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LA FEMME DOiT VOTER »
Les mots de Mlle Dupin ont impressionné Jeanne.
C'est comme si, d'un seul coup, tout devenait possible.
Jeanne prend vite sa décision: elle ira en secret à la manifestation des suffragettes* en plein
centre de Paris. Le samedi suivant, elle quitte sa mère, comme si elle allait à l'école, et se
dirige d'un pas décidé vers le chemin de fer métropolitain. Elle l'a déjà emprunté avec ses
parents et Louison, mais c'est la première fois qu'elle le prend seule.
* Surnom des femmes qui réclament le droit de vote.
Sortir de son quartier qu'elle connaît par cœur pour s'aventurer dans cette ville gigantesque,
c'est la grande expédition! Jeanne sautille presque, tant elle a l'impression d'être libre alors
qu'elle s'engouffre sous terre. C'est d'un ton joyeux qu'elle s'adresse au guichetier:
- Un ticket de seconde classe, s'il vous plaît! Quelle station est la plus proche du Sénat, s'il
vous plaît? Mabillon? Merci!
Son petit bout de carton en main, Jeanne se dirige vers le grand plan affiché sur un mur.
«Toutes ces lignes*, on dirait une toile d'araignée, se
* À cette époque, Paris compte déjà treize lignes de métro.
dit-elle en cherchant le nom de sa station, Javel. La voilà! Et maintenant, Mabillon,
Mabillon... Ici! »
Aucune ligne n'est directe. Jeanne se décide pour un itinéraire:
- Ligne 8 jusqu'à Invalides, puis ligne 10 jusqu'à Mabillon.
Facile! Elle grimpe dans la première rame. Il y a une dizaine de personnes autour d'elle. Des
adultes seulement.
Tous sont bien silencieux, sauf deux jeunes femmes enjouées qui se chuchotent à l'oreille.
Jeanne s'assied près d'elles et compte les stations avant les Invalides. Sept. Six. Cinq.
Ouatre. C'est la! Jeanne se lève. Les deux jeunes femmes Aussi. Elles sortent en
poursuivant leur conversation. Il ya beaucoup plus de monde sur les quais ici. Jeanne trouve
la pancarte « ligne 10 » et prend la direction indiquée. Revoila les deux jeunes femmes
devant elle. Et si...? Jeanne monte dans la voiture à leur suite et guette la station Mabillon.
Elle se met à espérer: « Si elles descendent là, sûr qu'elles vont à la manifestation. » C'est
bien ça! Jeanne est ravie, elle n'a qu'à les suivre. Une fois dehors, elle tente de mémoriser
les lieux pour le retour, mais son attention s'envole vite. Toutes ces voitures! Toute cette
agitation! De furieux coups de klaxon jappent comme des chiens enfermés et des jurons
retentissent:
- Retourne dans ta caverne! Bouge de là!
Jeanne ouvre de grands yeux en découvrant à qui
S'adressent ces insultes: il s'agit d'un homme tirant une montagne de cagettes derrière lui,
sans se presser. Tandis que, devant Jeanne, surgit un homme-sandwich*. La jeune flle se
retourne sur son passage et lit à voix haute le slogan écrit dans son dos:
- « Fumez, c'est bon pour votre santé» !
* Homme portant deux panneaux, l'un sur la poitrine, lautre dans le dos, diffusant des
publicités dans la rue.
(suite page 18
En reprenant sa marche, Jeanne manque de percuter une belle dame qui sort d'une des
boutiques très chics qui bordent l'avenue. Elle s'attarde un instant sur les mannequins de la
devanture, lorsqu'elle s'aperçoit qu'elle a laissé filer ses deux guides! Vite, elle court pour les
rattraper. Les voilà rue de Seine, puis rue de Tournon.
Jeanne ne se laisse plus distancer, même si elle ouvre grand les yeux pour admirer les
belles façades des immeubles.
Bientôt, elle remarque au loin de petits groupes de femmes. Une fois à leur hauteur, plus de
doute possible, c'est bien là: nombreuses sont celles qui ont accroché un ruban sur leur
chapeau, portant l'inscription: La femme doit voter.
Jeanne se mêle aux manifestantes. Elles sont bien habillées et portent de jolis chapeaux à
la mode.
