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SÉQUENCE II 

: Le récit et le roman du Moyen-Âge au XXIème siècle.


PARCOURS : « Personnages en marge, plaisirs du romanesque »
LECTURE CURSIVE : MAUVIGNIER, Continuer, 2016.

DEUX PERSONNAGES EN MARGE

1. SAMUEL, figure de l’adolescent en marge.


- Un adolescent en échec scolaire
- Le décrochage n’est pas uniquement scolaire, cet adolescent est comme en
perdition, en roue libre : « comme s’il n’était plus capable de savoir s’il faisait chaud
ou froid ou de s’habiller en conséquence ; comme s’il n’était plus capable de savoir
quel jour de la semaine on était ; comme s’il était incapable de savoir s’il était seul ou
avec quelqu’un dans une pièce ; comme s’il confondait le jour et la nuit. » ; « look de
skinhead »
- La soirée fatale à Lacanau : drogue et viol. « Ce vendredi (…) Samuel n’était pas
rentré de la nuit. » (24) Un match de foot, beaucoup d’alcool, Un trajet en voiture à
toute vitesse, musique à fond, une fête à Lacanau, puis le viol de Viosna par ses
« copains », dont il est complice, l’attente interminable de Sibylle, la gendarmerie de
Lacanau…
Lors du repas avec Bernard, les circonstances de la journée sont restituées, Samuel
parle enfin : « ils ont roulé complètement bourrés (…) ont refusé de s’arrêter quand
les flics les ont interpellés, (…) ils ont fini dans le fossé (…) les flics ont trouvé le shit
dans la boîte à gants (…) les parents du gars qui organisait la fête ont décidé de
porter plainte à cause des dégradations (…) et puis Viosna (…) Il n’a rien dit ni rien fait
contre eux. » (61)
- Un adolescent en rupture avec sa mère, un adolescent en colère : violence de
l’échange entre eux lorsque Sibylle le cherche à la gendarmerie. Une violence, une
ranceur contenues, qui explose alors. Difficulté absolue de communiquer durant les
heures qui suivent, lors de leur retour dans l’appartement : « Sam ! » Mère et fils
sont face à face, les mots ne sortent pas. « Elle voudrait lui dire, mais elle ne sait pas
comment ni par quoi commencer. » (53)
- L’appel à l’aide lancé par Sibylle, la venue de son père Benoît.
- Dans le fond, un enfant traumatisé par le divorce de ses parents : « sa mère et son
père ont toujours été d’accord sur un point, c’est qu’ils ont toujours voulu l’éloigner,
se débarrasser de lui, qu’il foute le camp, qu’il disparaisse, comme si c’était à cause
de lui qu’ils avaient passé leur temps à s’engueuler et à se détester, comme s’il avait
été la cause de leur naufrage, et pas la victime. » ; « cette place à laquelle il se sentait
condamné et pris au piège, assigné à résidence : entre eux. » (64)
Violence contenue à l’égard de ses parents : « il a déjà rêvé qu’il les tuait, ses parents,
qu’un jour il leur collait à l’un et à l’autre une balle dans le front. » (64)
- Autre élément qui perturbe Samuel, la figure d’un père qui ne l’épargne pas et lui
livre « entre hommes » tout le mal qu’il pense de sa mère, tout ce qu’un père ne doit
pas confier à son fils. Un roman qui témoigne de la société actuelle, et de ses figures
de parents qui peinent à trouver leur juste place. « Mais un homme, tu ne le sais
peut-être pas encore, ça a de grands besoins sexuels et puis, avec mon travail, et
puis, ce n’est pas drôle de rentrer chez soi avec une femme qui t’attend en peignoir
et avec sa clope qui fume dans le cendrier... » (120) ; « je l’ai trompée, oui, plusieurs
fois. ». Il conditionne beaucoup le mépris ressenti par Samuel à l’égard de sa mère :
« Samuel repense à ça et il regarde sa mère qui se débat avec trois gamelles pleines
de boue. » (120) ; « Il a envie de lui gueuler qu’il comprend pourquoi son père est
parti. » ; « Il a honte, tellement honte, il éprouve du dégoût et une sorte de pitié dont
il a honte aussi. » ; « Il voudrait qu’elle soit morte. »
- Plus lointainement et profondément encore, Samuel a dès tout petit, dès l’école été
« d’une nature mélancolique – combien de fois on lui a dit, à l’école, que Samuel
était sérieux mais qu’il avait l’air lointain et mélancolique, presque triste. » (139)
- Politiquement, Samuel semble se tourner vers la haine des autres et l’extrême
droite (aux antipodes de sa mère), ce qui n’est que le symptôme de sa peur et de
l’errance de sa vie, comme en témoigne la scène où il se retrouve seul face à un
jeune kirghize dans un village : « sa haine des autres » (147) ; son look à Bordeaux est
celui d’un skinhead. « Il ne sait regarder sa peur et ne voit que le mot dans lequel il
peut faire tenir tout entière, musulman, parce que ce mot devient pour lui le nom de
la terreur. » (148) ; « parce qu’il a peur des attentats, qu’il a peur des images qu’il
voit des banlieues, lui qui n’y a jamais foutu les pieds. »
Sibylle est consciente que son fils « est un animal sauvage et toujours au bord de la
panique ».

2. SIBYLLE, une mère en pleine errance. Une vérité qui se dévoile peu à peu, jusqu’aux
dernières pages du roman.
- Une femme qui se laisse aller : cigarette, robe de chambre, alcool, inaction : « dans
son peignoir gris miteux, à regarder sa putain de télé, fumant des clopes et buvant
des bières à longueur de journée » (26) ; « elle a toujours l’air d’avoir les cheveux
sales ou éteints » ; « elle sait très bien qu’en ce moment ça ne va pas trop, elle se
trouve une tête affreuse, c’est parce qu’elle fume trop. » (27)
- Une femme qui peine à retrouver ses marques dans sa nouvelle vie :
Le désordre qui règne dans la maison
Le robinet qui goutte et qu’elle ne répare pas, à l’image de son fils qu’elle ne peut
aider : « tout ce qu’elle ne fait pas dans cet appartement, tout ce qui attend, les
choses n’y sont pour rien, c’est elle seule qui est responsable. » (51)
- Une femme qui a perdu le contact avec son fils.
- Une femme qui a abdiqué :
Qui a renoncé à sa carrière de chirurgien
Qui a renoncé à sa carrière d’écrivaine (ses études de médecine l’ont fait renoncer à
l’écriture) : « elle a laissé de côté le manuscrit qu’elle écrivait, un roman. » (103)
Qui a renoncé à son énergie, sa vitalité du passé : voir l’analepse qui nous fait revenir
en 1993 : « elle possède une énergie incroyable, une conviction qui suscite
l’admiration autour d’elle. Elle aime les chevaux, la randonnée, la mer. Elle aime aussi
danser. » (101) ; les études de médecine sont pour elle comme une revanche
sociale par rapport à sa famille.
Qui a renoncé à ses engagements, à ses combats politiques à gauche, malgré sa
défiance à l’égard du communisme, héritée de ses grands-parents russes et sa
méfiace à l’égard Mitterand, premier président socialiste de la Vème République, elle
reste une femme libre : voir l’analepse : « Pour sa génération, le grand combat, c’est
la lutte contre Le Pen, le Front national, les idées de rejet qui montent dans ces
années-là. » (103)
- Une femme qui a une image très négative d’elle-même.
- Une image négative nourrie par les sarcasmes de son ex-mari Benoît
« depuis un an elle s’était plantée sur tout parce qu’elle n’avait pas su écouter son
fils, elle n’avait pas su voir comment il allait mal ni qu’il avait besoin d’aide. » (65)
« Tu n’as jamais eu le sens des réalités. Si tu veux mon avis, c’est pour ça que tu t’es
toujours plantée, que tu n’as jamais été foutue de rien finir de ce que tu avais
commencé. » (68) ; « tu n’es même pas foutue de changer un robinet. »
Non sans cruauté, Benoît apprend à son fils que sa mère a fait l’actualité autrefois,
lorsqu’elle s’est perdue en Corse. « Tu crois que je ne vais pas dire à ton fils qu’il est
en danger avec toi ? »
- Une femme qui a souffert.
Un mariage malheureux, un divorce, un déménagement à Bordeaux :
Le repas organisé à Bordeaux avec Benoît témoigne de l’éclatement de cette famille :
« Elle a toujours son regard haineux. Non, décidément, elle ne lui a rien pardonné. »
(56)
Un amant perdu
Une année fatale, 1995 : le moment où l’histoire de Sibylle rencontre l’Histoire, celle
des attentats de 95
Plus profondément, elle porte la souffrance et la culpabilité de ses parents immigrés
russes (son vrai nom est Sibylle Ossokine).
- Une femme qui se sent coupable : de l’errance de son fils, de son racisme…
« Maintenant, il faut qu’ils comprennent ensemble ce qui s’est passé. Comment
depuis des mois si s’est détruit, comment ils l’ont détruit à force d’indifférence, ou
d’aveuglement, car ils ont été aveugles à tout ce qui n’était pas leur guerre, à tout ce
qui n’était pas eux et chacun a été responsable de ce qui arrive ce matin. » (37)

Deux prénoms symboliques :


- « Sibylle » évoque la « Sibylle de Cumes », dans la mythologie antique, capable de
délivrer des oracles, de prédire l’avenir, sous la forme d’énigmes à décoder. La Sibylle
du roman contient elle aussi bien des mystères (elle ne se comprend plus elle-
même), mais chemine et nous fait cheminer vers une forme de vérité.

