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D’UN FRANC-MAÇON
Jak BOAZ
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2009 -2010
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PREAMBULE
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« Le seul véritable voyage, ce ne serait pas d’aller vers
de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux »
Marcel PROUST
Chapitre I
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À l’heure dite, j’étais arrivé. Le 33 était une cour sombre
qu’il fallait franchir sans aucune indication apparente. Bon,
je ne m’attendais pas à une enseigne sur laquelle aurait été
écrit « Franc-Maçonnerie, bienvenue au club !», mais quand
même, c’était plus que discret.
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« Bonsoir, vous êtes Jean ? Tenez, prenez ce que vous vou-
lez, je reviens dans quelques instants »… Même si j’avais été
mis à l’écart dans la salle, ma curiosité m’obligeait à obser-
ver, tenter d’écouter les conversation dont je ne captais pas
grand chose et moins encore, le sens complet de leur
conversation.
Rapidement, je lançais un regard à l’autre bout du bar.
Quelques hommes en costume sombre, chemise blanche et
cravate noire, discutaient, prenant l’apéro debout contre le
bar. Habillés comme ça, on aurait vraiment dit des pin-
gouins, entre garçons de café et musiciens d’orchestre…
Lumière tamisée, l’ambiance de ce qui m’apparaissait com-
me un club pour homme un peu à l’anglaise, était celle de
joyeux quadras parlant boulot, de leurs familles et de leurs
gosses… Bizarre, anachronique parfois mais pas vraiment
dangereux en fait !
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Tout de suite mon nez avait pris le relais. Une odeur de
craie ou celle d’une classe d’école qui aurait été fermée
pendant les vacances. Malgré tout, je me sentais calme et
confiant, enfin, c’est ce que je me disais fort pour me rassu-
rer.
Les mains moites étaient la vérité de mon état, j’entendais
mon cœur, un peu trop. C’est long, très long, au point que
j’essayais de deviner jusqu’à la couleur du papier peint pour
passer le temps.
Des pas lointains dans le couloir, c’est pour moi… Des voix
qui s’éloignent, des rires, des gloussements puis, à nouveau
le silence.
« Qu’est-ce que je fous là ? » Je n’eus pas le temps d’y réflé-
chir vraiment, tout à coup, la porte s’ouvre, Je reconnais la
voix douce de Bernard. « Voilà, comment cela va se passer,
nous allons ensemble rejoindre une salle où vous serez assis
au milieu de gens qui vous poseront des questions, il
conviendra d’apporter des réponses spontanées, sincères et
sans malice », il ajouta que mes yeux resteraient bien sûr
bandés jusqu’au retour. Curieusement, ce qui sonnait à
mon oreille était sa façon parfois de s’exprimer, ou plutôt le
français employé. Cela me faisait penser à des tournures de
vieux français, presque désuètes. « C’est ok ? » conclut-il, je
répondis oui. « Alors, tenez vous fermement à moi, et faites-
moi confiance, marchons !».
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Très vite, je perdis le sens de l’orientation et me retrouvais
totalement guidé.
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Je me sentais aussi honteux que lorsque, écolier sur
l’estrade, il m’arrivait de rester muet à la question du pro-
fesseur, où le silence s’éternisait marquant lourdement mon
ignorance et surtout la leçon pas apprise. Retour en arrière :
ça n’était pas un hasard si j’avais reconnu l’odeur de la craie
et de l’école !
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En fait, comme cela m’arrivait parfois, je prétendais à une
question en considérant dans la seconde suivante où je
l’avais posée, de son utilité… Victime d’une sorte
d’idéalisation abstraite, je m’attachais avec obstination à
l’idée toute faite d’un genre humain, entre fleur bleue et
ringardise. Un peu comme si, une fois monté dans un taxi,
vous aimeriez être d’emblée assez intime avec le chauffeur
au point qu’il puisse deviner l’adresse à laquelle vous sou-
haitez vous rendre…pas simple ! C’était un peu à l’image de
ma vie, réclamant d’autrui intensité et profondeur d’âme,
j’avais moi-même la consistance d’un bouchon de liège. Ré-
tif à tous ces gens qui se prennent au sérieux, j’oscillais gen-
timent entre légèreté, dérision et cynisme. J’appelais ça
« humour », on se rassure comme on peut.
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Sauf que là, j’étais au milieu d’eux, un bandeau sur les yeux,
assis sur une chaise et que la question me fut reposée avec
insistance : « Excusez-moi monsieur, mais pourriez-vous
nous dire ce qui vous amène ainsi à vouloir nous rejoin-
dre ?! »
À bien y réfléchir et par l’éducation que j’avais reçue, rien
ne me prédisposait un jour, à m’intéresser à la Franc-
maçonnerie et encore moins à imaginer la rejoindre.
D’ailleurs, je ne connaissais rien, ni de la franc-maçonnerie
et encore moins des francs-maçons. Où alors si, juste cha-
que année lors des vacances sur la plage au bord de la mer
lézardant au soleil, le magazine de presse sur la serviette
que vous lisez distraitement, contient toujours un article du
genre « La franc-maçonnerie, société et réseau secret » ou
mieux encore « L’argent et le pouvoir des francs-
maçons »…Bref, juste à lire pour participer à l’effort éco-
nomique de presse ! Pour le reste, rien à apprendre concer-
nant l’éventuel sens d’une telle démarche.
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Être dans la lune était mon adresse, j’y étais bien, comme
ces écoliers qui ont le regard tourné vers la fenêtre mâ-
chonnant le bout de leur crayon.
Plus tard, une seule chose me révoltait, l’injustice. Pour le
reste, ce curieux sentiment de ne rien avoir jamais décidé de
ma vie, je m’étais habitué à me laisser porter par les événe-
ments…
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planète où, pourtant, les richesses ne manquent pas. Rappe-
lant que les systèmes sociaux malgré leurs complications,
devaient rester au service des hommes et non l’inverse. Ces
dissonances développées, racontées, argumentées avec pas-
sion et visiblement vécue par l’orateur, m’avaient touché en
plein cœur.
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certain bonheur. J’ai bénéficié d’une enfance heureuse, je
n’ai pas de revanche à prendre sur la vie. Je fais un métier
que j’aime, j’essaie de participer à ma mesure au bonheur
des autres, mais tout cela ne me suffit plus aujourd’hui. Il
n’y a pas de cohésion ni de sens réel à mon existence.
J’attends plus, je veux plus de cette vie qui s’écoule si vite
que souvent, je ne m’en sens pas totalement l’auteur. C’est
pour tenter d’en comprendre l’essentiel qui m’échappe,
c’est pour mettre de l’ordre aujourd’hui dans cette sorte de
confusion que je souhaite vous rejoindre…enfin, si cela
peut être… ».
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peux sans doute passer dessus, par contre si cela devait tou-
cher un individu, un proche, un ami, je ne pense pas ! ». Au
moment même de le dire, je prenais conscience que mon
commentaire n’était pas celui qu’on attendait. Pressentant
que répondre « cash » ne paierait paradoxalement pas, je
n’avais rien changé à ma réponse.
Quelques questions encore et l’on annonça qu’on allait me
raccompagner. On me remercia. Je quittais la salle en
déambulant à nouveau et me retrouvais vite dans ce qui me
semblait être le couloir d’entrée. Là, on m’ôta mon ban-
deau, me salua chaleureusement sur l’air de « on vous écri-
ra ». Le portail se referma derrière moi. Après tant de densi-
té, le vide, le froid de la nuit fraîche. Il ne pleuvait plus,
j’étais frigorifié, sans doute la tension qui retombait et la
fatigue accumulée aussi. En marchant de retour chez moi, je
repensais à cette curieuse soirée. En deux heures et quel-
ques phrases, j’avais plus parlé de moi qu’en toute ma vie !
Dans la rue, j’entendais mes pas et marchais hâtivement,
j’en avais marre et voulais me coucher. Quelques semaines
après, je recevais un courrier qui m’annonçait
« l’ajournement de ma candidature ». J’attends toujours !…
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je enfin ? Où aller chercher ce courage pour n’être qu’à
soi ?
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tangible, une démonstration immédiate. Comme une bonne
recette efficace à appliquer, à consommer. Attente puérile
mais rassurante.
Je prenais la mesure que rien n’était décidément écrit,
comme parfois on le voudrait confortablement, comme lire
une feuille de route, la suivre et avancer dans sa vie.
J’entrevoyais bien que cette discussion était d’une certaine
façon, une boîte de Pandore que j’allais ouvrir et Dieu seul
savait où cela me mènerait…
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Nous arrivions dans les faubourgs de Biarritz, la mer au loin
était grise et belle avec ses rouleaux cadencés, le ciel deve-
nait bleu, seuls quelques nuages récalcitrants étaient les
derniers témoins de ma colère passée. Seul subsistait à cet
instant précis, un embarras à essayer de saisir l’idée d’aller
vers soi…
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tions pour vous ramener en un centre à la vitesse d’un
éclair. Ce dernier détail, je devais le comprendre. C’était
même urgent.
