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BERGERAC
Edmond Rostand
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SYNOPSIS DE CYRANO DE BERGERAC
LE BRET
UN MOUSQUETAIRE UN AUTRE
LA DISTRIBUTRICE
SŒUR CLAIRE
4
UNE COMÉDIENNE LA SOUBRETTE LES PAGES
LA BOUQUETIÈRE
5
PREMIER ACTE
6
vases fleuris, de verres de cristal, d’assiettes de gâteaux, de
flacons, etc.
Scène I
7
LE PORTIER, le poursuivant.
LE CAVALIER.
Pourquoi ?
LE CAVALIER.
Vous ?
DEUXIÈME CAVALIER.
Je ne paye pas !
LE PORTIER.
Je suis mousquetaire.
8
PREMIER CAVALIER, au deuxième.
(Ils font des armes avec des fleurets qu’ils ont apportés.)
UN LAQUAIS, entrant.
Champagne ?…
Pst… Flanquin !…
Cartes. Dés.
Jouons.
9
UN GARDE, à une bouquetière qui s’avance.
Touche !
UN DES JOUEURS.
Trèfle !
Un baiser !
LA BOUQUETIÈRE, se dégageant.
On oit !…
sions de bouche.
10
UN JOUEUR.
Brelan d’as !
(Il boit.)
Un ivrogne
à l’hôtel de Bourgogne !
Buveurs…
Bretteurs !
Joueurs !
11
Un baiser !
Jour de Dieu !
LE JEUNE HOMME.
Et du Corneille !
Oh ! Monsieur ! ce soupçon !…
As-tu de la ficelle ?
LE DEUXIÈME.
Avec un hameçon.
12
PREMIER PAGE.
Or çà, jeunes escrocs, venez qu’on vous éduque. Puis donc que
vous volez pour la première fois…
LE BOURGEOIS.
13
Clorise.
LE JEUNE HOMME.
LE BOURGEOIS
Et des pois !
De qui est-ce ?
Les montres…
14
LE BOURGEOIS, redescendant, à son fils.
tives.
Les mouchoirs…
LE BOURGEOIS.
Montfleury…
LE BOURGEOIS.
UN PAGE, au parterre.
Ah ! voici la distributrice !…
15
Oranges, lait,
(Brouhaha à la porte.
UN LAQUAIS, s’étonnant.
UN AUTRE LAQUAIS.
Place, brutes !
Cuigy ! Brissaille
16
(Grandes embrassades.)
CUIGY.
Des fidèles !…
LE MARQUIS.
UN AUTRE.
Ah !…
Scène II
17
CUIGY.
Lignière !
BRISSAILLE, riant.
Baron de Neuvillette.
Je vous présente ?
(Saluts.)
18
Ah !
Peuh !…
Enchanté !…
19
LIGNIÈRE, à Cuigy.
CHRISTIAN.
Oui, je suis à Paris depuis vingt jours à peine. J’entre aux gardes
demain, dans les Cadets.
La présidente Aubry !
LA DISTRIBUTRICE.
Oranges, lait…
Voilà
20
La… la…
Du monde !
CHRISTIAN.
PREMIER MARQUIS.
DEUXIÈME MARQUIS.
21
De Guéméné…
De Chavigny…
CUIGY.
BRISSAILLE.
DEUXIÈME MARQUIS.
Mesdames
LIGNIÈRE.
22
LE JEUNE HOMME, à son père.
L’Académie est là ?
LE BOURGEOIS.
PREMIER MARQUIS.
23
PREMIER MARQUIS.
CHRISTIAN, suppliant.
24
LA DISTRIBUTRICE.
Macarons, citronnée…
CHRISTIAN.
Je pars.
Oh ! non, restez !
25
LIGNIÈRE.
Je ne peux. D’Assoucy
Orangeade ?
LIGNIÈRE.
Fi !
(À Christian.)
LA DISTRIBUTRICE.
Lait ? LIGNIÈRE.
Pouah !
LA DISTRIBUTRICE.
Rivesalte ?
LIGNIÈRE.
26
Halte !
Ah ! Ragueneau !…
LIGNIÈRE, à Christian.
27
LIGNIÈRE, présentant Ragueneau à Christian.
RAGUENEAU, se confondant.
Trop d’honneur…
LIGNIÈRE.
RAGUENEAU.
LIGNIÈRE.
RAGUENEAU.
À crédit.
Fou de vers !
28
LIGNIÈRE.
RAGUENEAU.
RAGUENEAU.
Oh ! une tartelette !
LIGNIÈRE.
RAGUENEAU.
LIGNIÈRE, sévèrement.
29
RAGUENEAU.
LIGNIÈRE.
Au lait
Je l’idolâtre.
RAGUENEAU.
LIGNIÈRE.
Pourquoi ?
RAGUENEAU.
Montfleury joue !
30
LIGNIÈRE.
RAGUENEAU.
Eh bien ?
RAGUENEAU.
Montfleury joue !
31
Il n’y peut rien.
RAGUENEAU.
PREMIER MARQUIS.
Oh ! oh !
CUIGY.
DEUXIÈME MARQUIS.
Noble ?
CUIGY.
32
Suffisamment. Il est cadet aux gardes.
(Il appelle.)
Le Bret !
LE BRET.
CUIGY.
33
Ah ! c’est le plus exquis des êtres sublunaires !
RAGUENEAU.
Rimeur !
CUIGY.
Bretteur !
BRISSAILLE.
Physicien !
LE BRET.
LIGNIÈRE.
Musicien !
RAGUENEAU.
34
Certes, je ne crois pas que jamais nous le peigne Le solennel
monsieur Philippe de Champaigne ; Mais bizarre, excessif,
extravagant, falot,
Plus fier que tous les Artabans dont la Gascogne Fut et sera
toujours l’alme Mère Gigogne,
RAGUENEAU, fièrement.
35
Son glaive est la moitié des ciseaux de la Parque !
Il ne viendra pas !
À la Ragueneau !
RAGUENEAU.
Si !… Je parie un poulet
LE MARQUIS, riant.
Soit !
36
Ah ! messieurs ! mais elle est
Épouvantablement ravissante !
PREMIER MARQUIS.
DEUXIÈME MARQUIS.
Une pêche
Et si fraîche
C’est elle !
37
LIGNIÈRE, dégustant son rivesalte à petits coups.
CHRISTIAN.
Hélas !
LIGNIÈRE.
CHRISTIAN, tressaillant.
Cet homme ?…
Hé ! hé !…
38
– Comte de Guiche. Épris d’elle. Mais marié À la nièce
d’Armand de Richelieu. Désire Faire épouser Roxane à certain
triste sire,
Vous allez ?
CHRISTIAN.
LIGNIÈRE.
CHRISTIAN.
LIGNIÈRE.
Non. Bonsoir.
Prenez garde.
39
C’est lui qui vous tuera !
CHRISTIAN.
C’est vrai !
LIGNIÈRE.
40
LE BRET, qui a fait le tour de la salle, revenant vers Ragueneau,
d’une voix rassurée.
Pas de Cyrano.
RAGUENEAU, incrédule.
Pourtant…
LE BRET.
LA SALLE.
Commencez ! Commencez
Scène III
41
Quelle cour, ce de Guiche !
UN AUTRE.
Fi !… Encore un Gascon !
LE PREMIER.
DEUXIÈME MARQUIS.
DE GUICHE.
42
C’est couleur Espagnol malade.
PREMIER MARQUIS.
DE GUICHE.
La couleur
Je monte
Viens, Valvert !
43
CHRISTIAN, qui les écoute et les observe, tressaille en
entendant ce nom.
Le vicomte !
Ay !…
LE TIRE-LAINE.
Je cherchais un gant !
Hein ?
44
Vous trouvez une main.
Quel ?
LE TIRE-LAINE.
CHRISTIAN, de même.
Eh ! bien ?
Lignière…
LE TIRE-LAINE.
45
… touche à son heure dernière.
CHRISTIAN.
Par qui ?
LE TIRE-LAINE.
Oh !
Cent !
Professionnelle !
CHRISTIAN.
Où seront-ils postés ?
LE TIRE-LAINE.
46
Sur son chemin. Prévenez-le !
À la porte de Nesle.
Mais où le voir !
LE TIRE-LAINE.
CHRISTIAN.
La quitter… elle !
Lignière !
47
(Avec fureur, Valvert.)
LA SALLE.
Commencez.
Ma perruque !
CRIS DE JOIE.
48
Il est chauve !…
Petit gredin !
Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha !
(Silence complet.)
LE BRET, étonné.
Ce silence soudain ?…
Ah ?…
49
LE SPECTATEUR.
UN PAGE.
Une chaise !
50
UN SPECTATEUR.
Silence !
LE BRET.
51
RAGUENEAU.
LE BRET.
LE PARTERRE, applaudissant.
52
Et qui, lorsque Zéphire a soufflé sur les bois… »
VOIX DIVERSES.
CUIGY.
C’est lui !
LE RET, terrifié.
Cyrano !
LA VOIX.
53
TOUTE LA SALLE, indignée.
Oh !
MONTFLEURY.
Mais… LA VOIX.
Tu récalcitres ?
Eh bien ?
54
(Une canne au bout d’un bras jaillit au-dessus des têtes.)
« Heureux qui… »
LA VOIX.
Sortez !
LE PARTERRE.
Oh !
MONTFLEURY, s’étranglant.
55
CYRANO, surgissant du parterre, debout sur une chaise, les bras
croisés, le feutre en bataille, la moustache hérissée, le nez
terrible.
Ah ! je vais me fâcher !…
(Sensation à sa vue.)
Scène IV
Messieurs !
UN MARQUIS, nonchalamment.
56
Mais jouez donc !
CYRANO.
LE MARQUIS.
Assez !
CYRANO.
57
C’en est trop !… Montfleury…
CYRANO.
UNE VOIX
Mais…
CYRANO.
Qu’il sorte !
Pourtant… CYRANO.
58
Ce n’est pas encor fait ?
LE PARTERRE.
59
Montfleury ! Montfleury ! – La pièce de Baro ! – CYRANO, à ceux
qui crient autour de lui.
Hé ! là !…
LA FOULE, reculant.
CYRANO, à Montfleury.
Sortez de scène !
Oh ! oh !
Quelqu’un réclame ?
60
(Nouveau recul.)
On jouera la Clorise.
La Clorise, la Clorise !…
CYRANO.
UN BOURGEOIS.
61
CYRANO.
C’est inouï !
Ce qu’on s’amuse !
UN SEIGNEUR.
UN PAGE.
LE PARTERRE.
C’est vexatoire !
62
Kss ! – Montfleury ! – Cyrano !
Silence !
Je vous…
CYRANO.
LE PARTERRE, en délire.
CYRANO.
UN PAGE.
Miâou ! CYRANO.
63
Et j’adresse un défi collectif au parterre !
(Silence.)
MONTFLEURY.
64
le bistouri !
Je…
LE PARTERRE, amusé.
Ah ?…
Je…
MONTFLEURY.
65
Restez !
LE PARTERRE.
Une !
Messieurs…
MONTFLEURY.
CYRANO.
Deux !
MONTFLEURY.
CYRANO. crois,
66
Trois !
LA SALLE.
Hu !… hu !… Lâche !… Reviens !…
UN BOURGEOIS.
L’orateur de la troupe !
LES LOGES.
67
Ah !… Voilà Bellerose !
Nobles seigneurs…
LE PARTERRE.
LE PARTERRE.
JODELET.
68
Le gros tragédien dont vous aimez le ventre S’est senti…
Tas de veaux !
Pas de bravos !
LE PARTERRE.
C’est un lâche !
JODELET.
Il dut sortir !
Non !
LE PARTERRE.
69
LES UNS.
LES AUTRES.
Si !
Qu’il rentre !
70
Primo : c’est un acteur déplorable, qui gueule, Et qui soulève
avec des han ! de porteur d’eau, Le vers qu’il faut laisser
s’envoler ! – Secundo : Est mon secret…
Jeune oison,
De la Clorise ! Je m’entête…
Vieille mule,
Les vers du vieux Baro valant moins que zéro, J’interromps sans
remords !
71
Ha ! – Ho ! – Notre Baro !
Belles personnes,
BELLEROSE.
