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MONDIALISATION ET INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE

Bantchin NAPAKOU
bnapakou@yahoo.fr
Etudo Kokou DOWOUSOU
kokoudowoussou@gmail.com
Université de Lomé
Résumé

La mondialisation est une nouvelle forme de coopération transnationale qui redéfinit le


principe de souveraineté. Les États sont désormais appelés à partager un ensemble de valeurs
et de pratiques qui modifie leurs organisations internes. En Afrique, l’intégration régionale a
été un moyen de fournir aux différents États une coopération axée sur l’entraide mutuelle.
L’échec de ce projet d’unité sert souvent de manœuvre aux États puissants qui n’hésitent pas à
instrumentaliser ces institutions pour leurs intérêts égoïstes. S’il est admis que dans la
dynamique mondiale, aucun acteur ne peut s’imposer seul, il faut une coopération dans
laquelle chacun puisse donner et recevoir sur la base de principes justes. L’intégration
régionale doit être l’expression de cette union d’États dans le respect du principe de leur
souveraineté et de leur dignité. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est au fondement
de toute politique d’intégration dans la mesure où un peuple qui perd sa souveraineté est
aliéné. La volonté des citoyens devient la finalité de toutes les actions qui définissent les
politiques régionales. L’intégration régionale permet à chaque peuple de reconnaître son
identité dans l’ouverture et le partage. Dans cette perspective, elle peut constituer un rempart
contre les effets pervers de la mondialisation hégémonique.
Mots clés : Coopération, droit des peuples, éthique de la restitution et de la réparation,
intégration régionale, mondialisation, souveraineté nationale

Abstract
GLOBALIZATION AND REGIONAL INTEGRATION IN AFRICA
Globalization is a new form of transnational cooperation which redefines the principle of
sovereignty. Therefore, States are called to share a set of values and practices which modify
their internal organizations. In Africa, regional integration has been a ways of providing to
different States cooperation based on mutual aid. The failure of this project of unity is often
used as a maneuver by powerful States which do not hesitate to manipulate these institutions
for their own interests. If it is accepted in the global dynamic context that no actor can stand
alone, there must be a cooperation based on right principles in which everyone can give and
receive. Regional integration must be the expression of this union of States set on the respect
of the principle of their sovereignty and dignity. The right of peoples to self-determination
must be at the basis of any integration policy if we are in a circumstance in which a group of
people that lose its sovereignty is alienated. Consequently, the will of the citizens becomes the
finality of all actions which regional policies define. Regional integration allows each people
or citizen to recognize their identity through overture and sharing. From this perspective, it
can be a rampart against the perverse effects of the hegemonic globalization.
Key words: Cooperation, peoples' rights, ethics of restitution and reparation, regional
integration, globalization, national sovereignty
Introduction

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Les relations d’interdépendance entre les différents États impliquent une redéfinition
de leur souveraineté à l’ère de la mondialisation. Celle-ci rend nécessaire la mise en œuvre
des politiques structurelles au plan national en vue de maintenir les populations sur des
territoires donnés. Chaque État, en raison de son ouverture au monde accueille des étrangers
et participe à une politique d’intégration régionale lorsqu’il s’agit de résoudre des problèmes
frontaliers et de renforcer les échanges multilatéraux. Cependant, malgré l’existence des
organisations sous régionales et de l’Union africaine, les États africains sont toujours en proie
à un transfert de souveraineté qui les maintient dans une dépendance perpétuelle des
puissances occidentales. La mondialisation devient un moyen de domination des États faibles
par les États forts. La souveraineté nationale en Afrique devient un vœu pieux si elle ne
s’accompagne pas d’une intégration régionale forte et juste. Comment faire de l’intégration
régionale le creuset d’une souveraineté partagée et le vecteur d’une mondialisation équitable ?
Comment redéfinir la souveraineté nationale à l’ère de la mondialisation ? Quels sont les
fondements de l’intégration régionale en Afrique ? Comment faire de l’intégration régionale
le vecteur d’une mondialisation raisonnable en Afrique ? L’intégration régionale en Afrique
doit être un creuset des différentes ressources et potentialités pour contrer les dérives
perverses de la mondialisation. Elle doit être forte et juste en se fondant sur le principe du
respect de la dignité et de la souveraineté de tous les peuples pour lesquels elle est instituée.
Ce texte, en partant de la dialectique entre mondialisation et souveraineté nationale, pose les
bases d’une intégration régionale en Afrique. Cette intégration régionale doit être le vecteur
d’une mondialisation équitable en Afrique à travers une coopération réussie.

Mondialisation et souveraineté nationale en Afrique

Les interdépendances des États dans le monde actuel appelle à s’interroger sur le rôle que
chaque acteur est appelé à jouer dans ce processus d’échanges mutuels. Jadis considérés
comme un héritage de la colonisation, les États africains sont aujourd’hui membres de
plusieurs organisations régionales et internationales qui leur confèrent une ouverture au
monde. Aucun État, quel qu’il soit ne peut s’affirmer de nos jours sans la collaboration des
autres. À cet effet, il faut convenir que la souveraineté des États, si elle est d’abord
l’affirmation de soi implique de la part d’autrui une reconnaissance réciproque. Reconnaître la
souveraineté des États, c’est comprendre que chacun d’entre eux a une autonomie dans la
mesure où les citoyens relevant de leur territoire sont soumis à leur juridiction. La territorialité
apparaît comme l’un des traits caractéristiques de la puissance étatique. Un État, c’est avant
tout un territoire sur lequel vit une population donnée et dont la vie est marquée par
l’existence d’un pouvoir politique au travers duquel la souveraineté est affirmée. Le fait qu’un
État puisse décider par lui-même de sa politique intérieure et des lois qui doivent régir les
relations entre les gouvernés et les gouvernants est un attribut de la souveraineté. La
souveraineté est ainsi, de par son essence une manière d’être et d’agir sans être mû par autre
chose que soi-même. Elle s’identifie à l’autonomie et à un refus de domination étrangère. Le
propre des États est d’avoir une identité qui distingue chacun des autres et lui confère une
puissance et des droits inaliénables qui découlent de leur nature même. Pour J-J Rousseau
(1977, p.193), la souveraineté est indivisible et inaliénable. De même qu’un homme ne peut
perdre sa liberté sans cesser d’être homme, un État ne peut exister qu’à condition d’exercer sa
souveraineté qui est l’exercice de la volonté générale : « La souveraineté n’étant que
l’exercice de la volonté générale ne peut jamais s’aliéner, et que le souverain qui est un être
collectif ne peut être représenté que par lui-même : le pouvoir peut bien se transmettre, mais
non pas la volonté. »
Dès lors, la souveraineté nationale renvoie au pouvoir absolu et perpétuel dont dispose un
État sur sa population, son territoire et ses institutions. En d’autres termes, elle est la capacité

