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La Chaine d’union

Très vénérable, et vous tous mes très chers frères.

Lorsque le second surveillant me proposa de réfléchir sur la chaine d’union, mon esprit se laissa
immédiatement influencer par ma formation initiale de géologue. J’associe donc le mot chaine à celui
de la chaine de montagnes. En effet, cela représente une succession de pics et de sommets qui pris
séparément sont uniques tant par leur hauteur que par leur relief, mais pris dans leur succession
l’ensemble forme un massif. Cette unité montagneuse est souvent compacte et volumineuse. Elle
forme une entité géologique qui est difficile à franchir et à gravir, telle que la chaine d’union qui nous
rassemble individuellement et qui une fois formée nous réunit en une entité indivisible. Chaque
sommet représente un maillon de cette chaine qui s’élève au-dessus d’une plaine et qui ne peut pas
être séparé de son ensemble.

D’ailleurs le mot « Cordillère » qui désigne une chaine de montagne, est issu de l’espagnol mais sa
racine latine « Catena » désigne la chaine. Elle est également à l’origine du mot cadenas.

De la même façon en recherchant l’origine du mot union, on trouve qu’il provient étymologiquement
du mot latin « Unio » qui signifie « un ». On peut comprendre que le sens principal de ce mot est l’unité
qu’il va créer à partir de deux ou plusieurs entités qui était séparées auparavant.

De ce fait la chaine d’union peut être assimilée au sens profane à une succession de maillons, ou
d’anneaux solidement entrelacés et fermés par un cadenas. De cette vision on peut en retirer les
notions de lien, de continuité et de sureté. Chaque anneau est lié au suivant formant ainsi une
succession ininterrompue d’éléments que le cadenas sécurise car nul ne peut l’ouvrir sans en avoir la
clé. Cela symbolise la transmission d’un savoir traditionnel, avec une impression de confiance et de
tranquillité. C’est également cette sécurité qui apaise et rassure chaque participant de la chaine
d’union.

Traditionnellement chaque frère vient se positionner en silence autour du tableau de loge, avec
sérénité et dignité. Les surveillants se positionnent face au vénérable maitre et le couvreur se place
entre eux. Le précédent vénérable est à la droite du vénérable maitre et l’orateur est à sa gauche. Pour
former la chaine, les membres de l’atelier connectent leurs mains dégantées et les bras croisés pour
reproduire la forme des maillons d’une chaine. Chaque anneau a ainsi la même valeur. La paume de
la main droite est tournée vers la terre, tandis que celle de la main gauche est orientée vers le ciel,
comme pour relier le nadir et le zénith, ou autrement dit créer un lien entre la plongée en soi et l’accès
aux mystères supérieurs. Se placer dans la chaine d’union invite chaque frère à se préparer à partager
le meilleur de lui lui-même. Cette visite intérieure n’est autre que le travail perpétuel que chacun doit
produire afin de dégrossir sa pierre brute. La chaine d’union est un voyage qui nous amène à nous
visiter, à nous questionner et à partager. Elle nous incite à la progression du moi profond vers la
sagesse, la force et la beauté.

On peut voir le symbole d’une main qui donne et l’autre qui reçoit. La main droite en pronation (je
reçois) et la main gauche en supination (je donne) assurent ainsi la transmission. Mais cette
transmission doit être la plus large possible, et même si chaque maillon ferme la chaine, son
rayonnement doit être bien au-delà. Au cours du temps de nombreuses chaines se sont formées afin
de transmettre le savoir. De formidables édifices comme les pyramides ou les cathédrales se sont
construites grâce à des chaines humaines. Beaucoup de bâtisseurs de ces époques avaient acquis leurs
connaissances grâce à la passation des uns aux autres de l’art de la construction. Ils observaient les lois
de l’architecture et de la géométrie. Ils dirigeaient ensuite leurs travaux à partir de ces principes et de
ces traditions. Au-delà de la transmission, l’idée de lien est également prédominante pour manifester
sa passion ou sa cause. C’est en effet grâce à l’union de leur force, et de leur savoir que ces édifices
ont résisté à l’épreuve du temps et que nous pouvons les contempler encore de nos jours.

