides, puis ligne 10 jusqu'à Mabillon.
Facile! Elle grimpe dans la première rame. Il y a une dizaine de personnes autour d'elle. Des
adultes seulement.
Tous sont bien silencieux, sauf deux jeunes femmes enjouées qui se chuchotent à l'oreille.
Jeanne s'assied près d'elles et compte les stations avant les Invalides. Sept. Six. Cinq.
Ouatre. C'est la! Jeanne se lève. Les deux jeunes femmes Aussi. Elles sortent en
poursuivant leur conversation. Il ya beaucoup plus de monde sur les quais ici. Jeanne trouve
la pancarte « ligne 10 » et prend la direction indiquée. Revoila les deux jeunes femmes
devant elle. Et si...? Jeanne monte dans la voiture à leur suite et guette la station Mabillon.
Elle se met à espérer: « Si elles descendent là, sûr qu'elles vont à la manifestation. » C'est
bien ça! Jeanne est ravie, elle n'a qu'à les suivre. Une fois dehors, elle tente de mémoriser
les lieux pour le retour, mais son attention s'envole vite. Toutes ces voitures! Toute cette
agitation! De furieux coups de klaxon jappent comme des chiens enfermés et des jurons
retentissent:
- Retourne dans ta caverne! Bouge de là!
Jeanne ouvre de grands yeux en découvrant à qui
S'adressent ces insultes: il s'agit d'un homme tirant une montagne de cagettes derrière lui,
sans se presser. Tandis que, devant Jeanne, surgit un homme-sandwich*. La jeune flle se
retourne sur son passage et lit à voix haute le slogan écrit dans son dos:
- « Fumez, c'est bon pour votre santé» !
* Homme portant deux panneaux, l'un sur la poitrine, lautre dans le dos, diffusant des
publicités dans la rue.
(suite page 18

UNE MANIFESTATION 1. Slogan « La femme


doit voter »
En Angleterre, le slogan
Le vote est la première
« Deeds, not words »
revendication des suffragettes,
(des actes, pas des mots) revendique un passage
en France comme ailleurs,
à l'action, parfois violente.
car ce droit leur permettra
A Paris, vers 1926, des de changer les autres lois
françaises manifestent
en leur faveur.
pacifiquement.
2. Char d'assaut pacifique
Les suffragettes français veulent marquer l'opinion publique : elles déguisent une roulotte en
char d'as pacifique avec des haut parleurs à son sommetpe se faire entendre.
3. Des tracts
Les féministes distribuent des tracts qui expliquent leur but pour se faire connaître de tous.
Elles manifestent parfois en tenant une grande chaîne pour montrer qu'elles sont
prisonnières de leurs pères et de leurs maris.
4. Les habits
Les suffragettes ont été moquées comme étant des bourgeoises. Elles appartiennent
souvent à des familles riches. Elles n'ont pas besoin de travailler pour assurer leur survie,
mais pour être indépendantes.
5. Un homme
Dès le XIX° siècle, des hommes ont soutenu les revendications des suffragettes, comme, en
France, le journaliste Léon Richer et l'écrivain Victor Hugo.

En reprenant sa marche, Jeanne manque de percuter une belle dame qui sort d'une des
boutiques très chics qui bordent l'avenue. Elle s'attarde un instant sur les mannequins de la
devanture, lorsqu'elle s'aperçoit qu'elle a laissé filer ses deux guides! Vite, elle court pour les
rattraper. Les voilà rue de Seine, puis rue de Tournon.
Jeanne ne se laisse plus distancer, même si elle ouvre grand les yeux pour admirer les
belles façades des immeubles.
Bientôt, elle remarque au loin de petits groupes de femmes. Une fois à leur hauteur, plus de
doute possible, c'est bien là: nombreuses sont celles qui ont accroché un ruban sur leur
chapeau, portant l'inscription: La femme doit voter.
Jeanne se mêle aux manifestantes. Elles sont bien habillées et portent de jolis chapeaux à
la mode.
La jeune fille note que sa mère, même en habits du dimanche, se ferait remarquer : il n'y a
pas de couturière ou d'ouvrière ici. Seules les femmes des milieux aisés peuvent se
permettre de manifester. Autour de Jeanne les conversations s'animent:
-C'est une honte! Le pays des droits de l'homme sera donc le dernier à rendre justice aux
femmes!