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et les prérogatives dont dispose un État à se doter de ses propres institutions, à orienter ses
choix politiques, à structurer son territoire sans l’ingérence d’une force ou puissance
étrangère. Elle correspond à toute forme de politique d’autodétermination et d’autolégislation
d’un État exempte de toute influence extérieure. Ainsi, la souveraineté ne peut être effective
sans un pouvoir absolu et perpétuel que peut disposer une République. Que ce soit une
souveraineté légitime ou un pouvoir absolu comme le suggère T. Hobbes dans Léviathan, une
souveraineté émanant de la volonté générale comme l’a voulu J-J. Rousseau dans Du contrat
social, tous ont pour vision de conférer à l’État une mission d’hégémonie intemporelle fondée
sur une puissance. Dans cette perspective, « est-dit souverain celui qui est en mesure de
subordonner tous les autres sans être lui-même subordonné. Dans la notion de souveraineté
s’affirme la toute-puissance de l’État ». (A. Cambier, 2004, p. 24). Le pouvoir dont dispose un
État lui donne donc toutes les prérogatives de se maintenir dans une hégémonie absolue pour
procurer la paix, la justice, la sécurité sur le plan national.
En Afrique, les États sont nés de la colonisation et après les indépendances, les relations
avec la métropole ont toujours été maintenues. Les premiers intellectuels du continent ont été
formés dans les universités occidentales et la plupart d’entre eux ont occupé des postes de
responsabilité dans leur État respectif. La langue du colonisateur est devenue la langue
officielle des États colonisés et l’ouverture au reste du monde se fait par le biais de cette
dernière qui n’est plus l’apanage d’une seule culture. Même les différentes constitutions des
États nouvellement indépendants ont été élaborées à partir de celles de la métropole. On peut
alors dire que les États africains, malgré leur souveraineté restent tournés vers l’extérieur en
raison des relations diplomatiques qui les lient avec les puissances mandatrices.
Le pas des indépendances une fois franchi, a ouvert la porte à d’autres relations sur la
scène internationale en raison du nouvel ordre mondial qui exige de chaque État, le respect
des autres et la promotion de la paix pour éviter à l’humanité de nouvelles atrocités comme
celles de la deuxième guerre mondiale. Il y a lieu de reconnaître que la deuxième mondiale
n’a épargné aucun État du monde, car ceux qui n’ont pas été impliqués directement ont
néanmoins collaboré à la recherche de la paix dans le monde. La naissance de l’ONU signe le
début d’une mondialisation au plan politique en raison des buts et objectifs fixés. Il s’agit
pour cette institution d’œuvrer pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales.
Pour atteindre cette fin, il faut des mesures collectives efficaces. L’article 1 de la Charte des
Nations Unies énonce les buts suivants :

1. Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin : prendre des mesures collectives
efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte
d'agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément
aux principes de la justice et du droit international, l'ajustement ou le règlement de différends ou
de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix;
2. Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de
l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, et prendre toutes autres
mesures propres à consolider la paix du monde;
3. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre
économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect
des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe,
de langue ou de religion;
4. Etre un centre où s'harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes. 

Certes, même si l’ONU est fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses
membres, ceci n’exclut pas la collaboration pour parvenir à des fins communes. À travers le
droit international, les différents États reconnaissent la valeur et les limites de leur
souveraineté sans sombrer dans l’anarchie. Tous les États africains sont parties à la Charte des

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Nations Unies et cette adhésion leur confère la qualité de membres de cette organisation
mondiale. Ils sont liés aux traités internationaux par des accords et conventions qu’ils ont
ratifiés. Il s’agit pour chacun d’eux de reconnaitre au-delà de sa souveraineté, l’existence
d’une forme d’alliance et de coopération qui puisse lui permettre d’atteindre au plan global ce
qu’il ne peut réaliser au plan national. Les représentations diplomatiques de l’ONU dans les
États africains attestent une imbrication entre le local et le global, le national et l’international.
Aussi, les relations diplomatiques entre les États africains et les autres États du monde montre
à suffisance que nul ne peut atteindre certains objectifs, ni réaliser certains projets en se
repliant sur lui-même sans recours au reste du monde.
La mondialisation apparaît ainsi comme une nouvelle ère que l’humanité charrie et qui
permet de redéfinir le nouvel ordre mondial. On peut à cet effet comprendre la mondialisation
comme cette nouvelle forme de coopération transnationale débouchant sur un accroissement
de l’interdépendance entre les systèmes économiques, politiques et culturels. Les traits
caractéristiques majeurs renvoyant à l’identification de la mondialisation sont entre autres la
libre circulation des marchandises, des capitaux, des services, des personnes, des techniques
de l’information, la libéralisation des échanges de toute nature à l’échelle planétaire. À en
croire D. Held (1992, p. 32-34), la mondialisation renvoie à une simultanéité de l’émergence
d’un système économique global qui est au-delà du contrôle d’un seul État, à l’expansion des
réseaux de liaisons transnationales et de communication sur lesquels les États particuliers ont
peu d’influence, à une pluralité de croissance de l’organisation internationale pouvant limiter
le rayon d’action des États, etc. Il s’agit en fait d’un processus possédant en son sein la
capacité de réduire la palette des politiques disponibles aux gouvernements et même à leurs
citoyens. Les traits caractéristiques qui permettent d’identifier le phénomène de la
mondialisation sont la libre circulation des marchandises, des capitaux, des services, des
personnes, des techniques de l’information, la libéralisation des échanges de toute nature à
l’échelle planétaires. Il s’agit en effet d’un phénomène qui transcende toute particularité des
politiques souveraines étatiques. Ce phénomène est une puissante vague montante qu’aucune
politique fondée sur une souveraineté nationale quelconque n’arrive à dompter. Le seul
instrument qui permet de régulariser les rapports entre les États vis-à-vis de ce phénomène est
le droit international. Comme l’ont remarqué J. Tardif et J Farchy (2006, p.69) :

La mondialisation fait apparaître de nouvelles aires d’interactions humaines qui affectent le lien
traditionnel entre territoire et espace juridictionnel. Elle oblige à redéfinir non seulement les
enjeux de pouvoir liés aux rapports entre territoires et sécurité (enjeux géopolitiques), entre
territoire et économie (enjeux géoéconomiques), mais aussi et peut-être surtout entre espace et
cultures (enjeux géoculturels). Elle met en jeu de façon inédite des logiques multiples,
stratégiques, économiques, de puissance, qui interfèrent les unes avec les autres.
 