La jeune fille note que sa mère, même en habits du dimanche, se ferait remarquer : il n'y a
pas de couturière ou d'ouvrière ici. Seules les femmes des milieux aisés peuvent se
permettre de manifester. Autour de Jeanne les conversations s'animent:
-C'est une honte! Le pays des droits de l'homme sera donc le dernier à rendre justice aux
femmes!
CHAPITRE 3
L'ARRESTATION
C'est Eugénie Dupin! Son institutrice se dirige vers
Jeanne avec un grand sourire.
- Eh bien, si toutes les filles de treize ans sont comme toi, nous sommes sauvées!
- En fait. Euh... j'espérais surtout rencontrer Suzanne Noël, lui avoue Jeanne.
- Suzanne Noël?
GINO GRANDES FEMINISTES DU DÉBUT OU XY° SIÉGLE
Hubertine Auclert (1848-1914)
Journaliste et écrivaine française, elle est issue d'un milieu aisé et lutte pour l'égalité
complète des femmes, Pour cela, elle milite au sein d'associations, lance une grève de
l'impôt, crée un journal, La Citoyenne, réclame la féminisation des mots (avocat - avocate) ...
Marguerite Durand (1864-1936]
Journaliste, elle refuse d'écrire un article négatif, commandé par Le Figaro, sur le Congrès
féministe international qui se tient à Paris en 1896. Elle prend conscience que le journalisme
est une arme de combat: elle décide de s'en servir dans la lutte pour les droits des femmes
et crée le journal La Fronde.
Emmeline Pankhurst (1858-1928)
Cette Anglaise, fille d'activistes politiques, milite dès l'adolescence en faveur des femmes.
Mariée à un avocat, mère de cinq enfants, elle crée en 1903 une organisation féministe et se
lance dans l'action directe (bombes, incendies...), qui lui vaut plusieurs séjours en prison et
beaucoup de critiques.
Maria Vérone (1874-1938
Toute jeune, elle fréquente le cercle politique de son père.
Devenue institutrice, elle est renvoyée par l'inspecteur de l'instruction primaire pour son
militantisme. Elle rejoint alors le journal La Fronde. Parallèlement, elle reprend ses études et
devient avocate en 1908. Elle milite dès lors pour les droits des femmes.
Louise Weiss (1893-1983]
Agrégée de lettres, elle est d'abord journaliste. En 1934, elle fonde une association, La
Femme Nouvelle, et lance en 1936 des actions spectaculaires pour faire parler de ses
revenaications: lacher de balons rouges lors de la finale de la coupe de France de football,
circulation bloquée à Paris…
Oui, c'est elle qui a opéré le visage de mon père pendant la guerre. Alors j'aimerais lui
demander des conseils pour devenir chirurgienne.
- C'est une excellente idée. Mais comment sais-tu qu'elle participe à la manifestation?
- Mon père découpe tous les articles sur elle dans le journal. Elle a créé un club de femmes
et participe à toutes les actions pour le droit de vote. Et comme son cabinet est tout près
d'ici...
- Tu pourrais être détective! la félicite Mlle Dupin. Sais-tu à quoi elle ressemble ?
- Il y avait une photo avec un article, mais je ne suis pas sûre de la reconnaître.
- Viens, on va demander.
Jeanne imite son institutrice de son côté:
- Bonjour, mesdames, je cherche Suzanne Noël, la chirurgienne. Savez-vous si elle est là ?
Non, elles ne l'ont pas vue. Mais, progressivement, les mots de Jeanne résonnent comme
un écho de groupe en groupe:
- La petite cherche Suzanne Noël, quelqu'un sait quelque chose
Jeanne se sent pousser des ailes. À plusieurs, on peut vraiment déplacer des montagnes.
Jeanne se rend alors compte que les manifestantes sont devenues beaucoup plus
nombreuses. Elle s'en réjouit: « Rien ne pourra les arrêter. » Mais, subitement, des cris
retentissent. Jeanne se hisse sur la pointe des pieds pour voir ce que toutes les femmes
regardent. Des policiers! Ils viennent de surgir au bout de la rue de Vaugirard et hurlent :
- Dispersez-vous! Dispersez-vous!
Les manifestantes résistent en s'accrochant les unes aux autres pour former une grande
chaîne. Une main saisit brutalement le bras de Jeanne. Un policier! Sa voix autoritaire
résonne dans ses oreilles.
- Qu'est-ce que tu fais là, toi?
