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Satin en pétale de rose majeur.

Il faisait glacial ce soir là.


L’air humide de la rue s’infiltrait sournoisement entre les différentes couches de tissus qui recouvraient
mon pauvre corps tremblant de froid, et la pluie qui tombait sans intermittence depuis plusieurs jours à
présent n’aidait pas vraiment à se réchauffer.
L’atmosphère chargée d’eau me donnait cette désagréable impression que mes vêtements ne pouvaient
faire autrement que coller à ma peau, s’accrochant les uns aux autres pour faire naître ce crissement de
tissus qui me faisait horriblement grincer des dents. Le cuir lourd de mon manteau de ville me semblait
avoir pris plusieurs kilos de plus et j’avais le sentiment de ne pouvoir plier les bras tellement l’eau l’avait
rendu rigide.

La rue que je parcourais était sombre. Les pauvres lampadaires, accrochés directement aux parois
dégoulinante d’eau des maisons semblaient peinés à faire renaître la lumière dans cet environnement bien
plus favorable à l’ombre. Plus qu’une rue, ce petit boyau aurait plus pu porté le nom de ruelle. Les murs
étaient si proche l’un de l’autre qu’il s’en fallait de peu pour que mes bras les frôlent alors que je
marchais.
Les gouttes qui tombaient en rang serré semblaient créer un brouillard de son et de lumière, rendant la
visibilité difficile, surtout sur de longue distance.
Mon pauvre chapeau haute forme me donnait l’impression de descendre plus bas sur ma tête à chaque
pas, emporter par le poids de toute cette eau qui lui tombait dessus sans qu’il n’ait demandé grand-chose.
Et finalement, j’aperçu le bout du calvaire. La petite ruelle débouchait sur une large avenue ou nombre de
passant muni de parapluie avançaient, serré les uns contre les autres en espérant ainsi conserver un peu de
chaleur. Peine perdue.
A l’instar du boyau que je venais de quitter, cette partie de la ville semblait être faite de lumière. Les murs
en dégoulinaient littéralement.
Ecoeurant.
Des femmes se promenaient, vêtue de robes de soie blanche ourlées de fourrure d’hermine, de long
manteau de fourrure noir d’une bête qui m’étaient inconnu sur le dos.
Ridicule.
Je traverse l’avenue dans sa largeur, ne portant pas attention à ces humaines dont l’égo devait faire la
taille de la cathédrale notre dame…et peut être même toute l’île de la citée d’ailleurs au vue de la hauteur
de talon qu’elles portaient pour marcher dans ces vieilles rue pavées.
Sur la route, les voitures tirées par ces pauvres chevaux cahotaient sur les pavés inégaux, si bien que le
bruit du bois malmené par des directions contradictoire et des sabots sur la pierre créait une mélodie qui
venait s’ajouter au crépitement de la pluie. Rarement, une voiture « moderne » faisait entendre sa
musique mécanique, mais seul les personnes les plus riche pouvaient se permettre le luxe d’avoir de telles
choses.

Je parviens finalement à atteindre l’autre coté de la rue et prit une des venelles adjacente, plus petite que
celle que je venais de quitter mais plus grande que l’étroite ruelle d’il y a plusieurs minutes.
Il faisait néanmoins sombre, mais j’apercevais entre les gouttes un halo de lumière vers le centre du
passage. Je m’y dirigerais d’un pas lourd et parvint finalement devant l’entrée.
La façade noire était éclairée par deux lampions rouges qui indiquaient l’emplacement de la porte. Au
dessus, l’enseigne de bois peint semblait dégouliner de la peinture dont elle était peinte. Le mot ‘Cabaret’
était écrit à l’aide de quelques planches vermoulue que l’on avait dû récupérer à la bonne franquette, et
que l’on avait vaguement clouées ensemble avant d’y étaler le contenu d’un pot de peinture rouge.
Je n’étais qu’à quelques mètres de la porte, mais déjà, les cris d’ivrogne et la musique forte parvenaient à
mes oreilles.
Je poussais un soupir et avançait vers la porte de bois afin d’y frapper. Je doute que les coups que j’y
portai aient fait assez de bruit pour être entendu, mais quelqu’un finis tout de même par ouvrir la petite
fenêtre d’observation. Deux yeux apparurent et il y eut une exclamation.