72
Attrapez cette bourse au vol, et taisez-vous !
LA SALLE, éblouie.
Bellerose,
Ah !… Oh !…
Hu !… Hu !…
LA SALLE
JODELET.
73
Dussions-nous même ensemble être hués !… BELLEROSE.
JODELET.
Évacuez !…
LE BRET, à Cyrano.
C’est fou !…
74
Le comédien Montfleury ! quel scandale !
CYRANO.
Non !
LE FÂCHEUX.
LE FÂCHEUX.
CYRANO, agacé.
75
(La main à son épée.)
Non !
LE FÂCHEUX.
CYRANO.
LE FÂCHEUX.
CYRANO.
C’est selon.
76
Moins long
LE FÂCHEUX.
CYRANO.
LE FÂCHEUX.
J’y songe.
Mais…
CYRANO.
77
LE FÂCHEUX.
Mais… CYRANO.
Tournez !
LE FÂCHEUX, ahuri.
Je…
Qu’a-t-il d’étonnant ?
LE FÂCHEUX, reculant.
CYRANO.
78
Est-il mol et ballant, monsieur, comme une trompe ?…
Je n’ai pas…
Mais…
CYRANO.
LE FÂCHEUX.
CYRANO.
LE FÂCHEUX.
CYRANO.
79
Ou si quelque mouche, à pas lents, s’y promène ?
Qu’a-t-il d’hétéroclite ?
LE FÂCHEUX.
Oh !… CYRANO.
LE FÂCHEUX.
Est-ce un phénomène ?
CYRANO.
LE FÂCHEUX.
80
J’avais…
CYRANO.
LE FÂCHEUX.
Monsieur… CYRANO.
Malsaine
Mais du tout !…
LE FÂCHEUX.
Monsieur ! CYRANO.
81
LE FÂCHEUX.
CYRANO.
Sa forme, obscène ?
LE FÂCHEUX, balbutiant.
CYRANO.
LE FÂCHEUX.
Ciel !
CYRANO.
82
Énorme, mon nez !
(Il le soufflette.)
LE FÂCHEUX.
Aï !
CYRANO.
83
De fierté, d’envol,
LE FÂCHEUX, se sauvant.
Au secours ! À la garde !
CYRANO.
84
LE VICOMTE DE VALVERT, haussant les épaules.
Il fanfaronne !
DE GUICHE.
LE VICOMTE.
Personne ?
CYRANO, gravement.
85
Ha !
LE VICOMTE, riant.
CYRANO, imperturbable.
C’est tout ?…
Très.
LE VICOMTE.
Mais… CYRANO.
86
Descriptif : « C’est un roc !… c’est un pic !… c’est un cap ! Que dis-
je, c’est un cap ?… C’est une péninsule ! » Curieux : « De quoi sert
cette oblongue capsule ?
Dut avoir sous le front tant de chair sur tant d’os ! » Cavalier : «
Quoi, l’ami, ce croc est à la mode ?
87
Lyrique : « Est-ce une conque, êtes-vous un triton ? » Naïf : « Ce
monument, quand le visite-t-on ? » Respectueux : « Souffrez,
monsieur, qu’on vous salue, C’est là ce qui s’appelle avoir
pignon sur rue ! » Campagnard : « Hé, ardé ! C’est-y un nez ?
Nanain !
– Voilà ce qu’à peu près, mon cher, vous m’auriez dit Si vous
aviez un peu de lettres et d’esprit.
Vous n’avez que les trois qui forment le mot : sot ! Eussiez-vous
eu, d’ailleurs, l’invention qu’il faut Pour pouvoir là, devant ces
nobles galeries,
88
DE GUICHE, voulant emmener le vicomte pétrifié.
LE VICOMTE, suffoqué.
CYRANO.
89
Mon âme que je cambre ainsi qu’en un corset,
LE VICOMTE.
Mais, monsieur…
CYRANO.
90
LE VICOMTE.
(Rires.)
LE VICOMTE, exaspéré.
Bouffon !
Ay !…
91
Qu’est-ce encor qu’il dit ?
LE VICOMTE.
Qu’avez-vous ?
CYRANO.
Soit !
Poète !…
92
CYRANO.
LE VICOMTE, méprisant.
CYRANO.
LE VICOMTE.
CYRANO.
93
LE VICOMTE.
Une ballade ?
Mais…
LE VICOMTE, piétinant.
Oh !
CYRANO, continuant.
Vous…
94
LE VICOMTE.
CYRANO.
LE VICOMTE.
Non !
CYRANO.
(Déclamant.)
95
LE VICOMTE.
Non ?
CYRANO.
C’est le titre.
96
CYRANO, fermant une seconde les yeux.
97
Décidément… c’est au bedon, Qu’à la fin de l’envoi, je touche.
Je coupe, je feinte…
(Se fendant.)
Hé ! là, donc !
98
Cyrano. Ragueneau danse d’enthousiasme. Le Bret est heureux
et navré. Les amis du vicomte le soutiennent et l’emmènent.)
Ah !…
Insensé !
UN CHEVAU-LÉGER.
Superbe !
UNE FEMME.
Joli !
RAGUENEAU.
Pharamineux !
UN MARQUIS.
99
LE BRET.
Nouveau !…
C’est un héros !…
C’est tout à fait très bien, et je crois m’y connaître ; J’ai du reste
exprimé ma joie en trépignant !…
CYRANO, à Cuigy.
CUIGY.
100
LE BRET, à Cyrano, lui prenant le bras.
Çà, causons !…
(Il s’éloigne.)
D’Artagnan.
Je peux rester ?
CYRANO.
(À Bellerose.)
BELLEROSE, respectueusement.
Mais oui !…
101
(On entend des cris au dehors.)
BELLEROSE, solennellement.
Sic transit !…
Nous allons revenir après notre repas, Répéter pour demain une
nouvelle farce.
LE PORTIER, à Cyrano.
102
CYRANO.
Moi ?… Non.
LE BRET, à Cyrano.
Parce que ?
CYRANO, fièrement.
Parce…
103
CYRANO.
LE BRET.
CYRANO.
LE BRET.
CYRANO.
Rien ne me reste.
104
LA DISTRIBUTRICE, toussant derrière son petit comptoir.
Hum !…
(Montrant le buffet.)
(Avec élan.)
Prenez !
CYRANO, se découvrant.
105
Ma chère enfant,
Et j’accepterai donc…
De ce raisin…
limpide !
106
LE BRET.
LA DISTRIBUTRICE.
CYRANO.
LA DISTRIBUTRICE.
Merci, monsieur.
107
(Révérence.)
Bonsoir.
(Elle sort.)
Scène V
CYRANO, à Le Bret.
Je t’écoute causer.
Dîner !…
(… le verre d’eau.)
108
Boisson !…
(… le grain de raisin.)
Dessert !…
(Il s’assied.)
(Mangeant.)
– Tu disais ?
LE BRET.
109
CYRANO, achevant son macaron.
Le Cardinal…
LE BRET.
CYRANO, s’épanouissant.
Énorme.
A dû trouver cela…
LE BRET.
Pourtant…
CYRANO.
LE BRET.
110
CYRANO.
LE BRET.
LE BRET.
CYRANO.
Voyons, compte !
LE BRET.
111
Montfleury, le bourgeois, de Guiche, le vicomte, Baro,
l’Académie…
CYRANO.
LE BRET.
CYRANO.
Assez ! tu me ravis
J’ai pris…
LE BRET.
Lequel ? CYRANO.
112
J’ai décidé d’être admirable, en tout, pour tout !
CYRANO, se levant.
Ce Silène,
Si ventru que son doigt n’atteint pas son nombril, Pour les
femmes encor se croit un doux péril,
De poser son regard, sur celle… Oh ! j’ai cru voir Glisser sur une
fleur une longue limace !
LE BRET, stupéfait.
113
Hein ? Comment ? Serait-il possible ?…
J’aime
LE BRET.
Que j’aimasse ?…
114
LE BRET.
La plus belle ?…
CYRANO.
(Avec accablement.)
LE BRET.
CYRANO.
115
Dans laquelle l’amour se tient en embuscade ! Qui connaît son
sourire a connu le parfait.
la plus blonde !
Un danger
Ni toi, Diane, marcher dans les grands bois fleuris, Comme elle
monte en chaise et marche dans Paris !…
LE BRET.
CYRANO.
C’est diaphane.
116
LE BRET.
CYRANO.
LE BRET.
Oui, – Roxane.
CYRANO.
117
Oh ! je ne me fais pas d’illusion ! – Parbleu,
LE BRET, ému.
Mon ami !
CYRANO.
118
Tu pleures ?
CYRANO.
LE BRET.
LE BRET.
119
Mais ton courage ! ton esprit ! – Cette petite Qui t’offrait là,
tantôt, ce modeste repas,
CYRANO, saisi.
C’est vrai !
LE BRET.
CYRANO.
LE BRET.
120
Son cœur et son esprit déjà sont étonnés ! Ose, et lui parle,
afin…
Toute blême ?
CYRANO.
Scène VI
121
De son vaillant cousin on désire savoir Où l’on peut, en secret, le
voir.
CYRANO, bouleversé.
Me voir ?
CYRANO.
Des ?…
CYRANO, chancelant.
Ah ! mon Dieu !
LA DUÈGNE.
122
Vous voir.
Des choses !
Ah ! mon Dieu !
LA DUÈGNE.
CYRANO, affolé.
LA DUÈGNE.
123
Dites vite.
CYRANO.
LA DUÈGNE.
Je cherche !…
Où ?
CYRANO.
CYRANO.
Il perche ?
124
CYRANO.
J’y serai.
Scène VII
LE BRET.
CYRANO.
125
Ah ! pour quoi que ce soit, elle sait que j’existe !
LE BRET.
126
UNE VOIX, de la scène.
CYRANO, riant.
Nous partons !
Qu’on t’apporte !
CUIGY.
Cyrano ! CYRANO.
Qu’est-ce ? CUIGY.
Il te cherche !
127
CUIGY.
BRISSAILLE.
CYRANO.
Pourquoi ?
CYRANO.
128
LIGNIÈRE, épouvanté.
Mais…
(Aux officiers.)
CUIGY.
129
Mais cent hommes !…
CYRANO.
LE BRET.
CYRANO.
LE BRET.
130
CYRANO, frappant sur l’épaule de Lignière.
CYRANO.
131
CYRANO.
Marchons !
(Aux officiers.)
CYRANO.
Venez !…
Viens-tu, Cassandre ?…
132
CYRANO.
JODELET.
Allons !
133
Bravo ! des officiers, des femmes en costume,
TOUS.
134
À la porte de Nesle !
À la porte de Nesle !
RIDEAU.
135
DEUXIÈME ACTE
136
Les fours, dans l’ombre, sous l’escalier, rougeoient. Des cuivres
étincellent. Des broches tournent. Des pièces montées
pyramident, des jambons pendent. C’est le coup de feu matinal.
Bousculade de marmitons effarés, d’énormes cuisiniers et de
minuscules gâte- sauces. Foisonnement de bonnets à plume de
poulet ou à aile de pin- tade. On apporte, sur des plaques de
tôle et des clayons d’osier, des quinconces de brioches, des
villages de petits-fours.
Scène I
Fruits en nougat !
137
DEUXIÈME PÂTISSIER, apportant un plat.
Flan !
Paon !
Roinsoles !
Bœuf en daube !
138
(Il se lève. – À un cuisinier.)
LE CUISINIER.
De combien ?
RAGUENEAU.
De trois pieds.
(Il passe.)
LE CUISINIER.
139
Hein ?
PREMIER PÂTISSIER.
La tarte !
DEUXIÈME PÂTISSIER.
La tourte !
140
(À un autre, lui montrant un pâté inachevé.)
Maître, en pensant à vous, dans le four, j’ai fait cuire Ceci, qui
vous plaira, je l’espère.
RAGUENEAU, ébloui.
141
En pâte de brioche.
L’APPRENTI.
RAGUENEAU, ému.
L’APPRENTI.
Une lyre !
142
Va boire à ma santé !
C’est beau ?
LISE.
C’est ridicule !
RAGUENEAU.
143
(Il les regarde.)
LISE, sèchement.
RAGUENEAU.
LISE.
144
RAGUENEAU.
LISE.
