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CENAREST

CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE ET


TECHNOLOGIQUE
IRSH
INSITITUT DE RECHERCHE EN SCIENCES HUMAINES

REVUE
LES CAHIERS DE PHILOSOPHIE

Vol.7 N°7

ANNEE 2020
LIBREVILLE-GABON
EDITIONS DU CENAREST
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phie doit être adressé au secrétariat de rédaction en trois (3)
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Éditions du CENAREST

Les cahiers de philosophie


ISSN : 1950-6856
2020
Éditorial

La réflexion menée dans ce septième numéro de la Revue Les Cahiers de Philosophie du Centre
de Recherche en Philosophie du Développement de l'Institut de Recherche en Sciences Humaines
(IRSH) tourne autour d'une idée centrale qu'est la crise. Et, la grande partie de la pensée moderne est
une pensée de la crise, comme on le voit chez Baudelaire, Nietzsche et Heidegger, ou plus près de nous,
chez Albert Camus, Hannah Arendt et George Steiner.

C'est donc une pensée de l'angoisse, là où, par exemple, la pensée chrétienne était une pensée
de la déréliction et donc du salut de l'homme, et la pensée antique une pensée de l'ordre du monde et du
bonheur. Aujourd'hui, le bonheur semble déserter notre monde, notre environnement, notre territoire et
notre quotidien.

Bon nombre d'observateurs de notre temps, quels que soient leur domaine et leur spécialité, sont
quasi unanimes sur la décadence et/ou la déchéance de notre monde, désormais en proie à de nombreuses
crises ; celles-ci sont considérées comme étant les ennemis à la fois de l'humain et de l'humanité tout
entière.

La pandémie du covid 19, par exemple, qui sévit dans la plupart des pays du monde, représente
l'une des marques les plus visibles du délitement presque programmé de notre monde et du brouillard
accablant de nos repères quotidiens.

Les contributeurs de ce numéro s'interrogent, au travers de l'interdisciplinarité, sur la crise du


sens, du mode d'être et même sur la façon ou la manière d'habiter actuellement notre monde. En
repensant les diverses orientations de l'éthique et les fondements habituels de notre société, il est peut-
être possible aujourd'hui de penser au-delà du nihilisme ambiant.

Directeur de publication

5
PRESIDENT D'HONNEUR

Le Commissaire Général du CENAREST

DIRECTEUR DE PUBLICATION

Le Directeur de l'IRSH

DIRECTEUR DE LA REDACTION

Le Directeur Adjoint de l'IRSH

REDACTEUR EN CHEF

Pr NDINGA alphonse

Maître de recherche (CAMES)

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Chargé de recherche (CAMES)

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Pr. Bonaventure MVE-ONDO (Philosophie - AUF)

Pr. Pierre NZINZI IMALIALI (Philosophie - Université de Libreville)

Pr. Jean-Louis-VIEILLARD-BARON (Philosophie - Université de Poitiers)

Pr. Jacques MORIZOT (Philosophie - Université de Paris VIII - St Dénis)

Pr. Monique DIXSAUT (Philosophie - Université de Paris VII)

Pr. Emmanuel MALOLO DISSAKE (Philosophie - Université de Douala)

Pr. Jacques POULAIN (Philosophie - Université de Paris VIII)

Pr. Jean-Paul SORG (Philosophie - Université de Paris 8)

6
Pr. Jean-Claude BOURDIN (Philosophie - Université de Poitiers)

COMITE DE LECTURE

MBOUMBA MOULAMBOU

Chargé de Recherche

MOUNDOUNGA KOMBILA Philip

Chargé de Recherche

Edgard MAILLARD ELLA

Chargé de Recherche

Eric LEMBE MOUSSINGA

Chargé de Recherche

NKOGHE ONDO Marcelin

Chargé de Recherche

NFOULE MBA Fabrice

Chargé de recherche

NDINGA NZIENGUI Alphonse

Maître de recherche

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Sommaire

La pandémie du covid-19 au Gabon ou le brouillard des repères quotidiens des populations, Dr


Beh Ndong flavien (IRSH-CENAREST-Gabon) …… 10

L’ethnotribalisme dans Les petits –fils nègres de Vercingétorix d’Alain Mabanckou, Dr Eric
Moukoudoumou Midépani (IRSH-CENAREST-Libreville-Gabon)
…………………………………………………………25
Pouvoir et autorité dans le roman post- colonial africain : la figuration de la l’instance
paternelle dans N’être, de Charline Effah, Dr Jean-Stanislas Wamba (IRSH-CENAREST-
Libreville-Gabon) …………………………..48
La problématique des déchets pneumatiques à Libreville (Gabon) : pratiques de gestion et
risques environnementaux, Dr Anicet Mboumba (IRSH-CENAREST-Libreville-Gabon)
…………………………………………..65

Mondialisation et intégration régionale en Afrique subsaharienne, Dr Bantchin NAPAKOU et


Etudo Kokou DOWOUSOU (Université de Lomé-Togo)
………………………………………………………………96

L’exigence kierkegaardienne d’un retour au christianisme du Nouveau Testament et les


difficultés de ses modalités pratiques, Dr MOTO NDONG François (IRSH-CENAREST-
Libreville-Gabon) …………………….114
Paul et Spinoza : Proximités et divergences, Dr Alain Gervais Ndoba (Université Omar Bongo-
Libreville-Gabon) ……………………………144

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Mondialisation et intégration régionale en Afrique subsaharienne
Bantchin NAPAKOU
bnapakou@yahoo.fr
Etudo Kokou DOWOUSOU
kokoudowoussou@gmail.com
Université de Lomé

Résumé
La mondialisation est une nouvelle forme de coopération transnationale qui redéfinit le
principe de souveraineté. Les États sont désormais appelés à partager un ensemble de valeurs
et de pratiques qui modifient leurs organisations internes. En Afrique, l’intégration régionale a
été un moyen de fournir aux différents États une coopération axée sur l’entraide mutuelle.
L’échec de ce projet d’unité sert souvent de manœuvre aux États puissants qui n’hésitent pas à
instrumentaliser ces institutions pour leurs intérêts égoïstes. S’il est admis que dans la
dynamique mondiale, aucun acteur ne peut s’imposer seul, il faut une coopération dans laquelle
chacun puisse donner et recevoir sur la base de principes justes. L’intégration régionale doit
être l’expression de cette union d’États dans le respect du principe de leur souveraineté et de
leur dignité. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est au fondement de toute politique
d’intégration dans la mesure où un peuple sans souveraineté est aliéné. La volonté des citoyens
devient la finalité de toutes les actions qui définissent les politiques régionales. L’intégration
régionale permet à chaque peuple de reconnaître son identité à la fois dans l’ouverture et le
partage. Dans cette perspective, elle peut constituer un rempart contre les effets pervers de la
mondialisation hégémonique.

Mots-clés
Coopération, droit des peuples, éthique de la restitution et de la réparation, intégration
régionale, mondialisation, souveraineté nationale

Globalization and regional integration in sub-saharan Africa


Abstract
Globalization is a new form of transnational cooperation which redefines the principle
of sovereignty. Therefore, States are called to share a set of values and practices which modify
their internal organizations. In Africa, regional integration has been a ways of providing to
different States cooperation based on mutual aid. The failure of this project of unity is often
used as a maneuver by powerful States which do not hesitate to manipulate these institutions
for their own interests. If it is accepted in the global dynamic context that no actor can stand
alone, there must be a cooperation based on right principles in which everyone can give and
receive. Regional integration must be the expression of this union of States set on the respect
of the principle of their sovereignty and dignity. The right of peoples to self-determination must
be at the basis of any integration policy if we are in a circumstance in which a group of people
that lose its sovereignty is alienated. Consequently, the will of the citizens becomes the finality
of all actions which regional policies define. Regional integration allows each people or citizen

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to recognize their identity through overture and sharing. From this perspective, it can be a
rampart against the perverse effects of the hegemonic globalization.