Avec la mondialisation, le droit que détient l’État dans la sphère nationale se fragilise
lorsqu’on tend vers la sphère transnationale puisqu’il ne s’agit plus, dans ce contexte du droit
d’un État envers ses propres citoyens mais plutôt du droit d’un État souverain envers un autre
État souverain. La pression de la mondialisation a redéfini la souveraineté nationale en ce sens
que dans le contexte de l’ordre national ou société interne, la souveraineté est exclusive tandis
que dans celui de l’ordre international ou société externe, la souveraineté devient limitée ; ce
qui fragilise considérablement la capacité des États souverains à résister à ces vagues
pressantes de politiques et d’idéologies accompagnées de l’émergence d’un système
économique global. Malgré les effets néfastes secondaires que ce processus peut déclencher,
il est devenu une impasse dans les sociétés politiques contemporaines. A. Acharya (2001, p.
383), en parlant de l’influence de la mondialisation sur les pays d’Asie insinue que ces États

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 ont généralement fait bon accueil à la mondialisation en dépit de son potentiel d’érosion de leur
souveraineté (…) Le risque de perte de souveraineté a été ignoré ou même jugé acceptable là où
des formes spécifiques de la mondialisation (telles que la production transnationale) pouvaient
être aménagées pour servir les objectifs de survie et de légitimité des régimes autoritaires.
Par conséquent, les attributs principaux de l’État que sont la souveraineté,
l’autonomie, le droit de ne reconnaître aucune autorité au-delà de sa sphère de contrôle
deviennent acquièrent une nouvelle dimension grâce à la mondialisation. Dans ce contexte, la
collision entre la mondialisation et la souveraineté nationale se manifestent aussi par le fait
que, par le biais de la prolifération des outils et des moyens de communication, certaines
informations qui peuvent circuler dans un pays arrivent à échapper au contrôle des États dits
‘‘souverains’’ ou ‘‘autonomes’’. Au moyen des vagues de communication de masse, la
mondialisation de l’information a contribué à la destitution des souverainetés nationales.
L’érosion de l’exclusivité territoriale contemporaine est la conséquence logique des effets de
la mondialisation. La nationalisation des services de l’information et de la communication, le
monopole par l’État des moyens de communication et de l’information, le contrôle de la
presse, le contrôle et la mainmise sur les médias d’État, l’orientation idéologique des contenus
des informations en fonction de la ligne éditoriale voulue étaient autrefois considérés comme
gages de la souveraineté des États en matière de l’information et de la communication. Mais,
l’invasion de la mondialisation a inlassablement contribué à la dilution de la souveraineté sur
ces plans, car aucune information n’échappe à la portée de la communauté mondiale. Comme
l’écrit à juste titre B. Dadie (1995, p.175.), la mondialisation marque ce qu’il appelle si bien
« la fin des territoires :

 La fin des territoires n’est pas une caractéristique isolée de notre scène internationale  ; elle
n’est pas non plus un facteur de désordre permanent. Elle s’inscrit, en fait dans une histoire qui
se révèle tout le long du XX è siècle et que le monde anglo-saxon saisit à travers le concept de
globalisation, tandis que la francophonie préfère la nommer mondialisation. Ces transformations
peuvent paraître abstraites, générales, rebelles à l’observation quotidienne ; elles peuvent
s’apparenter davantage à des propos académiques qu’à la réalité du monde concret. Qui
pourtant, dans sa vie de tous les jours, peut prétendre ne pas avoir été sollicité par un flux de
communication échappant au contrôle des États ? Qui n’est pas personnellement concerné par
les effets d’un jeu économique mondial qui défie les frontières et qui, depuis déjà longtemps,
fait fi des souverainetés nationales, nonobstant les professions de foi ou les philippiques qui
composent le rituel des campagnes électorales ? Qui n’a pas individuellement éprouvé les effets
de dilution des paramètres nationaux, dans son rôle de consommateur, de spectateur, de migrant,
de touriste ou de demandeur d’allocation ? 

Ces différents facteurs montrent que le monde entier est embarqué dans ce processus à
dimension multiple. Les prémisses de la mondialisation dressent un bilan nocif dans le
contexte de la souveraineté nationale au plan économique. Il est à noter que l’interdépendance
des structures de production est la conséquence logique de la mondialisation économique, car
aucun pays n’a le pouvoir de production s’il ne respecte les standards des normes
internationales. À partir de là, les productions des économies nationales deviennent
vulnérables et fragiles au plan international dans la mesure où ces États dits ‘‘souverains’’
n’ont pas le pouvoir de dicter leur politique commerciale. Cette situation conduit d’ailleurs à
une mondialisation inégale de l’économie, puisque, les politiques de régulation de l’économie
mondiale sont à la houlette de quelques firmes transnationales et des multinationales. Selon J.
Habermas (2013, p. 76), « l’éviction de la politique par le marché se traduit donc par le fait
que l’État national perd progressivement sa capacité à recouvrer des impôts, à stimuler la
croissance et à assurer par-là les bases essentielles de sa légitimité ».

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De ce fait, l’érosion de la souveraineté nationale au plan économique est fortement
constatée dans les États. Sur presque tous les plans, les États africains subissent les effets
pervers et bénéfiques de la mondialisation face auxquels aucun d’entre eux n’a de prise. S’il
est admis que l’invasion des marchés africains par des firmes internationales appauvrit plus
les États qu’elle ne les enrichit, il est nécessaire de développer une nouvelle politique à
l’échiquier international à travers l’intégration régionale. Comment concilier souveraineté
nationale et intégration régionale en Afrique ?