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« Concrètement, il s’agit, comme le disent nos vieux rituels,
de passer des ténèbres à la Lumière. Et par cette lumière
qui nous illumine, de changer notre être et notre vie ». En
même temps reprit-il, « il ne s’agit pas seulement d’aller
vers la Lumière et de se reposer dans une vaine contempla-
tion, mais par celle-ci, de nous entraîner à une action plus
efficace et plus juste ».
« Il faut comprendre que le but essentiel d’une initiation
maçonnique est de changer l’homme que tu es pour
t’ouvrir, d’abord à toi-même et grandir. Et pour passer du
stade où tu te trouves à celui « d’homme nouveau », une sor-
te « d’homme conscience ». Il convenait donc, d’accepter
dans ce qu’il convient de nommer une renaissance symboli-
que, une nouvelle naissance et ainsi, de rendre possible cet-
te promesse de changement.
« Mais pour atteindre cet objectif, il convient que tu répon-
des et te soumettes à certaines conditions: La première de
toute initiation aux mystères de la Franc-Maçonnerie, est
d’être un homme « né libre et de bonnes moeurs ». La
deuxième condition, consiste dans une mort symbolique
que tu devras accepter. En effet, celui qui aspire à la lumiè-
re doit d’abord, dans une première épreuve, se dépouiller
de tout son passé, des préjugés que la vie profane a pu ac-
cumuler en lui. Il doit « mourir à ce qu’il était », redevenir
en quelque sorte un enfant, un « enfant nu ». Mais cette re-
mise en question, cette renaissance ne saurait se passer
n’importe où et n’importe comment. Elle ne peut s’effectuer
que dans un lieu séparé du monde et dans un temps diffé-
rent de celui qui est le nôtre au quotidien. Un espace et un
temps séparés, secrets, non pas dans un quelconque édifice,
mais dans un Temple sacralisé par le Rite lui-même. Com-
prends-tu ? ».
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Pas vraiment. Pour moi, tout cela à entendre n’était que des
phrases abstraites, n’en saisissant pas grand-chose, je me
surprenais à être plutôt inquiet. Qu’est-ce donc que ce ri-
tuel qui vous fait renaître dans un lieu sûr et caché du mon-
de ? Sacré, avait-il même dit…
Toutefois, je ressentais confusément la présence d’une véri-
té dans ses paroles, sans en comprendre le sens, j’y sentais
intuitivement quelque chose en accord et de bon pour moi.
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terre, insistant sur le fait que toute démarche entamée
n’aurait de sens que si elle s’accomplissait jusqu’au bout.
« Comprends bien que l’initiation n’a d’intérêt que parce
qu’elle nous permet d’appréhender une certaine idée de
notre être et de la vérité qui le constitue. Elle n’a de valeur
que parce qu’elle est une découverte, liée à une démarche
elle-même vécue, que l’on peut qualifier d’existentielle. Si
l’émotion poétique consiste dans une sorte de perception
naissante en une tendance à voir le monde autrement,
l’initiation s’offre alors à toi comme une façon originale de
percevoir et d’appréhender autrement l’Univers et les
hommes comme nous-mêmes ».
Il conclut sa très longue réponse en citant Marcel Proust
dans « A la Recherche du Temps Perdu : « Le seul véritable
voyage, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages,
mais d’avoir d’autres yeux ». « De la même façon, Jean, la
vocation de l’initiation maçonnique est de nous apprendre à
voir différemment, sinon de nous donner « d’autres yeux ».
Bref, de nous donner un autre regard, sur les autres mais
surtout et avant tout, sur nous-mêmes. Cette nouvelle façon
de voir, constitue une conversion de notre âme tout entière
et doit entraîner un changement profond en nous pour mo-
difier notre vie ».
J’avais reçu ses paroles studieusement et avec application,
c’était bien le moins que je pouvais faire après mes ques-
tions. Ce que j’ignorais encore, c’est que celles-ci où plutôt
les réponses qu’avait faites Mathieu, allaient bousculer en
moi des idées bien ordonnées, rangées et à ce moment en-
core, tranquille.
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moi-même… J’entrevoyais sans doute, inconsciemment le
prix. Et cette idée ne me rassurait en rien. Il m’était venu
l’idée d’en parler, oui, mais à qui ? Vous êtes interpellé par
un sujet auquel vous ne vous attendiez pas vraiment, vous
ne connaissez rien ou pratiquement, à propos de celui-ci ;
vous avez par moment la sensation de rentrer dans la troi-
sième dimension et votre réflexe serait d’en parler,
d’échanger. Oui, mais de quoi précisément et surtout avec
qui ? Et pour quelle réponse d’ailleurs. Non, je refermais
tout cela en moi de cette façon de faire que je me connais-
sais bien. Tout cela avait participé à me perturber…mais pas
au point de me faire renoncer, bien au contraire.
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il a ce côté « caliméro » tombé du nid… ». Je me calmais vite
de ces à priori stupides à l’instant où je croisais leur regard,
ils m’inspectaient à leur tour et devaient faire exactement la
même chose…
Dentiste, toubib, coiffeur, avocat, c’est fou comme il y a des
professions où les types sont incapables de vous prendre à
l’heure ! Une quarantaine de minutes s’étaient écoulées,
puis, l’un des deux fut reçu. Clair, c’était celui qui restait.
N’y tenant plus, je l’interpellais : « Bonsoir, vous venez pour
rencontrer Yves ? ». Il répondit sèchement par l’affirmative,
avait-il lu mon regard au point de s’y voir caliméro ?
« Allez, entrez, asseyez-vous » dit Yves qui était venu nous
chercher et comme pour bien appuyer, il ajouta : « je n’ai
pas été trop long !». Là, je compris définitivement qu’un
Franc-maçon, quel qu’il soit, reste avant tout un homme !...
Il fit les présentations : « Jean-Baptiste, Jean, je suis heu-
reux de vous recevoir et avant tout, j’ai quelque chose
d’important à vous dire ». On échangea un regard
d’incompréhension. « Vous allez être initié ensemble, en
clair, vous serez « jumeaux » en Maçonnerie ».
La dimension du détail nous échappait, et nous étions tous
deux, très éloignés du grand bonheur signifié par son souri-
re béat, lorsqu’il nous annonça « cette importante nouvel-
le ».
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aussi. En quittant le cabinet, Jean-Baptiste m’avoua la mê-
me difficulté à suivre parfois la discussion, aussi, décidions-
nous d’aller dîner ensemble.
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temps éloignés mais pas si perdus que cela en fait. J’allais
découvrir que si nous ne pratiquions plus ces « passages »
initiatiques dans nos contrées, d’autres cultures, d’autres
pays, en avait fait le ciment de l’avancement des hommes
mais aussi de leurs traditions qui faisaient leur histoire,
marquant ainsi leur identité pour finalement témoigner du
sens de l’Humain.
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Chapitre II
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présent, éperdu à vivre toujours soit dans le passé ou dans
l’avenir. Si souvent l’homme d’aujourd’hui obéit, grandit,
exige, gère, planifie, vit en couple, dépense, s’ennuie, rem-
plit, court, consomme, réussit, dépasse, gagne et vieil-
lit…rarement, il regarde, il écoute, il profite, il s’inscrit dans
des plans de progrès, met à profit, accepte résigné… Plus
rarement encore, il décide et agit « en conscience », prenant
ainsi la réelle mesure du monde et de la nature qui
l’entoure afin de recevoir pleinement ses bienfaits et les
transmettre à son tour. Bref, aimer et vivre !
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Le fait d’avoir ainsi grandit le portera à s’occuper des plus
faibles, des plus démunis. De s'occuper du culte des ancê-
tres, d’entretenir et de garder les légendes et histoires orales
de la tribu. Je retrouvais bien là, les termes exacts des expli-
cations lors des discussions avec Matthieu sur la Franc-
Maçonnerie.
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Qu’il s’agisse d’un pays africain ou de quelconque autre
continent, et pour n’importe quel individu au monde, je
prenais conscience que tout semble partir de nous mêmes,
de notre volonté de nous améliorer, de devenir un être dé-
pouillé de l'inutile mais curieux de sagesse et de véritables
connaissances, non pour satisfaire un ego mais pour servir
le monde…ou sa tribu.
Si internet m’avait bien aidé à me documenter à propos de
l’initiation en général, là, il s’agissait de la mienne en parti-
culier. Plus du tout la même chose ! Bien sûr je l’avais at-
tendue, souhaitée mais ce moment qui se rapprochait à
grands pas, me mettait dans une étrange fébrilité…
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Étonnamment, si une photographie peut vous émouvoir
quand il s’agit de votre femme ou de votre enfant, précieu-
sement gardée au fond de votre portefeuille, rien ne passe
vraiment devant des photos qui vous concernent peu ou
pas. Vous vous sentez étranger à tout cela, étant dans
l’histoire des autres sans y avoir une place. Au mieux com-
patissant, mais l’œil torve ou presque éteint.