RAGUENEAU.
Scène II
autre chose.
RAGUENEAU.
145
PREMIER ENFANT.
Trois pâtés.
Et bien chauds.
DEUXIÈME ENFANT.
(Aux enfants.)
146
Que je les enveloppe ?…
Pas celui-ci !…
(Même jeu.)
LISE, impatientée.
Eh bien ! qu’attendez-vous ?
RAGUENEAU.
147
(Il en prend un troisième et se résigne.)
LISE.
Nicodème !
(Elle monte sur une chaise et se met à ranger des plats sur une
cré- dence.)
148
« Philis !… » Sur ce doux nom, une tache de beurre !…
« Philis !… »
Scène III
CYRANO.
Six heures.
! J’ai vu…
149
Dans une heure !
RAGUENEAU, le suivant.
CYRANO.
Quoi donc !
RAGUENEAU.
Lequel ?
RAGUENEAU.
150
RAGUENEAU, admiratif.
LISE.
CYRANO
Il en a plein la bouche !
« À la fin de l’envoi… »
151
CYRANO.
(Il se relève.)
traitement la main.
Qu’avez-vous à la main ?
CYRANO.
RAGUENEAU.
CYRANO.
152
LISE, le menaçant du doigt.
CYRANO.
Aucun péril.
(Changeant de ton.)
RAGUENEAU.
153
Mes rimeurs vont venir…
LISE, ironique.
CYRANO.
RAGUENEAU.
154
CYRANO, s’asseyant nerveusement à la table de Ragueneau et
pre- nant du papier.
Une plume ?…
De cygne.
Salut !
CYRANO, se retournant.
Qu’est-ce ?
RAGUENEAU.
155
Un ami de ma femme. Un guerrier
Chut !…
Écrire, – plier, –
(À lui-même.)
(Jetant la plume.)
Lâche !… Mais que je meure, Si j’ose lui parler, lui dire un seul
mot…
et quart !…
RAGUENEAU.
(À Ragueneau.)
156
L’heure ?
Eh bien ! écrivons-la,
Scène IV
157
Ragueneau, Lise, le mousquetaire, Cyrano, à la petite table,
écrivant, les poètes, vêtus de noir, les bas tombants, couverts
de
boue.
Confrère !…
Cher confrère !
TROISIÈME POÈTE.
158
(Il renifle.)
QUATRIÈME POÈTE.
Ô Phœbus-Rôtisseur !
CINQUIÈME POÈTE.
PREMIER POÈTE.
DEUXIÈME POÈTE.
159
Ouverts à coups d’épée, Huit malandrins sanglants illustraient
les pavés !
RAGUENEAU, à Cyrano.
Le héros du combat ?
CYRANO, négligemment.
Moi ?… Non !
LISE, au mousquetaire.
160
Et vous ?
Peut-être !
Je vous aime…
PREMIER POÈTE.
DEUXIÈME POÈTE.
161
Des piques, des bâtons jonchaient le sol !…
CYRANO, écrivant.
TROISIÈME POÈTE.
Oh ! c’était curieux !
… vos yeux…
PREMIER POÈTE.
PREMIER POÈTE.
162
Un terrible géant, l’auteur de ces exploits !
… vos lèvres…
163
J’ai mis une recette en vers.
PREMIER POÈTE.
DEUXIÈME POÈTE.
164
Nous écoutons.
Tu déjeunes ?
Tu dînes !
165
RAGUENEAU.
Exquis ! Délicieux !
166
UN POÈTE, s’étouffant.
Homph !
CYRANO.
167
Et dire ainsi mes vers me donne un plaisir double, Puisque je
satisfais un doux faible que j’ai
Toi, tu me plais !…
Je le vois…
Hé là, Lise ?
Ce capitaine…
168
Vous assiège ?
LISE, offensée.
CYRANO.
LISE, suffoquée.
Mais…
CYRANO, nettement.
169
Je défends que quelqu’un le ridicoculise.
LISE.
Mais…
À bon entendeur…
LE MOUSQUETAIRE.
170
Sur son nez… sur son nez…
Pst !…
Pour lire
Des vers…
Emportons-les !
171
(Ils sortent tous derrière Ragueneau, processionnellement, et
après avoir fait une râfle de plateaux.)
Scène V
CYRANO.
Je tire
Entrez !…
172
Quatre.
LA DUÈGNE.
CYRANO.
Êtes-vous gourmande ?
LA DUÈGNE.
Heu !…
LA DUÈGNE, piteuse.
CYRANO.
173
LA DUÈGNE, changeant de figure.
CYRANO.
CYRANO.
J’en plonge six pour vous dans le sein d’un poème De Saint-
Amant ! Et dans ces vers de Chapelain Je dépose un fragment,
moins lourd, de poupelin.
LA DUÈGNE.
Hou !
174
J’en suis férue !
Mais…
LA DUÈGNE.
175
Scène VI
CYRANO.
Que l’instant entre tous les instants soit béni, Où, cessant
d’oublier qu’humblement je respire Vous venez jusqu’ici pour me
dire… me dire ?…
Mais tout d’abord merci, car ce drôle, ce fat Qu’au brave jeu
d’épée, hier, vous avez fait mat, C’est lui qu’un grand seigneur…
épris de moi…
CYRANO.
De Guiche ?
176
Cherchait à m’imposer… comme mari…
CYRANO.
(Saluant.)
Postiche ?
Non pour mon vilain nez, mais bien pour vos beaux yeux.
ROXANE.
177
Puis… je voulais… Mais pour l’aveu que je viens faire, Il faut que
je revoie en vous le… presque frère,
CYRANO.
ROXANE.
CYRANO.
ROXANE.
CYRANO.
178
ROXANE.
CYRANO.
ROXANE.
ANO.
ROXANE.
179
(Elle lui prend la main.)
Non ! Montrez-la !
CYRANO.
Donnez !
180
CYRANO, s’asseyant aussi.
Racontez !
CYRANO.
ROXANE.
CYRANO.
Non. Laissez. Mais vous, dites la chose Que vous n’osiez tantôt
me dire…
181
ROXANE, sans quitter sa main.
CYRANO.
À présent, j’ose,
Ah !…
Ah !…
ROXANE.
CYRANO.
Ah !… ROXANE.
182
CYRANO.
ROXANE.
Pas encore.
Ah !…
ROXANE.
CYRANO.
Ah !…
ROXANE.
183
CYRANO.
Ah !…
CYRANO.
Ah !…
!…
ROXANE, riant.
CYRANO.
184
ROXANE.
Quoi ? Qu’avez-vous ?
ROXANE.
CYRANO.
Beau !
185
(Il montre sa main, avec un sourire.)
ROXANE.
CYRANO.
ROXANE.
C’est ce bobo.
CYRANO.
ROXANE.
186
De la place Royale, on cause… Des bavardes M’ont renseignée…
Son nom ?
CYRANO.
CYRANO.
ROXANE.
CYRANO.
187
Hein ?…
ROXANE.
CYRANO.
CYRANO.
188
Vite,
ROXANE.
CYRANO.
ROXANE.
CYRANO.
189
Oui, tous les mots sont fins quand la moustache est fine.
Vous m’avez fait venir pour me dire cela ? Je n’en sens pas très
bien l’utilité, madame.
ROXANE.
Ah, c’est que quelqu’un hier m’a mis la mort dans l’âme, Et me
disant que tous, vous êtes tous Gascons
CYRANO.
190
Tous les blancs-becs qui, par faveur, se font admettre Parmi les
purs Gascons que nous sommes, sans l’être ? C’est ce qu’on
vous a dit ?
ROXANE.
ROXANE.
191
CYRANO.
ROXANE.
CYRANO.
Oui, oui.
ROXANE.
CYRANO.
ROXANE.
192
Je le serai.
CYRANO.
ROXANE.
C’est juré.
(Elle remet vivement son masque, une dentelle sur son front, et,
distraitement.)
193
Oh ! je vous aime !
CYRANO.
Oui, oui.
ROXANE.
CYRANO.
CYRANO, la saluant.
194
(Elle sort. Cyrano reste immobile, les yeux à terre. Un silence.
Scène VII
RAGUENEAU.
Peut-on rentrer ?
Oui…
195
CARBON DE CASTEL-JALOUX.
Le voilà !
Mon capitaine !…
CARBON, exultant.
CYRANO, reculant.
Mais…
196
Non !
Je…
CYRANO.
CARBON.
Ah ! Sandious !
197
(Tumulte au dehors, bruit d’épées et de bottes qui se
rapprochent.)
LES CADETS.!
UN CADET, à Cyrano.
CYRANO.
198
Baron !
Vivat ! CYRANO.
Baron !
TROISIÈME CADET.
Tous !
Baron !…
CYRANO.
Que je t’embrasse !
PLUSIEURS GASCONS.
Embrassons-le !
199
CYRANO, ne sachant auquel répondre.
RAGUENEAU.
LES CADETS.
Tous !
RAGUENEAU.
PREMIER CADET.
200
LE BRET, entrant, et courant à Cyrano.
CYRANO, épouvanté.
Le sont-ils ?…
Si !
201
LE BRET, bas, souriant, à Cyrano.
Et Roxane ?
CYRANO, vivement.
Tais-toi !
Cyrano !…
202
Mon ami… mon ami…
Ma boutique
Tant d’amis !…
CYRANO.
LE BRET, ravi.
Le succès !
CYRANO.
203
Si tu ?… Tu ?… Qu’est-ce donc qu’ensemble nous gardâmes ?
UN AUTRE.
CYRANO, froidement.
LE BRET, stupéfait.
CYRANO.
Tais-toi !
204
UN HOMME DE LETTRES, avec une écritoire.
CYRANO.
Non.
CYRANO.
LE BRET.
Cette feuille où l’on fait tant de choses tenir ! On dit que cette
idée a beaucoup d’avenir !
LE POÈTE, s’avançant.
205
C’est Théophraste,
Baste !
Monsieur…
CYRANO.
Encor !
LE POÈTE.
Monsieur…
206
CYRANO.
Assez !
CUIGY, à Cyrano.
Monsieur de Guiche !
207
LA FOULE.
Bravo !…
CYRANO, s’inclinant.
DE GUICHE.
Mais…
CUIGY.
208
LE BRET, bas à Cyrano, qui a l’air absent.
CYRANO.
Tais-toi ! LE BRET.
Tu parais souffrir !
De nos yeux !
Devant ce monde ?…
209
DE GUICHE, auquel Cuigy a parlé à l’oreille.
CYRANO.
Chez nous !
CARBON DE CASTEL-JALOUX.
210
Cyrano ! CYRANO.
Capitaine ?
CARBON.
211
Ils vont, – coiffés d’un vieux vigogne Dont la plume cache les
trous ! – Œil d’aigle, jambe de cigogne, Moustache de chat,
dents de loups !
Voici les cadets de Gascogne Qui font cocus tous les jaloux ! Ô
femme, adorable carogne, Voici les cadets de Gascogne ! Que
le vieil époux se renfrogne.
Voici les cadets de Gascogne Qui font cocus tous les jaloux !
212
CYRANO.
DE GUICHE.
LE BRET, ébloui.
DE GUICHE.
DE GUICHE.
213
Grand Dieu !
Portez-les-lui.
Vraiment… DE GUICHE.
DE GUICHE.
214
CYRANO.
DE GUICHE.
CYRANO.
215
Regarde, Cyrano ! ce matin, sur le quai,
CARBON.
Ah ! Ah ! Ah !
CUIGY.
216
BRISSAILLE.
DE GUICHE.
C’est moi.
(Silence gêné.)
217
Monsieur, si vous voulez les rendre à vos amis ? DE GUICHE, se
levant et d’une voix brève.
(À Cyrano, violemment.)
Vous, Monsieur !…
De Guiche !
CYRANO.
218
Et me découvre au nom de cet hurluberlu.
DE GUICHE.
Je l’ai lu.
DE GUICHE.
CYRANO, saluant.
DE GUICHE.
219
Voici la chaise.
Chapitre treize.
CYRANO.
DE GUICHE.
CYRANO.
220
Scène VIII
CYRANO, saluant d’un air goguenard ceux qui sortent sans oser
le saluer.
CYRANO.
221
LE BRET.
Enfin, tu conviendras
Ah !
CYRANO.
