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JOURNAL DU CŒUR

D’UN FRANC-MAÇON

Un secret sans mystère

Jak BOAZ

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2009 -2010

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PREAMBULE

On a tous entendu parler un jour de la Franc-maçonnerie.


Société secrète, chargée de mystères agrégés au fil de l’histoire
d’hommes de bien, depuis le moyen âge en passant par le siè-
cle des Lumières ou simple volonté discrète d’être avant tout
une démarche pour tenter la rencontre avec soi-même ?…

« C’était un soir de 1998, à la suite d’une conférence humanis-


te menée par Patrick KESSEL alors Grand Maître du Grand
Orient de France et fils de l’écrivain, qu’il m’avait semblé im-
portant d’en savoir plus et pourquoi pas, tenter d’entrer en
Franc-maçonnerie.
Une fois encore, j’allais m’apercevoir qu’il faut vivre les choses
afin de pouvoir s’en étonner peut-être… »

Loin du traitement connu de ce sujet autour des mystères et


du sensationnel, ce témoignage largement romancé, souhaite
vous faire découvrir ce dont on ne parle que peu ou mal :
pourquoi devient-on franc-Maçon, que fait-on réellement en
Franc-Maçonnerie et quels changements profonds cela peut-il
opérer sur une femme ou un homme.

Véritable journal intime comme si vous y étiez, vivez cette


aventure au cœur de la Franc-maçonnerie pour en saisir, si-
non les codes et ses « secrets », le sens et la profondeur d’une
démarche humaine transmise depuis des siècles.

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« Le seul véritable voyage, ce ne serait pas d’aller vers
de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux »

Marcel PROUST

Chapitre I

Il était une fois…

Au sol, les pavés brillaient du reflet de cette lumière verte


que font les lampadaires urbains quand la nuit est installée.
Mon pas était assuré. Malgré la pluie, on était loin d’une
ambiance singing in the rain d’autant que j’avais oublié de
prendre le parapluie. Seul, le bruit des talons de rares pas-
sants pressés de rentrer chez eux, m’accompagnait.
Ce soir, je me rendais à cette convocation que j’avais reçu
quelques jours auparavant. L’adresse du rendez-vous don-
né, n’était en fait qu’à une dizaine de minutes de marche
depuis mon domicile...

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À l’heure dite, j’étais arrivé. Le 33 était une cour sombre
qu’il fallait franchir sans aucune indication apparente. Bon,
je ne m’attendais pas à une enseigne sur laquelle aurait été
écrit « Franc-Maçonnerie, bienvenue au club !», mais quand
même, c’était plus que discret.

Je sonnais, un bip déclencha la grande porte d’entrée,


j’entrais. Dans le hall où quelques vitrines exposaient des
objets maçonniques, un des types qui montaient et descen-
daient un grand escalier l’air très affairé, me jeta : « Salut
mon Frère ! ». Je me demandais où je mettais les pieds. Mon
frère ? Frère de qui ? De quoi ? ça démarrait fort, il ne man-
querait plus que ce soit une secte !
Il avait dû se rendre compte de sa méprise et rectifia :
« Monsieur, c’est pour quoi ? ». Je lui indiquai que j’avais
été convoqué. Il acquiesça aussitôt en ajoutant : « Attendez
ici, quelqu’un va venir vous accueillir ». J’attendais patiem-
ment avec l’idée de repartir qui me traversa l’esprit quand
arriva un grand gaillard avec une voix douce et posée :
« Bonjour, je m’appelle Bernard, nous sommes heureux de
vous recevoir, je vous propose un verre de bienvenue en
« salle humide ».

« Salle humide », ça m’a fait penser cave ou cachot. Faut


dire que j’étais mûr pour penser n’importe quoi à ce mo-
ment-là. Intrigué sans être inquiet mais quand même un
peu plus rassuré lorsqu’on accéda au bar après une porte
battante. C’est ça la « salle humide », le restaurant et le bar !
Son éclairage chaleureux m’invitait autant que les mines
réjouies de ceux qui étaient là.

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« Bonsoir, vous êtes Jean ? Tenez, prenez ce que vous vou-
lez, je reviens dans quelques instants »… Même si j’avais été
mis à l’écart dans la salle, ma curiosité m’obligeait à obser-
ver, tenter d’écouter les conversation dont je ne captais pas
grand chose et moins encore, le sens complet de leur
conversation.
Rapidement, je lançais un regard à l’autre bout du bar.
Quelques hommes en costume sombre, chemise blanche et
cravate noire, discutaient, prenant l’apéro debout contre le
bar. Habillés comme ça, on aurait vraiment dit des pin-
gouins, entre garçons de café et musiciens d’orchestre…
Lumière tamisée, l’ambiance de ce qui m’apparaissait com-
me un club pour homme un peu à l’anglaise, était celle de
joyeux quadras parlant boulot, de leurs familles et de leurs
gosses… Bizarre, anachronique parfois mais pas vraiment
dangereux en fait !

Adossé au fond du bar en train de siroter un martini, une


main se posa sur mon épaule. « Vous êtes Jean ? Bonsoir,
venez et suivez moi » furent les seuls mots d’accueil. Je fi-
nissais mon verre avec empressement et le suivis. On em-
prunta un couloir qui avait le charme d’une caserne au car-
relage à damiers noir et blanc. Le long du mur, étaient ac-
crochés des portraits d’hommes sans doute importants au
vu des décors qu’ils portaient. Colliers, tabliers, médailles,
ils me rappelaient mon service militaire…On entra dans une
pièce, le silence était pesant. « Je vais vous passer un ban-
deau sur les yeux…Voilà, il est bien mis » et s’assura que je
ne voyais rien. Noir absolu, j’étais aveugle. « Restez là, Ber-
nard vient vous chercher dans un moment ». Comme si
j’allais bouger, privé de la vue dans un endroit qui tout à
coup devenait hostile.

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Tout de suite mon nez avait pris le relais. Une odeur de
craie ou celle d’une classe d’école qui aurait été fermée
pendant les vacances. Malgré tout, je me sentais calme et
confiant, enfin, c’est ce que je me disais fort pour me rassu-
rer.
Les mains moites étaient la vérité de mon état, j’entendais
mon cœur, un peu trop. C’est long, très long, au point que
j’essayais de deviner jusqu’à la couleur du papier peint pour
passer le temps.
Des pas lointains dans le couloir, c’est pour moi… Des voix
qui s’éloignent, des rires, des gloussements puis, à nouveau
le silence.
« Qu’est-ce que je fous là ? » Je n’eus pas le temps d’y réflé-
chir vraiment, tout à coup, la porte s’ouvre, Je reconnais la
voix douce de Bernard. « Voilà, comment cela va se passer,
nous allons ensemble rejoindre une salle où vous serez assis
au milieu de gens qui vous poseront des questions, il
conviendra d’apporter des réponses spontanées, sincères et
sans malice », il ajouta que mes yeux resteraient bien sûr
bandés jusqu’au retour. Curieusement, ce qui sonnait à
mon oreille était sa façon parfois de s’exprimer, ou plutôt le
français employé. Cela me faisait penser à des tournures de
vieux français, presque désuètes. « C’est ok ? » conclut-il, je
répondis oui. « Alors, tenez vous fermement à moi, et faites-
moi confiance, marchons !».

Il m’aida à me lever de ma chaise puis, comme ces infirmiè-


res qui vous tiennent le bras pour faire prudemment quel-
ques pas, il me guida dans les dédales du bâtiment.
J’essayais de réaliser la marche que j’effectuais, comptant
jusqu’à mes pas, tournant là à gauche puis ensuite à droite.

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Très vite, je perdis le sens de l’orientation et me retrouvais
totalement guidé.

Un dernier escalier en colimaçon, soudain, une porte fer-


mée devant mon nez. On s’arrêta net. Il frappa curieuse-
ment mais fermement ; on parla et l’on vint nous ouvrir.
« Accompagnez le profane au centre, donnez lui un siège et
assurez-vous qu’il ne voit rien ». Combien étaient-ils autour
de moi, impossible à dire mais en nombre important. Seuls,
des bruits de chaises au sol, de frottements de vêtements, de
bribes et de murmures inaudibles m’indiquaient la proximi-
té de ces gens à quelques mètres et moi au centre.
Un grand silence succéda au brouhaha de mon arrivée, la
voix qui semblait venir de la même direction dit alors :
« Monsieur, vous avez marqué le souhait de nous rejoindre.
Avant toutes choses et permettre de savoir si vous en êtes
digne, vous devez répondre à nos questions sans détour, en
êtes-vous d’accord ? »
Je disais oui comme un automate trop occupé à tenter
d’imaginer ce qui devait m’encercler. Des gens, ça, il y en
avait mais combien ? Impossible de s’en faire une idée. Mon
cœur battait fort. Le fait d’être assis ne l’aidait pas et cou-
pait ma respiration. Je tentais de regagner mon calme. Une
chose était sûre, ils me voyaient, me regardaient et me scru-
taient tandis que moi, pas.
Privé de lumière, je me sentais pour la première fois de ma
vie affaibli et me cramponnais à cette petite virgule de lu-
mière que faisait mon bandeau à la lisière du creux de mon
nez et de mes joues.
« Monsieur, qu’est-ce qui vous amène ainsi à vouloir nous
rejoindre ? » Dramatique ! Immédiatement, aucune réponse
ne me venait !

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Je me sentais aussi honteux que lorsque, écolier sur
l’estrade, il m’arrivait de rester muet à la question du pro-
fesseur, où le silence s’éternisait marquant lourdement mon
ignorance et surtout la leçon pas apprise. Retour en arrière :
ça n’était pas un hasard si j’avais reconnu l’odeur de la craie
et de l’école !

La question, si elle ne manquait pas de sens, provoquait en


moi une incapacité à exprimer le moindre sentiment où tout
du moins, réveilla cette gêne que l’on a parfois à dire les
choses tellement on les ressent.
Conscient que chacun des mots que j’allais prononcé avait
une importance, et s’il me paraissait plus simple de tout me-
surer et de contrôler ; là, pour le coup, la machine s’était
grippée et me laissait stupidement sans voix. À ce moment
précis, par ce détail, je comprenais combien dans mon exis-
tence, mes positions et convictions s’exprimaient davantage
par le filtre de la forme que par l’élan du fond et du cœur.
J’en fus gêné...

Pour être honnête, j’avais déjà été furtivement dans cette


difficulté, c’était lors d’un des entretiens préalables à cette
étape. On appelle ça les « enquêtes ». Trois rencontres avec
des frères désignés pour se renseigner et permettre un
compte-rendu sur l’éventuel candidat.
Comprendre leurs motivations réelles, leurs valeurs et la
quête qui les porte. De mon point de vue, cela s’était bien
passé, j’étais tombé sur des types très bien et brillant dans
des genres différents. Jacques avait été le premier. Nous
nous étions rencontrés dans un troquet de son quartier, et
la conversation s’était engagée rapidement.

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En fait, comme cela m’arrivait parfois, je prétendais à une
question en considérant dans la seconde suivante où je
l’avais posée, de son utilité… Victime d’une sorte
d’idéalisation abstraite, je m’attachais avec obstination à
l’idée toute faite d’un genre humain, entre fleur bleue et
ringardise. Un peu comme si, une fois monté dans un taxi,
vous aimeriez être d’emblée assez intime avec le chauffeur
au point qu’il puisse deviner l’adresse à laquelle vous sou-
haitez vous rendre…pas simple ! C’était un peu à l’image de
ma vie, réclamant d’autrui intensité et profondeur d’âme,
j’avais moi-même la consistance d’un bouchon de liège. Ré-
tif à tous ces gens qui se prennent au sérieux, j’oscillais gen-
timent entre légèreté, dérision et cynisme. J’appelais ça
« humour », on se rassure comme on peut.

Jacques, toujours en face de moi, m’avait entrepris sur tou-


tes sortes de questions les plus diverses. Celles auxquelles la
banalité de la vie quotidienne ne laissent plus trop de place.
J’avais le sentiment réel qu’il s’intéressait à ce que j’étais.
C’était très agréable, pourtant il me donnait la sensation de
se passionner plus encore pour ce qu’il disait. Non pas au
point de s’écouter parler mais un peu comme un prof…qu’il
était d’ailleurs. Je le découvris plus tard dans la conversa-
tion. Puis vint une question totalement saugrenue :
« L’amour fait-il parti de ta vie ? »
J’étais stupéfait par cette question. Stoppé net. Ramené
d’un coup à une sorte d’écoute primordiale. Qu’est-ce que
ce type d’un mètre quatre-vingt-dix que je ne connais pas
vient me parler d’amour ? Je tentais de m’échapper. J’ai ba-
ragouiné deux, trois banalités, famille, femme, enfant, ami-
tié… Ça avait eu l’air de le contenter.

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Sauf que là, j’étais au milieu d’eux, un bandeau sur les yeux,
assis sur une chaise et que la question me fut reposée avec
insistance : « Excusez-moi monsieur, mais pourriez-vous
nous dire ce qui vous amène ainsi à vouloir nous rejoin-
dre ?! »
À bien y réfléchir et par l’éducation que j’avais reçue, rien
ne me prédisposait un jour, à m’intéresser à la Franc-
maçonnerie et encore moins à imaginer la rejoindre.
D’ailleurs, je ne connaissais rien, ni de la franc-maçonnerie
et encore moins des francs-maçons. Où alors si, juste cha-
que année lors des vacances sur la plage au bord de la mer
lézardant au soleil, le magazine de presse sur la serviette
que vous lisez distraitement, contient toujours un article du
genre « La franc-maçonnerie, société et réseau secret » ou
mieux encore « L’argent et le pouvoir des francs-
maçons »…Bref, juste à lire pour participer à l’effort éco-
nomique de presse ! Pour le reste, rien à apprendre concer-
nant l’éventuel sens d’une telle démarche.

Enfant turbulent et imprévisible, auteur de toutes les bêti-


ses et coups tordus, j’avais fait suer tous mes professeurs et
instituteurs, aumôniers, chefs scout, bref, tous les symboles
d’une éducation « catho-classique ». Pas par conviction, on
s’en doutera. Sans être rebelle, j’étais plutôt le prototype du
petit morveux. Contre tout ce qui était pour et inversement,
j’en avais fait très tôt un principe…sans fondement. Mon
seul luxe, rêveur. Je l’avais toujours été. Sur mon carnet
scolaire, chaque mois était inscrit : élève indiscipliné, fai-
sant preuve de « mauvais esprit », doublé d’une sorte
d’absence parce que toujours dans les nuages !

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Être dans la lune était mon adresse, j’y étais bien, comme
ces écoliers qui ont le regard tourné vers la fenêtre mâ-
chonnant le bout de leur crayon.
Plus tard, une seule chose me révoltait, l’injustice. Pour le
reste, ce curieux sentiment de ne rien avoir jamais décidé de
ma vie, je m’étais habitué à me laisser porter par les événe-
ments…

Cette insouciance me quitta à l’adolescence par le décès


prématuré d’un père à l’âge de quarante-trois ans, suivi
quelque temps après par celui de ma mère. Les obligations
de l’aîné que j’étais, m’avaient contraint à devenir sage et
responsable, arrêtant net les frasques de l’enfance. Puis il y
eut des rencontres dans le cadre professionnel, des actions
militantes, des mandats sociaux, quelques engagements.
Parallèlement, un mariage pendant 18 ans, une magnifique
fille qui grandissait belle comme un soleil.
Puis un divorce, issue d’une histoire sans fin…juste pour lui
tenter de lui en donner une. Je crois que c’est à ce moment-
là que j’ai décidé de faire les comptes. Quarante ans passés
pour apprendre à compter, il était peut-être temps.

De la Franc-maçonnerie, je ne savais rien. C’est un pur ha-


sard que je l’aie rencontré. Le tout premier contact avait eu
lieu un soir de 1998, Une conférence était donnée dans un
grand théâtre de la ville, sur les rapports mondiaux nord-
sud. Celle-ci était menée par un animateur brillant et géné-
reux, Patrick KESSEL, le fils du célèbre écrivain...
J’apprenais incidemment ce soir-là qu’il était alors Grand
Maître du Grand Orient de France. Il avait disséqué les
grands questionnements géopolitiques de notre monde, ses
échanges déséquilibrés, ces injustices flagrantes sur une

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planète où, pourtant, les richesses ne manquent pas. Rappe-
lant que les systèmes sociaux malgré leurs complications,
devaient rester au service des hommes et non l’inverse. Ces
dissonances développées, racontées, argumentées avec pas-
sion et visiblement vécue par l’orateur, m’avaient touché en
plein cœur.

Je n’avais pas attendu un tel rassemblement pour agir moi-


même depuis longtemps dans des projets caritatifs, mais le
discours que je recevais ce soir-là me touchait particulière-
ment. Un cocktail succéda à l’intervention, des questions
furent posées par certains, une réponse en guise de conclu-
sion pourtant retint mon attention. « …Voilà, j’ai été ravi de
vous rencontrer, mais sachez que s’il s’agit de la fin de ma
conférence, c’est sans doute le début, pour vous qui m’avez
écouté ce soir, de comprendre et agir en conscience dans un
monde qui en manque !». Longuement applaudi, il quitta
rapidement les lieux, mais les échanges continuèrent avec
l’équipe d’organisateurs de la soirée. Ils dirent leur appar-
tenance à la Franc-Maçonnerie, et nous engagèrent à venir
les rencontrer si nous souhaitions continuer la conversa-
tion.
C’était la toute première fois que j’entendais parler de
Francs-maçons et de Franc-Maçonnerie, et il m’avait semblé
important d’en savoir plus. À la suite de quoi, j’avais pris
mon téléphone et appelé le numéro pour un rendez-vous,
tout est parti de là…

Comme une injonction, je fus brutalement ramené à la ré-


alité : « S’il vous plaît Monsieur, nous attendons votre ré-
ponse ! ». Je dis enfin : « Excusez-moi…Jusqu’à présent ma
vie s’est déroulée sans accroc, je peux même dire avec un

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certain bonheur. J’ai bénéficié d’une enfance heureuse, je
n’ai pas de revanche à prendre sur la vie. Je fais un métier
que j’aime, j’essaie de participer à ma mesure au bonheur
des autres, mais tout cela ne me suffit plus aujourd’hui. Il
n’y a pas de cohésion ni de sens réel à mon existence.
J’attends plus, je veux plus de cette vie qui s’écoule si vite
que souvent, je ne m’en sens pas totalement l’auteur. C’est
pour tenter d’en comprendre l’essentiel qui m’échappe,
c’est pour mettre de l’ordre aujourd’hui dans cette sorte de
confusion que je souhaite vous rejoindre…enfin, si cela
peut être… ».

Il y eut un silence et aucun commentaire ne vint troubler


celui-ci. Tout était venu d’un trait comme si le cœur avait
parlé plus vite que l’esprit. Puis d’autres questions
s’enchaînèrent : « Qui êtes-vous vraiment ? », « Etes-vous
croyant et si oui, en quoi ? », « La liberté est-elle pour vous
une vertu à défendre ? », « Votre compagne ou épouse est-
elle d’accord avec votre projet ? »…Venant de tous côtés,
j’étais interpellé et chacune de mes réponses appelait un
commentaire. Parfois, j’avais le sentiment et la légèreté de
vivre un match de ping-pong, à d’autres moments plus pé-
nibles, celui d’être un boxeur sonné sous les coups au cen-
tre du ring.
J’avais hâte d’en terminer quand surgit une dernière ques-
tion : « Monsieur, si nous vous acceptions au sein de notre
groupe, et qu’à visage découvert vous reconnaissiez quel-
qu’un qui, dans la vie profane aurait eu maille à partie avec
vous, accepteriez-vous de lui pardonner ? ». Je répondis
immédiatement : « Ça dépend !». Le silence qui s’en suivit
m’obligea à compléter : « Ça dépend du différend. S‘il s’agit
d’un conflit engageant seulement un préjudice matériel, je

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peux sans doute passer dessus, par contre si cela devait tou-
cher un individu, un proche, un ami, je ne pense pas ! ». Au
moment même de le dire, je prenais conscience que mon
commentaire n’était pas celui qu’on attendait. Pressentant
que répondre « cash » ne paierait paradoxalement pas, je
n’avais rien changé à ma réponse.
Quelques questions encore et l’on annonça qu’on allait me
raccompagner. On me remercia. Je quittais la salle en
déambulant à nouveau et me retrouvais vite dans ce qui me
semblait être le couloir d’entrée. Là, on m’ôta mon ban-
deau, me salua chaleureusement sur l’air de « on vous écri-
ra ». Le portail se referma derrière moi. Après tant de densi-
té, le vide, le froid de la nuit fraîche. Il ne pleuvait plus,
j’étais frigorifié, sans doute la tension qui retombait et la
fatigue accumulée aussi. En marchant de retour chez moi, je
repensais à cette curieuse soirée. En deux heures et quel-
ques phrases, j’avais plus parlé de moi qu’en toute ma vie !
Dans la rue, j’entendais mes pas et marchais hâtivement,
j’en avais marre et voulais me coucher. Quelques semaines
après, je recevais un courrier qui m’annonçait
« l’ajournement de ma candidature ». J’attends toujours !…

Un temps était passé, les obligations de la vie, son train ex-


cessif qui perd l’individu qui n’y prend pas garde, m’avaient
englouties. Oubliées les bonnes résolutions, mise de côté la
volonté d’un rendez-vous avec moi-même. Une inconstance
de plus, juste quelques fulgurances ; je m’en voulais. Sans
doute ni tenais-je pas autant qu’à me perdre ! Rien que de
bonnes excuses. Mon travail, la famille, mon épouse et ma
fille bien sûr, me demandaient de consacrer du temps, de
l’attention; mais l’exigence et le tourbillon des responsabili-
tés ne pouvaient me cacher l’essentiel : quand m’entendrai-

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je enfin ? Où aller chercher ce courage pour n’être qu’à
soi ?