Lorsque nous formons la chaine d’union en fin de tenue, nous formons un cercle. Forme géométrique
que le compas, par la justesse de ses mesures, est l’instrument qui permet de le dessiner. La
particularité du cercle est que tous les points sont à égale distance du centre, mais également le cercle
représente une figure plane qui, pour un rayon donné a l'aire la plus grande. Cette propriété peut être
interprétée d’un point de vue symbolique, par une certaine forme de rayonnement maximum, que la
chaine d’union nous incite à atteindre.
Le cercle que forme la chaine d’union n’a pas de début et pas de fin. Il symbolise par conséquent l’unité,
mais également l’infini. Personne n’est en son centre. Dans la vie profane, chacun par ses fonctions
essaie de recentrer le monde qui l’entoure sur sa personnalité. Tandis que dans la chaine d’union il
constitue un maillon de cette chaine. Seul le tableau de loge est en son centre et les trois lumières
disposées sur les colonnes sont sur le pourtour. Tous les frères sont autour pour faire preuve
d’altruisme et de sérénité. Nous retrouvons ainsi le nombre 3 dans la composition de la chaine d’union.
Le centre avec le tableau de loge, la surface avec les trois colonnes et les lumières, et le pourtour
composé de chaque membre. Il fait entrer en relation ces trois entités du centre vers l’extérieur afin
que l’ensemble ne fasse qu’un. Chacun fait le choix d’abandonner ses passions pour s’unir à d’autres
frères et porter son regard sur le tableau de loge. Le centre du cercle devient donc la source de notre
aspiration, en nous incitant à un voyage intérieur pour oublier notre vacuité. La chaine d’union serait-
elle dans ce cas, le lien qui nous permettrait de renouveler nos engagements pour mobiliser les valeurs
qui nous animent ? C’est un moment fort de la tenue qui intervient avant la fermeture des travaux.
Le Vénérable Maître nous invite à avoir une pensée pour tous les frères absents. Cette formulation
nous incite à harmoniser et orienter nos pensées pour se recentrer sur l’essentiel. Ce moment de
recueillement est en dehors du temps, et ainsi la chaine devient solide et inébranlable. Le silence et le
calme qui nous entourent, permettent à chacun d’être à l’écoute des autres. Chacun s’efface et
s’harmonise et ainsi l’Egregore arrive à son paroxysme. L’Egregore n’a pas de définition. C’est un
concept qui est conçu comme une pensée. Il n’est pas seulement un rassemblement d’êtres humains,
mais il constitue la force de cohésion du groupe. Il est composé de l’apport de chacun afin que le
dynamisme du groupe soit supérieur à chacun de ses apports. Cette énergie, qui transcende les sens,
rejaillit en chacun afin qu’elle puisse nous faire évoluer vers notre idéal commun. Les liens qui nous
unissent sont par conséquent très fort et avant de la rompre nous devons l’éprouver par trois
balancements de mains. Ainsi chaque maillon est testé afin de vérifier sa solidité. Souvenons-nous que
la solidité d’une chaine tient à celle de son maillon le plus faible. C’est aussi le moyen de faire perdurer
cette énergie au-delà de la séparation, et de s’assurer que les valeurs qui sont associées continuent à
être véhiculées.
Mais au-delà de l’aspect émotionnel qu’elle suscite en chacun, la chaine d’union est également très
symbolique. Cette communion qui nous remplit d’énergie est l’harmonie entre l’action et la pensée,
et de ce fait la chaine d’union relève autant du vécu que de l’idéal. On pourrait ainsi l’associer à la
bordure dentelée qui entoure tout le tableau de loge. Elle sépare le monde profane de l’espace sacré
de la loge. Cette bordure du tableau que chaque triangle ferme, protège les symboles de notre ordre.
Elle est dévoilée que lorsque la tenue est sacralisée pour que le travail maçonnique puisse s’accomplir.
Pour ma part lorsque je participe à la chaine d’union, je ressens chaque fois une vive émotion.
J’éprouve une sensation unique et irremplaçable car je participe individuellement à un lien collectif.
J’ai l’impression de percevoir une énergie tout autant que j’essaie d’en communiquer.

En me replongeant dans une réflexion profane, je me rappelle lorsque je pratiquais du sport à haut
niveau : du basket en équipe. Au début de chaque match, avec mes co-équipiers, on s’unissait en
accolade pour s’encourager, pour que l’équipe soit unie… on allait puiser la force et le courage de
réaliser un bon match. C’était une situation assez proche émotionnellement.

Du fait de l’action dynamique de créer la chaine d’union et la concentration dans laquelle on se plonge
on a l’impression d’expérimenter l’unité à travers de la multiplicité. On a l’impression de relier le passé
à l’avenir. Le mouvement principal est celui qui se fait selon un vecteur de translation. Ce transfert qui
nous amène de l’avant à l’après. Ceci confirme que dans cet espace, le temps n’a plus de raison d’être.
Il est suspendu. Nous sommes en dehors de la temporalité. D’ailleurs la théorie Aristotélicienne reliant
le temps et l’espace nous amène à une définition du temps comme un mouvement antérieur et
postérieur. Aristote dira lui-même que « le temps n'existe pas puisqu'il est composé du passé,
qui n'est plus, du futur, qui n'est pas encore, et du présent qui est évanescent ». La chaine
d’union devient donc le corollaire de la notion de mouvement et d’espace, ce qui lui permet d’être
intemporelle.

Pour conclure la chaine d’union est donc très rassurante car on est à la fois chaine et maillon. Elle
recèle un immense potentiel d’harmonie universelle et on peut ainsi profiter de la solidité de
l’ensemble. C’est un espace de confiance et de solidarité pour trouver un bien-être inestimable, que
l’on peut communiquer dans le monde profane. De ce fait chacun peut développer son éthique
maçonnique en oubliant ses différences. Le but est de s’élever vers notre idéal commun, et la chaine
d’union, qui ne peut se décrire mais qui se vit, en est sans doute l’image la plus aboutie. C’est un
sentiment d’appartenance, un lien indestructible qui unit tous les frères, une force qui représente
l’union d’un groupe. Mais n’est-ce pas tout simplement un des symboles de la fraternité ?

J’ai dit très vénérable.

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