Sans le vote, nous ne pourrons jamais nous faire entendre!


- Savez-vous que, même dans les pays d'Europe de l'Est, les femmes votent déjà ?
- Prenez ces affiches!
Des manifestantes déploient des feuilles presque aussi hautes qu'elles. Sur toutes apparaît
le même message en gros caractères: La Française veut voter.
Jeanne est captivée, quand soudain elle entend crier
son nom:
- Jeanne! Jeanne!

LE DROIT DE VOTE DES FEMMES


Suffragistes et suffragettes
LA SUFFRAGISTE
En Europe, dès le XIX* siècle, des femmes militent pour pouvoir voter. On les appelle
d'abord les suffragistes (qui réclament le suffrage ou vote), puis elles deviennent les «
suffragettes ».
Leurs actions se multiplient au début du XX° siècle, s'arrêtent pendant la guerre de
1914-1918 et reprennent aussitôt après.
Première de la classe : la Nouvelle-Zélande
En 1893, une Anglaise, Kate Sheppard, installée en Nouvelle-Zélande (alors colonie
britannique), et d'autres militantes organisent une pétition géante pour réclamer le droit de
vote des femmes. Elles récoltent 32 000 signatures sur un rouleau de 270 mètres de long et
leur parlement s'incline !
En deuxième position
Deux groupes de pays ont été précurseurs dans le droit de vote des femmes. D'abord, les
Anglo-Saxons : après la Nouvelle-Zélande (1893) et l'Australie (1901), ce sont le Canada
(1918), les États-Unis (1920), puis le Royaume-Uni (1918-1928). Puis les pays d'Europe du
Nord : la Finlande (1906), la Norvège (1913) et la Suède (1919).
La France à la traîne
'VOTES
FOR
WOMEN
CARTE
D'ÉLECTRICE
En France, dès 1919, les élus de la gauche républicaine s'opposent au droit de vote des
femmes. Ces hommes politiques craignent que les femmes soient sous l'influence de
l'Eglise et votent pour leurs ennemis de droite. Les Françaises obtiennent finalement le droit
de vote en 1944 (et votent pour la première fois en 1945).
Ailleurs dans le monde
Dans tous les pays où les hommes votent, les femmes ont progressivement obtenu ce droit.
En Arabie Saoudite, où les habitants votent uniquement lors des élections municipales, les
femmes peuvent voter depuis 2015.
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En reprenant sa marche, Jeanne manque de percuter une belle dame qui sort d'une des
boutiques très chics qui bordent l'avenue. Elle s'attarde un instant sur les mannequins de la
devanture, lorsqu'elle s'aperçoit qu'elle a laissé filer ses deux guides! Vite, elle court pour les
rattraper. Les voilà rue de Seine, puis rue de Tournon.
Jeanne ne se laisse plus distancer, même si elle ouvre grand les yeux pour admirer les
belles façades des immeubles.
Bientôt, elle remarque au loin de petits groupes de femmes. Une fois à leur hauteur, plus de
doute possible, C'est bien là: nombreuses sont celles qui ont accroché un ruban sur leur
chapeau, portant l'inscription: La femme doit voter.
Jeanne se mêle aux manifestantes. Elles sont bien habillées et portent de jolis chapeaux à
la mode.
La jeune fille note que sa mère, même en habits du dimanche, se ferait remarquer: il n'y a
pas de couturière ou d'ouvrière ici. Seules les femmes des milieux aisés peuvent se
permettre de manifester. Autour de Jeanne, les conversations s'animent:
- C'est une honte! Le pays des droits de l'homme sera donc le dernier à rendre justice aux
femmes!
Sans le vote, nous ne pourrons jamais nous faire entendre!
- Savez-vous que, même dans les pays d'Europe de l'Est, les femmes votent déjà ?
- Prenez ces affiches!
Des manifestantes déploient des feuilles presque aussi hautes qu'elles. Sur toutes apparaît
le même message en gros caractères: La Française veut voter.
Jeanne est captivée, quand soudain elle entend crier
sON nom:
- Jeanne! Jeanne!