- « Samuel » évoque pour MAUVIGNIER Samuel BECKETT, célèbre auteur du théâtre


de l’Absurde (voir le texte extrait de Fin de partie dans la séquence I). Comme les
personnages de BECKETT, le Samuel du roman incarne une forme de dégradation,
d’errance, de désespérance face au monde, mais il réussit finalement à trouver une
porte de sortie, contrairement aux personnages de BECKETT, condamnés à une
attente éternelle (voir En attendant Godot). Beckett est un des auteurs favoris de
Sibylle (et de Mauvignier !) : « Elle pense que si un jour elle a des enfants, elle les
appellera par les prénoms des écrivains qu’elle aime. » (104). En Beckett elle trouve
« l’idée qu’elle se fait de la beauté et du désespoir, de ce fil qui fait tenir les êtres
debout. » (voir la passion de Mauvignier pour Giacometti). À la page 212, quand
Sibylle reçoit une réponse positive de son éditeur en 95, elle regarde les livres de sa
bibliothèque, et en particulier celui de Beckett. La référence se précise encore à la fin
du roman, quand Samuel découvre le carnet de sa mère : après la perte de Gaël, elle
a épousé Benoît sans l’aimer, elle a eu un enfant parce que Benoît le voulait, mais
elle a insisté sur le prénom « à cause d’un écrivain qu’elle admire, mais dont elle
n’ose plus lire une ligne ; elle ne lit plus, elle ne vit plus, mais son fils s’appellera
Samuel. » (233)

UN ROMAN INITIATIQUE

1. Un voyage pour « sauver » Samuel


- Une femme qui n’accepte pas la fatalité de la dégringolade de son fils : « Elle ne
pouvait pas accepter de voir son fils sombrer dans la délinquance parce qu’il pensait
que sa vie n’avait aucun sens ni aucune importance. » (66)
- L’énergie retrouvée : voir le titre de la première partie du roman : « Décider ».
- Le projet présenté au père lors du pénible repas « à trois » (54) :
Réprobation du père : « Tu n’as jamais eu le sens des réalités. Si tu veux mon avis,
c’est pour ça que tu t’es toujours plantée, que tu n’as jamais été foutue de rien finir
de ce que tu avais commencé. » (68) ; « Ton fils fait des conneries et toi au lieu de le
foutre en pension … non, madame veut lui donner le goût de l’air libre et partir. »
Un père qui n’a aucune confiance en Sibylle : « où que vous soyez, si jamais la
moindre chose se passe mal, je veux le savoir. »
Puis réprobation de Samuel : « Samuel était resté sans voix, inerte. » ; Samuel n’est
pas du tout reconnaissant envers sa mère, au contraire. Il déteste ce rôle de « mère
courage » qu’elle endosse et qui ne lui vaut que des éloges. « Une énorme boule de
haine qui grossissait contre elle, la mère courage, la mère généreuse et son grand
projet un peu fou de sauver son fils de la délinquance. Oui, ce que tout le monde
regardait d’un œil émerveillé, lui trouvait ça complètement narcissique et
délirant. Elle fait ça pour se donner le beau rôle. » Pire encore : « Samuel n’ose pas se
le dire, mais il n’avait qu’un seul regret, c’est que ce voyage au pays des Chevaux
Célestes, il aurait préféré le faire avec son père. » (73)
« Son arrivée ici, Samuel l’avait faite sans désir, sans volonté, ou alors avec la volonté
de résister à tout ce qu’on voudrait lui imposer, à tout ce bien qu’on voulait pour lui
sans qu’il ait le choix de s’y opposer. » (83) ; au départ, il veut même s’enfuir avant
de partir, mais renonce, faute de trouver l’énergie de mettre son plan à exécution :
« il se foutait de son projet. »
- La vente de la maison en Bourgogne (p.49), un vrai sacrifice pour Sibylle, qui avait
toujours juré de ne pas la vendre. Allégorie de la maternité.
- Au sens propre, Sibylle va devoir « sauver » son fils lorsqu’il fugue après sa nuit
d’amour avec Arnaud. « Elle part au galop, sans même se demander où elle doit
partir, mais traçant sa route à l’instinct. » (183)

2. Un voyage pour « se » sauver aussi : une femme qui tente de se reconstruire.
- Une femme qui à partir du moment où elle décide de partir se métamorphose : elle
n’est plus cette femme affaissée devant la télé, mais « chaque jour, il l’avait trouvée
plus forte, plus déterminée. » (85) ; après la vente de la maison de Bourgogne, elle
revient contre toute attente « heureuse et presque rayonnante ». Samuel reste
indifférent, mais tout de même « hypnotisé par l’énergie de sa mère » (86)
- Retrouver son fils, le « rencontrer ».
- Retrouver un sens à sa vie, une dignité, un but.
- Retrouver un idéal politique, celui de sa jeunesse de gauche.
- Retrouver son corps de femme, accepter de plaire à un homme, qu’un homme
puisse la séduire, comme ce sera le cas d’Arnaud.
Une femme qui renoue avec sa féminité, lors de sa rencontre avec Arnaud : « la
dernière fois qu’un homme lui a souri et pris la main avec autant d’attention et de
persévérance, c’était avant le vingt et unième siècle. » (162) ; ils partagent une nuit
d’amour (168) : « cette nuit elle va faire l’amour et elle ne pensera à rien. »
Mais ce sera un chemin difficile. La fuite de Samuel après sa nuit d’amour avec
Arnaud invalide immédiatement cette rencontre : « cette femme qui était tellement
morte en elle, depuis si longtemps… Elle a cru qu’elle pourrait la réveiller, l’aider à se
relever, et maintenant elle se dit que Samuel est blessé. » (184)
- Combattre des démons intérieurs, un passé très présent :
 Voir le passage qui retrace son cauchemar : un cheval qui ne veut plus
avancer puis disparaît, des pierres et de la lave qui l’entravent dans une sorte
de paysage infernal, puis le paysage se précise : un motard accidenté au sol,
un cheval ailé qui semble l’engloutir. Un traumatisme ancien qui ressurgit et
vers lequel elle « chemine » intérieurement ? Une blessure ancienne qu’elle
va soigner, qu’elle tente de soigner ?
Peu à peu, les souvenirs remontent : Tours, une station-essence, la rencontre
avec Gaël, un motard… (108)
 Nouvelle occurrence de cette relation, à la page 125 : une période heureuse.
Quand elle se croise dans un miroir, elle voit « une vraie beauté », « un air si
lumineux et décidé. » ; ses études sont prometteuses : « une habileté
manuelle sans pareille. » ; « dans quelques années elle sera chirurgien ». ;
« elle pense que la vie s’ouvre à elle. »
 Un nouveau cauchemar à la page 172, alors qu’elle dort aux côtés d’Arnaud,
avec lequel elle vient de faire l’amour : une marche sans fin sur l’autoroute,
pieds nus, sur des pierres volcaniques qui peu à peu deviennent rouges et
brûlantes. Et peu à peu les mêmes images : « Et bientôt les débris de la moto,
la roue qui tourne dans le vide, les gants sur l’asphalte, le blouson noir
déchiré. » (174) … Puis c’est l’image de Gaël (mort) qui apparaît. Elle le
supplie de ne plus apparaître dans ses rêves, de la laisser vivre.
 Autre démon, l’année 1998 où elle s’est perdue sur le GR en Corse, liée au
mépris et à la dérision de Benoît venu la chercher : « ajoutant en se voulant
drôle : il n’y a de la chance que pour la mauvaise herbe. » (121) ; « elle avait
complètement oublié comment elle s’était perdue. » ; « seule dans une gorge
et avec cette blessure à la tête. » ; « à l’époque elle était à bout de tout, et un
gouffre sans fond s’était ouvert sous ses pieds. » (122)
 Le passé (1995) ressurgit après la chute de Sibylle, à la faveur d’une nouvelle
analepse (209) : « Sibylle court vite, elle est boulimique de travail, d’amour,
de tout. » Effet de contraste saisissant avec l’issue dramatique de la deuxième
partie du roman. Sibylle est alors interne dans les hôpitaux de Paris, l’avenir
lui sourit. C’est une femme amoureuse aussi, avec Gaël. Gaël est un motard
(ce qui suscite la crainte de Sibylle), il réalise des films documentaires, Sibylle
finit son roman, encouragée par son compagnon. Il poste d’ailleurs son
tapuscrit. Elle reçoit même une réponse positive de l’éditeur : « c’est
formidable votre livre. » (212)
 Le puzzle se complète à la fin du roman, à la page 228 : on comprend que
Gaël, son amour fou, a été tué lors d’un attentat islamiste dans le RER,
durant l’été 95 (et non par un accident de moto !), ce qui explique pourquoi
elle n’a pu supporter d’échanger un regard avec un Arabe pendant des
années, ce qui explique aussi peut-être inconsciemment le racisme de son fils
(« Samuel est raciste à cause de moi, pas à cause de son père… j’en voulais à
la terre entière et je croyais que tous les Arabes marchaient dans la rue pour
me harceler et me rappeler sa mort »). S’écroulent alors ses idéaux de
gauche. Elle se réfugie dans le travail, mais lors d’une banale opération de
l’appendicite, une opération facile, elle se trouble à la vue de sang, et ne sera
jamais chirurgien. Un destin se brise. Les éditeurs oublient de la relancer, son
livre ne paraîtra jamais…
- Une femme que ce voyage aide à faire émerger SA vérité ; la narration fait peu à
peu remonter cette vérité, comme si l’écriture du roman lui-même était nécessaire à
cela. Voir toutes les pensées qui se bousculent dans sa tête au moment où elle
cherche son fils de façon éperdue : « Ce n’est pas lui qui est parti, ce n’est pas lui,
c’est moi, c’est moi qui l’ai foutu dehors ». Sibylle évoque ses nombreuses infidélités.
Pire encore, « le nombre de fois où il me réveillait pour me forcer à faire l’amour. »
(199) 
- L’arrivée de Benoît complète le puzzle de cette vérité, que le roman reconstitue peu
à peu : l’amour pour Gaël dont elle ne s’est jamais remise, après son accident, « le
nombre de fois où il avait dû intervenir parce qu’il la retrouvait ivre morte dans des
bars – avant la naissance de Samuel-. Cela peut expliquer aussi le ressentiment nourri
par Benoît à l’égard de Sibylle : « peu importe que Sibylle crève dans un hôpital au
fond du Kirghizistan ou d’ailleurs. » (217) En réalité, Sibylle n’a jamais aimé Benoît.