« Ah ! M.Soradao ! Nous ne vous attendions pas aujourd’hui !


- A vrai dire, je n’avais pas prévu de venir, mais finalement je suis là. Par contre mon cher Walter, mes
vieux os vous seraient éternellement reconnaissant de les laisser entrer.
- Voyons monsieur, vous n’êtes pas vieux !
- Façon de parler, voyons. …Euh, Walter…La porte ? »

Ce cher Walter se répandit en excuse et j’eus bientôt la joie d’entendre le cliquetis annonciateur de
chaleur des verrous de la porte.
Un long grincement déchira le silence de la rue et un éclair de lumière rouge sang vint tracer une longue
cicatrice sanguinolente sur les pavés de pierre. Si je n’avais pas été qui je suis, je crois sincèrement que
j’aurais eu peur. Cette simple entrée de cabaret avait tout de la porte des enfers, et finalement, peut être
que c’était ce qu’elle était…
Je sentais l’air chaud de l’intérieur venir caresser mes joues imberbes rendues rouge par le froid et
l’humidité ambiante. Je reniflai un instant, avant de sortir un mouchoir afin de m’éponger le nez, et entra.
Un léger signe de tête à Walter qui attendait patiemment que je passe la porte pour la refermer derrière
moi. Seul les habitués ont l’autorisation d’entrer ce soir. De plus, les autorités ont tendance à faire de plus
en plus de descente dans ce genre d’établissement ces temps ci. Il ne faudrait pas que des gens important
soient arrêtés ici.
La chaleur que je trouvais apaisante au début est vite devenue étouffante. Mon manteau, trop léger pour
l’extérieur, est insupportable ici. J’entends les pas rapides de Walter derrière moi et commence à
l’enlever. Des mains s’emparent des épaules pour les tirer, me débarrassant de l’étroite emprise du cuir
mouillé. Je lâche un merci avant de me diriger le long du couloir menant à la salle de spectacle principale.
Ce soir, pas de grand show, juste des petits spectacles à la demande. Plusieurs porte percent le couloir que
je traverse, et à côté de chacune d’elles un petit tableau ou est marqué la ou les danseurs qui sont à
l’intérieur. C’est le principal intérêt de ce cabaret, cette mixité. Il arrive de trouvé des homme et des
femmes, à peine reconnaissable les un des autres, tout autant désirable. Ils les font venir des quatre coins
du monde ces danseurs, au gré des voyages du patron, il en ramène plusieurs. Il n’est pas rare de voir de
nouvelle tête. Et justement…
Sur l’un des panneau d’ardoise est tracé un non que je ne connais pas, dans une langue qui me parait
tellement familière. Il y a bien longtemps que je ne l’avais pas vu…
Depuis que père a disparu en fait…
Les lignes qui forment son nom, de scène, j’imagine, sont tracé d’une main d’habitué. J’imagine que c’est
lui, ou elle, qui l’à fait. Personne ici ne l’écrirait correctement. Et en dessous, quelques lettres, bien moins
correctement tracer. Sûrement par lui encore… Le manque d’habitude de la lettrine romaine se ressent par
chaque particule de craie posée sur cette pauvre surface noire. Kyooi [1]. Je me souviens avoir vu ce
signe quelque part, peut être sur une des lettres de mon père à ma mère. Ou alors juste l’ais-je aperçu dans
l’un des livres que je regardais dans le bureau de père. Moi, je n’ai jamais su ni parlé ni écrire cette
langue, je n’en connais que quelques mots, et encore…Ayant toujours vécu en France, je ne sais pas à
quoi cela m’aurait servi de parler le japonais. Mais tout de même, je suis certain de connaître ce caractère.