Key words
Cooperation, right of people, ethics of restoration, regional integration, globalization,
national sovereignty.

Introduction
Les relations d’interdépendance entre les différents États impliquent une redéfinition de leur
souveraineté à l’ère de la mondialisation. La mondialisation rend nécessaire la mise en œuvre
des politiques structurelles au plan national en vue de maintenir les populations sur des
territoires donnés. Chaque État, en raison de son ouverture au monde accueille des étrangers et
participe à une politique d’intégration régionale lorsqu’il s’agit de résoudre des problèmes
frontaliers et de renforcer les échanges multilatéraux. Cependant, malgré l’existence des
organisations sous régionales et de l’Union Africaine (UA), les États africains sont toujours en
proie à un transfert de souveraineté qui les maintient dans une dépendance perpétuelle des
puissances étrangères. La mondialisation est un moyen de domination des États faibles par les
États forts. Ainsi, la souveraineté nationale en Afrique devient un vœu pieux si elle ne
s’accompagne pas d’une intégration régionale forte et fondée sur l’équité. Comment faire de
l’intégration régionale le creuset du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le vecteur
d’une mondialisation équitable ? Comment redéfinir la souveraineté nationale à l’ère de la
mondialisation? Quels sont les fondements de l’intégration régionale en
Afrique subsaharienne? Comment faire de l’intégration régionale le vecteur d’une
mondialisation raisonnable en Afrique ? L’intégration régionale en Afrique doit être un creuset
des différentes ressources et potentialités pour contrer les dérives perverses de la
mondialisation. Elle doit être forte et juste en se fondant sur le principe du respect de la dignité
et de la souveraineté de tous les peuples pour lesquels elle est instituée. Ce texte, en partant de
la dialectique entre mondialisation et souveraineté nationale, pose les bases d’une intégration
régionale en Afrique. Cette intégration régionale doit être le vecteur d’une mondialisation
équitable en Afrique à travers une coopération réussie.

1. Mondialisation et souveraineté nationale en Afrique

Les interdépendances des États dans le monde actuel appellent à s’interroger sur le rôle de
chaque acteur, c’est-à-dire identifier le rôle de chaque acteur dans ce processus d’échanges
mutuels. Jadis considérés comme un héritage de la colonisation, les États africains sont
membres de plusieurs organisations régionales et internationales qui confirment leur ouverture
au monde. Aujourd’hui, aucun État, quel qu’il soit ne peut s’affirmer sans la collaboration des
autres. À cet effet, il faut convenir que la souveraineté des États, si elle est d’abord l’affirmation
de soi implique de la part d’autrui une reconnaissance réciproque. Reconnaître la souveraineté
des États, c’est comprendre que chacun d’eux a une autonomie dans la mesure où leurs citoyens
sont soumis à leur juridiction. La territorialité apparaît comme l’un des traits caractéristiques
de la puissance souveraine. Un État est un territoire sur lequel vit une population donnée et dont

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la vie est marquée par l’existence d’un pouvoir politique au travers duquel la souveraineté est
affirmée. Le fait qu’un État puisse décider par lui-même de sa politique intérieure et des lois
qui doivent régir les relations entre les gouvernés et les gouvernants est un attribut de la
souveraineté. La souveraineté est ainsi, de par son essence une manière d’être et d’agir sans être
mû par autre chose que soi-même; elle s’identifie à l’autodétermination et à un refus de
domination étrangère.
Le propre des États est d’avoir une identité qui distingue chacun des autres, leur confère
une puissance et des droits inaliénables qui découlent de leur nature même. Pour J.-J. Rousseau
(1977, p.192), la liberté est pour l’individu ce que la souveraineté est pour un peuple. De même
qu’un homme ne peut perdre sa liberté sans être aliéné, le pouvoir politique réside dans le
peuple qui doit exercer directement sa souveraineté. De ce fait, la souveraineté est indivisible
et inaliénable car un État ne peut exister qu’à condition d’exercer sa souveraineté qui est
l’exercice de la volonté générale : « La souveraineté n’étant que l’exercice de la volonté
générale ne peut jamais s’aliéner, et que le souverain qui est un être collectif ne peut être
représenté que par lui-même : le pouvoir peut bien se transmettre, mais non pas la volonté. »
La volonté générale traduit l’idée que tous les membres du corps politique doivent s’accorder
sur les mêmes intérêts qui font du bien commun la finalité de l’État. De par sa nature, la volonté
générale tend à l’égalité, à cet intérêt commun sur lequel la société doit être gouvernée. Le
peuple perd ainsi sa qualité de souverain lorsqu’il y a un maître à qui il promet d’obéir.
Dès lors, la souveraineté nationale renvoie à la capacité et aux prérogatives dont dispose un
État pour se doter de ses propres institutions, d’orienter ses choix politiques, de structurer son
territoire sans l’ingérence d’une puissance étrangère. Elle correspond à la politique
d’autodétermination et d’autolégislation d’un État exempte de toute influence extérieure. Ainsi,
la souveraineté ne peut être effective sans une forme de pouvoir dans une République. À
l’intérieur d’un État, il n’y pas de pouvoir au-dessus de celui que détient le souverain. Ce
dernier, en vertu de la légitimité dont il peut se prévaloir dispose de prérogatives qui le situent
bien au-delà de toute volonté particulière. La souveraineté à l’intérieur d’un État vise à conférer
à ce dernier une mission d’hégémonie intemporelle fondée sur une puissance régulatrice. Dans
cette perspective, « est-dit souverain celui qui est en mesure de subordonner tous les autres sans
être lui-même subordonné. Dans la notion de souveraineté s’affirme la toute-puissance de
l’État». A. Cambier (2004, p. 24). Le pouvoir dont dispose un État lui donne donc toutes les
prérogatives de se maintenir dans une hégémonie absolue pour instaurer la paix, la justice, le
bien-être et la sécurité sur le plan national.
En Afrique, après les indépendances, la configuration des relations avec la métropole n’a
pas véritablement changé. La langue du colonisateur est devenue la langue officielle des États
colonisés et l’ouverture au reste du monde se fait par le biais de la métropole. Même les
différentes constitutions des États nouvellement indépendants ont été élaborées à partir de celles
de la métropole. Ces relations de chaque État avec la métropole et les autres États africains
engendrent une extranéité. C’est dire que malgré leur souveraineté, les États africains restent
tournés vers l’extérieur à travers les relations diplomatiques sur la scène internationale en raison
du nouvel ordre mondial qui exige de chaque État, le respect des autres et la promotion de la
paix pour éviter à l’humanité de nouvelles atrocités comme celles de la Deuxième Guerre
Mondiale. La naissance de l’ONU signe le début d’une mondialisation au plan politique en

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raison des buts et objectifs fixés. Il s’agit pour cette institution d’œuvrer pour le maintien de la
paix et de la sécurité internationales. Pour atteindre cette fin, il faut des mesures collectives
efficaces. L’article 1 de la Charte des Nations Unies énonce les buts suivants :

1. Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin : prendre des mesures


collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix et de réprimer
tout acte d'agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques,
conformément aux principes de la justice et du droit international, l'ajustement ou le
règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener
à une rupture de la paix;
2. Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe
de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, et prendre toutes
autres mesures propres à consolider la paix du monde;
3. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre
économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le
respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions
de race, de sexe, de langue ou de religion;
4. Etre un centre où s'harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes.