De la souveraineté nationale à l’intégration régionale

S’il n’est pas exagéré de dire que les enfants d’un même père sont liés par un destin
commun, c’est en raison des liens étroits qui lient chacun aux autres. Il y a plusieurs choses
qu’ils ont en commun et qu’ils peuvent partager s’ils sont unis et se comprennent souvent
pour trouver un terrain d’entente. Ce lien est ressenti davantage lorsqu’il y a la présence d’un
danger qui menace la vie de chacun. Les différentes transformations du monde ont rendu
nécessaire un rapprochement des différents États pour faire face à certains problèmes
spécifiques. Cette ouverture à l’autre est un désir d’accroître sa puissance et ses capacités à
partir d’une transcendance de la territorialité. Si la territorialité implique un espace à partir
duquel se déploie la puissance souveraine sur une population donnée, les flux migratoires et
d’autres besoins spécifiques conduisent à une intégration dans une sphère plus vaste. La
régionalisation apparaît comme une réponse aux défis des différents États à mettre ensemble
leurs forces communes pour résoudre certains problèmes qui ne relèvent pas de la
responsabilité d’un État en raison des logiques transnationales. Un État et ses voisins
partagent souvent une population unie par des traits culturels, des ressources naturelles, la
faune, la flore, les cours d’eau, des activités économiques ainsi que des problèmes liés aux
conflits interethniques, aux déplacements des populations, à la sécheresse et aux anomalies
climatiques. Ils sont dès lors contraints de lutter ensemble pour la sécurité et le bien-être de
leur population respective en s’unissant sur plusieurs plans pour surmonter les obstacles et
résoudre les problèmes récurrents. Comme l’écrit B. Badie, (1992, p.293) :

La régionalisation du monde renvoie à des réalisations diverses qui se rejoignent toutes pour
transcender la carte des États et faire admettre, de fait, un autre découpage de la scène
internationale, prenant en compte, de manière plus ou moins partielles, les données du
particularisme culturel. Quatre formules semblent faire souche en ce domaine : la formation
d’ensembles culturels vastes qui se cristallisent autour de flux culturels transnationaux, en
contestant voire, combattant les États ; l’élaboration d’unions d’États selon les procédés visant
l’intégration et le dépassement de la logique étatique ; la constitution de pôles régionaux autour
d’un État puissant, combinant de manière ambiguë son identité étatique et la volonté de
dissoudre celle-ci dans les entités plus vastes ; les efforts cherchant à résoudre les problèmes liés
au particularisme infra-étatique par la construction des régions, distinctes des États, et
prétendant à l’autonomie.

En Afrique, l’intangibilité des territoires après les indépendances a été un moyen pour
chaque État d’affirmer sa souveraineté vis-à-vis des États voisins et sur la scène
internationale. Pourtant ces frontières qui ont été l’œuvre des puissances étrangères ne
correspondent à aucune réalité historique qui coïnciderait avec une conscience collective mais
plutôt à un rassemblement disparate d’ethnies. Chaque État devait simplement exercer sa
souveraineté sur un territoire donné avec une population dont les origines sont diverses. Unis
désormais par un destin commun, les ressortissants de chaque État sont appelés à coopérer
pour l’unité de la patrie. Cependant, le colonisateur avait déjà créé une forme de
régionalisation sur le continent afin de lui permettre de mieux gérer ses colonies dans son
intérêt personnel. Avant les indépendances, les territoires occupés par une même puissance
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coloniale avaient des relations étroites à travers des regroupements comme AOF (Afrique
occidentale française), AEF (Afrique équatoriale française).
Si les États africains sont issus de la colonisation, ce passé n’a guère été un moyen
d’affranchissement. En proclamant les indépendances des États africains, les puissances
coloniales ont créé des situations de dépendance qui leur permettent d’avoir toujours la
mainmise sur leurs anciennes colonies dans le but de les exploiter perpétuellement. L’exemple
de la création de franc CFA dans les pays francophones en est une preuve car la valeur de
cette monnaie et sa fabrication sont assurées par la France qui a un contrôle sur la politique
financière et économique de cette monnaie. Ainsi, décida-t-elle unilatéralement et dans son
propre intérêt de sa dévaluation en 1994. Si 60 ans après les indépendances, ces États
francophones n’ont pas encore leur monnaie propre, il y a lieu de se demander si l’économie
de ces États appartient à la France ou à eux. Cette mainmise de la France sur ses anciennes
colonies à l’ère de la mondialisation, loin d’être un moyen de les protéger contre les effets
pervers de la mondialisation se présente plutôt comme un transfert de souveraineté. Comme
l’écrit A. Cappeau (2014, p.115) :

Dans un habillage post-mondialisation, les anciens empires coloniaux et particulièrement la


France de la Françafrique ont continué de soumettre leurs anciennes colonies par des ingérences
militaires, monétaires, sécuritaires, économiques, judiciaires, policières ou encore
diplomatiques, en imposant de facto, des transferts de souverainetés indiscutables par
l’application d’une manière subliminale du concept dit de « terranullis », autrement dit
d’annexion de territoire sans maître, ou plutôt dans notre cas espèce, de territoires aux maîtres
serviles… et consentants

Cette ambigüité permet de saisir le besoin le plus élémentaire de l’homme : s’associer


pour mieux vivre. Si l’homme a toujours besoin de son semblable pour être ce qu’il est, c’est
en raison du rôle que chacun joue dans la vie de l’autre. Cette situation se comprend dans le
sens où c’est celui qui est à côté de moi et qui vit les mêmes problèmes que moi qui peut
mieux me comprendre et m’aider à les résoudre parce que je pourrai lui être utile dans la
résolution des siens. En outre des voisins peuvent mieux se rendre régulièrement certains
services que ceux qui sont éloignés les uns des autres. De cette serviabilité peut naître une
union qui fera leur force à travers leurs échanges car chacun possède nécessairement quelque
chose qui manque à l’autre ; d’où l’idée de coopération. Pris isolément les États africains sont
en proie à des pillages systématiques et à des exploitations de tous genres par les puissances
étrangères. Le cas de la France avec ses anciennes colonies est souvent plus accru dans la
mesure où ses interventions sur tous les plans n’ont pour finalité que d’asseoir son hégémonie
et d’exploiter les ressources naturelles en mettant les populations dans une situation de
dépendance permanente ou de conflits latents. Ainsi, les pays les plus riches sont les plus
convoités avec des conflits récurrents qui instaurent une insécurité qui facilite le pillage et la
prédation des ressources naturelles. Le cas de la Côte d'Ivoire, sans être unique est illustratif :

La prédation des ressources naturelles ivoiriennes qui s’est instaurée d’une manière organisée,
après la chute du Président Gbagbo, dès novembre 2011, au profit de réseaux et d’intérêts privés
locaux et étrangers a démontré clairement la déliquescence d’un État qui bradait sa
souveraineté. En côte d’Ivoire comme dans bien d’autres pays en Afrique, la souveraineté
s’exerce par procurations concédées aux multinationales étrangères, pour lesquelles et au profit
desquelles, les institutions locales corrompues ont soldé mines, ports et aéroports contre une
forme de considération !  (A. Cappeau 2014, p.115)

Le besoin d’unité sur le continent devient un impératif pour coopérer et lutter contre les
invasions étrangères. Après les indépendances, les mouvements pour l’unité africaine étaient