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sions et sensations, de mes hésitations aussi et du réel bou-
leversement de cette aventure unique que fut mon initia-
tion. Vous parler des hommes, de leur cœur partagé, de ces
regards que je n’oublierai jamais ce jour d’un mois de fé-
vrier où le dehors était triste et humide et à cet endroit,
chaud et brûlant d’humanité…
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Ce rendez-vous revêtait pour moi, la plus haute importance
et n’avait rien de comparable avec l’aventure précédente.
On touche ici une caractéristique de la Franc-maçonnerie :
le temps ne compte pas. D’ailleurs, en loge par les différents
rituels appliqués, on l’apprend mais surtout, on le vérifie.
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Inconsciemment, nous devons en douter car nous savons
d’emblée qu’une réflexion, remarque ou analyse extérieure à
nos problématiques sont souvent des voix de meilleur conseil.
Et si « l’intelligence du cœur », cette petite voix qui nous parle
parfois, nous pousse ou nous retient selon les cas, présentait
au fond un allié plus puissant que l’intelligence cartésienne ?
Oui, mais alors quelle part de nous fera l’arbitre ?
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rouge au long de votre vie maçonnique. Il est aussi celui qui
s’engage à vos côtés et qui répond de vous pour les autres,
ce qui n’est pas rien. Bref, il est un personnage clé sur le-
quel il est permis et recommandé de s’appuyer. Le mien
était Mathieu, j’étais heureux que ce fut lui, vraiment.
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Quels que seraient les arguments à entendre, le prix à
payer, les engagements à prendre, rien à ce moment n’aurait
su m’arrêter. Il était temps pour moi, malgré mes craintes
de l’inconnu qui se présentait maintenant, de me laisser
porter en toute confiance. Mais à ce point où j’étais, pou-
vais-je faire autrement ?…Oui, car à plusieurs reprises, on
vous rappelle votre état d’homme libre, libre de rester ou de
partir. Bientôt, votre serment contracté d’abord avec vous-
même, vous obligera, pour le moins, à tenir secret les Us et
Coutumes de la Franc-Maçonnerie partagés par tous vos
Frères.
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Pour moi, alors sans aucune culture Maçonnique, il revêtait
pourtant dès ce premier soir une signification forte, car
mon initiation, m’avait-on dit, s’était déroulée de façon par-
ticulière. Avoir été initié avec une autre personne, comme
cela ne se pratique qu’exceptionnellement, signe la création
d’un lien fort et unique. Ces moments que j’ai donc vécu,
Jean-Baptiste les a partagés. Ces épreuves symboliques que
j’ai traversé, il les a découvert avec moi et sa main posée fé-
brilement sur mon épaule alors que nous étions privé de
notre vue, restera un attachement indéfectible pour cet
homme que je ne connaissais pas mais qui, pour sans doute
d’autres raisons, avait décidé de vivre le même engagement
que moi.
Tout cela m’avait paru long, parfois stressant et éprouvant.
Je m’étais senti nu, au point de sentir le bruit de mon sang
dans mes veines, les battements assourdissants de mon
cœur, le ronflement de ma respiration…Et comme l’aveugle
privé de lumière, décuplant ses autres sens, je peux témoi-
gner que dans la situation, les miens étaient plus
qu’affûtés ! Ma main prise et serrée par un guide, nous
avancions au milieu de multiples cliquetis métalliques et
bruissements de tous côtés, des odeurs de bougies qui vous
prenaient le nez, des crissements de pas, leur souffle autour
de nous qui indiquaient leur présence. Mais qui étaient-ils,
que faisaient-ils ?…Ça aussi, j’allais le découvrir…
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connaît rien de rien de ces choses-là, est que l’on ne se pose
pas de questions. De toute façon, il y en a tellement qui
viendrait à l’esprit, les réponses seraient trop longues et les
réponses certainement incompréhensibles. Revenu à la lu-
mière, les yeux écarquillés comme un gosse, le lieu me pa-
raissait « kitch » à souhait. Nerveux, je gardais un rire étouf-
fé, décidément sale gosse, on le reste pour la vie ! Bénéfice
du doute et respect, c’est bien le moindre que je pouvais
témoigner en prétendant à un tel engagement et vous com-
prendrez que je ne peux pas tout dire ! L’air de plaisanter
de tout pourrait-on penser, accordez-moi qu’impressionné à
ce point et fatigué, on puisse avoir un comportement puéril.
Ayant été reçu mes « outils et tenue, les mots, signes et at-
touchements de mon grade » (on dit comme ça), matériali-
sant cette transmission au travers de cette initiation que
j’avais été jugé digne de recevoir et avant de commencer
mon travail, on m’avait fait reconnaître les différents
« Officiers et Maîtres de la Loge », mené par le Maître de
Cérémonie. Nous faisions le tour de la Loge allant de poste
en poste les rencontrer. Ils se levaient et m’embrassaient.
Par ces baisers fraternels, mon père revint instantanément à
ma mémoire, lui qui m’avait quitté si brutalement en 78…
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De contact charnel avec des hommes, je n’en avais jamais
eu depuis. Ensuite, on m’invita à rejoindre ceux de mon
rang, sur la colonne du nord, là où se tiennent les Appren-
tis, mon « jumeau » Jean-Baptiste, à mon côté.
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bien leur rôle et leurs textes mais dans un français du
XVIIIème siècle. Je vous assure, c’est vraiment curieux la
première fois !
Chacun d’entre eux tenait un emplacement précis mais dont
la signification m’échappait, des bougies étaient installées,
dont les petites flammes vivantes et libres virevoltaient in-
disciplinées au scénario qui se déroulait. Captivées par cel-
les-ci, elles concouraient aux délices de ce moment de grâce
dont je m’emplissais pour mieux m’en souvenir plus tard…
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veaux questionnements. Oui, pourquoi avais-je voulu à ce
point, rejoindre la Franc-maçonnerie ? Une fois encore, je
vérifiais que je n’échappais décidément pas à ces sentiments
confus qui me font parfois agir ou réagir à contretemps. Ac-
tion d’abord, réflexion ensuite. Non, là, je suis un peu sévè-
re car bien sûr j’y avais pensé et repensé. Mais déjà, le sou-
venir de ma cérémonie d’initiation si récente me déstabili-
sait, me faisant prendre toute la mesure de l’engagement
pris d’abord avec moi-même. J’avais donc reçu le titre inté-
ressant de « Frère », quel sens donner à ce mot ?
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qu'ils transmettraient un jour à ceux qui reprendront leur
flambeau. Ça n’est qu’au milieu du XVIIIème siècle qualifié
des Lumières, qu’elle se structura pour devenir un Art pra-
tiqué par des intellectuels, des nobles et militaires souvent,
qui, souhaitant s’inspirer de leurs illustres prédécesseurs
mais dans une dimension symbolique, professèrent celui-ci
dans une symbolique dite « spéculative ». Dès lors, la seule
cathédrale à construire est celle de l'Homme lui-même,
mais rien ne change quant aux méthodes et aux outils. Les
tours de main d'antan deviennent des tours d'esprit et de
cœur, voilà tout. L'Homme est à considérer ici comme véri-
table un chantier. Tout reste à construire, à créer, à édifier.
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L’initié devra travailler sur la signification des symboles, ce
faisant, il pratique alors son premier travail symbolique :
« polir la pierre brute » qu’il est, c’est-à-dire sur soi-même,
afin qu’elle puisse faire partie « d’un édifice harmonieux ».
Pour progresser lui-même en vertu de ce qu’il connaît de
lui. Pour se connaître, il faut un travail personnel
d’introspection, d’observation de ses propres réactions
confrontées au groupe. C’est dans les rencontres et les dis-
cussions qui s’ensuivent que l’on apprend alors, à mieux se
connaître tel qu’il est en société, ou tel qu’il réagit face à des
opinions divergentes ou des situations conflictuelles.
Le travail réalisé dans ces groupes, s’appelle « loges » ou
ateliers, et se déroule dans un cadre harmonieux, régi par
un rituel symbolique qui prédispose à l’ouverture, à la tem-
pérance et à la concentration.
Ces rituels pratiqués dans les ateliers, constituent une rup-
ture avec la vie de tous les jours et placent les hommes qui
les fréquentent, dans un contexte hors du temps.
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pales sont aujourd’hui constatées et marquent une réelle
différence même si tous sont Frères avant tout. D’une part
la Franc-maçonnerie « Régulière », nommée ainsi car elle
est l’héritière fidèle à la tradition de la Grande Loge de
Londres. Elle provient de la première forme de maçonnerie
moderne instituée en 1717, qui s’est répandue très rapide-
ment en Europe et dans le monde. Elle est aussi la plus an-
cienne, à vocation spirituelle et donc, personnelle, résolue à
consacrer ses travaux a un être divin. Elle n’admet que des
hommes croyants cherchant à se perfectionner avant tout,
eux-mêmes. La deuxième branche est née en France en
1877, s’assignant aux lois républicaines et de la laïcité, ac-
ceptant sur un même pied les croyants et incroyants, athées
ou déistes. Elle participe par ses idées « au progrès de
l’humanité », discutant de problèmes sociaux et se propose
de rechercher parmi les discussions en loge des solutions
pour faire avancer l’Humanité.