CHAPITRE 3
L'ARRESTATION
C'est Eugénie Dupin! Son institutrice se dirige vers
Jeanne avec un grand sourire.
- Eh bien, si toutes les filles de treize ans sont comme toi, nous sommes sauvées!
- En fait. Euh... j'espérais surtout rencontrer Suzanne Noël, lui avoue Jeanne.
- Suzanne Noël?
GINO GRANDES FEMINISTES DU DÉBUT OU XY° SIÉGLE
Hubertine Auclert (1848-1914)
Journaliste et écrivaine française, elle est issue d'un milieu aisé et lutte pour l'égalité
complète des femmes, Pour cela, elle milite au sein d'associations, lance une grève de
l'impôt, crée un journal, La Citoyenne, réclame la féminisation des mots (avocat - avocate) ...
Marguerite Durand (1864-1936]
Journaliste, elle refuse d'écrire un article négatif, commandé par Le Figaro, sur le Congrès
féministe international qui se tient à Paris en 1896. Elle prend conscience que le journalisme
est une arme de combat: elle décide de s'en servir dans la lutte pour les droits des femmes
et crée le journal La Fronde.
Emmeline Pankhurst (1858-1928)
Cette Anglaise, fille d'activistes politiques, milite dès l'adolescence en faveur des femmes.
Mariée à un avocat, mère de cinq enfants, elle crée en 1903 une organisation féministe et se
lance dans l'action directe (bombes, incendies...), qui lui vaut plusieurs séjours en prison et
beaucoup de critiques.
Maria Vérone (1874-1938
Toute jeune, elle fréquente le cercle politique de son père.
Devenue institutrice, elle est renvoyée par l'inspecteur de l'instruction primaire pour son
militantisme. Elle rejoint alors le journal La Fronde. Parallèlement, elle reprend ses études et
devient avocate en 1908. Elle milite dès lors pour les droits des femmes.
Louise Weiss (1893-1983]
Agrégée de lettres, elle est d'abord journaliste. En 1934, elle fonde une association, La
Femme Nouvelle, et lance en 1936 des actions spectaculaires pour faire parler de ses
revenaications: lacher de balons rouges lors de la finale de la coupe de France de football,
circulation bloquée à Paris…
Oui, c'est elle qui a opéré le visage de mon père pendant la guerre. Alors j'aimerais lui
demander des conseils pour devenir chirurgienne.
- C'est une excellente idée. Mais comment sais-tu qu'elle participe à la manifestation?
- Mon père découpe tous les articles sur elle dans le journal. Elle a créé un club de femmes
et participe à toutes les actions pour le droit de vote. Et comme son cabinet est tout près
d'ici...
- Tu pourrais être détective! la félicite Mlle Dupin. Sais-tu à quoi elle ressemble ?
- Il y avait une photo avec un article, mais je ne suis pas sûre de la reconnaître.
- Viens, on va demander.
Jeanne imite son institutrice de son côté:
- Bonjour, mesdames, je cherche Suzanne Noël, la chirurgienne. Savez-vous si elle est là ?
Non, elles ne l'ont pas vue. Mais, progressivement, les mots de Jeanne résonnent comme
un écho de groupe en groupe:
- La petite cherche Suzanne Noël, quelqu'un sait quelque chose
Jeanne se sent pousser des ailes. À plusieurs, on peut vraiment déplacer des montagnes.
Jeanne se rend alors compte que les manifestantes sont devenues beaucoup plus
nombreuses. Elle s'en réjouit: « Rien ne pourra les arrêter. » Mais, subitement, des cris
retentissent. Jeanne se hisse sur la pointe des pieds pour voir ce que toutes les femmes
regardent. Des policiers! Ils viennent de surgir au bout de la rue de Vaugirard et hurlent :
- Dispersez-vous! Dispersez-vous!
Les manifestantes résistent en s'accrochant les unes aux autres pour former une grande
chaîne. Une main saisit brutalement le bras de Jeanne. Un policier! Sa voix autoritaire
résonne dans ses oreilles.
- Qu'est-ce que tu fais là, toi?
Eugénie Dupin s'interpose aussitôt:
- Laissez-la!
Une grande bourrade derrière eux fait trébucher le policier, qui lâche Jeanne, mais attrape
Mlle Dupin à la place. La confusion est telle que Jeanne perd de vue son institutrice.
Soudain, elle l'aperçoit et joue des coudes pour s'accrocher à elle, mais la jeune femme la
repousse:
- Mets-toi à l'abri, Jeanne. Ne t'en fais pas pour moi!
Jeanne n'a pas le temps de réagir, elle est bousculée dans tous les sens et assiste
impuissante à l'arrestation de son institutrice. Une dizaine de femmes, fermement tenues par
le bras, sont, comme elle, entraînées par des policiers, sous les cris et les sifflets des autres
manifestantes.
Un cortège se forme à leur suite et remonte la rue de Vaugirard. Ne sachant trop que faire,
Jeanne suit le mouvement.
- Où les emmènent-ils ?
Une manifestante la renseigne:
- Au poste de police, rue de Grenelle.
Devant le commissariat, le tollé gronde de plus belle.
Jeanne siffle avec les autres. Puis le chahut s'étiole, lattente commence. Les voisines de
Jeanne l'interrogent:
- Ils ont arrêté quelqu'un que tu connais?
Jeanne a les larmes aux yeux quand elle répond:
- Mon institutrice.
Aussitôt, les femmes autour d'elle la réconfortent:
- Ne t'en fais pas. Ils ont pris Maria Vérone aussi. C'est une très bonne avocate, elle va les
sortir de là.
Ces mots soulagent Jeanne, mais elle se sent coupable.
Si elle n'avait pas été là, est-ce que Mlle Dupin aurait été arrêtée ? Que va-t-il lui arriver?
Ira-t-elle en prison?
Les heures s'étirent comme si cette journée ne voulait jamais finir. En milieu d'après-midi,
elles ne sont plus qu'une petite dizaine d'irréductibles face au poste de police. Toutes
conseillent la même chose à Jeanne:
- Tu devrais rentrer chez toi, demoiselle. Tes parents vont s'inquiéter et tu ne peux rien faire
ici.
Contrariée, Jeanne doit pourtant s'avouer que c'est la meilleure chose à faire. Si ses parents
apprennent tout ça, elle risque de voir sa liberté rétrécir à vue d'œil! Elle prend le chemin du
retour avec l'horrible impression d'abandonner Mlle Dupin.