Un long soupir tranche le silence du couloir. Je n’entends aucun bruit venir de l’intérieur.
Est-ce que je me laisse aller à la nouveauté ou est que je reste sur des valeurs sûres ? La nouveauté a
toujours ce goût d’aventure que j’aime tant…
Ma main se tend vers la poignée de bois et la tourne. Le cliquetis du loquet, la porte s’ouvre, grince un
petit peu. A l’intérieur, tout est noir. Et sur la scène, drapé de rouge…
Je me fige.
Suis-je en train de rêver ?

J’entre doucement et referme la porte derrière moi. La salle est vide, aucune des chaises présentes devant
la scène n’est prise. Et il y en a pourtant. La scène est éclairée de cette lumière blanche et crue
qu’affectionnent particulièrement les danseurs qui débutent. Elle à l’avantage de gommer la plupart des
défauts de peau et de physionomie. On paraît toujours plus beau sous un fort éclairage bien dirigé.
Et sur cette scène… Le comparer à une fleur serait une bien pâle image.
Il a les cheveux blonds, les lumières leur donne les mêmes reflets que ces épis de blé que le vent vient
caresser en été. Sa peau, même mise en valeur par les lumières semble douce, soyeuse. Les formes
rebondies de son visage lui donne ce coté poupon qu’on les enfants. Et pourtant ces yeux noirs disent
clairement que l’être en question est loin d’être un enfant.
Mon regard caresse la courbe de son visage, dévale son cou comme les gouttes de pluies qui tombent à
l’extérieur pourraient le faire. Je m’arrête sur le creux de l’épaule, redessine cette dernière avec
gourmandise. Mon voyage sur les plaines soyeuses de cette nymphe est coupé par ce morceau de tissus
qui lui sert de vêtement. Carmin. La légère brillance m’informe que ce doit être du satin.
Rouge et or, les couleurs des rois. A défaut d’un roi, c’est un prince qui est en face de moi, à me regarder
de ses yeux vides d’expressions, si noir que l’on ne distingue pas la pupille de l’iris.
Je n’esquisse pas un pas, pas un mouvement. J’en suis incapable. J’ai cette impression désagréable que
mes membres vont se liquéfier si je bouge le moindre muscle. Sur son estrade, la créature à la tête tournée
vers moi. Son regard me scrute, m’admire, me détaille. Je sens ses yeux se promener sur chaque parcelle
de mon corps, cherchant chacun des défauts.

Dans la pièce, le silence. Et puis soudain, quelques notes qui résonnent. Les notes de piano s’égrainent,
s’échappent dans l’air, comme indomptable. Et soudain, le violon gémit ses premières notes. Avec force,
il fait résonner sa complainte, accompagnée d’un récital d’autres instruments.
Est-ce mon esprit qui imagine cette douce litanie ?

Doucement, sur la scène, la créature déplie ses membres. Ses longues jambes apparaissent, l’espace d’un
instant trop court pour retourner se cacher derrière le tissu carmin. Maintenant debout, elle n’en paraît pas
moins belle et désirable.
Grande et élancée, ses cheveux d’or coulant en cascade le long de ses épaules dénuées de la couverture
protectrice du tissu, il me paraît encore plus beau encore. Une statue grecque ferait bien pâle figure face à
son corps gracile, si parfait qu’il en paraît irréel.
Et la créature bouge, se meut sur la petite scène, laissant apparaître parfois un mollet à la forme rebondie,
voir même un genou.

Et soudain débuta la danse envoûtante. Je ne m’y étais pas attendu, et peut être que lui-même ne savait
pas quand elle débuterait exactement. Il avait ménagé son effet, attendant l’instant fatidique sans savoir
vraiment quand exactement il arriverait. Il avait choisit une montée de notes particulièrement aigüe pour
commencer sa danse, levant un bras vers le plafond en un mouvement d’invitation.