Bien sûr, d’autres façon d’aborder la Franc-maçonnerie se
sont développées tout au long du XVIIIe siècle, des obé-
diences dites spiritualistes, ou ésotériques, qui placent au
centre de leurs préoccupations le symbolisme qu’il soit de
nature métaphysique, alchimique, kabbalistique, ou les ri-
tuels égyptiens. Elles constituent de nombreuses branches,
dont certaines accueillent aujourd’hui les femmes distinc-
tement et la mixité.
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prendre la mesure de notre insignifiance mais aussi à cette
dimension sublime de l’être humain. Elle nous fait prendre
conscience du maillon que nous sommes dans une chaîne
en faisant de nous des messagers ou plutôt, des transmet-
teurs dans le respect du messages transmis. Messagers d’un
passé, messagers d’un avenir, tout cela en même temps avec
pour seule ambition, l’exemplarité. Enfin, si devenir Franc-
maçon (on n'est pas Franc-maçon, on le devient indéfini-
ment), c'est surtout avoir cette foi inébranlable en ceci que
la vocation ultime de l'homme est de construire un Temple
qui le dépasse infiniment. Un Temple qui le transcende ra-
dicalement, en ceci que l'homme n'a de sens qu'au service
de ce qui le dépasse, alors, avec la plus grande modestie, il
est une évidence que la Franc-maçonnerie est un chemin,
un support de perfectionnement parmi d’autres, mais il of-
fre et nous le verrons dans ce récit, de connaître le cœur des
hommes et surtout le meilleur de ce qu’ils sont. Parce que
la Franc-maçonnerie est aussi et surtout une fraternité, tous
les Maçons du monde sont des Frères. Elle rappelle que le
Maçon doit s'efforcer de fonctionner avec ses Frères en
communauté d'esprit et engageant, avant tout, sa volonté de
mettre son ego de côté.
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dans le monde. Ce qui unit les Francs-maçons et justifie la
Franc-maçonnerie bien au-delà des sympathies et amitiés
interpersonnelles, c'est le processus d'accomplissement que
chacun expérimente à chaque heure de sa vie d'homme en
quête de perfectionnement et de création de soi, en d’autres
termes, une sorte de besoin vital dans un ordre symbolique
qui nous relie les uns aux autres par le cœur, aux mystères
de notre devenir…
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qu’ils finissent, reviennent à table pour commencer à man-
ger ensemble.
Le dîner avançait, entrecoupé par quelques informations
concernant la loge, son actualité, les prochaines tenues, sor-
ties, visites et manifestations… Puis, vint le temps des prises
de paroles. Enfin quand je dis prise de parole, j’exagère, car
personne ne prend la parole tant qu’elle ne lui a pas été
donnée ! Un protocole décide de l’ordre dans lequel vient,
s’il vient, votre tour pour vous exprimer.
Le plus souvent, respectant cette logique protocolaire, celle-
ci est donnée aux frères visiteurs d’autres ateliers. Ceux de
passage, ayant souhaité passer un moment de fraternité,
sont invités à dire quelques mots.
Après les politesses d’usage, la reconnaissance de la qualité
des travaux de la Loge auxquels ils ont participé et divers
remerciements, ces discours, se ressemblent et ne devront
leur richesse qu’à la qualité émotionnelle de ceux qui les
prononcent.
46
rent lui tenant la main, chacun le regardant avec ce regard
de soutien que seuls les gens aimés ont le bonheur de
connaître, puis promptement et discrètement ils se rassi-
rent. Luc pu enfin parler. Nous en étions tous heureux. Je
ne sais d’ailleurs plus très bien ce que fut l’objet exact de
son message, ça n’a d’ailleurs que peu d’importance.
47
Si l’usage des Francs-maçons veut qu’ils manifestent discrè-
tement et uniquement en tapotant la table de leurs doigts,
là, tous applaudirent franchement et se levèrent pour aller
l’embrasser. Troublé par ce qui venait de se passer, par cet
instant de vérité simple et crue, je ne savais plus quel attitu-
de tenir. Et si simplement, je me laissais aller à moi-même.
Etre, non pas ce que l’on a décidé, mais, être, tout simple-
ment.
Ce soir-là, j’ai ressenti les bienfaits de pouvoir s’ouvrir sin-
cèrement à l’autre sans crainte. C’était la première fois de
ma vie.
48
Chapitre III
49
silencieux après avoir quitté un monde bruyant, il semble
qu’une bulle les accueille. Un lieu préservé. Une dimension
où l’heure n’existe plus.
Cette ambiance particulière force le recueillement, appelle
une concentration et une présence à ce que l’on va vivre
ensemble, encore une fois. Vous devenez fragile ressentant
un total dénuement.
Pourtant, rien ne peut ici vous arriver de mal. Tous seront
là, autour de vous pour vous soutenir, vous encourager
dans vos recherches et bien avant de les commettre, par-
donner déjà vos erreurs. J’allais le vérifier dès la première
fois.
50
avoir vu des choses et si les tapis ne volaient pas, j’aurais
aimé qu’ils puissent parler…
Remplit de dessins et symboles, mon front se plissait à force
d’y chercher une logique, une signification, ne serait-ce
qu’entre ses signes. Une lune blafarde en haut à gauche, à
l’opposé, un soleil usé mais rayonnant. Au dessus, ce qui
m’apparut comme une corde avec des boucles qui formaient
des nœuds. Au bas du tapis, quelques marches, sept je crois
bien. Puis une sorte de parvis en damier noir et blanc, face
à une porte entourée de deux colonnes. Au centre du tapis,
une étoile à cinq branches comportant la lettre « G » en son
centre. Autour, disposés en triangle, trois outils étaient re-
présentés. En bas, de part et d’autre, un dessin représentait
une sorte de pierre difforme à gauche, en face d’une belle
pierre taillée, presque cubique à droite du tapis.... je ne
comprenais rien à tout cela mais j’étais fortement impres-
sionné par l’ordonnancement parfait de tous ces signes de
ce grand tapis de toile peinte et vieillie. Rien ne semblait
être positionné au hasard. Décidément ; il me faudrait de la
patience, de l’acceptation pour que mon temps vienne pour
comprendre.
51
on passe tous par là tour à tour. La Franc-maçonnerie est
une tradition qui se répète, se transmet depuis si longtemps
que ton étonnement d’aujourd’hui a été le mien hier, qu’il
est le tien aujourd’hui et sera celui d’un autre demain… »,
«Alors, rappelle-toi bien de ce moment si anodin en appa-
rence et pense à t’en souvenir le moment venu ! ». Mon vi-
sage avait dû parler pour moi, révélant les paroles que je
n’avais pas prononcées…j’étais impressionné qu’il ait pu
lire aussi facilement mes pensées.
52
la tenue, je n’avais gardé aucun souvenir précis du temple,
sans doute en raison de mon émotion, seulement la présen-
ce de multiples symboles dans un fouillis apparent. Ce soir,
il en était autrement, la première différence et pas la moin-
dre, était que j’étais l’un d’entre eux. Cette condition chan-
ge le regard. Mais la Tenue commence vraiment lorsque cel-
le-ci est dans le temps sacré.
Cette sacralisation du lieu est le fait du Vénérable Maître
bien sûr, mais surtout par le recueillement et la communion
de tous les Frères présents. Elle confère un regard collectif,
s’agrégeant de tous les Frères présents que la Loge prend
vie ! Cette communion, ce partage, ce recueillement est
l’Egrégore de la Loge. Cet état collectif indescriptible mais
presque palpable… J’apprenais ainsi la première leçon :
« Etre franc-maçon est une démarche personnelle qui
n’existe, prend forme et n’a de sens qu’avec les autres ! ».
Paradoxe difficile à expliquer.
53
l’entendre que le temps fort de la soirée allait être une ini-
tiation ! En clair, j’allais revivre mon expérience…mais cette
fois de l’intérieur grâce à un impétrant qui se trouverait ce
soir dans l’exacte situation qui fut la mienne dernièrement.
J’étais tout à mes pensées lorsque j’entendis le Vénérable
Maître dire : « Mon frère, allez quérir le Frère Apprenti
Jean ». Je sursautais. Bon sang, j’avais totalement oublié que
j’allais devoir être sollicité pour dire mes « impressions
d’initiation ».