Il a fallu un week-end que nous avions prévu de longue date


avec un couple d’amis. Partir ensemble pour souffler avait-
on dit. Quitter le gris de la ville pour le gris bleu des nuages
changeants de l’océan. Direction Biarritz. Nos compagnes
étaient dans un véhicule devant nous et moi avec Mathieu,
en suivant dans l’autre. Blabla boulot, blabla responsabilités
et projets professionnels, échanges convenus, passages où le
silence ronronnait autant que le moteur du véhicule, les
yeux parfois hagards à suivre distraitement les essuie-glaces
qui chassaient cette petite pluie fine qui accompagne sou-
vent un séjour au Pays basque. Puis Mathieu me posa une
question, « As-tu une passion dans la vie ? » je répondis oui,
qu’il s’agissait de l’art, de la peinture surtout qui permet de
m’évader de toutes contingences, d’élaborer mes rêves en
images, de rentrer aussi dans l’art et la création des autres.
De sentir la vie, mieux, le seul moment où j’avais le senti-
ment de respirer ma vie. J’avais été sincère et direct.

Je m’en voulais un peu de ne pas avoir spontanément ré-


pondu « ma fille !». D’avoir été surpris par cet élan, d’avoir
fait cette réponse personnelle, égoïste. Il avait dû sentir ma
gêne car il ajouta : « Tu sais, il est sans doute essentiel de
donner et d’apporter aux autres, à ceux qui sont importants
à nos yeux et à notre cœur, mais il est encore plus important
de l’être à nos propres yeux…Ne serait-ce que pour pouvoir
partager ou mieux donner ».
Ce genre d’argument elliptique m’agaçait toujours un peu et
réveillait curieusement en moi, une sourde colère. Vous sai-
sissez le sens général mais jamais réellement une explication

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tangible, une démonstration immédiate. Comme une bonne
recette efficace à appliquer, à consommer. Attente puérile
mais rassurante.
Je prenais la mesure que rien n’était décidément écrit,
comme parfois on le voudrait confortablement, comme lire
une feuille de route, la suivre et avancer dans sa vie.
J’entrevoyais bien que cette discussion était d’une certaine
façon, une boîte de Pandore que j’allais ouvrir et Dieu seul
savait où cela me mènerait…

J’avouais à mon ami m’être parfois perdu, disant même


l’avoir préféré afin de m’éviter…et surtout ne pas me trou-
ver. Je disais même que cette passion pour la peinture,
n’avait pas été poussée au bout, que j’entretenais avec elle
un lien très fort bien sûr, mais que jamais je n’avais eu le
courage d’aller au fond, pour voir qui j’étais enfin. J’avais
même usé de l’argument que la peinture des autres
m’intéressait bien plus que la mienne… Si ce médium si
précieux avait échoué, que pouvais-je sérieusement envisa-
ger alors ?

Les kilomètres passaient, la campagne basque présentait un


ciel dégagé plus nous avancions vers l’océan. Notre discus-
sion calme, mais parfois pressante me faisait du bien, rien
n’avait été négocié, et Mathieu ne m’avait guère ménagé.
« Chacun de nous, à son heure, se pose des questions de
fond et de sens sur sa propre vie. Ton acuité à constater ce
qui peut être apparenté à une sorte de fuite, et ta gêne au-
jourd’hui à la vivre tend peut-être, à démontrer qu’il est
sans doute l’heure d’un vrai changement. Pourquoi
n’accepterais-tu pas l’idée d’aller justement à ta propre ren-
contre ? ».

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Nous arrivions dans les faubourgs de Biarritz, la mer au loin
était grise et belle avec ses rouleaux cadencés, le ciel deve-
nait bleu, seuls quelques nuages récalcitrants étaient les
derniers témoins de ma colère passée. Seul subsistait à cet
instant précis, un embarras à essayer de saisir l’idée d’aller
vers soi…

Replié dans mes pensées, considérant les vertus de la sim-


plicité et sans doute de l’humilité, Mathieu m’avoua comme
un coup de tonnerre : « Jean, je suis franc-maçon, accepte-
rais-tu nous rejoindre. La conversation que nous avons me-
née ensemble me laisse à penser que cette expérience peut
t’être enrichissante et profitable. Réfléchis et donne-moi ta
réponse dans quelque temps. Si cela devait te tenter, sache
que j’en serai fier et serai ton parrain. Par contre, reviens
vers moi pour me le dire, car de mon côté, je ne t’en repar-
lerai plus, jamais ».
J’étais abasourdi. Je connaissais ce garçon depuis plus de
vingt ans, nous avions partagé ensemble par le passé, des
moments forts, lors d’engagements professionnels et avant
tout une profonde amitié. La fidélité trouvée en lui, m’avait
depuis longtemps, réconcilié avec les hommes, enfin cer-
tains. Mais jamais je n’aurai pu l’imaginer Franc-Maçon !
Mais en fait, je ne savais rien de sa vie et lui, si peu de la
mienne et pourtant, en quelques instants, dans cette voiture
lors de ce voyage, je m’étais livré à lui sincèrement. Rare-
ment dans ma vie, je ne m’étais laissé aller en confiance à ce
point. Il était Franc-maçon ! Sans saisir le moindre mot de
tout cela qui me rassurait dans cet instant à nommer
« hasard », j’avais le pressentiment de l’importance capitale
du moment. La vie parfois, nous fait faire mille circonvolu-

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tions pour vous ramener en un centre à la vitesse d’un
éclair. Ce dernier détail, je devais le comprendre. C’était
même urgent.

Le week-end était passé. Un peu de temps aussi, mais rapi-


dement je l’avais rappelé, j’avais besoin de lui poser des
questions. D’abord, ça veut dire quoi être Franc-Maçon ?
Pour quoi faire ?. Cela restait abstrait pour moi, d’ailleurs,
je ne voyais pas de rapport qui pouvait exister entre notre
conversation et la Franc-maçonnerie. J’attendais plus
d’informations. Je fus assez déçu. Il m’avait donné quelques
réponses qui ne pouvaient me satisfaire. « C’est difficile à
expliquer, il faudrait que tu le sois pour comprendre
concrètement. Rajoutant : Difficile car tout passe par toi-
même et ce que je pourrais t’en dire ou expliquer ne serait
pas d’un véritable intérêt… ». Une savonnette dans des
mains humides ne m’aurait pas mieux parlé ! Et j’aurai aimé
qu’on puisse me dire clairement ce que pouvait être un «
accomplissement de soi » par la Franc-Maçonnerie, et sur-
tout comment ?

Ainsi une démarche initiatique au sein de la Franc-


maçonnerie, et l’initiation plus précisément, serait de natu-
re à provoquer une radicale et fondamentale modification
de notre pensée et de notre être, de notre manière de pen-
ser et de notre manière de vivre.
Sentant ma frustration, Mathieu avait repris : « Bon, je vais
essayer de t’en dire plus ». Je percevais son embarras à ren-
dre concret, une chose qui ne l’était apparemment pas. Une
chose du cœur avant celle de l’esprit et une expérience sans
doute difficile à raconter, qui ne vaut que parce qu’on l’a
vécu.

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« Concrètement, il s’agit, comme le disent nos vieux rituels,
de passer des ténèbres à la Lumière. Et par cette lumière
qui nous illumine, de changer notre être et notre vie ». En
même temps reprit-il, « il ne s’agit pas seulement d’aller
vers la Lumière et de se reposer dans une vaine contempla-
tion, mais par celle-ci, de nous entraîner à une action plus
efficace et plus juste ».
« Il faut comprendre que le but essentiel d’une initiation
maçonnique est de changer l’homme que tu es pour
t’ouvrir, d’abord à toi-même et grandir. Et pour passer du
stade où tu te trouves à celui « d’homme nouveau », une sor-
te « d’homme conscience ». Il convenait donc, d’accepter
dans ce qu’il convient de nommer une renaissance symboli-
que, une nouvelle naissance et ainsi, de rendre possible cet-
te promesse de changement.
« Mais pour atteindre cet objectif, il convient que tu répon-
des et te soumettes à certaines conditions: La première de
toute initiation aux mystères de la Franc-Maçonnerie, est
d’être un homme « né libre et de bonnes moeurs ». La
deuxième condition, consiste dans une mort symbolique
que tu devras accepter. En effet, celui qui aspire à la lumiè-
re doit d’abord, dans une première épreuve, se dépouiller
de tout son passé, des préjugés que la vie profane a pu ac-
cumuler en lui. Il doit « mourir à ce qu’il était », redevenir
en quelque sorte un enfant, un « enfant nu ». Mais cette re-
mise en question, cette renaissance ne saurait se passer
n’importe où et n’importe comment. Elle ne peut s’effectuer
que dans un lieu séparé du monde et dans un temps diffé-
rent de celui qui est le nôtre au quotidien. Un espace et un
temps séparés, secrets, non pas dans un quelconque édifice,
mais dans un Temple sacralisé par le Rite lui-même. Com-
prends-tu ? ».

19
Pas vraiment. Pour moi, tout cela à entendre n’était que des
phrases abstraites, n’en saisissant pas grand-chose, je me
surprenais à être plutôt inquiet. Qu’est-ce donc que ce ri-
tuel qui vous fait renaître dans un lieu sûr et caché du mon-
de ? Sacré, avait-il même dit…
Toutefois, je ressentais confusément la présence d’une véri-
té dans ses paroles, sans en comprendre le sens, j’y sentais
intuitivement quelque chose en accord et de bon pour moi.

« Attention, continua-t-il profitant de mon attention, ce


n’est pas une décision à la légère. Se découvrir à ses pro-
pres yeux est sans doute passionnant mais souvent, une ré-
vélation brutale ou incommodante. J’ai vu beaucoup
d’hommes changer, se modifier pour gagner l’harmonie in-
dispensable à la réalisation de soi mais cette mutation ne
s’est pas faite sans difficulté.
Avoir le projet d’une initiation maçonnique est donc de
permettre à tout homme de devenir un « autre homme », un
homme véritable, c’est-à-dire de découvrir en lui ce qui est
sagesse, force et beauté. Trouver le chemin de sa propre
spiritualité, ce qui en soi est amour et vérité, rendre percep-
tible ce qui s’adresse au cœur en premier. Cependant, il ne
pourra y parvenir qu’en accomplissant dans sa recherche,
une action et une oeuvre qui sont à la fois la condition et la
raison d’être de ce dépassement. Il s’agit, une fois encore,
de savoir découvrir notre dimension « verticale » ou spiri-
tuelle, et de vouloir l’accomplir et la réaliser ».

Bénis des Dieux ! C’était l’exaltante impression que me fai-


saient les mots reçus de Mathieu. Vite, il me ramenait sur

20
terre, insistant sur le fait que toute démarche entamée
n’aurait de sens que si elle s’accomplissait jusqu’au bout.
« Comprends bien que l’initiation n’a d’intérêt que parce
qu’elle nous permet d’appréhender une certaine idée de
notre être et de la vérité qui le constitue. Elle n’a de valeur
que parce qu’elle est une découverte, liée à une démarche
elle-même vécue, que l’on peut qualifier d’existentielle. Si
l’émotion poétique consiste dans une sorte de perception
naissante en une tendance à voir le monde autrement,
l’initiation s’offre alors à toi comme une façon originale de
percevoir et d’appréhender autrement l’Univers et les
hommes comme nous-mêmes ».
Il conclut sa très longue réponse en citant Marcel Proust
dans « A la Recherche du Temps Perdu : « Le seul véritable
voyage, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages,
mais d’avoir d’autres yeux ». « De la même façon, Jean, la
vocation de l’initiation maçonnique est de nous apprendre à
voir différemment, sinon de nous donner « d’autres yeux ».
Bref, de nous donner un autre regard, sur les autres mais
surtout et avant tout, sur nous-mêmes. Cette nouvelle façon
de voir, constitue une conversion de notre âme tout entière
et doit entraîner un changement profond en nous pour mo-
difier notre vie ».
J’avais reçu ses paroles studieusement et avec application,
c’était bien le moins que je pouvais faire après mes ques-
tions. Ce que j’ignorais encore, c’est que celles-ci où plutôt
les réponses qu’avait faites Mathieu, allaient bousculer en
moi des idées bien ordonnées, rangées et à ce moment en-
core, tranquille.

D’un coup, j’étais embarrassé, n’étant pas si sûr au fond de


vouloir m’exposer, « m’ouvrir » pour aller à la rencontre de

21
moi-même… J’entrevoyais sans doute, inconsciemment le
prix. Et cette idée ne me rassurait en rien. Il m’était venu
l’idée d’en parler, oui, mais à qui ? Vous êtes interpellé par
un sujet auquel vous ne vous attendiez pas vraiment, vous
ne connaissez rien ou pratiquement, à propos de celui-ci ;
vous avez par moment la sensation de rentrer dans la troi-
sième dimension et votre réflexe serait d’en parler,
d’échanger. Oui, mais de quoi précisément et surtout avec
qui ? Et pour quelle réponse d’ailleurs. Non, je refermais
tout cela en moi de cette façon de faire que je me connais-
sais bien. Tout cela avait participé à me perturber…mais pas
au point de me faire renoncer, bien au contraire.

J’avais besoin néanmoins de faire le point et les jours sui-


vants, j’appelais au numéro de téléphone que l’on m’avait
communiqué afin de poser ces questions qui, insidieuse-
ment s’installent en vous. Jovial, Yves me répondit. Il était
avocat et s’attendait à mon appel. « Écoute mon ami, le plus
simple serait que tu viennes au cabinet, nous pourrions par-
ler de tout cela et surtout répondre à tes questions ». Il ajou-
ta : « Mardi, 18h, si s’était possible ce serait bien. Je
t’explique, un autre profane souhaitant nous rejoindre doit
passer me voir dans la soirée au même moment. Ce sera
pour vous l’occasion de faire connaissance».

Le mardi suivant, à l’heure dite, j’entrais dans la salle


d’attente de l’avocat. Deux autres types étaient là. Lequel
était le mien ? J’avais beau les détailler leur attribuant des
points sur la base de critères ridicules pour tenter de le de-
viner, les deux me semblaient être des candidats potentiels.
« Non, celui qui a des chaussettes rouges, ça colle mal » me
disais-je, « et puis ses cheveux en brosse…oui, mais l’autre,

22
il a ce côté « caliméro » tombé du nid… ». Je me calmais vite
de ces à priori stupides à l’instant où je croisais leur regard,
ils m’inspectaient à leur tour et devaient faire exactement la
même chose…
Dentiste, toubib, coiffeur, avocat, c’est fou comme il y a des
professions où les types sont incapables de vous prendre à
l’heure ! Une quarantaine de minutes s’étaient écoulées,
puis, l’un des deux fut reçu. Clair, c’était celui qui restait.
N’y tenant plus, je l’interpellais : « Bonsoir, vous venez pour
rencontrer Yves ? ». Il répondit sèchement par l’affirmative,
avait-il lu mon regard au point de s’y voir caliméro ?
« Allez, entrez, asseyez-vous » dit Yves qui était venu nous
chercher et comme pour bien appuyer, il ajouta : « je n’ai
pas été trop long !». Là, je compris définitivement qu’un
Franc-maçon, quel qu’il soit, reste avant tout un homme !...
Il fit les présentations : « Jean-Baptiste, Jean, je suis heu-
reux de vous recevoir et avant tout, j’ai quelque chose
d’important à vous dire ». On échangea un regard
d’incompréhension. « Vous allez être initié ensemble, en
clair, vous serez « jumeaux » en Maçonnerie ».
La dimension du détail nous échappait, et nous étions tous
deux, très éloignés du grand bonheur signifié par son souri-
re béat, lorsqu’il nous annonça « cette importante nouvel-
le ».

Puis on posa des questions sachant qu’on n’aurait pas de


réponses directes. Ça tombait bien, cet avocat était incapa-
ble de répondre à une simple question. De l’art de l’ellipse
et de ses secrets maçonniques… Tout en transposition, par
images, bref, le truc incompréhensible. Cela, ponctué de
temps en temps par un clin d’œil entendu, du genre, on
s’est bien compris ! Un avocat brillant, quoi !…et adorable

23
aussi. En quittant le cabinet, Jean-Baptiste m’avoua la mê-
me difficulté à suivre parfois la discussion, aussi, décidions-
nous d’aller dîner ensemble.

La soirée s’était écoulée sans qu’on y prenne garde, le plai-


sir était partagé, il était fort tard. Ce garçon était charmant,
simple et franc. Nous partagions les mêmes vues sur la vie et
plein de points communs. Tout de suite, il m’apparut d’une
grande sensibilité, n’intervenant qu’à bon escient, presque
timide. Il me rappelait mon père. Un type qui gardait et en-
tassait en lui avec une formidable capacité de retrait en tou-
te chose, ne laissant filtrer que de rares émotions dans une
façon toujours calme de s’exprimer, mais dont on supposait
quelque part des orages à venir…le feu sous la cendre. Cette
rencontre restera longtemps dans ma mémoire et, décidé-
ment, mon « caliméro » et futur jumeau me plaisait beau-
coup !

Les quelques jours suivants, j’avais décidé de garder pour


moi les secrets de cette discussion et de tenter de faire le
point sur toutes ces choses, tous ces sentiments nouveaux et
brouillons. Ma vie de famille était un refuge, une manière
de ne pas revenir sur le sujet et de m’accorder une pause. Je
ne me sentais aucune vocation mystique, je ne nourrissais
aucune curiosité de bazar, pourtant, celui-ci revenait sans
cesse.
Sans doute, accepter d’aller à ma propre rencontre était le
sentiment le plus fort, ma décision étais prise, je deviendrai
Franc-maçon. Pour mieux décanter les échanges que j’avais
eu lors de ces dernières, je décidais d’en connaître plus sur
le principe de l’initiation. Retrouver ces temps perdus où
celle-ci faisait partie et marquait la vie des hommes. Des

24
temps éloignés mais pas si perdus que cela en fait. J’allais
découvrir que si nous ne pratiquions plus ces « passages »
initiatiques dans nos contrées, d’autres cultures, d’autres
pays, en avait fait le ciment de l’avancement des hommes
mais aussi de leurs traditions qui faisaient leur histoire,
marquant ainsi leur identité pour finalement témoigner du
sens de l’Humain.

25
Chapitre II

L’initiation, le temps du silence…

Initiation. Ce mot qui était encore presque inconnu pour


moi il y avait quelques semaines à peine, m’avait incité à des
recherches que j’avais effectuées pour mieux en compren-
dre l’histoire et le sens. Celles-ci me permirent de prendre
la mesure de nos « évolutions sociétales » comme ils di-
sent…mais à la baisse !
En effet, les occidentaux ont depuis longtemps perdu le
sens de certaines valeurs sans doute parce que les passages
marquants d’une vie d’homme ont disparu, leur faisant per-
dre des repères essentiels mais aussi, les vertus de l’instant

26
présent, éperdu à vivre toujours soit dans le passé ou dans
l’avenir. Si souvent l’homme d’aujourd’hui obéit, grandit,
exige, gère, planifie, vit en couple, dépense, s’ennuie, rem-
plit, court, consomme, réussit, dépasse, gagne et vieil-
lit…rarement, il regarde, il écoute, il profite, il s’inscrit dans
des plans de progrès, met à profit, accepte résigné… Plus
rarement encore, il décide et agit « en conscience », prenant
ainsi la réelle mesure du monde et de la nature qui
l’entoure afin de recevoir pleinement ses bienfaits et les
transmettre à son tour. Bref, aimer et vivre !

Par le passé, ces « passages », ces rites initiatiques partici-


paient à cette prise de conscience de la relation à la vie, à
l’univers, à ses croyances et concourraient à tenir sa propre
place dans une famille, un clan, une société. Il est curieux
de constater la présence encore très forte de rites de passa-
ge ancestraux dans certaines régions du monde, notamment
dans les pays africains.
Le plus classique étant celui qui célèbre le passage du mon-
de de l'enfance à celui de l'âge adulte. Considéré jus-
qu’alors comme asexué, le jeune adolescent va devenir une
femme ou un homme reconnu et prendre sa place d'indivi-
du à part entière au sein de la communauté. Mis en retrait
de la tribu pendant un temps variable, il reçoit durant cet
éloignement un enseignement sur ses devoirs futurs et doit
aussi subir des épreuves parfois très douloureuses. Son
courage et sa détermination seront rudement mis à
l’épreuve pour mériter le droit de se nommer "membre".
Cette période terminée, l'initié devra jurer de garder le se-
cret sur ce qu'il a vécu et appris. « Le temps de l'enfance
n'est plus, celui de l'homme qu'il devient pour tous est ve-
nu, un homme nouveau qui vient de naître ».