LE BRET, triomphant.
CYRANO.
222
LE BRET.
CYRANO.
Qui plus vite, à l’endroit des genoux, devient sale ? Exécuter des
tours de souplesse dorsale ?…
223
Avoir son encensoir, toujours, dans quelque barbe ? Non, merci !
Se pousser de giron en giron,
Et se dire sans cesse : « Oh, pourvu que je sois Dans les petits
papiers du Mercure François ? »… Non, merci ! Calculer, avoir
peur, être blême, Aimer mieux faire une visite qu’un poème,
Rédiger des placets, se faire présenter ?
Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais… chanter, Rêver, rire,
passer, être seul, être libre,
Avoir l’œil qui regarde bien, la voix qui vibre, Mettre, quand il
vous plaît, son feutre de travers,
224
Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit,
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles, Si c’est
dans ton jardin à toi que tu les cueilles !
Puis, s’il advient d’un peu triompher, par hasard, Ne pas être
obligé d’en rien rendre à César,
LE BRET.
Tout seul, soit ! mais non pas contre tous ! Comment diable As-
tu donc contracté la manie effroyable
CYRANO.
Et rire à ces amis dont vous avez des foules, D’une bouche
empruntée au derrière des poules ! J’aime raréfier sur mes pas
les saluts,
225
Et m’écrie avec joie : un ennemi de plus !
LE BRET.
Quelle aberration !
CYRANO.
226
S’abandonne à pencher dans tous les sens. Mais moi, La Haine,
chaque jour, me tuyaute et m’apprête
CYRANO, vivement.
Tais-toi !
Scène IX
227
Cyrano, Le Bret, les cadets, Christian de Neuvillette.
Hé ! Cyrano !
(Cyrano se retourne.)
Le récit ?
CYRANO.
Tout à l’heure !
228
(Il s’arrête devant la table où est Christian.)
Apprentif ?
UN AUTRE CADET.
CHRISTIAN.
CHRISTIAN.
229
Maladif ?
Qu’est-ce ?
Regardez-moi !
(Il pose trois fois, mystérieusement, son doigt sur son nez.)
M’avez-vous entendu ?
Ah ! c’est le…
CHRISTIAN.
UN AUTRE.
230
(Il montre Cyrano qui cause au fond avec Le Bret.)
UN AUTRE, qui, pendant qu’il était tourné vers les premiers, est
ve- nu sans bruit s’asseoir sur la table, dans son dos.
Deux nasillards par lui furent exterminés Parce qu’il lui déplut
qu’ils parlassent du nez !
231
(Silence. Tous autour de lui, les bras croisés, le regardent. Il se
lève et va à Carbon de Castel-Jaloux qui, causant avec un
officier, a l’air de ne rien voir.)
Capitaine !
CHRISTIAN.
Monsieur ? CHRISTIAN.
CARBON.
CHRISTIAN.
On leur prouve
232
(Il lui tourne le dos.)
Merci.
TOUS.
Son récit !
Mon récit ?…
233
sais quel soigneux horloger S’étant mis à passer un coton
nuager
CHRISTIAN.
CYRANO.
UN CADET, à mi-voix.
C’est un homme
234
Arrivé ce matin.
Ce matin ?
CARBON, à mi-voix.
Le baron de Neuvil…
Ah ! c’est bien…
Il se nomme
235
Je…
Je disais donc…
(Il reprend.)
Très bien…
Mordious !…
236
(Stupeur. On se rassied en se regardant.)
CHRISTIAN.
Dans le nez…
Une dent, –
CHRISTIAN.
Le nez…
237
CYRANO.
CHRISTIAN.
Sur le nez…
CHRISTIAN.
238
CYRANO.
CHRISTIAN.
Ventre-Saint-Gris !
Une nasarde.
Nez à nez…
Qui puaient…
239
CHRISTIAN.
À plein nez…
L’oignon et la litharge !
CHRISTIAN.
Nez au vent !
CYRANO.
240
J’en estomaque deux ! J’en empale un tout vif ! Quelqu’un
m’ajuste : Paf ! et je riposte…
CHRISTIAN.
CYRANO, éclatant.
et je charge !
Pif !
PREMIER CADET.
241
CYRANO.
DEUXIÈME CADET.
On va le retrouver en hachis !
RAGUENEAU.
UN AUTRE CADET.
Bigre !
En hachis ?
RAGUENEAU.
242
CARBON.
Sortons !
UN AUTRE.
UN AUTRE.
243
(Ils sont tous sortis, – soit par le fond, soit par les côtés, –
quelques-uns ont disparu par l’escalier. Cyrano et Christian
restent face à face, et se regardent un moment.)
Scène X
Monsieur…
Cyrano, Christian.
CYRANO.
CHRISTIAN.
CYRANO.
Brave.
CHRISTIAN.
244
Ah çà ! mais !… CYRANO.
Embrasse-moi !
Me direz-vous ?…
De qui ?
CHRISTIAN.
CYRANO.
CHRISTIAN.
CYRANO.
245
Mais d’elle ! CHRISTIAN.
Hein ?… CYRANO.
Mais de Roxane !
CYRANO.
Ciel !
Elle vous a ?…
CHRISTIAN.
CYRANO.
Tout dit !
CHRISTIAN.
246
M’aime-t-elle ? CYRANO.
CYRANO.
CHRISTIAN.
Peut-être !
Pardonnez-moi…
247
CHRISTIAN.
CYRANO.
CHRISTIAN.
CYRANO.
CHRISTIAN.
Hélas !
248
CYRANO.
CHRISTIAN.
CYRANO.
Je les retire !
Quoi ?
Comment ?
CHRISTIAN.
249
Las ! je suis sot à m’en tuer de honte !
CYRANO.
CHRISTIAN.
CYRANO.
CHRISTIAN.
250
Non ! car je suis de ceux, – je le sais… et je tremble ! – Qui ne
savent parler d’amour.
CYRANO.
CHRISTIAN.
CYRANO.
CHRISTIAN.
251
CYRANO, regardant Christian.
Il me faudrait de l’éloquence !
CYRANO, brusquement.
CHRISTIAN.
Si j’avais
252
Je t’en prête !
Quoi ?
CYRANO.
CHRISTIAN.
Tu me proposes ?…
CYRANO.
253
Dis, veux-tu qu’à nous deux nous la séduisions ? Veux-tu sentir
passer, de mon pourpoint de buffle Dans ton pourpoint brodé,
l’âme que je t’insuffle !…
Mais, Cyrano !…
CHRISTIAN.
CYRANO.
Christian, veux-tu ?
CHRISTIAN.
CYRANO.
254
Tu me fais peur !
CHRISTIAN.
Tant de plaisir ?…
255
CYRANO.
Veux-tu ?… CHRISTIAN.
Cela…
Cela m’amuserait !
256
CHRISTIAN.
Comment ?
Je…
Vous aviez ?…
CHRISTIAN.
CYRANO.
257
CYRANO.
CHRISTIAN.
CYRANO.
Nous avons toujours, nous, dans nos poches, Des épîtres à des
Chloris… de nos caboches,
Car nous sommes ceux-là qui pour amante n’ont Que du rêve
soufflé dans la bulle d’un nom !… Prends, et tu changeras en
vérités ces feintes ; Je lançais au hasard ces aveux et ces
plaintes.
CHRISTIAN.
258
N’est-il pas nécessaire De changer quelques mots ? Écrite en
divaguant,
Ira-t-elle à Roxane ?
Mais…
CYRANO.
CHRISTIAN.
CYRANO.
259
CHRISTIAN.
Ah ! mon ami !
Scène XI
Je n’ose regarder…
Hein ?
260
TOUS LES CADETS, entrant et voyant Cyrano et Christian qui
s’embrassent.
Ah !… Oh !… UN CADET.
Ouais ?…
LE MOUSQUETAIRE, goguenard.
(Consternation.)
CARBON.
LE MOUSQUETAIRE.
261
(Appelant Lise, d’un air triomphant.)
Oh !… oh !… c’est surprenant !
Quelle odeur !…
CYRANO, le souffletant.
La giroflée !
(Joie. Les cadets ont retrouvé Cyrano : ils font des culbutes.)
RIDEAU.
262
TROISIÈME ACTE
263
Scène I
RAGUENEAU.
LA DUÈGNE.
RAGUENEAU.
264
LA DUÈGNE, se levant et appelant vers la fenêtre ouverte.
Je passe
Une mante !
RAGUENEAU.
Sur le Tendre ?
LA DUÈGNE, minaudant.
265
Mais oui !…
LA VOIX DE ROXANE.
Je viens !
La ! la ! la ! la !
LA DUÈGNE, surprise.
266
CYRANO, suivi de deux pages porteurs de théorbes.
CYRANO.
La ! la !
Je peux continuer !…
267
La ! la ! la ! la !
C’est vous ?
Moi qui viens saluer Vos lys, et présenter mes respects à vos ro…
ses !
ROXANE.
Je descends !
268
Nous discutions un point de grammaire. – Non ! – Si ! – Quand
soudain me montrant ces deux grands escogriffes Habiles à
gratter les cordes de leurs griffes,
(Aux musiciens.)
269
(À la duègne.)
CYRANO, souriant.
ROXANE.
CYRANO.
J’y consens.
270
ROXANE.
Plus fin diseur de ces jolis riens qui sont tout. Parfois il est
distrait, ses Muses sont absentes ; Puis, tout à coup, il dit des
choses ravissantes !
CYRANO, incrédule.
Non ?
ROXANE.
CYRANO.
271
Il sait parler du cœur d’une façon experte ?
ROXANE.
CYRANO.
Il écrit ?
ROXANE.
(Déclamant.)
272
« Plus tu me prends de cœur, plus j’en ai !… »
(Triomphante, à Cyrano.)
Hé ! bien ?
CYRANO.
ROXANE.
CYRANO.
273
Peuh !…
C’est la jalousie…
CYRANO, tressaillant.
Hein !… ROXANE.
Vous m’agacez !
« Croyez que devers vous mon cœur ne fait qu’un cri, Et que si
les baisers s’envoyaient par écrit,
274
Ha ! ha ! ces lignes-là sont… hé ! hé !
Et ceci…
Toutes !
ROXANE.
CYRANO, ravi.
ROXANE.
275
Il n’y a pas à dire : c’est flatteur !
ROXANE.
C’est un maître !
CYRANO, modeste.
Soit !… un maître !
Monsieur de Guiche !
276
(À Cyrano, le poussant vers la maison.)
Entrez !… car il vaut mieux, peut-être, Qu’il ne vous trouve pas ici
; cela pourrait
ROXANE, à Cyrano.
277
Scène II
Je sortais.
DE GUICHE.
Vous partez ?
ROXANE.
DE GUICHE.
Pour la guerre.
ROXANE.
278
Ah !
DE GUICHE.
Ah !
DE GUICHE.
ROXANE.
DE GUICHE.
J’ai
279
Ah !… on assiège ?…
ROXANE, poliment.
Oh !…
DE GUICHE.
ROXANE, indifférente.
280
Bravo.
DE GUICHE.
ROXANE, saisie.
DE GUICHE.
Ah ? des gardes ?
ROXANE, suffoquée.
281
DE GUICHE, riant.
Comment !
Christian !
DE GUICHE.
Qu’avez-vous ?
282
Pour la première fois me dire un mot si doux, Le jour de mon
départ !
DE GUICHE, souriant.
ROXANE.
DE GUICHE.
Non, – contre !
283
Vous le voyez ?
ROXANE.
Très peu.
DE GUICHE.
Partout on le rencontre
284
Un grand ?
ROXANE.
DE GUICHE.
Blond.
ROXANE.
Roux. DE GUICHE.
Beau !… ROXANE.
Peuh ! DE GUICHE.
Mais bête.
ROXANE.
(Changeant de ton.)
285
Il en a l’air !
DE GUICHE.
ROXANE.
DE GUICHE.
286
C’est ?…
ROXANE.
Et ses amis les poings, de n’être pas au feu. Et vous serez vengé
!
DE GUICHE, se rapprochant.
Il se rongera l’âme,
(Elle sourit.)
287
ROXANE.
(Riant.)
ROXANE, le regardant.
288
DE GUICHE, tout près d’elle.
Je le garde.
Quelquefois.