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ans ! Rappelez vous du mariage de votre couple d’amis,
lorsque au moment de leurs vœux respectifs, insensibles à
leurs sentiments ayant vous-mêmes tellement vécus, vous
ne pouvez réprouver ce réflexe lacrymal furtif ridicule, ba-
layé d’un coin de manche, presque ignoré mais bien pré-
sent. Dans leurs yeux et par leurs mots exprimés après mon
intervention, ils me remerciaient surtout de la simplicité
avec laquelle je leur avais livré ce qui avait marqué le pre-
mier temps fort de ma vie maçonnique. Ils insistaient, à jus-
te titre mais cela je le vérifierais avec le temps, que j’avais la
chance unique d’exprimer avec la fraîcheur naïve dont seul
les débutants sincères sont capables, des secrets qui me se-
raient révélés plus tard.
Ce dernier commentaire, agaçant en fait, me signifiait que
j’étais juste assez grand pour dire, mais sans doute trop petit
pour comprendre…mes propres paroles ! D’un coup et sans
baguette magique, j’étais renvoyé à mon enfance, là où
confusément les souvenirs et l’égo reprenaient malin plaisir
à se mélanger.
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profane qui deviendra « Frère » ce soir, ce qui est vécu en
loge d’apprenti pour une initiation est semblable en tout
point. C’est tellement vrai que si vous souhaitez le vérifier, il
vous suffit de regarder une gravure d’époque ! Ce respect,
cette exigence, sont les garants de la transmission à travers
le temps et font la première richesse de la Franc-
maçonnerie.
Je n’ai jamais eu de mal à le comprendre. Ma résonance à
l’histoire, aux pierres et monuments, bref, ce qui fait la filia-
tion entre ce que je suis et ceux d’où je viens, est une vérité
essentielle que je porte en moi. De même le respect de ceux
qui vous m’ont précédé, dont on fait, en quelque sorte revi-
vre les traces, est un honneur et un vrai bonheur naturels.
Être quasiment obligé à la confiance tant ce qui vous entou-
re échappe à votre compréhension, le mieux est alors de se
laisser porter.
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tour, les Frères étaient silencieux, conscients de
l’importance du moment à venir. Bientôt, lui aussi allait fai-
re ces voyages initiatiques...par le cœur. « Mes Frères, for-
mez la Loge ! » Absorbé par ce qui se passait, je pris cette
injonction comme un réveil. La discipline n’avait jamais été
mon fort, pourtant, avec Jean-Baptiste, nous obéissions
dans une sorte de ballet organisé. Sans que nous sachions
encore nous placer ni comprendre tout ce qui se déroulait
sous nos yeux. La magie du moment, les chuchotements des
Frères officiers plus anciens, à nos oreilles, nous amenaient
à nous tenir correctement. Tout cela dans le plus grand si-
lence et recueillement…
57
Ce travail est important, c’est par la volonté de perfection de
faire ainsi les choses que le Franc-maçon trouve sa récom-
pense mais surtout, reste le gage de la continuité de cette
tradition maçonnique dans le respect des règles ancestrales
qu’impose le rituel. Les apprentis que nous étions, étaient
invités à s’exprimer. Sous l’émotion, nous préférions nous
taire. Être présent, observer, ressentir, me semblaient un
déjà grand privilège. Ainsi, il y après de trois cents ans, cet-
te cérémonie avait eu lieu, avec les mêmes textes et ser-
ments, dans les mêmes circonstances !
Les derniers points prévus à l’ordre du jour étant terminés,
laissez-moi évoquer une particularité de notre rite : « La
chaîne d’union », sans doute le moment le plus fort et inat-
tendu de la fin de soirée. Il n’y a pas que chez les Francs-
maçons qu’elle se pratique, mais c’est là que je l’ai toujours
ressentie le plus fort. Tous les Frères se rassemblent au cen-
tre de la Loge, autour du pavé mosaïque, ils se donnent la
main et forment ainsi une chaîne d’amitié fraternelle. Lors-
que j’ai donné la première fois ma main, j’étais un peu gê-
né. En effet, la dernière fois que j’avais donné ma main à un
homme, nous étions avec mon père, sans doute pour aller
au cinéma. Cette main paternelle, enfant, je n’y faisais pas
attention. Elle me revenait en mémoire, là, avec ses hom-
mes : mon père était avec nous.
Le Vénérable Maître dit une sorte de prière, et, chacun re-
cueilli à la seule clarté de quelques chandelles, semblait être
descendu en lui-même. J’avais fermé les yeux et faisais défi-
ler le visage des personnes chères à mon cœur. Puis, un
long silence, juste le souffle des frères. Ma gorge se serrait,
ressentant l’intensité qu’impose un tel dépouillement. La
trentaine de Frère debout dans cette pénombre, le temps
suspendu à la volonté de nos cœurs dans un calme appa-
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rent. « Rompons la chaîne mes Frères ». Par ces mots, nous
revenions à nos places et clôturions la Tenue.
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Celle-ci m’avait entretenu discrètement d’une évidence de
la nature imminente, qui chacun sait, est quand même su-
per bien faite ! Un matin, je l’avais surprise dans la salle de
bain, son antre où il m’arrivait souvent de l’observer en
train de se maquiller. À moitié nue, concentrée à l’extrême,
le cou tendu et son visage tourné vers le miroir, elle portait
vers ces yeux un étrange ciseau à courber les cils, puis,
s’était penchée vers moi pour me dire : « Mon chéri, tu de-
viens un grand garçon maintenant, il faudrait que je
t’explique... ». Suspendus tous deux comme dans une bulle,
elle me gratifia sur le ton d’un impérieux secret, des quel-
ques rudiments de la sexualité et de ses changements qui ne
tarderaient pas à s’opérer sur moi. Précisant que les filles se
voyaient transformer ainsi et les garçons comme cela. Je
l’écoutais à peine et étais tout à la fierté de notre nouvelle
complicité.
C’était drôle, c’était elle ! ça lui était venu comme ça, d’un
coup, comme un merveilleux cheveu sur la soupe ! Je ne
retenais aucune de ces explications et encore moins des
transformations physiques notables qu’elle s’était pourtant
échinée à me décrire, ni plus encore qu’une étonnante sen-
sation de plaisir les accompagnerait. Se voulant rassurante,
elle m’affirma en conclusion, que cela s’inscrivait dans la
normalité des choses de la vie…
De cet exposé, seul m’intéressait l’idée qu’un jour, je de-
viendrai un homme ! Puis, souhaitant donner toute la so-
lennité à de telles révélations, elle s’accroupit devant moi,
me prit par les poignets et fixant son regard dans le mien,
elle insista : « Mais tu sais Jean, lorsque cela t’arrivera, ne
sois pas inquiet, tout ceci est naturel et surtout un grand
bonheur !».
60
Dieu que ma mère était belle ! Je venais de comprendre
l’intense bonheur qu’un instant peut offrir, retenant mon
souffle de peur qu’il ne s’échappe. J’en profitais intensé-
ment en la regardant fixement. J’étais heureux mais honnê-
tement, ce qui venait de rentrer dans mon oreille gauche
était déjà ressorti par celle de droite…
61
De mon enfance, la comparaison me paraissant semblable
sur ce point, la Franc-maçonnerie, ayant apporté toutes ses
lumières nécessaires, allait-elle, avec moi raté sa conver-
sion ? Etais-je à ce point réfractaire ? Avec le recul, il
s’agissait plutôt de méfiance. On ne fait jamais attention aux
déceptions des enfants, mais ce sont des traces indélébiles.
62
similer et les retenir, 3/ enfin, les appliquer. L’auteur (un
Indien au nom imprononçable) concluait avec malice : « Et
comme vous compléteriez un régime alimentaire en prati-
quant assidûment le sport, n’oubliez pas que lorsque vous
l’arrêtez, les kilos reviennent ! ». La vie est bien faite,
non ?...
En fait, la Franc-maçonnerie n’est différente en rien. Il
nous faut appliquer les vertus que nous prônons et bien
évidemment aussi, en dehors de la loge. La Fraternité par
exemple, en passant un coup de fil à ceux de nos Frères qui
sont absents ou qui nous semble éloignés. Comme nous, ils
ont leur famille, leurs problèmes et d’autres priorités que la
Maçonnerie. À nous de le comprendre en les appelant, en
leur faisant part de notre présence et pour leur témoigner
notre attachement fidèle et sincère. La Franc-maçonnerie
accompagnant la démarche d’une femme ou un homme
dans la recherche de lui-même, doit être un complément de
plénitude à sa vie, pas un handicap ou quelque chose qui
lui pèserait. C’est pour cette raison qu’il est souvent rappelé
que la démarche entreprise ainsi, passe toujours après les
impératifs familiaux et professionnels. Pour progresser, il
était donc de ma responsabilité d’appliquer les principes
reçus en Loge afin que la promesse d’un changement pos-
sible aient une chance de se réaliser.
Immédiatement, et quelle que fut la tentation tant il y avait
à dire sur les gens qui étaient autour de moi à la terrasse de
ce café, j’arrêtais de faire preuve de mauvais esprit, payais
l’addition, et m’en allais.