27
Le fait d’avoir ainsi grandit le portera à s’occuper des plus
faibles, des plus démunis. De s'occuper du culte des ancê-
tres, d’entretenir et de garder les légendes et histoires orales
de la tribu. Je retrouvais bien là, les termes exacts des expli-
cations lors des discussions avec Matthieu sur la Franc-
Maçonnerie.

Comme en Franc-maçonnerie, s’il s’agit moins là d’une ini-


tiation « primaire » que primordiale permettant de trouver
sa place au sein d’une communauté, il existe aussi des
« hauts grades » que seuls certains, par leur travail et volon-
té, pourront atteindre. En Afrique, si les initiés des « grades
supérieurs » sont connus de la tribu, il n'en est pas de mê-
me des savoirs qu’ils détiennent qui ne peuvent être divul-
gués en dehors d'un cercle autorisé. Dans certaines com-
munautés, celui qui trahirait son serment serait passible de
mort !

Là, aussi, des signes, attouchements et mots de reconnais-


sance permettent de se reconnaître et d’échanger en toute
sécurité. Ces initiés ont aussi vocation à conserver les lé-
gendes orales et traditions qui font l'histoire et l'identité des
tribus. Ils en feront de même pour leurs connaissances mé-
dicales, leurs savoirs sorciers et leurs nombreuses croyances
tout en étant reliés aux « esprits des ancêtres ». Il leur est
alors possible de devenir un lien entre le monde des morts
et celui des vivants. Quelle que soit la forme de ces tradi-
tions, une chose est certaine: l'humilité est bien présente au
sein de ces peuplades. Les jeunes respectent les plus âgés,
leurs anciens, ainsi la chaîne n’est jamais rompue et le sa-
voir se transmet.

28
Qu’il s’agisse d’un pays africain ou de quelconque autre
continent, et pour n’importe quel individu au monde, je
prenais conscience que tout semble partir de nous mêmes,
de notre volonté de nous améliorer, de devenir un être dé-
pouillé de l'inutile mais curieux de sagesse et de véritables
connaissances, non pour satisfaire un ego mais pour servir
le monde…ou sa tribu.
Si internet m’avait bien aidé à me documenter à propos de
l’initiation en général, là, il s’agissait de la mienne en parti-
culier. Plus du tout la même chose ! Bien sûr je l’avais at-
tendue, souhaitée mais ce moment qui se rapprochait à
grands pas, me mettait dans une étrange fébrilité…

Mon initiation. Voilà l’exemple même d’un objet de curio-


sité dont rien ne peut être raconté. Non pas par culture du
secret, ou de l’engagement que prend tout Franc-maçon
concernant le silence qu’il promet sur les rites et secrets qui
lui sont transmis, mais en fait parce que cette aventure est si
personnelle, si intime, une émotion dont vous n’êtes pas
seul dépositaire, que rien qui serait dit, n’aurait un sens réel
et vivant pour quiconque d’autre.
Un peu comme partager l’album de photos de famille d’un
autre. Cela vous est forcément arrivé. Au détour d’un dîner
chez la tante d’un de vos amis, lorsque celle-ci vous lan-
ce : « Tiens, venez voir, je vais vous montrer des photos où il
était si mignon mon Phiphi !». Et là, sous prétexte de voir
un ou deux clichés du Phiphi en question (n’est-il pas votre
ami ?..), vous êtes partis pour l’arbre généalogique complet
en images !…Tonton par ci, tata par là, la cousine raymon-
de, sans oublier le cousin tartempion, etc…

29
Étonnamment, si une photographie peut vous émouvoir
quand il s’agit de votre femme ou de votre enfant, précieu-
sement gardée au fond de votre portefeuille, rien ne passe
vraiment devant des photos qui vous concernent peu ou
pas. Vous vous sentez étranger à tout cela, étant dans
l’histoire des autres sans y avoir une place. Au mieux com-
patissant, mais l’œil torve ou presque éteint.

Il en va de même pour l’initiation. En fait, si vous deviez


être assez curieux pour en savoir plus, il vous suffirait
d’aller sur internet ou dans n’importe quelle librairie au
rayon « Esotérisme », rubrique « Franc-maçonnerie ». Tout y
est indiqué, expliqué, et disséqué au plus loin de son histoi-
re et de ses traditions mais aussi, ses aspects symboliques
jusqu’au plus techniques.
Et alors ! Rien, vous ne tireriez rien, à ce moment précis,
car rien ne vous est personnellement destiné. Cette histoire,
cette démarche, cet engagement ne sont pas les vôtres tout
simplement. Ce faisant, vous prendriez juste le risque
d’apparaître comme ces gens qui demandent à ceux qui ont
vu un film, de le leur raconter jusqu’à en connaître la fin et
qui se retrouvent bêtas au point de renoncer à aller le voir
eux-mêmes !

La Franc-maçonnerie est exclusivement du domaine du vi-


vant au sens d’un art vivant, d’attitudes et de comporte-
ments qui se pratiquent et se partagent entre les Hommes.
Aller à la conquête de soi, pour soi seul mais qui paradoxa-
lement ne peut se faire sans les autres. Difficile à expliquer,
c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il faut le vivre ! Pour
cette raison, je veux vous faire ici, état de ce qui me paraît
l’essentiel de ma démarche, vous faire part de mes impres-

30
sions et sensations, de mes hésitations aussi et du réel bou-
leversement de cette aventure unique que fut mon initia-
tion. Vous parler des hommes, de leur cœur partagé, de ces
regards que je n’oublierai jamais ce jour d’un mois de fé-
vrier où le dehors était triste et humide et à cet endroit,
chaud et brûlant d’humanité…

C’était le grand soir. J’avais bien sûr en tête le passage sous


le bandeau que j’avais vécu et passé quelques années aupa-
ravant. Si cette rencontre avec cet ami et ce voyage vers
Biarritz n’avait pas eu lieu, il n’est pas certain que j’aurai eu
à nouveau rendez-vous avec la Franc-maçonnerie. Deux ré-
flexions m’étaient d’ailleurs venues à ce sujet. Première-
ment, mon inconstance était-elle à ce point si patente
qu’après « l’ajournement » prononcé comme seule conclu-
sion au courrier que j’avais reçu de cette loge du Grand
Orient de France, je ne m’étais relancé d’aucune manière
pour aller à la rencontre une nouvelle fois, de la Franc-
maçonnerie ?
En second lieu, pouvais-je considérer la révélation de notre
entretien lors de ce week-end avec Mathieu comme une
simple coïncidence ? Pouvais-je et devais-je échapper à ce
que je ressentais comme un appel ou plus simplement
comme une piste?
De la même façon puisque j’en ignorai alors tout du sens, il
n’y a sans doute aucun hasard à ce faux départ qui m’a
amené par la suite, vers la Franc-maçonnerie régulière et
spirituelle. Aujourd’hui, avec le recul, ma réponse est tota-
lement différente et ma conviction acquise, mais j’avoue
qu’à l’époque où se déroulèrent ces faits, je n’aurai pu me
poser la question, du moins en ces termes.

31
Ce rendez-vous revêtait pour moi, la plus haute importance
et n’avait rien de comparable avec l’aventure précédente.
On touche ici une caractéristique de la Franc-maçonnerie :
le temps ne compte pas. D’ailleurs, en loge par les différents
rituels appliqués, on l’apprend mais surtout, on le vérifie.

Là, il s’agit plutôt d’un temps de maturation. D’un temps


qu’il m’avait fallu pour intégrer la nécessité de ma démar-
che, une sorte d’imprégnation. Les choses se font-elles mal-
gré nous lorsque, clairement, elles semblent nous être des-
tinées ?
Déjà, j’approchais l’importance de la séparation du cœur et
de l’esprit. Raisonner est incontestablement une force, votre
intelligence un atout pour appréhender, comprendre, tirer
des conclusions mais vous éloignent parfois de vous-même.
Cartésiens que nous sommes, nous avons tous eu un jour
l’idée que telle chose était bonne pour nous, qu’il y avait là
une option, un bon chemin, un choix raisonnable. Si cela
nous semble confus parfois, c’est parce que notre esprit est
en même temps juge et partie. Juge, tant on est sûr d’une
certaine objectivité car celui-ci est brillant, fin et doué de
nuances. Le guide qu’il nous paraît alors sera garant du dé-
roulement idéal de la suite des événements. Partie, et c’est
là que le bât blesse, c’est qu’il n’est qu’un élément d’une
seule et même personne, d’une entité globale n’offrant, par
conséquent, aucun recul sur soi.
Comment, dans le concept adopté qu’un être forme un tout,
une énergie vivante, inscrite dans l’Univers et la Création,
pourrait-on se laisser à penser que le pouvoir même de notre
forme d’intelligence indépendante, rationnelle, ne puisse pré-
senter quelques faiblesses…

32
Inconsciemment, nous devons en douter car nous savons
d’emblée qu’une réflexion, remarque ou analyse extérieure à
nos problématiques sont souvent des voix de meilleur conseil.
Et si « l’intelligence du cœur », cette petite voix qui nous parle
parfois, nous pousse ou nous retient selon les cas, présentait
au fond un allié plus puissant que l’intelligence cartésienne ?
Oui, mais alors quelle part de nous fera l’arbitre ?

En effet, on n’a pas toujours le conseil extérieur d’un


ami…C’est toute la force et la faiblesse de l’Homme et parfois
son désarroi qui est décrit ici. C’est cette dimension qui ne
répond à aucun critère tangible et que je crois être la cons-
cience. Construite et rebelle, assise où parfois éthérée, elle est
notre première force de vie lorsqu’elle est portée par le cœur
ou « l’intelligence du cœur ». Plus question ici de parler stra-
tégie, réflexion, développement, logique… « Être dans le
cœur » est le moyen le plus efficace d’atteindre non pas la véri-
té, mais avant tout autre chose et c’est sans doute le plus im-
portant, notre propre vérité.
Dans l’histoire que je conte ici, je soutiendrai volontiers
donc que je suis revenu en « conscience » à moi-même par
la Franc-Maçonnerie persistant à dire pourtant que rien n’a
été décidé ou réfléchi de ma part.

Encore une fois, j’avais frappé et l’on était venu m’ouvrir...


Ce n’était pas au même endroit, il s’agissait de la Grande
Loge Nationale Française, différence d’obédience sans inté-
rêt pour moi à ce moment. Contrairement à ma première
expérience et approche de la Franc-maçonnerie, j’avais la
chance et l’assurance qu’un parrain m’accompagnerait. Bé-
néficier d’un bon parrain est indispensable car il est celui
qui vous suivra tout au long de votre expérience. Il vous ex-
pliquera, rassurera lorsque vous douterez et sera votre fil

33
rouge au long de votre vie maçonnique. Il est aussi celui qui
s’engage à vos côtés et qui répond de vous pour les autres,
ce qui n’est pas rien. Bref, il est un personnage clé sur le-
quel il est permis et recommandé de s’appuyer. Le mien
était Mathieu, j’étais heureux que ce fut lui, vraiment.

La grande porte s’était refermée derrière moi. Un Frère


m’accompagna dans le silence puis dans un lieu de retraite,
une pièce particulière, très particulière, une sorte de cagibi
lugubre revêtu de noir où juste une bougie reste votre uni-
que compagne… Mais là, commence l’Initiation et pour les
raisons expliquées, le temps du silence est venu…Il contient
bien sûr ses secrets, si l’on souhaite les qualifier ainsi, mais
plus encore cette mémoire séculaire des hommes et de leur
cœur qu’ils allaient me donner ce soir.
Mes sentiments personnels sont libres, d’une toute autre
nature et c’est l’idée de ce récit que de vous les rapporter.
Les choses sont bien faites, tout avait été organisé afin que
je puisse vivre mon initiation comme un moment de grâce.
J’étais ému, impressionné et honoré à l’avance de savoir que
ce que j’allais connaître (même si j’en ignorai le contenu et
son déroulement), était à l’identique de la cérémonie
d’initiation d’un profane, il y a près de trois cents ans !
Semblable en tout point aux rites et traditions rituelliques
de cette Franc-maçonnerie issue du Siècle des Lumières et
plus encore, l’héritage des bâtisseurs de cathédrales. J’avais
le sentiment que tous ces hommes qui m’avaient précédé et
disparus depuis si longtemps, allaient m’accompagner eux
aussi. L’histoire vibrante dont on est, tour à tour, le tout ou
seulement un maillon, n’était plus à ce moment une formu-
le, j’allais m’inscrire dans cette édification en apportant
modestement ma pierre...si on m’acceptait…

34
Quels que seraient les arguments à entendre, le prix à
payer, les engagements à prendre, rien à ce moment n’aurait
su m’arrêter. Il était temps pour moi, malgré mes craintes
de l’inconnu qui se présentait maintenant, de me laisser
porter en toute confiance. Mais à ce point où j’étais, pou-
vais-je faire autrement ?…Oui, car à plusieurs reprises, on
vous rappelle votre état d’homme libre, libre de rester ou de
partir. Bientôt, votre serment contracté d’abord avec vous-
même, vous obligera, pour le moins, à tenir secret les Us et
Coutumes de la Franc-Maçonnerie partagés par tous vos
Frères.

Décrire l’indescriptible est vain. Les deux heures qui ve-


naient de se passer resteraient le moment le plus fort de ma
vie, venant juste après la venue au monde de ma fille, Sté-
phanie. Quelle que soit votre origine, éducation, capacité
intellectuelle et émotionnelle, autant que la conscience que
vous ayez de vous-même, il arrive que nous soyons en prise
directe avec ce qui se passe. Pourquoi porter plus
d’importance à tel ou tel moment de notre vie, il est difficile
de le dire. Là, je n’avais pas perdu une miette de mon initia-
tion. Emmené et porté par celle-ci et tous ces hommes qui
ce soir m’acceptaient parmi eux, j’avais tour à tour été un
enfant, un corps, un esprit, une conscience, le bien et le mal
et tant de choses encore. Mais jamais je ne fus comme ce
jour-là, autant avec moi-même au plus profond de moi. Oui
j’avais cherché, persévéré et souffert parfois, par ce doute
qui vous assaille, ne serait-ce qu’en vous remettant libre-
ment et en toute confiance dans les mains des autres, ces
inconnus, ces hommes qui deviendront bientôt vos Frères à
jamais. Mais quel sens donner au mot « Frère » ?

35
Pour moi, alors sans aucune culture Maçonnique, il revêtait
pourtant dès ce premier soir une signification forte, car
mon initiation, m’avait-on dit, s’était déroulée de façon par-
ticulière. Avoir été initié avec une autre personne, comme
cela ne se pratique qu’exceptionnellement, signe la création
d’un lien fort et unique. Ces moments que j’ai donc vécu,
Jean-Baptiste les a partagés. Ces épreuves symboliques que
j’ai traversé, il les a découvert avec moi et sa main posée fé-
brilement sur mon épaule alors que nous étions privé de
notre vue, restera un attachement indéfectible pour cet
homme que je ne connaissais pas mais qui, pour sans doute
d’autres raisons, avait décidé de vivre le même engagement
que moi.
Tout cela m’avait paru long, parfois stressant et éprouvant.
Je m’étais senti nu, au point de sentir le bruit de mon sang
dans mes veines, les battements assourdissants de mon
cœur, le ronflement de ma respiration…Et comme l’aveugle
privé de lumière, décuplant ses autres sens, je peux témoi-
gner que dans la situation, les miens étaient plus
qu’affûtés ! Ma main prise et serrée par un guide, nous
avancions au milieu de multiples cliquetis métalliques et
bruissements de tous côtés, des odeurs de bougies qui vous
prenaient le nez, des crissements de pas, leur souffle autour
de nous qui indiquaient leur présence. Mais qui étaient-ils,
que faisaient-ils ?…Ça aussi, j’allais le découvrir…

Mon initiation terminée, la tenue s’était déroulée selon


l’ordre du jour défini.
Ce qui fut « ma première Tenue » restera présente long-
temps à ma mémoire. Tout d’abord le lieu. Curieux endroit
ce temple maçonnique ! Des décors et divers symboles re-
couvraient les murs et le plafond. L’avantage quand on ne

36
connaît rien de rien de ces choses-là, est que l’on ne se pose
pas de questions. De toute façon, il y en a tellement qui
viendrait à l’esprit, les réponses seraient trop longues et les
réponses certainement incompréhensibles. Revenu à la lu-
mière, les yeux écarquillés comme un gosse, le lieu me pa-
raissait « kitch » à souhait. Nerveux, je gardais un rire étouf-
fé, décidément sale gosse, on le reste pour la vie ! Bénéfice
du doute et respect, c’est bien le moindre que je pouvais
témoigner en prétendant à un tel engagement et vous com-
prendrez que je ne peux pas tout dire ! L’air de plaisanter
de tout pourrait-on penser, accordez-moi qu’impressionné à
ce point et fatigué, on puisse avoir un comportement puéril.

Ayant été reçu mes « outils et tenue, les mots, signes et at-
touchements de mon grade » (on dit comme ça), matériali-
sant cette transmission au travers de cette initiation que
j’avais été jugé digne de recevoir et avant de commencer
mon travail, on m’avait fait reconnaître les différents
« Officiers et Maîtres de la Loge », mené par le Maître de
Cérémonie. Nous faisions le tour de la Loge allant de poste
en poste les rencontrer. Ils se levaient et m’embrassaient.
Par ces baisers fraternels, mon père revint instantanément à
ma mémoire, lui qui m’avait quitté si brutalement en 78…

Plus précisément, le contact du dernier baiser que j’avais


reçu de lui. Il avait jeté l’étudiant que j’étais encore à une
gare de banlieue, il y avait du soleil, du ciel bleu et quelques
nuages ce matin de février, il s’était tourné pour me dire
« Bonne journée mon fils », on s’était embrassé. J’ai le sou-
venir de sa peau râpeuse pas si bien rasé que ça, qui com-
mençait à marquer le temps. Il n’avait que 43 ans en fait,
plus un gamin mais pas si loin. Tout cela était passé si vite…

37
De contact charnel avec des hommes, je n’en avais jamais
eu depuis. Ensuite, on m’invita à rejoindre ceux de mon
rang, sur la colonne du nord, là où se tiennent les Appren-
tis, mon « jumeau » Jean-Baptiste, à mon côté.

Après avoir été l’acteur principal, je devenais figurant à mon


plus grand bonheur. Attentif et reprenant mon calme,
j’allais assister, muet, à une sorte de ballet d’interventions,
de circulations diverses mais ordonnées, de prises de paro-
les cadencées et parfois répétitives, tout cela dans une hié-
rarchie respectée… Bon sang, où j’avais foutu les pieds !!!
Très vite, près des autres apprentis, je compris que la règle
était le silence. Se taire, observer et écouter. Ce soir-là, vous
vous en doutez, je n’avais sur ce point aucune prétention et
me terrais dans une immobilité heureuse et bienvenue. Je
regardais tour à tour ces visages que tout à l’heure je n’avais
pu que deviner. Personne ne m’était connu, pourtant com-
me avec une femme dont on serait amoureux, j’avais
l’impression de tous les connaître depuis longtemps. La
pleine lumière maintenant régnait ce qu’il convenait
d’appeler le « Temple », où j’avais circulé tout à l’heure et
vécu mille morts…pour renaître.

Immédiatement, à l’écoute des différentes interventions


rythmées par un ordre du jour bien tenu, certains sujets me
donnaient l’envie de réagir et participer. Pourtant, cet espa-
ce à l’égal d’une organisation presque militaire, ne laissait à
première vue, peu de possibilité pour s’exprimer librement.
Du moins, c’est l’idée que je m’en faisais ce premier soir.
Mais d’ici là, j’aurai tant de choses à essayer de comprendre.
D’abord, le langage et expressions, l’accoutrement aussi.
Comme une pièce de théâtre ! Des acteurs qui connaîtraient

38
bien leur rôle et leurs textes mais dans un français du
XVIIIème siècle. Je vous assure, c’est vraiment curieux la
première fois !
Chacun d’entre eux tenait un emplacement précis mais dont
la signification m’échappait, des bougies étaient installées,
dont les petites flammes vivantes et libres virevoltaient in-
disciplinées au scénario qui se déroulait. Captivées par cel-
les-ci, elles concouraient aux délices de ce moment de grâce
dont je m’emplissais pour mieux m’en souvenir plus tard…

Après la fermeture des travaux de l’atelier, les frères pre-


naient le temps d’un apéritif. Je trouve déjà qu’on boit pas
mal chez les francs-maçons…Enfin, surtout ceux qui ne
rangeaient pas ! Oui, j’ai vite noté que les « bleus » avaient
certaines obligations d’apprentissage dont l’installation et le
rangement de la Loge. Pour cette première, j’en fus exemp-
té, mais on m’avertit que cela ne durerait pas…Chanceux,
mais juste un soir, ce soir ! Les Apprentis apprennent aussi
par ces vertus, acquérant ainsi les rudiments, sinon une vé-
ritable compréhension de tout cela et sur le « tas », comme
on dit !
Rapidement, tous les Frères furent rappelés à l’ordre pour
passer à table : l’Agape allait commencer. C’est un moment
fort où les Frères prolonge leur tenue en partageant un re-
pas. Pour l’instant, c’était encore celui d’un verre partagé en
salle humide. Dans un élan généreux, les frères venaient
tour à tour, me congratuler chaleureusement en me souhai-
tant chacun la bienvenue d’une manière différente. À mes
côtés, Jean-Baptiste, mon jumeau et Frère en recevait au-
tant. Nos regards semblaient partagés la même surprise. Ha-
gard par les sollicitations et dans le brouhaha ambiant,
j’étais, je dois le dire, comme absent, emporté par de nou-

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veaux questionnements. Oui, pourquoi avais-je voulu à ce
point, rejoindre la Franc-maçonnerie ? Une fois encore, je
vérifiais que je n’échappais décidément pas à ces sentiments
confus qui me font parfois agir ou réagir à contretemps. Ac-
tion d’abord, réflexion ensuite. Non, là, je suis un peu sévè-
re car bien sûr j’y avais pensé et repensé. Mais déjà, le sou-
venir de ma cérémonie d’initiation si récente me déstabili-
sait, me faisant prendre toute la mesure de l’engagement
pris d’abord avec moi-même. J’avais donc reçu le titre inté-
ressant de « Frère », quel sens donner à ce mot ?