3. Un échec ?
- Samuel n’a aucune confiance en sa mère : « Il savait que partir avec sa mère, c’était
prendre un risque, elle est fragile, imprévisible. » (71)
- L’attitude de Samuel est négative au départ, il est fermé aux autres, incapable de
rencontrer l’autre : voir après l’épisode des Kirghizes, au moment où Sibylle
sympathise avec Djamila : « Samuel, lui, ne rit pas. Il regarde sa mère avec une colère
froide, intransigeante. Il n’aime pas l’entendre parler russe, essayer de comprendre
ou de partager quelques mots avec les gens qu’on rencontre… » (16) « Samuel
n’aime pas voir sa mère dans le rôle de la voyageuse cool qui s’intéresse aux
autochtones, il trouve ça condescendant et bien-pensant. »
Défiance à l’égard des personnes qu’ils rencontrent, à commencer par le couple de
Français qui les accueille : « de pauvres babas cool mal sapés qui prêchaient un
monde de vie réconcilié avec la nature et le cosmos. » Jugement sans appel et sans
doute un peu vrai aussi, grande lucidité, maturité de cet adolescent, qui ne se laisse
pas avoir par les apparences et les postures.
« Il ne veut pas se fatiguer à faire semblant de faire le mec qui s’intéresse, il se fout
complètement de ce qu’ils font, de ce qu’ils sont, de leur vie. » (74) ; « il les regarde
de loin, avec mépris. » ; « Il mangera avec dégoût – il rêve d’un bon vieux burger avec
des frites baignant dans le ketchup, le tout arrosé d’une cannette de Coca. »
« Tout est dégueulasse ici. C’est des porcs. Leur bouffe, leurs fringues, leurs putains
de tapis de feutre. » (76)
Défiance aussi à l’égard de ce jeune homme sentant la vodka, rencontré dans un
village, alors que sa mère fait quelques courses. « Détourne le regard. Fait comme s’il
n’entendait pas le type qui l’interpelle. » (145) ; puis c’est « toute cette marmaille qui
s’agglutine », Samuel se sent comme menacé. « Quelque chose en lui se ferme, se
bloque. » (146) ; « quelque chose le dérange à l’idée de regarder dans les yeux des
gens qu’il ne comprend pas. » ; « Samuel n’ose pas avouer qu’il aimerait lui balancer
un coup de pied dans la gueule ; qu’il aimerait que l’autre disparaisse, qu’il dégage –
parce qu’il est musulman ? » (147). Samuel habité par la peur de l’autre, de
l’étranger, à l’image d’une société craignant parfois « le grand remplacement », et se
réfugiant à l’extrême droite. Au fond c’est « la pauvreté », son odeur, « ses
vêtements crasseux » qui lui font peur. D’où vient « sa haine des autres ? »
Sibylle est consciente que son fils « est un animal sauvage et toujours au bord de la
panique ».
- L’impossible communication entre une mère et son fils :
« Cette fois encore Samuel se referme en glissant, presque sans s’en rendre compte,
ses écouteurs dans ses oreilles, appuyant sur la touche Play, lançant la musique pour
s’éloigner de sa mère et des montagnes, de ces ciels, de ces heures de route à cheval
où il ne fait qu’attendre qu’on en finisse. »
Samuel ne supporte pas l’entrain et l’enthousiasme que déploie sa mère durant ce
voyage : « ce qui l’agace c’est cette joie qui la déborde ou c’est l’impression que cette
joie est une invention. » (75)
Sa mère reste même une étrangère pour lui : « Il regarde sa mère comme s’il ne la
connaissait pas, et c’est vrai que, d’une certaine manière, il ne la connaît pas. » (74)
Le silence règne durant les premiers temps du voyage : « ils se parlent peu, ils
économisent leurs forces et se concentrent sur ce qu’ils ont à faire, ce qu’ils voient,
ce qu’ils entendent, ce qu’ils ressentent. » ; « les mots sont ici comme tous ces poids
morts dont on se débarrasse parce qu’ils ne servent qu’à alourdir les bagages. »
- Un vrai moment de doute pour Sibylle, une impasse même, après l’épisode des
glaciers et de la boue : « Elle qui voulait sauver son fils de la délinquance ou d’on ne
sait quelle déchéance, qui s’était crue plus maligne que les autres avec sa belle idée
originale, eh bien, elle avait fait pire que tout, bien pire ; en voulant lui donner à
reprendre contact avec ce qu’elle pensait être sa vie, elle avait mis au moins deux fois
la vie de son fils en danger. » (123) ; elle ressent une « bouffée de honte » devant ce
qu’elle est devenue, si loin de ce qu’elle a été… « Il faut apprendre à s’en rendre
compte et de vivre à la hauteur de cette médiocrité, apprendre à s’amputer de nos
rêves de grandeur. »
Et pourtant, elle sent que ce voyage doit continuer, que « quelque chose en elle
n’avait pas à s’excuser. » (130)
- Même quand les choses commencent à aller mieux, la soirée avec Arnaud et
Stéphane dans la yourte fait ressurgir les rancoeurs, après la phrase raciste de
Samuel et le sentiment qu’il a que sa mère a voulu le faire taire, l’humilier,
l’ « enfermer encore dans son rôle de gamin » ; « parfois il voudrait qu’elle crève, (…)
et cette pensée qui vient ne lui plaît pas, (…) il en a honte, il en a peur. » (169)
- Scène traumatisante durant laquelle il entend sa mère faire l’amour avec Arnaud.
Promiscuité oblige, il est difficile d’avoir son intimité. Une scène choquante pour
l’adolescent, qui menace le rapprochement avec sa mère : « c’est comme une
déflagration dans sa tête. » (170) ; « l’idée ne lui vient pas qu’il n’a aucun droit sur ce
que fait sa mère. » ; « Samuel s’éloigne, fou de rage, il veut s’enfuir, il panique, il ne
sait pas. » (171). Quelques temps plus tard, sa mère prend conscience de son
absence : « Et puis soudain Sibylle a peur. L’idée lui traverse l’esprit. L’idée que
Samuel -, oui, elle s’aperçoit que ce soir, elle n’a pas pensé à lui, à son fils. Pour une
fois, Samuel n’a pas été son horizon. » (179) … « Elle se met à courir. Elle court vers la
tente de Samuel. » ; « elle avait toujours redouté qu’il fasse une fugue, comme les
adolescents en mal de vivre. » (180). Cette fuite hypothèque immédiatement la
relation naissante entre Sibylle et Arnaud : « Elle se dégage et éperonne son cheval,
et Sidious s’élance, laissant Arnaud immobile, sidéré, les bras ballants, complètement
pétrifié. » (182). La culpabilité est immédiate : « c’est soudain comme si le fait d’avoir
pensé à elle avait précipité Samuel. Elle qui l’avait oublié ce soir. » (184)
- À la page 213, après une ellipse, nous retrouvons Samuel, que Sibylle recherchait
désespérément quelques pages auparavant, avant sa propre chute. Samuel paniqué
a contacté son père Benoît sur Skype, ce qui consacre en apparence l’échec du
voyage. Le texte suggère le sentiment de triomphe de Benoît face à l’échec (un de
plus, doit-il penser) de Sibylle : « Il a fait attention à ne pas trahir une mauvaise
pensée, il ne voulait pas que son fils pense qu’il était cynique, triomphant (…) l’accuse
de savourer une victoire trop facile sur Sibylle. » ; « il ne voulait pas donner
l’impression d’avoir eu raison sur toute la ligne tant les faits parlaient d’eux-
mêmes. » (213) ; cruauté de Benoît envers Sibylle, comme toujours : « Il aurait
préféré qu’elle le surprenne (…) Puis non, on est qui on est. » (214)