63
connaître, à le découvrir et notre relation devenait une belle
amitié. Après les quelques discussions professionnelles et
potins, il voulut connaître si mon entourage acceptait ma
démarche, m’encourageait où en était détaché. « Pas simple
en fait, répondis-je, si ma copine approuve mais reste peu
impliquée, ma fille, depuis le début m’a semblé assez réti-
cente. Elle garde très pudiquement une distance avec res-
pect pour la démarche de son père. Quant à moi, sentant
cette réserve, nous évitons ce sujet et parlons d’autres cho-
ses. »
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tout, de tous ces salamaleks protocolaires. La franc-
maçonnerie est un Ordre, on ne le redira jamais assez. Elle
a été véhiculée entre autres, par les garnisons militaires de
tous les pays d’Europe surtout au XVIIIème siècle et en a
gardé la discipline. Après tout, les choses sont simplissi-
mes : puisque vous avez consenti en homme libre à rentrer
dans cet Ordre, si cela ne vous convient pas, vous en sortez.
Un point c’est tout. Rien ici, ne vous appartient et ne vous
appartiendra jamais pour l’unique raison que vous êtes de
passage, juste un maillon, une pierre de l’édifice, seulement
un messager qui, à son tour transmettra dans les mêmes
conditions qu’il les a reçues, ces traditions séculaires.
65
offrant de grands espaces que les peintres de l’école de Pa-
ris lui suggéraient alors. Lui aussi, avait dû remettre en
question une vie qui, sans doute, n’offrait plus de perspecti-
ve assez grande à ses propres yeux. « Tu t’intéresses à
l’abstraction lyrique ? » me demanda Paul. « Tu sais, la pein-
ture est une plus qu’une passion, mon véritable oxygè-
ne… ».
« Alors, ça nous fait un sacré point commun ! Viens avec
moi, on va boire un verre pour fêter notre plaisir partagé. »
Sa femme, magnifique brune élancée, me portait un verre et
ensemble, ils insistèrent pour me faire visiter leur maison.
Leur maison était grande, accueillante et en plein centre
ville, elle vous donnait la conviction d’être à la campagne
avec son jardin de curé. Ils avaient décidé de se faire plaisir
dans celle dont ils pensaient qu’ils finiraient leur vie. Fiers
de tel ou tel gadget et heureux comme des gosses décou-
vrant leurs jouets à Noël, je les suivais dans chacune des
pièces heureux de leur bonheur visible mais restais captivé
par tous les tableaux présents sur les murs. Redescendu
avec les autres, l’ambiance était rieuse et conviviale. Per-
sonne ne boudait le plaisir d’une plaisanterie et le travail
maçonnique n’était guère à l’ordre du jour, du moins pour
l’instant.
66
maçonnerie ? Difficile de partager ce que l’on est en train
de découvrir soi-même. Elles ont souvent ce rôle rassurant
d’accepter notre démarche sans l’approuver totalement mais
sans la réfuter. Une acceptation de confiance semblable au
principe que ce qui est bon pour leur conjoint, le sera cer-
tainement pour elle-même ou leur couple…
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que trop souvent nous leur tenons fermer ou tout juste en-
tre ouverte. Certains l’ont apparemment fait et leurs compa-
gnes semblent plus impliquées à leur côté.
68
celle-ci, demandent une attention soutenue qui ne favorise
pas de la même façon, les échanges aussi directs entre Frè-
res.
69
« On se retrouve seul, on a peur quelquefois et l'on regarde
autour de soi, guettant sur un visage un soupçon de ten-
dresse. Mais personne ne s'intéresse à personne, et ainsi
tout va de mal en pis.
Parfois le malheureux reste sur le tapis, comme à la vie plus
rien ne le rattache, il crève dans son coin, sans que nul ne le
sache. Un sourire pourtant l'aurait tiré de là. Sourions mes
amis, quittons ces airs trop las, faisons-nous l'amitié, si rare
à notre époque, de sourire pour rien, d'être aimable avec
n'importe qui, pour n'importe quoi ».
70
Chapitre IV
71
J’aimais de plus en plus mon ami, mon frère, c’était un
homme qui avait choisi d’aimer et d’adopter les conséquen-
ces de son nouvel véritable engagement. Là, il s’agissait
pour lui d’être père à nouveau, ce qu’il accomplissait avec
un réel bonheur tout en rouspétant à la fois. J’admirais sa
constance à l’effort, étant incapable moi-même de faire ce
qui avait entrepris. Pas vraiment dupe de l’admiration pour
lui à ce moment, tant celui-ci est souvent le solde de nos
propres déficits, j’avoue que j’étais un peu jaloux, tant il me
ramenait aux tendres souvenirs d’enfance de ma fille, Sté-
phanie. Loin de ses nouvelles obligations paternelles et di-
vers biberonnage, Il semblait prendre plaisir à cette balade
qui devait nous amener à la fête annuelle de notre loge pour
la Saint-Jean d’été ce 21 juin.
72
plusieurs raisons, la première d’entre elles, est que l’on
nomme traditionnellement ainsi « Loges de Saint-Jean »,
car toutes les respectables loges ou règnent « la paix, la
concorde et la charité » portent le même nom. L’opposition
des ténèbres à la clarté lumineuse qu’apporte la lumière
dans sa vérité, fonde la dualité des hommes travaillant en
conscience à leur amélioration. C’est un premier et véritable
travail à accomplir.
La seconde est que ces deux moments de l’année marquant
les solstices, sont l’illustration naturelle et symbolique du
Franc-maçon : la plus longue nuit d’hiver évoquant
l’obscurité, la perte de repère, la lumière disparue peut-être
pour l’éternité ? L’évocation de la mort….en revanche au
jour de juin qui sera le plus long. Nimbé de cette lumière
que procure le soleil, il s’élève dans le ciel depuis l’orient,
rappelant l’espérance pour celui qui la reçoit, à se trouver
après avoir chercher péniblement parfois, le début d’un
chemin.
De tout temps, cet astre reste l’expression du divin. Des
temps les plus reculés, des hommes des cavernes en passant
par les aztèques jusqu’à nos récentes civilisations, cette aura
de lumière est celle rassurante des bons présages, bienveil-
lante, elle est un refuge qui nous conduit au savoir, à cette
volonté d’amélioration de soi, à cette dimension que l’on
présume supérieure.
Elle révèle par la force de nos convictions, de nos croyan-
ces, sinon la part de religieux en nous-mêmes, plus sûre-
ment encore cette quête, ce besoin d’absolu.
73
C’est vrai qu’en Tenue, nous n’avons guère le temps de par-
ler de nous, nos vies, notre quotidien. Si le temps en Loge
est le temps des travaux, chacun a laissé sa vie profane et ce
qu’on appelle ses « métaux » au dehors du temple.
Là, c’est tout le contraire, épouses, compagnes, enfants,
bref, toute la famille est conviée à ce rassemblement. C’est
notre garden-party à nous ! Un véritable élysée mais dé-
pouillé, où tout n’est que simplicité et plaisir.
74
Ce sont dans ces moments où l’on pense au chemin parcou-
ru en maçonnerie et surtout à sa propre vie, à ce que cela
vous apporte, change ou plus modestement, modifie.
75
tion. Elle était attentive, mais je la sentais méfiante. Elle fut
surprise, un peu… il n’était-il pas évident de faire le lien
entre son père qu’elle connaît et la Franc-maçonnerie qui
reste un sujet abstrait pour elle. En tous les cas, j’ai senti
qu’elle avait plein de questions à me poser mais je décidais
de la laisser venir. J’ai pensé que c’est préférable ».
76
Couteaux et fourchettes s’étaient soudain tus, les quelques
personnes voisines de cette discussion prenaient conscience
que celle-ci allait sortir des poncifs habituels et peut-être
délivrer des sentiments plus évidents à comprendre.
« Jean-Baptiste a raison, je vais tenter d’être concret et sur-
tout honnête. Même si tout ne s’explique pas, il est indénia-
ble qu’en moi, des changements notables dans la façon
d’aborder les choses et de les appréhender ont considéra-
blement modifier mon comportement.
77
vient, mais ma façon de réagir s’est construite. Avant tout,
en retenant les leçons de mes propres expériences, ce que je
ne faisais ou n’étais pas capable de faire auparavant ».
« Vois-tu, continuais-je, ma grand-mère que j’adorais, avait
ce défaut qui vient souvent avec la vieillesse, de rabâcher au
quotidien des choses toutes simples. Pourtant, une parmi
d’autres, m’agaçait au plus au point. Dès que nous devions
sortir et qu’il pleuvait, elle répétait sans cesse : Bon sang, il
pleut, ça va encore mouiller !
Je lui répondais : Mamou, tu ne découvres plus rien de
nouveau là-dedans, oui, quand il pleut, ça mouille !
En fait, ce qui m’étonnait dans sa sempiternelle remarque,
était que l’on puisse tout une vie, revenir et ressassé ce que
l’on sait déjà.