Je savais si peu de choses sur les Francs-maçons, si ce n’est


le « hasard » qui, par deux fois, me les avaient mis sur mon
chemin. Ma culture maçonnique était courte, très courte, je
savais tout juste que des hommes illustres avaient été
Francs-maçons, qu’ils avaient contribué à l’avancement de
l’Humanité…Ma démarche était fort modeste et me parais-
sait dérisoire au regard de ceux-là. Mais après les quelques
rudiments fournis par Matthieu pour assouvir mon impa-
tience sur le sujet et le résultat de mes recherches sur le
concept social plus que spirituel de l’initiation, il fallait que
je comprenne les règles de cette confrérie si particulière
que me semblait la Franc-Maçonnerie : son histoire, ses co-
des, ses usages et ses obligations pour accomplir le mieux
possible l’engagement que je m’étais assigné.

Bien qu’historiquement la Franc-maçonnerie est l’héritage


des tailleurs de pierre et maçons « opératifs » du Moyen-Âge
qui travaillaient sur les chantiers des abbayes romanes et
des cathédrales gothiques, ils étaient de simples artisans,
détenteurs d'un savoir de métier qui leur avait été pieuse-
ment transmis, qu'ils gardaient hermétiquement secret et

40
qu'ils transmettraient un jour à ceux qui reprendront leur
flambeau. Ça n’est qu’au milieu du XVIIIème siècle qualifié
des Lumières, qu’elle se structura pour devenir un Art pra-
tiqué par des intellectuels, des nobles et militaires souvent,
qui, souhaitant s’inspirer de leurs illustres prédécesseurs
mais dans une dimension symbolique, professèrent celui-ci
dans une symbolique dite « spéculative ». Dès lors, la seule
cathédrale à construire est celle de l'Homme lui-même,
mais rien ne change quant aux méthodes et aux outils. Les
tours de main d'antan deviennent des tours d'esprit et de
cœur, voilà tout. L'Homme est à considérer ici comme véri-
table un chantier. Tout reste à construire, à créer, à édifier.

Guidé par une idée essentielle, la croyance en un Architecte


Suprême où Grand Architecte de l’Univers qui indique la
voie, celle de l'harmonie universelle ou, encore, de la beau-
té, de la sagesse et de la force créatrices.
Aujourd’hui encore, la Franc-Maçonnerie est une associa-
tion de personnes qui ont en commun un idéal
d’amélioration de soi-même, de construction d’une société
meilleure, basée sur des principes de tolérance, d’égalité
entre tous les êtres humaine, de liberté de pensée et de
condition, de fraternité ou de solidarité entre elles et le res-
te de l’humanité. Attention, vous êtes ainsi de plein pied
dans « l’immatérialité » la plus extrême, au sens que rien ne
vaut et n’existe que par le sens que vous lui portez.
La Franc-maçonnerie, si elle n’est absolument pas religieu-
se, est une croyance, au sens littéral du mot.
D’ailleurs, c’est une société initiatique qui ne dispense pas
d’enseignement, mais propose une méthode de réflexion
symbolique dont résultera pour celui qui la pratique, une
amélioration personnelle.

41
L’initié devra travailler sur la signification des symboles, ce
faisant, il pratique alors son premier travail symbolique :
« polir la pierre brute » qu’il est, c’est-à-dire sur soi-même,
afin qu’elle puisse faire partie « d’un édifice harmonieux ».
Pour progresser lui-même en vertu de ce qu’il connaît de
lui. Pour se connaître, il faut un travail personnel
d’introspection, d’observation de ses propres réactions
confrontées au groupe. C’est dans les rencontres et les dis-
cussions qui s’ensuivent que l’on apprend alors, à mieux se
connaître tel qu’il est en société, ou tel qu’il réagit face à des
opinions divergentes ou des situations conflictuelles.
Le travail réalisé dans ces groupes, s’appelle « loges » ou
ateliers, et se déroule dans un cadre harmonieux, régi par
un rituel symbolique qui prédispose à l’ouverture, à la tem-
pérance et à la concentration.
Ces rituels pratiqués dans les ateliers, constituent une rup-
ture avec la vie de tous les jours et placent les hommes qui
les fréquentent, dans un contexte hors du temps.

Lors des travaux en loge, des discussions s’ouvrent et peu-


vent porter sur des sujets sociaux, de préoccupation univer-
selle ou sur des symboles et l’analyse des rites pratiqués.
Cela, dans une discipline où la parole s’exprime en liberté
mais dans un autocontrôle de l’expression, permettant
l’écoute de l’autre, et l’argumentation intellectuelle et sen-
sible. La Franc-maçonnerie se méfie des dogmatismes et
des vérités révélées, elle prétend juste à chercher la vérité,
et non pas la détenir.
A ce point de ces quelques explications succinctes sur
l’histoire de la Franc-Maçonnerie, il convient d’ajouter que
diverses branches sont la résultante de l’histoire de
l’évolution de la Franc-maçonnerie, mais deux voies princi-

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pales sont aujourd’hui constatées et marquent une réelle
différence même si tous sont Frères avant tout. D’une part
la Franc-maçonnerie « Régulière », nommée ainsi car elle
est l’héritière fidèle à la tradition de la Grande Loge de
Londres. Elle provient de la première forme de maçonnerie
moderne instituée en 1717, qui s’est répandue très rapide-
ment en Europe et dans le monde. Elle est aussi la plus an-
cienne, à vocation spirituelle et donc, personnelle, résolue à
consacrer ses travaux a un être divin. Elle n’admet que des
hommes croyants cherchant à se perfectionner avant tout,
eux-mêmes. La deuxième branche est née en France en
1877, s’assignant aux lois républicaines et de la laïcité, ac-
ceptant sur un même pied les croyants et incroyants, athées
ou déistes. Elle participe par ses idées « au progrès de
l’humanité », discutant de problèmes sociaux et se propose
de rechercher parmi les discussions en loge des solutions
pour faire avancer l’Humanité.
Bien sûr, d’autres façon d’aborder la Franc-maçonnerie se
sont développées tout au long du XVIIIe siècle, des obé-
diences dites spiritualistes, ou ésotériques, qui placent au
centre de leurs préoccupations le symbolisme qu’il soit de
nature métaphysique, alchimique, kabbalistique, ou les ri-
tuels égyptiens. Elles constituent de nombreuses branches,
dont certaines accueillent aujourd’hui les femmes distinc-
tement et la mixité.

Dans mes recherches concernant le sujet, j’avais appris que


quelle que soit la voie entreprise en Franc-maçonnerie, cet-
te démarche est éminemment personnelle, obligeant au per-
fectionnement et à la recherche de sens. Elle engage aussi,
une relation de ce que nous sommes face à l’histoire ou plus
simplement à notre histoire. À ce point, elle nous aide à

43
prendre la mesure de notre insignifiance mais aussi à cette
dimension sublime de l’être humain. Elle nous fait prendre
conscience du maillon que nous sommes dans une chaîne
en faisant de nous des messagers ou plutôt, des transmet-
teurs dans le respect du messages transmis. Messagers d’un
passé, messagers d’un avenir, tout cela en même temps avec
pour seule ambition, l’exemplarité. Enfin, si devenir Franc-
maçon (on n'est pas Franc-maçon, on le devient indéfini-
ment), c'est surtout avoir cette foi inébranlable en ceci que
la vocation ultime de l'homme est de construire un Temple
qui le dépasse infiniment. Un Temple qui le transcende ra-
dicalement, en ceci que l'homme n'a de sens qu'au service
de ce qui le dépasse, alors, avec la plus grande modestie, il
est une évidence que la Franc-maçonnerie est un chemin,
un support de perfectionnement parmi d’autres, mais il of-
fre et nous le verrons dans ce récit, de connaître le cœur des
hommes et surtout le meilleur de ce qu’ils sont. Parce que
la Franc-maçonnerie est aussi et surtout une fraternité, tous
les Maçons du monde sont des Frères. Elle rappelle que le
Maçon doit s'efforcer de fonctionner avec ses Frères en
communauté d'esprit et engageant, avant tout, sa volonté de
mettre son ego de côté.

Au "Connais-toi toi-même" socratique, répond un "Oublie-


toi toi-même" maçonnique. Seule l'œuvre importe. Seul le
chantier et le travail qui s'y fait reste, et les individualités
qui y évoluent s'effacent devant le Temple qui s'érige peu à
peu. La Fraternité maçonnique répond parfaitement à
Saint-Exupéry : « L'Amour, ce n'est pas se regarder dans les
yeux, c'est regarder ensemble dans la même direction". Et
cette direction unique, c’est précisément le service du
Grand Architecte sur le chantier de l'Univers et de l'homme

44
dans le monde. Ce qui unit les Francs-maçons et justifie la
Franc-maçonnerie bien au-delà des sympathies et amitiés
interpersonnelles, c'est le processus d'accomplissement que
chacun expérimente à chaque heure de sa vie d'homme en
quête de perfectionnement et de création de soi, en d’autres
termes, une sorte de besoin vital dans un ordre symbolique
qui nous relie les uns aux autres par le cœur, aux mystères
de notre devenir…

Mais ce soir n’était pas le moment des savoirs, encore moins


des explications mais le temps de l’émotion partagée. Nous
passions à table pour ce moment attendu de l’Agape. Instal-
lés de part et d’autre d’une table en « U », je constatais que
la disposition et les places de certains étaient identiques à la
Tenue en loge, une sorte de continuité en deux rangées,
appelées Nord et Midi. J’étais d’ailleurs bien placé pour voit
tout ça car j’avais une place de choix, à la gauche du Véné-
rable Maître., « Mes Frères debout, veuillez prêter atten-
tion ! »…il s’agissait des « premières santé d’Ordre » !
Qu’est-ce que c’est que ce truc ? À l’invite du Vénérable
Maître, il convient alors de tous se lever et porter une sorte
de toast à ceci ou cela… Tout à coup vous replongez dans
un bal militaire où ne manque que Fanfan la Tulipe !… Puis
les apprentis se levaient et immédiatement par solidarité et
mon désir d’intégration, je me levais pour les suivre. On fit
me rasseoir. « Reste assis, aujourd’hui, nous célébrons ton
arrivée et celle de Jean-Baptiste parmi nous, comme lui ce
soir, tu es un invité de marque. En nous rejoignant, vous
donnez du sens et de la vie à cette Respectable Loge, la pro-
chaine fois, tu participeras avec les autres »…
Comme des serveurs de restaurant, les apprentis courraient,
servant et desservant les plats et assiettes, nous attendions

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qu’ils finissent, reviennent à table pour commencer à man-
ger ensemble.
Le dîner avançait, entrecoupé par quelques informations
concernant la loge, son actualité, les prochaines tenues, sor-
ties, visites et manifestations… Puis, vint le temps des prises
de paroles. Enfin quand je dis prise de parole, j’exagère, car
personne ne prend la parole tant qu’elle ne lui a pas été
donnée ! Un protocole décide de l’ordre dans lequel vient,
s’il vient, votre tour pour vous exprimer.
Le plus souvent, respectant cette logique protocolaire, celle-
ci est donnée aux frères visiteurs d’autres ateliers. Ceux de
passage, ayant souhaité passer un moment de fraternité,
sont invités à dire quelques mots.
Après les politesses d’usage, la reconnaissance de la qualité
des travaux de la Loge auxquels ils ont participé et divers
remerciements, ces discours, se ressemblent et ne devront
leur richesse qu’à la qualité émotionnelle de ceux qui les
prononcent.

Ce soir-là, Luc reçoit la parole. Il se lève, prend le temps du


silence pour organiser son intervention, qu’il sait devoir
être brève et concise.
Debout derrière sa chaise, il a presque du mal à porter le
regard autour de lui. Ses mains se crispent sur le dossier, il
n’entend que le battement de son propre cœur et là, tout
bascule. Les quelques couteaux et fourchettes grinçants sur
les assiettes s’étaient tus. Tous avions les yeux tournés vers
lui, nous saisissions son émotion à la limite du malaise. Il
bafouilla : « Excusez-moi Vénérable Maître et vous tous mes
Frères, mais je n’y arrive pas… » Immédiatement, sans
connaître la raison qui bloquait ce Frère dans sa volonté de
s’exprimer, deux frères, de part et d’autre de Luc, se levè-

46
rent lui tenant la main, chacun le regardant avec ce regard
de soutien que seuls les gens aimés ont le bonheur de
connaître, puis promptement et discrètement ils se rassi-
rent. Luc pu enfin parler. Nous en étions tous heureux. Je
ne sais d’ailleurs plus très bien ce que fut l’objet exact de
son message, ça n’a d’ailleurs que peu d’importance.

Se sentant mieux, c’est courageusement qu’il expliqua en-


fin : « Pardonnez mon émotion mes Frères, pour tout vous
dire, aujourd’hui, je ne souhaitais pas venir. J’ai appris une
grave nouvelle, ma femme a eu la confirmation qu’elle était
atteinte d’une sale maladie. Le pire, c’est qu’en sortant de
chez le toubib, j’étais plus mal qu’elle ! »… « En fait, elle
m’a poussé à venir en Tenue, sans elle…je perds mes repè-
res et j’ai lâchement dit oui ». « Mais là, avec vous, j’ai res-
sassé toute la Tenue, me reprochant de l’avoir laissé seule,
vous comprenez ? ».

L’ensemble de l’assistance était attentif attendant la suite de


l’intervention de leur Frère. J’avais l’étrange sentiment
qu’ils le portaient ainsi ; chacun, un peu, prenait sa part des
problèmes de cet homme. « Curieusement, reprit-il, au
moment de passer à table, je l’ai eu au téléphone, je lui ai
indiqué ma gêne, elle a insisté pour que je reste et savez-
vous ce qu’elle m’a dit, mes Frères ? ».
Bien sûr, personne n’en avait la moindre idée. « Et bien, elle
m’a dit : Reste mon Chéri, tu es bien avec eux et sans doute,
grâce à cette soirée, tu iras mieux toi aussi, et le fait de te
savoir ainsi et te retrouver après, m’apportera un rayon de
soleil ». « Voilà pourquoi, Vénérable Maître et vous tous mes
Frères, la raison pour laquelle j’ai eu du mal à m’exprimer
tout à l’heure, je vous remercie de votre indulgence ».

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Si l’usage des Francs-maçons veut qu’ils manifestent discrè-
tement et uniquement en tapotant la table de leurs doigts,
là, tous applaudirent franchement et se levèrent pour aller
l’embrasser. Troublé par ce qui venait de se passer, par cet
instant de vérité simple et crue, je ne savais plus quel attitu-
de tenir. Et si simplement, je me laissais aller à moi-même.
Etre, non pas ce que l’on a décidé, mais, être, tout simple-
ment.
Ce soir-là, j’ai ressenti les bienfaits de pouvoir s’ouvrir sin-
cèrement à l’autre sans crainte. C’était la première fois de
ma vie.

48
Chapitre III

Le temps des questions…

Les femmes qui prétendent connaître les hommes disent


souvent d’eux qu’ils ont quelques difficultés à se livrer, à
parler d’eux-mêmes. C’est vrai pour la plupart. Bien sûr, ils
savent souvent être provocateurs dans les lieux collectifs, au
bureau, salons et salle de sport…mais rarement, ils livreront
leur cœur avec des mots simples et vrais. Le temps maçon-
nique dans lequel se retrouvent un ou deux soirs par mois
les frères d’une Loge en un lieu discret, est un moment sor-
tant de l’ordinaire. Hors du temps, alors que quelques ins-
tants auparavant ils étaient encore à leurs affaires au travail,

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silencieux après avoir quitté un monde bruyant, il semble
qu’une bulle les accueille. Un lieu préservé. Une dimension
où l’heure n’existe plus.
Cette ambiance particulière force le recueillement, appelle
une concentration et une présence à ce que l’on va vivre
ensemble, encore une fois. Vous devenez fragile ressentant
un total dénuement.
Pourtant, rien ne peut ici vous arriver de mal. Tous seront
là, autour de vous pour vous soutenir, vous encourager
dans vos recherches et bien avant de les commettre, par-
donner déjà vos erreurs. J’allais le vérifier dès la première
fois.

Le mois était passé lentement tant j’avais hâte de vivre cette


« tenue ». Rien de comparable à la fois précédente et c’est
volontaire comme un écolier guilleret le jour de sa rentrée,
que je me rendais à ma loge.
On m’avait fait venir plus tôt afin d’installer le Temple.
« Jean, peux-tu aller chercher et installer le tapis mosaï-
que » !?...
De quoi me parlait-il ? Je n’en étais pas très sûr. Le temps
de me poser la question, un Frère apprenti était déjà à me
désigner l’objet en question et me dit ; « Viens, on le prend
à deux ». J’avisai un tapis enroulé, gris sale et très lourd, de
près de quatre mètres de large.
On le déroula ensemble pendant que s’affairaient autour de
nous d’autres frangins. Ils mettaient en place les éléments
du décor qui nous permettraient de jouer notre pièce… À
faire les choses parfois, on ne prend pas le temps de regar-
der, je voulais montrer ma bonne volonté. Pourtant, si ce
tapis que nous avions déroulé était vieillissant, il possédait
une vraie beauté patinée par les effets du temps. Il devait en

50
avoir vu des choses et si les tapis ne volaient pas, j’aurais
aimé qu’ils puissent parler…
Remplit de dessins et symboles, mon front se plissait à force
d’y chercher une logique, une signification, ne serait-ce
qu’entre ses signes. Une lune blafarde en haut à gauche, à
l’opposé, un soleil usé mais rayonnant. Au dessus, ce qui
m’apparut comme une corde avec des boucles qui formaient
des nœuds. Au bas du tapis, quelques marches, sept je crois
bien. Puis une sorte de parvis en damier noir et blanc, face
à une porte entourée de deux colonnes. Au centre du tapis,
une étoile à cinq branches comportant la lettre « G » en son
centre. Autour, disposés en triangle, trois outils étaient re-
présentés. En bas, de part et d’autre, un dessin représentait
une sorte de pierre difforme à gauche, en face d’une belle
pierre taillée, presque cubique à droite du tapis.... je ne
comprenais rien à tout cela mais j’étais fortement impres-
sionné par l’ordonnancement parfait de tous ces signes de
ce grand tapis de toile peinte et vieillie. Rien ne semblait
être positionné au hasard. Décidément ; il me faudrait de la
patience, de l’acceptation pour que mon temps vienne pour
comprendre.

Petit à petit, l’ensemble des Frères arrivait et se retrouvait.


Incursion au bar, non pardon, en « salle humide » pour les
plus anciens maçons, ce qui tendait à démontrer que le pri-
vilège de l’âge et de l’expérience en Franc-maçonnerie sem-
blait proportionnel au temps que l’on peut s’octroyer devant
son whisky préféré…pendant que les plus jeunes frères bos-
sent !
J’observais cela depuis l’interstice de la porte battante lors-
que je reçus une bourrade dans l’épaule de Jean-François,
un Frère d’expérience de la Loge qui me glissa : « Tu sais,

51
on passe tous par là tour à tour. La Franc-maçonnerie est
une tradition qui se répète, se transmet depuis si longtemps
que ton étonnement d’aujourd’hui a été le mien hier, qu’il
est le tien aujourd’hui et sera celui d’un autre demain… »,
«Alors, rappelle-toi bien de ce moment si anodin en appa-
rence et pense à t’en souvenir le moment venu ! ». Mon vi-
sage avait dû parler pour moi, révélant les paroles que je
n’avais pas prononcées…j’étais impressionné qu’il ait pu
lire aussi facilement mes pensées.

Après le temps des retrouvailles au vestiaire, où chacun


s’habillait convenablement des différents ornements de son
grade, l’indiscipline des grands « post-ados » dissipés à qui
nous ressemblions alors, fit place immédiatement au silence
exigé. À l’invitation d’un des frères, nous nous étions ras-
semblés dans l’ordre, prêt à renter dans le temple maçonni-
que.
Conduit tour à tour par un autre frère dont visiblement
c’était l’office, nous étions amenés à nos places respectives,
attendant debout, l’entrée du Vénérable Maître de la loge et
de son collège d’Officiers…eh oui, c’est ainsi qu’ils sont
nommés ! L’entrée de celui-ci me parut très solennelle…
Précédé par deux Frères appelés « Surveillant », le cortège
le conduisit à son poste. Déjà la lumière allait se répandre
sur nos travaux et le temps du travail fut annoncé.