4. L’évolution des personnages ; le moment de bascule.


- Première métamorphose de Samuel, d’ordre physique : « en trois semaines, il a déjà
physiquement beaucoup changé : il a perdu quelques kilos, ses cheveux ont repoussé
et il perd cette tête de skin qu’il avait voulu se donner pour plaire à ses copains. »
(22)
- Peu à peu, Samuel « s’ouvre » : il lâche ses écouteurs pour parler aux chevaux : « il
avait commencé à prendre plaisir à parler aux chevaux, à rester avec eux, à les
écouter aussi – leur souffle, leurs jeux, leurs humeurs -» (87)
- Puis un rapprochement s’opère petit à petit en mère et fils : « Maintenant, une
sorte de compréhension s’est imposée entre eux, ils se retrouvent chaque matin avec
plaisir. Les chevaux hennissent, manifestent qu’ils sont heureux, chevaux et humains
se comprennent et réagissent pareillement. » (88)
- Le rituel de la course à cheval à cru, chaque soir, les rapproche aussi.
- Peu à peu, Samuel s’ouvre aussi aux lieux qu’ils traversent, à la nécessité de ne pas
les abîmer.
- … Mais tout est fragile : lors de la rencontre avec les randonneurs français Arnaud et
Stéphane, Samuel s’agace très vite de l’attitude de sa mère et d’un jeu de séduction
naissant avec Arnaud.
- Sibylle constate l’évolution de son fils, malgré l’épisode de Djamila, où il est en
colère contre sa mère (« Il avait été furieux de se sentir démuni ») : « Pourtant, il va
beaucoup mieux. C’est-à-dire, lentement, doucement, les choses apparaissent, il
revient à la vie. » (108) ; « c’est comme si tout à coup il découvrait qu’un monde
existe qui n’est pas lui, dont il n’est pas le centre. Mais il se réfugie encore beaucoup
derrière ses écouteurs, il partage assez peu de choses avec sa mère. Ils vivent sans
vraiment se parler, l’un à côté de l’autre, mais sans hostilité, sans l’animosité qu’ils
éprouvaient l’un pour l’autre à Bordeaux quelques semaines encore auparavant. »
(109) ; « tout est fragile, tout peut échouer ».
- Samuel et son cheval sauvent Sidious, le cheval de Sibylle. (115) ; « Ils sont en train
de s’en sortir et la peur et la joie se libèrent dans une émotion qu’ils ne reconnaissent
pas, l’envie de courir, de galoper. »
- Après l’épisode de la boue, chacun vérifie l’état de ses affaires et ce qui compte
encore le plus pour Samuel est son smartphone, son vieux baladeur, ses piles…
« Quelque chose de lui-même. » (117)
- L’épisode du bain après celui de la boue : le regard de Samuel sur sa mère, puis celui
de la mère sur son fils, au moment où il dort et qu’elle met ses écouteurs.
- Rien n’est jamais gagné entre mère et fils : après l’épisode de la boue, Samuel
n’éprouve aucune compassion pour « sa pauvre mère », qui pleure, bien au
contraire : « qu’elle les ravale ses larmes » ; « toute cette merde dans laquelle ils ont
pataugé » ; « sa décision est prise : dès qu’on descend dans une ville, il enverra un
SMS à son père pour qu’il vienne les chercher. » (118) ; « il repense à ce que son père
lui avait dit, ta mère, toujours des grandes idées qui se terminent mal. (…) Une
gentille petite fille qui veut rouler des mécaniques et faire croire qu’elle peut
soulever des montagnes. » (119) ; quant à Sibylle, « elle n’ose pas un regard sur
Samuel-elle sait ce qu’elle y verrait. » ; « Il a honte, tellement honte, il éprouve du
dégoût et une sorte de pitié dont il a honte aussi. » ; « Il voudrait qu’elle soit morte. »
(120)
- LE MOMENT DE BASCULE est celui du bain dans le lac : « Sibylle s’allonge sur le dos
de son cheval, elle est habillée et se met à rire d’un rire profond, sans retenue, une
libération qui se propage sur le rivage, dans le regard de Samuel- cette fois il reste
sidéré et commence à rire lui aussi, un moment tout est oublié de la veille et il est
prêt à penser que sa mère est imprévisible et drôle, folle peut-être, mais qu’au fond
c’est ce qui fait d’elle quelqu’un d’unique, d’inimitable. » (133) ; « Il se demande
combien de ses copains pourraient se retrouver dans sa situation, partir si loin avec
leur mère et la voir nager toute habillée, crado comme un punk à chien, morte de rire
sur le dos d’un cheval en train de nager. » ; « et puis à ce moment-là, il serait aussi
prêt à penser que sa mère est une femme d’un courage extraordinaire, qu’elle tient
tête à tout le monde, même si le plus souvent elle donne l’impression de s’effondrer
à chaque secousse de la vie. » (On remarque tout de même encore l’emploi du
conditionnel : « il serait prêt à penser) ; « il serait prêt à reconnaître qu’il est parfois
impressionné par sa mère, que d’une certaine manière il a de l’admiration pour
elle. »
Une véritable réhabilitation de sa mère aux yeux de Samuel : « Il serait prêt à croire
qu’elle l’aime assez pour avoir sacrifié une maison à laquelle elle tenait, en
Bourgogne… c’est par amour pour lui. » (134) ; « il est au bord de reconnaître qu’il en
est bouleversé. » … Mais toujours des résistances : « il pourrait, oui, s’il n’avait pas si
peur d’avouer qu’il aime sa mère. » Un vrai combat intérieur : « lui qui sait si bien
qu’aimer et accepter est plus difficile que haïr et rejeter. »
- Autre moment de bascule lors de cet épisode du bain, « il s’étonne de la regarder
comme un homme regarde une femme ; sa mère est belle, oui, et probablement
désirable. Non pas qu’il la désire lui, mais il se dit qu’elle doit être désirable pour un
homme de son âge à elle. » Le regard qu’il pose sur sa mère se métamorphose donc
totalement. « À ce moment-là il la trouve touchante et belle, drôle aussi » ; « il la
regarde avec l’envie de lui sourire. »
S’ensuit ce moment de complicité où Samuel ne veut pas se déshabiller devant sa
mère pour elle se baigner, et où « elle le poursuit en riant, ils courent, se poursuivent
comme des gosses sous le regard médusé des chevaux. » (136). Sibylle contemple
ensuite son fils en train de dormir : « Il dort comme il dormirait chez eux, dans sa
chambre. Sauf qu’ici rien ne les sépare, qu’il n’y a ni porte ni verrou, ni couloir ni
appartement pour créer des séparations. » (138) ; « alors Sibylle se penche vers lui,
très proche, son visage tout près du sien.  Elle entend son souffle. » Au sens propre,
les deux corps reprennent contact. « Elle le regarde et elle heureuse de le voir dormir
comme il est, sans colère. » ; elle finit par lui caresser la pointe de ses cheveux et par
écouter son baladeur et éprouve une émotion incroyable à l’écoute des paroles de la
chanson Heroes, de David Bowie.
- Samuel retarde encore le moment d’envoyer le SMS à son père (150), qui mettrait
fin à leur voyage : « Ce sera pour plus tard. »
- Lors de la deuxième rencontre de Sibylle et Samuel avec Arnaud et Stéphane, on peut
lire le changement de Samuel : « Samuel semble complètement à l’aise, il parle avec
Stéphane de Lacanau et de l’océan. ». Samuel « a l’impression de flotter au-dessus de
son corps », il partage une cuite avec sa mère ! Tous les deux sont suffisamment
soûls pour rire ensemble. » (159)… mais sa phrase raciste à l’égard des Arabes
interrompt la joie collective… Samuel est toujours habité par sa violence : « tous ces
bien-pensants, il faudrait les buter, les enfermer, en finir ».
- Paradoxalement, les grands espaces vont davantage rapprocher les personnages que
le lieu clos de l’appartement de Sibylle !