Mon sentiment est bien différent. Une fois que l’on sait,
qu’on a appris quelque chose ou qu’un constat a été fait, il
faut le prendre pour acquit et ainsi pouvoir avancer. Retenir
la leçon des êtres ou bien des choses qui nous entourent,
apprendre, retenir et accepter permet de passer à la suite, à
avancer ».
« Indéniablement, l’exercice de la Franc-maçonnerie m’a,
sur ce point, aidé à me comprendre mieux et bien sûr, à
m’accepter ».
78
Mais alors, c’est une voix parmi d’autres, elle parle à cer-
tains et pas à tous. Et surtout, elle ne peut être réduit pas
qu’à ça ».
« Dans un autre ordre d’idée, il m’est arrivé de comparer
mon engagement à l’apprentissage d’une philosophie. J’ai
d’ailleurs une amie qui a fait un parcours intéressant en
pratiquant depuis de nombreuses années l’indouisme, et
nous avons trouvé, dans nos conversations des points de
convergence très intéressants.
Par exemple, concernant l’épanouissement de soi. Beau-
coup d’entre nous et plutôt dans nos civilisations occidenta-
les, considèrent cela comme futile ou au mieux, égoïste.
Seulement voilà, savoir être soi, chercher à se comprendre
soi-même est une étape indispensable au bonheur. C’est ce
que les orientaux appelle atteindre la paix intérieure. Ga-
gner cet état permet évidemment d’être mieux sinon d’être
totalement heureux, mais surtout d’être mieux avec les au-
tres.
Avez-vous remarqué le nombre de personnes atones, tristes,
parfois limite dépressives autour de nous, ayant perdues
toutes convictions et se laissant juste porter, attendant dès
le lundi que le prochain week-end arrive…pour vous avouer
pourtant que ce fameux week-end, elles se sont ennuyées à
mourir… Et qui pourtant, au détour d’une conversation,
n’auront de cesse de vous convaincre que de toute manière,
avant elles-mêmes, il y a les autres, leur femme, mari, com-
pagnon, enfants et amis. Bref, que l’important, pour eux, ce
sont les autres…
79
que peut-on attendre de quelqu’un qui va mal ? De quelle
nature est cet apport ? Quelle confiance peut-on recevoir
d’une personne qui précisément, dit ne pas se faire confian-
ce ? Que peut-on recevoir d’amour de quelqu’un qui ne
s’aime pas lui-même ? Que peut-on attendre de quelqu’un
qui n’a pas pris le temps de se s’entendre, de se compren-
dre elle-même ? J’ai des doutes, de très gros doutes !…
80
en cela qu’on peut la nommer voix de sagesse. Mais cela ne
peut être réduit à une recherche de bien-être uniquement.
Il convient que cette voix intérieure, concoure à la voix de
conscience par la voix spirituelle. C’est ça, être Maçon, mais
si le moyen consiste d’abord et avant tout travailler sur soi-
même pour sonder notre intériorité, l’objectif est de parve-
nir à un état de conscience de chacune de nos pensées, de
nos actes et tenter d’approcher la réalité de la vraie Lumiè-
re ».
81
quant de simplicité, à l’endroit où sa timidité se révélait, elle
préféra avoir recours à l’humour …
Je jouais le jeu avec complicité, attentif à ses remarques,
m’attachant au fond, plus qu’à la forme. Sciemment provo-
cante, elle posa d’ailleurs une dernière question ; « Mais
alors, dis-moi, ce que tu es en train de nous décrire, c’est
carrément une psychothérapie !? »…
Nous éclations tous d’un même rire. « Il m’est difficile de te
répondre à ça. D’abord je ne m’y connais en rien dans ces
choses-là. D’emblée je te répondrais non. Du moins pour le
sens que j’en connais, car ce ne peut-être l’objectif recher-
ché d’une démarche initiatique. En revanche, on peut bien
admettre que si l’idée présente de « l’édification d’un tem-
ple symbolique universel » additionnant les pierres repré-
sentées par tous les frères qui y travaillent, on peut convenir
que l’introspection personnelle que nécessite une telle en-
treprise pour que se fonde « un collectif d’harmonie et
d’amour », peut s’apparenter à une sorte de psychothérapie
pour certains d’entre nous, notamment par ce quelle nous
révèle ».
« Disons que l’objet est absolument différent mais que les
moyens et les voies utilisées peuvent amener à y voir quel-
ques similitudes…un peu comme Monsieur Jourdain qui
faisait de la prose sans le savoir… ».
« Eh bien, vaste programme, messieurs ! » Claudine conclut
la conversation par cette pirouette mais insista pour me dire
l’intérêt qu’elle aurait à reprendre celle-ci.
Quand tu le voudras …pensais-je, car elle était jolie Claudi-
ne, avec ses yeux noirs pétillants des femmes malicieuses
qui s’appliquent tantôt à s’aligner au fonctionnement des
hommes, tantôt à bien marquer leurs différences surtout
82
quand ça les arrangent, tout cela avec une précision inso-
lente qui lui donnait du chien.
83
La petite Alfa roulait plein vent, le soleil jouait de ses reflets
sur les bordures chromées du pare-brise, nous aveuglant
parfois au point que je proposais à mon ami de nous arrêter
quelques instants
C’était dans un virage. Mauvais arrêt, presque dangereux.
Mais qui pourrait passer là, dans cet endroit perdu de cam-
pagne où, depuis plus de dix minutes, nous n’avions croisé
personne ni même une seule auto ! Silencieux, nous étions
à contempler avec Jean-Baptiste la campagne à perte de vue,
ces collines doucement vallonnées d’où monte une légère
brume de chaleur accumulée. Puis, vint le couché de soleil
que nous regardions comme deux grands dadais, là-bas vers
l’occident, à l’opposé de cet orient magique et prometteur.
Cette journée avait été sublime et douce, les frères étaient
heureux et moi aussi.
84
Chapitre V
85
Cette lumière est son idéal. Pour certain, elle peut se limiter
à soi. Pour d’autres, elle est évocatrice de l’Etre supérieur
qui nous gouverne, le Grand Architecte de l’Univers. Peu
importe au fond, elle constitue ce qui relie les hommes de
bien aux autres hommes. Par là, se créé l’obligation de
comprendre en conscience chacun de nos actes, travailler à
être dignes par une conduite irréprochable chaque jour, à
cultiver cet idéal. Bref, habiter en cœur et en conscience
notre existence pour donner du sens à la vie.
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Après les échanges protocolaires dus à leur rang, divers dis-
cours sur la Fraternité des hommes furent échangés et ren-
forcés par le fait que sans partager la même langue, nous
recevions le message au cœur. Il est effectivement à ce point
incroyable que sans parler le français ni le comprendre, leur
comportement, visage et sourire portaient la conviction de
leur message. J’ai cru même un moment que je connaissais
le danois !...
C’est dans ces instants là que nous nous sentons plus
Franc-maçon encore. Prendre la mesure, quelque soit votre
origine, nationalité ou niveau culturel où social, que vous
partager des valeurs du cœur les plus fortes qui unissent les
hommes, c’est une communion spirituelle que je vous invite
à connaître un jour. Ces moments sont rassurants pour moi
mais bien plus encore lorsqu’ils expriment ce en quoi je
crois.
Nos idéaux, nous les envisageons souvent sans constance et
c’est sans doute pour cette raison qu’il ne reste qu’au stade
de belles intentions… Les voir vivre par un groupe
d’hommes, signe une extrême vivacité et donc leur indénia-
ble vérité.
Le lien qui nous unis, jamais je ne l’ai senti aussi fort qu’en
étant compagnon. Tôt, j’avais l’envie de partager avec les
jeunes apprentis récemment initiés. Comprendre que cette
démarche que l’on nomme les Loges bleues et dont les trois
degrés universels sont Apprenti, Compagnon et Maître, ne
peut être une fin en soi mais un commencement. C’est lors
de mon élévation au grade de Maître que justement j’allais
le comprendre comme un ouvrier qui aurait lors de son ap-
prentissage, remplit sa caisse de tous les outils pour travail-
ler. Il me resterait alors qu’à me mettre au travail !
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J’avais été « élevé » depuis quelque temps déjà presque sans
m’en rendre compte hormis le merveilleux endroit où cela
s’était déroulé qui restait gravé en moi. Non pas que la cé-
rémonie qui vous fait « Maître » ne soit pas un souvenir par-
ticulier, fort et inoubliable, mais comme à l’école, si l’on est
studieux, les classes se succèdent presque naturellement,
sans à coup et le parcours s’accomplit de soi. L’avancement
en Franc-Maçonnerie est si personnel qu’aucun plan de
carrière ne pourrait s’y concevoir. Le moteur principal est
votre envie, votre capacité révélée à faire vivre votre enga-
gement, à travailler, visiter d’autres loges, d’autres rites et
par comparaison mieux comprendre le sien. C’est vouloir
comprendre ce qui n’est qu’intangible, presque invisible,
c’est chercher, persévérer et souffrir encore et encore, sans
fin…et l’accepter.