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déjà une bonne marque d’un désir d’intégration sur le continent. Le mouvement du
panafricanisme est un exemple illustratif malgré les dérives et l’échec. Sur le Continent,
l’Organisation de l’Unité Africaine devenue plus tard l’Union Africaine est une marque de la
régionalisation. Si l’impact de la mondialisation fragilise la souveraineté nationale, l’option
pour une coopération et fédération forte à partir d’une politique de l’intégration régionale
s’avère impérative. En se référant au cas des pays de l’Afrique, il faut souligner que c’est
parce qu’ils ne parviennent pas à mettre en œuvre leurs objectifs communs qu’une puissance
transnationale ou occidentale arrive à les dominer facilement. La vision de la Charte de
l’Union africaine est de construire une Afrique unie, solidaire représentant une puissance
dynamique sur la scène internationale. Pourtant, ce continent est le terrain où se jouent les
conflits de toute sorte et de toute nature pour des raisons politiques, ethniques, religieuses ou
économiques ; ce qui conduit à une fragilisation des institutions. La souveraineté fragile des
États conduit à la vulnérabilité de leur politique économique, commerciale et politique face à
la pression stratégique des politiques de la mondialisation.
En Afrique, il existe des organisations sous régionales : CEEAC (Communauté
économique des États de l’Afrique centrale, CEDEAO (Communauté économique des États
d’Afrique de l’Ouest), CEB-SAD (Communauté des États sahélo-sahéliens), UMA (Union du
Maghreb arabe), EAC (Communauté de l’Afrique de l’Est), COMESA ( Marché commun de
l’Afrique Australe et orientale), IGAD (Autorité intergouvernementale pour le
développement), SADC (Communauté pour le Développement de l’Afrique Australe) ; des
organisations d’intégration régionale comme : CEMAC (Communauté Économique et
Monétaire de l’Afrique centrale), UEMOA (Union Économique et Monétaire Ouest-
Africaine), COI (Commission de l’Océan Indien).
Aussi, l’Union Européenne, par son programme nommé Fond Européen de
Développement (FED), investit et finance considérablement les instituions de l’Afrique
subsaharienne et a « même érigé l’intégration régionale en principe premier des Accords de
Partenariat Économique (APE) en cours de négociation ». (F. Saudubray, 2008, p. 175). On
peut aussi mentionner les financements qu’accordent aux institutions régionales de l’Afrique
subsaharienne, les pays tels que la Chine, et les États-Unis d’Amérique. L’Afrique est le
premier continent qui ait bénéficié de plus d’aide au développement. Très souvent, ces
politiques d’aide se manifestent à travers des types de coopération qu’on qualifie de «
bilatérale » ou de « collatérale » : quant aux politiques d’aide publique, en 2006 par exemple,
la République française, à travers le Comité Interministériel de la Coopération Internationale
et du Développement (CICID) estime avoir accordé une importance particulière aux pays de
l’Afrique. Cependant, loin d’être le continent le plus aisé sur tous les plans, elle demeure
plutôt celui où la pauvreté, les maladies, la famine sont récurrentes. Elle est le foyer de toutes
les manœuvres politiques sans effet ou résultat concret : politiques de réforme diverse, de
dialogue, de spéculation déroutante sur l’amélioration du climat des affaires avec la
coopération et collaboration des siphonneurs internationaux des ressources, politique
d’ajustement structurel, partenariats publics ou privés etc. Les relations dissymétriques de
type Nord/Sud ont été, depuis l’accession des pays africains à l’indépendance, un échec
notoire.
Lorsqu’on prend l’exemple de la CEDEAO, une analyse montre à suffisance qu’entre les
États africains eux-mêmes, de véritables problèmes tels que la libre circulation des personnes
et des biens restent à résoudre. Les puissances étrangères semblent avoir le monopole de ce
que les autres États appartenant à la même communauté n’ont pas : les échanges
commerciaux et diplomatiques. Né le 25 mai 1975, cette institution n’a pu résoudre les
problèmes de gouvernance à vie qui gangrènent certains États surtout francophones.
Comment cette institution qui est intervenue pour chasser Yahya Jammeh, n’a pu empêcher
Alpha Condé et Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat et pire à Faure Gnassingbé

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d’être au quatrième mandat? Cette institution n’arrive pas à organiser des élections crédibles
et démocratiques et joue toujours au médecin après la mort. Elle sert plus les intérêts de
certains chefs d’État et des puissances occidentales que ceux des peuples pour lesquels elle est
instituée. Dans la crise malienne qui a conduit au renversement du Président Ibrahim
Boukacar Keita, elle n’a pu jouer un véritable rôle de médiateur. Lorsque l’armée a pris le
pouvoir, elle a juste imposé des sanctions qui ont abouti à une transition. Elle est devenue une
trafiquante d’élections, et une institution qui ne respecte pas les engagements. Le dernier
échec est la difficulté d’instaurer une monnaie unique au sein d’un espace déjà verrouillé par
la France qui a instrumentalisé son allié Alassane Ouattara dans des déclarations sans
consensus préalable. Pourtant elle est une communauté dans laquelle les peuples ont le droit
de disposer d’eux-mêmes.
Le problème n’est donc pas l’inexistence en Afrique de cette intégration régionale mais de
la mise en œuvre de ses principes d’action. Il ne s’agit pas d’exister mais de sortir de soi pour
marquer le monde en le transformant par des actions concrètes. L’option pour des politiques
divergentes et non solidaires entre les pays membres d’une communauté régionale à l’instar
de la CEDEAO, sous prétexte du principe de souveraineté, est le canal par excellence qui
justifie la fragilisation de leurs relations interétatiques. Or, ces prétextes s’expliquent plutôt
par une forme d’instrumentalisation et de manipulation des puissances étrangères à leur
propre fin ; ce qui conduit à l’échec d’une intégration régionale dominante face à la
mondialisation. Une souveraineté nationale tachetée d’ingérence de puissance étrangère est un
frein à l’élan d’une politique de l’intégration régionale authentique. Le projet de la
mondialisation s’accompagne d’un programme de gouvernance globalisée, qui à son tour suit
un protocole de prédation intelligente et stratégique des ressources par les États dits
« puissants » en l’occurrence ceux occidentaux.
En Europe par exemple, il eut, après la deuxième Guerre Mondiale en 1954 l’idée d’un
projet de communauté européenne de défense. Mais, ce projet de stabilité interétatique au
moyen d’un statut politico-militaire a échoué au profit d’une politique de l’intégration
régionale. Ainsi, on se rend compte que la construction de l’Europe a été possible grâce à un
consensus de convergence des politiques économiques et industrielles entre les États
membres. Parlant de la formation de l’Union européenne, B. Badie (1995, p.218) a pu écrire :