Eugénie Dupin s'interpose aussitôt:
- Laissez-la!
Une grande bourrade derrière eux fait trébucher le policier, qui lâche Jeanne, mais attrape
Mlle Dupin à la place. La confusion est telle que Jeanne perd de vue son institutrice.
Soudain, elle l'aperçoit et joue des coudes pour s'accrocher à elle, mais la jeune femme la
repousse:
- Mets-toi à l'abri, Jeanne. Ne t'en fais pas pour moi!
Jeanne n'a pas le temps de réagir, elle est bousculée dans tous les sens et assiste
impuissante à l'arrestation de son institutrice. Une dizaine de femmes, fermement tenues par
le bras, sont, comme elle, entraînées par des policiers, sous les cris et les sifflets des autres
manifestantes.
Un cortège se forme à leur suite et remonte la rue de Vaugirard. Ne sachant trop que faire,
Jeanne suit le mouvement.
- Où les emmènent-ils ?
Une manifestante la renseigne:
- Au poste de police, rue de Grenelle.
Devant le commissariat, le tollé gronde de plus belle.
Jeanne siffle avec les autres. Puis le chahut s'étiole, lattente commence. Les voisines de
Jeanne l'interrogent:
- Ils ont arrêté quelqu'un que tu connais?
Jeanne a les larmes aux yeux quand elle répond:
- Mon institutrice.
Aussitôt, les femmes autour d'elle la réconfortent:
- Ne t'en fais pas. Ils ont pris Maria Vérone aussi. C'est une très bonne avocate, elle va les
sortir de là.
Ces mots soulagent Jeanne, mais elle se sent coupable.
Si elle n'avait pas été là, est-ce que Mlle Dupin aurait été arrêtée ? Que va-t-il lui arriver?
Ira-t-elle en prison?
Les heures s'étirent comme si cette journée ne voulait jamais finir. En milieu d'après-midi,
elles ne sont plus qu'une petite dizaine d'irréductibles face au poste de police. Toutes
conseillent la même chose à Jeanne:
- Tu devrais rentrer chez toi, demoiselle. Tes parents vont s'inquiéter et tu ne peux rien faire
ici.
Contrariée, Jeanne doit pourtant s'avouer que c'est la meilleure chose à faire. Si ses parents
apprennent tout ça, elle risque de voir sa liberté rétrécir à vue d'œil! Elle prend le chemin du
retour avec l'horrible impression d'abandonner Mlle Dupin.
CHAPITRE 4
QU'EST-IL ARRIVÉ À EUGÉNIE DUPIN?
Le lendemain, c'est dimanche. Jeanne a ressassé toute la nuit les évènements de la
manifestation. Elle n'a pas école aujourd'hui, elle ne pourra pas voir si Mlle Dupin est libre
ou enfermée. Encore attendre. Sa mère l'arrache à ses réflexions:
- Jeanne, concentre-toi, s'il te plaît. On ne peut pas se permettre de gâcher de la dentelle.
La jeune fille soupire. Elle déteste la couture. Elle a bien essayé de mettre des dés à coudre
à chacun de ses doigts,
elle finit toujours par se piquer et, là, c'est la catastrophe.
La plus minuscule goutte de sang sur la jolie dentelle blanche, et c'est le carnage! Face à sa
maladresse, sa mère s'étrangle:
- Louison, remplace ta sœur, s'il te plaît, ou ça va prendre toute la journée.
L'aînée de la famille sapproche en bougonnant:
- Elle fait exprès !
- C'est pas vrai! s'enflamme Jeanne.
Flairant la tempête domestique, leur père sort le nez de son journal.
- Tiens, Jeannette, lis-nous donc le nouvel épisode des
Rougon-Macquart*.
La cadette attrape Le Populaire et s'installe sur une chaise. Ce feuilleton d'Emile Zola paraît
tous les jours en bas de la page 3 du journal. Juste au-dessus, l'attention de Jeanne est
captée par un nom: Maria Vérone. La jeune fille croit d'abord que son imagination lui joue
des tours, mais non, un petit article titre: Mme Maria Vérone arrêtée arbitrairement, porte
plainte contre un commissaire de police.
* Œuvre de l'écrivain français Émile Zola (1840-1902).
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LA MODE « GARCONNE »
La mode, ça n'est pas qu'une question de goût. Pendant longtemps, les tenues des femmes
les ont empêchées de courir, de sauter... voire de respirer normalement !