Mais à l’inverse, pourrait-on concevoir que l’homme puisse
trouver sa vérité ? Que tout ceci puisse avoir une fin comme
un bon film américain ? Tout est fluctuant, bougeant et in-
saisissable, nous courrons après nous-mêmes toute la
vie…mais nous cherchons. C’est là, la seule et unique ambi-
tion d’un Maître Maçon et plus on avance plus s’ancre les
vertus de l’humilité, du doute mais aussi, de la force d’une
conscience éveillée, petit début vers la sagesse.
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journées Portes ouvertes. L’idée en était simple, visite de
nos lieux par le public le plus large possible qui ainsi, pren-
drait mieux la mesure de ce que nous étions vraiment. Ces
actions ou plutôt ces démonstrations simples, sont efficaces,
car nous sommes au contact du public et il peut nous inter-
peller selon ces besoins, sa curiosité en toute spontanéité
concernant la réalité concrète de la démarche maçonnique.
Il nous restait à mettre en œuvre une sorte de fil rouge.
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Un autre de nos frangins, musicien talentueux finaliserait la
bande son afin que l’animation puisse donner un spectacle
de qualité, vrai et sensible…
Le jour dit était très vite arrivé, nous étions prêts. Non seu-
lement le public avait répondu présent mais il était partout.
Les Temples de l’étage et du rez-de-chaussée étaient bon-
dés ! Dans les salles de restaurant, des frères expliquaient
l’Agape, ce prolongement du travail réalisé en atelier autour
d’un repas fraternel. Les gens découvraient ainsi la mise en
place de la table reconstituant la Loge. Mais aussi, dans le
bureau du Grand Maître Provincial, jusque dans la biblio-
thèque, les frères animateurs présents répondaient avec leur
cœur, aux multiples questions posées.
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Puis les visiteurs entraient dans le temple. Ils semblaient
tous impressionnés par ce lieu étrange, chargé de symbole
sur les murs qu’ils devinaient à peine tant la pénombre les
accueillait, un grand silence aussi. On les accompagnaient
pour les installer de part et d’autre du grand carrelage noir
et blanc appelé pavé mosaïque, semblant prendre place eux
aussi comme des Frères l’auraient fait.
La bande-son accompagnée de différents mouvements mu-
sicaux s’élevait, faisant renaître Mozart et son génie…Tous
les spectateurs présents étaient attentifs. Leur recueillement
les renvoyait à l’histoire des Hommes…à leur propre histoi-
re. La voix des témoignages enregistrés de frères expliquant
ce qui les avait amené à rejoindre la Franc-maçonnerie,
ponctuait et illustrait ce voyage hors temps, cette ballade
dans l’intimité où chacun peut s’écouter au plus profond de
lui-même. L’émotion montait à son comble lors de la chaîne
d’Union qu’à la fin de cette animation, une simple invitation
proposait. Déjà, tous s’étaient levés et spontanément pre-
naient la main de son voisin et pouvait écouter une sorte de
prière que font les Maçons dans un de leurs rites: “Le toast
du Tuileur” :
« A l'heure où nous allons nous séparer momentanément,
recueillons-nous un instant, et tournons nos pensées vers
tous les Francs-Maçons du Monde. Souhaitons à ceux qui
sont heureux et puissants, la sagesse et la modération dans
l'usage des biens de ce monde... Souhaitons à ceux qui sont
malades ou malheureux, la santé et le retour au bonheur.
Enfin, à ceux qui vont nous quitter, à ceux qui vont connaî-
tre l'ultime initiation que le Profane appelle la Mort, souhai-
tons leur courage et force devant l'Eternel Orient »...
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L’un après l’autre et sans discontinuer toute la journée, les
groupes s’étaient succédés… A voir tous les visages de ceux
qui sortaient du Temple, les arrivants supposaient le char-
me indicible qui avait à l’évidence opéré et se montraient
curieux et impatients du spectacle.
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quelques heures de marche. Fatiguée, mais le sentiment
plein d’avoir méritée votre arrivée au sommet, vous savourer
le plaisir d’un paysage à l’horizon époustouflant…Mais,
l’est-il vraiment en fait ? Pour vous, à coup sûr. Pourriez-
vous pour autant partager ce sentiment et l’émotion qui est
la vôtre en le racontant ? »
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fication de ces rituels maçonniques ? Que vient-on faire
en Loge ?
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l’impression du contraire. Comme un oiseau posé à quel-
ques centimètres, je retenais mon souffle de peur qu’il ne
s’envole…Mes doigts enserraient mon verre à le casser. Elle
s’était approchée au point de comprendre l’appel, je déci-
dais de croiser son regard à mon tour en me retournant. Je
n’en eu pas le temps, sa main tapota mon épaule :
« Bonjour, moi c’est Marie, je n’ai pas osé vous interrompre
tout à l’heure mais j’avais une question… », « Bien sûr, que
puis-je pour vous ? » Faisais-je en plus de l’étonné… « Je
suis venue avec une amie intéressée par la Franc-
maçonnerie et surtout pour comprendre ce que c’était et
qu’y faisaient ces hommes depuis tant d’années. Ma ques-
tion est toute bête. Pourquoi n’y a-t-il pas de femmes ? ».
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« Alors, ces femmes, reprit-elle, elles ont une petite pla-
ce ? ». J’étais à l’exacte croisée des chemin de ce type de
situation, où, tout en maudissant de vous sentir prisonnier,
dans l’instant d’après, vous y trouver un certain bon-
heur….à l’abandon.
Spectateur obligé, on est tout à coup plus réceptif à l’autre
et à ce qui se passe. Cette femme était belle. Physiquement,
sa silhouette longue était élégante. Son esprit acéré mais
bienveillant soulignait un caractère bien trempé. Et surtout
sa voix, posée et d’un calme…presque énervant. Bravache,
elle paraissait timide presque fragile. La dépassant, sa force
de caractère l’incitait à relancer l’échange. J’enchaînais les
yeux dans les yeux : « Mais les Femmes ont toujours été pré-
sentes en Franc-Maçonnerie…même si elles y sont entrées à
la dérobée dès le XVIIIème siècle! Au fil du temps, elles se
sont construit une juste place.
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« Un peu court, jeune homme !... ». Me lança Marie, ajou-
tant : « Me permettez-vous de vous appeler Jean ? ». Je ré-
pondis oui. « Alors Jean, pourquoi avez-vous choisi une
obédience exclusivement masculine ? ». « Marie, en premier
lieu je dois vous avouer qu’un profane, s’il choisit de nous
rejoindre librement parce qu’il partage nos idéaux, ne fait
pas pour autant un choix d’obédience. Il suit celui qui l’a
parrainé tout simplement. Au début, lorsqu’il a été initié,
tellement de choses se sont offertes à lui : symboles, rituels,
codes…bref, tout est compliqué et difficile à assimiler. Plus
avancé sur son cheminement maçonnique, il lui sera loisible
de choisir, d’abord le rite qui lui convient le mieux et bien
sûr, l’obédience qui répondra le mieux à se aspirations. Un
Franc-maçon restant avant tout, un homme libre…et de
bonnes mœurs.
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Ce moment est rare. Il le devient au fil d’un long processus,
au contact de ses frères et aussi d’un travail sur lui même,
que le temps seul, permet d’apprivoiser. Mais si une femme
devait alors se trouver là, il y a fort à parier que le charme
exquis du sexe opposé, perturberait quelque peu le com-
portement et sans doute, inconsciemment cet homme qui
serait à son contact ».
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elle répondit à son portable, raccrocha et me dit : « Mais je
crois qu’on en reparlera une autre fois, il faut que j’y aille ».
Puis elle s’est éclipsée aussi vite qu’elle était arrivée, comme
un coup de vent.
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Maîtres, nous avions à offrir le meilleur de nous-mêmes,
ensemble, sans retenue et comme des ouvriers qui auraient
passé leur temps d’apprentissage à remplir leur caisse à ou-
tils, aujourd’hui, ils semblaient commencer à savoir s’en
servir…tout juste.
A suivre...
100
CHAPITRAGE
Chapitre I
Il était une fois…
Chapitre II
L’initiation et le temps du silence…
101
ment accompagnent celui-ci dans sa démarche. Il en saisira
plus tard le sens, mais pour accepter d’être écouté, il faut ac-
cepter cette modalité : goûter au silence pour descendre en
soi-même et peut-être, « entendre » ce que l’on est vraiment...
Chapitre III
Le temps des questions…
Chapitre IV
Dessine-moi une Etoile…
102
Chapitre V
Vous avez dit Maître ?
Chapitre VI
Ce qui ne s’expliquera jamais…
Chapitre VII
De l’ordre et du chaos…
103
Epilogue
Si compliqué de faire simple…
104