CHAPITRE 4
QU'EST-IL ARRIVÉ À EUGÉNIE DUPIN?
Le lendemain, c'est dimanche. Jeanne a ressassé toute la nuit les évènements de la
manifestation. Elle n'a pas école aujourd'hui, elle ne pourra pas voir si Mlle Dupin est libre
ou enfermée. Encore attendre. Sa mère l'arrache à ses réflexions:
- Jeanne, concentre-toi, s'il te plaît. On ne peut pas se permettre de gâcher de la dentelle.
La jeune fille soupire. Elle déteste la couture. Elle a bien essayé de mettre des dés à coudre
à chacun de ses doigts,
elle finit toujours par se piquer et, là, c'est la catastrophe.
La plus minuscule goutte de sang sur la jolie dentelle blanche, et c'est le carnage! Face à sa
maladresse, sa mère s'étrangle:
- Louison, remplace ta sœur, s'il te plaît, ou ça va prendre toute la journée.
L'aînée de la famille sapproche en bougonnant:
- Elle fait exprès !
- C'est pas vrai! s'enflamme Jeanne.
Flairant la tempête domestique, leur père sort le nez de son journal.
- Tiens, Jeannette, lis-nous donc le nouvel épisode des
Rougon-Macquart*.
La cadette attrape Le Populaire et s'installe sur une chaise. Ce feuilleton d'Emile Zola paraît
tous les jours en bas de la page 3 du journal. Juste au-dessus, l'attention de Jeanne est
captée par un nom: Maria Vérone. La jeune fille croit d'abord que son imagination lui joue
des tours, mais non, un petit article titre: Mme Maria Vérone arrêtée arbitrairement, porte
plainte contre un commissaire de police.
* Œuvre de l'écrivain français Émile Zola (1840-1902).
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Le cœur battant, Jeanne découvre le récit de ses aventures de la veille: Le mouvement se