N’y peut entrer. Mais les bons Pères, je m’en charge !… Ils
peuvent me cacher dans leur manche : elle est large.
ROXANE, vivement.
289
DE GUICHE.
Bah !
ROXANE.
Mais
Le siège, Arras…
DE GUICHE.
ROXANE.
Non !
DE GUICHE.
290
ROXANE, tendrement.
Permets !
DE GUICHE.
Ah !
ROXANE.
Partez !
(Haut.)
DE GUICHE.
291
Vous aimez donc celui ?…
ROXANE.
(À part.)
Christian reste.
Mot céleste !
Ah ! je pars !
292
Êtes-vous contente ?
ROXANE.
(Il sort.)
ROXANE, à la duègne.
Cousin !
293
Scène III
ROXANE.
Alcandre y doit
CYRANO, à Roxane.
294
(Ils sont arrivés devant la porte de Clomire.)
(Au heurtoir.)
Entrons !…
Qu’il m’attende !
295
(Du seuil, à Cyrano.)
Ah !…
(Elle se retourne.)
ROXANE.
Sur…
CYRANO, vivement.
296
ROXANE.
CYRANO.
ROXANE.
Sur ?
Comme un mur.
Sur rien !… Je vais lui dire : Allez ! Partez sans bride ! Improvisez.
Parlez d’amour. Soyez splendide !
CYRANO, souriant.
Bon.
297
ROXANE.
Chut !… CYRANO.
Chut !… ROXANE.
Pas un mot !…
En vous remerciant.
ROXANE.
Il se préparerait !…
CYRANO.
298
Diable, non !…
Christian !
Scène IV
Cyrano, Christian.
CYRANO.
299
CHRISTIAN.
CYRANO.
Non !
Hein ?
RISTIAN.
CYRANO.
De quel vertige
CHRISTIAN.
300
Je suis las d’emprunter mes lettres, mes discours, Et de jouer ce
rôle, et de trembler toujours !…
Non, te dis-je !
CYRANO.
Ouais !
CHRISTIAN.
301
Mais, mon cher, tes leçons m’ont été profitables. Je saurai
parler seul ! Et, de par tous les diables,
CYRANO, le saluant.
Scène V
302
ROXANE, sortant de la maison de Clomire avec une compagnie
qu’elle quitte : révérences et saluts.
Barthénoïde ! – Alcandre ! –
Grémione !…
LA DUÈGNE, désespérée.
Urimédonte !… Adieu !…
303
C’est vous !…
(Elle va à lui.)
Le soir descend.
Attendez. Ils sont loin. L’air est doux. Nul passant. Asseyons-
nous. Parlez. J’écoute.
Je vous aime.
CHRISTIAN.
Je t’aime. ROXANE.
304
C’est le thème.
Brodez, brodez.
CHRISTIAN.
Je vous…
ROXANE.
Brodez ! CHRISTIAN.
ROXANE.
CHRISTIAN.
305
Je t’aime tant.
CHRISTIAN.
Mais… beaucoup.
ROXANE.
306
Ton cou !
Je voudrais l’embrasser !…
ROXANE.
Christian ! CHRISTIAN.
Je t’aime !
ROXANE, se rasseyant.
307
Encore !
Je t’adore !
Oh !
CHRISTIAN.
Et cela me déplaît !
Mais…
Je…
CHRISTIAN.
308
ROXANE.
ROXANE.
Je vous dirai…
CHRISTIAN.
309
Que vous m’adorez… oui, je sais.
CHRISTIAN.
Mais je…
C’est un succès.
Scène VI
CHRISTIAN.
310
Au secours !
CYRANO.
Je meurs si je ne rentre
CYRANO.
311
Sa fenêtre !
Mourir !…
CYRANO, ému.
CHRISTIAN, criant.
Je vais mourir !
CYRANO.
CYRANO.
312
Eh ! bien ?
CYRANO.
Baissez la voix !
C’est réparable.
CHRISTIAN.
Mais…
CYRANO.
Taisez-vous !
Hep !
313
CYRANO.
Chut !…
À Montfleury !…
DEUXIÈME PAGE.
314
CYRANO.
Appelle-la !
CHRISTIAN.
Roxane !
Scène VII
315
Roxane, Christian, Cyrano, d’abord caché sous le balcon.
CHRISTIAN.
Moi.
ROXANE.
Christian.
CHRISTIAN.
316
Je voudrais vous parler.
C’est vous ?
ROXANE.
CHRISTIAN.
De grâce !…
ROXANE.
317
CHRISTIAN, à qui Cyrano souffle ses mots.
C’est mieux ! – Mais, puisqu’il est cruel, vous fûtes sot De ne pas,
cet amour, l’étouffer au berceau !
318
Ce… nouveau-né, Madame, est un petit… Hercule.
ROXANE.
C’est mieux !
319
CYRANO, tirant Christian sous le balcon, et se glissant à sa
place.
ROXANE.
Aujourd’hui…
C’est qu’il fait nuit, Dans cette ombre, à tâtons, ils cherchent
votre oreille.
ROXANE.
CYRANO.
320
Ils trouvent tout de suite ? oh ! cela va de soi, Puisque c’est
dans mon cœur, eux, que je les reçoi ; Or, moi, j’ai le cœur
grand, vous, l’oreille petite.
ROXANE.
CYRANO.
ROXANE.
CYRANO.
321
Certe, et vous me tueriez si de cette hauteur Vous me laissiez
tomber un mot dur sur le cœur !
Je descends.
CYRANO, vivement
Non !
322
Non !
ROXANE.
Comment… non ?
ROXANE.
CYRANO.
323
Sans se voir ?
ROXANE.
CYRANO.
Vous le fûtes !
Je parlais à travers…
ROXANE.
324
Pourquoi ? CYRANO.
ROXANE.
Quoi ?
CYRANO.
… le vertige où tremble
ROXANE.
325
Oui, tout autre, car dans la nuit qui me protège J’ose être enfin
moi-même, et j’ose…
Où en étais-je ?
ROXANE.
Si nouveau ?
ROXANE.
326
Raillé de quoi ?
CYRANO.
ROXANE.
La fleurette a du bon.
CYRANO.
ROXANE.
327
Ce soir, dédaignons-la !
CYRANO.
ROXANE.
Mais l’esprit ?…
328
CYRANO.
Mais l’esprit ?…
ROXANE.
CYRANO.
329
Je le hais dans l’amour ! C’est un crime
ROXANE.
CYRANO.
Tous ceux, tous ceux, tous ceux Qui me viendront, je vais vous
les jeter, en touffe,
330
Je sais que l’an dernier, un jour, le douze mai, Pour sortir le
matin tu changeas de coiffure ! J’ai tellement pris pour clarté ta
chevelure Que, comme lorsqu’on a trop fixé le soleil,
Sur tout, quand j’ai quitté les feux dont tu m’inondes, Mon
regard ébloui pose des taches blondes !
CYRANO.
331
À comprendre, à présent ? voyons, te rends-tu compte ? Sens-tu
mon âme, un peu, dans cette ombre, qui monte ?… Oh ! mais
vraiment, ce soir, c’est trop beau, c’est trop doux ! Je vous dis
tout cela, vous m’écoutez, moi, vous !
Car vous tremblez, comme une feuille entre les feuilles ! Car tu
trembles ! car j’ai senti, que tu le veuilles
ROXANE.
CYRANO.
332
Alors, que la mort vienne !
Un baiser !
Hein ?
333
CYRANO.
Oh !
ROXANE.
Oui… je…
(À Christian, bas.)
CHRISTIAN.
CYRANO, à Roxane.
334
Oui, je… j’ai demandé, c’est vrai… mais justes cieux ! Je
comprends que je fus bien trop audacieux.
CYRANO.
Si ! j’insiste…
Pourquoi ?
CYRANO.
Tais-toi, Christian !
335
ROXANE, se penchant.
CYRANO.
Une seconde !…
On vient !
336
(Entre un capucin qui va de maison en maison, une lanterne à la
main, regardant les portes.)
Scène VIII
CYRANO, au capucin.
LE CAPUCIN.
CHRISTIAN.
LE CAPUCIN.
337
Il nous gêne !
Magdeleine Robin…
CHRISTIAN.
Que veut-il ?…
LE CAPUCIN.
Par ici !
338
(Il sort.)
CYRANO.
Scène IX
Cyrano, Christian.
CHRISTIAN.
Obtiens-moi ce baiser !…
CYRANO.
339
Non !
CHRISTIAN.
(À lui-même.)
vrai !
.)
340
Scène X
C’est vous ?
CYRANO.
341
Des larmes au baiser il n’y a qu’un frisson !
ROXANE.
Taisez-vous !
CYRANO.
Un serment fait d’un peu plus près, une promesse Plus précise,
un aveu qui veut se confirmer,
Un point rose qu’on met sur l’i du verbe aimer ; C’est un secret
qui prend la bouche pour oreille, Un instant d’infini qui fait un
bruit d’abeille, Une communion ayant un goût de fleur,
342
ROXANE.
Taisez-vous !
CYRANO.
ROXANE.
CYRANO, s’exaltant.
343
J’eus comme Buckingham des souffrances muettes, J’adore
comme lui la reine que vous êtes,
ROXANE.
Alors !
Et tu es
ROXANE.
Monte !
344
ROXANE.
Monte !
Monte !
ROXANE.
CYRANO.
CHRISTIAN, hésitant.
Ce bruit d’abeille…
345
ROXANE.
CYRANO, le poussant.
CHRISTIAN.
Ah ! Roxane !…
CYRANO.
346
– Baiser, festin d’amour dont je suis le Lazare ! Il me vient dans
cette ombre une miette de toi, – Mais oui, je sens un peu mon
cœur qui te reçoit,
Puisque sur cette lèvre où Roxane se leurre Elle baise les mots
que j’ai dits tout à l’heure !
(Il feint de courir comme s’il arrivait de loin, et d’une voix claire.)
Qu’est-ce ?
ROXANE.
CYRANO.
Holà !
347
Tiens, Cyrano !
ROXANE.
Bonjour, cousin !
CYRANO.
Je descends !
ROXANE.
Bonjour, cousine !
348
(Elle disparaît dans la maison. Au fond rentre le capucin.)
CHRISTIAN, l’apercevant.
Oh ! encor !
Scène XI
LE CAPUCIN.
Magdeleine Robin !
349
Non : Bin. B, i, n, bin !
CYRANO.
LE CAPUCIN.
Qu’est-ce ?
LE CAPUCIN.
350
Une lettre. CHRISTIAN.
LE CAPUCIN, à Roxane.
ROXANE, à Christian.
C’est De Guiche !
CHRISTIAN.
ROXANE.
(Décachetant la lettre.)
Hein ?
351
Il ose ?…
Je t’aime, et si…
« Mademoiselle,
Les tambours
352
Qui ne peut rien comprendre à ceci. Votre lèvre M’a trop souri
tantôt : j’ai voulu la revoir.
(Au capucin.)
Mon Père,
« Mademoiselle,
353
Il faut souscrire aux volontés
C’est la raison pourquoi j’ai fait choix, pour remettre Ces lignes
en vos mains charmantes, d’un très saint, D’un très intelligent et
discret capucin ;
354
Toujours votre très humble et très… et cætera. »
LE CAPUCIN, rayonnant.
CHRISTIAN.
Ah !… c’est affreux !
355
Hum !
C’est moi !
Post-scriptum.
Digne seigneur !
LE CAPUCIN.
356
(À Roxane.)
Résignez-vous !
ROXANE, en martyre.
Digne,
Je me résigne !
CYRANO.
357
Compris !
Il vous faut ?…
LE CAPUCIN.
Un quart d’heure.
(Au capucin.)
ROXANE, à Christian.
Viens !…
358
(Ils entrent.)
Scène XII
Cyrano, seul.
CYRANO.
Ho ! c’est un homme !
359
Ho ! ho !
(Il est sur le balcon, il rabaisse son feutre sur ses yeux, ôte son
épée, se drape dans sa cape, puis se penche et regarde au
dehors.)
Scène XIII
Cyrano, De Guiche.
360
DE GUICHE, qui entre, masqué, tâtonnant dans la nuit.
CYRANO.
Cric ! crac !
(Solennellement.)