Certes, même si l’ONU est fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses
membres, ceci n’exclut pas la collaboration pour parvenir à des fins communes. À travers le
droit international, les différents États reconnaissent la valeur et les limites de leur souveraineté
sans sombrer dans l’anarchie. Tous les États africains sont partie à la Charte des Nations Unies
et cette adhésion leur confère la qualité de membres de cette organisation mondiale. Ils sont liés
aux traités internationaux par des accords et conventions qu’ils ont ratifiés. Il s’agit pour chacun
d’eux de reconnaitre au-delà de sa souveraineté, l’existence d’une forme d’alliance et de
coopération qui puisse lui permettre d’atteindre au plan global ce qu’il ne peut réaliser au plan
national. Les représentations diplomatiques de l’ONU dans les États africains attestent une
imbrication du local et du global, du national et de l’international. Aussi, les relations
diplomatiques entre les États africains et les autres États du monde montrent à suffisance
l’importance de l’esprit d’ouverture des Etats. Aucun État ne peut atteindre certains objectifs,
ni réaliser certains projets en se repliant sur lui-même sans recours au reste du monde.
La mondialisation apparaît ainsi, à tout prendre comme la construction d’une nouvelle ère
que l’humanité charrie et qui permet de redéfinir le nouvel ordre mondial. On peut à cet effet
comprendre la mondialisation comme cette nouvelle forme de coopération transnationale
débouchant sur un accroissement de l’interdépendance entre les systèmes économiques,
politiques et culturels. Les traits caractéristiques majeurs renvoyant à l’identification de la
mondialisation sont entre autres la libre circulation des marchandises, des capitaux, des
services, des personnes, des techniques de l’information et de la communication, la
libéralisation des échanges de toute nature à l’échelle planétaire. À en croire D. Held (1992, p.
32-34), la mondialisation renvoie à une simultanéité de l’émergence d’un système économique
global qui est au-delà du contrôle d’un seul État, à l’expansion des réseaux de liaisons
transnationales et de communication sur lesquels les États particuliers ont peu d’influence, à

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une pluralité de croissance de l’organisation internationale pouvant limiter le rayon d’action
des États etc. La mondialisation est un processus possédant en son sein la capacité de réduire la
palette des politiques disponibles aux gouvernements et même à leurs citoyens. Il s’agit en effet
d’un phénomène qui transcende toute particularité des politiques souveraines étatiques. Ce
phénomène est une puissante vague montante qu’aucune politique fondée sur la souveraineté
nationale n’arrive à dompter. Le seul instrument qui permet de régulariser les rapports entre les
États vis-à-vis de ce phénomène est le droit international. Comme l’ont remarqué J. Tardif et J.
Farchy (2006, p.69) :

« La mondialisation fait apparaître de nouvelles aires d’interactions humaines qui affectent


le lien traditionnel entre territoire et espace juridictionnel. Elle oblige à redéfinir non
seulement les enjeux de pouvoir liés aux rapports entre territoire et sécurité (enjeux
géopolitiques), entre territoire et économie (enjeux géoéconomiques), mais aussi et peut-
être surtout entre espace et cultures (enjeux géoculturels). Elle met en jeu de façon inédite
des logiques multiples, stratégiques, économiques, de puissance, qui interfèrent les unes
avec les autres. »

Avec la mondialisation, le droit que détient l’État dans la sphère nationale se fragilise
lorsqu’on tend vers la sphère transnationale puisqu’il ne s’agit plus, dans ce contexte du droit
d’un État envers ses propres citoyens mais plutôt du droit d’un État envers un autre État. La
pression de la mondialisation a redéfini la souveraineté en ce sens que dans le contexte national,
la souveraineté est exclusive alors que dans l’ordre international, elle devient limitée ; ce qui
fragilise considérablement la capacité des États à résister à ces vagues pressantes de politiques
et d’idéologies accompagnées de l’émergence d’un système économique global. Malgré les
effets néfastes secondaires que ce processus peut déclencher, il est devenu une impasse dans
les sociétés politiques contemporaines. A. Acharya (2001, p. 383), en parlant de l’influence de
la mondialisation sur les pays d’Asie insinue que ces États
« ont généralement fait bon accueil à la mondialisation en dépit de son potentiel d’érosion
de leur souveraineté (…) Le risque de perte de souveraineté a été ignoré ou même jugé
acceptable là où des formes spécifiques de la mondialisation (telles que la production
transnationale) pouvaient être aménagées pour servir les objectifs de survie et de légitimité
des régimes autoritaires. »

Par conséquent, les attributs principaux de l’État que sont la souveraineté, l’autonomie,
la territorialité, le droit de ne reconnaître aucune autorité au-delà de sa sphère de contrôle
acquièrent une nouvelle dimension grâce à la mondialisation. Dans ce contexte, la collision
entre la mondialisation et la souveraineté nationale se manifeste aussi par le fait que, par le biais
de la prolifération des outils et des moyens de communication, certaines informations qui
peuvent circuler dans un pays arrivent à échapper au contrôle des États. Au moyen des vagues
de communication de masse, la mondialisation de l’information a contribué à la destitution des
souverainetés nationales. L’érosion de l’exclusivité territoriale contemporaine est la
conséquence logique des effets de la mondialisation. La nationalisation des services de
l’information et de la communication, le monopole par l’État des moyens de communication et
de l’information, le contrôle de la presse, et la mainmise sur les médias d’État, l’orientation

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idéologique des contenus des informations en fonction de la ligne éditoriale voulue étaient
autrefois considérés comme gages de la souveraineté des États en matière de l’information et
de la communication. Mais, l’invasion de la mondialisation a inlassablement contribué à la
dilution de la souveraineté sur ces plans, car aucune information n’échappe à la portée de la
communauté mondiale. Pour B. Badie (1995, p.175.), la mondialisation marque « la fin des
territoires » :

« La fin des territoires n’est pas une caractéristique isolée de notre scène internationale ;
elle n’est pas non plus un facteur de désordre permanent. Elle s’inscrit, en fait dans une
histoire qui se révèle tout le long du XXè siècle et que le monde anglo-saxon saisit à travers
le concept de globalisation, tandis que la francophonie préfère la nommer mondialisation.
Ces transformations peuvent paraître abstraites, générales, rebelles à l’observation
quotidienne; elles peuvent s’apparenter davantage à des propos académiques qu’à la réalité
du monde concret. Qui pourtant, dans sa vie de tous les jours, peut prétendre ne pas avoir
été sollicité par un flux de communication échappant au contrôle des États ? Qui n’est pas
personnellement concerné par les effets d’un jeu économique mondial qui défie les
frontières et qui, depuis déjà longtemps, fait fi des souverainetés nationales, nonobstant les
professions de foi ou les philippiques qui composent le rituel des campagnes électorales ?
Qui n’a pas individuellement éprouvé les effets de dilution des paramètres nationaux, dans
son rôle de consommateur, de spectateur, de migrant, de touriste ou de demandeur
d’allocation ? »

Ces différents facteurs montrent que le monde entier est embarqué dans ce processus à
dimension multiple. Les prémisses de la mondialisation dressent un bilan nocif au plan
économique, car l’interdépendance des structures de production est la conséquence logique de
la mondialisation économique. Aucun pays n’a le pouvoir de production s’il ne respecte les
standards des normes internationales. À partir de là, les productions des économies nationales
deviennent vulnérables et fragiles au plan international dans la mesure où ces États n’ont pas le
pouvoir de dicter leur politique commerciale. Cette situation conduit d’ailleurs à une
mondialisation inégale de l’économie, puisque, les politiques de régulation de l’économie
mondiale sont à la houlette de quelques firmes transnationales et des multinationales. Selon J.
Habermas (2013, p. 76), « l’éviction de la politique par le marché se traduit donc par le fait que
l’État national perd progressivement sa capacité à recouvrer des impôts, à stimuler la croissance
et à assurer par-là les bases essentielles de sa légitimité. »
De ce fait, l’érosion de la souveraineté nationale des Etats est sensiblement observée au plan
économique. Sur presque tous les plans, les États africains subissent les effets pervers et
bénéfiques de la mondialisation face auxquels aucun d’entre eux n’a de prise. S’il est admis que
l’invasion des marchés africains par des firmes internationales appauvrit plus les États qu’elle
ne les enrichit, il est nécessaire de développer une nouvelle politique à l’échiquier international
à travers l’intégration régionale. Comment concilier souveraineté nationale et intégration
régionale en Afrique ?

