Très Vénérable et vous tous mes Frères, en vos grades et qualités,
J’ai le plaisir et le devoir de vous présenter mes impressions d’initiation.
Je ne m’étais pas préparé pour cette cérémonie d’Initiation, désirant conserver le plus de spontanéité possible pour mieux ressentir et apprécier l’événement. Il me semblait qu’à trop y penser à l’avance, je risquais de déformer ma perception en interposant entre la cérémonie et moi le filtre déformant d’idées préconçues. Après un peu d’attente dans la froidure de l’hiver, me voici dans le cabinet de réflexion. La rupture entre le monde extérieur et cette pièce sombre est soudaine, c’est le premier temps fort de la soirée. Je me suis alors rappelé pourquoi j’étais là, et pourquoi j’avais postulé à être maçon, c’était à l’évidence d’abord pour mieux me connaître. La seule source de lumière était une bougie à la flamme chancelante, j’observe attentivement ce décor et ces objets dont la signification m’échappe en grande partie. Des maximes sont écrites sous formes d’avertissements comme si l'on me donnait une chance de tout quitter. J’ai cependant du mal à comprendre pourquoi le coq avoisine avec le crâne. J’ignore le temps qui m’est imparti, aussi je remplis immédiatement le questionnaire fourni. Ce faisant, j’essaye d’être aussi spontané que possible, sans chercher " la " bonne réponse qui, de toutes manières, n’existe pas. Ces réponses sont rapidement faites, je n’ai pas grand-chose à ajouter, sinon l’espoir d’avoir été à peu près droit, le regret de ne pas avoir fait mieux. Et me voici seul dans cette faible lumière, cela dure et dure encore, et je comprends qu’il faut que ce soit long, précisément pour provoquer ce face à face avec moi-même. Je dois bien regarder celui que je suis droit dans les yeux, sonder mon cœur et mon âme et me dire que oui, décidément, je veux devenir un autre ce soir. Pour cela, je dois mourir d’une certaine façon afin de renaître et, du coup, je vois pourquoi le coq avoisine avec la Mort : il chantera l’Aube qui poindra après la Nuit dans laquelle je me trouve. Et cela fonctionne : lorsque l’on vient me préparer, je ne suis déjà plus le même, je ne suis plus tout à fait dans le monde extérieur. Je ne suis d’ailleurs pas choqué par ma tenue ; le cœur à nu et les yeux bandés, je suis bien plus réceptif à ce tout qui m’entoure. Je ne dois pas voir, parce la vue inhibe les autres sens. Je pense à la citation de Saint-Exupéry, dans le petit prince : " On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux. " L’entrée dans la Loge est un second choc, avec ce jeu compliqué de questions/réponses. La cérémonie se poursuit par une série de trois épreuves marquantes là encore très symboliques. Je suis conduit par un frère expert qui me guide pour passer les différents obstacles. A partir de ce moment, je me laisse guider avec la plus totale confiance par les mains qui me dirigent et les voix qui me soufflent parfois mes réponses. Je sens avec certitude qu’il me faut soit faire confiance, soit tout arrêter, mais cette dernière éventualité ne me vient même pas à l’esprit. Le premier voyage chaotique et bruyant reflet de mon existence actuelle, me mène à deux autres qui à la fin de chacun d'entre eux je suis purifié par un élément majeur : l'eau et le feu. Que m’évoque ces parcours ? Que sans l'aide d'un frère pour me guider, pour me faire passer ces différents obstacles, je n'aurais pas pu les franchir. Il est important de comprendre que seul on n’est rien mais que si l'on accepte l'aide d'un frère on est plus fort et qu'on peut tout réussir. Lors du rituel, le vénérable maitre a beaucoup insisté sur l'aide que tout franc maçon doit donner ou peut recevoir de ses frères. Les voyages semés d’obstacles dans le tumulte et le fracas des armes, entre l’épreuve du sang et la coupe amère, puis le serment genou à terre, je réalise avec de plus en plus de force que rien ne sera plus comme avant. Le formalisme du rituel ne m’étonne donc pas, je l’accepte sans le comprendre, ce qui est d’ailleurs inhabituel chez moi ! Bien que décidé, je suis quelque peu ébranlé par l’insistance de réitérer mon serment, Est-ce donc si terrible de demander la Lumière ? Il semble bien que oui, car les événements se précipitent. Je suis saisi d’un léger tremblement physiologique ; ce n’est pas la peur : j’ai juste envie d’aller de l’avant, que le bandeau tombe enfin et d’arriver au terme, non par simple impatience, mais parce que je suis maintenant sûr et certain, malgré les mises en garde et les épreuves – ou même à cause d’elles - de vouloir être Maçon. C’était sans doute la raison d’être de ce rituel : m’amener à être totalement présent dans l’acte au moment du serment final. Le bandeau tombe enfin sur une scène impressionnante : les colonnes, les flambeaux, le tableau de la loge, et des épées pointées sur moi, je vois tout en un éclair, sous le delta lumineux. C’est le troisième évènement : l’émotion. La réception par le Vénérable Maître après mon serment final me fait penser à un adoubement chevaleresque. Deux verbes s’impriment dans ma mémoire : " je vous reçois et constitue Apprenti Franc-Maçon … L’instant est extraordinairement intense et émouvant surtout que désormais on m’appellera Mon Frère ! A partir de mon retour dans une tenue moins déstabilisante, je sens que l’ambiance est moins tendue, mais au contraire de plus en plus chaleureuse. Tout comme le moment où l’on me montre les pas et que le Vénérable Maitre me remet le tablier blanc et les gants. A partir de ce moment, je suis si ému que tout se mêle et se brouille dans mon esprit et ma mémoire : les signes, les mots et attouchement pour nous reconnaitre, mes trois premiers coups malhabiles sur la pierre brute, le discours du Frère Orateur , l’instruction, , l’explication du tableau de la loge par le second surveillant et la place qui est désormais la mienne, sur la colonne du Nord. Puis vient le moment ou le vénérable maitre clôture la cérémonie, mes Frères me félicitent, amplifiant par leur accueil chaleureux cette grande joie et cette immense émotion. Je repense alors à mon entrée dans le cabinet de réflexion. Oui, les choses ont bien changé depuis lors. Une porte s’est ouverte, puis ensuite j’ai été tenu par des mains fraternelles qui m’ont guidé dans ma nuit. A vous tous, je dois cette joie, A vous tous je dois d’avoir vécu l’une des plus intenses soirées de ma vie. A vous tous, je dois de pouvoir me dire cette chose que je sais, mais que j’ai encore du mal à croire et à réaliser : Je suis Franc-Maçon ! A vous tous mes Frères, merci ! J’ai dit