 Ce dépassement évident des logiques territoriales se vérifie au vu de la nature inédite de


l’Union européenne qui ne peut prétendre ni au statut de super-État imposant son propre
territoire comme espace de souveraineté, ni à celui d’organisation d’États souverains
juxtaposant leurs propres territoires. Les institutions mises en place n’ont pas conduit à ce
transfert d’allégeance des États vers un centre nouveau, dont les fédéralistes rêvaient et
qu’Ernest Haas envisageait autrefois comme la marque d’une régionalisation réussie. Les États
demeurent, dans ce nouvel ensemble, et élaborent de concert la politique de la nouvelle Europe.
Cette évidente résistance des centres étatiques empêche la constitution d’un centre unique qu’on
ne saurait incarner. Il serait donc illusoire de prétendre que le territoire de l’Union se substitue
aux territoires des États qui en sont partie prenante. 

S’il est admis que les institutions régionales ne sauraient se substituer aux différents États, il
est paradoxal qu’en Afrique ces dernières ne jouent pas le rôle qu’elles doivent jouer et
servent plutôt à légitimer l’insoutenable. Comment donc faire de l’intégration régionale le
vecteur d’une mondialisation raisonnable ?

Souveraineté, intégration régionale et mondialisation en Afrique

L’Afrique est souvent qualifiée de continent de l’avenir, le continent des possibilités


infinies. Avec un continent qui a la population la plus jeune au monde, l’Afrique regorge

9
plusieurs ressources jusque-là inexploitées et plein de potentialité quant à ce qui concerne sa
faune, sa flore, ses fleuves, ses végétations etc. Sur ce, il urge aux pays africains de revoir
d’abord leur agenda politique et leur plan d’action, pour s’affirmer ensuite en tant qu’États
souverains. Une façon de se libérer des pactes politiques issus du joug colonial est de
reconsidérer les bases de la souveraineté nationale pour une intégration régionale authentique.
Il ne peut y avoir une vraie intégration si les États africains ne procèdent pas par une ablation
systématique des cordons politiques coloniaux pour un renouement des pactes politiques
interétatiques régionaux efficaces. On peut dire que dans le contexte africain, un vrai plan
d’action sur l’intégration régionale conduira à la décolonisation de leurs économies.
L’éjection des puissances étrangères de toutes les instances de prise de décisions dans les
États et entre les États est l’une des pistes pour la souveraineté, puisque, comme l’explique A.
Mbembe (2013, p. 96), « pour qu’elle devienne un habitus, la logique des races doit être
couplée à la logique du profit, à la politique de la force et à l’instinct de corruption-définition
exacte de la pratique coloniale ». Aussi longtemps que les puissances étrangères se verront
attribuées un droit de regard dans les instances de prise de décision des politiques
économiques, commerciales au motif de la coopération, des relations diplomatiques ou au
nom de toute interprétation que ce soit, on assistera toujours à un marché de la mondialisation
dominé par ces puissances. En lieu et place d’un asservissement politique, économique et
social, il faut la recherche du bien- être des peuples africains qui doit passer par une prise de
conscience collective car, poursuit A. Cappeau (2014, p.168) :

L’Afrique noire est aujourd’hui face à son destin. Elle doit accepter un dernier combat contre
elle-même, pour échapper à une servitude « protectrice » qui devait lui être une deuxième peau.
Ce ne sont plus les démocraties occidentales sclérosées qui mènent aujourd’hui le jeu. Mais les
échanges politisés qui façonnent les sociétés, et de ces échanges vont naître d’autres modes de
vivre ensemble.

De ce point de vue, on peut estimer qu’une politique de l’intégration régionale réussie


débouche logiquement sur une puissance économique forte, autonome pouvant influencer les
politiques internationales. Les premières impressions au plan national d’une franche politique
de l’intégration régionale sont la circulation des marchandises et des personnes, la suppression
des monopoles nationaux, la concurrence entre les entreprises de la zone, l’effort de
modernisation et de perfectionnement des structures et services. Il ne s’agit plus dans ce
contexte d’une pseudo-politique de coopération régionale fondée sur un soutien mutuel entre
les dictatures politiques comme en témoignent certaines institutions africaines actuelles. Une
politique authentique de l’intégration régionale conduit à une facilité du pouvoir de
négociation entre les entreprises. Elle pose les prémisses d’une croissance de la finance
inclusive tout en amoindrissant les politiques mafieuses et nocives d’aide au développement
ou les politiques d’aide fatale comme l’estime D. Moyo (2009). L’affirmation de la
souveraineté nationale ou régionale à l’ère de la mondialisation par le biais d’un processus
franc d’une politique d’intégration régionale ne doit pas être une des options politiques parmi
tant d’autres pour les États africains. Elle doit être plutôt la priorité, parce qu’elle contribue à
la réduction des politiques axées sur les coopérations multilatérales au profit de celles
bilatérales intra régionales. Lors des sommets mondiaux comme celui du changement
climatique par exemple, les initiatives susceptibles d’être prises entrainent parfois une
résistance de certains États en raison des injustices globales qui ne permettent pas de réduire
les multiples inégalités :

Cette résistance des États s’effectue à la fois au nom de leur souveraineté et, notamment quand
il s’agit des États en développement, de leur intérêt tel qu’ils le comprennent comme incluant

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d’abord, avant toute contribution sincère et efficace à la lutte contre le changement climatique,
leur accès à un niveau de performance économique les rendant moins dépendants, pour leur
subsistance, du commerce mondial (ou de la présence de grands groupes entrepreneuriaux sur
leur territoire. (A. Renaut et E. Brown 2016, p.679)