Un peu comme une association, je constatais que le Véné-


rable Maître était en quelque sorte son président et qu’il
était entouré d’un frère secrétaire, d’un autre, trésorier et
d’autres frères aux rôles bien particuliers.
La fois précédente, si j’avais pu rejoindre ma place dans la
loge et mes nouveaux frères après mon initiation à la fin de

52
la tenue, je n’avais gardé aucun souvenir précis du temple,
sans doute en raison de mon émotion, seulement la présen-
ce de multiples symboles dans un fouillis apparent. Ce soir,
il en était autrement, la première différence et pas la moin-
dre, était que j’étais l’un d’entre eux. Cette condition chan-
ge le regard. Mais la Tenue commence vraiment lorsque cel-
le-ci est dans le temps sacré.
Cette sacralisation du lieu est le fait du Vénérable Maître
bien sûr, mais surtout par le recueillement et la communion
de tous les Frères présents. Elle confère un regard collectif,
s’agrégeant de tous les Frères présents que la Loge prend
vie ! Cette communion, ce partage, ce recueillement est
l’Egrégore de la Loge. Cet état collectif indescriptible mais
presque palpable… J’apprenais ainsi la première leçon :
« Etre franc-maçon est une démarche personnelle qui
n’existe, prend forme et n’a de sens qu’avec les autres ! ».
Paradoxe difficile à expliquer.

Ce qui me frappait le plus, c’est cette coordination des ges-


tes, prise de parole et avant tout la façon avec laquelle trois
personnages se renvoyaient le texte comme une balle de
tennis. Question, réponse puis reprise de la question, bref,
un dialogue rythmé par la nature même du texte, une répé-
tition relayée par chacun des trois frères, le fameux rituel.
Devant mon front plissé, un frère à ma gauche s’amusant de
mon étonnement, me chuchota à l’oreille : « Moi aussi, la
première fois, ça m’a fait bizarre »…

Le Vénérable Maître se tourna vers le Frère Secrétaire pour


lui demander le point suivant de l’ordre du jour. Si j’avais
reçu comme tous le programme de la soirée, je n’y avais pas
vraiment porté attention et découvrais au moment de

53
l’entendre que le temps fort de la soirée allait être une ini-
tiation ! En clair, j’allais revivre mon expérience…mais cette
fois de l’intérieur grâce à un impétrant qui se trouverait ce
soir dans l’exacte situation qui fut la mienne dernièrement.
J’étais tout à mes pensées lorsque j’entendis le Vénérable
Maître dire : « Mon frère, allez quérir le Frère Apprenti
Jean ». Je sursautais. Bon sang, j’avais totalement oublié que
j’allais devoir être sollicité pour dire mes « impressions
d’initiation ».

Conduit face au Vénérable Maître, debout, on me donna la


parole pour exprimer celles-ci. J’étais empoté, ne sachant
déplier les quelques feuilles de papier sur lesquelles j’avais
griffonné mes souvenirs. Faut dire qu’avec des gants de co-
ton, ce n’est pas évident. Venant à ma rescousse, le Vénéra-
ble Maître m’invita à les ôter. Dans un profond silence,
j’allais pouvoir enfin, m’acquitter de ma lecture. Se sentir le
« centre » de la Loge, est une sensation forte, presque char-
nelle vous rendant une fois encore, à une totale fragilité.

Sans dire le secret de la teneur des propos qui relatent for-


cément l’initiation elle-même, vous pouvez imaginer mon
émotion à revivre par les mots, les sensations que furent ces
moments vécus ce soir-là. En les disant, je les faisais visi-
blement revivre à tous les Frères présents. La force d’un
récit est parfois telle, qu’il pénètre les cœurs. À ce point,
qu’après l’avoir fini, porté par le texte et presque absent à
l’ambiance autour de moi, je me reconnectais avec l’instant
présent…où régnait alors un profond silence.
A leur manière, chacun des frères présents, se remémo-
raient sa propre initiation. Il faut dire que pour certains, ils
s’agissait d’un retour dans des souvenirs de près de trente

54
ans ! Rappelez vous du mariage de votre couple d’amis,
lorsque au moment de leurs vœux respectifs, insensibles à
leurs sentiments ayant vous-mêmes tellement vécus, vous
ne pouvez réprouver ce réflexe lacrymal furtif ridicule, ba-
layé d’un coin de manche, presque ignoré mais bien pré-
sent. Dans leurs yeux et par leurs mots exprimés après mon
intervention, ils me remerciaient surtout de la simplicité
avec laquelle je leur avais livré ce qui avait marqué le pre-
mier temps fort de ma vie maçonnique. Ils insistaient, à jus-
te titre mais cela je le vérifierais avec le temps, que j’avais la
chance unique d’exprimer avec la fraîcheur naïve dont seul
les débutants sincères sont capables, des secrets qui me se-
raient révélés plus tard.
Ce dernier commentaire, agaçant en fait, me signifiait que
j’étais juste assez grand pour dire, mais sans doute trop petit
pour comprendre…mes propres paroles ! D’un coup et sans
baguette magique, j’étais renvoyé à mon enfance, là où
confusément les souvenirs et l’égo reprenaient malin plaisir
à se mélanger.

Tout à coup, on frappe brutalement à la porte, de cette ma-


nière si particulière des francs-maçons. Tous, sommes rap-
pelés à notre rang et au plus profond silence. Le Vénérable
Maître avait pris le temps de suspendre les travaux pour
rappeler à chacun son rôle dans la loge pour être à la hau-
teur de l’événement. Toute cette mise en scène, tout ce cé-
rémonial est important. Pas simplement pour la qualité de
la réception de ce futur frère, car lui au fond, ne connais-
sant rien à ce qui l’attend, rien ne lui semblera manquer,
mais surtout parce que l’exigence première d’un franc-
maçon est le respect du rite et de ses règles immuables qui
doivent être perpétrées. De Mozart au XVIIIème siècle au

55
profane qui deviendra « Frère » ce soir, ce qui est vécu en
loge d’apprenti pour une initiation est semblable en tout
point. C’est tellement vrai que si vous souhaitez le vérifier, il
vous suffit de regarder une gravure d’époque ! Ce respect,
cette exigence, sont les garants de la transmission à travers
le temps et font la première richesse de la Franc-
maçonnerie.
Je n’ai jamais eu de mal à le comprendre. Ma résonance à
l’histoire, aux pierres et monuments, bref, ce qui fait la filia-
tion entre ce que je suis et ceux d’où je viens, est une vérité
essentielle que je porte en moi. De même le respect de ceux
qui vous m’ont précédé, dont on fait, en quelque sorte revi-
vre les traces, est un honneur et un vrai bonheur naturels.
Être quasiment obligé à la confiance tant ce qui vous entou-
re échappe à votre compréhension, le mieux est alors de se
laisser porter.

Lumière baissée, à la seule lueur des bougies, l’impétrant


rentre accompagné et conduit fermement comme celui que
j’avais été quelques jours auparavant. Je me voyais en lui,
même si je le distinguais à peine. Absorbé par ce que vivait
cet homme, je portais ses hésitations. Sa fragilité animale se
ressentait, lui qui à ce moment, affaibli et privé de lumière,
devait avoir tous ces sens en alerte. Je savais l’odeur acre du
tissu qui lui couvrait les yeux et son nez. J’habitais ses oreil-
les attentives au simple bruissement de la respiration que
l’on perçoit ainsi. Cherchant à mesurer l’endroit où l’on se
trouve, le nombre de personnes présentes. Est-on dans une
arène, dans un hémicycle, sont-ils debout assis, l’air sérieux
ou compatissants ?
Tout devait ainsi se bousculer dans son esprit. Il me sem-
blait même l’avoir vu pris de quelques tremblements... Au-

56
tour, les Frères étaient silencieux, conscients de
l’importance du moment à venir. Bientôt, lui aussi allait fai-
re ces voyages initiatiques...par le cœur. « Mes Frères, for-
mez la Loge ! » Absorbé par ce qui se passait, je pris cette
injonction comme un réveil. La discipline n’avait jamais été
mon fort, pourtant, avec Jean-Baptiste, nous obéissions
dans une sorte de ballet organisé. Sans que nous sachions
encore nous placer ni comprendre tout ce qui se déroulait
sous nos yeux. La magie du moment, les chuchotements des
Frères officiers plus anciens, à nos oreilles, nous amenaient
à nous tenir correctement. Tout cela dans le plus grand si-
lence et recueillement…

Depuis toutes ces années qui ont passé, je peux confirmer


que voir une initiation et un homme la recevoir, reste tou-
jours aussi fort. Il ne peut que se livrer. Il doit se laisser
porter en toute confiance. La mode, les médias nous met-
tent aujourd’hui l’expression « lâcher prise » en vedette. Ici,
cette acceptation est le garant de l’émotion. Non, seulement
pour celui qui reçoit mais sans doute plus encore, pour tous
ses hommes qui l’accompagnent. C’est ici le secret maçon-
nique le plus parfait. Celui que tout le monde cherche, par-
fois toute une vie… Etre face à soi-même n’est plus une ex-
pression, c’est la source de vie qui fait prendre la mesure de
notre dimension énergétique universelle. C’est quitter
l’esprit, pour n’entendre que les bruissements de son pro-
pre cœur. C’est se donner la chance de se savoir vivant pour
l’éternité. La cérémonie ayant pris fin. Le nouveau Frère
avait été raccompagné à l’extérieur quelques instants. Pour
remettre la Loge en état, les travaux suspendus, chacun se
congratulait, échangeant ses émotions, et notant les points
sur lesquels certaines hésitations avaient été ressenties.

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Ce travail est important, c’est par la volonté de perfection de
faire ainsi les choses que le Franc-maçon trouve sa récom-
pense mais surtout, reste le gage de la continuité de cette
tradition maçonnique dans le respect des règles ancestrales
qu’impose le rituel. Les apprentis que nous étions, étaient
invités à s’exprimer. Sous l’émotion, nous préférions nous
taire. Être présent, observer, ressentir, me semblaient un
déjà grand privilège. Ainsi, il y après de trois cents ans, cet-
te cérémonie avait eu lieu, avec les mêmes textes et ser-
ments, dans les mêmes circonstances !
Les derniers points prévus à l’ordre du jour étant terminés,
laissez-moi évoquer une particularité de notre rite : « La
chaîne d’union », sans doute le moment le plus fort et inat-
tendu de la fin de soirée. Il n’y a pas que chez les Francs-
maçons qu’elle se pratique, mais c’est là que je l’ai toujours
ressentie le plus fort. Tous les Frères se rassemblent au cen-
tre de la Loge, autour du pavé mosaïque, ils se donnent la
main et forment ainsi une chaîne d’amitié fraternelle. Lors-
que j’ai donné la première fois ma main, j’étais un peu gê-
né. En effet, la dernière fois que j’avais donné ma main à un
homme, nous étions avec mon père, sans doute pour aller
au cinéma. Cette main paternelle, enfant, je n’y faisais pas
attention. Elle me revenait en mémoire, là, avec ses hom-
mes : mon père était avec nous.
Le Vénérable Maître dit une sorte de prière, et, chacun re-
cueilli à la seule clarté de quelques chandelles, semblait être
descendu en lui-même. J’avais fermé les yeux et faisais défi-
ler le visage des personnes chères à mon cœur. Puis, un
long silence, juste le souffle des frères. Ma gorge se serrait,
ressentant l’intensité qu’impose un tel dépouillement. La
trentaine de Frère debout dans cette pénombre, le temps
suspendu à la volonté de nos cœurs dans un calme appa-

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rent. « Rompons la chaîne mes Frères ». Par ces mots, nous
revenions à nos places et clôturions la Tenue.

Il faisait un soleil éclatant, assis à la terrasse d’un café, je


m’adonnais à mon sport favori : regarder les badauds, faire
des remarques et critiquer intérieurement les passants. Tout
à coup, m’interrogeant une fois encore, sur la futilité de
mon esprit, je convenais, déçu, que la Franc-maçonnerie
n’avait pas opéré de changements notables à ce que j’étais :
toujours aussi con ! En fait j’ai depuis longtemps entretenu
l’espoir d’une réalité de changements immanents qui nous
sont promis et qui nous font évoluer dans la vie. J’avais en-
core à l’esprit, l’exemple du souvenir marquant, lorsque ma
grand-mère me félicita pour l’anniversaire de mes sept ans
me garantissant, m’avait-elle dit « l’âge de raison »…
Je lui avais demandé quelques précisions sur ce nouveau
statut, elle avait bredouillé des arguments pas vraiment sé-
duisants et retenais qu’il y aurait, si tout se passait bien des
obligations, des responsabilités nouvelles qui me permet-
traient d’acquérir la confiance des grandes personnes, ce
dont je me fichais pas mal. D’ailleurs, la plus grande trom-
perie à ce sujet, je l’avais toujours sur l’estomac et m’avait
rendu définitivement méfiant à l’égard des adultes et des
grands changements…

J’avais eu 12 ans, je m’étais réveillé dans l’appartement pari-


sien que nous habitions alors. J’étais super heureux ! Enfin,
le grand jour était arrivé ! Sous ma couette, que j’avais tâché
de ce que l’on nommait alors pudiquement quelques
« pollutions nocturnes » (j’adore cette expression), je prenais
la mesure avec gaité de ma vie qui allait fatalement changer
comme me l’avait révélé ma mère quelques mois plus tôt.

59
Celle-ci m’avait entretenu discrètement d’une évidence de
la nature imminente, qui chacun sait, est quand même su-
per bien faite ! Un matin, je l’avais surprise dans la salle de
bain, son antre où il m’arrivait souvent de l’observer en
train de se maquiller. À moitié nue, concentrée à l’extrême,
le cou tendu et son visage tourné vers le miroir, elle portait
vers ces yeux un étrange ciseau à courber les cils, puis,
s’était penchée vers moi pour me dire : « Mon chéri, tu de-
viens un grand garçon maintenant, il faudrait que je
t’explique... ». Suspendus tous deux comme dans une bulle,
elle me gratifia sur le ton d’un impérieux secret, des quel-
ques rudiments de la sexualité et de ses changements qui ne
tarderaient pas à s’opérer sur moi. Précisant que les filles se
voyaient transformer ainsi et les garçons comme cela. Je
l’écoutais à peine et étais tout à la fierté de notre nouvelle
complicité.
C’était drôle, c’était elle ! ça lui était venu comme ça, d’un
coup, comme un merveilleux cheveu sur la soupe ! Je ne
retenais aucune de ces explications et encore moins des
transformations physiques notables qu’elle s’était pourtant
échinée à me décrire, ni plus encore qu’une étonnante sen-
sation de plaisir les accompagnerait. Se voulant rassurante,
elle m’affirma en conclusion, que cela s’inscrivait dans la
normalité des choses de la vie…
De cet exposé, seul m’intéressait l’idée qu’un jour, je de-
viendrai un homme ! Puis, souhaitant donner toute la so-
lennité à de telles révélations, elle s’accroupit devant moi,
me prit par les poignets et fixant son regard dans le mien,
elle insista : « Mais tu sais Jean, lorsque cela t’arrivera, ne
sois pas inquiet, tout ceci est naturel et surtout un grand
bonheur !».

60
Dieu que ma mère était belle ! Je venais de comprendre
l’intense bonheur qu’un instant peut offrir, retenant mon
souffle de peur qu’il ne s’échappe. J’en profitais intensé-
ment en la regardant fixement. J’étais heureux mais honnê-
tement, ce qui venait de rentrer dans mon oreille gauche
était déjà ressorti par celle de droite…

J’avais effectivement tout oublié quand un matin, ce jour


arriva : « j’étais un homme !». Encore dans mon lit, je pre-
nais un soin méticuleux pour bien vérifier que les indices
dont elle m’avait fait la liste étaient bien réunis. Ça m’aurait
bien embêté de me tromper. Mais non, c’était clair, pas
d’erreur possible, j’étais donc devenu un homme.
Ah mais ça change tout ! Plus jamais on me parlerait comme
avant, le regard même des gens allait changer. Mieux, juste à
me voir, ils auront deviné que je n’étais plus un enfant.
Maintenant on me prendrait au sérieux. Je pensais avec joie
à ce nouveau statut, au respect engendré qui me ferait du
bien et surtout, à ce pouvoir envié au monde des adultes et
que j’allais certainement gagner. Bref, que du bonheur !
Je me souviens de ce matin heureux. Arrivant au petit-
déjeuner, je disais bonjour à chacun, un peu déçu qu’ils
n’aient pas l’air d’avoir deviner ma transformation, sans
doute étaient-ils encore tous endormis. En fait, c’est moi
qu’ils réveillèrent brutalement : « Jean, une fois que tu as
fini ton petit-déjeuner, rince ton bol, va te laver les dents et
apporte-moi tes devoirs...» me lança ma mère devant toute
la famille. Consternant ! Rien n’avait donc changé, le mira-
cle n’avait pas opéré. Ce fut ce jour-là, une énorme décep-
tion. Bien sûr, il y en aurait d’autres m’étais-je dit alors, fai-
sant preuve déjà, d’un bel optimisme.

61
De mon enfance, la comparaison me paraissant semblable
sur ce point, la Franc-maçonnerie, ayant apporté toutes ses
lumières nécessaires, allait-elle, avec moi raté sa conver-
sion ? Etais-je à ce point réfractaire ? Avec le recul, il
s’agissait plutôt de méfiance. On ne fait jamais attention aux
déceptions des enfants, mais ce sont des traces indélébiles.

Déjà, j’avais été triste lors du décès de mon grand-père.


C’était mon premier mort. Avant, son principe n’existait pas
et comme tous les enfants, j’étais immortel. La mort est
chez les autres, mais jamais chez soi, c’est bien connu…
Lorsqu’il est parti, nous étions tous à notre peine, mais la
cellule familiale, cette tristesse partagée était une commu-
nion comme un rempart inaltérable entre les membres de la
famille. La douleur de l’événement, c’est à l’extérieur que je
l’ai ressentie. Non pas qu’au dehors, la solitude marquée
par ceux qui vous manquent aurait été insupportable, mais
parce que j’exigeais presque du monde qu’il s’arrête pour
être tout à ma peine. En fait, je n’étais pas en peine, mais en
colère de voir que la terre tournait encore et ne s’était pas
arrêter une seconde au décès de mon grand-père…
J’avais donc été déjà déçu par les règles de la vie et restait,
sinon méfiant, réticent aux changements annoncés. Seule la
curiosité me faisait accepter les expériences, considérant
que mon avancement était à ce prix.

Elles furent nombreuses et éclectiques comme tout en cha-


cun. J’ai le souvenir d’un de ces petits livres « sur le chan-
gement personnel » que j’avais lu quelques années aupara-
vant. Il disait en substance : « Pour que le changement sur-
vienne dans votre comportement, trois choses indispensa-
bles : 1/ écoutez les règles du changement promis, 2/ les as-

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similer et les retenir, 3/ enfin, les appliquer. L’auteur (un
Indien au nom imprononçable) concluait avec malice : « Et
comme vous compléteriez un régime alimentaire en prati-
quant assidûment le sport, n’oubliez pas que lorsque vous
l’arrêtez, les kilos reviennent ! ». La vie est bien faite,
non ?...
En fait, la Franc-maçonnerie n’est différente en rien. Il
nous faut appliquer les vertus que nous prônons et bien
évidemment aussi, en dehors de la loge. La Fraternité par
exemple, en passant un coup de fil à ceux de nos Frères qui
sont absents ou qui nous semble éloignés. Comme nous, ils
ont leur famille, leurs problèmes et d’autres priorités que la
Maçonnerie. À nous de le comprendre en les appelant, en
leur faisant part de notre présence et pour leur témoigner
notre attachement fidèle et sincère. La Franc-maçonnerie
accompagnant la démarche d’une femme ou un homme
dans la recherche de lui-même, doit être un complément de
plénitude à sa vie, pas un handicap ou quelque chose qui
lui pèserait. C’est pour cette raison qu’il est souvent rappelé
que la démarche entreprise ainsi, passe toujours après les
impératifs familiaux et professionnels. Pour progresser, il
était donc de ma responsabilité d’appliquer les principes
reçus en Loge afin que la promesse d’un changement pos-
sible aient une chance de se réaliser.
Immédiatement, et quelle que fut la tentation tant il y avait
à dire sur les gens qui étaient autour de moi à la terrasse de
ce café, j’arrêtais de faire preuve de mauvais esprit, payais
l’addition, et m’en allais.

Jean-Baptiste avait souhaité que nous dînions ensemble.


