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Michel Onfray, L’archipel des comètes ; Journal hédoniste III, Éditions Grasset & Fasquelle,
2001, p. 46
La relecture de cette phrase résonne en moi de façon vive ce matin. Que suis-je en train de
rechercher dans l’atelier de sculpture depuis des mois, sinon cette proclamation de la vie,
matérialisée par des dizaines de pièces d’inspiration végétale ? Croissance, force, diversité,
démultiplication, embranchement, élévation, étagement, aspiration vers la lumière, vigueur,
affirmation… Quel contraste avec mes gravures en manière noire de mes débuts !
Je me rends compte que je suis passé du transcendant à l’immanent, en l’espace d’une vie, en
quarante ans tout au moins. Ce qui m’attirait jadis était le plus souvent sombre, profond,
mystérieux, secret, occulte. Aujourd’hui, cette attirance en somme spirituelle est devenue
matérialiste, au sens moniste du terme : un seul monde existe, celui-ci. Je ressens l’urgence de
l’apprécier tel qu’il se manifeste, sans plus aucune attente, sans appel à quoi que ce soit
d’autre. Mes aspirations à accéder à l’ « arrière-monde » (comme le qualifia Nietzsche), de
fusionner avec d’éternelles puissances, de projeter de vivre de nouvelles expériences en un
au-delà hypothétique… se sont évanouies, graduellement au fil des ans. Mes lectures, depuis
quelques années y ont contribué puissamment ; des philosophes hédonistes, des penseurs
matérialistes, des libres-penseurs (Leucippe, Démocrite, Épicure, Aristippe, Lucrèce, Julien
de Samosate, Khayyâm, Montaigne, La Mettrie, Meslier, Thoreau, Nietzsche, Cioran, Onfray,
Soler…) ont modifié de fond en comble ma relation à la vie même.
Cette transcendance à laquelle j’étais attaché, relevait — je n’en doute guère — de ma culture
judéo-chrétienne, sans pour autant que mon milieu d’existence familial et sociétal m’y ait
réellement poussé. Aujourd’hui, je comprends que mes aspirations métaphysiques ont été
induites par les mythes inoculés à doses massives dans la civilisation occidentale par les
croyances ancestrales (préhistoriques, égyptiennes, judaïques, grecques, chrétiennes…) et par
certaines philosophies de la Grèce antique (pythagorisme, idéalisme, platonisme,
aristotélisme, dualisme, stoïcisme… ) recyclées par la chrétienté et mises en avant par les
universités du Moyen Âge à nos jours. C’est du moins ce que je pense à présent. C’est de ces
préceptes qu’étaient nés en moi ces désirs, ces sentiments d’incomplétude ressentis du fait
simple et suffisant d’être au monde.
Une lecture verticale du monde a dominé l’histoire de notre civilisation occidentale, réduisant
tout à deux possibilités : l’ici-bas et le céleste, ou, la matière du monde et le ciel des idées.
Comment s’inscrire d’une autre manière dans l’existence quand tout semble présenté de la
sorte ? La sensibilité individuelle jumelée à l’esprit critique, et à la soif de connaissances
physiques, astronomiques et philosophiques m’ont graduellement rendu possible une autre
compréhension de la vie, une approche moniste, pour le coup. En effet, pour le matérialiste
que je suis devenu, le monde et tout ce qui naît en moi ne sont en fait que mécaniques, la
transcendance n’est plus qu’une construction de l’esprit, un fruit de l’imagination, une attente
sans plus. Nul transport dans un « autre monde » que dans celui des sens n’est envisageable.
S’il y a bien pour moi du sublime dans mon expérience vécue, il est radicalement immanent,
c’est-à-dire existant de lui-même, sans support immatériel.