déroula somme toute fort paisiblement. La police, neanmoins, s'affola. Et, sans aucune
espèce de raison, une douzaine de sufragettes furent conduites au poste de la rue de
Grenelle. On les y maintint plusieurs heures et elles ne furent relâchées que vers minuit*
Rien sur Eugénie Dupin. Jeanne relit le passage: elles furent relâchées. Son institutrice est
libre! L'énorme poids qui oppressait sa poitrine disparaît comme par magie.
À la grande surprise de son père, c'est d'un ton guilleret qu'elle entame la lecture du
feuilleton et tant pis s'il s'intitule La débâcle et parle d'évènements tragiques.
Le lendemain, Jeanne arrive en avance à l'école. Une grosse déception l'attend: une
remplaçante a été nommée jusqu'à nouvel ordre. Une rumeur circule parmi les élèves: Mlle
Dupin ne reviendra plus jamais! Jeanne veut en avoir le cœur net. À la récréation, elle
s'approche d'une autre institutrice:
- S'il vous plaît, dites-moi ce qui est arrivé à Mlle Dupin.
*Extrait du journal Le Populaire, 10 novembre 1928.
(suite page 36)
LES SUFFRAGETTES EN ACTION!
Les sultagettes anglaises se caractérisent par le choix d'actions violentes, dors que les
Françaises ont opté pour le pacifisme. Ce qui ne veut pas ale qu'elles sont restées passives
! Création d'associations et de journaux féministes, et aussi des actions plus
spectaculaires...
En France:
1908: Des urnes renversées
Lors des élections municipales de mai 1908, une cinquantaine de suffragettes, dont
Hubertine Auclert, envahissent les bureaux de vote, renversent les urnes et piétinent les
bulletins tombés au sol.
En Grande-Bretagne:
Juin 1913 : mort d'Emily Davison
Suffragette très active, Emily Davison prône la désobéissance civile dès 1906 et est
plusieurs fois arrêtée. Le 3 juin 1913, elle saute sur la piste d'une course de chevaux, devant
le cheval du roi. Elle meurt cinq jours plus tard de ses blessures.
EVE
Avril 1914 : un référendum pour les femmes
En avril 1914, profitant des élections législatives, des associations féministes et le quotidien
Le Journal demandent aux femmes: « Mesdames, mesdemoiselles, désirez-vous voter un
jour ? » Des bureaux de vote sont improvisés à Paris, ailleurs les femmes peuvent répondre
par correspondance. C'est un grand succès: 505 972 bulletins « Je désire voter » contre 114
réponses négatives.
10 juin 1914 : une bombe à l'abbaye de Westminster
Des attaques à la bombe, des incendies par centaines, des vitres brisées, des Journaux
attaqués... Les suffragettes anglaises multiplient les actions violentes, et c'est le
déclenchement de la Première Guerre mondiale qui y met un terme.
Les Anglaises obtiennent le droit de vote à partir de trente ans en 1918, à vingt et un ans,
comme les hommes, en 1928.