C’était à chaque fois un réel plaisir que de partager un mo-
ment de complicité avec mon jumeau. J’apprenais à le

63
connaître, à le découvrir et notre relation devenait une belle
amitié. Après les quelques discussions professionnelles et
potins, il voulut connaître si mon entourage acceptait ma
démarche, m’encourageait où en était détaché. « Pas simple
en fait, répondis-je, si ma copine approuve mais reste peu
impliquée, ma fille, depuis le début m’a semblé assez réti-
cente. Elle garde très pudiquement une distance avec res-
pect pour la démarche de son père. Quant à moi, sentant
cette réserve, nous évitons ce sujet et parlons d’autres cho-
ses. »

Jean-Baptiste devait se retrouver dans mes propos et à le


voir silencieusement hocher la tête, j’imaginais que son en-
tourage réagissait à peu près de la même façon. « Tu sais,
curieusement, je suis assez gêné avec la Franc-maçonnerie.
C’est un sujet assez nouveau pour moi et je me doute que
pour ceux qui m’entourent, ça doit être sensiblement pareil.
Au point que je préfère garder ça pour moi ». Ce que je
n’osais dire clairement à mon frère et surtout ami, c’est que
mon intransigeance trouvait souvent ridicule ces gens qui
entamant un travail sur eux-mêmes, vous assomment de
conseils et contrevérités dès le lendemain de leur première
séance. De l’art de la révélation ! Ils se sentent obliger de
dispenser leurs conseils qui pourtant ne s’adressaient qu’à
eux au point de les élever au rang de solutions radicales et
universelles… Insupportable ! Ne voulant prendre le risque
de leur ressembler, ou de paraître donneur de leçon, j’avais
pris avec prudence, l’option de me taire, goûtant ainsi, aux
charmes et vertus du silence !

Puis avec Jean-Baptiste, nous échangions nos premiers res-


sentis en Loge. On s’étonnait de tous ces symboles et sur-

64
tout, de tous ces salamaleks protocolaires. La franc-
maçonnerie est un Ordre, on ne le redira jamais assez. Elle
a été véhiculée entre autres, par les garnisons militaires de
tous les pays d’Europe surtout au XVIIIème siècle et en a
gardé la discipline. Après tout, les choses sont simplissi-
mes : puisque vous avez consenti en homme libre à rentrer
dans cet Ordre, si cela ne vous convient pas, vous en sortez.
Un point c’est tout. Rien ici, ne vous appartient et ne vous
appartiendra jamais pour l’unique raison que vous êtes de
passage, juste un maillon, une pierre de l’édifice, seulement
un messager qui, à son tour transmettra dans les mêmes
conditions qu’il les a reçues, ces traditions séculaires.

Nous nous quittions mais heureux de savoir nous revoir ra-


pidement lors d’une prochaine « cayenne ». Que je vous ras-
sure tout de suite, rien à voir avec le bagne, une « cayenne »,
terme venu tout droit du Compagnonnage, est l’occasion
d’une réunion informelle entre frères, chez l’un d’entre eux.
Réunissant plutôt des frères d’un même grade mais encadré
de quelques frères d’expérience, c’est l’occasion idéale de
poser des questions, d’évoquer tel ou tel point du rituel qui
vous échappe et surtout de mieux se connaître.

Décontracté, c’est un moment de simplicité où tout


s’échange autour de quelques cochonnailles et bon vin.
Chez Paul, ce jour-là, nous devions n’être qu’une quinzaine.
Un peu intimidé au début, je découvrais son intérieur. Il y
avait des tableaux sur tous les murs. Le regard perdu dans
une magnifique lithographie de la fin des années cinquante
de Zao WouKi, très bien encadrée, je retrouvais dans celle-
ci la période où l’artiste commençait à se dépouiller de sa
culture natale, dont la peinture presque écrite, se libérait,

65
offrant de grands espaces que les peintres de l’école de Pa-
ris lui suggéraient alors. Lui aussi, avait dû remettre en
question une vie qui, sans doute, n’offrait plus de perspecti-
ve assez grande à ses propres yeux. « Tu t’intéresses à
l’abstraction lyrique ? » me demanda Paul. « Tu sais, la pein-
ture est une plus qu’une passion, mon véritable oxygè-
ne… ».
« Alors, ça nous fait un sacré point commun ! Viens avec
moi, on va boire un verre pour fêter notre plaisir partagé. »
Sa femme, magnifique brune élancée, me portait un verre et
ensemble, ils insistèrent pour me faire visiter leur maison.
Leur maison était grande, accueillante et en plein centre
ville, elle vous donnait la conviction d’être à la campagne
avec son jardin de curé. Ils avaient décidé de se faire plaisir
dans celle dont ils pensaient qu’ils finiraient leur vie. Fiers
de tel ou tel gadget et heureux comme des gosses décou-
vrant leurs jouets à Noël, je les suivais dans chacune des
pièces heureux de leur bonheur visible mais restais captivé
par tous les tableaux présents sur les murs. Redescendu
avec les autres, l’ambiance était rieuse et conviviale. Per-
sonne ne boudait le plaisir d’une plaisanterie et le travail
maçonnique n’était guère à l’ordre du jour, du moins pour
l’instant.

Seule femme parmi nous, la maîtresse de maison faisait de


son mieux pour satisfaire nos besoins. Je l’observais attenti-
vement, elle virevoltait, joyeuse au milieu de cet aréopage
masculin. Plus que discrète, elle s’appliquait presque à être
transparente, ne voulant gêner cette importante réunion et
ne prêtait que peu d’attention à nos discussions. Je pensais
à tous ces hommes qui avaient une femme comme compa-
gne, épouse ou amie, que leur disaient-ils de la Franc-

66
maçonnerie ? Difficile de partager ce que l’on est en train
de découvrir soi-même. Elles ont souvent ce rôle rassurant
d’accepter notre démarche sans l’approuver totalement mais
sans la réfuter. Une acceptation de confiance semblable au
principe que ce qui est bon pour leur conjoint, le sera cer-
tainement pour elle-même ou leur couple…

On mesure cette distance lors des repas « des Dames ». Ces


soirées où les femmes sont conviées pour un dîner qui leur
est dédié. Les œillades complices des frères sont autant re-
marquées que l’attitude introvertie de la gent féminine.
Souvent guindé, cet événement ne remplit que rarement
son objectif. Plongées dans cet univers, elles semblent pas-
sablement étrangères à cette fête organisée pourtant en leur
honneur.
C’est ainsi que les Francs-maçons, conscients de consacrer
du temps à leurs recherches souvent passionnées, témoi-
gnent leurs remerciements à celles qu’ils considèrent com-
me la femme la plus importante à leurs yeux. Mais souvent,
même dans ces soirées qui leurs sont consacrées, elles vien-
nent pour faire plaisir à leur homme ! D’ailleurs, lorsque
vous leur proposez la sortie en question, leur première in-
quiétude, est de savoir si telle autre femme sera bien là…et
en attendant, vous réserve sa réponse.

Nous avons beaucoup de progrès à faire pour les convaincre


de notre travail. Expliquer ce qui nous fait bouger, évoluer,
ce qui nous trouble aussi. Raconter cette fraternité mais
aussi, les doutes que nous vivons au contact de certains
comportements. Dire notre passion, nos croyances et ce qui
nous re-constitue lorsque nous sommes tous unis lors d’une
chaîne d’union par exemple. S’exprimer par la voix du cœur

67
que trop souvent nous leur tenons fermer ou tout juste en-
tre ouverte. Certains l’ont apparemment fait et leurs compa-
gnes semblent plus impliquées à leur côté.

La « cayenne » se poursuivait. Un Frère Maître avait eu la


bonne idée d’expliquer le principe de la bonne façon
d’appréhender une « planche » et surtout, son principe. Cel-
les-ci consistent en un travail de réflexions rédigées que les
frères réalisent à leur rythme. Les thèmes donnés sont les
symboles des rituels pratiqués, un peu comme un catéchis-
me, le but étant d’en acquérir la meilleure connaissance
possible pour tenter de découvrir les clés symboliques.
« C’est simple avait-il dit, vous vous souvenez des disserta-
tions, c’est un peu la même chose. Il y a un plan de cons-
truction à respecter. Sachez tout d’abord que votre guide,
votre référent, est le rituel. Repérez-y donc le thème de vo-
tre sujet, puis, recoupez les exemples et symboles qui
l’illustrent. Ensuite, donnez et développez le sens de votre
traduction symbolique. Enfin, donnez votre sentiment per-
sonnel, votre compréhension…». Nous étions contents de
ces quelques explications car il est vrai qu’apprentis et
compagnons, nous ressentons parfois l’importance de notre
ignorance face à tous ces symboles, rites et d’évidence, la
façon même d’envisager ces questions tant le sujet est vaste.

Il était déjà tard et la soirée bien avancée, nos débats étaient


passionnés. Nous étions très largement sortis du cadre et les
nombreux sujets que nous avions abordés présentaient
l’avantage d’apprendre à nous connaître tous. Paradoxale-
ment plus encore qu’en Loge, car l’environnement, la disci-
pline, l’apprentissage de ce curieux univers autant que les
rôles de chacun, dont dépend le bon fonctionnement de

68
celle-ci, demandent une attention soutenue qui ne favorise
pas de la même façon, les échanges aussi directs entre Frè-
res.

C’est au fil du temps, de ces réunions improvisées chez les


uns ou les autres et de la mécanique de répétition du rituel
accompli lors des Tenues en loges, que le travail commence
à produire ses effets. Un peu comme des moines, sans être
refermés sur nous mais recentrés. C’est dans ces moments
privilégiés, par notre écoute et du soin porté à l’autre com-
me à nous mêmes, que s’édifie ce qu’il convient d’appeler
en franc-maçonnerie, « le temple intérieur ».
Ces changements imperceptibles se révèlent par une façon
de se laisser aller et porter par le groupe, cette collectivité
que sont tous les Frères réunis. Cette nouvelle capacité que
je me découvrais à me faire l’allié du calme et du silence,
d’abandonner totalement pour quelques instants, mon es-
prit mais ses affres aussi, pour n’être qu’avec moi dans le
recueillement. Goûter aux plaisirs simples de l’instant où la
fraternité entre les hommes est palpable, tout cela me faisait
l’effet d’une douce et rassurante chaleur. Enfin, découvrir
les bienfaits de la tolérance, l’acceptation sans retenue de
l’autre et de ses différences, c’est incontestablement en pra-
tiquant l’art de la Franc-maçonnerie que je l’ai trouvé.

Jamais je n’avais envisagé le sens du mot « sérénité », cette


façon sérieuse et si légère de prendre la vie pour en goûter
le meilleur. Longtemps désinvolte, j’avais appris à considé-
rer sans cynisme aujourd’hui mais avec bonheur, cette poé-
sie que contenait une courte et belle phrase du journaliste
et romancier Gérard Sire, que je tenais depuis toujours
dans un coin de mon portefeuille :

69
« On se retrouve seul, on a peur quelquefois et l'on regarde
autour de soi, guettant sur un visage un soupçon de ten-
dresse. Mais personne ne s'intéresse à personne, et ainsi
tout va de mal en pis.
Parfois le malheureux reste sur le tapis, comme à la vie plus
rien ne le rattache, il crève dans son coin, sans que nul ne le
sache. Un sourire pourtant l'aurait tiré de là. Sourions mes
amis, quittons ces airs trop las, faisons-nous l'amitié, si rare
à notre époque, de sourire pour rien, d'être aimable avec
n'importe qui, pour n'importe quoi ».

70
Chapitre IV

Dessine-moi une Etoile…

Le nez au vent dans le petit cabriolet alfa, nous serpentions


sur les routes de campagne. Il faisait très beau. Le soleil
nous accompagnait et je me demandais comme lorsque
j’étais enfant, quel caprice faisait qu’il semblait sautiller
comme la lune en soirée, de droite à gauche de la voiture
jouant à cache-cache avec mon regard. A mes côtés, Jean-
Baptiste profitait d’un repos mérité. Jeune papa à 50 ans, il
avait occupé ses dernières semaines, et surtout ses nuits, à
reprendre le service couches culottes dont le savoir-faire
s’était émoussé au fil des années.

71
J’aimais de plus en plus mon ami, mon frère, c’était un
homme qui avait choisi d’aimer et d’adopter les conséquen-
ces de son nouvel véritable engagement. Là, il s’agissait
pour lui d’être père à nouveau, ce qu’il accomplissait avec
un réel bonheur tout en rouspétant à la fois. J’admirais sa
constance à l’effort, étant incapable moi-même de faire ce
qui avait entrepris. Pas vraiment dupe de l’admiration pour
lui à ce moment, tant celui-ci est souvent le solde de nos
propres déficits, j’avoue que j’étais un peu jaloux, tant il me
ramenait aux tendres souvenirs d’enfance de ma fille, Sté-
phanie. Loin de ses nouvelles obligations paternelles et di-
vers biberonnage, Il semblait prendre plaisir à cette balade
qui devait nous amener à la fête annuelle de notre loge pour
la Saint-Jean d’été ce 21 juin.

Depuis toujours, les solstices d’hiver et d’été rythment le


temps des deux grandes saisons. Repères indispensables
aux hommes depuis des temps immémoriaux, ils ont tou-
jours été l’occasion de marquer ce passage où le soleil
inonde de sa lumière la plus longue durée du jour, en oppo-
sition à la nuit, où ses ténèbres les enveloppent. Signes de
force et de fragilité pour les uns, ces moments ont toujours
été l’occasion de célébrations païennes d’abord et poursui-
vies par les croyants de la même façon.
Nous avons tous le souvenir de ces fêtes de campagne où les
jeunes faisaient un grand feu pour l’événement. Riant et
sautant, parfois au dessus de celui-ci, la Saint-Jean est ve-
nue jusqu’à nous, ayant perdu quelque peu de son sens ini-
tial.

Chez nous, Francs-maçons, ce sont deux moments impor-


tants et symboliquement plus chargés de sens encore. Pour

72
plusieurs raisons, la première d’entre elles, est que l’on
nomme traditionnellement ainsi « Loges de Saint-Jean »,
car toutes les respectables loges ou règnent « la paix, la
concorde et la charité » portent le même nom. L’opposition
des ténèbres à la clarté lumineuse qu’apporte la lumière
dans sa vérité, fonde la dualité des hommes travaillant en
conscience à leur amélioration. C’est un premier et véritable
travail à accomplir.
La seconde est que ces deux moments de l’année marquant
les solstices, sont l’illustration naturelle et symbolique du
Franc-maçon : la plus longue nuit d’hiver évoquant
l’obscurité, la perte de repère, la lumière disparue peut-être
pour l’éternité ? L’évocation de la mort….en revanche au
jour de juin qui sera le plus long. Nimbé de cette lumière
que procure le soleil, il s’élève dans le ciel depuis l’orient,
rappelant l’espérance pour celui qui la reçoit, à se trouver
après avoir chercher péniblement parfois, le début d’un
chemin.
De tout temps, cet astre reste l’expression du divin. Des
temps les plus reculés, des hommes des cavernes en passant
par les aztèques jusqu’à nos récentes civilisations, cette aura
de lumière est celle rassurante des bons présages, bienveil-
lante, elle est un refuge qui nous conduit au savoir, à cette
volonté d’amélioration de soi, à cette dimension que l’on
présume supérieure.
Elle révèle par la force de nos convictions, de nos croyan-
ces, sinon la part de religieux en nous-mêmes, plus sûre-
ment encore cette quête, ce besoin d’absolu.

Nous étions en vue du clocher du petit village d’Ariège de-


vant nous rassembler. Cette fête est avant tout le plaisir de
nous retrouver, de mieux nous connaître dans nos vies.

73
C’est vrai qu’en Tenue, nous n’avons guère le temps de par-
ler de nous, nos vies, notre quotidien. Si le temps en Loge
est le temps des travaux, chacun a laissé sa vie profane et ce
qu’on appelle ses « métaux » au dehors du temple.
Là, c’est tout le contraire, épouses, compagnes, enfants,
bref, toute la famille est conviée à ce rassemblement. C’est
notre garden-party à nous ! Un véritable élysée mais dé-
pouillé, où tout n’est que simplicité et plaisir.

« Jean ! gare la voiture à l’entrée de la clairière ». Nous sor-


tions du véhicule avec Jean-Baptiste, échangeant un clin
d’œil car nous constations que nous étions les seuls à être
venu en célibataire.
« Alors, où se trouve Jean-Michel ? » demandais-je. Il
s’agissait du frère qui avait tout organisé que j’allais salué
pour prendre des nouvelles de sa santé. L’année avait été
longue depuis le jour d’hiver où j’avais suggéré l’idée de
confier la Saint-Jean d’été à notre ami. Ce Frère, déjà bien
affecté par sa maladie insidieuse, avait reçu cette proposi-
tion comme un rayon de soleil prometteur. C’était le but et
à le voir de si bonne allure, cela semblait réussi.

La clairière, le buffet sous cette sorte de halle en pleine


campagne près d’un lac. C’était sublime. Nous surplom-
bions celui-ci et je voyais le vent coucher les champs de blé
encore verts comme des vagues ondulantes. Un verre en
main, je me sentais apaisé, porté par les conversations que
je recevais sans les entendre comme des gazouillis
d’oiseaux. Je sentais des gens heureux, c’était rare, c’était
simple, c’était bon.

74
Ce sont dans ces moments où l’on pense au chemin parcou-
ru en maçonnerie et surtout à sa propre vie, à ce que cela
vous apporte, change ou plus modestement, modifie.

Il serait fastidieux et sans intérêt d’en dresser une liste. Je


me satisfais surtout d’une chose que je ne possédais pas,
j’avais gagné en « acuité ». Je parle de celle du cœur mais
aussi d’une conscience de soi. De celle qui vous permet de
vous sentir vivant, bien là, présent à ce que vous faites. Pas
dans ce qu’il s’est passé la veille ou à demain avec ce qui
vous attend au bureau. Profiter dans la légèreté, comme ce
vent dans les prés, du simple plaisir d’être bien, ici et
maintenant, me satisfaisais avec bonheur.

Appelé à passer à table, j’avais rejoint Jean-Baptiste qui


m’avait réservé une place à ses côtés. De gauche à droite,
des rires, des bruits de couverts et d’assiettes qui
s’entrechoquaient ; les conversations allaient bon train et se
croisaient, se quittaient puis reprenaient à l’envie.
« Ta fille est au courant de ton engagement maçonnique ? »
me demandait Jacques en face de moi. « Oui, mais ça a été
un peu compliqué » répondis-je. « D’abord, j’ai mis du
temps à lui en parler. Ça ne m’est pas venu comme ça. Elle
m’a toujours connu rationnel, concret et parfois un peu
trop sûr de moi en apparence. Lui parler de mon entrée en
maçonnerie me semblait difficile à expliquer. Se confronter
à de gens qui ne sont pas d’une grande importance pour
soi, n’est pas grave, en revanche, prendre ce risque avec
ceux qu’on aiment, c’est une autre affaire !

Quoi qu’il en soit, je n’ai pas osé facilement. Il a fallut du


temps ». « C’est arrivé naturellement au fil d’une conversa-

75
tion. Elle était attentive, mais je la sentais méfiante. Elle fut
surprise, un peu… il n’était-il pas évident de faire le lien
entre son père qu’elle connaît et la Franc-maçonnerie qui
reste un sujet abstrait pour elle. En tous les cas, j’ai senti
qu’elle avait plein de questions à me poser mais je décidais
de la laisser venir. J’ai pensé que c’est préférable ».

« Tu vois c’est curieux mais pour moi, avec Laure mon


épouse, ce fut exactement l’inverse » dit Alain, un Frère ve-
nu en famille, rebondissant sur la conversation. « D’emblée,
j ‘ai senti son approbation, d’autant plus touchante qu’elle
aussi, elle ne connaissait rien à tout cela ». « Ah, non, di-
sais-je, je n’ai pas dit qu’il y avait réticence de ma fille ou
quelconque réprobation, mais seulement un étonnement à
mettre d’emblée en perspective son père et ce milieu. C’est
sans doute lié à sa méconnaissance d’ailleurs, dès que j’ai
pu répondre à ses premières questions, tout fut plus facile ».
« Si je ne suis pas certain qu’en me dévoilant, elle ait com-
pris le sens de ma démarche, en revanche, j’ai pu percevoir
la confiance qui nous unis et ça vaut tout l’or du monde !».

Jean-Baptiste écoutait, je le sentais sur la réserve. Tout à


coup comme souvent le font les personnes au caractère ré-
servé, il s’adressa à moi presque brutalement comme par
défi : « Ecoute Jean, bien sûr que notre engagement peut
être entendu de notre entourage le plus proche mais fau-
drait-il encore que l’on sache l’expliquer pour le faire com-
prendre aisément, savoir ce que concrètement cela trans-
forme en nous. Par exemple, tu saurais témoigner des chan-
gements opérés en toi ?

76
Couteaux et fourchettes s’étaient soudain tus, les quelques
personnes voisines de cette discussion prenaient conscience
que celle-ci allait sortir des poncifs habituels et peut-être
délivrer des sentiments plus évidents à comprendre.
« Jean-Baptiste a raison, je vais tenter d’être concret et sur-
tout honnête. Même si tout ne s’explique pas, il est indénia-
ble qu’en moi, des changements notables dans la façon
d’aborder les choses et de les appréhender ont considéra-
blement modifier mon comportement.