101
2. Du droit des peuples à l’intégration régionale

Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est au fondement de la souveraineté nationale.


Un État est souverain lorsque le droit à l’autodétermination est la pierre angulaire de sa politique
intérieure. Cependant, le besoin de s’associer et de collaborer rend nécessaire le rapprochement
entre les États. Les Africains sont liés par un destin commun en raison de leur situation
géographique et de leur histoire. Ce lien est davantage ressenti lorsqu’il y a la présence d’un
danger qui menace la vie de chacun. Les différentes transformations du monde ont rendu
nécessaire un rapprochement des différents États pour faire face à certains problèmes
spécifiques. Cette ouverture à l’autre est un désir d’accroître sa puissance et ses capacités à
partir d’une transcendance de la territorialité. Si la territorialité implique un espace à partir
duquel se déploie la puissance souveraine sur une population donnée, les flux migratoires et
d’autres besoins spécifiques conduisent à une intégration dans une sphère plus vaste. La
régionalisation apparaît comme une réponse aux défis des différents États à mettre ensemble
leurs forces communes pour résoudre certains problèmes qui ne relèvent pas de la responsabilité
d’un État en raison des logiques transnationales. Un État et ses voisins partagent souvent une
population unie par des traits culturels, des ressources naturelles, la faune, la flore, les cours
d’eau, des activités économiques ainsi que des problèmes liés aux conflits interethniques. Il y
a ici un devoir de ressemblance malgré l’existence du droit à la différence. Les déplacements
des populations, la sécheresse et les anomalies climatiques sont d’autres fléaux qui appellent
les États à plus de solidarité et d’entraide. Ils sont dès lors contraints de lutter ensemble pour la
sécurité et le bien-être de leur population respective en s’unissant sur plusieurs plans pour
surmonter les obstacles et résoudre les problèmes récurrents. Comme l’écrit B. Badie, (1992,
p.293) :

« La régionalisation du monde renvoie à des réalisations diverses qui se rejoignent toutes


pour transcender la carte des États et faire admettre, de fait, un autre découpage de la scène
internationale, prenant en compte, de manière plus ou moins partielles, les données du
particularisme culturel. Quatre formules semblent faire souche en ce domaine : la formation
d’ensembles culturels vastes qui se cristallisent autour de flux culturels transnationaux, en
contestant voire, combattant les États; l’élaboration d’unions d’États selon les procédés
visant l’intégration et le dépassement de la logique étatique; la constitution de pôles
régionaux autour d’un État puissant, combinant de manière ambiguë son identité étatique
et la volonté de dissoudre celle-ci dans les entités plus vastes; les efforts cherchant à
résoudre les problèmes liés au particularisme infra-étatique par la construction des régions,
distinctes des États, et prétendant à l’autonomie. »

En Afrique, l’intangibilité des territoires après les indépendances a été un moyen pour
chaque État d’affirmer sa souveraineté vis-à-vis des États voisins et sur la scène internationale.
Pourtant ces frontières qui ont été l’œuvre des puissances étrangères ne correspondent à aucune
réalité historique qui coïnciderait avec une conscience collective mais plutôt à un
rassemblement disparate d’ethnies. Unis désormais par un destin commun, les ressortissants de
chaque État sont appelés à coopérer pour l’unité de la patrie. Le fait d’avoir eu une même
puissance colonisatrice a été aussi un facteur d’intégration de certains États africains. Ainsi, le

102
Commonwealth est une association d’anciennes colonies de l’Empire britannique, devenues des
États indépendants et ayant établi entre elles une solidarité. Ses pays membres sont unis par des
intérêts communs mais jouissent d’une autonomie politique car ils ne sont liés par aucun traité.
La création du Commonwealth a permis au Royaume-Uni d’éviter une décolonisation
conflictuelle et de conserver de bonnes relations avec ses anciennes colonies en défendant
l’égalité, la démocratie, la primauté du droit et la non-discrimination comme valeurs communes
à tous ses membres. Cette philosophie a permis aux États africains anglophones d’avoir leur
propre monnaie et d’avancer sur les plans politiques et économiques.
Quant aux États francophones, le colonisateur avait déjà créé une forme de régionalisation
sur le continent pour mieux gérer ses colonies dans son intérêt personnel. Avant les
indépendances, les territoires occupés par la France avaient des relations étroites à travers des
regroupements comme AOF (Afrique occidentale française, créé en été 1885 et dont la capitale
sera transférée de Saint-Louis à Dakar en 1902), AEF (Afrique équatoriale française, créé en
1910). Cette régionalisation a été maintenue par la création de la zone franc et du franc CFA
en 1939 dans les pays francophones. La valeur du franc CFA et sa fabrication sont assurées par
la France qui a un contrôle sur la politique financière et économique de cette monnaie. Ainsi,
décida-t-elle unilatéralement et dans son propre intérêt de sa dévaluation en 1994. Si 60 ans
après les indépendances, ces États francophones n’ont pas encore leur monnaie propre, il y a
lieu de se demander si leur économie appartient à la France ou à eux. Cette mainmise de la
France sur ses anciennes colonies à l’ère de la mondialisation, loin d’être un moyen de les
protéger se présente plutôt comme un transfert de souveraineté. Comme l’écrit A. Cappeau
(2014, p.115) :

« Dans un habillage post-mondialisation, les anciens empires coloniaux et particulièrement


la France de la Françafrique ont continué de soumettre leurs anciennes colonies par des
ingérences militaires, monétaires, sécuritaires, économiques, judiciaires, policières ou
encore diplomatiques, en imposant de facto, des transferts de souverainetés indiscutables
par l’application d’une manière subliminale du concept dit de « terranullis », autrement dit
d’annexion de territoire sans maître, ou plutôt dans notre cas espèce, de territoires aux
maîtres serviles… et consentants. »

Cette ambigüité permet de saisir le besoin le plus élémentaire de l’homme : s’associer pour
mieux vivre. Si l’homme a toujours besoin de son semblable pour être ce qu’il est, c’est en
raison du rôle que chacun joue dans la vie de l’autre. Cette situation se comprend dans le sens
où c’est celui qui est à côté de moi et qui vit les mêmes problèmes que moi qui peut mieux me
comprendre et m’aider à les résoudre parce que je pourrai lui être utile dans la résolution des
siens. En outre des voisins peuvent mieux se rendre régulièrement certains services que ceux
qui sont éloignés les uns des autres. De cette serviabilité peut naître une union qui fera leur
force à travers leurs échanges car chacun possède nécessairement quelque chose qui manque à
l’autre ; d’où l’idée de coopération. Pris isolément, les États africains sont en proie à des pillages
systématiques et à des exploitations de tous genres par les puissances étrangères. Le cas de la
France avec ses anciennes colonies est souvent plus accru dans la mesure où ses interventions
sur tous les plans n’ont pour finalité que d’asseoir son hégémonie et d’exploiter les ressources
naturelles en mettant les populations dans une situation de dépendance permanente ou de

103
conflits latents. Ainsi, les pays les plus riches sont les plus convoités avec des conflits récurrents
qui instaurent une insécurité qui facilite le pillage et la prédation des ressources naturelles. Le
cas de la Côte d'Ivoire, sans être unique est illustratif :