Dans l'entre-deux-guerres, la créatrice
Coco Chanel lance la mode « garçonne », qui libère les mouvements des femmes.
1. La silhouette longiligne
En ne marquant plus la taille ni les seins, Coco Chanel lance la mode androgyne :
ni fille ni garçon.
2. Les cheveux courts
Les cheveux longs, symbole de féminité, sont coupés court.
3. Le chapeau
Le chapeau cloche remplace le grand chapeau garni de plumes.
4. Cravate
Cravate ou nœud papillon, la « garçonne » adopte des accessoires jusqu'ici masculins.
5. La cigarette
La cigarette, réservée jusqu'ici aux hommes, est utilisée pour affirmer son indépendance.
6. Le pantalon
Pratique, le pantalon ! Il est devenu un symbole de la libération des femmes, alors qu'il leur
était interdit depuis 1800.
La jeune femme jette un coup d'oeil inquiet autour d'elle avant de lui répondre à voix basse:
- Elle a été renvoyée.
- Oh! fait Jeanne sous le coup de la surprise. Vous savez où elle habite?
- Dans l'immeuble aux volets gris en face du boulanger.
Dès la fin de la classe, Jeanne prend la direction de la boulangerie du coin. Il y a bien un
immeuble aux volets gris. Elle toque chez la concierge.
- L'institutrice? Dernier étage, porte de droite!
Jeanne grimpe les marches quatre à quatre. « Pourvu qu'elle soit chez elle! »
Au cinquième, Jeanne respire profondément et frappe.
Elle entend des pas et une jeune femme apparaît. Les cheveux ont été coupés court, la jupe
est remontée aux genoux, le chemisier est ouvert de quelques boutons.
Et pourtant c'est bien Mlle Dupin qui l'accueille en s'écriant
- Jeanne! Entre vite, j'ai plein de choses à te raconter.
- Vous... vous avez l'air en pleine forme. On m'a dit que
- Cest exact, confirme Eugénie Dupin en l'invitant à S'asseoir à la petite table de sa
minuscule chambre. Mais ça n'a plus d'importance! Figure-toi que, dans notre cellule au
poste de police, j'ai eu le temps de parler avec les autres femmes. Il y avait plusieurs
journalistes, dont une travaillant pour La Française. Je vais faire des reportages pour cet
hebdomadaire! Et c'est toi qui m'as donné l'idée de mon premier article.
Bombardée par toutes ces informations, Jeanne regarde sans comprendre Eugénie, qui
précise:
- Jai proposé de faire un grand portrait de Suzanne
Noël, elle vient de recevoir la Légion d'honneur* ! Et tu sais quoi? Tu vas venir avec moi!
CHAPITRE 5
LA FÉE NOEL
Le jeudi suivant, Jeanne ne tient plus en place. Eugénie Dupin a tout arrangé: elle a obtenu
un rendez-vous de Suzanne Noël un jour sans école pour que Jeanne puisse l'accompagner
et elle a convaincu les parents de la jeune fille. Sa mère avait des réserves: elle craint que
Mlle Dupin ne mette des rêves irréalisables dans la tête de leur cadette. Mais, dès que la
jeune femme a prononcé le nom de Suzanne Noël, le père de Jeanne a donné son accord
en recommandant à Jeanne:
- Tu diras bien à Mme Noël que je la remercie tous les jours.
- Promis!
Sur le chemin, la jeune fille sautille de joie. Elle va rencontrer sa fée! Eugénie agite un
carnet dans sa main droite et explique:
- Tai préparé toute une liste de questions à lui poser. Je suis sûre qu'elle va te donner des
conseils très utiles.
Jeanne se renfrogne avant de répondre:
- Ma mère dit qu'elle est devenue chirurgienne parce que sa famille est riche.
- C'est possible, admet Eugénie. Nous le lui demanderons. Les femmes étudiant la
médecine sont de plus en plus nombreuses. Il existe peut-être des bourses* pour les plus
modestes.
Reprenant espoir, Jeanne trottine près de Mlle Dupin, qui annonce bientôt en désignant une
porte:
- Nous y sommes.
Elle sonne et pousse le lourd battant. Les voilà dans une salle d'attente décorée simplement.
Aussitôt surgit une petite femme. Elle a au moins cinquante ans,