Où, plus précisément, si les émotions, sensations et réflexes


s’adressent à moi et me parviennent comme lorsque j’avais
vingt ans, on ne se refait pas, ce que j’ai appris de moi-
même en franc-maçonnerie m’oblige à une retenue. Ça ne
fait pas de moi une autre personne ou un hypocrite, pas du
tout, bien au contraire, j’ai appris à comprendre mon carac-
tère, ma façon de réagir et, à vaincre mes passions où cet
élan naturel de ma personnalité, j’ai acquis une réserve face
à moi-même.
En ce sens, la tolérance devant s’adresser à tous, doit
d’abord s’appliquer à soi. Prendre en compte nos propres
fragilités, nous rend plus fort à l’écoute des choses, des
problèmes ou tout sentiment que nous rencontrons. Voilà le
changement principal que la franc-maçonnerie à pu opérer
sur moi ».

Alain avec Laure m’écoutait, il me dit : « Tu veux dire quoi,


que tu t’obliges, te contrains…mais tu deviens qui dans tout
ça ? ».
« Pas du tout Alain, ce n’est pas ce que je dis. J’ai conscien-
ce bien au contraire, d’être resté exactement le même. Je
frémis et ressens avec la même émotion tout ce qui me par-

77
vient, mais ma façon de réagir s’est construite. Avant tout,
en retenant les leçons de mes propres expériences, ce que je
ne faisais ou n’étais pas capable de faire auparavant ».
« Vois-tu, continuais-je, ma grand-mère que j’adorais, avait
ce défaut qui vient souvent avec la vieillesse, de rabâcher au
quotidien des choses toutes simples. Pourtant, une parmi
d’autres, m’agaçait au plus au point. Dès que nous devions
sortir et qu’il pleuvait, elle répétait sans cesse : Bon sang, il
pleut, ça va encore mouiller !
Je lui répondais : Mamou, tu ne découvres plus rien de
nouveau là-dedans, oui, quand il pleut, ça mouille !
En fait, ce qui m’étonnait dans sa sempiternelle remarque,
était que l’on puisse tout une vie, revenir et ressassé ce que
l’on sait déjà.
Mon sentiment est bien différent. Une fois que l’on sait,
qu’on a appris quelque chose ou qu’un constat a été fait, il
faut le prendre pour acquit et ainsi pouvoir avancer. Retenir
la leçon des êtres ou bien des choses qui nous entourent,
apprendre, retenir et accepter permet de passer à la suite, à
avancer ».
« Indéniablement, l’exercice de la Franc-maçonnerie m’a,
sur ce point, aidé à me comprendre mieux et bien sûr, à
m’accepter ».

Claudine, une invitée du couple qui était présente, intervint


amusée : « Oh là là, et bien les garçons, vous faites de plus
en plus fort ! La Franc-Maçonnerie, voix de sagesse, il ne
manquait plus que ça ! » Dit-elle avec son impertinence ha-
bituelle.
« C’est curieux ce que tu dis mais pas totalement éloigné de
ce que je pense en fait ». « J’ai effectivement, au regard de
biens d’autres façons que cela puisse être considérer ainsi.

78
Mais alors, c’est une voix parmi d’autres, elle parle à cer-
tains et pas à tous. Et surtout, elle ne peut être réduit pas
qu’à ça ».
« Dans un autre ordre d’idée, il m’est arrivé de comparer
mon engagement à l’apprentissage d’une philosophie. J’ai
d’ailleurs une amie qui a fait un parcours intéressant en
pratiquant depuis de nombreuses années l’indouisme, et
nous avons trouvé, dans nos conversations des points de
convergence très intéressants.
Par exemple, concernant l’épanouissement de soi. Beau-
coup d’entre nous et plutôt dans nos civilisations occidenta-
les, considèrent cela comme futile ou au mieux, égoïste.
Seulement voilà, savoir être soi, chercher à se comprendre
soi-même est une étape indispensable au bonheur. C’est ce
que les orientaux appelle atteindre la paix intérieure. Ga-
gner cet état permet évidemment d’être mieux sinon d’être
totalement heureux, mais surtout d’être mieux avec les au-
tres.
Avez-vous remarqué le nombre de personnes atones, tristes,
parfois limite dépressives autour de nous, ayant perdues
toutes convictions et se laissant juste porter, attendant dès
le lundi que le prochain week-end arrive…pour vous avouer
pourtant que ce fameux week-end, elles se sont ennuyées à
mourir… Et qui pourtant, au détour d’une conversation,
n’auront de cesse de vous convaincre que de toute manière,
avant elles-mêmes, il y a les autres, leur femme, mari, com-
pagnon, enfants et amis. Bref, que l’important, pour eux, ce
sont les autres…

Alors, c’est bien et certainement très beau (il serait


d’ailleurs intéressant de s’interroger sur les motivations pro-
fondes de ce « don de soi »…), je pose juste une question,

79
que peut-on attendre de quelqu’un qui va mal ? De quelle
nature est cet apport ? Quelle confiance peut-on recevoir
d’une personne qui précisément, dit ne pas se faire confian-
ce ? Que peut-on recevoir d’amour de quelqu’un qui ne
s’aime pas lui-même ? Que peut-on attendre de quelqu’un
qui n’a pas pris le temps de se s’entendre, de se compren-
dre elle-même ? J’ai des doutes, de très gros doutes !…

Cette amie a cultivé durant toute sa vie une philosophie ap-


pliquée chaque jour : être d’abord « bien » elle-même. Bien
dans sa tête et dans son corps. Ses moyens sont les siens,
méditation quotidienne, exercices de respiration, lectures et
divers travaux… Cette façon de « descendre en soi-même »
lui permet de prendre du recul sur les choses et surtout des
idées négatives nuisibles ou qui ne lui apportent rien.
Faire ce point quotidien lui permet une sorte de détache-
ment pour se concentrer sur ce qui la fait vibrer. Si toutes
les approches pour chacun d’entre nous, sont différentes
pour tendre à un tel état, la sienne est convaincante, je vous
l’assure ! Elle est visiblement en accord avec elle-même.
Plus claire avec ses émotions, ne confondant pas les causes
et leurs conséquences. Plus mûre pour prendre ses déci-
sions, systèmes ou changements de cap, elle regarde sa vie
sans peur, se sentant capable de tout et de toutes les auda-
ces…Résultat, Isabelle est « rayonnante » et du coup, son
entourage profite de son rayonnement, du meilleur d’elle
même. J’ai constaté qu’être « d’abord à soi » est la façon la
plus positive d’être mieux avec soi-même, et donc par
conséquent, avec les autres ».

« Et votre travail en Franc-maçonnerie s’apparente à cela ? »


reprit Claudine. « Pour une part, oui, indéniablement. C’est

80
en cela qu’on peut la nommer voix de sagesse. Mais cela ne
peut être réduit à une recherche de bien-être uniquement.
Il convient que cette voix intérieure, concoure à la voix de
conscience par la voix spirituelle. C’est ça, être Maçon, mais
si le moyen consiste d’abord et avant tout travailler sur soi-
même pour sonder notre intériorité, l’objectif est de parve-
nir à un état de conscience de chacune de nos pensées, de
nos actes et tenter d’approcher la réalité de la vraie Lumiè-
re ».

Vraie lumière… suspendus à cette formule, qui curieuse-


ment ne semblait pas vraiment claire, tous, autour de la ta-
ble, écoutaient attentivement nos échanges. Hardie, Hélène,
une amie de Claudine s’exclama : « Je suis vraiment impres-
sionnée d’être entourée d’autant de types bien ! ». « Ah ça !
c’est malin !» répondit joyeusement Bernard, un frère. « Si
tous les Francs-maçons étaient des hommes d’exception,
cela se saurait ! » répondis-je. « Disons qu’ils tendent à
l’être, ils viennent avec ce qu’ils sont : des êtres imparfaits,
soumis à leur histoire personnelle, parfois quelques névro-
ses et beaucoup d’incertitudes ». « Ils apprennent à parler
sincèrement avec leur coeur, ils se cherchent et avec coura-
ge en essayant de se respecter ! ».

« Entrer en Franc-maçonnerie, c’est chercher, souffrir, per-


sévérer. Et peut-être atteindre un état de conscience qui fait
de soi quelqu’un de plus éveillé qu’un autre. Pas meilleur,
mais responsable de ses actes. Après, chacun choisi libre-
ment sa voix ».
Claudine attentive, avait écouté l’échange et reprenait la
discussion avec le désir évident d’en découdre. Mais, man-

81
quant de simplicité, à l’endroit où sa timidité se révélait, elle
préféra avoir recours à l’humour …
Je jouais le jeu avec complicité, attentif à ses remarques,
m’attachant au fond, plus qu’à la forme. Sciemment provo-
cante, elle posa d’ailleurs une dernière question ; « Mais
alors, dis-moi, ce que tu es en train de nous décrire, c’est
carrément une psychothérapie !? »…
Nous éclations tous d’un même rire. « Il m’est difficile de te
répondre à ça. D’abord je ne m’y connais en rien dans ces
choses-là. D’emblée je te répondrais non. Du moins pour le
sens que j’en connais, car ce ne peut-être l’objectif recher-
ché d’une démarche initiatique. En revanche, on peut bien
admettre que si l’idée présente de « l’édification d’un tem-
ple symbolique universel » additionnant les pierres repré-
sentées par tous les frères qui y travaillent, on peut convenir
que l’introspection personnelle que nécessite une telle en-
treprise pour que se fonde « un collectif d’harmonie et
d’amour », peut s’apparenter à une sorte de psychothérapie
pour certains d’entre nous, notamment par ce quelle nous
révèle ».
« Disons que l’objet est absolument différent mais que les
moyens et les voies utilisées peuvent amener à y voir quel-
ques similitudes…un peu comme Monsieur Jourdain qui
faisait de la prose sans le savoir… ».
« Eh bien, vaste programme, messieurs ! » Claudine conclut
la conversation par cette pirouette mais insista pour me dire
l’intérêt qu’elle aurait à reprendre celle-ci.
Quand tu le voudras …pensais-je, car elle était jolie Claudi-
ne, avec ses yeux noirs pétillants des femmes malicieuses
qui s’appliquent tantôt à s’aligner au fonctionnement des
hommes, tantôt à bien marquer leurs différences surtout

82
quand ça les arrangent, tout cela avec une précision inso-
lente qui lui donnait du chien.

La chaleur cognait fort sur le préau et la fraîcheur des


étangs alentours, avait du mal à nous parvenir. Des « santés
d’ordre » étaient alors portées. Les hommes se levaient au
grand étonnement des femmes présentes. Seuls, ces petits
signes nous rappelaient que cette sortie familiale comme
nous en avons tous connu, était différente. Qu’ils mar-
quaient la volonté, la rigueur voulue et souhaitée par nous,
Maçons, de saluer ainsi la chaîne de transmission de tous
ces hommes qui, jusqu’à nous, ont pratiqué la Maçonnerie
dans le même engagement à rechercher la perfection en soi
dans l’idéal d’un monde meilleur et plus fraternel.

Naïfs peut-être mais nos femmes à nos côtés, devaient sentir


cette conviction car plus aucune à ce moment précis,
n’arborait ce petit sourire gentiment moqueur ou condes-
cendant au coin des lèvres.
Devant ces coutumes surprenantes, elles étaient simplement
respectueuses et complices de cette ambiance recueillie et
profonde…

Puis, les rires et les bruits du chahut des enfants repre-


naient le dessus ainsi que les bavardages des adultes. Cha-
cun se levant et allant se resservir au buffet. Cette journée à
la campagne, s’étirait au rythme du soleil de cette fin
d’après midi. Déjà les claquements de quelques portières
indiquaient le départ des uns et des autres. Nous prîmes
congé et rentrions avec Jean-Baptiste.

83
La petite Alfa roulait plein vent, le soleil jouait de ses reflets
sur les bordures chromées du pare-brise, nous aveuglant
parfois au point que je proposais à mon ami de nous arrêter
quelques instants
C’était dans un virage. Mauvais arrêt, presque dangereux.
Mais qui pourrait passer là, dans cet endroit perdu de cam-
pagne où, depuis plus de dix minutes, nous n’avions croisé
personne ni même une seule auto ! Silencieux, nous étions
à contempler avec Jean-Baptiste la campagne à perte de vue,
ces collines doucement vallonnées d’où monte une légère
brume de chaleur accumulée. Puis, vint le couché de soleil
que nous regardions comme deux grands dadais, là-bas vers
l’occident, à l’opposé de cet orient magique et prometteur.
Cette journée avait été sublime et douce, les frères étaient
heureux et moi aussi.

84
Chapitre V

Vous avez dit Maître ?

« On ne connaît que les choses qu'on apprivoise ». Que


Saint-Exupéry fut ou non Franc-maçon, n’a pas
d’importance. Il l’était assurément par les yeux de son cœur.
Cette étoile qui guide le Petit Prince est exactement celle
qui doit nous guider, nous gouverner, pour interroger notre
conscience. Le compagnon que j’étais alors avait bien com-
pris que celle-ci se situe à l’exacte intersection du très bas et
du très haut spirituel.
Le Franc-maçon, cherchant, persévérant et souffrant dans
sa quête part de tout en bas, du plus profond de lui-même,
il avance vers la lumière qui se lève et lui vient de l’Orient.

85
Cette lumière est son idéal. Pour certain, elle peut se limiter
à soi. Pour d’autres, elle est évocatrice de l’Etre supérieur
qui nous gouverne, le Grand Architecte de l’Univers. Peu
importe au fond, elle constitue ce qui relie les hommes de
bien aux autres hommes. Par là, se créé l’obligation de
comprendre en conscience chacun de nos actes, travailler à
être dignes par une conduite irréprochable chaque jour, à
cultiver cet idéal. Bref, habiter en cœur et en conscience
notre existence pour donner du sens à la vie.

« Mes Frères, debout et chapeaux bas, apprêtez-vous à rece-


voir votre Vénérable Maître ! ». A la tenue suivante, nous
avions le bonheur de recevoir des frères visiteurs de passage
comme cela est souvent le cas en Franc-maçonnerie. Les
Frères invités à voyager, vont, au gré de leurs déplacements
professionnels, rencontrer d’autres frères d’autres Loges de
toutes les régions de France et d’ailleurs…
Ce soir, c’était l’inverse. Des frères venus en délégation du
Danemark nous rendaient visite. Difficile de communiquer
lorsqu’il s’agit de Danois ! Tous étaient là devant un verre,
fraternellement partagé. La dégustation de vin organisée par
un de nos Frères, nous laissa dépité : les trente gaillards
avaient siphonné les bouteilles sans s’embarrasser des ex-
plications de notre œnologue d’un soir. Interloqué, notre
Frère regardait les cadavres de bouteilles alignés sous l’œil
goguenard de nos Frères Danois peu rassasiés…
Pourtant, la délégation de ces Frères visiteurs rentra en Lo-
ge dans un ordre impeccable, suivi par l’aréopage Provincial
dont le Très Respectable Grand Maître Provincial tenait la
tête.

86
Après les échanges protocolaires dus à leur rang, divers dis-
cours sur la Fraternité des hommes furent échangés et ren-
forcés par le fait que sans partager la même langue, nous
recevions le message au cœur. Il est effectivement à ce point
incroyable que sans parler le français ni le comprendre, leur
comportement, visage et sourire portaient la conviction de
leur message. J’ai cru même un moment que je connaissais
le danois !...
C’est dans ces instants là que nous nous sentons plus
Franc-maçon encore. Prendre la mesure, quelque soit votre
origine, nationalité ou niveau culturel où social, que vous
partager des valeurs du cœur les plus fortes qui unissent les
hommes, c’est une communion spirituelle que je vous invite
à connaître un jour. Ces moments sont rassurants pour moi
mais bien plus encore lorsqu’ils expriment ce en quoi je
crois.
Nos idéaux, nous les envisageons souvent sans constance et
c’est sans doute pour cette raison qu’il ne reste qu’au stade
de belles intentions… Les voir vivre par un groupe
d’hommes, signe une extrême vivacité et donc leur indénia-
ble vérité.
Le lien qui nous unis, jamais je ne l’ai senti aussi fort qu’en
étant compagnon. Tôt, j’avais l’envie de partager avec les
jeunes apprentis récemment initiés. Comprendre que cette
démarche que l’on nomme les Loges bleues et dont les trois
degrés universels sont Apprenti, Compagnon et Maître, ne
peut être une fin en soi mais un commencement. C’est lors
de mon élévation au grade de Maître que justement j’allais
le comprendre comme un ouvrier qui aurait lors de son ap-
prentissage, remplit sa caisse de tous les outils pour travail-
ler. Il me resterait alors qu’à me mettre au travail !

87
J’avais été « élevé » depuis quelque temps déjà presque sans
m’en rendre compte hormis le merveilleux endroit où cela
s’était déroulé qui restait gravé en moi. Non pas que la cé-
rémonie qui vous fait « Maître » ne soit pas un souvenir par-
ticulier, fort et inoubliable, mais comme à l’école, si l’on est
studieux, les classes se succèdent presque naturellement,
sans à coup et le parcours s’accomplit de soi. L’avancement
en Franc-Maçonnerie est si personnel qu’aucun plan de
carrière ne pourrait s’y concevoir. Le moteur principal est
votre envie, votre capacité révélée à faire vivre votre enga-
gement, à travailler, visiter d’autres loges, d’autres rites et
par comparaison mieux comprendre le sien. C’est vouloir
comprendre ce qui n’est qu’intangible, presque invisible,
c’est chercher, persévérer et souffrir encore et encore, sans
fin…et l’accepter.
Mais à l’inverse, pourrait-on concevoir que l’homme puisse
trouver sa vérité ? Que tout ceci puisse avoir une fin comme
un bon film américain ? Tout est fluctuant, bougeant et in-
saisissable, nous courrons après nous-mêmes toute la
vie…mais nous cherchons. C’est là, la seule et unique ambi-
tion d’un Maître Maçon et plus on avance plus s’ancre les
vertus de l’humilité, du doute mais aussi, de la force d’une
conscience éveillée, petit début vers la sagesse.

Je participais à la vie de la Province par enthousiasme,


conviction et passion bien sûr mais surtout pour le plaisir
que j’avais à échanger, partager et débattre des idées et pro-
jets que tous voulions mettre en œuvre afin que l’on
connaisse mieux le sens de ce que nous étions et ce qui
pouvait être le sens de nos de nos travaux. Un projet avait
particulièrement demandé une attention soutenue. Celui-ci,
imaginé et mené par mon frère Jacques, devait animer des

88
journées Portes ouvertes. L’idée en était simple, visite de
nos lieux par le public le plus large possible qui ainsi, pren-
drait mieux la mesure de ce que nous étions vraiment. Ces
actions ou plutôt ces démonstrations simples, sont efficaces,
car nous sommes au contact du public et il peut nous inter-
peller selon ces besoins, sa curiosité en toute spontanéité
concernant la réalité concrète de la démarche maçonnique.
Il nous restait à mettre en œuvre une sorte de fil rouge.

Jacques m’avait entretenu quelques mois auparavant de son


idée et souhaitait m’y associer connaissant mes ressources
d’imagination en la matière. « Tu vois, le thème serait « Une
Loge de Francs-Maçons comme si vous y étiez »...qu’en
penses-tu ? ». J’appréciais beaucoup cet homme, sous son
apparente allure psychorigide qui en bloquait plus d’un,
c’était un monstre d’humour, de gentillesse et d’attention.
J’ai toujours aimé les doubles personnalités. Cette partie
qui apparaît des hommes au-delà de ce qui semble, témoi-
gnant ainsi de la curiosité de gratter la carapace. Jacques
était souvent tout en retenu mais sous la cendre, le feu brû-
lait et se montrait intense de passion et d’envie. Je répon-
dais que le concept me séduisait beaucoup et qu’il nous fal-
lait établir un scénario pour le déroulement de cette anima-
tion. « L’idée, reprit-il, serait de mettre des mannequins en
situation, habillés de nos tenues et décors ».
Cet aspect figé de la Loge permettrait deux avantages : le
premier, obligeait à se concentrer sur le texte et la musique
qui serait donnés à entendre; le deuxième, était qu’ainsi on
montrait sans découvrir vraiment, respectant ainsi l’intimité
de nos cérémonies et l’anonymat de tous nos frères ». Il fi-
nissait de me convaincre, j’acceptais avec bonheur de
contribuer en scénarisant son idée.

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Un autre de nos frangins, musicien talentueux finaliserait la
bande son afin que l’animation puisse donner un spectacle
de qualité, vrai et sensible…
Le jour dit était très vite arrivé, nous étions prêts. Non seu-
lement le public avait répondu présent mais il était partout.
Les Temples de l’étage et du rez-de-chaussée étaient bon-
dés ! Dans les salles de restaurant, des frères expliquaient
l’Agape, ce prolongement du travail réalisé en atelier autour
d’un repas fraternel. Les gens découvraient ainsi la mise en
place de la table reconstituant la Loge. Mais aussi, dans le
bureau du Grand Maître Provincial, jusque dans la biblio-
thèque, les frères animateurs présents répondaient avec leur
cœur, aux multiples questions posées.

A l’occasion de ces journées portes ouvertes, il avait été dé-


cidé de laisser un accès total à nos locaux, nos outils, nos
habitudes et à une partie de nos pratiques…dans les limites
de l’acceptable pour un vrai Maçon.
Si par sagesse et en respect de nos serments, il n’était pas
question de dévoiler l’intimité d’une cérémonie d’Initiation,
notre projet était de tenter d’en faire partager sa force et sa
beauté. Comme convenu notre animation était prête. Dans
le grand Temple, les mannequins vêtus et portant décors et
insignes de leurs fonctions représentaient des Maçons dans
la loge. Sans tête, figés dans un instant d’éternité, assis pour
certains, debout sur les colonnes pour d’autres, éclairés
dans la pénombre par ces quelques bougies dont peu de
personne ne comprendrait l’importance, donnaient le sen-
timent d’un atelier reconstitué, prêt pour l’ouverture des
travaux.