Dès lors, il est fort probable que l’autonomie des pouvoirs politiques à l’ère de la
mondialisation passe aussi par une politique d’intégration régionale dont la finalité
s’apparente à une baisse des coûts de transactions entre les États membres de la zone. Cette
baisse octroie un pouvoir interne de consommation des biens et services. Elle peut aller
jusqu’à la suppression des droits de douanes. Grâce à l’intégration régionale, les États
africains peuvent reconstituer l’arbitraire du découpage des territoires imposé depuis
longtemps par les puissances occidentales. Bref, il s’agit, à travers cette politique, d’une mise
en place d’un mécanisme politique dont la manifestation se révèle à travers le pouvoir
d’affirmation et de prise de décisions inclusives et concertées pouvant résister à toute tentative
d’ingérence et de pression extérieure. La capacité de prendre des mesures idoines, suite à la
décision d’une puissance quelconque de sanctionner un pays ou une institution régionale, pose
donc les marques et les prémisses de la souveraineté à l’ère de la mondialisation.
Après cela, il est nécessaire, pour une affirmation souveraine contre les désastres de la
mondialisation d’opter pour une gouvernance régionale axée sur l’investissement
transfrontalier intra-régional. L’option pour une bonne politique de l’intégration régionale
débouche impérativement sur une coopération forte, inclusive et résiliente sur les plans
politique, économique, culturel entre les États membres. À coup sûr, l’intégration régionale
contribuera à un nouvel horizon de l’affirmation de l’identité politique et économique
africaine. Pour parvenir à une intégration harmonieuse, il faut, comme le souligne J.
Habermas (2012, p.82-83) :
 Que les compétences que l’État national délègue aux instances supranationales, ou celles qu’il
partage avec elles, puissent être de toute façon encadrées juridiquement, notamment dans les
régimes de traités internationaux, mais encore faut-il qu’elles le soient de manière
démocratique. Dans le cas d’un transfert des droits de souveraineté, la latitude qui doit être
laissée à l’autonomie des citoyens n’est pas restreinte si les citoyens d’un quelconque État
concerné, en coopération avec les citoyens des autres pays impliqués, participent bel et bien,
selon un processus démocratique, à la législation supranationale 

Il faut que l’intégration régionale en Afrique soit démocratique en partant de la volonté


des citoyens au lieu de demeurer une manœuvre des Chefs d’États et de leurs complices qui
pillent et exploitent les ressources naturelles sans que les retombées ne soient bénéfiques pour
les populations concernées. Les institutions justes et fortes en Afrique passent par la mise en
œuvre d’un processus démocratique dans lequel aucun État et aucun dirigeant ne pourront se
prévaloir d’une suprématie sur les traités régionaux et internationaux. La politique
d’intégration régionale doit se fonder sur une souveraineté politique dont l’essence est
l’ouverture au monde sans être aliéné. L’aliénation renvoie au fait de cesser d’être soi-même
pour dépendre des autres comme si on n’était pas soi-même souverain. La souveraineté
nationale au plan régional doit être une marque de coopération et d’entraide mutuelle, un
véritable creuset de forces diverses mais complémentaires qui donne à chacun plus de
puissance et complétude. La reconnaissance de soi et de l’autre devient source de partage et
de cohésion. À ce siècle, et spécifiquement sur le plan politique et économique, il est
impossible pour des États, pris individuellement, d’affirmer une souveraineté quelconque.
Dans la vie politique et économique de nos jours, les politiques fanatiques du protectionnisme
perdent leur hégémonie au profit des politiques du régionalisme concerté. Sur cette base, la
marque de la réaffirmation d’une souveraineté politique forte et participative à l’ère de la
mondialisation passe par l’intégration régionale :

11
 Malgré cette convergence d’intérêts qui freine les avancées politiques et sans attendre un
évènement rupture qui précipiterait le mouvement, un facteur fondamental peut servir de levier
pour avancer : dans la dynamique mondiale, aucun acteur n’est en mesure de s’imposer seul.
Les acteurs de l’économie globalisée ont besoin pour opérer d’un cadre relativement prévisible
ainsi que de la sécurité qu’ils ne peuvent assurer et que l’État a la légitimité de mettre en place.
L’État ne peut plus assurer le bien-être de ses citoyens sans compter sur des entreprises capables
de s’imposer dans le marché globalisé qui échappe à son contrôle.  (J. Tardif et J Farchy 2006,
p.193.)

Pour contrer ces manœuvres, il faut des mesures de planification inclusive à long
terme pour une nouvelle réaffirmation de la souveraineté des pays africains à l’ère de la
mondialisation. Une bonne politique de développement peut passer par une interaction
stratégique entre les considérations démographiques et les ressources naturelles. Le projet de
la souveraineté politique à l’ère de la mondialisation, devenue une impasse dans les sociétés
politiques contemporaines, est avant tout une question d’organisation, de planification et de
coopération interrégionale. Ainsi, l’affirmation d’une souveraineté authentique de l’Afrique à
l’ère de la mondialisation peut passer par deux phases. Il s’agit essentiellement d’une :
-Politique de l’impératif coopérationnel et régionaliste endogène : affirmer une souveraineté à
l’ère de la mondialisation revient à imposer entre les États membres un impératif politique
basé sur les valeurs et principes conventionnellement érigés. Un ensemble d’idéologies
incarnées comme valeurs et principes par les États membres au nom de la politique de
l’intégration régionale permettra de résister à toute tentative d’intrusion des puissances
étrangères. Il s’agit, en fait d’une intériorisation de certaines valeurs et normes qui seront
partagées par les membres de cet espace régional. La politique de l’impératif coopératif et
régionaliste endogène aidera les pays africains à construire « des marchés ouverts à l’intérieur
et protégés vis-à-vis de l’extérieur ». (F. Saudubray, p. 179). L’absence de cette politique de
l’impératif régionaliste endogène a fait que par exemple, la Côte d’Ivoire, sous l’impulsion de
la France a mis la CEDEAO dans une déroute quant à ce qui concerne son projet de monnaie
unique en 2020.
-La politique de l’impératif coopérationnel et régionaliste exogène : s’ouvrir au reste du
monde, c’est élaborer des initiatives et alternatives efficaces, capables de s’autoréguler en cas
de force majeure. Les pays africains ont une responsabilité collégiale de définir une politique
économique soudée, inébranlable. L’impératif coopérationnel a pour priorité de veiller aux
règles commerciales communes établies. Pris individuellement de nos jours, les économies
nationales sont facilement dissolvables grâce aux fouets des politiques macroéconomiques
issues de la mondialisation, des multinationales et des décideurs internationaux. Cette seconde
phase qui représente celle de l’ouverture au monde est la conséquence logique de la politique
de l’impératif coopérationnel et régionaliste endogène réussie.
C’est ainsi qu’une convention solide entre les aires régionales sur les règles
commerciales, sur les procédures douanières et sur les droits de douanes pose les prémisses
fondamentales pour une coopération avec le reste du monde. Dans ce contexte précis, on peut
assister à la résistance au diktat idéologique et économique issue de toutes structures
exogènes. Cela bannit toute imposition des politiques économiques exogènes et oblige chaque
partie prenante à coopérer ; ce qui constitue un gage pour la souveraineté politique à l’ère de
la mondialisation. L’union sacrée des pays dans un espace régional procure toujours un
avantage majeur. La politique régionaliste exogène qui se manifeste à travers une coopération
de l’espace régionale et l’extérieur peut être considérée comme base formelle à l’affirmation
de l’autonomie politique et de la souveraineté nationale.
Le problème essentiel réside donc dans la manière de repenser le politique car il est au
cœur de tout processus, qu’il soit national, régional ou mondial. Le politique est au fondement

12
du processus de mondialisation qui affecte toutes les sphères de la vie humaine. Il faut
comprendre, comme le notent J. Tardif et J Farchy (2006, p.194) que :

La globalisation et la mondialisation ne marquent pas la fin du politique. Elles appellent plutôt


à redéfinir l’articulation des différentes sphères d’interactions humaines et le rôle des divers
acteurs dans un monde ouvert qui n’est plus seulement inter-national et inter-étatique. Elles
offrent ainsi l’occasion de repenser le politique à la fois dans ses expressions nationales,
internationales et dans la perspective du « réalisme cosmo-politique.