361
(Il va pour entrer, Cyrano saute du balcon en se tenant à la
branche, qui plie, et le dépose entre la porte et De Guiche ; il
feint de
Hein ? quoi ?
De la lune !
362
De la ?…
DE GUICHE.
DE GUICHE.
CYRANO.
DE GUICHE.
363
Mais…
Je tombe de la lune !
CYRANO.
Monsieur… CYRANO.
DE GUICHE, impatienté.
Ah çà ! Monsieur !
DE GUICHE, reculant.
J’en tombe !
364
Soit ! soit ! vous en tombez !… c’est peut-être un dément !
DE GUICHE.
Mais…
CYRANO.
365
Oui. Laissez-moi passer !
CYRANO, s’interposant.
DE GUICHE.
Morbleu !…
CYRANO.
DE GUICHE.
366
Mais je vous dis, Monsieur…
Comment ?
Ce masque !…
367
DE GUICHE, voulant passer.
CYRANO.
368
Je ris,
CYRANO, rayonnant.
J’ai les yeux tout remplis de poudre d’astres. J’ai Aux éperons,
encor, quelques poils de planète !
369
Monsieur !…
Lactée !…
DE GUICHE.
370
DE GUICHE.
Oh ! par l’enfer !
CYRANO.
De la Voie
(Confidentiel.)
(Riant.)
371
J’ai traversé la Lyre en cassant une corde !
(Superbe.)
À la parfin, je veux…
Monsieur !
DE GUICHE.
CYRANO.
DE GUICHE.
372
CYRANO.
DE GUICHE, criant.
CYRANO.
DE GUICHE, découragé.
373
C’est un fou !
CYRANO, dédaigneux.
D’Archytas !…
DE GUICHE.
374
J’inventai six moyens de violer l’azur vierge !
DE GUICHE, se retournant.
Six ?
375
Et je pouvais encor Faire engouffrer du vent, pour prendre mon
essor,
Deux !
376
DE GUICHE, le suivant, sans s’en douter, et comptant sur ses
doigts.
Trois !
CYRANO.
Quatre !
CYRANO.
DE GUICHE, stupéfait.
377
Cinq !
DE GUICHE.
CYRANO.
Six !
378
DE GUICHE.
Un septième !
CYRANO.
DE GUICHE.
379
CYRANO, faisant le bruit des vagues avec de grands gestes
mysté- rieux.
Houüh ! houüh !
DE GUICHE.
Eh bien ! CYRANO.
Vous devinez ?
DE GUICHE.
Non ! CYRANO.
380
La marée !…
Alors ? CYRANO.
Alors…
381
Cette voix ?
DE GUICHE.
382
Cyrano.
Qui cela ?
Ciel !
Scène XIV
DE GUICHE, à Roxane.
Vous !
383
(Reconnaissant Christian avec stupeur.)
Lui ?
(À Cyrano.)
CYRANO, s’inclinant.
384
Un beau couple, mon fils, réuni là par vous !
Oui.
(À Roxane.)
ROXANE.
Comment ?
385
Joignez-le !
DE GUICHE, à Christian.
ROXANE.
DE GUICHE.
ROXANE.
386
Mais, Monsieur, les cadets n’y vont pas !
DE GUICHE.
Sans doute !
Ils iront.
Voici l’ordre.
(À Christian.)
Christian !
387
La nuit de noce est encore lointaine !
CYRANO, à part.
CHRISTIAN, à Roxane.
CYRANO.
388
Je sais.
Oh !… je vous le confie !
CYRANO.
389
Promettez qu’il sera très prudent !
CYRANO.
CYRANO.
Mais…
390
CYRANO.
CYRANO, s’arrêtant.
RIDEAU.
391
QUATRIÈME ACTE
Scène I
392
LE BRET.
C’est affreux !
CARBON.
LE BRET.
Mordious !
Jure en sourdine !
(Aux cadets.)
393
Chut ! Dormez !
LE BRET.
(À Le Bret.)
Quelle famine !
CARBON.
394
(Aux cadets qui lèvent la tête.)
Dormez !
UN CADET, s’agitant.
Encore ?
CARBON.
Diantre !
395
UNE SENTINELLE, au dehors.
Ventrebieu ! qui va là ?
LA VOIX DE CYRANO.
Bergerac !
Qui va là ?
Bergerac, imbécile !
396
Ventrebieu !
LE BRET.
Ah ! grand Dieu !
Chut !
LE BRET.
Blessé ? CYRANO.
LE BRET.
397
C’est un peu rude,
(Il le regarde.)
LE BRET.
vite
Dormir !
CYRANO.
398
Ne grogne pas, Le Bret !… Sache ceci.
LE BRET.
CYRANO.
Il faut être léger pour passer ! – Mais je sais Qu’il y aura ce soir
du nouveau. Les Français Mangeront ou mourront, – si j’ai bien
vu…
LE BRET.
Raconte !
CYRANO.
399
Non. Je ne suis pas sûr… vous verrez !…
CARBON.
LE BRET.
Quelle honte,
Hélas !
CYRANO.
400
Quelqu’un devrait venir l’assiéger à son tour.
LE BRET.
Je ne ris pas.
CYRANO.
Oh ! oh ! LE BRET.
Pour porter…
Où vas-tu ? CYRANO.
401
Scène II
(Le jour s’est un peu levé. Lueurs roses. La ville d’Arras se dore à
l’horizon. On entend un coup de canon immédiatement suivi
d’une batterie de tambours, très au loin, vers la gauche.
D’autres tam- bours battent plus près. Les batteries vont se
répondant, et se rap- prochant, éclatent presque en scène et
s’éloignent vers la droite, par- courant le camp. Rumeurs de
réveil. Voix lointaines d’officiers.)
La diane !… Hélas !
402
UN CADET, se mettant sur son séant.
J’ai faim !
Je meurs !
UN AUTRE.
TOUS.
Oh !
CARBON.
Levez-vous !
TROISIÈME CADET.
403
Plus un pas !
QUATRIÈME CADET.
Plus un geste !
UN AUTRE.
UN AUTRE.
404
UN AUTRE.
Oui, du pain !
Cyrano !
D’AUTRES.
Nous mourons !
Au secours !
405
Qu’est-ce que tu grignotes !
LE PREMIER.
UN AUTRE, entrant.
406
LE PÊCHEUR.
Un goujon !
LE CHASSEUR.
TOUS, exaspérés.
Assez ! – Révoltons-nous !
CARBON.
Un moineau !
Au secours, Cyrano !
407
Scène III
Hein ?
LE CADET.
CYRANO.
408
Et quoi donc ?
LE CADET.
L’estomac ! CYRANO.
LE CADET.
CYRANO.
DEUXIÈME CADET.
409
Non, cela me grandit.
CYRANO.
UN TROISIÈME.
CYRANO.
UN AUTRE.
410
CYRANO.
UN AUTRE.
Ta salade.
UN AUTRE.
411
UN AUTRE.
L’Iliade.
CYRANO.
LE MÊME.
Pourquoi pas ?
Et du vin !
412
Par quelque capucin !
CYRANO.
CYRANO.
UN AUTRE.
CYRANO.
413
Eh ! bien !… tu croques le marmot !
CYRANO.
CRIS DE TOUS.
J’ai faim !
414
CYRANO, se croisant les bras.
415
Écoutez, les Gascons… Ce n’est plus, sous ses doigts, Le fifre
aigu des camps, c’est la flûte des bois !
CYRANO.
De nostalgie !… Un mal
416
Plus noble que la faim !… pas physique : moral ! J’aime que leur
souffrance ait changé de viscère, Et que ce soit leur cœur,
maintenant, qui se serre !
CARBON.
Laisse donc ! Les héros qu’ils portent dans leur sang Sont vite
réveillés ! Il suffit…
CYRANO, souriant.
417
Tu vois, il a suffi d’un roulement de caisse ! Adieu, rêves, regrets,
vieille province, amour… Ce qui du fifre vient s’en va par le
tambour !
Flatteur !
UN CADET.
Il nous ennuie !
418
UN AUTRE.
Murmure
UN AUTRE.
LE PREMIER.
LE DEUXIÈME.
419
Encore un courtisan !
UN AUTRE.
CARBON.
LE PREMIER.
Un faux !… Méfiez-vous !
420
LE BRET.
Il est pâle !
UN AUTRE.
CYRANO, vivement.
421
Et moi, je lis Descartes.
Scène IV
DE GUICHE, à Carbon.
Ah ! – Bonjour !
Il est vert.
CARBON, de même.
422
DE GUICHE, regardant les cadets.
Ah ?
CARBON.
423
CARBON.
DE GUICHE.
Ah ?… Ma foi !
Cela suffit.
424
J’ai fait lâcher le pied au comte de Bucquoi ; Ramenant sur ses
gens les miens en avalanche, J’ai chargé par trois fois !
425
(Les cadets n’ont pas l’air d’écouter ; mais ici les cartes et les
cornets à dés restent en l’air, la fumée des pipes demeure dans
les joues : attente.)
CYRANO.
Qu’Henri quatre
DE GUICHE.
426
(Même attente suspendant les jeux et les pipes.)
CYRANO.
C’est possible.
DE GUICHE.
CYRANO.
427
Vantardise ?…
DE GUICHE.
La voilà.
(Silence. Les cadets étouffent leurs rires dans les cartes et dans
les cornets à dés. De Guiche se retourne, les regarde :
immédiate- ment ils reprennent leur gravité, leurs jeux ; l’un
d’eux sifflote avec indifférence l’air montagnard joué par le
fifre.)
428
Merci. Je vais, avec ce bout d’étoffe claire, Pouvoir faire un
signal, – que j’hésitais à faire.
Hein !
TOUS.
429
CYRANO.
C’est un gredin !
Il les joindra ; mais pour revenir sans encombre, Il a pris avec lui
des troupes en tel nombre
CARBON.
DE GUICHE.
430
Ils vont nous attaquer.
CARBON.
Ah !
DE GUICHE.
Ils le savent.
431
CARBON, aux cadets.
Messieurs, préparez-vous !
DE GUICHE.
Ah !… bien !…
DE GUICHE, à Carbon.
CARBON.
432
DE GUICHE.
CYRANO.
Ah ! voilà la vengeance ?
DE GUICHE.
CYRANO, saluant.
433
DE GUICHE, saluant.
Christian ?
434
Roxane !
CYRANO.
Hélas ! CHRISTIAN.
CYRANO.
Tiens !…
CHRISTIAN.
Montre !… CYRANO.
435
Tu veux ?… CHRISTIAN, lui prenant la lettre.
CYRANO.
Quoi ?
Mais oui !
CHRISTIAN.
Ce petit rond ?…
Un rond ?… CHRISTIAN.
436
CYRANO.
CHRISTIAN.
Pleurer ?…
CYRANO.
437
tu ne la…
Donne-moi ce billet !
Ventrebieu, qui va là ?
CARBON.
Qu’est-ce ?…
438
Un carrosse !
CRIS.
DE GUICHE.
Hein ? Du Roi !…
CARBON.
439
Chapeau bas, tous !
DE GUICHE, à la cantonade.
CARBON, criant.
DE GUICHE.
Baissez le marchepied !
440
(Deux hommes se précipitent. La portière s’ouvre.)
Bonjour !
(Le son d’une voix de femme relève d’un seul coup tout ce
monde profondément incliné. – Stupeur.)
Scène V
DE GUICHE.
441
Ah ! grand Dieu !
ROXANE.
CYRANO.
CHRISTIAN, s’élançant.
Vous ! Pourquoi ?
ROXANE.
Pourquoi ?…
CHRISTIAN.
442
ROXANE.
Je te dirai !
Dieu ! La regarderai-je ?
DE GUICHE.
ROXANE, gaiement.
443
Mais si ! mais si !
(Elle rit.)
Là, merci !
(Fièrement.)
Une patrouille !
444
Bonjour !
CYRANO, s’avançant.
Ah çà ! comment ?…
(Apercevant Cyrano.)
Cousin, charmée !
ROXANE.
445
Comment j’ai retrouvé l’armée ?
Oh ! mon Dieu, mon ami, mais c’est tout simple : j’ai Marché tant
que j’ai vu le pays ravagé.
CYRANO.
ROXANE.
Par où ?
PREMIER CADET.