90
Puis les visiteurs entraient dans le temple. Ils semblaient
tous impressionnés par ce lieu étrange, chargé de symbole
sur les murs qu’ils devinaient à peine tant la pénombre les
accueillait, un grand silence aussi. On les accompagnaient
pour les installer de part et d’autre du grand carrelage noir
et blanc appelé pavé mosaïque, semblant prendre place eux
aussi comme des Frères l’auraient fait.
La bande-son accompagnée de différents mouvements mu-
sicaux s’élevait, faisant renaître Mozart et son génie…Tous
les spectateurs présents étaient attentifs. Leur recueillement
les renvoyait à l’histoire des Hommes…à leur propre histoi-
re. La voix des témoignages enregistrés de frères expliquant
ce qui les avait amené à rejoindre la Franc-maçonnerie,
ponctuait et illustrait ce voyage hors temps, cette ballade
dans l’intimité où chacun peut s’écouter au plus profond de
lui-même. L’émotion montait à son comble lors de la chaîne
d’Union qu’à la fin de cette animation, une simple invitation
proposait. Déjà, tous s’étaient levés et spontanément pre-
naient la main de son voisin et pouvait écouter une sorte de
prière que font les Maçons dans un de leurs rites: “Le toast
du Tuileur” :
« A l'heure où nous allons nous séparer momentanément,
recueillons-nous un instant, et tournons nos pensées vers
tous les Francs-Maçons du Monde. Souhaitons à ceux qui
sont heureux et puissants, la sagesse et la modération dans
l'usage des biens de ce monde... Souhaitons à ceux qui sont
malades ou malheureux, la santé et le retour au bonheur.
Enfin, à ceux qui vont nous quitter, à ceux qui vont connaî-
tre l'ultime initiation que le Profane appelle la Mort, souhai-
tons leur courage et force devant l'Eternel Orient »...

91
L’un après l’autre et sans discontinuer toute la journée, les
groupes s’étaient succédés… A voir tous les visages de ceux
qui sortaient du Temple, les arrivants supposaient le char-
me indicible qui avait à l’évidence opéré et se montraient
curieux et impatients du spectacle.

Là-haut, dans l’autre Temple, je continuais les visites en


expliquant ou en répondant aux multiples et diverses ques-
tions de nos visiteurs. « Mais c’est quoi tous vos secrets?
Vous avez beau dire que vous êtes simplement discrets, on a
quand même le sentiment que vous avez le goût persistant
du mystère ! ». S’égosillait la petite dame aux cheveux gris
qui posait cette question. Elle avait un regard acéré comme
une perruche !
Ses mains rapprochées sur le dépliant qu’on lui avait donné
à l’entrée, donnaient l’impression qu’elle se tenait ferme à
un perchoir. De sa voix stridente, la phrase prononcée fut
incisive et dans le silence revenu, elle attendait sa répon-
se. « Madame, il n’y a pas de mystère maçonnique à pro-
prement dit, encore moins un intérêt de quelconque secret.
Je vous invite à vous rendre dans n’importe quelle librairie,
vous y découvrirez sans peine toute la littérature nous
concernant. Vous y lirez l’histoire de la Franc-maçonnerie,
ses rites, ses symboles parfois rangés dans un dictionnaire
et ses cérémonies les plus intimes livrées à tous…C’est dire
que pour des secrets, ça reste assez accessible ! Mais de
même que si vous achetiez un ouvrage sur l’électronique, si
vous n’en n’avez pas reçu l’enseignement, ni acquit une ex-
périence en la matière, ce livre ne vous dira rien en fait, car
il ne vous concerne pas…ou pas encore. Prenons encore
l’exemple d’une belle randonnée que vous auriez eu la
chance d’avoir fait. Découvrant une belle colline au bout de

92
quelques heures de marche. Fatiguée, mais le sentiment
plein d’avoir méritée votre arrivée au sommet, vous savourer
le plaisir d’un paysage à l’horizon époustouflant…Mais,
l’est-il vraiment en fait ? Pour vous, à coup sûr. Pourriez-
vous pour autant partager ce sentiment et l’émotion qui est
la vôtre en le racontant ? »

En fait, là encore, rien ne vaut que pour celui qui accomplit,


qui vit l’instant, qui découvre, qui aime. Etant à ce point
impliqué dans une démarche personnelle qui n’a de sens
que pour soi, pour en recevoir en retour, tous les bienfaits.
En clair madame, il est des choses, des expériences qui ne
peuvent être racontées, ni partagées. Non pas qu’on vou-
drait les cacher mais l’émotion qu’elles portent allant par-
fois jusqu’au bouleversement, n’est pas transmissible ».

Loin de m’écouter parler, je sentais pourtant en moi un ton


trop sûr presque déplacé, confinant à l’insolence. C’était
juste l’élan de ma passion, ma volonté d’offrir à l’autre
l’envie de connaître mais de suggérer aussi, l’implication
que cela impose. Dire et répéter qu’ouvrir sa conscience aux
choses de l’humanité, était s’ouvrir soi-même telle une boîte
de Pandore pouvant vous emmener plus loin qu’on l’aurait
souhaité… Je m’imposai donc de revenir au silence, au cal-
me nécessaire marquant le respect dû à l’auditoire et à cette
dame en particulier.
A cet instant, je jetais un bref coup d’œil circulaire sur tout
ce monde qui avait envahi nos locaux, démontrant le succès
de notre initiative. Rien n’était de la curiosité déplacée, tou-
tes les questions posées signifiaient une recherche de sens.
Qu’est-ce qu’une démarche initiatique ? L’intérêt de la
compréhension des symboles qui nous entourent ? La signi-

93
fication de ces rituels maçonniques ? Que vient-on faire
en Loge ?

Cette quête éperdue de l’être humain, de l’autre, de soi-


même… Tout autant, le sujet récurent de la trace de
l’humanité et de la transmission. D’où venait la Franc-
Maçonnerie, qui étaient ces acteurs principaux et surtout
que signifiait être un Franc-Maçon en 2010 ? Au soir de cet-
te manifestation, j’avais reçu largement « mon salaire » et
j’étais content. Une réconciliation avec le genre humain, qui
est un peu le début de la réconciliation avec soi-même.
Nous faisions la preuve que la Franc-Maçonnerie pouvait
s’ouvrir vers les autres, dire ce qu’elle est vraiment et rester
dans l’intime sans dévoiler sa richesse. Elargir son champ
de vision du Monde auquel elle prétend participer en disant
toute son attention, lui permet indéniablement tout recro-
quevillement qui lui serait fatal. Depuis les temps anciens
des Maçons opératifs, l’action des Frères à toujours été por-
tée vers et pour les hommes… rien n’avait changé.

Revenu au bar après que cette belle journée ne soit termi-


née, quelques personnes tardant à quitter ce cocon, se dé-
saltéraient. Ultime satisfaction, j’apercevais ces yeux noirs et
brillants qui avaient intercepté mon regard un fragment de
seconde…tout à l’heure, au moment de l’interpellation de la
petite perruche. Réels, Comme deux éclats de malice au mi-
lieu de son visage ovale. Souligné rimmel, son regard s’était
posé sur moi, je l’avais senti, je l’avais vu. Elle était
là…devant moi, un verre à la main. Je réalisais soudain le
risque à me tourner franchement vers elle, une très belle
femme aux cheveux courts. Immobile pour mieux en profi-
ter, je savais qu’elle m’avait vu et jouais merveilleusement

94
l’impression du contraire. Comme un oiseau posé à quel-
ques centimètres, je retenais mon souffle de peur qu’il ne
s’envole…Mes doigts enserraient mon verre à le casser. Elle
s’était approchée au point de comprendre l’appel, je déci-
dais de croiser son regard à mon tour en me retournant. Je
n’en eu pas le temps, sa main tapota mon épaule :
« Bonjour, moi c’est Marie, je n’ai pas osé vous interrompre
tout à l’heure mais j’avais une question… », « Bien sûr, que
puis-je pour vous ? » Faisais-je en plus de l’étonné… « Je
suis venue avec une amie intéressée par la Franc-
maçonnerie et surtout pour comprendre ce que c’était et
qu’y faisaient ces hommes depuis tant d’années. Ma ques-
tion est toute bête. Pourquoi n’y a-t-il pas de femmes ? ».

« Mais il y en a ! » répondis-je. « Ah, oui ? Et bien, elles


semblent bien cachées ! ». Grande, belle, sa peau mate lui
donnait une distinction discrète, élancée. Elle avait le souri-
re éblouissant d’un éclat de soleil. Contente d’elle visible-
ment et prenant conscience du temps de réponse que je
n’avais pas encore faite, elle rajouta : « Vous étiez là depuis
longtemps ? » tentais-je maladroitement. Elle répondit du
tac au tac : «Non, mais vous ne répondez jamais aux ques-
tions que l’on vous pose ? ».
« Vous savez, nous aimons beaucoup les femmes » tentais-je
pour garder la main. Enfin je voulais le croire car au fond,
j’avais déjà perdu et le savais. C’est fou ce que les hommes
peuvent être mauvais parfois ! J’en étais bien un.
Intelligente ou opportuniste ou les deux, elle sauta ma ré-
plique et enchaîna «Vous les aimez mais ailleurs, c’est
ça ?! ».
« Non, enfin oui…non, pas seulement ». J’étais dans la nas-
se, pire, je me sentais comme un homard au court bouillon !

95
« Alors, ces femmes, reprit-elle, elles ont une petite pla-
ce ? ». J’étais à l’exacte croisée des chemin de ce type de
situation, où, tout en maudissant de vous sentir prisonnier,
dans l’instant d’après, vous y trouver un certain bon-
heur….à l’abandon.
Spectateur obligé, on est tout à coup plus réceptif à l’autre
et à ce qui se passe. Cette femme était belle. Physiquement,
sa silhouette longue était élégante. Son esprit acéré mais
bienveillant soulignait un caractère bien trempé. Et surtout
sa voix, posée et d’un calme…presque énervant. Bravache,
elle paraissait timide presque fragile. La dépassant, sa force
de caractère l’incitait à relancer l’échange. J’enchaînais les
yeux dans les yeux : « Mais les Femmes ont toujours été pré-
sentes en Franc-Maçonnerie…même si elles y sont entrées à
la dérobée dès le XVIIIème siècle! Au fil du temps, elles se
sont construit une juste place.

Autant que les hommes, elles ont légitimement voulu re-


vendiquer l’idée de la liberté et de la fraternité. Qui mieux
qu’elles, donnant la Vie auraient pu être étrangères de ces
combats essentiels la condition humaine ? Le paradoxe est
qu’elles aient du se battre pour l’égalité…pour affirmer ces
valeurs…et cela il est vrai, qu’elles ne le doivent pas au gen-
re masculin ! Mais revenir sur ces raisons nous entrainerait
trop loin du sujet, mais j’y reviendrais…courageusement ! ».
« Un homme drôle en plus ! J’adore ça ! Pardonnez-moi, je
vous laisse continuer » dit-elle amusée. « Pour faire court,
reprenais-je, autant votre question aurait pu être un vrai
débat, il y a quelques années, autant aujourd’hui, ce débat
semble dépassé tant l’offre en Franc-Maçonnerie répond à
toutes les souhaits. Obédience mixtes, féminines ou mascu-
lines, répondent largement à une demande plurielle ».

96
« Un peu court, jeune homme !... ». Me lança Marie, ajou-
tant : « Me permettez-vous de vous appeler Jean ? ». Je ré-
pondis oui. « Alors Jean, pourquoi avez-vous choisi une
obédience exclusivement masculine ? ». « Marie, en premier
lieu je dois vous avouer qu’un profane, s’il choisit de nous
rejoindre librement parce qu’il partage nos idéaux, ne fait
pas pour autant un choix d’obédience. Il suit celui qui l’a
parrainé tout simplement. Au début, lorsqu’il a été initié,
tellement de choses se sont offertes à lui : symboles, rituels,
codes…bref, tout est compliqué et difficile à assimiler. Plus
avancé sur son cheminement maçonnique, il lui sera loisible
de choisir, d’abord le rite qui lui convient le mieux et bien
sûr, l’obédience qui répondra le mieux à se aspirations. Un
Franc-maçon restant avant tout, un homme libre…et de
bonnes mœurs.

Ma seconde raison, procède en revanche d’une opinion per-


sonnelle qui risque de vous choquer mais il s’agit de ma
conviction et n’engage que moi… ».
« Vite, me dit Marie, je suis curieuse d’être choquée…! ».
Devant ma réticence à continuer, elle me lance, mutine :
« Courage Jean! Je suis sûre que je vous trouverais encore
sympathique après ! ».
De mon côté, j’en étais moins convaincu mais lui avoua :
« Je ne crois pas aux vertus de la mixité en franc-
maçonnerie ! ». J’ajoutais vite : « Ce que j’entends par là,
n’est pas lié aux femmes en particulier mais plutôt au com-
portement des hommes, souvent inconscients, au contact
des femmes ». « Ouh là là, et qu’ont-elles les vilaines comme
mauvaise influence ? » interrompit Marie pour me chicaner.
« Imaginez un homme sans fard, ne prêtant plus attention à
ce qui doit paraître mais se laissant à être tout simplement.

97
Ce moment est rare. Il le devient au fil d’un long processus,
au contact de ses frères et aussi d’un travail sur lui même,
que le temps seul, permet d’apprivoiser. Mais si une femme
devait alors se trouver là, il y a fort à parier que le charme
exquis du sexe opposé, perturberait quelque peu le com-
portement et sans doute, inconsciemment cet homme qui
serait à son contact ».

« Comme vous, là maintenant ?!! », m’asséna Marie comme


un scud lancé à pleine vitesse. « B4 coulé ! » répondis-je
beau joueur…ou essayant de le paraître. Et comme pour
finir de croquer le pauvre gars que j’étais devenu, elle assé-
na moqueuse : « Décidément, j’adore les hommes qui ne se
laisse pas troubler ! ».

Je la trouvais sublime et lumineuse. « Vous êtes toujours


comme cela avec les hommes ? ». « Et vous, toujours ainsi à
l’égard des femmes ?... Elle riait, moi aussi. Le temps sem-
blait s’être arrêté, et une partie de ping-pong, c’était un bon
début. « Plus sérieusement, je peux entendre certaines véri-
tés dans vos propos mais vous ne m’empêcherez pas de vous
trouver un peu « basic-macho » sur le coup !». « Marie, je
vous propose d’en discuter une autre fois, mais j’ai aussi
une question, je peux ? ». « Bien sûr » fit-elle.
« Au delà d’une simple curiosité, j’ai le sentiment que vous
avez un intérêt certain pour la Franc-Maçonnerie, je me
trompe ? ».
« C’est vrai, ça m’intéresse » répondit-elle, « les hommes
sont mystérieux…ou ils sont de grands enfants, ou ils se
prennent au sérieux, et dans tout cela, je ne sais trouver ce
qu’ils sont vraiment…peut-être un peu des deux ? ». Je pen-
sais la même chose mais n’avais pas le temps de le lui dire,

98
elle répondit à son portable, raccrocha et me dit : « Mais je
crois qu’on en reparlera une autre fois, il faut que j’y aille ».
Puis elle s’est éclipsée aussi vite qu’elle était arrivée, comme
un coup de vent.

Debout entre les deux colonnes et les deux surveillants,


Nous étions en Loge au grade de Maîtres, j’étais prêt à lire
mon travail mais cette conversation m’avait laissé songeur et
ne me quittait plus…ou c’était plutôt Marie en fait. Les frè-
res attendaient mon travail. La lumière était baissée pour
mieux accompagner la lecture. Je me lançais, offrant à
l’auditoire une planche (c’est ainsi qu’on nomme un travail
de Frère) sur le Chevalier Michaël de Ramsay. Très vite par
le ton employé, ma lecture appliquée que j’espérais at-
trayante, m’identifiait à ce chevalier, parcourant la France
du XVIIIème siècle depuis l’Ecosse. Ils me suivaient tous à
dos de cheval dans les brumes, et emmenais ainsi tous mes
Frères rencontrer les personnages qui deviendront les fon-
dateurs des justes et parfaites loges…les premières ! Sus-
pendus à mes aventures, il m’écoutaient leur raconter Féne-
lon, Montaigne, jusqu’à Montesquieu, tous ces esprits les
plus éclairés de l’époque et fini par leur délivrer le fameux
discours de Ramsay qui fera date comme un des textes fon-
dateurs de l’esprit de la Franc-Maçonnerie. Que de lieues
parcourues depuis cette demi-heure, le miracle de l’écoute,
le rêve partagé de quelques auteurs immémoriaux était là,
dans leurs yeux, leurs sourires signifiant un soutien indéfec-
tible. Puis les questions, des compléments d’informations
par des Frères plus instruits encore, enrichissaient notre
débat. La soirée avait été belle et l’agape qui suivit, se dé-
roulait dans cette même envie de partage…

99
Maîtres, nous avions à offrir le meilleur de nous-mêmes,
ensemble, sans retenue et comme des ouvriers qui auraient
passé leur temps d’apprentissage à remplir leur caisse à ou-
tils, aujourd’hui, ils semblaient commencer à savoir s’en
servir…tout juste.

A suivre...

100
CHAPITRAGE

Chapitre I
Il était une fois…

Le narrateur dit ce qui l’amène à la rencontre de la Franc-


maçonnerie mais surtout, ce besoin d’interrogation personnel-
le à un moment précis de sa vie.
Et au-delà de ce qui a, jusqu’à présent, construit son histoire,
comprendre ses fonctionnements récurrents, ces dénomina-
teurs communs qui le fondent, points de départ déterminant
ses orientations, sa vie…et du sens de sa démarche au-
jourd’hui.

Chapitre II
L’initiation et le temps du silence…

L’espérance de partages et d’échanges en franc-


maçonnerie passe avant tout, par l’écoute et le silence ! Diffici-
le de comprendre pour ce jeune maçon, que cette obligation
soit le ferment essentiel du voyage initiatique qui commence à
peine. Frustration, incompréhension et parfois décourage-

101
ment accompagnent celui-ci dans sa démarche. Il en saisira
plus tard le sens, mais pour accepter d’être écouté, il faut ac-
cepter cette modalité : goûter au silence pour descendre en
soi-même et peut-être, « entendre » ce que l’on est vraiment...

Chapitre III
Le temps des questions…

Le narrateur raconte ici ses premiers progrès ; alors qu’on lui


donne la possibilité de s’exprimer, il note que ce besoin n’est
plus aussi essentiel. Où plutôt que se raconter est moins im-
portant que de livrer l’impression curieuse « d’une extraordi-
naire aventure personnelle qui ne peut se faire sans les au-
tres »… !?

Chapitre IV
Dessine-moi une Etoile…

Saisir le sens du travail en franc-maçonnerie dans une am-


biance d’échange et de partage, est assurément le meilleur
moyen d’apprendre et de grandir. Comprendre que l’être hu-
main est au centre d’un système supérieur, sans chercher for-
cément à le nommer, relève du premier apprentissage accom-
pli. Le narrateur nous fait part de ce chemin si particulier du
« Cœur »…

102
Chapitre V
Vous avez dit Maître ?

Convaincu des résultats de son travail et de son engagement et


récompensé par le grade de « Maître », le narrateur nous fait
part de ses progrès et par conséquent, de la prise de conscien-
ce du chemin qu’il lui reste à réaliser, bref, c’est juste le vrai
commencement…
Déjà, son office comme pour tous les francs-maçons sera de
transmettre à défaut d’instruire.

Chapitre VI
Ce qui ne s’expliquera jamais…

Saint-Exupéry nous l’avait pourtant dit : « On ne voit bien


qu’avec le cœur ». C’est dans cette aventure en Franc-
maçonnerie, au coeur de la voix symbolique, que le narrateur
nous explique avoir trouvé foi en l’Homme …et en lui-même.

Chapitre VII
De l’ordre et du chaos…

Un commencement dans l’ordre, la paix et l’harmonie…Puis,


ici comme ailleurs, gâché par l’homme avide, viendra l’heure
du chaos. Notre héros, destabilisé, tentera avec peine de com-
prendre la symbolique du Texte à l’aune de la réalité offerte
par les Hommes. A l’épreuve des difficultés, le lecteur mesure-
ra tel un anthropologue, la force de conviction de cet aventu-
rier maçonnique…

103
Epilogue
Si compliqué de faire simple…

Peut-on réussir sa propre transformation, perdre sa chrysalide


et devenir papillon ? Nul n’est besoin d’être ou de devenir un
jour Franc-maçon pour y arriver. La franc-maçonnerie est
avant tout « un support », avec ses rites et ses codes. Son avan-
tage essentiel est qu’elle est l’héritage de traditions humaines
transmises depuis des siècles, conférant à ceux qui la prati-
quent quelques progrès essentiels à leur propre vie : aimer et
s’aimer soi-même pour un jour, être aimé de l’Autre.

104

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