LA MODE « GARCONNE »
La mode, ça n'est pas qu'une question de goût. Pendant longtemps, les tenues des femmes
les ont empêchées de courir, de sauter... voire de respirer normalement !
Dans l'entre-deux-guerres, la créatrice
Coco Chanel lance la mode « garçonne », qui libère les mouvements des femmes.
1. La silhouette longiligne
En ne marquant plus la taille ni les seins, Coco Chanel lance la mode androgyne :
ni fille ni garçon.
2. Les cheveux courts
Les cheveux longs, symbole de féminité, sont coupés court.
3. Le chapeau
Le chapeau cloche remplace le grand chapeau garni de plumes.
4. Cravate
Cravate ou nœud papillon, la « garçonne » adopte des accessoires jusqu'ici masculins.
5. La cigarette
La cigarette, réservée jusqu'ici aux hommes, est utilisée pour affirmer son indépendance.
6. Le pantalon
Pratique, le pantalon ! Il est devenu un symbole de la libération des femmes, alors qu'il leur
était interdit depuis 1800.
La jeune femme jette un coup d'oeil inquiet autour d'elle avant de lui répondre à voix basse:
- Elle a été renvoyée.
- Oh! fait Jeanne sous le coup de la surprise. Vous savez où elle habite?
- Dans l'immeuble aux volets gris en face du boulanger.
Dès la fin de la classe, Jeanne prend la direction de la boulangerie du coin. Il y a bien un
immeuble aux volets gris. Elle toque chez la concierge.
- L'institutrice? Dernier étage, porte de droite!
Jeanne grimpe les marches quatre à quatre. « Pourvu qu'elle soit chez elle! »
Au cinquième, Jeanne respire profondément et frappe.
Elle entend des pas et une jeune femme apparaît. Les cheveux ont été coupés court, la jupe
est remontée aux genoux, le chemisier est ouvert de quelques boutons.
Et pourtant c'est bien Mlle Dupin qui l'accueille en s'écriant
- Jeanne! Entre vite, j'ai plein de choses à te raconter.
- Vous... vous avez l'air en pleine forme. On m'a dit que
- Cest exact, confirme Eugénie Dupin en l'invitant à S'asseoir à la petite table de sa
minuscule chambre. Mais ça n'a plus d'importance! Figure-toi que, dans notre cellule au
poste de police, j'ai eu le temps de parler avec les autres femmes. Il y avait plusieurs
journalistes, dont une travaillant pour La Française. Je vais faire des reportages pour cet
hebdomadaire! Et c'est toi qui m'as donné l'idée de mon premier article.
Bombardée par toutes ces informations, Jeanne regarde sans comprendre Eugénie, qui
précise:
- Jai proposé de faire un grand portrait de Suzanne
Noël, elle vient de recevoir la Légion d'honneur* ! Et tu sais quoi? Tu vas venir avec moi!

CHAPITRE 5
LA FÉE NOEL
Le jeudi suivant, Jeanne ne tient plus en place. Eugénie Dupin a tout arrangé: elle a obtenu
un rendez-vous de Suzanne Noël un jour sans école pour que Jeanne puisse l'accompagner
et elle a convaincu les parents de la jeune fille. Sa mère avait des réserves: elle craint que
Mlle Dupin ne mette des rêves irréalisables dans la tête de leur cadette. Mais, dès que la
jeune femme a prononcé le nom de Suzanne Noël, le père de Jeanne a donné son accord
en recommandant à Jeanne:
- Tu diras bien à Mme Noël que je la remercie tous les jours.
- Promis!
Sur le chemin, la jeune fille sautille de joie. Elle va rencontrer sa fée! Eugénie agite un
carnet dans sa main droite et explique:
- Tai préparé toute une liste de questions à lui poser. Je suis sûre qu'elle va te donner des
conseils très utiles.
Jeanne se renfrogne avant de répondre:
- Ma mère dit qu'elle est devenue chirurgienne parce que sa famille est riche.
- C'est possible, admet Eugénie. Nous le lui demanderons. Les femmes étudiant la
médecine sont de plus en plus nombreuses. Il existe peut-être des bourses* pour les plus
modestes.
Reprenant espoir, Jeanne trottine près de Mlle Dupin, qui annonce bientôt en désignant une
porte:
- Nous y sommes.
Elle sonne et pousse le lourd battant. Les voilà dans une salle d'attente décorée simplement.
Aussitôt surgit une petite femme. Elle a au moins cinquante ans,

ELLES ONT OSÉ !