5. La métamorphose de Samuel
- Elle intervient in extremis, à quelques pages de la fin du roman, même si ce
changement s’opère par petites touches tout au long du roman.
Alors que Benoît, quelque peu triomphant, débarque au Kirghizistan pour retrouver
et ramener son fils (il arrive en 4x4, en chemise blanche, en lunettes Ray-ban, tout le
contraire de la posture de Sibylle, voulant se fondre avec la population), il a l’énorme
surprise de retrouver son fils participant, tel un vrai Kirghize, à un concours de
cavaliers, très violent (il s’agit de déposer dans un cercle le corps décapité d’une
chèvre), à l’occasion du mariage de la fille de Toktogoul : « son teint presque noir…
trop maigre, trop fin… des habits comme ils les ont ici, de vieilles fripes occidentales
arrivées là on ne sait pas comment. » (220) ; « il voit que Samuel donne autant de
coups qu’il en reçoit. » ; « est-ce que c’est son fils, ce grand fils boudeur et réservé,
grande gueule et timide, peureux et vindicatif, solitaire et renfermé ? » (221)
L’accident de Sibylle semble avoir été une prise de conscience pour Samuel : « Benoît
n’en revient pas, il repense au visage qu’il a vu il y une semaine sur Skype, ce graçon
qui essayait de lui raconter que tout était de sa faute, qu’à cause de lui sa mère allait
mourir, qu’il avait tué sa mère. » (221)
C’est en réalité Samuel qui a secouru sa mère, l’a portée sur son dos. Puis elle a été
évacuée à Osh, « à deux doigts de la mort. »
Samuel est resté chez Toktogoul et se remet profondément en question : « il avait
été lâche et idiot. » (222)
Tout à coup, il se met à parler russe, à communiquer.
- Un adolescent qui trouve enfin un sens à sa vie : aller vers l’autre pour se sauver soi.
Chez Toktogoul, « il avait voulu aider, et il aidait. Il faisait le berger, il aidait les
femmes à préparer le koumis ou les repas. » (222)
Son père reste totalement interdit face à cette métamorphose, ne sait plus comment
s’adresser à son fils : « Non, il n’a plus un chaton devant lui. Et tout à coup Benoît a
l’impression qu’une page vient de se tourner. »
« Devant lui, il y a un garçon qui lui semble plus grand, plus affûté, qui le regarde
avec un regard plus lumineux et fixe que ce qu’il avait jamais vu chez lui. » (223)
Démystification de la figure du père : « pour la première fois de sa vie il voit que son
fils ne le regarde pas avec admiration. » (223)
Benoît croyait être le « sauveur » de son fils en venant le chercher, mais c’est bel et
bien Sibylle qui a sauvé son fils ! Son périple est finalement un succès. « Benoît
conduit et regarde fixement la route ; il aimerait comprendre ce qu’il fait là. » (223)
Samuel est tout à fait différent avec son père, il défend désormais sa mère, après
avoir lu son carnet de voyage. Il interroge son père sur le roman que sa mère a écrit,
il l’interroge aussi sur son prénom, dont Benoît n’aurait pas voulu parce qu’il faisait
trop juif (le racisme -passé- de Samuel viendrait-il de son père ?). Benoît craint
d’autres vérités, bien plus tragiques, figurent dans ce carnet : les relations sexuelles
forcées, la raison pour laquelle Sibylle s’était séparée de Benoît (le mari d’une de ses
maîtresses était venu révéler à Sibylle que sa femme s’était jetée sous les rames du
métro parce que Benoît l’avait trahie…). Ainsi, ce dialogue intérieur de Benoît les fait
surgir dans le roman.
À l’hôpital, Samuel va voir Sibylle seul, son père reste en retrait, muré dans sa
lâcheté… Puis la question apparaît : « T’es quand même pas devenu un Kirghize,
non ? »
Samuel répond qu’il a compris « un truc » : « Si on a peur des autres, on est foutu.
Aller vers les autres, si on ne le fait pas un peu (…), je crois qu’on peut en crever. »
(227) ; « Aller vers les autres, c’est pas renoncer à soi. » Une gifle au racisme et à
l’intolérance dont fait preuve Benoît, une belle leçon d’humanisme et de générosité.
Finalement, ce que Benoît voit apparaître chez son fils, c’est la force de Sibylle, « une
force qui le surprenait. »
Sibylle « triomphe » finalement en ce qu’elle a transmis à son fils « ses valeurs à elle,
le respect des autres, de soi, le rejet du superficiel, de la vanité, du mensonge. »
(228)
- Le dernier chapitre du roman, véritable point d’orgue du roman, fait se retrouver
mère et fils : « Samuel pense alors qu’elle est fragile comme un objet très précieux,
du cristal, une œuvre ciselée dans la chair humaine, un souffle. » (230) ; « il sera avec
elle, il ne l’abandonnera pas. »
- La nouvelle « vocation » de Samuel, s’occuper des autres, travailler dans un centre
équestre : « il ne retournera pas à l’école ; dès qu’il rentrera en France, il cherchera
du travail, une formation, (…) il veut travailler dans un centre équestre ; il veut la
compagnie des chevaux, il veut donner son temps aux chevaux, il le leur doit. »
(231) ; « Il pense à Starman ».
Le monde d’avant « s’efface au fur et à mesure que s’ouvre l’avenir, l’idée de
l’avenir pour Samuel. »
Il reste près de sa mère, n’osant la toucher, ce qui rappelle une scène identique dans
le roman, durant laquelle Sibylle regardait son fils dormir : « Il va se contenter de
passer ses doigts tout près de son visage. » (232) ; d’ailleurs, en découvrant son
carnet, Sibylle y parle précisément de « ce jour près d’un lac où il s’était endormi,
comment elle avait voulu toucher son visage. (…) comment elle avait été transpercée
d’amour pour lui. » (234) ; elle raconte aussi comment la musique de Bowie,
qu’écoutait son fils dans son baladeur était aussi celle qu’elle écoutait à moto avec
Gaël. La musique les relie. Des liens invisibles les relient.
C’est finalement la musique qui les relie, dans une fin solaire, quand Samuel pose
les écouteurs dans les oreilles de sa mère. « Elle, alors, laisse s’infiltrer la musique
dans son corps, la voix de Bowie dans son sang, une chanson qui parle de devenir roi
et de devenir reine… de se maintenir debout… d’être ensemble, des héros pour un
jour »
Les derniers mots murmurés à Samuel sont magnifiques : « on finira notre voyage,
on va continuer, on le fera, il faut qu’on continue… on le fera tous les deux, on
finira notre voyage. »
- Tous les personnages ressortent donc modifiés dans ce roman « initiatique » :
Samuel, Sibylle, Benoît.

6. Un roman moral, édifiant


- Le sacrifice d’une mère
- La « morale » du roman

7. L’écriture comme voie du salut.


- Sibylle, double en qq sorte de l’écrivain lui-même, remplit un cahier de « dessins, de
trucs griffonnés au stylo à bille : chevaux, paysages, des portraits de gens, de
Samuel. » Elle amorce également un travail d’écriture, déchire des feuilles pour que
Samuel ne les lise pas. « Des histoires anciennes qu’elle croyait enterrées reviennent
sous une forme bizarre- un mélange de souvenirs et de rêves. » Un vrai travail
d’introspection à travers l’écriture, une autre forme de voyage initiatique et sans
doute salvateur, quoique difficile…
- Après l’épisode de la boue, chacun sauve ce qui lui est le plus cher, et pour Sibylle il
s’agit de son cahier noir, dans lequel elle consigne chaque joue tant de choses. »
(117) ; elle y retrouve « les lettres obstinément penchées, comme si elles étaient en
train de foncer vers une destination inconnue, à toute vitesse, ou qu’elles résistaient
à un vent furieux. » (117)
- Le carnet de voyage de Sibylle, révèle finalement toute sa vérité à son fils, alors
qu’elle est dans le coma (224 / 233).

UN “WESTERN” MODERNE

1. Un pays fascinant et hostile : le Kirghizistan.


- « Ils arrivent dans cet étrange endroit que Djamila appelle la ville, et qui est un
village. Une route poussiéreuse contre laquelle se sont agglutinées des maisons
basses, de petites bâtisses maltraitées par le froid et le vent, mais aussi par la rigueur
économique et l’isolement. » (18)
- Un pays à la fois dangereux (les huit hommes du début du roman) et accueillant,
comme le couple que rencontrent Samuel et Sibylle.
- « On pense parfois à la peur de rencontrer des loups, des ours, ce n’est pas
impossible, on ne sait pas ce qu’on ferait vraiment. » (93)
- La dureté des conditions de voyage efface très vite les images de fiction : « il ne rient
plus en se disant qu’ils jouent dans un western. » ; « ils ne dorment pas à la belle
étoile. » (97)
- Hostilité des glaciers, dans lesquels ils s’engagent : « Ils avancent sur cette vaste
esplanade herbeuse ponctuée de blocs de glaces. Et ils tombent dans le piège
facilement, sans se rendre compte qu’il se referme sur eux et qu’ils ne pourront pas
faire marche arrière. » ; « les glaciers qui les surplombent forment comme des
murailles blanches aux reflets métalliques, bleus, gris » (110)
- « Un chaos de ferraille les attend dans la vallée. (…) Ces vieux camions qui gisent
aujourd’hui encore, de loin en loin, sur le bord de la route, bien après que chacun a
fini d’arracher la pièce, la jante, le pare-brise, la portière… » (142) ; description d’un
village : « des maisons, des enseignes peintes, des publicités affichées sur les poteaux
électriques, des fils qui forment une suite de guirlandes noires et tristes se balançant
d’un poteau à l’autre » (…) « plus loin, une mosquée branlante » ; « ni Samuel ni
Sibylle n’ont envie de rester dans ce village sinistre aux chemins poussiéreux…
Quelque chose qui bloque la respiration. Ils pensent aux villages déserts des
westerns, mais non, ça n’a rien à voir, un jeune type déboule, un appareil minuscule
collé à son oreille qui crache un rap turc ou russe… Son haleine puante de vodka.»
2. Deux personnages que rien ne prédispose a priori à une telle épopée :
- Une femme, un adolescent, deux êtres fragiles, ce que l’on perçoit dès l’incipit et la
présence menaçante des Kirghizes : « pourquoi une femme se promène seule avec
un garçon si jeune ? » ; absence d’homme, de mari. « On lui avait pourtant dit que
c’était une connerie de partir avec son fils comme ça à l’aventure, seulement tous les
deux. » (11)
- Deux étrangers en un pays hostile (climat extrêmement rude, danger d’agression,
pays classé comme « dangereux »…) ; deux occidentaux ne connaissant rien ou
presque rien aux usages du pays dans lequel ils voyagent.
- Un voyage à cheval, une gageure, un défi !