446
Ah ! qu’Elles sont malignes !
DE GUICHE.
LE BRET.
ROXANE.
CARBON.
447
Oui, c’est un passeport, certes, que ce sourire ! Mais on a
fréquemment dû vous sommer de dire Où vous alliez ainsi,
madame ?
ROXANE.
Pas trop.
CHRISTIAN.
Fréquemment.
448
Mais, Roxane…
ROXANE.
Oui !
CHRISTIAN.
Mais… ROXANE.
Qu’avez-vous ?
DE GUICHE.
ROXANE.
449
Moi ?
CYRANO.
Bien vite !
LE BRET.
CHRISTIAN.
Il faut
Au plus tôt !
vaut mieux…
ROXANE.
Mais comment ?
CHRISTIAN, embarrassé.
450
C’est que… CYRANO, de même.
CARBON, de même.
LE BRET, de même.
… ou quatre…
Oh ! non !
TOUS.
ROXANE.
451
Je reste. On va se battre.
CHRISTIAN.
ROXANE.
DE GUICHE, désespéré.
ROXANE, se retournant.
452
Hein ! terrible ?
CYRANO.
ROXANE, à De Guiche.
Je te dirai pourquoi !
Et la preuve
Oh ! je vous jure !…
DE GUICHE.
ROXANE.
453
Non ! Je suis folle à présent !
CYRANO.
ROXANE.
UN CADET.
454
UN AUTRE, avec enivrement.
ROXANE.
(Regardant de Guiche.)
DE GUICHE.
455
ROXANE.
Jamais !
Scène VI
Non !
CHRISTIAN, suppliant.
ROXANE.
456
Elle reste !
Roxane !…
457
(Roxane s’incline et elle attend, debout au bras de Christian.
Carbon présente.)
LE CADET, saluant.
CARBON, continuant.
ROXANE.
LE BARON HILLOT.
Madame…
458
Des foules !
CARBON, à Roxane.
Pourquoi ?
ROXANE, souriant.
459
CARBON, attachant le mouchoir à la hampe de sa lance de
capi- taine.
ROXANE.
460
UN CADET.
UN AUTRE.
ROXANE, tranquillement.
TOUS.
(Consternation.)
Tout cela !
461
Hein ?…
ROXANE.
C’est Ragueneau !
(Acclamations.)
Oh ! Oh !
Pauvres gens !
462
CYRANO, lui baisant la main.
Bonne fée !
Messieurs !…
(Enthousiasme.)
LES CADETS.
463
Les Espagnols n’ont pas,
(Applaudissements.)
RAGUENEAU.
la galantine !…
464
(Applaudissements. La galantine passe de mains en mains.)
Un seul mot !…
RAGUENEAU.
Je t’en prie,
Et Vénus sut occuper leur œil Pour que Diane, en secret, pût
passer…
son chevreuil !
465
Je voudrais te parler !
(Elle met le couvert sur l’herbe, aidée des deux laquais imper-
urbables qui étaient derrière le carrosse.)
RAGUENEAU.
Un paon truffé !
466
PREMIER CADET, épanoui, qui descend en coupant une large
tranche de jambon.
Tonnerre !
pardon ! un balthazar !
TROISIÈME CADET.
Ah ! Viédaze !
467
RAGUENEAU, lançant des flacons de vin rouge.
468
RAGUENEAU, de plus en plus lyrique.
PREMIER CADET.
ROXANE.
469
Chut ! – Rouge ou blanc ? – Du pain pour monsieur de Carbon !
Je l’adore !
Vous ?
CHRISTIAN.
Rien.
ROXANE.
470
Si ! ce biscuit, dans du muscat… deux doigts !
ROXANE.
Je me dois
471
De Guiche !
CYRANO.
(À Ragueneau.)
(En un clin d’œil tout a été repoussé dans les tentes, ou caché
sous les vêtements, sous les manteaux, dans les feutres. – De
Guiche entre vivement – et s’arrête, tout d’un coup, reniflant. –
Silence.)
472
Scène VII
DE GUICHE.
To lo lo !…
LE CADET.
473
UN AUTRE.
DE GUICHE, se retournant.
Qu’est cela ?
Une petite…
DE GUICHE.
LE CADET.
L’approche du danger !
474
DE GUICHE, appelant Carbon de Castel-Jaloux, pour donner un
ordre.
Capitaine ! je…
Peste !
Oh !… DE GUICHE.
Il me reste
475
Et vos hommes pourront s’en servir au besoin.
UN CADET, se dandinant.
Charmante attention !
Douce sollicitude !
DE GUICHE.
LE PREMIER CADET.
476
Ah ! pfftt !
(Sèchement.)
LE CADET.
LE CADET, superbe.
477
Mais !…
De l’odeur de la poudre !
ROXANE.
Je reste !
DE GUICHE.
Fuyez !
478
ROXANE.
Non !
DE GUICHE.
CARBON.
Comment ? DE GUICHE.
CYRANO.
PREMIER CADET.
479
Seriez-vous un Gascon malgré votre guipure ?
ROXANE.
Je reste aussi.
Quoi !…
DE GUICHE.
480
(Toutes les victuailles reparaissent comme par enchantement.)
Des vivres !
UN TROISIÈME CADET.
CYRANO, saluant.
481
Je vais me battre à jeun !
DE GUICHE, riant.
Moi ?
LE CADET.
C’en est un !
482
(Il montre une ligne de piques qui dépasse la crête.)
Parle vite !
Vivat !
CHRISTIAN.
483
Dans le cas où Roxane…
CYRANO.
Des lettres ?…
CHRISTIAN.
Eh bien ? CYRANO.
De t’étonner…
CHRISTIAN.
484
CHRISTIAN.
De quoi ? CYRANO.
CHRISTIAN.
CHRISTIAN.
Hein ? CYRANO.
485
Tu lui…
Dame !
CHRISTIAN.
Ah ?
CYRANO.
CHRISTIAN.
CYRANO.
486
Oh !… avant l’aurore
Je pouvais traverser…
CYRANO.
Plus.
CHRISTIAN.
CYRANO.
487
CHRISTIAN, violemment.
Scène VIII
Et maintenant, Christian !…
488
Et maintenant, dis-moi Pourquoi, par ces chemins effroyables,
pourquoi
Tu dis ?
ROXANE.
CHRISTIAN.
ROXANE.
489
Ce sont vos lettres qui m’ont grisée ! Ah ! songez Combien
depuis un mois vous m’en avez écrites, Et plus belles toujours !
CHRISTIAN.
Lettres d’amour…
ROXANE.
Mon Dieu, je t’adorais, c’est vrai, depuis qu’un soir, D’une voix
que je t’ignorais, sous ma fenêtre,
490
De ce soir-là, si tendre, et qui vous enveloppe ! Tant pis pour toi,
j’accours. La sage Pénélope Ne fût pas demeurée à broder sous
son toit,
Mais…
CHRISTIAN.
ROXANE.
491
CHRISTIAN.
ROXANE.
Ah ! sincère et puissant ?
Oh ! si cela se sent !
492
Et vous venez ?…
CHRISTIAN.
ROXANE.
À vos genoux, c’est donc mon âme que j’y mets, Et vous ne
pourrez plus la relever jamais !)
Ah ! Roxane !
493
CHRISTIAN, avec épouvante.
ROXANE.
CHRISTIAN.
Et maintenant ?
ROXANE.
CHRISTIAN, reculant.
494
Ah ! Roxane !
ROXANE.
CHRISTIAN.
Oh !…
495
Roxane !
ROXANE.
ROXANE.
À cet amour ?…
CHRISTIAN.
ROXANE.
496
Ce qu’en vous elles ont aimé jusqu’à cette heure ? Laissez-vous
donc aimer d’une façon meilleure !
CHRISTIAN.
ROXANE.
Pour
C’est maintenant que j’aime mieux, que j’aime bien ! C’est ce qui
te fait toi, tu m’entends, que j’adore,
Et moins brillant…
CHRISTIAN.
Tais-toi ! ROXANE.
Je t’aimerais encore !
497
Si toute ta beauté tout d’un coup s’envolait…
CHRISTIAN.
Laid ! je le jure !
ROXANE.
Si ! je le dis ! CHRISTIAN.
ROXANE.
CHRISTIAN.
Dieu !
498
ROXANE.
Quoi ? laid ?
Oui…
Mais ?…
ROXANE.
Qu’as-tu ?
499
CHRISTIAN, lui montrant un groupe de cadets, au fond.
ROXANE, attendrie.
Cher Christian !…
Scène IX
Cyrano ?
500
CYRANO, reparaissant, armé pour la bataille.
Non !
CHRISTIAN.
CYRANO.
Comment ? CHRISTIAN.
CYRANO.
CHRISTIAN.
501
CYRANO.
Non ! CHRISTIAN.
CYRANO.
Si !
Moi ?
Dis-le-lui !
CHRISTIAN.
Je le sais. CYRANO.
CHRISTIAN.
CYRANO.
Non !
502
Davantage.
CHRISTIAN.
Pourquoi ?
CYRANO.
CHRISTIAN.
CYRANO.
CYRANO.
503
Là !
Ah ! je suis bien content qu’elle t’ait dit cela ! Mais va, va, ne
crois pas cette chose insensée !
CHRISTIAN.
CYRANO.
Non, non !
CHRISTIAN.
504
CYRANO.
CHRISTIAN.
Qu’elle choisisse !
CYRANO.
CHRISTIAN.
505
Dis-lui tout !
CYRANO.
CHRISTIAN.
CYRANO.
Christian !
CHRISTIAN.
506
Notre union – sans témoins – clandestine,
CYRANO.
Il s’obstine !…
CHRISTIAN.
Roxane !
CYRANO.
(Il appelle.)
507
CYRANO.
Non ! Non !
ROXANE, accourant.
Quoi ?
Mais… je l’espère !
CHRISTIAN.
508
Scène X
ROXANE.
Importante ?
CYRANO, éperdu.
Il s’en va !…
(À Roxane.)
ROXANE, vivement.
Il a douté peut-être
509
De ce que j’ai dit là ?… J’ai vu qu’il a douté !…
ROXANE.
Devant moi ?
– Même laid ?
ROXANE.
Mais… CYRANO.
510
ROXANE.
Même laid !
(Mousqueterie au dehors.)
Ah ! tiens, on a tiré !
CYRANO, ardemment.
Affreux ?
Grotesque ?
ROXANE.
Affreux ! CYRANO.
Défiguré ?
511
ROXANE.
CYRANO.
ROXANE.
Défiguré !
CYRANO.
ROXANE.
Et davantage presque !
512
Mon Dieu, c’est vrai, peut-être, et le bonheur est là !
(À Roxane.)
Cyrano !
CYRANO, se retournant.
Hein ? LE BRET.
Chut !
513
Ah !…
ROXANE.
Qu’avez-vous ?
C’est fini.
(Détonations nouvelles.)
ROXANE.
CYRANO.
514
C’est fini, jamais plus je ne pourrai le dire !
Que se passe-t-il ?
Rien !
ROXANE.
ROXANE.
515
CYRANO.
(Solennellement.)
Laissez-les !…
Ce que j’allais
Étaient ?
Ah !…
516
CYRANO.
C’est fini !
Christian !
LE BRET, à Cyrano.
517
ROXANE.
Christian !
Qu’on se dépêche !
Christian !
ROXANE.
CARBON.
Alignez-vous !
ROXANE.
Christian !
518
CARBON.
Mesurez… mèche !
Roxane !…
ROXANE.
CARBON.
519
(Christian ferme les yeux.)
Baguette haute !
ROXANE, à Cyrano.
CARBON.
ROXANE.
CARBON.
ROXANE.
520
Il n’est pas mort ?…
Je sens sa joue
En joue !
(Elle l’ouvre.)
Pour moi !
CYRANO, à part.
Ma lettre !
CARBON.
Feu !
521
CYRANO, voulant dégager sa main que tient Roxane
agenouillée.
ROXANE, le retenant.
Adorable ?
CYRANO.
522
Oui, Roxane.
Un poète inouï,
Roxane !
ROXANE.
Un esprit sublime ?
CYRANO.
ROXANE.
Oui,
CYRANO, fermement.
Oui, Roxane !
523
ROXANE, se jetant sur le corps de Christian.