Elizabeth Williams (1879-1981
Sans elle, on n'aurait pas découvert la planète Pluton en 19301 Diplômée de physique, cette
Américaine est une véritable « calculatrice » à une époque où les ordinateurs n'existent pas
encore. Elle ouvre la voie à d'autres mathématiciennes comme Katherine Johnson
(1918-2020).
Simone de Beauvoir (1908-19861
Grande féministe, cette écrivaine et philosophe française affirme : « On ne naît pas femme,
on le devient. »
En 1971, elle rédige un manifeste pour réclamer le droit d'interrompre une grossesse
(avortement), qui est signé par 343 femmes célèbres. Ce projet sera ensuite défendu par la
ministre de la Santé, Simone Veil, qui obtient la dépénalisation de l'avortement (1975).
Jane Goodall (née en 1934)
Elle est la première à avoir étudié précisément le comportement des chimpanzés. Grâce à
elle, on sait désormais que ces singes sont très proches des hommes : ils utilisent des outils
et leur famille compte beaucoup pour eux.
Jane Goodall agit toujours pour la protection de la nature.
Wangari Maathai (1940-2011)
Surnommée « la femme qui plantait des arbres », cette biologiste africaine lutte contre la
déforestation du Kenya, son pays, en plantant des millions d'arbres avec les femmes des
villages. Pour cette action, elle devient la première femme africaine à obtenir le prix Nobel
de la paix, en 2004.
Malala Yousaizai (née en 1997)
Cette jeune Pakistanaise symbolise la résistance face aux terroristes talibans qui interdisent
aux filles d'aller à l'école. À l'âge de quinze ans, elle est très grièvement blessée par balle.
En 2014, elle est la plus jeune lauréate du prix Nobel de la paix.
des cheveux grisonnants et deux grands yeux pétillants.
Jeanne n'en croit pas ses yeux: « Une vraie fée marraine! »
Elle regarde la main droite de Suzanne Noël qui s'agite, mais celle-ci ne tient pas de
baguette magique, elle leur fait simplement signe de la suivre avec l'air de dire:
« Mesdemoiselles, entrez, entrez. »
- Merci de nous recevoir, commence Eugénie en s'installant. Voici Jeanne, dont je vous ai
parlé.
La jeune fille ne perd pas une seconde et s'écrie:
- Vous avez sauvé mon père pendant la guerre, je veux sauver des vies moi aussi et devenir
chirurgienne!
- C'est le plus beau compliment qu'on puisse me faire, affirme Suzanne Noël, l'air heureux.
Encouragée, Jeanne enchaîne les questions :
- Est-ce qu'à mon âge, c'était déjà votre rêve d'être chirurgienne?
- Non, s'amuse Mme Noël. À cette époque, ce que j'aimais, c'était dessiner.
- Mais alors, vos parents vous ont obligée?
- Pas du tout. À dix-neuf ans, je me suis mariée et c'est mon mari, un dermatologue*, qui ma
poussée à passer
mon baccalauréat et à m'inscrire en médecine.
Jeanne, dépitée, en conclut
- Oh! Alors je dois me marier avec un médecin pour devenir chirurgienne.
Suzanne Noël éclate de rire devant sa moue:
- Ce n'est pas obligatoire: la faculté de médecine est ouverte aux femmes aujourd'hui. Même
si cela reste difficile: je travaille depuis trente ans et j'ai eu mon diplôme il y a trois ans
seulement!
Eugénie interrompt alors sa prise de notes pour demander
- Savez-vous s'il existe des bourses pour les jeunes filles modestes comme Jeanne?
Suzanne Noël secoue la tête en avouant :
- Je l'ignore...
La chirurgienne observe Jeanne et, soudain, elle s'exclame:
- Vous me donnez une idée: avec mon club de femmes, je pourrais lancer une récolte de
fonds pour financer les études de jeunes filles qui n'ont pas les moyens d'en faire.
Vous seriez ma filleule!
- Je savais bien que vous étiez une fée! s'écrie Jeanne, comblée. Je travaillerai dur et je
deviendrai chirurgienne, je le jure!
ÉPILOGUE
Suzanne Noël tint parole. Grâce à elle, dès la rentrée suivante, Jeanne poursuivit ses
études au collège. Mauvaise surprise: elle eut des cours de couture jusqu'au lycée!
Heureusement, les autres matières lui plurent, surtout les sciences. Quelques années plus
tard, elle obtint le baccalauréat de mathématiques et put s'inscrire en faculté de médecine.
Quand la Seconde Guerre mondiale éclata, Jeanne avait vingt-quatre ans, elle était toujours
étudiante.
Dans la clandestinité, elle assista Suzanne Noël, qui modifiait les visages de résistants en
fuite.
1944 fut une grande année: Paris fut libéré de l'occupation allemande, Jeanne décrocha son
diplôme de médecine et les Françaises obtinrent enfin le droit de vote!

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