3. Une épopée à cheval :


- Des chevaux personnifiés dès le début du roman et l’épisode des Kirghizes : leur
nervosité est à l’unisson de celle de leurs maîtres : « Yeux, oreilles, jambes, tous les
corps et les sens sont en alerte. » (15)
- Un proverbe kirghize, « celui qui n’a pas de cheval n’a pas de pieds. »
- Des chevaux qui sont un lien entre mère et fils : « elle avait parlé de cet amour des
chevaux qu’elle avait toujours eu et que Samuel aussi avait eu si longtemps en
partage avec elle, même si depuis un an ou deux c’était un peu passé. » (67) « Mais
les chevaux pourraient l’aider à reprendre goût à la vie. »
- L’importance de STARMAN et SIDIOUS, que Samuel baptise « à cause d’une chanson
de Bowie et de Star Wars » (72): deux chevaux personnifiés, deux héros, jusqu’au
sacrifice.

- La seule chose que Sibylle impose à Samuel avant leur départ est de se remettre à
l’équitation, une façon de « se remettre en mouvement » (85)
- Un rapprochement s’opère petit à petit en mère et fils grâce aux chevaux, véritables
liens entre eux: « Maintenant, une sorte de compréhension s’est imposée entre eux,
ils se retrouvent chaque matin avec plaisir. Les chevaux hennissent, manifestent
qu’ils sont heureux, chevaux et humains se comprennent et réagissent
pareillement. » (88)
- Lien fusionnel de Samuel avec Starman : « Il chevauche Starman, comme si ce
dernier était devenu plus qu’un cheval, ou qu’il était devenu enfin un cheval, c’est-à-
dire un être vivant avec lequel on peut échanger. » (…) « On a en commun le froid, la
faim, le calme, le temps. » ; « Samuel est fier de chevaucher un cheval aux yeux
bleus. » (89)
- Le rituel de la course à cheval à cru, chaque soir, rapproche mère et fils. « Tous les
soirs ou presque, ils s’autorisent cette course folle et ne disent rien de plus après.
Parfois ils rient sans trop savoir pourquoi, sans raison. » (91)
Les chevaux menacés par l’eau dans les glaciers : « non, il ne peut pas se retourner,
soulever un sabot, une jambe, l’autre, tout son corps… » (112) ; Les chevaux
« déploient toute leur puissance, leur énergie, les muscles saillants, les muscles
bandés, le corps tendu. » (112) ; « les chevaux aux yeux exorbités par la peur. » ; « les
chevaux hennissent et s’enfoncent jusqu’au ventre. » ; « les chevaux transpirent eux
aussi et les éclats de boue volent à chacun de leurs sauts, quand ils retombent,
effarés, stupéfaits. » (113)
- L’affaissement inexorable de Sidious, le cheval de Sibylle : « il glisse sans s’en rendre
compte vers l’arrière. » (115), mais le cheval est sauvé par Samuel.
- Des chevaux parfois rudoyés, comme lors de la fuite de Samuel et de la recherche
éperdue qu’entreprend Sibylle : « Elle frappe son cheval, elle gueule contre son
cheval. » (184) ; pourtant, c’est son cheval qui lui donne toute sa force : « Le cheval
hennit, s’arrête, s’impatiente. Il est nerveux, mais Sibylle le pousse à continuer. Il faut
continuer, continue, continue, lui murmure-t-il. » (185) ; « il sent la peur de sa
cavalière, son angoisse. » (186)
- Un sommet dramatique dans le roman, la chute et l’agonie de Starman : « Starman
est là, tremblant, le corps recouvert de sueur et de poussière » (187) ; « il pousse des
gémissements horribles. » ; « une odeur de sang ». Très beau passage de la
description de l’œil bleu du cheval, dans lequel Sibylle se reflète : « ce qu’elle voit
derrière son image à elle, c’est ce cheval qui lui demande pourquoi il va mourir ici,
pourquoi il souffre et ne sent plus ses membres. » (189)
- Starman sera finalement abandonné en proie aux loups, Sibylle ne pouvant pas
soulager ses douleurs, faute de pistolet. Cruauté de la nature. Cruauté de la vie.
- Puis c’est Sidious qui s’enfuit, que Sibylle perd. (201)
- La nouvelle « vocation » de Samuel, s’occuper des autres, travailler dans un centre
équestre : « il ne retournera pas à l’école ; dès qu’il rentrera en France, il cherchera
du travail, une formation, (…) il veut travailler dans un centre équestre ; il veut la
compagnie des chevaux, il veut donner son temps aux chevaux, il le leur doit. » (231)

4. Des épreuves « qualifiantes » :

- Dès l’incipit du roman (« in medias res », ce qui crée immédiatement une tension
dramatique), les huit Kirghizes qui surprennent les deux personnages à leur réveil et
les assaillent de questions constituent une menace : « une seconde pour constater
que les deux chevaux sont encore à quelques mètres » (p.9). Sont-ce des voleurs ?
(« Sibylle sait qu’au Kirghizistan, voleur de chevaux est un travail qui a une tradition
et une noblesse ») Des trafiquants ? « l’agressivité qu’il reconnaît dans la voix des
Kirghizes quand ils se mettent à parler… » ; « il voit que sa mère a peur, il se dit que la
journée commence mal. »
La tension monte peu à peu jusqu’à l’attaque des Kirghizes : « Sibylle s’est
retournée et tient fermement sa cravache, elle cingle le visage du chef de bande ;
Samuel frappe les deux types à coups de poings, les chevaux reculent, ils vont
s’enfuir, les autres essaient de les saisir, mais ils se cabrent et hennissent en
tambourinant sur le sol, les fers claquent sur la pierraille, la poussière monte, jaune,
fine… » (13)