Il est mort !
(Trompettes au loin.)
Des pleurs !
ROXANE.
524
Sur sa lettre, du sang,
Rendez-vous !
Non !
Le péril va croissant !
525
Son sang ! ses larmes !… RAGUENEAU, sautant à bas du
carrosse pour courir vers elle.
Elle s’évanouit !
Tenez bon !
Non !
CYRANO, à de Guiche.
Fuyez en la sauvant !
526
Soit ! Mais on est vainqueur
CYRANO.
C’est bon !
Adieu, Roxane !
CARBON.
527
Hardi ! Reculès pas, drollos !
(Au fifre.)
Un air de fifre !
528
UN CADET, paraissant, à reculons, sur la crête, se battant
toujours, crie.
CYRANO.
On va les saluer !
CYRANO.
Feu !
(Décharge générale.)
529
Feu !
530
CINQUIÈME ACTE
531
verts. Une plaque de feuilles jaunes sous chaque arbre. Les
feuilles jonchent toute la scène, craquent sous les pas dans les
allées, couvrent à demi le perron et les bancs.
Scène I
532
MÈRE MARGUERITE, à sœur Claire.
SŒUR CLAIRE.
SŒUR CLAIRE.
SŒUR MARTHE.
533
MÈRE MARGUERITE, sévèrement.
Non ! il va se moquer !
SŒUR MARTHE.
SŒUR CLAIRE.
Très gourmandes !
534
MÈRE MARGUERITE, souriant.
SŒUR CLAIRE.
MÈRE MARGUERITE.
Et très bonnes.
Et plus !
SŒUR MARTHE.
535
Lui seul, depuis qu’elle a pris chambre dans ce cloître, Sait
distraire un chagrin qui ne veut pas décroître.
SŒUR MARTHE.
SŒUR CLAIRE.
Nous le convertirons.
LES SŒURS.
Oui ! oui !
536
MÈRE MARGUERITE.
Je vous défends
SŒUR MARTHE.
Mais… Dieu !…
MÈRE MARGUERITE.
SŒUR MARTHE.
537
Mais chaque samedi, quand il vient d’un air fier,
MÈRE MARGUERITE.
SŒUR MARTHE.
MÈRE MARGUERITE.
Mère !
Il est pauvre.
SŒUR MARTHE.
538
Qui vous l’a dit ?
MÈRE MARGUERITE.
SŒUR MARTHE.
Monsieur Le Bret.
On ne le secourt pas ?
MÈRE MARGUERITE.
Non, il se fâcherait.
539
– Allons, il faut rentrer… Madame Madeleine, Avec un
visiteur, dans le parc se promène.
SŒUR MARTHE.
LES SŒURS.
SŒUR CLAIRE.
540
Oui, je crois.
Scène II
LE DUC.
ROXANE.
Toujours. LE DUC.
541
Aussi fidèle ? ROXANE.
Aussi.
(Nouveau silence.)
LE DUC.
ROXANE.
542
LE DUC.
Il fallait le connaître !
ROXANE.
LE DUC.
ROXANE.
543
ROXANE.
Oui, souvent.
Tiens, Le Bret !
544
LE BRET.
Mal.
LE DUC.
Oh !
ROXANE, au duc.
LE BRET.
Il exagère !
545
ROXANE.
LE BRET.
LE DUC.
546
LE BRET, avec un sourire amer.
Qui sait ?
Monsieur le maréchal !…
LE DUC.
LE BRET, de même.
Monsieur le duc !…
LE DUC, hautainement.
547
Je sais, oui : j’ai tout ; il n’a rien… Mais je lui serrerais bien
volontiers la main.
(Saluant Roxane.)
Adieu.
ROXANE.
Je vous conduis.
548
Et les manteaux de duc traînent dans leur fourrure, Pendant que
des grandeurs on monte les degrés, Un bruit d’illusions sèches
et de regrets,
ROXANE, ironique.
LE DUC.
Eh ! oui !
(À Roxane.)
Monsieur Le Bret !
549
(Il va à Le Bret, et à mi-voix.)
LE BRET.
Ah ?
LE DUC.
550
Prudent !
ROXANE, qui est restée sur le perron, à une sœur qui s’avance
vers elle.
Qu’est-ce ?
LA SŒUR.
ROXANE.
Qu’on le laisse
Entrer.
551
Il vient crier misère. Étant un jour
De théorbe…
LE BRET.
Étuviste… ROXANE.
Acteur… LE BRET.
Bedeau… ROXANE.
Perruquier… LE BRET.
ROXANE.
552
Ah ! Madame !
Monsieur !
ROXANE, souriant.
À Le Bret. Je reviens.
RAGUENEAU.
Mais, Madame…
553
Scène III
Le Bret, Ragueneau.
RAGUENEAU.
D’ailleurs,
LE BRET.
554
C’est affreux !
RAGUENEAU.
LE BRET.
RAGUENEAU.
J’arrive et je le vois…
LE BRET.
555
Il est mort ?
RAGUENEAU.
LE BRET.
Il souffre ?
Un médecin ?
RAGUENEAU.
RAGUENEAU.
556
Il en vint un par complaisance.
LE BRET.
RAGUENEAU.
Il a
557
ROXANE, paraissant sur le perron et voyant Le Bret s’éloigner
par la colonnade qui mène à la petite porte de la chapelle.
Monsieur Le Bret !
Scène IV
ROXANE.
558
(Elle s’assied à son métier. Deux sœurs sortent de la maison et
apportent un grand fauteuil sous l’arbre.)
Merci, ma sœur.
SŒUR MARTHE.
ROXANE.
Il va venir.
559
– Mes écheveaux ! – L’heure a sonné ? Ceci m’étonne !
Serait-il en retard pour la première fois ?
(Un temps.)
Elle l’exhorte !
Monsieur de Bergerac.
Scène V
560
Roxane, Cyrano et, un moment, sœur Marthe.
(Et elle brode. Cyrano, très pâle, le feutre enfoncé sur les yeux,
paraît. La sœur qui l’a introduit rentre. Il se met à descendre le
per- ron lentement, avec un effort visible pour se tenir debout,
et en s’appuyant sur sa canne. Roxane travaille à sa tapisserie.)
561
J’enrage. Je fus mis en retard, vertuchou !…
ROXANE.
Par ?…
CYRANO.
CYRANO.
562
Fâcheuse.
ROXANE.
CYRANO.
ROXANE, légèrement.
563
Oui, j’ai dit.
ROXANE, à Cyrano.
Si !
Approchez !
Sœur Marthe !
564
Mais…
Oh !
565
Hier, j’ai fait gras.
SŒUR MARTHE.
Je sais.
(À part.)
(Vite et bas.)
Au réfectoire
CYRANO.
SŒUR MARTHE.
566
Elle essaye de vous convertir ?
SŒUR MARTHE.
CYRANO.
Je m’en garde !
567
ROXANE.
Oh ! oh !
CYRANO, riant.
(Elle rentre.)
ROXANE.
568
J’attendais cette plaisanterie.
CYRANO.
Les feuilles !
Regardez-les tomber.
CYRANO.
569
Veulent que cette chute ait la grâce d’un vol !
ROXANE.
Mélancolique, vous ?
CYRANO, se reprenant.
ROXANE.
Ma gazette ?
CYRANO.
Voici !
ROXANE.
570
Ah !
Samedi, dix-neuf.
Le Roi fut pris de fièvre ; à deux coups de lancette Son mal fut
condamné pour lèse-majesté,
ROXANE.
CYRANO.
571
ROXANE.
Et samedi, vingt-six…
Il est évanoui ?
Cyrano !
572
CYRANO, rouvrant les yeux, d’une voix vague.
Qu’est-ce ?… Quoi ?…
(Il voit Roxane penchée sur lui et, vivement, assurant son cha-
u sur sa tête et reculant avec effroi dans son fauteuil.)
ROXANE.
Pourtant… CYRANO.
ROXANE.
CYRANO.
573
Mais ce n’est rien. Cela va finir.
C’est ma blessure
Pauvre ami !
C’est fini.
Elle est là, sous la lettre au papier jaunissant Où l’on peut voir
encor des larmes et du sang !
574
(Le crépuscule commence à venir.)
CYRANO.
ROXANE.
CYRANO.
Tenez !
CYRANO, le prenant.
575
Ouvrez… lisez !…
ROXANE.
Je peux ouvrir ?
CYRANO, lisant.
Tout haut ?
CYRANO, lisant.
576
« Et je meurs ! jamais plus, jamais mes yeux grisés,
ROXANE.
Sa lettre !
CYRANO, continuant.
ROXANE, troublée.
577
(La nuit vient insensiblement.)
CYRANO.
« Et je crie.
« Adieu !… »
« Mon trésor… »
ROXANE.
ROXANE, rêveuse.
« Ma chère, ma chérie,
578
« Mon amour !… »
ROXANE.
D’une voix…
(Elle tressaille.)
CYRANO.
579
ROXANE, lui posant la main sur l’épaule.
CYRANO.
Roxane !
ROXANE.
580
ROXANE.
CYRANO.
ROXANE.
C’était vous !
CYRANO.
ROXANE.
581
J’aperçois toute la généreuse imposture. Les lettres, c’était
vous…
Je vous jure…
C’était vous…
CYRANO.
Non !
ROXANE.
CYRANO.
Non !
ROXANE.
582
Les mots chers et fous,
CYRANO.
ROXANE.
CYRANO.
ROXANE.
Vous m’aimiez !
583
Vous m’aimiez !
CYRANO, se débattant.
ROXANE.
C’était l’autre !
Non !
ROXANE.
CYRANO.
584
ROXANE.
ROXANE.
CYRANO.
Pourquoi ?…
585
Scène VI
LE BRET.
Quelle imprudence !
LE BRET.
Tiens, parbleu !
ROXANE.
Grand Dieu !
586
CYRANO.
ROXANE.
CYRANO.
Par derrière, par un laquais, d’un coup de bûche ! C’est très bien.
J’aurai tout manqué, même ma mort.
587
RAGUENEAU.
Ah ! Monsieur !…
CYRANO.
CYRANO.
Molière !
RAGUENEAU.
588
Oui, je suis indigné !… Hier, on jouait Scapin, Et j’ai vu qu’il vous
a pris une scène !
LE BRET.
RAGUENEAU.
Entière !
LE BRET, furieux.
(À Ragueneau.)
CYRANO
589
RAGUENEAU, sanglotant.
CYRANO.
(À Roxane.)
Oui, ma vie
590
Qu’elles aillent prier puisque leur cloche sonne ! ROXANE, se
relevant pour appeler.
Ma sœur ! ma sœur !
CYRANO, la retenant.
ROXANE.
591
CYRANO.
ROXANE.
CYRANO.
Vous ?… au contraire !
Ne m’a pas trouvé beau. Je n’ai pas eu de sœur. Plus tard, j’ai
redouté l’amante à l’œil moqueur. Je vous dois d’avoir eu, tout
au moins, une amie. Grâce à vous une robe a passé dans ma
vie.
592
Ton autre amie est là, qui vient te voir !
Je vois.
ROXANE.
CYRANO.
ROXANE.
Que dites-vous ?
593
CYRANO.
Que l’on va m’envoyer faire mon paradis Plus d’une âme que
j’aime y doit être exilée, Et je retrouverai Socrate et Galilée !
LE BRET, se révoltant.
CYRANO.
594
Ce sont les cadets de Gascogne…
LE BRET.
CYRANO.
A dit…
ROXANE.
Oh !
CYRANO.
Copernic
595
Mais aussi que diable allait-il faire, Mais que diable allait-il faire
en cette galère ?…
Grand riposteur du tac au tac, Amant aussi – pas pour son bien
! – Ci-gît Hercule-Savinien
ROXANE.
596
Je vous jure !…
(Silence.)
– Ganté de plomb !
597
Je l’attendrai debout,
(Il se raidit.)
(Ilre l’épée.)
Cyrano !
LE BRET.
ROXANE, défaillante.
Cyrano !
CYRANO.
et l’épée à la main !
598
(Il lève son épée.)
Le Mensonge ?
(Il frappe.)
Que je pactise ?
599
(Il fait des moulinets immenses et s’arrête haletant.)
et c’est…
Mon panache.
RIDEAU.
600
601