« La prédation des ressources naturelles ivoiriennes qui s’est instaurée d’une manière
organisée, après la chute du Président Gbagbo, dès novembre 2011, au profit de réseaux et
d’intérêts privés locaux et étrangers a démontré clairement la déliquescence d’un État qui
bradait sa souveraineté. En côte d’Ivoire comme dans bien d’autres pays en Afrique, la
souveraineté s’exerce par procurations concédées aux multinationales étrangères, pour
lesquelles et au profit desquelles, les institutions locales corrompues ont soldé mines, ports
et aéroports contre une forme de considération ! » (A. Cappeau 2014, p.115)

Le besoin d’unité sur le continent devient un impératif pour coopérer et lutter contre les
invasions étrangères. Après les indépendances, les mouvements pour l’unité africaine étaient
déjà une bonne marque d’un désir d’intégration sur le continent. Le mouvement du
panafricanisme est un exemple illustratif malgré les dérives et l’échec. Sur le continent,
l’Organisation de l’Unité Africaine devenue plus tard l’Union Africaine est une marque
d’intégration et de coopération continentales. Si l’impact de la mondialisation fragilise la
souveraineté nationale, l’option pour une coopération et fédération forte à partir d’une politique
d’intégration régionale s’avère impérative. En se référant au cas des pays de l’Afrique, il faut
souligner que c’est parce qu’ils ne parviennent pas à mettre en œuvre leurs objectifs communs
qu’une puissance transnationale ou occidentale arrive à les dominer facilement. La vision de la
Charte de l’Union africaine est de construire une Afrique unie, solidaire représentant une
puissance dynamique sur la scène internationale. Pourtant, ce continent est le terrain où se
jouent les conflits de toute sorte et de toute nature pour des raisons politiques, ethniques,
religieuses ou économiques ; ce qui conduit à une fragilisation des institutions. La souveraineté
fragile des États conduit à la vulnérabilité de leur politique économique, commerciale face à la
pression stratégique des politiques de la mondialisation.
En Afrique, il existe des organisations sous régionales : CEEAC (Communauté économique
des États de l’Afrique centrale), CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de
l’Ouest), CEB-SAD (Communauté des États sahélo-sahéliens), UMA (Union du Maghreb
Arabe), EAC (Communauté de l’Afrique de l’Est), COMESA ( Marché commun de l’Afrique
Australe et Orientale), IGAD (Autorité intergouvernementale pour le développement), SADC
(Communauté pour le Développement de l’Afrique Australe) ; des organisations d’intégration
régionale comme : CEMAC (Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale),
UEMOA (Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine), COI (Commission de l’Océan
Indien) etc.
Aussi, l’Union Européenne, par son programme nommé Fonds Européen de
Développement (FED), investit et finance considérablement les instituions de l’Afrique
subsaharienne et a « même érigé l’intégration régionale en principe premier des Accords de
Partenariat Économique (APE) en cours de négociation » (F. Saudubray, 2008, p. 175). On peut
aussi mentionner les financements qu’accordent aux institutions régionales de l’Afrique
subsaharienne, les pays comme la Chine et les USA. L’Afrique est le premier continent qui ait
bénéficié de plus d’aide au développement. Très souvent, ces politiques d’aide se manifestent

104
à travers des types de coopération qu’on qualifie de « bilatérale » ou de « collatérale ». Quant
aux politiques d’aide publique, en 2006 par exemple, la République française, à travers le
Comité Interministériel de la Coopération Internationale et du Développement (CICID) estime
avoir accordé une importance particulière aux pays d’Afrique. Cependant, loin d’être le
continent le plus aisé sur tous les plans, elle demeure plutôt celui où la pauvreté, les maladies,
la famine sont récurrentes. Elle est le foyer de toutes les manœuvres politiques sans effet ou
résultat concret : politiques de réforme diverse, de dialogue, de spéculation déroutante sur
l’amélioration du climat des affaires avec la coopération et la collaboration des siphonneurs
internationaux des ressources, politique d’ajustement structurel, partenariats publics ou privés
etc. Les relations dissymétriques de type Nord/Sud ont été, depuis l’accession des pays africains
à l’indépendance, un échec notoire. Comme le montrent si bien A. Glaser et S. Smith (1994,
p.22):

« Certes, il faut faire le bilan, celui d’un mépris et d’un aveuglement séculaire sous toutes
ses formes dont notamment, la plus raffinée : la coopération. À la différence de la
domination coloniale, elle a prétendu à l’égalité entre « partenaires ». Il est donc nécessaire
de démontrer son échec, son hypocrisie, de visiter le cimetière de ses « éléphants blancs »,
de ces projets de développement surdimensionnés et budgétivores qui n’ont enrichi que
l’Occident. »

Cette manœuvre s’observe à suffisance au sein de la CEDEAO, entre les États africains
eux-mêmes où de véritables problèmes tels que la libre circulation des personnes et des biens
restent à résoudre. Les puissances étrangères semblent avoir le monopole de ce que les autres
États appartenant à la même communauté n’ont pas: les échanges commerciaux et
diplomatiques au nom de la coopération. Née le 25 mai 1975, cette institution n’a pu résoudre
les problèmes de gouvernance à vie qui gangrènent certains États surtout francophones.
Comment cette institution qui est intervenue pour chasser Yahya Jammeh, n’a pu empêcher
Alpha Condé et Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat et pire à Faure Gnassingbé
d’être au quatrième mandat? La CEDEAO est une institution qui sert à légitimer les élections
frauduleuses à travers l’envoi des observateurs corrompus. Elle n’arrive pas à organiser des
élections crédibles et démocratiques et joue toujours au médecin après la mort. Si Alpha Condé
et Alassane Ouattara sont élus pour leur troisième mandat en violation des dispositions
constitutionnelles, il y a lieu de se demander le rôle véritable que joue la CEDEAO dans la
promotion de la démocratie en Afrique de l’Ouest. Elle sert plus les intérêts de certains chefs
d’État et des puissances occidentales que ceux des peuples pour lesquels elle est instituée. Elle
est devenue une trafiquante d’élections et une institution qui ne respecte pas ses engagements.
Elle est incapable de lutter contre le terrorisme qui sévit dans le sahel et se plie sous la protection
de la France qui y règne en maître absolu sur les ressources naturelles. Quel rôle a-t- elle pu
jouer dans la crise malienne qui a conduit au renversement de Ibrahim Boubacar Keita ? Dans
plusieurs crises comme celle ivoirienne et plusieurs fois au Togo, elle a juste servi les intérêts
de la France et des dictateurs. Le dernier échec est la difficulté d’instaurer une monnaie unique
au sein d’un espace déjà verrouillé par la France qui a instrumentalisé son allié Alassane

105
Ouattara dans des déclarations sans consensus préalable. Pourtant elle est une communauté dans
laquelle les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes.
Le problème n’est donc pas l’inexistence en Afrique de cette intégration régionale mais de
la mise en œuvre de ses principes d’action. Il ne s’agit pas d’exister mais de sortir de soi pour
marquer le monde en le transformant par des actions concrètes. L’option pour des politiques
divergentes et non solidaires entre les pays membres d’une communauté régionale à l’instar de
la CEDEAO, sous prétexte du principe de souveraineté, est le canal par excellence qui justifie
la fragilisation de leurs relations interétatiques. Or, ces prétextes s’expliquent plutôt par une
forme d’instrumentalisation et de manipulation des puissances étrangères à leur propre fin ; ce
qui conduit à l’échec d’une intégration régionale dominante face à la mondialisation. Une
institution tachetée d’ingérence étrangère est un frein à l’élan d’une politique d’intégration
régionale authentique. Le projet de la mondialisation s’accompagne d’un programme de
gouvernance globalisée, qui à son tour suit un protocole de prédation intelligente et stratégique
des ressources par les États « puissants » en l’occurrence ceux occidentaux.
En Europe par exemple, il y eut, après la Deuxième Guerre Mondiale, en 1954 l’idée d’un
projet de communauté européenne de défense. Mais, ce projet de stabilité interétatique au
moyen d’un statut politico-militaire a échoué au profit d’une politique d’intégration régionale.
Ainsi, on se rend compte que la construction de l’Europe a été possible grâce à un consensus
de convergence des politiques économiques et industrielles entre les États membres. Parlant de
la formation de l’Union européenne, B. Badie (1995, p.218) a pu écrire :