La porte dernière moi s’ouvrit, interrompant ma contemplation. Un homme venait d’entrer, grand, bien
plus que moi du moins. Il avait une carrure de taureau. Il alla s’installer sur l’une des chaises du premier
rang après m’avoir lancé un regard interrogateur.
Je bouillonnais, comment cet homme avait pu osé interrompre sa danse ? MA danse.
Sans un mot, je m’approchais de la scène, sentant le regard de la nymphe, toujours debout sur cette
dernière. Je m’installa sur l’une des chaises les plus proche et posait mon regard sur lui.
Sans me quitté des yeux, ses mouvement reprirent, si fluide qu’on aurait pu avoir l’impression qu’ils les
avait répété jusqu’à les connaître par cœur. C’était d’ailleurs sûrement l’effet voulu, mais je le savais moi,
que cette danse, il la composait uniquement pour moi.
Un mouvement de hanche, le tissu qui dévoile une partie de son corps pour en cacher une autres. Le bras
qui s’envole, les doigts qui effleurent le plafond bas et reviennent finalement se poser sur sa talle. Une
jambe qui se plie, l’autre qui suit peu après. Je le vois hésiter sur chacun de ses mouvements, mais je suis
le seul à voir.
Derrière moi, d’autres personnes se sont installées, je les entends murmurer, parler même parfois à voix
haute. Je les entends le juger. Comment osent ils ?

Mais lui, poupée imperturbable, il danse sur cette pauvre scène. Et il me regarde toujours.

Après des minutes qui m’ont semblé durer des heures, la lumière s’éteint brusquement. Plus rien, plus un
bruit à part les chuchotements incessants derrière moi.
Un bruissement de tissus qui attire mon attention. Quelque chose ou quelqu’un passe prés de moi, si prés
que je pourrais le toucher.
Quelque chose me frôle la joue, si doux et léger que je cru avoir rêver. Mes yeux, pourtant habitués à
l’absence de lumière, ne m’aidait pas a distingué ce qui était a côté de moi.
Plus un bruit, le silence c’est fait, tous sont sortis ? Je n’ai pas entendu la porte, ni vu la lumière du
couloir.

Je sursaute en entendant une voix douce résonner dans mon oreille. Je sentirais presque les lèvres bouger
contre ma peau.

« 私は月と星の子供、でも私たちとあなたの物語は駄です。私のこと覚えています。本当に有
賀と。 » [2]

Je reste bouche bée. La voix est douce et triste, presque irréelle…


Je sens un souffle chaud se perdre dans mon cou,…ou ais-je rêver ? Quelque chose contre ma joue, et une
chaleur sur mes lèvres.

Les lumières se rallument soudain, m’aveuglent. Le bruit autour et revenu, la pièce est pleine d’hommes
vêtus avec plus de manque de goût les uns que les autres.
Le brouhaha m’englobe, m’empoisonne les oreilles alors que je fixe la scène vide devant moi.

Étais-ce un rêve ?

Brusquement je me lève, sort de cette endroit étouffant. Le couloir est plein de monde lui aussi, mais tous
s’écartent à mon passage. Arrivé à la porte, Walter me donne mes affaires et me laisse sortir, sans un mot,
même pas un au revoir.
Dehors, je lève les yeux vers le ciel. La pluie c’est arrêté. La voûte étoilée s’étend au dessus de moi, et en
son centre, majestueuse comme le prince charmeur que je viens d’admirer, la lune me sourie…

Fin.

[1] Kyooi où 驚異, veut dire « merveille »


[2] pardonnez mon japonais encore approximatif mais normalement, j’ai essayé de marquer « Je suis
l’enfant de la lune et des étoiles, il n’y a donc pas d’histoire possible entre nous. Rappelle toi de moi pour
toujours. Merci infiniment. »

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