- L’épreuve des glaciers : la fonte des glaces, la boue, la menace des éléments hostiles:
une caractéristique de l’épopée (voir la tempête affrontée en mer par Ulysse au
début de L’Odyssée. Registre épique : « Et puis lentement, doucement, l’eau s’infiltre,
s’imbibe, le sol devient mou – herbes, cailloux, terres, un limon spongieux qui enfle
et se transforme lentement » ; « pour eux, il est déjà trop tard » (111) ; « l’eau arrive
aux genoux des chevaux ».
Lors de cet épisode apparaît tout le courage de Sibylle : « Sibylle comprend que faire
du surplace c’est s’embourber, la boue est le danger, non, il faut continuer, il faut
aller plus vite, le plus vite possible. »
Registre épique : « Et tous les deux se mettent à crier et à claquer leurs talons dans
les flancs des chevaux, ils éperonnent de toutes leurs forces, ils crient, s’agitent ».
Nous sommes ici en plein cœur du « western » qu’est ce roman ! Les chevaux
« déploient toute leur puissance, leur énergie, les muscles saillants, les muscles
bandés, le corps tendu. » (112) ; « les chevaux aux yeux exorbités par la peur. » ; « les
chevaux hennissent et s’enfoncent jusqu’au ventre. »
« L’effort, l’effort encore, l’effort jusqu’au bout, quatre heures à alterner les
moments de combat et de relâchements. » (113)
Finalement, et à force d’efforts et de cris, un talus est atteint : victoire !... Avant
d’affronter d’autres obstacles venant de la montagne, d’ « autres paris ».
- Puis c’est l’affaissement de Sidious, le cheval de Sibylle, rattrapé par la boue : « il
glisse sans s’en rendre compte vers l’arrière. » (115) ; « elle ne peut rien faire ». Mais
le cheval est sauvé par Samuel. « Ils sont en train de s’en sortir et la peur et la joie se
libèrent dans une émotion qu’ils ne reconnaissent pas, l’envie de courir, de galoper. »
- L’épreuve la plus difficile pour Sibylle est sans doute celle de la fuite de Samuel. Un
moment haletant et dramatique : « La transpiration dans son cou, dans son dos, et
ses mains trop moites qui doivent s’accrocher aux rênes pour bien les tenir. » (184) ;
cette fuite éperdue n’est pas sans rappeler les cauchemars récurrents de Sibylle,
durant lesquels elle se voit errer sur l’autoroute… Registre épique : « Elle crève de
soif, sa bouche se déchire, sa gorge lui fait horriblement mal, chaque souffle est un
arrachement. » (185)
Le danger semble de plus en plus grand : « sous les sabots de Sidious, des pierriers
instables, tremblants, déclenchent de mini-avalanches qui pétaradent comme de la
mitraille. » (186).
Soudain, elle entend le gémissement d’un cheval : « Et puis soudain (…) un trou
énorme, une coulée de pierres, de la caillasse grise et au fond de la brèche, le corps
allongé du cheval. » (187)
- Un danger s’ajoute au danger, dans une sorte d’emballement dramatique de la
narration : des loups veulent attaquer Starman agonisant, Sidious s’emballe. (190)
- La recherche de son fils se poursuit, Sibylle affronte les éléments, les dangers
s’accumulent : « elle n’a pas remarqué que le ciel est noir ce matin. (…) Des nuages
s’amoncellent au-dessus des glaciers et des cimes. » (196) ; « Sibylle n’a pas encore
vu que le ciel se fendille d’immenses éclairs. » Un orage apocalyptique : « La seule
luminosité alors, c’est celle que les éclairs projettent sur les versants des montagnes.
(…) des lumières comme des explosions. » (202) ; « En quelques minutes seulement,
Sibylle ne voit plus rien. » ; « bientôt des grêlons mitraillent le sol. » ; « au fond d’elle-
même elle est prise d’une peur qui va jusqu’à la terreur » (203) ; « elle est prise de
spasmes » ; « elle risque l’hypothermie. » ; « elle pense qu’on va la retrouver morte
dans quelques jours. » (205).
- Puis c’est la chute : « le corps entraîne le corps, la chute entraîne la chute, et tout
mouvement qui voudrait la retenir la précipite dans le brouillard, sur les rochers à
pics, elle n’en finit pas de heurter des pierres, son sang se mêle aux rochers, à la
glace. » (…) « une chute de plus de huit mètres, dans un instant elle sera brisée,
presque morte, et dans un instant le monde autour d’elle aura complètement
disparu. » (206) Tout cet épisode est ainsi une véritable catabase, une descente aux
enfers. On apprend quelques pages plus loin que Sibylle est « dans les eaux du
coma », « que la mort rôdait peut-être encore autour d’elle. » (216)

5. Des rencontres marquantes, des auxiliaires, des adjuvants.


- La voiture, la « veille Traban bleue » qui vient les sauver des huit Kirghizes, en tirant
des coups de pistolet. (13) On pourrait croire à une intervention de la police, mais
celle-ci est totalement corrompue.
- Il s’agit en fait de Djamila et Bektash son mari : « Bonnie and Clyde à la kirghize ».
- Le fils de Taberbek, qui les rejoint au galop et leur offre un couteau, puis le pistolet
de Djamila.
- La rencontre des deux randonneurs français, Stéphane et Arnaud (94), qu’ils
retrouvent plus tard (157).
- Les habitants de la yourte qui les reçoivent généreusement : 152. Un peuple très
généreux (la porte d’un yourte n’est jamais fermée), une leçon de vie pour Samuel :
« les Kirghizes s’intéressent vraiment aux autres. » ; figure de Toktogoul.

6. Le pistolet, un motif récurrent.


- Première apparition, sous la forme d’un cadeau envoyé par Djamila après leur départ
de chez eux. Fascination immédiate de Samuel pour l’arme : « Dis, tu me montres le
pistolet ? Je peux regarder le pistolet ? » De façon signifiante, c’est la première fois
qu’il adresse directement la parole à sa mère dans la partie du roman consacrée au
voyage.
- Quelques temps plus tard, le narrateur dit : « les cartouches attendent dans une
sacoche qui dort tous les soirs à côté de Sibylle. » (86)
- Nouvelle demande de Samuel à la page 88 : « Dis, tu me montres le pistolet ? Je peux
regarder le pistolet ? » Comme l’annonce d’une catastrophe à venir ? L’objet qui
symbolise une fatalité ? Comment expliquer cette fascination pour cette arme, cette
curiosité malsaine ? Une fascination qui témoigne de toute la violence contenue en
Samuel, le rebelle, l’ancien skinhead ? Une question qui a en même temps un aspect
presque enfantin.
- Ce pistolet devient un moyen pour le moins paradoxal de rétablir le lien entre mère
et fils. Samuel est-il agacé lors de la rencontre avec les randonneurs français et
l’attitude de sa mère ? « Ce soir Samuel ne demandera pas à sa mère s’il peut
prendre le pistolet. Il s’enferme assez tôt dans la tente. » (96)
- Après l’épisode de la boue, Sibylle « sauve » le pistolet de Djamila, même si le paquet
de cartouches est mouillé. « Sibylle pourrait sauver les balles en retirant la poudre
comme elle l’avait vu faire des dizaines de fois dans des vieux westerns. » (117)
- Il retrouve ce pistolet durant la nuit traumatisante pour Samuel, durant laquelle il
entend sa mère faire l’amour avec Arnaud. Une scène inquiétante, un moment qui
pourrait faire basculer le roman de façon tragique : pourrait-il tourner l’arme contre
sa mère ? « Le pistolet est là. Samuel le prend, il le tient, un objet comme une bête
froide et calme, impassible. Il respire très fort, ses lèvres le brûlent. (…) Il fait chaque
chose avec rage, avec vitesse, avec colère. » (171) ; Finalement, Samuel s’enfuit dans
la nuit : « Samuel est fou et avec son cheval il s’élance dans la nuit. » (172)
- Au moment où Sibylle songe à achever Starman, après sa chute, pour abréger ses
douleurs, comme dans les films (les westerns !), elle se rend compte que la sacoche
est vide. Samuel l’aurait-il emporté dans sa fuite ? (190)
- Puis, contre toute attente, dans sa course sans fin à la recherche de son fils, Sibylle
retrouve le pistolet. (200) : « Est-ce qu’il a retourné l’arme contre lui et puis renoncé
et puis ? ». Elle est tentée de jeter le pistolet dans le vide, car « elle regarde l’arme
avec dégoût comme si c’était à cause d’elle que tout venait d’arriver. » (201)
- La vérité du psitolet éclate finalement : il n’a pas pu achever Starman, il n’a pu le
libérer de son agonie. (231) « Il avait eu tellement peur, la main sur la crosse de
l’arme, le poids de l’arme dans sa main, incapable, impossible de tirer. » La fin du
roman « résout » finalement la présence récurrente du pistolet, tout au long du
roman.