« Ce dépassement évident des logiques territoriales se vérifie au vu de la nature inédite de


l’Union européenne qui ne peut prétendre ni au statut de super-État imposant son propre
territoire comme espace de souveraineté, ni à celui d’organisation d’États souverains
juxtaposant leurs propres territoires. Les institutions mises en place n’ont pas conduit à ce
transfert d’allégeance des États vers un centre nouveau, dont les fédéralistes rêvaient et
qu’Ernest Haas envisageait autrefois comme la marque d’une régionalisation réussie. Les
États demeurent, dans ce nouvel ensemble, et élaborent de concert la politique de la
nouvelle Europe. Cette évidente résistance des centres étatiques empêche la constitution
d’un centre unique qu’on ne saurait incarner. Il serait donc illusoire de prétendre que le
territoire de l’Union se substitue aux territoires des États qui en sont partie prenante. »

S’il est admis que les institutions régionales ne sauraient se substituer aux différents États,
il est paradoxal qu’en Afrique ces dernières ne jouent pas leur rôle et servent plutôt à légitimer
l’insoutenable. Comment donc faire de l’intégration régionale le vecteur d’une mondialisation
raisonnable ?

3. Souveraineté, intégration régionale et mondialisation en Afrique

L’Afrique est souvent qualifiée de continent de l’avenir, c’est le continent de la dialectique


des possibles. Avec la population la plus jeune au monde, l’Afrique regorge plusieurs
ressources jusque-là inexploitées et plein de potentialité quant à ce qui concerne sa faune, sa
flore, ses fleuves, ses végétations etc. Sur ce, il est important pour les pays africains de revoir
d’abord leur agenda politique et leur plan d’action pour affirmer leur souveraineté. Une façon

106
de se libérer des pactes politiques issus du joug colonial est de reconsidérer les bases de la
souveraineté nationale pour une intégration régionale authentique. Il ne peut y avoir une vraie
intégration si les États africains ne procèdent pas par une ablation systématique des cordons
politiques coloniaux pour un renouement des pactes politiques interétatiques régionaux
efficaces. On peut dire que dans le contexte africain, un vrai plan d’action sur l’intégration
régionale conduira à la décolonisation de leurs économies.
L’éjection des puissances étrangères de toutes les instances de prise de décisions dans les
États et entre les États est l’une des pistes pour la souveraineté, puisque, comme l’expliquent
L. Gbagbo et F. Matteï (2018, p.63): « Tant que les piliers seront debout : la présence de l’armée
française, le franc CFA, et le choix des présidents, la souveraineté des pays d’Afrique ne sera
qu’un leurre, et la Françafrique une réalité. » Aussi longtemps que les puissances étrangères se
verront attribuer un droit de regard dans les instances de prise de décision des politiques
économiques, commerciales au motif de la coopération, des relations diplomatiques ou au nom
de toute interprétation que ce soit, on assistera toujours à un marché de la mondialisation
dominé par ces puissances. Aucun État au monde ne peut lutter pour les intérêts d’un autre et
se laisser détruire soi-même. L’ingérence des puissances étrangères est un cadeau empoisonné.
Il s’agit de prétendre à une forme d’assistance qui est en réalité un jeu du loup à la peau
d’agneau. Dès lors, en lieu et place d’un asservissement politique, économique et social, il faut
la recherche du bien- être des peuples africains qui doit passer par une prise de conscience
collective car, poursuivent L. Gbagbo et F. Matteï (2018, p.6):

« Il serait temps que d’autres en Afrique, acceptent de mener le combat contre la


Françafrique. Il en vaut la peine, aussi bien pour l’Afrique que pour la France. La fin de ce
système ouvrirait une ère de progrès commun, dans la dignité. Nous avons besoin de vous,
parce que nous sommes sous-développés, et vous avez besoin de nous, parce que nous
détenons ce dont vous avez besoin, parce que vous êtes en crise. »

Pour mener ce combat duquel naîtra l’Afrique qui vient des Africains, les dirigeants
africains doivent prendre leur destin en main pour que les institutions soient respectées et que
le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes devienne une réalité vécue. L’heure n’est plus aux
discours mais aux actions concertées et concrètes. Il faut que les dirigeants africains aient le
pouvoir d’agir pour défendre les intérêts de leurs peuples respectifs pour lesquels ils
gouvernent. Lorsqu’un peuple est souverain, il a un dirigeant responsable qui incarne des
institutions fortes pour lutter contre les invasions étrangères. Les politiques nationales doivent
être l’œuvre de dirigeants africains dont la légitimité se fonde sur une autorité politique
incontestable démocratiquement : Nelson Mandela fut un exemple. Les leaders politiques
africains comme Kwame N’Krumah, Sékou Touré, Modibo Keita, Jomo Kenyatta ont lutté pour
l’émancipation du continent. Aujourd’hui Paul Kagame a pu, après le génocide rwandais
transformer son pays qui est sur la voie de l’émergence. John Jerry Rawlings, a pu, malgré son
accession au pouvoir à la suite d’un coup d’état militaire, mettre le Ghana sur la voie d’une
démocratie réussie. Plusieurs dirigeants africains tels Mouammar Kadhafi, Thomas Sankara,
Patrice Lumumba, Sylvanus Olympio, dont le charisme n’est plus à démonter ont été assassinés
par les puissances occidentales pour maintenir éternellement les pays africains sous leur tutelle.

107
D’autres, comme Laurent Gbagbo a été évincé du pouvoir au profit de leur allié pour la
protection de leurs intérêts : « Nous ne sommes libres qu’en apparence, à l’intérieur de la cage
où l’on nous a mis, nos finances et notre économie sous tutelle, sans poids réel au niveau
international, menacés d’être mis à l’amende si nous n’obéissons pas. Ce n’est pas tenable. Un
jour, ensemble, nous en sortirons. » (L. Gbagbo et F. Matteï 2018, p.65).
De ce point de vue, on peut estimer qu’une politique d’intégration régionale réussie
débouche logiquement sur une puissance économique forte, autonome pouvant influencer les
politiques internationales. Les premières œuvres au plan national d’une franche politique
d’intégration régionale sont la circulation des marchandises et des personnes, la suppression
des monopoles nationaux, la concurrence entre les entreprises de la zone, l’effort de
modernisation et de perfectionnement des structures et services. Il ne s’agit plus dans ce
contexte d’une pseudo-politique de coopération régionale fondée sur un soutien mutuel entre
les dictatures politiques comme en témoignent certaines institutions africaines actuelles. Une
politique authentique d’intégration régionale conduit à une facilité du pouvoir de négociation
entre les entreprises. Elle pose les prémisses d’une croissance de la finance inclusive tout en
amoindrissant les politiques mafieuses et nocives d’aide au développement ou les politiques
d’aide fatale comme l’estime D. Moyo (2009). L’affirmation de la souveraineté nationale par
le biais de l’intégration régionale à l’ère de la mondialisation ne doit pas être une des options
politiques parmi tant d’autres pour les États africains. Elle doit être plutôt la priorité, parce
qu’elle contribue à la réduction des politiques axées sur les coopérations multilatérales au profit
de celles bilatérales intra régionales. Lors des sommets mondiaux comme celui du changement
climatique par exemple, les initiatives susceptibles d’être prises entrainent parfois une
résistance de certains États en raison des injustices globales qui ne permettent pas de réduire
les multiples inégalités :

« Cette résistance des États s’effectue à la fois au nom de leur souveraineté et, notamment
quand il s’agit des États en développement, de leur intérêt tel qu’ils le comprennent comme
incluant d’abord, avant toute contribution sincère et efficace à la lutte contre le changement
climatique, leur accès à un niveau de performance économique les rendant moins
dépendants, pour leur subsistance, du commerce mondial (ou de la présence de grands
groupes entrepreneuriaux sur leur territoire). » (A. Renaut et E. Brown 2016, p.679).