Si la mondialisation affecte toutes les sphères de la vie humaine, elle permet à la fois de
construire le monde et de le défaire. Elle le construit en créant des liaisons qui font de
l’humanité un village planétaire, en donnant la possibilité à tous les hommes de s’élever au-
delà de leur espace géographique pour vivre le monde et le célébrer. Elle facilite la
communication et les échanges entre les différentes contrées du monde et favorise les
relations bilatérales et multilatérales. Cependant, dans sa mise en œuvre la mondialisation
n’est pas neutre en ce qu’elle permet aux États forts de dominer davantage les États faibles et
de les exploiter sur tous les plans. Elle donne le pouvoir aux États puissants d’imposer leur
vision du monde aux autres en les contrôlant sur tous les plans en vue de créer une
dépendance excessive. Dans la dynamique mondiale, on assiste au « chacun pour soi Dieu
pour tous » dans la mesure où aucun État ne saurait se substituer aux autres pour résoudre
leurs problèmes et les formes apparentes de coopération ne sont que des moyens
d’exploitations déguisés. Les moyens de transport et de communication favorisent une
domination économique sans précédent et les États africains n’ont pas le monopole de la
convertibilité de leur monnaie, ni le pouvoir d’achat pour affirmer leur souveraineté. Tout se
passe comme s’ils étaient juste des spectateurs qui suivent un match et applaudissent
lorsqu’un nouveau but est marqué. Ils sont de ce fait des victimes dans ce processus de
marginalisation où seuls les amis s’invitent au festin. Le besoin de reconstruire le monde sur
de nouvelles bases apparaît comme un impératif. À juste titre A. Mbembe (2013, p. 261), écrit
:

Pour construire ce monde qui nous est commun, il faudra restituer à ceux ou celles qui ont subi
un processus d’abstraction et de chosification dans l’histoire la part d’humanité qui leur a été
volée. Dans cette perspective, le concept de réparation, en plus d’être une catégorie
économique, renvoie au processus de réassemblage des parts qui ont été amputées, la réparation
des liens qui ont été brisés, la relance du jeu de réciprocité sans lequel il ne saurait y avoir de
montée en humanité.

Il s’agit de promouvoir l’idée d’humanité commune qui doit fonder toute pratique
politique et économique dans les relations entre les différents États. La loi de la jungle qui
fonde le processus de mondialisation doit être mise hors-jeu au profit d’une restitution et
d’une réparation qui constituent une possibilité d’accomplissement d’une justice universelle
par la construction d’une conscience commune au monde :

Les deux concepts de restitution et de réparation reposent sur l’idée selon laquelle il y a une
part d’humanité intrinsèque dont est dépositaire chaque personne humaine. Cette part
irréductible appartient à chacun de nous. Elle fait qu’objectivement nous sommes à la fois
distincts et semblables. L’éthique de la restitution et de la réparation implique par conséquent la
reconnaissance de ce que l’on pourrait appeler la part d’autrui, qui n’est pas la mienne, et dont
je suis pourtant le garant, que je le veuille ou non. Cette part d’autrui, je ne saurais l’accaparer
sans conséquence pour l’idée de soi, de la justice, du droit, voire de l’humanité tout court, ou
encore pour le projet de l’universel, si tant est que telle soit effectivement la destination finale.
(A. Mbembe 2013, p. 261-262)

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À cette éthique de la restitution et de la réparation qui enjoint la reconnaissance de la part
d’autrui que chacun a l’impérieuse obligation d’être le garant, il y a lieu de promouvoir des
valeurs qui mettent en jeu les deux parties dans la promesse de ne plus recommencer les torts
commis dans le passé. Cette éthique de la réconciliation peut combler le fossé d’une humanité
fragmentée et divisée et dans laquelle seuls les plus forts ont le monopole de décision. Ainsi,
les ingérences étrangères des grandes puissances dans les affaires intérieures des États et des
institutions régionales africaines cesseront au profit d’une franche coopération. Comme l’écrit
A. Renaut (2013, p.351) : « L’objectif serait désormais d’établir des règles rendant les
procédures de négociations plus conformes au principe selon lequel tous les peuples ont le
droit à être traités avec le même respect de leur souveraineté et de leur dignité. ». L’Union
africaine n’est jamais invitée pour superviser des élections dans un État européen alors
qu’aucune élection ne peut être crédible en Afrique sans la présence des observateurs de
l’Union européenne. Quelle souveraineté !

Conclusion

Si ontologiquement, l’homme ne peut vivre sans les autres hommes, il est aussi vrai de
nos jours qu’aucun État ne peut s’épanouir sans la collaboration des autres. Certes, la loi de la
jungle qui s’instaure dans les relations entre les différents États du monde doit faire place à
une coopération fondée sur la recherche du bien-être de tous les peuples. Le progrès de
l’humanité doit permettre à tous les États du monde d’être unis pour la même cause. Car
aujourd’hui, les problèmes récurrents comme ceux de l’immigration et du changement
climatique ne laissent aucun État à l’abri du mal qui secoue l’humanité. Lorsque les
organisations régionales sont fortes et justes, elles peuvent régler facilement certains
problèmes qui éviteraient l’intervention de la communauté internationale. S’il est vrai que le
monde est dominé par les États forts, il faut aussi reconnaître comme l’affirme J-J Rousseau
(1977, p.175.) que «Le plus fort  n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne
transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir.» C’est au prix de ce sacrifice de toute
l’humanité qu’un monde régi par le principe du respect de la dignité et de la souveraineté de
tous les peuples prendra la place de la barbarie et de la décadence sous toutes leurs formes.

Références bibliographiques

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