LE SENS DU TITRE

« Continuer », un leitmotiv du roman


- Dès le début du roman, lorsque les deux héros sont menacés par les Kirghizes, Sibylle
« murmure à Samuel qu’il faut continuer à descendre »
- Après l’épisode de l’agression des Kirghizes et leur sauvetage : « Le lendemain, ils ont
repris la route. » (76)
- Même pendant le récit de son cauchemar, ce verbe s’invite : le cheval ne veut plus
avancer, la route est jonchée de pierres et de lave, mais « elle continue, elle avance,
elle avance, lentement, fermement… » (100)
- Lors de l’analepse qui nous replonge en 1993 sont évoqués les études de Manon et le
roman qu’elle écrit : « Samuel, oui, ce secret qu’elle a et qui l’aide aussi à continuer
ses études et surtout ce manuscrit, ce roman qu’elle n’ose pas finir, en 1993, et qui
l’aide à continuer. Elle continue, il faut continuer se dit-elle, et c’est en secret, sans le
dire à personne. » (104)
- Lors de l’épisode des glaciers et de l’enlisement, ce verbe ressurgit, comme pour
matérialiser tout le courage de Sibylle : « Sibylle comprend que faire du surplace c’est
s’embourber, la boue est le danger, non, il faut continuer, il faut aller plus vite, le
plus vite possible. » ; « on crie, les bêtes avancent, on va tenir, il faut tenir. »
« L’effort, l’effort encore, l’effort jusqu’au bout, quatre heures à alterner les
moments de combat et de relâchements. » (113) ; « juste des sons pour cracher aux
chevaux l’ordre de continuer. »
- L’écriture-même de Sibylle témoigne de son caractère obstiné, de sa rage de
continuer : « les mêmes lettres obstinément penchées, comme si elles étaient en
train de foncer vers une destination inconnue. » (117)
- Même après l’épisode de doute consécutif à l’épisode de la boue, Sibylle n’abdique
pas : « Et pourtant, elle sait qu’il ne faut pas renoncer, pas encore, pas maintenant ;
elle ne peut pas s’y résoudre. » (123)
- Lors de l’épisode du bain : « et puis à ce moment-là, il serait aussi prêt à penser que
sa mère est une femme d’un courage extraordinaire, qu’elle tient tête à tout le
monde, même si le plus souvent elle donne l’impression de s’effondrer à chaque
secousse de la vie. Mais en fait, non, elle tient bon, elle continue toujours, elle
tombe et se relève, et elle reprend, infatigable, à chaque fois. » (133)
- Plus subtilement, ce titre s’invite même dans les paroles de la chanson Heroes, de
Bowie, qu’écoute Sibylle dans les écouteurs de Samuel : « I, I will be king / And you /
You will be queen (…) We can be heroes / Just for one day. » (141)
- Après l’épisode du village et de jeune kirghize dont la présence a insupporté Samuel,
le voici qui veut partir au plus vite et emploie ce verbe dans ce sens : « Je préfère
qu’on continue. (..) On continue. » (149)
- Toujours le verbe continuer, lorsqu’il est question d’atteindre leur destination, Osh :
« Et continuer, ils le peuvent aussi parce que le corps s’adapte à la fatigue, à l’effort,
aux tiraillements qu’on lui fait subir. » (151) ; « le corps n’est plus aussi douloureux
que lors des premiers jours, des premières semaines, où il fallait s’arrêter plus
longtemps, plonger la nuit dans un sommeil profond. » ; « même la faim se
dompte. »
- Lors d’une halte chez des habitants qui les invitent dans leur yourte : « Et puis il
faudra expliquer où ils veulent continuer, pourquoi continuer. » (152)
- Au moment de la fugue de Samuel, Sibylle se lance à sa recherche, éperdue, mais
« elle tient bon. Elle tient, Sibylle. » (184). De même, plus loin, le verbe « continuer »
est à nouveau scandé : « Le cheval hennit, s’arrête, s’impatiente. Il est nerveux, mais
Sibylle le pousse à continuer. Il faut continuer, continue, continue, lui murmure-t-
il. » (185)
- La troisième partie du roman se nomme « CONTINUER ». (208)
- Le mot « continuer » conclut le roman : les derniers mots murmurés à Samuel sont
magnifiques : « on finira notre voyage, on va continuer, on le fera, il faut qu’on
continue… on le fera tous les deux, on finira notre voyage. »

- Résonnances du verbe « continuer » avec l’univers de MAUVIGNIER :


Admiration pour GIACOMETTI :
Même s’il n’y a plus rien, plus d’espoir, le néant, toujours ce petit bout de fil à ne pas
lâcher.
De même, ce livre a été écrit, selon l’auteur lui-même (interview de 2016), pendant
les attentats de 2015 : comment « résister » à la barbarie ? Se remettre à sa table,
écrire, créer. Valeur du mouvement, salut par le mouvement (selon l’écrivain et le
voyageur Philippe TESSON, qui interviewe MAUVIGNIER). Construire son existence
comme une cavale.

Alberto Giacometti Homme traversant une place, 1949 Bronze 68 x 80 x 52 cm Alberto Giacometti-Stiftung,
Zurich © Succession Alberto Giacometti (Fondation Giacometti + ADAGP) 2020
MAUVIGNIER parle de son roman : interviews de l’auteur.

- Interview dans La Grande librairie (14/10/16):


https://www.google.com/url?
sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwjA2P_CvuD5AhUB2xoKHXsB
BLAQwqsBegQIBhAB&url=https%3A%2F%2Fwww.youtube.com%2Fwatch%3Fv
%3D7pAcpYmY8is&usg=AOvVaw3l229cEHPhyu9FwQYhPHMB
MAUVIGNIER, peintre extraordinaire de ce pays d’Extrême Orient, le décrit avec une
grande précision.
Le temps très long de l’écriture romanesque.
Une sorte de couple, une mère qui veut sauver son fils, se sauver elle, savoir qui elle
est à travers ce fils.
Savez-vous où vous voulez aller ?
Les carnets de la mère, un livre déjà paru, la littérature comme « rempart »
Connaît le début et la fin avec sa densité d’émotion, mais comment y aller ? Une part
d’aventure dans l’écriture ! Un état d’urgence au moment de l’écriture. Comment
parvenir à ces 10 dernières pages ?
Les personnages mènent l’auteur.
TESSON admire cela, lui qui doit avoir parcouru le Kirghizistan pour en parler.
Un livre aussi sur la peur, le racisme, le terrorisme.
Comment se débarrasser de la peur ?
Question de l’ignorance. Il voulait un pays non arabe. L’ignorance et la peur auj
omniprésente nous traverse, de génération en génération. Comment on transmet
nos peurs, notre passé.
Le titre est génial : de plus en plus présent. Est venu après, besoin de passer par le
livre.
Ecrit pendant les attentats.
La seule solution, se remettre à sa table, continuer.
Valeur du mouvement, salut par le mouvement (TESSON).
Construire son existence comme une cavale.

- Rentrée Librest 2016 :


https://www.google.com/url?
sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwjA2P_CvuD5AhUB2xoKHXsB
BLAQwqsBegQIBRAB&url=https%3A%2F%2Fwww.youtube.com%2Fwatch%3Fv
%3D6GT8k_PG0Tk&usg=AOvVaw3zCSj9AW3Fm5Uz1qsGESZl
Émerge le personnage de Sibylle, infirmière, mère célibataire.
Délitement de la mère, du fils
Expédition en Asie Centrale
Fils absolument rétif
Huis clos paradoxal, dans l’immensité du paysage
Western, roman d’aventure, qu’il aime beaucoup
Traumatismes individuels et collectifs
Projet du livre ? Pas de projet !
Lié au livre d’avant : Autour du monde.
Interrogation sur le sens
Interview dans Le Monde d’un homme qui a fait cela.
Pendant 3 mois, obsession : il faut partir à cheval !
Idée de scénario plutôt au départ
Rythmiquement, cinématographique
Sibylle est venue me chercher
À partir d’un personnage, ses propres démons, échec, l’enfance, nos chers disparus
Une scène de cuisine au milieu : mince, je fais encore un de mes livres !
On se fait cueillir à chaque fois, même au bout du monde !
Pourquoi cette relation mère fils ? Premier roman, suicide d’un adolescent
Je suis passé du côté des parents, la même chose d’un autre point de vue
A un enfant
Bientôt 50 ans
Voc contaminé par les chevaux !
Étonnement devant adolescence
Crise d’ado, tout le monde en parle ; se sent toujours dans son coin en train de se
dire : c’est eux qui ont raison ; plein de laideur sur terre !
Fébrilité de l’adolescence : agaçant et fascinant
Écrivain, ado atardé, qqc ne se résout jamais !
Désarroi des adultes devant leur jeunesse perdue
Froissement qu’un ado peut montrer
Très proche de Sibylle, très proche des personnages de femmes, comme Tana, dans
La Foule.
Sibylle comme sa sœur
Prénom prophétique et nomade
Sacrifice dans chevauchée de la dernière chance
Très dépressive au début du livre, échec total, on n’a pas envie de l’avoir comme
mère, et en même temps se bat avec elle-même depuis toujours
S’énerve facilement
Écriture : dépasser cet état facile où on juge les gens
Ce que gens font, pas ce qu’ils sont, ce par quoi ils sont traversés
Roman, ce qui essaie de donner à la personne, de retrouver l’humanité en la
personne humaine ; cigarettes à 3 heures du matin comme une cinglée, mais un
parcours : c’est tout l’itinéraire du roman que de retrouver qui est ce personnage
Comme dans Des Hommes, le perso de Bernard
PRENDRE LE TEMPS DE RENCONTRER QQN
Qqn de très militant, qui a assisté à la faillite des idéaux, de la gauche
Se retrouver aussi dans cette chevauchée
Plus intime pour elle et de plus politique
Une femme qui veut arrêter de subir
Un des pb de son fils, racisme ordinaire
Dans sa génération, quand on était jeune, lepennisation des esprits, on n’en parle
absolument plus, car c’est fait !
Cette femme décide d’arrêter tout cela, se met sur pause pour se ressaisir d’elle-
même, dans le temps qu’elle se choisit, non celui qu’on nous impose
Ressaisissement de soi
Politique : n’aime pas ce mot
Rien à voir avec la politique, mais c’est politique
Comment retrouver qqc de perdu
Comment on porte l’histoire de nos parents
Samuel : hommage à Beckett
Allusion du titre à L’Innommable
Beckett m’a sauvé la vie
Tout a craqué dans sa vie, mais seule chose à laquelle elle a tenu, ce prénom
Mariage par dépit
Giacommetti aussi
Même si plus rien, toujours ce petit bout de fil à ne pas lâcher

DES LIENS AVEC MANON LESCAUT ?

- Jeunesse et marginalité
- Le thème du voyage, de l’initiation
- La métamorphose des personnages
- Les obstacles et la dureté de la vie, mais le triomphe de l’amour.
- Deux fins « sublimes »

L’ADAPTATION FILMIQUE (Joachim LAFOSSE, 2019)

- La bande-annonce
- L’affiche

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