Dès lors, l’autonomie des pouvoirs politiques à l’ère de la mondialisation passe aussi par
une politique d’intégration régionale dont la finalité s’apparente à une baisse des coûts de
transactions entre les États membres de la zone. Cette baisse octroie un pouvoir interne de
consommation des biens et services. Elle peut aller jusqu’à la suppression des droits de douanes.
Grâce à l’intégration régionale, les États africains peuvent reconstituer l’arbitraire du
découpage des territoires imposé depuis longtemps par les puissances occidentales. Bref, il
s’agit, à travers cette politique, d’une mise en place d’un mécanisme politique dont la
manifestation se révèle à travers le pouvoir d’affirmation et de prise de décisions inclusives et
concertées pouvant résister à toute tentative d’ingérence et de pression extérieure. La capacité
de prendre des mesures idoines, suite à la décision d’une puissance quelconque de sanctionner
un pays ou une institution régionale, pose donc les marques et les prémisses de la souveraineté
à l’ère de la mondialisation.

108
Après cela, il est nécessaire, pour une affirmation souveraine contre les désastres de la
mondialisation d’opter pour une gouvernance régionale axée sur l’investissement
transfrontalier intra régional. L’option pour une bonne politique d’intégration régionale
débouche impérativement sur une coopération forte, inclusive et résiliente sur les plans
politique, économique, culturel entre les États membres. À coup sûr, l’intégration régionale
contribuera à un nouvel horizon de l’affirmation de l’identité politique et économique africaine.
Pour parvenir à une intégration harmonieuse, il faut, comme le souligne J. Habermas (2012,
p.82-83) :
« Que les compétences que l’État national délègue aux instances supranationales, ou celles
qu’il partage avec elles, puissent être de toute façon encadrées juridiquement, notamment
dans les régimes de traités internationaux, mais encore faut-il qu’elles le soient de manière
démocratique. Dans le cas d’un transfert des droits de souveraineté, la latitude qui doit être
laissée à l’autonomie des citoyens n’est pas restreinte si les citoyens d’un quelconque État
concerné, en coopération avec les citoyens des autres pays impliqués, participent bel et
bien, selon un processus démocratique, à la législation supranationale. »

Il faut que l’intégration régionale en Afrique soit démocratique en partant de la volonté


des citoyens au lieu de demeurer une manœuvre des Chefs d’États et de leurs complices qui
pillent et exploitent les ressources naturelles sans que les retombées ne soient bénéfiques pour
les populations concernées. Les institutions justes et fortes en Afrique passent par la mise en
œuvre d’un processus démocratique dans lequel aucun État et aucun dirigeant ne pourront se
prévaloir d’une suprématie sur les traités régionaux et internationaux : « Nous avons besoin, en
Afrique, que nos institutions soient respectées, même si l’on peut avoir des réserves quant à
ceux qui les incarnent et à leur mode de fonctionnement. » (L. Gbagbo et F. Matteï 2018, p.178).
C’est à travers le respect des institutions nationales que le droit des peuples à disposer d’eux-
mêmes peut être respecté par les dirigeants africains irresponsables. De cet ancrage national du
respect des institutions par tous les acteurs de la vie politique, le pas est désormais tourné vers
l’instance régionale car si les dirigeants africains ne sont pas en mesure de faire la volonté de
leur peuple, ils ne peuvent pas les représenter légitimement dans une instance régionale, voire
internationale. De ce fait, la politique d’intégration régionale doit se fonder sur une souveraineté
politique dont l’essence réside dans le respect du droit des peuples. Ceci permet une ouverture
au monde sans être aliéné. L’aliénation renvoie au fait de cesser d’être soi-même pour dépendre
des autres comme si on n’était pas soi-même souverain. La souveraineté nationale au plan
régional doit être une marque de coopération et d’entraide mutuelle, un véritable creuset de
forces diverses mais complémentaires qui donne à chacun plus de puissance et de complétude.
La reconnaissance de soi et de l’autre devient source de partage et de cohésion. À ce siècle, et
spécifiquement sur le plan politique et économique, il est impossible pour des États, pris
individuellement, d’affirmer une souveraineté quelconque. Dans la vie politique et économique,
les politiques fanatiques du protectionnisme perdent leur hégémonie au profit des politiques du
régionalisme concerté. Sur cette base, la marque de la réaffirmation d’une souveraineté
politique forte et participative à l’ère de la mondialisation passe par l’intégration régionale :

« Malgré cette convergence d’intérêts qui freine les avancées politiques et sans attendre un
évènement rupture qui précipiterait le mouvement, un facteur fondamental peut servir de

109
levier pour avancer : dans la dynamique mondiale, aucun acteur n’est en mesure de
s’imposer seul. Les acteurs de l’économie globalisée ont besoin pour opérer d’un cadre
relativement prévisible ainsi que de la sécurité qu’ils ne peuvent assurer et que l’État a la
légitimité de mettre en place. L’État ne peut plus assurer le bien-être de ses citoyens sans
compter sur des entreprises capables de s’imposer dans le marché globalisé qui échappe à
son contrôle. » (J. Tardif et J. Farchy 2006, p.193.)

Pour contrer les manœuvres hégémoniques de la mondialisation, il faut des mesures de


planification inclusive à long terme pour une réaffirmation de la souveraineté des pays africains.
Une bonne politique de développement peut passer par une interaction stratégique entre les
considérations démographiques et les ressources naturelles. Le projet de souveraineté politique
devenu une impasse dans les sociétés politiques contemporaines, est avant tout une question
d’organisation, de planification et de coopération interrégionale. Ainsi, l’affirmation d’une
souveraineté authentique de l’Afrique peut passer par deux phases. Il s’agit essentiellement de :
- La politique de l’impératif coopérationnel et régionaliste endogène : affirmer une souveraineté
à l’ère de la mondialisation revient à imposer entre les États membres un impératif politique
basé sur les valeurs et principes conventionnellement partagés. Un ensemble d’idéologies
incarnées comme valeurs et principes par les États membres au nom de la politique d’intégration
régionale permettra de résister à toute tentative d’intrusion des puissances étrangères. Il s’agit,
en fait d’une intériorisation de certaines valeurs et normes qui seront partagées par les membres
de cet espace régional : le local et le régional d’abord et le global ensuite. La politique de
l’impératif coopérationnel et régionaliste endogène aidera les pays africains à construire « des
marchés ouverts à l’intérieur et protégés vis-à-vis de l’extérieur ». (F. Saudubray, 2008, p. 179).
L’absence de cette politique de l’impératif régionaliste endogène a fait que par exemple, la Côte
d’Ivoire, sous l’impulsion de la France a mis la CEDEAO dans une déroute quant à ce qui
concerne son projet de monnaie unique en 2020.
- La politique de l’impératif coopérationnel et régionaliste exogène : s’ouvrir au reste du monde,
c’est élaborer des initiatives et alternatives efficaces, capables de s’autoréguler en cas de force
majeure. Les pays africains ont une responsabilité collégiale de définir une politique
économique soudée, inébranlable. L’impératif coopérationnel a pour priorité de veiller aux
règles commerciales communes établies. Pris individuellement, les économies nationales sont
facilement dissolvables grâce aux fouets des politiques macroéconomiques issues de la
mondialisation, des multinationales et des décideurs internationaux. Cette seconde phase qui
représente celle de l’ouverture au monde est la conséquence logique de la politique de
l’impératif coopérationnel et régionaliste endogène réussie.
Ainsi une convention solide entre les aires régionales sur les règles commerciales, les
procédures douanières et les droits de douanes pourra-t-elle poser les prémisses fondamentales
d’une coopération avec le reste du monde. Dans ce contexte, on peut assister à la résistance au
diktat idéologique et économique issue de toutes structures exogènes. Ceci bannit toute
imposition des politiques économiques exogènes et oblige chaque partie prenante à coopérer ;
ce qui constitue un gage pour la souveraineté politique à l’ère de la mondialisation. L’union
sacrée des pays dans un espace régional procure toujours un avantage majeur. La politique
régionaliste exogène qui se manifeste à travers une coopération de l’espace régional et

110
l’extérieur peut être considérée comme une base formelle à l’affirmation de l’autonomie
politique et de la souveraineté nationale.
Le problème essentiel réside donc dans la manière de repenser le politique car il est au
cœur de tout processus, qu’il soit national, régional ou mondial. Le politique est au fondement
du processus de mondialisation qui affecte toutes les sphères de la vie humaine. Il faut
comprendre, comme le notent J. Tardif et J. Farchy (2006, p.194) que :

« La globalisation et la mondialisation ne marquent pas la fin du politique. Elles appellent


plutôt à redéfinir l’articulation des différentes sphères d’interactions humaines et le rôle
des divers acteurs dans un monde ouvert qui n’est plus seulement inter-national et inter-
étatique. Elles offrent ainsi l’occasion de repenser le politique à la fois dans ses expressions
nationales, internationales et dans la perspective du « réalisme cosmo-politique. »

Si la mondialisation affecte toutes les sphères de la vie humaine, elle permet à la fois de
construire le monde et de le défaire. Elle le construit en créant des liaisons qui font de
l’humanité un village planétaire, en donnant la possibilité à tous les hommes de s’élever au-
delà de leur espace géographique pour vivre le monde et le célébrer. Elle facilite la
communication et les échanges entre les différentes contrées du monde et favorise les relations
bilatérales et multilatérales. Cependant, dans sa mise en œuvre la mondialisation n’est pas
neutre en ce qu’elle permet aux États forts de dominer davantage les États faibles et de les
exploiter sur tous les plans. Elle donne le pouvoir aux États puissants d’imposer leur vision du
monde aux autres en les contrôlant sur tous les plans en vue de créer une dépendance excessive.
Dans la dynamique mondiale, on assiste au « chacun pour soi, Dieu pour tous » dans la mesure
où aucun État ne saurait se substituer aux autres pour résoudre leurs problèmes et les formes
apparentes de coopération ne sont que des moyens d’exploitations déguisés. Les moyens de
transport et de communication favorisent une domination économique sans précédent et les
États africains n’ont pas le monopole de la convertibilité de leur monnaie, ni le pouvoir d’achat
pour affirmer leur souveraineté. Tout se passe comme s’ils étaient juste des spectateurs qui
suivent un match et applaudissent lorsqu’un nouveau but est marqué. Ils sont de ce fait des
victimes dans ce processus de marginalisation où seuls les amis s’invitent au festin. Le besoin
de reconstruire le monde sur de nouvelles bases apparaît comme un impératif. À juste titre A.
Mbembe (2013, p. 261), écrit :

« Pour construire ce monde qui nous est commun, il faudra restituer à ceux ou celles qui
ont subi un processus d’abstraction et de chosification dans l’histoire la part d’humanité
qui leur a été volée. Dans cette perspective, le concept de réparation, en plus d’être une
catégorie économique, renvoie au processus de réassemblage des parts qui ont été
amputées, la réparation des liens qui ont été brisés, la relance du jeu de réciprocité sans
lequel il ne saurait y avoir de montée en humanité. »

Il s’agit de promouvoir l’idée d’humanité commune qui doit fonder toute pratique politique
et économique dans les relations entre les différents États. La loi de la jungle qui fonde le
processus de mondialisation doit être mise hors-jeu au profit d’une restitution et d’une

111
réparation qui constituent une possibilité d’accomplissement d’une justice universelle par la
construction d’une conscience commune au monde :

« Les deux concepts de restitution et de réparation reposent sur l’idée selon laquelle il y a
une part d’humanité intrinsèque dont est dépositaire chaque personne humaine. Cette part
irréductible appartient à chacun de nous. Elle fait qu’objectivement nous sommes à la fois
distincts et semblables. L’éthique de la restitution et de la réparation implique par
conséquent la reconnaissance de ce que l’on pourrait appeler la part d’autrui, qui n’est pas
la mienne, et dont je suis pourtant le garant, que je le veuille ou non. Cette part d’autrui, je
ne saurais l’accaparer sans conséquence pour l’idée de soi, de la justice, du droit, voire de
l’humanité tout court, ou encore pour le projet de l’universel, si tant est que telle soit
effectivement la destination finale. » (A. Mbembe 2013, p. 261-262)

À cette éthique de la restitution et de la réparation qui enjoint la reconnaissance de la part


d’autrui dont chacun a l’impérieuse obligation d’être le garant, il y a lieu de promouvoir des
valeurs qui mettent en jeu les deux parties dans la promesse de ne plus commettre les torts du
passé. Cette éthique de la réconciliation peut combler le fossé d’une humanité fragmentée et
divisée et dans laquelle seuls les plus forts ont le monopole de décision. Ainsi, les ingérences
étrangères des grandes puissances dans les affaires intérieures des États et des institutions
régionales africaines cesseront au profit d’une franche coopération. Comme l’écrit A. Renaut
(2013, p.351) : « L’objectif serait désormais d’établir des règles rendant les procédures de
négociations plus conformes au principe selon lequel tous les peuples ont le droit à être traités
avec le même respect de leur souveraineté et de leur dignité. » L’Union africaine n’est jamais
invitée pour superviser des élections dans un État européen alors qu’aucune élection ne peut
être crédible en Afrique sans la présence des observateurs de l’Union européenne. Quelle
souveraineté !

Conclusion

Si ontologiquement, l’homme ne peut vivre sans les autres hommes, il est aussi vrai de nos
jours qu’aucun État ne peut s’épanouir sans la collaboration des autres. Il appert que la loi de
la jungle qui s’instaure dans les relations entre les différents États du monde doit faire place à
une coopération fondée sur la recherche du bien-être de tous les peuples. Lorsqu’une partie de
l’humanité est privée des besoins les plus élémentaires alors qu’une autre en possède à l’excès,
c’est l’injustice qui prend le pas sur la justice. Cette forme d’injustice qui provient d’une
exploitation de l’homme par l’homme conduit l’humanité à la dérive. Ainsi, le progrès de
l’humanité doit permettre à tous les États d’être unis pour la même cause, de lutter pour
l’avènement d’un monde plus juste dans lequel même les plus défavorisés pourront jouir de
leurs droits les plus élémentaires. Car aujourd’hui, les problèmes récurrents comme ceux de
l’immigration et du changement climatique ne laissent aucun État à l’abri du mal qui secoue
l’humanité. Lorsque les organisations régionales sont fortes et justes, elles peuvent régler
facilement certains problèmes qui éviteraient l’intervention de la communauté internationale.
S’il est vrai que le monde est dominé par les États forts, il faut aussi reconnaître comme
l’affirme J.-J. Rousseau (1977, p.175.) que « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être

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toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir.» C’est au prix
de ce sacrifice de toute l’humanité qu’un monde régi par le principe du respect de la dignité
(cette dignité qui n’a surtout pas de prix aux yeux de Kant parce qu’elle surpasse tout prix,) et
de la souveraineté de tous les peuples prendra la place de la barbarie et de la décadence sous
toutes leurs formes.

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